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30 MAI.

LA BIENHEUREUSE JEANNE D'ARC, Vierge,


i

Libératrice de la France.
(1412-1431.)

Papes: .Martin V (1417-20 février 14:>1). - Eugène IV (3 mars 1431-


1447). - .Archevêque d'A11ch: Philippe Il de Lévis (1426-1-153). -
Roi de F'rance: Charles VII, dit le 'Jtïctorieuz (1422·1461). -
l'o1nte d' .Ar11u1gnac et de .F'e:en1ac : Jean IV ( 1418-1450), fils du
l 'on1iétable d' .A r1nagtiac.

.
:N" OTES CRITIQUES. - La. bienl1eureuse Jea11ne (l' Arc
est ~i connt1e et si po1>t1laire en France qt1'il sen1ble
sup~rflu (le trn.cer , ruên1e i1ne esquisse ra1lide <le son
histoire. Mais l'~~glise l'ayant inscrite <lans la galerie
des Saints <le notre cn.len(lrier <liocésain, 011 11ot1s repro-
cl1erait à bon droit de lui faire injure si nous gardions
le silence à so11 sujet, et si nous nous refusions à lui
rendre un 111o<le8te hornn1n.ge, en évoquant le souvenir
(te l'éto11nante et sublime 111ission qu'elle a rem1>lie
pour le salttt de notre JlU.trie bien-tLitnée. Ce qtte nous
cliro11s (l'elle 11e sera qu'un tableau, très raccourci, lleis
é\rénements qtti ont re111pli sa 111erveilleuse existence.
Nans 11'at1rons, en le traçn.nt, qtt'un double souci :
I
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46 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

celui (le condenser en quelques traits les points prin-


cipaux cle so11 histoire, et celui (le mettre e11 relief,
avant tout, le caractère surnaturel de sa n1ission. A
d'n.11tres le soin de mc>ntrer en elle l' Héroïne, inst>irée
par le génie des batailles; à not1s le soin <le montrer
en elle l' Élue de J)ieu pot1r 11ne mission providentielle,
et la Sainte méritant 110.r ses hautes vertus de conqué-
rir l'auréole do marty·re et d'être i1lacée sur les at1tels.
Jeanne d'Arc occu1>e une si grande place dans les.
annales de la France qu'on a vt1 sttrgir, aùtou~ de·son
non1, toute une littérs.ture extrêmement remarquable
1

par les senti111euts ,1'u,tln1iratio11 qui 1'011t ins11irée, et


par le talent que les écriv1iins ont déplo)·é à sou tiujet.
Il vn. saLns tlire que IJous jP.tons uu voile sur l'iufân1e
pu.n1pl1let que Voltaire con11,osa au xv111e siècle sur la
vénéra1>le Pucelle, cti,ricature infecte d'une des 11Jt1s
belles figures qui h<1norent l'histoire, poèn1e ordurier
dont 011 ne (>eut 1>arcourir une 11age i;;ans que la rou-
get1r n1onte att front et le clégoût at1 cœt1r. - Il va
sans <lire aus~i que 11t1us mentionnons, seule111ent f>Ottr
la for111e, l'ot1vrage qu'Anatole France a consacré à
Jeanne tl'Arc, et dans lequel il dé1>loie
,
tot1tes les res-
sources (le lion ta~nt <l'écrivui11, }lar 11aiue pour le sur-
naturel,· à dénaturer la tnission et à fausser le carac-
tère de l'l1éroïne, en truquant les <loct1111euts historiques
avec la plus attdacieuse impudence, et en leur donnant
une inter1>rétation contrA.ire à tot1tes les données (le la
saine critique, et aux exigenc~ élémentaires <le la
si11cérité historique 1qt1i s'in111ose à }'écrivain. Grâce à
Dieu, des nutettrs é11iine11t~, épris (l'acl111iration llour
la gran(le Lorraine, l'ont noblen1ent vengée (le ces
()Utrages. Fiers (l'une con11>atriote qui a fait si grande

1
_______________ ___________________
...._,._., ~-------------

LE CONNtTABLE D'AAMACINAC 1·;· 1418>,


grand-père de la Bienheureuse Bonne,
chef du parti national avant •1 Jeanne l'Armagnacaise "·

1PPlntnr~ 1lu l'htitean ile :\lar-;an. G1·r~).


. - t ' .

' -
' '
.'•

JEANNE D'ARC. 47
figure dans les annales de notre pays, ils ont étudié sa
vie avec une ardeur passionnée, et ont 1>ris sur ces
outrages et ces mensong~s une revanche à laquelle
tous les esprits sains et impartiaux ont applaudi. La
liste en est longue; nous nous contenterons de men-
tionner ]es plus émi11ents.,
Celui qui a üuvert la. voie aux études con~ernant
Jeanne .d'Arc est le célèbre directe11r de l'École des
'
Cl1artes, M. Quicl1erat, dans le grand ouvr~ge qui a
pour titre: Procès de condamncltion et de réhabilitation
de Jeanne <l' Arc. Dans les cinq voluh1es qui corn posent
cet ouvrage, il publie toutes ]es pièces q11i co11cerne11t
le 11rocès de la Bienhe11reuse. Le prer11ier volu111e re11-
ferme les doc11n1ents relatif.~ au procès propren1ent <lit
jusqu'à. la mort de la Pucelle. Le second et le troisièn1e
contiennent ce qui co11cerne Je 1>rocès de réhaùilitation,
avec les enquêtes d'Orléane, cle Paris et tle Rouen, leR
conclusions des juges, les 011inions des docteurs, la
première rédaction de ce procès. Le q11atriè1ne vol11me
donne les té111oignages des l1istorie11s et cl1roniqueurs
contemporains de Jeanne, Françu.is, Bourguignons 011
étrangers. Le cinq11ième volur11e enfin cite les térnoi-
gnages des poètes du quinzième siècle, des lettres,
a~tes et autres pièces tlétacl1ées, des extraits de livres
de comptes, des <loc11merits Rur la fête dt1 8 mai à
Orléans. On voit par ces détails qt1e l'ouvrage de
Qt1icl1erat est un clossier com1>let des 1)rocès cle Jeanne
d'Arc.
On ne peut s'empêcher après cela cle regretter que
Qt1icherat, à la suite tl'un travail si grave et si impor-
tant, ait sacrifié plus tarcl à l'incrédulité du ten11>s où
il vivait, et par suite à l'erreur, en faisant paraître un
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48 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

seco11d ot1vrage d'une bien n1oin(lre in1portance, qu'il


a iutitulé : Aperçus nouveaux sur Jeanne d'Arc, et où
il a complèten1ent travesti Je caractère et le rôle de
son héroïne. l\Iais, quoi qu'il en soit de ses dernières
i1111lressions, il demeure constant que ses 1)uhJications
011t unP im1)ortanc~ historique sans égale, et qti'elles
constitt1ent une source intarissable, Ol\ doivent néces-
sairement 1>uiser tous ceux qui ont le sot1ci d'écrire
une vie de la Bienheureuse, sérieusernent documentée.
C'est ce qu'ont fait tous les écrivains qui 011t aborc{é
ce grand sujet, avec le (]ésir de donner at1 public u11
i)ortrait vraiment ressembla11t (le notre héroïne.
N ot1s nom111ons ava11t tout le Révére11d Père Ayrol-
les, cle la Société de Jésus, qui a 1>ublié cinq volumes
i11-4° sur la vroie Jeanne d' .ilrc, (la11s lesquels il pré- 1
se11te cette vie étonna11te sous les as1lects les plus /
variés et les pltlS intéressants. C'est un~ étt1de à fon(l,
écrite sous l'ins1Jiration des sentiments les lllt1s élevés,
daul'l t111 style }llein de flan1rne, et qt1i donne à la
pl1ysionon1ie (le la Suinte un relief qu'il serait difficile
(le trouver ()ans t1~1e at1tre vie. Le succès qtt 'a etl cet
ouvrt\ge, à n1esure que se st1ccédaient ces forts volt1-
111es, e8t la sî1re gara11tie (le sa valet1r.
1\1. 'Vallon, 111en1bre de l'Institut, a publié 1111e
Vie de Jeanne (l' Arc avec la l1aute autorité que lui
don11aient sa vaste értt(lition et la parfaite loyauté
historiqt1e que tout Je 111on<le lui reconnaît.
, Un llubli-
ciste, tro1> encli11 à l'ironie, a et1, il est vrai, la 111al-
l1eureuse pe11sée <le jeter' t111 certain discrédit sur cet
ouvrage, <l.~ns un article retentissant qui con1n1ençait
}Jar cette 1>remière pl1rase : « M. Wallon a résolu le
difficile problème d'être ennuyet1x en 1>arlant de Jeanne
1
'
'

JEANNE D'ARC. 49
<l'Arc »;mais il faut bie11 se garder de s'en tenir à ce
jugement fautaisiste. Si la lecture de l'ouvrage de
M. 'Vallon 1>et1t engendrer quelque en11ui, c'est à ca11se
du soin scrupt1leux qtt'il met à 1>résenter les faits dans
leur rigoureuse vérité : ce qui est un 111érite qui l'ho-
nore, et ne peut qu'accrétliter son travail at1près <les
Jectet1rs sérieux.
Le célèbre Père Denifle, a11teur de la gra11de !1istoire
·de Lt1ther, a étt1dié claos un volume in-8°, en 1897,
les rapports de l'Université de Paris avec le 1>rocès cle
<:011d~tmnation de Jeanne d'Arc.
l\'I. le cl1an<>ine Dunan<l a céclé lui aussi à l'attrait
<}He lui inspirait ]a Bie11l1eureuse, et a consacré ses
loisirs à comJ>Oser, s11r l'ense111ble de so11 l1istoire,
plusie11rs volumes d'un 1>al1>itant intérêt.
Citons e11core une ,·ie de Jeanne, à laqt1elle la
parenté de l'auteur avec la descendance de la Bie11-
he11reuse donne un intérêt to11t }lttrticulier, la vie
écrite par Mgr Henri Del,out, lauréat <le l'Aca<lérnie
fra11çaise. (J' est 11ne vie 11op11ln.ire, illustrée, q11i 111et
sous son vrai jour le rôle de Jeu.nue, et q11i justifie
pleir1en1eut l'accueil en11>ressé qui lui a été fait 1>ar le
pttl>lic cl1rétien, ainsi q11e les enco11ragernents cle
Léon XIII, et les a1>1>robatio11s que 1>lt13 <le quarante
évêques lui ont données.
l\I. Petit cle J ulleville, si avantageusen1en t co11nt1
1>our ~es trava11x l1istoriq11es et littéra.ires, t1jo11tu.it, en
1890, 1111e nouvelle TTie de Jeanne d' ...f rc à la longue et
1

intéressante liste <le la Collection <.les Saints 1>11bliée


sous lu. <lirection de M. Henri Joly. Le mérite s1)écial
de cette \'Ïe co11siste en ce q11'elle est une série presque
ininterro1npue des paroles prononcées par Jeanne
50 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

(]'Arc jusqu'à sa mort, et des dé1)ositions recueillies au


procès de réhabilitation. Jeanne est là son pro1lre·
historie11 : 011 ne saurait évidem1nent en trouver (le
nieil1eur.
Ajoutons que M. Valet de Viriville, dans son Histoire
de l""harles VII, et mên1e <les écrivains cl·r~ne ortho-
tloxie très co11testable, Micl1elet et Henri Mtlrtin, dans
let1r Histoire de France, se Ront n1<l11trés épris (le la
beat1té (lu caractère et du rôle de Jeanne <l' f\.rc, et ont
écrit à son sujet des pages qt1i lui assignent une -Illace
<l'honu~ur du,ns l'histoire 11e notre JlaJ'S.
Récen1n1ent enfin, e11 1912, a paru, à la lilJrairie
Snint-Pat1l, à Paris, t1n n1agnifiqt1e volume qt1i ren-
ferme, st1r J ea11ne d'Arc, une dernière étude, dans
laquelle un officier supérieur cle nos armées, ·M. de
Richemont, a tracé, en style militaire, le rést1ltat d~s
longues étu<les qt1'il a faites st1r la Libératrice de la
France. Son ouvrage, d't1ne conception très élevée, ne
re11fern1e aucune allusion à la béatificatio11 de Jeanne,
11i at1x faits dont Ron1e et la France ont été les
tén1oins à cette occasion. M. de Richemont n'a pas eu
la joie d'y assister. Diet1 l'a rappelé à lt1i avant la.
glorificatio11 de la Sainte qt1'il avu,it tant honorée ici-
bas. Du moins a-t-il vu le procès intrt)duit à Roine,
et <léjà il i>ouvait saluer Jeanne clu titre de vénérable.
I . . a liste des écrivains qt1i se sont occt1pés de Jea.nne
d' . .\rc
. - nous 11e prétendons pas les avoir cités tot1s,.
- est un magnifique hon1111age rend11 à la Bienheu-
reuse : il serait i1111tile d'en relever la valeur. Elle-
Sltffit, à elle seule, à fa,îre pressentir la grandeur de la
mission
, de Jeanne et la reconnaissance qu'en a faite
l'Eglise en plaçant la. Libératrice sur nos autels.
JEANNE D'ARC. 51

VIE DE LA BIENHEUREUSE JEANNE D'ARC.

1. - Naissance et enfance de Jeanne.

I"e 6 janvier 1412, les habitants de Domrémy étaient


rentrés chez eux, après a voir assisté aux offices <le la fëte

de !'Epiphanie, quand soudain, sans qu'aucune cause
~ût llll y donner lieu, ils sentirent tous un souffle d'allé-
gresse qui les pénétra jusqu'au fond du cœur. Étonnés, ces
bons villageois se den1andèrent les uus aux antres d'oi1
JlOU vait leur venir cette impression de joie inattendue;
mais ce fut lit, pour eux, une sorte de rnystère qu'il leur fut
impossible de pénétrer. On dit, il est vrai, eu fait de
nouvelles, qu'u1!~ i,etite fille venait de uaître dans !a
farnille d'Arc, et que les parents étaii:.Jnt ravis de sa venue.
Mais quelle relation établir entre ces deux événernents?
Nul ne songea 1nên1e à les rappeler. Ce qui ne fut 11as
(}om1)ris alors devait 1' être un jour. Une telle joie, en effet,
n'était que le présage deM transports de triompl1e que
eette enfant devait soulever 1,lus tard, en France, quand
~lie aurait acquitté sa grande rnission de Libératrice de
son pays.
Jeanne cl' Arc se fit connaître elle-mêrne à ses j ages
dans la pren1ière audience du procès qui devait aboutir à
son supplice: « Dans mon i>ays, on 1n'a1J1>elait Jeannette;
depuis rua venue en France., on n1'a ll(lmmée Jea11ne. Je
auis 11ée à Domrémy qui fait un seul bourg avec Greux.
Mon pè1·e s'appelle Jacques d'Arc; ma n1ère, Isabelle
Ro1née ».
Domrérny, ou Saint-Rérny, est un petit village 1 situé
aux derniers confins de la France d'alors; il faisait partie
' On lira plus loin, § XI, une description de Domrémy par un
.soldat de 1914.
52 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

de ce qu'on appelait les Marches de Lorrain~, et se trot1ve


compris aujourd'hui dans l'arrondissement de Neufchâteau
(Vosges). Le souvenir de notre Sainte remplit le pays qui
l'a vue naître; il a ~ême transformé son nom : Don1rémy-·
sur-Meuse est dèvenu Domrémy-la-P1tcelle. L'humble n1ai-
son où elle naquit est voisine de l'église paroissiale et.
adossée au cha1np des morts. Son père et sa :nère étaie11t
de petits cultivateurs, possesseurs d'une maisonnette et
d'une cinquantaine d'ar1lents, qu'ils travaillaient de leurs
1nains. Ils étaient pauvres, mais no11 indigents.•J ac'l ues.
d' . \rc
. tenait un rang honorable dans son village; il était
(_1ualifié doyen, titre qui le classait immédiate1nent après le-
1naire ou l'échevin. Il eut trois filt~ : Jacques, Jean et
Pierre, et deux filles : Catherine, qui 1nourut jeune, et.
Jeanne, dont nous allons raconter l'histoire. Quand Jeanne
fut baptisée, elle reçut, selon l'usage du temps dans son
llays, qt1atre parrains et quatre n1arraines. C'était tout un
groupe de parents et d'amis qui se pressaient ainsi aut~ur­
de son berceau pour faire honneur à sa famille et lui
garantir, de concert avec son père et sa 111ère, une garde
chrétie11ne }lour ses jeunes. années.
Elle grandit dans les travaux des cha1nps, sans recevoir-
aucune autre instruction que celle de la religion au cate-
chisme. Elle ne sut jamais ni lire, ni écrire. Mais elîe-
savait à merveille les travaux du nlénage. « Pour coudre et
filer, devait-elle dire fièrement un jour à. ses juges, je ne
crains aucune fem1ne à Rouen. 1 - c Chez tnon père,.
ajoutait-elle, je m'occupais des beRognes de la 1naison; je
n'allais pas aux cl1am1ls garder les troupeaux. -. Elle revient
fréquemment sur ce t'ait; nous le relevons parce que la
légende a fait d'elle une bergère,' tandis qu'elle ne fut
qu'une ménagère, partageant avec sa mère et sa sœnr le
travail de la maison. L'instruütion que lui donna sa n1ère
n'alla pas beaucoup plus loiq que les prières élémentaires.
le Pater, l' Ave Maria, le Credo, qu·t'lle récitait chaque jour

1
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JEANNE D'ARC. 53 \

avec ferveur. Quand, 11lus tard, ses juges lui adressèrent


des questions captieuses sur l'Église militante, afin de la
surprendre en faute, elle ne comprit pas ce qne cela voulait
dire, et elle fit deux ou trois réponses imprudentes, dont
on abusa.
Dès sa }lremière enfance, sa foi et sa piété étaient admi-
rables. Sa mère lui avait donné un anneau portant gravés
les non1s de Jésus et de Marie. Elle aimait cet anneau
plus qu'un grand trésor, et le conservait avec un soin tout
particuJier. Elle passait à l'église tout le te111ps que lui
laissait le travail. On la voyait sans cesse en prières. Elle
avait une dévotion filiale envers la Sainte ViergP. Non loin
de Do1nrémy s'élevait une chapelle où l'on vénél'ait la
Sainte Vierge sous le vocable de ~..,.olre-Darne tle Ber1nonl.
Elle aimait à la visiter, à y prier dnns le recueillen1c11t et
le silence. Tous les sarnedis, elle s'y rendait, en con1pag11ie
d~ sa sccur cadette, pour y b1·ûler des ciergee et tresser des
couronnes, dont elle parait la statue de la Reine au ciel.
f~lle avait aussi une grande dévotion pour l'archange
sa11it Michel et les saintes qui devaient lui dévoiler plus
tard sa ruission et l'assister de leurs co11seils. [/église de
Dornrérny possédait une statue de sai1z/e Marg1terile, qu'on
y voit encore aujourd'hui. ~Jonce], localité située à trois
kilornètres de Dornrén1y, était dédiée à saint ~[iehcl; et
~[axez-sur-l\leuse, à la rnêrne distance, honorait particu-
lièrement sainte Calheri·1ie. On ne saurait douter 'llle
Jeanne n'ait souvent entrepris la visite de ces églises.
Quand elle eut fnit sa prernière corurnunion, el le appro-
cha de la sainte table f1êquernment, avec une fèl'venr angé-
lique, et se dist~ugua bientôt parrni toutes les jeunes filles
du village par sa piété, sa bonté et sa doueeur ...i\.ux œuvres
de piété elle airnait à joindre les œuvres de charité <·hré-
tienne. Elle s'intéressait ardemment aux pan vres, et se
taisait une joie de les secourir dans la n1esure de son
pouvoir. Il arriva plusieurs fois qu'elle céda son lit à des
,

54 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

misérables sans asile, et qu'ellè passa des nuits entières


dans l'âtre de la che1ninée. Dès l'âge de douze ans, elle
cessa de prendre part aux jeux des enfants de son âge, et
notamment de danser avec eux sous l'arbre qu'o11 appelait
f Arbre des Fées, à l'o1nbre duquel ils se réunissaient pour
jouer. Tontes ses compagnes l'aimaient tendre1nent et ne
lui faisaient qu'un reproche, celui d'être trop dévote et
trop sérieuse.
IJ' Arbre deR Fées, que nous venons de non1mer, devait
jouer un grand rôle au procês, et les juges aiiaient faire
tous leurs efforts JlOUl' rattacher les victoires de ,Jeanne à
cette source suspecte ou diabolique, u.fin de lui en farre 'un

critne. Mais ils n'y 1>uren.t parvenir·, et c'est merveille de
voir cornrne, en son ignorance, elle <léjoua tous les soupçons
de Ruperstition qui se rattachèrent à cette source. c N'y
avait-il J>as, près de votre maison, un arbre renommé dans
le village? » - « Il y en avait un qu'on appelait I:Arbre
des Darnes, ou 1' Arbre des Fées; et j'ai entendu dire que
Jes fiévreux boivent de l'eau qui coule à ses 11ieds 11our ~e
guérir; n1âis guérissent-ils? Je n'en sais rien. On dit aussi
que les 1nalades, quand ils 11euvent se lever, vont se pro-
mener près de cet arbre. J'y allais aussi quelquefois avec
les autres filles, et faisais des couronnes pour l'in1age de la
Bienhettreuse Vierge }[arie de Domrémy. Plusieurs fois
j'ai entendu des anciens, qui n'étaie11L pas de n1a famille,
dire q ne les fées hantaient cet endroit; niais moi, je ne les
ai ja1nais vues. Il y a, à la distance d'une demi-lieue, un
bois appelé le Bois chenu; je n'ai jamais entendu dire q ne
les fées l'aient fréquenté. Quand je vins trouver le roi,
c1uelques-uns n1e dernandaient s'il 11'y avait }l&S dans mon
pays un bois appelé le Bois chenu, Jlarce que d'anciennes
prophéties disaient qu'auprès de ce bois paraitrait un jour
une jeune fille qui f~rait des merveilles. Moi je n'y ai
jan1ais ajouté foi 1 >.
• QUICHERAT, Procès, etc., t. I, p. 67, troisième audience.

\'
I
JEANNE D'ARC.

Heureuse dans la maison paternelle, l'enfance de Jeanne


ne fut ·troublée que par les calamités publiques. Le royaume
de France se trouvait, à cette époque, dans un état lamen-
table. Seule, une intervention extraordinaire était capable
de l'en délivrer. Après la victoire d'Azincourt (1415), les
Anglais étaient devenus, par des étapes successives, les
maîtres absolus de la France. Ile avaient occupé i)eu à pe11
toutes les grandes villes en deçà de la Loire, à l'exception
cl'Orléans, qui avait opposé la pluR énergique résistance ii
leurs ass~uts. Ils semaient partout la terreur, jusque dans
les }>lus 1nodestes villages, et partout aussi ils faisaient
sentir la main dure de l'envahisseur. IJe dau1>hin Charles
s'était retiré à Chinon, au delà de la IJoire; et, J>longé dans
une lâche indolence, il se désintéressait complètement de
la marche des événements et de l'avenir du royaun1e. Mais
Dieu, qui avait des desseins de ruiséricorde sur la France,
veillait s11r elle, et 1>ré1larait Jeanne d'Arc à l'arracher au
joug de l'étranger.

11. - Les visions de Jeanne. - Jean"e à Vaucouleurs.

C'était au début de l'année 1425. Jeanne avait. environ


treize ans. Le 1natin d'un <les pre1niers jours de l'an, mue
sans doute par une inspiration divine, elle avait jeûné.
Elle travaillait dans le jardin de sa famille, quand elle
entendit soudain une voix qui lui criait : Jeannette, rentrez
à la ·maison; votre m.ère a beso1'.ri de vous! Sans prendre le
temps de reconnaître d'où vient cette voix, Jeanne s'en1-
1>resse d'obéir. Cependant Isa\>elle, qui ne l'avait point fait
appeler, lui témoigne son étonnement de la revoir eiti.>t.
L'enfant rentre au jardin. C'était l'heure où la cloche
sonnait joyeusement l' Angelus de midi. Elle se met à
genoux; et, tandis qu'elle saluait Marie avec toute l'ardeur
de son ân1e, elle entendit une voix qui prononçait distinc-
tement so11 nom: Jeanrzette, Jeannette! Cette voix avait
56 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

quelque chose de si pénétrant, de si suave, que la petite


fille se sent remuée jusqu'au fond du· cœur. Elle cl1erche
qui lui parle; mais à peine s'est-elle tournée du côté de
1'église, qu'une grande clarté l'environne et lui cause tout
d'abord une crainte dont elle ne peut se défendre.• Peu a.
peu, cependant, elle s'habitue à l'éclat de cette étrange
lumière, et distingue une vision étincelante : c'est -un
llersonnage &UX' t1·aits BObles ~t d'une ravissante douceur•.
Autour de lui, tonte une légion d~tres aériens fixe sur elle
ses regards. Et l'apparition NJ1ète encore: JM,nnette, Jean'-
nette, soi's bonne et pie11s~; a1:me ~ Dieu ,·et fré'Jf'•ll#
'
• •
régli8e !
En fac~ de ce prodige, l'enfant a grand' peur. Elle
tornbe à genoux; n1aiE1 toutefois un sentin1ent de surna-
turelle confiance l'envahit. Elle co1nprend que Dieu ]a,.
réclarne, et se prépare à lui adresser un appel dont elle ne
devine 11as l'objet, mais qui doit la trouver prête à. obéir
dès le l>ren1ier instant. Elle déclarera 11n jour qne, dans ;ce
mornent solennel, prosternée à deux genoux, et pressée }la~
une inspiration d'En-Haut, elle se consacra à Dieu l>ar le
vœu de perpétuelle. virginité.
l . .e miracle se renouvela, laissant à Jeanne la mê111e
impressioµ de crainte, mais augmentant toujours dans son
, cœnr le désir d'appartenir à Dien. A la troisième a1)pari-
tion, elle sut., à ne pas s'y tromper, que les mystérieux
personnages étaient des Anges. Souvent elle les revit; et,.
quand ils disparaissaient, a-t-elle dit plus tard, elle ne
pouvait se défendre de pleurer. Elle eût voulu s'envoler-
avec eux et les suivre en paradis.
Sûrs de sa foi et de son désir d'accomplir la volonté de
Dieu, les célestes messagers lui révélèrent un jour la
' mission providentiPlle / à laquelle elle était destinée. Celui
(jUi paraissait commander aux antres lui dit : Je suia
rarchange Michel, le protecte11r de la France ! Il y a main-
tenant grande pitié au royaurtJ,e de France! Et l' Ange lui

\
JEANNE D'ARC. 57
révéla toute l'étendue des maux dont l'envahisseur acca-
blait not1·e patrie; la France vaincue par les Anglais à
Crécy, à Poitiers, à Azincourt; le traité de Troyes, conclu
en 1420, faisant 11asser le royaume très chrétien au roi
d'Angleterre, Henri VI, un enfant, gouverné par son oncle
le comte de Bedford; le rci de France, appelé par dérisio11
le roi de Bourges, réduit à ne posséder qu'une faible }lartie
du centre de son royau1ne, entouré de favoris impuissants,
tin1ide lui-même, irrésolu, n'ayant })lus qu'une arn1ée
abattuej par la défaite, sans ressources pécunia]res, inca-
pable de remédier aux n1aux du }lays et de relever les
ruines religieuses et n1orales entassées de toutes parts.
A mesure que Jeanne pénétrait le sens profoncl des
paroles de saint Michel, une in1n1ense tristesse envahissait
son âme. Mais la cél~ste apparition la consolait, lui don-
nant ,l'assurance qu~ Dieu n'ahandonnait pas la Fille aînée
de l'Eglise, et que déjà il r:·éparait l'être n1ystérieux qui
allait devenir l'instrument de la délivrance !
Cette révélation releva la confiance de Jeanne. Elle
remercia saint Micl1el et lui demanda le notn du libérateur.
Alors le céleste 1nessager, fixant sur elle son regard, lui
dit: C'est toi, fille de D-ielt ! Pars! va en France! 'tl le fa,ut .'
- Moi, s'écria Jeanne toute tren1blante, 1nais je 11e suis
qu'um pauvre fille; je ne sa1·s n1: A rii B; je ne sais ni
monter à cheval ni faire la giterre ! Et l'archange répète :
Pars, va en France! Il le faut! Cela dit, il disparaît.
Pour se rendre compte du caractèr·e surnaturel de la
n1ission confiée à Jeanne, j} importe de bien comprendre
dans quelles circonstances elle reçut, l)OUl' la pren1ière
fois, la révélation de ses Voix. Elle avait treize aus, con11ue
nous l'avons déjà dit. Jusqu'à ce moment, rien ne la di~tin­
guait des autres enfants de t.a condition et de 80n âge. Elle
paraissait seulement plus douce, plus modeste, plus J>Îeuse,
plus réfléchie que ses compagnes, moins amie des amuse-
ments de la jeunesse, ayant plus de goût pour la prière et
58 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

les longues stations à l'église. Au reste, nulle trace chez


elle d'exaltation ou de mysticisme soit religieux, soit patrio-
tique. Elle est si peu troublée par la douloureuse situation
de la France, que les premières Voiz l'ont surprise et comme
éveillée en pleine tranquillité de son ân1e adolescente.
Ce sont les Voix qui, peu à peu, ont créé l'état d'exaltation
patriotique, où n~tts la verrons arrivée trois ans plus tard:·
ce 11'est pas l'exaltation qui a précédé et, pour ainsi dire,
provoqué les Voiz. Observons encore que les Voix ne lui
ont i>as J>arlé tout d'abord de sa mission, mais se sont '
longte1nps tenues à de pieux conseils. l..'âge croiss~nt,
ainsi que la raison, cette mission lui est révélée peu à peu.
Elle la repousse d'abord avec angoisse; 1>uis elle l'accepte;
enfin, elle J'embrasse avec ttne ardeur passionnée. Toute
cette marche et ce progrès des faits doivent être retenus
avec soin. On voit que l'intervention 1nystérieuse des
agents célestes a lenternent façonné l'âme et la volonté de
Jeanne, bien loin que ce soit Jeanne, comme i>lusieurs;
semblent !'::-.. oir cru en dehors de toute preuve et contl'e
tout témoignage, qui, par son exaltation solitaire et per-
sonnelle, ait sollicité, provoqué et presque contraint
l'intervention di vine. Aussi, la 11remière fois qu'elle enten-
dit la Voi'.z, eut-elle grand'peur, tant elle était loin d'avoir,
}>our ainsi dire, évoqué un miracle.
Peu de temps après le jour où saint; Michel avait révélé
à Jeanne les desseins de la Providence, alors que l'enfant
i1rotestait de nouveau et de sa do(!ilité et de so11 irnpuis-
sance. l'archange lui dit: Dieu a pourvu à ce qui ts manque.
Je conduira·i vers toi deux saintes : Catherine et Marguwite,
que Notre-Seigneur a chargées de te guider; tu ti'auras qu'à
suivre leurs conseils. Bientôt, en effet( aux côtés de saint
Michel, elle vit deux ravjssantes figures, pol'ta11t au front
de riches couronnes d'or posées sur leurs beaux cl1eveox
ondu1és. Regardant la jeune fille avec une bonté ineffable,
elles la firent approcher, se 110111mèrent et l'embrassèrent

\
JEANNE D'ARC. 59
tendrement tandis que Jeanne, charmée, 1>ressait leurs
mains et leur rendait, respectueuse et trernblante, leurs
doux baisers. Ces n1aîtresses étaient bien choisies pour
former celle qui devait soutenir tant de luttes; car elles-
mêmes avaient soutenu de rudes combats et remporté
d'incomparables victoires pour la gloire du Cl1rist !. Désor-
mais, elles apparaîtront à leur élève plusieurs fois par
sen1aine, comme Jeanne elle-mêrne l'a déclaré, l'instruisant

sur tout. ce qui concerne sa mission, formant avec
'
l'archanb~ ce qu'elle B(lpellera son co1iseil, indiquant par là
~nP, non seulement saint }[ichel et ses saintes se rendent
visibles, n1ais encore qu'elle entend réellement leur parole
résonner à son oreille.
J,a vie de Jeanne, dans cette période de sa vie, a donc u11
double but : l'un, extérieur, au(1uel du reste les célestes
1nt>ssagères l'engagent à derneurer fidèle, c'est l'exécution
1>arfaite de ses devoirs d'état; et l'autre, intérieur et invi-
sil)le, ce sera la préparation 111iraculense de son âme à
l'œuvre du salut de la. patrie. Il y aura déjà là, 1>our elle,
l'occasion permanente d'un Jlénil>le sacrifice. Quelle répu-
gnance, en effet, n'éprouvera-t-elle pas lorsque, après avoir
entrevu un coin du ciel dans ses visions, il lui faudra
retourner aux œnvres vulgaires de la terre. Néanrnoins,
l'humble enfant sera toujours la pren1ière aux labeurs les
plus modestes de sa condition.
Jeanne ne révéla le secret de ses f?oix à personne, pas
mêrne it. son père et it sa 1nère, quoiqu'elle les airnât tendre-
ment. Ce silence absolu, gardé pendant plus de trois ans
par une enfant si jeune, et au. sujet de llriviJèges si étran-

' Sainte Catherin1· d'.4lezandrie, vierge, patronne des jeunes filles
et des philosophes, martyrisée sous Maximin et Dioclétien, le
25 uovembre 307. - .Sainte J.l!arguerite de Pisidie, dont les reliques
furent importées en Occident par les Croisades, (un pied avec les os,
les nerfs et la chair est conservé dans la cathédrale de Troyes) était
aussi une vierge martyre; fête le 20 juillet.
60 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

ges, est chose bien remarquable, et té1noigne d'une âme


singulièren1ent forte et concentrée. Nul 11e se doutait des
111erveilleuses riestinées q ni l'attendaient, lcrsqu'un événe-
ment singulier vint i)rouver que le ciel voulait au moins
en lai8ser trans1>irer quelque chose. Alors que rien n'avait
éveillé la curiosité de Jacques d'Arc sur les cGn1munica-
tions (}Ue sa fillê entretenait avec le ciel, l'excellent père
eut un songe. Il aperçut, dans son som1neil, chevauchant
'au 1nilieu des guerriers. une femme qui se1nblait leur·
donner des ord1·es, et, dans cette fe1n1ne, il r~connut sa
'
chère Jeannette. Tout d'abord, il ne tint aucu11 co1npte de
l

cet incident. Qu'y a-t-il, en eft'et, de plus vain qu'un rêve?


J.lais voici que ce rêve se renouvela plusieurs fois. Or, à
cette époque, con1me mall1eureusement en bien d'autres,
les arrnées en campagne étaient i>resque toujours sui vies
d'infân1es créatures se livrant à la débauche. Pou.vnit-il
seulement entrer dans l'esprit de Jacques que telle seraft
un jour la destinée de sa fille, si bonn~ et si pure ? Cepen-
dant la douloureuse obsession revenait toujours.Un matin,
}llU!\ préoccupé que de coutu1ne, il raconta ce songe à
Isabelle en ajoutant : ci Si j'étais sûr que ce 1nalheur dût
arriver, je dirais aux frères de ,J cannette de la noyer
11lutôt; et, s'ils refusaient de m'obéir, je la noyerais 1noi-
mê1ne ». Cette }larole, à elle seule, fait }>ressentir toutes les
difficultés que Jeanne allait rencontrer dans l'exécution des
ordres de Dieu. Si son père, qui. l'aimait tant, était en de
telles dispositions, qu'allaient llenser les étl'angers aux-
quels, un jour ou l'autre, elle serait tenue de se révéler !
Ce jour pourtant était })roche. IJes Anglais avaient mis
Orléans en état de siège de1luis le -12 octol)re 14:?8, et la
·défaite définitive du rpi de France paraissait in1mine11te.
Les l'9"oix Re faisaient ·ouïr à Jea11ne plusieurs fois la
semaine, 11ressa11t, so1nmant, allant presque jusqu'à n1ena-
. cer. Elle, de so11 côté, essayait de lutter contre l'ordre de
Dieu. Elle allégu~it les doutes qui assiégeaient son esprit :

\

'

JEANNE D'ARC. 61

J'aimerais mieur., disait-elle, être écartelée que d'aller eu.
.France contre f ordrB de .Dieu. - I,a voix lui répondait :
C'est Dieit qui 18 veut, c'est Dieit qiei l'ordonne! A ln fi11,
n'y pouvant }llus tenir, Jeanne prit le parti de s'éloigner
sans prévenir les siens, sans rnên1e leur dire adieu. U 11
-0ncle, frère d'Isabelle, Durand J,ascart, devait être l'ins-
trument de la Providence pour l'aider dans l'exécution de
fion dessein. Cet hornrne, honnête et honoré de tous, venu à
Don1rémy, reçut le plus cordial accueil dans la famille de
Jeanne, et obtint la }lerrnission de l'ernmener avec lui pour
quelque temps. I,e rayonnernent 8Urnaturel qui s'échappait
de la pieuse enfant s'exerça sur ce }larent }>lus que sur
tout autre; aussi éprouvait-il pour Jeanne la J>lus tendre
~n même tem1>s que la plus respcctuense affection.
Tous deux partirent donc de Dornrémy un après-dîner
du printem11s de 1429. Jeanne parlait 1>eu; son regard sem-
blait se fixer sur des êtres invisibleg et, de temps en temps,
ses lèvres n1urmuraieut une courte prière. Durand, saisi
par cette attitude, 11'osait l'interroger. La voyageuse rompit
enfin le silence }Jour parler de la guerre anglo-française.
Bientôt, elle se lan1enta sur les mall1eurs de la patrie avec
de tels accents que tous deux fondirent en larmes. Son
cœur paraissait oppressé 1>ar nue érnotion profonde quand.
tout à coup, relevant la tête, elle s'écria : Mais rien n'est
pertlu ! Dieu vient à 1iotre SJCOttr& ! N olre beaze pays va être
sattl'é par une je,une fille des Marches de Lorraine, et. celle
0

J eu11e fille, c'est votre pauvre Jeannette !


On devine la stupeur de Durand à cette parole : Jeanne
}lerdait-elle la raison ? ou bien était-elle le jouet d'un
esprit malin ? Jeanne rentra quelques instants dans le
silence; et puis, lenternent, pieuse1nent, elle se mit à
raconter les apparitions de l' Archange et des Saintes, les
enseignements qu'ils lui donnaient, l'appel qu'ils lui adres-
saient au nom de Dieu. Durand écoutait, recueilli, tandis
que sa nièce parlait; il admirait, dans son attitude et ses
62 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

paroles, le reflet d'une sainteté qui le subjuguait malgré


lui. La foi se formait dans son âme.
Quand elle eut fini son récit, Durand, enthousiasmé,
s'écria: C'est Dieu qu-i t'a parlé, mafitle, j'e veux t'aider à
accomplir les ordres de Dieu. Mais que puis1·e faire poitr
cela'! - Me cond·1~-ire à Robert de Baitdricourt, cap·itaine de
Jt"aucouleurs, rér1liqua-t-elle, afin qu'il me condu1:st à Charles
le Dauphin. - ·Je le ferai, répondit le digne homn1e.
N éanrnoins il ne se faisait pas illusion, il pressentait co111-
bien il serait difficile, sinon impossible, de déciper le vieux
guerrier à ajonter foi à des choses si étranges et si 'Ïhvrai-
scrnblables. Baudricourt était un soldat loyal et brave,
mais riche, intriga11t, libertin, sceptique, l'hon11ne c1 ui sen1-
blait le 1noi11.1 lll'opre à croire ~'t. la mi~sion guerrière d'une
fillette de seize ans ...i\ussi n'y crut-il pas quanll Durand,
cétlant aux supplications de sa nièce, la lui atnena en secret
et, timiden1ent, lui parla de son désir d'aller au secours du
1
roi. Robert de Baudricourt l1rit l'homme pour un niais, la
fille pour une aventurière, et volontie1·s il l'eût laissé trai-
ter sans respect par ses soldats, s'il n'Jr eût, eu toujours en
elle quelque cl1ose de digne et de froirl qui déconcertait les
plus hardis et les l1lus grossiers. Il la rendit à Durand en
lui disant : Cette fille est une folle; ramène-'la à son père en
lui don1iant de grands so1ljflets.
Cette hurniliation 11e i>arvint pas à la décourager : les
l"'oix l'avaient informée plus d'11ne fois qu'elle rencontrerait
de dures déceiltions sur 8on chemin. Dans les jours sui-
vants, elle rnultiplia ses démarches pour intéresser divers
1>ersonnages à sa ca11se. Partni eux, un des hommes d'arrnes
qui devait la conduire à Chinon, Jean de Novelotnpont,
surnommé de }letz, s'attacha particulièrement à elle et alla
la trouver un jour da1~s ·la maison de Henri de Royer, où
ellP logeait, pour l'encùurager et lui dire : c Jeanne, que
faites-vous donc ici ? Fant-il que le roi soit chassé de so11
royaume et que nous devenions Anglais ? l> Jean11e lui
,

\
JEANNE n' A ne. 63
répondit : « Hélas ! je suis venue ici pour voir Rohart de
Baudricourt, et lui demander de me conduire ou me faire
conduire au roi; mais il n'a souci 11i de moi, ni de mes
paroles. Et pout·tant il le faut ! Je doia être là-bas at1ant la
mi-carême, et j'y lwai, dussé-je i~er mes jambes jusqu'aux
genoux! Personne au monde, ni prince, ni duc, 11i fille du
roi d'Écosse 1, ne peut reconquérir· le royaume. Il n'y a de
secours à attendre que de moi. J'aimerais rnieux rester <\
filer a11près de ma mère, car ce n'est pas mon état de faire
la guerre; mais il faut que j'aille, et j'irai, paree que mon
Seigneur veut que je fasse ainsi ! » JJe gentiihornme fut
Jlris d'enthousiasme ppnr l'héroïne qui affirrnait si énergi- -
quement sa mission; et cet enthousiasrne gagna. rapide-
ment les habitants de Vaucouleurs, lorsque J ea11:1e leur
eut fait confidence de ses intentifJus.
Cependant Robert dP Baudri('ourt demeurait incrédule,
et il fallut un événen1ent extraordinaire pour vaincre sa
résistance. Li 12 février 14:23, jour de la l>ataille de Rou-
vray, dite Journée dea Harengs, Jeanne se présenta à lui de
nouveau et lui dit : c: Au 110111 àe Dieu, vous tardez trop à
m'envoyer.. Aujourd'hui le gentil Dauphin a eu près d'Or-
léans granù dornmage, et il sera en péril de l'avoir plus
grand encore si vous ne n1'envoyez bientôt vers lui ». ()r,
quelques jours a1lrès, Robert apprit que lEs troupes fran-
çaises avaient subi le désastre dont Jeanne l'avait prévenu.
Le doute n'était Jllus possible. Il consentit donc à laisser
partir la jeune I .. orraine, et lui fit même don d'une épée.
Le duc Charles Il de Lorrain~, qui avait ap}lris les visions
extraordinaires de .Jean11e, lui avait fait cadeau d'un beau
cheval noir; le peuple de Vaucouleurs se cotisa 1>our lui
procurer un vêtement masculin, car tous étaient d'avis
qu'elle 11e }lOurrart faire autrernent. Ce furent tous ses pré-

t Allusion au mariage projeté du fils de Charles VII avec Margue-



rite d'Ecosse.
5
/' -

64 SAINTg DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

paratifs pour entrer en campagne. J.Je soir du 13 février,


11rern ier din1anche du carême, la Pucelle se mettait en
ro11te, accon1pagnée de Jean de l\Ietz et de Bertrand de
Pouleng)·, et escortée i>ar deux arcl1ers et deux serviteurs.
lJa foule qui assistait ~\son départ, et qui croyait à sa tnis-
sion, l'acclan1a avec des tra11sports d'enthousiasme, et Bau-
dricourt, 1>reuant congé d'elle, lui dit : V(l, va; adv,ientit
que po11rra !
Ni le père ni la 1nère de Jeanne ne semblent avoir fait
·· quelque dé1narche pot1r la retenir. Eux-n1ê1nes c~urent-ils à
sa n1issio~1 ? Ou bien furent-ils indignés de son départ
furtif~ et résolurent-ils de l'abandonner à so11 sort ? Nul ne
le sait. Toujours est-il qu'ils ne se rendirent pas à Vau-
couleurs }lOHr lui dire adieu et la bénir. A Rouen, ses juges
lui reprochant ce qu'ils considéraient con1me u11 manque
d'égards envers son père et sa mère, elle répondit : , Il le
0

fallait .l Dept1i1:s ce te1nps, Je lt1tr ai /ail écrire, et ils m'orat


pardonné. Qttand J" a1erals eit cetit 11ères. et cent mères, et qJe
j'eusse été fille lie ro·i, je serais partie !

Ill. - Jeanne à Chinon et à Poitiers.

IJa Pucelle (ce sera désor111ais le no1n }>opulaire de


Jeanne d'Arc), la Pucelle s'avançait ,<lonc sur la route de
~,rance, entouree de ~es six con1pagnons. Selon la parole
d'un té1noin oculaire, elle était « en habits d'homnre, à
savoir : pourpoint noir, chausses attachées, rol>e courte àe
gris noir, cheveux ronds et chapeau noir ». ~.\. son côté pen-
dait l'é 11ée offerte par Baudricourt. Bien qu'elle n'eût que
dix-Rept ans, ellt était grande et fo1:te. Son visage, d'une
1nâle L~auté, respirait en 1nême tcn1ps la douceur. Sort
regard, clair et inspiré, . donnait il. sa physiono1nie une
exprf>~~ion tout.~ céleste.
_ IJe voyage qu'elle entrctlrenait ét~it J>lein de périlK. 11
fa.liait ch.evaucher de longs j~urs en pays ennen1i, oc~upé

1
.
1

JEANNE n' ARC. 65


1>ar les Anglais et leu1·s alliés, les Bourguignons, eillonné
par des bandes de soldats indisci1>linés et de pillards. Les
-compagnons de Jeanne, malgré leur bravoure, n'avançaient
qu'avec les plus grandes précautions. l\lais elle les rassu-
rait en leu1· disant : N'ayez crainte; ce que je fais, j'ai ordre
de le faire. Mes frères d1t paradis m'enseignent ma 1nissioti.
Il y a déjà qieatre ou cinq atis qit' ils nle la répètent, et Dieu
rne tlit qzt' il faut que j'aille à la g11erre poitr recou·vrer le
royaunie 4e Fra11ce. I,a nuit, elle couchait tout h~Liilée
parn1i son escorte, sans qu'aucun de ses cornpagnons. ainsi
·qu'ils en tén1oignèrent Rous serment, ait osé former seule-
rnent une pensée qui fit injure à son innocence, tant le res-
Jlect érnanait d'elle et la rnettait à l'abri de tout outrage.
Elle eût voulu, durant le voyage, entendre la rnesse tons
les jours; 1nais elle n'eut cet avantage que deux tois. Après
onze jours de marche, on est enfin en terre française et il
n'est plus nécessaire de cacher le but Ju voyage. De Gien,
où eJle passe, on annonce aux Orléanais qu'une rierge
.arrit•e au seco·urs de la vill8 assiégée.
I,c saniedi,.5 n1ars, on était à f,ierbois, d'o11 la Pucelle
adresse au roi la lettre suivante : J'ai fait cent cinqi1atile
lie11es po11r venir./usqu'à i•ous et l'OllS prêter assistance. .Fai
bea1tco1ez1 de c/,oses excellentes à i·ous r~véler. Cotnnie }Jreul'B
de ce q11e j'avance, je t•ous reconnaitrai entre tous. - Le
lendernain, de grand rnatin, elle se rendit à l'égliii;e dédiée
à sainte Catherine, l'une de ses saintes protectrices. et, pour
satisfaire sa dé,·otion, elle entendit trois 111esses.
· IJe di1nanche, 6 n1ars, les V( yageurs étaient à Chinon.
1

Jeanne fut logée dans une 1naison honorable de L"ette ville,


et attendit, dans la prière et le recueillen1ent. q ne la Provi-
dence lui ouvrit les portes du ch<~tean oi1 s·ahritait le
}lrince qu'elle venait sauve1· au nom de Die1: .

Elevé au rnilicn d'une rour agitée })ar toutes sortes
'?
<l'i nt.rignes, ( 1 har les I 1 était nature lle1ncnt tuéfinn t. 8011
1ninistre favori, Georges de la Tré1uouille, llarou de Sully.
' .. ' .
:
I
\

. 66 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH • I

prenant ombrage, dès la première heure, du rôle que venait.


rcn1plir la Pucelle, l'en~ageait à lui refuser l'audience
qu'elle sollicitait. Cependant le conseil royal, saisi de la
requête de Jeanne, et cédant au témoignage favorable qui
lui fut rendu par Jean de Metz et Bertrand de Poulengy.
décida que Charles pouvait la recevoir sans coIDilron1ettre
la majesté royale'; :et, après deux jours d'attente, on fit
signifi6lr à Jeanne que l'audience lui était accordée.
C'était le 9 111ars 1429. I.,e monarque avait désigné la
grande salle du château i1our cette audience. T<>ut y_ futr
clisposé avec un luxe royal capable d'intimider l'hulnble
paysanne de Domrémy. Pour éclairer ce vaste appartement.
on avait disposé en son pourtour cinquante ho1nmes d'ar·
nies, Jlorteurs d'11ne torche. Sous cette brillante clarté, les.
pierres précieus~s et les broderies d'or des vêtements
d'a~pparat portés par les seigneurs de la cour étincelaient.
Troie cents chevaliers entouraient ces gentilshommes. : \

La Pucelle fut introduite. Le coup d'œil était féerique; •


jamais la jeune fille 11'avait. vu tant de lumières éclairant
un tel spectacle; mais son regard, si fréque1nment ouvert.
aux secrets de l'au-delà, avait n1aintes fois contemplé à
l'aise une vision lll~s magnifique. On sait q11e, pour la
mettre à. l'épreuve, Charles VII s'était dissimulé parmi les.
co1npagnons de son A.ge, et avait pris 'Soin de ne se distin-
guer par aucun ap1>areil. Mais .Jeanne, qui ne l'avait
ja1nais vu, alla droit à lui !a11s hésitation, avec une attitude
n1odest.e mais nullement embarrassée, et, ton1bant à genoux,
elle lui dit : Dieu voits donne botz11.e vi6, gentil ro~· ! -
Charles VII, voula11t la tromper, lui dit : Je ne 1uis pas le
roi; le roi, le voilà! et il n1ontrait de 'la main le comte de
Clermont 1 • Mais J ~an ne ~eprit aussitôt : A t4 nom d~ D·t"ett,
t Charles de F'rance, comte de Clt.rmont, puis duc de Bourbon,
n'était plus alors propriétaire du ch&.teau et comté de r;sle·Jourdain
(Gers) qu'il avait v:!:idu à Jean IV, comte d'.f... rmagnac et de Fezen-
sac, le 14 juillet 1421 ..

11
'
\

JEANNE D'ARC. 67
.$Ïr1, vous fêtes et tion un a1ttre. Je 1uia 1Jetzue v~rs vous de
la part du Roi du ci.el. J'ai nom JeannB la PitcBlle. Si vo11&
voulez écouter le message que je vous apporte, vous recouvre-
rez votre royaume et les Anglais a' e11 iro1it !tors d;, France.
- Quel est donc ce nierveilleux message ? - Di8U vo11s
ma1zlie que 'IJo·us me mettiez e11 œitv·re, tJt je ferai lei•er le
siège d'Orléans; puis je vous conduirai à Reim1 pour rece-
voir ·votrB sacre et votre royale couro11ne. Voua serez ainsi
liezetenant du Roi des cieux, qui est roi de France !
Cette pr'en1ière audience impressionna favorable1nent le
Dauphin, mais la cour n'était pas gagnée (elle ne le fut
jamais du reste entièren1ent, n1êrne aux jours des plus
beaux triornphes ). Charles tern1ina l'entretien eu deman-
<lant à Jeanne ce qu'il devait faire pour réaliser les desseins
<le Dieu, et Jeanne lui répondit : Sire, donnez-moi des
.ar1nes et dei troztpes, et coniptez que .ie saurai m'en servir.
- Les dessei11s di·vi11s sero1it accon1pli11 ! re.prit le prine;c.
Mais il congédia_ la Pucei1~ sans lui fixer le moment où sa
parole serait réalisée. Il se contenta de lui assigner· une
-demeure au palai&, et de décider qu'elle serait examinée à
fond par une cornpagnie de théologiens.
Cependant
, le Pape Martin V ( 1417-1431 ), qui gfluvernait
alors l'Eglise, accordait, en ee n1oment, à la basilique de
Notre-Dame du Puy la faveur· d'un jubilé solennel, qui
:attira plus de deux cent mille fidèles. ..i\.u nombre des
pèlerins on cornpta la mère de Jeanne, Isabelle Ron1ée, qui
venait demander à• Marie le salut de la France et la réai-
gnation pour son foyer attriste. C'est que, depuis le départ
·de Jeanne, bien des larrnes avaient coulé dans sa chaumière
<le Dornrémy. Avec le doux sourire de l'enfant privilégiée,
le bonheur avait fui. Jacques était so1nbre et taciturne;
Isabelle arrosait de ses }lieurs la quenouille. qu'elle devait
nier seule désormais, tandis que ses fils osaient à peine
prononcer devant elle le non1 de la fugitive. J.,,a prière
était le seul ramède à cette amère douleur; la famille de
·.

68 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

Jeanne l'avait bien compris; c'est pourquoi Isabelle était.


venue, at1 nom de tous, implorer l'assistance de la Reine
des anges au sanctuaire vénéré du Puy.
Pendant ce temps, Jeanile était l'objet des égards les.
j>lus respect11eux au château de Chinon; mais ces ~gards.
ne la consolaient pas des retards que l'on mettait à. se
rendre à ses désirs. I-'e danger grandissait. Orléans risquait,.
d'un jour à l'antre, de tornher au pouvoir de l'ennen1i et
d'e11traîner dans sa chute la llerte e11tière du royau1ne.
l)ans nue no11velle entrevue, Jea11ne dit à (~harles: Getitil··
da1tphin, pourqitoi ne me croyez-vous pas ? Je V()US dis q!lB
Dieu a P'itié de votre royctttme ·et de votre peuple. Oat saint
Louis et saint Charlemagne sorit à genoux devant lui en
1wiant pour vous; et je vous dirai, s'il vous plait, telle 1:hose-
qui vous don1iera à co1inatire que vous devez me croire.
Enfin, un jour, s'armant de courage, elle lui révéla un
secret que lui seul croyait connaître.
Quel était ce secret ? J canne, au procèst refusa consta111-
ment de s'expliquer sur ce point, au risque d'irriter ses.
juges contre elle. ~lais on a i>ensé, avec toute vraisen1-
blance, et, dès le te1n1>s de Louis XII, on a écrit que ce
secret du roi était relatif à la légitimité de la naissance de
Charles. On raco11tait que, peu de mois avant l'arrivée de
Jeanne, le jour de la Toussaint, l'esprit troublé 1>a1· l'inter-
minable série d'écl1ecs et de malheurs qui ne cessaie11t de-
fondre sur lui dans sa 111tte contre l'usurpateur anglais, le-
fils d'lsabeau de Bavière s'était demandé avec angoi8~e s'il
était bien l'héritier légitirne de la couronne de France,.
suppliant Dieu, s'il ne l'était i1as~ d'ôter de son cœur la
volonté de la conquérir. Cette scène s'était passée sans.
témoins. Jeanne, en lui dévoilant ce secret, conn11 de lui
seul, ôta de son esprit ~ons les doutes qu'il gardait encore,.
jusqu'à cette heu1·e, sur la réalité de sa céleste mission.
Les th~ologiens et les docteurs qui <!~vaient exan1iner
la Pucelle se réunirent à Poitiers. C'est dans cette

\
JEANNE D'ARC'. 69
ville qu'elle fut conduite par le roi lni-n1ê1ne à cet effet.
On forma nue com1uission <le savants, qui fut présidée par
Regnault de Chartres, archevêque de Rein1s, chancelier du
royaume. Les interrogatoires eurent lien à l' Hôtel tle la
Rose, demeure d'un intègre rnagistrat, Jean Raboteau, qni
logea la Pucelle pendant tout son séjour daus cette ville.
Dans une première séance, Jeanne réfuta si seusé1nent
toutes les objections, c1ue leR dol'teurs s~ retirèrent énier-
veillés de ses réponses. Mais ils ne se tinrènt pas pour
battus et, 1>endant treize jours consécutifs, ils renon ve lè-
rent l'èpreu ve.
Afin que vous sacltiez q·lte je s1tis en·voyée par le ciel, leur
·dit-elle, je i:ous préd13 qu'après la tlélivrance âOrléans et le
sacre de Rei1ns, le roi rentrera da1is Paris redeve'll lt franfais,
et qu'il chassera les Anglais du sol national. - .iJlais, lui
ol)jecta Gnillaurue Aiin.eri, si Dieu veut délivrer le royau1ne
de France, il peut le faire sans no'us. -- Alt nt m tle Dieu,
répondit-elle, les soldais btilaillero1zt et Dieu tlonnera la
·victoire. I~'exarneu c~ontinna. On lui dernanda pourquoi elle
revêtait des habits n1ascnli11s. C'est, dit-elle, le co1n11iantle-
·ment que ni' a donné Notre-Seigneur; tl1t reste, faisant (E1ll're
âho1nme et ·vivant all 1nilieu dss sol<lats, il est .iuste et
prztdent que j'en prenne le costume. Elle avait répondli à
tout, franche, simple, spirituelle, parfois 1nên1e enjouée
jusqu'à l'ironie. I~e don1inicain Segni11, lui aya11t dit avec
l'accent de son pays de Li1noges : Quelle lang1le parlait la
·voix que vo·us prétendez avoir ouïe'! Elle répondit 1nali-
cieuse1nent : Meille11re que la voire! Quand on voulait
l'ernbarrasser par des questions ~uhtiles dont elle ne saisis-
sait pas bien le sens et la portée, elle se dérobait prt'ste-
meut en disant : Je ne sais ni A, ni B; 01t me de1na1lde
de prouver la réttlité de 1nes tléclaratio1is 11ar 1tn miracle,
mon sign1 à moi sera la délivrance lf Orléa1is et le sacre
du roi à Reims l
...\pres les théologiens, les g~nR dn Parlernent voulurent
70 SAINTS DU CA?,BNDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

l'interroger. à leur tour. Puis vin1·ent les femmes et les


filles de Poitiers, à qui elle parla si bien qu'elle leur arra-
cha des larn1es. Grâce à elles, l'opinion générale à Poitiers
fut bientôt celle du Parlement et de l'assemblée des doc-
teu1 s. On fut unanime à. proclamer qu'en tout ce qui la
concernait, l'assistance divine se manifestait avec éclat .
•.\. la suite ce ces débats solennels, les docteors de Poi-
tiers ren1irent à Charles VII un long exposé, dont les
conclusions étaient absolun1ent favorables à la 1nissio11
surnaturelle de la Pucelle; et, qu'o11 le rernarque bien, cette
sentence a une importance capitale dans la ··carrière .de
l'héroïne. Elle résume l'avis de savants ecclésiastiques qui,
sans llarti pris et sans pression d'aucune sorte, se sont
1>rononcés en sa faveur, ont rendu l1ommage à sa vertu, et
ont Ranctionné de leur verdict la légitimité de la mission
qu'elle avait reçue de Dieu.
Outre le succès triornphal de l'exan1en qu'elle subit à
Poitiers, deux faits d'ul'e irnportance re1narquable signa~
rent son séjour dans cette ville. Ce fnt d'abord une lettre
qu'elle adressa au roi d'Angleterre et au régent, Bedford,
lettre qu'elle avait dictée sous l'inspiratio11 de ses Voix,
pour les engager à rend1·e au Dauphin les provinces de
France dont ils s'étaient emparée, et à. ramener leurs
arn1ées dans leur pays, les menaçant de la vengeance de
Dieu s'ils ne se rendaient \,as à sa demande. Les accents
J>atriotiques et religieux que respire le langage de Jeanne
dans ce:te lettre sont érnouvauts, et accusent une inspira-
tion qui n'a pu î'enir que du ciel.
Ce fut ensuite un drapeau qu'elle fit confectionner, à
Poitiers, pour conduire an combat les soldats qui lui
seraient confiés. C'était un simple pennon d'étoffe blancl1e
portant en son cent.re l'écu qu'elle avait ado1)té, c'est-à-dire
une colombe blanche sur fond bleu avec l'inscription
De par le Roy du ciel. Mais quand elle fut rentrée à Chi-
11011, saint Michel, saint8 Catherine et sainte Marguerite

\
JEANNE D' ABC. 71
.
lni donnèrent l'ordre de prendre un étendard symbolisant
la mission divine qu'elle devait remplir. Jeanne confia son
exécution à un peintre de Tours, nommé Bennes Polnoir,
et veilla à ce que tout fût fait conformément aux indica-
tions de ses célestes conseillers. Cet étendard était forn1é
d'une bande de toile fine; formant rectangle, avec deux
pointes à son extrérnité. Sur la face principale on peignit
Jésus-Christ, étendant la main droite pour bénir, et tenaut
de la gauche la boule du monde surmontée d'une croix.
A ses côtés, deux auges prosternés lui offraient une fleur
de lys; vers les pointes étaient inscrits les nome : Jheaus.
Maria. Sur l'autre face, près de la hampe, les armes de
France soutenues par deux anges, au-dessous de l'écu pré-
cédernment choisi par J canne. Plue loin, la scène de
l' Annonciation, avec nu ange à genoux devant la Sainte
Vierge et lui disant : Ave Maria. Le chamf> blanc de la
ban11ière Jlortait nn semis de fleurs de lys d'or, et ses bords
étaient frangés. Il etit été difficile d'imaginer un étendard
qui symbolisât, d'une 1nanière plus idéale et plus fra1>-
pante, la rnission qu'elle allait remplir.
Charles VII, ayant assigné rang de comte à la Pucelle,
lui constitua une maison· militaire composée de quelques
t!hefs et d'un certain nornbre d'ho1nn1es d'armes; et Jeanne
compléta la composition de sa rnaison par le choix d'un
aurn<lnicr, qui devait l'accornpagner partout, un saint reli-
gieux augustin, ~,rère Paquerel.
Charles voulut aussi lui faire don d'une épée; mais
Jeanne lui dit : Gentil sire, n.s songez pas à mon épée, le Roi
du ciel y a lui-même pour1::1,. Mes Voix m'ont ré,véU que
Dieu, a choisi l' arm8 qu'il mB destine; elle repose depuis long-
temps dans la chapelle de Sainte-Catherine th Fierbois.
Envoyez-la quérir; on la reconnaitra à cinq petitea crrnx qui
sont grat•ées près de la garde de cette épée. Elle se trouve non
lain de l'autel.
.A ces 1nots, tous furent stupéfaits. Ailait-on 'raiment ·
72 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

faire la découverte indiquée ? - Colas de Moubazon fut.


député à Sainte-Catherine de Fierbois, où l'on déco.uvrit, à.
]'endroit indiqué, un vieux coffre qui renfermait plusieurs
épées toutes rouillées. Après exanlell, on remarqua sur
l'une d'elles les cinq petit.es croix. Les prêtres de Sainte-
,'
Catherine de Fierbois, érnel'veillés, entreprirent de Ja
nettoyer, et, à leur grande surprise, ils s'aperçl!rent que la
rouille tombait d'elle-mêrne. On l'envoya aussitôt dans u11
fourreau de velour8 vermeil.
Cependant, dans la ville d'Orléans, terrorisée par l'appro- ·
che cles Anglais, on réclamait à grands cris la Libéra_trice.
Jean11e se 1nit alors en route et atteignit Blois dans la
soirée du 24 avril. r~à, une agréable st1rprise l'attendait.
Ses frères, Jean et Pierre, répondant à ses désirs, venaient.
la rejoindre; le roi les avait inscrits, co1n1ne ho1u1nes
d'arrues, dans la con1pagnie de leur sœur.
r~e lendernain, le 1>remier soin de la pauvre entant. fut de
faire bénir s·on étendard dans la collégiale de Saint-San~
venr. Eneuite elle s'occupa de l'org.an~sation de sa petite
armée. }fais quelle arn1ée, grand Dieu ! Une col1ue de gens.
saus mœnrs et sans aveu, de pillards indisciplinés, dont un
grand nornbre regardent avec mépris cette jeune _fille qui
prétend com1nander à des hornmes, et ils déclareut l)ier•
haut qu'elle ne sera pas obéie. I,a Hire, un des capitaint>s
les plus intrépides de 1'ar1uée, con1pi1·enant le danger de
cette rébellion el convaincu de la mission divine de Jeanne,.
s'avança au n1ilien d'eux et, mett~nt de côté tout respect
hurnain et toute crainte, il prononce à haute voix ces cou-
rageuses paroles : Jeanne, je jure de vous suivre. 1noi et ·ma
co1npag1iie, partout où vous 'Voudrez noua mener! Devant
cette déclaration d'un chef aussi res1.>ecté, les 1nécontents
se turent et la Pucelle remercia Dieu de ce joyeux revi-
rement.
~lais un devoir 1>lus difficile lui restait à remplir. l.1es
Voix lui avaient dit que Dieu n'ent.endait pas se servir,.


\
JE.ANNE D'ARC. 73
pour délivrer la France, d'hon1mes souillés de crimeR, et
que tcus ceux qui n1a1·cheraient sous sa bannière auraient ù.
purifier leur âme. Or, an1ener de tels soldats à se confesser
était un miracle que Dieu seul pouvait faire: aussi est-ce
de lui seul que Jeanne attendra cette victoire, comrne tou-
tes celles qu'elle devait remporter dans l'avenir. - Frère
f?aquerel, dit-elle à sou aun1ùnier, il faut co1iverlir 1ios sol-
dats et les a1ne1zer à Dieu. Prenez un étendard représentant
Jés11,s-Chr,ist e1l croix, sa S{tinte Mère et saint Jea1i; nous
pri'erons tous autour t?e cet éle1ulartl. Dès le soir de ce jour,
cet ordre fut exécuté, Jeanne se rendit elle-1nên1e auprès
de la bannière. On chanta de~ canti<1ues et on i)ria avec
· ardeur pour le salut de la France .....\ttirés par cet étrange
spectacle, les sol<lats accoururent en foule et, pénétrée sou-
dain de la grandeur du rùle 'Ille l>ieu lui confiait, Jeanne
leur adressa ces paroles : Que pas un ne se .foig1ie à nous
qu'il 1ie se soit confessé; les }Jtêlres sottl là pour vous enten-
dre! . .\insi
. fut fuit; l'arrnée, sous l'in1pulsion de la grâce,
recourut presciue entière au sacren1e11t de pénitence. l/eflet
n1oral dépassa tout ce qu'on attendait. C'en était fait: la.
Pucelle vovait
. ses vœux réalisés. En allant au cornbat it la
tête d'une telle arrnée, elle était assurée d'aller à la victoire.

IV. - Jeanne à Orléans.

On sortit. de Blois, le jeudi 28 avril, pour rnarcher \'ers


Orléans. Jeanne était en t~te de l'arrnée, entourée de prê-
tres qui chantaient le -i-·eni Creator. Elle fit sou entrée dans
Orléans le 30 avril, à la clarté des torches, à huit heures
du soir, armée de toutes pièces et montée sur un che\·al
blanc. On }Jortait deva!lt elle son étendard. Le célèbre
Dunois, frère du duc d'Orléans, chevauchait à sa droite.
L'accueil fut trion1phal. Au dire d'un chi·oniqueur, rien
qu'à la voir, tons se se'ntaient réconfortée et .cornme désas-
aiégéB. Le cortège se rendit directen1ent à la cathédrale

..
74 SAINTS DU CAJ.,ENDRIBR DIOCÉSAIN D'AUCH.

pour rendre grâces à Dieu; puis on la mena loger chez


Jacques Boucher, trésorier du duc d'Orléans.
Comme elle avait passé tout le jour à cheval, sans pren-
dre aucune nourriture, on lui avait nréparé un souper
at1quel elle toucha à peine. Sa sobri~ ·tait merveilleu11e,
comme son endurance. Son jeune }Hl~ . l .ouis de Coutes, a
déclaré qu'il lui arriva souvent de prendre seulement l\ll
morceau de pain dans toute une journée. La nuit venue, elle
fit coucher dans sa chambre la fille de son hôte, ce qu'elle
renouvela, la nuit, pendant toute la campagne. Lorsqu'elle ·
ne pouvait le faire, elle reposait tout habillée. . .
IJa ca1npagne militaire que devait diriger la Pucelle
allait co1n1nencer. Il )~ avait aux abords d'Orléans, c1L
dehors de la ville, plusieurs fortes bastilles que les Anglais
travaillaient, depuis sept mois, à élever et à fortifier; elles
furent toutes emportées, e11 quelques jours, par les défen-
seurs de la cité.
Cell~ de Saint-1,oup, qui commandait le fleuve en amon~,
fut attaquée la pren1ière, le 4 mai. Jeanne, qui t>araissait
1>onr la première fois sur tin cham11 de bataille, fut rner-
veilleuse de courage et de sang-froid dans œtt~ première
rencontre. Debout, au bord du fossé, son éte11dard à la
main, sans combattre elle-n1ême, elle excita les assaillants
t>endant trois heures. Qua11d la bastille eut été e:nportée,
la femme reparut et la pitié réprit le dessus. Elle avait dit,
le n1atin, à d'Aulon : Je n'ai.fa·mais vu couler~ sang fran-
rais que me.CJ cheveux ne se levassent sur la tête! Le soir, à
la vue des cadavres ennemis qui jonchaient le sol, « elle
pleura, a dit le Frère Paqnerel, en pensant flue ces morts
11'avaient })as eo de confession avant de 1>araître devant
Dieu!» .
Le jeudi 5 niai, fête µe l' Ascension, fut un jour de trêve
par révérence du jour ! Mais Jeanne e1n1>loya c~tte journée
à moraliser ses soldats et à les faire approcher des sacre-
ments. Le 7, elle dirigea la prise de la bastille des Augos-

1
\
JEANNE D'ARC.

tins avec la même valeur bt le même succès. Restait 1~,


bastille des Tourelles, qui corJmandait le po11t de la J_,oi1•e,
et qu'on M'accordait à regarder comme imprenable. Une
partie des capitaines trouvait l'attaque de ce fort impru-
dente et prématurée; mais l'ardeur de Jeanne triomJlha de
tontes les résistances. JJ:attaque com1nença dès six heures
du matin; dP-s deux côtés, on se battit furieuse1nent n1uis
sans résultat jusqu'à midi. Vers une heure, Jeanne descen-
dit dans le fossé pour dresser une écheJle contre la 1nnraille.
A ce 1nomeht, elle fut blessée lll\1' une flèche, q~.i déchira
sa poitrine et fit couler le sang avec abondance. Emue tout
d'ahord, elle se ressaisit bientôt et continua le cornbat
àprès une <.'ourte prière. Tnnt d'héroïsrne chez une enfant
de dix-sept ans transforn1a en héros tC)US les soldats qui en
f'u1·ent tétnoins. J,es 'l,ourelles fnrent occupées avant la
nnit, et Jeanne rentrn, au 1nilie11 des cris de joie et de
triomphe, dans Orléans. J,e peuple, rangé en Jlrocession,
pareourut les rnes de la ville pour remercier Dieu d'une
victoire si inespérée; mais, con1me si sn modestie eût été en
péril, la Libératrice quitta Orléans dès le lenden1ain pou1·
se rAndre à Chinon oi1 le roi lui fit grand accueil. - l\fais
elle, modesternent agenouillée devant lni, lui dit alors : ·
Gentil Dauphin, venez prendre 1'olre sacr~ à Reima; J~ auis
fort aiguillon1iée que vous vous y rentliez.
~lais plus elle montrait de résolution, J>lns les capitaines
se montraient rTiéfiants. J,es uns }Jar l'usillaniroité, les
autres par jalousie, persistaient à douter <l'elle et enga-
geaient le roi à résister à ses ~nstances. IJn }lrudence sen1-
blait du reste conseiller ce dei·r1 ier parti; car le pays, qn'i 1
fallait traverser 1>011r aller à Reirns, était occupé ·tout entier
1>ar leR ..i\u;lais. Un jour qu'elle sup1lliait Charles de se
rendré: :'.ses insta11ces, un seigneur lui dit deîant ie roi :
Eat-ce que· ce sont ·vos Voi;e q·ui vous font dit? - Oui,
répondit-elle. - .JJais 1ze vozulriez-vous pas e1i présence d1t
roi nous dire de quell~ façon vous parle votre conaeil J Elle
'

76 s.~INTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

répondit en rougissant : Je voits le dirai bien volontiers.


Quand il me déplaît tle ce qu'on t~t vettt pas troire aux choses
que je di's de la part de Dieu, je me ret1:re à récart et je prie.
Je ms plains de ce qtt'on refuse de me croi'.re et, ma prièr~
j"aite,j'e1itends ttne 'l'Oix qui: me d-it: << Fille de Dieu, va, va,
Ya ! Je viendrai à to11 aide ! 1 Et quand j'entends cette voix,
~ie nle r~jo1tis d~ tout cœttr !
l)ès ces premie1·s exploits, la renon1n1ée de la Pueelle
éYeillait au loi'l 1'e1~~ .ousiasme; et cet enthousiastne était
1

· d'autant pins sympathique qu'elle joignait à la valeur


111ilitaire les qualités personnelles les plus séduisa11tes. Il
faut se garder en effet de confondre Jeanne avec ces fetn·
111es viriles qui, soit dai1s l'anticjuité, r,oit dans les ternps
n1odeunes, ont ain1é la guerre pour ellt-1nê1ne, et rec11ercl1é
passionnén1ent le fracas des batailles et lb gloire des armes.
I..ia }l~npart lie ces héroïnes avaient manifesté, dès l'enfance,
des goûts n1ascnlins et une hun1eur aventureuse qùi in·?vo-
quent, le dégoût plutôt que la syrn1>athie. l\lais Jea11na est
toute différente de cela. 11 n'y a J>as· un sen l trait tlans son
enfance qui la distingue des jeunes filles de son âge et de
sa condition : elle est seulerr1t:nt plus pieuse et t>lns grave
que les antres. Aucun exerl'ice violent ne paraît lui 1>laire.
Xi amazone, 11 i chasseresse, on ne voit pas, µe11dant toute
une année p11s ée \)ar1ni les l101nmes, qn'elle ait pris part,
ni 1nême assist.~ à aucun jeu militaire. ftevenue soldat, on
ne· 1a vit jan1ais fra1>1>er de sa main un sen 1 ennen1i, ni
verser une goutte de sang. Sin11>le1nent dédaigneuse de sa
vie, assurée qu'elle était 1>ar ï'Ange invisil>le qni veillait
sur elle, elle s'élanÇait la 1)re1nière, l'étendard à la 1nain, et
les so!dats qu'elle con11nandait s'élançait>nt iL sa suite par
!!\ voie qu'elle avait ouverte. EllP"' n'était pas un Cl1tnhat-
tant, rnais l'âme dP. 1 l'~rœée, ou plutôt l'.ln1e de la patrie,
incarnée dans ce eorps fra~ile et virginal. Bien loi11 d'être
sanguinaire, elle n'as1lirait qu'à la }laix, qu'elle mettait
au-dessus de tout, sauf le droit cependant. Elle avait le

\
JEANNE D'ARC. --' '
génie de la guerre, mais tf le n'en avait pas l'amour. Elle
con1ptait sur elle et sur son a:méep mais elle eotnptait bien
Jllus encore snr Dieu pour le gain de la victoire. Le cotnbat
-0u le conseil finis, on la retrouvait effacée, douce, n1odeste,
parlant peu, priant beaucoup. On eût dit qu'il y avait deux
personnages en elle, la. guerrière intrépide et la femrne
modeste: mais ces deux personnages n'en formaient qu'un,
qui enflamrnait les âmes sincères d'enthousiasme et d'an1our.
Ce portrait de la Pucelle serait cependant incornplet, si
nous nei signalions un dernier trait qui t.érnoigne, Jle11t- ·
être plus éloquernruent qu'aucun autre, de l'irnportance du
rôle que la divine Providence lui avait assigné. Dès qu'elle
fut entrét~ en contact avec le roi de France et son pen1>le.
elle sentit s'élever dans son ân1e une ftarnrne d'apostolat
qui la consun1ait et qui se trahissait dans toutes ses parole 0

et dans tous ses actes. Convaincue que Dieu ne sauverait


la France qu'à e:ondition qu'elle redeviendrait chrétienne,
~Ile s'efforçait d'inspirer à tous l'amour du devoir, au
clergé, au peuple,· aux soldats, aux gens de la cour, aux
membres de la fan1ille royale.
Son vœu le plus ardent était le do11 du roya1tme de
France alt Roi d"t ciel, ccmrne en témoigne la scène si
touchante qne les réci~s dn ternps uous ont transmise.
Quelques jours après la d~li vranee d'()rléans, dans la
résidence royale de f,oches. Jeanne, ~yant '"lb tenu une
audience de Charles VII, lui dernanda de ·:ui fai '"e un
présent.\ J,a re,1nête fut agréée. El!e le pria a~ors de lui
faire don p,n propre du roya•1me de Franr~. Le prince
étonné, aprèR quelques hésitations, le lui at;corda cept:n-
dant, et l:~ jeune fille l'acce1lta. Elle vou;ut n1ê1ne que
l'acte de cetté donation fût sulcnneJlernent dressé et 1:1 par
les quatre secrétaires du roi. J,a rhr.rte 1 édigée ei, lue ~.
haute voix, le 111onarque denaeur diL éh·1hi, l0!·sque .Jer,nne,
le montrant de la 111ain, dit à. i'assiRtnnce : Voilà le pl1.lS

pa11,11re c!tevalier de son royaume. Puis, après un peu de

'
'
78 SAINTS DU CALENDB.l&R DIOCÉSAIN D'AUCH.

te1nps, en présence das même& notaires, dis1>0sant en


maîtresse du roya11me de France, elle le remit entre les
mains de Dieu. Enfiu, après une nouvelle pause, agissan~
au nom d8 Dilu, elle investit le roi Charles du royaume de
France, et demanda qu'un acte solennel consacrât le
souvenir de tout ce qui venait de lie passer.

v. - Campa1oe de la Loire. -- Sacre du· Roi à Relma.


'
I,a délivrance d,Orléane n'avait été qu'un prélude, llré-
lude brillant sans doute, 1nais qui préparait la; .voie à.
d'autres événements, et ayant trait à la restauration de la
n1onarehie tradit.ionnelle'. Jeanne le com1lrenait fort bien.,
et elle avait hâte d'acco1nplir l'autre phase de sa n1ission,,
le sacre du roi à Reims. MaiH les Anglais occui>ant encore
la plupart des places qui s'échelonnaient sur la route de
cette ville, il fallait avant tont les en chasse1·. C,es~ ce ~ue
l'on a appelé la campagne de la Loire. Jar~eau, Beaugency,
Meung, Troyes. furent tour à tour prises 4'assaut dans une
série d'engagements, où Jeanne déploya l'habileté et la.
décision d'un vieux capitaine. L'un des plus brillants épi-
'
sodes de cette campagne eut lieu à Patay ( 18 juin). On a
dit que le succès de cette journée ~e Patay fnt presque
miraculeux, puisqu'il eut pour résultat de faire reculer les
Anglais jusqu'à Paris, tandis qu'il ne cotîta qu'une poignée
d'hommes à. la France.
Après des siècles d'adversité et d'oubli,· une 11ouvelle
oriflamme, remplaçant celle de Jeanne, a été présentée à
notre pays, 1>rès de ce gloriet1x cham}l de bataille de Patay •
.Le 2 décembre 1870, à Loigny, non loin de Patay, les
zouaves po11tificaux firent flotter pour la .première fois la
bannière du Sacré-CteQr de .Jésus. CE~ mystérieux drapeau
a remplacé, pour notre siècle, l'étendard de la Pucelle, et a
reçn dn Christ-Roi, pour ceux qui combattront sous son
égide, les mêmes promesses de victoire et de salut. Dieu

1
\
JEANNE D'ARC. 79
veuille que la France, repentante de son apostasie reli-
gieuse. soit digne de voir se réaliser les promesses symbo-
lisées par ces deux étendards !
A Châlons-sur-Marne, Jeanne eut une douce émotion.
Cinq paysans de son village, l'âme remplie d'un patriotique
enthousiasme pour les hauts faits de leur compatriote,
étaient accourue pour la saluer. I,ee honneurs et le respect
religieux dont on l'entourait les rendaient muets d'étonne-
ment. Mais quand elle s'avança vers eux les mains tendues
et le sf>urire. aux lèvres; quand surtout elle leur assura
qu'elle p1·éférait la vie cachée de leur village aux hommages
qui lui étaient 11rodigués, ils co1n1>rirent que la triomphante
Pucelle d'Orléans était toujours l'h·Jmhle Jeannette de
Do1nrémy; et l'un d'eux, s'enhardisgant à cette vue, lui
posa cette question : Jeanne ne craignez-i•ous pas quelque
péril dana ces luttes sanglantes? - Je ·ne crains, J"épondit-
elle, qu'une chose, la trahi,on ! - Parole profonde, qui
pern1et de croire qu'elle son11çonnait déjà. les trames dou-
loureuses qui devaienti entraver sa n.arche dans l'avenir.
I/ar~ée royale fit son entrée dans la ville de Rei1ns, dans
la soirée du samedi 16 juillet 1429....<\. la suite d'un brillant
cortège, s'avançait le souverain, à qui le })euple adressait
joyeusement le cri secnlaire du sacre de nos rois : Noël!
Noël! Mais le personnage c1ui attirait par-dessus tout les
regards et la l'eligieuse admiration del\ Rétnois, c'était
Jeanne, 4ue Charles avait placée auprès de lui. On ne ~'\U·
r.ait s'en étonner. Cette prise de possession, sans coup férir,
d'une ville aussi importante que Reims, en plein J>ays
bourguignon; cette eutrée triomphale dans la cité du sacrP,
au milieu de tant de périls, n'était-ce pas un vrai miracle
que Dieu opérai.t ,par l'entremise de la Vierge ·1lrédestinée
envoyée ao secours de la patrie ?
I,e couron11ement fut fixé au lendemain de ce jour,
dirnanche 17 juillet. Toute la nuit se passa en pr·éparatifs.
J,es ornements, qui servaient habituellement au sacre,
6
80 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.
-
étaient an monastère de Saint-Denys, près Parie. Néan-
moins, ces difficultés forent vaincues. Le dimanche, de
grand matin, 11lusieure seigneurs allèrent chercher la e.ainte
Ampoule à l'abbaye de Saint-Rémy. La cérémonie du sacre
commença à neuf heures. Le roi, ento11ré de six seigneurs,
qui représentaient les pairs laïqües de France, et de trois
pairs ecclésiastiques, fut revêtu des insignes royaux dépo-
sés sur l'Putel. Après qu'il eût prêté les serments accoutu-
més, le duc d'Alençon l'arma chevalier; puis l'archevê-
'lue de Reims, Regnault de ·Chartres, lui fit .les onctions'
avec l'huile de la sainte Ampoule, en disant : Je te ,acre,
a·vec cette huile sanctifiée, au nom du Père et du Fila et du
saint Esprit. Un témoin de la cérémonie a raconté qu'au
moment où Charles se montra au peuple, portant la ·co·u-
ronne ro)·ale sur sa tête, c l'immense multitude qui rem-
plissait la baeiliq·ue cria : Noël! et que les trompettes son-
nèrent en telle manière qu'il semblait que les voûtes de
l'église dussent se fendre 1. Pendant tonte la cérémonie ia
Pucelle était debout auprès du roi, l'étendard à la main,
car ayant été à la peine, comme elle l'a si bien dit, il était
juJJte qu'il fût à l'honneur. Quoique bien des choses man-
quassent à cett~ cérémonie préparée et exécutée à la hâte,
elle n'e11 a Jl&S moins effacé toutes les splendeurs de tant
d'autres sacres royaux où la France prodigua ses richesses.
Quand la Pucelle vit que le roi était sacré et couronné,
elle s'agenouilla devant lui, en présence de tous les sei-
gneurs, et, embrassant ses genoux, elle lui dit, les yenx
pleins de larmes : Gentil roi, maintenant ~st accomplie la
volonté de Dieu qui m'avait commandé d6 lever ~ siège
d' Orléa·ns, et de voits mBnw dans cette cité d6 Rsims ,pour y
recevoir les sain.tes onctions du sacre, qui !'f'Ontrent que voua
êtes le vrai roi, celui à 9ui le royaume de Francs doit appar-
tenir. On a dit que, le' soir de ce jo11r, Jeanne avait
dernandé à Charles VII de la renvoyer chez elle, et déclaré
que sa mission était terminée; mais nous ne possédons

\
'
JZANlfB D' ABC. 81
aucun document qui nous donne la certitnde sur ce
point.
Dieu, dans ce même jour, donna à Jeanne un complé-
ment de joie grandement apprécié par elle, en lni amenant
son père accompagné de Durand Lascart. La bon villageois
.avait assisté émerveillé à la céréœonie du sacre; mais ce
qui l'avait ravi avant tout, c'était la vue de Jeanne dont la
blancl1e armure disparaissait sous les plis d'un manteau
·d'une richesse extrême. Quelle magnifique récompense en
échan~e du généreux sacrifice qu'il avait fait pour la
France ! Après avoir renouvelé à son enfant le pardon qu'il
lui avait accordé dans son cœur, il la bénit et l'autorisa à
poursuiYre l'œuvre si glorieusement commencée. Il ne
~avait pas, le pauvre }lère, que cette voie serait désormais
toute semée de souffrances, et qu'elle aboutirait au mar-
tyre!
SouK l'impression de la joie que le couronnement du
prince lui avait causée, la Pucelle redoubla .d'ardeur et
d'espérance. En ce même jour du sacre, elle adressa à
l'ennemi juré de Charles, le duc de Bourgogne, Philitlpe-
le-Bon, une lettre pressante, llJ'esque 11autaine, où elle le
sommait de faire la paix avec le roi de France, le menaça.ut
d'une sanglante défaite s'il refusait àe se rendre à ses ins-
tances, quelques forces qu'il 011posât au roi légitime et à la
Pucelle. Elle ne faisait pas de doute que Paris ne fût bien-
tôt réduit à ouvrir ses portes à Charles VII. Tout le monde,
·du reste, dani les premiers jours· qui suivirent le sacre,
partageait cette confiance et comptait voir incessamment
le roi installé dans sa bonne capitale de Paris. Mais de
-cruelles déceptions se préparaient, et Jeanne ne fut peut-
être pas sans ·les pressentir dans quelque mesure quand
elle disait au duc d'Alençon : Il ti'y a pas de temps à perdre
.!ion veut user de mes services. Je ne durera·i pas longtemps,
ttn an peut-être, ou guère plus!
8-2 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

VI. - Jeanne à Paris, à Compiègne et à Rouen.

La cour de Charles VII était lasse de faire campagne~


ne fût-ce qu'à cause du n13nque de ressources qui grandie·
sait de jour en jour. Déjà même, elle négociait avec le daç.
de Bourgogne; , et celui-ci, soit dégoût de l'alliance
'
anglaise, soit effroi causé par les victoires de Charles, soit
simplement ruse et désir de gagner du temps, signait une .
trêve avec le roi de France, eL laissait espérer la,,.paix défi-·
nitive et la réconciliation des deux branches de la maison
royale. Il faisait entrevoir que Paris ne manquerait pas

d'ouvrir ses portes; mais la cour fut bien impn1dente en se-
fiant à de si vagues prornesses.
A la vérité, une série ininterro1npuJ de succès entrete-
nait l'illusion du prince et de ses conseillers, pendan,t les
premiers jottrs qui sui virent le sacre. Toutes les ville~
situées entre Reims et Paris, Soissons, Laon, Château-' .
Thierry, Provins, Compiègne, Senlis· apportaient leurs
clefs, sans ~ombat, au roi de France. Beauvais même se
rendait, malgré son évêque, Pierre Cauchon, tout dévoué
aux Anglais, qui s'enfuit chez eux avec des projets de ven-
geance que nous verrons se réaliser d'une manière si révol-
tante.
En de telles circonstances, fallait-ii attaquer Paris ? Le
roi et ses conseillers ~'étaient pas de cet avis. I.4e duc
d'Alençon, a~ contraire, et la plu11art des capitaines
croyaient l'occasion favorable. Jea11ne se rangea à leur avis,
ou plutôt leur fit accepter le sien. L'assaut de Paris fut
livré le 8 septembre. Jeanne, victorieuse,. au premier retran-
.

chernent, fut blessée au second et, malgré ses protestations


énergiques, fut emportéP. 1 hors du champ de bataille. Elle
voulait à tout prix que l'assaut fût repris le lendemain, et
affirmait que ]a prise de la ville était assurée. Mais on
refusa obstinément de se. rendre à sa parole; la débandade ·


\
JEANNB D' J.RC. 83
fut générale, et le siège fut levé. En passant à Saint-Denys,
.Jeanne avait brisé sa célèbre épée de Sainte-Catherine de
Fierbois en frappant une femme de mauvaise. Tie qu'elle
chassait de l'armée. Les superstitieux crurent qne ses
cha11ces de succès avaient .fini avec ce fer enchant~. En
réalité, l'abandon du siège de Paris fnt son p1 emier insuc-
·cès; c'était, après l'ascension merveilleuse qui l'avait mise
·e11 si grande lu°lière, le commencement de sa déchéance.
L'h.iver suivant ( 1429-1430) fut passé dans une inaction
-profondément douloureuse à la Pucelle. Elle s'établit à
Bourges, chez une dame d'honneur de Marie d'Anjou,
}farguerite de Touroulde, qui donna dans la suite les pins
intéressante détails sur la jeune fille, dont elle loua la
pureté, la simplicité, l'humilité et le dévouement au pro-
.chain. Dans la cité berrichonne, Jeanne eut vite conquis la
vénération générale. Chacun voulait lui faire toucher des
.chapelets, des rnédailles; maie, lorsque son hôtesse s'acquit-
tait de commissions de ce genre, sa charmante compagne,
avec un f1·anc rire, lui répondait gracieusement : Touclt~z
àonc css objets vous-même; ila deviendront tout aussi bons
par votrB contact que par le ·misn.
Cependant la Pucelle, dévorée du désir de couronner
dignernent la campagne entreprise pour délivrer la France,
ne derneurait pas inactive. Malgré l'opposition du roi et de
-sa cour, elle réussit. à. former une petite armée, à la tête de
laquelle elle fit le siège de quelques places demeurée1.1
~ncore au pouvoil' des Anglais au bord de la Loire, notam-
ment Saint-Pierre-le-Moutier et La Charité-sur-Loire. Le
-siège de cette dernière ville traîna en longueur; mais, après
plusieurs jours de courageux efforts, l'armée française, sans
.argent, sans munitions, sans vivres, dut battre en retraite.
L'invincible était vaincue ! La Trémoille se réjouit gran-
de1nent de cet échec qui devait dirninuer l'influence sur le
roi de la rivale qu'il redoutait.
C'est sur ces entrefaites . qne Charles VII, par une
/

84 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.


_,
heureuse inconséquence, désireux de témoigner à Jeann~
sa reconnaissance pour les services éminents qu'elle avait..
rendus à s& personne et à son pays, l'anoblit, elle et toute
sa famille. Son blason portait d'azur à dst4z flmrs de li'1·
d'or st une épée tfargmt, à la garde tf orr soitte~ant la cou-
·ronne de France. De là, ses frères prirent alors le surnom
Du Lia. Quant ~ e!le, elle n'accepta jamais d'autre· titre
c1ue celui de za fucelle. Sa pensée était trop haute, ses.
vues trop désintéressées, son cœur trop modeste pour,
qu'elle fdt accessible à une ambition vulgaire. Elle ne
combattait pas pour les honneurs, pas même pour" l-'hon-
11enr, mais pour Dieu et pour la Patrie !
La cour re~tait donc 'respectueuse pour Jeanne, ·du
1noins en app:lrence. Quant au people, il n'avait rien perdu.
de son admiration naïve et enthousiaste pour elle; et -elle
en recueillit cent fois les preuves dans le cours de cet.

hiver. Mais elle ne se prêtait qu'avec réserve à sa pop1'-
larité. Elle voulait qu'on la crût envoyée de Dieu, inspiroo
par lui, guidée par les anges; et tout. cè qui semblait. .
u.t.,acher à sa personne ;une vertu particulière, et tc1t-
dait à la faire passer pour une sainte, loi déplaisait.
et la choquait visiblement. Elle avait du reste d'autant.
plus raison rlt3 se défendre ainsi contre les excès de la
faveur populaire, que les intrigants-et les fous se pressaient.
autour d'elle, essayant de la compromettre, on d'attacher-
lenr chimèrE~ ou leur feinte à sa cause sacrée. Une fem1ne
de la Rochelle, nommée Catherine, qui posait' en prophé-
tesse, prétendait qu'une dnm'! blanche lui apparaissait.
t.ootes les nuits, et lui révélait l'emplacement de trésors
·cachés qu'elle devait livrer à la Pucelle. Jeanne la repoussa.
tout d'abord, maie la visionnaire insista si bien que Jeanne
consentit à veiller de.ox1 n.nits avec elle, attendant la dam&
blanche qui ne vint pas.
·vers le milieu d'avril 1430, Jeanne reprit la campngne-
et se rendit à Melon, qui venait de se rendre à Charles VII.

\
. JEANNE D' ABC. 85
Là, ses saintes lui apparurent, comme elles continuaient à
le faire très souvent; mais, cette fois, ce fut pour lui révé-
l~r une nouvelle qui glaça son âme d'épouvante.: Tu seraa
'/)ris1, lui dirent-elles, avant la 8aint-J1an ! Et puis, pour
la réconforter, elles ajoutèl'ent : Jlaia prends tout en gré,
Dilu t'aidera! Quel surcroit de courage ne faudra-t-il pas
désormais à cette p3nvre enfant ! Il 11'y aura plus u11
moment de détente pour son esprit. A toute heure, elle se
dema~dera si la menace suspendue au-dessus de sa tête ne
va pa8 se réaliser. Pourtant elle puisera dans son l1éroïsme
assez de force pou1· demeurer fidèle au poste où Dieu l'a
plac~e.
Elle pensait si peu à prendre sa retraite qne, 1nalgré
toutes les ()ppositions qu'elle rencontrait sous ses pas, elle
n'en continuait pas moins à préparer une. nouvelle carnpa-
gne cont.re l'ennemi. Ayant appris que le d11c ae Bourgo-
gne avec projeté de s'em1larer de Cornpiègne, elle 1n·it le
chemin de cette ville pour la défendre. Au cours d'une
halte qu'elle fit à J.,agny-sul'-Marne, survint un incident
qui accrut sana mesure l'enthousiasme qu'elle inspirait.
Trois jours avant son arrivée dans cette ville, une fem1ne
avait mis au inonde un enfant, qui ét1.it mort sans avoir
reçu le baptême. Dans l'ardeur de sa foi, cette femme n'hési-
tait pas à demander à Dieu la résna·rection de son fils, afin
qu'il pût être baptisé. A cet effet on avait déposé le petiL
cadavre aux pieds d'une statue de Notre-Dame. On priait
avec ardeur pour obtenir le miracle et, dans la [Jersuasion
que l'intercession de Jeanne serait toute puissante, on la
conjura de demander à Dieu une grâce si arden1ment dési-
rée. Elle y consentit. Bientôt, au milieu de la joie générale,
l'enfant, qui déjà n'avait pins conle11r humaine, donna
signe de vie; et puis, quand la cérén1onie du baptême fut
terminée, il rendit de non veau le dernier soupir. Plus tai d,
quand, au cours du procès de Rouen, on accusa Jeanne
d'avoir trompé le public en faisant croire que ce prodige

86 SAINTS DU CALBNDBIBB DIOCÉSAIN D'AUCH.

était l'e1fet de sa prière, elle répondit avec son humble sim-


plicité : J1 n1 rai pas cru moi-mime, ~t n'ai 1aaayé tù 18
f a·ir' croi'r1 à qui que c1 soit.
De là elle se rendit à Compiègne, où le gouverneur de la
vil!e, Guillaume de Plavy, organisa une sortie poor le jour
même, 23 mai. Le combat s'ouvrit à cinq heures do soir.
La petite trou1>~ de la Pucelle, co1nposée senlemënL de cinq
cents hommes, 'cQmbattit vaillamment sons sa conduite;
mais, écras€~ par une armée beaucoup plus nombreuse, elle,
dut reculer. Bientôt, amis et ennemis, mêlés les uns aux
autres, roulèrent en flots confus vers la porte ,.de la -ville.
La plupart des Français la franchirent; mais l'arrière-
garde, et Jeanne avec elle,' demeurait en dehors tentan.t un
dernier effo1·t coutre l'ennemi. La mêlée se rapproche; la
porte est encore ouverte quand Guillaurne de PJavy, crai-
gnant peut-être que l'ennemi n'entre pêle-mêle av~c les
Français dans la place, fait d1·esser le pont-levis et abaissEtr
la herse. Jeanne se trouva ainsi en dehors, avec un petft
nombre de braves résolus à périr auprès d'elle. Une nuée
de Bourguignons les entouraient en les sommant de se
rendre; mais elle continuait à se défendre avec l'énergie clu
désespoir. Enfin, un archer picard, taillé en hercule, la
saisit par les bords de son vêtement et la désarçonna! Tous
les archers, se jetant sur elle, lui crièrent d'une voix triom-
phante : Rendez-voua, rendez-vous, donnet-nous votre foi. -
J'ai donné ma foi à un autre que vo-ua, reprit-elle, 1t je lui
ti"endrai mon serment. -- Jeanne était prisonnière alee son
frère Pierre, Jean d' Aulon, Ponton de Xaintrailles et le
Frère Paqnerel, fidèles à la noble héroïne jusqu'au boat.
l~a Pucelle était-elle trahie, livrée, vendue par Guilla1Arne
de Flavy? Un grand non1bre de ses contemporlline l'ont
cru, et plusieurs hieto1·ie~s le croient encore. €e qui du
moins est certain, c'est que la Pucelle, privée de tout
secours dans cette sortie, fut abandon11ée entre les mains
des Bourguignons sans. que, de la ville de Compiègne, on

\
\

J'BANNE n' A.Re. 87


fît aucune tentative pour la sauver : point de sorties; point
de décharges de canons! Vi<;tirae héroïque, f)bandoonée
entre les mains de ~es ennemis! (23 mai 1430.).
\

Ainsi se termina la brillante carrière militaire de Jeanue


d'Arc. Si capture fat saluée avec enthousiasme par les
ennemis de la France. Ils savaient bien que la France per··
dSJ.it en elle, non seulement le plus courageux et le pluH
habile de ses défenseurs, mais encore et surtout l'héroïne
qui fp!~sit dire à l'Europe entière : c Dieu a pris en mairt
1
.la cause de la nation française, et l'a secourue par le pluH
grand miracle que l'histoire du monde ait jamais consigné>.
Dès le surlendemain de cet événement fata1, co1nmençu
ce qu'on a pu nommer la passion. douloureua6 de Jeantin
4 Arc. Le vice-inquisiteur de France, se basant sur leH
accusations de sorcellerie et d'hérésie lancées contre elle.
la réclama au duc de Bourgogne pour la jnger. Une requête
de l'Université de Paris, toute acq.uise alors à l'Angleterre.
était jointe à cette r~quête et concluait dans le même sens.
Charles VII aurait dû intervenir et prendre sa défense~
comme le permettait le droit international de cette époque.:
mais, par suite d'une indifférence dont le souvenir pèse
honteuseme11t sur sa mémoire, il parut laissP,r dans uu
complet oubli celle qui avait été la libératrice de son
royaume. Dorant l'ee1>ace d'un J\D, od ne trouve pas la
moindre trace authentiqne d'une seule démarche militaire
ou diplomatique, faite ou seulement tentée par Charles VII,
ou quelqu'un des siens, pour arracher Jeanne d'Arc au sol't
crue! qui l'attendait. Le bon peuple de France demeura
seul fidèle au son venir de l'héroïne. Des prières furent
composées pour des messes, célébrées à cette intention,
dans le pays tout entier.
Cet abandon de la Pucelle semble avoi.~ sa principale
cause dans une ingratitnde calculée. Les Français, ou du
moins les courtisan11 et plusieurs parmi les capitaines, rou-
gissaient d'avoir été saurés par une feu1me. Ils crurent
88 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

l'heure venue de montrer au monde qu'ils n'avaient pas


besoin d'elle; et, pour justifier leur attitude, ils tâchèrent.
de persuader à la foule des simples, des soldats et des
paysans qu'on sortilège se mêlait à la puissance de Jeanne
et que, par suite, Dieu lui-même était intéressé à la voir·
disparaître de la scène du monde. .
Les Angl~is secondèrent efficacement cette imposture,.
dans le but de: perdre la Pucelle, en l'impliquant dans un
procès ecclésiastique. En la faisant condamner conime sor- •
cière et hérétique, ils la déshonoraient devant 1'opinio11
publique et déshonoraient du même coup Charles-VJI, qui
s'était servi d'elle. Ils étaient en 1>ei11e d'assurer le succès
de cette trame diabolique, quand on homme s'off~it à eux
pour fournir les moyens de la réaliser méthodiquement, e~
encore de cacher· 1a. violence et la haine sous des apparen-
ces légales. Cet homme, c'était l'évêque de Beauvais, qui

avait été chassé de sa ville épiscopale, ainsi que ,nous
l'avons Vll, au jour Ofl cette ville s'était rendue à ehar-
les VII. Pierre Cauchon, créature au duc de Bonrgog11e et.
des Anglais, s'était réfugié à Rouen, dont le siège étai1~
alors vacant. On lui faiRait espérer qu'il en hériterait, tuai~
le Pape n'y consentit pas, et Cauchon dut se contenter,.
plus tard, de l'évêché de Lizieux : maigre récornpense de
son déshonneur. Jeanne d'Arc ayant été prise à. Compiè-
gne, au diocèse de Beauvais, on 'pouvait soutenir qu'ell•~
était justiciable de Pierre Cauchon, dans un llrocès concer-
nant la foi. Il la récla1na en conséquence, en se promettant;.
d'exercer sur elle les droits d'une justice impitoyable.
Jeanne, après quelques jours passés à Con1piègne, fut;
transportée au château de Beaulieu, près Noyon, où elle
demeura prisonnière pendant les aeux mois a.e juin et de
juillet, et de là, 3u1 ~hâteau de Beaurevoir, où elle l'est&
jusqu'au mois de novembre. Sa prison fat d'abord humaine;
mais elle ne songeait qu'à s'enfuir pour aller au secours de
Compiègne assiégée. A Beaulieu, elle faillit échapper à ses

\
JEANNE D'ARC. 89
gardiens, en ·les enfermant dans la tou1· où elle était prison-
nière; le. portier du château la re11rit. A Beaurevoir, la
femme, la tante et la belle-fille de Jean de Luxembourg la
traitèrent avec tant d'égards qu'elle déclara, plus tard,
qu'à l'exception de Il\ reine de France, personne n'acquit
plus d'empire que ces dan1es sur son cœur. Il est, du reste,
à remarqn€r qu'aucune femme ne 1nanqua de respect envers
la Pucelle, pas même la femme du régent d'Angleterre'. la
dochess~ de Bedfort, qui fit défense à ses gardiens anglais
de la maltraiter ou de l'insulter. Les daines de Luxem-
bourg, sachant que le principal grief que lui reprochaient
les Anglais était le port du costume masculin, la suppliè-
rent de prendre les vêtements de femme qu'elles 111i
offraient; mais Jeanne leur réoondit llar un refus respec-
tueux, alléguant pflnr raison que ses Saintes ne le lui per-
mettaient pas, que la })rison offrait les mêmes périls que
las camps et que, d'ailleurs, elle 11e renonçait pas à l'espoir
de reprendre un jour les armes pour défendre sa patrie.
A Beaurevoir, Jeanne con1mit la seule faute qu'on ait
pu relever dans cette vie toute innocente. Encore faut-il
bien comprendre tout ce qui explique et excuse l'acte
désespéré où elle se porta, en sautant de la to11r, haute de
cinquante pieds, où el~~ était renfe1·1née. Elle savait Corn·
piègne aux abois et sur le point d'être prise d'assaut. J,e
désir de vo!~r à son secours devint 1)our elle une obsession.
Ses Voix lui défendaient cette tentative imprudentfl. Elle
leur désobéit et s'élanç'l dans l'espace, suspendae à une
corde qu'elle avait fabriqn~e, maie qui se ron1pit. Jeanne
s'abattit au pied du donjon. Elle resta sur place évanouie;
aucun membre n'était brisé, mais la chute avait causé une
fièvre l"iolente. Elle guérit en peu de temps, reconnut sa
faute et s'en confessa humblement. D'ailleurs, elle protesta
toujours q11'elle n'avait pas voulu se tuer, ni même accepté
l'idée du suicide. Elle avait à cœnr de secourir Compiègne
et avait espéré que, malgré sa désobéissance, Dieu et les
90 SAI?TTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

Anges soutiendraient sa cause. Les Voix lui pardonnèrent


et l'assurèrent que Dieu lui accordait au~si son pardon et.
prenait Compiègne en pitié. Le siège de cette vaillante
ville fut, en eft'et, levé le 26 octobre; ce qui fut pour elle
une consolation qu'elle apprécia hautement.
Justiciable de li Église, la Pucelle devait être tenue dans
les prisons de l'officialité; mais, pour être s11rs qu'elle ne
leur échapperait J>as, les Anglais la retinrent dans leur
prison, au château de Rouen, sous la garde de leura sol- •
dats. Cauchon s'inclina devant la volonté formelle des
.Anglais,
. et accepta cette illégalité de juger, ' en . cour
d'Eg1ise, une accusée tenue en prison laïque. C'tst une des
monstruosités de ce procès, et d'autant plus scandaleus~
que la prison de l'archevêché de Rouen avait une chambre
particulière, réservée aux femmes et gardée par des femmes.
La pauvre enfant fut d'abord enfermée dans une cage de
fer, encl1aînée par le cou, les mains et les pieds; màis, arrès
quinze jours, craignant de !a faire mourir avant l'heur, du
supplice, on se contenta de la tenir à la chaîne dans nn
cachot malsain, où elle reçut encore d'assez mauvais trai- ·
tements pour satisfaire l'animosit.é la plus acharnée.
La haine des Anglais pour la Pucelle s'explique par la
persuasion où ils étaient que -leurs défait~s étaient dues
à ses enckant8m6nta. Nous possédons à cet égard un docu-
inent des plus étranges : c'est une lettre, adressée trois ans
plus tarcl au roi d'Angleterre par son oncle, le duc de
Bedfort, attribuant encore à la, Pucelle la décadence de la
fortune, si longtemps favorable aux Anglai1 sur le conti-
nent : « Tout prospérait pour vous en France jusqu'à
l'époque du siège d'Orléans. Alors, il arriva (par la main de
Dieu, ce me semble) nn coup terrible. On eut le tort de
croire à on suppôt qe l'enfer, nommé la Pucelle, et d'en
avoir peur. Elle usait d'enchantements criminels et de sor-
celleries; et c'est à la faveur de ces moyens que le nombre
de vos partisane diminua; le courage de ceux qui vous rea-

\
JEANNE D'ARC. 91
taient disparut, en même tempe que croissaient le no1nbre
et la vaillance de vos adversaires ».
Ce témoignage officiel jette un grand jour sur les senti-
ments des Anglais les plus éclairés à l'égard de Jeanne
d'Arc. 11s n'ont pas nié sa puissanl.e; ils en avaient trop
bien ressenti les merveilleux e1fets ..Mais, com1ne elle s'exer-
çait contre eux, il plut à leur orgueil de croire que le dia-
ble seul était capable de vouloir et de faire du mal à
l'Angleterre . Les habiles et les sceptiqu~s se rallièrent à
cette opfnion ou la feignirent. La mort de la .prétendue
sorcière allait donner à cts ennemis de la France toute
l'assurance qu'ils désiraient.

VII. - Le procès de condamnation.

I/Église, qui a toujours marché à là tête du mouvement


civilisateur et social, savait que rien n'était plus néfaste
aux nations comrne aux individus (et rhistoire des siècles
sui vante l'a tristement démontré) que l'introduction de
l'hérésie dans le sein du peupJe qatholique. En consé-
quence, elle défendait le trésor de la Révélation divine avec
'
un soin jaloux; et l'Etat, dont les intérêts se confondaient
avec les siens, la soutenait puissan1ment. Dans ce but,
toute personne sus1)ecte d'hérésie était arrêtée; l'évêque du
diocèse, assisté d'un conseil de prêtres et de docteurs en
renom, l'interrogeait avec un soin scrupuleux. A cet exa-
men, le Saint-Siège était re1Jrésenté par un délégué, qui
portait le titre de vice-inqui3ileur.
Quand le crime n'était pas prouvé, !. accusé était remis
en liberté. Quand, au contraire, la fa11te était démontrée, il
était mis en demeu1·e de faire sa rétractation. S'il y consen-
tait, il se tirait d'affaire avec une admonestation on une
Jlnnition bénigne. S'il refusait de se soumettre, le tribunal
ecclésiastique portait un jugement constatant le crime, et
remettait l'obstiné à la justice séculière, c'est·à-dire aux
,; ' 1 -•

92 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

tribunaux ordinaires du pays, tout en le recommandant à


l'indulgence des juges. A ee moment, les magistrats civils .
s'emparaient de la cause e·.. punissaient le coupable. s'il
s'obsti11ait dans sa révolte. I.,es lois de ce temps étaient
impitoyables pour les délits d'h~résie, de blasphème et de
sorcellerie, qu'elles considéraient, à juste titre, comme
contraires aux principes les plus sacrés de l'ordre social.
La lleine qui s'ensuivait était assez fréqijemment la mort
par le feu. ~ •
Notons qu~avant d'être livré au bras séculier, l'inculflé
avait le droit d'en appeler du tribunal de son é~êqne à
celui de l'archevêque n1étropolitain et, de ce dernier, à
celui du Souverain Pontife.
Il est impossible de méconnaître la sagesse de ces dispo-
sitions; mais, pour qu'elles assurent une parfaite justice, il
.· est nécessaire que lé Jlrocès soit entre les mains de juges
consciencieux, impartiaux, sinon la sentence rendue 11'est
qu'une forfaiture, comme il arriva pour le procès de Jea~ne
d'Arc.
Ce n'est donc pas un procès en matière civile, c'est un
en
procès ecclesiaatique mati"ère de foi que l'on a prétendu
faire à la Pucelle. Ponrquoi ? D'abord, parce que la vie et
les actes de Jeanne ne pouvaient donner prise à la moindre
accusation, ni même au moindre so.npçon qui eût justifié
l'intervention du tribunal civil. Et puis, parce qu'un procès
ecclésiastique pouvait seul parvenir à détruire la croyance
respectueuse qui, pour tous les, honnêtes gens et les bons
chrétiens, faisait de Jeanne une envoyée ~ Dieu. Il ne
suffisait }las pour cela de supprimer Jeanne, il fallait
surtout anéantir son prestige surnaturel, montrer que ce
qu'elle appelait sa mission n'~tait que mensonge, et, après
l'avoir convaincue de ~orcellerie ou de magie, la condamner
comme un suppôt de satan. Telle fut la pensée des organi-
sat.eurs de cet infâme procès, à. la tête desquels il faut
placer le grand.oncle du roi d'Angleterre, Henri VI, alors

\
•. r •
- ,. ... -·; -., .

JEANNE D'ARO. 93
.igé de dix ana, Henri de Beaufort, évêque de Winchester,
et son oncle, le régent, duc de Bedfort, qui trouvèrent dans
le misérable évêque de Beauvais, Cauchon, et dans l'Uni-
versité de Parie, des complice& aans conscience et des auxi-
liaires puissante.
Cauchon devait être grassement payé pour · tenir son
triste rôle. On a retrouvé des quittances, signées de sa
main, qui établissent qu'il toucha à cette occasion une
somme équivalant à 100.000 francs de notre monnaie. Mais,
dans la_,crainte que son œuvre ne fût un jour sévèrement
jugée par les honnêtes gens et les juristes, il calcula que la
meilleure manière de préparer sa défense J>our l'avenir
était de :nultiplier ses con1plices. En conséquence, contrai-
rement à tous les usages de ce temps, il s'entoura d'une
véritable légion d'assesseurs, et il les choisit parmi les
personnages qui étaient le 1>lue notoirement vendus à la
eause- de l'Angleterre et les plus suspects de servilisme.
Encore faut-il ajouter qu'une bonne part de ces docteurs,
dégoûtés sana doute des injustices flagrantes qui se révé-
laient dans la marche du procès, refusèrent d'y prendre
une part active et se retirèrent après avoir fait simplement
acte de présence. L'un des plus notables, Jea11 J.. ohier, qui
devint plus tard président du tribunal de la Rote à Rome,
démontra clairement que les pièces, qui lui furent commu-
niquéeA, étaient sans valeur pour les motifs les plus graves.
Sa loyale intervention ne sauva pas la Pucelle; mais, en
flétrissant Cauchon et son œuvre, elle soulageait l'âme de .
ceux, spectateurs impuissants, qui voyaient la dignité de ,
l'ÉglitoJe compromise par des scélérats qui avaient juré de
déshonorer la France en perdant Jeanne d'Arc.
Le premier soin de l'évêque de Bee~vais fut de se munir
d'une autorisation qui lui reconnût le droit d'exercer ses
pouvoirs juridiques à Rouen, contrairement aux lois cano-
niques qui interdisent à un prélat les fonctions épiscopales,
en dehors <le son diocèse, sans one permission de l'Ordi-
'

94 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

naire du lieu où i.l se trouve. Le siège de Rouen n'ayant.


pas de titulaire en ce n1oment, il appartenait au Chapitre
d'accorder cette permission. Celui-ci, composé presque
exclusivement de chanoines inféodée à lAngleterre, accorda.
cette autorisation, le 28 décembre 1430, dans une ordon-
nance dite lettre de t11rritorialité.
Aussitôt, son les ordres de Cauchon, nne tommission
rogatoire fut envoyée à Don1rémy pour faii·e, auprès d'une
1
quinzaine de témoins, une enquête sur la manière dont
Jeanne avait passé son enfance et sa jeunesse." I,e résultat
de cette enquête. ayant été favorable à Jeanne, on ordonna
une contre-enquête qui n~ fit que confirmer la première; ce
qni détermina l'évêque de Beauvais à ne com1nuniqu~r ces
rensei~nements à personne; car on ne les trouve 11ulle i)art
inRérés dans les pièces dn procP.s.
None n'en finirions pas si nous voulions entrer daps tous
les détails de ce procès îameux; nous nous contenter°'1&
d'en signaler les points principaux, ,en suiva11t pas à ~as
les dates où ils se sont déroulés.
f ,e premier acte officiel de la procédure ·eut lieu le
8 janvier 1431, sous la présidence de Cauchon, accompagné
de huit assesseurs, parmi lesquels se distinguaient .Jean
d'Estivet, chanoine de Bayeux et de Beauvais, ennemi
implacable de la Pucelle, qui re.mp,lissait les fonctions de
promoteur, et Guillaume Manchon, favorable à Jeanne, qui
remplissait le rôle de greffier. Il fut décidé dans cette pre-
mière réunion que l'on rédigerait quelques articles concer-
n~nt les principaux points d'accusation, et que la Pucelle
comparaîtrait dev11nt le tribunal.
Le 21 février, première comparut(on de Jeanne dans 1&
chapelle du château, en présence de quarante-deux juges.
Requise de dire tonie. la vérité, elle fit cette réponse
remarquable : Je ne sais sur quoi vous voulez m'interroger.
Il peut bien se faire que vous me demandlez telle chose que je
ne puisse pas t1ous dirB. Sur mon père, s·ur ma mère, sur

\
JEANNE D'ARC. 95
tout ce que j'ai fait depuis ma 1/enue en /i'ranc1, je jure d6
répondre volonti.srs. Mais sur les révélations que .i'ai eues de
la part de Dieu, jt n'ai jamais tlit rien à personne,. hormis
au roi Charles; et je ne révèlerai rien, dût-o-n me CO'llper la
tête; car j'ai reçu défmse de mon conseil de parler là-dessus.
Elle prononça le serment, à genoux, les deux n1ains sur
l'évangile; et puis, elle raconta aux juges sa naissance et
ses premières années.
&con~ atJdi'ence, le jeudi 22 février, dans la salle atte-
nante à la grande pièce du château, en présence de cin-
quante juges. Elle compléta le récit comn1encé la veille,
mais demeura muette sur tout ce qui touche an secret
qu'elle avait livré à Charles VII. · ,
Troisième audience, le 24: février, en pl'ésence de soixante
juges. Interrogée sur ses Voix, elle répondit qu'elle les
avait entendues trois fois la veille, et c1ue, parfois mê1ne,
elle les entenùi.!t plus souvent. Cette nu·it même, ajouta-
t-elle, elles m'ont d·'.t beaucoup de choses pour le bien tlu
roi; je VO'lldrais qu' i' les connût, q'ltand même je ne devrais
pas go-ûter de vin jus~ 1 11,'à Pâques ! Après cela, on la harcela
de questions sur l' ..frbre des Féts. On aurait bien voulu
trouver là. un prétr .~te à l'accuser d'idôlatrie, on du rnoins
de superstitions ~Jaïennes; mais on ne put y parvenir.
Quatrième a1,dienct, le 27 février. Interrogée sur les
Saintes qui J•.:.i avaient apparu, sur saint l\[ichel, sur l'épée
de Sainte-Catherine de Fierbois, sur son étendard, elle fit
des réponses qui auraient ravi d'admiration des esprits
. ,
moine prevenns.
Oinqieièm~ audience, le 1er mars. C'est ce jon1·-Jà qu'elle
prononça ces paroles, qui sont consignées dans la relation
officielle du procès, et qui sont une véritable prophétie :
Avant sept ans, les Anglais laisseront un plus grand gage
gui celui qu'ils ont lairsé à Orléans. Ils perdront t011t en
France par une grande victoire que Diett enverra aux
Français. Je le sais par une révélation qui m' e1i a été jaite;
7
'

96 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

js le sais aussi sûrmunt que js sai8 que vous êt.1 m es


moment devant moi.
Sixièm6 audience, le S mare. 1nterrogée sur le Frère
Richard, cordelier, elle répondit en souriant : Ceux de
1.'royea, doietant si js v;tzais de la part de Dieu, envoyèf'mt
ce Frère au-devant de moi. Il s'avança en faisant le signe
de la Croix, et ~n jetant de f ea11 bénite. Je lui dis: appro-
chez kardimsnt, .fe ne m'envolerai pas. Comme on essayait
de rendre suspecte sa rencontre avec l'aventurière qui se
nommait Catherine, de la Rochelle, elle répo!Jdit : Je lui
ai dit de retourner chez son mari rour faire son mhtagé et
nourrir ses enjants. Mes S(Jintes m'avaient avertie que c'était
une folle. Au sujet du saut fait au château de Beaurevoir,
elle répondit : J'étais dans cette prison depui·s quatre mois.
On me dit qus Isa Anglais approchaient. Mea Voi:r me dé/en-
daisnt tù sauter; mais j'avais peur. Je sautai en me.recom-
mandant à Dieu et à Notre-Dame. Js fus blessée; mais
sainte Catherine m' mcouragM, et me di.t que je guér1·rais. 1
Après cette sixième comparution de Jeanne, Cauchon,
voyant qu'elle se défendait très bien et qu'on commençait
à s'apitoyer sur elle, suspendit les audien<;es pour faire un
résumé du procès, co11forme à ses vues hainen~ee, avec
l'intention de le soumettre à. un petit nombre de juges, sur
la complicité desquels il croyait pou';'oir compter.
Septième audience, Je 10 mars, dans la chambre qui
servait de prison à Jeanne avec cinq juges seulement. A
partir de cette date, le vice-inquisiteur de France, Jean
Lemaitre, se joignit aux juges; il n'était pas hostile à la
Pucelle; mais, d'après le témoignage du greffier l\lanchon,
il apporta peu de zèle dans cette aft'~ire et ne prit aucune
mesure sérieuse pour la bien conduire.
Huitiè·me audien~e, le' 1.7 mars. Pour justifier la condam-
nation de Jeanne, il fallait à tout prix lui arr~cl1er des
aveux capables de la compromettre. On recourut pour cela
à 11n procédé diabolique, qui consista à lui poser des ques-

\
l

JEANNE D'ARC. 97
tions difficilJe, obscures, subtiles, sur lesquelles elle était
incapable de donner une réponse satisfaisante. C'est ainsi
que, lorsqu'on lui demanda si elle était prête à se soumettre
à r Église militante, croyant qu'il fallait entendre par là
qu'elle devait s'en rapporter au jugement de Cauchon et
de son tribunal, elle déclara qu'elle refusait de s'y soumet-
tre. En désignant sous le norn d' Église militante cette
"tourbe de scélérats, 011 l'amenait ainsi, sans qu'elle se
rendît compte du subterfuge, à refuser en apparence toute
juridiction ecclésiastique. Mais quand on lni eut exposé la
, vérité sur c~tte question délicate, elle consent!t immédia-
tement à se soumettre, non seule1nent à l'Église, au Pape
et au Concile, mais encore à tout tribunal ecclésiastique
<JUi ne serait 1>as tout entier sous la rnain des Anglais.
Quand on lui posa cette question : Voua soumettez-voits au
Pape~ - Oui, répondit-elle, bien volontiera, 1nenez-moi à
lui, je lui di.rai: tout ce que je do,is dire.
Les jours suivants furent ernployés à fai1·e une pren1ière
récapit'-ilation du procès. Sous soixante-dix chefs d'accusa-
tion, on rassembla tout ce qu'on appelait ses cr,imes. Les
trois quarts de ces accusations reposaient sur des faits
faux ou dénaturés, qu'elle nia dédaigneusement, en renl·o-
yant aûx réponses qu'elle avait faites au cours du procès.
On comprit bientôt qu'un tel réquisitoil'e ne pouvait que
révolte1· des juges qui auraient le n1oindre sentin1e11t de la
justice; aussi, le jour de Pàques, ~ avril, co1n1neuça-t-on à
faire eu doitze articles un résumé de ce fatras de mensonges.
l"es douze articles furent plrs habilernent rédigés et for-
n1èrent un réquisitoire bien plus dangereux. Le ton en
était relativernent 1nodéré, et les faits étaient assez habile-
ment présentés pour surprendre la bonne foi de ceux qui
n'étaient pas initiés à fond aux incidents du procès. Vingt-
deux comn1issaires prirent part à ce travail, dont la conclu-
sion fut de déclarer que les visions, i·oiz,. révélations et
.apparitions de Jeanne ·ei~èfi:: lives et diabola'quu; et
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98 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

qu'elle-même était scandaleuae, schiMnatiqu~, suapecte d' héré-


sie, pour y avoir cru obstinément sans consulter p1r1onns..
Ensuite les vingt-de11x commissaires opinaient sur la peine.
J,a majorité, moins trois, condamna Jeanne à être livrée-
au bras séculier, si elle n'abjurait pas, et, si elle abjurait,.
à subir le châti1nent de la prison perpétuelle.
Le 18 avril; Jeanne, épuisée de forces, tomba gravement

1nalade. Huit juges, ayant à leur tête l'évêque de Beauvaist-


•I
vinrent la trouver, dans sa prison, pour accomplir la for.-
n1alité de ce qu'on appelait f ezhortation charitable. Ce fnt.
tout simplen1ent une nouvelle sommation de nier la miuion
surnaturelle qu'elle avait reçue de Dieu. Jeanne se contenta.
j

de répondre : Quoi qu'il pi,isse m'arriver, je ns dirai .autre-


choss qite ce que .i'ai cléjà dit au procès. Et comme on la
1nenaçait de l'abandon11er, comme sarrasine, elle ajouta :
Je suis bonne chrétienne, bien baptisés, et je molfrrai bonn6
'
chrétienne. Les geôliers anglais la firent visiter par \ln
médecin, Guillaume de la Chambre; mais cette charité
n'était pas désintéressée. D'après Te témoignage de ce
médecin, Warwick lui aurait dit : 'l.'âchez d~ la guérir; car
le roi d'Angleterre ne veut à aucun prix qu'elle msi,re d6
mort naturelle; il ra achetés assez cher. Il ne veut paa
qu'elle meurs autrement que par juatice, ou br·ûlée.
Deux semaines pins tard, le 2 mai, on fit l'ad1nonition
publique, qui devait succéder à· 11exhortation charitable
faite dans la prison. Cette admonition se fit au tribunal,
devant Cauchon, assisté de soixante-trois jugei.J. Cette
pièce était fort longue, mais ne présentait aucun fait ni
reproche nouveau. Elle se résumait par les mêmes promes-
ses d'indulgence en cas de soumission, et les mêmes
menaces en cas de résistance. Jeanné répondit: Si js voyais
le feu, je dirais tout r,~ que je voua ai dit, et ne ferais pas
autre chose.
Le 9 niai, on la conduisit dans la grosse tour du château
de Rouen, pour la mettre en face des instruments de tor-·

\
o_~~·~ ..... ·\.~:-f~,~.;, .. ·.-·:····-~~ .... ·';• ., .. ' .; . •·. ..-'.... . '. ;:, : . . •• . • :'" •· - • .f~ - ~ ' · . ' ·~-- 1~ l ~ ~' . . .....
·\ . .
'

. " ; ·. -. • .• . ,, •• .: -.

... .
,

JEANNB D'ARC. 99
tore. Le bourreau et ses àides étaient là, pour agir, si elle
refusait d'avouer qu'elle avait trompé ses juges. Jeanne, à.
œ spectacle, s'écria fièr~ment : Vrai1nsnt, s-i vous m'arra-
.(Jhiez lea membres et que vous me /asa-isz partir l'âme du
.eorps, je ne vous dirais paa autre chose; et, si je vous dlsais
.autre chose, .ie voi's répèterais toujours ensui'te que vous me
lavez fait dire par force. Devant tant d'énergie on n'osa
pas passer outre; d'ailleurs, ce jour-là, la torture, dans
l'intention des juges, 11'était qu'une menace. Sur dix-se1lt
juges, quatorze déclarèrent la torture inutile. l/un d'eux,
nommé Raoul Rousset, eut rnê1ne l'impudence de dire :
(J' est
un procès bien jàit, la torture le gâterait.
Mais Cauchon voulait plus qq'un 11rocès bienfait, il vou-
lait un procès irréprochable. A cet effet, il envoya toutes
les pièces à l'Université de Paris, en sollicitant son adhé-
~ion. Entièren1ent sournise à l'influence anglaise, l'Univer-
sité loua tout dans la conduite de l'affaire. Il y eut deux
délibérations, une de la faculté de tl1éologie, l'antre de la
faculté de droit. Toutes deux aboutire11t à une conda1una-
tion formelle de l'accusée : jugement du reste sans valeur,
faute de compétence, et faute de respect })()Ur les formalités
les plus élémentaires de la justice.
Dès qu'on eut reçu à Rouen l'ap11robation de Paris, on
procéda à la délibération définitive. Sur quarante-sept doc-
teurs, qui furent appelés à prononcer ce jugement, qua-
rante-deux déclarèrent que c si la Pucelle ne se soumettait
pas, elle devait être déclarée hérétique et abandonnée au
l>ras séculiw ».
Le n1ercredi 23 mai, ,Jeanrr~ vit entrer dans sa pl'ison
une commission de nenf men1bres, qui venaient lui exposer
ses erreurs et l'exl1orter au repentir. Mais ni menace, ni
douceur ne pouvaient rien sur cette âme intrépide. Elle se
contenta de dire comme précédemment : Quand je verrais ~
je·u allumé, le bûcher, le bourreau prêt à mettr' le feu;
.quand je swais moi-même dans le ,,feu, je ne dirais quB
1.
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100 SAINTS DU CALENDBIEB DIOCÉSAIN D' ATJCH.

c1 qus j' aÏi di., au procès, et je z,· soutiendrais ju1qu' à "la. ·


mort.

VIII. - L'abjuration (2• mal),

Le procès ·était t6rminé. Restait pour Jeanne une-


soprême et tragique épreuve à subir. Le jeudi après la
Pentecôte, elle: fut amenée au cimetière d.e Saint·Ouen, et
})lacée sur un échafaud en forme de chaire, en présence de-
l'évêque de 'Vinchester, cardinal, grand-oncle d'Henri VI~
de trois évêques, de huit abbés, de nombreux do~teui;s et.
d'une foule immense de peuple. Guillaume Erard fit un
sermon sur ee texte : Le tpampre n~ pourra portw son fruit,.
s'il est séparé de la vigne. Comme, a11 milieu de 1011 dis-
cours, il prononçait des paroles injurieuses pour le roi de
Frar1ce, Jeanne l'interrompit bravement pour lui dire :
Par ·ma foi, sire, révér~nce gardée, j'ose bien vous· dire et
jurer que le roi Charles est le plus noble de toua ~' ckrttie~s,.
et qzti aime le mieuz la foi et rÉglise! Touchant témoi-
gnage rendu. par cette martyre au prince .:iui l'ahan-
. donnait! .
I,e sermcn fini, t.,ne dernière adj1tration fut faite à.
l'accusée de se soumettre à. l'Église. Elle répondit : Qu. ent
à la soumi·saion à l' Égl:ae, j'ai répondu sur ce point q'Ufi
tout ce qite j' a·i di! fût envoyé à Roma, st remis au Souverain
Pontife, auquel,._ainsi qu'à Dieu, je me rapp'oru. Mai·s, quant
à ce que j'ai fait, je rai fait ~e par .Dieu. Cela dit, on
commença la triple adn1onition que suivait la sentenœ
définitive. Alors, en face du bûcher prêt à flamber, devant~
cette foule hostile on a1nie qui, par colère on par pitié, lui
criait d' abjurw, épuisée et comme anéantie par la longoe-
prison, par les chaînes, par les injures, par les menaces,.
par les vioiencee, par' }a maladie, par les angoisses de
trente interrogatoires, par la cruelle fatigue d'u\1 procès
qui durait depuis cent quatorze jours, cette enfant de dix-

\
~···. •, . . ~.. ),
1 .. • . " ' '

JEANNB D' AIW. 101


neuf ans eut peur. Elle dit : Js vsuz tlnir tout ce qus
r Églias ordonnwa. Js m'en rapporte à notre JI ère, la saintl
Église, et a·uz jugs1. La voyant prête à tourner au gré de
leurs désirs, ses interlocuteurs firent briller à ses yeux les
promesses les Jllus séduisantes, surtout celle de la faire
sortir de prison et de lui rendre la liberté. Devant cette
promesse, qui la rendait au service de la }1 rance,
la pauvre enfant ne pouvait plus hésiter. On 111i 1>résenta
une formule d'abjuration toute préparée qui, d'après les
déclarations des témoins, ne contenait que six ou huit
lignes, mais qui rétractait et désavouait tout ce qu'elle
avait dit sur sa mission. Jeanne, qui ne aa·vait pas lire, 11e
put s'assurer du texte qui lui était présenté. Après les der-
nières instances, qui lui furent faites par le secrétaire de
Henri VI, J..aurent Calot, elle traça un rond et une croix
sur la cédule; mais Calot, jugeant que cela ne suffisait pas,
lui tint la rnain et lui nt tracer son no!n. J..'obstinatiou des
juges avait, enfin, eu raison de sa fermeté : Jeanne avait
signé son abjuration !
Aussitôt, la sentence suprême fut lue. Jeanne était
absoute et relevée d'excommunication; mais, par pénitence
de ses péchée, elle était condamnée à la prison perJlétuelle,
afin d'y plei1rer ce qu'elle avaitfa·it, et poitr ne plus/aire des
choses qu'ells devrait pleurer : « Ut commissa defleas et
deflenda posteà non committas ! »
Dans l'après-midi de ce jour, Jeanne, sur - l'ordre dn
vice-inquisiteur ~t de plut;ieurs juges, déposa le vêten1ent
d'homme qu'elle portait depuis vingt-sept rnoie; sa cheve-
lure fut entièrement. rasée, et elle prit une coiffe sem-
blable à celle des religieuses. En échange de ce sacrifice, la
porte du cachot allait sans doute lui être ouverte, ainsi
qu'on le lui avait promis. Mais, non ! Trois jours après,
un dimanche, elle était encore gardée à. vue et enchainée
dans ea prison. Désireuse d'entendre la messe, elle
demande aux gardes d'ôter les entraves de ses p'eda. Ces


: \' .._ . ~

102 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

gens-là condes~e.ndent à sa prière; mais, en même tempe,


.··
ils 1·etiennent le costume de femme, et vident, sur le lit, le
sac qui contient les habits d'homme qu'elle avait quittés.
Surprise et mécontente, Jeanne repousse ce vêtement,
déclare qu'elle se refuse à. le prelidre, et demeure étendue
sur sa couchette. }lais, vers midi, Ja nature réclamait ses
droits, elle quitta son lit, et se couvrit, non s&.ns protester,
du costume m818culin. De retour en son cacl1ot, elle ne put
obtenir, malgré ses ardentes supplications, que le vêtement
féminin lui fût rendu.
Dans le cours de la nuit fatale qui suivit cette j.~.nreée,
un lord angl~is, qu'on croit avoir été Warwick lui'o-même,
le gouverneur de Rouen, alla trouver la pauvre enfant,
enchaînée dans son lit, et lui faire des propositions infàmes.
Que va faire Jeanne ? Soucieuse avant tout du salut de son
âme et de son honneur, elle n'hésite plus. Elle ne qa:aittera
plus le costume masculin, seul capable de sauvegatder ra
virginité. C'est là sans doute se vouer à la prison per~­
• t11elle et même à la 1nort. Mais \llutô~ mourir que forfaire
à son devoir ! Dans l'aprés-midi de ce dimanche, le bruit
se répandit en ville· que Jeanne avait repris sett habits
d'hornme malgré sa promesse. Elle était par conséquent
relapse: rien ne pouvait plus la sauver! Jeanne compre-
nait très bien les conséquences de la détermination qu'elle
prenait. Elle rétracta alors, dans la ·plénitude de sa volonté,
une abjuration arrachée par surprise et llar violence. Elle
accepta courageusement la m~rt;, m&is du moine, en mou-
rant, elle pourra dire que 8on honneur chrétien est sauf et
que ses Voix venaient de Dieu.

IX. -
.
Le supplice (30
..
mal 1431 ).

Le dernier jour de jeanne s'est levé ! Dès l'aube, un~


sombre agitation se fait sentir dans toutes les rues de
Rouen. IAes juges iniques, qui vont consommer leur œnvre,

\
'·-;;·... : .. :"· -~ ~,,,
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JEANNE D' j,RC. 103


ont cependant pris pitié de l'âme de la victime. Deux
dominicains, Martin Ladvenu et Isambard de la Pierre, lui
sont envoyés. L'un d'eux, Martin Ladvenu, lui parle de IR
mort et lui ·fait pressentir le supplice. Lorsqu'elle apprend
qu'elle doit périr par le feu: son héroïque courage faiblit
un instant : Hélas! e'écrie-t-elle, quel traitement korribll
(in me fait subir ! Ce corps que j'ai gardé contre toute souil-
lur e, faut-il q·u' aujourd'hui même il soit consumé et réduit Ml
c~ndres ! Ah! oui', j'aim~raiB mieux être décapitée s~pt f()iB
que d'êtr~ brûlée!
Tout à coup, pendant qu'elle pleurait à chaudes larmes,
Caucl)on entra. Il venait épier l'agonie de sa victime,
espérant recueillir d'elle un aveu capable de le justifier.
Dès que l'héroïne eut aperçu son juge, elle se redressa, ses
larmes cessèrent et, le regardant fièrement, elle s'écria :
Évêque,J·e meurs par vous! Le choc dut être rude; mais le
misérab1e le soutint sans rougir.
Restée seuletJ°eanne confia au Frère Martin son ardent
désir de recevoir la Sainte Communion, dont elle était
privée depuis six mois. La permission de l'évêque de Beau-
vais était nécessaire., mais elle fut accordée. Étrange
schisme et singulière hérésie, qui n'empêchent pas de 1>ar-
~iciper aux sacrements de l'Église, ou i)Iutôt, juge inique,
qui ne peut se dissimuler qu'il va ft·apper. u11e innocente !
Pen après, la porte s'ouvrit mystérieusement; un prêtre
parut, portant, dans un corporal, une hostie consacrée. On
voulait ainsi cacher, aux yeux de tous, une concession qui,
à elle seule, établissait l'innocence de l'accusée. MaiFi Je
Frère Martin s'indignait d'un tel procédé. Retournez, dit-il
au prêtre, et reven~ en accompli"ssant les cé1·ém()nies requi-
ses! On obéit. Des clercs furent convoqués en toute bite;
un cortège se forma et, flambeaux en tête, les assistants
s'avancèrent solennellement à travers les coure et les cou-
loirs du château, en psalmodiant les litanies. A chaque
invocation ils répondaient : Priez pour elle ! Jeanne reçut


.
104 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

le corps do Christ avec one dévotion admirable, et des effu-


sions de foi et d'amour qui arrachèrent des larmes à tons.
les témoins de cette scène.
Après cela, Jeanne fnt revêtue d'une longue robe blan-
che, reçut un chaperon sur la tête et descendit l'escalier de-
la tour, suivie de Frere Martin et de Jean Massieu, tons.
deux profondément attendris. Au milieu de la Cl)Ur, remplie-
d'une troupe de :cent vingt soldats, attendajt une charrette-
dana laquelle Jeanne monta avec les deux prêtres. l . e funè- 1

bre cortège se dirigea ainsi vers la place du Vieux-Marchê-


de Rouen, où l'attendait un peu11le irnmense. Elle }lr~ai~ et.
pleurait, laissant de temps en temps échapper de ses'· lèvres
ce cri d'angoisse : RoY.en,1 Rouen, est-ce donc ·ie·i que je doi~
-rnourir ! On arriva enfin au lieu. du supplice. De grands.
préparatifs avaient étÉ: faits dans le cimetière de l'église-
Suint-Sauveur : d'un côté, se dressait une estrade destinée
aux juges et aux personnages de distinction, à llÀ. tête des-
quels était le cardinal de Winchester et ' s évêques fe-
Théroua11ne et de Noyon. De l'autre côté, une estrade plus
modeste réservée au prédicateur et à. la Pucelle. On aperce-
vait de là l'énorme bûcher, dressé pour le supplice, et, en
fuce du bûcher, un grand écriteau sur lequel se détachait,
en grosses lettres la liste des prétendus crimes reprochés à.
Jeanne.
Le discours du prédicateur, Nicolas Midi, fut le premi~r
acte de ce ùr&me lugubre. Il prit pour texte cette parole de
saint Paul : Si un membre souffr,e, tous les membres 30uf-
frent avec lui. Son discours fut une insultante diatrib&
contre la Pucelle et se termina par ces 1nots : J61Jnne, va.
en paùx' L'Église ne peut plua te défendre et t'abandonne au
braa aécitlier. Quand il eut fini, la foPmule d'excommunica-
tion fut prononcée par, l'infàme Cauchon. Cela fait, l'office
des juges d'église étant terminé, ils se retirèrent.
On accorda alors à la victime quelques instants dE' répit
pour se préparer à entrer dans l'éternité. Mais il faut lais-

\
JEANNE D'ARC. 105
ser aux témoins de cette mort admirable la tâche de nous
la raconter. Tous étaient plus ou moine ennemis de Jeanne,
de sllrte qu'il semble que leur témoignage en soit d'autant
plus éloqn~nt. « Jeanne », a écrit },rère Isambard, c eut,
en sa fin, si grande r.ontrition et si grande repentan•~e, que
c'était une chose admirable, disant paroles si dévot~s, piteu-
ses et catholiques, que tons ceux qui la regardai~nt pleu-
raient à chaudes larmes. Tellement que le cardinal d' Angle-
terre et plusieurs autres Anglais furent contraints de ple11-
rer et d'~n avoir compassion. 1 - c Et la piteuse Jeanne 1,
<lit de son côté Jean Massieu, « demanda, requit et supplia
Frère Isambard, qui était près d'elle. qu'il allât en l'église
prochaine, et qu'il lui .a1lportât la croix pour la tenir élevée
toute droite devant ses yeux jusques au pas de la 1nort.
Un Anglais fit une petite croix de bois de deux bâtons et
la lui présenta. Elle la reçut et la baisa dévotement, et li.
mit en son sein entre sa chair et ses vêtements. Ensuite le
clerc de Saint-Sauveur lui apporta la croix de l'église,
laquelle a11portée elle l'embrassa très étroitement et lon-
guement, et la détint jusqu'à ce qu'elle fût liée au poteau. >
Deux sergents s'emparèrent de Jeanne et la lloussèrent
vere le btîcher. Elle en gravit les degrés, esr.ortée des deux
Frères Dominicains : Ladvenu, son confesseur, et Ieambard
de la Pierre. Arrivée au sommet du bûcher, elle jeta un
long regard sur l'asseml>lée qui l'entourait et sur la ville,
et cria d'une voix forte: Ah! Rouen, j'ai grand'peur q1te tu
n' ai1s à souffrir d8 ma ·mort! On reti1·a de ses mains le
Christ qu'elle n'avait cessé de baise,r, et on l'attacl1a bruta-
lement au poteau, tandis que son front était couvert d'une
mitre ignominieuse sur laquelle on lisait ces mots : Héréti-
fJUB, relapse, apostat8. idolâtre! - Non, non, rria-t-elle
énergiquement, j1 ne suis ni hérétique, t'i schiamatiqus,
ainai qu'on tns l'impi1,ts; js suis une bonne ckrét1#ine. Puis,
s'adressant aux deux Dominicains, elle ajouta : Je vous sn
pril, dès que ls feu sera allumé, tenez la croix devant m18
'

106 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

yeux et conti"nt~Z à m~ la m.ontrw. Je le déclare 8ncore une


J~is : mes V01'.x vmaient de Di~u. J'ai fait par ordre divin
toi't ce que j'ai fait ! Non, mes Voix ne m'ont pas trompé1;
~lies v~naient vraiment du ciel! A la lueur du bûcher, la
Martyre avait compris le vrai sens de ce que lui disaient
ses Voix; le salut qu'elles lui promettaient, c'était le
paradis, qu'elle entrevoyait déjà à travers les ombres de la
mort. J.Âe supplice infamant qu'elle subissait. était la consé-
eration de sa 1nission. A l'exemple du Sauveur, elle triom-
phait dans la tnort.
cr Quand le bourreau en1 brasa lè bûcher »,,. dit ~rè,re
Isambard, « au milieu des flammes, elle ne éessa un seul
moment de confedser à haut.e voix le saint nom de .Jésus.
en in1plorant et invoquant sans cesse l'aide des saints et
des saintes du paradis. Et encore, qui plus est, en rendant
son espt·it et inclinant la tête, elle proféra le nom de Jésus
avec tant de force qu'on entendit ce dernier cri jusqu'au
bout de la place. » :
Dès qu'elle eut rendu le dernier sou}lir, les Anglais
firent écarter le feu pour dissiper la fumée et montrer à
tous qu'on ne l'avait pas fait écha1)per. c Incontinent après
l'exécution », dit Martin Ladvenu, « le bourreau, Geoffroy
Thiracl1e, vi11t aux deux n1oines qui l'avaient assistée,
frappé et ému de la merveilleuse repentance dont il avait
été témoin, et craignant de ne jamais pouvoir impétrer
pardon de ce qu'il avait fait à cette sainte femme. »
« Il disait encore, quatre heures après none, que jamais il
n'avait tant craint à faire aucune exécution : premièrement
pour le grand brojt. et renom d'icelle, et puis pour la
cruelle manièr-e de ~a lier et de l'afficher. » Jean Thiessart,
secrétaire d•1 roi d'Angleterre, revenant du supplice, saisi
d'un trouble profond, disait en gémissant : Nous somm~s
pwdus; nous avons brJlé une sainte ! Un soldat anglais
prétendit, qu'au moment où elle expirait, il avait vu une
colo1nbe s'envoler du bûcher. Ainsi quelques-uns de ses

\
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' •

JEANNE D'ARC. 107


ennemis a-raient été émus de pitié au spectacle de son mar-
tyre. Le crime cependant ne s'accomulit pas moins jus-
qu'au bout. Les cendres de Jeanne, avec le cœur et les
entrailles, que le feu n'avait pas consumés, au témoignage
do bourreau, furent jetés dans la Seine en rnêrne ternp&
que les restes du bûcher.
Dans le cours du mois de juin, le roi d' ...\ngleterre,
Charles VI, notifia officiellement la condarnnation et le
supplice de Jeanne d'Arc à l'empereur d' Allen1ague, Sigis-
mond de Luxembourg (1411-143';'), aux rois, ducs et prin-
ces de toute l'Europe, aux prélats, comtes et autres noblea,
ainsi qu'à tontes les cités de France. L'Université de _Par~s,
de son côté, notifia le même événe1nent (3 mars 1432) au
Pape Eugène I\"" ( 1431-1437) et aux cardinaux, en affir-
mant mensongèrernent que Jeanne avait refusé de se sou-
mettre à toute autorité établie, n1êrne la plus haute, et
déclaré ne reconnaître d'autre juge que Dieu seul. ~fais le
roi de France, Charles VII, que fit-il pour défendre la
mémoire de l'héroïne à qui il était redevable de sa cou-
ronne ? Rien, absolument rien ! Pas un acte, pas une pro-
testation dont l'histoire ait conservé le souvenir ! Ce n'est
pas à dire cependant que ce prince fût indifférent au sort
de la Pucelle. Malgré l'abandon où il la laissait, il n'ou-
bliait pas les services éclatants qu'elle lui avait rendus. A
la nouvelle de sa mort, il témoigna 1nême une amère dou-
leur; mais la Trémoille et ses conseillers détournèrent sa
pensée du devoir que la reconnaissance lui · i1nposait, et
tout en resta là. Il fallut ?:.ttendre dix~neuf ans pour qu'il
acquittât la dette d'honne·:.ir qui s~imposait à lui, comme
c!1rétien et comme roi.
x. - Réhabllltatlon (1456). - Béatlftcatlon (1909),

On peut dire, sans crainte de se tromper, que la réhabi-


litation de Jeanne d'Arc a précédé le procès de réparation,
et qu'elle résulte de sa personne même, des actes de sa vie,
: .
- .. . -j ' • :"-. . ~.

• •
108 SAINTS DU CALENDRIER DIOCE8AI:DJ D AUCH.

et du langage plein de dignité et de sagesse qui les a ·


accompagnés. Jeanne d'Arc est sans contl'edit une des
figures historiques les plus remarquables et les plus dignes
d'admiration, de sympathique respect que Dieu ait fait
paraître sur la scène du monde. Elle fut grande par les
dons naturels que le ciel lu~ avait largement départis : une
intell~gence ouverte et vive qui, sans cultul'e ~Jassique, la
mit à la hauteur de tons les événements, n1ême les plus
tragiques, qui tràversèrent sa vie, et de tous les rôles •
qu'elle eut à remplir; - une finesse d'esprit, un bon sens'
et une prudence qui lui inspirèrent, dans 1'éton!laqte
variété des circonstances où elle se trouva, le langage et la
conduite qui convenaient. le mieux à sa dignité; - une
asi'4urance qui lui fit affronter, sans timidité et sans crainte,
l'appareil imposànt d'une cour royale et des assemblées de
docteurs les plus re~omtnés de son tem1ls; r- une force de
caractère, qui la rendit invincible en face des épreuves les
plus redoutables; - une ailtitude professionnelle, qui ~t
d'elle, en quelques jour9, un des capitaines les plus habiles
de son temps; -- une intrépidité et une bravoure, qui lui
valurent la parfaite possession d'elle-même sur les champs
de bataille, et un empire irrésistible sur les troupes qu'elle
menait au combat.
A ces dons naturels s'ajoutaient des dons surnaturels
qui ont fait d'elle une sainte, digne de la vénération et du
respect religieux du inonde entier : sa foi chrétienne, sim-
ple con1me celle d'un enfant, profonde comrne celle d'un
contemplatif ou d'un ascète; - son amour pour Dieu, qui
élevait sa vertu jusqu'à l'héroïsme; - son amour pour la
sainte Eucharistie, qui se traduisait }Jar les élans les, plus
enflan1més;-sa parfaite soumission à-l'autorité de l'Eglise,
pour laquelle elle professa toujours le plus humble respect,
l

malgré tous les pièges que l'astuce de ses ennemie dressa à ·


Ra sin1plicité; - une docilité, qui ne se démentit qu'une
foie, à la direction que n:eu lui do11nait par le ministère

\
.- , . "'..:
\ ·. - •

JBANNE D'ARC. 109


~e ses Voix; - un respect inviolable pour toue ceux qni
-étaient à ses yeux les représentants de l'autorité divine, lt•s
-évêque8, les prêtres, le roi dont elle était le sujet; - une
·délicatesse de conscience, qui l'amena à ne jamais faire
retomber :.iur personne la responsabilité de ses épreuves; -
une charité héroïque, dont elle donna mille ~>renves envers
ses corn pagnons de vie, envers les llau" res, en vers les
malheureux, envers ses ennemis; -- une })Ureté angélique,
·qu'elle saura garder avec un soin jaloux an milieu de h'
corruptiqn Jes cam}lS et dans les péripéties redoutables
d'une vie pleine d'écueils, pureté qu'elle airna jusqu'ia.
s'exiloser, pour la défendre, à mourir plutôt que de la lais:
ser ternir un seul instant; -- enfin un pa~riotisn1e élevé
jusqu'à la hauteur d'une vertu admiral)le. Le patriotis1ne
de la Pucelle est, en effet, d'une espèce très particulière et
très rare : c'est un patriotisme surnaturel, parce que c'est
en !>ieu qu'elle aime son pays. Il y a eu d'autres femmes
généreuses, d'autres enfants héroïques qui, sans être mus
par aucun sentiment religieux, donnaient leui' vie pour
assurer le "-·: Jmphe de leur patrie : ceux-là sont des patrio-
tes, mais ne sont pas nes saints. Ils sont dignes d'admira-
tion, ne serait-ce que pour avoir bravé la n1ort; n1ais leur
héroïsme n'est pas de la sainteté, car la sainteté émane de
Dieu seul.
Jeanne aima la France en Dieu et pour Dieu ....\ussi so11
patriotisme ne fut-il ni orgueillettx ni agressif. Elle ne
demanda pour la France 11i dornination 11i conquête, mais
seulement la liberté. Ceux-là. ont bien rnal connu son his-
toire, qui l'ont représèntée '.!omrne une vierge guerrière,
une amazone épique. Elle fit la guerre pour obéir à Dieu, à
qui il plaisait de l'envoyer pour cela; mais elle ne l'aima
jamais. Elle la fit avec entl1ousiasme, sentant le souffle de
Dieu passer sur elle et la pousser en avant; mais elle la fit
sans plaisir. Elle parut dans vingt batailles; mais sans
jamais frapper un seul coup. Elle a déclaré expressément à
'' . ' . . ·~ -. '· . ... .. "

110 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

ses juges qu'elle portait l'étendard dans ses mains, sur les
chnm1>s de bataille, pour éviter de tuer i1e.rsonne, et qu'elle
n'avait pas tué un homme de sa vie. Douce, humaine,
facile aux larmes, compatissante aux vaincus comme à tons
les malheureux, elle guerroya, comme l'aurait fait l'Angè
qui la visitait et l'encourageait aux combats. Terrible et
sereine comme Michel, l'épée de la justice et du droit est
dans sa main; mais la paix est dans son cœur, et none n'y
voyons aucune trace de la fureur guerrière qui anime les •
vrais soldats. ..\imant son pays jusqu'à la 1nort, ellè a
donné à cet amour le caractère sacré d'un amour im,péris-
sable et divin, en unissant Die11 et la France dans -le n1ême
sacrifice et le mên1e martyre .•Jeanne d'Arc est l'incarna-
tion de ce que le patriotis1ne a de plus élevé et de µlus
i1ur. Voilà ce que dit l'histoire. •
Voici n1aintenant ce qu'a dit l'Eglise. 1l semble qu'au
len(lemain du supplice de Jeanne, l'attendrissen1ent sur ce
martyre d'une jeune tille de dix-neuf ans aurait dû év;iller
partout, en sa faveur, une admiration.~et une i>iété enthou-
siastes. liais il n'en fut rien. Elle demeura longtemps un
sujet de discussions passio11nées, disons le mot, un sujet de
scandale pour l'Euro1>e entière. Entre les jugements si
divers é1nis sur elle, il en est un que nous citerons, parce
qu'il nous paraît plus autorisé et plus intéressant que tous
les antl'es, celui que son contemporain, le futur pape Pie II
(hjneas Sylvins Piccolomini) a inséré ·dans les Mémmres,
qu'il publia sous le nom d'o~ secrétaire, mais qui furent
écrits par lui, et terminés en 1463, trente-deux ans après
le drame de Rouen.
Tant qti,'elle vivait, ·1nênie prisonnière, les Anglais, si soit-
vent vaincus par elle, ne se croyaient pas en sûreté. Ils crai-
gnaient ses enchanlement1, et voulurent sa mort. Dès que les
jt'!}es eurent constatJ qu'elle avait repris les habits d'homme,
·ils la condamnèrent au J~u, comme relapse, et, pour qu'on
n' honorlit pas ses cendres, 1'ls les firent jeter à la Seine.

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JEANNE D' ABC. 111


Aimi mour·ut J~anne d'Arc, Vt'wge étonnante ( 8tupe1ida ),
afWèl avoir rekvé le royaume de France abattu et presque
mis en pièces, et afWè1 a1.1oir infligé aux A ng laia d' irrépara-
blls dé8a8irBs. Devenue capitaine, elle garda sa ·pudeztr
intaele au milieu tùs soldats, jamais a·ucun bru·1'.t fâcheux ne
fat ouï à .ce sujet.
&n œuvre fut.elle divins ou ku11iaine '! Je n'o1e me pro-
noncw. Quelquu-uns croient que, lea princes françai·s étant
divi1é1, comme nul ne voulait se 1oumettre à 1tn cite/, 01i
inventa œ strato.gème pouf' arrêlw 16 auccès contin1t tles
Anglais. Ils pensèrent que la mission divine, con.fiée à une
v·iM'ge, profitBrait à 'l'autorité. Vo·ilà co1n.1ne1it la contluite de
la grwrre aura'Ïl été confiée à la Pucelle.
Mais voici ce q1t1: du moins est certain. Sous la condui~
de la l,ucelle, le siège <I Orléa11,a fiet levé; par ses armes, tottt
16 paya entre Boierges et Paria fut soumis au roi; par so1i
cona~il, Reims fut mis au pouvoir tle Charles VII et le rou-
ronnem~nt fut célébré; par sort audace, la po·rte de Par·is ftlt
brûlée; pqr son activité, les affaires d1t roi de FrancB jiire1it
rétabliBs et consolidées. Tous ces faits sont dignes â éternelle
mémoire; mais ils trouvèrent nioin& de foi parmi la posterité
. qu'ils ne caiesèrent d'étonnement.
J. .e procès de réhabilitation de Jeann~ d'Arc fut con1-
1nencé dix-neuf ans BJlrès sa mort. I. .es Anglais, conformé-
1nent à la propl1étie de la Pucelle, étaient vaincus de tonte
part et ne possédaient plus en France que la ville de
Calais. Charles VII fit son entrée dans la ville de Rouen
reconquise. Les souvenirs do1~lot!1·eux, qui s'y perpétuaient
au sujet de Jeanne, firent sans donte i1n1>ression sur lui.
Toujours est-il qu'à ce moment, le souci 3acré de l'honneur
de l'héroïque }fartyre semble s'éveiller en lui. La première
commission qu'il donna i1our la révision d11 }>rocès est
datée du 14 février 14f>0. Guillau1ne Bouillé, docteur de
l'Université de Paris, fut chargé d.'onvrir une première
enquête, où furent entendus les re?igieux ciui avaient visité
8
. . ' ,· ' . ·. .....
.' . ~\ . -- .. 1 .
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112 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH •

.- Jeanne, le matin dn supplice, le notaire Manchon, l'hoia-


aier Massieu et Jean Beaupère, un des juges qui s'étaient .
montrés les plus hostiles à l'accusée.
Deux ans plus tard, le cardinal d'Estouteville, archevê-
que de Rouen, et Jean Bréhal, inquisiteur de France,
furent cha-rgés d'une nouvelle instruction, où figurèrent
vingt-deux témoins. On eut alors l'l1euret1se ~nsée de faire
intervenir la fa\~ille de Jeanne. Sa mère, qui vivait encore,
et ses frères adressèrent un appel au Pape, juge légal d'u.n
arrêt rendu en matière de foi par un tribunal ecclésiasti-
que. Sur mémoires présentés au Saint-Siège et" discutée- par
ses consulteurs, Calixte III (1455-1458), qui venait d'être
élevé à la dignité pontificale à la mort de Nicolas V,
accueillit la requête, le 11 juin, et chargea l'archevêque de
Reirns, Jean Juvénal des Ursins, l'évêque de Paris, Guil-
laume Charr.ier, et l'évêque de Coutances, Richard de
Longueil, plus tard cardinal, de procéder à la révision pu
procès avec Jean Bréhal. '
La révision fut ouverte, à Paris, le 7 11ovembre 14:i5, et
tout l'hiver fut employé à interroger de nombreux témoins
à Rouen, Paris, Orléans, Domrémy, Vaucouleurs. L'enquête
achevée, les résultats qu'elle avait donnés à la gloire de la.
Pucelle, sans qu'aucune voix se fût élevée contre elle,
furent mis sous les yeux des juges (mai 1456). Au- nom de
la famille de Jeanne d'Arc, ses défenseurs firent valoir les
il!égalités flagrantes et les iniqnités du premier procès, et
l'inquisiteur fit ut1 résumé complet de l'affaire, dans lequel
il démontrait l'innocence de l'accusée, et rétablissait la
vraie doctrine de l'Église sur les points délicats qu'avait
touchés la condarnnation.
Enfin, le 7 juillet 1456, en la grande salle de, l'archevê-
ché de Rouen, dans la, même ville, et non loin du lieu qui
avait vu le supplice lnfàme, fut rendu l'arrêt solennel
qui cassait, annulait et abolissait entièrement la sentence
rendue contre Jeanne,. et rétablissait sa mémoire. Une don-


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J BANNE D'ARC. 118


ble réparation publique fat faite, ao cimetière de Saint~
-Onen, et au lieu du supplice. On se souvient qu'au moment
de sa mort, la jeune fille avait dit avec toute l'énergie
de son âme: J'en appell~ à Notr~ Saint-Père li! Pape!
L'Église, dans la personne du Souverain Pontife, répondait
ainsi à l'appel suprême de son enfant.
A la soite d'une sorte de demi-eon1meil, danR lequel la
mémoire de la Martyre de Rouen a traversé les siècles,
eette mémoire glorieuse s'est réveillée avec un éclat mer-
1
veilleux dans la tJecc,nde moitié du XIXe siècle, c'est-à-dire
dans le moment où l'intercession de la Pucelle sembla pins
désirable que jamais pour le salut de la France. C'est le
• •
mornent où ont eu lieu' les dérnarches nécessaire& pour
donner à Jeanne la gloire, qui est le couronnement de
tontes les autres, l'auréole de~ saints. Le 8 mai l 869,
à l'occasion de la fête annuelle célébrée à Orléans,
Mirr Dupanloup, et avec lui douze antres évêques, adres-
saient au Souverain Pontife, Pie IX, une supplique ~ l'effet
d'obtenir la canonisation de Jeanne d'Arc. Toue les évêques
de Fra11ce se joignirent à eux pour appuyer cette requête.
Pie IX répondit en invitant l'évêque d'Orléans à faire une
première enquête, qui commenç1~ en 1874, et fut achevée en
1888. I~es conclusions de l'enquête furent proposées à.
Rome, le 27 janvier 1894, devant la Congrégation des
Rites. Le vote de la Congrégation ayant été favorable à
l'introduction de la cause, le Pape Léon XIII signa le
décret ù~ la Congrégation, en ce n1ême jour, et or<loona sa
publication.
I~e 6 janvier 1J04, le successeur de J.,,éon XIII, Sa Sain-
teté Pie X, déclarh solennellement l'héroïcité des vertus de .
Jeanne d'Arc et décréta le procès des guérisons, récemment
-0btenues par l'intercession de la sainte Pucelle. Pie X
rendit, le 13 décembre 1908, le décret qui approuvait
·solennellement les trois tniracles rigoureusement contrôlés.
Enfin, les dernières formalités ecclésiastiques étant rem-
114 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH •

.··plies, le dimanche de Quasimodo, 18 avril 1909, devant la


presque totalité des évêques de France, et un concours de
pèlerins français tel que jamais jusqu'à présent la ville de
Roine n'en avait vu, Jeanne a été solennellement pro--
clamée B-i.enheureuse.
Une belle basilique a été construite en son hoilneur à.
Domrémy, sur la lisière du Bois-Chenu. C'est le rendez-
vons de non1b1·eux :l>~lerinages. La procession solennelle du
8 mai, à Orléan!', s'accomplit cl1aque année avec splendeur;
un orateur, choisi parmi les pl_us éminents de France, célè- '
bre la gloire de la sai11te héroïne a11 milieu d'u11 flCuple.·
i1n1nense, et coutrib11e ainsi à n1ettre de plus en plu$ en
lumière la vie de Jeanne d' ÂTc. JJes ·sculpteurs et les pei11-
tres les plus distingués ont rivalisé de zèle et de talent.
pour représenter, dans. leurs œuvres, les plus nobles atti-
tudes de Jeanne. Des chapelles et des autels lui ont été-
consacrés. On a donné son nom, en bien des lieux, aux rues
et aux places publiques. On a multiplié à l'infini les livres, :
les médailles, les gravures, les objets d'art les plus divers.
qui rappellent son glorieux souvenir. Tout '.!ela est beau,
consolant, capable d'attirer sur nous l'intérêt céleste de la
Bienl1eureuse. Mais cela ne suffit pas! Un paye qui a
.donné naissance à un être incomparable, tel que Jeanne
d'Arc, doit manifester à. la face de l'univers sa légitime
fierté et traduire, 11ar des marques publiques. et officielles,
son amour et sa reconnaissance à l'égard de celle qui s'est
sacrifiée pour lui jusqu'au martyre, Une des formes offi-
cielles les plus désirables de ce culte serait, pour la
France, l'adoption d'unefê/6 nationale de JNJnru <l Arc.
A propos de la fête de Jeanne d'Arc, nous détachons
d'un ancien panégyrique de l'héroïne --par Mgr Bougaud
cette définition du car~tère français qu'elle incarne si
parfaitement. ·
c: Le caractère français se com1l0se de quatre éléments
incomparables. D'abord, à l'origine, une goutt~ ds aang gau-

\
. (

JEANNE D'ARC. 115


loia, je ne saie quoi de gai, de vif, de railleur, ce· qu'on a &i
bien appelé le sel gaulois, l'alouette gauloise. I ..'alonette,
"Vous savez, cet oîseau si léger, qui monte en chantant dans
]a lurnière. Ensuite une gout~ de 1a'!lg romain, c'est la soli-
dité, le bon sens, la droiture, qui caractérisent 11otre magiR-
tratnre. En troisième lieu, une goutte de sang franc; c'est
de là que vient notre é11ée, la francisque, rapide, sûre de
11on coup, invincible, qui est devenue plus tard la baïon-
nette, la véritable arme française. Et enfin le sang ckrét·ien,
le sang dn Calvaire, le sang du sacrifice et du dévonernent,
le sang qui bouillo11ne dans nos veines quand nous voyons
ie droit enchainé, la faiblesse outragée, l'honneur méprisé,
-con1rne le vieux roi franc, notre aïeul, qui, entendant le
récit de la Passion, mettait la main sur son épée et disait :
-« Que n'étais-je là av~c mes Francs ! ,
o: Voilà la Frunce ! et voilà Jeanne ! Je cherche dans nos
annales une figure Jllus française, et je n'en trouve point.
Charlemagne a la gravité romaine, l'élévation chrétienne;
il n'1l pas assez le sel gaulois. Henri IV a le sel gaulois;
<!e 11'est }las cela qui lui n1anque: il n'a pas assez }>eut-être
-Oe sang chrétien. En saint Louis, les éléments se fonde.nt
mieux, rnais tout cela se pp,rd dans une }_ornière si céleste
-qu'on a plus envie de s'agenouiller devant l'habitant du
eiel, qui r touché un inatant notre terre, c1ue de conternpler
~t d'admirer le Français, quoiqu'il le fût jusqu'à la moelle
des os. Jeanne a tout : l'intrépidité, l'élan, !e bo!l sens, la
fine raillerie, la eensibi lité, ]a tendresse, l'enthousiasme; et
avec cela elle est fernrne, elle est vierge, elle a dix-neuf
ans : c'est inco1nparnble ! »
T.~es historiens rationalistes, notan1n1ent Quicl1erat, et les
bistoriens sectaires, nota1nmenL Anatole France, accusent
l'Église d'avoir condamné la Pucelle à Rouen, et ajoutent
que, l'ayant réhabilitée en 1456, l'Église s'est contredite et
déjugée. Aujourd'hui encore, elle se contredirait et se
~éjuger1..it une seconde fois, en élevant la victime de Rouen
116 SAINTS DU OALENDRlER DIOCÉSAIN D'AUOH.

··an rang des Bienheureux. La proposition, qui sert de base


à cette double accusation portée contre l'Église, est absolu-
. ment fausse. Il est établi aujourd'hui, par des documente.
sans réplique, que le Saint-Siège n'est intervenu dans Je
llrocès de la Pucelle ni avant, ni pendant, ni après. C'est.
chose prouvée qu'il fut tenu par If gouvernement anglais.
dans une igno1·ance, totale du procès : il ne fut ni avieé, ni ·
consulté. Le Pape ·r~gnant, Eugène IV, n'en ·fut instruit,
qu'après que .Jeanne eut été brt1lée.
L'Eglise n'a donc ll&s jugé Jeanne à Rouen. Pour le
soutenir, il faudrait prétendre que Caucho11 était 'T Ég~iae. ·
Or, il ne l'était pas plus qu'un 1nagistrat n'est la magistra-
ture, ou qu'un soldat n'est l'armée. ,
Un antre reproche qu'on tait à l'Eglise, c'est celui qùi
rend la procédure inquisitoriale res1lonsable de la condam-
nation de Jeanne d'Arc. Pierre C_auchon a eu, dit-ou, la.
main fo:-cée par les exigences de cette procédure. ·- C"est.
1
le contraire qui est la vérité; et c'est un point que les tra- 1
vaux récents des historiens ont mis en pléine 1un1ière. C'est.
pour n'avoir pas suivi les règ.les dé la procédure inquisito-
riale, pour les avoir outrageusement violées, que le juge de
Jeanne d'Arc a terminé le procès par une sentence de
condamnation. Si le Pape avait i11voqué la cause à so11 tri-
bunal, s'il l'avait déférée à des jugea consciencieux et indé-
pendantH, ces juges aurai~nt conclu' à l'innocence de
Jeanne, et l'auraient mise hors de cause. A Rouen, Pierre
Cauchon ·a jugé et condamné par ordr~, en courtisan des
ennemie de la France, et en esclave de ses propres visées
ambitieuses.
I"'Égliae n'a donc ni jugé ui condamné Jeanne en 1431;
mais elle l'a jugée et réhabilitée en 1456. - Elle l'a jugée
encore, en 1894, quand el~e a introduit la cause de sa.
béatification. Elle l'a jugée, en 1909., quand, après avoir
approuvé les miracles présentés au tribunal de la Congré-
gation des Rites, elle décrétait et célébrait sa béatification.

\
JEANNE D' ARO. Ili
'
- Voilà, dans quelles circonstances, infiniment honorables
pour elle, l'Église a jugé la sainte et glorieuse enfant !

XI. - Une vlatte .à Domrltmy pendant la 1uerre de f814.

Nous ajouterons à la vie de la Bienheureuse ,Jeanne


d'Arc le récit d'une visite à son village natal par un reli-
gieux, transformé en soldat de France, J>endant la dernière
invasion de notre chère patrie.
'
Voici les ea1npagnes de Domrémy ! A droite, des cha1npR
où Jeanne vint sans doute avec son père s'occuper au
labour et à la moi~son. A gaucl1e, les sommets du Bois-
Che11u for1nant une masse sombre, sur laquelle se détache
en blano le fin ~locher de la basilique bâtie en l'honneur
de la Sainte, com1ne un~ épée dressée vers le ciel !
.Voici l'église du village, l'église de Jeanne, basse, domi-
née i>ar une petite tour carrée. A trois pas, sur la gauche,
c'est la maison natale de la Pucelle. Nous entrons émus
dans cette église où elle a tant prié ! Oes faisceaux de dra-
peaux tricolores pavoisent l'autel et les murailles : où
seraient-ils mieux placés que dans ce modeste édifice où a
été méditée, devant Dieu, durant cle longues années,
l'épopée qui devait délivrer la patrie ! J,a lampe du sanc·
tnaire éclaire d'une pâle lueur rougë les voûtes surbaissées.
None somn1es seuls dans l'absolu silence; par intervalles,
le grondement du cano11 vient à. nous par-dessus les som-
mets du Bois-Chenu et les collines de Notre-Dame de
Bermont.
,Je célèbre la sainte 1nease à l'autel de la Bienheureuse.
Une pensée délicate l'a é1·igé dans le transept de droite, à
la place de l'autel de la Sainte Vierge, 011 Jeanne priait
longoerneut tons les jours. La statue de la Pucelle n'est
pas un chef-d'œuvre d'art; elle est mieux que cela : nn
! chef-d'œuvre de piété ! Elle est là, debout, sim1>le et vigou-

reuse comme une fille des champs, vêtue d'une robe de



'

118 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

futaine bleue, la quenouille sous le bras gauche, les mains


jointes, la tête couverte du capulet dé laine, les yeux au
ciel ! C'est Jeanne priant· pendant son travail, prêtant
1

l'oreille aux Voix d'en-haut: c Va, fille de Dieu, va! >Et


l'on cleviüe à son regard, à son profil énergiq1te, la vail-
lance surnaturelle qui va muer la fille de I .. orraine en
rédernptrice du llays. Comme je la 11ens procl1e de nous,
tandis que le canon scande no8 r)rières . latines, que
l'enval1isseur est si: proche, que le sang françaiR ~ou le sur
la ter1·e lorraine, que là tout près, dans l'école des sœurs
sécularisées, transfor1née en hôpital, gémis~ent des ble~eée
français. T~a grande pitié dont IlOLlS souffrons ressemble
tant à la grande pitié qu'elle vit ! Elle pleurait, elle gémis-
sait devant çet autel ~ur les luttes fratricides tlui épui-
sair.nt la nat.ion. Ces luttes, elle les revoit encore aujour-
d'hui, avec les villages enflamn1és et les moissons piétinées.
Par delà les collines de Don)rérny, elle peut voir encore la
fu1née des incendies et les larnentables cortèges de fuyard~
s'évadant des campagnes ! Hier encore,-elle les a revus, les
proscrits de l'invasion; t:ll~ a entendu les gémiseernents des
n1ères, les appels déses1lérés des enfants, la plainte des
vieillards, comrne autrefois, quand ils passaient soue l'hori-
zon du 1>ays. « Va, fille de Dieu, va, la France t'attend ! 1
disaient les Voix ! Et maintenant aussi, c'est ton heure de
venir, de reprendre ton clair étenda·rd, de boute1· hors de
France l'ennemi qui la sonille, de soutenir de tes épaules
la France croulante, de lui rendre, toute son âme et tout
son sol !
~,es cloches ont sonné la messe paroissiale. Comme jadis,
deux cierges sont allumés; un enfant en sabots, blond,
ébouriffé, a, comme jadis, agité la sonnette. On entend
dans la nef des chapelets, qui s'égrènent. Une jeune fille est
à ge11oux, en capulet blanc, la tête dans ses mains, devant
l'autel de Jeanne. On dirait Jeanne elle-même, revenue du'
ciel i>our dire un adieu à son pays natal. Voici la commo-

' .
\•
\

JEANNE D'ARC. 119


nion : one fillette de dix ans s'approche de la Table Sainte
à côté de trois sœnrs en cornette blanche. Elle revient
souriante, lumineuse, les muins jointes, les yeux baissée,
recueillie comme on ange du ciel. Jeanne devait commu ..
nier ainsi, elle qui avait fait de l'Encharistie, centre de la
vie chrétienne, le centre de sa vie.
La messe finie, le curé nous fait visiter l'église. Le por..
che actuel occupe la place de l'ancien chœur. Voici deux
ferrures, encastrées dans la pierre des premières colonnes,
qui soutenaier~t, an tempe de Jeanne, la table de commo..
nion. C'est donc là, sur ces dalles, qu'elle se mit à genoux;
que, pour la première fois, elle ouvrit son âme à celui qui
allait y }>réparer l'œovre de notre délivrance. Voici le
bénitier de pierre où elle trempa ses doigts, la cuve de
granit où elle fut baptisée, la statue de sainte Marguerite
devant laquelle elle pria !
Nous sortons. Nous traversons le jardin où la 'foix de
saint Michel fit entendre pour la première fo,is : c Il y a
grande pitié au royau1ue de France ! > J..je jardin a pris sa
parure d'hiver : sous les hauts sapins et les massifs de
houx, les lierres grimpants montrent leurs baies rouges et
noires. C'est là, devant cette maison sans étage, à deux p11e
de l'église, qu'elle .ré11ondait en larmes à saint Michel :
c Je ne suis qu'une pauvre fille; je ne connais ni A ni B;
je ne sais ni faire la guerre, ni monter à cheval >. En
vérité, cette terre est une terre sainte. La maison, au toit
incliné, verdi de mousses. comprend quatre chambres de
plein pied et un grenier. En arrière de la cuisine à la haute
et large cheminée, une chambrette, pavée de dalles, humide
et obscure, ne prenant joui' que par une étroite lucarne
vers l'église. C'est la chambre de Jeanne ! Par la lucarne,
elle pouvait, disait-elle, apercevoir la lampe do sanctuaire.
Dans le mar, un petit réduit d'un mètre carré. Ce fut sans
doute l'humble armoire de Jeanne. Tout est humble, tout
est simple et modeste dans la ·maison natale de celle qui
-.

120 SAINTS DU CALENDBJER DIOOÉSAIN D'AUCH.

devait fai1·e une si grande figure dans. l'histoire de notre


France; tout annonce que les choses terrestres comptère11t.
pour peu dans les entreprises de Dieu ! .
Le pèlerinage est terminé. Nous saluons en l1assant la.
chapelle de Notre-Dame de Bermont, où Jeanne se rendait.
tous les samedis. En gravissant la colline, elle s'arrêtai,.
toujours pour prier dans l'église; les pierres qui la virent.
dorment aujourd'hui sous le gazon.
Il faut s'arrachér de ces lieux où l'âme de la patrie sem-
ble palpiter avec une incomparable ardeur. I. . à-bas, \9er&
l'horizon chargé de nuage, on entend toujours le cl;lnon.
D'elles-mêmes les mains se joignent, et se tendent ve1·e la.
Libératrice. Quand donc 'la verrons-nous à nouveau, son
étendard déployé, faisant résonner les Marches de IJorraine:
d~ son llas victorieux ?


XII. - 11 Geata Johannœ per Vaaconee D1 les 1e1te1 des Gascons
1
sous l'étendard de la Pucelle. 1

On connaît les sanglantes vêpres parisisnnes que les


Bourguignons sonnèrent contre les Armagnacs dans la.
ville de.Paris, le 12 juin 1418, où périrent· 11lus de quatre
mille Gascons et, en particulier, leur chef fameux, Ber-
nard VII, connétable de France, notre onzième comte
d' Ar1naguac et de ~,ezensac, qui ava>t un 1no1nent incarné
la résistance nationale contre les Anglais.
Ceux de nos compatriotes qui ~chappèrent au massacre
se répandirent dans le pays, surtout en Bourgogne, et y
vécurent en routiers, se ·vengeant par des pillages et dea
brigandages, qui répandaient 1a terreur autC?ur d_'eux et.
, les faisaient surnon1mer lea écorcheur• de Cluwùa VII.
« Mais tout cela n'ét,it que jeux d'enfants. Nos Gascons
attendaient l'heure de la: grande et juste revanche. Cette
heure fut longue à venir, mais enfin elle sonna. Dieu eut.
un jour pitié de la grande misère qui était au royaume de

\
'

JEANNE D' ABC. 121


France; il envoya son ange aux marches de la I.. orraine
dire à la vierge de Domrémy : Va, fille de Dieu, va !
c Jehanne vint, et
quand elle parut, elle vit se grou1ler
autour d'elle les vieux débris de l'armée du Connétable et
les recrues nouvelles venues de Gascogne. I~s vieux châ-
teaux, les sombres repaires, les gentilhommières, les fer-
mes, les villes, les bourgs, les villages se vidèrent; tous
ceux qui étaient validefJ ou i,ouvaient encore tenir l'épée,
jeunes et vieux, accoururent. I.. e sang des frères massacrés
et leurs corps restés sans sépulture 1 criaient vengeance :
en un instant la Pucelle fut entourée d' Armagnacs. C'est
parmi eux qu'elle choisit les capitaines de ses compagnies,
car, disait-elle : Il& estaie1it tous soldats fols et advsntureux,
qui ne voulaümt pa~ rester rasibus des muraill6s pour esi•iter
[68 traita, ·mais alla·ifflt jouer de f B8Pé6 en pleins cko,mps.
c Les Anglais, l•oyant ainsi .entourée, l'a1lpelaient par
dérision l'Armagnacaise, et les Chroniques racontent i:tue
la Jlauvre. fille pleurait qnand, du haut de leurs bastilles,
ces canailles d'Anglais lui criaient une injure infâme, e.1 y
ajoutant l'épithète : Arnzagnacaise ::. •
On a cotnpté jusqu'à. quaranle-dsux capitaines gascons,

t Le 30 novem.bre 1437, à. la demande de Bernard d'Armagnac,


comte de Pardiac, file cadet du Connétable, une cérémonie de répa-
ration fut organisée à l'aris. Le corps du Connétable fut exhumé, et
un service funèbl'P. ~nt lieu, à Saint-Martin-des-Champs, en présence
du roi, du dauphin et d'une foule que le Jollrnal' d'tt1i bo1trge,ri1 de
Par-i~ évalue à quatre mille personnes. Et ltJ lende111ai1i, dit Moustre-
let, le cercNeil de pltnn.fJ /Nt 111.ù 1ur un. char, CO'ltrert de JWir, et con-
"'"!Jé à trè1 grande 1ole""nité hor1 de l.a ville et, après, 11te11é à g·rande
ctnnpagni~ de gtitu en. la cmrité (l' ..4 r11la{111tJC.
1 De CARSALADE DU PONT : Je'/uJ'lt/RC d,' Arc et les capitaine1 gal·

cOJM, diecoun prononcé à la réunion pubJique des Sociétés Archéolo-


giques de Montauban et d'Auch, à l'hôtel de ville de Montauban, le
2i mai 1892. - L'auteur de ce remarquable discoure. édité en bro-
chure chez Cooharaux, à Auch, n'est autre que l'éminent évêque de
Perpignan, alors chanoine d'Auch, qui a honoré cet ouvrage de la.
belle lettre approbative qu'on a lue en tête du premier volume.


122 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

commandant des compagnies de cent et deux cents lancea 1


qui prirent part à la brilla11te campag~e libératrice de la
France sous la conduite de Jeanne d'Arc. Il serait trop
long de citer le nom de tous ces braves. Nous nous co11ten-
terons de rappeler leR Jlrincipaux à l'admiration de leurs
corn patriotes.
Voici d'abord La Hire. ~ Jehanne et La Hire, deux
noms désormais inséparabJes. Chaque unnée à Orléans,
quand le 7 mai ramène la fête commémorative de la déli-
vrance de la ville, on voit la bannière de la Pucelle et celle
du chevalier gascon, portées trion1phalement, mêler ~ncore
leurs plis et leurs couleurs comtne autrefois aux 'grands
jours des batailles. :a ( MS1i de Carsalade.)
De son vrai nom, I,a Hire s'appelait Étienne de Vignoles
et portait à, son blason, co1nme armoiries parlantes, trois
gra(lpes de raisin. Le château oll il dlquit, dans la com-
mune de Préchacq ( J,andes ), dominait le confluent du
Lout.z et de l'Adour. Pour sa part d'héritage, il avait retu
un petit bois taillis appelé La Hitte,. ce qui lui }lermit de
llrendre la qualité de seigneur de l~a Hitte, dont un vice
de Jlrononciation a fait La H·ire 1 • Étienne de Vignoles
était déjà e:élèbre quand il vint avec ses deux~ frères,
Renand et Ainador, c deux noms de paladins 1, remarque
M8'' de Carsalade, offrir son épée à la Pucelle. Tout le
n1onde connait la touchante et naïve llrière qu'il récita, à
genoux, sur le champ de bataille, devant la poignée en
~roi x de son épée : Mon Dieu, Jais ar1jourd' hui pour La
Hire r.e que 111, voudrais que La H1:re .fi/'pour toi, si tu étais
La Hire et si La Hire était Dieu. Ce qui est rnoine connu

' D'après la composition des armées à cette époque, la lance com·


prenait plusieurs hommes.
1 « Ainsi se trouvent réd'uites à néant les interprétations fantaisis-

tes que l'on a données du nom de Lahire et dont la moins ingénieuee


n•est pas celle qui le fait dériver du latin ira, colère. » Paul LA
PLAGNE BARRIS, Sceauz gtUoDnl, p. 526.

..
\
JEANNE D'ARC. 123
....
c'est l'admirable trait dont nous empruntons encore le
récit à la brochure de }f 8 r de Carsalade.
c C'était au mois de niai 1431; Jehanne trahie et
condamnée allait mourir à Rouen, et dans cette France
qu'elle avait tant aimée, qu'elle avait. rachetée de son sang,
à laquelle elle avait tout sacrifié, sa famille, son village, ses
vingt ans, nul .ne songeait à elle, nul ne J>ensait à l'arra-
cher des rnains de ses bourreaux, pas n1ême ce roi qu'elle
avait couronné à Reims. Je me trompe, un hon1me, un

seul, gardait à l'héroïne vaincue un souvenir fidèle. Son
sang s'était 1nêlé au sien sur le champ de bataille de
Patay; ils avaient ensernble t'rap1>é de terribles coups, ter-
. rassé des ·1nilliers d'Anglais, délivré plus de cent villes et
. retenu la victoire dans les 1>lis de leur drapeau, longten1ps
sans revers. Cet homrne était I.ja Hire. Il forma le llrojet
fou, insensé,. mais chevaleresque jusqu'au prodige, cl'aller,
avec sa petite troupe de cent lances gasconnes, assiéger la
grande ville de Rouen où se trouvaient réunies toutes les
forces anglaises, de l'e1nporte1· d'assaut, de rnettre tout à
feu et à sang et d'enlever, sur son cheval vainqueur, la
Pucelle libératrice. Il deRcendit la Seine et se fit écraser
presque aux portes de Rouen par des forces 1nille fois
supérieures aux sien11es. Si le succès ne couronna pas un si
généreux efl'ort, il n'en reste pas n1oins vrai <1ue, dans cette
défection et cette lâcheté générales, La Hire fut le seul qui
soutint le vieil honneur de la chevalerie française. •
Après le seigneur de Vignoles, citons celui de Xain-
trailles en Condomois 1, célèbre sous le nom de Jecin Poton,
un des meilleurs capitaines au .xve siècle, co1upagnon fidèle
de Jeanne, de Dunois et d~ I.ja Hire. Pour récompenser ses
é1ni11ents services, Charles "\1'11 le créa maréchal de France.
Il repose dans l'église des cordeliers de Nérac, où il avait
demandé qu'on l'enterrât (1461 ).
Canton de Lavardac (J. . ot·et-Garonne), en latin : .";ancta .i!..'ulalia,
1
en gascon : 8alnte-•.\raille, Saintrailles et Xaintrailles.
..

124- SAINTS DU CAI~ENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.


' Un antre ami de Jeanne e·c de Dunois, c'est ce bon et
brave Thibaut d'Armagnac. Il était né en 1405, dans ce
beau château de Termes, près de Riscle (Gers), qui élève à
cinquante mètres vers le ciel son donjon du x1ve siècle,
domina.ut au loin les. plaines de l'Adour, de I' Ar1·os et du
Boués. Sa famille était une branche cadette de la maison
d' A.r1nagnac-Fe~ensac 1• On aura plaisir à lire ~a naïve et
modeste dépositi~n dans le }lrocès de réhabilitation de la
Pucelle. Nous en donnons la traduction fidèle, d'après Paul
IJa Plagne Barris, Sceaux Gascons, p. 127. .
Nobl8 et prudsnt homm1 Monssigneur Théobald d' Arma- ·
gnac dit de Termes, bailli de Ckartrea, chevalier, ·. âgé de
cinquants ana. ·
é Je n'ai connu Jehanne que quand elle arriva à Orléans
pour faire lever le siège q.ni avait été mis par les Anglais.
J'y étais avec le seigneur comte de Dunois pour la défense
de la ville. Quand nous sûmes que Jehanne approchait, ,le
comte de Dunois, plusieurs antres et moi traversâmes 'la
Loire, allâmes à sa rencontre du côté de Saint-Jehan-le-
Blanc et l'introduisîmes dans la ville. Depuis, je l'ai vue
aux attaques des bastilles de Saint-Loup, des Augustins,
de Saint-Jehan-le-Blanc et du Pont. Elle y fut si v~illante
et se comporta de telle sorte qu'aucun hom1ne de guerre
n'eût pu faire mieux. Sa vaillance, son ardeur, son courage
à supporter les peines et les travaux la rendaie11t l'objet
de l'admiration de tous les capitaines. C'était une bonne
et honnête créature; ses actions étaient plutôt divines
qu'hnmaines. Elle savait reprocher leurs défauts aux sol-
dats .•J'ai entendu déclarer p&r Me ~obert Regnard, profes-
t Les seigneurs de Termes ava "nt pü'!l' armoiries le lion de la
maison comtale de Fezensac, d'où sortent les Armagnac, tel que nous
l'avons vu sur la première1pie1Te de la cathédrale d'Auch, posée par
l'archevêque Amanieu d'Arniagnac, en 1288 (Jer vol., p. 136). Ils ont
toujours conservé ce blason simple, tandis que les comtes d'Arma·
gnac ont écartelé le lion de Fezensac avec le léopard de Rodez, au
début du x1ve siècle.

\
--
JEANNE D'ARC. 12a.
11enr de théologie, de l'ordre des Prêcheurs, qui l'avait bien
:souvent confessée, que c'était une femme de Dieu, que ce
-qu'elle faisait était de Dieu, qu'elle était de bonne âme et
·de bonne conscience.
<e Après la levée du siège, moi et plusieurs autres caJlÎ-
·taines l'accompagnâmes à Beaugency. A la journée de
Patay, ayant su que les Anglais étaient prêts de con1battre,
noue en donnâmes, l.1a Hire et moi, avis à Jehanne :
Frappez hardiment, noue dit-elle, ils ne tiendront paa long-
ttmps. A •cette parole, noue fîmes l'attaque, et tout d'un
coup les Anglais se inirent à fuir. Jehanne avait prédit
-qu'aucun des siens, ou bien peu seraient tuée ce jour-là ou
auraient don1mage. Cette llrédiction se réalisa, car de tons
nos hommes, un seul, un gentilhomme de ma compagnie,
. fut tué. Je l'ai ensuite accompagnée à Troyes et à Reims.
Toue ses faite étaient plutôt divine que humaine; mais, en
dehors de la guerre, c'était une fille simple et innocente;
maie pour conduire les troupes, diriger un combat et
entrainer les hommes, elle valait le capitaine le plue habile
~t le plus expérimenté. >.
A la suite de ces héros, nommons Guillaum1J d'Albret, de
la race c rude et belliqueuse , des sires d'Albret, si connus
par leur dernier rejeton, le roi Henri IV; - di vers reJ>ré-
sentanta de la maison de Montesquiou, une des plus illus-
tres et des plue anciennes de notre province 1, uotarnment
Barthélémy de Jfonteaqu1:ou, douzième seigneur de Marsan,
fondateur de la br·anche actuelle des Montesquiou-Fezen-
sac; - Odon, sire de Verduzan (canton de Valence), d'une
famille remontant au xr 11 siècle:; il échappa an massacre
des Armagnacs de 1418, servit constamment le dauphin

' Voir au premier volume le chapitre de la Déd·itJac~ de l'égli-6r.


métropol·itai·ne d'Auch, pages 148-159.
1 Une branche des Verduzan possédait la seigneurie de Saint-Cricq,

près Auch. Le dernier représentant de cette famille, qui était cha-


noine du p1ieuré de Saint-Orens d'Auch, a donné à l'hôpital de cette
.

126 SAINTS DU CAJ .. ENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

Charles VII, fat tué le 12 février 1428, à la journée des


Harengs, et enterré dans l'intérieur de la cathédrale
d'Orléans; - Jehan d'Orbeaaan, de la famille qui a cons-
truit le château de Saint-Blancard, la plus belle construc-
tion féodale de nos contrées; - Odet et Poto11, de Rivière~
dont la maison a co1n1>té plusieltrs sénéchaux d'Armagnac;
- Arnazul-Guilunn et Poton ou Poncet de Ber,qognan, qui
/

étaient déjà capitaines sous le connétable. d'Armagnac; ils


faisaient ·partie de l'c.1·n1ée envoyée au secours d'Orléans, et,
1néritèrent d'être désignés pour accompagner_ Charles VII
à Reims; - Pierre de Luppé dit Pierron, célèbre par sa
défense de Meaux contre les Anglais; sa famille est 'connue~
par les cartu la ires de Saitite-~[arie d' .\uch, depuis l'an 956;
- Arnaud-Gttillem lle Barbazati, dont la maison possédait
très anciennement des seigneuries dans l' Astarac, le Par- .
diac et le Fezensac; il s'était déjà illustré au tonrnoi de
Montendre ( 19 rnai 1402) contme chef des sept choevaliers
français qui défirent sept chevaliers anglais : ce t'a1n4ux
con1bat en chan11l clos a été célébré, en t>rose et en vers, par
les auteurs du temps; a1>rès une brillante carrière n1ilitaire,
ce capitaine fut tué à la bataille de Bulgnéville près Nancy,
cinq sen1aines après le supplice de Jeanne d'Arc: - Ber-
nard tle Casl.elbajac 1, titulaire de l'une des c1natre baron-
nies de la Bigorre et représentant d'une des plus anciennes
familles féodales, dont deux b1·anchts se sont établies dans
notre pays; - enfin les Bazillac, les Bernède, les Coarraze,
les Corneilkln, les La Palhère, les Lasserrade, les Lescout,
les Pardaillan, etc., etc. En i>résence de cette pléiade de
héros gasconR, qui se distinguèrent si noblement dans
l'épopée de Jeanne d' •.\rc. n'a-t-on pas le droit de s'inspirer
de la i>hrase célèbre de saint Grégoire de '!,ours pour célé-
. '
ville le château de Saint-Cricq (1743). Ce curieux manoir <le la déca-
t.l~nce <le la féodalité (xv1e siècle) appartient encore aux pauvres de
la commune d'Auch.
1 Castelbajac, canton qe Galan (Hautes-Pyrénées).

\
JEANNE D'ARC. 127
brer les exp1oits de nos compatriotes sous l'étendard de la
Pucelle, Geata JokannaJ per Va&cones !
Dans cette glorieuse litanie, on a été probab1ement sur-
pris de ne point trouver le nom des e_ofauts du fameux
Connétable d'Armagnac. Il en avait eu sept : deux garçons
et cinq filles. Parmi celles-ci, deux seulement furent
mariées. L'une, Bonne d'Armagnac, née an château de
Lavardens (Gers) le 19 février 1399, avait épousé Charles
de France, duc <!'Orléans, prisonnier à Azincourt, dont la
vie s'écoula presque tout entière dans la captivité; l'a11tre,
Anne d'Armagnac, était unie an sire d' ...\lhret, Charles Il,
à qui le roi venait de donu~r {1425) le con1té de Gaure et
sa capitale, Fleurance, comme récompense de sa fidélité à
la cause franç3ise. -- I.Je cadet des deux fils, Bwnard
d'Armagnac, apanagé t:o1nte d8 Pardiac, seigneur, de Biran,
Ordan et Peyrusse en Fezensac, avait épousé Eleonore de
Bourbon, comtesse de la Marche,. qui devait lui donner,
entre autres enfants, une sainte fille, la biMikeur61tse Bonne
d'Armagnac, dont 1e procès de canonisation est actuelle-
ment en cour de Rome. Nous trouvons Bernard d' Arma-
gnac, sons le no_m de comte de la Marche, au siège de
Beaugency avec le connétable de Richemond et Jeanne
d'Arc (juin 1429).
Q11ant à Jean IV, fils aîné et successeur du Connétable
dans l'administration des im1nenses domaines que possé-
dait la maison d'Armagnac au xve siècle, il nous paraît
avoir été tout à fait étranger à la grande mission de la
Pucelle. Cependant la Gascogne, jusque dans ses coins les
pins recolés, retentissait alors du nom de la Libératrice. Le
comte d' A1·magnac lui-même s'inclinait devant l'envoyée
de Dieu, et l'histoire a conservé le texte de la lettre qu'il
écrivit à Jeanne d'Arc pour loi soumettre un soi-disant cas
de conscience dans l'aftaire du Grand Schisme d'Occident,
a.lors à peu près éteint, sauf en Gascogne.
Jla tres chiere dame, lui écrit-il, je me recommande kum-
9
\

128 SAINTS DU CALBNDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH •



bllmmt à vtnU, 1t vous aupplie pour Dieu qu6, attendu "la
dii• is-ion qui eii pre8snt eat Ml &inte BgZ.iae univ,,,.aal aur 18
1

fait t:ùs papis, (car il y a trois contmdana du papat : ltun


tù1nsure à Ro-mP, qui 88 fait pppelw Martin quint, auq•l

tous lia ro-is chrutiens ob~ssent; r autre à Panûcole, au
royaume de Vallnu, liquel se fait appelw papi Oli-
m1n t VIII"; le ti.,,-1, on ne sest 011 il dlmeure, 8MèlJfl uu1'-'
ment le cardinal d~ ~int Estienn1 (Jean CarritJr) tt peu tù
gens avec lui, lequel se fait appelw pape Benoit XlllP; ~ ,
premier, qu·i se dit pape Martin, fut esllu à Co-natanee par k
CMUIJntement de IOl4Û8 168 nations des chrestilJna; celui q:NÏ H
fait appeler Climent fut esku. à Paniscole aprèa la mOTt du
pape Benoi'st XIIJe par troi8 dtJ •es cardinaulz; l• tiwa, qui
se nomme pape Benoist XI/lit! à Paniscols, fut ealeu 1#J-1-
terrunt meame par le cardinal de Saint Eatienm); 11nil1'z
. aupplier N ostre &ignw,r Jheauscrit que, par sa mistirieortù
· injinite, nous veuille pa,r vo-us decwrw qui 11t du 'troû,
tùssusdiz vray 'fHl'P', 11 auquel plaira qui on obe.;sse dl ci ml
avant, ou à callui qui 11 dit Benoist, el auqml nou• dwons
croire, si secretement ou par aucune disaimu'lacion, ou publi-
que manifuû, ear nous awons toua preatz tk f airs li vouloir
et pl,ai8ir tù Noatre &igneur Jhumcriat. L1 tout tJ01lr1
co1il.1 d' Ar1nignac.
c Quand elle reçut à Compiègne >, dit M. Valoia 1,
« cette singulière mi88ive, Jeanne d'Arc dut être bien
étonnée. Avait-elle jamais entendu prononcer les noms de
Clément VIII et de Benoit XIV ?· N.ée en 1412, aes plus
vieux souvenirs reruontaient tout au plus au concile de
Constance; elle n'avait entendu parler du Grand Sch11Dle
d'Occident que comme d'une calamité p8ssée. La résistance
de Pieri·e de Luna avait troublé l'Espagne et une partie de
I
' VALOIS (N.), La .Pra•ce et le Grand ScAVm.~ d'Occiderit, t. IV,
Paris, 1902, cité par Ch. SAMARAN, notre éminent compatriote, archi-
viste aux Archives Nationales, dans BOn remarquable ouvrage, LA
M11iMnt tl' .Â'1"1JMlfftOC av XV• riicù, Paria, 1907, p. 58.
1

\
JRANNB D'ARC. 129
la Gascogne, mais sans que le bruit en parvînt peut-être
jusqu'aux marches de Lorraine. En tout cas les Voix de
Jeanne ne l'avaient- jamais entretenue ni de Gille$ Mufioz,
ni de Jean Carrier. Toute à la préparation hâtive de sa
marche sur Paris, l'ressée de monter à cheval et aussi de
·congédier le messager de Jean IV qui, vu d'un mauvais
œil par quelques hommes d'armes présents, risquait,
paraît-il, d'être jeté à la rivière, s'il ne repartait pas im1né-
diateme~t, Jea11ne d'Arc fit à cet homme quelques recon1-
mandatibns verbales, pnie dicta, au moins partiellement, et
signa la réponse suivante :
Jh8ma Maria. Conte lf Armignac, mon trea chiw et bon
-ami:, J ehanne la Pucelle ·vous fait savoir que vostr1 muaage
1sl vtnu par devers moy, lequel m'a dit que faviés mvoyé
par d'fa pour aav&i,. de moy auquel d68 trois papta que
mandez par mt.moir1 vous 'dtvr·iéa croir1. De laquelle ehoae
ns vous puis bonnnnmt faire aavoir au vray pour le pre-
~enl, juaques à ce qt4e je aoye à Paris ou ailleurs à requoy,
car je su,is pour le present trop empesekiée au fait de la
g14erre. Mais quand vous saurez que je seray à Parla,
envoiez ''ng mea&age par devers moy, et je fJOUB fway 1avoir
tout au tJray auquel votts devrez croire et que en aurny 1ceu
par le conseil de mon drO'icturier et souverain attigneur, le
Roy de tout le tnonde, ,e que en aurez à faire, à tout mon
povoir. .t Dift4 vous commans; Dieu so·it garde de vous.
Écrit à Oompi"mgne, ~ X ,,Xb jour lf aoust.
« C'était •, conclut M. Samaran, « habilement se tirer
d'embarras en éludant la question spécieuse, mais que
voulait au juste le comte d'Armagnac ? Sa démarche doit-
elle être regardée comme la preuve d'une confiance naïve
e~ spontanée dans l'inspiration de Jeanne, ou est-ce au
contraire la ruse misérable d~un homme qui, obligé d'aban-
donner Benoît XIV et Clément VIII, vent du moins sau-
ver lee apparences et colorer son changement d'un prétexte
:pieux, en paraissant subordonner sa conduite anx conseils
130 SAINTS DU CALENDRIER DIOCÉSAIN D'AUCH.

de l'humble fille en qui la France espérait alors ? Question


difficile à résoudre, difficile surtout quand il s'agit d'une
de ces àmes complexes du xve siècle dont nous avons tant.
de peine à surprendre les mobiles secrets. •
Quoi qu'il en soit des sentiments intimes du comte
Jean IV vis-à-vis de la Pucelle 1, nous nous plaisons à.
· voir dans la lettr.e qu'il lui a écrite une reconnaissance
manifeste de la sainteté de la Bienheureuse, un témoignage
i11discntable et un écho toujours vivant des sentiments. ,
qu'on avait eu Gascogne pou1· la sainte jeune fille envoyée
par Dieu, inspirée par Dien, en rapports inti1ries e~ per-
manents avec la Divinité qui parlait et agissait par son
• •
entremise.
}lieux éclairés encore que nos pères sur la' rnission dé la.
J,ibératrice, nous aimerons à nous rappeler avee quelle
ardeur ils ont marché auprès d'elle et comment ils ont
suivi ses conseils pour le salut de la France.

ÛRAIBON.
''
DBUs, qui beatam· Joan- 0 Dien, qui avez miracu-
nam virginem ad fidem ac . leusement suscité la bien-
patriam tumdam mirabiliter heureuse J eanoe d' Al'c pour
suacitaali : da, qua!aumua, la défense rle la foi et de la
ejua interuslions., ut Ecc~sia patrie, veui!l~z none accor-
tua, hoatium superatis -inei- der par son intercession que
diil, psrpetua pau fruatur. votre Église triomphe des
Per D. N. J. C..• Amen. embûches de ses ennemis et.
jouisse perpétuellement de
la paix. Par J. C... Ainsi
soit-il. ,
t Voir dans la Jùv1UJ de 'la. Haute-A11·vergne, 1904, pp. 221-225,
l'article de M.. Boudet : La Hat1te-Àu1'ergne et lei ctnnte1 tl'Arma-
gfUJC penda11t le liège tl' 01"léam et la m~11ion de Jea.nne d'Arc.

\
J.-M. BKNAC
V)' A))tK <!K'<KHAf. n'AU'H
PHMV<'T)'r CHtPtTt[M~HTRf't'<'HTA)\

LES SAINTS
~CALM\IMH DH~ESAtN D'AUCH

DEUXIÈME VOLUMt
du 22 Mai au 13 Août

AUCH
!MPRIMERtE COCHARAUX
H'PtUMKUR HE t/A)tCHEV6(HR

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