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Revue de géographie alpine

L'évolution des structures socio-spatiales du Moyen-Atlas central :


1e cas du pays Amekla (Sefrou) / The change in socio-spatial
structures in the central Middle Atlas Mountains : the case of the
Amekla (Sefrou) region
Lahsen Jennan

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Jennan Lahsen. L'évolution des structures socio-spatiales du Moyen-Atlas central : 1e cas du pays Amekla (Sefrou) / The
change in socio-spatial structures in the central Middle Atlas Mountains : the case of the Amekla (Sefrou) region. In: Revue de
géographie alpine, tome 84, n°4, 1996. pp. 61-74;

doi : https://doi.org/10.3406/rga.1996.3886

https://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1996_num_84_4_3886

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Résumé
L'évolution des structures socio-spatiales du Moyen-Atlas central : le cas du pays Amekla (Sefrou) The
change in socio-spatial structures in the central Middle Atlas Mountains : the case of the Amekla
(Sefrou) region Lahsenjennan Resume : Les campagnes du Moyen-Atlas central ont été affectées par
de profondes mutations ayant conduit à une grande diversité interne. Le pays Amekla (Sud de Sefrou),
objet de cette étude, est l'un de ces espaces ayant évolué rapidement d'une économie pastorale vers
un mode de production capitaliste, symbolisé par une extension spectaculaire des plantations
modernes. La désarticulation des structures traditionnelles de production a engendré la mise en
œuvre, par les populations locales, de nouvelles stratégies d'adaptation dont la diversification des
activités rurales (agricoles et non agricoles) et le recours aux ressources extérieures au fïnage
constituent les procédés les plus courants.

Abstract
Abstract : The countryside of the central Middle Atlas Mountains has undergone profound changes in
recent years resulting today in a region with considerable internal diversity. The Amekla region (South
of Sefrou), the subject of this study, is one of the areas which has experienced rapid change, moving
from a pastoral economy to one based on capitalistic production, reflected in a spectacular increase in
areas devoted to modern plantations. The break-up of the traditional production structures has resulted
in the setting up, by locals, of new strategies to adapt to the new situation. The most common solutions
involve the diversification of rural activities (agricultural and non-agricultural) and the use of resources
outside the village s cultivated area.
L'évolution des structures socio-spatiales

du Moyen-Atlas central :

le cas du pays Amekla (Sefrou)

Lahsen Jennan
Département de Géographie, Faculté des Lettres Dahr el Mehrez, Université de Fès

Introduction
Dans le Moyen-Atlas, le monde rural se trouve soumis depuis plus d'un demi-siècle à
des contraintes éprouvantes découlant à la fois de la phase coloniale et d'une période
récente de mutation. Ce processus a largement contribué au bouleversement des structures
traditionnelles et a favorisé la mise en place de nouvelles structures sociales et spatiales.

Les mutations qui affectent les espaces ruraux, loin de tendre vers une
homogénéisation des campagnes, amènent au contraire une diversification régionale croissante au sein
du Moyen-Atlas. Celui-ci se présente aujourd'hui comme une mosaïque de petits espaces
qui, au fil du temps, semblent bien devenir de plus en plus distincts et différents les uns
des autres, tant par leur physionomie que par la dynamique qui les affecte : des espaces
visiblement en mutation jouxtent des espaces où tout semble figé.
Les facteurs (ou acteurs) externes qui ont déclenché et/ou accéléré le processus des
mutations récentes ont agi sur des situations internes différentes (conditions particulières du
milieu, structures agraires diverses, histoire locale etc.), déterminant ainsi une
combinaison de facteurs et d'interactions génératrice de l'évolution spécifique de chaque
sous-espace. C'est en fonction de cette approche et en se basant sur un ensemble de critères
« internes » et « externes » qu'une typologie des espaces ruraux du Moyen-Atlas a été
proposée (L. Jennan, 1986, 1990). Celle-ci distingue l'aire des paysanneries traditionnelles,
des espaces de pastoralisme permanent, des régions en voie de dévitalisation, des zones
forestières et non forestières aménagées, et enfin des espaces dérivant d'anciennes aires
pastorales. Le pays Amekla, objet de cette étude, appartient à cette dernière catégorie.
Il correspond à l'un des plateaux calcaires qui constituent le causse de Sefrou. Situé à
20 km au sud de cette ville, le pays Amekla est une longue bande de terres traversée par
l'axe routier Fès-Boulemane et entouré de reliefs montagneux à l'ouest (Jbel Aoudad,
1 767 m), au nord-est (Jbel Bouimourdassen, 1 495 m) et au sud.

Le centre est une suite de dépressions karstiques flanquées de dayas (lacs) et de merjas
(étangs) dont l'altitude oscille entre 1 200 et 1 400 m (J. Martin, 1965, p. 95). Jadis, la
majorité de ces dépressions étaient submergées en hiver ; aujourd'hui, elles sont
entièrement exploitées en raison de la succession de plusieurs années de sécheresse et, surtout,
d'une surexploitation par pompage de la nappe. Les sols, composés de terra rossa et
d'argiles limoneuses au fond des dépressions karstiques, et de hamri (sol rouge) sur les ver-

REVUE DE GÉOGRAPHIE ALPINE 1996 № 4


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sants, sont de valeur agronomique inégale : épais et riches dans le premier cas, squelet-
tiques et pauvres dans le second.
Le plateau d'Amekla reçoit des précipitations annuelles dépassant 600 mm et les
hauteurs qui l'entourent se couvrent généralement de neige en hiver (7 à 1 5 jours par an) ; ce
qui explique la richesse en eau de ce fînage1 dont la nappe phréatique, peu profonde,
alimente de nombreux puits destinés à l'irrigation de plantations modernes en extension.
Le couvert végétal est constitué de chênes verts et de steppes ligneuses sèches d'altitude
couvrant plus de deux-tiers de la superficie totale du finage, soit environ 8 000 ha.
Le pays Amekla est une portion du vaste territoire des Ait Youssi. Il relève administra-
tivement de la commune rurale de Laânoceur (province de Sefrou) et compte 9 douars et
près de 6 000 habitants (1993). Situé en zone montagneuse et voué traditionnellement à
l'activité agro-pastorale dans le cadre d'une autonomie tribale, il connaît aujourd'hui des
transformations spectaculaires. En quelques décennies seulement, il a évolué d'une
économie traditionnelle à base d'élevage à une diversification sensible des activités rurales.
Le désenclavement de la région, la sédentarisation et la mise en place des structures de
production capitaliste, par le biais de l'emprise foncière citadine avec toutes les
implications socio-économiques et l'impact spatial qui leur sont liés, ont fondamentalement
transformé le visage de la campagne et les structures sociales traditionnelles. C'est donc
l'étude des modalités et des conditions de passage d'une société tribale, précapitaliste, à
un mode de production capitaliste et à une nouvelle forme d'organisation sociale et
spatiale qui est proposée ici.

I. De la montagne pastorale à la montagne « pénétrée »


DU FAIT TRIBAL À L'OCCUPATION COLONIALE
Vers le milieu du XIXe siècle, les différentes fractions Aït Youssi occupaient déjà les
mêmes terroirs que nous leur connaissons aujourd'hui. Déjà depuis la fin du
XVIIe siècle, les Ait Youssi, vaincus et désarmés, furent affectés par le sultan Moulay Is-
maïl (1672-1727) à la surveillance de l'axe caravanier (Tarik Es Soltan) reliant Fès auTa-
filalt. Leur territoire fut, de ce fait, très allongé et relativement désenclavé. Il s'étendait de
la haute Moulouya au sud jusqu'à la plaine du Sais au nord. Les Ait Youssi coiffaient ainsi
le Moyen-Atlas central dont ils gardaient les passages et exploitaient les pâturages. Les
quelques groupes sédentaires étaient concentrés dans les vallées irriguées autour des
cultures et des irhrems (greniers fortifiés) où ils enfermaient leurs récoltes, comme d'ailleurs
tous leurs voisins occidentaux : Béni Mtir, Béni Mguild, Zaïan etc. Mis à part ces grou-

1. La notion de finage est assez floue, les collectivités n'ayant pas affirmé partout leur emprise sur ce qui correspond
normalement à leur territoire. Le pays Amekla est d'ailleurs occupé de façon très discontinue et l'installation humaine se
présente sous la forme d'îlots de terres défrichées au milieu des forêts, des mattorals et des friches. Toutefois, même mal
défini, la collectivité d'Amekla possède un finage qui lui est propre ; elle s'est efforcée de rassembler, dans le cadre de
chaque fraction, des terres à vocation complémentaire : des espaces pour les parcours d'hiver et d'été, d'autres pour les
cultures en sec et en irrigué et une zone d'habitat avec ou sans jardins. (Ch. Chauvet, 1982, p. 176)
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pements, dont plusieurs n'appartenaient pas à la tribu (paysans sédentaires installés le


long du dir — piémont — bien avant l'arrivée des Ait Youssi), ils vivaient sous la tente et
pratiquaient une double transhumance : celle d'hiver les conduisait soit vers la plaine du
Sais et les dépressions abritées du causse de Sefrou, soit vers la haute Moulouya où ils
allaient d'ailleurs rarement (S. Nouvel, 1919, p. 54) ; celle d'été les amenait dans la
montagne (région de Boulemane et de Timahdit). Le trafic caravanier leur assurait quelques
revenus sous la forme de taxes perçues ou de marchandises commercialisées (Ch. Chau-
vet, 1982, p. 81). La quasi totalité des terres étaient collectives ; un droit d'usage s'était
instauré quant à leur utilisation, prenant la forme soit d'accord à l'amiable, soit
d'arrangement par la force. C'était ainsi que les Ait Youssi dont il est question ici recevaient
chaque année plusieurs fractions de leur tribu (Ait Helli, Ait Frigo de Guigo...) ou
d'autres tribus (Ait Serhrouchen, Béni Mtir, Béni Mguild) dans le cadre d'un accord
négocié où le principe de réciprocité était l'élément principal.
Un certain équilibre a ainsi pu être réalisé et maintenu jusqu'au début du XXe siècle
entre les besoins des populations et des troupeaux d'une part, et les ressources du milieu
d'autre part. La fonction essentielle de l'espace tribal se résumait en effet à son aptitude à
offrir aux troupeaux, tout au long de l'année, les pâturages et les sources d'abreuvement
nécessaires. Un déplacement permanent des populations et des bêtes, prenant tantôt la
forme du semi-nomadisme, tantôt celle de la transhumance, s'ensuivait et, de ce fait, une
organisation rigoureuse, obéissant à des règles de voisinage, fut mise en place par les
tribus. Elle était régie par l'orf(àvo'iï. coutumier) auquel se référaient les Jmaa (assemblées)
dans la gestion de leurs affaires économiques, sociales ou politico-militaires (L. Jennan,
1986, p. 50).

Avec l'occupation française, ce mode de vie fut bouleversé, ce qui a provoqué une série
de ruptures dans l'équilibre agro-pastoral traditionnel (J. Célérier, 1927). Dans la région
de Sefrou et particulièrement dans le pays Amekla, la résistance armée, dirigée par un
fquih, érigé aussitôt en saint (Sidi Rahhou des Ait Arfa), fut longue (1911-1926),
difficile et destructrice. Elle eut des conséquences très néfastes sur les populations
autochtones dont la plupart durent abandonner le terroir pendant plusieurs années. Les
répercussions les plus immédiates et les plus dures furent de trois ordres :
— Il y eut tout d'abord la destruction d'une grande partie du cheptel à la suite de
l'occupation des pâturages d'hiver situés dans le Sais (azarhar de Sidi Khiar) où les Ait Youssi
possédaient près de 1 400 ha de parcours. Ainsi plus de la moitié de leurs troupeaux fut
décimée durant les premières années de la conquête. L'impossibilité de transhumer vers
les bas-pays exposa les troupeaux à la rigueur de l'hiver sur le plateau. La mortalité ovine
atteignit des proportions alarmantes (50 à 60 % de l'ensemble des troupeaux) et
l'agnelage fut sensiblement compromis (M. Darre, 1949, p. 73).
— Ensuite beaucoup de foyers abandonnèrent leurs terres et leurs habitations, prenant
ainsi la fuite devant les troupes françaises. Les Ait Arfa par exemple furent, à la mort de
leur chef religieux et militaire en 1926, complètement dépossédés et refoulés dans la
forêt voisine (au sud-est du territoire d'Amekla) où ils continuent de vivre jusqu'à nos
jours. D'autres habitants du finage perdirent définitivement leur droit de propriété sur
les terres irriguées et leur qualité d'ayants-droit sur les collectifs au profit de ceux qui
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étaient restés sur place et qui avaient, par conséquent, accepté facilement le nouveau
régime. Celui-ci leur facilita d'ailleurs l'acquisition « légale » des terres qu'ils voulaient en
leur fournissant les preuves juridiques nécessaires. Ce fut d'autant plus facile qu'au
Maroc les parcours tribaux n'étaient pas une propriété mais un territoire, espace
politique et temporel dont l'étendue et la localisation dépendaient du poids démographique,
de la capacité du groupe à l'exploiter et des traités passés avec les groupes voisins
(N. Bouderbala, 1977, p. 153). Dépossédés de leurs terres, de leur bétail, de leurs
ressources forestières, et complètement ruinés par plusieurs années de guerre de résistance,
les individus de retour au finage s'enrôlèrent dans l'armée française, en particulier dans le
corps Goum où ils durent servir au Maroc même ou en Europe, dans les rangs des alliés
pendant la deuxième guerre mondiale ou encore en Indochine. D'autres émigrèrent vers
les petits centres urbains du piémont (Sefrou notamment) ou furent obligés de travailler
à l'ouverture des pistes destinées aux colonnes de l'armée française et aux agents des Eaux
et Forêts, ou encore à l'ouverture des routes destinées à la circulation en général. La route
principale actuelle n° 20 reliant Fès à Boulemane fut ouverte à cette époque grâce à
l'organisation de vastes campagnes de touiza (corvées) qui mobilisaient à tour de rôle
l'ensemble des individus mâles en âge de travailler. D'autres enfin s'employaient comme
salariés agricoles ou comme charbonniers dans les forêts de la région, l'exploitation du
charbon de bois et sa commercialisation à Sefrou et à Fès étant une pratique très
ancienne (Michaux-Bellaire, 1910, pp. 8-9).
- Enfin, les populations soumises durent se fixer sur le plateau sans possibilité de
transhumer en hiver. Les Ait Youssi d'Amekla furent donc enfermés, à l'instar de toutes les autres
tribus du Moyen-Atlas et du Maroc en général, dans des limites administratives rigides2 :
leurs déplacements furent réorganisés et soumis à un contrôle strict (cahiers de
transhumance) ; les forêts, bien collectif, furent délimitées avant d'être placées sous la surveillance
de l'Etat, représenté par le service des Eaux et Forêts. Elles furent ainsi soustraites au droit
de jouissance dont bénéficiaient les tribus. Enfin, les terres collectives, outre qu'elles
étaient délimitées et placées sous tutelle de l'Etat (dahir du 27 avril 1919), furent
considérablement réduites par le progrès de la sédentarisation et, comme corollaire,
l'appropriation privative {melkisation} des terres par les personnages influents de la tribu. D'autres
facteurs particuliers avaient également contribué au grignotage du patrimoine collectif:
vers 1930 par exemple, les terres de Takeltount, demeurées collectives, furent louées pour
une longue durée (49 ans) à deux colons étrangers, ce qui priva leurs ayants-droit (Ait
Moussa) des 600 ha de terres riches que comptait cette cuvette. Un colon acquit vers
1 930-3 1 , à Aguelmam, une ferme de 80 ha environ ; quelques marocains étrangers au
finage achetèrent à leur propre compte près de 50 ha entre 1930 et 1956.
Ainsi, à la veille de l'Indépendance, les populations soumises, cantonnées sur le
plateau, car privées de leur azarhar d'hiver, de la quasi totalité des parcours en forêt et d'une
grande part des collectifs, vivaient pratiquement à l'étroit. Seuls les petits pacages
collectifs situés sur les crêtes et les friches des pentes dominant les champs échappaient à la

2. En 1926 eut lieu le partage en trois de la tribu des Ait Youssi : au nord les Ait Youssi d'Amekla, au centre les Ait Youssi du
Guigou et au sud les Ait Youssi d'Enjil. Les Ait Youssi d'Amekla furent rattachés au Cercle de Sefrou, ceux du Guigou et
d'Enjil au Cercle de Boulemane. Ce partage a marqué la fin de l'autonomie et de l'unité tribale des Ait Youssi.
LAHSEN JENNAN

Figure 1 : VersSefrou
Causse d'Amekla
Cadre géographique et aspects de mutation

1 I Ensemble montagneux, forêt dégradée 8 I^H Ferme d'expérimentation (ancienne)


I

2 Défrichements, cultures sèches, parcours 9 ^^B Zone de reboisement (Etat)


I

ïRH Coopérative de la Réforme Agraire


□ Cultures
(maïs, légumes)
Irriguées traditionnelles 10 SBSB (ex-plantation coloniale)
4 ШШЕш Plantations, emprise foncière citadine 11 W# Habitat groupé de 200 à 800 hab.
. ^^ Axe de parcours en fonction
5«—-^ Extension de l'influence foncière citadine 12 Щ^^Г (rayon limité, axe interne)
1 3 Axes de parcours ayant cessé de fontionner
■ Terre
extension
collective
de l'habitat
récemment
individuel
melkisée
et des: plantations
:

a -4 ■ ^ avec la colonisation (axe interne)


7 [== Ц Etang asséché par excès de pompage dans la nappe b ^^-^ après l'indépendance (axe externe)
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délimitation et appartenaient ainsi en commun à la fraction. De même, les pâturages


non forestiers furent immatriculés au service des collectivités en tant que pâturages
collectifs devant rester indivis dans le cadre des fractions (M. Darre, 1949, p. 75). La charge
pastorale exercée sur les pâturages d'Amekla devint ainsi plus grande, et ce d'autant plus
que l'administration coloniale imposa, dès 1927, la transhumance de trois fractions des
Marmoucha (Ait Bazza, Ait Messaâd et Ait Tamama) dans la circonscription d'Amekla
en fixant le nombre maximal d'animaux à y conduire à 14 000 têtes (Conférence de Fès
du 8 avril 1927) (fig. 1).
Ceci intervenait au moment où les Ait Youssi d'Amekla étaient, en raison des diverses
contraintes précitées, en voie de sédentarisation rapide. En effet, dès le milieu des années
1930, plusieurs groupements ne transhumaient plus, d'autres continuaient de se
déplacer sans sortir des limites de la fraction, voire souvent du terroir du douar, en pratiquant
une transhumance fragmentaire, « perlée », remplaçant les mouvements réguliers et
lointains d'autrefois. Or, très peu de terres étaient disponibles pour l'agriculture vers laquelle
on cherchait à orienter les populations en les obligeant à se sédentariser. Les superficies
réellement cultivables (près de 3 000 ha) étaient restreintes eu égard à la reprise de la
croissance démographique consécutive à la fin de la guerre de « pacification ». L'élevage
devait donc continuer d'être la principale activité et la ressource la plus importante de la
majorité des foyers. Les autorités françaises durent suivre ce mouvement en prêtant peu à
peu leur concours aux agriculteurs-éleveurs, notamment en créant des bains parasiticides
et en imposant la vaccination préventive gratuite contre diverses maladies. Les habitants
se trouvaient bientôt tentés d'investir davantage dans l'élevage, engendrant ainsi à moyen
terme une surcharge et une dégradation sensible des pâturages du causse que les
troupeaux - nous l'avons souligné - ne pouvaient pratiquement plus quitter durant toute
l'année. Bien plus, en redoublant d'artifices et de persuasion pour faire admettre sur les
pâturages restreints d'Amekla les troupeaux accrus des Marmoucha, le régime colonial a
accéléré la rupture des anciens équilibres du système pastoral basé sur l'adaptation des
besoins des troupeaux aux potentialités du milieu.
C'est ainsi que les Ait Youssi d'Amekla adoptèrent une attitude de plus en plus
endurcie à l'égard des transhumants qui séjournaient chaque année de janvier à mars sur leur
territoire en y conduisant plus de 10 000 bêtes. Ces troupeaux, ajoutés à ceux des
autochtones (près de 12 000 têtes en I960), formaient un contingent qui dépassait
incontestablement les possibilités pastorales locales, et leur présence ainsi que celle de leurs
propriétaires provoquaient régulièrement des délits de pacage, des dégâts considérables
aux cultures et des conflits sociaux dus, entre autres, à la promiscuité d'éléments de
mœurs et de coutumes différentes (A. Abbassy, 1969, p. 105). Depuis l'Indépendance, la
transhumance des Marmoucha chez les Aït Youssi d'Amekla s'est déroulée dans des
conditions de plus en plus difficiles avant de cesser définitivement vers 1970.

La société rurale en question


Bien que le pays Amekla n'ait pas été marqué, après sa soumission, par la colonisation
agricole (une seule ferme y fut créée), il n'en demeurait pas moins que l'occupation mili-
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taire et la mise en place de nouvelles institutions administratives et juridiques avaient


contribué à l'affaissement des structures sociales et spatiales précoloniales. Les inégalités
foncières, aggravées par la famine de 1945-46 (J. Nouvel, 1949, pp. 87-90), les multiples
redevances en nature et en argent (prélèvements, impôts, amendes, etc.) auxquels les
paysans étaient régulièrement soumis entraînèrent la paupérisation d'une grande part de la
population : au lendemain de l'Indépendance, 55 % des chefs de ménage étaient sans terre3.
Dans le nouveau contexte socio-politique, les mécanismes d'appropriation privée des
terres connurent un rythme accéléré, favorisés en cela par le changement rapide dans
l'utilisation de l'espace en ce sens que le passage d'un système pastoral prédominant à un
nouveau système de type agro-pastoral s'était effectué de manière brutale. Ce passage a
été accompagné d'une rupture définitive des anciennes complémentarités liées à
l'exploitation différenciée des milieux physiques.
C'est également sous le Protectorat, et en rapport avec la domanialisation de la forêt,
qu'eut lieu, paradoxalement, l'accélération des défrichements et de l'appropriation
privative des terres. En effet, les populations, menacées de perdre une composante essentielle
de leur espace économique, à savoir le parcours en forêt, s'étaient efforcées d'agrandir
leurs parcelles privées au dépens de la forêt et des parcours collectifs. Aussi de vastes
friches de versant constituant le prolongement des terres basses cultivées sont-elles
devenues soit des terres cultivées soit des parcours d'usage privé.
En définitive, les différentes entraves à l'élevage transhumant ont entraîné le recul de
ce mode d'exploitation ; la reconversion des pasteurs en agriculteurs-éleveurs s'est
produite dans un contexte de déséquilibre total des structures économiques que traduisaient
des clivages sociaux flagrants caractérisés par :
- Une grande inégalité foncière entre les fractions : en 1960, les habitants de quatre
douars (Ait Zaïkoum, Aït Moussa, Ait Issa, Ait Chaïb) constituent 39,7 % de l'ensemble
des propriétaires mais détiennent 80,2 % des terres cultivées du finage, avec une
propriété moyenne de 4,7 ha par foyer ; tandis que les propriétaires des autres douars
(60,3 %) possèdent à peine 19,8 % de l'ensemble des terres, soit 0,76 ha par foyer
(tableau 1). Les raisons de cette inégalité sont liées, d'une part, au contexte historique dans
lequel se sont effectués le peuplement et l'appropriation de l'espace avant le Protectorat
et, d'autre part, aux remodelages intervenus sous l'occupation française.
— Une inégalité foncière au sein de la même fraction : 55 % des foyers seraient sans terre
en 1960. A l'inverse on relève une forte concentration de la propriété entre les mains
d'une minorité de possédants constituée essentiellement des personnages influents de
chaque fraction (caïd, chioukhs, notables) mais aussi d'un embryon d'une bourgeoisie
foncière citadine qui a introduit progressivement capital et salariat. Cette inégalité des
structures foncières est accentuée par la grande vulnérabilité du petit paysan qui, à peine

3. Pourcentage obtenu à partir du recoupement des données du Service des Impôts Ruraux et du Recensement Général
de la Population de 1960. Ces statistiques furent, toutefois, établies sur des bases difficilement comparables (nombre de
foyers soumis à l'impôt soustrait du nombre total des ménages recensés). Ce pourcentage devra donc être pris avec
précaution.
L'EVOLUTION DES STRUCTURES SOCIO-SPATIALES DU MOYEN-ATLAS CENTRAL...

Fractions sup. cultivées (ha) nombre de foyers sup. moy./ foyer


AïlZaikoum 224,2 50 4,5
Alt Moussa 133,0 18 7,4
AtYchou 8,1 25 0,3
Aït Khlifa 11,4 19 0,6
lâarrassen Illustration46,3non autorisée à la diffusion
43 1,1
AftChaïb 99,3 16 6,2
Ait Issa 441,0 108 4,1
Ibouâ 21,0 68 0,3
AïtArfa 135,1 136 1,0
Total 1 119,4 483 2,3
Tableau n°1 : Répartition par fraction des superficies cultivées à Amekla en 1960
Source : Impôts Ruraux, Sefrou

sorti du statut communautaire, perd ses moyens de production (troupeau, terre,


attelage. . .) et se prolétarise. Il semble en effet que les semi-nomades nouvellement
sédentarisés n'ont pas pour la terre l'attachement du paysan4.
- Un recul de l'élevage : le nombre d'ovins et de caprins, estimé à plus de 30 000 têtes en
1938, ne dépassait guère 12 000 en 1960. Cette situation est doublée d'une répartition
très inégale du cheptel entre les propriétaires (60 % d'éleveurs possèdent 24 % du cheptel
ovin, tandis que 10 % seulement des propriétaires en détiennent 38,6 %), et d'un taux
très élevé des sans cheptel (68,6 % en I960).
L'accroissement démographique fut relativement modéré (la population de 1 758
habitants en 1936 atteint 2 904 en I960, soit un taux d'accroissement global de 65,2 %)
mais suffisamment rapide pour accentuer l'ensemble des déséquilibres observés au
niveau du rapport hommes / ressources du milieu. Certes, l'exode rural et l'enrôlement
dans l'armée ont largement contribué à l'allégement du poids démographique du pays
Amekla, mais la condition économique et sociale de la majorité des agriculteurs-éleveurs
encore en place ne s'est pas pour autant améliorée. Les mutations récentes de la société
d'Amekla sont ainsi caractérisées par un processus de prolétarisation d'une masse de
petits paysans qui maintiennent une fiction de propriété.
Face à ce processus, les populations ont tenté de mettre en œuvre des stratégies
d'adaptation : les foyers ruraux, par le biais de leurs actifs occupés, ont cherché à diversifier leurs
revenus en exerçant une pluriactivité dans l'exploitation ou à l'extérieur, et l'on est frappé
aujourd'hui par l'extrême hétérogénéité des situations de pluriactivité et l'importance des
activités non agricoles dans les revenus des foyers ruraux.

4. Ils seraient « des propriétaires au double titre de conquérants et de propriétaires à titre individuel. Pour eux, la propriété
de la terre est une sorte de droit de jouissance sur une surface aux limites imprécises, grevé d'innombrables servitudes
de passage, de pacage, d'assolement et d'une tolérance quasi générale vis-à-vis des frères de douar. La vente de ce droit
"incertain" représente une contrepartie monétaire à laquelle ces pasteurs semi-nomades ne savent pas résister ». (J. Da-
bancens, 1955, p. 113)
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II. Les mutations récentes : diversification des activités


et nouvelle société rurale
Extension des terres cultivées et accentuation des inégalités foncières

Au cours des deux dernières décennies, l'évolution de l'espace et de la société rurale fut
marquée par de nouveaux changements. Il y a eu tout d'abord le partage de plusieurs lots
de terrains collectifs. Les terres arables de Takeltount sont réattribuées, dès 1979, à leurs
anciens propriétaires qui les partagent aussitôt. Quant aux terrains collectifs de Sidi
Khiar, situés au nord du finage, leur appropriation en lots individuels remonte au milieu
des années 60. Aux propriétés issues de ces partages, il faut ensuite ajouter un certain
nombre d'exploitations constituées par défrichement et épierrage de parcelles souvent au
dépens de la forêt ou des petits pacages collectifs. On assiste ainsi à une extension des
terres cultivées dont la superficie évolue de 1 120 ha en I960 à 3 086 ha en 1988.

Cette extension cache des différences sensibles aussi bien entre les fractions qu'entre les
catégories de propriétaires (tableau 2). Elles sont dues soit aux conditions
topographiques et pédologiques différenciées du finage, soit à l'évolution historique spécifique
de chaque fraction. En effet certaines fractions (Iâarrassen, Ait Arfa, Ibouâ) continuent
de privilégier l'élevage en raison de la rareté de leurs terres cultivables, tandis que d'autres
(Ait Issa, Ait Zaïkoum, Ait Moussa notamment) possèdent des terres riches et mieux
dotées en eau d'irrigation.

Fractions Nbre d'habitants Superficies eu Itivées(enha) Total


1988 Terres irriguées Terres tour Superficies %
(en see)
Aït Zaïkoum 466 53,2 575,4 628,6 20,4
Ait Moussa 291 57,8 270,6 328,4 103
AftYohou 344 14,4 155,4 169,8 5,5
Illustration non autorisée à la diffusion
Aït Khlifa 182 21,9 164,1 186,0 6,0
Ail Issa 951 133,2 384Д 518Д) 16,8
Iâarrassen 306 16,0 234,0 250,0 8,1
A» Aria 809 30,2 485,1 515,3 16,7
Ibouâ 944 323 279,0 3113 10,1
AïtCha'rt) 309 93 1693 178,9 53
TOTAL 4599 368,3 2718 30863 100

Tableau n° 2 : Répartition des superficies cultivées selon les fractions (exploitations traditionnelles)
Sources : Impôts Ruraux (1983) + RGPH 1982 + enquêtes (1988)

Mais le phénomène le plus important réside dans le bouleversement des structures


foncières, marquées par le recul très net de la catégorie des paysans sans terre (55 % en I960,
17,5 % seulement en 1988), une augmentation en proportion et en valeur absolue des
petits et moyens propriétaires (1 à 10 ha) alors que leur part en terre a relativement diminué,
la diminution de la part de la grande propriété aux mains des autochtones (25 à 40 ha) et
l'apparition d'une nouvelle catégorie dépassant 40 ha, initiée par la bourgeoisie citadine.
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES SOCIO-SPATIALES DU MOYEN-ATLAS CENTRAL...

La diminution de la proportion des « sans terre » est directement liée à l'accès à la


propriété d'un certain nombre d'ayants-droit à la suite du partage des terres collectives et,
secondairement, à des opérations de défrichement suivies d'une appropriation privative,
comme nous l'avons déjà souligné, au dépens des forêts ou de collectifs non partagés.
L'importance accrue de la catégorie des petits et moyens propriétaires ainsi que le recul
de la grande propriété traditionnelle sont dus à la loi de l'héritage et aux multiples
partages successoraux, et dans le cas particulier de la grande propriété traditionnelle, à un
émiettement par voie de cession, après sa transmission à une nouvelle génération
d'héritiers peu portés sur l'activité agricole et généralement absentéistes.
Ainsi, malgré le partage des terres collectives, l'extension des défrichements et la
récupération en 1973 de la ferme coloniale, puis sa distribution dans le cadre de la Réforme
Agraire à 9 familles du fïnage, la répartition de la propriété foncière demeure très inégale.
Cette inégalité est doublée d'une emprise foncière citadine sur les meilleures terres.

Propriété citadine et émergence d'une exploitation agricole capitaliste


Le plateau d'Amekla semble avoir présenté peu d'intérêt pour la colonisation agricole.
C'est surtout à partir des années 1 970 que le processus d'acquisition des terres par des
citadins (Fès, Sefrou, Rabat) s'est amplifié à la suite du morcellement des collectifs, chaque
paysan étant libéré des contraintes collectives qui pesaient sur lui. Ainsi, plus de 50
familles ont cédé, en peu de temps, une partie ou la totalité de leurs terres à des étrangers
au fînage, soit au total près de 400 ha. Plusieurs d'entre elles ont émigré.
L'implantation du capitalisme agraire dans le fînage d'Amekla (9 propriétaires en
1995, possédant près de 450 ha) a eu un impact majeur sur le type d'aménagement
(épierrage, creusement de puits, équipement en moto-pompes), les techniques
d'exploitation et les systèmes de culture (labour au tracteur, irrigation par pompage, traitements
phytosanitaires, luttes anti-gel et anti-grêle, usage d'une comptabilité de l'exploitation,
recours à une main-d'œuvre permanente etc.). La récolte mobilise en moyenne 150 à
200 ouvriers occasionnels durant chaque campagne agricole. La production des rosacées
(pommier, poirier, cerisier essentiellement) est commercialisée à l'échelle nationale.
Sur le plan de la morphologie agraire, le paysage rural s'est nettement métamorphosé :
l'arboriculture, inconnue dans le finage jusqu'aux années 1940, est devenue une
composante essentielle et l'élément le plus marquant du paysage. Caractérisées par une
organisation géométrique de l'espace et menées selon les normes techniques les plus avancées,
les plantations fruitières sont aujourd'hui l'expression de la réussite économique de
l'agriculture moderne à Amekla. Elles tendent, à partir du centre du finage, à atteindre
l'ensemble des cuvettes et dépressions karstiques offrant des conditions propices à leur
extension. Le nombre d'arbres plantés est passé de quelques milliers en I960 à plus de
500 000 aujourd'hui ! Mais l'évolution la plus spectaculaire est celle que connaît la
cuvette de Takeltount dont les terres ont été récemment melkisées (appropriées privative-
ment) : on y constate une frénésie de plantation précédée de vastes opérations
d'épierrage, de creusement de puits et de construction de maisons d'habitation sur Гех-
LAHSEN JENNAN

ploitation-même. Mais une partie des terres est déjà cédée aux citadins dont les procédés
d'aménagement et de mise en valeur sont identiques à ceux déjà pratiqués dans la cuvette
voisine (Aguelmam).
Le processus de prolétarisation déjà décrit continue donc ; les paysans dépossédés
défrichent les flancs de la montagne, mais loin de compenser les superficies cédées, une
érosion rapide des versants s'ensuit et la terre, ravinée, devient inculte après quelques années
seulement.

Les nouvelles stratégies d'adaptation : retour à l'élevage et développement


des activités non agricoles

Le pastoralisme a été l'activité principale des Ait Youssi d'Amekla, mais les péripéties
de la période coloniale ont entraîné sa destruction. Or, depuis le début des années 1970,
on constate un regain de l'activité d'élevage. Ainsi, de I960 à 1988, le nombre d'ovins et
de caprins a augmenté de 242 %, passant de 1 1 400 à 39 000 têtes. Cette augmentation
en nombre est accompagnée d'une amélioration en qualité du cheptel : apport d'appoint
en fourrages et de soins plus intensifs. Les éleveurs ne quittent plus le finage et changent
rarement de lieu d'établissement à l'intérieur de celui-ci. La supplementation pratiquée
lors des périodes de crise ou pour engraisser une partie du cheptel destinée au marché
engendre la pratique des troupeaux spécialisés, séparés et traités différemment selon leur
état physiologique ou leur fonctionnalité dans le troupeau. Elle entraîne du même coup
le recours au crédit pour financer l'achat des aliments, lesquels ne sont pas produits sur
place.

Mais cette intensification de l'élevage, si elle peut constituer une réponse à la


croissance des besoins de la population, n'en demeure pas moins sélective en ce sens qu'elle
est devenue plus onéreuse et, par conséquent, à la portée des paysans les moins démunis.
Aussi l'intensification de l'élevage, en imposant aux habitants un seuil minimum de
richesse, introduit-elle une différenciation sensible au sein de la structure de propriété du
cheptel : plus de 36 % des foyers sont sans cheptel tandis qu'une faible minorité détient
de grands troupeaux. Cette inégalité est masquée par le développement des associations
d'élevage entre les propriétaires citadins et les habitants du finage.
En somme, le parcours d'Amekla a changé de vocation : il supporte désormais, dans
des proportions fort compétitives, l'élevage et l'agriculture. La diversification des
activités étant devenue une nécessité de survie, il est aussi le support d'activités non agricoles
variées. Il évolue de ce fait même vers une situation complexe où l'agriculture et l'élevage
n'occupent pas toujours ni forcément la première place. En effet, plus de la moitié des
habitants vivent aujourd'hui partiellement ou totalement d'activités non agricoles. Une
enquête récente (F. Aoujdad, 1995) menée dans trois fractions du finage (Ait Issa, Ait
Moussa, Ait Chaïb) a montré que 44 % des chefs de ménage avaient une activité
principale non agricole, que la pluriactivité s'exerçait dans 92 % des foyers ruraux et que le
nombre moyen d'actifs occupés par foyer était de 2,4 (tableau 3).
L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES SOCIO-SPATIALES DU MOYEN-ATLAS CENTRAL...

Activité principale Chefs de ménage Autres actifs occupés


Nombre % Nombre %
Agriculture 89 57,5 108 82,7
Commerce 5 ЗД 10 4,0
Bâtiment 2 non autorisée1,3à la diffusion 4
Illustration 1,3
Salariat 40 25,8 61 29,8
Transport et services 7 4,5 17 8,3
Artisanat et métiers 2 1,3 3 1,5
Autres 5 3,2 2 0,9
Retraite (inactifs) 5 3,2
Total 155 100 205 100
Tableau n° 3 : Les activités agricoles et non agricoles à Amekla
Source : F. Aoujdad, 1995

A ceci, il faut ajouter les activités exercées en dehors du fînage dans le cadre de
l'émigration volontaire, la fonction publique ou l'enrôlement dans l'armée, et dont une partie
des revenus est versée dans les foyers d'origine (tableau 4).

Type d'activité nombre d'actifs %


Militaire 139 64,7
Enseignement 15 7,0 Tableau n° 4 :
Emigration internationale 13 6,0 L'origine des apports extérieurs
Activités diverses (exode rural) 48 22,3 au finage (ensemble des ménages
ďAmekla)
TOTAL 215 100 Source : Enquêtes, 1988

Si l'origine des apports extérieurs est bien connue, il est par contre très difficile de
déterminer avec précision leur part dans les revenus globaux des foyers ruraux, pour des
raisons inhérentes à la fois à la difficulté de quantifier les revenus agricoles et non agricoles
réalisés sur l'exploitation, à la diversité de la nature des ressources extérieures et à la
complexité des canaux par lesquels ces revenus parviennent aux familles (L. Jennan, 1991,
1992). Toujours est-il que ces apports extérieurs ainsi que le recours aux activités non
agricoles exercées à l'intérieur du finage doivent être perçus comme des stratégies
familiales de survie, de maintien de la force de travail et de reproduction sociale de la famille.
Ils constituent des procédés de soutien et d'assistance sans lesquels le maintien sur place
des populations rurales devient difficile, voire impossible. D'ailleurs, l'accroissement
démographique constamment tempéré par l'exode rural est un indicateur très significatif
de cet état de choses : de 1 960 à 1 993 la population d'Amekla a connu une évolution
relativement faible puisque le taux d'accroissement moyen annuel n'a pas dépassé 1,8 % ;
en une décennie (1982-1993) l'exode rural a affecté 97 familles du finage, ce qui se
traduit très nettement par une régression des taux d'accroissement (tableau 5).
LAHSEN JENNAN

Année de recensement Nombre Accroissement


d'habitants moyen annuel
1936 1758 -
1960 Illustration non 2904
autorisée à la diffusion 2,6% Tableau n° 5 :
1971 3858 2,8% Evolution de la population d'Amekla
1982 4602 de 1936 à 1993
1,6% Source : Recensements généraux de la
1993 4650 0,08% population + estimation en 1993

A l'inverse de ces départs le pays d'Amekla a vu s'installer une cinquantaine de


familles venues d'autres secteurs du Moyen-Atlas central (notamment du piémont de
Sefrou) pour travailler dans les plantations modernes comme commis ou ouvriers
permanents.

Conclusion

L'emprise foncière citadine dans le pays Amekla est telle que les structures locales
préexistantes sont ébranlées (évolution ou abandon de l'activité pastorale, mutations
socioprofessionnelles, émigration...). Le processus d'évolution de ce type d'espace s'insère en
effet dans la logique du capitalisme agraire dont l'essor est fonction de la destruction des
équilibres locaux. Dans cet espace à dynamisme externe (capitaux investis, systèmes de
culture pratiqués, destination des produits sans lien avec l'environnement local), les
conditions de paupérisation des populations autochtones et de l'exode rural, comme
corollaire, sont réunies.
Cette tendance est cependant atténuée par les nombreuses formes d'adaptation
auxquelles les habitants ont recours. L'exploitation est le plus souvent le support de plusieurs
activités non agricoles et le point de chute de revenus extérieurs au finage. Les difficultés
d'insertion des migrants en milieu urbain, en raison de la fragilité de la base économique
de la majorité des villes et des incertitudes du marché urbain de l'emploi, impliquent de
plus en plus une diversification sur place des activités agricoles et non agricoles, le
développement des infrastructures de base et des équipements administratifs et
socio-éducatifs en milieu rural y aidant.

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