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Revue de l'Occident musulman et

de la Méditerranée

Le Haut-Atlas occidental quarante ans après.


Ahmed Bellaoui

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Bellaoui Ahmed. Le Haut-Atlas occidental quarante ans après.. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°41-
42, 1986. Désert et montagne au Maghreb. pp. 216-233;

doi : https://doi.org/10.3406/remmm.1986.2120

https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1986_num_41_1_2120

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Ahmed Bellaoui

LE HAUT ATLAS OCCIDENTAL


QUARANTE ANS APRÈS

Près d'un demi-siècle s'est écoulé depuis la parution de la thèse magistrale du


professeur Jean Dresch sur « L'évolution du relief dans le massif ancien du Grand
Atlas, le Haouz et le Sous» complétée par un important travail de cartographie
sur «les genres de vie de montagne dans le massif central du Grand Atlas». Comme
la plupart des autres régions du pays, le Haut-Atlas Occidental a connu, depuis,
une évolution qu'une simple randonnée dans l'une ou l'autre de ses magnifiques
vallées permet de constater. Très variée dans ses facettes, cette évolution tend,
dans son ensemble, bien que très lentement, vers l'intégration de cet espace atla-
sique à l'économie des échanges. Or, qui dit intégration dit par voie de conséquence,
ouverture, participation à la vie de relation mais aussi influence. Dans quelle mesure
le Haut- Atlas occidental, sans perdre de son authenticité, a-t-il réussi son
intégration à l'économie du marché de type urbain? Quelles ont été les retombées de cette
intégration à la fois sur la société et l'économie haut-atlasiques?

PRÉSENTATION DU HAUT-ATLAS OCCIDENTAL

Le Haut-Atlas occidental constitue la partie la plus élevée de la chaîne du Haut-


Atlas. Partout les sommets atteignent et le plus souvent dépassent 3 000 mètres
d'altitude. Le Toubkal et l'Ouankxim culminent respectivement à 4 167 mètres
et 4 088 mètres. Il atteint le maximum d'altitude entre le Nfîss et l'Ourika, c'est-
à-dire dans sa partie centrale.

ROMM 41-42, 1986


Haut-Atlas, quarante ans après / 217

De par cette importante altitude, les dénivellations sont partout fortes, les
vallées profondes et encaissées et les versants généralement raides. Cependant «la
chaîne a des formes lourdes, de longues croupes, des têtes de vallées évasées, de
vastes plateaux» (1941 a). Autrement dit, une montagne où les sommets se
dégagent mal de la ligne des crêtes et qui se caractérise par une apparente
subhorizontalité, laquelle se trouve renforcée par le fait que le Haut-Atlas se distingue ici
par l'existence, par dessus la plaine du Haouz et sous forme de blocs étages, de
trois zones longitudinales. Ce sont :
1. La zone subatlasique. Elle se situe entre 900 et 1 500 mètres environ et sert
de contact avec la plaine. Elle forme la zone de piémont ou de dir qui a la
caractéristique d'offrir un certain nombre d'avantages tant climatiques qu'économiques
qui en font un espace privilégié, favorable à l'homme.
2. La zone de la moyenne montagne. Ayant une altitude qui varie entre 1 500
et 2 500 mètres environ, celle-ci est formée par une série de hauts plateaux
subhorizontaux entaillés de vallées profondes et qui dominent la précédente zone par
un important escarpement quasi continu d'ouest en est.
3. La zone de la haute montagne. Elle se caractérise par l'existence de reliefs
hardis dont l'altitude est partout supérieure à 2 500 mètres, flanqués de hautes
vallées évasées qui donnent lieu, par endroits, à de larges dépressions intra-
montagnardes suspendues à plus de 2 000 mètres d'altitude. Ajoutée à la
prédominance des roches éruptives anciennes, la hardiesse des reliefs fait de cette partie
une zone aux faibles potentialités économiques comparativement aux deux
précédentes. Cette disposition en trois blocs étages se retrouve, par ailleurs, au niveau
du climat et de la végétation.
L'analyse de la hauteur moyenne des précipitations des stations de Marrakech,
Ait Ourir, Tahnaout, Agaïouar1 permet de faire les remarques suivantes :
— l'existence de plusieurs lignes de pluviosité croissante de la base au sommet;
— la nette opposition entre les massifs relativement bien arrosés et les
dépressions et vallées transversales qui constituent de véritables golfes d'aridité à
l'intérieur même de la montagne;
— la prédominance générale de la sécheresse : le Haut-Atlas appartient par sa
base aux domaines aride et semi-aride et par ses sommets au domaine subhumide.
La végétation suit à son tour ce même étagement comme il se dégage du tableau
suivant :

Altitude Étage Végétation


(en mètres) correspondante
moins de 500 aride jujubier
500-1 200 semi-aride thuya
1 200-1 900 subhumide chêne vert
1 900-2 500 semi-aride froid genévrier thurifère
2 500-3 500 aride froid plantes à coussinets épineux
plus de 3 500 montagnard plantes vivaces en rosette

Cette brève présentation de l'espace haut-atlasique permet de mettre l'accent


sur l'inégale valeur économique des sous-espaces qui forment le cadre naturel de
vie des populations locales. Cette inégale valeur nous amène à distinguer les sous-
espaces suivants : le sous-espace des vallées; celui de la moyenne et de la haute
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montagne; celui du dir enfin. Ces sous-espaces franchement complémentaires


constituent autant de terroirs que les tribus en place essaient de s'approprier d'abord,
de mettre en valeur ensuite. Les plus convoités sont dans l'ordre : celui des
vallées principales; celui de la moyenne montagne; celui du dir et enfin celui de la
haute montagne. Le fînage idéal est, sans doute, celui qui s'étend sur l'ensemble
de ces trois terroirs, mettant ainsi à la disposition d'une seule et même tribu
terroir irrigué, terroir bour et terroir de parcours. La valeur de ces terroirs est d'autant
plus grande que les terres arables sont rares, que l'eau se raréfie de l'amont vers
l'aval, que l'économie du Dern associe cultures-plantations-élevage et que la
montagne a connu, pendant les dernières décennies, d'importantes mutations à la fois
sociales et économiques.
Dans sa présentation des genres de vie de montagne, le professeur J. Dresch
a mis l'accent sur les points suivants : la densité de la population; la carte
agricole; la carte des déplacements des troupeaux et la carte des échanges.
Reprendre point par point le plan énoncé ci-dessus faciliterait sans aucun doute
la comparaison entre le Grand Atlas d'aujourd'hui et celui d'il y a quarante ans.
Cependant, l'inégale évolution des différents secteurs sur lesquels a porté le
travail du maître géographe nous a amené à les regrouper en deux paragraphes qui
traiteront, le premier des évolutions économiques, le second, des évolutions
sociales, sans perdre de vue les interdépendances qui existent entre les deux évolutions.

L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE DU HAUT-ATLAS OCCIDENTAL :


UN CONSTAT PLUTÔT NÉGATIF

Traiter de l'évolution de l'économie du Haut-Atlas occidental n'est pas chose


facile surtout quand on sait que le rythme d'évolution dans les zones
montagneuses, comme celle de l'Atlas, est l'un des plus bas comparativement aux régions
des plaines. Par ailleurs, traiter d'économie dans un espace où la distinction entre
l'économique et le non économique est encore peu net, ne peut se faire que sous
forme de constats ou de tendances. Car, pour qu'elle prétende à une quelconque
fiabilité, une étude économique doit s'appuyer sur des chiffres. Or, dans une société
où le nombre n'a pas encore sa place, on ne saurait trop insister sur l'insuffisance
voire l'inexistence de données chiffrées. Cette difficulté a été sans aucun doute
ressentie par le professeur J. Dresch qui s'est contenté, sauf en de rares
exceptions, de décrire. Les principaux volets de cette approche économique seront les
suivants : l'agriculture, l'artisanat, le commerce et le tourisme2.

L'agriculture et l'artisanat : deux secteurs qui se maintiennent


mais dont l'attrait recule
• L'agriculture : à la recherche d'un système de culture adéquat
Après avoir brossé un tableau d'ensemble sur les surfaces cultivées et les modes
d'irrigation et distingué bled bour et bled irrigué, Jean Dresch distingue cultures
d'été et cultures d'hiver. Le maïs, certains légumes, tels oignons et courges auxquels
s'est ajoutée récemment la pomme de terre, forment les cultures d'été. Les cultures
d'hiver sont l'orge, le blé, le seigle, les fèves, les navets et les carottes. A ces cultures
annuelles s'ajoute la culture des arbres fruitiers dont l'olivier, l'amandier et le noyer.
Haut-Atlas, quarante ans après / 219

Au total, un système de culture équilibré et incontestablement tourné vers


l'autosuffisance.
Qu'en est-il du système de culture actuellement en vigueur dans le Haut-Atlas
occidental?
L'impression qui se dégage de l'étude du système de culture actuel peut être
résumé en une phrase : de nouvelles cultures sont introduites mais les cultures
dominantes demeurent les céréales, les légumes et l'arboriculture traditionnels.
A l'appui de ce constat, les chiffres suivants : dans la zone d'action du CT d'imi-
n-Tanoute, la céréaliculture occupe en année normale 41 747 hectares pour une
S.A.U. de 43 479 hectares, soit 96,01 % du total contre 555 hectares pour les
cultures fourragères, 118 hectares pour le maréchage et 40 seulement pour les
légumineuses. Dans la zone d'action du CT d'Amizmiz, les chiffres correspondants
sont 79 % pour la céréaliculture et 1,30 % seulement pour le maréchage. C'est
dire combien est encore grande la place réservée à la céréaliculture, orge et blé
dur surtout, dans l'actuel système de culture du Haut-Atlas. Le blé tendre, céréale
nouvelle, ne représente encore qu'un faible pourcentage.
La même conclusion pourrait être donnée à propos de l'évolution des cultures
maraîchères et de la culture des arbres fruitiers. En dehors de la tomate, de l'ail
et de la pomme de terre que l'on pourrait considérer comme légumes nouveaux,
les cultures maraîchères sont encore largement dominées par les navets et les carottes
déjà signalés par J. Dresch. Dans le domaine de l'arboriculture, l'évolution ne semble
pas avoir été plus radicale. Celle-ci demeure, en effet, encore nettement dominée
par l'olivier et l'amandier qui en forment à eux seuls les 4/5 (Bellaoui, 1982). Parmi
les arbres qui forment le 1/5 restant, le pommier, le prunier, le cerisier et le
poirier ont été récemment introduits. Bien que ne disposant pas de chiffres précis
à leur sujet, il est à signaler leur importance en particulier dans les vallées de l'Ourika,
Asni, Rherhaïa, Azzaden et Nfiss3.
Pour résumer, nous dirons que, bien qu'encore largement dominé par la
céréaliculture, les légumes et les arbres traditionnels, le système de culture du Haut-Atlas
intègre, bien que timidement et de façon sporadique, d'autres cultures à la tête
desquelles viennent la pomme de terre et la tomate comme cultures maraîchères
et le pommier et le prunier comme cultures arbustives.
L'introduction de ces nouvelles cultures s'expliquerait, sans aucun doute, par
l'effet de démonstration qu'ont joué les anciens colons installés dans les vallées
citées ci-dessus (Lafuente, 1968). Leur réussite a suscité un mouvement
d'imitation qui a d'abord touché les notables (anciens chioukhs et héritiers des grands
caïds) avant de faire tache d'huile et descendre plus bas dans la hiérarchie sociale
de la région. Ont contribué à cette extension les services de l'Agriculture et de
la Réforme Agraire qui opèrent un intense travail de vulgarisation auprès des
agriculteurs, mais aussi, et ce depuis les années 70 seulement, les travailleurs émigrés4.
Il est bien évident que la proximité du marché urbain de Marrakech constitue aussi
un facteur non négligeable, la totalité de la production de ces nouvelles cultures
y étant écoulée.
Ajoutons à cela le fait que les agriculteurs eux-mêmes, de par leur ouverture
sur le monde extérieur, prennent de plus en plus conscience de la nécessité
d'introduire de nouvelles cultures en vue de rentabiliser l'exiguité de leurs terres. Ceci
est d'autant plus facile que le monde rural dispose, aujourd'hui, d'un réseau de
moyens de communication dont la densité augmente jour après jour : de nouvelles
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pistes sont ouvertes dans le cadre de la promotion nationale; le nombre de camions


en circulation augmente, aidé en cela par les travailleurs émigrés qui investissent
une partie de leurs économies dans Tachât de camions ou de camionnettes.
Ainsi donc le système de culture haut-atlasique gagne en diversité et tend de
plus en plus vers une plus grande monétarisation. L'auto-consommation recule
au profit de la commercialisation : il est des produits qui sont presque
entièrement destinés à la commercialisation. C'est ainsi, par exemple, que plus de la moitié
de la production maraîchère est destinée à la commercialisation dans la zone d'action
du CT de Touama, que 80 % de la production d'huile et 60 % de la récolte
d'amandes sont destinés à la vente dans le cercle d'Imi-n-tanoute (Bellaoui, 1982, p. 8).
Cependant, bien qu'irréversible, ce phénomène d'intégration à l'économie du
marché ne touche encore aujourd'hui qu'un petit nombre d'agriculteurs et
semble encore être l'apanage des seules régions autrefois ouvertes à la colonisation
européenne. Ailleurs l'ancien système de culture continue, plus par manque de
moyens que par simple résistance à la nouveauté.

• L'artisanat : un secteur qui agonise


Dans la quatrième partie réservée aux échanges, le professeur J. Dresch n'a pas
distingué productions industrielles et productions artisanales. Ont été étudiés, tour
à tour, le travail de la laine, celui du fer et du bois pour la production du matériel
agricole, l'exploitation des mines, œuvre des Européens, l'extraction du sel, la poterie
et enfin l'exploitation des ressources forestières de la montagne. Faut-il y voir qu'à
l'époque, la distinction entre industrie et artisanat n'était pas encore suffisamment
ressentie en raison notamment de la rudimentarité des techniques utilisées?
Cette distinction étant passée sous silence, se justifie l'omission d'une autre
distinction non moins importante qui consiste à différencier artisanat de production
et artisanat de service. Car un artisan qui produit pour vendre n'est sans doute
pas assimilable à un artisan qui se fait payer ses services. Le potier, le producteur
de sel, le fabricant de charbon ou de nattes, par exemple, produisent pour vendre.
Le menuisier, le cordonnier, le maréchal-ferrant, le bâtier, le forgeron et le maçon
se font payer leurs services. Cette distinction est d'autant plus importante à faire
que s'il existe des douars entiers de potiers, de producteurs de sel ou de nattiers,
il est rare de trouver des villages entiers de menuisiers ou de maçons-
Plus intéressante encore est la relation entre métier d'artisan et propriété de la
terre. En effet, la plupart des artisans sont rarement propriétaires. Ils sont assez
souvent, d'ailleurs, des «étrangers ou des noirs». Cette dissociation entre
artisanat et propriété de la terre met en infériorité l'artisan et place, par voie de
conséquence, l'artisanat au second rang après l'agriculture et l'élevage. Elle
expliquerait, peut-être, le fait que, jusqu'à un passé très proche, l'artisanat était réservé
presqu'exclusivement aux noirs et aux juifs «qui ne sont ni pasteurs, ni surtout
agriculteurs» (J. Dresch).
Cette infériorité par rapport à l'agriculture fait que l'artisanat n'est pratiqué que
pour procurer des ressources d'appoint, donc en complément avec l'agriculture,'
et que rares sont les gens qui en sont 'attirés (Bellaoui, 1982, pp. 132-153).
A ces considérations plutôt historico-sociales, s'ajoute le fait que l'artisanat rural
a beaucoup souffert de la concurrence que lui livre farouchement l'industrie. Cette
concurrence quasi générale est particulièrement sensible au niveau du travail de
la laine, du bois et de la terre (entendez poterie). En effet, si, dans le cadre d'une
Haut-Atlas, quarante ans après / 221

économie d'autosuffisance, chaque famille filait et tissait sa laine pour se pourvoir


en habits (djellaba, khidous...), en couvertures (haïks) et en tapis pour les plus aisées,
l'ouverture sur la ville contribue aujourd'hui à inonder la campagne en habits et
couvertures de toutes sortes et à des prix compétitifs. Aux habits et couvertures
combien chauds de laine se substituent ceux en nylon et autre textile synthétique,
légers, beaux à porter, mais combien chauds en été et froids en hiver. Les femmes
ne se voient plus obligées de savoir carder et filer la laine et les métiers à tisser
se font rares. Le souk hebdomadaire ou la petite ville voisine voient le nombre
de marchands de tissus augmenter à un rythme toujours croissant (Bellaoui, 1982).
Par ailleurs, toujours dans le cadre d'une économie plus ou moins fermée,
chaque fraction de tribu faisait appel aux services du menuisier domicilié au douar
tel et bien connu de tous, pour fabriquer ou réparer l'araire avant le
commencement des labours, le manche d'une hache ou d'une serpe ou à l'occasion d'une
nouvelle construction une porte et une ou deux fenêtres5. Chaque famille, enfin,
s'approvisionnait en gargoulettes, pots et autres ustensiles de cuisine auprès du
potier du coin, le plus souvent, lui aussi bien connu de tous. Ces achats ont le
plus souvent lieu au douar même et sont l'affaire des femmes.
Aujourd'hui le nombre de menuisiers et de potiers a beaucoup diminué. Les
portes et fenêtres sont achetées à Marrakech ou dans les petites villes du dir,
surtout à Imi-n-tanoute et à Amizmiz; les ustensiles de cuisine en aluminium, en faïence
ou surtout en plastique sont achetés au souk hebdomadaire. Partout la gamelle
remplace le tajine et de plus en plus la géricane ou le simple bidon tend à se
substituer à la gargoulette. .
Face à une industrie conquérante qui le coupe des marchés extra-régionaux et
lui ravit jusqu'à sa clientèle locale, l'artisanat recule. A l'exception de quelques
rares douars de potiers ou de forgerons, le nombre des artisans dans le Grand Atlas
occidental est insignifiant, il est vraisemblablement inférieur à celui des
commerçants6.
N'est-ce pas là une preuve que l'artisanat n'exerce plus aucun attrait sur les
nouvelles générations du Grand Atlas?7
Ce recul s'expliquerait aussi par la rusticité des productions artisanales : le potier
et le menuisier du Haut-Atlas, pour ne parler que d'eux, continuent à travailler dans
les mêmes conditions que leurs homologues d'il y a des siècles; mêmes
techniques, mêmes outils, mêmes gestes, mêmes motifs et bien entendu mêmes
productions. A l'opposé, le goût de la clientèle a changé sous l'influence du modèle urbain.
Il ne reste plus à l'artisan qu'à se reconvertir ou à changer de métier. Or toute
reconversion suppose des moyens que le petit artisan rural n'a pas. Et il se prolétarise.
En conclusion, disons que l'agriculture et l'artisanat se maintiennent, la
première bien plus que le second dont le recul semble irréversible. Mais la question
qui se pose serait de savoir dans quel cadre l'un et l'autre se maintiennent. Est-ce
dans le cadre classique d'une économie fermée ou du moins d'une économie d'auto-
suffisance, ou dans celui d'une complémentarité avec l'économie des régions
limitrophes, ou dans celui d'une intégration à l'économie des échanges? Autant de
questions que l'état actuel de notre travail ne permet que de poser.

L'élevage : un secteur-problème
Le professeur J. Dresch a consacré de grands développements à l'élevage en êtu-
222 / A. Bellaoui

diant les zones de pâturages, leur valeur nutritive en liaison avec la nature du bétail,
l'importance des troupeaux et enfin leurs déplacements.
La partie réservée à l'élevage portera, quant à nous, sur les deux points suivants :
l'importance des troupeaux et leurs déplacements.
En effet, dans une région où toute la terre cultivable est cultivée «la coutume
rend les transactions très difficiles, sinon impossibles sur la terre et sur l'eau» (J.
Dresch), les problèmes de la taille des troupeaux et de leurs déplacements
revêtent une grande importance. Cependant, l'étude de ces deux aspects de l'élevage
n'est pas, encore une fois, chose facile. D'abord par manque de chiffres précis;
ensuite par l'inexistence de règles écrites réglementant les déplacements.
S'agissant de l'importance des troupeaux, les conclusions du professeur J. Dresch
se confirment encore aujourd'hui :
«Les gros troupeaux sont beaucoup plus rares que dans le Moyen Atlas ou le Grand
Atlas calcaire... Mais rares sont ceux qui n'ont pas quelques chèvres, ou moutons, ou
ânes, ou vaches, ou du moins qui ne concluent pas des contrats d'association prévoyant
le partage du croît.» (p. 18)
L'étude des déplacements est par contre fort malaisée : les troupeaux se
déplacent de moins en moins et sont le plus souvent acculés à se contenter de maigres
pâturages des abords immédiats des villages. Et ceci, cela va de soi, n'est pas sans
avoir des répercussions sur l'importance même des troupeaux : la réduction des
déplacements tend à réduire la taille des troupeaux.
A quoi cela est-il dû?
Il y a quarante ans, le professeur Jean Dresch écrivait :
« Chaque village a ses pâturages et ses traditions variables en fonction de la richesse
ou de l'étendue des pâturages et surtout du climat. »
II distinguait ainsi :
— les déplacements très localisés en basse montagne;
— les déplacements en moyenne montagne entre le village, les chaumes du bour
et les azibs du haut des vallées;
— les déplacements en haute montagne entre la plaine en hiver et les alpages en été.
Là encore, le recul est manifeste. A l'exception de la moyenne montagne qui
bénéficie du couple vallées/hauts plateaux, la basse et la haute montagne voient
leurs troupeaux de plus en plus astreints à réduire leurs déplacements. Plusieurs
raisons à cela. D'abord le reboisement des basses montagnes bordières. Ensuite,
la mise en culture des plaines qui servaient autrefois de pâturages d'hiver. Ceci
eut pour conséquence de priver les troupeaux de leurs terrains de parcours et
d'amener les éleveurs soit à réduire la taille de leurs troupeaux, ou simplement à s'en
dessaisir, soit à y opérer une reconversion au profit de l'élevage bovin. Cette
reconversion forcée va dans le sens d'une stabulation. Les déplacements deviennent rares
et ne sont plus à la portée que des gros éleveurs qui peuvent se permettre de louer,
en plaine, les terres laissées en friche. Même le déplacement des troupeaux se fait
aujourd'hui par camion et occasionne donc des dépenses.
Bien que les données climatiques et phytogéographiques vouent la montagne
à ce genre d'activité, l'élevage apparaît donc comme un secteur-problème. Un
secteur dont l'évolution a été vers : a) la réduction de la taille des troupeaux; b) leur
concentration entre les mains de quelques gros éleveurs surtout en haute
montagne; c) la tendance à la stabulation en particulier dans la zone subatlasique. Ces
Haut-Atlas, quarante ans après I 223

tendances ont entraîné le sous-emploi d'un grand nombre de jeunes à la suite de


la réduction de la taille des troupeaux, la prolétarisation des petits éleveurs qui
deviennent de plus en plus tributaires des gros. Enfin, la tendance à la stabulation
nécessite pour qu'elle ait des chances de réussir, de la part des éleveurs — pour
ne parler que d'eux — une certaine trésorerie et une certaine formation. Deux
conditions qui ne semblent pas, jusqu'à ce jour, à la portée de tous.

Le commerce et le tourisme : d'insignifiantes retombées


en comparaison avec les potentialités
• Le commerce : un secteur-refuge
L'étude du commerce est inséparable de celle des voies de communication d'une
part et de celle des systèmes soukiers et du volume des échanges d'autre part. Elle
rejoint enfin celle de l'ensemble de l'économie quand le commerce devient un
secteur d'activité au même titre que l'agriculture et l'artisanat par exemple. Or, dans
ce domaine, l'évolution est encore plus nette. Pourquoi?
Bien que n'ayant pas beaucoup changé depuis quarante ans, le réseau de
communication du Haut-Atlas occidental s'est vu adjoindre, en plus de sa fonction
de voie de pénétration, une fonction économique : celle de débloquer les espaces
montagnards et de contribuer à une meilleure circulation des produits (Troin, s.d.).
La montagne se voit ainsi amplement pénétrée par la ville. Cette participation à
la vie de relation se renforce. Mieux encore, les montagnards eux-mêmes se
lancent dans l'activité commerciale autrefois réservée aux juifs8, aux gens de la ville
et aux attars (marchands ambulants). Ils rivalisent au souk avec les commerçants
citadins et un grand nombre d'entre eux ouvrent boutique soit au souk même —
qui tend à devenir permanent — soit au douar9. On serait presque tenté de dire
que le boutiquier a bel et bien supplanté l'attar.
Ainsi donc, la montagne se trouve largement ouverte à l'économie des
échanges. Un important réseau de centres ruraux en voie d'urbanisation naissent le long
des grandes voies de pénétration et dans la zone du dix. A la traditionnelle
fonction de souk hebdomadaire, ceux-ci se sont vu adjoindre celle de centre-relais des
grandes villes. Boutiques, échoppes, petits ateliers de réparation, cafés maures et
petits restaurants s'égrènent le long des voies de circulation et constituent autant
d'occasions qui stimulent l'habitant à consommer. De nouveaux besoins se créent
ainsi chez le montagnard. Il devient gros consommateur de sucre, de thé mais aussi
de café, voire même de limonade. Ses achats en savon, en Tide, en huile, en
conserves (surtout sardines), en farine même et en cigarettes ont beaucoup augmenté
par rapport au passé. Faut-il y voir une amélioration du niveau de vie des
populations locales? Une évolution normale de leur manière de vivre? ou bien ne s'agit-
il que de «faux besoins» artificiellement créés par le rush combien grand des
produits urbains? Toujours est-il que pour faire face à ces nouveaux besoins, le
montagnard se doit de vendre. Des produits autrefois exclus de la vente, comme le
beurre, les œufs et les légumes, sont aujourd'hui écoulés au souk ou à la ville.
Le montagnard vend ce qu'il a pour se procurer ce qu'il n'a pas10. Ce devoir de
vendre se trouve d'ailleurs renforcé par la monétarisation des échanges. Le troc
ayant partout disparu, le montagnard est obligé de vendre pour disposer d'argent
liquide pour pouvoir acheter11, le plus souvent au détriment de la satisfaction de
ses propres besoins. Il va jusqu'à se priver du nécessaire pour acheter l'accessoire.
224 / A. Bellaoui

Tout ceci se traduit, bien entendu, par la multiplication des points de vente «souk
et boutiques» et par voie de conséquence le gonflement du secteur commercial.
S'ajoute à ceci la déficience des autres secteurs d'activité. Il semble, en effet, que
l'agriculture et l'élevage ne sont plus à même de fournir du travail aux
populations montagnardes qui, pour survivre, s'adonnent au commerce qui fait ici figure
de simple activité de compensation12. Cette déficience se rapporte au caractère
traditionnel des différentes activités économiques, à l'exiguïté des terres, à la
réduction croissante des pâturages et, bien évidemment, au fort accroissement de la
population qui multiplie, là comme ailleurs, le nombre des actifs.
Bref, une activité qui ouvre la région aux appétits de la ville et qui voue l'espace
rural à une plus ou moins grande tertiarisation presque au même titre que l'espace
urbain.

• Le tourisme : une activité qui demande à être organisée


Dans un article de la revue Montagne et alpinisme, A. Fougerolles a écrit : « Grande
montagne du monde si proche de l'Europe, le Haut-Atlas est paradoxalement quasi
méconnu — même des alpinistes — et à peine parcouru.» (Fougerolles, 1985).
Quasi méconnu, le Haut-Atlas l'était, en effet, jusque vers les années 20. Jusque-là,
la montagne a généralement vécu repliée sur elle-même et les relations avec le monde
extérieur étaient fort réduites. L'accès à la montagne relevait de l'aventure22 et
était presque exclusivement réservé aux seuls marchands ambulants. Le Makhzen
lui-même n'y pavenait qu'au prix d'importantes et coûteuses harkas ou
expéditions. Les premiers «touristes» européens ou étrangers étaient, pour la plupart,
des ethnographes, des géographes, des géologues, des économistes, des artistes,
des littérateurs ou encore des officiers militaires. La plupart d'entre eux étaient
soit au service du Makhzen soit déguisés, d'aucuns en marchands juifs ou
musulmans, d'autres en mendiants, d'autres en pèlerins... Très rares étaient ceux qui
osaient dévoiler leur identité. Chargés de mission pour la plupart, il s'agissait plus
d'une activité de reconnaissance que de tourisme. Leur nombre était d'ailleurs réduit,
leur champ d'investigation ne s'avançait guère à l'intérieur de la montagne et le
contact avec les populations était par conséquent des plus limités.
Le vrai tourisme de montagne n'a commencé que vers les années 20. Plusieurs
raisons à cela :
1. La soumission de la montagne. La France ayant largement contribué au
renforcement de l'autorité des seigneurs de l'Atlas, «... le montagnard n'a plus qu'à
cultiver son champ et faire paître son troupeau... Les aventures sont finies»,
écrivait très justement le professeur J. Dresch en 1938 (Dresch, 1938).
2. L'ouverture de la montagne. La construction des trois voies transatlasiques,
la RP 31, la RS 501 et la RP 40, a largement contribué à l'augmentation du nombre
des voyageurs et a entraîné la création d'un important réseau d'hôtels et
d'auberges (J. Dresch, 1938).
3. La création du Syndicat d'Initiative et de Tourisme de Marrakech et de la
section du Haut-Atlas du Club alpin français. Ces deux associations eurent pour
but d'organiser l'activité touristique (surtout l'alpinisme et le tourisme de
randonnée) en mettant à la disposition des «amis de la montagne» un certain nombre
de refuges dans la haute montagne (de Mazières, 1937).
4. L'aménagement de la station de ski de l'Oukaîmeden.
Haut-Atlas, quarante ans après / 225

5. Enfin la fraîcheur de l'Atlas par opposition à la grande chaleur du Haouz et


de Marrakech.
Jadis réservée aux seuls alpinistes et randonneurs, la montagne s'est vue
pénétrer par toute une pléiade de touristes tous azimuts. A un tourisme sportif en
liaison avec l'alpinisme, la randonnée et le ski, se sont ajoutés deux autres types de
tourisme : un tourisme d'excursion pour les étrangers et un tourisme d'estivage
pour les habitants de la ville.
L'étude des retombées de cette nouvelle activité sur l'économie de la région conduit
à distinguer deux grandes catégories de tourisme : un tourisme organisé et un
tourisme plus ou moins sauvage. Le premier type, essentiellement organisé par les
agences de voyage et les grands hôtels de Marrakech ou d'ailleurs, profite peu aux
populations montagnardes. Il se limite d'ailleurs aux grandes routes, à la station
de POukaîmeden et au village d'Imlil dans le Haut-Rherhaïa. Organisé par la ville,
ce type de tourisme profite essentiellement à la ville.
Beaucoup plus populaire, le deuxième type ne semble pourtant pas plus
avantageux bien que son impact sur l'espace montagnard soit plus grand. Ce type de
tourisme est en effet d'abord un tourisme de masse. Il est ensuite un tourisme
beaucoup plus proche des populations locales, donc plus à même de les influencer
et dans leurs habitudes et dans le mode de vie. Il est enfin un tourisme totalement
désengagé vis-à-vis des organismes touristiques urbains. Les apports de ce type
de tourisme peuvent être classés en deux catégories :
— des apports positifs, comme la mobilisation d'un grande nombre de jeunes
surtout en été comme épiciers, restaurateurs, etc., et la mise en place d'une
importante structure hôtelière d'accueil;
, — des apports négatifs tel le fait que le montagnard s'est vu obligé de se
dessaisir d'une partie de ses terres au profit des citadins qui y implantent des résidences
secondaires et surtout de subir l'influence des gens de la ville dans le plein sens
du terme.
Au total, un tourisme qui, pour être bénéfique, a besoin d'ère pris en main.

LES ÉVOLUTIONS SOCIALES :


TRANSFORMATIONS OU INNOVATIONS?

A l'exception de la thèse du professeur J. Berque (1978) sur les structures


sociales du Haut-Atlas, peu d'études semblent avoir été consacrées à l'analyse de la
société haut-atlasique. La thèse de R. Montagne (1930) relève de la sociologie
politique et les différents articles de L. Voinot et de F. de La Chapelle ne traitent
de la société que dans le cadre de monographies d'ensemble.
Léon Robine (1956), en traitant de l'économie du Grand Atlas occidental à
partir de l'exemple du territoire du bureau d'Imi-n-Tanoute, n'a réservé que de rares
développements aux questions purement sociales.
Même les rapports des officiers ou des contrôleurs civils pourtant riches en
informations à caractère social, ne peuvent prétendre à une analyse globale de la société
berbère du Haut-Atlas. Cette insuffisance semble s'expliquer par le fait que la société
marocaine dans sa totalité, n'a été étudiée que très superficiellement et de façon
disparate. D'aucuns ont mis l'accent sur l'étude des tribus et de leurs institutions
«parce qu'ils avaient besoin politiquement de la tribu» (Pascon, 1980, pp. 189-212),
226 / A. Bellaoui

d'autres ont porté leur intérêt sur la classe ouvrière, d'autres enfin se sont
intéressés à la paysannerie «de la plaine». Autant dire que la société rurale de montagne
n'est pas encore du goût des chercheurs sociologues marocains.
Beaucoup d'éléments d'information peuvent être pourtant glanés à traves
l'abondante littérature consacrée à la montagne et aux populations montagnardes (Guen-
noun, 1933). Ils portent presque tous sur les questions ayant trait au type humain,
à l'habitat, aux vêtements, à l'alimentation et aux travaux de tous les jours.
Certains chercheurs ont même été jusqu'à essayer de déterminer le degré de sa
religiosité. Bref toutes les questions qu'E. Laoust a appelée «Mots et choses berbères»
(1920).
Rares sont, à l'opposé, les études qui ont porté sur l'évolution numérique de
la société montagnarde (Berque et Chevalier le More, 1953)et sur ses différentes
composantes socio-professionnelles. Or, là comme ailleurs, les retombées sur
l'évolution de l'Atlas ne sont pas des moindres.

Vers une restructuration de la société haut-atlasique


Dans la plupart des essais consacrés à la société montagnarde de la première
moitié du XXe siècle, les auteurs ont mis l'accent sur la distinction entre
musulmans agriculteurs ou pasteurs et juifs commerçants ou artisans. Une distinction
basée sur l'activité économique dominante plutôt que sur l'appartenance à une
«classe» sociale bien définie. Léon Robine lui-même n'a pas vu l'intérêt d'établir
une stratification sociale à partir de l'analyse des revenus. Son étude a porté dans
l'ordre sur l'agriculture, l'élevage, l'émigration, le service militaire, l'artisanat et
le commerce et enfin les professions libérales. Faut-il y voir un début de
stratification sociale? Certainement pas, bien que l'auteur ait écrit à propos des
commerçants et artisans :

«Ainsi se dessine un vaste mouvement de regroupement des commerçants et artisans


autour des souqs... Une classe sociale nouvelle apparaît donc, dont les modes de vie
tendent à s'aligner sur ceux de la ville. »

Comment expliquer cette lacune? Faut-il en déduire que la société montagnarde


est sinon une société égalitaire du moins une société où les écarts de fortune sont
faibles? Ou encore une société où les «grands» ne représentent qu'une toute petite
minorité14? Ou enfin, qu'une telle étude n'est pas chose facile dans une société
où il est de coutume de cacher sa fortune?
L'entreprise n'est d'ailleurs pas moins difficile même de nos jours. Cependant,
tout porte à croire que la société montagnarde commence à connaître, de son côté,
une amorce de stratification sociale. A l'ancienne dichotomie «grand» et petits»
(presque dans le sens médiéval de popolo grasso et popoîo minto) qui semble avoir
prévalu au moins jusqu'au xixe siècle, se substitue une stratification à plusieurs
niveaux15 : grands agriculteurs ou éleveurs, commerçants, chioukhs, travailleurs
émigrés et les autres.
Appartiennent à la première catégorie les descendants des anciens chioukhs et
caïds qui, de par leur position, se sont taillé d'immenses domaines. Leur richesse
réside donc dans la propriété de la terre ou du cheptel. Les chioukhs actuels,
quoique beaucoup moins privilégiés, n'en constituent pas moins une classe à part que
l'on pourrait qualifier de «gens du Makhzen». La catégorie des commerçants se
Haut-Atlas, quarante ans après I 227

distingue par son regroupement, le plus souvent dans les souks qui s'érigent
progressivement en «souikas» permanentes; par la tendance à une certaine
spécialisation et enfin à se désintéresser du travail manuel et agricole. Dans une société
où l'argent fait défaut, elle constitue la classe de «ceux qui ont de l'argent», la
classe des «capitalistes» en quelque sorte16.
Les travailleurs émigrés constituent à leur tour une catégorie relativement
distincte dans la société haut-atlasique, aussi bien par les apports d'argent qu'ils
occasionnent que par les réalisations qu'ils entreprennent au niveau de leur douar
d'origine. Ils bénéficient généralement de la vente des terres; s'associent aux petits
éleveurs; fournissent le capital aux commerçants.
Bref, ils se créent «une place sociale». Leur importance est telle que la
distinction entre «famille avec migrants» et «famille sans migrants» est une des plus
évidentes dans la société montagnarde.
Par les autres enfin, nous entendons tous ceux qui n'appartiennent ni à l'une
ni à l'autre des catégories précédentes et forment le bas de l'échelle sociale. Ce
sont : les petits agriculteurs ou éleveurs, les artisans, les salariés agricoles, etc. En
un mot tous ceux auxquels peut s'étendre le terme arabe de «el aama» c'est-à-dire
le commun des hommes ou encore «les petites gens».
Beaucoup plus que dans le passé, la société montagnarde apparaît donc comme
une société composée. A l'élite traditionnelle (descendants des anciens chioukhs
et caïds, chefs de zaouias...) se substitue une nouvelle élite formée de
commerçants et travailleurs émigrés. Cette importante différenciation sociale est liée, à
notre avis, à la diversification de l'activité économique et à la désagrégation de
la grande famille.
L'analyse de l'évolution économique de l'Atlas nous a permis de mettre en
évidence l'importante différenciation de l'activité économique de cette région du Maroc.
Mais il est à noter que cette différenciation s'est faite d'une part au détriment de
l'agriculture, de l'élevage et de l'artisanat et d'autre part au profit du commerce,
de l'industrie et du tourisme qui sont à considérer comme nouveaux secteurs
d'activité.
Far ailleurs, la désagrégation de la grande famille, déjà amorcée au xixe siècle
(Toufiq, 1978) en s'accentuant sous l'effet de l'accroissement démographique17,
a contribué à la multiplication des foyers, au renforcement de l'exiguïté des terres
de culture par le biais des partages sucessoraux, à la dissociation des familles
nombreuses et enfin à l'obligation pour les chefs des ménages nouvellement formés
de partir à la recherche du travail. L'émigration considérée comme une des
conséquences de la désagrégation de la grande famille est aussi un facteur de
restructuration de la société rurale haut-atlasique. Beaucoup d'émigrés, pauvres au départ,
ont réintégré leur douar après avoir fait fortune à l'extérieur18.
Ainsi donc, sous l'action à la fois de l'évolution économique et des
répercussions de l'éclatement de la grande famille, la société berbère du Haut-Atlas est
devenue de moins en moins homogène et tend à être de plus en plus hiérarchisée,
la division sociale du travail se faisant de plus en plus complexe.

Un mode de vie à la remorque du modèle urbain


Dans le « massif du Toubkal», le professeur J. Dresch a consacré de larges
développements à l'habitat, au vêtement et à l'alimentation des populations du massif
228 / A. Bellaoui

central du Grand Atlas. Avant lui, ces mêmes éléments ont été analysés par Louis
Voinot à propos des Ourika et Reraîa...
L'habitat est partout groupé en villages dont les maisons sont construites soit
en pisé soit en pierres en rapport avec «l'aspect de la montagne» qui prennent
l'allure de véritables forteresses (tighermt ou agadir). «Le vêtement est simple...
et la cuisine journalière n'est pas moins rudimentaire» (J. Dresch, 1938, p. 78).
Une vie simple, dure et fruste mais parfaitement adaptée aux données de la
montagne aussi bien économiques que sociales.
Les évolutions socio-économiques analysées précédemment ont entraîné au niveau
du mode de vie d'importantes transformations. Quelles sont-elles? Comment peut-on
les expliquer? Et comment peuvent-elles être perçues?

•L'habitat
L'habitat groupé demeure encore aujourd'hui la règle dans le Haut-Atlas. Une
règle imposée de nos jours plus par les données du relief que par les facteurs d'ordre
historique ou sociologique. La rareté des terres de culture oblige les maisons à
se grouper, le plus souvent sur les parties les plus pauvres du terroir. Cependant,
sous l'effet de l'accroissement de la population et de l'éclatement de la grande famille
d'une part et du renforcement du réseau des voies de communication d'autre part,
l'habitat connaît d'importantes mutations. Parmi elles : l'éclatement des gros
villages; l'abandon des sites défensifs et le glissement vers les fonds de vallées et les
voies de circulation. Mais bien que le nombre des douars augmente, la masse
optimale de population tend à se stabiliser19.
Plus importante encore est l'évolution au niveau de l'habitation ou de la
maison. Celle-ci s'étend aussi bien aux matériaux et au plan de construction qu'au
mobilier. Partout, en effet, le pisé recule au profit de la pierre ou parfois même
de la brique sèche. Le mortier est le plus souvent à base de ciment et le plâtre
est devenu chose courante. Les maisons ont tendance à s'étaler en largeur et le
nombre de pièces se fait de plus en plus grand20. Les portes et fenêtres
deviennent plus larges et plus fréquentes. Enfin, le mobilier commence à s'incruster dans
les mœurs : les canapés mousses, les chaises, les tapis, les services à thé, le butane,
la radio, parfois même la télévision, les coussins, etc., sont devenus moins rares
que dans le passé. Bref, les demeures deviennent plus aérées et relativement moins
sales.

•L'alimentation et l'habillement
«Le costume des vrais montagnards est tout à fait sommaire; il comprend
généralement une simple djellaba de laine blanche en tissu grossier, avec un burnous brun foncé
et court. Une sorte de chemise en cotonnade remplace fréquemment la djellaba; le
pantalon fait le plus souvent défaut»,
écrivait Louis Voinot, en 1928, à propos des Reraîa. Le même auteur écrivait au
sujet de l'alimentation :
«Au delà des avants-monts la cuisine est à base de maïs ou d'orge; on mange
rarement de la viande.»
Le professseur J. Dresch (1938, p. 78) donne, quant à lui, une longue
description de la cuisine journalière :
«Le matin, au lever, écrit-il, la bouillie d'orge, de millet ou de seigle...; si possible,
Haut-Atlas, quarante ans après I 229

du café ou du lait; vers 10 heures du pain; vers 14-15 heures, la tchicha, sorte de
couscous d'orge fort grossier... Le soir, la tagoulla, bouillie assez consistante d'orge, de maïs,
de seigle, cuite dans de l'eau.»
Une impression de simplicité voire de rusticité se dégage des propos de ces deux
auteurs : une alimentation basée sur l'orge et où dominent bouillies et couscous,
où le pain et la viande sont rares; un costume à base de djellaba et de haïk.
Probablement un mode de vie qui n'a pas beaucoup changé depuis Jean Léon
l'Africain21!
Les enquêtes et études réalisées jusqu'à présent sur l'alimentation et
l'habillement se situant soit au niveau national soit à celui de la seule région économique,
rares sont celles qui sont réalisées au niveau d'une région géographique, comme
le Haut-Atlas par exemple. Pourtant, l'importance de ces deux aspects de la vie
rurale ne fait pas de doute car ils sont révélateurs de tout changement social : ils
sont les premiers à être affectés par un quelconque changement22.
La comparaison avec les descriptions qui ont précédé permet de déterminer avec
assez de précision les transformations qui ont affecté ces deux volets de la vie rurale
de l'Atlas.
Dans le domaine de l'alimentation, la principale transformation est,
incontestablement, la généralisation de la consommation du thé, du café, du sucre et le
remplacement de la bouillie par le pain trempé dans la «dzoaz»23. Autrefois réservés
aux seules grandes familles, le thé et, dans une moindre mesure, le café, sont devenus
la boisson populaire par excellence. Pris comme dessert, servi à tout moment de
la journée, le thé sucré sert aussi de hors-d'œure et est surtout devenu «un
véritable aliment qui "fait passer" à merveille le pain et vous stimule au-delà de sa valeur
réelle en calories. » (Berque, 1978) La consommation de sucre est évaluée à 30 kilos
par an et par personne (Amahan, 1983). Tout le monde consomme du thé sans
distinction d'âge ni de sexe : les femmes et les enfants qui en étaient autrefois
privés, y ont aujourd'hui droit au même titre que les hommes et les adultes.
L'introduction du thé sucré semble opérer une véritable «révolution» dans le régime
alimentaire de la société montagnarde.
Tout aussi importante est l'introduction du pain et de la dzoaz. Autrefois à base
d'orge voire de maïs ou de millet, le pain se fait aujourd'hui avec du blé dur et
de plus en plus avec de la farine (blé tendre) et tend à se substituer aux bouillies
(askiftt tagoulla) et au couscous qui deviennent des plats pour vieilles personnes,
pour bergers et dans une moindre mesure pour ouvriers. Il existe, par ailleurs,
plusieurs sortes de pain depuis Varkhsis (pain sans levain) pour parer au plus pressé
jusqu'au Ikrun cuit au four en passant par tanourt et Imetloa cuit sur Yanekhdam
(Laoust, 1983). Servi essentiellement pendant les grandes occasions et le plus
souvent en été après les récoltes, Ikrun est un pain noble. Bien évidemment, la
généralisation du pain s'est accompagnée de celle de la dwaz. Le pain est trempé dans
la sauce qui est le plus souvent un simple jus de légumes, sans viande. Le tajine,
avec viast réservé au jour du souk. Même la consommation du poulet, du lapin
et des œufs a beaucoup reculé par rapport au passé. Les boissons gazeuses
commencent, à leur tour, à se faire une place dans les menus de fête.
Dans le domaine de l'habillement, les transformations sont nombreuses : les
montagnards multiplient le nombre de djellabas; portent plus volontiers chemises,
tricots et pantalons; babouches, sandales et même chaussures sont choses courantes;
et la montre-bracelet n'est plus un signe de richesse. Chez la femme, le change-
230 / A. Bellaoui

ment est encore plus grand : ses habits se sont énormément enrichis avec
beaucoup de couleurs vives et de tissus fins. Pour les voyages, les femmes portent la
djellaba et le voile à la manière des «citadines». Et un grand nombre d'entre elles
manifestent leur élégance en portant des bijoux le plus souvent en argent, et de
plus en plus en or.
Finis le khont et le haïk. Finis aussi les bouillies et le couscous. La nourriture
et l'habillement du montagnard se sont beaucoup «enrichis» et diversifiés
pendant les trente ou quarante dernières années.
A quoi sont dues ces différentes transformations? Et comment peuvent-elles être
perçues?
Deux causes nous semblent essentielles : le renforcement des relations avec la
ville et par-delà l'économie urbaine d'une part et l'inaptitude de la montagne à
«s'auto-sufïire» d'autre part. L'un des aspects de l'évolution de la vie de relation
au niveau de la région du Haut-Atlas et du Haouz est, sans conteste, le
renforcement des rapports ville-campagne, c'est-à-dire des rapports qui lient Marrakech,
comme métropole régionale, à son environnement rural dont fait partie le Haut-
Atlas occidental.
Ont contribué à cela et à des degrés différents : le commerçant forain ou le sou-
kier; le boutiquier du village; rémigrant; le citadin-estivant; et enfin le lycéen
ou l'étudiant universitaire24.
En effet, l'étude de l'ensemble des souks implantés soit à l'intérieur de la
montagne soit à la lisière septentrionale ou méridionale, montre que le nombre de ces
souks a beaucoup augmenté depuis l'accession à l'Indépendance (Bellaoui, 1984).
Ce réseau de souks est épaulé, comme il a été montré plus haut, par un grand
nombre de boutiques de village. Souks et boutiques contribuent, cela va de soi,
à l'approvisionnemnet de l'espace montagneux en produits urbains et au drainage
par et vers la ville des productions rurales. Les besoins en produits urbains étant
largement supérieurs aux possibilités de vente, voire même d'auto-suffisance des
populations montagnardes, la montagne se trouve inondée, envahie par les
produits en provenance de la ville. Et avec eux le modèle de vie urbain dont les
boutiquiers et les soukiers constituent d'irremplaçables auxiliaires. L'émigrant25, le
lycéen et le citadin estivant en forment un autre type de colporteurs. Ils «passent»
à leurs familles le mode de vie urbain en s'habillant, en mangeant, voire en
parlant «à la manière des citadins». Leur influence sur l'entourage immédiat est presque
aussi importante que celle des mass media.
Par l'intermédiaire des uns et des autres, le contact avec la ville se renforce. La
campagne s'aligne sur la ville. Et l'on assiste de plus en plus à une uniformisation
des modes de vie. La ville conquiert la campagne qui, progressivement, au retour,
se déruralise (Troin, 1975).
Tout aussi important est le fait que la montagne est de plus en plus incapable
de se suffire à elle-même. Le recours à la ville devient une nécessité voire une
obligation. Et la montagne devient de plus en plus dépendante de la ville : elle
achète et consomme en fonction de ce que lui offre cette dernière. Une situation
inverse du passé. Il est donc normal que le mode de vie de la montagne connaisse
des transformations : des besoins nouveaux se créent, des goûts nouveaux
apparaissent (Ayache, 1956).
L'analyse de ces transformations autorise, cependant, à formuler les remarques
suivantes :
Haut-Atlas, quarante ans après / 231

— Bien qu'il ait gagné en diversité, le régime alimentaire a beaucoup perdu aussi
bien en quantité qu'en qualité. En effet, même si le pain blanc tend à remplacer
le pain noir, la consommation des légumes, de la viande rouge, du poulet, des
huiles, du miel et autres corps gras... a énormément reculé par rapport au passé. D'où
un régime alimentaire où dominent les glucides et où les protides sont faiblement
représentés (Baron et Hammoudi, s.d.). Autrement dit, une alimentation
déséquilibrée au profit des céréales et du thé sucré. Ce déséquilibre porte en lui-même
le danger d'une malnutrition qui risque d'entraîner, à la longue, des tares
physiques ou mentales, au sein d'une population autrefois réputée pour être saine et
solide26.
— L'adoption de l'habit urbain a entièrement placé la montagne sous la coupe
de la ville. Il n'y a presque plus de différence entre le costume des citadins et celui
des ruraux27. Ceci a pour conséquences : l'obligation pour le montagnard d'avoir
de l'argent28, le recul des activités artisanales comme le travail de la laine par
exemple et le fait que le montagnard par manque d'argent, se contente des habits de
mauvaise qualité et le plus souvent a recours à la friperie29.
— Ces transformations sont loin d'être générales. Elles ne touchent en effet que
les catégories sociales que nous avons considérées comme la nouvelle élite de la
société montagnarde et concernent plus la zone subatlasique et la moyenne
montagne que la haute montagne.
Comment interpréter ces différentes transformations?
Soumise à l'influence grandissante de la civilisation industrielle et du mode de
vie urbain, la société berbère du Haut-Atlas se métamorphose. Mais, à la
différence des sociétés industrielles, elle se métamorphose de l'extérieur et non pas de
l'intérieur. Toutes les transformations, dont nous avons parlé, émanent de
l'extérieur, de la ville, voire même d'au-delà, et non du dedans. Il s'agit donc bien de
transformations plutôt que d'innovations, de «révolution» plutôt que d'«
évolution». Sans doute parce que le Haut-Atlas comme la plupart des autres régions
du Maroc, a été bousculé dans son histoire.
Par ailleurs, l'ouverture de cet espace qui a longtemps vécu en marge de la société
et de l'économie marocaines, pose incontestablement le problème de son
intégration et impose l'adoption d'une politique d'aménagement dans laquelle l'État est
appelé à jouer un grand rôle.
En attendant, l'espace haut-atlasique résiste et continue de préserver des
attitudes et comportements socio-économiques qui font aujourd'hui encore son
authenticité30.

NOTES

1. Marrakech : 242 mm, altitude : 470 m; Aït Ourir : 350 mm, altitude : 700 m; Tahnaout :
465 mm, altitude : 925 m; Agaïouar : 658 mm, altitude : 1 805 m.
2. Nous avons délibérément exclu l'étude de l'industrie pour la simple raison que ses
retombées sont insignifiantes et qu'il s'agit d'une activité totalement aliénée à l'extérieur.
3. A. Bellaoui, Le Haut-Atlas occidental : un exemple d'espace montagneux marginal, thèse de
doctorat d'État (en préparation). Il nous a été déclaré pour le seul douar d'Ilkri, dans le moyen
Ourika, les chiffres suivants : 2 490 pommiers, 502 pruniers, 124 cerisiers et 603 noyers pour
44 foyers.
232 / A. Bettaoui

4. Nous avons ainsi appris que les plans des délicieuses ont été amenés directement de France
dans certains douars de la vallée de Nfiss.
5. La réglementation de l'exploitation des forêts peut être invoquée comme facteur
d'explication du recul du travail du bois.
6. Sur 93 chefs de foyer enquêtes au douar Akhlij, à l'entrée de l'Ourika, environ 38 % se
sont déclaré salariés, 27 % fellahs et 9 % seulement artisans (enquête personnelle).
7. Les activités artisanales qui sont actuellement exercées relèvent de l'artisanat de service,
comme par exemple la réparation des cycles, des postes-radios, ou la petite horlogerie. Activité
plus urbaine que rurale. Faillite de l'artisanat ou de la vie rurale?
8. L. Voinot a donné en 1927 pour les actuelles CR de Tahnaout et d'Asni 116 commerçants
dont 100 Juifs.
9. Dans le cercle de Tahnaout, le nombre de boutiques implantées dans les douars s'élève
à 60 soit une moyenne de 3,5 boutiques par douar (enquête personnelle).
10. Il n'est pas rare que le montagnard vende les grains en été après la récolte pour les
racheter plus cher en période de soudure.
11. Le montagnard, à l'exemple du citadin, achète lui aussi à crédit et fait le plus souvent
des avances sur la récolte.
12. Un commerçant-agriculteur n'hésite pas à fermer boutique au moment des travaux
agricoles. Priorité de l'agriculture sur le commerce?
13. En 1915, le docteur Paul Chatinières écrivait : «J'aurais voulu passer par Tiredouine chez
les Mesfioua de la montagne, mais il fallut y renoncer, mes guides refusant de me conduire au
milieu de populations ne reconnaissant encore ni l'autorité des Glaoua ni celle du Makhzen».
14. Dans ses monographies sur les Ourika et les Reraïa, L. Voinot (1928) a réservé tout un
chapitre à l'étude des «grandes familles» et reconnaît d'ailleurs que tant chez les Ourika que
chez les Reraïa, «la plupart des notables sont des hommes sans grande envergure et assez effacés».
15. Nous avons préféré le mot niveau à celui de classe car bien que distincts au point de vue
fortune, les montagnards continuent à avoir le même mode de vie : la table du «riche» se
distingue encore peu de celle du pauvre.
16. J. Dresch a écrit : «On peut faire des vallées entières sans trouver un sou. » On serait
presque tenté de dire la même chose aujourd'hui.
17. L'aspect démographique a été volontairement négligé dans cette note pour une question
de place.
18. Le gros des émigrés est formé de petits propriétaires, de paysans sans terres ou de jeunes
célibataires.
19. Les douars de moins de 300 habitants — c'est-à-dire de 40 à 50 foyers â raison de 7
personnes par foyer —, représentent 82 % de l'ensemble des douars de la CR de l'Arbaa Tirhedouine
et 88 % de ceux de la CR de Zerkten, communes rurales de haute et moyenne montagne. Les
douars de plus de 800 habitants ne représentent que 1,06 % dans la CR de Tirhedouine et sont
inexistants dans celle de Zerkten.
20. La notion de chambre était presque inconnue dans le passé. La maison s'articulait autour
d'une sorte de grande «salle de séjour» (asdih) qui tenait lieu â la fois de cuisine et de chambre
à coucher, parfois même d'étable surtout pour les nouveaux-nés.
21. «Il m'a fallu manger la nourriture du pays, de la farine d'orge détrempée dans l'eau
bouillante, avec la viande d'un vieux bouc qui, par sa dureté, montrait que cet animal avait plus
de 7 ans» a écrit Léon L'Africain au sujet de la montagne Semede.
22. Dans une étude intitulée «Les transformations dans un village de l' Anti-Atlas»,
Mohammed Allaoui a mis l'accent sur la distinction entre permanences, transformations et innovations.
Cette distinction se justifie d'après lui par le fait que la vitalité d'un groupe est fonction de
sa capacité de «conserver, de transformer et d'innover».
23. Dwaz : sauce ou jus de légumes ou de viande cuits dans l'eau agrémentée d'huile d'olive.
24. Le rôle de la radio est encore relativement faible en milieu rural à cause de la langue.
25. Par emigrant, nous entendons en plus des travailleurs émigrés, les fonctionnaires
d'origine rurale et les jeunes filles qui se marient en ville.
Haut-Atlas, quarante ans après I 233

26. Louis Voinot (1927) a écrit à propos des Ourika : La race est vigoureuse, brune, de taille
moyenne... On ne rencontre presque jamais d'êtres anormaux...»
27. Nous entendons par là plus le type d'habit que la façon dont il est porté, et encore moins
la qualité.
28. Pour avoir de l'argent, le montagnard est obligé de vendre une partie de sa production
ou d'émigrer.
29. La friperie est un commerce rentable aussi bien en ville que dans les souks ruraux.
30. Comme ce jeune agriculteur qui arrache les pommiers plantés par son père pour les
remplacer par des oliviers plus adaptés aux données du milieu dans le sens le plus large du terme.

BIBLIOGRAPHIE

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