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LES HEROS DE LA FOI

John Wesley

Le monde pour paroisse

Geoff et Janet Benge

1
Les Iles britanniques

Océan atlantique ECOSSE

Mer du Nord

Mer d’Irlande

IRLANDE
PAYS ANGLETERRE
DE
GALLES
Londres

La Manche

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Note aux lecteurs

Le style narratif de John Wesley: Le monde pour paroisse est dif-


férent de celui des autres biographies de la série Les héros de
la foi, en ce qui concerne la perspective. Normalement, les bio-
graphies sont écrites d’après le point de vue du sujet principal,
ce qui donne aux lecteurs une tranche concentrée de l’histoire,
telle qu’elle est perçue par une seule personne. John Wesley est
écrit à partir d’un angle plus large, englobant les pensées, les
opinions et les actions non seulement de John Wesley, mais
aussi d’autres personnes importantes.
Le XVIIIe siècle fut une période de changements rapides en
Europe et en Amérique, et le mouvement d’évangélisation
dont John Wesley faisait partie n’était pas localisé, ce n’était
pas seulement le travail de quelques personnes.
Avec son frère Charles et George Whitefield, John Wesley
fonda le méthodisme, un mouvement qui a commencé en
Angleterre et s’est développé en même temps en Amérique.
Dans ce livre, la perspective plus large du récit met en valeur
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les nombreuses personnes et les événements importants qui
n’auraient pas été mis en en évidence dans un récit limité à la
perspective de John Wesley.
Sous tous les autres aspects, nous nous attendons à ce que les
lecteurs apprécient le même style familier narratif dans John
Wesley: Le monde pour paroisse, que dans le reste de la série Les
héros de la foi.

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Laissé pour mort!

John Wesley était âgé de cinq ans lorsque son existence a été
profondément modifiée par quelques étincelles sur un toit de
chaume. Jusqu’à ce moment, la vie de John – et celle de ses
six sœurs et deux frères – s’était déroulée dans une atmos-
phère totalement religieuse. Son père, Samuel Wesley, était
recteur de l’église anglicane du village d’Epworth, situé à une
trentaine de kilomètres de Londres. Epworth faisait partie du
district de Fens, qui se composait de marais et de zones basses
régulièrement inondées. La région avait très peu de routes.
La famille Wesley avait enduré de considérables épreuves. Le
Révérend Samuel Wesley, après sa mutation à Epworth, avait
été confronté à l’hostilité des membres de cette petite paroisse
de L’Eglise d’Angleterre qui n’appréciaient pas ses pratiques
sévères. En conséquence, il s’était retrouvé en prison pour un
temps. La mère de John, Susanna Wesley, avait donné nais-
sance à de nombreux enfants, dont plusieurs étaient morts à
la naissance ou en bas âge. Pour aggraver les choses, Susanna
souffrait physiquement à chacune de ses grossesses, ce qui
rendait la vie particulièrement pénible.

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John Wesley – Le monde pour paroisse

Au travers de toutes ces difficultés, Susanna continuait d’élever


et d’enseigner ses enfants, en essayant toujours de les protéger
des réalités de la vie autour d’eux. Ses efforts pédagogiques
étaient largement couronnés de succès, puisque le fils aîné
des Wesley, Samuel, avait obtenu une place à la Westminster
School de Londres pour se préparer à suivre des études uni-
versitaires à Oxford. Quand Samuel quitta Epworth, le jeune
John supposa que sa vie suivrait le même cours que celle de
son frère aîné et que lui aussi, quelques années plus tard, se
rendrait à Londres pour se préparer à l’université.
Le 9 février 1709, bien installés dans la routine familiale,
John et ses sept frères et sœurs encore à la maison étaient
allés se coucher en prévision d’une autre journée d’école et
de corvées. John partageait une chambre dans le grenier, avec
la nourrice et plusieurs des plus jeunes enfants de la famille.
Au milieu de la nuit, il s’éveilla d’un sommeil profond, ouvrit
les yeux et remarqua une lueur autour de lui. Il pensa d’abord
que la lumière provenait d’un lever de soleil particulièrement
brillant, jusqu’à ce qu’il sente la fumée et perçoive un gronde-
ment. Il arracha le rideau qui entourait son lit et vit des couches
inoccupées et des flammes lécher la porte de la chambre. Seul
dans une maison en feu, il lui était manifestement impossible
de s’échapper par la porte et les escaliers. Il chercha rapide-
ment du regard un autre moyen de fuite – la fenêtre!
Malgré le caractère désespéré de la situation, John se sentit
étrangement calme alors qu’il traînait la commode vers la
fenêtre et montait dessus. Deux étages plus bas, il pouvait voir
son père, sa mère et ses frères et sœurs à demi vêtus, grelottant
devant la maison. Il jeta un coup d’œil derrière lui pour voir

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Laissé pour mort!

le grenier envahi par la fumée, alors que les flammes orange


se rapprochaient de plus en plus le long du plancher. John
savait que s’il vivait pour s’en souvenir, il n’oublierait jamais
cette image. Ce qu’il ignorait, c’est que le reste de sa famille
l’avait laissé pour mort et priait pour recommander son esprit
à Dieu.

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Un régime strict

Les parents de John, Samuel Wesley et Susanna Annesley,


s’étaient rencontrés pour la première fois au mariage de la
sœur de Samuel en 1682. Ils se marièrent en 1688, le mois
où le roi William III et la reine Mary montèrent sur le trône
d’Angleterre. Après son mariage avec Susanna, le père de John
gagnait sa vie en travaillant comme prêtre assistant à l’église
St Botolph d’Aldersgate, à Londres. Il complétait ses revenus
en écrivant des brochures religieuses et des poèmes que son
beau-frère publiait pour lui. Ces œuvres portaient des noms
étranges, comme The Grunting of a Hog («Le grognement
d’un cochon»), The Tame Snake in the Box of Bran («Le ser-
pent apprivoisé dans la boîte de son») et A Hat Broke at Cugels
(«Un chapeau cassé à Cugels»). Après avoir servi à l’église St
Botolph, Samuel occupa brièvement des postes dans celles de
Newington Butts, Surrey et South Ormsby.
En 1695 le marquis de Normanby, membre de haut rang de la
noblesse britannique, offrit à Samuel un poste permanent de
prêtre à l’église St Andrews d’Epworth. Le poste était assorti
d’un salaire décent de cent trente livres par an et de l’usufruit
des terres agricoles de l’église, qu’on appelait la glèbe. En
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John Wesley – Le monde pour paroisse

prenant cette nouvelle fonction, Samuel se promit de conti-


nuer à travailler ses écrits religieux. L’une des raisons pour
lesquelles Samuel accepta ce poste de prêtre était la croissance
rapide de sa famille. Dans les sept années qui s’étaient écoulées
depuis son mariage avec Susanna, qui était elle-même la plus
jeune d’une fratrie de vingt-cinq enfants, celle-ci avait donné
naissance à six enfants, dont trois avaient survécu au péril des
maladies infantiles et étaient toujours en vie lorsque leurs
parents s’installèrent à Epworth.
Le plus âgé des enfants ayant survécu était un fils, Samuel. Il
était suivi de deux filles, Emilia et Susanna. Madame Wesley
était enceinte d’un autre enfant, qui naquit peu après l’arrivée
de la famille à Epworth. Les Wesley prénommèrent ce bébé,
une autre fille, Mary.
Bien que le poste de prêtre à Epworth ait été relativement
bien rémunéré, Samuel Wesley n’avait pas le sens des finances.
Malgré tous les efforts de Susanna, la famille n’avait jamais
vraiment assez d’argent pour vivre. La situation était aggravée
par le fait que Susanna donnait naissance à un nouveau bébé
chaque année et qu’elle était souffrante durant ses grossesses.
Selon l’usage dans de telles situations, les Wesley employaient
une cuisinière, une bonne et une nourrice pour s’occuper des
enfants et répondre aux besoins de la famille, ce qui ajoutait un
poids significatif à leur fardeau financier.
La vie à Epworth était terriblement différente de celle que les
Wesley avaient connue à Londres. Samuel et Susanna avaient
été élevés par des pères ayant vécu durant une période par-
ticulièrement mouvementée de l’histoire d’Angleterre. Le
père de Samuel, également nommé Samuel Wesley, et celui
de Susanna, John Annesley, étaient tous deux des dissidents,
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Un régime strict

des gens qui trouvaient à redire aux manières de faire de


l’Eglise d’Angleterre et ont formé leurs propres communautés
en dehors de «l’Eglise établie». Les deux hommes étaient
des partisans d’Olivier Cromwell, qui avait renversé le roi
Charles I et mis en place une communauté parlementaire
dans laquelle ils servaient tous deux en tant que ministres du
culte. Cependant, lorsque la monarchie fut remise au pouvoir
et que le roi Charles II prit le trône, ils furent chassés de leurs
postes.
Toutefois, Samuel et Susanna ne suivirent pas les voies dissi-
dentes de leurs pères. Au lieu de cela, ils retournèrent à l’Eglise
d’Angleterre.
Susanna fut particulièrement affectée par l’installation à
Epworth, car elle venait d’une famille d’intellectuels, menant
une vie animée dans le cœur de Londres. A une époque où
seule une femme sur quatre était capable de signer son nom,
Susanna savait lire et écrire aussi bien en anglais qu’en fran-
çais. Elle aimait débattre de divers points de vue sur la Bible
et la théologie (l’étude de la nature de Dieu et des croyances
religieuses), ainsi que des idées de son philosophe favori, John
Locke. Mais maintenant, Susanna vivait en permanence dans
l’une des régions les plus ennuyeuses et frustes de l’Angleterre.
Néanmoins, elle était déterminée à élever une famille cultivée
et craignant Dieu. De peur qu’ils n’apprennent leurs manières
grossières, elle interdit à ses enfants de se mêler à ceux de la
région.
Ici les hommes tiraient leur subsistance des marécages, ou
marais, comme on les appelait. Ils attrapaient des grenouilles,
des tortues, des poissons et des anguilles pour les consommer
ou les vendre. Malheureusement, le mode de vie local était en
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John Wesley – Le monde pour paroisse

état de siège. Le village d’Epworth était situé sur l’Île d’Ax-


holme, une île minuscule créée par les entrelacs de cinq cours
d’eau, les rivières Idle, Torr, Trent, Ouse et Don, ce qui rendait
difficile de se déplacer autrement que sur un cheval robuste,
dans une barque ou à pied.
Quatre-vingts ans plus tôt, les marais avaient été partiellement
asséchés par un ingénieur néerlandais, afin de transformer la
riche couche de limon formée par les marécages en pâturages
productifs. Cependant, les hommes des marais ne voulaient
pas devenir bergers ou producteurs laitiers, et ils avaient résisté
de toutes les manières possibles. Mais leur combat était perdu
d’avance, et de plus en plus de terres furent cultivées, ce qui
conduisit les habitants à en vouloir à tout étranger traversant
leurs chemins. C’est exactement de cette manière qu’ils consi-
dérèrent les Wesley lorsque la famille arriva et élut domicile
dans le vieux presbytère de bois et de plâtre, la maison où
vivait le pasteur.
En vérité, la population avait manifesté peu de soutien au
pasteur de l’Eglise d’Angleterre que Samuel avait remplacé, et
elle en montra encore moins à ce dernier lorsqu’il commença
à prêcher. Samuel était un prédicateur enflammé. Expert pour
relever les fautes des autres, il était très à cheval sur l’obéissance
aux règles de l’église. Il insista pour que les «pécheurs» de sa
paroisse confessent publiquement leurs péchés et expriment
leurs regrets de manière visible en se tenant pieds nus pendant
des heures sur le sol de pierre de l’église. Les habitants mani-
festèrent leur mécontentement face à ce message en détruisant
les cultures de lin des Wesley qui poussaient dans la glèbe, et
en tentant de tuer le chien de la famille, un mastiff.

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Un régime strict

Samuel et Susanna essayaient de protéger leurs enfants de


cette nouvelle et difficile réalité. Susanna les gouvernait avec
une précision militaire. Elle commençait à apprendre à chacun
d’eux à réciter la prière du Seigneur matin et soir et à mémori-
ser de longs passages de la Bible, parfois des livres entiers, dès
qu’ils savaient parler. Puis chaque enfant apprenait l’alphabet
le jour de son cinquième anniversaire et commençait à lire le
lendemain. Comme la Bible était leur seul manuel, le premier
mot que tous les enfants Wesley apprirent à lire fut «Au»,
suivi par «commencement, Dieu créa le ciel et la terre». La
semaine d’école des enfants durait six jours, du lundi au same-
di de neuf heures du matin à cinq heures de l’après-midi, avec
une pause de deux heures pour le déjeuner. Le dimanche était
le seul jour de congé. A douze ans, Samuel, l’aîné des enfants,
excellait déjà en latin et en grec.
C’est dans ce contexte éducatif strict que John Benjamin
Wesley naquit, le 17 juin 1703. Au cours des huit années qui
s’étaient écoulées depuis que les Wesley avaient emménagé
dans le presbytère d’Epworth, Susanna avait donné naissance
à de nombreux enfants après Marie, mais seuls deux d’entre
eux avaient survécu à la naissance et à la petite enfance –
Mehetabel, qu’on appelait Hetty, et Anne. A sa naissance, John,
le quinzième enfant de Susanna, avait un frère et cinq sœurs
plus âgés que lui. Ses prénoms lui venaient de son grand-père,
le docteur John Annesley, et de son oncle Benjamin Annesley.
Ses parents espéraient qu’il se porterait mieux que ses deux
frères aînés décédés, qui avaient porté le prénom de John
Benjamin avant lui. La naissance de John fut dûment inscrite
dans la Bible familiale, et la vie reprit son cours au presbytère.

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John Wesley – Le monde pour paroisse

A cette époque, le père de John était lourdement endetté et


moins aimé que jamais à Epworth. Lors des élections locales
de l’année précédente, il avait pris position de manière désas-
treuse contre le populaire candidat dissident. En représailles,
l’un de ses paroissiens avait exigé le paiement d’un prêt qu’il
avait accordé à Samuel. Comme celui-ci n’avait pas l’argent
pour rembourser la dette, il fut enfermé dans la Prison des
débiteurs de Lincoln. Susanna tint bon pendant l’empri-
sonnement de son époux. Elle s’efforça de joindre les deux
bouts et attendit que l’archevêque vienne en aide à la famille.
L’archevêque intervint, et après trois mois de prison, Samuel
fut libéré pour revenir à sa paroisse.
Après la naissance de John, d’autres enfants vinrent s’ajouter à
la famille en difficulté financière. Un autre fils naquit en 1706,
mais il mourut accidentellement étouffé alors qu’il dormait
avec sa nourrice. Deux autres bébés suivirent en succession
rapide – Martha, qui n’avait pas tout à fait trois ans de moins
que John, et Charles, qui était plus jeune de quatre ans et
demi. Quand Samuel, le frère de John, partit pour étudier à
la Westminster School de Londres, la maisonnée Wesley fut
heureuse et quelque peu soulagée.
Tout changea par une froide nuit d’hiver de 1709, lorsqu’une
poutre enflammée tomba au pied du lit d’Hetty, qui avait douze
ans. Réveillée en sursaut, Hetty leva les yeux et vit le toit en feu.
Elle sauta de son lit et courut dans la chambre de son père pour
le réveiller. A son tour, Samuel réveilla le reste de la famille.
Tous se levèrent et dévalèrent les escaliers ensemble. La famille
dut attendre en bas des escaliers, car le révérend Wesley avait
laissé la clé de la porte d’entrée à côté de son lit. Il déverrouilla
rapidement la porte, et la famille s’éparpilla dans la cour.
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Un régime strict

Le seul à ne pas s’être précipité vers la porte était John, tou-


jours profondément endormi dans la chambre du grenier,
ignorant que quelque chose n’allait pas. Bien que John par-
tageât cette chambre avec d’autres, il y avait un rideau autour
de son lit, et personne n’avait remarqué qu’il dormait encore
quand la nourrice et les autres enfants étaient sortis de la pièce
en hurlant. Ce n’est que lorsque tout le monde eut quitté la
maison que John s’éveilla finalement. A ce moment, le reste
de la famille avait perdu tout espoir pour lui, et s’agenouillait
pour le recommander au Seigneur.
Heureusement pour John, toutes les personnes sur place
n’avaient pas eu la même idée. Un des voisins qui étaient venus
pour assister au spectacle le repéra à la fenêtre et cria. Les
Wesley levèrent les yeux et virent John. Frénétiquement tout le
monde se mit à l’œuvre pour le sauver. Comme aucune échelle
n’était disponible à proximité, plusieurs hommes se tinrent sur
les épaules les uns des autres jusqu’à être assez hauts pour pou-
voir atteindre la fenêtre. L’homme au sommet de cette échelle
humaine rejeta les volets de côté, attrapa John par le cou et le
tira violemment à l’extérieur par la fenêtre. Quelques instants
plus tard John se retrouva en bas, faisant maintenant partie en
toute sécurité de la scène qu’il avait regardée d’en haut.
La mère de John serra son fils dans ses bras, et son père secoua
la tête avec émerveillement. «Cet enfant est un tison arraché
au feu!» s’exclama-t-il, «Rendons grâce à Dieu! Il m’a donné
mes huit enfants. Que la maison disparaisse, je suis assez
riche».
Alors que la famille Wesley regardait sa maison brûler, le
Révérend conclut que quelqu’un l’avait délibérément incen-
diée. Le feu avait commencé au beau milieu de la nuit et dans
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John Wesley – Le monde pour paroisse

le toit de chaume, ce qui n’était pas la manière habituelle dont


les incendies domestiques démarraient.
Le feu se consuma jusqu’à l’aube et, à ce moment-là, tout avait
été détruit dans la maison. Le manuscrit du commentaire de
Samuel Wesley sur le livre de Job, qui était prêt pour l’impres-
sion, sa bibliothèque d’ouvrages latins et grecs, un ensemble
de documents précieux du Docteur John Annesley, tous les
vêtements et la nourriture de la famille ainsi que l’argent de la
dernière récolte de lin.
Le soulagement d’avoir survécu à l’incendie céda bientôt la
place à la réalité de la nouvelle situation. La famille Wesley –
un pasteur, son épouse enceinte de huit mois et huit enfants
âgés d’un peu plus d’un an à dix-sept ans – était sans abri et
sans ressources.
La situation était désespérée et Samuel Wesley ne voyait
aucun moyen pour que sa famille reste réunie, du moins
dans un avenir proche. Lui et Susanna se mirent à répartir
leurs enfants entre les membres de la famille, les amis et les
paroissiens qui étaient prêts à les accueillir. Deux des filles,
Susanna et Hetty, furent envoyées à Londres chez leur oncle
Matthew Wesley, tandis que John et d’autres se virent confiés
à des familles locales. On avait besoin d’Emilia, la fille aînée,
pour préparer l’arrivée du nouveau bébé. Samuel et Susanna,
Emilia et le petit Charles s’installèrent donc dans une maison
à proximité. Dans les vingt-quatre heures après l’incendie, la
famille Wesley s’était dispersée, et le petit John fut laissé seul
dans une famille à qui sa mère lui avait interdit, à peine un jour
plus tôt, de simplement adresser la parole. Il put à peine croire
au laxisme de la vie que menait cette famille.

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Réformer la famille

John fut d’abord choqué par ce que les fils de sa famille adop-
tive étaient autorisés à faire. C’était incroyable pour lui. Les
garçons couraient comme bon leur semblait dedans comme
dehors, se battaient dans la cour, mangeaient des collations
entre les repas et s’appelaient par leurs prénoms, sans utiliser
d’abord le terme frère. Mais avec le temps, John s’habitua à sa
nouvelle vie. Il chassait des grenouilles et des anguilles dans le
marais et rendait visite à ses nouveaux amis chez eux à n’im-
porte quelle heure du jour ou de la nuit.
Le seul moment où la famille de John – moins Susanna et Hetty
qui se trouvaient à Londres – était réunie était le dimanche
matin à l’église. Pendant le service, les enfants Wesley devaient
s’asseoir sur le premier banc, sous le regard sévère de leur père.
Leur mère assistait aussi aux services, mais laissait le dernier
ajout à la famille, bébé Kezziah, à la maison avec Emilia.
Kezziah portait le prénom de l’une des filles de Job, un
homme de l’Ancien Testament qui a subi toutes sortes de ter-
ribles épreuves. Sans nul doute, Samuel et Susanna ont estimé
que le prénom était adapté à la situation dans laquelle ils se
trouvaient eux-mêmes.
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John Wesley – Le monde pour paroisse

On construisit un nouveau presbytère, en utilisant des briques


afin qu’il ne se consume pas aussi facilement. Chaque jour,
John observait les progrès effectués sur la maison de rempla-
cement de la famille. Il lui était difficile d’imaginer sa famille
entière vivant à nouveau heureuse sous un même toit. La vie
qu’ils avaient vécue dans le vieux presbytère lui paraissait si
lointaine, maintenant...
Finalement, une année après l’incendie, les travaux sur le nou-
veau presbytère furent terminés et la famille Wesley fut réunie.
Samuel et Susanna, le nouveau bébé Kezziah et le petit Charles
âgé de deux ans emménagèrent en premier. Samuel et Susanna
allèrent ensuite chercher leurs autres enfants dans les familles
chez qui ils avaient séjourné dans le marais, et finalement
Susanna et Hetty revinrent de Londres, fourmillant d’idées
pour devenir gouvernantes.
Susanna Wesley fut consternée quand elle réalisa l’étendue de
l’influence que les autres avaient eue sur ses enfants. Ceux-
ci couraient à leur guise, criaient dans la maison, récitaient
des comptines grossières et parlaient avec l’accent épais des
habitants du marais, un accent que leur mère décrivait comme
«clownesque». Une réforme du caractère de ses enfants était
nécessaire, et Susanna était la bonne personne pour le faire. A
sa manière méthodique, elle établit une liste de règles par les-
quelles leur conduite serait mesurée. Les contrevenants à ces
nouvelles règles seraient punis pour avertir le reste des enfants
qu’ils devaient rentrer dans le rang.
Les règles incluaient aussi bien des récompenses pour les
comportements positifs que des punitions pour les actions
négatives. Si l’un des enfants était coupable d’une faute et
la confessait avant d’être pris, il ou elle n’était pas puni. De
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Réformer la famille

même, aussi longtemps que l’enfant s’efforcerait de faire ce qui


est bien, il serait encouragé et guidé pour y parvenir. En revan-
che, si l’un d’entre eux était surpris dans une action coupable,
comme mentir, déshonorer le Jour du Seigneur, désobéir ou se
disputer, il recevrait la baguette en châtiment.
De plus, si quelqu’un promettait de donner quelque chose à
une autre personne, l’objet devenait définitivement la proprié-
té de cette personne. En aucune circonstance celui qui l’avait
donné n’avait le droit de réclamer qu’on le lui rende. Une autre
règle était qu’aucune fille ne se voyait confier de tâches ména-
gères avant de savoir bien lire.
D’autres changements furent également instaurés dans la
famille. Les enfants apprirent à chanter des psaumes et louaient
quatre fois par jour. Ils étaient appariés en permanence, le plus
âgé avec le plus jeune, le second avec l’avant-dernier, etc. John
et Hetty devinrent une paire, et Hetty lisait à John un chapitre
du Nouveau Testament et un Psaume avant le début de chaque
journée d’école, et un chapitre de l’Ancien Testament ainsi
qu’un autre psaume à la fin de la classe.
Susanna décida bientôt que d’autres mesures étaient néces-
saires pour ramener ses enfants rebelles dans le rang. Chaque
soir de la semaine, elle commença à prendre un de ses enfants
à part, pour l’interroger sur ses progrès spirituels et répondre
à toute question qu’il pourrait avoir au sujet de la Bible ou de
la théologie. Pour cette attention individuelle, la soirée de John
était celle du jeudi. Celui-ci posait plus de questions que tous
les autres enfants. Sa mère remarqua sa façon logique de voir
les choses, et répondit aux préoccupations de son fils de sept
ans avec dignité et respect.

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John Wesley – Le monde pour paroisse

Finalement, les règles et la force de caractère de Susanna per-


mirent à la famille de retrouver un sentiment d’unité, mais les
enfants ne furent jamais plus autant isolés de la vie de la com-
munauté qui les entourait qu’ils l’avaient été avant l’incendie.
Du fait d’avoir été dispersés dans tant de familles différentes,
ils avaient tous été exposés à d’autres manières de vivre et ils
s’opposèrent parfois à celles qu’ils furent forcés de repren-
dre. Des années après, dans une lettre qu’elle écrivit à John,
Susanna parla des effets de l’incendie sur sa famille.

Pendant quelques années tout se passa très bien. On


n’avait jamais vu d’enfants aussi disciplinés, on n’avait
jamais vu d’enfants mieux disposés à la piété ou plus
soumis à leurs parents, jusqu’à cette fatale dispersion
dans plusieurs familles, après l’incendie.

Deux ans après la réunification de la famille, Samuel Wesley


partit pour un séjour prolongé à Londres. Il avait été choisi
pour représenter le district de son église à une convocation
(une grande assemblée formelle des responsables anglicans).
Ce que Samuel ne pouvait savoir en partant, c’était que
pendant son absence, son épouse allait elle-même tenir une
convocation à Epworth – une situation qui allait sérieusement
mettre à l’épreuve ses idées sur le rôle des femmes dans la
direction des églises.
Au moment du départ pour Londres du Révérend Wesley, au
Nouvel An 1712, environ vingt-cinq paroissiens pouvaient
être poussés ou persuadés de venir à l’église chaque dimanche.
Cependant, quand Samuel revint plus tard, deux à trois cents

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Réformer la famille

personnes assistaient délibérément au service, cela grâce aux


efforts de Susanna.
Toute l’affaire commença lorsqu’Emilia remarqua un livre
qui avait été donné à son père pour l’aider à regarnir sa
bibliothèque après l’incendie. Ce livre relatait l’histoire de
deux Danois, Ziegenbalg et Pluteshau, qui avaient répondu
à une demande urgente de missionnaires émise par le roi du
Danemark. En septembre 1706, ces deux hommes arrivèrent
à Tranquebar, sur la côte sud-ouest de l’Inde, devenant ainsi
les premiers missionnaires protestants (non catholiques) de
ce pays. Ils commencèrent à prêcher l’Evangile, et baptisèrent
leurs premiers convertis environ dix mois après leur arrivée à
Tranquebar. Mais les hindous et les autorités locales danoises
s’opposèrent à leur travail et en 1707-1708, Ziegenbalg passa
quatre mois en prison, accusé d’encourager la rébellion en
convertissant les habitants au christianisme.
Emilia fut si intriguée par l’histoire des deux hommes et par
la sélection de leurs puissants sermons que contenait le livre
qu’elle commença à en faire la lecture à sa mère. Bientôt la
famille entière voulut écouter, et Susanna se mit à en lire des
passages à haute voix après la prière de l’après-midi des enfants
et le moment de lecture de la Bible.
L’histoire dramatique de ces deux missionnaires attira même
l’attention du personnel de la maison et, dans les deux semai-
nes qui suivirent le départ de Samuel Wesley pour Londres, on
s’était passé le mot sur le livre autour d’Epworth et à travers
le marais. Bientôt les voisins commencèrent à demander si et
quand Mme Wesley pourrait en faire des lectures publiques.
D’ordinaire Susanna aurait éludé une telle suggestion, mais
elle fut aiguillonnée par la conduite du révérend Inman, le
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John Wesley – Le monde pour paroisse

pasteur que l’archevêque avait envoyé à Epworth pour rempla-


cer Samuel Wesley pendant son absence. Comme beaucoup
d’autres avant lui, Monsieur Inman utilisait la chaire comme
moyen de transmettre ses bêtes noires, dont la principale était
l’impiété de l’endettement. Semaine après semaine, il bombar-
dait la famille Wesley ainsi que d’autres visiteurs occasionnels
de l’église avec des menaces de colère divine s’abattant sur
tous ceux qui ne payaient pas leurs factures. En dehors du fait
qu’il était très ennuyeux d’entendre encore et encore le même
sermon, le thème enrageait Susanna Wesley. Tout le monde au
village savait que son mari avait été incarcéré pour un temps
dans la Prison des débiteurs et qu’il luttait encore pour être
financièrement solvable, en particulier depuis que la famille
avait tout perdu dans l’incendie. Elle était sûre que l’intention
de Monsieur Inman était de remuer le couteau dans la plaie.
Susanna mit en contraste les sermons répétitifs et monotones
du révérend Inman avec les récits animés des deux mission-
naires danois et décida en faveur de ces derniers. Elle ouvrit
le presbytère à des réunions publiques, qui se tinrent dans
la cuisine le dimanche après-midi. En un mois, deux cents
personnes y assistaient. Autant de personnes que possible
s’entassaient dans la cuisine et le surplus se répandait dans le
couloir tandis que d’autres restaient dehors et écoutaient par
la fenêtre ouverte.
Bien sûr, Monsieur Inman prit au sérieux ces rassemblements
non autorisés, en particulier parce qu’ils étaient bien plus
populaires que ses propres réunions d’église. Il écrivit une lettre
de plainte à Samuel Wesley, en soulignant l’évidence. Susanna
pouvait avoir des ennuis avec la justice, car ses réunions
n’étaient pas enregistrées auprès de l’Etat comme réunions de
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Réformer la famille

Dissidents et n’étaient pas non plus approuvées pas l’Eglise


d’Angleterre. En résumé, Susanna Wesley, la femme d’un pas-
teur anglican, tenait des réunions illégales.
Samuel écrivit une lettre énergique à son épouse, dans laquelle
il souligna qu’il n’était pas normal de tenir ce genre de réu-
nions, en particulier dans un presbytère d’église et sous la
conduite d’une femme. Il suggéra que Susanna demande à un
homme de faire la lecture à sa place. Cette suggestion ne plut
pas à Susanna qui, en tant qu’égale intellectuelle et spirituelle
de son mari, refusa de faire marche arrière. En réponse, elle
écrivit:

Que cela semble particulier, je te l’accorde. Il en va


ainsi de tout ce qui est sérieux ou peut faire avancer la
gloire de Dieu et le salut si ce n’est pas fait depuis une
chaire ou par le biais d’une conversation ordinaire,
car dans notre siècle corrompu, le plus grand soin et la
plus grande diligence doivent être utilisés pour bannir
de notre société tout discours de Dieu et toute préoccu-
pation spirituelle...
Comme je suis une femme, je suis aussi la maîtresse
d’une grande famille, et bien que la charge supérieure
des âmes qu’elle contient te revienne, en tant que leur
pasteur, je ne peux cependant considérer autrement
que comme un talent qui m’aurait été confié toute âme
que tu as laissée à mes soins pendant ton absence.

Le courrier était distribué une fois par semaine à Epworth et


Susanna saisit cette occasion pour débattre avec son mari par
courrier. Samuel suggérait que les réunions cessent, alors que
25
John Wesley – Le monde pour paroisse

Susanna faisait valoir que ces rencontres faisaient beaucoup de


bien à la communauté.

Notre réunion a merveilleusement apaisé l’état d’es-


prit de ces gens à notre égard, de sorte que nous vivons
maintenant dans la plus grande amitié imaginable...
Certaines familles qui allaient rarement à l’église s’y
rendent maintenant constamment et une personne qui
n’y avait pas été pendant sept années a été persuadée
de se joindre aux autres.

Elle finit sa lettre par ces mots:

Si tu penses, après tout, qu’il est adapté de dissoudre


cette assemblée, ne me dis plus que tu désires que je le
fasse, car cela ne satisfera pas ma conscience. Envoie-
moi plutôt un ordre formel, dans des termes assez com-
plets et explicites pour décharger mon âme de toute
culpabilité et punition pour avoir négligé de faire du
bien aux âmes, lorsque nous comparaîtrons tous deux
devant le grand et terrible tribunal de notre Seigneur
Jésus-Christ.

Samuel n’interdit pas à son épouse de continuer les réunions,


même si celles-ci furent réduites lorsque la variole frappa le
village d’Epworth. John et quatre de ses sœurs furent touchés
par la maladie, mais avec les soins rigoureux de Susanna, tous
se rétablirent complètement.
Quand Samuel revint de Londres, les réunions furent dissoutes
en faveur de services religieux, mais les bénéfices perdurè-
26
Réformer la famille

rent. La fréquentation de l’église continua d’augmenter et les


Wesley vivaient en paix avec leurs voisins. John, qui était l’un
des plus fervents défenseurs de sa mère, prit note des effets
positifs de la «société» qui avait éclos dans la cuisine du pres-
bytère et il ne fait aucun doute que l’expérience joua un rôle
dans la direction de son avenir.
En 1714 le temps de suivre les traces de son frère Samuel et
d’aller à l’école arriva pour John Wesley, alors âgé de onze ans.
Lors d’un de ses voyages à Londres, le révérend Wesley s’était
arrangé pour que le duc de Buckingham finance la scolarité de
John à Charterhouse, dans la capitale.
Les sœurs de John, cependant, n’avaient pas été envoyées
à l’école, car il n’y avait que très peu de pensionnats pour
les filles. Ceci signifiait que les deux filles aînées, Emilia et
Susanna, qui étaient alors âgées respectivement de vingt-deux
et dix-neuf ans, n’avaient d’autres perspectives que celles de se
marier ou d’être gouvernantes. Dans le même temps que celui
où John était équipé d’un vêtement de drap noir, de pantalons
au genou et de bottes, Susanna faisait son possible pour trou-
ver un moyen de fournir à ses deux filles aînées suffisamment
de vêtements adaptés pour quitter le presbytère à la recherche
de places de gouvernante. John n’avait pas conscience de l’en-
vie suscitée chez ses sœurs par les opportunités qui s’ouvraient
à lui. Jamais encore il ne s’était éloigné de plus de huit kilomè-
tres d’Epworth et l’idée de se rendre seul à Londres le fascinait
et le terrifiait en même temps.

27
28
4
Un étudiant appliqué

John arriva à l’école Charterhouse de Londres avec une toute


petite idée de ce qui l’attendait. Il découvrit rapidement qu’il
existait un ordre hiérarchique parmi les étudiants, dans lequel
les plus jeunes des nouveaux arrivants se situaient à l’échelon
le plus bas. Ainsi John dut passer des heures à faire des courses
pour les garçons plus âgés, à nettoyer leurs chaussures et à les
laisser prendre de la nourriture dans son assiette au réfectoire.
Il se rendit vite compte que c’était la façon dont les choses se
passaient dans les pensionnats anglais et il savait que s’il endu-
rait cela, il avancerait dans la hiérarchie et serait en mesure
d’exiger la même chose d’un nouveau lot de recrues.
Au début son foyer lui manqua et John lutta avec la nostalgie
de la vie stricte qu’il avait laissée derrière lui à Epworth. Sa vie
entière s’était déroulée sous la conduite spirituelle directe de
sa mère et, dans une moindre mesure, sous celle de son père.
Maintenant cette direction lui manquait. Pour la première fois
depuis l’incendie qui avait dévasté le presbytère, John était
libre de penser comme il voulait et de faire des choses sans que
personne ne l’interroge sur ses motivations. En conséquence,
il se sentit bientôt dévier de l’idéal qu’il s’était fixé. Il décida
29
John Wesley – Le monde pour paroisse

d’écrire la liste de ce qu’il pensait devoir faire pour être en


règle avec Dieu. Les trois points de cette liste étaient (1) «ne
pas être aussi méchant que les autres»; (2) «avoir toujours
une bienveillance pour la religion»; et (3) «lire la Bible, aller
à l’église et réciter mes prières». Ces règles que John s’efforçait
d’observer ont probablement paru très pieuses à la plupart de
ses camarades, mais pour un Wesley, elles représentaient le
strict minimum d’un comportement acceptable.
John apprécia sa première année à Charterhouse. Les cours
ne présentaient pas de difficultés particulières pour lui, malgré
le fait qu’il était tenu de parler latin toute la journée et devait
apprendre le grec et l’hébreu. Comme il lui coûtait trop cher
de revenir à Epworth de manière régulière, John passait sou-
vent des vacances et week-ends à Londres chez son frère aîné
Samuel et sa jeune épouse Ursula, ou avec des parents des
familles Wesley et Annesley.
En 1715 Charles, le frère cadet de John, le rejoignit à Londres.
Il fréquentait l’école de Westminster, où son père lui avait
obtenu une bourse. Lors d’occasions spéciales les trois frères
Wesley se réunissaient, ce que John attendait toujours avec
impatience.
Pendant ce temps à Epworth, les habitants du presbytère
vécurent des événements mystérieux juste avant Noël 1716.
La femme de chambre jurait qu’elle avait entendu d’étranges
bruits de coups provenant de l’intérieur des murs du pres-
bytère. La femme était tellement effrayée par les bruits que
Susanna consulta un voisin pour savoir ce que cela pouvait
être.
«Ah, ce doit être des rats», lui dit le voisin. «J’ai eu des rats
dans les murs de ma maison qui faisaient un bruit semblable.
30
Un étudiant appliqué

Mais j’ai réglé le problème. J’ai fait sonner ma trompette dans


la maison aussi fort que je le pouvais et ils se sont tous sauvés
pour ne jamais revenir.» Puis Emilia déclara avoir entendu
des gémissements inexpliqués, suivis par un bruit de verre
brisé dans la cuisine. Terrifiée, elle courut vers sa mère qui alla
vérifier. Dans la cuisine, Susanna ne trouva rien de cassé ou de
déplacé. Mais ce n’était pas la fin. Peu après, le majordome affir-
ma qu’il avait entendu des glissements dans les escaliers et de
grands coups venant de l’intérieur des murs et des plafonds et
de sous les planchers. Il ne semblait y avoir aucune explication
logique aux bruits que les habitants de la maison entendaient,
et tous parvinrent à la conclusion que le presbytère était hanté.
Même Susanna Wesley se rallia finalement à cette conclusion,
et tous se mirent à appeler le fantôme Vieux Jeffrey, d’après un
homme du village qui s’était donné la mort.
Alors que tout le monde au presbytère tenait la maison pour
hantée, Samuel Wesley refusait d’accepter pareille conclusion.
Il soutenait qu’il devait y avoir une explication logique qu’ils
n’avaient pas encore trouvée. Cependant même Samuel chan-
gea d’avis lorsque lui aussi se mit à entendre des bruits étran-
ges émanant des murs du presbytère.
John entendit parler des événements étranges au presbytère
dans une lettre qu’il reçut de sa sœur Anne. Il fut d’abord
amusé par ce qu’il lisait, mais à mesure que les lettres conti-
nuaient d’arriver d’Epworth, lui donnant davantage de détails
sur l’étrange fantôme, sa fascination pour ce qui se passait aug-
menta. Il écrivit chez lui en insistant pour avoir plus de détails.
Sa mère lui répondit: «Je ne peux imaginer ce qui te rend si
curieux au sujet de notre hôte indésirable. Pour ma part, je suis
plutôt fatiguée d’en entendre parler ou d’en parler moi-même.
31
John Wesley – Le monde pour paroisse

Cependant, si tu viens parmi nous, tu trouveras de quoi satis-


faire tous tes doutes, et peut-être pourras-tu l’entendre ou le
voir toi-même.» Quand les frères Wesley se réunirent la fois
d’après, ils passèrent des heures à discuter des événements
qui se déroulaient au presbytère d’Epworth et dont ils avaient
entendu parler dans les lettres qu’ils recevaient de chez eux.
Il fut d’abord difficile à John d’accepter que sa famille se soit
mise à croire aux fantômes, en particulier parce qu’il savait que
sa mère et son père auraient normalement considéré une telle
croyance comme l’invention d’un esprit ralenti et indiscipliné.
Mais comme leurs parents croyaient leur maison réellement
hantée, les trois frères conclurent qu’en effet, ce devait être
vrai.
Trois mois après que le Vieux Jeffrey a été mentionné pour
la première fois, des nouvelles arrivèrent selon lesquelles les
événements étranges avaient pris fin et que la situation au
presbytère était revenue à la normale. Cette information fut
un soulagement pour John, qui put à nouveau pleinement
se concentrer sur ses études. Cependant il n’oublia jamais
l’incident qui l’avait conduit à croire que des forces surnatu-
relles étaient à l’œuvre dans le monde. Rien qui fût de loin
aussi intéressant ne se produisit durant le reste du temps que
John passa à l’école de Charterhouse. A la fin de sa scolarité,
il y avait fait de si brillantes études que celle-ci lui offrit une
bourse de vingt livres pour la poursuite de ses études. John se
présenta à l’université de Christ Church à Oxford. L’université
accepta sa candidature et compléta le montant de la bourse de
Charterhouse, lui permettant ainsi de continuer ses études.
Le 14 juin 1720, suivant les traces de son frère aîné, John entra
à Christ Church, la plus prestigieuse université d’Oxford.
32
Un étudiant appliqué

Trois jours après, il eut dix-sept ans. Il trouva le cursus en


logique, rhétorique, politique et morale intéressant et facile à
réussir. Il avait aussi l’entière responsabilité de ses activités de
loisir et ne tarda pas à remplir ses journées avec du canotage,
des parties d’échec, des jeux de cartes, de la danse, du théâtre,
du tennis et du billard. Alors qu’il se livrait à ces activités, ses
idées sur la foi et pour servir Dieu s’éloignèrent davantage de
sa vie quotidienne. A la lumière de ces nouveaux passe-temps,
les simples normes que John s’était fixées pour lui-même à
l’école de Charterhouse paraissaient plus difficiles à maintenir
que jamais. En dehors du service de Communion qui avait
lieu deux fois par an et où il était obligé d’examiner son état de
péché, il pensait rarement à sa condition spirituelle.
John surveillait ses dépenses d’aussi près que possible, mais il
se retrouvait souvent dans l’embarrassante situation d’avoir à
demander des prêts à ses amis ou à ses tuteurs. Comme son
père avant lui, John vit ses dettes commencer à s’accroître.
Pendant ce temps, les choses n’allaient pas bien au rectorat
d’Epworth, en particulier pour les sœurs aînées de John.
Elles étaient toutes bien éduquées et parlaient latin et grec,
mais la famille vivait dans une des régions les plus arriérées
d’Angleterre. Du fait que leur père était un si piètre gestion-
naire financier, les sœurs Wesley n’avaient pas assez de beaux
vêtements ou d’expériences de vie pour se présenter comme
de beaux partis dans la classe de société pour laquelle elles
avaient été préparées. Emilia pu trouver un travail d’ensei-
gnante dans un pensionnat de Lincoln, mais sa sœur cadette
Susanna opta pour une solution plus difficile. Alors qu’elle
demeurait avec son oncle à Londres, elle rencontra et épousa
un fermier nommé Richard Ellison, sans la permission de
33
John Wesley – Le monde pour paroisse

ses parents. Quand Samuel et Susanna Wesley rencontrèrent


Richard Ellison, ils furent consternés par sa conduite grossière
et horrifiés d’apprendre qu’il était un mari abusif. La mère de
John le décrivit comme «un peu inférieur aux anges apostats
de la méchanceté». Les nouvelles du mariage de sa sœur avec
un homme comme Richard Ellison attristèrent John alors qu’il
continuait ses études à Oxford.
Un jour de l’été 1723, John alla se promener seul à la campa-
gne. Quand il s’arrêta pour se reposer à côté d’un ruisseau, il
remarqua que son nez avait commencé à saigner. Au début, il
ne s’en alarma pas. Cependant comme les minutes passaient et
qu’il ne pouvait faire cesser le saignement, il commença à avoir
peur de saigner à mort. En désespoir de cause, il sauta finale-
ment dans l’eau froide du ruisseau. Le choc soudain sembla
endiguer le flux de sang et c’est un John trempé et grelottant
qui rentra à la maison. En marchant avec peine, il se promit de
faire plus attention à sa santé et à son bien-être.
Dans la bibliothèque d’Oxford, John commença à chercher les
dernières informations disponibles sur la manière de mener
une vie saine. Un livre attira son attention. Le livre s’intitulait
Dr Cheyne’s Book of Health and Long Life («Le livre du Dr
Cheyne pour une bonne santé et une longue vie», traduction
libre) et John le lut d’un bout à l’autre. Contrairement aux
nombreuses théories du moment qui prônaient les saignées et
l’usage de purgatifs comme remèdes à la maladie, l’approche
du Dr Cheyne était plus préventive. Le Dr Cheyne exhor-
tait ses lecteurs à prendre le contrôle de leur propre santé en
consommant des quantités modérées de nourriture et de bois-
son et en faisant régulièrement de l’exercice. John fit la liste des
aliments que le Dr Cheyne considérait comme mauvais pour
34
Un étudiant appliqué

la santé, y compris tout ce qui est salé ou excessivement épicé,


ainsi que le porc, le poisson et le bétail élevé en stabulation. Le
docteur conseillait de boire un litre d’eau et de consommer un
total de deux cent cinquante grammes de viande et cinq cents
grammes de légumes par jour. Au sujet de l’exercice, le Dr
Cheyne en recommandait beaucoup. Il était particulièrement
impressionné par l’équitation, qui «favorisait une transpira-
tion universelle», et déclarait que tout le monde devrait être
au lit à huit heures du soir et se lever à quatre heures du matin.
John fit de son mieux pour suivre les conseils du livre, et ne
tarda pas à remarquer une amélioration de sa santé.
Peu après son vingt-et-unième anniversaire, le 17 juin 1724,
John reçut une surprise agréable. Son frère Samuel lui écrivit
pour lui dire que leur mère venait à Londres afin d’accueillir
son frère qui revenait d’Inde. Comme elle ne s’était pas ren-
due à Londres depuis bien longtemps avant qu’il soit né, John
fut surpris de voir que sa mère avait décidé d’entreprendre ce
pénible voyage. Il était quand même ravi de penser que l’évé-
nement pourrait marquer un revirement de fortune pour la
famille Wesley. L’oncle Samuel Annesley était un négociant de
premier plan avec l’East India Company qui avait fait fortune
en Inde. Il avait écrit à Susanna en promettant qu’à son retour
en Angleterre, il lui donnerait l’énorme somme de mille livres
afin de sortir les Wesley de l’endettement et de leur offrir une
meilleure assise financière. La mère de John lui avait alors écrit
qu’elle utiliserait une partie de l’argent pour payer aussi ses
dettes, ce qui lui permettrait peut-être de continuer ses études
à Christ Church et d’obtenir une maîtrise.
John se rendit à Londres depuis Oxford et, avec Samuel et
Charles, vint à la rencontre de leur mère quand elle arriva
35
John Wesley – Le monde pour paroisse

d’Epworth en diligence. Ils l’accompagnèrent jusqu’au quai


pour attendre l’arrivée du bateau transportant son frère. Enfin
le navire remonta la Tamise et fut amarré le long du quai, mais
Samuel Annesley n’était pas à bord. Le capitaine du navire
ne savait pas pourquoi il n’était pas venu avec eux quand ils
avaient quitté l’Inde et personne à bord ne put leur donner la
moindre information sur ce qui lui était arrivé. Il n’y avait rien
d’autre à faire que d’écrire en Inde et d’attendre une réponse
de Samuel. Mais la réponse ne vint jamais. Samuel Annesley
et sa fortune avaient disparu pour toujours. La famille soup-
çonna un crime, mais se trouvait trop éloignée pour mener
une quelconque enquête. John tira une amère leçon d’avoir
compté sur de l’argent qui lui avait été promis.
Lorsqu’elle rentra à Epworth, Susanna écrivit à John. «Ne sois
pas découragé, fais ton travail, attelle-toi à tes études et garde
espoir en des jours meilleurs».
Comme ses dettes demeuraient impayées, John devait réduire
ses dépenses. Il décida de se laisser pousser les cheveux pour se
soustraire à l’achat d’une nouvelle perruque. A sa connaissance,
personne d’autre que lui n’était coiffé de ses propres cheveux
longs, mais curieusement, la mode du jour était pour les hom-
mes de porter des perruques à longue chevelure. Se laisser
pousser les cheveux ne dérangeait pas John. En fait il en plai-
santa dans une lettre à sa mère. Il décrivit d’abord combien il
était dangereux de sortir la nuit à Oxford. Un de ses camarades
d’étude se tenait à l’entrée d’un café un soir vers dix-neuf heu-
res lorsque quelqu’un était passé en courant et lui avait arraché
de la tête à la fois son chapeau et sa perruque. John ajouta: «Je
suis plutôt à l’abri de ces messieurs car, à moins de m’emporter,
carcasse et tout, ils n’auraient qu’un maigre butin.»
36
Un étudiant appliqué

John poursuivait ses études sans avoir de certitude sur ce qu’il


ferait lorsqu’il serait diplômé de Christ Church. Du fait qu’il
n’avait pas de fortune familiale derrière lui, il n’avait d’autre
choix que d’être soit enseignant soit homme d’église. Bien
qu’il fût issu d’une lignée de pasteurs distingués, John n’était
pas sûr de vouloir suivre leurs traces, mais d’une certaine
façon, il se sentait poussé à le faire. En 1724 on confia à son
père la responsabilité d’une seconde paroisse. Celle-ci se
situait à Wroot, à environ huit kilomètres d’Epworth, mais
les deux villages étaient coupés l’un de l’autre en hiver par la
montée des eaux du marais. Ses responsabilités dans la nou-
velle paroisse rapportaient à Samuel Wesley cinquante livres
supplémentaires par an, même si la moitié de cet argent était
dépensé pour rémunérer l’assistant engagé pour prêcher dans
l’une ou l’autre église. Pour John, retourner à Epworth une fois
diplômé pour y être l’assistant de son père semblait être un
choix évident. Mais l’idée de prêcher ne lui plaisait pas, sans
qu’il sache vraiment pourquoi. C’est alors qu’une rencontre
accidentelle lui apporta une lumière sur le sujet.
Par une nuit froide, alors qu’il franchissait la porte principale
de l’université, John engagea une conversation avec le portier.
Celui-ci n’avait sur lui qu’un manteau léger et se tenait près
de la porte en grelottant. John l’encouragea à aller mettre un
manteau plus adapté et à boire un thé chaud, mais le portier
lui répondit qu’il portait le seul manteau qu’il possédait et que
tout ce qu’il avait à boire chaque jour était de l’eau. Bien qu’il
frissonnât, il ajouta qu’il remerciait Dieu pour le manteau qu’il
avait et pour l’eau qu’il pouvait boire, de même que pour les
pierres sèches sur lesquelles il allait dormir cette nuit-là.

37
John Wesley – Le monde pour paroisse

John fut surpris par la réponse du portier, et il lui dit: «Vous


remerciez Dieu alors que vous n’avez rien à vous mettre, rien
à manger et pas de lit où vous allonger. Pour quoi d’autre le
remerciez-vous?»
Le portier regarda John droit dans les yeux et répondit: «Je
le remercie de m’avoir donné ma vie et mon être, ainsi qu’un
cœur pour l’aimer et le désir de le servir.»
Cette nuit-là alors qu’il était étendu dans son lit, John pensa
à ce que le portier lui avait dit et se posa des questions à lui-
même: Pourquoi ne ressentait-il pas le même amour pour
Dieu? Comment le portier était-il capable d’adopter une atti-
tude aussi reconnaissante alors qu’il jouissait de tellement peu
de confort matériel? Etait-il possible que le portier eût trouvé
le secret d’une vie pieuse alors qu’elle lui aurait échappé à lui,
un futur diplômé de Christ Church? John ne connaissait pas
les réponses à ces questions troublantes, mais il savait qu’il ne
cesserait pas de chercher jusqu’à ce qu’il les trouve.

38
5
La quête de sens

Troublé par les questions que la courte conversation avec le


portier de l’université avait soulevées en lui, John partit en
quête d’un véritable sens spirituel. Le voyage se révéla long et
difficile. John commença sa quête en lisant le livre de Jeremy
Taylor, Règles et exercices d’une vie sainte. Mais le livre paraissait
soulever plus de questions qu’il n’apportait de réponses. L’une
de ces questions était en rapport avec la notion de prédestina-
tion. L’Eglise d’Angleterre enseignait que Dieu prédestine, ou
choisit d’avance, ceux qui vont devenir chrétiens et recevoir la
vie éternelle. Cette vision était développée par le théologien
français Jean Calvin et ses disciples. Selon cette manière de
penser, John réalisa que, s’il était devenu chrétien, ce n’était
pas parce qu’il avait délibérément choisi de le faire, mais parce
qu’il suivait une direction déterminée que Dieu avait déjà
prévue pour lui. La doctrine opposée affirmait que chaque
personne prenait librement sa propre décision de devenir
chrétien ou non, et que même Dieu ne pouvait savoir si elle
ferait ce choix. Jacobus Arminius, un théologien néerlandais,
fut le premier à proposer cette doctrine qui devint connue
sous le nom d’arminianisme.
39
John Wesley – Le monde pour paroisse

Plus John pensait à cette question, plus il devenait confus.


Il pouvait voir des versets de la Bible qui soutenaient l’une
et l’autre position. Finalement comme il le faisait souvent
lorsqu’il se trouvait dans la confusion, il se tourna vers sa mère
afin d’obtenir son conseil. Comme elle aussi avait lutté avec
cette question durant sa jeunesse, elle fut heureuse de partager
ses conclusions avec son fils dans une lettre complexe.

Mon cher fils,

Je me suis souvent étonnée que les hommes soient si


vains qu’ils s’amusent à faire des recherches dans les
décrets de Dieu, que nul esprit humain ne peut sonder,
et n’emploient pas plutôt leur temps et leurs compéten-
ces à travailler à leur salut et à s’assurer de leur propre
appel et élection.
De telles études ont plus tendance à les confondre qu’à
guider leur compréhension, et les jeunes gens feraient
mieux de les laisser de côté. Cependant... je vais te
livrer mes pensées sur le sujet, et si elles ne te satisfont
pas, tu pourras solliciter la direction de ton père, qui
est sûrement mieux qualifié que moi.
La doctrine de prédestination soutenue par les rigides
calvinistes est très choquante, et devrait être abhorrée
car elle accuse le Dieu très saint de commettre le péché.
Et je pense que tu raisonnes très bien et justement
contre elle, car elle est certainement incompatible avec
la justice et la bonté de Dieu.
[Pourtant] je crois fermement que Dieu, de toute
éternité, en a choisi certains pour la vie éternelle. Mais
40
La quête de sens

alors, je considère humblement que ce choix est fondé


sur sa prescience.
Voilà la somme de ce que je crois au sujet de la pré-
destination...; car cela ne porte nullement atteinte à
la gloire de la libre grâce de Dieu et n’amoindrit pas
non plus la liberté de l’homme. A plus forte raison, on
ne peut supposer que [la pré-science] de Dieu soit la
cause de la destruction de tant de monde finalement,
pas plus que notre connaissance du fait que le soleil se
lèvera demain n’est la cause de son lever.

La lettre régla la question pour John. Comme sa mère, il


croyait que Dieu avait choisi certaines personnes-clés pour
devenir chrétiennes, et que les autres avaient été laissées avec
le libre choix quant à savoir si oui ou non elles seraient sauvées
et iraient au ciel.
Cependant, quoique John eût résolu de manière satisfaisante
le problème de la prédestination, d’autres survinrent bientôt
pour le remplacer. John parla du rôle de la foi et des œuvres
dans la vie chrétienne aussi bien avec des luthériens qu’avec
des calvinistes. Etait-il suffisant de croire en Christ, se deman-
dait-il, ou un chrétien devait-il accomplir de bonnes œuvres
pour prouver qu’il était sauvé? Les arguments qu’il reçut des
autres le firent tourner en rond, jusqu’à ce qu’il se résigne fina-
lement à accepter le fait qu’il n’avait pas de réponse définitive
à cette question.
Toute cette réflexion sur la foi chrétienne convainquit John
d’une chose: son avenir était dans l’Eglise. Quand il fut diplô-
mé de Christ Church en décrochant sa licence en 1724, John,
sans tenir compte de sa situation financière, s’inscrivit pour
41
John Wesley – Le monde pour paroisse

commencer une maîtrise tout en cherchant à être ordonné


pasteur de l’Eglise d’Angleterre.
L’année suivante, pendant laquelle John étudia pour sa maî-
trise, s’avéra être l’une des plus confuses de toutes. Cette fois
son problème ne venait pas de questions théologiques, mais
de jeunes femmes – quatre jeunes femmes, pour être exact.
L’ami de John, Robin Griffith, l’avait introduit dans un nou-
veau cercle d’amis dans le village de Stanton, à l’ouest d’Ox-
ford dans les Coswolds. Dès qu’il avait du temps libre, John se
rendait à Stanton à pied ou à cheval, pour pique-niquer, danser
ou discuter des dernières nouveautés littéraires avec les autres.
Même s’il était petit et pas particulièrement beau, il attirait
l’attention de nombreuses jeunes femmes lors de ces visites. Il
était sérieux au sujet de sa foi, il était intelligent et, le plus inha-
bituel de tout pour l’époque, il acceptait les femmes comme
ses égales intellectuelles, car il avait été élevé par une mère
cultivée et entouré de sept sœurs instruites et pleines d’esprit.
Ces qualités firent rapidement de John le centre d’attention
de quatre jeunes femmes en particulier, qui buvaient chacune
de ses paroles. Il s’agissait de trois sœurs, Sally, Elizabeth et
Damaris Kirkman, ainsi que d’une veuve âgée de vingt et un
an, Mary Pendarves. Toutes les quatre étaient intéressées par
le mariage et considéraient John comme un époux possible.
Même si l’attention flatta John, elle le plongea bientôt dans la
confusion, en particulier quand il essaya de discuter avec les
jeunes femmes de son amour pour Dieu et de son amour pour
elles. La situation se compliqua rapidement et avant d’avoir eu
le temps de le réaliser, John se retrouva fiancé officieusement
pour être marié à Sally Kirkman. Ou du moins il pensait qu’il
l’était, mais ne pouvait en être sûr car il était incapable de se
42
La quête de sens

résoudre à discuter ouvertement de ses sentiments pour elle.


En conséquence, la relation se dégrada rapidement et Sally
finit par s’éloigner de John et épouser un instituteur local.
John fut choqué et déconcerté par la situation. Il en était venu
à dépendre fortement des idées de Sally, et la possibilité de
discuter de toutes sortes de choses avec elle comme il l’avait
fait auparavant lui manquait. D’une manière ou d’une autre,
John parvint finalement à sauver son amitié avec Sally et les
trois autres jeunes femmes. Il échangea bientôt une corres-
pondance avec chacune d’entre elles, cherchant leurs conseils
sur des sujets et leur offrant les siens lorsqu’elles les sollici-
taient. Dans une lettre, Sally suggéra à John de lire un livre
intitulé L’imitation de Jésus-Christ, écrit par le moine allemand
du Moyen-Age, Thomas A. Kempis. John suivit son conseil et
s’en procura une copie à la bibliothèque. Le livre mit sa pensée
à l’épreuve et le conduisit à la compréhension qu’être chré-
tien nécessite une transformation complète du cœur et qu’il
n’existe pas de chrétien tiède; soit une personne s’approche
de Dieu, soit elle s’en éloigne. En conséquence, John résolut
de faire tout ce qui était nécessaire pour devenir un chrétien
«complet», avec un cœur totalement transformé par l’amour
de Dieu. Avec ce nouvel objectif en tête, il écrivit un nouvel
ensemble de directives de vie:

Règle générale pour toutes les actions de la vie

A chaque action que tu dois entreprendre, considère comment


Dieu a fait ou comment il ferait, et... imite son exemple.

43
John Wesley – Le monde pour paroisse

Règles générales pour employer le temps

1. Commence et termine chaque journée avec Dieu, ne dors


pas immodérément.
2. Aie du zèle pour ton appel.
3. Emploie toute heure disponible à la religion, autant que
possible.
4. Fais de tous les congés des jours saints.
5. Evite les ivrognes et les intrigants.
6. Evite la curiosité et toute occupation ou connaissance inu-
tile.
7. Fais ton propre examen tous les soirs.
8. Ne laisse jamais passer une journée sans avoir consacré au
moins une heure à tes dévotions, sous aucun prétexte.
9. Evite toute forme de passion.

Règles générales quant à l’objectif

1. Réfléchis à l’issue de chacun de tes actes.


2. Commence chaque action dans le nom du Père, du Fils et
du Saint-Esprit.
3. Prie avant chaque travail important.
4. N’abandonne pas une obligation parce que tu es tenté de le
faire.

Deux fois par jour et chaque samedi soir, John prenait du


temps pour parcourir sa liste et prendre des notes sur la façon
dont il parvenait à vivre selon ses règles.
Le 19 octobre 1725, à l’âge de vingt-deux ans, John fut ordon-
né pasteur de l’Eglise d’Angleterre. Il avait un brillant avenir
44
La quête de sens

devant lui, bien qu’à ce moment, la question pesant sur son


esprit était de savoir s’il allait devenir assistant dans une parois-
se anglicane ou membre du corps enseignant à l’université de
Lincoln. Située à Oxford, l’université de Lincoln se consacrait
à donner une éducation aux jeunes hommes du Lincolnshire.
En conséquence, plusieurs postes d’enseignement de l’univer-
sité ne pouvaient être occupés que par des professeurs de cette
région. Comme Epworth se situait dans le Lincolnshire, John
avait de grandes chances de se voir attribuer un poste, alors
même qu’il travaillait encore sur sa maîtrise.
Finalement John se décida en faveur d’une candidature à l’uni-
versité de Lincoln. Il passa l’été suivant à visiter d’influents
hommes d’église du Lincolnshire et des environs, dont la
faveur pouvait l’aider à accéder au poste qu’il cherchait à obte-
nir. Ensuite il se dirigea vers Epworth pour visiter sa famille.
Lorsqu’il y arriva, tout n’allait pas bien.
Plus tôt dans l’année, Hetty, la sœur de John âgée de vingt-
huit ans, s’était éprise d’un avocat de la région. Samuel Wesley
n’approuvait pas l’union et avait interdit à sa fille de voir cet
homme, mais Hetty avait refusé d’accepter la décision de son
père. Cette situation désagréable s’était envenimée davantage
lorsque l’avocat avec lequel Hetty était censée se marier avait
soudainement pris la fuite, la laissant en disgrâce. Samuel
Wesley, furieux, avait alors ordonné à sa fille d’épouser le pre-
mier homme qui demanderait sa main. Malheureusement pour
Hetty, cet homme fut un plombier itinérant nommé William
Wright qui passait justement au presbytère. A sa grande surpri-
se, l’homme quitta l’endroit avec une nouvelle épouse. Alors
qu’Hetty partait, Samuel lui avait interdit de jamais revenir au

45
John Wesley – Le monde pour paroisse

presbytère, lui disant qu’il aurait préféré qu’elle meure plutôt


que d’avoir fait traverser une telle épreuve à la famille.
Susanna Wesley avait le cœur brisé par ce qui était arrivé.
Les autres sœurs Wesley étaient outrées par le dur traitement
infligé à Hetty et résistaient aux manières sévères de leur père.
En conséquence, ce n’est pas dans un foyer heureux ou harmo-
nieux que John était revenu.
Pour empirer les choses, la santé de Samuel Wesley se dété-
riora. Au cours du séjour de John à la maison, son père eut
une attaque qui rendit sa main droite inutile. Cependant, avec
opiniâtreté, Samuel se mit à apprendre à écrire de la main
gauche.
A la fin de l’été, John rentra à Oxford accompagné de son frère
Charles qui s’était aussi inscrit à Christ Church. De retour
là-bas, il continua d’étudier pour sa maîtrise tout en attendant
de voir s’il serait nommé à un poste à l’université de Lincoln.
L’élection pour le choix d’un nouveau membre du corps ensei-
gnant pour l’université fut reportée deux fois, et ce n’est pas
avant le mois de mars que John apprit que le poste était à lui. A
cette période, le dernier trimestre touchait à sa fin et le temps
d’une pause estivale était arrivé. John décida de retourner à
Epworth pour annoncer les bonnes nouvelles à ses parents. Il
avait peu d’argent à l’époque, et ne pouvait s’offrir le trajet en
diligence jusqu’au presbytère. Il décida alors d’en parcourir les
cent-vingt kilomètres à pied. Cela prit du temps, mais John
était en bonne forme physique lorsqu’il arriva finalement.
De retour à la maison, John remplit les devoirs de pasteur assis-
tant dans la paroisse de Wroot. Il aida aussi son père à terminer
l’énorme commentaire que celui-ci écrivait sur le livre de Job,
en remplacement du manuscrit qui avait brûlé des années
46
La quête de sens

auparavant dans l’incendie du presbytère. Au cours de cette


période John s’intéressa à une jolie jeune femme. Evaluant la
situation, Samuel interdit à la jeune femme de venir en visite
au presbytère, tentant ainsi de maintenir l’attention de son fils
sur son travail spirituel. Samuel affirmait toujours catégori-
quement qu’il ne parlerait plus jamais à sa fille Hetty, même
si celle-ci se trouvait coincée dans un mariage malheureux et
avait perdu un bébé.
L’attitude de son père rendit John si furieux qu’il fit un sermon
sur l’amour du prochain. Il termina sa prédication en relatant
l’histoire de sa sœur et comment son père ne vivait pas selon
les normes chrétiennes avec la façon dont il la traitait. Bien
entendu Samuel fut très en colère contre son fils de l’avoir fait,
et John lui présenta poliment ses excuses, seulement pour déli-
vrer un message plus cinglant encore le dimanche suivant. A
la suite de ce second sermon, des mois passèrent avant que le
père et le fils ne puissent à nouveau se parler avec courtoisie.
Les relations étaient si tendues au presbytère que tout le
monde poussa un soupir de soulagement lorsque John retour-
na à Oxford pour prendre son nouveau poste à l’université de
Lincoln. En théorie John était responsable à la fois de la condi-
tion spirituelle d’un groupe d’étudiants et de l’enseignement
du grec, du latin et de la philosophie. En réalité, l’université
ne mettait pas l’accent sur les valeurs spirituelles, et les classes
de John se réunissaient de manière irrégulière. Ceci lui laissa
beaucoup de temps pour finir sa maîtrise et faire de longs
voyages afin de visiter sa famille et d’autres paroisses.
Cependant la vie facile prit fin en octobre 1729, quand au
cours d’un de ses voyages, John reçut une lettre lui ordonnant
de rentrer à l’université de Lincoln pour y prendre un rôle plus
47
John Wesley – Le monde pour paroisse

actif dans la supervision du bien-être spirituel des étudiants ou


de démissionner de son poste.
La raison de l’intérêt renouvelé que l’université portait au
bien-être spirituel des étudiants était en partie liée à la montée
de deux enseignements à la mode et qui posaient problème.
L’un de ces enseignements, connu sous le nom d’arianisme,
niait la divinité de Christ, tandis que l’autre, appelé déisme,
affirmait que Dieu ne communique pas avec l’humanité et
n’intervient pas dans ses affaires. Les membres du conseil de
l’université de Lincoln craignaient que ces deux hérésies ne
fassent des adeptes parmi eux, et avaient besoin des ensei-
gnants pour intervenir. Ils ne savaient pas que le retour exigé
de John Wesley à l’université allait non seulement changer le
climat moral qui y régnait, mais aussi déclencher une série
d’événements qui allaient transformer la nation entière.

48
6
Un nouveau défi

En réponse à la lettre reçue, John retourna à Oxford où il


découvrit que son jeune frère Charles avait fondé le «Club
des Saints» à Christ Church. Le club était minuscule et n’avait
en fait attiré que trois autres membres, un étudiant irlandais
nommé William Morgan, John Gambold et le frère de Sally
Kirkman, Robert. Les objectifs du club étaient simples: ses
membres étudiaient ensemble les classiques et la Bible le
dimanche soir, et communiaient une fois par semaine à la
cathédrale d’Oxford. Même si tous ceux qui étaient impliqués
dans le Club des Saints étaient plus jeunes que lui, John fut
heureux de cette communauté chrétienne et s’empressa de
rejoindre le groupe. Il fut bientôt leur chef – et réformateur –
et décida qu’il serait bénéfique aux jeunes hommes de suivre
ses idées concernant la vie pieuse. A cette fin, John ajouta deux
soirées supplémentaires chaque semaine. Il continua d’ajouter
des réunions jusqu’à ce que le groupe se réunisse tous les soirs
de six à neuf heures.
Toutes ces heures passées ensemble donnaient aux membres
du Club des Saints suffisamment de temps pour examiner
leur propre conduite ainsi que celle des autres membres du
49
John Wesley – Le monde pour paroisse

groupe, selon une liste de questions auxquelles John leur avait


demandé de répondre chaque jour.

1. Ai-je saisi toutes les opportunités possibles de faire le bien


et d’empêcher le mal?
2. Ai-je considéré quoi que ce soit comme trop précieux pour
m’en séparer afin de servir mon prochain?
3. Ai-je passé au moins une heure chaque jour à parler à
quelqu’un?
4. Ai-je, en parlant à un inconnu, expliqué ce que la religion
n’est pas... et ce qu’elle est, le rétablissement de l’image de
Dieu?
5. Ai-je convaincu tous ceux que je pouvais d’assister à des
prières publiques, des sermons ou des bénédictions?
6. Ai-je après chaque visite demandé à celui qui m’accompa-
gnait: Ai-je dit quelque chose de mal?
7. Si quelqu’un m’a demandé conseil, l’ai-je dirigé et exhorté
de toutes mes forces?
8. Me suis-je réjoui avec et pour mon prochain?
9. La bienveillance a-t-elle été la source de toutes mes actions
envers les autres?

Avant longtemps, les autres étudiants d’Oxford se procurè-


rent la liste de questions et commencèrent à se moquer des
efforts des membres du Club des Saints. Avec sarcasme, ils
les traitaient de mites de Bible, de bigots ou de méthodistes.
Quelqu’un composa même quelques rimes à leur sujet.

Selon la règle ils mangent, selon la règle ils boivent,


ils font chaque chose selon la règle, à part penser.
50
Un nouveau défi

Ils accusent leurs prêtres de comportements dévoyés,


pour obtenir plus de faveur des séculiers.
Seule la méthode doit les guider,
c’est pourquoi méthodistes ils se sont nommés.

Malgré les moqueries des autres, John et ses amis du Club des
Saints restaient inébranlables. En fait John se réjouissait secrè-
tement de la «persécution». Cela lui donnait la sensation
d’être sur la bonne voie, car Jésus a dit: «Heureux serez-vous,
lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on
dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi».
De temps en temps, d’autres jeunes hommes se joignaient au
Club des Saints, mais le nombre total de ses membres n’excéda
jamais quinze la première année.
Au début du mois d’aout 1730, William Morgan se rendit
à la prison du Château d’Oxford afin d’y visiter un homme
emprisonné pour avoir assassiné sa femme. Dans la prison
surpeuplée, il découvrit que les prisonniers pour dettes et les
criminels en général, comme l’homme qu’il était venu visiter,
étaient gardés ensemble sous les verrous.
Même si la prison du Château était humide et sale, William
fut surpris de voir combien sa visite encouragea les détenus.
Beaucoup d’entre eux n’avaient jamais eu le moindre visiteur
depuis leur incarcération.
Après cette visite, William informa John et Charles sur la situa-
tion à la prison. Les deux frères furent émus par sa description
des conditions de vie à l’intérieur de la prison et de la soif de
réconfort et de contact avec l’extérieur qu’éprouvaient les déte-
nus. Assurément, fit valoir William, de tels prisonniers avaient
besoin du réconfort du message chrétien. John et Charles en
51
John Wesley – Le monde pour paroisse

convinrent et, le 25 aout 1730, ils accompagnèrent William à


la prison du Château.
John fut profondément touché par ce qu’il vit et par l’ouver-
ture dont les prisonniers firent preuve pour parler avec lui.
Au cours de ces conversations, il apprit que les prisonniers
pour dettes étaient sous les verrous essentiellement pour deux
raisons: soit ils avaient été incarcérés en raison de quelque
malheur qui s’était abattu sur eux-mêmes et sur leur famille,
rendant impossible le remboursement de leurs dettes; soit
ils l’étaient pour ne pas s’être acquittés de ce qu’ils devaient
en raison de leur paresse ou de leur indifférence. John s’émut
du sort des premiers et décida que les membres du Club des
Saints pourraient peut-être mettre leur argent en commun
pour en aider certains à payer leurs dettes ou soutenir leurs
familles pendant leur emprisonnement.
Comme d’habitude, John écrivit à ses parents afin d’obtenir
leur approbation pour des visites régulières à la prison du
Château. A sa surprise, son père lui répondit en disant qu’il
avait aussi visité des prisonniers quand il était étudiant à
Oxford, et qu’il considérait que c’était pour ses fils une activité
noble et utile dans laquelle s’impliquer.
John fut enchanté de la réponse de son père, et à sa manière
ordonnée et méthodique, il établit un programme pour que
les membres du club fassent des visites régulières à la prison
du Château. John inscrivit son nom sur le programme pour se
rendre à la prison chaque dimanche après-midi. De même, les
membres du club commencèrent à mettre leur argent en com-
mun et à l’utiliser pour répondre aux besoins de ces détenus
qu’ils trouvaient méritants.

52
Un nouveau défi

Au cours de l’été 1731, Samuel et Susanna Wesley, leur fille


Martha ainsi que deux domestiques se trouvaient dans une
charrette lorsque le cheval qui la tirait s’emballa. La charrette
fit une embardée et Samuel, qui était assis sur un siège à l’ar-
rière, en fut éjecté. Il atterrit sur la tête avec un bruit sourd, et
le temps que les autres le rejoignent, il avait cessé de respirer
et virait au bleu. L’un des domestiques parvint à incliner la
tête de Samuel en arrière et le faire respirer à nouveau, mais
l’homme, âgé de soixante-six ans, avait été grièvement blessé.
Quand John apprit l’accident, il fut consterné. Bien qu’il
n’aimât pas y penser, l’accident lui rappelait que ce n’était
qu’une question de temps avant que son père ne doive renon-
cer à sa chaire. Qu’arriverait-il alors? John avait la sensation
angoissante que sa famille ferait pression sur lui pour qu’il
reprenne le poste et garde sa mère et ses sœurs restées céliba-
taires au presbytère d’Epworth.
Ce n’était pas une idée plaisante pour John et il essaya de
l’écarter.
Dans le même temps, John avait ses propres problèmes à
Oxford. William Morgan n’allait pas bien. Personne ne pou-
vait dire exactement ce qui n’allait pas chez lui, mais il s’était
mis à perdre du poids rapidement et dormait très peu la nuit.
Les détracteurs des méthodistes affirmèrent que William
avait poussé trop loin les enseignements de John sur la prière
et sur le jeûne, mais John soutint qu’on ne pouvait être trop
saint. Alors que le débat faisait rage, l’état mental de William
se détériora, jusqu’à ce qu’il soit contraint de rentrer en
Irlande dans l’espoir qu’un changement d’air lui ferait du bien.
Malheureusement le changement d’air ne régla rien et William
mourut en août 1732.
53
John Wesley – Le monde pour paroisse

John fut profondément troublé par les récits selon lesquels


William avait souffert d’hallucinations religieuses avant sa
mort et avait dû être contenu physiquement pour sa propre
sécurité et celle de son entourage. A plusieurs reprises il pria
et demanda à Dieu ce qui avait mal tourné, mais n’obtint pas
de réponse.
Les choses empirèrent lorsque le père de William écrivit à John
une lettre amère, l’accusant d’être responsable avec les métho-
distes de la mort de son fils, à cause de leurs enseignements et
pratiques extrêmes. Quand certains à Oxford entendirent par-
ler de l’accusation que le père de William avait formulée dans
sa lettre, ils souscrivirent à sa cause. En conséquence, John dut
souvent supporter d’être hué quand il sortait de sa chambre de
l’Université de Lincoln.
Les huées finirent par se calmer et durant l’été 1733, John
devint membre de la Société pour la Promotion du Savoir
Chrétien. Il se rendait à Londres de temps en temps afin
d’assister aux réunions de la société. En 1733, John rencontra
George Whitefield. George était «serviteur» (un étudiant de
licence qui accomplissait des tâches subalternes en échange
d’une aide financière) à l’université de Pembroke, à Oxford.
Il admirait le Club des Saints et ses membres. John l’invita à
déjeuner à l’université de Lincoln, et les deux hommes devin-
rent rapidement amis. En fait tous deux allaient compter parmi
les hommes les plus influents de leur époque, et leurs vies s’en-
tremêleraient de bien des manières jusqu’à leur mort.
L’année suivante, 1734, commença par un mariage dans la
famille Wesley. En janvier, Mary Wesley, qui à trente-neuf ans
avait abandonné tout espoir de mariage, trouva l’amour en la
personne du révérend John Whitelamb. John était le prêtre
54
Un nouveau défi

assistant de Samuel Wesley à la paroisse de Wroot. John ne


put malheureusement pas s’éloigner de ses fonctions à Oxford
pour assister au mariage, mais il fut soulagé de penser qu’au
moins une de ses sœurs était mariée et heureuse. Le bonheur
de celle-ci fut cependant de courte durée. Dans l’année qui sui-
vit son mariage, Mary mourut en couches, ainsi que le bébé.
En janvier 1735, John reçut une lettre alarmante de sa mère.
«L’état de santé de ton père est vraiment très mauvais, il dort
peu et mange encore moins. Il ne semble pas réaliser que sa fin
est proche, mais je crains qu’il ne lui reste que peu de temps
à vivre», écrivait-elle. Il était temps de faire face à l’avenir.
Comme Charles n’était pas encore ordonné, l’opportunité de
reprendre le poste de recteur de leur père à Epworth – même
si aucun d’entre eux ne voyait en cela une opportunité – reve-
nait soit à John soit à son frère aîné Samuel. A ce moment-là,
Samuel occupait le poste de directeur du lycée de Tiverton
dans le Devon, et ne voulait pas revenir à Epworth. Il écrivit à
John et le pressa de venir en aide à la famille en reprenant les
fonctions de leur père. Dans sa lettre il suggérait que, puisque
la plupart des étudiants d’Oxford considéraient John et les
méthodistes comme «étranges», celui-ci ferait aussi bien de
prendre un nouveau départ ailleurs. Furieux que son frère aîné
essaye de planifier sa vie pour lui, John lui écrivit une lettre
en retour expliquant pourquoi il était préférable qu’il reste à
Oxford. Toujours excellent pour débattre, il utilisa ce talent
pour réfuter en vingt-six points l’argument de son frère pour
le faire revenir à Epworth. Sur la question d’être étrange et
méprisé, il fit les remarques suivantes:

55
John Wesley – Le monde pour paroisse

1. Un chrétien sera toujours méprisé, où qu’il soit.


2. Nul n’est chrétien s’il n’est pas méprisé.
3. Être méprisé ne l’empêchera pas de faire le bien mais fera de
lui un chrétien encore meilleur.
4. Un autre peut prendre sa place à Epworth mieux qu’à
Oxford, et le bien fait ici est d’une nature bien plus diffu-
sive, dans la mesure où il est bien plus bénéfique d’adoucir
la source que de faire la même chose à chaque ruisseau qui
en découle.

En avril 1735, Susanna demanda à ses enfants de venir


d’urgence à Epworth pour dire au revoir à leur père. John
et Charles arrivèrent au presbytère à temps pour se réunir à
son chevet pour une ultime bénédiction. John appréhendait
le moment car il supposait que son père allait l’enjoindre de
reprendre son poste de recteur. Mais à sa surprise, son père
n’en fit pas mention. A la place, il se tourna vers son fils et lui
dit d’une voix claire mais faible: «Le témoignage intérieur,
mon fils, le témoignage intérieur est la meilleure preuve de
christianisme». Ces paroles, John ne les oublierait jamais.
Pas plus qu’il n’oublierait les paroles que son père adressa à
Charles: «Sois ferme. La foi chrétienne sera rétablie dans ce
royaume, et tu en seras témoin, même si je ne le vois pas».
Le révérend Samuel Wesley fut enseveli dans le cimetière de
l’église St Andrews à Epworth, le 26 avril 1735. Il avait servi la
population d’Epworth et des marais durant plus de quarante
années, et aucun de ses fils ne reprendrait sa place de recteur.
Après les funérailles, la famille Wesley fut dispersée. Susanna
partit vivre avec Emilia, qui tenait un pensionnat pour filles
à Gainsborough, tandis que Kezziah, la seule fille vivant
56
Un nouveau défi

encore à la maison, partit résider avec Samuel et son épouse


Ursula à Tiverton. Pendant ce temps, John et Charles retour-
nèrent à Oxford en passant par Londres pour y visiter leur
sœur Martha, qui s’y était installée pour vivre avec leur oncle
Matthew Wesley. Cependant, Martha venait de conclure un
mariage rapide avec un ami de John et de Charles, membre
loyal du Club des Saints. Cet homme s’appelait Westley Hall,
et tout le monde pensait que cette union serait solide et dura-
ble. Malheureusement le mariage se détériora en un scandale
qui affecta la famille Wesley et tout le mouvement de l’église.
A trente-deux ans, John n’était plus sûr de vouloir continuer
d’être chargé de cours à l’université de Lincoln à Oxford.
Maintenant que son père était mort et qu’il n’était pas obligé
de reprendre sa place de recteur à Epworth, il était désemparé.
Alors qu’il se demandait ce qu’il allait faire ensuite, il rendit
visite au Dr John Burton, un professeur de l’université Corpus
Christi à Oxford. John avait fait sa connaissance par son asso-
ciation avec la Société pour la Promotion du Savoir Chrétien.
Le Dr Burton était l’un des membres du conseil de la société,
et siégeait également au conseil d’administration de la nouvel-
le colonie récemment établie en Géorgie, Amérique du Nord.
John expliqua au Dr Burton ce qu’il ressentait. Le docteur
écouta attentivement ses paroles, puis il regarda John et lui dit
«J’ai justement l’homme que vous devriez rencontrer – James
Oglethorpe».
John connaissait James Oglethorpe de réputation. C’était
un ancien général de l’armée et un membre du Parlement.
En tant que membre du Parlement, il était préoccupé par la
situation des débiteurs jetés en prison pour avoir omis de
rembourser leurs dettes. Il trouvait absurde l’idée d’incarcérer
57
John Wesley – Le monde pour paroisse

les personnes endettées. Non seulement ils étaient forcés de


vivre en prison dans des conditions déplorables, mais aussi,
du fait qu’ils étaient emprisonnés, se trouvaient privés de tout
moyen de travailler pour faire de l’argent pour s’acquitter de
leurs dettes. Oglethorpe avait poussé à la réforme, et avait
finalement proposé l’idée d’établir une colonie sur la bande
de terre située sur la côte nord-américaine, entre la Caroline
au nord et la Floride espagnole au sud. Ce faisant, il créerait
non seulement une zone tampon entre les Britanniques et les
Espagnols installés en Amérique, mais aussi une colonie qui
serait un refuge pour les débiteurs et pour ceux qui fuyaient la
persécution religieuse en Europe.
James Oglethorpe avait présenté son plan au Parlement qui
l’avait approuvé, et le roi George II avait accordé une charte1
à la nouvelle colonie. La charte avait été donnée à un conseil
d’administration pour vingt-et-un ans, couvrait la terre entre
les fleuves Savannah et Altamaha et s’étendait vers l’ouest
jusqu’à la «Mer du Sud». Durant cette période de vingt-et-
un ans, le conseil d’administration (dont les membres étaient
considérés comme «gouverneurs» de manière non officielle)
allait établir les règles de la colonie, bien que les libertés des
citoyens anglais soient garanties, comme l’était la liberté de
religion pour tous hormis les catholiques.
Selon la charte, le propos de la colonie était triple: (1) don-
ner aux pauvres la possibilité de recommencer leur vie; (2)
offrir un refuge aux protestants persécutés d’Europe; et (3)
ériger une barrière militaire entre les Carolines et la Floride

1
Dans l’Europe médiévale, les cités avaient seules le privilège de pouvoir être le lieu du commerce et seules
les chartes royales permettaient d’établir une cité. L’année où la ville dispose d’une charte est considérée
comme l’année de sa fondation, sans tenir compte de l’ancienneté des installations humaines sur son site.
58
Un nouveau défi

espagnole. A la fin des vingt-et-un ans, le contrôle de la colo-


nie passerait à la Couronne Britannique.
La nouvelle colonie fut nommée Géorgie, en l’honneur de
George II, et au début de l’année 1733 le gouverneur James
Oglethorpe et trente-cinq familles partirent pour s’y installer.
Ils remontèrent le fleuve Savannah au printemps 1733 et, sur
une falaise qui le surplombait, fondèrent une ville qu’ils bapti-
sèrent du même nom.
Le Dr Burton expliqua qu’après deux années passées en
Géorgie, Oglethorpe était revenu en Angleterre pour rassem-
bler plus d’argent pour la colonie et recruter davantage de
colons parmi lesquels figureraient des hommes d’église. John
s’apprêtait à faire un voyage à Londres afin de mettre en place
la publication du commentaire sur le livre de Job écrit par
son père et le Dr Burton organisa pour lui une rencontre avec
Oglethorpe pendant qu’il s’y trouvait.
James Oglethorpe était un grand gaillard aux larges épaules et
à l’attitude confiante. Il accueillit John chaleureusement et lui
raconta tout sur la colonie géorgienne. Il expliqua comment
les gens y arrivaient de plus en plus nombreux, y compris des
piétistes d’Europe et des montagnards écossais. En consé-
quence de quoi la colonie devait trouver d’urgence des hom-
mes d’église qualifiés pour répondre aux besoins spirituels
de ses membres. Pour sa part, John était intrigué par ce qu’il
entendait mais n’était pas certain que la vie coloniale lui cor-
responde. Cependant Oglethorpe semblait désireux de le voir
venir en Géorgie afin de servir comme vicaire (ecclésiastique
en charge d’une chapelle) à Savannah, et John promit de réflé-
chir sérieusement à cette possibilité.

59
John Wesley – Le monde pour paroisse

De retour à Oxford, John ne put pas s’installer. Plus il y pen-


sait, plus il se rendait compte que le temps d’un changement
était venu, et le changement que James Oglethorpe semblait
lui offrir lui paraissait plus attirant. Alors qu’Oglethorpe atten-
dait de lui qu’il réponde aux besoins spirituels des colons de
Savannah, ce qui attirait vraiment John était l’idée de conver-
tir les Indiens, ou «bons sauvages» comme il en parlait, qui
vivaient également dans la colonie géorgienne.
John avait aussi d’autres raisons, plus personnelles, pour aller
en Géorgie, et il les coucha toutes sur papier:

Ma motivation principale, à laquelle toutes les autres


sont subordonnées, est l’espoir de sauver mon âme.
J’espère apprendre le véritable sens de l’Evangile de
Christ en l’annonçant aux païens. Ils n’ont pas de
commentaires pour interpréter le texte, aucune vaine
philosophie pour le corrompre, et pas de commen-
tateurs épris de luxe, sensuels, cupides ou ambitieux
pour en adoucir les vérités déplaisantes. Une foi juste
va, j’en suis sûr, par la grâce de Dieu, ouvrir la voie à
une pratique juste, en particulier quand seront retirées
la plupart de ces tentations dont je suis ici si facile-
ment entouré.

Comme il le faisait souvent lorsqu’il devait prendre une déci-


sion, John écrivit à sa mère et à son frère Samuel, cherchant
leurs conseils au sujet d’un départ en Géorgie. Samuel était
favorable à l’idée, et Susanna lui répondit par une lettre où elle
dit: «Si j’avais vingt fils, je me réjouirais qu’ils soient tous ainsi
employés, même si je ne devais jamais plus les revoir.» John
60
Un nouveau défi

fut également surpris d’apprendre par sa mère que peu avant


sa mort, son père avait envisagé de partir en Géorgie comme
ecclésiastique, mais avait finalement renoncé à ce projet en
raison de son âge. Son père avait écrit à James Oglethorpe en
expliquant: «Il y a dix ans, j’aurais volontiers consacré le reste
de ma vie et de mes travaux à cet endroit.» John considéra ces
nouvelles comme si son père, d’outre-tombe, avait approuvé
le projet.
Il écrivit au Dr Burton et à James Oglethorpe, en se propo-
sant comme ecclésiastique pour la colonie géorgienne, et les
deux hommes l’acceptèrent avec joie pour servir à Savannah.
Toutefois John n’avait pas l’intention de s’y rendre seul et se
mit à recruter plusieurs autres jeunes hommes pour l’accom-
pagner. Benjamin Ingham, qui avait été membre du Club des
Saints à Oxford, accepta de le suivre de même que Charles
Delamotte, fils d’un négociant londonien et ami de Benjamin.
John espérait persuader une dernière personne de venir avec
lui en Géorgie – son frère Charles.
En premier lieu, Charles rejeta l’idée. «Partir avec toi en
Géorgie? A quoi pourrais-je bien te servir là-bas, puisque je ne
suis pas encore ordonné?» s’exclama-t-il. Peu disposé à consi-
dérer ce non comme une réponse, John se mit à travailler sur la
situation. Il parvint à persuader l’évêque de Londres d’ordon-
ner Charles, et obtint aussi pour son frère le poste de secrétaire
privé de James Oglethorpe. Quand il prit connaissance de ces
dispositions, Charles accepta de venir.
Tout était finalement en place, et au début du mois d’octobre,
les quatre hommes descendirent la Tamise jusqu’à Gravesend
où le Simmonds était amarré en attendant de traverser l’océan
Atlantique.
61
John Wesley – Le monde pour paroisse

Au moment où John grimpait sur la passerelle pour monter


à bord du Simmonds, sa poitrine était gonflée de confiance.
Assurément, se disait-il, Dieu va m’utiliser pour apporter l’Evan-
gile aux bons sauvages.
Rien ne pouvait être plus éloigné de la vérité.

62
7
La Géorgie

Le Simmonds prit la mer pour la Géorgie depuis Gravesend


en Angleterre, le 14 octobre 1735. Ce fut une journée spéciale
pour John qui allait prendre un nouveau départ dans un nou-
veau pays, un pays dont il espérait qu’il allait enlever de son
esprit toute chose terrestre et lui permettre de ne penser qu’à
Dieu et à son Royaume. John commença comme il entendait
continuer, avec une routine stricte pour lui-même et les trois
autres hommes dont il avait pris la responsabilité spirituelle.
Chaque matin, annonça-t-il, les quatre hommes se lèveraient
à quatre heures – plus tard, cela serait de la paresse – et prie-
raient en privé pendant une heure. Les deux heures suivantes,
de cinq à sept, seraient employées à lire la Bible ensemble dans
la grande cabine des frères Wesley. Le petit-déjeuner serait
ensuite partagé avec les autres passagers, puis l’heure suivante
serait dédiée à la prière publique avec tout passager désireux
de se joindre à eux. John serait très attentif à ceux qui y assis-
teraient, puisqu’il allait devenir leur pasteur lorsqu’ils débar-
queraient à Savannah. Le reste de la matinée serait consacré à
l’étude. Charles Wesley voulait écrire des sermons et des poè-
mes spirituels, Charles Delamotte étudierait le grec, Benjamin
63
John Wesley – Le monde pour paroisse

Ingham choisit d’enseigner la théologie et de lire des histoires


de la Bible aux enfants à bord, et John décida d’apprendre
l’allemand.
Il était principalement motivé pour cela parce qu’un groupe
de Moraves de langue allemande accompagnait les quatre-
vingts colons anglais qui se trouvaient à bord du Simmonds.
Les Moraves étaient un groupe de piétistes qui s’était formé en
Moravie, une région de l’actuelle République tchèque, où ils
avaient subi des persécutions, en particulier de la part des évê-
ques catholiques. Beaucoup d’entre eux avaient fui vers l’Alle-
magne, où le comte saxon Nikolaus Ludwig von Zinzendorf
leur avait offert un abri dans son domaine d’Herrnhut. La
communauté religieuse qu’ils avaient établie se montrait zélée
pour envoyer des missionnaires en terre étrangère. En fait,
les deux missionnaires danois dont Susanna Wesley avait lu
l’histoire aux habitants d’Epworth en 1712 avaient tous deux
été Moraves. Un groupe s’était déjà établi en Géorgie, et les
Moraves à bord du Simmonds étaient en route pour rejoin-
dre leurs frères. Aucun d’entre eux ne parlait anglais, mais
John était désireux d’en apprendre plus sur leur théologie et
leur expérience d’église en Europe. Comme le voyage vers la
Géorgie allait durer environ quatre mois, John était certain
qu’il parlerait allemand couramment au moment de leur arri-
vée à destination.
A midi, les quatre Anglais se réuniraient à nouveau pour dis-
cuter de la manière dont ils auraient tenu leur programme
du matin et pour planifier les détails de l’après-midi avant de
prendre leur repas à treize heures. Les hommes passeraient les
quatre heures suivantes à discuter en privé avec les passagers

64
La Géorgie

au sujet de l’état spirituel de leurs âmes et à enseigner aux


enfants le catéchisme anglican.
Deux heures supplémentaires de prière privée et de lecture
biblique en groupe suivraient avant le dîner, puis les hommes
se joindraient aux Moraves pour leur service de prière d’une
heure. A vingt heures, ils se réuniraient à nouveau pour rendre
compte de la manière dont ils auraient suivi leur programme
de l’après-midi et pour sonder leurs âmes à la recherche de
toute pensée de doute ou de rébellion. A vingt-deux heures
viendrait l’heure de se coucher, pour six heures de sommeil,
avant de reprendre la même routine le jour suivant.
Comme cela avait été le cas par le passé, la nourriture devint
une question de sainteté. John décida que les quatre hommes
renonceraient à la viande et au vin servis avec les repas et ne
vivraient que de pain et d’eau à bord du Simmonds. Il trouva
bientôt que ce régime n’était pas assez strict et déclara que tous
quatre pourraient également ne pas manger du tout pendant le
repas du soir.
En tant que responsable du groupe, John se sentit obligé de res-
pecter des normes encore plus élevées que les autres. Il essaya
de prier pendant les cinq dernières minutes de chaque heure
où il était éveillé, et il tint un journal examinant chaque petit
détail de ses sentiments, de sa foi et de ses actes. Pour s’assurer
que ce journal ne serait jamais lu par quelqu’un d’autre que lui-
même, il l’écrivit dans un code compliqué qu’il avait élaboré.
(Son code ne fut pas déchiffré avant 1930). John prépara aussi
un journal public qu’il espérait publier ultérieurement. Dans
ce journal il consigna les événements qui avaient eu l’impact le
plus profond sur lui au cours du long voyage vers la Géorgie.

65
John Wesley – Le monde pour paroisse

Vers une heure de l’après-midi [le dimanche 25 jan-


vier 1736], presque aussitôt après que je fus sorti par
la porte de la grande cabine, la mer ne se brisait pas
comme d’habitude, mais venait sur le côté du navire
en une vague douce et pleine. J’ai été recouvert d’eau en
un instant, et tellement stupéfait que je ne m’attendais
guère à relever la tête à nouveau, jusqu’à ce que la mer
la laisse pour morte. Mais grâce à Dieu, je n’ai pas été
du tout blessé. Vers minuit la tempête a cessé.

Le jour suivant fut pire et John écrivit:

A quatre heures, c’était plus violent encore que tout


ce que nous avions eu auparavant. Maintenant, nous
pouvions vraiment dire: «les vagues de la mer étaient
puissantes et se déchaînaient horriblement. Elles s’éle-
vaient jusqu’aux cieux et descendaient jusqu’en enfer».
Les vents rugissaient autour de nous et – ce que je
n’avais jamais entendu auparavant – sifflaient aussi
distinctement que si cela avait été une voix humaine.
Le navire ne se balançait pas seulement d’avant en
arrière, mais tremblait et était secoué d’un mouvement
si inégal et saccadé qu’on ne pouvait s’agripper à quoi
que ce soit qu’avec beaucoup de difficulté et qu’il était
sans cela impossible de se tenir debout un moment.
Toutes les dix minutes un choc se faisait sentir contre
la poupe ou sur le côté du navire, dont on aurait pu
penser qu’il allait briser les planches en mille mor-
ceaux. Au plus fort de la tempête, un enfant, qui avait

66
La Géorgie

auparavant été baptisé en privé, a été amené pour être


reçu publiquement par l’église.

Une fois qu’il eût procédé à la cérémonie du baptême du


mieux qu’il le pouvait dans ces circonstances difficiles, John se
rendit à la cabine des Moraves afin de voir comment ceux-ci
se portaient. Il fut choqué par ce qu’il vit. Ils étaient au milieu
d’un service, et John nota:

Au milieu du psaume par lequel leur service commen-


çait, la mer s’est déchaînée, a mis en pièces la grande
voile et envahi les ponts, comme si le grand abîme
nous avait déjà engloutis. Un hurlement terrible s’est
fait entendre chez les Anglais. Les Allemands ont levé
les yeux et sans s’interrompre, ont continué à chanter
calmement. J’ai par la suite demandé à l’un d’eux:
«N’étiez-vous pas effrayé?» «Non, Dieu merci»,
a-t-il affirmé. J’ai demandé: «Mais vos femmes et vos
enfants n’étaient-ils pas effrayés?» Il a répondu avec
douceur: «Non, nos femmes et nos enfants n’ont pas
peur de mourir.»

Alors que le bateau continuait sa traversée, les scènes dont il


avait été témoin ce jour-là parmi les Moraves continuèrent à
hanter John. Bien qu’il ait prêché d’innombrables sermons
sur la nécessité d’avoir confiance en Dieu et de ne pas craindre
la mort, il avait été aussi effrayé que tous les autres passagers
anglais pendant la tempête. Seuls les Moraves s’étaient mon-
trés inébranlables dans leur foi en croyant qu’ils étaient dans
la volonté de Dieu, qu’ils vivent ou qu’ils meurent. Même s’il
67
John Wesley – Le monde pour paroisse

détestait l’admettre, il savait qu’il n’avait pas ce genre de foi


absolue. En fait il était aussi effrayé par la mort que n’importe
qui d’autre à bord. Cette prise de conscience l’ébranla profon-
dément, et il commença à douter de son aptitude à être mis-
sionnaire auprès des Indiens, et encore plus d’être un modèle
de sainteté pour les anglais.
Personne ne fut plus soulagé que John lorsque le Simmonds
aborda les côtes luxuriantes de la Géorgie. Le matin suivant,
le 5 février 1736, le navire franchit la barre et jeta l’ancre dans
l’embouchure du fleuve Savannah. Le paysage était vert et
peu élevé, constitué de nombreuses îles accolées les unes aux
autres. Au bout de l’une des îles, dont il apprit vite qu’elle
s’appelait Tybee, John remarqua un phare en bois brut. James
Oglethorpe l’informa qu’il avait ordonné la construction de
l’ouvrage alors qu’il se trouvait en Angleterre.
Dans son journal, le jour suivant, John parla d’un service de
prière court mais encourageant.

Vers huit heures du matin, nous avons posé les pieds


sur le sol américain pour la première fois. C’était une
petite île inhabitée [l’île de Peeper], en face de Tybee.
Monsieur Oglethorpe nous a conduits à un terrain
en pente où nous nous sommes tous mis à genoux
pour rendre grâce. Il a ensuite pris un bateau pour
Savannah. Quand le reste des passagers a débarqué,
nous avons rassemblé notre petit troupeau pour prier.
Plusieurs parties de l’enseignement étaient admira-
blement adaptées à la situation; en particulier le récit
du courage et des souffrances de Jean le Baptiste, les
directives de notre Seigneur données aux premiers
68
La Géorgie

prédicateurs de son Evangile, leur lutte en mer et leur


délivrance, avec ces paroles rassurantes: «C’est moi,
n’ayez pas peur!»

Après le service sur l’île de Peeper, la plupart de ceux qui avaient


débarqué retournèrent sur le navire, pendant qu’Oglethorpe
et plusieurs hommes remontaient le fleuve Savannah pour
la nuit avec l’une des barques du Simmonds. John ne fit pas
mention dans son journal public de la situation qu’il rencon-
tra quand il retourna à bord du Simmonds. John et Charles
Wesley, Charles Delamotte et Benjamin Ingham étaient restés
à terre sur l’île de Peeper plusieurs heures de plus, pour mar-
cher et converser. Quand ils retournèrent finalement sur le
navire, John fut abasourdi de constater que l’effectif entier de
l’équipage et des passagers était ivre. Apparemment un colon
était venu à la rame jusqu’au Simmonds à l’ancre et y avait
fait monter clandestinement plusieurs tonneaux de rhum qui
avaient été vidés de leur contenu au moment où John remonta
à bord. John pouvait à peine en croire ses yeux en voyant des
gens qu’il pensait être de fervents chrétiens trébucher sur le
pont, complètement saouls. Il y avait peu de choses à faire
dans cette situation, en dehors de laisser chacun dormir pour
que les effets de l’ébriété disparaissent.
Le jour suivant, quand Oglethorpe revint de Savannah, John
essayait encore de s’accommoder de ce qu’il avait vu. Les pas-
sagers et membres d’équipages qui s’étaient enivrés furent ravis
de voir Oglethorpe, ou plus précisément les vivres qu’il avait
ramenés avec lui: du bœuf, du porc, du gibier, du pain et des
navets – les premiers aliments frais qu’on voyait à bord depuis
quatre mois. Le cuisinier du navire, avec l’aide enthousiaste des
69
John Wesley – Le monde pour paroisse

femmes se trouvant à bord, prépara un repas délicieux qui fut


servi sur l’île de Peeper. Cependant, John s’en tint à se nourrir
de pain et d’eau, refusant de consommer avec eux cette nour-
riture fraîche et riche.
Après le repas, John décida de se promener seul le long de
la côte. Alors qu’il marchait, l’évêque August Spangenberg,
le chef des Moraves de la colonie qui avait raccompagné
Oglethorpe au navire depuis Savannah, lui emboîta le pas.
John se trouva en compagnie d’un homme dont le franc-par-
ler était semblable au sien. Pendant que les vagues clapotaient
doucement sur la plage de sable fin, Spangenberg plongea son
regard bleu dans celui de John et, au lieu de le questionner sur
la traversée de l’océan Atlantique, lui demanda: «Est-ce que
l’Esprit de Dieu rend témoignage à votre esprit que vous êtes
enfant de Dieu?» John sentit son visage s’empourprer. Il ne
savait que dire. Etant donné le silence de John, Spangenberg
insista: «Connaissez-vous Jésus-Christ?»
«Je sais qu’il est le Sauveur du monde», répondit John timi-
dement.
«C’est vrai, mais savez-vous qu’il vous a sauvé?» interrogea
l’évêque Morave.
«J’espère qu’il est mort pour me sauver», dit John.
Cette brève conversation le laissa profondément ébranlé, et il
décida de passer plus de temps avec les Moraves et d’appren-
dre leurs secrets pour mener une vie sainte.
Le matin suivant, une flottille de petites barques accosta le
Simmonds, et les passagers et le fret furent bientôt débarqués
pour effectuer les seize kilomètres de remontée du fleuve vers
Savannah.

70
La Géorgie

Sous les ordres de James Oglethorpe, John prit ses fonctions


de vicaire lorsqu’il arriva à Savannah. Pendant ce temps, son
frère Charles prit en charge le secrétariat privé du gouverneur
Oglethorpe et l’accompagna dans le sud pour inspecter la nou-
velle colonie de Frederica.
En tant que colonie anglaise la plus au sud d’Amérique du
Nord, Frederica représentait la première ligne de défense
contre l’invasion espagnole depuis la Floride.
John pensait se plonger directement dans son travail de mis-
sionnaire parmi les Indiens, mais il eut un choc. Il fut pré-
senté au révérend Samuel Quincy, l’homme qu’il remplaçait.
Lorsque John annonça qu’il voulait commencer à étudier
la langue des Indiens Choctaws dès que possible, Monsieur
Quincy lui lança un regard surpris. «Ce ne sera pas nécessaire,
affirma-t-il. Votre travail est auprès des colons anglais. Nous
ne devons pas interférer avec les Indiens. Ils pourraient facile-
ment mal interpréter ce que nous essayons de faire pour eux
et aller rejoindre les Français ou les Espagnols. Nous serions
alors dans une situation critique.»
John resta sans voix. Ne lui avait-on pas dit qu’une partie de
son travail de vicaire consisterait à évangéliser les Indiens?
Cela lui avait-il été clairement énoncé dans ses conversations
avec Oglethorpe en Angleterre, ou lui avait-on donné l’impres-
sion que c’est ce qu’il allait faire afin de l’amener à accepter de
traverser l’océan Atlantique pour se rendre en Géorgie? Quelle
que soit la façon dont c’était arrivé, John se sentit trompé et
trahi. De tels sentiments ne constituaient pas une bonne base
pour construire son ministère sur ce beau et nouveau territoire
où il se trouvait.

71
John Wesley – Le monde pour paroisse

John emménagea dans le presbytère (un logement fourni


aux ecclésiastiques), mais durant les premiers jours, il fut si
bouleversé que c’est à peine s’il quitta la maison. Il se résigna
ensuite à son sort et entreprit de visiter ses cinq cents parois-
siens. Savannah se situait sur une falaise surplombant le fleuve.
Les plans de la ville avaient été méticuleusement dessinés
avec de larges rues et des places à chaque intersection. Le
long des rues se trouvaient des parcelles de terrain de quinze
mètres de large et vingt-cinq de long sur lesquelles les maisons
étaient construites. Nombre d’entre elles étaient les structures
originales de sept mètres sur cinq faites de bois dégrossi et
non peint. Cependant, beaucoup de grandes maisons neuves
avaient aussi été construites en bois raboté et peint en blanc.
La plupart des parcelles étaient entourées d’une palissade. Au
pied de la falaise, niché au bord du fleuve Savannah, se trouvait
un petit fort armé de vingt canons et habité en permanence
par des hommes de la communauté. Au-delà des terrains
d’habitation se situaient les parcelles de deux hectares qu’on
donnait à chaque homme de la communauté pour nourrir sa
famille, et les fermes de dix-huit hectares également allouées à
chacun de ces hommes se trouvaient plus loin.
Le 7 mars 1736, John prêcha son premier sermon à Savannah.
Pendant sa prédication, il exposa aux citoyens de Savannah
ce qu’il attendait d’eux. La communion serait célébrée tous
les dimanches et jours de fêtes particuliers, et aucun de ceux
qui n’avaient pas été baptisés dans l’Eglise d’Angleterre n’y
prendrait part. John fit aussi savoir que quiconque souhai-
terait communier devrait l’en avertir le jour précédent, afin
qu’il puisse évaluer la condition de l’âme de cette personne.
Finalement, il annonça qu’il ne conduirait pas de service
72
La Géorgie

funèbre pour quelqu’un qui ne serait pas anglican et que les


femmes devraient venir à l’église vêtues de robes simples de
laine ou de lin. Celles qui portaient des bijoux ou des vête-
ments de style élaboré devraient rester chez elles.
Bien sûr, des règles aussi rigides valurent immédiatement à
John de nombreux ennemis. Une femme refusa que son bébé
soit immergé trois fois dans l’eau (la pratique courante pour le
baptême à cette époque) et une famille fut scandalisée lorsque
John refusa de conduire le service funèbre de leur père, un dis-
sident dévot. Certains des colons se plaignirent directement à
James Oglethorpe de ce qu’ils considéraient comme l’appro-
che maladroite de John Wesley, tandis que d’autres choisirent
des moyens plus subtils de se venger de leur nouveau ministre,
strict et inflexible.

73
74
8
Evasion

Le gouverneur James Oglethorpe décida de s’installer à


Frederica qui se situait sur l’île Saint Simon, à environ cent-
dix kilomètres au sud de Savannah. Il devint donc difficile aux
résidents de Savannah de se plaindre au sujet des manières
rudes de John. En tant que secrétaire privé du gouverneur,
Charles Wesley s’y était également installé. Mais les choses
n’allaient pas bien pour lui. Il ne parvenait pas à être à jour
dans les tâches administratives qui constituaient son tra-
vail, Oglethorpe l’avait donc déchargé de beaucoup de ses
tâches de secrétariat privé et lui avait assigné une nouvelle
responsabilité. Comme il n’y avait pas de vicaire à Frederica,
Oglethorpe l’avait installé à ce poste. Cependant, dans cette
fonction aussi, Charles rencontra des problèmes. De même
que son frère aîné, il institua un code de conduite strict que les
membres de l’église devaient suivre. Tout comme les habitants
de Savannah, ceux de Frederica réagirent négativement aux
règles de vie chrétienne établies par Charles.
Ann Welch et Beata Hawkins, deux des femmes qui avaient
voyagé avec Charles et John sur le Simmonds, étaient par-
ticulièrement lasses d’écouter Charles et commencèrent à
75
John Wesley – Le monde pour paroisse

comploter pour se débarrasser de lui. Leur plan fut mené en


deux parties. En premier lieu, elles vinrent séparément parler
à Charles, et toutes deux lui dirent avoir été la maîtresse du
gouverneur Oglethorpe. Ensuite, les deux femmes se rendirent
auprès du gouverneur et chacune d’elles lui dit exactement
le contraire – qu’elle avait eu une liaison avec Charles. Bien
entendu, Oglethorpe fut aussi choqué que Charles par ces
allégations. La situation dégénéra rapidement en un véritable
cauchemar pour Charles. Personne ne savait qui ou que croire
à ce sujet, et le gouverneur Oglethorpe tint Charles pour res-
ponsable, peu importe s’il avait fait quelque chose ou non.
Selon Oglethorpe, il avait provoqué toute la situation à laquel-
le lui-même et la communauté faisaient face par la prédication
de ces normes élevées de comportement qui rendaient la vie
trop difficile aux colons.
Les choses continuèrent à se détériorer à Frederica et, quand
John arriva pour visiter Charles, il le trouva malade et déprimé.
Incapable de remonter le moral de son frère, John persuada
finalement le gouverneur Oglethorpe de permettre à son frère
de retourner en Angleterre pour y apporter en personne d’im-
portants documents. En juillet 1736, Charles prit la mer pour
l’Angleterre depuis la Géorgie. Il avait passé moins de six mois
dans la colonie géorgienne et n’avait jamais été plus heureux
de quitter un endroit de toute sa vie.
Malgré les plaintes qu’il avait entendues à Savannah au sujet
de John et de ses manières rigides, James Oglethorpe ne prit
aucune mesure. Après le départ de son frère, John retourna
donc à ses tâches pastorales à Savannah, où il eut bientôt lui-
même un problème avec une femme. Le problème arriva sous
la forme de Sophia Hopkey, la nièce âgée de dix-huit ans du
76
Evasion

magistrat de Savannah, Tom Causton. Sophia était une élève


de l’école dirigée par Charles Delamotte et John lui donnait
des cours de français et de religion. Cependant, celui-ci ne
tarda pas à rendre visite à Sophia quatre fois par jour pour
superviser son travail scolaire et marcher avec elle dans les
forêts de myrtes tout en conversant en français.
John était probablement le dernier à l’admettre, mais il s’était
pris d’une grande affection pour Sophia. Il n’y avait qu’un seul
problème: dans le Nouveau Testament, il avait pris St Paul
pour modèle et avait décidé depuis longtemps de demeurer
célibataire pour le ministère. Cependant, Sophia éprouvait à
l’extrême sa détermination et John n’avait la force ni de mettre
fin à la relation qu’il entretenait avec elle, ni de lui dire qu’il ne
pouvait pas l’épouser. Finalement, dans un état de tourment,
John sollicita Johann Toltschig, l’un des pasteurs moraves,
pour parler de la situation. Il lui demanda s’il était juste de
continuer à rencontrer seul une certaine jeune femme.
Johann réfléchit un moment et répondit ensuite: «Que crai-
gnez-vous qu’il puisse arriver si vous continuez à la rencon-
trer?»
«Je crains de devoir l’épouser», répondit John.
«Je ne vois pas ce qu’il y aurait de mal à cela!» s’exclama le
pasteur morave.
John secoua la tête. Ce n’était pas la réponse qu’il avait espérée
mais, en y pensant, il réalisa qu’il n’était pas sûr de ce qu’il vou-
lait vraiment entendre. Il essaya donc une autre approche. Il se
confia à Charles Delamotte qui répondit en suggérant de tirer
au sort, comme le faisaient les Moraves, pour voir quelle était
la volonté de Dieu à ce sujet. John convint que cette approche
était acceptable et Charles prit alors trois bouts de papier. Sur
77
John Wesley – Le monde pour paroisse

le premier, il écrivit: «Ne pense pas à te marier cette année.»


Sur le second, il griffonna: «N’y pense plus», et sur le troisiè-
me «Marie-toi». Charles plia ensuite les morceaux de papier
et les plaça dans un chapeau.
Avec circonspection, John plongea la main dans le chapeau et
en retira l’un des papiers. Il le déplia et lut: «N’y pense plus.»
Il s’agissait peut-être de la direction de Dieu pour lui mais, au
fond, John fut déçu de la réponse qu’il avait obtenue. C’est à ce
moment qu’il se rendit compte à quel point il voulait épouser
Sophia. Mais en laissant de côté les sentiments, il pensa que
Dieu lui avait parlé et qu’il devait agir selon cette indication.
Malgré tous ses efforts, John trouva presque impossible de
ne pas penser à Sophia. Savannah était un petit village isolé
d’environ cinq cents habitants et il la croisait presque par-
tout où il allait. Finalement, Sophia résolut elle-même la
situation, ou du moins c’est ce qu’il parut au premier abord.
Elle renonça à John et décida d’épouser un homme nommé
William Williamson, qui était pensionnaire dans la maison de
son oncle. Cependant, bien que William fût considéré comme
un homme de valeur dans la communauté, selon John Wesley,
il n’était pas assez bien pour Sophia Hopkey.
Pressentant peut-être que leur mariage allait créer des problè-
mes, William et Sophia décidèrent de s’unir en Caroline du
Sud, de l’autre côté du fleuve Savannah. John n’entendit parler
de leur mariage qu’une fois celui-ci célébré et fut très en colère,
en particulier du fait qu’ils n’en avaient pas «publié les bans»
en Géorgie. Cela signifiait qu’ils auraient dû venir voir John,
qui était leur prêtre, pour lui annoncer leur intention de se
marier. Ensuite, quatre dimanches consécutifs, John aurait lu
les bans annonçant l’intention du couple de se marier, laissant
78
Evasion

le temps de se manifester à quiconque aurait eu connaissance


d’une raison pour laquelle le mariage ne devrait pas être célé-
bré. Bien que cela ne soit pas une obligation légale, c’était une
pratique courante à laquelle on s’attendait pour les mariages
anglicans. John était irrité que William et Sophia aient agi
dans son dos et, tout en essayant de remercier Dieu de gérer
la situation dans laquelle il s’était mis avec Sophia, il fut trop
fâché pour donner sa bénédiction aux jeunes mariés.
Naturellement, l’attitude de John peina Sophia qui, à son tour
avec William, cessa de fréquenter l’église régulièrement. John
se rendit malade en pensant à la manière dont il avait laissé
partir Sophia. Ses sentiments amers au sujet du mariage attei-
gnirent leur paroxysme le 6 août 1737. Déclarant qu’elle avait
essayé de suivre les règles de John pour une vie sainte de tout
son possible, elle demanda à être autorisée à prendre la sainte
communion durant le service du lendemain. Cependant au
cours du service, quand Sophia s’avança vers l’autel pour rece-
voir la communion, John ne put se résoudre à la lui donner.
Sophia fut humiliée de se la voir refuser en public et son époux
William fut furieux contre John. Il pensa que celui-ci essayait
de ruiner son mariage avec Sophia. John répondit qu’il était
simplement un pasteur concerné s’occupant d’un membre de
son troupeau.
La population de Savannah n’adhéra à aucun des arguments
pastoraux de John et se rangea fermement du côté de William
et Sophia. Bientôt, tout Savannah fut en émoi à propos de
l’incident. Thomas Causton, l’oncle de Sophia, rassembla les
plaintes des paroissiens mécontents de la ville et à sept heu-
res du matin le 8 août, John répondit à un coup frappé à sa
porte. Un constable lui remit un document signé par Thomas
79
John Wesley – Le monde pour paroisse

Christie, le greffier du tribunal de Savannah. Sur ce document,


on pouvait lire:

Géorgie, Savannah,
A tous les constables, officiers de paroisse et autres
personnes concernées:
Par la présente, vous, et chacun de vous, êtes requis pour
escorter John Wesley, ecclésiastique, et l’amener devant
les baillis de la ville susmentionnée afin de répondre à la
plainte de William Williamson et de Sophia, son épouse,
pour avoir diffamé ladite Sophia et refusé sans motif de
lui administrer le sacrement de la Sainte Cène dans la
congrégation; de ce fait ledit William Williamson rece-
vra mille livres sterlings pour dédommagement: pour
ce faire, il s’agit de votre mandat d’amener, certifiant ce
que vous avez à faire selon ce mandat.
Donné sous mon seing et mon sceau le huitième jour
d’août, Anno Domini 1737.
Tho. Christie

Après la lecture du mandat, John suivit le constable au palais


de justice, où les charges portées contre lui furent lues. Il fut
libéré sans caution et sommé de ne pas fuir la colonie. Son
audience fut fixée à début décembre. Malheureusement pour
John, le gouverneur Oglethorpe, le seul homme qui aurait été
en mesure de l’aider, se trouvait en Angleterre.
Alors que l’hiver approchait, John pensait ne jamais pouvoir
obtenir un procès équitable devant une cour en Géorgie – il
s’était fait trop d’ennemis dans la colonie. A la faveur de l’obs-
curité, dans les premières heures de la matinée du samedi
80
Evasion

2 décembre 1737, John quitta pour de bon le presbytère de


Savannah. Furtivement, il se fraya un chemin dans l’ombre
vers les rives du fleuve Savannah, à un endroit où il ne pouvait
pas être vu depuis le fort. Trois hommes attendaient dans une
barque pour l’aider à s’évader. Ils traversèrent le fleuve à la rame
jusqu’en Caroline du Sud. Le plan, une fois en Caroline du Sud,
était de marcher à travers les marécages et les bois jusqu’à Port
Royal, où John et l’un des autres hommes, fuyant aussi la Géorgie,
embarqueraient à bord d’un navire partant pour l’Angleterre.
L’aube commençait à poindre lorsque John et ses compagnons
s’enfoncèrent dans l’épaisse forêt. Les hommes furent bientôt
désorientés et incapables de dire vers où ils se dirigeaient. Ils
arrivèrent à une petite cabane où vivait un vieil homme nommé
Benjamin Arieu. Ils s’arrêtèrent et lui demandèrent la direction
de Port Royal et Benjamin leur indiqua un chemin étroit.
«Suivez les arbres balisés et ils vous amèneront à destination»
dit Benjamin. (Un arbre est «balisé» quand un morceau de
son écorce a été arraché pour marquer une piste.)
Suivant les arbres ainsi marqués, le groupe se trouvait sur la
bonne voie jusqu’au milieu de l’après-midi, quand ils arri-
vèrent à un embranchement de la piste où deux sentiers
étaient bordés d’arbres balisés. Ne sachant pas quelle direction
emprunter, le groupe décida de suivre le sentier qui tournait à
droite. Cependant, après un kilomètre et demi, celui-ci s’arrê-
tait soudainement au milieu d’un épais bosquet. Les hommes
ne pouvaient que faire demi-tour, revenir sur leurs pas et suivre
l’autre sentier de la piste. C’est ce qu’ils firent, mais ce sentier
se terminait aussi brusquement au milieu d’un bosquet fourni.
A ce moment le soleil commençait à décliner, et les quatre

81
John Wesley – Le monde pour paroisse

hommes s’installèrent pour passer une nuit glaciale dans les


bois. En se servant d’un bâton, ils parvinrent à creuser sur
environ un mètre jusqu’à l’eau afin de pouvoir boire, et John
avait apporté un petit gâteau qu’il partagea en quatre.
Malgré les circonstances difficiles, John dormit bien sur le sol
humide et, dès que le soleil fut levé, les hommes se mirent à
chercher le chemin de Port Royal. Vers midi, ne l’ayant pas
trouvé, ils décidèrent de retourner à la cabane de Benjamin
Arieu. Ils y arrivèrent au moment où l’obscurité s’installait.
Benjamin fut surpris qu’ils n’aient pas été en mesure de trou-
ver leur chemin et promit d’envoyer son neveu avec eux le
lendemain pour leur servir de guide.
Au lever du soleil, le matin suivant, le groupe partit une nou-
velle fois depuis la cabane de Benjamin. Il ne fallut pas long-
temps aux hommes pour apprendre que le neveu du vieillard
ne connaissait pas vraiment le chemin de Port Royal et ils
furent bientôt perdus à nouveau. Heureusement, le neveu de
Benjamin avait un bon sens de l’orientation. Quand la piste
prit fin, il guida le groupe alors qu’ils s’enfonçaient dans la
forêt dense et les broussailles et pataugeaient dans un terrain
marécageux. Il fallut deux jours de plus, mais le groupe arriva
finalement à Port Royal. John était heureux de voir l’endroit,
bien que sa joie fût tempérée par le fait qu’aucun bateau n’était
amarré dans le port pour y attendre un retour en Angleterre.
En fait, ce n’est pas avant le 22 décembre que John put finale-
ment monter à bord du Samuel, qui était arrivé plusieurs jours
auparavant et était sur le point de prendre la mer pour l’Angle-
terre. Le capitaine accepta de le ramener chez lui.
Si John avait espéré voir son moral remonter en quittant
l’Amérique du Nord, il s’était malheureusement trompé. Il
82
Evasion

commença le voyage avec un épisode de mal de mer qui céda


la place à un état de dépression générale. Des réflexions sur
les grands espoirs qu’il avait eus pour lui-même en quittant
l’Angleterre envahissaient sa pensée. Il allait être missionnaire
parmi les Indiens, mener une vie simple et rechercher Dieu de
tout son cœur. Quelle mascarade il avait fait de ces intentions!
C’est à peine s’il avait parlé à un Indien, il s’était retrouvé
impliqué dans toutes sortes de ragots et avait tourné sa vie et
celle de Sophia en un spectacle public. Il avait essayé du mieux
qu’il pouvait et voilà la pagaille qu’il avait réussi à engendrer. A
quoi servait-il? Serait-il jamais capable de faire quelque chose
de valable pour Dieu?
Pour empirer les choses, si c’était possible, une tempête se leva
et il eut à nouveau peur pour sa vie. Cette fois-ci, il n’y avait à
bord du navire aucun Morave avec qui chanter des hymnes et
il se sentait plus effrayé de mourir qu’il ne l’avait été de toute
sa vie. N’ai-je rien appris sur la confiance en Dieu pendant cette
année et demie? se demanda-t-il. Dans son désespoir, il sortit
son journal et écrivit:

Je suis allé en Amérique pour convertir les Indiens;


mais oh, qui va me convertir? Qui me délivrera de
ce cœur mauvais? J’ai une bonne assise de religion. Je
peux bien parler: je dis, et je me crois, quand aucun
danger n’est proche; mais que la mort me regarde en
face, et mon esprit est troublé. Je ne peux pas dire non
plus «la mort m’est un gain!...» Dans une tempête, je
pense «Et si l’Evangile n’était pas vrai?» (De tous les
hommes, je suis alors le plus insensé.)

83
John Wesley – Le monde pour paroisse

La tempête ne réclama ni la vie de John ni le Samuel, et tandis


que le navire poursuivait son voyage, John continua de déver-
ser son cœur dans son journal.

Cela fait maintenant deux ans et presque quatre mois que j’ai
quitté mon pays natal, afin d’enseigner aux Indiens de Géorgie
la nature du christianisme: mais qu’ai-je appris moi-même dans
le même temps? Pourquoi (ce que je soupçonnais le moins) moi
qui suis allé en Amérique pour convertir les autres, je n’ai jamais
été moi-même converti à Dieu. «Je ne suis pas fou», même si je
parle ainsi, mais «ce sont au contraire, des paroles de vérité et de
bon sens que je prononce», si par hasard quelques-uns de ceux
qui rêvent encore pouvaient s’éveiller et voir que comme je suis, de
même ils sont….
J’ai appris cela aux confins de la terre – que je suis «privé de la
gloire de Dieu»; que mon cœur entier est à la fois «corrompu et
abominable»; et par conséquent toute ma vie (car ce ne peut être
un «mauvais arbre» qui «porte du bon fruit»): «étranger»
comme je le suis à la vie de Dieu, je suis un «enfant de colère» et
un héritier de l’enfer.

Noël, puis le Nouvel-An 1738 passèrent à bord du navire, avec


peu de joie pour John. Autant il détestait être en mer, autant
il redoutait la fin du voyage vers l’Angleterre. Qu’allait-il dire
à sa famille et à ses amis quand il arriverait là-bas? Qu’allait-il
faire? Serait-il accepté comme recteur ou vicaire à présent? Il
ne savait pas, et il s’en moquait.

84
9
Sauvé par la foi

Le 1er février 1738, John débarqua à Deal, dans le Kent en


Angleterre, plus désemparé et déprimé qu’il ne l’était en
embarquant à Port Royal, en Caroline du Sud. Une fois à terre,
ne voulant pas faire face à ses amis d’Oxford, il se rendit à
Londres où il resta avec son ami James Hutton. A son arrivée,
John fut surpris d’apprendre qu’une poignée de petits groupes
«méthodistes» avaient été formés en Angleterre. Au cours des
deux années qu’il avait passées en Géorgie, des membres du
Club des Saints avaient repris des postes de ministres du culte
à travers le pays et avaient répandu les idéaux du club. Quand
bien même, John ne se réjouit pas vraiment de l’expansion du
club – il était préoccupé par ses problèmes.
Six jours après son arrivée en Angleterre, il rencontra un
homme appelé Peter Bölher. Peter était un Morave en route
pour Savannah, Géorgie, qui avait besoin d’un endroit où
séjourner quelques jours. Comme Peter ne parlait pas du tout
anglais, John, qui parlait un peu allemand, lui offrit de traduire
pour lui et de l’aider à trouver un logement pour son séjour en
Angleterre.

85
John Wesley – Le monde pour paroisse

Il fut bientôt évident que Peter pouvait aider John bien plus
que John ne pouvait l’aider. Les deux hommes passèrent de
nombreuses heures à parler de la condition de l’âme de John
et de la manière exacte dont une personne pouvait être sauvée
de l’enfer et mener une vie réellement sainte. John avançait ses
meilleures idées, mais Peter secouait la tête. «Mon frère, mon
frère», soupirait-il, «cette philosophie qu’est la vôtre doit être
expurgée». Quelquefois John était d’accord avec lui, mais
d’autres fois il discutait le point.
Pour finir Peter et John visitèrent Charles Wesley à Oxford.
Charles interrogea soigneusement Peter et en arriva finale-
ment à accepter l’affirmation selon laquelle un chrétien est
sauvé par la grâce de Dieu et rien d’autre. La facilité avec
laquelle Charles accepta le message de Peter irrita John. Bien
qu’il voulût croire ce que le Morave avait dit et essayât de
toutes ses forces de l’accepter, et même après que Peter lui eut
parlé et eut prié avec lui, John ne ressentait aucun changement
dans sa vie.
Quand il demanda finalement à Peter s’il devait complète-
ment cesser de prêcher, le Morave lui fit une réponse surpre-
nante. «Prêchez, mon frère, prêchez. Il n’est pas question que
vous abandonniez».
«Mais que vais-je prêcher?» demanda John dans son déses-
poir.
«Prêchez la foi jusqu’à ce que vous l’ayez, et ensuite, parce que
vous l’aurez, vous prêcherez la foi» répondit Peter.
John décida de suivre le conseil de Peter et plusieurs jours plus
tard il visita un condamné à mort à la prison locale. En entrant
dans la prison, ses pensées étaient tourmentées. Il voulait dire
au prisonnier condamné que s’il croyait en Christ il irait au
86
Sauvé par la foi

ciel quand il mourrait, mais se demandait s’il allait pouvoir


se résoudre à le faire. Une conversion instantanée était très
éloignée de tout ce qu’il avait prêché auparavant. Après tout
une personne était censée démontrer sa conversion en accom-
plissant de «bonnes œuvres». Si le prisonnier condamné se
convertissait, il n’aurait ni le temps ni la liberté de le démon-
trer en faisant quelque changement que ce soit dans sa vie
puisqu’il devait être pendu le lendemain. John décida cepen-
dant de se lancer. A mesure qu’il partageait l’Evangile avec le
condamné, lui et le prisonnier furent tous deux convaincus
que l’amour de Dieu était suffisamment grand pour atteindre
même un homme qui ne serait en mesure d’accomplir aucune
«œuvre» après sa conversion. John quitta la prison en sachant
qu’il était sur la bonne voie, même s’il ne sentait pas qu’il avait
fait la percée qu’il attendait.
La situation commença à changer pour lui le 24 mai 1738. Sa
journée commença comme beaucoup d’autres, et John écrivit
dans son journal:

J’ai continué ainsi à le chercher (mais avec une indiffé-


rence étrange, de l’apathie, de la froideur et des rechu-
tes dans le péché anormalement fréquentes), jusqu’au
24 mai. Je pense que c’est aux environs de cinq heures
ce matin-là que j’ai ouvert mon Testament sur ces
paroles: «Ainsi, nous bénéficions des dons infiniment
précieux que Dieu nous avait promis. Il a voulu, par
ces dons, vous rendre conformes à ce que Dieu est»
(2 Pierre 1.4). Alors que je sortais, je l’ouvris à nouveau
sur ces mots: «Tu n’es pas loin du royaume de Dieu»
(Marc 12.34). Dans l’après-midi, on me demanda de
87
John Wesley – Le monde pour paroisse

me rendre à St Paul. On chanta cet hymne: «Du fond


de l’abîme je t’invoque, ô Eternel! Seigneur, écoute ma
voix! Que tes oreilles soient attentives à la voix de mes
supplications! Si tu gardais le souvenir des iniquités,
Eternel, Seigneur, qui pourrait subsister? Mais le
pardon se trouve auprès de toi, afin qu’on te craigne.
Israël, mets ton espoir en l’Eternel! Car la miséricorde
est auprès de l’Eternel, et la rédemption est auprès de
lui en abondance. C’est lui qui rachètera Israël de tou-
tes ses iniquités.»

Le jour suivant le voyage spirituel de John se poursuivit.

Dans la soirée je me suis rendu bien malgré moi à une


société d’Aldersgate Street, où quelqu’un faisait lecture
de la préface de l’Epître aux Romains écrite par Luther.
Vers vingt heures quarante-cinq, alors qu’il décrivait le
changement que Dieu opère dans le cœur par la foi en
Christ, j’ai senti mon cœur se réchauffer étrangement.
J’ai senti que j’avais confiance en Christ et en lui seul
pour mon salut, et l’assurance m’a été donnée qu’il a
pris mes péchés, même les miens, et m’a personnelle-
ment sauvé de la loi du péché et de la mort.

Pour la première fois depuis longtemps, John sentit qu’il était


réellement chrétien et que sa vie était agréable à Dieu. Il ne
perdit pas de temps pour dire aux autres qu’eux aussi avaient
besoin d’être «sauvés par la foi». La plupart de ceux qui l’en-
tendirent prêcher pensèrent qu’il était devenu fou. La mère de
James Hutton écrivit même à Samuel Wesley et lui dit «Car
88
Sauvé par la foi

après sa conduite du dimanche 28 mai, quand vous l’enten-


drez, vous penserez de lui qu’il n’a pas tout à fait son bon sens.
Il s’est levé dans notre maison et a déclaré aux gens que, cinq
jours auparavant, il n’était pas chrétien.»
Samuel ne fut pas amusé par les étranges divagations de son
jeune frère, et lui écrivit une lettre acerbe. «Si tu n’es pas chré-
tien depuis que je te connais, alors tu as été un grand hypo-
crite, car tu nous as fait croire que tu l’étais.»
John se rendit bientôt compte que sa nouvelle position théo-
logique selon laquelle on est sauvé par la foi offusquait aussi
nombre d’autres personnes. Il fut interdit de prédication dans
les églises de Londres et des environs, et ses amis étaient offen-
sés par les conversations qu’ils tenaient avec lui. Moins d’un
mois après son expérience d’Aldersgate, John se sentit attaqué.
Il devait aller quelque part pour faire le tri dans ce qu’il res-
sentait et décider de ce qu’il allait faire ensuite. Il fixa bientôt
une destination: Herrnhut, en Saxe, la maison du comte von
Zinzendorf et des Moraves.
Le 7 juin 1738, John rendit visite à sa mère qui vivait main-
tenant avec Anne à Salisbury. Il expliqua à Susanna ce qui
lui était arrivé et qu’il comptait se rendre en Allemagne, et
demanda ensuite sa bénédiction. Mais Susanna refusa de don-
ner à son fils la bénédiction qu’il sollicitait. Au lieu de cela,
elle dit à John qu’elle pensait que ses nouvelles idées étaient
«extravagantes et enthousiastes».
John partit quand même en Saxe, accompagné de son fidèle
ami Benjamin Ingham. Après huit semaines d’un voyage
exténuant, John et Benjamin rejoignirent la communauté
morave de Marienborn, où John avait appris que le comte von
Zinzendorf séjournait. Il était si malade à son arrivée qu’il ne
89
John Wesley – Le monde pour paroisse

put avoir qu’une brève conversation avec le comte. Même s’il


ne se sentait pas bien, John fut très impressionné par le peu qu’il
vit de la communauté morave. Dans son journal, il écrivit:

La famille à Marienborn est constituée de quatre-


vingt-dix personnes, venant de nombreuses nations.
Ils vivent actuellement dans une grande maison louée
par le comte, qui peut en accueillir un bien plus grand
nombre; mais ils en construisent une à environ trois
miles anglais de là, au sommet d’une colline fertile.
«Voici, oh! Qu’il est agréable, qu’il est doux pour des
frères de demeurer ensemble!»

Le jour suivant John se sentait mieux, et il accompagna le


comte von Zinzendorf lors d’un court voyage pour visiter un
ami. John apprécia d’observer les coutumes allemandes et les
interactions entre les personnes au moment du dîner.
A Marienborn, il travailla dans le jardin de la communauté et
passa du temps à parler avec la plupart des Moraves. Il trouva
leur message et leurs manières attrayants, comme il le consigna
dans son journal:

Je logeais avec l’un des frères à Eckershausen, à un


mile anglais de Marienborn où en général je passais
la journée, principalement à converser avec ceux qui
pouvaient parler ou le latin ou l’anglais; ne pouvant,
faut de pratique, m’exprimer facilement en allemand.
Ici je rencontrais continuellement ce que je cherchais, à
savoir, des preuves vivantes de la puissance de la foi:
des personnes sauvées du péché aussi bien intérieur
90
Sauvé par la foi

qu’extérieur par «l’amour de Dieu répandu dans


[leurs] cœurs»; et délivrées de tout doute et toute
crainte par le témoignage continuel du «Saint Esprit
qui [leur] a été donné».

Le dimanche 6 août, John se trouvait à Herrnhut où il se joi-


gnit aux services religieux de la communauté morave. Il trouva
les services agréablement différents.

Dès que le service du soir d’Herrnhut a été terminé,


tous les hommes célibataires (comme le veut leur cou-
tume) ont marché autour de la ville en chantant des
louanges avec des instruments de musique, avant de
former un cercle sur une petite colline à quelque dis-
tance de là pour s’unir dans la prière. Ils sont ensuite
retournés sur la grande place et, peu après onze heures,
se sont recommandés l’un l’autre à Dieu.

John assista aussi aux funérailles d’un jeune garçon morave et


fut à nouveau frappé par la foi simple qu’il rencontra.

Un enfant a été enseveli. Le cimetière (qu’ils appellent


Gottes Acker, le sol de Dieu) se trouve à quelques
centaines de mètres à l’extérieur de la ville, sous le
côté d’un petit bois. Il se compose de carrés distincts
pour les hommes mariés et les hommes non-mariés,
pour les femmes mariées et pour les célibataires, pour
les enfants garçons et filles ainsi que pour les veufs. Le
cadavre a été porté depuis la chapelle. Tous chantaient
en avançant. Arrivés au carré où sont enterrés les
91
John Wesley – Le monde pour paroisse

enfants mâles, les hommes se sont tenus sur deux des


côtés, les garçons sur le troisième et les femmes et les
fillettes sur le quatrième. Là, ils ont à nouveau chanté:
après cela le pasteur a fait une courte prière (je crois
qu’il l’a lue) et a conclu par cette bénédiction: «Je te
confie en la bienveillante miséricorde et la protection
de Dieu.»
Voyant le père [de l’enfant] (un homme simple, tailleur
de métier) regarder la tombe, je lui ai demandé
«Comment vous sentez-vous?» Il a répondu: «Loué
soit le Seigneur, je n’ai jamais été mieux. Il a pris
pour lui l’âme de mon enfant. J’ai vu, selon mon désir,
son corps être remis en terre consacrée. Et je sais que
lorsqu’il ressuscitera, nous serons lui et moi pour tou-
jours avec le Seigneur.»

Toutes ces choses impressionnèrent John, qui écrivit libre-


ment à leur sujet. Mais d’autres choses le perturbaient. L’une
d’elles était le fait que le comte von Zinzendorf n’était pas d’ac-
cord avec Peter Bölher sur la question d’être sauvé par la foi.
Comme John semblait se poser encore de nombreuses ques-
tions au sujet de sa foi, les Moraves décidèrent qu’ils ne lui
permettraient pas de partager la communion avec eux, de peur
qu’il ne mange et ne boive «un jugement contre lui-même».
Ceci insulta John, en particulier du fait que son ami Benjamin
était le bienvenu à leur table de communion.
John essaya de regarder le bon côté des choses, et il passa du
temps à visiter diverses communautés moraves. Quand il fut
temps pour lui de quitter la Saxe et de retourner en Angleterre,
il écrivit: «J’aurais volontiers passé ma vie ici, mais mon maître
92
Sauvé par la foi

m’appelle pour travailler dans une autre partie de sa vigne…


Ô, quand CE christianisme couvrira-t-il la terre comme les
eaux couvrent la mer?»
Pendant les quelques mois qui suivirent, John prêcha partout
où on lui permit de le faire. Son principal sermon était «c’est
par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi».
Ce n’était pas un message populaire. John était rarement le
bienvenu pour prêcher une deuxième fois dans une église, et
les autorités de l’Eglise d’Angleterre s’inquiétaient particuliè-
rement des «enthousiasmes étranges» qui s’emparaient de
certains de ceux qui avaient entendu ses sermons.
Pour sa part, John se réjouissait de l’idée selon laquelle Dieu
parle à son peuple par de nombreux moyens différents. Il ne
voyait rien de mal dans les rêves spirituels, les visions et les
voix surnaturelles. Il ne sourcilla pas quand, alors qu’il prêchait
à l’asile de St Thomas, une jeune femme se mit à crier. Elle se
tordait, «délirante, hurlant et se torturant», comme John le
décrivit. John cessa aussitôt de prêcher et pria pour la femme,
qui se calma immédiatement, amenant plusieurs personnes de
la congrégation à être émus aux larmes.
Vers la fin de l’année, John n’était autorisé à prêcher que depuis
trois ou quatre chaires de l’Eglise d’Angleterre. Il en résultait
qu’il n’était pas sûr de la manière de procéder. Quand bien
même, les méthodistes le considéraient comme leur fondateur
et leur chef non officiel, car la poignée de petites sociétés qui
avaient émergé descendaient directement du Club des Saints
d’Oxford. John décida de passer le Nouvel An 1738-39 avec
un groupe de méthodistes qui se réunissait dans Fetter Lane.
Le groupe avait prévu un dîner de pain et d’eau ainsi qu’un
service de prière de toute une nuit. Sept membres de l’ancien
93
John Wesley – Le monde pour paroisse

Club des Saints étaient présents pour l’événement, incluant


Georges Whitefield, Charles Wesley, Benjamin Ingham et le
beau-frère de John, Westley Hall. Près de soixante fervents
chrétiens y assistaient aussi.
Plus tard John décrivit l’événement. «Vers trois heures du
matin, alors que nous continuions l’instant dans la prière,
la puissance de Dieu est descendue sur nous avec force, au
point que beaucoup d’entre nous ont poussé des cris d’allé-
gresse tandis que de nombreux autres sont tombés à terre.
Dès que nous avons été un peu remis de cette stupéfaction
et de cet émerveillement de la présence de sa majesté, nous
avons déclaré d’une seule voix: «Nous te louons, ô Dieu, nous
reconnaissons que tu es le Seigneur!»
Cependant, ce fut George Whitefield et non John Wesley qui
saisit la pleine signification spirituelle de cette nuit de prière.
Le jour suivant, George écrivit de l’événement: «Nous avons
poursuivi dans le jeûne et la prière jusqu’à trois heures, et nous
nous sommes ensuite séparés en ayant la conviction que Dieu
allait faire de grande choses parmi nous».
Il allait s’écouler encore trois mois avant que John commence
à faire l’expérience de ce que George avait annoncé.

94
10
Le monde pour paroisse

A mesure que l’année 1739 avançait, les portes continuèrent


à se fermer pour John Wesley de même que pour George
Whitefield, qui s’était lui-même avéré un prédicateur ardent.
Finalement, plusieurs membres du groupe méthodiste de
Fetter Lane suggérèrent que George se rende à Bristol pour voir
s’il y avait des possibilités de prêcher là-bas. Malheureusement
sa réputation de prédicateur enflammé l’avait précédé et l’un
après l’autre, tous les prêtres de Bristol refusèrent de le laisser
monter en chaire pour s’adresser à leurs congrégations.
Frustré, mais non vaincu par la situation, George déclara: « Je
pensais qu’il s’agissait de faire le service de mon Créateur qui
avait une montagne pour chaire et les cieux comme caisse de
résonnance, et qui, quand son Evangile fut rejeté par les Juifs,
envoya ses serviteurs par les chemins et le long des haies.»
Georges s’en fut donc par les chemins et le long des haies –
ou plus précisément dans les bassins houillers de Kingswood
dans la banlieue de Bristol.
Kingswood était un «no-man’s-land» spirituel de plus d’une
manière. Du fait que l’Eglise d’Angleterre était l’église offi-
cielle approuvée par l’Etat, toute nouvelle paroisse devait
95
John Wesley – Le monde pour paroisse

être créée par un acte du Parlement. Mais en réponse à l’in-


dustrialisation croissante de l’Angleterre, l’industrie minière
avait émergé rapidement et aucune église anglicane n’avait été
établie dans la région pour les charbonniers (les mineurs), qui
ne s’y seraient pas rendus, de toute façon.
Les mineurs formaient un groupe de personnes frustes et
incultes qui raillaient toute tentative faite pour les convertir
au christianisme, du moins jusqu’à ce que George Whitefield
arrive avec son style de prédication percutant. Les charbon-
niers et leurs familles affluèrent pour l’entendre parler dans les
réunions en plein air. Parfois, jusqu’à vingt mille personnes se
rassemblaient pour l’écouter prêcher!
John entendit parler pour la première fois des événements
à Kingswood dans une lettre de George. La lettre, écrite le
3 mars 1739, décrivait une «porte glorieuse ouverte parmi les
charbonniers de Kingswood». En terminant sa lettre, George
invita John à «venir arroser ce que Dieu lui avait permis de
planter».
Une seconde lettre de George, trois semaines plus tard, fut
plus directe. «Si les frères [les méthodistes de Fetter Lane],
après avoir prié pour une direction, considèrent cela comme
juste, préparez votre arrivée à Bristol pour la fin de la semaine
prochaine.»
John fut choqué en lisant cette seconde lettre. George suggé-
rait sérieusement qu’il vienne à Bristol, prêche en plein air et
entraîne des charbonniers illettrés sur la voie de l’Evangile.
John ne voulait pas y aller, et son frère Charles était encore
plus opposé à cette idée.
Les deux frères décidèrent cependant de rechercher le conseil
de Dieu sur ce qu’il fallait faire. Suivant la tradition morave,
96
Le monde pour paroisse

John pria, ouvrit sa Bible et indiqua un verset où on lisait:


«Voici, je t’enlève par une mort soudaine ce qui fait les délices
de tes yeux. Tu ne te lamenteras point, tu ne pleureras point,
et tes larmes ne couleront pas.» Ni John ni Charles ne pou-
vant dire exactement ce que cela signifiait, ils présentèrent la
question à la société de Fetter Lane. Les membres du groupe
suggérèrent que John tire au sort pour régler le problème. John
approuva et tira un bout de papier d’un chapeau. Le mot écrit
sur le morceau de papier était «Va», et sans se poser davantage
de questions, John partit pour Bristol.
Quand il arriva à destination, les conditions étaient pires enco-
re que ce qu’il avait craint. Maintenant George prêchait sur un
terrain de boules et des milliers de personnes affluaient pour
l’entendre, grimpant aux arbres et s’asseyant sur les toits pour
disposer d’une meilleure vue. John frémit d’avoir à prendre
part à une séance aussi désordonnée.
George fut heureux de voir John et annonça qu’il avait décidé
de partir pour la colonie géorgienne. Le jour suivant il remit
ses responsabilités de prédicateur à John et partit pour un
dernier voyage à Londres avant de prendre la mer pour l’Amé-
rique du Nord.
A la tournure que prenaient les événements, John secoua la
tête en signe d’incrédulité. Il affirma qu’il ne pouvait prêcher
en plein air. Au lieu de cela, il commença à prêcher à l’intérieur,
pour de petits groupes de méthodistes qui s’étaient rapidement
formés dans Bristol et aux alentours, en résultat des prédica-
tions de George. Cependant, il ne fallut pas longtemps avant
que les petites salles de réunion méthodistes ne soient bondées
et, quand le plancher de l’une d’entre elles s’effondra sous le
poids, John abandonna et se décida à prêcher à l’extérieur.
97
John Wesley – Le monde pour paroisse

Le lundi 2 avril fut un jour que John Wesley n’allait jamais


oublier. A trois heures trente de l’après-midi, il cheminait sur
les terrils en direction de la briqueterie où il avait accepté de
prêcher. Son estomac était noué, et il essayait de ne pas penser
à ce qu’il allait faire, lui, un prêtre anglican ordonné.
Bien qu’il ne soit pas illégal de prêcher à l’extérieur, ce n’était
pas dans les règles, et les autorités ecclésiastiques désapprou-
vaient. John prit une profonde respiration et pria en silence
alors qu’une foule de charbonniers qui venaient juste de ter-
miner leur journée de travail se pressaient autour de lui.
A quatre heures, John prit une autre respiration profonde et
se lança dans son premier sermon délivré en plein air. Il choi-
sit de prêcher sur le texte de l’Evangile de Luc: «L’Esprit du
Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a oint pour annoncer une
bonne nouvelle aux pauvres; il m’a envoyé pour guérir ceux
qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs la délivrance
et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres
les opprimés, pour publier une année de grâce du Seigneur.»
A mesure que John prêchait, davantage de gens se rassemblè-
rent pour l’écouter, jusqu’à ce que la foule comptât près de
trois mille personnes. Il continua de prêcher, se sentant de
plus en plus audacieux. Quand le sermon fut terminé, il ren-
voya la foule avec une prière et retourna à son logis.
Cette nuit-là il se tint seul dans sa chambre, en se demandant
comment il avait fait. Il savait qu’il n’était pas un prédicateur
aussi dynamique que George Whitefield, mais il avait prêché
l’Evangile aussi bien qu’il savait le faire. Cela allait-il suffire?
Aurait-il le courage de le faire à nouveau?
La réponse à ces questions arriva le jour suivant. John
s’éveilla en chantant un cantique et avec la sensation de suivre
98
Le monde pour paroisse

exactement la volonté de Dieu pour sa vie. Il décida que,


plus tard dans l’après-midi, il suivrait les traces de George
Whitefield et irait prêcher à Hannam Mount, un autre bassin
houiller près de Bristol. Mais d’abord John devait prendre la
parole à la société méthodiste de Nicholas Street, à sept heures
du matin.
Même à cette heure matinale, plus de mille personnes vinrent
l’entendre prêcher. Et cet après-midi-là, quand John arriva
finalement à Hannam Mount, mille cinq cents mineurs s’arrê-
tèrent pour écouter sa prédication. Plus tard cette nuit-là, il se
rendit à Kingswood et Rose Green, où d’immenses foules se
rassemblèrent aussi pour l’entendre.
Au moment où il se coucha, John estima qu’il avait prêché
devant plus de cinq mille personnes. Ce n’était pas n’importe
lesquelles – c’était des personnes qui n’avaient jamais assisté à
un service anglican régulier, et qui n’y auraient probablement
pas été bienvenues si elles l’avaient fait.
D’autres réunions suivirent et d’étranges événements com-
mencèrent à s’y produire. Certains de ceux qui venaient pour
l’entendre criaient et se tordaient de douleur à mesure qu’ils se
trouvaient convaincus de leurs propres péchés. D’autres riaient
de manière irrépressible ou parlaient «d’autres langues», ou
des langues inconnues sans pouvoir s’arrêter. Comme si de
rien n’était, John consigna nombre de ces événements dans
son journal.

21 avril. A Weaver’s Hall, un jeune homme a soudai-


nement été saisi de violents tremblements et s’est effon-
dré sur le sol. Nous n’avons pas cessé d’invoquer Dieu
jusqu’à ce qu’il le relève, plein de paix et de joie.
99
John Wesley – Le monde pour paroisse

21 mai. Dans la soirée, presque aussitôt après avoir


commencé à parler à Nicholas Street, j’ai été interrom-
pu par les cris de quelqu’un qui avait été piqué au cœur
et soupirait fortement après le pardon et la paix…une
autre personne est tombée, près de quelqu’un qui était
un fervent défenseur de la doctrine contraire. Alors
que ce dernier était encore sous le coup de l’étonne-
ment suscité par cette vue, un petit garçon près de lui
a été saisi de la même manière. Un jeune homme qui
se tenait derrière l’a fixé du regard et est aussi tombé
comme mort, mais il a rapidement commencé à hurler
et à se frapper contre le sol, et six hommes ont à peine
suffi à le contenir.

22 juin. Dans la société, quelqu’un devant moi est


tombé comme mort, et bientôt un second, puis un
troisième. Cinq autres sont tombés en une demi-
heure, dont la plupart se sont trouvés dans de violentes
agonies. Devant leur détresse, nous avons invoqué le
Seigneur et il nous a donné une réponse de paix.

Bien que de tels phénomènes puissent se trouver dans la théo-


logie anglicane, ils ne faisaient pas partie des pratiques réguliè-
res de l’église, ce qui souleva de nombreuses critiques.
John, cependant, était loin de s’en préoccuper. Avec l’aide de
George Whitefield, il avait découvert le travail de sa vie – et il
le savait. Des millions de non-croyants, hommes, femmes et
enfants, attendaient d’entendre l’Evangile, mais personne en
Angleterre n’avait fait le moindre effort pour le leur apporter.

100
Le monde pour paroisse

John avait la ferme intention d’être celui qui leur annoncerait


les bonnes nouvelles de Jésus-Christ.
Lorsque son frère Samuel lui écrivit pour se plaindre des mani-
festations émotionnelles étranges qui accompagnaient ses
réunions, John lui répondit «Dieu m’ordonne de faire le bien
envers tous les hommes, d’instruire les ignorants, de réformer
les méchants, de confirmer les vertueux… Les hommes m’or-
donnent de ne pas le faire dans la paroisse d’un autre homme.
C’est-à-dire, en fait, de ne pas le faire du tout… Mon appel
extraordinaire est attesté par les œuvres de Dieu…je considère
le monde comme ma paroisse.»
Bien que les méthodistes soient restés un groupe au sein de
l’Eglise anglicane, les membres de ce groupe voulaient passer
plus de temps à se réunir pour prier et partager les uns avec les
autres leurs fardeaux spirituels.
Les deux principaux groupes méthodistes de Bristol se réu-
nirent et décidèrent d’acquérir leur propre temple. Ils l’ap-
pelèrent simplement «Notre Salle», et quand ils ne purent
trouver l’argent pour payer le bâtiment, John intervint pour les
aider à s’en sortir avec les paiements et rebaptisa l’endroit «La
Nouvelle Salle».
A Londres, un problème se posa à la société de Fetter Lane.
Les membres de cette société s’étaient toujours appuyés for-
tement sur l’enseignement morave, tout comme John, mais un
prédicateur venu d’Alsace, Philipp Henry Molther, était arrivé
à Londres et commençait à prêcher pendant les réunions de
Fetter Lane. Au moment où John avait connu des doutes quant
à son propre salut, Peter Bölher lui avait conseillé de prêcher
jusqu’à ce qu’il ait la foi, mais Molther donnait aux membres
du groupe de Fetter Lane le conseil opposé. Il appelait sa
101
John Wesley – Le monde pour paroisse

nouvelle doctrine «immobilité», et c’est exactement ce qu’el-


le signifiait. Les méthodistes de Fetter Lane furent enjoints de
ne rien faire du tout à moins qu’ils ne soient sûrs à cent pour
cent d’être sauvés. Cela impliquait de ne pas aller à l’église, de
ne pas prier, ni jeûner, ni lire les Ecritures ou tenter d’accom-
plir de bonnes œuvres.
Quand John retourna à Fetter Lane après une de ses visites à
Bristol, il fut horrifié de ce qu’il y trouva. Neuf fidèles sur dix
étaient partis, restant à l’écart des réunions de la société de peur
d’enfreindre la règle de l’ «immobilité». Toutes les œuvres de
charité du groupe avaient été suspendues, et presque personne
ne se rendait à l’église pour y prendre la Communion. Choqué,
John décida de faire quelque chose au sujet de la situation.
Cependant, faire quelque chose au sujet de la situation ne
s’avéra pas facile. Molther était un orateur persuasif, et de
nombreux membres de la société de Fetter Lane refusèrent
d’écouter John quand il plaida avec eux, tint des réunions spé-
ciales parmi eux, et écrivit des lettres ouvertes à Molther. En
juillet 1739, John sentit que la cause était perdue. Il demanda
à s’adresser une fois de plus aux membres de la société.
Incapable de raisonner avec eux encore une fois, il dit: «Je
vous ai prévenus de ceci encore et encore, et je vous ai sup-
pliés de revenir à la loi et au témoignage. J’ai été patient avec
vous pendant longtemps, espérant que vous reviendriez. Mais
comme je vous trouve de plus en plus enfoncés dans l’erreur, il
ne me reste rien d’autre que de vous confier à Dieu.»
Lorsque John se leva pour quitter la salle de réunion, vingt-
cinq hommes et quarante-huit femmes partirent avec lui. John
sut que ces personnes étaient ses véritables fidèles et qu’il
devrait leur trouver un nouveau foyer spirituel.
102
Le monde pour paroisse

En novembre 1738, John avait prêché deux fois sur le site de la


Fonderie Royale d’Upper Moorfields à Londres. La fonderie
avait jadis fabriqué des canons pour l’armée britannique, mais
avait été abandonnée en 1716 après une explosion, et l’atelier
était relocalisé à Woolwich. Des foules comptant près de six
mille personnes étaient venues à chacune des prédications
que John avait faites sur le site, et après l’un des services, deux
hommes influents l’avaient encouragé à acheter l’ancienne
fonderie pour en faire un temple méthodiste.
Etant donné les circonstances, John décida qu’il était temps
de donner suite à ce plan. Il parvint à louer la propriété et,
bientôt, les membres de la société de Fetter Lane qui l’avaient
suivi ainsi que des membres d’autres sociétés méthodistes de
Londres furent à l’œuvre pour transformer le bâtiment déla-
bré du site en une chapelle et des salles de réunion. Quand
ils auraient terminé, ils disposeraient d’une chapelle pouvant
accueillir mille cinq cents personnes, les hommes d’un côté et
les femmes de l’autre. Le bâtiment rénové comprendrait aussi
une autre salle de réunion qui pourrait accueillir trois cents
personnes, et à l’étage se trouverait un petit appartement pour
John.
A l’automne 1739, John était plus occupé que jamais, parta-
geant son temps entre Bristol et les sociétés méthodistes de
Londres. L’hiver qui s’abattit ensuite sur l’Angleterre fut l’un
des plus rigoureux de toutes ces années. La Tamise était gelée,
un vent à glacer les os soufflait de la mer du Nord et une pluie
froide détrempait tout. Malgré le temps, John continuait son
travail d’évangélisation à l’extérieur. Comme la nuit tombait
à quatre heures et demie de l’après-midi pendant l’hiver, il
se retrouva souvent à prêcher dans l’obscurité. Cependant,
103
John Wesley – Le monde pour paroisse

ni le froid ni la nuit ne semblaient éloigner les gens. Au cours


d’une des réunions que John tint à Bradford, malgré une pluie
torrentielle, dix mille personnes se rassemblèrent en plein air
pour l’entendre prêcher.
Pendant ce temps, Charles Wesley commençait à écrire des
cantiques à chanter lors de ces réunions. Le but de ces canti-
ques était de partager le point de vue méthodiste. On espérait
que les mélodies accrocheuses et les paroles soigneusement
écrites resteraient dans l’esprit de ceux qui les chanteraient ou
les entendraient chanter, et qu’ils penseraient à la signification
des mots toute la journée.
Novembre 1739 apporta de mauvaises nouvelles. Samuel
Wesley mourut à l’âge de quarante-neuf ans. Tombé malade
pendant la nuit, il était mort le matin suivant. John fut cho-
qué par la soudaineté du décès de son frère et peiné de ce
que Samuel soit mort en pensant qu’il était avec Charles une
source d’embarras pour l’église. Ce fut une période amère,
mais John était déterminé à persévérer. Et il persévéra. Durant
cette période, il vécut un certain nombre de moments forts,
particulièrement lorsqu’il prêcha devant une foule de quinze
mille personnes et vit beaucoup de gens être guéris et spiri-
tuellement renouvelés par son ministère.
Une fois la rénovation de l’ancienne fonderie terminée, John
emménagea dans son nouvel appartement à l’étage. Il persuada sa
mère, Susanna, qui était devenue davantage ouverte à ses croyan-
ces, de s’y installer avec lui. John se sentait à nouveau optimiste.
Les méthodistes disposaient désormais de bases permanentes à
Bristol et à Londres. Maintenant se disait John, il était temps de
se ramifier dans d’autres villes à travers l’Angleterre.

104
11
Une œuvre qui s’étend

John et ses fidèles avaient été trop optimistes en pensant que


les choses iraient bien pour eux une fois qu’ils auraient leur
propre lieu de réunion à Londres.
Au début de 1740 le monde de John était en plein tumulte.
Une querelle entre lui et George Whitefield, récemment reve-
nu de Géorgie, avait abouti à un conflit théologique majeur.
Les deux hommes étaient en désaccord sur la question sécu-
laire de savoir si Dieu prédestine ou choisit d’avance certaines
personnes pour être sauvées, ou si chaque personne est libre
de faire son propre choix. Pendant un temps les deux hommes
acceptèrent d’être en désaccord sur la question. Mais John se
sentit finalement obligé de défendre ce en quoi il croyait. Il
écrivit à George et lui dit: «Il y a un blasphème clairement
contenu dans l’horrible décret de préordination [ou prédes-
tination]. Là-dessus je reste ferme. Je m’inscris en faux contre
toute affirmation de cela. Tu représentes Dieu comme étant
pire que le diable. Mais tu dis que tu le prouveras avec les
Ecritures. Cela ne se peut!»
Charles Wesley entra également dans le débat en utilisant ses
compétences nouvellement acquises pour écrire des cantiques
105
John Wesley – Le monde pour paroisse

afin de faire comprendre la position de son frère. En fait les


cantiques de Charles étaient devenus un outil populaire pour
répandre la conviction de John selon laquelle Dieu a envoyé
Jésus-Christ pour mourir pour tous les hommes, et de ce fait,
personne n’est hors de portée du salut et de l’amour de Christ.
A une époque où la plupart des hommes et des femmes ne
savaient pas lire, les cantiques étaient un puissant moyen de
transmettre les idées et de les sceller dans la mémoire du chan-
teur.

Devrais-je, Seigneur, ton amour confiner,


et ne pas libérer les autres?
Tous les pécheurs ne devraient-ils pas trouver,
la grâce que j’ai rencontrée?
Les condamner à une mort sans fin,
sans pouvoir fuir ce destin,
oh Seigneur! Tout ton être est révolté,
par cet horrible décret!

Comme le désaccord entre John et George traînait en lon-


gueur, l’évêque de Londres, Edmund Gibson, s’irrita de ce que
deux prêtres anglicans sèment la dissension sur une question
de théologie aussi compliquée. Il ordonna à John et à George
de comparaître devant lui, mais aucun d’eux ne le fit. Les deux
hommes déclarèrent qu’ils agissaient sous l’autorité d’une
puissance supérieure à celle d’un simple évêque et qu’ils ne se
soumettraient donc pas à la sienne.
L’évêque Gibson aurait sans doute aussi beaucoup aimé discu-
ter avec John d’un autre problème – la question des prédica-
teurs laïcs. L’Eglise d’Angleterre tenait en partie par la stricte
106
Une œuvre qui s’étend

observation de ses règles. Une de ces règles énonçait claire-


ment que nul ne pouvait prêcher à moins d’avoir été ordonné,
et que nul ne pouvait être ordonné à moins d’avoir obtenu un
diplôme de l’une des universités approuvées par l’église et de
s’être engagé à faire respecter la doctrine anglicane. La pen-
sée que n’importe qui, un maçon, un maréchal-ferrant ou un
fermier puisse se lever et aborder des questions spirituelles et
théologiques devant une congrégation était choquante pour
l’anglican moyen. John fut néanmoins forcé de régler cette
question, car dans sa prédication, il encourageait les hommes
et les femmes à parler ouvertement de leur foi avec les autres.
L’affaire atteignit un point critique pour John alors qu’il
se trouvait à Bristol. On l’informa qu’un homme nommé
Thomas Maxwell avait prêché à la réunion de méthodistes de
Londres, dans la fonderie aménagée. En fait John fut si alarmé
par les nouvelles qu’il rentra en toute hâte pour confronter
Thomas. Cependant, quand il atteignit enfin la fonderie, il
rencontra sa mère.
A l’expression du visage de son fils, Susanna put dire que celui-
ci avait eu connaissance de la prédication de Thomas. Elle lui
offrit un conseil. «John, prends garde à ce que tu fais à l’égard
de ce jeune homme, car il est sûrement appelé à prêcher tout
comme toi», dit-elle. Ses paroles coupèrent John dans son
élan, et il décida de se glisser au fond de la salle et d’écouter
Thomas prêcher avant de le confronter.
Bien qu’il ne soit pas diplômé d’université, Thomas Maxwell
parlait avec force et éloquence. Pour la première fois, l’idée que
Dieu peut appeler n’importe quel homme à monter en chaire
pour prêcher commençait à pénétrer dans la pensée de John.
Ebranlé, il quitta la réunion et dit à sa mère: «C’est l’œuvre du
107
John Wesley – Le monde pour paroisse

Seigneur. Qu’il fasse ce qui lui semble bon. Qui suis-je, pour
m’opposer à Dieu?»
Malgré leurs différences théologiques, les méthodistes com-
mencèrent leur premier programme social en 1740. Alors
que de plus en plus de paysans sans terre se déplaçaient de
la campagne vers les villes, la pauvreté devenait un problème
grandissant en Angleterre. John s’inquiétait de ce que les
méthodistes ne fassent pas assez pour aider les pauvres. Il s’ar-
rangea pour qu’une partie de la fonderie soit transformée en
un petit atelier, dans lequel douze membres parmi les pauvres
de la congrégation pouvaient apprendre à carder et à filer le
coton, une compétence qu’ils pourraient utiliser pour gagner
leur vie.
La présence de tant de pauvres et de sans-emploi dans les
villes créait des problèmes pour les méthodistes. Sans rien
d’autre à faire, beaucoup de ces pauvres gens se regroupaient
en bandes itinérantes, volant, se battant et causant générale-
ment beaucoup de nuisances. Ils aimaient particulièrement
harceler les gens dans la rue, et comme ils se rassemblaient
en plein air pour leurs réunions, les méthodistes constituaient
ici une cible facile. Ces gangs se regroupaient autour d’eux
pour les chahuter, les siffler et semer le désordre en géné-
ral. Ils cherchaient parfois à se battre avec les personnes qui
assistaient aux rassemblements. Une fois, à Hampton dans le
Gloucestershire, une bande de voyous déversa pendant une
heure et demie les restes de nourriture et de pâtée destinés aux
porcs sur un groupe de méthodistes qui s’étaient agenouillés
pour prier dans la rue.
John lui-même ne fut pas épargné par un tel traitement. Il fut
souvent harcelé par des foules indisciplinées quand il se levait
108
Une œuvre qui s’étend

pour prêcher. Heureusement, il était un orateur puissant et


persuasif, et à de nombreuses reprises il fut capable de désa-
morcer la situation par sa prédication. Un jour, alors que John
prêchait en plein air dans un espace vert de Pensford, près de
Bristol, une bande de vauriens fondit sur la réunion. Ils avaient
apporté avec eux un taureau qu’ils avaient passé des heures
à tourmenter pour attiser sa colère. Ils relâchèrent l’animal
espérant qu’il chargerait la foule, semant ainsi la pagaille et
blessant certains de ceux qui s’étaient rassemblés pour enten-
dre John prêcher. Mais le taureau furieux ne coopéra pas avec
ses bourreaux. Au lieu de foncer sur la foule, il se mit à courir
en décrivant des cercles à l’extérieur du groupe, jusqu’à vaciller
tant il était épuisé. Pendant tout ce temps, John continua sa
prédication.
Frustrés, les agitateurs capturèrent finalement le taureau exté-
nué et le conduisirent dans la foule. Ils le tirèrent vers les pre-
miers rangs de la réunion jusqu’à la table sur laquelle John se
tenait pour prêcher. Ensuite, ils le libérèrent et tentèrent de le
provoquer pour qu’il attaque John. Une fois encore le taureau
refusa de coopérer. Il se contenta de se tenir devant John, en
reniflant bruyamment. Cependant lorsque John vit que le
gang de voyous était désormais plus en colère que le taureau, il
décida qu’il était temps d’abandonner la table. A peine l’eut-il
fait que le groupe bondit en avant, se saisit de la table et passa
sa frustration dessus, la réduisant en allumettes.
Parfois les autorités locales essayaient de contrôler les situa-
tions de désordre quand elles se développaient, mais le plus
souvent elles ne faisaient rien. Parfois aussi les émeutes anti-
méthodistes, comme on en vint à les connaître, étaient sus-
citées par des ecclésiastiques de l’Eglise d’Angleterre, frustrés
109
John Wesley – Le monde pour paroisse

et préoccupés par la croissance du méthodisme dans leurs


rangs.
En octobre 1740 survint un décès choquant. Au mois de mars,
un éminent méthodiste nommé William Seward, un associé
de George Whitefield, était revenu en Angleterre depuis les
colonies américaines. William Seward parcourait le pays et
prêchait partout où une foule se réunissait. Et comme pour
les autres prédicateurs méthodistes, des bandes de voyous le
harcelaient souvent quand il prenait la parole. Une fois il fut
bombardé d’œufs pourris. Il fut ensuite attaqué par une foule
dans la petite ville de Hay-on-Wye, à la frontière de l’Angle-
terre et du Pays de Galles. Dans la bagarre il fut frappé à la tête
et mourut peu après d’une fracture du crâne, devenant ainsi le
premier martyr méthodiste. Sa mort eut un profond impact
sur John Wesley et les autres prédicateurs méthodistes.
Vers la fin de l’année, malgré les persécutions auxquelles les
méthodistes étaient confrontés dans les rues, John parvint à
former un groupe de vingt prédicateurs laïcs qui se déployè-
rent entre Bristol et Londres pour prêcher aux masses. Avant
que ces prédicateurs ne prennent la route, John leur présenta
un ensemble de règles afin de les guider:

  1. Etre diligent. Ne jamais rester une minute sans occupa-


tion…
  2. Etre sérieux… Eviter toute légèreté ou plaisanterie.
  3. Converser avec parcimonie … avec les femmes.
  4. Ne franchir aucune étape vers le mariage, sans avoir
d’abord consulté vos frères.
  5. Ne croire du mal de personne…
  6. Ne dire du mal de personne…
110
Une œuvre qui s’étend

  7. Dire à chacun le problème que vous pensez avoir décelé


en lui…
  8. Ne pas jouer [avec prétention] les gentilshommes…
  9. N’avoir honte de rien, en dehors du péché: ni d’aller cher-
cher du bois … ni de tirer de l’eau…
10. Etre ponctuel. Tout faire exactement à l’heure…
11. Ce n’est pas votre affaire de prêcher tant et tant de fois,
ni de prendre soin de telle ou telle société, mais de sauver
autant d’âmes que possible.
12. Agir en toute chose non pas selon votre propre volonté,
mais comme un fils dans l’Evangile.

Les prédicateurs laïcs firent de leur mieux pour suivre ces


règles, mais dans de nombreux endroits qu’ils visitaient, ils
n’étaient pas bien accueillis, en particulier lorsque les gens réa-
lisaient qu’ils n’étaient pas «qualifiés» pour le ministère. L’un
d’entre eux, John Nelson, qui était tailleur de pierre de métier,
fut assailli et pratiquement battu à mort lors d’une assemblée
en plein air.
L’année 1741 n’apporta que peu de soulagement à ces pro-
blèmes. Kezziah Wesley, la plus jeune sœur de John, mourut
subitement. Ce fut un coup dur car elle n’avait que trente-deux
ans. Charles fut particulièrement accablé par cette mort et
Susanna Wesley trouva également difficile d’accepter le décès
de sa fille.
Pourtant, l’œuvre de partage de l’Evangile se poursuivit. Au
début de l’année 1742, John découvrit le secret pour maintenir
la cohésion des sociétés méthodistes. Cela arriva de manière
inattendue. A Bristol les méthodistes avaient des difficultés à
réunir les fonds nécessaires pour rembourser leur temple. Le
111
John Wesley – Le monde pour paroisse

capitaine Foy, un des membres les plus riches de cette société,


suggéra que chaque méthodiste en mesure de le faire paye
un penny par semaine jusqu’à ce que la dette du temple soit
effacée. Pour ce faire il proposa de répartir les membres de la
société en groupes de douze, un membre dans chaque groupe
prenant la responsabilité d’y collecter l’argent. Pour montrer
son soutien à ce nouveau plan, le capitaine Foy offrit de for-
mer un groupe avec onze des membres les plus pauvres de la
société, et de payer chacun de leurs pennies s’ils ne pouvaient
pas le faire.
Le plan fut un succès instantané, et bientôt les petits groupes
se réunirent chaque semaine, non seulement pour faire don de
leurs pennies mais aussi pour s’encourager ou se conseiller les
uns les autres. Tout le monde s’enthousiasmait de ce nouveau
développement, et John se rendit bientôt compte que la pièce
manquante du méthodisme résidait dans ces petits groupes
responsabilisés. Il commença immédiatement à encourager la
création de ces groupes partout où il prenait la parole. Il alla
même jusqu’à permettre à ceux qui les dirigeaient d’émettre
des billets de bonne conduite. Ces billets méthodistes étaient
valables deux mois et étaient délivrés à un membre après qu’il
ou elle eut payé un droit d’entrée d’un schilling. Tout membre
absent de trois réunions consécutives sans excuse valable ne
se voyait pas délivrer d’autre billet et n’était plus considéré
comme méthodiste. Le système était simple et facile à gérer,
ce qui libéra John pour accepter des missions de prédication
plus éloignées.
Deux mois plus tard, Lady Huntingdon, qui soutenait finan-
cièrement aussi bien John Wesley que George Whitefield,
suggéra que John apporte son message simple de l’Evangile
112
Une œuvre qui s’étend

aux charbonniers du nord de l’Angleterre. Comme ses groupes


méthodistes de Bristol et de Londres étaient sous contrôle, John
décida de suivre son conseil d’aller vers le nord. Il amena avec
lui John Taylor, un des domestiques de Lady Huntingdon, qui
était aussi prédicateur laïc. Les deux hommes chevauchèrent
vers le nord jusqu’à Newcastle, où ils arrivèrent le 30 mai 1742.
Comme ils ne connaissaient personne à Newcastle, les deux
hommes durent réfléchir à un moyen d’attirer une foule. Cela
s’avéra facile pour John. Il trouva son chemin jusqu’au quartier
pauvre de Sandgate, à flanc de coteau, où il se tint avec John
Taylor au coin d’une rue animée. Au milieu de l’agitation des
marchands et de leur clientèle, ils entonnèrent un cantique.
Une petite foule de curieux se rassembla pour voir ce qu’ils
allaient faire. Bientôt davantage de personnes se joignirent à
la foule jusqu’à ce que, dans un court laps de temps, plusieurs
centaines de personnes se hissent mutuellement pour voir
quelle était l’attraction. Quand John jugea le moment oppor-
tun, il commença à prêcher à la foule rassemblée, en utilisant
le texte «c’est pour nos péchés qu’il a été percé».
A la fin du sermon, John Wesley invita l’assistance à revenir
l’écouter prêcher le soir même. Cette fois la foule fut plus
grande, et John commença à tenir des séances régulières de
prédication et d’enseignement à Sandgate. En deux semaines
il avait attiré un ensemble d’hommes et de femmes qui étaient
prêts à être organisés en petits groupes. John Wesley et John
Taylor travaillèrent sans relâche pour s’assurer que les métho-
distes de Newcastle forment un groupe uni. Pour ce faire, ils
innovèrent avec un orphelinat – un projet auquel chacun pou-
vait apporter quelque chose, et qui viendrait en aide aux jeunes
et aux plus démunis du taudis. Après cela, les deux prédicateurs
113
John Wesley – Le monde pour paroisse

retournèrent vers le sud, satisfaits de la progression des nou-


veaux méthodistes.
Cela faisait sept ans que John n’avait pas vu sa maison d’en-
fance à Epworth et il décida de faire un détour par là pendant
le voyage de retour à Londres. Il séjourna dans une auberge
locale d’Epworth, où il rencontra une femme qui avait été
domestique de la famille Wesley de nombreuses années aupa-
ravant. La femme était ravie de revoir John et lui demanda s’il
allait prêcher dans l’ancienne église de son père le dimanche
suivant. John dut admettre qu’il ne savait pas – il aurait aimé
le faire, mais ses idéaux méthodistes avaient fermé beaucoup
de portes devant lui. Toutefois enhardi par l’accueil enthou-
siaste de la femme, John marcha jusqu’au rectorat, où il parla
avec le vicaire, le révérend Romley. Monsieur Romley lui fit
un accueil glacial et l’assura qu’aucune aide n’était nécessaire
à l’église. John ignora l’insulte et décida d’assister au moins au
service de prière de l’heure du dîner ce soir-là.
Ce fut étrange pour John d’être de retour à l’église de St An-
drews qui contenait tant de ses souvenirs d’enfance. Il pouvait
entendre la voix de son père retentir depuis la chaire et imagi-
ner sa mère et ses frères et sœurs assis côte à côte au premier
rang. Mais maintenant son frère Samuel et ses sœurs Mary et
Kezziah étaient morts. John pensa à la période où son père était
à Londres et où sa mère avait commencé à tenir des réunions
officieuses dans la cuisine du rectorat, lisant à haute voix l’his-
toire des deux premiers missionnaires européens en Inde. Quel
impact avaient eu ces réunions, non seulement sur les membres
de l’église de St Andrews mais aussi sur les habitants d’Epworth
et des marais! En un sens, les réunions de sa mère étaient les
prémisses des sociétés méthodistes qui émergeaient à travers le
114
Une œuvre qui s’étend

pays. John se réjouit de revenir à Londres pour voir sa mère et


de tout lui dire au sujet d’Epworth.
Le révérend Romley ouvrit le service de prière avec le texte
«N’éteignez pas l’Esprit». Ensuite en regardant John fixe-
ment, il se lança dans une attaque virulente contre les héré-
tiques qui ont des «enthousiasmes». Il ne faisait de doute
pour personne que le discours était une mise en garde contre
une éventuelle association avec le fils radical de l’ancien rec-
teur. Après le service, ne voulant pas rentrer à la maison avant
d’avoir pris des nouvelles de John Wesley, la congrégation se
regroupa dans le cimetière de l’église. John Taylor saisit cette
occasion en annonçant que «Monsieur Wesley n’étant pas
autorisé à prêcher dans l’église, prêchera ici dans le cimetière
à six heures». Un frisson d’excitation traversa la foule, et John
sut qu’il aurait un large public à cette heure. Il se tint sur la
tombe de son père et commença à prêcher pour la foule qui
s’était rassemblée pour l’écouter. «Car le royaume de Dieu ce
n’est pas le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie,
par le Saint Esprit», commença-t-il.
Quand John eut fini sa prédication, de nombreuses personnes
s’attardèrent pour entendre de sa bouche comment être sauvé
et pardonné de ses péchés.
John fut si heureux du résultat de la réunion qu’il décida de
rester à Epworth une semaine de plus. Le samedi suivant, il
consigna dans son journal les événements de la réunion en
plein air qui se tint ce jour-là.

J’ai prêché sur la justice de la loi et la justice de la foi.


Alors que je parlais, plusieurs sont tombés à terre,
comme morts; et parmi le reste il y a eu comme un cri,
115
John Wesley – Le monde pour paroisse

les pécheurs gémissant après la justice de la foi. Mais


beaucoup d’entre eux ont bientôt levé la tête avec joie
et se sont répandus en actions de grâces; dans l’assu-
rance qu’ils avaient désormais obtenu le désir de leur
âme – le pardon de leurs péchés.
J’y ai observé un gentilhomme qui était remarqua-
ble du fait qu’il ne se réclamait d’aucune religion.
On m’a informé qu’il n’avait assisté à aucun culte
public depuis plus de trente ans. En le voyant se tenir
aussi immobile qu’une statue, je lui ai brusquement
demandé «Monsieur, êtes-vous un pécheur?» «Plutôt
pécheur», a-t-il répondu, d’une voix profonde et bri-
sée. Il a ensuite continué à regarder en l’air jusqu’à ce
que son épouse et un ou deux domestiques, qui étaient
tous en larmes, le mettent dans sa chaise (une voiture
tirée par un cheval) et le ramènent chez lui.

Le dimanche 13 juin 1742, John prêcha pour la dernière fois


au cimetière d’Epworth. Il était profondément ému de voir
que tant de gens avaient accepté son message.

A six heures…j’ai prêché devant une multitude ras-


semblée de toutes parts, sur le début du Sermon sur la
Montagne de notre Seigneur. J’ai continué parmi eux
pendant près de trois heures; et cependant nous avons
eu peine à nous séparer. Oh, que nul ne pense que son
travail d’amour est perdu parce que le fruit n’apparaît
pas immédiatement! Mon père a travaillé ici près de
quarante années, mais il n’a vu que peu de fruit pour
tout son travail. Ma force aussi semblait être dépensée
116
Une œuvre qui s’étend

en vain. Mais maintenant le fruit est apparu. Il n’y


avait presque personne en ville pour qui mon père ou
moi-même n’avions pas pris de peine autrefois, mais la
graine semée depuis si longtemps a vu le jour, mainte-
nant, en faisant émerger la repentance et la rémission
des péchés.

John Wesley et John Taylor étaient de bonne humeur, alors


qu’ils chevauchaient vers Londres via Bristol. Leur voyage
itinérant avait rencontré plus de succès qu’ils n’auraient pu
l’espérer, et John était particulièrement enthousiaste à l’idée
de faire à sa mère le récit du temps passé à Epworth. Il savait
qu’elle avait tant donné de sa vie à l’œuvre là-bas, et il était
sûr qu’elle serait profondément émue de savoir que les efforts
de la famille Wesley avaient porté des fruits spirituels. Ce que
John ne savait pas, c’est qu’il lui faudrait chevaucher à vive
allure s’il voulait revoir sa mère en vie.

117
118
12
Affiner les règles

Le vendredi 23 juillet 1742 fut un jour que John Wesley n’allait


jamais oublier. Dans son journal il peina à trouver les mots
pour le décrire.

Vers trois heures de l’après-midi, je suis allé voir ma


mère et j’ai vu que son changement était proche. Je
me suis assis à son chevet. Elle était dans son dernier
conflit; incapable de parler, mais selon moi tout à fait
consciente. Son regard était calme et serein, et ses yeux
fixés vers le haut, pendant que nous avons recom-
mandé son âme à Dieu. Entre trois et quatre heures,
son cordon d’argent s’est relâché, et le bruit de la meule
s’est abaissé; ensuite, sans aucune lutte, ni soupir, ni
gémissement, l’âme a été libérée. Nous nous sommes
tenus autour de son lit et avons satisfait sa dernière
demande, formulée peu avant qu’elle ne perde la
parole: «Mes enfants, dès que je serai libérée, chantez
un psaume de louange à Dieu.»

119
John Wesley – Le monde pour paroisse

Deux jours plus tard, John conduisit le service funèbre de sa


mère, puis Susanna fut ensevelie à côté de ses parents dans le
cimetière des dissidents de Bunhill Fields, attenant à la fonde-
rie.

Dimanche 1er août. Une troupe presque innombrable


de personnes s’étant rassemblée vers cinq heures de
l’après-midi, j’ai confié à la terre le corps de ma mère
afin qu’elle dorme avec ses pères. La portion de l’Ecri-
ture à partir de laquelle j’ai parlé ensuite était: «Puis
je vis un grand trône blanc, et celui qui était assis des-
sus. La terre et le ciel s’enfuirent devant sa face, et il ne
fut plus trouvé de place pour eux. Et je vis les morts, les
grands et les petits, qui se tenaient devant le trône. Des
livres furent ouverts. Et un autre livre fut ouvert, celui
qui est le livre de vie. Et les morts furent jugés selon
leurs œuvres, d’après ce qui était écrit dans ces livres».
Cette assemblée a été l’une des plus solennelles que j’ai
jamais vue ou que je me suis jamais attendu à voir de
ce côté-ci de l’éternité.

Pour sa mère, Charles composa l’épitaphe qui fut gravée sur


sa tombe:

Ci-gît le corps de
Mme Susanna Wesley,
plus jeune et dernière survivante des filles du
Dr Samuel Annesley.
Dans la ferme assurance de sa résurrection,
pour au ciel réclamer sa maison,
120
Affiner les règles

une chrétienne ici repose


échangeant la croix contre une couronne…

John pleura la mort de sa mère. Susanna avait été sa confidente


et sa conseillère spirituelle pendant toute sa vie, et il estimait
ses opinions par-dessus tout. Elle n’était plus là maintenant, et
John devait continuer seul. Dans sa douleur il se jeta dans son
travail avec encore plus de vigueur. Certains jours il parcourait
jusqu’à quatre-vingts kilomètres à cheval et prêchait cinq fois.
Son projet était de renforcer les sociétés méthodistes à l’inté-
rieur de la zone triangulaire délimitée au nord par Newcastle,
au sud-ouest par Bristol et au sud-est par Londres.
Ce n’était pas une tâche facile. John fit face à l’opposition
de nombreux ecclésiastiques de l’Eglise d’Angleterre et aux
congrégations qu’ils avaient excitées contre lui. La persécution
devint pour lui un mode de vie. On lui jeta des pierres à deux
reprises, il fut bombardé de fumier et pourchassé pendant
qu’il tenait des réunions en plein air. Parfois dans une ville ou
un village, on faisait sonner les cloches de l’église en continu
pour couvrir sa voix pendant qu’il prêchait.
En janvier 1743, alors que John chevauchait vers Newcastle,
il sentit que Dieu voulait qu’il épure les sociétés méthodistes
de tous les membres qui ne vivaient pas la vérité de l’Evan-
gile. Quand il arriva à Newcastle, il convoqua les dirigeants
méthodistes et leur demanda un compte-rendu sur ceux dont
ils étaient responsables. En résultat, soixante-quatre membres
de la société furent exclus, parmi eux dix-sept pour ivrognerie,
quatre pour «médisance», deux pour jurons et insultes, et un
pour violence.

121
John Wesley – Le monde pour paroisse

Il y a environ douze personnes dans chaque classe,


l’une d’entre elle est appelée Le Responsable. Il est de
son ressort (1) De voir chaque personne de sa classe
au moins une fois par semaine pour s’enquérir de
la manière dont son âme prospère; pour conseiller,
réprimander, réconforter ou exhorter selon les circons-
tances; pour recevoir ce qu’elle est prête à donner pour
soulager les pauvres. (2) De rencontrer le ministre et
les intendants de la société une fois par semaine, afin
d’informer le ministre de tous ceux qui sont malades,
ou tous ceux dont la marche est désordonnée, et qui
n’acceptent pas d’être réprimandés; de payer aux
intendants ce qu’ils ont reçu de leurs différentes classes
dans la semaine précédente; et de produire un compte-
rendu de la contribution de chacun.
Il est donc attendu de tous ceux qui resteront de conti-
nuer de prouver leur désir de salut,
Premièrement: en ne faisant aucun mal, en évitant le
mal sous toute forme, surtout celui qui est le plus géné-
ralement pratiqué: comme invoquer en vain le nom
de Dieu, profaner la journée de repos du Seigneur,
soit en accomplissant durant celle-ci le travail ordi-
naire, en achetant ou en vendant; soit par l’ivrognerie,
l’achat ou la vente de liqueurs spiritueuses, ou leur
consommation, sauf dans les cas d’extrême nécessité;
les conflits, les querelles, les bagarres, aller devant le
tribunal avec son frère, rendre mal pour mal, ou injure
pour injure, utiliser beaucoup de paroles pour acheter
ou vendre; acquérir des biens inhabituels, donner ou
prendre avec usure, c’est-à-dire des intérêts illégaux;
122
Affiner les règles

les conversations sans charité et inutiles, en particulier


dire du mal des magistrats ou des ministres; faire aux
autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils nous fassent,
faire ce que nous savons ne pas être pour la gloire de
Dieu, se revêtir d’or ou de vêtements coûteux, se diver-
tir par des moyens qui ne peuvent être utilisés dans le
nom du Seigneur Jésus, chanter ces chants, ou lire ces
livres qui ne tendent pas à la connaissance et l’amour
de Dieu; la mollesse et l’auto-indulgence inutile; amas-
ser des trésors sur la terre, emprunter sans probabilité
de remboursement; ou prendre des biens sans possibi-
lité de les payer.
Il est attendu de tous ceux qui demeurent dans ces
sociétés, qu’ils continuent de prouver leur désir de
salut;
Deuxièmement: en faisant le bien, en étant dans cha-
que cas miséricordieux suivant leur pouvoir; quand
ils en ont l’occasion, en faisant le bien de toutes les
manières possibles, et autant que possible à tous les
hommes; à leur corps, ce don de Dieu, en donnant de
la nourriture aux affamés, des vêtements à ceux qui
sont nus, en visitant ou en aidant ceux qui sont mala-
des, ou en prison…
Troisièmement: en participant à toutes les ordonnan-
ces de Dieu. Ce sont: le culte public de Dieu, le minis-
tère de la Parole, par sa lecture ou son exposition;
le souper du Seigneur, la prière familiale et privée;
l’étude des Ecritures ainsi que le jeûne ou l’abstinence.
John Wesley, Charles Wesley, 1er Mai 1743.

123
John Wesley – Le monde pour paroisse

Avec l’établissement de cette constitution, le nombre de per-


sonnes désireuses d’appartenir aux sociétés méthodistes conti-
nua à croître, de même que l’opposition à ces sociétés. Durant
l’été 1743, la situation était particulièrement dangereuse pour
les groupes du centre de l’Angleterre. A Swindon, la brigade
de pompiers volontaires retourna ses tuyaux contre l’assis-
tance lors d’une réunion en plein air, et dans d’autres lieux, des
méthodistes qui s’étaient réunis furent bombardés avec tout
ce qu’il était possible de leur jeter, depuis la pâtée à cochons
jusqu’aux légumes et aux œufs pourris. Puis à l’automne des
émeutes anti-méthodistes éclatèrent dans le Staffordshire.
John décida qu’il devait s’y rendre afin de soutenir les sociétés
menacées. Le jeudi 20 octobre 1743, il arriva dans la ville de
Wednesbury près de Manchester, pour trouver que les émeu-
tiers avaient endommagé plus de quatre-vingts maisons appar-
tenant à des membres de la société méthodiste locale. La nou-
velle que John Wesley, le fondateur du méthodisme, se trouvait
dans la région, se répandit comme une traînée de poudre.
John prêcha à un groupe de méthodistes de Wednesbury et se
retira ensuite dans la maison de Francis Ward, un membre de
la société locale. Vers cinq heures de l’après-midi, une foule de
trois cents personnes descendit sur la place et encercla la mai-
son en exigeant que John sorte. Quand il sortit, il prit la parole
pendant plusieurs minutes et la colère de la foule parut s’es-
tomper. Finalement, John et les chefs de la foule convinrent
d’aller ensemble visiter le magistrat local et parler de la situa-
tion avec lui. Le magistrat, Monsieur Lane, vivait à Bentley-
Hall à trois kilomètres de Wednesbury. Quand ils arrivèrent
chez lui, le jour était tombé depuis un moment et il s’était
retiré pour la nuit. Son refus d’être sorti du lit lorsque le groupe
124
Affiner les règles

arriva devant sa porte d’entrée raviva la colère de la foule qui


décida de contraindre John à marcher jusqu’à Walsal afin de
voir un autre juge. Quand ils atteignirent Walsal, une foule de
cette ville se joignit à ceux de Wednesbury et une situation
très inquiétante se développa rapidement. De nombreuses
personnes commencèrent à réclamer la vie de John et, alors
que la foule devenait de plus en plus agressive, il commença à
redouter qu’elle ne donne suite à cet appel.
Finalement, vers le milieu de la ville, épuisé, John éleva la voix
et cria: «Etes-vous prêts à m’entendre parler?»
«Non, non!» répondirent de nombreuses personnes dans la
foule. «Assommez-le. Abattez-le. Tuez-le.»
Malgré le fait qu’elle réclamait sa mort, John éleva la voix une
fois de plus et s’adressa à la foule. «Quel mal ai-je fait? Auquel
d’entre vous ai-je causé du tort en parole ou en acte?» John
continua à parler pendant quinze minutes, exhortant les per-
sonnes présentes à sonder leurs cœurs et à réfléchir à ce qu’el-
les étaient en train de faire. Il conclut ensuite par une prière.
Quand John descendit de la chaise sur laquelle il s’était tenu
pour parler, un des chefs de la foule, bouleversé par ce qu’il avait
dit, lui déclara: «Monsieur, je vous consacrerai ma vie. Suivez-
moi et pas une âme ici ne touchera un cheveu de votre tête.»
Trois autres hommes s’avancèrent et offrirent leur aide pour
éloigner John du danger. Les quatre hommes se tinrent devant,
derrière et de chaque côté de John. Alors qu’ils avançaient
tous ensemble, la foule se dispersa en silence et les laissa pas-
ser. Les hommes reconduisirent John en toute sécurité jusqu’à
la maison de Francis Ward, à Wednesbury bien après minuit.
John les remercia des efforts qu’ils avaient faits pour lui et les
invita à assister à l’une de ses réunions le jour suivant.
125
John Wesley – Le monde pour paroisse

Face à pareille persécution, John persévéra, encouragé par le


nombre croissant de fidèles qui continuaient de rejoindre les
sociétés méthodistes.
C’est alors qu’en février 1744 l’intolérance religieuse atteignit
un niveau inégalé. Les Britanniques craignaient que la France
catholique ait l’intention de lancer une attaque contre eux.
En réaction à cette crainte, on ordonna à tous les catholiques
anglais de quitter Londres, car on pensait qu’ils risqueraient
d’aider l’ennemi. Sachant comment les dirigeants de l’Eglise
d’Angleterre considéraient les méthodistes, John se précipita
pour rassurer le roi George sur le fait que lui-même et tous les
méthodistes étaient fidèles à la couronne d’Angleterre.
Plus tard cette même année, John décida qu’il était temps
de convoquer tous les chefs méthodistes pour décider de la
manière de procéder avec les sociétés. Du 25 au 30 juin 1744,
les responsables méthodistes se rassemblèrent pour la confé-
rence qui se tint à Londres, à la chapelle de la fonderie. Les
sujets que John espérait couvrir pendant la conférence étaient
la discipline dans l’église, l’organisation, l’union avec les mora-
ves et les règles pour les «assistants». Ce dernier point s’avéra
être le plus controversé. Jusqu’à ce moment, John et Charles
Wesley avaient autorisé les prédicateurs non ordonnés, ou
laïcs, mais ne les avaient pas activement promus au sein des
sociétés. Mais cela était sur le point de changer. John utilisa
son influence pour faire de la prédication laïque un fondement
du méthodisme. Scoffers fit remarquer que quelques-uns des
hommes promus par John étaient «beaucoup plus à même de
fabriquer une chaire que d’y prendre la parole», mais il ignora
de telles critiques.

126
Affiner les règles

Les devoirs et obligations de ces prédicateurs laïcs furent énon-


cés en détail. Les prédicateurs devaient voyager et prêcher aux
plus grandes foules possibles et former des sociétés afin d’en-
courager le développement spirituel continu de leurs conver-
tis. Ils devaient faire le nécessaire pour se sustenter le long du
chemin. John demanda à ses prédicateurs de «n’avoir honte
de rien», contrairement à la plupart des membres du clergé de
l’Eglise d’Angleterre, et de porter du bois, puiser de l’eau ou
nettoyer des chaussures de plein gré et avec joie. Tout comme
John Wesley, ces prédicateurs devaient consommer des repas
simples, même s’il ne leur demandait pas de devenir végéta-
riens comme lui-même l’était depuis ces dernières années.
Quand elle fut terminée, la conférence de la chapelle de la
fonderie fut déclarée un grand succès, et une autre fut planifiée
pour les même dates l’année suivante.
Après le rassemblement John se trouva revigoré par les possi-
bilités qui l’attendaient, et il se mit immédiatement en route
pour une longue tournée de prédication.
Le 18 septembre 1745, il arriva à Newcastle pour l’une de ses
visites régulières dans la ville. Le 18 septembre fut aussi le jour
où Charles Stuart (connu aussi comme Bonnie Prince Charlie,
ou le Jeune Prétendant) et une bande de combattants qu’il
avait recrutés dans les Highlands écossais envahirent et occu-
pèrent Edimbourg. C’était la première étape de la campagne
du prince pour faire remonter les Stuart catholiques sur les
trônes d’Angleterre et d’Ecosse. Depuis Edimbourg, Charles
avait l’intention de pousser vers le sud pour franchir la frontiè-
re avec l’Angleterre et de marcher sur Londres pour destituer
le roi George II et s’instaurer roi, ramenant ainsi l’Angleterre
dans le giron catholique.
127
John Wesley – Le monde pour paroisse

Quand les nouvelles de la prise d’Edimbourg parvinrent à


Newcastle, la peur saisit la ville. Après tout Edimbourg ne se
trouvait qu’à cent cinquante kilomètres de Newcastle envi-
ron. La ville passa immédiatement à l’action pour se défendre
contre l’attaque. Des milices furent créées, des canons furent
placés sur le mur de la ville, et plusieurs portes de ce mur
furent condamnées. De même, les hommes de la ville furent
convoqués par le maire pour jurer fidélité au roi George, ce
que John Wesley fut heureux de faire.
Craignant l’invasion imminente, de nombreuses personnes de
Newcastle et des alentours s’enfuirent vers le sud. John, cepen-
dant, resta dans l’orphelinat méthodiste qui était situé sur une
butte à l’extérieur du mur de la ville. Ici, il avait l’intention
de prier pour une victoire anglaise dans les combats et pour
encourager les méthodistes. Il avait pleinement confiance en
Dieu, sachant qu’il se trouvait dans sa volonté, qu’il vive ou
qu’il meure.
Tout le monde à Newcastle poussa un soupir de soulagement
lorsqu’après plusieurs semaines, l’attaque dont ils étaient
menacés ne se produisit pas. Au lieu de cela, Charles Stuart et
ses combattants écossais contournèrent Newcastle quand ils
se dirigèrent vers le sud pour entrer en Angleterre.

128
13
Partenariats

A la fin du mois de novembre 1745, John estima que la situa-


tion à Newcastle était suffisamment sûre pour qu’il laisse l’œu-
vre méthodiste aux mains des travailleurs laïcs. Une femme
en particulier, une jeune veuve appelée Grace Murray, l’avait
beaucoup impressionné par ses capacités. John la choisit pour
prendre l’orphelinat en charge.
Les choses étant réglées à Newcastle, John monta sur son che-
val pour repartir vers le sud en direction de Londres. Le lent
voyage fut interrompu presque toutes les heures par des guet-
teurs qui voulaient être sûrs qu’il n’était pas un espion écos-
sais. Leurs craintes étaient justifiées. L’armée écossaise avait
commencé à déferler sur les Midlands anglais. Cependant, les
forces anglaises étaient parvenues à la faire reculer. Le duc de
Cumberland, avec une armée de quatre-vingt-dix hommes,
avait alors pourchassé Charles Stuart et son armée tout le long
du chemin du retour en Ecosse où, le 16 avril 1746, à Cullen
Moor, une dernière bataille rangée fut livrée et se termina mal
pour les Ecossais. Alors que trois cents Anglais furent tués,
deux mille combattants écossais périrent dans les combats.

129
John Wesley – Le monde pour paroisse

Charles Stuart parvint à fuir le champ de bataille et alla se


cacher dans les îles écossaises avant de finalement fuir pour la
France.
Après la défaite des Ecossais une paix fragile s’installa sur les
îles britanniques. John fut ravi lorsque la bataille fut enfin
terminée. Il espéra et pria que cela aide à mettre un terme à la
persécution et au harcèlement des méthodistes. En attendant
John avait décidé qu’il était temps de mener sa propre bataille
intérieure avec, entre autres choses, le fait de boire du thé noir.
Le thé était une boisson onéreuse dans l’Angleterre du dix-hui-
tième siècle où une livre de feuilles coûtait soixante shillings.
John estimait ce prix trop élevé pour justifier de continuer à
consommer du thé. Par ailleurs le thé semblait faire trembler
ses mains. John décida de devenir un bon exemple pour ses
disciples en ne dépensant plus d’argent pour le thé et en n’en
consommant plus lorsqu’on lui en offrait.

J’ai considéré quel avantage ce serait pour ces pauvres


affaiblis si j’abandonnais ce qui altère si manifeste-
ment leur santé et, de ce fait, cause aussi du tort à leur
activité. S’ils utilisaient des herbes anglaises au lieu du
thé, ils pourraient ainsi non seulement diminuer leurs
maux mais aussi, dans une certaine mesure, leur pau-
vreté, écrivit-il au sujet de sa décision.

Surmonter son désir de boire du thé noir stimula John et il


décida d’écrire un livre sur la vie saine. Il l’intitula Un moyen
facile et naturel pour guérir la plupart des maladies. Dans ce livre,
il décrivit deux cent quarante-trois maladies et répertoria sept
cents remèdes pour les combattre. Il y mit l’accent sur une vie
130
Partenariats

saine et des remèdes simples: les bains froids, les cataplasmes


chauds, les infusions ainsi que l’attention portée à l’hygiène
personnelle et un environnement propre constituaient ses trai-
tements habituels. John ouvrit également le «Dispensaire du
Peuple» à la fonderie. C’était une clinique où les pauvres pou-
vaient consulter un médecin et recevoir des médicaments. La
clinique fut populaire dès le début, un flux régulier de patients y
faisant la queue chaque jour pour voir le médecin. L’ampleur de
la réussite de ce ministère acheva de convaincre John que Dieu
s’intéressait à la santé des hommes et des femmes. Cette pensée
en tête, il reprit la route avec son nouveau livre sur la santé. Il
voulait que tous les méthodistes le lisent et suivent ses conseils.
Ni la pluie, ni la grêle, le grésil ou la neige ne purent l’en dis-
suader. Lorsqu’il jugeait les conditions trop pénibles pour son
cheval, il laissait l’animal à l’écurie et partait à pied.
John développa aussi d’autres moyens de venir en aide aux
plus pauvres. Pendant un arrêt à Kingswood près de Bristol,
il accepta de prendre la direction d’une école pour les fils
de mineurs. Cette décision le stimula pour ouvrir une école
pour les fils des prédicateurs, dans l’espoir d’éduquer une
nouvelle génération de méthodistes. Les deux écoles, un éta-
blissement de jour pour les fils de mineurs et un pensionnat
pour ceux des prédicateurs, fonctionnèrent bientôt côte à côte
à Kingswood.
Durant l’année 1746, John instaura un fonds destiné à accor-
der des prêts aux méthodistes pauvres. Les prêts étaient d’une
livre par personne et devaient être remboursés sur une période
de trois mois. Tout comme la clinique de santé, le programme
de prêts fut très populaire, et dans ses dix-huit premiers mois

131
John Wesley – Le monde pour paroisse

de fonctionnement, deux cent vingt-cinq personnes furent


aidées par ces prêts à court terme.
John encourageait aussi chacun à atteindre et aider les pauvres.
Dans un ensemble révisé de règles pour les dirigeants métho-
distes, il écrivit:

Si vous ne pouvez les soulager, n’affligez pas les pau-


vres: Donnez-leur des paroles douces, à défaut d’autre
chose. Abstenez-vous des regards blessants et des paro-
les dures. Qu’ils soient heureux de venir, même s’ils
doivent s’en aller les mains vides. Mettez-vous à la
place de chaque homme pauvre, et occupez-vous de lui
comme vous voudriez que Dieu s’occupe de vous.

A l’été 1747, John sentit qu’il avait un nouvel appel: l’Irlande.


Il se rendit à Dublin où il constata qu’une œuvre méthodiste
était déjà en cours. L’œuvre avait été initiée plusieurs années
auparavant lorsque George Whitefield avait fait escale à
Dublin en faisant route vers les colonies américaines. La socié-
té méthodiste de Dublin comprenait déjà deux cent quatre-
vingts membres, et John fut impressionné par leur ouverture
à être enseignés.
Lorsque John revint à Londres depuis l’Irlande, il apprit que
Wesley Hall s’était enfui vers les Caraïbes en abandonnant
Martha et leurs enfants. Il ne pouvait rien faire dans cette situa-
tion en dehors de recueillir Martha et les enfants pour qu’ils
vivent avec lui. Désormais, lui et Charles subvenaient ensem-
ble aux besoins de leurs sœurs Martha, Susanna et Emilia. Les
femmes Wesley embrassèrent toutes le mouvement métho-
diste et devinrent des aides efficaces pour leurs frères.
132
Partenariats

A la fin de l’année 1747, Charles trouva une aide encore


meilleure – une épouse potentielle. Elle se nommait Sally
Gwynne et, bien qu’elle ne fût âgée que de vingt-trois ans,
Charles, qui en avait quarante, sentit qu’ils formaient ensemble
un excellent couple. Il lui écrivit même un poème d’amour:

Deux valent bien mieux qu’un seul


pour un conseil ou dans un combat.
Peut-on quand on est seul, être ardent
ou servir son Dieu justement?

Cette question, «Peut-on, quand on est seul, être ardent ou


servir son Dieu justement?» était étrange de la part d’un frère
Wesley. John et Charles avaient tous deux renoncé au mariage
et les deux frères étaient d’accord sur le fait qu’un homme pou-
vait mieux servir Dieu s’il était célibataire que s’il était marié.
En fait, ils avaient fait ensemble le pacte de ne jamais se marier
sans la permission de l’autre, un pacte que Charles étira jusqu’à
la limite quand il présenta Sally à John.
John ne fut pas impressionné par sa belle-sœur potentielle
et dressa rapidement une liste de candidates plus adaptées à
Charles s’il persistait à vouloir se marier. Une fois cette liste
établie, il la donna à Charles et partit pour un voyage vers le
nord, ignorant que son opinion sur le mariage était sur le point
de changer, comme celle de son frère.
En juillet 1748, alors qu’il se trouvait à Newcastle, John fut
pris d’une crise de migraine. Tandis que Grace Murray, la
gardienne de l’orphelinat, lui prodiguait les soins nécessaires à
son rétablissement, il commença à s’intéresser à elle. Agée de
trente-deux ans – treize de moins que lui – c’était une veuve
133
John Wesley – Le monde pour paroisse

jolie et pieuse, et l’une des femmes méthodistes les plus res-


pectées dans la région de Newcastle.
John commença bientôt à considérer pour lui-même l’idée du
mariage. Il invita Grace à l’accompagner l’année suivante dans
un second voyage en Irlande pour qu’elle apporte son aide en
encourageant d’autres femmes méthodistes.
Au début du mois d’avril 1749, John et Grace se mirent en
route. Leur première étape fut au Pays de Galles où Charles se
trouvait à ce moment-là. Charles croyait toujours que c’était
la volonté de Dieu pour lui d’épouser Sally Gwynne et, avec
le temps, John en était aussi venu à cette compréhension. Le 8
avril 1749, à Garth au Pays de Galles, John Wesley officia lors
du mariage de Charles et Sally.
John et Grace partirent ensuite pour l’Irlande. Après avoir
vu à quel point son frère était heureux suite au mariage, John
était désireux d’épouser Grace. Mais c’était difficile pour lui.
Bien qu’il ait passé d’innombrables heures avec Grace lors de
leur visite en Irlande, il lui manquait le courage d’avoir une
conversation ouverte avec elle à propos de ses intentions. La
plupart du temps qu’elle passait avec John, Grace pensait qu’il
la considérait comme une admirable collaboratrice dans l’œu-
vre méthodiste, même s’il était parvenu à lui dire: «Si jamais
je me marie, je pense que vous serez la personne.»
Malheureusement pour lui, un autre prédicateur méthodiste,
John Bennet, pensait également que Grace Murray ferait une
épouse convenable et se mit à la courtiser. La situation entière
fut bientôt hors de contrôle, John Wesley et John Bennet esti-
mant tous les deux qu’ils étaient fiancés à Grace.
Pour aggraver les choses, John cacha la relation à son frère,
même si lui et Charles avaient fait le pacte de partager leurs
134
Partenariats

espoirs romantiques l’un avec l’autre. Quand Charles eut


vent de la relation, il fut hors de lui et se mit à faire tout ce
qu’il pouvait pour empêcher le mariage d’avoir lieu. Grace
avait été domestique et Charles estimait que si John épou-
sait quelqu’un d’une classe inférieure, cela pourrait causer la
scission du mouvement méthodiste. Un mariage avec Grace
Murray, affirma-t-il, était impensable pour quelqu’un d’aussi
important que John Wesley. Etonnamment, dans cette lutte
acharnée pour la conquête du cœur de Grace, John Wesley et
John Bennet réussirent à mettre leurs différences personnelles
de côté et à travailler côte à côte à partager l’Evangile face à
une formidable opposition. En octobre 1749, alors qu’il se
trouvait à Bolton avec John Bennet, John Wesley écrivit ce qui
suit dans son journal.

Nous sommes arrivés à Bolton vers cinq heures du soir.


A peine avions-nous abordé la rue principale que nous
nous sommes aperçus que les lions de Rochdale étaient
des agneaux en comparaison avec ceux de Bolton.
Jamais je n’avais vu autant de rage et d’amertume
dans aucune créature ayant forme humaine. Ils nous
ont suivis en vociférant jusqu’à la maison où nous nous
rendions et, dès que nous y sommes entrés, ont pris pos-
session de toutes les avenues qui y menaient et envahi
la rue d’un bout à l’autre. Après un certain temps les
vagues de hurlements ne nous sont plus parvenues aussi
fort. Monsieur Perronet a pensé qu’il pouvait s’aventu-
rer dehors. Ils se sont immédiatement rapprochés, l’ont
jeté à terre et roulé dans la fange, de sorte que quand
il a réussi à leur échapper et à revenir dans la maison,
135
John Wesley – Le monde pour paroisse

on aurait à peine pu dire ce qu’il était ou qui il était.


Quand la première pierre est arrivée sur nous à travers
la fenêtre, je m’attendais à ce qu’un déluge suive; et
considérable, parce qu’ils s’étaient désormais procuré
une cloche afin de convoquer l’ensemble de leurs forces.
Cependant, ils n’avaient pas prévu de mener l’attaque
à distance: Peu de temps après, quelqu’un est accouru
et nous a dit que la foule avait fait irruption dans la
maison. Il a ajouté qu’ils tenaient John Bennet parmi
eux. Ils le tenaient et celui-ci a saisi l’occasion de leur
parler de «la terreur du Seigneur». Pendant ce temps,
David Taylor s’adressait à une autre partie de la foule
avec des paroles plus lisses et plus douces. Estimant
que le moment était venu, je suis alors descendu au
beau milieu d’eux. Ils avaient désormais envahi toutes
les pièces du bas. J’ai demandé une chaise. Les vents se
sont tus et tout fut calme et immobile. Mon cœur était
rempli d’amour, mes yeux de larmes et ma bouche
d’arguments. Ils ont été étonnés, ils ont eu honte, ils ont
été touchés, ils ont dévoré chaque mot. Quel revirement
ça a été! Oh comme Dieu a changé le conseil du vieil
Ahitophel en folie et amené sur place tous les ivrognes,
blasphémateurs, profanateurs de Sabbat ainsi que les
simples pécheurs pour qu’ils entendent parler de son
abondante rédemption!

Finalement, ce fut Grace Murray qui décida qui elle allait


épouser. Elle choisit John Bennet brisant ainsi le cœur de John
Wesley. Néanmoins, celui-ci n’exclut pas la possibilité de se
marier un jour. Au début de l’année 1751, il rencontra Molly
136
Partenariats

Vazeille, une veuve âgée de quarante-et-un ans qui avait quatre


enfants adultes. John avait observé qu’elle était une femme
pieuse qui se consacrait à aider les malades. Etonnamment, il
eut bientôt lui-même besoin de l’aide de Molly. Un soir après
avoir prêché à la fonderie, il glissa sur une plaque de verglas et
se fit une mauvaise entorse à la cheville. Dans l’incapacité de
marcher, il fut transporté chez Molly pour sa convalescence.
Le 19 février 1751, John et Molly furent mariés. John espérait
que son mariage avec Molly marquerait le début d’un long et
utile partenariat. Cela ne devait cependant pas être le cas.

137
138
14
Relations difficiles

«Un prédicateur méthodiste ne peut répondre à Dieu s’il


prêche un sermon de moins ou voyage un jour de moins dans
le mariage que dans le célibat», annonça John à sa nouvelle
femme. Et il le pensait vraiment. Un mois à peine après avoir
épousé Molly, et boitant encore beaucoup à cause de sa che-
ville blessée, John partit pour clarifier ses intentions pour
le mouvement méthodiste. Certains prédicateurs disaient à
leurs fidèles que les méthodistes allaient bientôt se séparer
de l’Église d’Angleterre et devenir leur propre dénomination.
C’était vraiment ce que John voulait éviter.
Pendant son absence John écrivit de nombreuses lettres à
Molly. Les lettres étaient pleines d’amour et il y rappelait à
sa nouvelle femme d’agir comme l’épouse d’un prédicateur.
Dans un premier temps, Molly fut flattée que son mari porte
tant d’attention à sa formation de disciple, mais elle s’en lassa
bientôt. Etre Madame Wesley représentait bien plus de travail
qu’elle ne l’avait jamais imaginé.
En 1752, dans une tentative de renforcer leur mariage, Molly
accepta d’accompagner John pour une tournée de quatorze
mois dans le nord de l’Angleterre et les Midlands. Elle fut du
139
John Wesley – Le monde pour paroisse

voyage pendant six semaines avant de revenir à Bristol où son


fils était tombé malade.
Pendant ce temps, le conflit entre John et Charles Wesley
s’amplifiait. Charles, toujours le plus conservateur des deux,
supportait mal le niveau de contrôle que John essayait d’exer-
cer sur lui et sur d’autres prédicateurs méthodistes. En secret, il
appelait son frère, «le Pape John», et exhortait les autres à lui
résister. Ceci entraîna bien sûr un conflit entre les deux frères,
et John écrivit à Charles une lettre sévère à ce sujet.

Agissez en réelle connexion avec moi, ou ne prétendez


jamais le faire. Renoncez-y plutôt et admettez ouver-
tement ce que vous faites et ne ferez pas. Par agir en
connexion avec moi, je veux dire prendre conseil auprès
de moi sur les lieux où vous allez travailler. Entendre
mon avis avant de déterminer [vos destinations], que
vous le suiviez ou non. A l’heure actuelle, vous en êtes
si loin que je ne sais même pas quand et où vous avez
l’intention de partir.

Le deuxième anniversaire de mariage de John et Molly eut


lieu le 19 février 1753, mais en novembre de cette année-là,
John crut qu’il ne verrait jamais son troisième anniversaire.
Il avait contracté une infection des poumons en prêchant à
l’extérieur dans l’air glacial. Un médecin Quaker prescrivit
l’air de la campagne, du repos, du lait d’ânesse et des sorties à
cheval quotidiennes. Mais même si John suivit ces conseils, il
était convaincu qu’il allait mourir. En fait il en était si sûr qu’il
écrivit une épitaphe pour sa tombe:

140
Relations difficiles

Ci-gît le corps de JOHN WESLEY,


un tison arraché du feu,
qui mourut de consomption dans sa cinquante-et-unième année,
ne laissant même pas une fois ses dettes payées,
dix livres derrière lui.
Puisse Dieu avoir pitié de moi,
un serviteur inutile.

L’ensemble du mouvement méthodiste fut affecté par la


maladie de John et la question de savoir qui serait ou devrait
être son successeur fut soulevée. Le nom de Charles Wesley
fut avancé, mais celui-ci rejeta l’idée d’emblée, affirmant
qu’il n’avait ni l’endurance physique de son frère aîné, ni son
intellect ou ses talents de prédicateur. D’ailleurs Charles avait
d’autres préoccupations en tête. Jackie, sa seule enfant, était
morte de la variole à l’âge de dix-huit mois, et son épouse était
maintenant gravement atteinte du même mal.
Finalement, la question de la succession directoriale n’eut
pas besoin d’être résolue, du moins à ce moment-là, car John
ne mourut pas de l’infection. Il commença à se rétablir et,
en mars 1754, il fut suffisamment remis pour recommencer
à prêcher. Cependant, il fallut encore un an avant qu’il quitte
le sud de l’Angleterre pour des endroits plus éloignés. Sally
Wesley, l’épouse de Charles, se rétablit aussi complètement de
son accès de variole.
En avril 1755, John et Molly partirent pour un tour complet
des Midlands et du nord de l’Angleterre. Mais Molly, qui n’était
pas habituée à la manière de vivre sur la route, s’avéra être un
piètre compagnon de voyage pour John. Celui-ci écrivit à un

141
John Wesley – Le monde pour paroisse

ami en lui expliquant pourquoi les conditions de voyage diffi-


ciles mettaient à l’épreuve ses relations avec Molly.

Pendant mon dernier voyage dans le nord ma patience


a été éprouvée, encore et encore… Je suis satisfait de
tout… ce que je rencontre… et cela doit être l’esprit de
tous ceux qui voyagent avec moi. Si un dîner mal pré-
paré, un lit dur, une chambre médiocre, une averse ou
une route sale doit les mettre de mauvaise humeur, cela
m’est un fardeau…. Avoir de telles personnes autour
de moi, s’irritant et se plaignant de tout, c’est comme
arracher la chair de mes os.

Cette année-là, la conférence annuelle des dirigeants métho-


distes se tint à Leeds, et les débats tournèrent principalement
autour de la question de savoir si les méthodistes devaient
continuer de faire partie de l’Eglise d’Angleterre ou rompre ce
lien. John présenta soixante-deux raisons pour lesquelles les
sociétés devaient rester dans le giron de l’Eglise d’Angleterre.
Cependant, même s’il se définissait comme un réformateur
au sein de l’Eglise d’Angleterre et non comme le fondateur
d’une nouvelle dénomination, John exposa quatre raisons qui
allaient servir de terrain pour se séparer et devenir un groupe
distinct: Les méthodistes devraient toujours être libres de (1)
prêcher à l’extérieur; (2) prier sans utiliser le livre de la prière
commune; (3) former et administrer leurs propres sociétés; et
(4) permettre aux laïcs de prêcher.
John reconnaissait que si les autorités de l’Eglise d’Angleterre
essayaient de limiter tout ou partie de ces activités, il se pourrait

142
Relations difficiles

bien que les méthodistes doivent partir et former leur pro-


pre dénomination. Il précisa toutefois que ce temps n’était
pas encore arrivé. Charles fut mécontent que John ait même
simplement ouvert la porte à la possibilité de quitter l’Eglise
d’Angleterre à un moment futur. En conséquence il quitta la
conférence en signe de protestation, en déclarant: «J’en ai fini
à jamais avec les conférences.»
Cependant, John affirma catégoriquement qu’il rendrait les
sociétés méthodistes indépendantes avant de permettre aux
dirigeants de l’Eglise d’Angleterre de leur dicter ce qu’elles
pouvaient faire ou non. Il fit ses adieux à Charles avec ces
mots: «Concernant l’Eglise, il est maintenant probable que ce
point soit rapidement déterminé. Car si nous ne pouvons être
que dissidents ou silencieux, c’est terminé. Adieu.»
En continuant ses voyages après la conférence, John se rendit
compte que le message de rester au sein de l’Eglise d’Angle-
terre n’était pas toujours parvenu aux membres ordinaires des
sociétés méthodistes. Quand il se rendit ensuite à Newcastle,
il découvrit qu’un certain nombre de sociétés avaient déjà
quitté l’Eglise, avec la fausse compréhension que ce départ
avait la bénédiction de John. Il tenta de corriger la mauvaise
impression que se faisaient les membres de ce qu’il pensait de
l’affaire, mais il pouvait voir que ce n’était qu’une question de
temps avant que la situation n’en arrive à un point critique, et
qu’une scission avec l’Eglise d’Angleterre aurait probablement
lieu. Mais pour le moment, John se rappelait qu’il ne voulait
vraiment pas être étiqueté comme le fondateur d’une nouvelle
dénomination, mais reconnu comme un réformateur depuis
l’intérieur de l’église existante.

143
John Wesley – Le monde pour paroisse

Plus tard en 1755, John fit une nouvelle fois le tour de l’Irlande,
encouragé par l’émergence de nouvelles sociétés qui tentaient
de gagner les catholiques aux manières méthodistes.
De son côté, Charles Wesley passa l’année à sillonner l’Angle-
terre, essayant de défaire ce que son frère avait fait dans son
refus d’approuver pleinement et inconditionnellement l’Egli-
se d’Angleterre. C’était une tâche ingrate, et il constata que de
nombreux membres des sociétés qu’il visitait étaient désireux
de se séparer et de fonder leur propre dénomination. Dans sa
frustration, Charles mit un terme à ses années de prédication
itinérante et s’installa à Bristol afin d’y superviser les sociétés
méthodistes et d’écrire des cantiques.
Alors que Charles était prêt à modifier ses priorités afin de
pouvoir passer plus de temps avec sa femme, John ne l’était pas.
Son mariage avec Molly s’était encore détérioré. Finalement
celle-ci atteint le point où elle ne voulut plus vivre avec John.
Avec l’argent qu’elle avait hérité de son premier mari, elle
revint à une vie indépendante. John continua ses prédications
et son travail d’organisation.
L’année 1763 le trouva en train d’écrire ce qui s’appellerait
le Grand procès-verbal, un ensemble de déclarations sur les
croyances et pratiques méthodistes qui, pour de nombreu-
ses années, servirait de norme dans toutes les décisions qui
devraient être prises. Quand le document fut achevé, une
copie en fut donnée à chaque prédicateur laïc méthodiste
pour servir de guide sur la façon de se comporter au sein de
la société.
John chargea des copies du Grand procès-verbal dans ses saco-
ches et partit une nouvelle fois visiter les sociétés méthodistes
de toute l’Angleterre. En 1764, à l’âge de soixante-et-un ans, il
144
Relations difficiles

consigna dans son journal les événements d’une journée typi-


que sur la route.

J’ai enfourché un cheval peu après quatre heures [du


matin] et prêché vers deux heures [de l’après-midi] sur
la place du marché de Llanidloes [à environ] soixan-
te-cinq kilomètres de Shrewsbury. A trois heures,
nous avons chevauché à travers les collines jusqu’à
Fountainhead… Nous nous sommes remis en selle
vers sept heures. [Nous nous sommes égarés et] avons
fini au bord d’une tourbière…
Un honnête homme est immédiatement monté à che-
val et a galopé devant nous à travers la colline, jusqu’à
ce que nous soyons parvenus à une route dont il nous
a dit qu’elle conduisait droit à Roes-fair. Nous avons
poursuivi notre chemin jusqu’à ce que nous en ren-
contrions un autre, qui nous a dit «Non, cette route
conduit à Aberystwith…Vous devez faire demi-tour
et aller jusqu’au pont là-bas». Le maître de la petite
maison près du pont nous a indiqué le village sui-
vant… [Plus tard, après neuf heures du soir,] ayant
erré pendant une heure sur la montagne, parmi les
rochers, les tourbières et les précipices, nous…sommes
revenus à la petite maison près du pont. [Elle était
maintenant] pleine de mineurs ivres et bruyants; et
ni herbe, ni foin, ni maïs… Nous avons engagé un
des [mineurs] pour nous accompagner à Roes-fair, et
bien qu’il ait été lamentablement ivre, jusqu’à tomber
de tout son long dans un ruisseau bouillonnant, il a
repris suffisamment ses esprits. Nous sommes arrivés
145
John Wesley – Le monde pour paroisse

à l’auberge entre onze heures et minuit… [Le matin


suivant] nous avons découvert le mulet tailladé en
plusieurs endroits et ma jument saignait comme un
goret à cause d’une blessure… faite, semble-t-il, par
une fourche.

Ce voyage pénible fut l’un des nombreux que John fit. En fait,
à son âge avancé, il parcourait toujours près de cinq mille kilo-
mètres par an, prêchait plus de huit cents sermons et encoura-
geait les prédicateurs dont il avait la responsabilité. Peu importe
les conditions, John était déterminé à prêcher l’Evangile à des
gens ordinaires et à les inciter à mener une vie sainte. Il avait
parcouru un long chemin depuis que, des décennies plus tôt, il
avait rencontré la foi des Moraves et avait douté de sa valeur en
tant que chrétien. Maintenant sa valeur pouvait être comptée
dans la vie des nombreux hommes, femmes et enfants qui, en
résultat de ses efforts, avaient foi en Jésus-Christ.
Les années passèrent, chacune aussi remplie que la précédente.
John envoya finalement deux prédicateurs itinérants dans les
colonies américaines pour y organiser les sociétés méthodistes
qui s’y développaient. Jusqu’à ce moment, il avait éludé la ques-
tion de l’expansion à l’étranger. Certains méthodistes avaient
émigré sur les îles des Caraïbes et y avaient établi des sociétés,
comme l’avaient fait les soldats britanniques postés pour servir
au Canada et dans les autres colonies de l’Amérique du Nord.
Mais la pression pour organiser officiellement ces sociétés était
montée jusqu’à ce que, lors de la conférence annuelle qui se
tint en août 1769, Richard Boardman et Joseph Pilmoor soient
envoyés en Amérique du Nord avec en main l’argent nécessaire
pour fonder un temple méthodiste à New York.
146
Relations difficiles

Au même moment, et bien plus près de chez lui, John accueillit


les nouvelles de l’établissement de la première école du diman-
che pour les enfants. Hannah Ball, une de ses fidèles, avait mis
l’école en route à High Wycombe, et avec les sujets spirituels,
on y enseignait la lecture, l’écriture et l’arithmétique. John
pensait que cette idée d’école était merveilleuse, parce qu’il
estimait que les chrétiens devraient être capables de lire la
Bible pour eux-mêmes plutôt que de compter sur les autres
pour savoir ce qu’elle dit.
Pendant la dernière moitié de 1770, George Whitefield fit
son septième voyage de prédication en Amérique du Nord.
Le 29 septembre, il quitta Portsmouth (New Hampshire),
pour Newburyport (Massachussetts). En chemin, il s’arrêta
à Exeter dans le New Hampshire. En levant les yeux il pria
«Seigneur Jésus, je suis las dans ton travail, mais pas las de ton
travail. Si je n’ai pas encore fini ma course, laisse-moi partir et
parler encore une fois pour toi dans les champs, sceller cette
vérité et revenir à la maison pour mourir».
George Whitefield mourut le matin suivant, épuisé à l’âge
de cinquante-six ans. John fut dévasté quand il reçut la nou-
velle en Angleterre deux semaines plus tard. Il se souvenait de
George comme du garçon de dix-sept ans qu’il avait connu à
Oxford, peu sûr de lui mais désireux d’obéir à Dieu de tout son
cœur. Depuis ce moment-là, la vie de George et celle de John
s’étaient entremêlées. Certes, les deux hommes avaient croisé
l’épée au fil des ans concernant des questions épineuses. En
dépit de leurs différences les deux hommes étaient parvenus à
garder le respect qu’ils avaient l’un pour l’autre.
John fut honoré de prêcher à Londres lors des trois services
commémoratifs pour George. Il se souvenait de lui comme
147
John Wesley – Le monde pour paroisse

de l’homme qui était à l’origine du «Grand Réveil» par-delà


l’océan Atlantique, en Amérique du Nord. Le texte de John
pour le sermon fut «Qu’il me soit accordé la même mort que
celle de ces justes, et que mon avenir soit identique au leur!»
(Nombres 23:10) Dans son journal, John consigna ses impres-
sions sur le premier service commémoratif.

Une multitude immense s’était rassemblée de tous les


coins de la ville. J’ai d’abord eu peur qu’une grande
partie de la congrégation ne soit pas en mesure d’en-
tendre, mais il a plu à Dieu de fortifier ma voix de
sorte que même ceux à la porte ont entendu dis-
tinctement. Ce fut une soirée terrible. Tous étaient
immobiles comme la nuit, la plupart semblaient être
profondément affectés, et beaucoup ont été marqués
d’une impression dont on peut espérer qu’elle ne sera
pas rapidement effacée. Il était prévu que je commence
au Tabernacle à cinq heures et demie, mais il était
déjà assez rempli à trois heures, j’ai donc commencé
à quatre. Au début, le bruit était très grand, mais il a
cessé quand j’ai commencé à parler, et ma voix a été
à nouveau tellement renforcée que tous ceux qui se
trouvaient à l’intérieur ont pu entendre, sauf quand
un bruit accidentel l’empêchait ici ou là pour quelques
instants. Oh, que tous puissent entendre la voix de
celui à qui sont les questions de la vie et de la mort,
et qui si fort, par ce coup inattendu, appelle tous ses
enfants à s’aimer les uns les autres!

148
Relations difficiles

Alors que John quittait la chapelle sur Tottenham Court Road


où se tenait le service commémoratif, il pensa à l’un des dic-
tons favoris de George: «Nous sommes immortels jusqu’à ce
que notre travail soit terminé.» Il était évident que le travail de
George Whitefield était terminé et John Wesley se demandait
combien de temps Dieu allait encore lui accorder.

149
150
15
Un ouvrier infatigable

Alors que la plupart des hommes et des femmes de l’époque


ne vivaient pas jusqu’à un tel âge, le 17 Juin 1770, John Wesley
eu soixante-sept ans. Le jour de son anniversaire, il consigna ce
qui suit dans son journal:

J’ai peine à croire que je suis entré ce jour dans la


soixante-huitième année de mon âge [ce qui signifie
qu’il a soixante-sept ans]. Comme les voies de Dieu
sont merveilleuses! Comme il m’a gardé, même depuis
que je suis enfant! De dix à treize ou quatorze ans,
j’ai eu peu à manger si ce n’est du pain qui n’était pas
en abondance. Je crois que c’était si loin de me faire
du mal que cela a jeté les bases d’une santé durable.
Quand j’ai grandi, en conséquence de la lecture du Dr
Cheyne, j’ai choisi de manger avec modération et de
boire de l’eau. Ce fut un autre grand moyen de main-
tenir ma santé, jusqu’à ce que... je sois ensuite amené
au bord de la mort par une fièvre, mais elle m’a laissé
en meilleure santé qu’avant. Des années après, j’étais
dans la troisième phase de la consomption; ... il a plu
151
John Wesley – Le monde pour paroisse

à Dieu de retirer aussi cela. Depuis ce temps, je n’ai


connu ni douleur ni maladie, je suis maintenant en
meilleure santé que je ne l’étais il y a quarante ans.
Voilà ce que Dieu a forgé!

Charles Wesley aussi était encore en vie, de même que trois


des sœurs de John, Emilia, Martha et Anne. Mais Emilia allait
mourir l’année suivante, à l’âge de soixante-dix-neuf ans,
rompant un lien de plus avec l’époque de la vie au presbytère
d’Epworth.
Malgré son âge, John continuait avec détermination en ras-
semblant et en préparant l’ensemble de ses écrits afin qu’ils
soient publiés dans un recueil collectif. Quand ce fut fina-
lement terminé, les Collective Works (Ouvrages Collectifs)
comptaient trente-deux volumes. Au fil des années, John avait
gagné une belle somme d’argent grâce à ses écrits – jusqu’à
mille quatre cents livres par an. Cependant, même avec cet
argent, il était resté fidèle à son idéal de vie simple. Il gardait
trente-cinq livres pour sa subsistance, le même montant qu’il
s’était alloué lorsqu’il était à l’université, et donnait le reste aux
œuvres méthodistes. Quand on le questionnait sur ses raisons
de ne pas garder un peu plus d’argent pour son «confort»
personnel, John donnait toujours la même réponse: «L’argent
ne reste jamais avec moi, autrement cela me consumerait. Je
le jette hors de mes mains dès que possible, de peur qu’il ne
trouve un chemin dans mon cœur».
Alors qu’il œuvrait en Angleterre, John gardait un œil attentif
sur ce qui se passait dans les colonies américaines. En mars
1770, cinq colons furent tués quand les troupes britanni-
ques ouvrirent le feu sur eux pendant ce qui allait être connu
152
Un ouvrier infatigable

comme le Massacre de Boston. Alors que la possibilité d’une


rébellion à grande échelle menaçait l’Amérique, beaucoup
de gens dans les colonies, en quête de force et de stabilité, se
tournèrent vers les sociétés méthodistes. En réponse à cette
augmentation du nombre de personnes rejoignant les sociétés,
John envoya deux prédicateurs de plus en Amérique depuis
l’Angleterre. Il s’agissait de Francis Asbury et de Thomas
Coke, respectivement âgés de vingt-six et de vingt-quatre ans.
Les deux hommes étaient issus de milieux différents. Thomas
était diplômé du Jesus College d’Oxford et prêtre ordonné
dans l’Eglise d’Angleterre, tandis que Francis venait d’une
famille de classe inférieure de Wednesbury, le site de certaines
des pires émeutes anti-méthodistes. Une fois arrivés dans les
colonies, Thomas et Francis reprirent la direction des sociétés
méthodistes de New York et Philadelphie, libérant Richard
Boardman et Joseph Pilmoor pour étendre leurs activités dans
les colonies du nord et du sud.
Pendant ce temps, les choses changeaient aussi en Angleterre.
Les femmes méthodistes prenaient un rôle plus important
dans les sociétés. C’était encore une pratique de plus qui
mettait les méthodistes en conflit avec l’Eglise d’Angleterre.
John essaya d’apaiser la situation en encourageant les femmes
à utiliser leurs dons de prédication sans toutefois franchir
la ligne jusqu’à être accusées de prêcher, ce qui ressemblait
beaucoup à ce que sa mère avait fait à Epworth cinquante-huit
années auparavant. Ce n’était pas une chose facile à faire, et
John écrivit à Sarah Crosby, une «prédicatrice» méthodiste,
en lui décrivant la manière dont elle devait procéder lorsque
des groupes allant jusqu’à deux cents personnes la suppliaient
de prêcher pour eux.
153
John Wesley – Le monde pour paroisse

Lorsque vous vous rencontrerez à nouveau, dites-leur


tout simplement: «Vous me mettez dans une grande
difficulté. Les méthodistes n’autorisent pas les prédica-
teurs féminins, et je ne m’attribue pas non plus un tel
rôle, mais je vais juste vous dire crûment ce qui est dans
mon cœur» ... je ne vois pas que vous ayez violé aucune
loi. Poursuivez tranquillement et avec régularité.

Les foules qui se pressaient pour entendre prêcher John conti-


nuèrent de croître, et en août 1773, John prêcha devant un
rassemblement de trente-deux mille personnes, le plus grand
auditoire qu’il ait jamais eu. «Peut-être la première fois qu’un
homme de soixante-dix ans a été entendu par trente mille per-
sonnes à la fois», a-t-il noté à cette occasion dans son journal.
Après le massacre de Boston, les tensions entre les colons
d’Amérique du Nord et les Britanniques se calmèrent, mais
elles prirent à nouveau de l’ampleur en 1773, lorsque le par-
lement britannique adopta une loi donnant à l’East India
Company un monopole sur la vente du thé dans la colonie.
La loi menaçait la subsistance de nombreux marchands de thé
locaux, et les navires de l’East India Company furent empê-
chés d’accoster et de débarquer leurs cargaisons à New York
et Philadelphie. A Boston un groupe de citoyens locaux prit
les choses en mains. Le 16 décembre 1773, les membres du
groupe, déguisés en Indiens, montèrent à bord de trois navires
de l’East India Company et jetèrent des centaines de caisse
de thé dans la rade, dans une action qui devint connue sous le
nom de Boston Tea Party.
Pour la première fois, un conflit ouvert entre l’Angleterre et
ses colonies américaines commença à poindre à l’horizon. En
154
Un ouvrier infatigable

réponse à cette menace, de nombreux méthodistes américains


firent route au nord vers le Canada, dans l’espoir d’éviter la
guerre dans les colonies plus au sud.
En avril 1775, les combats entre les Britanniques et les
colonies éclatèrent finalement à Concord et Lexington au
Massachusetts. Au début de la guerre John se trouva étonnam-
ment solidaire de la cause rebelle. Il écrivit même une lettre
au secrétaire d’état pour les colonies, lord Dartmouth, dans
laquelle il dit:

Que mon écrit fasse du bien ou non, il ne fera aucun


mal. Car il dépend de votre Seigneurie qu’un autre œil
que le vôtre puisse le voir.
Tous mes préjugés sont contre les Américains. Car
je suis un ecclésiastique de haut rang, fils d’un ecclé-
siastique de haut rang, élevé depuis mon enfance
dans les plus hautes notions d’obéissance passive et
de non-résistance. Et pourtant, en dépit de tous mes
préjugés enracinés, je ne peux éviter de penser (si j’ai
une quelconque pensée) qu’un peuple opprimé ne
demandait rien de plus que ses droits légaux, et ceci de
la manière la plus modeste et inoffensive que la nature
de la chose puisse permettre. Mais en renonçant à cela,
en renonçant à toute considération du bien et du mal,
je demande: «Est-ce du bon sens que d’utiliser la force
envers les Américains?»
Une lettre que j’ai maintenant devant moi dit: «Quatre
cents soldats des Forces régulières et quarante de la
milice ont été tués dans la dernière échauffourée.»

155
John Wesley – Le monde pour paroisse

Quelle disproportion! Et cela est le premier essai de ces


hommes inexpérimentés contre des troupes régulières!
Voyez-vous, mon Seigneur, quoiqu’il ait été affirmé,
ces hommes n’auront pas peur. Et il semble qu’ils ne
seront pas aussi facilement conquis que ce qu’on a
d’abord imaginé. Ils vont probablement disputer cha-
que pouce de terrain et, s’ils meurent, mourront l’épée
à la main.
En effet, certains de nos valeureux officiers disent:
«Deux mille hommes débarrasseront l’Amérique de
ces rebelles.» Non, ni vingt mille, ni même le triple de
ce nombre, qu’ils soient rebelles ou non. Ce sont des
hommes aussi forts que vous, ils sont aussi vaillants
que vous, sinon abondamment plus vaillants. Car
tous, sans exception, sont passionnés, passionnés pour
la liberté. Ce sont des passionnés calmes et réfléchis.
Et nous savons comment ce principe a insufflé, en
des âmes plus tendres, l’amour de la guerre, la soif de
vengeance et le mépris de la mort. Nous savons que
des hommes animés de cette volonté vont se précipiter
dans un incendie ou se jeter sur la bouche d’un canon.
«Mais ils n’ont aucune expérience de la guerre.»
Mais nos troupes en ont-elles beaucoup plus? Si peu
d’entre eux ont déjà vu une bataille!
«Mais ils n’ont aucune discipline.» C’est une gros-
sière erreur. Ils en ont presque autant que notre armée.
Et ils vont en apprendre plus chaque jour, de sorte que
dans un court laps de temps, ils la comprendront aussi
bien que leurs agresseurs.

156
Un ouvrier infatigable

Cependant, après de nombreuses rencontres avec son ami


l’écrivain Samuel Johnson, John changea d’avis sur la guerre
dans les colonies et devint un défenseur de la politique britan-
nique en Amérique du Nord. Il prit même l’un des pamphlets
de Johnson intitulé Taxation No Tyranny (La taxation n’est pas
tyrannie) et le republia sous son propre nom avec le titre A
Calm Address to the American Colonies (Un discours serein pour
les colonies américaines). Le pamphlet déclarait que les colonies
américaines n’avaient aucun droit de revendiquer leur propre
liberté alors qu’ils tenaient des hommes en esclavage.
La publication du pamphlet provoqua un tollé général, non à
cause de ce que le document disait, mais parce que John l’avait
copié et publié sans permission. En réponse à la critique, John
publia une autre édition de la brochure, en reconnaissant que
son ami Samuel Johnson l’avait initialement écrit. Les protes-
tations du public se calmèrent rapidement.
Cependant la prédiction que John Wesley avait faite à Lord
Dartmouth, selon laquelle les colons américains allaient «pro-
bablement disputer chaque pouce de terrain» et mourir l’épée
à la main, s’avéra exacte. En juillet 1776, les colons déclarèrent
leur indépendance de la Grande-Bretagne, et même si les cho-
ses ne se passaient pas bien pour eux dans la lutte contre les
Britanniques, ils démontraient qu’ils étaient des combattants
tenaces et imprévisibles.
Alors que la guerre faisait rage dans les colonies américaines,
John exhorta les dirigeants méthodistes à ne pas prendre
parti. Mais il leur rendit la tâche impossible en continuant à
imprimer ses pamphlets anti-américains et à les faire ensuite
distribuer dans les colonies.

157
John Wesley – Le monde pour paroisse

Malgré l’attitude anti-américaine de John, le nombre de per-


sonnes rejoignant les sociétés méthodistes dans les colonies
continuèrent de croître, passant de neuf cent cinquante-cinq
en 1775 à quatre mille trois cent soixante-dix-neuf en 1777.
C’est que les méthodistes en Amérique ne se sentaient pas la
même allégeance à l’Eglise d’Angleterre et, par conséquent,
ils agissaient plus ou moins comme une église indépendante.
Le statut des méthodistes en Amérique du Nord était un sujet
que John Wesley ne pouvait vraiment pas ignorer indéfini-
ment, même si à cette époque d’autres questions s’avéraient
plus pressantes à la maison.
L’une de ces questions, qui prit beaucoup de temps à John,
était la construction d’une nouvelle chapelle méthodiste à
Londres. En 1776, il était évident pour tous que la chapelle
de la fonderie était vieille et délabrée, et qu’elle devait être
remplacée. John fit appel aux sociétés méthodistes de toute
l’Angleterre pour donner de l’argent pour la construction
d’une nouvelle chapelle qui servirait de quartiers généraux au
méthodisme. L’argent commença d’affluer et le 21 avril 1777,
sous une pluie battante, John posa la première pierre de la
nouvelle structure qui devait s’appeler la chapelle de Wesley
(Wesley’s Chapel). La nouvelle chapelle se situait dans Royal
Row (City Road), sur un arpent de terre où des moulins à
vent se dressaient auparavant, à une cinquantaine de mètres
au nord de la fonderie. Pendant les mois qui suivirent, John
supervisa la construction de la nouvelle chapelle jusqu’à son
ouverture officielle le 1er novembre 1778. La chapelle était un
grand bâtiment sobre qui pouvait accueillir deux mille person-
nes. A côté, il y avait une maison pour John.

158
Un ouvrier infatigable

En même temps que la chapelle de Wesley s’érigeait, un autre


projet occupait John – la publication d’un magazine métho-
diste qu’il appela Arminian Magazine, le Magazine Arminien.
La publication était destinée à promouvoir les idées métho-
distes et à réfuter la pensée calviniste. John rédigea lui-même
de nombreux articles du magazine. L’un des premiers articles
qu’il écrivit parlait du vieux Jeffrey, le fantôme qui avait hanté
le presbytère d’Epworth durant sa jeunesse.
Deux années plus tard, en 1780, John publia A Collection of
Hymns for the Use of the People Called Methodists (Un recueil de
cantiques à l’usage des personnes appelées méthodistes). Le
livre de cantiques rassemblait cinq cent vingt-cinq chants: sept
d’entre eux avaient été écrits par Isaac Watts, un par Samuel, le
frère de John, un autre était de son père, dix-neuf étaient des
hymnes allemands qu’il avait traduits, seize étaient de sa pro-
pre plume et les autres étaient l’œuvre de son frère Charles. Ce
fut un grand jour pour les frères de voir autant de leurs paroles
imprimées, car tous deux croyaient que les cantiques avaient
le pouvoir de s’implanter dans les cœurs des auditeurs même
les plus illettrés. La plupart des cantiques du nouveau recueil
avaient déjà été publiés sous une forme ou une autre mais
John, à sa manière pratique habituelle, le présenta comme
«pas assez grand pour être encombrant ou cher, et… suffi-
samment grand pour contenir un tel poids de cantiques qu’il
n’est pas près d’être usé jusqu’à la corde.»
Un an plus tard, en octobre 1781, John revint à Londres après
un voyage de prédication pour apprendre la mort de sa femme.
Le couple avait vécu séparé pendant de nombreuses années et
John fut attristé par son décès.

159
John Wesley – Le monde pour paroisse

A présent, John était un vieil homme et s’attendait à sa propre


mort à tout moment, surtout du fait qu’il avait déjà vécu plus
longtemps que ses deux parents. Mais le jour de son soixan-
te-dix-neuvième anniversaire, il se portait encore très bien et
nota dans son journal:

Je suis entré dans ma quatre-vingtième année [ce qui


signifie qu’il a soixante-dix-neuf ans] mais, Dieu soit
béni, mon temps n’est ni un labeur ni une peine. Je ne
trouve pas plus de douleurs ou d’infirmités corporelles
qu’à vingt-cinq ans. Ce que je continue d’imputer (1)
à la puissance de Dieu qui m’équipe pour ce à quoi il
m’appelle; (2) au fait que je parcours toujours quatre
ou cinq milliers de miles par an; (3) à mon sommeil,
le jour ou la nuit, chaque fois que je le désire; (4) à
mon lever à une heure fixée; et (5) à ma prédication
constante, en particulier le matin...

Ensuite John ajouta:

Dernièrement, égalité d’humeur. Je ressens et j’ai de


la peine, mais par la grâce de Dieu, je ne m’irrite de
rien. Mais quand même, «l’aide qui est apportée sur
terre, il l’apporte lui-même». Et il le fait en réponse à
de nombreuses prières.

Un prédicateur, John Hampson, écrivit une description de


John Wesley âgé. Il y dépeint John comme un homme éton-
namment fort et musclé pour son âge, avec «une étroite laval-
lière nouée, un manteau avec un petit col droit, aucune boucle
160
Un ouvrier infatigable

au niveau des genoux, ni soie ni velours dans aucune partie


de son vêtement, ainsi qu’une tête blanche comme la neige,
donnant l’idée de quelque chose de primitif et apostolique;
tandis qu’un air de propreté et de netteté se diffusait sur toute
sa personne».
Même après son quatre-vingtième anniversaire, John ne mit
pas fin à son programme soutenu de prédication. Il permit
à ses amis de lui acheter un attelage, mais le plus souvent, il
réquisitionnait un cheval et partait en avant. Rien n’était plus
revigorant pour lui qu’une bonne promenade à cheval de qua-
tre-vingts kilomètres ou plus.
Pendant que John sillonnait l’Angleterre, l’Irlande et le Pays
de Galles, les colonies américaines n’étaient jamais loin de sa
pensée.
Avec l’aide des Français, les rebelles américains avaient gagné
leur lutte pour la liberté, et la Grande-Bretagne avait reconnu
leur indépendance à contrecœur. Ce dénouement surprit John
qui en était venu à penser que la Grande-Bretagne se battait
pour une juste cause. Cependant il décida de se concentrer
sur l’avenir et ce qui allait arriver aux méthodistes d’Amérique
qui faisaient toujours officiellement partie de l’Eglise d’Angle-
terre. Les questions à ce sujet tourbillonnaient dans son esprit.
Les méthodistes en Amérique devaient-ils rester liés par les
lois de l’Eglise anglaise et soumis au règne du roi George III
qui était non seulement le monarque anglais mais aussi le
chef de l’Eglise d’Angleterre? John savait qu’il n’était pas seul
à être aux prises avec de telles questions, et que les réponses
devraient être trouvées rapidement.

161
162
16
Actif jusqu’à la fin

Les années 1780 mirent enfin un terme à la persécution des


méthodistes par des foules en colère. Partout où il allait, John
était désormais honoré. Pendant son dernier voyage en Irlande,
les maires de Dublin et de Cork lui accordèrent les honneurs
civiques, et où qu’il se rende, il était un invité très convoité.
Depuis Dublin, John fit une tournée de neuf semaines en pas-
sant par soixante villes et villages. Il prêcha une centaine de
sermons, six fois en plein air et une fois dans un endroit dont
il dit qu’il était «grand mais pas élégant, une étable.»
L’année 1784 fut celle où John fut finalement confronté au fait
qu’il devait faire des plans pour que le méthodisme survive
après sa mort. Il décida de rédiger A Deed of Declaration (Un
acte de déclaration), qu’il exécuta le 28 février 1784. L’acte
définissait légalement la «Conférence des personnes appelées
méthodistes» («Conference of the people called Methodists)
et déclarait «comment la succession et l’identité de celles-
ci devaient être poursuivies.» Le document répertoriait les
noms d’une centaine de prédicateurs qui seraient chargés de
superviser les sociétés et les biens fiduciaires après sa mort.

163
John Wesley – Le monde pour paroisse

John avait soigneusement formé ces prédicateurs pour cette


responsabilité, et continuait à le faire.
Quatre mois plus tard, en juillet, John fut particulièrement tou-
ché lorsqu’il visita l’école du dimanche de Robert Raike. Raike
était un chroniqueur combatif du Journal de Gloucester qui,
frustré de rendre compte de l’activité criminelle, était convain-
cu que beaucoup de ce qu’il rapportait était le résultat de la
pauvreté et d’un manque d’éducation. En réaction, il mit en
place des écoles du dimanche, comme Hannah Ball l’avait fait
quinze ans auparavant, afin d’enseigner la lecture et l’écriture
aux enfants travaillant dans les usines. De nombreux parents se
joignaient aux enfants lors des leçons du dimanche. Dans son
journal, John consigna ses pensées sur ce qu’il avait vu.

Je suis entré dans l’école du dimanche qui accueille


deux cent quarante enfants, enseignés chaque diman-
che par plusieurs maîtres et supervisés par le vicaire.
Ainsi de nombreux enfants dans une paroisse sont
empêchés de pécher ouvertement et apprennent au
moins quelques bonnes manières, ainsi qu’à lire la
Bible. Je vois ces écoles surgir partout où je me rends.
Peut-être Dieu a-t-il une finalité plus profonde que les
hommes n’en ont conscience? Qui sait si certaines de
ces écoles ne vont pas devenir des pépinières pour les
chrétiens?

Quand on lui demanda ce qu’il trouvait de si émouvant à


propos de l’école du dimanche, John répondit: « Je révère les
jeunes parce qu’ils peuvent être utiles après ma mort. Prenez
soin de la génération montante.»
164
Actif jusqu’à la fin

Thomas Coke, que John avait dépêché en Amérique du


Nord pour aider à organiser les sociétés méthodistes, revint
en Angleterre. Le 1er septembre 1784, une étape capitale
fut franchie à Bristol concernant les méthodistes des Etats-
Unis nouvellement indépendants. Au domicile de Monsieur
Castleman, dans Dighton Street à Bristol, John posa ses mains
sur Thomas et l’ordonna surintendant pour l’ «Eglise de Dieu
placée sous nos soins en Amérique du Nord.» Par ailleurs,
John mandata Thomas pour revenir en Amérique du Nord et
ordonner aussi Francis Asbury comme surintendant, mais il
avertit qu’aucun des deux hommes ne devrait utiliser le titre
d’évêque.
Quand il retourna aux Etats-Unis depuis l’Angleterre, Thomas
avait avec lui une lettre adressée par John Wesley aux métho-
distes américains où l’on pouvait lire, en partie: «Comme nos
frères américains sont aujourd’hui totalement dissociés aussi
bien de l’Etat que de la hiérarchie anglaise, nous n’osons pas
les mêler encore une fois, ni avec l’un ni avec l’autre. Ils ont
maintenant la pleine liberté de suivre simplement les Ecritures
et l’Eglise primitive, et nous jugeons préférable qu’ils demeu-
rent fermes dans cette liberté que Dieu leur a si étrangement
accordée.»
John poursuivit ses efforts pour rendre les méthodistes améri-
cains libres de tout lien avec l’Eglise d’Angleterre, en réécrivant
le Livre de la prière commune, qu’il intitula Le service dominical
des méthodistes en Amérique du Nord (The Sunday Service of the
Methodists in North America). La nouvelle version était plus
courte et remplaçait les termes prêtre et évêque par surintendant
et ancien. Elle omettait aussi quinze des trente-neuf articles de

165
John Wesley – Le monde pour paroisse

foi, ainsi que la liste des jours saints qui étaient célébrés selon
le calendrier ecclésiastique.
Pendant ce temps, les choses évoluaient rapidement en
Amérique du Nord. Même si John n’avait pas jugé cela néces-
saire, les méthodistes décidèrent de voter au sujet de l’ordina-
tion de Francis Asbury et de Thomas Coke avant de l’accepter.
Le vote fut unanime, mais en Angleterre l’action fit clairement
passer le message que même si les méthodistes américains
entendaient être fidèles à John Wesley en tant que leur fonda-
teur, ils avaient l’intention de vivre en «connexion» avec lui
et non dans la subordination.
Pendant la conférence de Noël de l’année suivante, les diri-
geants méthodistes d’Amérique du Nord décidèrent de fonder
une école pour éduquer les fils de prédicateurs méthodistes
et les orphelins, un peu comme le pensionnat que John avait
établi à Kingswood. Ils baptisèrent la nouvelle institution
Cokesbury College – un mélange des noms de Coke et d’As-
bury.
L’année d’après, John fit un pas qui précipita la rupture offi-
cielle entre les méthodistes et l’Eglise d’Angleterre. Dans une
tentative de sauvegarder ses chapelles et ses prédicateurs, John
leur obtint des licences en tant que temples dissidents. Cela
voulait dire que le méthodisme n’était plus une extension de
l’Eglise d’Angleterre, mais une dénomination dissidente. John
franchit cette étape afin d’empêcher que les temples méthodis-
tes ne soient repris par l’Eglise d’Angleterre après sa mort.
Tout comme il l’avait été par l’ordination de Francis Asbury
et de Thomas Coke, Charles Wesley fut contrarié par la décision
de son frère de se séparer de l’église mère. La décision aboutit
à un désaccord entre les deux «géants du méthodisme», qui
166
Actif jusqu’à la fin

ne serait malheureusement pas réglé avant la mort de Charles,


en mars 1788. John voyageait dans le nord de l’Angleterre à ce
moment et ne reçut pas les nouvelles de la mort de son frère
à temps pour rentrer pour les funérailles. Au lieu de se tenir
dans la chapelle méthodiste récemment agréée de City Road
(Wesley’s Chapel), les funérailles de Charles Wesley eurent
lieu à St Marylebone, une église anglicane située à Londres.
Charles Wesley laissait derrière lui un héritage de six mille
cinq cents hymnes, dont beaucoup furent publiés par John.
Trois de ses cantiques les plus populaires étaient Hark, the
Herald Angels Sing (Ecoutez, les anges chantent), Jesus, Lover
of My Soul ( Jésus, amant de mon âme) et O for a Thousand
Tongues to Sing (Seigneur, que n’ai-je mille voix).
Sachant que Charles comprenait l’importance et l’urgence de
prêcher, John poursuivit sa tournée du nord de l’Angleterre,
arrivant à Bolton trois semaines après les funérailles. Là, tandis
qu’un chœur d’enfants se préparait à chanter l’un des canti-
ques de Charles, John se leva et lut la première strophe:

Viens, ô toi, voyageur inconnu,


que je garde encore, mais sans le voir.
Mes compagnons s’en sont allés,
je suis resté, seul avec toi…

John luttait pour lire, mais les mots de son frère l’affectaient
profondément. Calmement, il mit de côté le livre de cantiques,
s’assit, se prit sa tête dans les mains et pleura ouvertement
pour Charles.
Le 1er janvier 1790, John écrivit dans son journal: «Je suis
maintenant un vieil homme, pourri de la tête aux pieds. Mes
167
John Wesley – Le monde pour paroisse

yeux sont affaiblis, ma main droite tremble beaucoup, chaque


matin ma bouche est chaude et sèche, j’ai une fièvre persis-
tante presque tous les jours, mes mouvements sont faibles et
lents. Cependant, Dieu soit béni, je ne lâche pas mon travail,
je peux encore prêcher et écrire.»
John continuait à se lever à quatre heures tous les matins, et
il se rendit en Ecosse et en revint avant son quatre-vingt-sep-
tième anniversaire, le 17 juin 1790. A ce moment, toutefois,
il pense que sa force «ne sera probablement pas de retour
dans ce monde, mais je ne ressens aucune douleur de la tête
aux pieds; il semble seulement que la nature soit épuisée et,
humainement parlant, s’apprête à sombrer de plus en plus,
jusqu’à ce que les ressorts fatigués de la vie s’immobilisent.»
John fit aussi une autre visite à Epworth, même si ce fut avec
des sentiments mitigés. Le presbytère ne résonnait plus des
bruits de sa famille dynamique et talentueuse; lui et sa sœur
Martha étaient les seuls à être encore en vie. Pourtant, il y eut
des moments forts pendant ce voyage. En chantant, les métho-
distes locaux l’escortèrent à pied de village en village autour du
marais. John prêcha sur les places des villages et, partout où il
allait, saluait ses amis et admirateurs par ces paroles: «Petits
enfants, aimez-vous les uns les autres.»
Plus tard dans l’année 1790, John assista à la conférence
annuelle méthodiste à Bristol. Lors du rassemblement, les der-
nières statistiques sur l’appartenance au méthodisme furent
lues dans le compte-rendu officiel. En Angleterre, il y avait
maintenant 71 463 membres méthodistes; aux Etats-Unis,
43 260; et dans d’autres parties du monde, y compris l’Ecosse,
les Caraïbes et le Canada, on en comptait 5 350. Lorsque le
travail de la conférence fut terminé, John, qui en avait dirigé
168
Actif jusqu’à la fin

les délibérations pendant les quarante-six années précédentes,


apposa sa signature sur les minutes. Sa main était tremblante
maintenant, mais sa vision d’augmenter le nombre des métho-
distes était plus sûre que jamais.
Pendant le reste de l’année, John voyagea et prêcha au Pays de
Galles, dans les Midlands, dans le Lincolnshire, en Ecosse et
sur l’île de Wight. Le 6 octobre 1790, à midi, il prêcha dans un
service en plein air tenu sous un frêne dans la cour de l’église
de Winchelsea Sussex, pour que les personnes qui travaillaient
puissent l’entendre en mangeant leur déjeuner. Le texte qu’il
avait choisi pour son sermon était: «Repentez-vous, car le
royaume des cieux est proche.»
En 1791, John fut confiné à Londres, prêchant à l’intérieur
des chapelles où il était moins susceptible d’attraper un refroi-
dissement. A son âge avancé, John se préoccupait toujours de
l’état du mouvement méthodiste, souhaitant ardemment que
l’unité règne parmi ses membres. Il l’exprima dans une lettre
pour l’Amérique, datée du 1er février, dans laquelle il écrivit:
«Ne perdez pas une occasion de déclarer à tous les hommes
que les méthodistes forment un seul peuple dans le monde
entier et que c’est leur entière détermination que de continuer
ainsi, même si les montagnes s’élèvent et les océans déferlent
en vain pour nous séparer.»
Même si ses jours de voyage étaient terminés, John continuait
à s’intéresser vivement au monde qui l’entourait. Tôt dans la
nouvelle année, il lut l’autobiographie d’un esclave africain
nommé Gustavas Vassa. Il avait aidé à payer les coûts de la
publication du livre et eut grand plaisir à enfin le lire.
En réaction à ce qu’il lut dans le livre, John dicta une lettre à
William Wilberforce, un converti méthodiste. Ce membre du
169
John Wesley – Le monde pour paroisse

Parlement défendait la cause de l’opposition à la participation


de l’Angleterre à l’esclavage n’importe où dans le monde.

Le 24 février 1791.
Mon cher monsieur: A moins que la puissance divine
ne vous ait relevé comme Athanase, contre Roundurn,
je ne vois pas comment il vous est possible de mener
votre glorieuse entreprise d’opposition à cette vilenie
exécrable, qui est le scandale de la religion, de l’An-
gleterre, et de la nature humaine. A moins que Dieu
ne vous ait suscité pour cette chose même, vous serez
épuisé par l’opposition des hommes et des démons.
Mais si Dieu est avec vous, qui sera contre vous? Tous
ensemble sont-ils plus forts que Dieu? «Ne vous lassez
pas de faire le bien», continuez, au nom de Dieu et
dans la puissance de sa force, jusqu’à ce que même l’es-
clavage américain, le plus vil jamais vu sous le soleil,
s’évanouisse devant elle.
Ce matin, à la lecture d’un traité écrit par un pauvre
Africain, j’ai été particulièrement frappé par cette cir-
constance que l’homme qui a une peau noire, étant lésé
ou outragé par un homme blanc, ne peut avoir aucun
recours, une loi dans nos colonies établissant que le
serment d’un noir contre celui d’un blanc passe pour
rien. Quelle vilenie!
Que celui qui vous a guidé à partir de votre jeunesse
continue à vous renforcer en cela et en toutes choses est
la prière de, cher Monsieur, votre affectionné serviteur,
JOHN WESLEY.

170
Actif jusqu’à la fin

La fin de l’hiver 1791 fut rigoureuse et John fut souvent affligé


de toux et de rhume. Chaque accès de maladie semblait l’affai-
blir un peu plus, et il sentait que sa fin était proche. Le matin
du 1er mars, il réclama de l’encre et une plume, mais n’eut pas
assez de force pour s’en servir. Betsy Ritchie, une responsable
méthodiste, lui demanda ce qu’il voulait écrire. Avec à ses
côtés Martha, son unique sœur encore en vie, et Sally, la veuve
de Charles, John rassembla ce qui lui restait de force et s’écria:
«Le meilleur de tout est que Dieu est avec nous.»
John passa la nuit et, au matin du mercredi 2 mars 1791, les
membres de la direction de l’église méthodiste se réunirent
à son chevet. John leva les bras et leur donna sa bénédiction.
«Levez vos têtes, ô portes, et soulevez-vous, portes éternelles,
que cet héritier de la gloire fasse son entrée!» Ces paroles
prononcées, John Wesley rendit son dernier souffle, à l’âge
de quatre-vingt-sept ans. Ce fut une mort appropriée pour un
méthodiste, sans plainte, sans admettre la douleur, juste avec
l’anticipation joyeuse d’entrer dans la présence éternelle de
son Sauveur.
Les funérailles de John furent programmées pour le mercredi
9 mars, et le jour avant le service, le corps de John fut exposé
dans la chapelle de City Road pour les derniers honneurs. Dix
mille personnes en deuil défilèrent devant son cercueil, dési-
reuses de jeter un dernier regard sur leur chef.
Les organisateurs des funérailles se rendirent compte que
la chapelle allait être envahie par une foule endeuillée et
programmèrent secrètement le service pour cinq heures du
matin. Le révérend John Richardson, un homme d’église qui
avait aidé John pendant près de trente ans, officiait au service.
Quand il en arriva aux paroles du cérémonial «Etant donné
171
John Wesley – Le monde pour paroisse

qu’il a plu à Dieu Tout-Puissant de prendre auprès de lui l’âme


de notre cher frère», avec une émotion profonde il substitua
le mot père à celui de frère et c’est alors que la foule recueillie
se mit à sangloter.
John Wesley, le père spirituel d’un grand nombre, n’était plus.
Durant sa vie, il avait parcouru quarante mille kilomètres à
cheval, s’arrêtant en chemin pour prêcher plus de quarante
mille sermons. Il avait offert une forme simple de christia-
nisme à des millions de personnes qui se trouvaient en dehors
de l’influence des églises de l’époque, et dirigé un mouvement
centré sur l’amour de Dieu et la vie sainte qui devait bientôt se
propager dans le monde.
Fidèle à lui-même, John avait laissé des directives méticuleuses
sur la façon dont sa succession devait être partagée. Il laissa
la majeure partie de son argent au fonds général méthodiste,
quarante livres à Martha, sa sœur encore en vie, et vingt shil-
lings à chacun des «six hommes pauvres» qui devaient être
choisis pour porter son cercueil. Bien qu’il eût demandé qu’il
n’y ait pas de démonstration de deuil, les organisateurs des
funérailles ignorèrent cette requête et drapèrent la chapelle de
City Road de tissu noir. Lorsque les obsèques furent termi-
nées, le tissu fut découpé et donné à soixante femmes pauvres
pour qu’elles s’en fassent des robes. Cela, du moins, John
l’aurait approuvé.
Lors de la première conférence qui suivit la mort de John, une
lettre détaillant ses instructions pour la poursuite de l’œuvre
des méthodistes fut lue à haute voix. Dans la lettre, datée
de 1785, John avertissait ceux qui allaient désormais reprendre
des positions d’autorité de ne pas utiliser leur nouveau pouvoir

172
Actif jusqu’à la fin

pour dominer les autres prédicateurs méthodistes. Ses derniè-


res paroles les exhortaient à poursuivre avec droiture:

Je ne connais pas d’autre moyen pour éviter de tels


désagréments que de vous laisser ceci, mes dernières
paroles. Je vous supplie, par les compassions de Dieu,
de ne jamais vous prévaloir de l’Acte de Déclaration
pour prétendre à une quelconque supériorité sur vos
frères, mais que tout se passe chez les itinérants qui
choisissent de rester ensemble exactement de la même
manière que lorsque j’étais avec vous, pour autant que
les circonstances le permettent. En particulier, je vous
supplie, si vous m’avez aimé et si vous avez maintenant
de l’amour pour Dieu et pour vos frères, de ne pas faire
de différences entre les personnes dans le placement
des prédicateurs, dans le choix des enfants pour le
Collège de Kingswood, en disposant de la contribution
annuelle et du fonds pour les prédicateurs, ou de toute
autre somme publique. Cependant faites toutes choses
avec un œil unique, comme je l’ai fait depuis le début.
Allez donc, et Dieu sera avec vous jusqu’à la fin.

173
174
Bibliographie

Ethridge, Willie (Snow). Strange Fire: The True Story of John


Wesley’s Love Affair in Georgia. New York: Vanguard Press,
1971.
Harmon, Rebecca Lamar. Susanna, Mother of the Wesleys.
Nashville, Abingdon Press, 1968.
Hattersleys, Roy. The Life of John Wesley: A Brand from the
Burning. New York: Doubleday, 2003.
McReynolds, Kathy. Susanna Wesley. Bloomington, Minn:
Bethany House Publishers, 1998.
Miller, Basil. John Wesley: The World His Parish. Grand Rapids:
Zondervan, 1943.
Tomkins, Stephen. John Wesley: A Biography. Grand Rapids:
William B. Erdmans, 2003.
Wellman, Sam. John Wesley: Founder of the Methodist Church.
Uhrichsville, Ohio: Barbour Publishing, 1997.
Wesley, John. Edited by Elisabeth Jay. The Journal of John
Wesley: A Selection. New York: Oxford University Press, 1987.

175
Table des matières

1. Laissé pour mort .......................................................................7


2. Un régime strict.......................................................................11
3. Réformer la famille .................................................................19
4. Un étudiant appliqué..............................................................27
5. La quête de sens ......................................................................39
6. Un nouveau défi ......................................................................49
7. La Géorgie ................................................................................63
8. Evasion ......................................................................................75
9. Sauvé par la foi.........................................................................85
10. Le monde pour paroisse........................................................95
11. Une œuvre qui s’étend........................................................ 105
12. Affiner les règles................................................................... 119
13. Partenariats ........................................................................... 129
14. Relations difficiles ............................................................... 139
15. Un ouvrier infatigable ......................................................... 151
16. Actif jusqu’à la fin ................................................................ 163
Bibliographie................................................................................ 173
176

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