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Revue de géographie alpine

Une plaine oranaise transformée par l'irrigation : La Mina


Robert Tinthoin

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Tinthoin Robert. Une plaine oranaise transformée par l'irrigation : La Mina. In: Revue de géographie alpine, tome 42, n°2,
1954. pp. 223-267;

doi : https://doi.org/10.3406/rga.1954.1127

https://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1954_num_42_2_1127

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Résumé
Résumé. — Cette étude fait suite à un article de 24 pages, plus particulièrement historique, paru dans
le Bulletin de la Société de Géographie d'Oran (Algérie), tome 73, fascicule 228, année 1950 (paru en
1952), sur « La Plaine de Relizane avant l'irrigation ». Il y est question des « combinaisons » agricoles
antérieures à 1830 et à la mise en place de la colonisation européenne. Le présent travail, après avoir
brossé à grands traits la description du milieu géographique de cette Basse plaine sublittorale oranaise
(relief, climat, hydrologie, sols et végétation), expose les étapes de la transformation agricole et
humaine en fonction de l'extension de l'irrigation. Dans une première période d'une cinquantaine
d'années, de 1860 à 1910, la mise en valeur passe de l'association céréales d'hiver-pâturage à la
polyculture semi-irriguée, grâce à la construction du barrage de dérivation de la Mina et à l'introduction
de cultures nouvelles. Cette évolution est enrayée par l'insuffisance du volume d'eau mis à la
disposition des colons. Une deuxième période de près de trente ans, de 1924 à 1952, suit la
construction du barrage-réservoir des Bakhadda, sur la haute Mina. Une nouvelle évolution en résulte
avec l'extension des champs de céréales irrigués et des vergers. Cette riche combinaison agricole
européenne s'oppose à la culture sèche musulmane, qui subsiste dans la partie septentrionale de la
plaine. Les besoins en eau d'irrigation augmentent avec le développement des cultures exigeantes, et
il faut prévoir l'aménagement de nouvelles ressources hydrauliques. La transformation radicale de la
plaine, depuis ferme broussaileuse, observée en 1830, jusqu'aux champs irrigués actuels, s'est
accompagnée de l'évolution de la structure agraire, de l'importance des exploitations agricoles, de la
densité et de la répartition du peuplement, du développement commercial et industriel, de la valeur des
terres et du changement de psychologie des exploitants européens. Il y a eu ici, en moins d'un siècle
et parallèlement à l'équipement hydraulique, la création d'une région géographique originale dont
l'évolution se poursuit en posant des problèmes nouveaux.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE

PAR L'IRRIGATION : LA MINA

par Robert TINTHOIN

Résumé. — Cette étude fait suite à un article de 24 pages, plus


particulièrement historique, paru dans le Bulletin de la Société de Géographie
d'Oran (Algérie), tome 73, fascicule 228, année 1950 (paru en 1952), sur
« La Plaine de Relizane avant l'irrigation ». Il y est question des
« combinaisons » agricoles antérieures à 1830 et à la mise en place de
la colonisation européenne.
Le présent travail, après avoir brossé à grands traits la description
du milieu géographique de cette Basse plaine sublittorale oranaise (relief,
climat, hydrologie, sols et végétation), expose les étapes de la
transformation agricole et humaine en fonction de l'extension de l'irrigation.
Dans une première période d'une cinquantaine d'années, de 1860 à
1910, la mise en valeur passe de l'association céréales d'hiver-pâturage
à la polyculture semi-irriguée, grâce à la construction du barrage de
dérivation de la Mina et à l'introduction de cultures nouvelles. Cette
évolution est enrayée par l'insuffisance du volume d'eau mis à la
disposition des colons.
Une deuxième période de près de trente ans, de 1924 à 1952, suit la
construction du barrage-réservoir des Bakhadda, sur la haute Mina. Une
nouvelle évolution en résulte avec l'extension des champs de céréales
irrigués et des vergers. Cette riche combinaison agricole européenne
s'oppose à la culture sèche musulmane, qui subsiste dans la partie
septentrionale de la plaine. Les besoins en eau d'irrigation augmentent avec
le développement des cultures exigeantes, et il faut prévoir
l'aménagement de nouvelles ressources hydrauliques.
La transformation radicale de la plaine, depuis ferme broussaileuse,
observée en 1830, jusqu'aux champs irrigués actuels, s'est accompagnée
de l'évolution de la structure agraire, de l'importance des exploitations
agricoles, de la densité et de la répartition du peuplement, du
développement commercial et industriel, de la valeur des terres et du changement
de psychologie des exploitants européens.
Il y a eu ici, en moins d'un siècle et parallèlement à l'équipement
hydraulique, la création d'une région géographique originale dont
l'évolution se poursuit en posant des problèmes nouveaux.
224 ROBERT TINTHOIN.

Parmi les plus défavorisées du Tell algérien sous le rapport de


la pluviosité (300 à 400 mm. de pluie par an), lès Basses Plaines
d'Oranie sont actuellement les plus fertiles et les plus peuplées
(78 habitants au km2). La plaine de la Mina, la dernière mise en
valeur de façon intensive, présente aussi te développement le plus
rapide.

LE MILIEU GEOGRAPHIQUE

Le milieu géographique doit son originalité à la « combinaison »


d'un relief en cuvette de 60 m. d'altitude moyenne, d'un climat à
sécheresse saisonnière accentuée, d'eaux courantes peu abondantes,
de terres fortes, parfois salées, d'une erme broussailleuse d'halo-
phytes et jujubiers sauvages.
Les conditions naturelles sont donc peu favorables, et la mise
en valeur agricole exige impérieusement de suppléer à l'insuffisance
des précipitations.

1. Le relief.

Comme ses voisines, les dépressions sublittorales de la Mitidja


à l'embouchure du Rio Salado, la plaine de la Mina est une région
de subsidence, résultat des mouvements orogéniques atlasiques qui,
depuis la fin de l'Eocène, semblent se poursuivre jusqu'à l'heure
actuelle.
Séparée de la plaine de PHabra-Macta par le bombement de
l'Hillil, elle est circonscrite par les avant-monts gréso-marneux des
chaînes atlasiques moyennes du Dahra au Nord, de l'Ouarsenis
au S.E., des Béni Chougrane au S.O. et par la « Montagne » de Bel
Hacel à l'Ouest.
Région d'invasion- marine jusqu'au Sahélien, elle reste lagu-
naire et endoréique jusqu'à la constitution du cours exoréique de
la Mina, au milieu du Flandrien.
Remblayée d'épais dépôts alluviaux, elle s'étale au Nord, en
avant des larges cônes de déjection des oueds atlasiques : Mina,
Hillil, Magrouna et Djemaa. Au centre et au Nord, elle est occupée
par des cuvettes fermées : Chantrit, Daya et Sebkha bou Ziane ou
Saline de Ferry.
A la limite des plaines de la Mina et du Chélif, la Saline de Ferry
est un lac salé elliptique de 1.600 hectares \ inondé en hiver, dessé-

1 Cf. Tinthoin (Robert), Les aspects physiques du Tell oranais, Oran, 1948,
p. 193-195.
226 ROBERT ТШТНОЖ.

ché partiellement en juin ou juillet. On en extrait du sel : 17.000 t.


en 1948. Le fond de cette cuvette, à 40 m. d'altitude, est dominé par
un bourrelet en croissant, composé de sables limoneux délitescents,
criblés de cristaux de gypse, parfois encroûtés de dépôts calcaires.
M. Gaucher y voit une « sebkha tectonique » occupant une voûte
anticlinale décapée. Au Sud, la Daya de Ferry est un bassin fermé
alimenté par les eaux des pluies hivernales évacuées, avec une forte
salure, par un émissaire. La cuvette de Chantrit et la partie Nord
de la plaine est le réservoir de réception des nappes de la Mina,
des oueds bou Khaddou et Hillil s'écoulant souterrainement, vers
le Nord.
D'après Ficheur et Dalloni, cette plaine n'est pas une simple
cuvette synclinale comme celle de la Sebkha d'Oran. Elle a été
surcreusée par la Mina ou un Chélif primitif, de fort débit, pendant
les périodes pluvieuses de la fin du Pliocène et du début du
Quaternaire, dont les produits de transport, détritiques et hétérogènes,
reposent directement sur les marnes et argiles miocènes.
Coteaux, terrasses, bas-fonds marécageux, dunes continentales,
sebkha et daya donnent quelque variété à la plaine, dont la
monotonie est accentuée par la sécheresse estivale et le tapis de plantes
halophiles.
Les coteaux du Pliocène supérieur au Fort Vigie de Relizane
(122 m.), au Sud et à l'Est de Ferry (150-180 m.) et au Touila
(150 m.) sont constitués d'alluvions très anciennes aux éléments
très bien roulés, cimentés en conglomérats avec lits de grès et
recouverts d'une croûte sablo-caleaire.
Les terrasses supérieures du Quaternaire, formées de cailloux
roulés et de sables grossiers, découpées dans les anciens cônes de
déjection des oueds tributaires du Chélif, dessinent un gradin d'une
trentaine de mètres au-dessus des terrasses moyennes. Celles-ci
représentent d'anciens dépôts sableux, limoneux et parfois
caillouteux, de la Mina et de l'oued Hillil, épais de 10 à 12 mètres,
recouverts d'une croûte calcaire assez épaisse. Les terrasses inférieures
(80 m.) montrent, à l'Est de Relizane, des limons sableux mélangés
par places soit de graviers siliceux, soit d'alluvions argileuses et
recouverts de limons argileux superficiels.
Les bas-fonds, inondés à l'époque des pluies par des eaux sau-
mâtres provenant du lessivage des reliefs voisins, sont
responsables de la réputation d'insalubrité de la plaine. Asséchés en été, ils
se couvrent d'efflorescences salines. Les limons visqueux humides,
impropres à la culture, sont envahis par les plantes halophiles.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 227

Au pied de la Montagne de Bel Hacel le manteau de sable,


provenant de la décomposition des grès pliocenes et repris par le vent,
donne les dunes du Tahamda, à peu près fixées par les cultures.

2. Le climat.

Abritée de l'influence rafraîchissante et humide de la mer par la


barrière massive du Dahra, au Nord, la plaine subit un climat
continental assez voisin de celui de la vallée du Chélif, plus
excessif que celui des plaines occidentales du Sig et de l'Habra, ouvertes
au Nord.

-1943 494S -1946 4947 1948 1^49 "^50 -1951


Fig. 2. — Diagramme de la pluviosité de 1943. à 1951.

Ses caractéristiques essentielles sont : une faible pluviosité


annuelle (325 mm.), irrégulière d'une année à l'autre (du simple au
septuple, 100 mm. en 1922, 167 mm. en 1867, 659 mm. en 1870 et
1928), une sécheresse estivale de juin à septembre (moins de 7 %
du total des pluies annuelles) 2, de fortes gelées d'hiver (minimum
extrême — 5°), de grosses chaleurs d'été (maximum extrême 48° 6)
et une active evaporation 3 due à la fois à la température et aux

2 Dans le cours des 7 dernières années la plaine a subi 4 à 8 mois


consécutifs de sécheresse. Pendant la même période, deux années ont reçu plus
de 400 mm. de pluie, deux un peu plus de 300 et trois un peu plus de 200 mm.
(.graphique).
3 M. Seltzer (Climatologie de l'Algérie) donne pour Orléansville, dans une
situation à peu près semblable : 1.141 mm. par an.

2a
228 ROBERT TINTHOIN.

vents desséchants de l'été (une quinzaine de jours de siroco en


moyenne). L'indice d'aridité4 est comparable à celui des Hautes
Plaines steppiques 6, à 120 kilomètres au Sud. C'est une région
nettement semi-aride.

3. Les eaux.

Une série d'oueds et de chabets, disposés en éventail, peu


abondants et très irréguliers, descend vers le centre de la plaine, où ils
n'ont pas de lits définis et finissent par se perdre. Ce sont : la Mina
à 25 kilomètres de son confluent avec le Chélif , l'oued Hillil qui
parvient à peine à attendre la Mina, les oueds bou Khaddou, Tliouanet,
Malah, Haddad, Khelloug, Magrouna et Djemaa.
Ils charrient tous des eaux saumâtres Q> par suite de l'existence
de sources salées et du lessivage des terrains salins triasiques et
miocènes de l'amont.
Ces eaux s'infiltrent et s'accumulent dans les couches
sablonneuses interstratifiées entre les argiles salées, se salent et constituent
des nappes qui s'écoulent souterrainement, se dispersent et viennent
sourdre dans les petites dépressions imperméables où elles forment
des marais après les fortes pluies d'hiver et les irrigations trop
abondantes.
M. Gaucher a reconnu dans la plaine l'existence d'une série
de nappes d'eau. Les unes peu ou pas salées, comme celle de la
Mina alimentée par les infiltrations de l'oued en crue. Les autres,
saumâtres, sont grossies par les chabets S.E. de la plaine (3 à 4 gr.
de NaCl %o). Parmi les nappes superposées salées de la cuvette
de Chantrit et de la basse Mina, de la Sebka bou Ziane et de la
Daya, seules les deux premières (17 à 35 gr. de NaCL%b) ont une
action sur la salure de la plaine.
La Mina se traîne, à l'Ouest de Relizane, en un cours paresseux,
en large arc de cercle, et s'écoule péniblement vers le Nord en
décrivant de très nombreux méandres, quelquefois menacés de
recoupement. Elle charrie en moyenne, chaque année, 140 millions de
mètres cubes qui s'écoulaient autrefois, en pure perte, vers le

PJ.
4 6,25 d'après la formule de M. de Martonne , en prenant la
(T — 10) Jm
moyenne arithmétique entre l'indice annuel et celui du mois le plus aride.
D'après la formule >de M. Emberger, on obtient l'indice 17,3 contre 20 à
Orléansville et 18,3 à Géryville et Djelfa, en somme un peu plus favorisés.
s Nom donné aux « Hauts Plateaux » par les géographes algérois.
e D'après M. Gaucher, salure approximative moyenne de l'oued Malah
(m. à m. l'oued salé) 12 gr. de NaCL %0, de l'oued Khelloug : 3 gr.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR i/lRRIGATION. 229

Chélif. Le débit annuel peut varier du simple au décuple d'une


année sèche (1937-1938) à une année très pluvieuse (1927-1928 :
280 millions de mètres cubes). Le régime de l'oued, dominé par
les variations saisonnières du climat, est caractérisé par des maigres
d'été (2.500 1/sec. en juillet et août au barrage des Bakhadda) et des
hautes eaux d'hiver (12.000 1/sec.) dues aux pluies de décembre-
janvier qui maintiennent le débit jusqu'en mars au-dessus de
8.000 1/sec. En période normale, on peut compter sur un débit
annuel particulièrement constant 7.

4. Les sols.

M. Gaucher distingue plusieurs sols alluviaux dans la plaine de


la Mina : « les terres rouges, limoneuses ou argileuses... à éléments

CARTE
des
SOLS

Fig. 3. — Les sols.

7 En analysant la production annuelle de la station hydroélectrique de la


Mina, pendant 16 ans, de 1937 à 1951, on voit en effet que la production
est très voisine d'une constante proche de 2 millions de kWh; il n'y a eu que
deux pointes, en 1944 et 1961, représentant une production double. Cette
station fonctionnant au fil de l'eau et absorbant, sauf pendant les crues
exceptionnelles, la totalité du débit, la courbe des productions reflète
sensiblement celle du débit de la rivière. (Renseignement communiqué
obligeamment par M. Tardy, Directeur régional de 1'E.G.A., à Oran).
230 ROBERT TINTHOIN.

tyrrhéniens et monastiriens... remaniés par l'érosion flandrienne,


s'étendent au pied des collines de la périphérie.
« Les terres fortes argileuses grises, les plus importantes,
empruntées aux argiles salées helvétiennes et sahéliennes, ont été
amenées par les ravins... dans la partie centrale de la plaine » où
elles se fendillent profondément en été.
« Les terres sablonneuses, peu importantes, ont été entraînées
par les crues des oueds », au pied des coteaux gréseux de la
Montagne de Bel Hacel, où elles sont reprises par les vents pour donner
naissance aux dunes de Tahamda. A moins de 10 m. de profondeur,
le sous-sol est plus salé que le sol.

5. Végétation.

Le drainage mal assuré, la salure des sols et des eaux favorisent


le développement de 4.000 hectares d'erme sporadique d'halophytes
(Salsolacées, Soudes, Atriplex), recouvrant une couche de sels
impropres à la culture, surtout autour de la Daya et de la cuvette
de Chantrit. Sur le bourrelet de la Sebkha bou Ziane, on récolte
VA triplex mauritanica, la Sueda fructicosa et le Plantago psillium.
« Les dunes de Tahamda sont fixées par une végétation spontanée
(Phragmites) et des plantations (Saccharum), grâce à l'humidité
du sous-sol. ■»
Quand la teneur en sel est de 1 gr. %0, des légumineuses
spontanées s'y développent, quand elle atteint 2 gr. 5 %0 les papilionacées,
plus rares, sont remplacées par des halophytes. La plaine aride
de 1860 n'offrait que quelques touffes de tamarins et de lauriers
roses aux abords de la Mina et des jujubiers touffus à
l'emplacement actuel de la ville.

Œuvre à long terme, fonction de l'équipement hydraulique, la


mise en valeur est encore inachevée, en 1953, mais, dans l'ensemble
de son développement agricole, on peut reconnaître trois stades
successifs en relation avec la construction des ouvrages : barrage de
dérivation de la Mina inférieure, barrage-réservoir des Bakhadda,
barrages-réservoirs sur les affluents de la Mina.
L'introduction de la combinaison agricole adoptée par la
colonisation française remonte à un fait d'origine politique, la conquête
de l'Algérie. Nous avons assisté 8 à l'arrivée des Français, puis des

s Bulletin Soc. Géog. et Archéol. de la Province d'Oran, fasc. 228, t. 73, 1950.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 231

Espagnols, et à l'enracinement local d'un groupement humain


nouveau, en croissance constante, grâce à l'immigration, sauf en
périodes de crises : choléra et paludisme endémique. Les nouveaux
venus apportent avec eux l'expérience atavique d'agriculteurs de
pays évolués et la possession de techniques agricoles : culture sèche
et culture par arrosage.

185 6
DENSiTE

Fig. 4. — La population en 1856.

• Avant la création d'un habitat européen — le village — et d'une


forme d'habitat — la maison — , il ne s'agit, au point de vue agri-
. cole, que d'une action passive : association avec les indigènes,
absence de structure agraire, location de terrains domaniaux. Après
expropriation administrative et appropriation européenne des terres
domaniales et tribales, établissement d'un cadastre schématique
céréales,"
et défrichement, les Européens pratiquent la culture des
uniquement pour subsister.
Cette première « combinaison » agricole pauvre semble, un
moment, faire place à une formule plus riche : la viticulture; mais des
crises (phylloxéra) entravent l'extension de la vigne, mieux
adaptée au climat qu'aux sols argileux de la plaine.
232 ROBERT TINTHOIN.

Le développement d'une technique, l'irrigation, à une échelle


jusqu'alors inconnue dans cette région, permet enfin à l'agriculture
européenne de trouver sa vraie voie : le champ irrigué et le verger.
Après quelques tâtonnements, la richesse a fait suite à l'indigence
et ne cesse de s'étendre à l'ensemble de la plaine.

LE BARRAGE DE DERIVATION DE LA MINA INFERIEURE


ET LA MISE EN CULTURE, DE 1855 A 1920

1. Le barrage de la Mina inférieure.

Dès 1844, le Génie répare l'ancien barrage en maçonnerie et son


réservoir, construits par les Romains, relevés par les Berbères et
les Turcs, à trois kilomètres en amont du futur Relizane. On remet
en état les canaux d'irrigation, on en établit de nouveaux, rive
gauche, sur 12 km. et on construit des vannes.
En 1850, le Génie organise l'irrigation, exécute des réfections
urgentes au barrage turc de la Mina pour remédier aux affouille-
ments. Aussitôt, les Sahari irriguent leurs terres et obtiennent des
récoltes exceptionnelles sur les deux rives de la Mina mais, en 1858,
lors de la création du centre de Relizane, les eaux du barrage sont
réservées pour les besoins des colons. On rétablit également le
barrage de l'Hillil, à 3 km. 500 en amont de ce futur village, grâce
à l'armée aidée d'ouvriers civils.
En 1857, le Génie réglemente provisoirement l'usage des eaux
entre les riverains; les canaux existants distribuent l'eau dans
presque tous les lots de petite culture et dans un grand nombre de
fermes isolées. L'année suivante, les canaux sont obstrués de vase,
mais l'administration militaire manque d'argent pour les curer.
En 1860, la répartition des eaux à' partir du barrage de
dérivation est assurée par deux canaux principaux alimentant des seguias
secondaires parcourant la plaine. On espère irriguer 6.000 ha.
pendant la campagne agricole de 1861, à raison de 2 1/sec. sur chaque
rive.
En 1866, un syndicat des eaux est créé; une grande partie des
terres est arrosable et susceptible de produire régulièrement des
récoltes abondantes. De fréquentes contestations et des rixes éclatent
entre les usagers, non encore rompus à la discipline de l'arrosage.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 233

2. La mise en valeur9.
En 1844, dès la première réfection du barrage, la Commission
administrative met en culture les terrains beylicks au moyen
d'indigènes, surveillés par des « oukela » ou intendants.
En 1853 les premiers colons s'installent dans la plaine sur des
terrains loués par les Domaines. Ils défrichent, par eux-mêmes ou
par des ouvriers indigènes, les terres envahies de tamarins, de
jujubiers et d'asphodèles, construisent des gourbis en bois couverts
en roseaux et des maisons en briques séchées au soleil. Ils labou-
îent à l'araire arabe et les premières charrues françaises ne font
leur apparition qu'en 1854. Ils comprennent que la plaine est
promise à un bel avenir et ne ménagent pas leurs efforts. Certains
d'entre eux, venus du Sig — notamment de l'Union agricole
d'Afrique — et de l'Habra, veulent implanter la culture du coton. Ils se
heurtent à l'insécurité : incendies de gourbis, vols de troupeaux,
saccages de récoltes et de matériel, à l'insalubrité, aux sécheresses
prolongées. En 1854, il n'y a pas de récoltes de céréales et beaucoup
de colons ne font que du fourrage.
En 1855 la culture est peu développée, les locataires européens
des terrains domaniaux vivent sous la menace de l'éviction et
préfèrent en tirer profit par association avec les chefs indigènes. Ils ne
tiennent pas à faire les grosses avances nécessaires aux cultures
industrielles d'été : coton, tabac, garance, susceptibles de réussir
grâce à l'irrigation. Seule la culture des céréales prédomine : blé,
orge. Quelques locataires se livrent à la culture des céréales (une
vingtaine d'ha.), d'autres font des essais de tabac, mais 40 d'entre
eux abandonnent par suite des fièvres paludéennes et « autres
maladies inséparables de tous travaux de défrichement en sol
vierge ».
En 1858 les colons affluent et commencent à construire de petites
fermes isolées en pierre, couvertes de tuiles, avec hangars et écuries
sommaires, parcs à bestiaux. Ils cultivent surtout les céréales, qui
réussissent avec trois arrosages. Les années sèches se succèdent
et ils disposent de peu d'eau d'irrigation : les récoltes sont presque
nulles, le rendement descend à un demi-quintal par ha. Les cultures
industrielles, coton (depuis 1857) et tabac, souffrent également de la
sécheresse et l'un des colons cite le proverbe arabe : « chaque goutte
d'eau vaut une goutte d'or. »
Faute d'eau également, les troupeaux de moutons et de bovins
manquent de fourrage et de paille. La plus grande partie des

9 Arch. dép. Oran, Série M. Colonisation, sous-série 3 M. Dossiers des


concessionnaires, Centre de Relizane. Renseignements épars dans les dossiers.

234 ROBERT TINTHOIN.

concessionnaires dévorent leur petit avoir, ruinent leur santé, cèdent


leur concession aux nouveaux venus, se placent comme fermiers
ou journaliers sur les propriétés des colons les plus fortunés qui
réussissent le mieux. Le plus riche d'entre eux possède 10 charrues
attelées, 200 moutons, 300 bêtes à cornes.
En 1860 le territoire de Relizane 10 paraît favorable à des
productions variées. Les colons utilisent l'irrigation et pratiquent des
cultures industrielles rémunératrices, coton sur 600 ha. et tabac
sur 23 ha.; les céréales, cultivées par des indigènes, ne donnent
encore qu'un rendement de 3 à 5 hl. à l'ha. La répartition des
cultures traduit la prédominance de l'économie musulmane (orge :
45 % de la surface cultivée, blé dur : 18 %) et la timidité des
eg sais européens (blé tendre : 15 %, maïs arrosé : 20 %, fèves : 2 %,
sorgho, tabac, coton).
En dehors du bétail utilisé pour les travaux agricoles, l'élevage
est négligé par les Européens, la fertilité du sol vierge n'exigeant
pas d'engrais. Un seul colon plante des arbres fruitiers en petit
nombre; il existe des pépinières dans quelques fermes. Dans la
banlieue, 25 fermes se livrent à la culture du coton, des céréales
et du sorgho. La vigne est introduite timidement par les colons
français. Presque tous les colons ont réalisé les plantations d'arbres
prescrites par les arrêtés de concessions. Elles « commencent à
égayer la plaine qui, en 1858, n'offrait pas à l'œil le plus petit
arbuste », et cela grâce aux pépinières du Génie militaire (2.500
peupliers) et des colons (Doucet à lui seul possède 16.000 boutures
d'arbres forestiers et 800 d'arbres fruitiers). En 1862 on signale
la pauvreté de presque tous les colons de la plaine, les eaux de la
Mina étant insuffisantes, même pendant l'hiver, pour l'irrigation
des céréales.
En 1865 les céréales dominent (blé et orge précoce) sur deux
milliers d'ha., le coton continue à prospérer (1.150 ha. et 161
planteurs), le lin apparaît (18 ha.), la vigne est trop jeune pour produire
(42 hectares), des agrumes sont plantés pour la première fois
(2.500 arbres), les plantes potagères, les légumes et les pommes de
terre font leur apparition.
En 1867 la grande famine, qui sévit en Algérie n, est
particulièrement sensible à Relizane où la mortalité atteint 624 habitants
contre 111 naissances, et l'année suivante 1.124 habitants contre
84 naissances.

10 Le centre de Relizane est créé par décret du 24 janvier 1857.


'bl Famine consécutive à une invasion de sauterelles en 1866, à une
sécheresse estivale d'une acuité inconnue depuis trois siècles, en 1867. Choléra.
UNE PLAINE 0RANA1SE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 235

En 1868 un tiers de la surface est en céréales d'hiver, un dixième


en culture d'été, le reste en pâturages. Les colons, sans grande
expérience agricole, subissent de graves mécomptes. Ils pratiquent
un assolement réparti sur cinq années : deux ans en cultures d'été,
deux en jachères et un en coton. Les Européens n'emploient aucun
engrais et l'insuffisance du fumier de ferme se fait sentir sur les
terres irrigables. On commence à pratiquer les labours
préparatoires, les rendements s'en trouvent augmentés, mais ces travaux
sont coûteux. Pour le défrichement, les Européens préfèrent à
l'écobuage l'emploi onéreux de la pioche et de la charrue à huit
bœufs.
L'irrigation est indispensable en hiver sur les terres fortes.
Depuis la création du Syndicat des eaux de Relizane, les deux tiers
de la plaine sont irrigués, mais la quantité d'eau distribuée est
réduite, en 1867, au profit des 1.400 ha. irrigués par les indigènes,
en amont dans la vallée, par 50 barrages rudimentaires. Le
problème de l'irrigation reste le plus angoissant; il compromet
sérieusement- la production cotonnière et aboutit, en 1868, à une
réglementation sévère des eaux de la Mina et de ses affluents. La
reconstruction du barrage est effectuée par l'Etat, celle des canaux
d'irrigation au moyen d'une redevance.
Des protestations s'élèvent de tous côtés. Les Européens se-
plaignent que la répartition ne leur permet d'irriguer que le 1/7*
des terres en aval du barrage, tandis que les Arabes propriétaires
en amont peuvent — selon les colons — irriguer les 4/5" de leurs
terres arrosables. De leur côté, les indigènes font valoir qu'ils ne
possèdent plus de terres arrosables dans la plaine.
Un sixième des terres irrigables est cultivé en blé, l/6e en orge,
1/100* en maïs, quelques hectares en avoine, l/50e en sorgho. Dans
les terres arrosées, les rendements à l'ha. sont de 8 à 15 quintaux en
blé, 10 à 20 en orge, 12 à 25 en avoine, variables en maïs. Chez les
Musulmans, ils sont de 3 à 10 en blé, de 4 à 12 en orge.
L'augmentation de la superficie cultivée en céréales est fonction de l'abandon
du coton.
Le coton a occupé, plusieurs années, la surface totale des terres
cultivées en été, soit environ 1.200 hectares. En 1868, il n'est plus
cultivé que sur 350 ha. par 70 planteurs récoltant 500 quintaux de
coton brut à longue soie. Entre temps, les prix de vente sont tombés
par suite de la coalition des acheteurs et des bruits malveillants
répandus sur la qualité du coton local. La production, croissante
jusqu'à la fin de la Guerre de Sécession, est tombée rapidement avec
la paix et la chute des cours, la suppression des primes de culture,
236 ROBERT TINTHOIN.

la sécheresse, le manque d'eau, le coût élevé de l'eau d'irrigation,


le faible rendement et les façons coûteuses.
La culture du lin commence à se répandre mais manque de
débouchés. Les sols conviennent également au tabac; d'abord en
grande faveur, il est ensuite abandonné à cause de la sévérité de la
Régie et des difficultés d'écoulement.

185? 58 59 60 6I 6% 63 64 65 €Ь 67 £Ь 69 ?0 7i 7Я
Fig. 5. — Le coton de 1867 à 1870.

La plaine apparaît déjà favorable à la culture des arbres


fruitiers, principalement des pommiers, des poiriers, de la vigne, gênée
cependant par la nature compacte du sol. Des milliers d'oliviers
sauvages, à l'Hillil, attendent la greffe et on va en planter. Il
apparaît alors « douteux que l'oranger et les autres agrumes puissent
supporter l'abaissement de la température d'hiver ». L'avenir
démentira cette opinion.
Près des- 2/3 de la surface totale, non ensemencée, sont livrés
au pâturage mais manquent d'eau; le rendement moyen en
fourrage est de 15 à 80 quintaux par ha., selon l'importance des
arrosages et des pluies. On commence à créer des luzernières. L'élevage
Pl. I. — Photographie aérienne de Relizane et de sa région en 1946.
f\

Illustration non autorisée à la diffusion

Pl. II A. Labours préparatoires sur les terres fortes de l'oued Mina.


Rive abrupte de l'oued. Collines dénudées de l'arrière pays.

Pl. II В. — Le barrage des Bakhadda en construction, vu d'avion.


UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 237

est peu développé chez les Européens, faute d'argent et de


bâtiments pour abriter le bétail. Les indigènes manquent d|abris
et de réserves de fourrages.
Le faire-valoir direct domine, mais on pratique également
fermage et métayage. Entre Européens, le propriétaire prête le matériel
et les chevaux, quelquefois avance l'argent, et partage par moitié
avec le métayer. Chez les Musulmans, si le propriétaire n'avance
rien, il a le tiers et le métayer les deux tiers. La main-d'œuvre est
insuffisante, surtout en ouvriers européens, dont le salaire est
double de celui des ouvriers autochtones.
En résumé, les colons manquent de terre, les concessions sont
trop facilement accordées à des grands propriétaires qui résident
en France et ne s'occupent pas de colonisation. Ils ont également
trop peu de capitaux pour pouvoir étendre leurs constructions
et leurs travaux. Ils se procurent très difficilement de l'argent aux
taux prohibitifs de 10 à 30 % ; presque tous les propriétaires
ont recours à des emprunts hypothécaires.
La voie ferrée d'Oran à Relizane (132 km.), commencée en 1866
et terminée en 1868, ne fonctionne pas 12;, les colons se découragent
et se plaignent du manque d'eau et de main-d'œuvre.
Trente ans plus tard, en 1891, le territoire de Relizane est
encore cultivé pour plus de (la moitié en céréales (5.280 ha.) et 4 %
en vigne (472 ha.) sur une cinquantaine de propriétés. Les céréales
cultivées sont : le blé, l'orge, le sorgho et le maïs. On produit
également des pommes de terre. Les jardins maraîchers, irrigués
autour du centre, fournissent des primeurs notamment pour le
marché de Tiaret. Dans ces jardins apparaissent des arbres
fruitiers, mais ce n'est encore qu'une petite culture.
Les canaux se ramifient en tous sens et fournissent l'eau
nécessaire au sol fertile, jusqu'ici voué à la sécheresse. 82 fermes isolées
se livrent à la culture des céréales, puis de la vigne, enfin des
cultures maraîchères et des arbres fruitiers.
La vocation de la Plaine commence à peine à se dessiner, on
peut se demander si la vigne ne l'emporte pas sur les primeurs et
les fruits.
En 1903, la mise en valeur reste stationnaire, toujours par suite
du . manque d'eau d'irrigation. Le coton a disparu. Les céréales
(15.000 ha.), en légère régression, occupent moins de 40 % de la
surface totale, avec prédominance chez les indigènes : orge (1/2)
et blé dur (moins des 2/56); chez les Européens : blé (1/10*) et

12 Le tronçon Relizane-Alger n'est mis en exploitation qu'en 1870. De 1833


à 1889, on construit le chemin de fer de Mostaganem à Tiaret.
238 . ROBERT ÏINTHOIN.

avoine (7 %). L'ancienne économie se maintient à cause de la


sécheresse et de l'emploi de la main-d'œuvre surtout autochtone. La vigne
n'arrive pas à réaliser de progrès (112 ha.); culture accessoire, elle
souffre du phylloxéra sur les sols argileux; seuls les jardins
potagers et fruitiers sont florissants, sur un millier d'hectares. En
revanche, les oliviers prennent de l'importance (10.000 arbres en rapport)
et les olives sont transformées en huile (203 qx) dans des moulins
locaux, assez rudimentairës. La seconde ressource de base de la
plaine est l'élevage, sur 2.000 ha. de terres de pacage et 200 ha.»
d'herbages naturels fauchables.
En 1910, les céréales se stabilisent sur Га moitié de la superficie
totale cultivée, avec prédominance du blé tendre (1/3) et du blé dur
(1/S) par rapport à l'orge (1/5) et à l'avoine (1/10); la culture
européenne s'étend. La vigne fait des progrès (445 ha.) par reconstitution
des plants phylloxérés. Les oliviers restent stationnaires (plus
de 10:000 arbres).. L'élevage gagne en importance avec 3.000 ha. de
terres de pacage, 1.150 de prairies naturelles et 10 de luzernières.
Une «combinaison» se stabilise: céréales-élevage-oliviers-jardins;
ce n'est pas l'annonce de la richesse, les Européens vivotent.
De 1867 à 1897 les populations indigènes, établies en dehors de
la zone livrée à la colonisation européenne, restent à peu près
stationnaires (19.000 à 16.000), avec une densité de 25 habitants environ
au= km2. On assiste à la stabilisatum des cultures (2.000 ha.) et à
la régression de l'élevage, consécutive à la diminution de la vaine
pâture et des terres collectives. Le cheptel ovin diminue de moitié,
îles bœufs et-les chevaux d'un tiers, les chameaux utilisés pour les
transports disparaissent; seules les chèvres, cheptel peu exigeant,
augmentent légèrement. D'une façon générale, il y a donc régression
par suite de la diminution des terres laissées aux tribus.

Le développement trentenaire (1860-1890) est souligné pendant


cette période par l'activité du marché de Rëlizane, du jeudi. En
1860, il est surtout fréquenté par les indigènes des tribus voisines
qui y apportent leurs chevaux, leurs bestiaux et, à dos d'ânes ou de
chameaux, céréales, sel (de la saline bou Ziane), laines exportées
par Mostaganem, coton égrené à Saint-Denis du Sig et expédié au
Havre, via Oran. A cette date les colons de Rëlizane exportent
environ 360.000 fr. de produits et le marché promet de se
développer comme débouché des productions de la plaine. Il n'est encore
desservi que par deux grandes routes carrossables inachevées :
Alger-Oran et Mostaganem-Tiaret, qui se croisent à Rëlizane. La
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 239

circulation est difficile au N.O., de Bouguirat à. Relizane, et le


pont sur la Mina est en construction.
Trente ans plus tard, en 1890, voitures et charrettes de roulage
font régulièrement les transports de Mostaganem, Tiaret,- l'Hillil,
Zemmora et Ferry, et les voies ferrées d'Oran-Alger et de Mosta-
ganem-Tiaret passent par Relizane. Les progrès du réseau routier
et la création, du chemin de fer, le développement des cultures
dans les plaines de la Mina et de Tiaret assurent l'intensité du
trafic commercial, niultiplié par 30 (10.156.000 fr.). Le marché est
fréquenté par 1.200 colons et Musulmans des tribus voisines, qui
achètent ou vendent les produits de la région et du Sud. Les
principaux échanges portent sur les bestiaux (plus de la moitié), sur
les bœufs, vaches et veaux (1/3), les chevaux renommés des Flittas
(17 %), les moutons du Sud, les ânes, puis "sur les céréales (43%),
notamment les blés (22 %) et les orges (21 %).

La mise en. valeur de la plaine de la Mina par les Européens,


en un demi siècle, est retardée par >le manque d'eau. Les cultures
d'été irriguées, ne pouvant compter sur un débit régulier, sont
menacées périodiquement. Une réglementation draconienne réduit
de moitié, en été, le débit des vannes sur l'oued el Abd et la haute
Mina, décide la destruction des barrages construits par les
indigènes sur ces oueds, mais n'arrive pas à remédier à la pénurie d'eau
dont souffrent les colons de la plaine et les jardiniers de la 'ville!'
Cette grave question entrave l'extension des cultures riches d'été
et maintient la région dans une économie attardée par rapport à
celle des plaines voisines du Sig et de l'Habra 13.
La région se transforme cependant sous les efforts des colons
européens, grâce à l'emploi de procédés culturaux plus
perfectionnés que ceux des indigènes. L'économie ancienne, plus pastorale
qu'agricole, recule devant une « combinaison » plus agricqle que
pastorale, grâce à la pratique de l'irrigation, à l'emploi des charrues
françaises et des labours préparatoires, à l'introduction de cultures
nouvelles : vigne, pomme de terre, produits maraîchers, arbres
fruitiers, primeurs. L'ermie broussailleuse originelle, à} maigres
pâturages, les metchtas, les jachères, les pauvres jardins-vergers
indigènes font place à un damier de champs qui dessinent une

i3 R. Tinthoin, Un bourg de colonisation : Saint-Denis du Sig (C. R. Congrès


Int. Varsovie, 1935, p. 93*98) ; id., La mise en valeur de la plaine de Perrégaux
{Mélanges Gautier, 1957, p. 441-455).
240 ROBERT TINTHOIN.

auréole de cultures variées de plus en plus riches au fur et à mesure


que l'on approche des canaux d'irrigation de la banlieue de
Relizane. Pourtant, vers 1920 on semble avoir atteint la limite des
possibilités humaines — et elles sont encore médiocres.

LE BARRAGE-RESERVOIR DES BAKHADDA


ET LA MISE m VALEUR DE 1924 à 1950

En 1924, l'évolution paraît devoir se limiter à l'apport, des eaux


fertilisantes fournies par le barrage de dérivation construit sur
la Mina inférieure, au début de l'occupation française. Les cultures
d'hiver sont possibles Sur 6.000 ha. de plaine, l'oued fournissant
un débit maximum de 1.500 1/sec, qui peut descendre à 280 1/sec.
et même moins en année très sèche. Aussi doit-on se contenter de
primeurs du début de l'été; puis, au cœur de cette saison, de
cultures maraîchères pauvres (pastèques, melons, patates) sur les
terres légères, chaudes, perméables, et de cultures fourragères
artificielles (luzerne) sur les terres profondes. Ces productions
sont limitées en étendue et on a dû abandonner la culture ' du
coton, trop exigeante en eau, alors qu'elle réapparaît, à cette date,
dans les plaines voisines de l'Habrà et du Sig u.
Les cultures arboricoles sont restreintes par l'irrégularité et
l'indigence de l'irrigation comme par l'existence d'eaux chlorurées,
d'autant plus chargées de sels que les pluies ont été abondantes
sur les montagnes du bassin amont, comme l'avaient déjà reconnu
les Romains. (Cf. Dalloni, Géologie appliquée de l'Algérie.)
L'élevage joue un rôle essentiel sur les terrains salés des
environs de Relizane; des troupeaux de moutons y circulent en
attendant d'être dirigés sur le port de Mostaganem. pour y être
embarqués en direction de Marseille.

Le barrage des Bakhadda (1928-1936).

Les services techniques décident de construire un barrage à


l'amont de Relizane, sur la Mina aux Bakhadda, à 5 km. de Prévost-
Paradol. Cet ouvrage permet de régulariser le débit de l'oued par
l'accumulation de 37 millions de mètres cubes d'eaux de crue15;.

14 R. Tinthoin, La culture du coton en Algérie (Annales de Géographie 1934,


* 201-204).
i» La plus forte crue connue atteignit 1.100 mc/sec. le 2 février 1930.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 241

il crée la possibilité de fournir, en été, la quantité d'eau nécessaire


aux cultures.
Ce barrage en enrochements arrimés avec masque étanche en
béton armé, disposé sur le parement amont, atteint 45 m. de
hauteur, 220 m. de longueur, 5 m. de largeur en crête, 100 m. de
largeur à la base. L'étanchéilé du barrage est particulièrement
soignée. Sur la rive gauche, un déversoir peut débiter 2.000 1/sec.
Cet ouvrage a coûté 120 millions de francs, mais doit augmenter de
13.000 ha. la zone irrigable de la plaine de la Mina et créer de
nouvelles zones arrosables dans la vallée, autour des petits centres
européens de Djalali ben Amar et d'Uzès-le-Duc, créés en 1884.
On compte pouvoir distribuer aux irrigants 7.000 1/sec. sur une
superficie de 21.000 ha. et construire une usine hydro-électrique
(2 groupes de 2.300 CV sous 40 m. de chute).
Il doit aussi permettre la rotation des cultures et la
transformation du paysage agricole, tandis que l'usine électrique soutiendra
les centrales thermiques et hydro-électriques de Mostaganem, Reli-
zane, Tiaret et bou Hanifia.
Mais l'adoption de cultures riches, plus exigeantes en nombre
et volume d'arrosages, entraîne une consommation plus importante

hectares

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1937 5& 39 40 41 42 45 44 AS 46 Л7 48 49 50 51 52
Fig. 6. — Extension des terres irriguées et irrigables.
242 ROBERT TINTHOIN.

d'eau d'irrigation et les prévisions trop optimistes sont dépassées,


car l'extension des terres cultivées suit rapidement l'accroissement
des terres irriguées.

La mise en valeur de 1936 à 1952.

En 1936 5.000 ha. sont irrigables, dont 85 % en propriétés


européennes, 15 % en terrains indigènes. Là répartition
géographique des terres irriguées est de 75 % autour de Relizane et 20 %
autour de l'Hillil. La grande propriété domine chez les Européens,
avec plus de 85 % des terres cultivées occupées par des domaines
de 100 à 1.000 ha., autour de Relizane. Lés Musulmans ne possèdent
que 10 % des propriétés agricoles et la majorité des propriétaires
indigènes (80 %) cultivent chacun moins de 10 ha. Le régime de la
propriété s'est beaucoup simplifié sous l'influence de la législation
française; il ne reste plus de terres collectives en. dehors des
communaux des doúars et peu de propriétés indivises. H y a plus de
prolétaires salariés que de fellahs car ceux-ci, poussés par le désir
d'un gain immédiat et éphémère, ont vendu leurs biens à vil prix.
La main-d'oeuvre, surtout indigène (ouvriers agricoles et kham-
mès), manque de stabilité et de technicité. Les Européens sont gros

9 A A larores
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Fig. 7. — Evolution des principales cultures.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 243

propriétaires, fermiers (80 %), entrepreneurs de travaux agricoles


et artisans agricoles (près des 2/3). Peu de travailleurs saisonniers
s'embauchent dans; les exploitations agricoles.
Les céréales, maintenant irriguées, couvrent encore une grande
superficie, la vigne recule, les cultures maraîchères prennent, de
l'extension (320 ha. : 75 % chez les Européens et près de 70 % dans
la plaine de Relizane) et produisent : fèves (43 % de la surface et
9.000 qx), artichauts (35 % et 6.000 qx), oignons, navets, tomates,
petits pois, carottes, aulx. Le grand maraîcher européen n'emporte
sur le petit jardinier musulman, qui récolte peu et à moins bon
compte des produits de valeur secondaire, surtout recherchés par
ses coreligionnaires : oignons, pastèques, melons, courges.
L'arboriculture s'étend de jour en jour avec les oliviers, les
agrumes (300 ha., dont 85 % en orangers); puis viennent
accessoirement, en petits vergers, par ordre d'importance décroissante :
abricotiers, pruniers, amandiers, pommiers, poiriers, néfliers,
caroubiers et pêchers.
La production agricole alimente une industrie concentrée à
Relizane : deux minoteries et six moulins de mouture indigène,
deux huileries, deux confiseries d'olives, une confiturerie et une
fabrique de conserves de légumes. En 1935, « Relizane apparaît
comme une ville de grand avenir appelée à un essor et une prospérité
que bien peu de centres algériens peuvent lui disputer ».
La plaine, autrefois purement céréalière et pastorale, s'oriente de
plus en plus vers les orangeraies, les vergers et la culture des
primeurs. Cette transformation rapide affecte le paysage
géographique de la Plaine de la Mina où 7.500 ha. sont irrigables en 1942
(1/4 de plus qu'en 193*6). Sur cette surface, 2.000 ha. sont
entièrement aménagés sur la rive droite, au Nord de Relizane, et 1.600
en cours d'aménagement sur la rive gauche; 4.000 ha. environ sont
distraits du périmètre primitif parce que la salinité du sol y dépasse
3 gr. de chlorure par kg. de terre. '
A l'Est de Nouvion, le paysage d'humanisé autour de l'Hillil
avec l'apparition de l'irrigation. Champs de céréales et douars
indigènes entourés de jardins d'agaves et d'opuntia font place aux
oliviers sauvages, ponctuant la plaine où s'accrochent encore des
touffes de jujubiers sauvages. Dès le premier canal d'irrigation, la
campagne prend un aspect verdoyant; les, oliviers cultivés s'alignent
autour des champs de céréales, puis forment une tache continue,
qui se substitue à celle des céréales, localisées en partie sur les
coteaux secs. Auprès de l'Hillil, la culture potagère entoure les
gourbis de jardiniers, les oliveraies sont très jéloignées sans^ cultures
intercalaires, la vigne s'accroche au pied des coteaux dominés par
244 ROBERT TINTHOIN.

l'Atlas tellien. Les canaux d'irrigation disparaissent, les champs de


céréales reprennent de l'importance, quelques pieds de vigne et
quelques oliveraies exiguës entourent les petites fermes européennes.
Avant d'arriver à Clinchant, des canaux arrosent des céréales
alternant avec des taches de guettaf ie, de tamarins et de roseaux,
puis les cultures maraîchères apparaissent. Dés arbres
accompagnent les canaux, des oliveraies abritent des cultures intercalaires
et disputent la place aux céréales. De jeunes orangeraies leur font
suite.
La Mina serpente paresseusement vers le Nord, encadrée de
falaises argileuses et incultes. Le guettaf se réfugie sur les berges
supérieures des canaux en terre. Les oliviers s'étendent par taches»
pu en lignes, au milieu de la plaine cultivée en céréales.
A Relizane, autour de la confiturerie Esclapez, les cultures
potagères et maraîchères se développent, les céréales subsistent, les
fourrages s'emparent des jachères, des îlots d'oliveraies s'étalent
jusqu'au pied de l'Atlas, orangeraies et vergers d'arbres fruitiers
se pressent.
Vers l'Est, les céréales réapparaissent avec le guettaf; les douars
indigènes aux maisons élémentaires, en briques séchées au soleil,
sont entourés de pauvres jardins d'opuntia et de touffes de
jujubiers sauvages. C'est à nouveau le domaine de la culture sèche
indigène.
Vers Ferry, à part quelques îlots d'oliviers, les céréales
reprennent de l'importance, la plaine s'accidente de mamelons où
s'accrochent des douars. Faute d'eau d'irrigation, l'aspect dominant est
celui de la plaine oranaise, triste et sèche, où dansent, en été,
des tourbillons de poussière jaune. Le paysage ne s'humanise plus
avant Saint-Aimé et l'irrigation par le Chélif.
En 1943, les cultures maraîchères couvrent 1.200 ha., le coton
se maintient timidement dans les terres irrigables. Les plantations
sont réduites à cause de la faiblesse des rendements et des
difficultés de main-d'œuvre. Le coton ne peut être considéré que comme
une culture familiale, convenant aux fellahs disposant d'une
main-d'œuvre familiale peu coûteuse. La culture des oléagineux a
pris de l'importance pendant la guerre (243 qx de lin et 116 de ricin),
mais ils sont bientôt remplacés par les légumes secs. Les blés
tendres de la plaine, appréciés pour leur précocité, sont des blés-
primeurs recherchés par la minoterie. Sur 7.273 ha. irrigués, 33 %
sont cultivés en céréales, 12 % en cultures maraîchères, 21 % en

Atriplex, plante caractéristique des sols salés.


UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'iRRIGATIOX. 245

oliviers et arbres fruitiers, 11 % en prairies naturelles, 1 % en


luzerne, "le reste en vigne, coton et betterave à sucre.
En 1944, l'essor dû à la construction du barrage des Bakhadda
se stabilise avec un maximum de 9.200 ha. irrigués, la moitié de
plus qu'en 1936. Pour éviter les pertes d'eau par infiltration, on
remplace les anciens canaux en terre par un réseau de canaux
semi-cylindriques en ciment dont la pente a été minutieusement
calculée. La répartition est améliorée par la pose de vannes
puissantes et mécanisées. Plus de 15 km. de drains sont creusés dans
la région de Relizane, afin d'éviter la remontée des nappes
chlorurées, l'oued Djemaa est canalisé à Ferry, on entreprend la
régularisation des oueds Hillil et bou Ghaddou.
En 1947, sur un périmètre classé de 13.650 ha., 9*.900 sont
irrigables dont 8.000 irrigués. De 1942 à 1947, 7.850 ha. nouveaux
sont aménagés' et livrés à l'irrigation partielle sur des sols offrant
une salinité inférieure à 0 gr. 50 de chlorures par kg. de terre :

cultures
céréales
maraîchères

25,9 % 33%

agrumes

-u 'Ȕ

Fig. 8. — La nature des cultures en 1947.


246 ROBERT TINTHOIN.

3.150 au Sud du périmètre primitif de Relizane jusqu'au Nord de


Ferry, 2.600 sur la rive gauche de la Mina, 2.400 sur la rive droite,
400 au Nord de Glinchant et 400 au Sud de Relizane, en liaison
avec une station de pompage installée sur l'oued en 1943 et remise
en état en 1944.
On cultive 33 % en céréales (2.600 ha. irrigués en blé, orge,
avoine, 33 ha. en maïs). Les prairies naturelles reculent
rapidement (10,3 % et 820 ha.), les luzernières manquent d'eau (84 ha.).
Au contraire, la culture maraîchère occupe une superficie plus que
doublée (26 % et 2.000 ha.), notamment les fèves (40 %),
artichauts, melons, pastèques et patates (16 % chacun), oignons,
pommes de terre, courgettes, piments, tomates, nioras 17, haricots,
citrouilles, aulx. Les vergers d'arbres fruitiers prennent de
l'étendue de jour en jour (27 % et 2.154 ha.) : agrumes (58 % des
cultures arboricoles), arbres fruitiers divers (22 %), oliviers (19 %)
et vigne (15 ha. seulement).
La plaine tend à devenir une vaste région d'économie
européenne, productrice de primeurs, fruits et fourrages, aux dépens
des autres cultures, soit abandonnées (coton, vigne, luzerne), soit
rejetées dans les parties sèches (céréales). Une sélection s'opère,
attestant l'esprit d'initiative des colons.
L'élevage n'est pas abandonné : les terrains de pacage, rares
autour de Relizane, sont nombreux dans les douars-communes
voisines. L'embouche des moutons, achetés dans le Sud (région
de Tiaret, Trézel et du Sersou) et revendus quelque temps après
pour l'exportation, s'est maintenue et porte sur un maximum de
100.000 têtes.
L'évolution se poursuit. En 1950, 6.200 hectares seulement sont
irrigués, 3.482 ha. non irrigués sont 'laissés en jachères et préparés,
soit 35,5 %. On note le maintien des céréales, passées de 2.600 ha.
en 1947 à 2.400 en 1950 (3*8,3 % de la surface irriguée). Les cultures
maraîchères régressent de 2.054 ha. en 1947 à 950 en 1950 (15 %)
devant les exigences en eau d'irrigation (7 à 8 arrosages pour les
artichauts) et la chute des prix sur les marchés de gros (sauf pour
les artichauts). On remarque également la disparition presque
complète du coton (450 ha. en 1949, 10 en 1950), du maïs (de 33
à 10 ha.) par suite de l'avilissement du marché du porc, des
pépinières (de 142 ha. à 33). La betterave sucrière, cultivée de 1942 à
1944, a disparu.
Les prairies naturelles (320 ha. et 5,5 %) sont en diminution par
suite des frais de création des luzernières et de la pénurie d'eau.

]7 Piment utilisé pour la fabrication du poivre rouge.


UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 247

La vigne (26 ha. et 0,4 %) compte pour bien peu. La plaine tend à
devenir un vaste verger avec 2.438 ha, soit 25 % de la surface
totale et près de 40 % de la superficie irriguée. Les derniers progrès
ont été réalisés plus par les pommiers et abricotiers que par les
agrumes (60 % de la superficie consacrée à l'arboriculture) qui
souffrent de la concurrence espagnole à l'exportation. Enfin, une
ancienne culture a reparu : le lin (31 ha.). La « combinaison »
agricole tend à se stabiliser vers la formule champs de céréales
irriguées-vergers.
Le passage direct et rapide de la céréaliculture en terre sèche à
l'arboriculture irriguée a été favorisé par l'exemple introduit par
de nombreux exploitants perrégaulois et sigois qui, trop à l'étroit
sur leurs terres, ont importé leurs ouvriers spécialisés et leurs
méthodes expérimentées par une longue pratique.
En 1952, les céréales gagnent du terrain et occupent une grande
partie de la superficie irriguée (37 % ou 3.500 ha.). Ce sont des blés
tendres de la variété Florence-Aurore (6 qx à l'ha.), des blés durs
Oued Zenati Bouteille résistant à la rouille (6 qx à l'ha.), des orges
et des avoines (12 qx à l'ha.), mais cette culture n'est pas toujours
rentable.
Les agrumes (19 % ou 140 ha.) augmentent lentement et sont
représentés par les clémentines (50 qx à l'ha.), les mandarines
(60 qx à l'ha.), les oranges et les citrons (90 qx à l'ha.). Les
clémentines donnent les bénéfices les plus intéressants. Les oranges les
plus recherchées sont les Navels Thomson et Washington, très
précoces, , arrivant sur le marché français avant l'orange espagnole, la
Washington sanguine très prisée et la Valentia late, très tardive,
cueillie du 15 mars au 15 avril.
Les cultures maraîchères se maintiennent (12,5 % et 950 ha.) :
artichauts (770 ha.), fèves, melons et pastèques, patates douces,
oignons, piments, pommes de terre, sur les jardins autour de la
ville, nioras, essais d'arachides. Ce sont les cultures les plus
exigeantes en irrigation (5 à 12 arrosages selon les produits).
Les arbres fruitiers (10 % et 755 ha.) ne gagnent plus du terrain,
on arrache pruniers et abricotiers, à cause de l'avilissement des
prix offerts par les confituriers. Seul le pommier est encore planté,
car cet arbre tient longtemps et la conservation du fruit, en
chambre froide, permet une vente échelonnée. Les oliviers (6 % et
50 ha.) se maintiennent et alimentent l'huilerie-confiserie
coopérative de la région de Relizane.
Viennent ensuite les cultures industrielles. Le coton (2,5 % et
J65 ha. contre 408 en 1951) n'arrive pas à reprendre à cause de
l'incertitude des prix de revient.
248 ROBERT TINTHOIN.

La betterave sucrière en est encore à la période des essais


(0,50 % et 22 ha.), malgré une prime d'encouragement et Futilisa-
lion des pulpes pour la nourriture des bestiaux. Le lin a disparu;
le maïs repart en flèche, la vigne disparaît presque complètement.
La luzerne se maintient malgré sa grosse exigeance en eau (12 à
33 irrigations de février à octobre).
En résumé, il ne semble pas qu'il y ait de surprise possible en
dehors de la « combinaison » agricole actuelle qui tend à se
stabiliser champs de céréales irriguées-vergers.
Les rendements augmentent. Dans 3.000 ha. de la région de
Ferry, en particulier, on passe des résultats aléatoires et peu
rémunérateurs des céréales en culture sèche à des rendements
considérables à l'ha. : 700 qx en tomates « marmandes •», 600 en oignons
« valenciens », 400 en piments verts dits « poivrons », 350 à 400
en carottes « muscades », 120 à 200 en melons valenciens « mala-
cara », 28 en nioras sèches. Il en résulte un enrichissement profond
de la région au profit des colons européens qui, avant l'extension
de l'irrigation, ont acheté des terres à bas prix aux indigènes.
Les possibilités nouvelles offertes à la production agricole, grâce
à l'eau d'arrosage, aboutissant à la motoculture, à la polyculture et
à la transformation industrielle qui garantissent le colon contre les
aléas périodiques dus à la surproduction, à la mévente et à
l'altération rapide des produits périssables. Une très grande exploitation
combine l'arboriculture, la production des primeurs, l'élevage, la
laiterie, la conserverie et la confiturerie, bel exemple d'intégration.
Depuis 1942, Clinchant est devenu un centre de maraîchage dont
l'importance croît avec l'extension, de l'irrigation. La jachère
biennale domine encore : chaque année, la moitié de la parcelle est
cultivée tandis que l'autre fait l'objet de travaux d'ameuMissement
(3 labours croisés sur préparés). On sème à la main 80 kg. de blé
tendre à l'ha., de la variété blé de force (Florence Aurore), de
l'orge grise d'Algérie et de l'avoine pour les chevaux. Les travaux
exigent un cheptel nombreux (40 bêtes pour une exploitation de
150 ha.). On utilise le brabant double ou le trisoc attelé de 6 à
8 bêtes. L'emploi des engrais est peu courant et le fumier est réservé
au jardinage. Les rendements- moyens sont de 8 qx à l'ha. pour
les blés, 10 à 12 pour les avoines et les orges. Le troupeau ovin
utilise les chaumes en été et en automne, les parcours communaux
en hiver et au printemps tant qu'il y a -de l'herbe.
Depuis 1941 les colons vivent largement s'ils louent quelques
bonnes terres aux indigènes; ils amassent ainsi en quelques années
une belle fortune après un travail acharné. Le Plan de THillil est
arrosé localement par un oued qui ne coule qu'après les grandes
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 249

pluies de l'hiver, mais un petit barrage, situé à 2 km. en amont,


dévie les eaux de l'oued et irrigue quelques 25 ha. de jardins
maraîchers autour de l'agglomération. Les céréales occupent 86 % de
la superficie cultivable et la vigne 600 ha.

La culture sèche musulmane.

Face à l'évolution rapide de la zone irriguée dans la plaine


de la Mina, possédée en majeure partie par des Européens, quel
est l'état de la région non arrosée, occupée encore aujourd'hui par
.des Musulmans ?
Les façons culturales sont insuffisantes, les cultivateurs ne
pratiquent ni labours profonds,, ni labours préparatoires, ni
assolements, ni jachères cultivées. La moisson se fait encore à la faucille
et le dépiquage au pied des bêtes.
L'aridité du climat n'étant pas corrigée par l'irrigation, il n'y
a place ici que pour la monoculture céréalière, encore pratiquée
selon des méthodes routinières, à l'araire primitive, avec un faible
rendement de 2 à 5 qx à l'ha. La céréale cultivée dominante est
l'orge; rustique, elle se contente de l'irrégularité des pluies.
L'élevage est une ressource complémentaire, sur les pâturages naturels
assez riches pendant la saison pluvieuse hivernale.
Au Nord, sur l'ancien territoire des Sahari et des Ou>led Ahmed,
seul le tiers de la. surf ace est cultivable, le reste est occupé par des
terrains salés ou marécageux inutilisables. La teneur élevée en
sel stérilise les terres, et l'exploitation agricole n'est possible que
par places. Des drains, assez profonds, capables de collecter et de
déverser les eaux salées dans le lit de la Mina, permettraient seuls
de récupérer des terres pour l'arboriculture et les cultures
maraîchères ou fourragères. Cette région privée de sources possède une'
centaine de puits indigènes atteignant des nappes magnésiennes.
La culture des céréales (2/5 d'orge et 1/5 de blé tendre), seule
possible, occupe 80 à 90 % des terres cultivables mais est très
aléatoire, étant donné l'irrégularité des précipitations
atmosphériques. Les sols salés, couverts de plantes halophi'les, conviennent
au parcours des moutons.
La population peu dense (8 à 20 habitants au km2) se compose
de petits propriétaires musulmans, travaillant moins de 20 ha.
(90 %) et vivant surtout dans des gourbis dont quelques-uns
entièrement en branchage, forme dérivée et décadente des tentes
qui dominaient encore en 1911. Les autres constructions sont en
tout ou briques séchées au soleil, recouvertes d'un toit de roseaux
et entourées d'une zuba de jujubiers sauvages. Beaucoup de fellahs
250 ROBERT TINTHOIN.

s'emploient comme ouvriers dans 'les exploitations agricoles


européennes de Relizane, Clinchant, et l'Hillil. On ne compte que 7
propriétaires européens sur plus de 21.000 ha.
La mise en culture est assurée par une masse de travailleurs
agricoles : petits propriétaires fonciers (54 % ont moins de 10 ha.),
locataires de lots communaux, qui s'emploient chez les gros fellahs
(6 % ont de 50 à 100 ha.) ou chez les colons une fois leurs propres
travaux achevés. Des khammès et quelques ouvriers agricoles
travaillent à demeure chez autrui, souvent à la quinzaine. C'est une
des rares régions où le khammessat se soit maintenu. Le khammès
assure l'ensemencement et la moisson d'une parcelle n'excédant
pas 12 ha. Le fellah' propriétaire lui fournit la semence, une charrue
de bois, deux bêtès de trait, des avances en argent, un quintal de
blé et un d'orge.. Au dépiquage, le khammès reçoit trois sacs de
grain sur 11.
Des travaux effectués depuis 1942 ont permis la mise en valeur
intensive d'une cinquantaine d'hà., le long de la rive droite de la
Mina, par quelques plantations d'orangers et d'oliviers. Les
méthodes ancestrales de travail et de commercialisation de la récolte
des céréaliculteurs musulmans évoluent rapidement dans ;le cadre
de la société indigène de prévoyance de Clinchant 18.
A l'Est, les descendants des Akerma Chéraga occupent les terres
salées confinant à la plaine du Chélif , excellents parcours pour les
moutons élevés par cette population de . pasteurs.. Xa présence de
sel empêche toute autre mise en valeur. Les eaux de décharge du
barrage de Lamartine se perdent sans, utilité dans cette zone, mais
pourraient être employées à la création de cultures fourragères,
utilisables par le troupeau ovin pendant la saison sèche.
Au Sud, entre la zone de colonisation européenne et les
premiers contreforts des Monts des Béni Chougrane et de l'Ouarsenis,
la surface cultivable varie de la moitié au 4/5*. Les céréales (la
moitié en orge, les 2/3 du reste en blé tendre) véritable
monoculture jusqu'à ces dernières années, occupent environ les 3/5* de la
superficie cultivable. Les rendements varient, avec la
pluviométrie, de 4 à 5 qx à l'ha; pour le blé, de 6 à 7 pour les orges.

ae Sous l'impulsion d'un administrateur agronome4 M. Navarre, le matériel


nécessaire est acquis et prêté aux propriétaires musulmans pour déchaumagc
et labours préparatoires avec charrues à disques et à' socs, ensemencement
aux" semoirs, labours croisés avec charrues à 13 disques, batteuse, atelier
coopératif de réparation et d'entretien. Dès maintenant, le prix du transport
des céréales à l'Hillil a été ramené de 200 à 40 fr. le quintal par l'installation
de chantiers temporaires d'achat en plein « bled ». Les sacs de grains, apportés
par, les producteurs musulmans par leurs prqpres moyens, sont agréés, pesés,
chargés sur les deux camions de la société de prévoyance, transportés et payés
séance tenante au vu de tous.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR i/lRRIGATION. 251

Les habitants vivent également de 'l'élevage des moutons et


habitent, pour les 31/4, des gourbis de pierres sèches couverts en
roseaux, diss ou paille, imperméabilisés par une couche de glaise
durcie au soleil, pour 1/4 des maisons aux toits de tuile. La
population assez dense (de 35 à 48 habitants au km2) est composée en
grande partie de petits propriétaires musulmans possédant moins
de 20 ha.
La situation s'est améliorée, depuis 1942, dans le douar-
commune d'Oued Djemaa, grâce à une trentaine de propriétaires
européens possédant chacun de 50 à 100 ha. A côté des céréales
commence à apparaître timidement la culture des artichauts (15 ha.)
et celle des légumes secs (15 ha.), en liaison avec le forage de puits.

L'AVENIR : EXTENSION DE L'IRRIGATION

Une meilleure technique des irrigations a enrichi la plaine de


la Mina, bien qu'elle dispose proportionnellement de moins d'eau
que les plaines voisines de l'Habra et du Sig. On prévoit
l'aménagement de 2.160 ha. au Sud de la zone déjà irriguée, vers Ferry,
et de 1.300 ha. à la périphérie occidentale, de part et d'autre de
Clinchant, dans deux zones dont la salinité est inférieure à 0 gr. 5
par kg. de terre.
Cette prospérité a pourtant du mal à se maintenir pendant une
série d'années sèches consécutives, d'autant plus que le barrage des
Bakhadda se remplit difficilement. Il est nécessaire d'entreprendre,
d'urgence, un nouveau programme de grands travaux, si l'on ne
veut pas arrêter dans son essor le développement rapide des
cultures.
On prévoit donc la construction de nouveaux barrages sur les
affluents les plus importants de la Mina (oued el Taht et oued el
Abd), la surélévation du plan d'eau aux Bakhadda, l'établissement
d'un ouvrage de compensation dans la basse vallée de la Mina,
la canalisation d'oueds et l'établissement de collecteurs nécessaires
à l'assainissement des terres marécageuses et salées, enfin
l'achèvement des réseaux de canaux sur les deux rives de la Mina.
On compte augmenter ainsi le périmètre classé de 6.124 ha.,
dont 50 % au Nord de Clinchant, 33 % au Nord de Relizane. 11 %
au Nord de Ferry, 14 % au Sud-Est, entre Relizane et Ferry, les
stations de pompage permettant en 1952 d'irriguer 4.000 ha. entre
Relizane et Ferry et 2.000 entre Relizane et Clinchant. La superficie
252 ROBERT TINTHOIN.

totale du périmètre irrigable atteindrait alors près de 20.000 ha.,


auxquels il faudrait ajouter les 5.300 ha. desservis actuellement
par des prises directes en rivière, aménagées dans le bassin de
la Mina.
Ces travaux emmagasineraient 144 millions de m3 d'eau, dont
33 millions au barrage projeté sur l'oued el Taht, 60 millions au
barrage projeté sur l'oued el Abd, 51 millions aux Bakhadda avec
surélévation.

EXTENSION du
PERIMETRE ď
, IRRIGATION
fcsapar gravité
Espar pompage
canaux
--_ drains

Fig. 9. — Extension du périmètre d'irrigation.

L'exécution de ce programme, en plusieurs étapes, devait


coûter 23 millions de fr. 1938; la construction du barrage de
l'oued el Taht, exécuté en trois ans, et celle du barrage de l'oued
el Abd, encore au stade des études, techniques, exigeraient une
somme considérable. L'ouvrage de l'oued el Taht s'élèverait près
d'Uzès-le-Duc, à l'amont du confluent avec la Mina. IL aurait
47 m. 50 de haut, 197 m. de long, retiendrait 30 millions de jn3 et
coûterait 750 millions de fr. 1947, mais assurerait un revenu
évalué à 24 % de la dépense au bénéfice des petits propriétaires,
Musulmans pour la moitié, à condition que la mise en valeur
n'aboutisse pas à une concentration de la propriété.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR i/lRRIGATION. 253

La construction de cet ouvrage a été retardée par l'étude d'un


projet grandiose et hardi : les eaux captées dans la cuvette du
Chott ech Chergúi, sur les Hautes Plaines steppiques, seraient
amenées, par le cours de l'oued el Taht, sur les terres du
périmètre de Relizane.

LES CONSEQUENCES DU DEVELOPPEMENT DE L'IRRIGATION

L'irrigation de plus en plus poussée — ne pense-t-on pas à


«mener l'eau de 150 km. à vol d'oiseau — - ayant corrigé le manque
d'eau qui a longtemps entravé la mise en valeur de la plaine, on
est passé à la polyculture (céréales, arbres fruitiers, légumes) et
à la richesse agricole.
Il en résulte l'extension des cultures et la sélection de celles
qui sont le mieux adaptées au milieu depuis l'irrigation
(maraîchères et fruitières). On passe du champ au verger, au
remembrement des parcelles de culture, à la concentration des propriétés,
parfois à l'intégration. La combinaison « culture en grand des
fruits et des légumes » doit encore s'améliorer avec la
construction de nouveaux ouvrages.
Les « combinaisons agricoles françaises » ont des conséquences
géographiques importantes. Le développement agricole de la plaine
par suite du recul des terres incultes, grâce à l'arrosage et au drab*
nage, a entraîné l'accroissement de la densité de la population
(européenne d'abord, musulmane ensuite), l'élaboration d'une
structure sociale complexe (gros propriétaires, fermiers, gérants,
entrepreneurs européens de travaux agricoles, petits propriétaires
indigènes sédentarisés, ouvriers agricoles européens et indigènes),
le développement urbain, l'apparition du commerce d'exportation
des fruits et primeurs et de l'élevage d'embouche. L'industrie
agricole de transformation est attirée à son tour : minoteries, pâtes
alimentaires, conserves de tomates, confitureries, confiseries d'olives.
Cette activité nouvelle s'est localisée à Relizane, là où sont
rassemblés marché, gare, fonction urbaine et sociale, banque et crédit,
main-d'œuvre. L'irrigation a déclenché un cycle d'activités
économiques qui, à leur tour, agissent sur la psychologie de l'individu
et sur la valeur vénale des terrains ruraux et urbains.
254 ROBERT TINTHOIN.

1. La structure agraire.

La structure agraire de la plaine de la Mina est de constitution


récente par suite de l'occupation du sol par les Européens, de la
mise en valeur intensive et de la sédentarisation. Plus empirique
que rationnelle au début, elle a abouti à un découpage géométrique
de la plaine en lots de fermes, lots de culture, lots de jardins et
d'habitations, quelquefois lots de vigne. Le tracé le plus souvent
rectangulaire ou carré a été imposé par la nécessité d'aménager des
routes et des chemins d'exploitation, plus rarement par la présence
de canaux d'irrigation qui, au début, n'étaient pas rectilignes. Avec
la spéculation d'abord, l'échec et le départ des premiers colons par
la suite, on assiste à une forte concentration de la propriété entre
les mains de quelques riches familles dont les divers membres sont
liés par l'association. Ceci entraîne le regroupement de plusieurs
lots en exploitations d'un seul tenant ou peu s'en faut.
L'extension de l'irrigation au Sud, à proximité de la montagne,
a abouti depuis peu à l'éparpillement des parcelles, évolution en
sens contraire contrebalancée parfois par la concentration
industrielle traitant les produits du sol. Les façons multipliées exigées
par les cultures de plus en plus soignées, la tendance de plus en
plus poussée à la monoculture arbustive ont multiplié les
exploitations dans les régions irriguées gagnées à la mise en valeur. Les
parcelles réservées à l'arboriculture irriguée sont encloses de haies
de cyprès brise-vents, d'enclosures, imposées autant par le climat
que par la forme particulière d'exploitation rurale. Une économie
agricole nouvelle, en rapide évolution, est greffée sur l'ancienne
économie pastorale.

2. Les exploitations.

La première mise en valeur du sol s'est traduite par le faible


peuplement de la plaine et le petit nombre des fermes, construites
pu milieu des terres de culture et le long des routes principales.
Vers 1895, dans les territoires de colonisation et de culture
européenne de Relizane, Ferry, Clinchant et ШИШ, on ne compte qu'une
soixantaine de fermes.
Vers 1924, il y a encore une centaine de fermes possédant
parfois des bâtiments multiples disposés autour d'une cour centrale,
ouverte un côté sur quatre, comme dans les pays d'élevage. En 1946,
le nombre des propriétés européennes atteint près de 140, dont 1/5"
de 100 à 1.000 ha. En 1952, 247 propriétaires européens possèdent
près de 7.000 ha. irrigués dont les 3/5" par plus de 50 ha.
АГ77

Fig. 10. en
— Plaine
haut, région
de la de
Mina.
propriété
En bas,musulmane
zone irriguée
et de
de culture
propriétésèche.
européenne;
256 ROBERT TINTHOIN.

A l'origine, l'administration a cherché, par mesure de sécurité,


a développer l'habitat concentré en villages susceptibles de se
défendre. Le calme venu, les besoins de la mise en valeur et de la
surveillance des cultures, l'extension de l'irrigation, ont développé
l'habitat dispersé. Les grosses fermes isolées prennent lTallure
d'« usines de culture», leurs bâtiments annexes groupés
généralement en carré autour d'une cour centrale, avec hangars et
logements des ouvriers agricoles à la périphérie, le tout entouré d'arbres.
Les locaux d'habitation sont occupés par les fermiers, et gérants, les
propriétaires préférant habiter , la ville, centre des affaires. Assez
dense autour de Relizane, ces fermes isolées s'éloignent de plus en
plus les unes des autres à la périphérie pour disparaître dans les
régions de population musulmane et de culture sèche.
En même temps, on passe des grandes parcelles géométriques
plantées d'arbres en quinconces et coupées de canaux d'irrigation,
des vergers soignés, groupés autour des fermes européennes, aux
toutes petites parcelles polygonales enchevêtrées, plantées de rares
arbres ou aux lanières de terres de culture et de jachères
rayonnant autour des gourbis arabes, isolés ou groupés à trois ou quatre,
sans ordre.
La transition est brutale d'un mode d'exploitation à l'autre, les
maigres potagers ou les jardins d'opuntia des Musulmans
paraissent minables auprès des grands vergers à Г « américaine ». Deux
économies s'affrontent, celle d'un passé misérable, celle d'un riche
avenir en création.

3. Le peuplement.

Dans cette vaste plaine de 50.000 ha. (dont 17.000 occupés par
des terrains salés improductifs et des marais), on a affaire à un
peuplement européen, peu dense, de propriétaires agricoles (140)
et de gérants de fermes (190). La mise en valeur est assurée par
des ouvriers agricoles (près de 3.000), habitant les gros douars
musulmans et les « villages nègres » des centres européens, et se
rendant à pied ou par camions, le matin et le soir, à leur travail au
milieu des champs. Certains vivent à demeure autour de la ferme.
Pendant la période des gros travaux, il y a jusqu'à 1.000 ouvriers
saisonniers (Sahari du Tafilalet) logeant le plus souvent sous de
pauvres tentes des exploitations.
Le peuplement européen s'est effectué par étapes. D'abord
presque uniquement concentré à Relizane dès 1858 et l'Hillil dès 1866,
il se confond avec le développement de ces centres jusque vers 1887.
La population d'immigrants, Français et Espagnols, passe de 976
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 257

en 1860 à 6.260 en 1887, elle est multipliée par 6 en 27 ans. C'est le


gros de l'immigration, la période d'installation et d'acclimatement,
gênée par la sécheresse, les inondations et le paludisme.
En 1866 Relizane compte un millier de Français métropolitains,
un millier d'étrangers surtout espagnols, près de 300 Israélites et
plus de 300 indigènes. C'est un village européen. En 1887, vingt ans
après, la population française et israélite reste stationnaire, les
Espagnols ont presque doublé et la population indigène a... décuplé.
Le centre se double d'un gros « village nègre » et prend l'allure
d'une agglomération plus espagnole que française. Il groupe un tiers
des habitants de la plaine.
Tandis que la dépression se transforme lentement avec l'eau
fournie par le barrage de la Mina inférieure, l'accroissement de la
population est lent et continu jusqu'en 1921. La population
augmente du tiers de 19.000 à 25.000 habitants et les gens de la ville
représentent déjà la moitié de la population totale. A partir du
recensement de 1907, après l'application intégrale de la loi de 1889
ьиг la naturalisation automatique, les Espagnols arrivent encore
nombreux — près de deux milliers — , les Israélites doublent grâce
a leur natalité excédentaire, les Musulmans augmentent peu (1/8*).
L'irri-gation se développe après la construction du barrage des
Bakhadda et la population s'accroît de plus de moitié de 1921 à
1948, grâce au nombre croissant des Musulmans qui augmente
également de moitié de 1921 à 1948, après être resté stationnaire
de 1926 à 1931.
Actuellement, les centres européens groupent 70 % de la
population totale, les Musulmans étant attirés de tout temps vers les
agglomérations par les besoins de main-d'œuvre du bâtiment et de
l'industrie locale, pendant les hostilités par le ravitaillement
rationné plus abondant et les bénéfices du marché parallèle.
En résumé, de 1887 à 1948, pendant 60 ans environ, la
population de la plaine a doublé selon un accroissement particulièrement
régulier mais faible en définitive (3*30 habitants en moyenne chaque
année), surtout pour un pays neuf. C'est que l'accroissement de la
richesse a profité aux propriétaires fonciers européens mais n'a
pas atteint la masse, surtout indigène.
La même observation apparaît dans la répartition géographique
de la densité de population. Là où l'irrigation est peu développée
ou très récente, la population est peu dense (7 à 40 habitants
au km2), en territoire musulman comme en territoire européen
(Clinchant, 25). Les terrains salés entourant la Daya et la Sekkha
bou Ziane sont presque inoccupés (7 habitants au km2). Au con-
258 ROBERT TINTHOIN.

traire, là où l'irrigation est aménagée depuis de longues années,


la densité s'élève : commune de Relizane (202), l'Hillil et les fermes
de Clinchant (90). Malgré l'installation d'émigrés européens et
l'irrigation, la population n'est pas parvenue à tripler, en 100 ans, dans
l'ensemble de la plaine. A titre de comparaison, les collines de la
périphérie, occupées par une population en presque totalité musul-

1948
DENSITE

ta 12àK
и 2Oà27
ЕЭ 33à8O
и 90
ш 200
Fig. 11. — Densité de la population en 1948.

mane, offrent une densité moyenne relativement forte (30 à 50


habitants au km2 contre 77 dans la plaine).

4. Relizane.
Actuellement, le centre vital de la plaine, Relizane est une cité
de 21.500 habitants. Elle a grandi trop rapidement et son
évolution urbaine souffre d'un certain retard : elle a conservé l'aspect
banal et triste d'un grand village de peuplement. La plupart des
immeubles, tous à un étage, sont vétustés et insalubres, sauf
quelques villas particulières récentes et une dizaine de maisons de rap-
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 259

port. L'alimentation en eau potable est assurée par les sources de


Tliouanet et un puits communal (débitant 600 m3 en 24 heures).
Les Européens, peu nombreux (1/4 de la population), sont en
majorité d'origine espagnole — surtout valencienne — . Ils sont
Français par option ou par filiation, leurs parents étant installés
dans la région depuis plusieurs générations, plus rarement par
naturalisation. D'abord ouvriers agricoles sur les exploitations des
premiers colons français, les Espagnols sont devenus rapidement

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Fig. 12. — La population de Relizane de 1860 à 1948.
260 ROBERT TINTHOIN.

propriétaires ou gérants, grâce à leur bas niveau de vie, à leur


économie, à leur travail, à leur adaptation au climat et à leur
technique de l'irrigation. Un nombre relativement élevé (170, soit l/30e)
sont Espagnols non naturalisés et arrivés depuis peu. Les habitants
d'origine métropolitaine sont des descendants d'anciens colons ou
commerçants, fonctionnaires, artisans ou employés.
L'accroissement de la population européenne est favorisé par une forte
natalité, surtout dans les milieux pauvres qui dominent, et par l'apport
de quelques familles d'ouvriers venus se fixer à Relizane pour
participer au développement des cultures maraîchères.
Les Israélites (un bon millier) jouent un rôle important dans le
commerce de gros et de détail.
La population musulmane (les 3/4), est concentrée au « village
nègre » insalubre, composé de petites maisons basses en
maçonnerie, passant en banlieue aux gourbis sordides d'un véritable «
bidonville ». L'accroissement rapide de cette partie de la population est
fonction d'une très forte natalité et de l'exode rural, entretenu par
une vie plus facile que dans le « bled » . Les Musulmans acquièrent,
chaque année, des immeubles dans les diverses parties de la ville
proprement dite. Le pourcentage des maisons urbaines leur
appartenant est de plus de 30 % ; ce n'est pas étonnant puisqu'ils
représentent le gros de la population. Ils occupent en particulier en toute
propriété la presque totalité du « village nègre » . Ce fait est un
témoignage de l'enrichissement d'une partie de la population urbaine
indigène, surtout par le commerce.
Les Relizanais vivent de la terre et des industries agricoles. Ils se
répartissent ainsi entre les diverses professions : 1 % d'industriels
et de gros propriétaires, aux 2/3 Musulmans; 1 % de fonctionnaires
et de professions libérales; 4 % d'employés de commerce ou de
banque; 6 % de petits propriétaires agricoles et de jardiniers, pour
partie égales Européens et Musulmans; 14 % de commerçants et
d'artisans. Le reste de la population, près des 3/4, est formé
d'ouvriers industriels peu nombreux 19 (150 appartiennent aux
chemins de fer) et surtout de journaliers et de travailleurs agricoles. ,
Le progrès gagne le reste de la plaine : un projet d'urbanisme
est en voie de réalisation à Clinchant, jusqu'ici centre relativement
déshérité.

W L'usine Esclapez (conserves) occupe à elle seule 300 ouvriers et ouvrières


musulmans et des contremaîtres européens. Si la population non musulmane
n'est qu'en faible proportion (14 %) employée directement dans l'agriculture,
l'activité de l'industrie, du commerce et même des professions libérales dérive
en fait de l'agriculture.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 261

5. Le commerce.

Relizane est un nœud ferroviaire et routier, mais l'amélioration


des relations avec Tiaret et Mascara s'impose, soit par une
modernisation de la voie ferrée et du matériel, soit par la rectification des
routes et le perfectionnement du matériel de transport routier.
Là passent la ligne à voie normale d'Oran-Alger, utilisée par les
voyageurs et les marchandises, et celle de Mostaganem-Tiaret par
Bel Hacel, Mendez et Montgolfier pour les marchandises seulement
jusqu'à Bourlier dans le Sersóu. Là, également, se croisent les routes
desservant Alger par Ferry et Orléansville, Oran par Clinchant et
l'Hillil, le port de Mostaganem par Bouguirat, Tiaret par le plateau
de Mendez. Le rayon d'action du centre régional s'étend sur la
bordure occidentale de l'Ouarsenis, la vallée du Chélif et le Mostaga-
némois.
Ces relations expliquent l'importance du marché régional de
Relizane, notamment pour le commerce du bétail avec participation
des éleveurs musulmans des communes mixtes voisines, des
maquignons de la commune et des centres du département, puis des
importateurs métropolitains d'ovins via Marseille. Une exportation
volumineuse de légumes et de fruits, notamment d'artichauts et
d'agrumes, gagne Marseille par Oran. Malgré l'arrêt des exportations
sur la métropole pendant la guerre, les producteurs ont toujours
trouvé à écouler leur production sur le marché oranais. Le
développement du système d'irrigation et, depuis 1939, les hauts prix
obtenus par ;les produits agricoles (fruits et légumes), ont favorisé
l'extension des cultures maraîchères et des plantations d'arbres
fruitiers.
L'importance commerciale de la Plaine s'est affirmée, ces
dernières années. La gare de Relizane est un centre d'expédition au
croisement de voies étroites (Mostaganem-Tiaret) et normale
(Alger-Oran).
En 1950, le trafic total des deux gares (voie normale 96 % et
étroite 4 %) est de l'ordre de 29.000 tonnes et de 616 wagons de
bestiaux20; c'est un peu plus que le total de la dernière année
normale d'avant-guerre, 1938. Les farines et issues, sorties
principalement des minoteries de Relizane, représentent le tiers du poids
exporté, les céréales 12 %, les agrumes 7 %, les emballages vides
pour l'expédition des fruits et primeurs, 3 %. Ces chiffres, comparés
à ceux du marché de Relizane de 1890, traduisent le développement
de la minoterie, des céréales et de l'agrumiculture.

го А 50 moutons par wagon, cela fait environ 31.000 moutons.


262 ROBERT TINTHOIN.

Gares de Farines Agrumes Céréales Divers Totaux Bestiaux


Relizane et (T.) Emballages (T.) (T.) par
Issues (ТЛ vides (T.) gare (T.). (wagons)

Voie normale. 8.876 1.971 950 3.275 11.596 26.668 449


Voie étroite. . 537 76 111 212 1.328 2.254 167
Totaux 9.413 2.047 1.061 3.487 12.924 28.922 616

L'importance des transports routiers est soulignée par l'existence,


dès 1948, d'un parc de près de 150 camions d'un tonnage utile total
de 730 tonnes, appartenant à des transporteurs publics ou privés,
soit alors 2,5 % du tonnage total du département d'Oran.

6. L'industrialisation.

Les productions agricoles : céréales, agrumes, légumes et fruits


alimentent une jeune industrie de transformation, régularisatrice
du marché, car elle permet d'obvier à la mévente, à la surproduction
et à la détérioration des produits périssables. Elle est représentée
par des minoteries, moutures indigènes, confitureries, confiseries
d'olives, conserveries de fruits et légumes, fabriques de pâtes
alimentaires 21, complétée par la présence de docks-silos coopératifs
et d'une cave coopérative.
La construction de nouveaux barrages et l'extension de la zone
irrigable développeront les fonctions commerciales et industrielles
de Relizane, déjà équipée en industries du bâtiment (briqueteries
et fours à chaux) et en industries urbaines (usine à gaz, centrale
thermique). Peut-être s'y) installera-t-il, un jour prochain, une
raffinerie de pétrole, si les sondages effectués actuellement dans
la plaine et sa bordure répondent aux espoirs des prospecteurs.
Le site n'a pas fait mentir les officiers qui, après la pacification
des Flittas, il y a près d'un siècle, y voyaient le cadre possible
pour le développement d'une cité importante.

7. La valeur des terres.

L'irrigation a entraîné une forte hausse de la valeur locative


des terres. Ainsi, à Relizane, en 1941, les terres de parcours étaient

*• Deux grosses minoteries-semouleries (41 et 47 employés) ; une confiturerie


(300 ouvriers dont 200 femmes) exportant dans l'Union française, en Scandinavie.
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 263

louées de 20 à 100 fr. l'ha., les terres non irrigables 40 fr., les
terres salées nécessitant de gros travaux de drainage 140 fr., les
terres irrigables d'alluvions au bord de la rivière 400 fr., les terres
en vignes de 396 à 2.63*2 fr., selon le rendement de 20 à 50
Ы/ha., les terres complantées en oliviers et figuiers 500 fr., les terres
complantées en oliviers de 750 à 1.200 fr., les vergers d'arbres
divers 3.500 fr., les jardins 2.000 fr. avec un tour d'eau par
semaine et 4.000 fr. avec deux tours, les vergers d'orangers à gros
rendement 7.000 fr.
Ces évaluations ont beaucoup augmenté depuis, non seulement
à cause de la baisse de la monnaie mais par suite de la plus-value
que l'irrigation donne de plus en plus aux terres de la plaine.
En même temps, on a enregistré une augmentation de la valeur
vénale de la terre et par suite de la valeur des propriétés rurales
et urbaines. Bien des terres jusqu'alors incultes ont été revalorisées
par la mise en eau et par le travail que les nouveaux acquéreurs
ont effectué en défonçages, plantations de brise-vents et d'arbres
fruitiers. A titre d'exemple, un hectare d'agrumes en plein
rapport vaut de 4 à 5 millions de francs.

8. La psychologie des Européens.


Longtemps vouée à la pauvreté, la plaine connaît grâce à
l'irrigation un enrichissement subit, et parallèlement la mentalité des
propriétaires a évolué. Ceux qui sont restés peu entreprenants,
économes, prudents, peu portés à emprunter, routiniers, ont végété
puis périclité; bien peu ont su tirer parti des améliorations qui les
ont dépassés.
Ceux qui au contraire ont pris la mentalité de l'affairiste, qui
ont su aller de l'avant, voir grand, emprunter, jouer gros jeu, ont
vu leur fortune s'accroître avec une rapidité inouïe. Tel qui a
acheté à bon compte aux indigènes 800 ha. de terre inculte avant
que les canaux parviennent sur ces terres, a réalisé un véritable
coup de bourse. Certes, il n'a pas gagné en dormant; il a fallu
acquérir, en empruntant, des tracteurs pour défoncer ces terres
vierges, attendre la construction des canaux d'irrigation, se mettre
au courant des méthodes les plus récentes, adopter courageusement
des cultures rentables : coton, "verger, tournesol, récemment riz.
Le résultat a payé l'effort et l'audace. Le colon relizanais n'est
plus un petit propriétaire foncier à mentalité paysanne, mais un
«chef d'entreprise agricole au courant de la technique la plus
hardie et des expériences les plus rémunératrices, quitte à
abandonner l'année suivante ce qui payait l'an passé et ne paie plus
maintenant. C'est une psychologie de farmer américain.
264 ROBERT TINTHOIN.

Des luttes apparaissent, celui-ci veut construire plus richement


que celui-là, ici une affaire d'industries agricoles est entrée en
concurrence avec un consortium capitaliste qui cherchait à lui
ravir le marché, et ces compétitions économiques ont leurs
répercussions sur la politique locale.

CONCLUSION

La Plaine que nous avons trouvée, en 1840, à l'état, d'une erme


broussailleuse, livrée à la culture et à l'élevage extensifs, peuplée
de semi-nomades, est aujourd'hui transformée en une vaste
« huerta » où, autour d'une cité florissante, les vergers le disputent
à la culture intensive des céréales et des primeurs. La partie
méridionale respire la richesse et l'ordre, avec ses larges canaux de

Fig. 13. — La production avant l'irrigation (1866).


UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 265

ciment dispensant régulièrement l'eau fertilisante à cette « Hespé-


ride » dont les fruits multicolores piquètent le feuillage.
On ne garde que ce qu'on défend; il faut chaque jour davantage
de capitaux pour construire de nouveaux barrages et mettre en
valeur le sol nouvellement fertilisé. Le problème du drainage et de
la mise en culture reete entier dans les terrains marécageux et
salés, jusqu'ici utilisés pour le seul parcours. L'œuvre n'est pas
achevée et demande encore beaucoup d'effort humain et de
technique, d'autant plus que la petite propriété musulmane, jusqu'ici
en dehors de l'enrichissement de la plaine, doit être englobée dans
le cycle de l'évolution vers la richesse agricole. Comment réagi-
ra-t-elle ?
L'eau d'irrigation, accumulée* derrière des barrages-réservoirs
et répartie par canaux, est d'un prix de revient élevé pour la
collectivité et une charge relativement légère pour les usagers qui

Fig. 14. — La production en 1952.


266 ROBERT TINTHOIN.

en tirent de gros bénéfices. Il y a blocage d'importants capitaux


d'Etat dont le plus clair des revenus passe à des particuliers
privilégiés. On comprend alors pourquoi la loi Martin, en 1942,
prévoyait l'expropriation de 15 % des terres irriguées.
Le milieu géographique, ingrat en lui-même, a été transformé
par la technique des hydrauliciens, par la discipline des irrigants.
L'eau domestiquée, amenée des massifs montagneux voisins, est

Fig. 15. — Les cultures de la plaine de la Mina autour de Relizane.


(1, agrumes; 2, arbres fruitiers; 3, oliviers; 4, cultures maraîchères;
5, fourrage; 6, coton; 7, céréales; 8, jachères.)

une source de richesse au service de l'énergie et de l'esprit


d'entreprise des propriétaires européens, du labeur des journaliers
musulmans; elle a transformé la plaine, son paysage, son
économie, son peuplement. La permanence de la fonction urbaine et
du rôle géographique de voie de passage se sont maintenus, villes
et irrigation se développent, assurant la fertilité et la richesse.
Sans exagération il y a eu ici, en moins d'un siècle et
parallèlement à l'équipement hydraulique, création d'une région
géographique originale, chaque jour plus caractérisée. On assiste à la
formation d'un paysage particulier : damier des champs irrigués,
des vergers d'agrumes ou d'arbres fruitiers enclos de haies brise-
UNE PLAINE ORANAISE TRANSFORMÉE PAR L'IRRIGATION. 267

vents et des canaux d'irrigation, contrastant avec la morne solitude


de Terme originelle qui subsiste dans les parties incultes, calées ou
marécageuses.
La plaine de la Mina laisse l'impression d'une région d'économie
agricole jeune, inachevée. L'irrigation l'a transformée en quelques
décades, mais moins profondément que ses voisines de Perrégaux
et de Saint-Denis du Sig, mises plus tôt en valeur. Ici, on n'a pas
assisté, comme ailleurs en Oranie, à la disparition presque totale
des céréales devant les oliviers, les agrumes ou la vigne. La céréa-
liculture en terre sèche et irriguée garde de l'importance et la
proportion relative des différentes cultures irriguées subit de
fréquentes variations, en rapport avec l'influence du marché et
l'évolution de la technique agricole.
La plaine de la Mina cherche encore sa voie. L'avenir dépend
de l'extension de l'irrigation, car le volume d'eau distribué à
l'agriculture est insuffisant pour corriger la sécheresse naturelle.
L'étendue de la surface irriguée décroît au lieu de se stabiliser, car les
cultures pratiquées sont de plus en plus exigeantes, au fur et- à
mesure de la croissance du jeune verger relizanais et du
développement de plantes qui ont de gros besoins en eau.

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