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Revue d'histoire et de philosophie

religieuses

Unité et diversité du christianisme primitif


Maurice Goguel

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Goguel Maurice. Unité et diversité du christianisme primitif. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 19e année
n°1,1939. pp. 1-54;

doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1939.3056

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1939_num_19_1_3056

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REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE

RELIGIEUSES

Unité et diversité

du christianisme primitif (l)

retrouvé
vieil Depuis
individualisme
le sens
environ
de a
une
l'Eglise,
cédé
génération,
du
de terrain;
la communauté
la onpensée
est revenu
religieuse.
protestante
à l'idée
Le
a

primitive de l'Eglise, réalité mystique, corps du Christ. On a


cessé d'y voir seulement, comme, par réaction contre la con¬
ception catholique, cela avait parfois été le cas au XIXe siècle,
un rapprochement extérieur d'individus croyants, s'édifiant les
uns les autres et réalisant, par leur vie commune, un climat
favorable au progrès et à l'épanouissement de la vie religieuse.
Vers le même temps, il s'est produit, non pas dans le
domaine de la vie et de la pensée, mais dans celui de la science
religieuse, une évolution qui présente avec la revalorisation de
la notion d'Eglise au sein du protestantisme, certaines analo¬
gies qui autorisent à penser que la rencontre n'est pas pure¬
ment fortuite.
Sous l'influence des progrès réalisés dans l'ordre des
études sociologiques, on a compris que, pour étudier l'histoire
d'une religion et de sa formation, il ne convenait pas de consi¬
dérer seulement les grandes personnalités dont la pensée et
l'action ont exercé une influence visible, mais qu'il fallait aussi
envisager la masse anonyme et impersonnelle des fidèles, celle
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dont la vie et la pensée collectives se reflètent surtou


culte et dans les traditions. On a compris que l'his
christianisme primitif, ce n'était pas seulement celle d
sée de Pierre, de Paul, de Jean, de Jacques, de Clément
d'Ignace d'Antioche, mais que c'était aussi celle de la co
collective qui a subi l'influence de ces personnali
geantes, mais d'autres influences aussi et dont le d
ment a obéi à des lois qui ne sont pas identiquement c
régissent le développement des pensées individuelles.
Aussi longtemps que la pensée religieuse prote
voyait, sinon théoriquement, du moins pratiqueme
l'Eglise, guère plus qu'un agrégat d'individus croyants
vait ne pas y avoir d'inconvénient majeur, de contrad
principe à ce que les chrétiens se groupassent en une s
ganisations ecclésiastiques distinctes les unes des au
pouvaient s'ignorer, quand elles ne se combattaient pas
plus pouvait-on regretter, d'un point de vue pratique,
sion, l'émiettement de forces qui, en présence de tâches
auraient eu besoin d'être concentrées. On pouvait déplo
l'impression produite par les divisions et par les luttes
de la chrétienté. L'idée d'Eglise ayant été remise en v
divisions des chrétiens sont apparues sous un tout au
Elles n'ont plus été considérées seulement comme un fa
table et inopportun, mais comme un véritable scandale
tion même de ce qu'est ou de ce que doit être l'Eglise. S
le corps du Christ, comment accepter qu'elle soit divis
écrivait aux Corinthiens : « Christ est-il divisé ? Paul
crucifié pour vous et est-ce au nom de Paul que vous
baptisés ?» (/ Cor. I13). Traduisons ces mots en lang
jourd'hui : Saint Thomas ou les Pères du Concile de Tre
celui du Vatican, ou Luther, ou Calvin ont-ils été cruc
vous, ou bien est-ce en leurs noms que vous avez été
De là cette aspiration à l'unité qui s'est manifestée d
vingtaine d'années sous tant de formes et jusqu'au sein d
catholique. Il ne s'agit pas là d'une aspiration vague, d
desiderium, mais de sentiments qui ont imposé des devo
ont produit des actes, tant sur le plan général où se d
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 3

Il est souvent arrivé, et il est naturel qu'il soit arrivé, à ceux


que hantait l'idée de l'unité de l'Eglise, de se tourner avec nos¬
talgie vers le passé, vers le temps béni où l'unité de la chrétienté
n'avait pas été brisée, où la robe sans couture du Christ n'avait
pas été déchirée. Rien de plus légitime. Mais, aux temps apos¬
toliques, l'unité de l'Eglise a-t-elle vraiment été une réalité ?
L'âge d'or auquel on voudrait revenir, n'est-il pas un mythe ?
Que l'Eglise primitive ait eu l'idéal de l'unité, c'est incontes¬
table; mais que, dans le premier siècle de sa vie, la réalité ait
répondu à cet idéal, c'est ce qui est moins certain et c'est ce que
je voudrais examiner devant vous. Si cet examen conduit à cons¬
tater que l'Eglise primitive a été beaucoup plus et beaucoup plus
profondément divisée qu'on ne l'admet d'ordinaire, il vaudra la
peine de rechercher quelles réactions ces divisions ont provo¬
quées et quelles sont les forces qui ont empêché un émiettement
définitif de la chrétienté.
*

Il est remarquable qu'on ne trouve nulle part dans le Nou¬


veau Testament de justification théorique et directe de l'idée
d'unité de l'Eglise. Avec des nuances d'ordre secondaire qui ont
varié suivant les régions, les moments et les individus, le chris¬
tianisme primitif a toujours conçu l'Eglise comme formée de
ceux sur lesquels le Christ régnait ou régnerait. Le Christ lui-
même constituait ainsi le lien vivant par lequel les chrétiens
étaient unis entre eux. Tous les croyants communiaient dans
l'attente de son retour. Ceci obligeait à reconnaître que là où ils
étaient divisés, ce ne pouvait être que parce que le lien qui les
unissait au Seigneur, était altéré. Nous avons rappelé, il y a un
instant, la parole par laquelle l'apôtre Paul a condamné la divi¬
sion de l'Eglise de Corinthe en factions rivales : sa signification
est parfaitement claire. Ce qu'elle veut dire c'est ceci: le fon¬
dement de l'Eglise, c'est le Christ qui à été crucifié pour opérer
l'œuvre de la rédemption et auquel chacun des croyants est uni
individuellement par la foi et par le baptême d'une manière qui
a pour conséquence que l'œuvre objective de la rédemption lui
est personnellement appropriée. Que le rapport individuel et
collectif des croyants avec le Christ soit conçu comme mystique
4 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

au retour du Seigneur, comme il paraît l'avoir été à J


la différence, si importante qu'elle soit à certains égar
pourtant qu'une nuance, malgré tout secondaire, puisq
le présent comme dans l'avenir, c'est le Christ qui règn
régner qui est le fondement et la raison d'être de l'Eglis
ci doit donc être une comme le Christ est un. D'après l'é
Ephésiens (4 5), s'il y a une seule Eglise, c'est parce
un seul Seigneur et si l'apôtre ajoute qu'il y a aussi u
foi et un seul baptême, ce n'est qu'une manière d'insiste
sur l'unité du Christ puisque ce qui fait l'unité de la
son objet, le Christ et ce qui fait l'unité du baptême, c
au nom de qui il est donné, c'est-à-dire encore le. Ch

Le quatrième évangéliste n'envisage pas les chos


ment. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire la Prière
tale. Pour que les chrétiens aient entre eux une unité s
à celle qu'il y a entre le Père et le Fils, il faut que Dieu
par le nom du Christ, c'est-à-dire que la relation mystiq
ont avec le Christ soit maintenue intacte (1711) ; il f
aient en eux la gloire, la δο'ξα du Christ, celle que le
a donnée. C'est alors seulement qu'ils seront « accomp
l'unité » (1722).

Il peut y avoir dans l'Eglise des α ίρέσεις, des opin


ticulières, Paul dit même qu'il faut, c'est-à-dire, aussi lo
que la connaissance sera imparfaite, qu'il est inévitabl
en ait, mais il ne doit pas y avoir des σχίσματα, des
profondes qui opposeraient les uns aux autres les mem
corps du Christ (I Cor., 1119. Cf. I10; 1118; 1225).
Sur la question de principe, il n'y a ainsi aucune di
aucune hésitation possibles. Le christianisme primitif
l'unité non pas comme une sorte de qualité supérieure que
pourrait et devrait s'efforcer d'acquérir, mais dont, à la
elle pourrait se passer sans que son existence en soit
mise ; il y a vu la conséquence nécessaire de son élém
titutif le plus essentiel. L'Eglise doit être une; si elle
pas, la condition primordiale de son existence n'est pa
ment réalisée.
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 5

le Christ ne prie pas pour que ses disciples restent uns mais
pour qu'ils le soient, c'est-à-dire pour qu'ils le deviennent (1711).
On avait peut-être plus la nostalgie de l'unité que le sentiment
de sa complète réalisation. Quand, vers la fin du premier siècle,
les fidèles s'assemblaient pour rompre le pain, ils priaient
ainsi :«
Comme ce pain, autrefois dispersé sur les collines, est
devenu un, qu'ainsi ton Eglise, venant des extrémités de la
terre, soit rassemblée dans ton Royaume » ( Didachè 94). Ils
disaient encore : « Souviens-toi, Seigneur, de ton Eglise. Délivre
la de tout mal, assemble-la des quatre vents dans ton Royaume
que tu as préparé pour elle, la sanctifiée, car à toi appartiennent
la puissance et la gloire pour l'éternité » (105) .

C'est son idéal que l'Eglise de la fin du premier siècle a


exprimé en se représentant qu'aux temps apostoliques les chré¬
tiens n'étaient « qu'un cœur et une âme » (Actes 432) et qu'ils
« persévéraient tous ensemble dans la doctrine des apôtres »
(Actes 242). Au bout d'un certain temps seulement, s'imagi¬
nait-on, cette unité bénie aurait été brisée par l'infidélité ou
l'ambition, c'est-à-dire par le péché des hommes et par la malice
de Satan. De nombreux passages du Nouveau Testamennt qui
appartiennent, il est vrai, à des livres relativement récents,
comme les épîtres pastorales (I Tim. 41. II Tim. 31; 43) ou la pre¬
mière épître de Jean (218 ; 41), ou même franchement tardifs,
comme l'épître de Jude (18), ou la seconde de Pierre (21 ss. ; 33),
affirment que, dans les derniers temps — ceux dans lesquels
les auteurs de ces livres avaient le sentiment de vivre — surgiront
des faux-prophètes, des antichrists, des maîtres d'erreur, des fau¬
teurs de schismes et d'hérésies. Dans l'apparition de ces hommes
néfastes, on voyait l'un des symptômes de la venue de ces temps
mauvais que, d'après la conception apocalyptique juive, devait
amener, avant que vienne la fin, le redoublement de rage éprouvé
par Satan quand il sent que le moment de sa défaite définitive
approche.

Les traditions des Eglises palestiniennes que nous connais¬


sons par quelques fragments des Mémoires d'Hégésippe qu'Eu-
sèbe nous a conservés, présentent la même idée sous une forme
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ne l'avait encore souillée. Mais un certain Thebutis,


n'avoir pas été appelé à l'épiscopat auquel il aspirait, c
à la corrompre en y introduisant les idées pernicieuses
hérésies juives (*).
Je ne mentionnerai que pour mémoire une série de
ont pu êtres graves mais qui n'ont pourtant pas une
principe. Je pense à ces divisions qui «ont eu pour c
conflits de personnes et des ambitions rivales qui se son
tées. Il ne faut pas se représenter le christianisme prim
des couleurs trop idéalisées. Les premiers chrétiens on
hommes comme nous, sujets à bien des faiblesses et à
inconséquences. Si Paul les appelle des « saints », cel
« appelés à la sainteté » et non pas effectivement saints.
qu'aient été ces divisions et si réel le danger qu'elles
courir à l'unité du christianisme, elles ne mettaient pas

cipe même en cause. **


*

Le christianisme primitif a présenté, suivant les r


suivant les hommes, des aspects très divers. A Jérusa
la période la plus primitive, celle dont la pensée se re
les discours de Pierre, Jésus est considéré comme u
envoyé par Dieu et approuvé par lui, comme son servi
il s'est servi pour accomplir des miracles. Après que
l'ont fait injustement périr en le livrant aux païens,
ressuscité et établi à sa droite, dans les cieux, comme
prince de la vie. De là, il reviendra pour accomplir l'œ
sianique, au jour fixé pour la restauration de toutes
l'établissement d'un monde nouveau. En attendant, il
ciel à la droite de Dieu (4cies 531). La foi de ceux qui s
à lui et espèrent en lui a donc un objet dans le passé,
a enseigné et dont la vie est un modèle ; elle en a un d
nir, Jésus revenant comme Messie. Pour le présent,
n'a, peut-on dire, qu'un caractère théorique, c'est bien
qui est à la droite de Dieu, mais un Messie inactif et q
inactif jusqu'au moment du drame final.
On peut relever dans le Nouveau Testament, la trac
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 7

tence qu'elles cherchent l'explication de la messianité de Jésus.


Les récits de la naissance surnaturelle en situent les origines au
moment où Jésus a, par l'action du Saint Esprit, été conçu dans
le sein de la vierge Marie. Le récit du baptême, plus exacte¬
ment, le récit archaïque que l'on peut reconnaître derrière les
récits actuels, en expliquait l'origine par le fait qu'au moment
où Jésus avait reçu le baptême, l'Esprit Saint était descendu sur
lui et qu'une voix céleste lui avait dit, comme le porte le texte de
Luc (3 22) dans le manuscrit D : « Tu es mon Fils bien-aimé,
aujourd'hui je t'ai engendré ».

Chez l'apôtre Paul, la conception est toute différente. Il y


a une doctrine de la préexistence. Le Christ est le premier-né
de toute la création, son chef, l'organe par lequel elle a été réa¬
lisée. Toute cette christologie paraît avoir été ignorée de la pen¬
sée jérusalémite primitive. Elle a son importance, bien qu'il
s'agisse d'une spéculation sur la foi, d'une interprétation et
d'une explication plutôt que de la foi elle-même. Ce qui est plus
significatif, c'est que le Christ, Messie à la droite de Dieu, de la
théologie paulinienne, s'il est bien toujours un Messie dont on
attend le retour, n'est pas, pour cela, un Messie provisoirement
inactif. Il est, par son Esprit répandu sur les siens, présent et
agissant dans la vie des croyants, tant dans leur vie individuelle
que dans leur vie collective.

Tandis que, à Jérusalem, le salut est seulement l'objet d'une


espérance et ne deviendra une réalité qu'au moment de la parou-
sie, dans les communautés pauliniennes, il est déjà une réalité,
bien qu'il ne doive être achevé et complet que lorsque le monde
ancien aura été transformé.

Une christologie analogue à celle de Paul se rencontre dans


le Quatrième Evangile et dans Tépître aux Hébreux, toutefois
avec une différence qui est loin d'être sans portée. Le Christ
de Paul ne possède le titre de Kurios et, avec lui, le droit à l'ado¬
ration que dans sa postexistence glorifiée. Le Christ de la théo¬
logie johannique, au contraire, était déjà, dans sa préexistence,
ce qu'il est dans sa glorification; celle-ci n'a fait que lui rendre
la gloire qu'il avait avant que le monde ne fût (175). La position
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de Dieu et l'empreinte de sa substance » (l3) et, en s


logos divin, bien que le terme ne soit pas employé dan
il faut pourtant que, par la souffrance, il soit conduit
fection (589).

A Jérusalem, comme dans les communautés pau


l'Evangile est conçu comme étroitement solidaire du
puisqu'il en est l'accomplissement, mais cette solidarité
prise des deux côtés de manières fort différentes. Pour
salémites, elle signifie que c'est dans le cadre de la com
religieuse du judaïsme que l'Eglise doit se développer
dire que toute l'organisation cultuelle et rituelle du
doit rester en vigueur. Sans doute, on a bien conscie
mission universelle de l'Evangile, mais l'appel des païen
implique leur intégration dans la communauté religie
Il faut passer par la synagogue pour entrer dans
L'apôtre Paul, lui, adopte une position toute différen
désavoue pas la tradition religieuse du peuple juif
enseigne que le Christ est le terme de la Loi, c'est-à
tout le système cultuel et rituel du judaïsme ne valait q
sa venue ou jusqu'à l'accomplissement de son œuvre
sont pas, pour lui, les membres du peuple juif qui
héritiers de la promesse faite à Abraham, promesse
rapporte au salut, c'est uniquement le Christ et, par
médiaire, tous ceux qui croient en lui, peu importe qu
juifs ou païens, circoncis ou incirconcis.

Si, au lieu de considérer la conception même de la


envisageons ce qui concerne l'organisation de l'Eglise
constatons pas une moindre diversité. A Jérusalem, la
de l'Eglise paraît avoir été entre les mains des Douze
qui, ayant été associés au ministère de Jésus, avaien
famille spirituelle et qui, d'autre part, avaient été l
noyau autour duquel s'était formée l'Eglise et, en mêm
qui étaient les porteurs de la tradition qui était sa rais
Dans les communautés helléniques où Jésus apparais
coup plus comme le Seigneur céleste qui avait été, sur l
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 9

des communautés étaient exercées par ceux qui recevaient de


l'Esprit à la fois la vocation et la capacité de les remplir.

Ainsi, d'un côté, il y avait une autorité de fait qui, peu à


peu, devait se transformer en une autorité de droit par l'idée que
les Douze avaient fait l'objet d'un choix et d'une institution de
la part du Seigneur. De l'autre côté, il y avait une autorité qui
était en même temps de droit et de fait, mais qui ne pouvait
avoir qu'une valeur transitoire parce que le phénomène de l'ins¬
piration est, par sa nature même, condamné à s'épuiser au bout
d'un temps plus ou moins long et que, d'ailleurs, si, par l'élément
de création et de spontanéité qu'il représente, il répond admira¬
blement aux besoins d'une religion en voie de formation, il est
moins adapté à ceux d'une religion en voie de stabilisation qui
tend à devenir traditionnelle et qui a surtout besoin de con¬
tinuité.

Il y avait là deux systèmes dont la différence révèle deux


conceptions théologiques et religieuses bien distinctes. A Jéru¬
salem, les Douze sont ceux qui dirigent provisoirement la com¬
munauté des disciples en qualité de vicaires ou de remplaçants
du Messie, en attendant qu'il vienne régner directement sur elle.
Dans les communautés pauliniennes, c'est le Christ lui-même
qui dirige l'Eglise par l'intermédiaire des inspirés. Cela corres¬
pond — il est à peine besoin de le souligner — à la différence
que nous avons déjà signalée entre la pensée jérusalémite toute
entière orientée vers l'avenir, vers le moment où le Christ vien¬
dra agir en Messie et la pensée paulinienne qui, sans avoir pour
cela cessé d'être une pensée eschatologique, a, avec une très
grande intensité, le sentiment de la présence et de l'action du
Christ.

Mais la diversité de l'organisation ecclésiastique, dans les


premières générations, a été plus grande encore. A Jérusalem,
à ce que nous pouvons appeler la conception apostolique, s'est
opposée une autre conception que nous pouvons appeler dynas¬
tique, celle d'après laquelle, ceux qui sont qualifiés pour diriger
la communauté messianique en attendant le retour du Seigneur,
ceux qui sont les plus proches de lui, ce sont, non les Douze,
10 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSE

obligé Pierre à s'éloigner de Jérusalem après qu'il eû


à la prison où l'avait jeté Hérode Agrippa I, il fut r
la tête de la communauté jérusalémite par Jacques, l
Jésus et, depuis ce moment jusqu'en 135, c'est-à-
longtemps qu'il y eut une communauté chrétienne de
à Jérusalem, les desposunoi jouèrent dans sa directio
de première importance. Diverses considérations qu'il s
long d'exposer ici montrent que ce qui s'est passé à
en 44 n'a pas été un changement de personnes motivé p
constances, mais, à la faveur des circonstances, un ch
de régime et de système. Ce qui l'a déterminé ne me
avoir été seulement une rivalité personnelle entre les
les desposunoi, mais aussi une conception diffé
Royaume du Messie. Les quelques fragments des
d'Hégésippe que l'historien Eusèbe nous a conservés,
que ce qui faisait l'autorité des desposunoi, ce n'était
ment le lien de chair qu'ils avaient avec Jésus, mais q
aussi le fait que l'on pensait que, comme Jésus lui-mêm
cendaient de David. Ce qui a triomphé avec les desp
n'est pas seulement un groupe de personnes, c'est auss
ception nationale du Royaume de Dieu. Et nous verron
plus loin, que, dans la grande lutte qui s'est poursuivi
vingt ans au moins au sujet des obligations des païens
à l'égard de la Loi juive, ce furent ceux qui cherchaien
piration auprès de Jacques qui se montrèrent les adver
plus décidés de l'apôtre Paul et de la thèse de l'univ
c'est-à-dire ceux qui pensaient le plus nettement que
ne pourraient être sauvés s'ils n'étaient pas, par l'accep
la circoncision et l'observation du ritualisme, intégré
communauté religieuse d'Israël.

Ces différences que nous venons de passer en rev


manifestées dans les vingt premières années de la vie d
Elles n'ont pas seulement porté, on l'a vu, sur des poi
soires, sur des questions d'organisation extérieure qui p
ne faire que refléter la» diversité des circonstances et de
dans lesquels le christianisme s'est développé, ou bie
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 11

questions qui avaient, pour la vie religieuse autant que pour la


pensée chrétienne et la vie ecclésiastique, une importance capi¬
tale, à tel point qu'on pourrait presque aller jusqu'à se demander
si le christianisme jérusalémite et le christianisme paulinien n'ont
pas constitué deux religions, apparentées, sans doute, mais, ce¬
pendant, distinctes. Et si quelque chose doit surprendre, ce
n'est pas que des conflits se soient élevés chaque fois que le
christianisme jérusalémite et le christianisme paulinien se sont
trouvés en présence, c'est que ces conflits n'aient pas abouti à
une division définitive et à la constitution de deux Eglises con¬
damnées à s'ignorer ou à se combattre.

Si la différence entre le christianisme palestinien et le chris¬


tianisme paulinien est particulièrement frappante, ce n'est pas la
seule. Je ne ferai que rappeler, d'un mot, le contraste que, vers
la fin du premier siècle, il y a entre la forme mystique du chris¬
tianisme hellénique et le christianisme moralisant de l'épître de
Jacques et de la permière partie de la Didachè. Quelle différence
n'y a-t-il pas aussi entre la piété johannique où le Christ est au
centre de tout et l'épître de Jacques où c'est à peine s'il est
nommé, à tel point qu'on a pu, sans absurdité, soutenir que
c'était un écrit juif dans lequel le nom du Christ avait été in¬
troduit en deux passages ? N'est-il pas typique aussi que la
Didachè utilise, pour l'enseignement à donner aux candidats au
baptême, le livre juif des deux voies, enrichi seulement de
quelques paroles empruntées au Sermon sur la Montagne ?

C'est donc par tout autre chose encore que par l'orgueil et
l'égarement d'esprit ou par la pénétration dans l'Eglise de doc¬
trines étrangères à la foi, que l'unité du christianisme primitif
a été compromise. Le judéo-christianisme de Jérusalem et le
christianisme hellénique de Paul n'ont pas été des hérésies
mais des formes différentes et, à certains égards, inconciliables
du christianisme.

Le fait précis de l'hérésie doit aussi être considéré.


Qu'est-ce à proprement parler que l'hérésie ? C'est l'opinion par¬
ticulière d'un individu ou d'un groupe qui prétend s'opposer ou
se substituer à l'opinion commune de l'Eglise, que celle-ci ait
12 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSE

essayé d'écarter ce qui lui paraissait contredire ses tr


menacer, avec son unité, son existence même.
Il y a de cela un exemple typique dans les épîtres
siens et aux Ephésiens où est combattue une gnose ju
nique qui comportait une spéculation sur les êtres
aboutissait à un culte des anges et à certaines prati
tiques. Si de telles doctrines et de telles pratiques ét
venues à s'accréditer dans l'Eglise, elles auraient
altéré le christianisme.

Mais il n'est pas certain que la même interpréta


pour tout ce qui, dans le Nouveau Testament, est p
combattu comme hérésie. Je pense, par exemple, à la
de la première épître de Jean contre la christologie éb
celle du Livre aux Sept Eglises contre les Nicolaïtes e
phétesse Jézabel. Si ce sont là des hérésies, ce sont, e
à la différence de la gnose colossienne, ce que j'appe
hérésies intrachrétiennes. Je veux dire par là que ce so
des formes archaïques de pensée chrétienne qui surv
certains milieux alors qu'elles avaient disparu ailleur
des interprétations de certaines idées chrétiennes diff
celles qui étaient couramment reçues. L'unité de
cependant été compromise par ces doctrines et ceux q
combattues, ont pu légitimement avoir le sentiment d
ses intérêts vitaux. Et peut-être, si toutes ces doctrine
pas proprement erronées, étaient-elles cependant, à u
degré que celles que défendaient leurs adversaires,
exprimer l'Evangile d'une manière capable d'assurer
lité de l'Eglise.
îjC**{·

La manière dont nous pouvons nous représenter l'h


christianisme au premier siècle, est directement déter
la nature de la documentation dont nous disposons. C
essentiellement canonique. Elle est constituée, en pr
par les livres du Nouveau Testament auxquels il fa
les œuvres des Pères apostoliques que l'on peut
comme une sorte d'appendice au canon du Nouveau
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 13

quelques fragments d'Evangiles apocryphes (Evangiles judéo-


chrétiens, Evangile de Pierre, Evangile des Egyptiens), trop
brefs pour que nous puissions nous faire une idée précise du type
de christianisme des milieux dans lesquels ils ont été composés,
assez caractéristiques cependant pour que nous puissions recon¬
naître que ce n'était pas identiquement celui de la grande Eglise.
Ce sont aussi les quelques fragments des Mémoires d'Hégésippe
auxquels nous avons déjà fait allusion. Il faut ajouter à cela
quelques renseignements donnés par des Pères tels que Epiphane
et Saint Jérôme sur les débris du judéo-christianisme qui sub¬
sistaient encore de leur temps. Ici encore, nous discernons un
christianisme d'un caractère très particulier.

Le principal intérêt de cette documentation extra-cano¬


nique n'est pas dans les renseignements positifs qu'elle fournit,
mais dans le fait qu'elle permet de reconnaître que, à côté de
la forme dominante du christianisme, il y en a eu d'autres, diffé¬
rentes qui ne sont pas parvenues à s'affirmer d'une manière défi¬
nitive. Elles ont avorté. Pourquoi ont-elles avorté ? C'est là un
problème qui me paraît avoir une importance considérable et qui
est trop souvent méconnu.

Toute notre connaissance du christianisme du premier siècle


dérive du Nouveau Testament. Or le Nouveau Testament est
le résultat d'une sélection que, dans la seconde moitié du
deuxième siècle, l'Eglise précatholique a faite, sans doute sous
l'influence de la communauté romaine qui, à cette époque déjà,
commence à jouer un rôle important de direction. Elle a voulu
ériger en norme les livres qui émanaient des apôtres, mais elle
a opéré avec une conception très secondaire et très artificielle
de l'apostolat et de l'apostolicité. Et surtout, ce qui est intervenu
dans le choix des livres, ce ne sont pas des considérations de cri¬
tique littéraire et historique (que personne d'ailleurs n'était, à
cette époque, en état de faire valoir), mais des considérations
dogmatiques. L'Eglise a attribué une valeur normative à ceux
des livres que son passé lui avait transmis, dans lesquels elle
retrouvait son esprit et reconnaissait ses traditions authentiques,
menacées, à ce moment-là, par le marcionitisme et par le gnos-
14 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

Puisque les rares fragments extracanoniques que no


dons nous permettent seulement de reconnaître les l
notre information mais pas d'en combler les lacunes, nou
dans l'impossibilité de faire l'histoire du christianisme
Tout ce que nous pouvons tenter, c'est de poser le pro
la formation de l'Eglise et de rechercher ce qui, au cour
mier siècle, a été l'antécédent du précatholicisme puis d
catholicisme, mais en ayant bien soin de ne jamais ou
ce qui les a préparés ne représente pas tout ce que le
nisme a pu être au premier siècle et qu'il peut y avoir
de ses formes qui n'a que très peu contribué à la synthè

Je ne pense pas que nous ayons le droit de dire


formes qui n'ont pas ou qui n'ont que peu contribué à c
thèse finale, aient été des formes parasites ou infidèles
tianisme. Nous essayerons de montrer tout à l'heure qu
les éléments spécifiques du judéo-christianisme ont été
ce n'est pas pour des causes théologiques et religieu
pour des raisons d'un tout autre caractère.

En ce qui concerne le judéo-christianisme, nous


moins, des preuves de son existence, nous sommes en
donner une caractéristique générale et aussi, je crois,
naître certaines des causes pour lesquelles il n'a pas
Mais je crois qu'il y a eu d'autres aspects du christianism
tif qui nous échappent complètement. Je voudrais s
indiquer très sommairement un fait qui me paraît reco
cette hypothèse. On sait combien limitée est la connais
nous avons des premières extensions du christianisme.
connaissons — et encore seulement d'une manière assez
taire — que l'histoire de la fondation de l'Eglise d'Antio
missions pauliniennes. Mais il y a eu, dans le monde gréc
d'autres missions sur lesquelles nous ne savons rien, ne
que celle qui a donné naissance à l'Eglise de Rome. Es
semblable que le christianisme ne se soit étendu que
seule direction, celle qui, par Antioche, visait le mon
romain ? N'est-il pas probable qu'il a dû rayonner dan
directions encore? Et doit-on considérer comme vrai
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 15

du christianisme en dehors du monde grec ? On peut d'ailleurs


faire, dans l'ordre des considérations que nous indiquons, une
constatation précise. S'il y avait un pays auquel les premiers
missionnaires devaient naturellement penser, c'était bien l'Egypte,
en raison tant de l'importance de la colonie juive qui y était
établie que de la fréquence et de la facilité des relations qu'elle
avait avec la Syrie. Or nous ne savons rien sur les origines du
christianisme égyptien car les traditions qui parlent de l'évan-
gélisation de l'Egypte par Pierre et par Marc, sont des légendes
tardives dénuées de toute espèce de valeur. Pourtant l'Egypte
a été, en tout cas, évangélisée avant 58 puisque Paul, au moment
où il écrivait aux Romains ne trouvait plus en Orient de
lieu où le Christ n'avait pas encore été nommé et où il aurait
pu, en conséquence, entreprendre une œuvre missionnaire
(Rom. 15 19-24). Aurait-il pensé à l'évangélisation de la lointaine
Espagne si l'Egypte lui avait offert une terre vierge ? Nous ne
savons rien sur le christianisme égyptien avant le dernier tiers
du second siècle. Comment expliquer cela ? C'est une énigme de
laquelle il me semble que M. Walter Bauer a proposé une expli¬
cation très vraisemblable en relevant une série d'indices qui per¬
mettent de penser que le christianisme a pris d'abord en Egypte
une forme qui, jugée du point de vue postérieur, a été estimée
hérétique et que c'est pour cela que les souvenirs relatifs aux
premiers temps du christianisme égyptien ont été refoulés et
que, ultérieurement, des légendes se sont constituées pour sup¬
pléer à une ignorance à laquelle on ne pouvait pas se résigner.
Et M. Bauer a montré que ce qui s'est passé pour l'Egypte, a dû
se passer aussi pour d'autres régions. Ο

Des faits que nous venons de rappeler sommairement, et


d'autres encore, il résulte que, contrairement à l'opinion tradi¬
tionnelle, le christianisme ancien n'a pas été de l'unité vers la
diversité mais, au contraire, de la diversité vers l'unité. L'unité,
au moins relative, à laquelle il a abouti avec l'ancien catholi¬
cisme, a été le résultat d'un grand mouvement d'unification et
de concentration qui a rapproché, harmonisé, combiné des formes
de christianisme qui avaient été originairement indépendantes les
unes des autres, dont certaines s'étaient ignorées mais dont
16 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

d'autres s'étaient opposées les unes aux autres et co


D'autres paraissent avoir été complètement éliminées
apporté à la synthèse finale que fort peu d'éléments.
Comment cette unification du christianisme s'est-e
Quelles en ont été les causes ? En d'autres termes,
l'ancienne Eglise catholique s'est-elle formée ? Il y a
l'historien, un sujet de recherches difficiles certes, m
intérêt passionnant. Le problème n'est pas moins impor
le théologien. Il s'agit, en somme, de savoir si ce sont
des forces religieuses qui ont agi, si ce qui s'est pa
qu'ont été éliminées des formes de christianisme qui
leur existence à d'autres causes encore qu'au dynamis
foi, des formes, par conséquent, qui n'étaient pas viab
qu'elles n'étaient pas religieusement assez purement ch
La solution que l'on donnera à ce problème pourra avoi
christianisme d'aujourd'hui et pour l'avenir du m
oecuménique et la valeur des orientations qu'il est s
de prendre une importance capitale. Il s'agit de savoir
Sancta à laquelle il aspire, a été réalisée dans l'ancien
ou bien si l'unité de l'ancien catholicisme n'a pas été
de certaines circonstances contingentes et si, en la res
à supposer qu'il soit jamais possible de revenir en a
triompherait vraiment des divisions et des oppositions
bien qu'elles soient d'une toute autre nature que celles
nues le christianisme des premiers temps.
Je ne puis malheureusement songer à passer en r
les faits qu'il faudrait examiner de iprès pour être en ét
ner à ces questions une réponse tout à fait assurée. J
nerai à en analyser un petit nombre, choisis de manière
en lumière les principaux aspects du mouvement qui
à l'unité.

❖❖

La première trace de la coexistence de deux tendan


cilement conciliables remonte à une date très ancienne p
est antérieure à la conversion de l'apôtre Paul. Il s'a
juxtaposition dans l'Eglise de Jérusalem du groupe
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 17

parlait grec, ces deux groupes ne semblent pas s'être affrontés.


Avant qu'ils aient pu prendre conscience de ce qui les séparait,
la violente opposition des Juifs contre les Hellénistes les a con¬
traints à quitter Jérusalem. Les Hellénistes sont ainsi devenus
missionnaires et c'est à leur action qu'a été due la fondation de
l'Eglise d'Antioche. La dualité des centres de l'Eglise, Jérusalem
et Antioche, à un moment où le christianisme avait encore une
grande plasticité et où il n'était pas encore lié à des formules
théologiques ou à des formes cultuelles définitivement arrêtées,
a été un fait d'une grande importance. Pendant une dizaine ou
une quinzaine d'années, le christianisme a pu se développer sur
deux lignes distinctes. Deux types se sont constitués; quand ils
se sont rencontrés ils étaient, l'un et l'autre, assez caractérisés
et enracinés pour qu'il y ait pu y avoir purement et simplement
absorption de l'un par l'autre. Pour avoir été retardé, le conflit
entre eux n'en a été que plus aigu.

Le récit des Actes sur l'origine du ministère des Sept est


sans valeur historique. Pour mettre fin à un conflit entre Hellé¬
nistes et Hébraïstes au sujet de la distribution des aumônes,
Pierre aurait fait agréer par l'assemblée des fidèles, l'idée de
confier le soin des pauvres à sept hommes choisis à cet effet
(Actes 61'6). Mais s'il s'était vraiment agi d'assurer un traite¬
ment égal aux deux groupes, en aurait-on exclusivement chargé
des homsmes appartenant tous à l'un d'eux ? Dans la liste des
Sept, nous ne trouvons que des noms grecs.

De la plupart des Sept nous ne connaissons que le nom, mais


il y en a deux, ou peut-être trois, dont nous savons quelque chose
de précis: Etienne qui a été prédicateur et docteur, et Philippe
qui a été missionnaire. Quant à Nicolas, il aurait aussi été un
docteur si l'on pensait pouvoir retenir quelque chose des tradi¬
tions, d'ailleurs tardives et, sous la forme où nous les connaissons,
certainement légendaires, qui établissent un rapport entre lui
et les Nicolaïtes de la fin du premier siècle.

Les Sept ont été les prédicateurs et les chefs du groupe


helléniste comme les Douze étaient ceux du groupe hébraïste.
18 REVUB D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

auxiliaires, les diacres, qui avaient le soin des aumô


leurs attributions.

Mais l'auteur des Actes nous a conservé sur la pe


Hellénistes un document d'une très grande valeur, le
d'Etienne. Tel qu'il se présente, il est mutilé. De sa co
il ne subsiste que des débris informes. Il a aussi reçu
tions que trahissent de flagrantes contradictions. O
juxtaposées l'idée que, depuis le veau d'or, tout le culte
celui du Tabernacle et celui du Temple, a été un
d'idolâtrie (Actes 7 39-43> 47-50) et l'idée traditionnell
laquelle tout ce culte avait été institué et réglé suivan
tructions données par Dieu à Moïse (Actes 744-47). L
teur des Actes n'a pas compris la hardiesse de cet
et il a retouché son discours pour le rapprocher des i
rantes.

D'après les Actes, ce discours aurait été un plaid


lequel Etienne se serait défendu contre l'accusatio
déclaré que Jésus de Nazareth détruirait ce lieu, c
Jérusalem et, tout spécialement sans doute, le Temple
gerait les coutumes données par Moïse. Mais Etienn
aucune allusion à une accusation de cette nature et il n
pas contre l'imputation qu'on lui aurait faite, d'idées
raient pas été les siennes. Il y a plus : le réquisitoi
contre le peuple d'Israël, l'accusation portée contre
d'avoir, depuis le Sinaï, été un culte idolâtre conduise
sairement à cette conclusion que l'économie cultuelle du
doit être détruite et remplacée par une autre. Ce disc
pas un plaidoyer contre une interprétation malve
inexacte de la pensée d'Etienne, c'est un exposé direc
pensée.
Il y a une analogie frappante entre l'accusation por
Etienne et celle que, d'après Marc (14 57-59) et d'après
(26 60"62), des faux-témoins, aussi, auraient portée con
déclarant lui avoir entendu dire qu'il détruirait le T
le reconstruirait en trois jours, ce qui signifie qu'il re
l'économie religieuse et cultuelle du judaïsme et la
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 19

la hardiesse a fait penser à la tradition qu'elle n'avait pu être


attribuée à Jésus que par de faux-témoins. Cette parole permet
de penser qu'à la fin de sa vie, Jésus a désespéré de la conver¬
sion de son peuple et qu'il a cru qu'Israël ne réaliserait sa desti¬
née providentielle qu'au prix d'une réforme radicale qui briserait
le cadre du légalisme et du ritualisme. C'est alors qu'il a pro¬
noncé la parabole des vignerons, allégorie si transparente du
passage de l'Evangile des Juifs aux païens que sa rédaction doit
avoir été influencée par l'événement, mais dans laquelle, il faut
pourtant reconnaître un élément authentique.
La plupart des disciples de Jésus, les Douze entre autres,
avaient été trop attachés au judaïsme pour avoir pu comprendre
cette dernière forme de la pensée de Jésus et c'est pour cela
que l'Eglise de Jérusalem dont ils ont constitué le noyau, est
restée étroitement attachée au judaïsme. Mais un groupe de
disciples jérusalémites a dû recueillir l'enseignement dernier
de Jésus et c'est à ce groupe qu'ont appartenu Etienne et les
Hellénistes.

La pensée d'Etienne n'est ni du paulinisme, ni du prépauli-


nisme puisqu'elle condamne en principe le culte du Tabernacle
et du Temple dont Paul pensait qu'il avait été institué par Dieu
mais pour valoir seulement jusqu'à la venue du Christ. Ce n'est
pas une allégorie apparentée à la pensée de l'épître aux Hébreux,
ni du marcionitisme ou du prémarcionitisme puisque Etienne
admet que Dieu s'est révélé à Abraham et aux patriarches, qu'il
a parlé à Moïse et que, même après que le peuple se fût laissé
aller à l'idolâtrie, il lui a envoyé des prophètes.
L'hellénisme d'Etienne n'a pas eu d'influence durable à
Jérusalem. Il a provoqué de la part des Juifs une telle réaction
que, pour sauver leur vie, les Hellénistes ont dû quitter
la ville.

Ce que les Actes racontent de la dispute survenue entre


Hellénistes et Hébraïstes au sujet de la distribution des
aumônes provient-il de souvenirs plus ou moins confus de con¬
troverses d'une autre nature qui auraient marqué les premiers
temps de la vie de l'Eglise de Jérusalem ? C'est possible, mais
20 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUS

Pour les uns, tout en dépassant la religion d'Israël,


la prolongeait. Pour les autres, il était bien la réalis
promesse, mais cette réalisation laissait derrière
l'économie juive, désormais périmée.
Si un conflit n'a pas éclaté entre les représenta
deux théories opposées, c'est que les uns étaient à J
les autres à Antioche. Il n'y avait pas de contacts
Aucune des deux Eglises n'ignorait l'existence de l'
ni à Jérusalem, ni à Antioche ,on ne se rendait c
l'Evangile n'était pas compris de la même manière
d'autre.
*

Cette situation se prolongea jusqu'au moment où,


de 43 ou au commencement de 44, quelques chrétien
arrivèrent à Antioche. Y avaient-ils été amenés
affaires personnelles ou envoyés par l'Eglise de Jé
alors dans quel but ? Nous l'ignorons. Quoi qu'il en
ils virent qu'il y avait dans l'Eglise d'Antioche
d'origine restés incirconcis et qui n'observaient pas
leur représentèrent qu'ils ne pourraient pas être s
persévéraient dans cette attitude. Cette interventi
grande impression. Les Judéens auraient probablem
ce qu'ils demandaient, si Paul et Barnabas ne s'étaient
avec véhémence contre leurs prétentions. Les deux ap
seuls nommés comme opposants, on peut penser que
l'Eglise d'Antioche aurait cédé. Ieur influence cep
suffit pas pour la déterminer à rejeter purement et s
les exigences judaïsantes. Paul et Barnabas obtinrent
que la question restât en suspens et qu'on envoyât à
une délégation pour la discuter avec les chefs d
(Actes 15 12). Dans l'épître aux Galates, Paul dit q
à Jérusalem avec Barnabas à la suite d'une révélat
Il faut entendre que ce fut une révélation qui lui pe
la discussion directe avec les chefs de l'Eglise de
était la meilleure méthode qui pût conduire à une s
conflit.
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 21

il est venu discuter avec eux d'égal à égal. Sur ce point, comme
sur d'autres, le désaccord est formel entre le livre des Actes et
l'épître aux Galates. C'est au témoignage paulinien qu'il faut
donner la préférence. Le récit que Paul y fait de ses relations
avec l'Eglise de Jérusalem est destiné à rectifier la manière
dont elles avaient été présentées aux Galates. Avant de dicter
sa lettre, Paul a dû rassembler avec soin ses souvenirs pour
ne rien avancer dont il ne fût pas certain, car il aurait donné
barre à ses adversaires en présentant, par négligence, les choses
d'une manière que l'on aurait pu démontrer être inexacte.

Sur ce qui s'est passé à Jérusalem, les deux récits des Actes
(15 4 29) et de l'épître aux Galates (2ln10) diffèrent trop pro¬
fondément pour qu'une harmonisation puisse être tentée. C'est,
sans hésitation, en faveur du témoignage de l'épître aux Galates
que nous nous prononçons. Le récit des Actes n'est cependant
pas une déformation tendancieuse des faits. C'est un morceau
composé par un homme qui ne disposait que de traditions con¬
fuses et qui, la situation ayant totalement changé, n'était plus
en état de comprendre la question qui s'était posée à la con¬
férence de Jérusalem. Seuls peuvent être retenus de son récit
quelques détails de minime importance qui ne sont pas contre¬
dits par l'épître aux Galates, notamment ce qui est dit de quel¬
ques pharisiens ayant cru qui soutinrent à Jérusalem l'idée de
la nécessité de la circoncision, ce qui fut l'occasion d'une grande
dispute, dit le rédacteur des Actes.

Au début de son écrit, Paul mentionne un exposé de son


Evangile qu'il fit à l'Eglise de Jérusalem. C'est sans doute à
l'occasion de cet exposé que les pharisiens croyants émirent
leurs prétentions. La rapidité avec laquelle Paul passe sur ce
point, permet de reconnaître que les chrétiens de Jérusalem, en
majorité, au moins, refusèrent d'approuver la manière dont il
prêchait aux païens. Il ne se tint pas pour battu et reprit la
question dans des conversations particulières avec les « colonnes
de l'Eglise », Jacques, Pierre et Jean. Cette fois, non sans diffi¬
cultés, un certain résultat fut atteint mais combien limité et
combien théorique! Le problème de la circoncision ne fut pas
22 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSE

tit à la circoncision de Tite. Il s'y refusa catégoriquem


intransigeance de caractère ? Pour une part peut-êtr
volonté de ne pas sacrifier ce qu'il appelle « la liberté
jouissons en Christ » ? Certainement aussi ; mais sur
que, dans l'absoluité de sa foi, il ne pouvait admett
salut pût avoir d'autres causes ou même seulemen
conditions que, d'une part, la foi et, de l'autre, la grâc
et la puissance rédemptrice de la croix du Christ
résurrection.

Le seul résultat de la conférence fut que les « co


l'Eglise » tendirent la main d'association à Paul et à
et reconnurent qu'ils avaient reçu mission de Dieu d
l'Evangile aux païens comme Pierre de le prêcher aux
décevant qu'il ait été à certains égards, ce résultat
du moins à Paul de continuer sa prédication parmi
avec le sentiment que, théoriquement, en tout cas, su
principe de l'unité auquel il tenait, surtout pour des m
gieux, mais aufesi pour des considérations pratiques.

En tendant la main d'association à Paul, les


l'Eglise de Jérusalem que la critique représente parf
des fanatiques à l'esprit borné et qui, peut-être, ont
jugement en une certaine mesure, ont fait un acte d
et de foi, de courage parce qu'ils savaient que leur a
serait pas approuvée par la majorité des chrétiens de
de foi parce que, si l'impossibilité morale d'une d
l'Eglise leur apparaissait nettement, ils ne pouvaien
comment pourraient être résolus les problèmes tant
que pratiques que posait la coexistence de deux co
réellement inconciliables.

Une rupture avait été évitée dans le christianism


mais le problème subsistait tout entier. On peut mêm
qu'après la conférence de Jérusalem la situation était
qu'elle ne l'avait été avant, car les conversations qui
lieu, avaient montré l'impossibilité de toute conciliatio
de l'Eglise n'était qu'apparente. Le moindre incident r
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 23

ment au cours du séjour que Paul fit dans cette ville, entre le
premier et le second des voyages missionnaires que racontent
les Actes, soit autour de 47/48. Pierre qui s'y trouvait, n'avait
d'abord éprouvé aucun scrupule à se plier aux coutumes de
l'Eglise d'Antioche, dans laquelle il n'y avait pas de séparation
entre chrétiens d'origine juive et chrétiens d'origine païenne. Il
participait donc aux repas communs, ce qui, peut-être, signifie
qu'il célébrait la cène avec les chrétiens d'origine païenne. Mais
des gens du parti de Jacques, c'est-à-dire des judaïsants rigo¬
ristes, arrivèrent à Antioche. Etaient-ils venus à titre privé ou
bien avaienHls été envoyés par Jacques pour exercer une sorte
de contrôle ou pour faire cesser des pratiques qui, d'un point de
vue strictement juif, pouvaient être jugées scandaleuses ? Nous
ne le savons pas. Mais, en tout cas, en leur présence, Pierre
prit peur et n'osa pas persévérer dans son attitude. Craignait-il
de les scandaliser ou redoutait-il les rapports qu'ils pourraient
faire à Jacques ? On ne sait. En tout cas, il se tint à l'écart,
rompant ou, au moins, suspendant ses relations avec les païens
d'origine. L'exemple ainsi donné fut suivi par les autres chré¬
tiens de race juive et même par Barnabas. Paul fut indigné
de ce manque de courage et de cette inconséquence et reprocha
publiquement à Pierre ce qu'il appelle son hypocrisie.

Ce sévère jugement n'est certainement pas entièrement


injuste. Il faudrait beaucoup de parti-pris pour faire l'apologie
de la conduite de Pierre. On peut cependant réclamer pour lui
le bénéfice des circonstances atténuantes. La situation était
telle qu'il devait nécessairement scandaliser ou bien les pagano-
chrétiens d'Antioche ou bien les partisans de Jacques. Son
véritable tort a été d'avoir adopté une certaine attitude sans
avoir suffisamment examiné s'il pourrait s'y tenir en toute
circonstance.

Le silence qu'observe l'épître aux Galates sur les réactions


que dut provoquer cette violente intervention de Paul, donne
à penser qu'elles ne lui furent pas favorables. Après l'incident,
ses relations avec l'Eglise d'Antioche ne furent plus ce qu'elles
avaient été jusque là. Il fit de plus en plus figure d'isolé. Bar¬
24 REVUE d'histoire et de philosophie religieuse

prendre comme collaborateur parce que, dans le premi


il s'était découragé et n'avait pas persévéré jusqu'au b
explication pourrait bien avoir été substituée à un
conflit plus grave.
C'est vraisemblablement à la suite de l'incident d
que l'Eglise de Jérusalem édicta un règlement qu
à' Actes 15 présente, à tort, comme ayant été form
conférence de 43/44. L'esprit qui l'inspire est assez lib
que les conditions qu'il pose, sans doute pour que les
d'origine juive puissent accepter d'avoir des relation
païens convertis, sont d'ordre uniquement négatif. I
seulement demandé de s'abstenir de certaines choses
mation des viandes sacrifiées aux idoles ou non ri
abattues et de mariages à des degrés de parenté pr
la Loi juive) qui froissaient particulièrement les J
s'il avait connu ce règlement avant sa dernière visite
lem où Jacques le lui fit connaître (Actes 21 25), n'aur
lui refuser son adhésion, lui qui déclare qu'il préférer
cer à tout jamais à manger de la viande plutôt que
daliser un frète (I Cor. 8 13).

Si le règlement de Jérusalem a peut-être prévenu


d'incidents semblables à celui qui s'était produit à A
n'a pas et il ne pouvait pas mettre fin à l'opposition
linienne. Jamais au contraire cette opposition n'a été
et aussi active que dans la période qui a suivi l'incid
tioche et spécialement que dans les années 57-58
marquées par les crises de Grèce et de Galatie.

Il est difficile de faire l'histoire de la crise cor


à la fois parce qu'elle a évolué avec une extrême r
que, en réalité, deux crises, différentes par leur nat
leurs causes, se sont combinées et superposées l'une
mais aussi parce que nous ne les connaissons que par
de Paul et qu'il n'est pas certain que l'apôtre ait toujou
faitement renseigné sur ce qui se passait à Corinthe.
seulement ce qui intéresse directement la question
occupe. L'une des causes principales de la crise cori
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 25

efforcés de saper l'autorité de Paul afin de lui substituer celle


de Pierre. Leur intention était certainement, lorsqu'ils y
seraient parvenus, d'amener les Corinthiens à adopter la con¬
ception judaïsante de l'Evangile. Après des péripéties drama¬
tiques que nous ne pouvons suivre qu'en partie, Paul, aidé par
Tite, réussit à rétablir son autorité qui avait été sérieusement
ébranlée et les judaïsants ne purent parvenir à leurs fins.

Vers le temps où l'ordre se rétablissait en Grèce, une nou¬


velle crise surgissait en Galatie. Paul l'apprit assez brusque¬
ment, alors qu'il était en Macédoine et se préparait à aller
visiter l'EgI,ise de Corinthe enfin pacifiée. Une campagne
judaïsante beaucoup plus décidée que celle qui avait été menée
en Grèce, se dessinait. D'emblée, les contre-missionnaires
avaient révélé leur dessein: amener les Galates à se faire cir¬
concire et à observer la Loi mosaïque. Il serait assez séduisant
de conjecturer que ce changement de tactique pourrait avoir
été suggéré par ce qui venait de se passer à Corinthe où des
procédés plus prudents et plus lents avaient laissé à Paul le
temps de réagir utilement.

Paul n'a pas vu dans l'enseignement des contre-mission¬


naires, une erreur d'interprétation qui, en imposant aux païens
convertis une charge superflue, risquait d'entraver les progrès
de la mission. Il y a vu un renversement de l'Evangile. Entre
la pratique du ritualisme juif et la foi au Christ, il pense qu'il
faut choisir. Il admet que l'observation intégrale de la Loi
assurerait le salut, mais affirme qu'aucun homme n'est capable
d'une telle observation et qu'ainsi, chercher le salut par l'ac¬
complissement des œuvres de la Loi, c'est s'engager dans une
voie sans issue et renoncer au bénéfice de l'œuvre rédemptrice
du Christ. L'enseignement des contre-missionnaires est donc,
pour lui, la négation de l'Evangile.

Même si, en Galatie, la crise s'était dénouée dans un sens


favorable aux idées pauliniennes, ce qui est possible, mais ne
peut pas être regardé comme certain, elle aurait été autre chose
qu'un malentendu passager qui n'aurait pas correspondu à une
division profonde. Ce que nous savons de la fin de la vie de Paul,
26 REVUE d'histoire et de philosophie religieuse

ration. C'est alors qu'il écrivit aux Romains pour leur


sa visite, leur faire connaître ses projets, tenter de les
à eux et, enfin, pour prévenir, par un exposé de sa do
la justification par la foi, ce que ses adversaires p
être tentés d'entreprendre pour le compromettre à le
Car, avant de passer à l'exécution de ses projets, Pau
venir à Jérusalem pour mettre au point ses relations
colonnes de l'Eglise, en particulier pour savoir si la r
sance de son apostolat qu'il avait obtenue en 43/
encore et si Jacques ne retirait pas la main d'associa
lui avait alors tendue. Telle paraît avoir été la ra
laquelle il accompagna à Jérusalem les délégués des E
Macédoine, de Grèce et d'Asie qui y portaient le prod
collecte faite en faveur des Saints, ce à quoi il n'ava
d'abord décidé (/ Cor. 16 14).

Les craintes que Paul avait au sujet de l'accuei


ferait l'Eglise de Jérusalem, ne se révélèrent pas moin
que sa prévision de machinations juives. Jacques cr
prendre des précautions avant de le mettre en pr
l'Eglise. Son premier soin fut de lui parler de my
Juifs ayant cru et pleins de zèle pour la Loi auxquel
été présenté comme un apostat qui cherchait à détacher
de la Diaspora de la Loi de Moïse et à les persuader d
faire circoncire leurs enfants (Actes 20 18"26). Le
Actes indique assez nettement que Jacques ne parta
personnellement cette manière de voir, mais il ne dit
ait tenté quoi que ce soit pour combattre les préjugés
liniens des chrétiens de Jérusalem.

Non moins typique est ce qui s'est passé au cour


cès de Paul, tant à Jérusalem qu'à Césarée. A travers
assez confus, on aperçoit que tout le procès a roulé
question: L'apostasie reprochée à Paul lui a-t-elle fa
la qualité de Juif et, avec elle, le droit de pénétrer dan
ties du Temple dont l'accès était interdit, sous peine
aux non-
Juifs? Dans l'affirmative, malgré sa qualité d
romain, il devait être remis au sanhédrin pour être jug
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 27

s'est pas portée garante du judaïsme de Paul, car le rédacteur


des Actes garde un silence total à ce sujet et, étant donnée
l'idée qu'il se fait des rapports entre les Jérusalémites et Paul,
il n'aurait pas manqué de mentionner toute intervention de leur
part en sa faveur. L'Eglise de Jérusalem n'est pas intervenue
parce qu'elle ne se sentait pas solidaire de lui. Et les Juifs ont
eu le même sentiment puisque la tranquillité de l'Eglise de
Jérusalem ne paraît pas avoir été troublée alors que la haine
des Juifs était déchaînée contre Paul.
Finalement, c'est contre Paul que le procurateur Festus
s'est prononcé. Pour éviter d'être livré au sanhédrin, l'apôtre
dut user du droit que lui donnait sa qualité de citoyen romain
et en appeler au tribunal de l'Empereur.
Il semble bien qu'il se soit fait illusion en se croyant as¬
suré de recevoir à Rome un bon accueil des chrétiens ; car,
lorsqu'il y eut été transporté comme prisonnier, il ne rencon¬
tra pas chez les chrétiens de la Ville plus de sympathie et
d'appui qu'il n'en avait rencontré chez ceux de Césarée et de
Jérusalem. Sans doute, il est raconté dans Actes 28 15 que les
frères de Rome, avertis de son arrivée, vinrent à sa rencontre
jusqu'au Forum d'Appius et jusqu'aux Trois Tavernes et que
leur présence lui fut un réconfort. Mais, si cette notice n'était
pas une addition du rédacteur à sa source, serait-elle placée
après la mention de l'arrivée de Paul à Rome ? Dans le tableau
sommaire que les Actes (28 27-28) tracent de la vie de l'apôtre
pendant les deux années de captivité adoucie qu'il passa dans
une maison particulière louée par lui, il est dit qu'il pouvait
recevoir librement qui il voulait. Il nous est parlé de visites
de Juifs et de visites de païens, mais pas de visites de mem¬
bres de l'Eglise de Rome.
Je ne pense pas qu'aucune des lettres de Paul que nous
possédons, date de sa captivité romaine, mais, dans les épîtres
pastorales, sont entrés quelques fragments de billets écrits par
lui pendant cette période. L'un des plus caractéristiques est
celui dans lequel il fait l'éloge chaleureux d'un Asiate, Onési-
phore, qui, venu à Rome, a déployé beaucoup de zèle pour le
trouver et a fini par le découvrir (II Tim. I15-18). L'Eglise de
28 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

L'opposition antipaulinienne a donc, après une br


mie qui a suivi la conférence de Jérusalem, persisté
bout de la vie de Paul.

On sait que, d'après les théories de l'école de T


théories actuellement fort discréditées mais qui co
pourtant une part de vérité, le conflit entre le judéo
nisme et le pagano-christianisme aurait, pendant au m
génération, dominé toute la vie de l'Eglise. C'était là
beaucoup trop théorique avec laquelle s'accorde mal le
malgré toute l'acuité du conflit, on a, de part et d'aut
le sentiment que ce qui unissait les deux groupes
important encore que ce qui les séparait. Autrement,
une rupture aurait-elle pu être évitée ?

Il y aurait lieu de se préoccuper, plus qu'on ne


général, de déterminer quelle a été l'extension d
A-t-il toujours et partout intéressé et passionné la m
fidèles, au même degré et de la même manière que le
nalités dirigeantes ? Dans quelle mesure un Pierr
Jacques ont-ils reflété les sentiments de la masse
tiens de Jérusalem ? L'attitude de Paul a-t-elle été
comprise et partagée par les fidèles des Eglises q
fondées ? Rappelons seulement quelques faits. Paul, e
pu arriver à une certaine entente avec les chefs de l'
Jérusalem, mais pas avec l'Eglise elle-même. Celle-ci é
plus nettement antipaulinienne que ses dirigeants. Mê
tion en 58, où nous voyons les chrétiens de Jérusal
contre Paul de préjugés que Jacques ne partage pas, sa
dant les combattre. Ajoutons qu'il est, au moins, pro
les agitateurs de Grèce et de Galatie qui se réclam
autorités jérusalémites, n'avaient pas été leurs mand
avaient dépassé leurs intentions. On peut se demander
à elles-mêmes, les « colonnes de l'Eglise » ne se ser
montrées plus accommodantes encore qu'elles ne l'ont

L'opposition antipaulinienne n'a pas eu que d


religieux. Elle n'a pas été ou n'a été que très peu l'o
d'une théologie à une autre théologie. Nous somme
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 29

et continuellement renforcé par les conversions qui ne cessaient


pas de se produire. Les chrétiens continuaient à fréquenter le
Temple et à participer à toute la vie cultuelle et rituelle du
judaïsme. Les Actes parlent quelque part (67) d'un grand
nombre de prêtres qui avaient cru, ailleurs (155), de pharisiens
convertis. Pour être devenus chrétiens, ils n'avaient pas cessé
d'être prêtres ou pharisiens. Il y avait dans l'Eglise des
myriades (*) de Juifs convertis qui étaient restés pleins de zèle
pour la Loi et aux yeux desquels Paul était un apostat.
L'opposition juive contre Paul n'a pas été purement théo¬
rique, elle s'est exprimée par des actes. Il paraît bien y avoir
eu une campagne juive systématiquement organisée contre la
mission paulinienne (cf. I Thess. 214_M). Aucun texte ne nous
permet de penser que les judéo-chrétiens s'y soient associés. Il
y a cependant entre elle et les campagnes judaïsantes de Gala-
tie et de Grèce un parallélisme trop frappant pour qu'on puisse
le considérer comme purement fortuit. D'un côté comme de
l'autre, l'opposition qu'a rencontrée Paul, a été une réaction de
défense de la société religieuse juive qui se sentait menacée
dans son principe même par l'Evangile paulinien. Les idées
religieuses et théologiques ont, je crois, joué ici un rôle moins
important et, en tout cas, moins exclusif qu'on ne serait tenté
de le penser au premier abord.
Du côté des pagano-chrétiens, c'est quelque chose de tout
différent que nous avons à constater. Quels qu'aient été l'in¬
fluence et l'ascendant de Paul, il n'y a peut-être jamais eu
qu'un paulinien authentique et conséquent: l'apôtre lui-même.
Sans cela, les judaïsants auraient-ils pu avoir dans les Eglises
pauliniennes, à Antioche, en Galatie, en Grèce, l'influence qu'ils
ont eue ?

La position de Paul a été essentiellement religieuse, déter¬


minée dans sa structure et dans ses éléments constitutifs par
le caractère catastrophique qu'avait eu sa conversion réalisée
en un instant. Paul se l'est expliquée par une intervention
directe et personnelle du Christ qui s'était emparé de sa per¬
sonne. Dans cette prise de possession par le Seigneur, il a
trouvé non une espérance seulement mais une certitude et une
30p REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSE

garantie du salut et déjà le commencement de sa r


Il a eu le sentiment d'avoir été justifié, c'est-à-dire d'
le pardon de ses péchés. Par les conditions dans lesqu
avait été faite, cette expérience revêtait un caractère
tude absolue que n'avaient pas les conceptions juives q
été jusque là les siennes. La doctrine à laquelle, avan
version, il avait donné son entière adhésion et sur laq
fondée son assurance du salut, la doctrine juive de la
tion par l'observation de la Loi et spécialement
rituelle, ne pouvait pas entrer en concurrence avec
tion nouvelle et, comme la forme d'esprit de Paul le
voir partout des antithèses, il n'a pas cherché à organ
par rapport à l'autre, sa conviction ancienne et sa
nouvelle ; il les a opposées l'une à l'autre et abouti ain
de l'absolue impossibilité pratique de la justification p
La position pratique que Paul a prise dans l
des observances légales, dérive directement de sa
religieuse. Elle s'est réalisée en deux étapes. In
d'abord : « La circoncision n'est rien, l'incirconcision
ce qui compte c'est d'être une nouvelle créature » (Ga
puis, quand les judaïsants cherchèrent à répandre
Eglises pauliniennes l'idée qu'il était nécessaire de
circoncire pour parvenir au salut, opposition abso
que admettre la circoncision non pas même comme c
seulement comme condition du salut, c'était déclarer
seule, la croix du Christ était insuffisante pour l
Paul déclare alors : « Vous êtes séparés du Christ, vou
cherchez à être justifiés par la Loi, vous êtes déc
grâce (Gai. 5 24).
Un comportement qui est celui d'un groupe s'im
manière quasi-mécanique et pratiquement irrésistible
font partie de ce groupe. Il n'en est pas de même d'un
qui dérive directement d'une conviction. Elle s'imp
manière plus absolue encore à celui en qui cette con
née, mais beaucoup moins à ceux à qui elle a été com
ou suggérée du dehors, comme ce fut le cas pour le
des communautés pagano-chrétiennes qui avaient reçu
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 31

cation de Paul. Si l'on ajoute à cela que, sans maintenir un


contact de fait avec la communauté juive empirique, Paul en
affirmait expressément un avec le judaïsme idéal, on comprend
que la propagande judaïsante ait eu facilement prise sur les
communautés pauliniennes. Le judéo-christianisme l'a emporté
parce qu'il représentait une puissance sociologique qui faisait
défaut au christianisme paulinien. Au moment où Paul dispa¬
raissait, on aurait pu croire que l'effort qu'il avait fait pour
libérer le christianismle
échoué. de l'emprise du ritualisme juif avait

Une dizaine d'années plus tard, la situation était renversée.


Du conflit qui avait été si aigu on n'avait plus qu'un souvenir
très vague, dans le christianisme hellénique devenu l'élément
de beaucoup prépondérant dans l'Eglise. La thèse universaliste
et antiritualiste de Paul avait complètement triomphé. Les
Evangiles synoptiques dont la rédaction commence peu après
70, sont conçus d'un point de vue nettement universaliste. La
question de la circoncision n'y occupe aucune place. Un seul
rite est visé, l'observation du sabbat et c'est pour montrer com¬
ment Jésus, en en donnant une interprétation spirituelle, s'en
était libéré. Dans toute la littérature chrétienne qui date du demi-
siècle qui a suivi la mort de Paul, même dans celle qui a des
attaches palestiniennes bien marquées, il n'y a plus aucune
trace de ritualisme et de particularisme. L'épître de Jacques,
bien que placée sous le patronage de celui qui passait pour
avoir été le représentant du judéo-christianisme le plus consé¬
quent, ne contient aucune trace, si légère soit-elle, de préoccu¬
pation relative au rite. Et si elle polémise contre la formule de
la justification par la foi seule, c'est qu'elle ne la comprend
pas, son auteur ne soupçonnant pas que les œuvres dont il y est
question, pourraient être les œuvres rituelles. Toute la litté-
riture chrétienne de cette époque, n'est pas seulement nette¬
ment universaliste, mais encore l'universalisme n'y apparaît
plus, comme c'était le cas dans les épîtres pauliniennes, comme
une thèse qui a besoin d'être justifiée.
32 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSE

penser les termes que le voyant Jean emploie po


d'eux (*). A l'égard de la question des idolothytes, leu
paraît avoir été assez semblable à celle des gnostiques
the. Quant à la porneia qui leur est reprochée, il ne s'ag
ment de débordements sexuels, mais de mariages à d
que prohibait la Loi juive. Tandis que le groupe auq
tenait l'auteur du Livre aux Sept Eglises, se repliait sur
pour se préserver de l'influence du milieu païen dans
vivait, les Nicolaïtes se montraient moins fermés à
certaines formes de la vie grecque. Ce peut avoir é
préoccupation d'y faire des conquêtes.
Rien ne montre mieux combien le triomphe de
lisme a été complet que la manière dont sont présent
livre des Actes les rapports de l'apôtre Paul avec l
Jérusalem. La crise de 43/44 y semble n'être qu'
malentendu provoqué par le zèle intempestif de quel
risiens convertis, malentendu dissipé aussitôt que la
a été portée devant les apôtres et les anciens. Des cr
thienne et galate, il n'est pas dit un mot. Je ne croi
nous ayons affaire, comme le pensait l'Ecole de Tubin
tableau tendancieux destiné à servir à l'établissem
synthèse. Je crois plutôt que l'auteur des Actes a é
moment (entre 80 et 90) et en un milieu où l'universal
si complètement triomphé qu'on ne pouvait même plus
qu'il n'en avait pas été toujours ainsi. Le rédacteur
n'a pas pu comprendre ce qui, dans les traditions,
confuses sur ce point, dont il disposait, se rapportait
ouverte en 43/44 et à la conférence de Jérusalem.
Le judéo-christianisme étroitement attaché à la L
complètement disparu après 70, mais il n'a survécu qu
petites communautés palestiniennes qui, en marge de
Eglise qui est désormais l'Eglise hellénique, menaient
tence misérable et précaire et qui, pour une multitu
sons, ne constituaient plus une forme viable du chri
Comment comprendre l'évolution si rapide par la
une dizaine d'années environ,, l'universalisme qui
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 33

pas pouvoir être expliquée par des causes exclusivement théolo¬


giques et religieuses. Comment, en effet, concevoir que les
valeurs religieuses et spirituelles et les considérations théolo¬
giques que Paul avait développées, aient pu avoir, après sa
mort, plus d'action que de son vivant et cela, à un moment où
ses épîtres n'étaient pas encore répandues parce qu'elles
n'avaient pas été réunies en un corpus ? C'est, je crois, dans
une toute autre direction que nous devons chercher une
explication.

Le moment où l'universalisme a triomphé, est aussi celui où


s'est achevé un mouvement commencé presqu'au lendemain de
la mort de Jésus, celui du déplacement du centre de gravité
géographique de l'Eglise. Avec la mission helléniste s'était
constitué à Antioche, en pays hellénisé, un second foyer du
christianisme dont l'influence a été en grandissant. Avec la
ruine de Jérusalem et la situation nouvelle qui en est résultée
pour le peuple juif, l'équilibre qui s'était à peu près établi entre
Jérusalem et Antioche a été rompu au bénéfice d'Antioche et
du christianisme hellénique. Sans pour cela désavouer ses ori¬
gines juives, mais en les situant sur un plan purement reli¬
gieux, le christianisme est devenu une religion hellénique,
sans solidarité sociologique avec le judaïsme. Si les événements
de 70 ont précipité cette évolution, elle était déjà commencée
plus tôt. Pierre et les représentants du christianisme aposto¬
lique ayant été évincés en 44 de la direction de l'Eglise de Jéru¬
salem au profit de Jacques et du christianisme dynastique, il
s'est produit, à Antioche, en tout cas, où Pierre s'était établi,
mais sans doute ailleurs aussi, des rapprochements entre le
christianisme apostolique et le christianisme hellénique. Ils ont
d'abord créé des difficultés en posant la question de la Loi
d'une manière qui a fait écarter la solution radicale de Paul au
profit de solutions moins équilibrées qui ne pouvaient être que
des compromis provisoires. La ruine de Jérusalem et la disper¬
sion qui ne fut pourtant pas totale de la communauté jérusa-
lémite et, sans doute aussi, d'autres Eglises palestiniennes.
l'émigration en pays grec, spécialement en Asie, de représen¬
34 REVUE d'histoire et de philosophie religieuse

problème que posait l'attitude différente des deux


l'égard de la Loi.

Cependant la solution qui a prévalu n'a pas été


tion de compromis ou de synthèse ; elle a été l'a
ritualisme juif. C'est qu'une autre cause est inter
événements de 70 ont transformé radicalement les
entre Juifs et chrétiens. Contrairement à certaines
généralement reçues qui résultent de l'attribution
récits des Actes d'une valeur historique qu'ils n'
judaïsme s'était, jusqu'au moment de la révolte et de
juives, montré assez tolérant à l'égard du christianis
celui-ci restait respectueux de la Loi. Il avait, au co
résolument hostile et, dans la mesure où il le pouv
cuteur à l'égard de l'hellénisme d'Etienne et à l'éga
linisme qui prenaient une attitude indépendante à
culte et de la Loi. Hormis le principe de la valeur d
du respect qui lui était dû, il n'y avait pas d'orthod
Des sectes aussi diverses et, à certains égards, auss
que le pharisaïsme, le sadducéisme, l'essénisme voi
si,, entre elles, les discussions pouvaient être vives, il
pas qu'aucune d'elles ait contesté le droit des autr
tence. Le christianisme aurait facilement pu cons
nouvelle secte juive à côté des autres et c'est cela
avoir été à Jérusalem. Après 70, une transformation
le judaïsme se replie sur lui-même, il devient exc
une société religieuse, une Eglise et s'identifie au p
Il se montre alors hostile à l'égard de tout ce qui n'
A ce moment la rivalité devient ouverte entre les co
chrétiennes et les synagogues. C'est l'époque où le
juives ont dû prendre une décision que le Quatri
gile, par un singulier anachronisme, place du vivan
Jésus (922), celle d'exclure des synagogues quiconq
serait Jésus, c'est-à-dire ferait profession de ch
Une coupure brutale et définitive a ainsi été réa
Juifs et chrétiens et si ceux-ci n'ont pas désavoué
religieuse du judaïsme, s'ils s'en sont déclarés s
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 35

Cela n'a pas pu se produire sans entraîner un certain détache¬


ment à l'égard des pratiques rituelles et cultuelles juives, les¬
quelles devaient rester un peu en l'air, à partir du moment où
les Judéo-chrétiens se sont vus exclus des communautés juives.

Ce qui s'est passé autour de 70, s'explique par la nécessité


dans laquelle s'est trouvé le christianisme d'assurer son exis¬
tence comme société stabilisée, indépendante de la société reli¬
gieuse juive. Les Judéo-chrétiens et ceux qui adoptaient leur
position, même d'une manière un peu plus souple, avaient appuyé
l'existence de l'Eglise sur celle, depuis longtemps établie, sta¬
bilisée et forte d'une très ancienne tradition, de la communauté
juive. Cette manière d'assurer l'existence de l'Eglise en faisant
d'elle une secte du judaïsme n'était pas sans inconvénients, elle
risquait fort d'entraver ses possibilités de développement, elle
n'assurait pas pleinement son avenir car elle lui rendait diffi¬
cile de prendre complètement conscience du principe qui lui
était propre.

Théoriquement, l'autonomie et la solidarité des principes


respectifs du judaïsme et du christianisme étaient assurées par
l'idée qui remonte à Jésus, de 1'«accomplissement de la Loi et
des Prophètes », c'est-à-dire du développement jusqu'à leurs
dernières conséquences des principes du judaïsme. Pratique¬
ment, cette pensée de Jésus ne paraît pas avoir été parfaite¬
ment comprise à l'âge apostolique. On s'est plutôt attaché à une
idée un peu différente, celle de la réalisation, dans le christia¬
nisme, d'une promesse contenue dans la religion d'Israël. Ce
glissement a, peut-être, dans une certaine mesure, été déterminé
ou favorisé par le besoin qu'éprouvait instinctivement le chris¬
tianisme naissant, alors qu'il n'avait pas encore une réalité
sociologique bien assurée, de s'appuyer sur celle que possé¬
dait le judaïsme. L'idée d'accomplissement ou de réalisation
assurait bien, en principe, l'autonomie du christianisme sur
le plan idéologique, mais pas sur le plan sociologique. Aussi
longtemps qu'au point de vue cultuel et au point de vue rituel,
l'Eglise est restée solidaire de la synagogue, son existence est
restée précaire. Elle ne s'est définitivement stabilisée que lors¬
36 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUS

christianisme. On pourrait faire ici bien des rapp


qui montreraient que ce n'est pas le seul cas, dan
du christianisme où des hostilités du dehors ont a
à prendre conscience de sa vraie nature et lui ont a
de surmonter certaines divisions qui, à un mom
avaient paru fondamentales. Dans l'ancienne Eglis
signaler le cas des Nicolaïtes. Dans le Livre aux Se
ils sont très vivement combattus, mais, dans l'Apoca
même, écrite par le même auteur un peu plus tard, i
de trace de la violente hostilité dont ils avaient été
C'est qu'entre temps, un grave péril extérieur avait
persécution, et, sous son influence, il s'était fait
d'union sacrée. Une seule question a eu de l'impor
de la fidélité du témoignage, rejetant à l'arrière-plan
gences qui, à des moments plus tranquilles, av
graves. Ce facteur sociologique ne joue-t-il pas enc
jours ? Les mouvements qui s'efforcent de donner so
tianisme, soit au protestantisme, plus de cohérence
ne répondent-ils pas aussi au besoin de concentrer l
pour leur permettre de s'affirmer d'une manière pl
en présence d'oppositions plus graves et surtout plu
qu'à d'autres époques ?

Dans la période qui va de 43/44 à la mort de l'a


la crise paraît avoir eu, vue. du côté de Paul, un cara
logique et religieux. Il avait eu le sentiment d'une
d'appréciation sur la valeur sotériologique des pri
pectifs du judaïsme et de l'Evangile. Là où les Jé
estimaient une combinaison possible et nécessaire, P
une incompatibilité, un choix à faire. Mais ce n'est p
misme de la foi qui a déterminé le triomphe de l'uni
ce sont des raisons d'ordre sociologique. Il n'est pas
que l'effort fait par Paul pour assurer l'autonomie
gile n'ait pas trouvé d'accueil chez les chrétiens d'or
à cause de l'attachement atavique, plus instinctif enco
sonné, qu'ils avaient pour les traditions et pour le
juives. Les rites ont une force de permanence sin
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 37

d'action sur des communautés comme celles de Galatie et de


Grèce où l'élément juif ne représentait, au plus, qu'une très
faible minorité. Ici, aussi, est intervenu un fait de sociologie
religieuse. Le caractère traditionnel que la religion affirme si
volontiers, ne résulte pas d'une tendance instinctive au moindre
effort. C'est une forme sous laquelle se traduit le sentiment
qu'elle a de sa valeur absolue, laquelle implique son identité avec
elle-même dans l'écoulement du temps et malgré cet écoule¬
ment. Les prédicateurs chrétiens qui avaient le sentiment que
leur religion était née d'hier, éprouvaient cependant le besoin
de la présenter comme traditionnelle. C'est pour cela qu'ils ont
tant insisté sur l'idée que l'Evangile était l'épanouissement de
l'Ancien Testament. Paul s'adresse couramment aux païens
convertis comme s'ils descendaient d'Abraham et comme si
c'était à leurs ancêtres que Dieu avait parlé par Moïse et par
les prophètes. Dans l'épître aux Galates, il justifie cela par un
raisonnement subtil et de caractère purement verbal qui établit
que le véritable héritier de la promesse faite à Abraham, c'est
le Christ et, par son intermédiaire, ceux qui croient en lui. Cela
montre combien était pressant le besoin de rattacher le chris¬
tianisme à une tradition plus ancienne. Pour Paul, la liaison
entre le christianisme et le judaïsme était seulement idéale et
nullement rituelle, mais, en insistant sur elle, il a préparé les
pagano-chrétiens à accueillir l'idée de la nécessité de recueillir
aussi l'héritage rituel du judaïsme.

L'idée que des causes sociologiques ont contribué à assu¬


rer le triomphe de l'universalisme, reçoit une confirmation inté¬
ressante qui a la valeur d'une contre-épreuve, des conditions
dans lesquelles a vécu, puis a disparu, le judéo-christianisme
d'après 70. Pour une part l'existence misérable qu'il a menée et
sa disparition ont été déterminées par les conditions matérielles
dans lesquelles il a vécu, pour une part aussi — et je crois pour
une part plus importante — par l'insuffisance de la christologie
archaïque à laquelle il était resté attaché. Cependant, le sort
misérable de l'ébionitisme me paraît avoir été surtout une consé¬
38 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEU

tourner franchement vers la grande Eglise afin d'y


appui que les synagogues ne lui fournissaient plus.

**
*

J. H. Ropes 0), reprenant certaines suggestio


gert (2), a soutenu qu'en Galatie, Paul n'avait pas eu
à combattre des Judéo-chrétiens particularistes et
mais aussi un groupe tout différent qui soutenait q
tien justifié est libéré de toute loi. Si, sous la form
sentait Ropes, cette théorie appelle de sérieuses rése
certain, pourtant, qu'il a existé dans les communa
niennes et spécialement à Corinthe une tendance a
Son existence doit avoir eu des causes profondes p
retrouve dans la génération qui a suivi. Au temps d
n'a pas gravement compromis l'unité de l'Eglise
l'ascendant de l'apôtre l'a efficacement contenue.
là pourtant, l'avenir l'a montré, le germe d'une divisio
Les gnostiques corinthiens qui avaient pris pour m
« Tout m'est permis », ne se sont pas réellement opp
puisque, par une lettre qu'ils lui avaient adressée,
sollicité son approbation pour l'interprétation qu'ils
de son Evangile. Ils ne semblent pas avoir persist
attitude, quand Paul eut refusé de la leur donner. L
d'une tendance antinomiste à Corinthe ne peut cep
être considérée comme un incident sans conséquence
peut-être pas attacher une très grande importance a
dans l'épître aux Romains, écrite, comme on sait,
Paul insiste beaucoup sur l'idée que la justification
n'affranchit pas l'homme de toute obligation, mais
service de Dieu. En soulignant ce principe, l'apôtre
été moins préoccupé de combattre une erreur doctr
matiquement défendue que de prévenir des malenten
tout de défendre son Evangile contre une interpr
certains en donnaient pour le compromettre. Ce qu
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 39

coup plus important, c'est que, vers la fin du premier siècle ou


au commencement du second, l'antinomisme apparaît sous la
forme d'une hérésie nettement constituée contre laquelle polé-
mise la première épître de Jean (34).

La doctrine paulinienne de la Loi a pu aisément être la


source de certains malentendus car elle n'est pas parfaitement
claire, tout au moins dans son expression. Quand on lit le déve¬
loppement de I Cor. 919 ss., on constate que Paul se débat dans
d'inextricables difficultés à cause de l'insuffisance d'une ter¬

minologie dans laquelle le même mot : νόμος désigne la loi


rituelle qui a cessé d'être valable et une loi morale qui garde
une autorité permanente. Paul sent la différence qu'il y a entre
les deux acceptions du mot loi, mais il n'arrive pas à l'expri¬
mer clairement, ce qui s'explique, sans doute, par le fait que les
deux éléments sont étroitement associés dans la Loi mosaïque.
Il déclare ne pas être sous la Loi (ύπο νόμον) mais cependant
ne pas être sans loi (άνομος) puisqu'il est dans la loi du Christ
(έννομος Χρίστου). De là une série de malentendus qui l'ont
obligé à réfuter l'idée que la théorie de l'abolition de la Loi
conduirait à l'immoralisme et au libertinage.

A Corinthe, les gnostiques ont pris, en théorie en tout cas,


une position qui est bien celle de l'antinomisme et qui prétend
être une interprétation conséquente de la conception pauli¬
nienne de la liberté chrétienne. Cependant, ce sont d'autres
considérations que celles qui sont tirées de la théorie de l'abro¬
gation de la Loi qu'ils ont fait valoir. Les unes sont inspirées
par la conception anthropologique grecque, les autres par l'idée
de la gnose. Les premières paraissent avoir été mises en avant
pour justifier la liberté dans le domaine de la vie sexuelle. Mais
ici la thèse ne paraît avoir eu qu'une portée théorique. Les
secondes ont été invoquées dans la question des idolothytes,
c'est-à-dire de la consommation de ce qui a été sacrifié aux
idoles, spécialement des viandes. Sur le premier point, Paul
affirme que le corps ne doit pas être souillé par la débauche
parce qu'il est destiné à la résurrection et qu'il est le temple du
Saint Esprit. Sur le second, il ne conteste pas en théorie que
40 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

inconvénient pour lui-même, pourrait, par l'exemp


encourager les « faibles » à des manières d'agir qui,
seraient réellement des actes d'idolâtrie.

Les gnostiques de Corinthe paraissent s'être laiss


der par les instructions de Paul puisque la question de
et de la liberté chrétienne ne revient pas dans la secon
et que le problème de la Loi n'y a, non plus, aucu

Si la controverse que Paul a soutenue contre les


corinthiens d'une liberté chrétienne sans limites,
épisode sans lendemain immédiat, le problème débat
pas moins eu une grande signification. Le principe
avait inspiré la théorie des gnostiques, n'a pas été, da
cussion, complètement élucidé. Le problème de la L
tait tout entier.

Pour comprendre comment il a pu y avoir là une


conceptions divergentes, qui se manifesteront clai
l'époque de la première épître de Jean, il est nécessai
peler les traits caractéristiques de la sotériologie pa
Cette sotériologie a deux racines. La première est
ception apocalyptique juive qui attendait la venue
sie dont l'action aurait une portée cosmique. Ce qu'o
de lui, c'était d'abord l'achèvement de la création dont
charnel et terrestre n'avait représenté qu'une premi
la seconde devant être réalisée par la venue d'un seco
spirituel et céleste dont l'humanité porterait l'ima
elle avait porté celle de l'Adam terrestre (I Cor. 15 44
l'œuvre du Messie devait être aussi une rédemption, u
sement de l'ordre troublé dans le cosmos par la révolt
et des Puissances célestes qui l'avaient suivi et, en c
cerne spécialement l'homme, par la chute qui avait
sion de l'humanité à la révolte de Satan. A sa venue
devait anéantir ou soumettre les Puissances rebelles
les conséquences du péché pour ceux des membres
élu qui auraient accompli ce que Dieu avait dema
dans sa Loi et aussi peut-être, à titre exceptionnel,
tains païens qui, sans posséder la Loi, auraient spo
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 41

la seconde source de la doctrine paulinienne du salut, la con¬


version et la vie « en Christ », seconde source, non pas au point
de vue de l'importance, mais seulement à celui de la marche du
développement de la pensée. C'est ainsi que l'identification qui
s'est imposée à Paul, de Jésus mort sur la croix avec le Messie,
l'a conduit à décomposer l'œuvre messianique en deux parties,
comprenant l'une ce qui a été accompli par la mort, la résur¬
rection et la glorification du Seigneur, l'autre, ce qu'il accom¬
plira au moment de son retour triomphant.

Pour Paul, en effet, et c'est là une des caractéristiques


dominantes de sa sotériologie, l'essentiel de l'œuvre rédemptrice
a été accompli. Il ne reste au Christ qu'à l'achever, ce qu'il fera
au moment de son retour, mais, dès à présent, cette œuvre pro¬
duit ses effets. La conversion n'a pas seulement imposé à Paul
l'idée du Christ sauveur, elle lui a fait faire l'expérience d'un
salut, ou, comme il le dit, d'une mort par laquelle son être
ancien a été anéanti et d'une résurrection par laquelle il est
devenu une nouvelle créature qui est esprit. Il est vrai que tout
cela est encore inachevé car si le chrétien qui, par la foi, a été
justifié et a reçu le pardon de ses péchés, est mort à la chair,
s'il a été libéré du péché, il n'est pourtant pas devenu inca¬
pable de pécher. Il est justifié et la justification est le point de
départ de la rédemption, mais il n'est pas encore sauvé, il ne
l'est qu'en espérance.

L'exipérience du chemin de Damas, a eu pour conséquence


l'effondrement de tout ce que, dans sa vie antérieure, Paul avait
considéré comme une condition ou même comme une garantie
du salut (privilège de race, observation de la Loi, culte). La
puissance rédemptrice du Christ par laquelle Paul s'était senti
saisi, ne pouvait rien laisser subsister à côté d'elle.

La sotériologie paulinienne est physique et cosmologique


puisqu'elle est liée à une transformation du monde à laquelle
l'homme participe mais qui ne dépend pas directement de sa
position personnelle à l'égard de Dieu. Mais, elle est, en même
temps, spirituelle et morale. Il n'y a cependant pas superposi¬
tion d'une sotériologie physique et d'une sotériologie spiri¬
42 REVUE d'histoirf. et de philosophie religieus

transformation physique mais qui a des causes et


tions morales et religieuses puisqu'elle ne peut être r
par la foi, laquelle est un don de Dieu, un charisme, m
dant un don qui exige une participation que l'homme
de refuser.

On peut reconnaître l'origine des matériaux mis


dans cette sotériologie mais non expliquer sa genè
travail de réflexion systématique dont ils auraient
Elle est toute entière portée par le dynamisme d'une
dans laquelle Paul s'est senti saisi par le Christ cruc
rifié, pardonné et transformé par lui et cela avec un
qui ne laissait aucune place à toutes les raisons qu
avoir eues auparavant d'être assuré de son salut fut

L'apôtre n'est pas arrivé à relier l'une à l'au


manière entièrement satisfaisante, ses deux concep
sique et spirituelle du salut. On s'en convainc en c
l'une des pièces essentielles de sa théologie, sa doct
sanctification conçue à la fois comme devant être r
un effort du croyant et comme résultant d'une
l'Esprit, comme une conséquence de la justification
une condition de la rédemption. Ii y a une morale pa
il ne devrait pas y en avoir, ou plutôt, elle ne devrait
description de ces fruits de l'Esprit que devrait spo
et, sans effort, produire celui qui est devenu un êtr
Pourtant les exhortations morales occupent une t
place dans les instructions envoyées par Paul aux
y a une morale paulinienne dont la formule est : « Eff
d'être en fait, ce que vous êtes en théorie ».

Ce manque d'équilibre logique du système paulin


conséquence du fait que la réalisation de la justif
celle de la rédemption, bien qu'elles aient les mêmes
les mêmes conditions, ne coïncident plus dans le tem
elles y coïncidaient dans la conception juive. Cette d
a pu être sans inconvénients majeurs, aussi longt
l'Eglise a vécu dans l'attente de la venue imminen
gneur. A la longue, le fait qu'elle avait deux centr
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 43

et cosmologique, sans être nié, n'a plus constitué qu'un cadre


théorique. C'est cette conception générale qui a prévalu dans
l'Eglise et qui lui a permis de ne pas rester enfermée dans une
conception étroitement apocalyptique. Mais un autre dévelop¬
pement était possible, c'est celui qui s'est produit dans le gnos-
ticisme où le salut a été considéré surtout comme une transfor¬
mation de la nature physique de l'homme. C'est, sans doute, à
ce genre de conception qu'il faut rattacher l'antinomisme
contre lequel polémise la première épître de Jean.

Cette polémique a ceci de particulier qu'elle ne paraît pas


être dirigée contre des hommes mais contre des idées, contre
des idées cependant dont il est visible qu'elles n'ont pas été
imaginées par un artifice dialectique destiné à permettre à
l'auteur de mieux préciser sa pensée. Il s'agit d'une doctrine
qui avait ses partisans dans le milieu auquel s'adresse Jean. Il
commence par affirmer avec une certaine solennité l'identité

de Γάααρτία et de Γάνουιία, c'est-à-dire du péché et de la


désobéissance à la Loi. Cette formule n'aurait proprement pas
de sens, si elle n'était pas opposée à une théorie d'après laquelle
la Loi n'ayant plus de valeur pour le chrétien, la transgresser
ne constitue pas un péché. Le principe de l'identité de 1'άριαρτία
et de Ι'άνοιχία une fois posé, le raisonnement se développe de
la manière la plus simple et la plus claire. Le Christ, en qui il
n'y a pas de péché, est venu pour détruire le péché. Celui qui
pèche, ne peut donc avoir aucune relation avec lui. Jean dit
qu'il ne l'a pas vu et qu'il ne l'a pas connu. Puisqu'il professe,
d'autre part (l8), que celui qui prétend être sans péché se
séduit lui-même et n'est pas dans la vérité, il faut entendre
celui qui pèche., non par une faiblesse et une inconséquence
qu'il condamne lui-même, mais, en quelque sorte systématique¬
ment, en proclamant licites les actes habituellement qualifiés
de péchés. Celui-là appartient au Diable.

Il y avait donc, dans le milieu asiate, des chrétiens qui dis¬


tinguaient entre le péché et la transgression de la Loi. Puisque
le péché n'était pas, pour eux, une violation des commandements
de Dieu, ils ne peuvent avoir désigné par ce terme que l'état
44 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

donné à lui-même, l'homme, malgré tous ses efforts,


pas échapper à la perdition et obéir à la Loi de Die
impossible aussi qu'il perde le salut lorsqu'il lui a été a
la communion avec le Christ, même si, après que ce sa
été accordé, il commet des actes contraires à la volonté
formulée dans la Loi. Ils dissociaient ainsi, dans la
l'homme, "l'élément religieux et l'élément moral comm
saient les gnostiques de Corinthe. Toutefois, les idées
nomistes asiates paraissent avoir été plus systématique
veloppées et plus fortement enracinées.

La pensée des antinomistes qui paraît être aux a


de celle de Jean, n'en est peut-être pas théoriqueme
différente qu'il peut le sembler. Jean admet que celui
sède le Christ, qui est « en lui », a été, par lui, délivré
et de ses conséquences. Il y a eu une rupture totale.
dit pas que le chrétien doit s'efforcer de ne plus péc
peine de compromettrë le salut qui lui a été accord
qu'il ne pèche plus. L'affirmation est aussi précise e
rique que possible : « Quiconque est né de Dieu ne com
de péché, parce que la semence de Dieu demeure en
peut pas pécher parce qu'il est né de Dieu » (39). U
formule ne peut naturellement représenter qu'une
théorique. Entendue en toute rigueur, elle ne pourrait
qu'à deux conclusions opposées mais également néfast
n'affaiblissait pas la notion du péché, il faudrait conc
puisque, en fait, comme l'auteur le déclare expressém
il n'y a pas de chrétien qui soit réellement sans pé
qu'il n'y en a aucun qui ait la semence de Dieu deme
lui, qui soit né de Dieu, aucun qui l'ait vu ou qui l'
puisque «quiconque pèche n'a pas vu Dieu et n
connu » (36). En d'autres termes, il n'y a pas de salut
Telle n'est certainement pas la pensée de notre auteur.
pour concilier le fait de l'incompatibilité du salut avec
et la possibilité d'un salut pour des hommes qu
pécheurs, on sera amené — et c'est ce qu'a fait Jean —
blir la notion du péché en usant d'une discrimination d
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 45

péchés qui sont «pour la mort» (προς θάνατον), qui conduisent


inévitablement à la mort, et ceux qui ne sont pas « pour la
mort ». Pour ceux qui ont commis les premiers, il ne faut pas
prier alors que l'intercession des frères peut valoir le pardon à
ceux qui ont commis des péchés de la seconde catégorie.

La différence qu'il y a entre Jean et les antinomistes est


donc beaucoup plus pratique que théorique. Ils opèrent avec
les mêmes principes, seulement les antinomistes les déve¬
loppent d'une manière plus logique que Jean. La cause de cet
illogisme, au moins apparent, de Jean doit être cherchée dans
le double caractère physique et moral de la notion du salut qui
est le passage d'un monde inférieur voué à l'anéantissement, à
un monde supérieur qui est celui de la vie mais qui, d'autre
part, comporte aussi un élément éthique. Le salut n'est pas seu¬
lement l'état dans lequel l'homme est délivré de la mort, con¬
séquence du péché, il est celui dans lequel il est délivré du
péché lui-même. Aussi longtemps que dure l'économie présente,
cet état ne se manifeste pas par la réalisation d'une parfaite
sainteté. Il est une sanctification, une marche vers la sainteté.

L'argumentation des antinomistes s'est peut-être appuyée


sur certaines formules johanniques, équivalentes à celles que
nous avons dans l'épître, formules qui sont insuffisamment
nuancées, ou plutôt qui ne le sont que par un procédé un peu
particulier qui consiste à les accompagner d'autres formules
qui paraissent les contredire et desquelles elles ne doivent pas
être isolées. Il n'est cependant pas possible de penser que le
mouvement antinomiste combattu dans l'épître, soit né d'un
simple malentendu, d'une interprétation erronée de la pensée
johannique. Le cas des gnostiques de Corinthe montre que
l'antinomisme a existé, d'une manière latente au moins, avant
que les formules de la théologie johannique n'aient été consti¬
tuées. Il est dans la ligne du développement logique de l'un des
éléments de la conception primitive du salut.
C'est une expérience, la sienne et celle de ceux qui appar¬
tiennent à son groupe, que défend Jean, c'est une expérience par
laquelle le sentiment du salut est placé nettement sur le plan
46 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

de Jean et le moralisme de 1'épître de Jacques ou de la


partie de la Didachè. Ces deux formes de piété ont c
ceci de commun que le salut y est conçu non pas s
comme un état dans lequel l'homme échappe à la mo
aussi et, peut-être faut-il dire, mais surtout dans lequ
rendu capable, bien que ce ne soit pas encore d'une man
faite, d'obéir à la volonté de Dieu. Il ne s'agit plus auc
ici d'une loi rituelle, comme l'était, pour une part, la lé
mosaïque, mais de ce que l'épître de Jacques appelle
royale de la liberté » (28) ou de ce que l'épître de Jean ap
commandement que nous avons reçu de lui (du Christ) »
bien « le commandement que vous avez depuis le com
ment » (27) et qui se résume dans l'amour. Il est sig
que, dans la première épître de Jean, le terme de εν
littéralement, signifie « commandement », ne désigne p
ment les obligations des chrétiens, mais aussi le conten
de la foi. Ainsi, d'après 323, Γ εντολή de Dieu, « c'est q
croyons au nom de son Fils, Jésus-Christ ». C'est l'indi
liaison organique et vivante bien qu'elle ne soit peut-
susceptible d'être exprimée d'une manière parfaitement
entre la foi et une certaine attitude morale. La polémiqu
les antinomistes est éclairée par là. Il s'agit d'exclure
tude morale jugée contraire à l'essence même de la fo
était, en effet, en contradiction avec le principe d'où e
jailli.
*

Outre l'antinomisme, l'auteur de la première épître


a eu à combattre deux hérésies christologiques différ
même opposées. Ces deux hérésies ne sont cependant p
pendantes l'une de l'autre puisqu'elles répondent à
manière de poser le problème du Christ. L'une pourrait b
née d'une réaction contre l'autre.

La première, visée dans le développement de 2 13_2


négation que Jésus soit le Christ. Ce n'était pas dans le
l'Eglise, mais en dehors d'elle que cette opinion était p
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 47

d'après Jean, ils ne lui aient pas réellement appartenu. Ils en


sont maintenant séparés. Les termes employés indiquent que
c'est d'eux qu'est venue l'initiative de la rupture. L'auteur sent
la nécessité de mettre les fidèles en garde contre la séduction
qu'ils pourraient exercer. Par une transposition dont nous
devons nous borner à signaler en passant l'intérêt, il identifie
le groupe hérétique avec l'antichrist dont l'apocalyptique juive
annonçait la venue. Jean n'éprouve pas le besoin de préciser
leurs idées. Il se borne à dire, ce qui suffisait parfaitement pour
que ses lecteurs reconnussent de qui il voulait parler : « Ils nient
que Jésus soit le Christ». La condamnation est aussi catégo¬
rique que possible, mais elle n'est pas justifiée par une discus¬
sion dialectique. Le seul argument donné est qu'il est impossible
de renier le Fils sans renier, en même temps, le Père. Il ne faut
pas prendre au pied de la lettre l'affirmation : « ils nient que
Jésus soit le Christ». Ce que cette formule signifie, c'est seule¬
ment que les hérétiques n'entendaient pas la messianité de Jésus
exactement de la même manière que Jean et que son groupe. Je
serais porté à voir en eux des représentants attardés d'une chris-
tologie archaïque telle qu'était celle qui est exposée dans les
discours de Pierre contenus dans la première partie du livre des
Actes. J ésus y est conçu comme « un homme approuvé de Dieu »,
comme son serviteur qu'après sa mort, il ä ressuscité et élevé à
sa droite en qualité de Messie et de Prince de la Vie; ou bien
telle que celle qui se reconnaît derrière le plus ancien récit du
baptême : Jésus homme dont Dieu fait le Messie en répandant sur
lui son Esprit. Il y a ici entre Jean et les hérétiques qu'il com¬
bat une divergence théologique, mais aussi quelque chose d'autre
qu'il n'aperçoit pas.

Le développement de la christologie n'a pas été le résultat


d'un travail idéologique abstrait. Son évolution a été détermi¬
née par le besoin de concevoir la personne et l'œuvre de Jésus
d'une manière qui exprime l'expérience chrétienne et qui
réponde, en même temps, aux exigences de la piété. Cependant
cette évolution doit aussi être envisagée à un autre point de
vue.
48 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSE

faut que soit entretenue en elle la conscience claire


religieux qui lui est propre et que, de cet objet, elle p
conception nette qui le distingue de tout autre objet
en même temps qu'elle assure complètement son
transcendant. Pour exprimer cela en termes moins ab
ce qui concerne le christianisme primitif, nous dirons
libre de l'existence de l'Eglise exigeait que la personn
fût conçue, d'une part, comme un objet de culte et d
que le christianisme paulinien exprime en disant q
Seigneur, le Kurios. Mais il fallait aussi qu'il fût co
manière qui le distinguât du Dieu-Père du judaïsme,
la communauté chrétienne eût perdu son autonomie p
à la communauté juive et eût fini par se laisser réab
elle. Il fallait donc que l'idée du Christ fût organisé
port à celle de Dieu puisque le christianisme ne vou
pouvait renier le Dieu de l'Ancien Testament et que,
du système de Marcion que l'Eglise n'a pas pu s'assim
n'a jamais tenté de le faire.
Les christologies archaïques dont nous pensons qu
vivance chez ceux qui niaient que Jésus fût le Christ
saient pas pour assurer pleinement au Christ son
d'objet religieux. Une fois l'attente du retour messian
nuée au point d'avoir perdu son caractère d'idée
vivante, elles ne différenciaient pas assez le Christ
phète ou d'un docteur. Les hérétiques combattus pa
me paraissent donc pas avoir été des gens dont la
serait, à un moment donné, séparée de celle de l'Eg
des gens dont la pensée n'avait pas progressé dans
mesure et dans la même direction que celle de la ma
membres du groupe auquel appartenait Jean. Il serait
de voir en eux des chrétiens palestiniens venus en
auraient commencé par s'agréger aux communautés h
qu'ils y avaient trouvées constituées, mais qui s'en
ensuite séparés parce qu'ils ne se sentaient pas en
avec elles et. sans doute, pas seulement sur le ter
christologie. Le phénomène en présence duquel nous n
vons serait alors différent de celui que nous avons
I UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 49

La seconde hérésie christologique combattue par Jean, est


présentée, elle aussi, comme inspirée par l'esprit de l'Antichrist.
Elle consiste à ne pas confesser Jésus venu en chair, c'est-à-dire
à nier la réalité de la manifestation dans la chair de la personne
transcendante du Christ. C'est l'hérésie docète. Elle peut être née
ou s'être accréditée dans le milieu asiate par réaction contre la
position ébionite. La préoccupation dominante de Jean est, ici
aussi, nettement doctrinale, mais on peut se demander si autre
chose encore n'a pas joué un rôle, le besoin d'assurer la stabi¬
lité de l'Eglise en ne sacrifiant aucun des éléments spécifiques
de l'objet religieux qui lui est propre, ni son caractère transcen¬
dant sans lequel il ne serait pas un objet religieux, ni la réalité
de la vie charnelle du Christ sans laquelle le christianisme ne
serait plus lui-même puisque serait tranché le lien qui l'unissait
à la source d'où il avait jailli. En outre, l'attribution au Christ
d'un caractère uniquement transcendant, n'aurait pas permis
d'assurer suffisamment et définitivement sa distinction d'avec
Dieu. Avec une christologie docète, l'Eglise n'aurait pas été
à l'abri du danger d'un retour au judaïsme.

Nous avons noté plus haut (pp. 6 s.) qu'une très ancienne
christologie a été de type adoptianiste. Si, de bonne heure,
la christologie a pris, avec l'apôtre Paul, une orientation diffé¬
rente de celle qu'elle avait eue dans la primitive Eglise de
Jérusalem, cela a été déterminé, pour une part, par les conditions
très particulières dans lesquelles Paul était devenu chrétien et
par le caractère spécifique de son expérience religieuse. Mais,
cela s'est produit aussi parce que, à la différence des chrétiens
palestiniens, Paul — et à côté de lui certainement aussi d'autres
chrétiens helléniques — ont abordé la spéculation sur le Christ
avec des esprits plus ou moins profondément pénétrés par la
philosophie judéo-hellénique telle que nous la connaissons par
des livres comme la Sagesse de Salomon ou les œuvres de Phi-
Ion. Le dynamisme religieux qui animait la vie chrétienne de
Paul et qui s'exprimait dans sa théologie et tout spécialement
dans sa christologie, a dû contribuer et contribuer puissam¬
ment à lui assurer une influence durable, une influence qui
50 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

logie, dans le sens où il s'est fait, a donné satisfactio


soin sociologique qu'avait l'Eglise d'exprimer l'objet
qui lui était propre et qui était sa raison d'être, d'une
qui assurât son autonomie par rapport à tout autre
ligieux et, par là aussi, celle de l'Eglise par rappo
autre groupe religieux, le groupe juif en particulier.
tologie onotologique s'est montrée plus apte que la ch
adoptianiste à remplir cette fonction. J e crois que c'est
une des raisons pour lesquelles elle a triomphé.
Nous avons aussi relevé l'influence que la philosop
alexandrine a exercée sur la christologie hellénique. E
tribué à lui donner une allure spéculative, sans pour
été l'unique facteur de l'évolution dans ce sens, car, m
sa forme la plus systématique, la christologie n'a jama
pure idéologie. Une doctrine théologique diffère toujo
théorie philosophique par le fait que le besoin initial a
répond est celui d'expliquer et d'interpréter une expér
gieuse. Si la christologie ontologique l'a emporté su
tologie adoptianiste, ce n'est pas seulement et pas sur
qu'elle se prêtait mieux à un développement systémat
aussi parce qu'elle permettait mieux et plus complètem
primer et d'expliquer dans tQute sa plénitude l'expé
salut par le Christ (1). *

Si sommaires et rapides qu'elles aient été, les ob


qui précèdent, montrent que le mouvement qui a abou
fication, ou, au moins, à une unification relative d
nisme primitif a eu des causes complexes, si compl

ment
conception
sous
pas
terrain
donner
de
notion
le
sion
sa
tianisme
avons
lège
christianisme
pneumatisme
la
doctrine.
(1)
certain
la
limitée
des
s'est
continuité
exposé
primitive
du
forme
satisfaction
Pour
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christianisme
dynastique
faite
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dans
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Pour
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besoin
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sous
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sans
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deépiscopale,
1938,
ala
Le
ildisparu
laissé
formée
de
influence
l'Esprit,
forme
faudrait
problème
de
pp.
de
renvoyer
l'Eglise
tout
297-303,
posséder
l'unificati
spontané
de
en
encore
ecclési
en
exami
au
extéri
l'idée
mêm
de
plu
vu
et
à31
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 51

qu'on pourrait se demander s'il n'y a pas eu une série de mou¬


vements parallèles indépendants les uns des autres mais abou¬
tissant tous au même résultat.

Nous y trouvons l'action de forces sociologiques qui


paraissent avoir agi surtout comme un principe de sélection,
entraînant la disparition de celles des formes du christianisme
ancien qui ne réalisaient pas ou qui ne réalisaient pas suffisam¬
ment les conditions que doit remplir une société religieuse pour
avoir une existence stable, qui, d'autre part, ont aussi créé ou
renforcé la conscience de l'unité du christianisme par la néces¬
sité de le défendre contre les périls qui le menaçaient du dehors.

Nous y trouvons l'action de facteurs théologiques, de cette


force qui a poussé la pensée chrétienne a élaborer une doctrine
qui exprimât et interprétât l'expérience religieuse spécifique
du christianisme d'une manière aussi exacte et aussi claire que
possible.

Ces causes dont l'action a, certes, été considérable, ne nous


paraissent cependant pas suffire pour expliquer tout ce qui s'est
passé car plusieurs conceptions de l'Eglise et de son organisa¬
tion auraient pu satisfaire au besoin de stabilité sociologique,
comme plusieurs systèmes théologiques auraient pu se prêter à
traduire le contenu religieux du christianisme. D'autres causes
encore ont agi. Il faut d'abord nommer le sens de la tradition
qui est inhérent à la vie de la religion. Il peut sembler parfois
que le traditionalisme religieux réponde à une tendance au
moindre effort et soit un indice d'inertie, un symptôme d'assou¬
pissement, sinon de mort. Il est cela quand il aboutit à un con¬
formisme extérieur dont la vie s'est retirée. Mais il n'est pas
que cela, il est aussi et il est surtout une des expressions les plus
directes du sentiment essentiel que la religion a de son abso-
luité, laquelle comporte son identité avec elle-même à travers
le temps. C'est par ce besoin de prendre et d'affirmer un carac¬
tère traditionnel, que le christianisme a éprouvé de très bonne
heure et, sans doute, dès avant la disparition de la première
génération, que s'explique l'opposition instinctive de l'Eglise à
52 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSE

C'est aussi ainsi que s'explique la résistance qu


tianisme a opposée à la pénétration d'éléments religieu
logiques venant des divers milieux dans lesquels il
loppé, pénétration qui aurait été aussi un facteur de
ciation. Je sais bien qu'en parlant ainsi, je heurte des
généralement reçues. Nous sommes, sans doute, asse
temps où Hermann Gunkel pouvait écrire : « Le christi
une religion syncrétiste » (J) et où Oskar Holtzman
dire de la doctrine paulinienne de l'eucharistie qu'elle
morceau de paganisme qui avait pénétré dans le
nisme » (2). Une application plus prolongée de la m
l'histoire comparée des religions à l'étude du christia
mitif a montré que ses relations avec les religions amb
été infiniment trop complexes pour pouvoir être expr
des formules aussi sommaires et aussi peu nuancées.
courante reste cependant qu'il y a eu des emprunts d
nisme aux religions au milieu desquelles il a pris ses
développements. Je n'ignore pas les faits qui paraiss
fier cette manière de voir mais je crois que, si on l
de près, on est conduit à penser que ce que le christian
avoir emprunté aux religions avec lesquelles il a été e
ce sont plutôt des moyens d'expression que des élém
prement religieux (3). S'il peut, en un certain sens
certaine mesure, être vrai de dire que le christianism
religion syncrétiste, il est encore plus vrai de dire que
religion qui a opposé une très grande résistance à la
au temps où il est né, poussait les diverses religions
antique à se combiner entre elles.
Il y a eu un dynamisme spirituel du christianism
préservé de toute contamination qui l'eût gravement
qui, en dépit de l'interprétation qui aurait pu être lo
donnée de certaines formules pauliniennes ou jo
se rapportant au cadre ou à l'élément cosmologique

niss (1)
des Hermann
Neuen Testaments,
Gunkel, Zum
Goettingen,
religionsgeschichtlichen
1903, p. 95.
(2) Oskar Holtzmann, Das Abendmahl im Urchristentum
UNITÉ ET DIVERSITÉ DU CHRISTIANISME PRIMITIF 53

ou bien à l'idée de l'abrogation de la Loi, a préservé le christia¬


nisme de tout glissement qui eut substitué une cosmologie à une
religion ou qui lui eût fait perdre son caractère éthique.

Le sentiment de son absoluité n'a pas seulement conduit le


christianisme à se sentir et à s'affirmer traditionnel, ce qui,
déjà était une manière d'affirmer son unité. Il l'a aussi conduit
à prendre plus nettement conscience de cette unité. Absoluité
et diversité sont, en effet, des notions qui s'excluent, du moins
dans la mesure où la diversité porte sur autre chose que des
formes tout à fait extérieures et dont on a conscience qu'elles
sont extérieures.

Des facteurs divers ont déterminé l'unification du christia¬

nisme ou l'ont rendue possible. Ces facteurs cependant auraient


pu aboutir à la constitution de toute une série de christianismes
dont chacun aurait prétendu être le seul vrai, si toute, cette évo¬
lution n'avait pas été portée par un dynamisme spirituel.
L'aspiration à l'unité, le besoin de l'unité n'auraient pas été assez
forts pour empêcher la conférence de 44 d'aboutir à une rupture,
s'il n'y avait pas eu le sentiment que, malgré tout, ce qui unis¬
sait les chrétiens entre eux, en dépit d'oppositions qui parais¬
saient irréductibles, était plus fort que ce qui les divisait. Ce
sentiment avait son origine dans la place centrale que le Christ
occupait dans la foi.

Le mouvement d'unification qui marque l'histoire du chris¬


tianisme primitif, si divers qu'aient été les facteurs qui y ont
agi, a donc été, avant tout, une réaction vitale de l'Eglise par
laquelle elle a sauvegardé son principe spirituel. Peut-on cepen¬
dant être assuré que, dans ce mouvement d'unification dans
lequel des forces sociologiques ont joué un rôle important,
aucune valeur spirituelle n'ait jamais été sacrifiée ? Il serait
téméraire de l'affirmer. Mais ici, nous sommes conduits à un
problème qui n'est plus d'histoire seulement mais aussi de psy¬
chologie et de philosophie religieuses. Une religion n'existe que
par une expérience religieuse individuelle et originale qui est
à son origine, mais elle ne se réalise que lorsque cette expérience
devient aussi collective, ce qui implique nécessairement qu'elle
54 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

celui de la pensée et de la doctrine est une nécessité car


la religion avorte, ne se réalise pas en société religieu
est son aboutissement normal. Le passage du plan indi
plan collectif n'est cependant pas sans danger. Je ne
seulement à celui que constitue la possibilité de la su
de la pensée à la vie qui risquerait de conduire la r
n'être qu'une explication du monde et de l'homme.
aussi à l'impossibilité qu'il y a à ce que les formule
quelles un groupe religieux exprime la foi qui est
d'être, soient parfaitement adaptées à la spontanéité e
vidualité de la vie religieuse personnelle. Le cadre, touj
rigide dans lequel elles l'enferment, risque de l'étouf
sommes ici en face d'une des antinomies de la religion
exactement de l'un des aspects de son antinomie fond
Il serait vain d'en chercher une solution dialectique
par la vie et non par la pensée, qu'une telle antinomie
résolue. N'est-ce pas là déjà la solution qu'indique l'é
Ephésiens ? C'est l'un des livres du Nouveau Testam
insistent le plus sur l'unité de l'Eglise. C'est celui, en
qui, le plus nettement, donne à cette unité un fondem
trinal en insistant sur l'unité du Seigneur, de la foi, du
(4 4 6) et en présentant l'Eglise comme édifiée sur le f
des apôtres et des prophètes (2 20 , 34-5), c'est-à-dir
reposant sur une certaine doctrine conçue déjà com
mative. L'unité de l'Eglise a donc, ici, une bas
nale extrêmement précise. Et, pourtant, c'est dans le
mots de l'épître aux Ephésiens que nous trouvons exp
la manière la plus simple et en même temps la plus
principe purement spirituel et religieux du christiani
l'Eglise et, par conséquent aussi, de leur unité, celui s
tout ce qui peut le plus fortement unir les chrétiens,
extérieur et vain : « La grâce soit avec tous ceux q

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