Vous êtes sur la page 1sur 8

La Croix logo

Je m’abonne

Frederic Valery

Njokou Ndjofang

À vif France International Religion Économie Culture Planète

Actualité

Vatican II et le dialogue interreligieux

L’Église en France

Texte de Michel Younès

Texte pour La DC (*)

La Croix le 09/04/2013 à 16 :35

Réservé aux abonnés

Lecture en 6 min.

ENVOYER PAR MAIL

PARTAGER SUR FACEBOOK

PARTAGER SUR TWITTER

L.e deuxième concile du Vatican marque une étape majeure dans l’institutionnalisation et dans la
diffusion d’une attitude favorable au dialogue interreligieux parmi les fidèles de l’Église catholique.
S’il ne commence pas avec le Concile, le dialogue interreligieux consacre la volonté de construire un
vivre ensemble où le dialogue entre les religions est un vecteur de la paix et de la justice, et donc des
valeurs évangéliques. De Paul VI à Jean-Paul II, dans les discours comme dans les faits et gestes
symboliques (1), le dialogue devient l’expression par excellence de l’ouverture à ceux qui ne
partagent pas la même foi. Depuis une cinquantaine d’années, les initiatives se sont multipliées
suivant des modalités et des degrés variés (2). En favorisant la rencontre entre les fidèles de deux ou
de plusieurs religions, une prise de conscience s’est développée, allant jusqu’à considérer que nous
sommes « condamnés » au dialogue interreligieux qui constitue la seule alternative à la haine, au
refus de l’autre et à la guerre.

Dans le même moment, grande est devenue la réserve à l’égard d’une notion suspectée de mettre en
cause les différences fondamentales entre le christianisme et les autres religions. Pour plusieurs, le
dialogue interreligieux consacre une forme d’égalité entre les autres religions, introduit une
ambiguïté dans l’esprit des fidèles quant à la vérité et interdit à terme la mission de l’Église Ad
gentes. Le dialogue interreligieux serait situé à l’opposé de l’impératif du Christ : « Allez donc, de
toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Mt
28, 19). Depuis le Concile, un écart se creuse entre ceux qui se revendiquent comme étant des
annonciateurs de la Bonne Nouvelle par le dialogue avec des porteurs de foi (3) là où ils se trouvent
et ceux qui se réclament de la Bonne Nouvelle à annoncer. Pousser à l’excès, cette tendance
substitue l’annonce par le dialogue et le dialogue par l’annonce.

Comment Vatican II a-t-il abordé la question du dialogue interreligieux ? A-t-il remplacé l’annonce
par le dialogue ? Est-il allé trop loin dans la reconnaissance des religions, rendant possible une
tendance qui risque la relativisation de la foi chrétienne ? Ces questions font apparaître la complexité
d’un sujet devenu primordial pour la foi chrétienne dans un contexte où les religions cohabitent
presque au quotidien. Pour y répondre, revenons dans un premier temps au Concile lui-même pour
déceler ce qu’il a cherché à promouvoir, avant de revenir sur sa manière de tenir ensemble dialogue
interreligieux et annonce du salut en Christ.

1. Forme et contenu du dialogue interreligieux dans les textes conciliaires

À plusieurs reprises, le deuxième concile du Vatican évoque le dialogue entre les chrétiens et les
croyants d’autres religions. L’exhortation à un dialogue confiant (4) et fraternel (5), gouverné par la
prudence et la charité (6), reflète l’orientation globale de l’Église catholique qui met l’accent sur le
dialogue des valeurs, en soulignant la présence d’« éléments précieux », religieux et humains, qui
habitent les traditions. Le paragraphe réservé à la relation avec les musulmans dans la déclaration
Nostra aetate (NA § 3) précise ces valeurs en termes de « justice sociale », de « valeurs morales », de
« paix » et de « liberté ». Différents textes soulignent ainsi la visée du dialogue : la compréhension
mutuelle est ce qui rend possible la construction de la paix entre les peuples. L’objet du dialogue est
résolument dans la catégorie des valeurs communes à promouvoir ensemble. Les éléments
théologiques qui y figurent, notamment dans NA, ne sont pas abordés dans la perspective d’un
dialogue théologique ou d’un échange des expériences spirituelles.

Pourquoi exhorter au dialogue ? La réponse est explicite dans les textes conciliaires, elle est d’ordre
théologique, impliquant des éléments doctrinaux. La raison majeure du dialogue renvoie à l’unité du
genre humain. Pour l’Église catholique, l’humanité partage une seule nature, fruit de la création, et
elle est destinée à une unique vocation divine. L’unicité de la nature humaine est à la racine d’une
impossible exclusion de l’autre au nom d’une foi différente. L’unité originelle de la « race humaine »
va de pair avec l’universalité du salut. Le dialogue interreligieux s’inscrit dans le dessein salvifique de
Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés (1 Tm 2, 4). Confié et pratiqué par l’Église, le «
dialogue de salut », selon l’expression de Paul VI (7), est ainsi d’initiative divine. La reconnaissance de
ce qui est « vrai et saint » dans les religions (NA 2) trouve sa raison d’être, d’un point de vue chrétien,
dans l’œuvre de l’Esprit qui fait germer les « semences du Verbe » déposées dans les traditions
depuis la création du monde. C’est pourquoi les religions ne présentent pas un « salut parallèle » au
Christ, elles ne sont pas équivalentes à l’Église, mais lui sont ordonnées, d’après les termes de Lumen
gentium (LG § 16).
Si elles ne sont pas équivalentes à l’Église, les religions sont-elles équivalentes entre elles ? Une des
considérations majeures du concile Vatican II se reflète dans son approche différenciée des religions.
L’approche résolument positive des croyants d’autres religions ne conduit pas le Concile à percevoir
les religions comme des entités interchangeables. Le regard différencié sur les religions prend en
compte la spécificité de chacune d’elles. Les religions ne sont pas seulement différentes du
christianisme, mais elles sont différentes entre elles et n’occupent pas la même place dans le dessein
de Dieu. Dans les textes conciliaires (8), les religions sont appréciées en allant, soit des plus proches
au plus éloignées, soit, au contraire, de celles qui cherchent le mystère divin dans les mythes et la
philosophie, dans la vie ascétique ou la méditation profonde jusqu’à celles qui confessent le Dieu
unique. Pour l’Église catholique, le judaïsme n’est pas similaire ou assimilable à l’islam qui, à son
tour, n’est pas réductible au bouddhisme ou à l’hindouisme. Le statut de chacune des religions induit
un type de dialogue spécifique.

2. Le dialogue et l’annonce du Christ

L’insistance sur un dialogue interreligieux confiant et fraternel, gouverné par la prudence et la charité
laisse apparaître une préoccupation, perceptible à la lecture des textes conciliaires. L’ouverture de
l’Église catholique sur les religions ne comporte-t-elle pas un risque pour la foi ? Y a-t-il, du fait de la
reconnaissance de ce qui est « vrai et saint dans les autres religions », une nécessité d’annoncer la
Bonne Nouvelle en Christ, de baptiser en son nom ? La réponse à ces questions se trouve dans les
textes. Pour les Pères conciliaires, le dialogue ne se substitue pas à l’annonce du Christ. Le
paragraphe 16 de la constitution Lumen gentium se termine par le commandement du Seigneur dans
Mc 16, 16 : « Prêchez l’Évangile à toute la créature » et l’appel à soutenir les missions, car ce qui est
bon et vrai est une préparation évangélique. Le décret Ad gentes souligne la « nature missionnaire »
de l’Église (§ 2). La mission d’annonce de l’Évangile n’est pas une option : la déclaration sur les
relations entre l’Église et les religions l’affirme dans le même paragraphe où il est dit que l’Église ne
rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les religions… « Toutefois, affirme NA au § 2, elle annonce,
et elle est tenue d’annoncer sans cesse, le Christ qui est “la voie, la vérité et la vie” » (Jn 14, 6).
L’approche positive des religions dont l’Église catholique fait preuve, malgré la différence parfois
avec ce qu’elle-même confesse (voir NA § 3), ne se fait pas au détriment de ce pourquoi elle est
instituée : annoncer la Bonne Nouvelle en Christ.

La disposition des textes laissent cependant voir une forme de juxtaposition de deux affirmations
majeures : la reconnaissance d’un côté, la nécessité de l’annonce de l’autre. Cette juxtaposition est
claire au § 2 de NA où le « toutefois » montre comme un « ajout » que les Pères conciliaires jugent
indispensable. Une tension donc qui a conduit à une ambiguïté. L’intérêt et l’urgence du dialogue
interreligieux pour la construction de la paix qui semble de plus en plus menacée dans le monde ont
fait valoir aux yeux de certains le « primat » du dialogue sur l’annonce « directe », notamment dans
des contextes de persécution. L’annonce passe par le témoignage et non par la parole, par la
diffusion des valeurs évangéliques, signe de la proximité du Royaume de Dieu dans le monde. En
revanche pour d’autres, la mise entre parenthèses du commandement du Seigneur de prêcher à
toute créature porte une atteinte à la mission évangélisatrice de l’Église du Christ qui est dans le
monde un signe du salut. La tension entre « dialogue » et « annonce » a progressivement conduit à
une forme d’opposition entre « dialogue » et « mission ».
Sentant la gravité de la situation, deux documents du Magistère tâcheront de clarifier cette
problématique. L’encyclique Redemptoris missio de Jean-Paul II en 1990 (a) et le document Dialogue
et Annonce (9) précisent la manière avec laquelle ces termes doivent être utilisés. Non seulement le
dialogue ne dispense pas de la mission, mais surtout il en fait partie. Le dialogue interreligieux, ainsi
que l’annonce de la Bonne Nouvelle en Christ sont deux formes de la mission évangélisatrice de
l’Église. Après avoir confondu l’annonce avec l’évangélisation et avec la mission, désormais, la
mission évangélisatrice désigne l’ensemble des activités de l’Église dans laquelle s’inscrivent
l’annonce et le dialogue.

3. Perspectives et enjeux

Si, depuis plus d’un demi-siècle, la réflexion sur le dialogue interreligieux et sur la théologie des
religions est devenue l’un des enjeux majeurs pour la foi chrétienne et pour la mission
évangélisatrice de l’Église, il faut souligner son caractère relativement récent et l’absence d’une
doctrine qui définit clairement le statut des religions non chrétiennes et, par conséquent, le rapport
que l’Église catholique doit entretenir avec elles. Les textes du Magistère désignent une orientation
et ouvrent la voie à une recherche théologique qui doit s’inspirer des Écritures, prendre en compte la
Tradition de l’Église et se situer dans un contexte où l’on est appelé à quitter toute logique binaire et
appréhender le réel dans sa complexité.

En passant du « salut des infidèles », et donc de l’absence de tout dialogue, au salut que l’Esprit
opère « dans les religions » et « par elles » en faisant croître les semences du Verbe (10), l’approche
de l’Église catholique a effectué un saut épistémologique considérable. Désormais, le dialogue
interreligieux n’est pas une option, il indique la voie d’une foi profondément enracinée et résolument
ouverte au monde dans sa diversité. S’adresser à la liberté de chacun en repérant ce qui est vrai et
bon, non seulement dans les individus, mais aussi dans les cultures et les religions devient une
exigence chrétienne.

La montée d’une certaine forme d’intégrisme religieux depuis quelques décennies lance un nouveau
défi. L’enjeu est de taille : quel dialogue avec les religions marquées parfois par des courants
extrémistes ? Peut-on dialoguer indifféremment avec toutes les sensibilités qui composent une
tradition religieuse ? L’approche différenciée des religions, plus juste et plus nuancée, ne devrait-elle
pas aller encore plus loin ? De même que le dialogue interreligieux est relatif au statut de chacune
des religions, ainsi le dialogue avec chacune des religions ne peut qu’être relatif à la manière avec
laquelle ceux qui se réclament d’une religion se situent.

(*) Michel Younès vient de publier Pour une théologie chrétienne des religions, Desclée de Brouwer,
2012. Note (a) de La DC.

(1) Il suffit de retenir du premier l’érection du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux le
17 mai 1964, l’Encyclique Ecclesiam suam le 6 août de la même année (DC 1964, n. 1431, col.
1057-1093), ainsi que la proclamation de la Déclaration Nostra aetate le 28 octobre (DC
1965, n. 1458, col. 1825-1830) ; et du second : la convocation à deux rencontres
interreligieuses à Assise en octobre 1986 et en janvier 2002, et ses nombreuses prises de
parole dans ce sens. Voir à ce sujet les documents rassemblés par Mgr Fr. Gioia, Le dialogue
interreligieux dans l’enseignement officiel de l’Église catholique du concile Vatican II à Jean-
Paul II (1963-2005), Paris, Éditions de Solesmes, 2006, 1700 p.

(2) Sans être exhaustif, on peut mentionner le développement des rencontres favorisant un
dialogue de voisinage, sur des valeurs communes, des échanges théologiques ou encore
d’expériences spirituelles. Sur ces niveaux de dialogue, voir le document du Conseil pontifical
pour le Dialogue interreligieux et de la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples, «
Dialogue et annonce, Réflexions et orientations concernant le dialogue interreligieux et
l’annonce de l’Évangile » ; DC 1991, n. 2036, p. 874-890.

(3) Certains contestent l’application de la notion de foi aux autres religions se référant à la
déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi Dominus Iesus (signé par le cardinal
J. Ratzinger en 2000) ; DC 2000, n. 813-822. Sur ce sujet voir les éclairantes analyses sur
Dominus Iesus de Henri de la Hougue, L’estime de la foi des autres, Paris, DDB, 2011.

(4) Voir GS 92 § 4.

(5) Ce qualificatif est évoqué au § 4 de la déclaration NA, réservé au rapport avec les Juifs.

(6) Voir NA 2.

(7) Voir la lettre encyclique Ecclesiam suam de 1964, § 73-79 ; DC 1964, n. 1431, col. 1081-1082.

(8) Voir notamment LG § 16 et NA les § 2 à 4.

(a) DC 1991, n. 2022, p. 152-191

(9) Signalé plus haut, note 2.

(10)Voir sur ce point l’Exhortation apostolique de Paul VI, Evangelii nuntiandi de 1975, § 80 (DC
1976, n. 1689, p. 20), l’encyclique Redemptoris missio, § 28 et 29 (DC 1991, n. 2022, p. 162-
163), ainsi que le document de la Commission théologique internationale de 1997, Le
christianisme et les religions, § 84-86 (DC 1997, n. 2157, p. 325-326). Le document reconnaît
qu’il est contradictoire d’affirmer l’agir de l’Esprit dans les individus et non pas dans les
religions. Cependant, note le document, les religions exercent « une certaine fonction
salvifique […] [néanmoins, poursuit-il], cela ne signifie pas que “tout” en elles soit salvifique
». Ce qui conduit à discerner les éléments salvifiques que permettent les religions à l’égard
de leurs fidèles et interdit de les considérer comme des voies parallèles et autonomes de
salut.

À découvrir Guerre en Ukraine, jour 601 : Poutine en Chine, frappes sur des aéroports russes

Younès (Michel)

Vatican II (Concile)

Dialogue interreligieux

L’essentiel à midi

La sélection de la rédaction, trois fois par jour

Le 17/10/2023

Attentat à Bruxelles : ce que l’on sait de l’attaque qui a fait deux morts

Cyberharcèlement : une famille sur quatre y est confrontée

Israël : au « QG des personnes disparues », la « crème de la crème de la tech » se mobilise

Israël : au « QG des personnes disparues », la « crème de la crème de la tech » se mobilise

Mgr Emmanuel Tois, nouvel évêque auxiliaire de Paris

Plus d’articles

Autour de cet article

Guerre en Ukraine, jour 601 : Poutine en Chine, frappes sur des a…

Guerre en Ukraine, jour 601 : Poutine en Chine, frappes sur des aéroports russes

Guerre Hamas-Israël, jour 11 : discussions sur les otages, l’ONU…

Guerre Hamas-Israël, jour 11 : discussions sur les otages, l’ONU s’inquiète pour les réfugiés

Wole Soyinka : « Tout ce qui n’est pas la liberté est mon ennemi …
Wole Soyinka : « Tout ce qui n’est pas la liberté est mon ennemi »

Écologie : « État, consommateur, entreprises… chacun voudrait q…

Écologie : « État, consommateur, entreprises… chacun voudrait que les autres bougent avant eux »

En complément

Le Concile dans La DC

Les plus lus

Venu à Arras après l’attentat dans un lycée, le président Emmanuel Macron a dénoncé vendredi 13
octobre «<em> la barbarie du terrorisme islamiste</em> ».

1.

Attentat à Arras : victimes, discours de Macron… Ce qu’il faut savoir de l’attaque

2.

Grève du vendredi 13 octobre : école, transports… Vers des perturbations limitées

3.

Justice : ce que contient le projet de loi porté par Éric Dupond-Moretti adopté au Parlement

4.

Conflit israélo-palestinien : cinq dates clés pour comprendre l’histoire de la bande de Gaza

5.

La secrétaire d’État à la ville Sabrina Agresti-Roubache prend le portefeuille de la citoyenneté

À la Une

L’actu à ne pas manquer

Nous contacter

Nos services

L’écosystème de La Croix

Les sites du groupe Bayard

Bayard logo

Politique de confidentialité – Gestion des cookies – Mentions légales – CGU – Sitemap – Classement
Tour de France 2022 – Résultats élection présidentielle 2022 – Résultats élections législatives 2022 –
Résultats élections régionales 2021 – Résultats élections départementales 2021
© 2023 – Bayard – Tous droits réservés - @la-croix.com est un site de la Croix Network

Vous aimerez peut-être aussi