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BULLETIN

DE LA

socIÉTÉ FRANÇAISE
D'ETUDES MARIALES

1937

PARIS

LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN


6, Place de la Sorbonne (V.)

1938
Marie, Reine du Monde

Tout un mouvement se dessine en faveur de la Royauté


universelle de Marie. Des vux déjà anciens sont" repris, et
d'aucuns voudraient une proclamation solennelle de l'Eglise
et une fête spéciale (1). Nos manuels insistent davantage sur
ce point de doctrine un peu trop négligé, et des monographies
entières lui sont déjà eonsacrées (2). A Port-Saïd, une
Cathédrale s'est élevée, dédiée à la Reine du Monde (3). Les
Journées d'Etudes Mariales de Tongerloo en 1935 ont traité
de la Royauté de la Sainte Vierge (4), et le Congrès national
de Boulogne se prépare à la célébrer à son tour l'an prochain.
Bref, la question devient, ou redevient, actuelle : il faut s'en
préoccuper.
Cependant nombre de Théologiens restent sur la réserve.
Ils hésitent à se prononcer en faveur d'un privilège que cer-

( I ) Te l s f m ~ ~ t l e s v u x d e s C o n g r è s M a r i a i s d e L y o n ( 1 9 0 0 ) , F r i b o u r g
(1902), Einsiedeln (1906).
Pie IX aurait été ~ul-m~me Jadis pressenti, < En 1864, des ëv~ques prësen-
talent au Pape les désirs des pieux fidèles de voir proclamer la Royauté univer~
selle de Marie. Pie IX prit un vif Intér#t k ces communications et leur
reconmzanda de propager parmi les ~ens des écrits leur donnant l'Intelll,
g e n c o d e c e t i t r e e t l e d ë s i r d e l e v o i r p r o c l a m e r. P r i e z , a j o u t a l t . U , p o u r q u e
c e t t e p e n s ~ m ~ r i o e e t q u e l a ~ a ~ n t e F. ~ l l s e p r o c u r e c e t t e n o u v e l l e g l o i r e k
Mari6 }. (~]~ BItOUSSOLL]~, L'Assomption, Paris, Tëqui, 1918-1920, t. III,
p. 179 et 180).
(2) L Pol~, Regtna o la Reg',llt~ della Madonna, Padova, 1927.
Dr L. J. L. M. »s Gnu~m, De Beat« Mari,, Tleglna, dl~quis~tto po»ftlvo-
#pe«alattva, Bots-le-Duc (TeulLv~s). -- Turin (Marietii), 1934, (cf. Bul/ein 1935,
p. 74-76).
P. M. GA~AUX, C. SS. R. La BoFautë de Marie, Paris, Téqui, 193@.
( 3 ) S . S . P i e X I a d o ~ l a s t a t u e d e M a r i e d ' u n n w t g n i fl q u e c o l l i e r e t
autorisë Je Vicariat de Port-Sald k ajouter aux L/tanles l'Invoeatlon : ReffOta
M n n d t , o r ' , p r o n o b t s » ( L a C r o l z , 2 6 f é v, 1 9 3 6 ) . S o n l é g a t a u C o n g r è s d e
Manille conca0ré lul-m/Une la Cathédrale.
( 4 ) L e P, D r u w ë e n d o n n ë u n b r e f c o m p t e r e n d u d a n s l a N o n v. l i e r. T h ~ o l . ,
1985, p. 968 et 969, et les rapports sont part~ depuis sou4 ce titre: Maria
I r o n t n g i n , Ve r s l a ¢ b o e k d e 1 . u l j f d e M a r i a l e D a g e n 1 9 3 5 , N o r b e r t i J n e r A b d i J ,
Toulle~loo 1935.
Je n'ai pu en prendre counLiJmmoe qu'au dernier moment.
S O C I ] ~ T É F P, A N Ç A I S E D ' É T U D E S M A R I A L E S

raines exagérations leur~ ont rendu suspect, ou bien, sans y


~tre radicalement opposés, ils seraient enclins à en restreindre
l a p o r t é e e t l a s i g n i fi c a t i o n . J ' a v o u e l e u r a v o i r d o n n é a u
premier instant une sympathie assez marquée. Les paroles de
S . B e r n a r d a u x C h a n o i n e s d e Ly o n n e s o n t - e l l e s p o i n t l a
sagesse même et la réaction quasi-instinctive devant toute
nouveauté, réelle ou apparente : « A t valde honoranda est,
inquis, Mater Domini. Bene admones : sed honor Reginae
judicium diligit. Virgo regia faIso non eget honore, verts cumu-
lata honorium titulis... ». (PL 182, 333 B).
H o n o r R e g i n a e » , « Vi r g o r e g i a » , c e s e x p r e s s i o n s s o n t
un premier encouragement. L'incomparable « chantre de
Notre-Dame » ne porte point sa suspicion sur un titre de
gloire qu'il authentique en l'adoptant et sur lequel il reviendra
tout au long de son premier sermon sur l'Assomption
(PL 193, ~15-~17). D'autre part, la situation présente nous
i n v i t e à l ' e x a m e n . D e v a n t l e s d i f fi c u l t é s s o u l e v é e s , u n e m i s e
a u p o i n t s ' i m p o s e e t n o u s a v o n s b e s o i n d ' ê t r e fi x é s . U n e u v r e
de discernement » et de clarté est à faire. Il faut, « pour
l'honneur de la Reine », démêler le vrai ~lu faux, reléguer en
leur place les imaginations et mettre en évidence la pure
doctrine.
Le problème, il est vrai, est plus complexe qu'il ne paraît
au premier abord. De multiples attaches le relient à l'ensemble
de la question mariale, et nous sommes loin d'avoir acquis sur
t o u s l ~ e s , p o i n t s l a p r ë e i s i o n d é s i r a b l e . Tr o p d ' é l é m e n t s d e
discrimination manquent encore ou ne sont qù'imparfaifement
possédéa, et, somme toute, si nous avons eu des « précur-
s ë u r s » , I e s ~ h ê m i n s r e s t e ff t a s s e z m a l f r a y ~ ( 1 ) .
Du n~oins, Pour que ~[a tentative soif profitable, deux prîn-
oipc# devront la diriger.
--. d'abord les données de l'enseignement traditionnel le
plus authentique ;
w ensuite le parallélisme constant entre la Royauté de
Jésus et celle de Marie.

~I) Ferdié~nd ~e ~5~~ (t 1646). ~kmt bous repar~ero~, te'rminë ainsi


~ m e x p o s é : ~ f f ¢ w t e n u s d e r e g l a d l g a l t a t e M b r i ~ v , d e q t z a o I f b e / f fi u s d i s -
ceptavi, quia cure passim a Patribu$ Reglnw átque DOmtnoe aomintbu$ de-
¢~e(ul', tra~llu$, quod st'tare, h~ius Màriant iinperlt vtm et potest«tem expendit,
b~'! prtïn~.m llliu# rttdtt, eih cruft ~. ~po$1tto fb I~roverbta Salomonfs, V~llI, 15

& 18, Pkrlk ~[6~, .cri. 5~@.


Personne ne saurait donc prétendre aujourd'hui tire le premier b traiter
ex professo la qt~e~~Ion.
MAREE, REINE DU MONDE

On ne saurait en effet entreprendre la théologie de la


Royauté de Marie, tenter d'en esquisser le « comment »,
sans avoir au préalable établi l'existence indubitable du
fait (1). La n6cessité s'impose de recourir aux sources de la
Révélation. Malheureusement, en dépit d'efforts utiles et
méritoires, le travail reste à faire. Comme le remarquait le
P. Lajeunie, à propos de l'ouvrage du D. de Gruytere « des
textes alignés dans un ordre d~dactique, arrachés à leur
contexte littéral et vital, ne p~uvent scientiflquement constituer
un argument de tradition. La tradition est dans la vie de
l'Eglise, et c'est dans la vie seule de l'Eglise que nous pouvons
retrouver le sens historique des textes »-(2).
Je ne puis songer ì reprendre une enquête qui « demande-
rait un volume » (3) : ce sera peut-~tre pour plus tard. Du
moins faut-il relever quelques traits de nature à apaiser
certaine méfiance légitime.
Sans doute, les premiers témoignages patristiques
paraissent se réduire aux afflrmations de S. Ephrem et d~
S. Pierre Chrysologue, mais les nfanifestations du sentiment
chrétien, ces « intuiti0ns de l'amour », si précieuses en mario-
logie, sont autrement éloquentes, et comblent largement unè
apparente lacune. Il est facilé de les saisir à travers les
Apocryphes du N. T., les Vies des Pères ou l'iconographie
primitive. La « Mére du Seigneur » (Lue, l, ~3), la Mère du
Roi des Rois, participe à l'~mineure dignité de son Fils. Sort
nom même de Marie n'est-il pas ati dire de Si Jérbrhe, qui
fera école, synonyme de Dame ot~ Souveraine (4) ? C'est une
majesté que l'on vénère, une puissance secourable à laqueIle
on a recours, une véritable Reine. Voyez plutôt comme on la
représente, dès le ri" si~cte, dans la scène si souvent reproduite
de rAdoratï0n des Mages: elle est assise sur la cathèdre

(1) Cf. Bulletin 1936, p. 230.


(2) Cf. Bulletin 1935, p. 75. -- Cf. Bulletin de th~ol, ana. et rnëd: III, n, 5 et 6.
( 3 ) L ' e x p r e s s i o n q u i ( e s t d u P. L 4 j e n n i e ( l . e . ) n ' e s t p a s t r o p f o r t e .
Quicoiique aura, sur ce sujet, entrepris des recherches persom~lies sera vite
~~onné du nombre et de l'tan, pleur des témoig~afles. H s'en faut toutefota que pa-
reille e~quSte soit superik~e, et que l'on do|ve prendre à la lettrë l'affirmation dal
O E a l ~ . B | t t r e m i e t ~ : 1 ~ o ~ Tr a d i t i o M a r i e e d o m l n i u m a d s e r i b a t , p r o b a H o n e
non indtget ). De Mediattone universalis B. M. Virginis quoad flratias, Brugles, 1920,
p, 218.
(4) Liber de nomtnlt~us Hebralcts : De Matth~eo : Muriam plertque aestl-
mont interpretari ~lltmlinant me lsti, vel illuminatrix, vel smyrna macis, ~ed
moEl nequaqaam pidetur. Medius autem est, ut dteamus sonate eum stellam ~~xris,
Mve ammmm mire : setendumque quod Maria sermone S~ ~o~l~x nuncupetur ».
PL ~, 8~I et 8~2.
SOCI~T]~ FRANÇAISE D']~TUDES MARIALES

d'honneur, elle porte la coiffure des impératrices et reçoit avec


son divin Fils les hommages des Rois de la terre (1).
Ces idées iront se précisant. La proclamation solennelle
de la Maternité divine, l'introduction et la généralisation de la
F}te de la Dormition, y contribueront puissamment, mais les
afflrmations si nombreuses et Si explicites du Haut Moyen Age
byzantin ou de l'époque carolingienne ne sont que l'épanouis-
sement normal d'un donné primitif, une étape plus marquante
dans une tradition continue. Jusqu'au seuil du xiIi" siècle, où
sous l'influence de S. Bernard, la piété se nuance davantage de
tendresse, l'esprit chrétien voit moins en Marie la Mère des
hommes, que la Reine ou la Souveraine de toutes choses, celle
qui est par excellence « Notre Dame » (2). Regardons simple-
ment nos vieilles cathédrales, ce livre toujours ouvert, qui
put jadis « tenir lieu de tous les livres » (3), nous y lirons la
foi de nos pères en contemplant la Vierge Reine.
Dans cette perspective, les textes s'éclairent et s'animent.
Ils sont abondants, décisifs, mais cueillis surtout parmi les
écrits spirituels, les serinons, les hymnes et les poésies en
langue latine ou vulgaire. C'est que dans la grande synthèse
théologique qui s'élabore, la Mère de Dieu est considérée dans
l'éblouissant reflet du Verbe Incarné, et n'occupe qu'une
modeste place. Toutefois S. Albert-le-Grand,. S. Bonaventure
et leurs disciples nous apportent de nouvelles et utiles préci-
sions : les motifs de la Royauté de Marie et sa nature m~me
apparaissent avec plus de relief.
La foi est bien ancrée; elle est aussi bien armée. Les
moqueries d'Erasme ou les ~ttaques directes des Protestants
provoquent une véritable levée de boucliers. Nous en avons
l'éc~ho dans les écrits d'un saint Bellarmin, d'un saint Canisius,
ou de nombreux théologiens et auteurs spirituels. Notons-le,
car le fait n'a ,pas été suffisamment relevé, la Royauté de Marie
est directement en cause ; c'est au nom de la Tradition qu'elle

(1) Cf. Dl¢t. areh. chrët. : art. Ma¢es, t. X., col. 995.
( 2 ) L e P. J ~ t i e l e ~ o n s t a t e p o u r l e s t h é o l o g i e n s d u H a u t e t B a s M o y e n A g e
byzantin : « Marie est ~a plupart du temps considérée par eux comme la Reine,
la Souveraine, la D~n~e et la Maltreue dans ses rapports avec nous, rarement
comme notre Mèrs ». Theophanes Nlc~nu#, Rome 1935. p. XXIX et XXX. --
Cf. Dlct. thëol. ¢ath. : art. Jeon de Thesaalontque, t. VIII, col. 824.
(S) Emtle M~~, L'Art reltgfeuz du x~li. atë¢le en France, 7. éd. Paris, 1931,
p. 40S. -- Cf. p. 2S6 : Parmi tant d'id,.es, de sentiments qui se groupèrent alors
autour de la YterM, l'tdée de royaut6 fut celle que les artistt~ comprirent
be mieux et exprimtrent le p~ue fortement. La Vierp du xH. siëcle et du
¢cmmennement du xzlp est une Reine ».
MARIE, REINE DU MONDE

est ardemment défendue, et le « Salve Regina » devient comme


un cri de ralliement. Même indignation, même réaction du
sens chrétien, devant la poussée janséniste : Marie n'est pas
comme le prétendent les Monita salutaria (1), une simple
servante ; elle est vraiment la Souveraine de toutes choses, la
Reine de l'univers, et sa Royauté n'est pas incompatible avec
la Royauté du Christ.
N'insistons pas davantage. Le fait est acquis, et, au début
du xvIi" siècle, commence le stade de l'inquisition spéculative.
Si paradoxal que cela puisse paraitre, nous sommes en droit
de présupposer les résultats d'une enquête positive qui reste
encore à parfaire, et dès maintenant nous pouvons aborder de
front le problème, ayant soin toutefois de garder le contact
avec le donné traditionnel.
S u r c e p r i n c i p e d i r e c t e u r v i e n t s ' e n g r e ff e r u n a u t r e . Av e c
raison, les rapporteurs des journées passées ont souligné
combien le mystère de Marie est corrélatif du mystère de
Jésus. C'est encore dans la perspective de la Royauté univer-
selle du Christ, que nous devrons considérer la Royauté de sa
Tr è s S a i n t e M è r e . A p r o c é d e r a i n s i , n o u s t r o u v e r o n s à l a f o i s
lumière et sauvegarde.
Lumière d'abord. N'avons-nous pas dans l'Eneyclique Quas
p r i m a » , u n c a d r e t o u t t r a c é p o u r u n e é t u d e d o c t r i n a l e . To u r à
t o u r, y s o n t e x a m i n é s l a n a t u r e e t l e s m o t i f s d e l a R o y a u t é
du Christ. Pourquoi ne point suivre ces directives et reprendre
les mëmes idées, mais eu les adaptant, en les transposant, en
les nuançant diversement selon les lois de l'analogie. Une
Royauté éclairera l'autre, et le Christ-Roi apparaîtra comme
l'exemplaire parfait sur lequel Dieu modèle la Vierge Mère
et Reine.
Autre avantage : cette comparaison sera pour nous une
sauvegarde. Gardant constamment les yeux iïxés sur la
Royauté du Fils, nous serons moins tentés de l'affaiblir en
exagérant les grandeurs de sa Mère. Nous ne courrons plus
de risque grave d'outrepasser les limites permises et de
déformer la vérité. Le sage conseil de S. Bernard sera respecté;
nous honorerons « judicieusement » notre Reine, en la situant
à sa vraie place dans l'harmonie du plan divin.
P o u r n o u s l i m i t e r, r e t e n o n s s e u l e m e n t l e s d e u x a s p e c t s
principaux du problème : nature et motifs de laRoyauté uni-

(1) Monftum 6 et 10.


SOCII~TÉ FRANÇAISE D'ÉTUDES MARIALES

verselle de Marie (1). En d'autres termes, essayons de déter=


miner d'abord en quel sens précis tu Mère du Christ-Roi est
la Reine du monde, pour rechercher ensuite quelles sont les
vérités fondamentales, sur lesquelles s'appuient la légitimité
de ce titre et les prérogahves qu'il impliqùe (2).

I . - N AT U R E D E L A R O YA U T É D E M A R I E

L'Encyctique Quas Primas prend soin de nous ave~'tir que


l e C h r i s t e s t R o i , n o n s e u l e m e n t « l ' r a n s l a t o v e r o i s i g n i fi c a -
tione.., ob summum exceHentiae gradum, quo inter otaries res
ceeatas praestat arque eminet », mais encore et surtout
« p r o p r i a v e r b i s i g n i fi c a t i o n e , , p a r c e q u ' i l p o s s è d e l e t r i p l e
pouvoir royal et le souverain domaine sur toute créature (3).
Le nom de « Roi » en effet, est susceptible d'une double
acception. Au sens propre et originel, il désigne celui qui
g o u v e r n e l a s o c i é t é , l a d i r i g e e f fi c a c e m e n t p a r d e s m o y e n s
a p p r o p r i é s v e r s l a fi n c o m m u / i e . M a i s p a r c e q u e c e r 6 1 e
implique nécessa~rement prééminence d'ordre sur les sujets,
et requiert de soi, comme le remarque S. Thomas, supériorité
de perfection, il est normal et conforme aux lois de l'analogie,
que le terme lui-même soit transposé, et s'applique également
à celui qui, sous tel ou tel rapport, l'emporte sur les autres (4).
Il faut raisonner de façon identique pour le nom de
« Reine », et cette discrimination s'impose dès le début d'une
étude sur la Royauté de Marie (5). Sans doute il ne faut pas
s'attendre à la trouver explicitement m~trquée dans les témoi-
8nages traditionnels les plus anciens, mais il est facile de l'y
découvrir sous le voile des expressions employées. Marie est

(1i Il y aurait e~core k suivre cette RoyaUtl dans son développement


. historique pour en marquer les différentes étapea, à montrer comment elle
s'exerce pour faire triompher la mts~~ricorde, à indiquer l'attitude qu'elle nous
commande.
(2) Il pourrait sembler plus 10giqu~ de commencer par l'examen des motifs ;
en fait, toute la théologie de tu Royauté de Marie est commandée par }a posi-
tion adoptëe sur le sens ~ Çui donner.
(3) Actes, éd. Bonne Presse, t. III, p. e7 et ~.
(4) Cf. de Gau~n, op. cit. p. 14
(5) A ce double sens de Gruyter en ajoute un troisième: Sed accedif
tertlus sensus, quo nomen « regina » sumitur pro « uxore Oel rustre regis ,
(op. ait, p. 4). Il n'y a rien lk cependant qui ne soit rëductible k la royauté
p r o p r e m e n t d i t e , c o m m e n o u s a u r o n s o c c a s i o n d e l e m o n t r e r.
Nous retrouverons de méme les divers éléments mis en avant par le
Chan. Blttrem/eux dans la triple division qu'il propose (op. cit., p. 218-226).
I~LkRIE, REINE DU ~~0NDE 2 7

Reine par l'excellence de sés perfections « ob summum excel-


lentiae gradum » pourrait-on dire, et plus encore par son rôle
effectif, mais très spécial, dans le gouvernement de la société
dont le Christ est le Roi.
Les premiers théologiens qui aborderont directemen~ le
sujet, mettront bien les choses au point. Ecoutons l'un des
plus marquants, par son originalité et son influence, le jésuite
espagnol Ferdinand de Salazar.
« Ut haec penitus inspiciamus, observandum est Vir9inem
Dominam aul Reçinam rerum omnium, nonuno modo appel-
lari posse. Nain Reginae nomen nonnunquam assumitur ad
si9nificandam praestantiam, non tus aut potestatem. Ea
acceptione, Reginam pulchritudinis Venerem appellavit Poeta...
Rursus Reginae nomen accipitur germane et proprie ad signi-
lïcandum tus regni et regiam potestatem in subditos, quam ex
regni consortio uxores communem habent cure maritis ».
A cet exposé des termes fait suite le Malus quaestionis :
Nos igitur non solum qua~rimus, an Viryo Deipara tn
priori illa acceptione Reçina et Domina rerum omnium appel-
lari merito debeat, quia nimirum ma9nitudine Sua omnibus
excellit creaturis ; sed etiam ufrurn in posferiori acceptione, et
tus et potestatem regiam obtineat (1).
Sans trop insister sur la preuve de fait, puisqu'elle est avant
tout du ressort de l'enquête positive, examinons successive-
ment ces deux royautés bien distinctes, royauté au sens large
et royauté au sens strict, ou pour leur donner un nom plus
expressif, Royauté d'excellence et Royauté de domination (2).

A. wROYAUTÊD'EXCELLENCE

Il est superflu d'accumuler les textes oh la Mère de Dieu


nous es.t montrée surpassant en dignité toutes les créatures,
6tablie la première après Dieu et le Verbe Incarné dans l'ordre

(1) Op. cit., col. 588.


( 2 ) C f . P. H . P l t A m ~ S . J . - - L a V i e r g e M a r i e , To u r s , 1 8 9 9 , t . n , p . 1 7 9 :
* Pour eompq~ndre les paroles de ces saints doeteurs, distinguons une double
« royaut6 : une royauté d'excellence, de satntetë, de gloire, et une royauté de
Jurtdiettorl, de* domtnatton. Ces deux royautés ne sont pas essentiellement insé-
parables ; on peut posséder la royauté de domination, sans avoir celle de
k perfection, de vertu, de gloire. Mais ces deux royautés se trouvent r~unle8
en Notre-DsLme ».
S O C I ~ F P, A N Ç A I S E D ' ~ T U D E S M A R I A L E S

de l'excellence et de la perfection (1). L'esprit chrétien l'a


clairement senti dès l'origine : « Ouid nobilius Dei rentre ?
s'~crie S. Ambroise. Quid splendidius ca, quam Splendor
elegit ? » (PL 16, 209 A) Pour S. André de Crète, il n'y a « rien
de plus grand que d'être appelée la Mère de Dieu et de l'être
véritablement » (PG 97, 1056 C.). S. Germain de Constanti-
nople déclare Marie « supérieure à toute créature, visible et
invisible (PG 98, 160 A), tandis que S. Jean Damascène
affirme qu'elle « dépasse en dignité tout être créé » (PG 96,
672 D). Tous pensent de même, et c'est pourquoi tous se
lamentent de ne pouvoir convenablement célébrer le-chef-
d'uvre de Dieu.
On s'attendrait dès lors à voir la Royauté de Marie immé-
diatement reliée à sa primauté d'excellence. Chose curieuse,
jusqu'à une période assez tardive, les textes explicites sont
rares, et de Gruyter dans sa démonstration (p. 126-130) n'en
cite pas un seul (2). On affirme bien l'excellence de la Reine,
mais on ne nous dit point nettement qu'elle est Reine à raison
de cette excellence. Ne serait-ce pas précisément parce que l'on
voit moins dans ce titre un simple primat d'honneur, qu'une
Royauté véritable ?
Q u o i q u ' i l e n s o i t , i l s u f fi t d e p o s e r l a q u e s t i o n p o u r
répondre par l'affirmative. La Mère de Dieu est bien la plus
sublime des créatures, nulle dignité n'est de loin comparable à
la sienne, et, à ce titre, elle est Reine de l'univers (3). Les
théologiens discuteront sur la grandeur de la maternité divine,
prise isolément et comparativement avec la plénitude de
grâce. Peu importe àu présent débat, car nous pouvons et
devons envisager ici la Vierge comme un tout concret, telle que
ra voulue l'amour divin et telle qu'elle est de fait. Il est fort
utile, par contre, de se demamter comment la maternité divine

(1) Cf. T~mnZBN, La M}re de Dieu, 2, bd. t., I., p. 147-164. ~ Dict. thëol., art.
Marie (Dublanchy), t. IX, col. 2355-2357. -- DE GaufrEs, op. cit., p. 124-136.
(2) Il y en a pourtant, qu'il faudra recueillir : celui-ci, par ex., de Saint
A n d r é d e C r è t e : « Vo u s 8 t e s l a R e i n e d e t o u t l e g e n r e h u m a i n , c e l l e d o n t
l e s U t r e s n e s o n t p o i n t i l , l é g t t i m e s , m a i s e o n fl r m é s p a r l ' u s a g e , c c i , l e q u i , D i e u
leul exeeptS, est I~upérieure b toute chose ». PG 97, ~009 A.
O u c e t a u t r e , p l u s c l a i r, q u i fi g u r e à t o r t s o u s l e n o m d e S . B e r n a r d : S u p e r
omnern ereataram lpza #anctitate ne dtgnitate proecellens Reginoe oocabulo et
honore #ubllmatur ampliuz », 8ermo 1 in Salve Regina, PL 184, 1063 B. Il serait
de Bernard de TolSde (t vers 1126).
(3) La Royauté univer~Ue ne récAame pas la possession de toute perfection
poasible, mais une perfection plu» grande que toute autre. Sans poesëder telJe
ou telle prérogative (pouvoir d'ordre, ¢le m~tëre, etc...), la Mère de Diew
rmJte, s~t et almolument parlant, au-dessus de toute autre créature.
~~~.RIP~ I~INE DU MONDR 29

se rattache à l'ordre hypostatique, car c'est toute la person-


nalité de Notre-Dame qui s'en trouve rehaussée, et ces préci-
ions nous conduisent à une intelligence plus plénière de sa
Royauté d'excellence sur toute créature.
A ne considérer m~me que la seule plénitude de grAce,
nous aboutirions à une conclusion identique. S. Thomas nous
e n a v e r t i t , 1 ~ ' p l u s p e t i t d e g r é d e g r A c e e s t s u p é r i e u r, e t d e
b e a u c o u p , à t o u s l e s b i e n s n a t u r e l s d e l ' u n i v e r s e n t i e r,
Bonum gratL~ unius ma jus est, quum bonum nuturoe totius
universi » (1). Qu'y a-t-il de plus grand sur la terre que le
saint, et de plus noble dans le monde que le bienheureux ?
Or Marie dépasse ~n grâce tous les saints et elle est plus
glorieuse que tous les bienheureux. Elle seule mérite d'~tre
appelée par l'ange « pleine de grdce ». Pleine de grAce, elle le
f u t a u d e g r é s u p r ê m e , s a n c t i fi é e d è s l e p r e m i e r i n s t a n t d e
son existence, sans cesse croissant dans la plus ardente
charité, et plus que toute autre unie au Christ, source de toute
grâce. Elle est par suite élevée au-dessus de tous dans les
cieux. « Christi generationem, et Marie ussumptfonem quis
enarrabit ? demande S. Bernard. Quantum enim gratiæ in
terris adepta est prse ceteris, tuntum et in coelis obttnet glorise
singularie » (2).
Q u ' a v o n s - n o u s b e s o i n d e s a v o i r, c o m m e c e r t a i n s l ' o n t
voulu, si cette grâce dépasse celle de tous les saints pris dans
leur ensemble ; si m~me, au jour de l'Immaculée Conception,
elle fut supérieure à la gritce consommée des plus grands
saints ? Ne nous livrons pas à des calculs impossibles, et ne
transposons pas en théologie les procédés m«thématiques.
La Mère de Dieu l'emporte en gloire et en dignité sur tous
l e s b i e n h e u r e u x e t s u r l e s a n g e s e u x - m ~ m e s : i l s u f fi t p o u r
qu'elle soit la Reine des Anges et des Saints, la Reine de tout
l'univers (3). Nous l'honorons exaltée dans la gloire des

(1) I II q. 115, 8. 9, ad ~tm,


(2) ~hwm. 1 L~ A#s. PL 85, 416 D.
(3) Il 4Nït vrai de dire que les Saints l~Tneat a~sc Dieu, dans les Cieux. Voici
~t s'en expJique le P. Ff. Coster, s. J. (t 1619) : S¢~t¢ti J~Tno7e dlcnntur
in eotiLa cure Chrt#to, non quod in emleatt llla p~trta utlquos r~~nt..., sed
quia om:tz tri quod in r~tbu# ut mazime prmclarum ~qtm optablte, Iom
aa#ecutl star L~ ¢oelta : cufu#modl suni, 1. summu» honor, immtn»a flor~a,
qulcttsslmu paz... 2. jumma nobllitoJ... |. Copiosoe divltioe... 4. summ~ libert¢j...
5. victoria de sutm hostlbu#,.. De Caltt~.o Salue lb~Ln¢t, lnoolMadt 1588.
p. S72-4V?~t (/t la sulto du Llb#ltus sod~litgtie).
(ïmSt 60n~ psr~r qmoeee en un soue m4taphorJqtt8o qui d'llleure se
eHellement e~ Matis.
SOEI~'T]~ FRANÇAISI~ D'ÉI"UDES MARI&LES

saints dit le Pape Léon XIII, couronnée par Dieu son Fils
d'un diadème étoilé, et assise auprès de lui, reine et
maitresse de l'univers, regina et domina unioersorum » (1).
Du plus général nous pouvons descendre au particutier,
et d'une Royauté universelle passer à des titres plus restreints.
Selon la mëme loi du langage, chaque fois que nous rencon-
trerons une catégorie d'individus dont les perîections caracté-
ristiques se retrouvent éminemment dans la Reine du monde,
nous serons en droit de lui décerner un nouveau titre royal
plus déterminé. Pas n'est besoin d'ailleurs que ces perfections
soient réali~ées univoquement en Marie, il suffit qu'elle~ le
soient analogiquement. Le fait est clair, par exemple, lorsque
nous parlons de la Reine du Clergé.
Les appellations courantes des Litanies reçoivent ainsi
l~ur meilleure justification. Reine des Patriarches, Reine des
Prop~ètes, Reine des Ap6tres, Notre-Dame réunit en elle toutes
les vertus qui furent leur partage et continue leur mission
providentielle. Reine des Confesseurs, elle en possède plus que
tous la constance et la foi. Reine des Vierges, elle leur montre
à toutes le chemin. Elle est la « Vierge » par excellence, la
Très Sainte Vierge », la Reine de toute eha~teté », comme
dit si bien S. Pierre Chrysologue (2). Elle est aussi la Reine
des Martyrs, car ell~ se tenir au pied de la Croix, le cur
transpercé du glaive des douleurs, pour rendre à son divin
Fils le suprëme témoignage de l'amour. Tuam er~/o pertr«n-
ivit animam ui~ doloris, dit S. Bernard, u~ plus quam marttt-
rem non immerito proedicemus » (3).
Je m'en voudrais d'insister : l'application est facile, et une
autre t~tche nous attend.

B . - R O YA U T É D E D O M I N AT I O N

Il n'est pas possible de réduire l'enseignement traditionnel


à l'affirmation d'une simple Royauté d'excellence. La Vierge
Marie n]est pas seulement la plus noble de toutes les créatures,
le chef-d'oeuvre de Dieu, mais encore et surtout la Mère du Roi
des Rois. Comme telle, elle « régit », elle « gouverne », elle

(1) ?ueanda ~emper (Actes, ëd. B. P. t. IV, p. 123 et 12~).


( 2 ) Ve r e b e n e d i ~ t a q u o e e t d f u i n i g e r m i n i ~ s u s c e p i t 9 1 o r i a m , e t r e g i n a
lotius ex.MUtt castttatloe ». -- Serra. 143, in Ann. Pic 52, 584 A.
(3) ,~erm, L't Do~t. f?t/'r4 Oct, As~. n. 14. PL 183, 438 A. -- Cf. Ps. J~r~me
(,=, Puehas¢ Radbert). PL 30, 142 BC.
MA~E, ~~NE DU MONDE 31

commande », elle intervient dans la marche de la société


vers sa fin s.uprême, bref, elle « règne », çlle est véritablement
l~eine au sens strict du terme.
C e s d o n n é e s p r e m i è r e s , l e t h é o l o g i e n d o i t l e s r e c u e i l l i r, i l
doit surtout s'attaçher à en pénétrer le sens, savoir découvrir
s o u s l e s m o t s l ' i d é e à r ¢ t e n i r, p a r f o i s p e u t - ê t r e r a m e n e r c e r -
taines expressions à de justes proportions ou élaguer résolu-
ment ce qui serait inexact.
C'est le point le plus délicat de toute la question. Toutes lçs
diffmultés, toutes les résistances, vienner~t du point de vue qu~
est ici adopté.

Conceptions plus larges

D a n s s o n l i v r e s u r l e C o r p ~ M y s t i q u e d u C h r i s t , l e P. M u t a
~ t e d e m a n d e « e n q u o i c o n s i s t e p o u r l a B i e n h e u r e u s e Vi e r g e
cette dignité royale ?... Sa royauté, écrit-il, est-elle simplement
u n t i t r e h o n o r i fi q u e , q u i l u i m é r i t e d e s h o m m a g e s s p é c i a u x
de notre part, ou bien comporte-t-elle une réelle fonction
royale, un pouvoir de domination, un droit de cDmmander et
de gouverner ? Dans l'ordre naturel, à part quelques
exceptions, la royauté proprement dite, le pouvoir de gou-
v e r n e r, a p p a r t i e n t à l ' h o m m e , e t l e t i t r e d e r e i n e q u e p o r t e
sa noble épouse est une participation à la majesté royale et
aux honneurs qu'elle comporte, mais non aux charges et au~
fQnetions de la royauté. En est-il ainsi pour Marie ? Sans
hésitation, il faut répondre : non ! » Et un peu plus loin :
« C'est donc un véritable pouvoir royal que possède notre
divine Reine sur tout l'univers » (1).
Pareille manière de voir est assez fréquente. Dans le but
de ne point minimiser les choses et de sauvegarder une
R o y a u t é v é r i t a b l e , o n r e c o n n a i t à l a Tr è s S a i n t e Vi e r g e « u n
droit de commander et de gouverner ». « un pouvoir direct
sur les créatures », la faculté d'en disposer ì son gré », eu
un mot, à peu près tout ce que fait un Roi.
C'est ainsi que de Gruyter pose cette thèse principale :
« B. Maria est Regina sensu proprio et forma/i, seu B. Maria
est illa que munus habet ordinandi unius mullitudinem
societaiis perfectoe in lïnem communem » (p. 144). L'auteur

(1) Ernest MUTA, Le corps mystique du Christ~, t. U. c. X, Paris, 193~. p. 157


e t 1 5 8 . - - C f . F, C a m p a n a , M a r i e d a n s l e d o g m e c a t h o l i q u e , t r a d . V l e l , M o n t r é -
Jeau» 1913, t. Il, p. 612,
SOCI]~TI~ FRANÇAISE D']~TUDES MARI&LES

reprend mot pour mot, la définition qu'il a donnée pour le


terme de « roi » et celui de « reine » en général (p. 1 et 2).
Il y a pour lui, semble-t-il, identité de pouvoir et de r61e, entre
un roi et une reine, et sa pensée s'éclaire d'un exemple
concret : « lta in Hollandia, regina feliciter regnans eamdem
potestam ac munus exercet ac reges in Norvegia, Britan-
nia, etc... » (p. 3).
Soit, mais en bonne logique, il faudra dire également que
la Reine du monde possède ce triple pouvoir législatif, judi-
ciaire et exécutif, caractéristique de toute Royauté véritable.
C'est ainsi que procède l'Encyclique « Quas primas », pour
le Christ-Roi : « Jamvero, ut huius viro et naturam principatus
paucis declaremus dicere vix attinet triplici eum potestate
contineri, qua si caruerit prineipatus vix intelligitur » (1).
Allons-nous donc ~tre obligé de concéder à notre Mère
d u c i e l , l e p o u v o i r j u d i c i a i r e ? To u t l e s e n s c h r é t i e n y
répugne, qui a toujours vu en elle la « Reine de miséricorde »,
dont le r61e est d'obtenir le pardon et non point de punir.
On aurait bien du mal également à justifier un vrai pouvoir
exécutif et à l'insérer dans le gouvernement de l'Eglise
universelle. « Beata Virgo, dit S. Albert-le-Grand, non est
vicaria, zed coadjutrix et socia, particeps in regno quoe fuit
particeps passionum pro genre humano ) (2).
Reste le pouvoir législatif, et c'est derrière lui, que se
retranche l'auteur déjà cité : B. Maria simpliciter est Regina
quia legiMatrix » (p. 167). Ce pouvoir, nous dit-il, s'exerce de
deux laçons. D'abord, la Vierge, par ses paroles, et son
exemple, nous a enseigné objectivement la loi évangélique et
montré ainsi la voie qui conduit vers Dieu (p. 145-158). De
plus, -- et c'est là l'élément primordial, M nous dispensant
toute gr/tce, elle inscrit comme le Christ (p. 42 et 43) dans nos
curs cette loi interne » qui nous oriente vers notre
fin (p. 158-165). A ce point de vue, « munus Doctrîcis et munus
Coredemptricis coincidunt » (p. 158). La conclusion est
logique : par ce double r61e se trouve vérifiée la notion même
de Royauté. Nova Eva docendo objective et applicando gratiaz
cure Christo dirigit homines ad finem supernaturalem commu-

(1) L. e. p. 7S.
(2) Mar/a~, q. 42 (éd. Borgnet, t. 37, p. 81, cL p. 85). ~ Cf. S. Bonaventure,
in III, S,mL D. IX, a. 1, q. a, ad. ~ : Ber domtnfum prsesidentioe et dominlurn
m a i e z t a t i s e t o m ~ t / p o t e m t C o e . C u r e # r g o d i e f t u r, q u o d F l l l u s e o m m r m f c a t M a r r i
domlnfwm, L'tt,fl~ltm, de dotninto prss|dentloe » (éd. Quaraee.hi, t. III, p. 206).
MARIE, REINE DU MONDE

hem : cure Christo Rege est Regina sensu proprio et


[ o r m u l i » ( p . 1 6 5 e t 1 6 6 ) . To u t e n g a r d a n t u n c a r a c t è r e
secondaire et instrumental, la Royauté de Marie n'est pas
spéciflquement autre que la Royauté du Christ. « Munus regium
Chdsti et munus regium B. Vir~nis non differunt specie »
(p. 170).
Cette synthèse a son mérite (I), mais peut-on véritablement
trouver dans cette incontestable influence de Marie, un pouvoir
législatif pleinement digne de ce nom. Il y manque la carae-
téristique essentielle, à savoir de s'imposer à tous par une
oblgation proprement dite (2). Plus d'un sans doute ne sera
pas convaincu.
O u t r e l e m a n q u e d e c o n t a c t a v e c l a Tr a d i t i o n , q u i s e r a
signalé plus loin~ un grave défaut est à la base de toutes ces
conceptions. On n'a pas assez vu que le concept de Royauté
n'est pas univoque, mais analogue. La Royauté d'un- Roi n'est
pas identique à celle d'une Reine, -- j'entends d'une Reine,
Mère ou Epouse d'un Roi effectivement régnant, w et la m~me
d é fi n i t i o n n e p e u t c o n v e n i r é g a l e m e n t à t o u t e s d e u x . S u r u n
f o n d c o m m u n a s s e z i m p r é c i s , v i e n n e n t s e g r e ff e r d e s d i v e r -
gences essentielles (3).
Mieux vaut donc nous engager dans une autre voie, où le
privilège royal de Marie apparaltra plus compatible avec la
dignité du Christ, unique Roi de l'univers. Jalonnée déjà par
diverses données de l'enseignement traditionnel, elle est défini-
tivement ouverte par Suarez, dans une page lumineuse et trop
peu remarquée.

Le point de vue de Suarez

. C'est à propos du culte de la Mère de Dieu que le Doctor


e x i m i u s a b o r d e n o t r e s u j e t ( 4 ) . I I y v o i t e n e ff e t c o n fi r m a t i o n
de sa thèse :
« B. Virgo, eo quod mater Dei est, habet speciale quoddam

( I ) E l l e ~ t a d o p t é e d a n s s e s @ - a n d e s ~ i ~ n e s p a r l e P. F r i e t h o f f , q u i
fut d'~tlleurs le maltre de de Gruyter. De Alma ~oef,~ C/u'/~ff medlatorlm. RomJe,
apud Angelîeum, 1936, p. 191-197.
(2) Dlettur entra llz e lggand#, quia obllgat ado4Vendum ). I Il, q, 90, t. 1.
(3) Une reine n'est pas, en réalltë, un roi de lexe fëmlnin, mals ¢Kle a,
b l'~ard d,u bien commun du roymune, des fonctions fort différentes ).
M. J. CoNoza, dans lteo. des se. phil. et thëol. 1936, p. 762. (C, R. de l'ouvrage de
de Gr.).
(4) De mffste~tz vftoe Chrlatl. Dhsp. XXII, sect. II, n. 4 (&L Vivè~ t. XIX,
p. 326). De Gsruyter se contente de citer ce texte (p. 97) sans Pexp4oiter davan-
t~.
8OCIË'T]~ FRANÇAISE D']~TUDES MARIALES

jus et dominium in omnes creaturas ; sed unicuique /ure


dominff debetur ab inferioribus adoratio ; ergo ».
Seule la majeure de l'argument nous intéresse présente-
ment :
Major constat ex Sanctis Patribus, qui primo fundant hoc
dominium in conjunctione et affinitate inter Deum et Virginem.
Athanas. ser. de SS. Deipara : Quia ipse Rex est, et Dominus,
mater quoe eum genuit, et Regina et Domina vere censetur.
Et înfra, quasi explicans vel limitans hoc dominium, dicit esse
secundum sexum femineum, ac si diceret esse talc quale esse
solet in uxore, vel matre, propter conjunctionem ad regem ».
Le texte de S. Athanase est apocryphe (I), c'est entendu,
mais le principe demeure. Voilà comment il faut « expliquer »
et limiter » le Souverain domaine de Marie : en l'envisageant
secundum sexum femineum, c'est-à-dire en le réduisant à
l'influence qui convient à une Reine, en tant qu'épouse ou
mère d'un roi, auprès de qui seul réside le gouvernement
royal.
Suarez continue: Quanquam enim non soleat habere
supremum dominium, suam tamen potestatem impetrandi
habet, et omnes illi tanquam dominoe ac superiori deferunt ».
Pas d'autres précisions, mais ces quelques lignes sont
extrémement précieuses et nous découvrent un horizon
nouveau. Lorsque l'on parle de la Royauté de Marie, l'analogie
n'est peint à prendoe avec ces reines qui tiennent la place
d'un roi ordinaire et, de ce chef, possèdent le supremum
dominium avec le triple pouvoir jurisdictionnel qu'il implique.
Rien de tel, nous l'avons vu, ne convient à la Mère de Dieu.
Elle demeure véritablement Reine cependant, non pas simple-
ment de nom, mais en vertu d'une influence très réelle sur tous
les sujets du royaume dont le Christ est le Roi. Influence qui
lui vient de son union avec le Roi, propter conjunctionem ad
Regem, et qui s'exerce doublement : par son pouvoir d'inter-
cession d'abord, ce qui est un mode détourné, mais combien
efficace d'intervenir dans les affaires et la conduite du
royaume ; par son prestige personnel ensuite, qui lui permet
une action plus directe, car tous lui ont spéciale déférence et

( I ) 8 e r m o l a A n n . $ 3 . D o m l a o e n o s l r o e D e i p m w, n . 1 4 . - - P G 2 8 9 3 7 A :
De Gruyter (op. cit. p. 94)) indique eomme date de oamposlUon le wx. ou wxx' s.
MARZE, REINE DU MONDE 3~5

se vouent spontanément à son service~ iili tanquam dominoe


ac superiori deferunt.
Le vrai sens ~de la Royauté de Marie se dégage maintenant,
ainsi que son accord fondamental avec le souverain pouvoir
du Christ et sa dépendance totale vis-à-vis de lui. Nous
pouvons parler de Royauté véritable, puisque nous en retrou-
von~ ici le notion la plus générale et la plus vague : orientation
efficace de tous les sujets vers la fin commune de. la société.
Mais c'est une Royauté d'un genre tout spécial celle de la
M è r e d ' u n R o i , e ff e c t i v e m e n t r é g n a n t . I l n ' e s t p l u s q u e s t i o n
dès lors de gouvernement proprement dit. L'influence de notre
o Reine est beaucoup plus discrète et plus suave, faite de sa
puissance sur le cur du Roi et de son incomparable prestige
auprès de tous.
Il faut retenir à ce propos les~ explications de Scheeben.
« Cette appartenance (du Christ à Marii) et ce condominium
« ont absolument la forme des droits que l'épouse acquiert
« sur son époux, du fait de son acceptation comme épouse et
« des services qu'elle rend à ce titre. Dans cette compréhen-
« sion des choses, on exprime à la fois ce qui se peut dire de
p l u s é l e v é e t l e s r é s e r v e s q u i s ' i m p o s e n t . E n p a r t i c u l i e r, i l
« apparatt comment les concepts de Souveraine et de servante,
« loi~ de s'exclure, s'harmoni«ent parfaitement en celui de
« ministra Dei per excellentiam. ~ De plus, le concept du
« dominium unipersale de la Mère de Dieu, n'implique aucune-
« ment qu'elle puisse exercer sur tous une juridiction formelle,
« ou possède sur toute chose un droit strict de propriété :
« cela n'appartient pas plus au droit de l'épouse qu'à celui
« de la mère » (1).
Pour avoir une plus grande intelligence de cette univer-
selle Royauté, considérons-la dans sa plénitude, telle que
Notre-Dame l'exerce du haut du ciel, et, à la lumière de l'ensei-
gnement traditionnel et théologique, essayons d'en préciser
les modalités.

(1) Hand'bnch der katholischen Doffmatik, Fribourg en B. 1933, t. m, n. 1623,


p. fîZt et 510. -- CL Scheeb¢n-Feckes, Dfe brg~lfche Gottumutter, Fribourg-en-K,
19S6, p. 02 et 9&
SOCX~~T]~ FRAI~ÇAISE D'ËTUDES MARIALES

10 L'influence immédiate de la Reine du ciel

Toute reine, mère ou épouse d'un roi, du fait même de


son union avec le roi, jouit déjà d'un incomparable prestige.
Quelque chose de la dignité royale rejaillit nécessairement
sur elle, et ceta lui confère une manière d'autorité, une certaine
puissance d'action qui appartient à elle seule. Est-elle riche
des dons de l'esprit et du cur, est-elle pleinement digne du
rang qu'elle occupe, elle verra son prestige singulièrement
s'accroître. De leur c6té, les sujets du royaume englobent spon-
tan~ment dans une commune vénération et leur Reine et leur
Roi. Ils ne les séparent pas l'un de l'autre et entendent les
servir tous deux. Ph~s volontiers même agitaient-ils pour le
seul bon plaisir et la gloire de leur reine, que par obéissance
pour les ordres impérieux de leur prince.
La nature des choses demande donc que l'on reconnaisse
à notre grande Reine une part d'influence immédiate dans son
royaume, et le sens chrétien s'est bien gardé de la lui refuser.
Bon nombre d'expressions, qui pourraient nous paraître
exagérées à les prendre au pied de la lettre, ne tendent pas à
signifier ,autre chose. Devant les grandeurs de Marie, Mère
de Dieu, Mère du Roi des Rois, on s'est ,senti subjugué, dominé,
conquis. Sa majesté impose le respect, commande la vénéra-
tion. D'autant plus que jamais Reine ne fut parée d'autant de
vertus, plus vraiment digne de son nom, plus belle que la
pleine de grâce ». C'est la « Dame » par excellence : instine-
tivement on se voue à son service, on est prêt pour elle à
tout entreprendre, on est plus fidèle à la loi du Souverain
Seigneur et Mattre de toutes choses. « ldeo ego serous tuus,
dit S. lldefonse de Tolède (t 669), quia tuus lïlius Dominus
meus. ldeo ego serous ancille Domini mei, quia tu domina
mea facta est mater Domini lui ». -- Et plus loin : « Nain
ego ut sire serous filii e jus, banc mihi dominari peropto ; ut
dominetur mihi /îtius ipsius, huic servire decerno ; ut
« comprober servire Deo, dominium matris e jus super me
in testimonium quoero ; ut sire deootus servus filii generati,
« servus fieri appeto Genitricis (1). Sic namque re[ertur ad
Dominum, quod servitur anciIle ; sic redundat ad filium
« quod impënditur matri;.., sic transit honor in regem, qui
defertur in famulatum reginoe » (2).

( 1 ) Va r i a n t e : S e r o l t n t e r n fl d e l l t e r a p p e t o g e n i t r l e i s .
~) De Yt~tnitat¢ perp¢t~~t 3. M¢xioe, e. XII (PL 96, ~5-1~0).
MA.RIE, REINE DU MONDE 37

To u t c e c h a p i t r e X I I d u D e V i r g i n i t a t e p e r p e t u a s e r a i t à
lire. Sans s'imposer par un caractère d'obligation stricte,
l'autorité de la Reine du monde y apparatt très efficace. Dans
l a m a r c h e d u r o y a u m e u n e p a r t d ' i n fl u e n c e i m m é d i a t e r e v i e n t
à la Mère du Roi, en vertu de son prestige personnel et de la
vénération de ses sujets.
Assez souvent, les auteurs même anciens, ont aimé
détailler cette action directe de Notre-Dame dans les diverses
parties de son domaine. « Post proedicta omnia considerandum
est dit Conrad de Saxe (t 1279), quod Maria interpretatur
DOmNA. Hoc quoque optime competit tante imperatrici,
quoe revera Domina est coelestium, terrestrium, et inferno-
rare ; domina inquam angelorum, domina hominum, domina
doemonum, domino utriusque in coelo, domina in mundo,
d o m i n a i n i n f e r n o ( 1 ) » . A i n s i p r o c è d e n t J a c q u e s d e Vo r a -
gine, S. Bernadin de Sienne, Bernardin de Busti, Paciuchelli,
S a l a z a r, l e P è r e d ' A r g e n t a n , e t u n e f o u l e d ' a u t r e s ( 2 ) . S a n s
adopter nécessairement toutes leurs considérations, il ne sera
pas inutile de les suivre un instant sur ce terrain.
Au ciel, Marie est Reine des Anges et des Saints, non seu-
lement en vertu de son excellence, comme nous l'avons vu,
mais aussi par l'exercice effectif d'une certaine autorité royale.
Parfois, on n'hésite pas à afttnner qu'elle commande à tous
e n S o u v e r a i n e . J e n ' e n c i t e r a i q u ' u n e x e m p l e : « To u s l e s
anges et les saints bienheureux, dit le Père d'Argentan,
sont les sujets de la Sainte Vierge; elle a droit de leur
« commander et ils sont obligés de lui rendre toute l'obéis-
« sance et tous les hommages que les sujets doivent à leur
souveraine, c'est donc elle qui leur donne les ordres et qui
en dispose, comme il lui pla|t » (3). Rien ne nous oblige à
prendre à la lettre c'e qui est plut6t dit oratorio modo, et
mieux vaut rester dans de plus sages limites. Quand nous au-
rons accordé que les ~lus du ciel forment la cour de notre
Reine, qu'ils l'entourent de leur vénèration et sont préts à
entreprendre pour sa gloire toutes les missions que le Céleste

( 1 ) S p e c u l u m B . M . V. , l e s t . I I I . - - A t t r i b u é à t o r t I t S . B o n ~ v e n t u . ~ e ( o p .
o t a n . ë d . V i v è s , t . X I V, p . 2 4 0 ) .
(2) Souvent en appliqualt b Marie ce qui est dit de la Sagesse (Eceli. XXIV,
- 1 0 ) : G y r u m ¢ o e l i ¢ l r ¢ u i v i s o i n e t p r o f u n d u m a b g l s i p e n e t r a v i , i n fl u c t t b u $
mari: ambulavi, et in omni terra steti et in omni genle primatum habui ».
( 3 ) C o n fl r e n c e s s u r f e z G r a n d e u r s d e l u 8 . V. M , ~ 2 8 " C o n f . - a r t . 1 .
Par/s, Lecoffre, 1868, t. H, p. 364.
socx~~r~ F~NçAISE D'h~TUDES M~~tLL.L~

R o i p o u r r a l e u r c o n fi e r, n o u s e n a u r o n s d i t a s s e z p o u r s a u v e -
garder son royal prestige (1).
N o u s s o m m e s p l u s a m ~ m e d e d é fi n i r l ' a s c e n d a n t s p é c i a l
que la Reine du monde exerce sur terre auprès des hommes.
Puisque l'encyclique « Quas primas » nous présente le Christ,
Roi des intelligences, des volontés et des curs (2), il est tout
n a t u r e l d e r e p r e n d r e c e s m ~ m e s t e r m e s e t d e l e s a p p l i q u e r,
mutatis mutandis, à la Mère du Divin Roi (3).
Elle est Reine de nos intelligences que sa grandeur
conquiert et déconcerte à la fois. Nous contemplons le mystère
de Marie, sans jamais pouvoir l'~puiser ici-bas, et l'horizon
semble s'éloigner à mesure que nous progressons. Les paroles
m~me nous manquent pour célébrer la « Reine de beauté ».
(Péguy).
Elle est aussi la Reine de nos pauvres volontés humaines
qui s'égarent trop souvent bien loin des droits sentiers. « Sa
vie, à elle seule, est pour tous une règle de conduite », disait
S. Ambroise (4). Humilité, pureté, obéissance, charité, tout
ce qui rebute notre faiblesse s'épanouit en elle avec splendeur,
et son vivant exemple nous entraîne à sa suite.
E n fi n , p o u r r e p r e n d r e l ' e x p r e s s i o n p r é f é r é e d u B . G r i g n i o n
d e M o n t f o r t , e l l e e s t l a R e i n e d e s C u r s . To u t n o u s a t t i r e
v e r s l a M è r e d u B e l A , m o u r. « O D o m i n a , q u e t a p i s c o r d a
dulcedine » (5). Comme le Christ, et avec lui ,jamais personne
ne fut tant aimé, ne le sera jamaîs (6).
On n'a pas craint d'affirmer que ce pouvoir direct et person-
nel s'étend également aux créatures privées de raison. La
preuve en serait à chercher dans l'innocence absolue de la

(1) Certains ~raient ici volontiers les théories d'origine dyoni~ienne


I m r l ' fl l u m i n a t i o n d e o e s p r i t s i n f b r i e u r s p a r l e s e s p r i t s s u p é r i e u r e . A i n s i
S e d l m a y r, T b e o l O g I a M ¢ w i a a a , P a r s I I I , q . I V, a r t . V I I I , n . 1 8 9 3 ( d a n s S u m m a
aurea, t. VIIi» coi. 133). -- Cf. J. BXTrlt'uXSVX, op. cit. p. 232.
(3) L. e. p. 67 et 68. On remarquera que, d'aprës l'Ency¢llque, cette Royautë
r e v i e n t a u O E r L ~ t r ¢ m a i a t a e ~ r b i a f g u t fl e a i l o n e . I l n ' e s t c e p e n d a n t p u ¢ o n t r a -
dlctoirs de l'erppiiquer tt la T S. Vierge, au sens propre, est sa Boyaut~ n'est
p a s I d e n t i q u e î o e i l s d e s o n F i l s , e t S O n i n fl u e n c e l ~ s t , s u r l e s s u j e t s ¢ t & c o u J e
u majeure partie, somme ri a ëté dit, de son primat d'excellence et de ses
qualitts lmmomufll¢s.
($) Cf. It Weubert, Mmqs dans le dogme, Paris, Spm lg$$, p. 186.
( 4 ) D e V t ~ T i n l b t t s , n , 1 5 : g Ta l t # e n t r a f u i t M a r i a , u t e S u s t m i ~ P i f s
omainm #tt dtselpllna ». PL 10, Z10 n. -- Cf. Pie X~ Ad dism lllum, Actes, i~d.
D . P. , t I , p . 8 5 ) .
(S) ,gtqntafuz effno~'i& Pars lU, cap. lg, M¢~dl~fia super ~~dtl~e Rzglna (ints~
epera & mo~~. 6d. Vlv6s, t. XII, p. On). Cet ouvrsge sot peut-4tre de Jacques
6 8 M i l a n ( fi n x t x l * s . ) ,
(0) Ct. OU~ prtm~, l. e. p. 68.
MARIE, REINE DU MONDE

Vierge Immaculée, qui, pure de tout péché, devrait recouvrer


sur le monde matériel tout le pouvoir d'Adam, premier Roi
de la Création (1). L'argument est bien faible : du même
principe on pourrait aussi bien déduire l'exemption de la
douleur et la préservation de la mort. Mieux vaut donc ne pas
insister.
Avec plus de raison, se poserait ici le problème des gr~ces
gratis datoe conférées à Marie : gratia sanitatum, operatio
virtutum (I Cor. XII, 10). On sait que S. Albert-le-Grand,
Suarez, et d'autres leur sont favorables (2). S. Thomas, par
contre, est plus réservé : « Miraculorum aatem usus sibi non
competebat, dura viveret (I, q. 27, a. 5, ad. 3") ». Quoi qu'il
en soit, la toute puissance d'intercession demeure toujours au
service de Notre-Dame, et sans doute serait-il plus sage d'y
faire appel de préférence à un pouvoir direct assez probléma-
tique.
Reste un mot à dire de l'action personnelle de la Reine du
monde sur les puissances de l'enfer. Il est clair qu'elle est
l'ennemie jurée de Satan. Jamais vaincue par lui, et toujours
triomphante, elle échappe à tous ses assauts. Sa Maternité
divine, qui nous vaut le Sauveur, lui inflige une cinglante
défaite, et dresse à elle seule un rempart contre les hérésies.
Son nom m~me est redouté.'« Nominatur Maria, et Tartara
tremunt », dit S. Bellarmin (3). Bref, toute l'influence person-
nelle de Mai'ie contrecarre celle du démon, et tend à diminuer
chaque jour davantage l'~tendue de son royaume.
L'inimitié foncière, prédite au lendemain de la chute, se
continue, jusqu'à l'avènement complet et définitif du règne
de Jésus par Marie.

(1) Aih4! proeëde te Caxd. L/~pider, Ttr~to~us de B. V. M. 8d. 5, Rome 1926,


p. 542-547. -- Pour lmse de ses explioettons, il reprend les dires de S. Thomas,
rektttfs It Adem : In statu fn.noccntloe cmfmaltbus aliis Imr lmperium domixta«
b¢lur : virfbus o.utem naturallbus, et ipsi ¢orpori homo do~in¢~b¢,tur, non quidem
impermtdo, sed M¢ado; ~,t sfo etio.m homo fa statu inno~mïoe domtnabatur
plm~tts, et rebuz in¢mimatls, non per lmperfum, vel fmrnutatlonem, ~ed absque
lmpvdlmento utendo eorum o~:cllio ». I, q. 96, a 2.
Cf ç_,hristophe de Vega, Theolo¢fa Mo.rlana. Pal. 27, oert. I n. 1646, Naples
18G~, 1. II, p. 851.
(2) 8. Allmrt le Grand : Mm'fa[G, ci. 103 et 104. -- $uarez : De m~lst, vltoe
~lWisti. Dtsp. XX, NeL 3 (éd. Vlvts, t. XIX, p. $1'J).
( 8 ) C ~ ~ ï l , I l d e N ~ . B . M . V. - - O p . o t a n . t ~ L Y i v b s , t . I X , p . $ 8 0 .
4 0 sOCIÉT]~ FRANÇAISE D'ÉTUDES MARIA, LES

2° La toute-puissance d'intercession

A s'en tenir au prestige personnel de la Reine du ciel, on se


ferait une idée bien inadéquate de son universelle Royauté.
Il faut lui reeonnaitre en outre avec Suarez une spéciale
puissance d'intercession, suam potestatem impetrandi habet.
A l'influence directe sur les sujets se superpose l'intervention
auprès du Roi lui-m~me. C'est là le plus clair de son pouvoir
royal, puisque nous avons écarté toute juridiction proprement
dite. Avant d'en rechercher les propriétés caractéristiques, il
ne sera donc pas inutile de renforcer nos précédentes conclu-
sions en recueillant sur ce point quelques données de rensei-
gnement traditionnel.

Quelques données de t'enseignement traditionnel

Nous avons déjà cité Suarez. Il faut entendre également


Théophile Raynaud, dont le témoignage est ici particulière-
ment précieux. Ce critique sévère des mariologues de son
temps n'est pas suspect d'exagérations inconsidérées, et l'on a
pu dire avec raison qu'il assume souvent « le rble de serre-
freins » (1). Favorable à la Royauté universelle de Marie, il
prendra soin de nuancer son sentiment, en un style d'ailleurs
assez pénible (2).
« Dominium quod caret titulo, veluti directo nec situm
« est nisi in gratia eius qui sic Dominus dicitur apud eum qui
vero titulo politur potest non incommode denominari
fgcultas moralis; quatenus etiam si qui sic Dominus est,
« non habet quod directe et proprie constituit Dominum, habet
« tamen per gratiam et favorem apud verum Dominum, facul-
« tatem utendi re aliena. Quoe enim per amicos possumus,
« censemur posse per nos ipsos (3). Et in hoc sensu, admitto
« universale Deiparoe dominium in omnia pure creata, quia
( cure, fllius, verus omnium Dominus, nihil marri neyatum

( 1 ) R . P. D I L L Z ~ ; S C H ~ D K a , L a M a r t o l o g i e d e 5 . A l p h o n s e d e L l g u o r i , L 1 ,
p. 176. ~ Cf. Bulletin 1986, p. 141.
( 2 ) D i p t y c a M a r l a n a , P a r s n , P u n c t u m 1 0 , n . 2 3 . - - o p . o t a n . Ly o n , 1 6 6 5 ,
t. VII, p. 227 et 128.
( 3 ) C f . F r. C o s ' ~ a , L i b e l l u » s o d a l i t a t i s , I . V. , S a l u t i o n i s ~ g e l i c o e e x p l i c a t i o .
lJagOIMadt 1558, p. 546 et 846 « ~iAil enim Rex ¢oeli ni»i de voluatate Genitrici$
Buoe, Reginae mu~di, nobis¢nm agit : et censetur facere mater, quldqu!d prec~bus
o b t i n e t u t fi a t e t fl l / o » .
Ceci prëc/x le sens de bien des ezpressions «ouruntes.
MARIE~ ILEINE DU MONDE 41

« relit, ipsa quoque mater censeri ac dict potest omnium


« fdii dominio obnoxiorum Domina, urique per fllium aut in
« fllio, quod est esse Dominum moraliter, hoc est secundum
« prudemtem oestimationem, quamvis non stricte et ri#orose
« Sic igitm" stutuo de dominio unioersali Deiparoe in coelo et
« in terra ».
Marie n'agit donc point par elle-même, mais son crédit
auprès du seul vrai Seigneur lui permet de le faire agir. « Quoe
per amicos possumus, censemur posse per nos ipsos ». Ce n'est
pas une vraie Souveraineté, mais « un pouvoir moral », une
spéeiale puissance d'intervention auprès du Roi ; disons, avec
Suarez et le Pseudo-Athanase, une Royauté secundum sexum
fèmineam.
Telle semble être, au fond, la position de Ferdinand de
Salazar, Sedlmayr et d'autres, qui n'ont pas toujours la même
préeision de langage. Des expressions d'un caractère trop
absolu, si on les prend à la lettre, se trouvent eorrigées par
des phrase~ comme celles-ci : « Nain sicut [oemina prioata
« postquam Regi connubio juncta est, etiamsi omnia illi cure
« Rege bona communia sint tamen haud oequalis potestas est
« jus dicendi, imperandi, et bona distrahendi ; nihil enim
« horum nisl ex eopia viri proestare potest .... Sic etiam de Maria
« dicendum est ipsam quidem supremam esse Reçinam,
quamvis nihil huius potestatis exercere possit iisi ex fllii
« sui venia, quoe illi semper proesto est et ad nutum » (1).
C'est toujours le pouvoir d'intercession qui est à la base,
mais son r01e primordial est moins bien souligné.
Il faut d'ailleurs reeonnattre que l'on s'attache davantage
aux motifs de la Royauté de Marie, à son étendue ou à sa
portée pratique, qu'au sens préeis qu'il convient de lui donner.
Sur ce point délieat, le travail d'élaboration théologique est
fore éanent beaucoup plus lent. Toutefois un moyen détourné
s'offre à nous de saisir l'infime pensée des auteurs qui sont
moins explieites. Prenons-les sur le vif, dans leurs réactions
spontanées. Voyons comment ils ont recours eux-mêmes à
l'autorité royale de notre Souveraine, et la pressent d'interve-
nir en notre faveur. Ordinairement, pour ne pas dire toujours,

( | ) F e r d . d e S ~ l a z a r, l . c . c o l 5 9 6 . - - C f . S e d l ~ a a y r : C b r t # t u ~ . . . M a i r l
~w commune fecit Jus proprietatis su~ in omaern creaturam (~ lmte~ta~ dispo-
neJtdt de re ad suum libitum), vel saltem ci singulas creaturas dependenter a suo
Jure proprietatt# aublecit » 1. c. col. 11148.
4 2 socI~ FRANÇAISE D'I~TUDES M&RIKLE$

ils ne font point appel ~ je ne sais quel pouvoir direct, mais


ils mettent résolument en avant la toute-puissance d'interces-
sion. Leur sens chrétien livré à lui-m~me, a vu plus clair et
plus loin que leur trop Subtil ou trop faible entendement.
Nous retrouvons ainsi le contact tant souhaité avec la
doctrine traditionnelle, et les textes expressifs, qui jusqu'ici
semblaient rares, vont se présenter en nombre respectable à
l'appui de notre thèse (1). Choisissons parmi les plus anciens.
« O ma Souveraine très pure, supplie S. Ephrem, laissez-
« vous émouvoir en ma faveur. Usez de votre maternelle liberté
« auprès de votre Fils et Dieu, et implorez pardon pour mes
« errements passés... Votre volonté de miséricorde ne cories-
« pond-elle pas à votre suprême puissance ? » (2). A coup
s~r, pour le docteur syriaque, la puissance de la Souveraine
réside dans l'efficacité de ses maternelles supplications. Une
dis variantes latines (lu Transitus M«rioe donnera la m~me
impression : « Deprecor ergo assidue ut lps« piissima ac
« misericordissima regina semper sit (memor) mei et omnium
in se credentium ac sperantium ante piissimum filium suum
« dominum nostrum lhesum Christum » (3).
Au dire de Joseph l'Hymnographe (t 883), Marie « se
tient comme une Reine auprès du Seigneur Dieu, intercédant
pour nous (PG 105, 12~,3 A), s'interposant pour nous acquérir
par ses prières le royaume des cieux » (1323 A). C'est ainsi
que la voit également un sermon incerti quidem «uctoris, sed
e:cceilentis (4), égaré dans l'actuel homiliaire de Paul Diacre :
« Ouid erço est propitiatrix haoec domin.a, nisi oelut nubes

(1) H faut cependant bien vo//" comment se prësentent bon nombre de ces
t 6 m o i g m M p e s . A f fl r m a ~ ( m d e l a R o y a u t é d e M a r i e , e x a l t a t i o n d e s o n p o u v o i r,
a4ppel î m protection et iL Son intercession, tout cela s'entremêle sans souci dldao-
tique. On sera donc parfois Immpable d'isoler un texte probant, alors qu'une
l e e t a r e d ' e n s e m b l e a p p o r t e u n e d ë m o n s t r a t l o n p l e i n e m e n t s ~ f f fl u n t e . A i n s i l e s
prlëres de S. l~~hrsm, telles homélies d'André de Crète (PO. 97, I~07), de S. Ger-
ma/n de Con4tanttnopte (PG 98, 31& et 3719), d'Ambroise Autpert (PG. 39, 2130-
JZ34), etc.
Voir emcom C. Cx~lvALIal, LOE Martoloffie de S: ?e¢m Da.maac~ne, Home, 1936,
p. 214 et 215.
(2) Op. otan. groeea, t. III, p. 538. On mit que tout cela n'est pas d'une
s u t b o n fl c l t ë t r ~ s ~ ~ e .
($) C. TIscx~Dolm,, Apo¢o2ppsea ~ooeryphoe, l.Apsloe, 1866, p. 123, note 24.
(4) A en Jeter d~p¢~ un elmple rapln~chement avec l~om~lie suivante
(PL 86, f497-FS0~), ~ qui n'est qu'un large extrait de la lettre ad Panlam et
"RuJfu¢h/nm du Pseudo-J6r&me (P~L .~, 126-I~7), eest-~-dine de Paschue lladberi
(Ct, ~ b4m&dletfn~, I~]4, p. 265-282), ~ l'/nennntt en question pourrait biea
su/re que le eëlbbre ahbé de Corble.
MARIE, REINE DU MONDE 4,3

« quoedam suavissirna, obmnbrans nobis a [acie solis, ne


« nimia oestuatione illius exuramur, ltaqae, dilectissimi, in ea
tare pofenti, tare pia et tare Iïdeli aduocata nostra, toto corde
gaudeamus, quoe nulli digne postulanti aaxilium negat, et
« pro nulto apud fllium frustra interpellat » (PL 95, 1~96 CD).
Particulièrement suggestif est le langage du moine Alcuin
( + 8 0 4 ) . Vo i c i p a r e x e m p l e u n e i n s c r i p t i o n d e s t i n é e à u n
a u t e l d e l a Tr è s S a i n t e Vi e r g e :

Virgo Dei Genitrix, nostroe regina salutis,


Hic precibus famulis attxiliare tuis...
(PL 101,771 A).
ou cette autre :
A u x i l i a r e f u i s p r e c i b u s , p i a Vi r g o M a r i a ,
ASterni Regù [amulos, regina poiorum (757 C).
et surtout ces quelques vers :
Tu precibus nostris semper clementer adesto,
Arque dies nostros PRECIBUS RE«E semper ubique,
Ut nos conservet Jesu pia gratia Christi (7~9 B.).
PRECIeUS RF_~E, n'est-ce pas au fond la formule définitive
que nous recherchions ? C'est par ses prières, et non par une
autorité gouvernementale, que notre~ Reine nous « régit », et
entreprend avec le divin Roi son Fils de nous conduire à notre
fin. Comme autrefois la Reine Esther, elle intercède pour son
peuple (1).
Suarez avait vu juste, mais il n'innovait t
point. Cet accord
de sa doctrine avec le passé achèvera sans doute de nous
c o n Va i n c r e , e t , p o u r b i e n c o m p r e n d r e l a n a t u r e e x a c t e d e l a
Royauté de Marie, il ne restera plus qU'à préciser les traits
¢aractéristiques de cette puissance d'intercession.

Traits caractéristiques de la puissance d'intercession

Si toute Reine possède un certain crédit auprès du Roi,


il est normal que la Reine du monde jouisse sur ce point,
d'un pouvoir particulier. N'est-elle pas, selon S. Bernard, « illa
singularis Regina » (PL 183, 99 D), cette Reine sans pareille
dont la' Royauté n'est comparable à aucune royauté

( I ) C e t t e e x p r e s s i v e fi g u r e n e m a n q u e r a d ' a L l , l e t w s p a s d ' S i r e f r é q u e m m e n t
uU~, comme amuti celle de Bethsabée, m~re du Roi Salomon.
4 4 Soci~~ FRANÇAISE D'ËTUDES MARIALES

humaine (1). On aurait tort de limiter a priori son r51e à des


interventions purement occasionnelles, et de l'abaisser à des
mesures trop humaines. La Tradition affirme davantage, et
c'est elle que nous devons entendre.
De par la volonté divine, qui modèle sur la chute le plan
de la revanche, la Mère du Sauveur est associée de fait à
toute l'oeuvre de son divin Fils, même à l'exercice de son
universelle Royauté. S. Albert-le-Grand aime à le répéter :
« Beata autem Virgo non est assumpta in ministerium a
« Domino, sed in consortium et adjutorium, juxta illud :
, Facia~nus ci adjutorium simile sibi (Gen. II, 18)... Non est
« vicaria, sed eoadjutrix et soeia, particeps in regno, quoe fuit
« porticeps passionum pro genere humano » (2). Ou encore :
Assumpta est in satutis auxilium, et in regni consortium » (3).
Pour sauvegarder toutes les données positives de l'enseigne-
ment traditionnel, il faut prendre à lA lettre le texte de la
liturgie : « Cure Christo regnat in mternum » (4).
Nous avons vu d'autre part que cette participation au
gouvernement devait ~tre envisagée secundum sexum
[oeineum~ et qu'elle consiste prîncipalement dans l'exercice
d'un spécial pouvoir d'intercession. Dans ces conditions, nous
ne serons pas surpris de voir attribuée à la Reine de l'univers,
à l'Associée du Roi des Rois, une puissance d'intercession, qui
ne trouve nulle part son équivalent.
Trois traits caractéristiques lui sont en effet reconnus :
efficacité, nécessité, universalité. Chacun d'eux marque un
degré de plus dans ~a Royauté, une supériorité nouvelle sur les
Reines de la terre.
Tout d'abord e[ficacité. La Reine du ciel et de la terre peut
tout demander à son divin Fils : elle ne sera pas repoussée.
« Quia Regin~ est, dit Bellarmin, quidquid voluerit a Rege
Filio impetrare potest » (5). Aussi use-t-elle largement de ce

(1) De m~me qu'il y a analogie entre la Royauté d'une Reine et celle


dhm Roi, Il y a encore analogie, et non identité, entre la Royauté de Marie, et
d e s r e t i r e s l ~ i n e s . L ' u n i o n a v e c l e R o i e s t p l u s i n fi m e , e t p l u s s t r i c t e l a
partic~~at/on tu gouvernement,
(2) Martal«, q. 42 -- ëd. Ror~g~~,t, t. 37, 1~. 81.
($) lb. q. 43, »olutto, ~ II, p. 85. ~ Cf. q. 165, p. 247 et 248.
(4) II* V~pres de l'Assomption : ant. ad Mo47ntflcat. -- Cf. P4wchase Radbert
(Pseudo-Jër6me) : Hodie glartosa namque semper Virgo Maria ceelos etsccndit e
rogo, gaudele : quia (ut ira fatear) tneN'abllttersubltmata cure Christo ~~rnat
« In oet~rnum. R~irtu mu.ndt hodie de terri~ et de pr~~nti soecuto neqnam
eripitur... » Epi~tota ad Paul¢.m et Eustoehiam (PL 38, 130 B).
(6) Concio 1, super Mizsaa est. Op. otan. t~l. Vives, t. IX, p. 477.
MARIE, PEINE DU MONDE 45

crédit en notre faveur. Ce prçmier fait est clair, et sans insister


davantage, il nous suffira de relire les dernières lignes de la
Bulle lneffabilis Deus :
« Maternum sane in nos gerens animum, nostroeque saIutis
« :~egotia tractans de universo humano genere est sollicita,
« et cceli terroeque Begina a Domino constituta, ac super omnes
« Angelorum choros Sanctorumque ordines exaltata adstans
« a dextris Unigenili Filii sui Domini Nostri Jesa Christi
« maternis suis precibus validissime impetrat, et quod querit
« invenit, ac frusirari non potest » (1).
Il faut aller plus loiu: l'intercession de Marie est non
seulement efficace, elle est nécessaire, en ce sens qu'elle doit
appuyer toute autre demande qui veut être exaucée. Toute
supplique adressée au Souverain Roi de l'univers doit lui être
présentée par la Beine, sa Mère. C'est la voie la plus sûre.
«. Quoeramus gratiam, recommande S. Bernard, et per Mariam
« quoeramus ; quia quod quoerit, inuenit, et [rustrari non
« potest ». (PL 183, ~~2 A). C'est surtout la voie normale,
voulue de Dieu : dans l'économie actuelle (2), il faut aller à
Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur, et à Jésus-Christ par
Marie, Médiatrice auprès du Médiateur.
Voici comment le Père François Coster commentait au
xvi" siècle, l'Ad te clamamus du Salue Regina : « Ad te, ut, per
« te ad Filium perducamur. Qui enim clamant ad te, nullam
« Christo injuriam faciunt, quia per te ad ipsum clamant, ut
« sicut facilius vox de[ertur ad aurem per fistulam, ita uox
« nostra per te purgata arque adjuta citius ad Christum
« deferatur. Neque vero hoc unquam est mirandum, quia ille
« etiam qui clamat ad Christum, si recte clamat, non nisi per
Christi Matrem clamat cuius manibus cupit suas Filio preces
« o[ferri et commendari... » (3).

(1) L'expression est de S. Bernard, 5ermo de aquoeductu, n. 8, PL 183, 442 A.


Cf. Ouanta ¢ura (sub fine) Utpote Reg~a adstana a dex, trf~ unîgenfti Filli
« sui Dominl nostrl Jcsu Christt t~ ve~titu d¢aura/o ¢ir¢umamtota var~eto~e
(Ps. 44, 10) nthit est quod ab eo /mpetrare non va/ca/ ». Encore Royautë et
lnhswcsssion réunies l
(2) Non nf ind6 qu~stio de neee#sita/ ab$oluta, mctaphgsiea, #ed de
neeeszttate fluente e.z Ubera Dei ordlnalione, qui ste pre&entem ordtnzm super-
i~turalem instituit ut nullam gratiorn haber~mus, n|si quoe per marins Morloe
tran#iret ». J. BrTrammsux, op. cit., p. 263. ~ Cf. p. 143 et 144.
Cf. L6on XIII, Octobrt Men~ : A~~,'more ltoet.., niktl pobts, nisi per Martam,
Deo #te votente, lmpo~lrt : nt quomodo ad summum Patrem, nisi per Filtum,
ttsmo potest aecedere tta fere, nisi l~er Mat~m, oc¢edere n#.mo po$s(t ad
Ciu'tstnm ~,. Actes, 6(!. B. P. t. IH, I). 96-98.
(3) De Contloo 8aire Reïltna, medit riT, L 0., p. 697 et 698.
.~d)cl~J~ I~'RA/~Ç, JklSR D'I~TUDES MAalALES

Suarez pense de m~me. L'intercession de Marie, sans


détruire celle des autres saints, leur est préférable, « nam
q u i d q u i d a l i i i m p e t r a n t , a l i q u o m o d o p e r Vi r g i n e m t r a p e -
« irant, quia ut Bernardus dixit (1), illa est mediat1~x ad
mediatorem.., et ideo ep. 17~ monet Bernardus (2), uS quid-
quid Duo of[erre oolumus per Mariam of[eramus... Et hinc
ortum est ut inter altos sanctos non utamur uno ni inter-
« cessore ad alium, quia omnes sunt ejusdem ordinis ; ad
Virginem autem tanquam ad reginam et dominam alii
adhibentur intercessores » (3).
Le Pape Benoit XV li rappelait à son tour : , Il ne faut
jamais exclure le souvenir de Marie, pas même lorsqu'un
miracle semble devoir être attribué à l'intercession ou à la
« médiation d'un bienheureux ou d'un saint... Dans ces cas
« aussi, il faut supposer l'intervention de celle que les saints
« Pères o~nt saluée du nom de Mediatrix mediatorm~n
omnium ) (4).
Reste un troisième trait, qui implique les précédents (5),
et porte à son degré suprême la Royauté de Marie : l'unioer-
#alité. La Reine du monde est à ce point associée A l'oeuvre
du divin Roi, qu'aucune grâce, m~~me si nous ne l'avons pas
sollicitée, ne nous est octroyée sans son intervention. Vraiment,
comme le dit le Pape Pie IX, reprenant une expression de

(1) km. Os Dom. fuira Oct. ,auumpt. n. 2. -- PL 183, 4~IL9 et ~0. -- CL


441 C.
(~l) La ~tt~ 174 ne oenUent rien de tel, mais blen|e sermon in N~tivftate B.M»
n. 11 ! Ctnterum q'~idqu~d illud est, quod o~'erre para,, Mo~oe commendar~
memento, uS eo¢ltm ed~eo ad l~itorem gratie redeat quo influ~cit. Nequ# enim
Impotene ~ Deus et sine hO aquavduetu tnftmder~ gratlam, prout pellet : #¢d
tTbi pehtculum uolutt propidere.., ldeoqu# modicum ietud quod oNrte du|deras,
fratiesimie illi# et omai a¢,~ptlone dignis»lmls Maria m~mibue of[erlmdum Stade
~~, s! non vis |ustinere rtpttlnm ~. PL 1~, 4~~ AB. Cf. ibid. n. $ et 13, oL ~43 A
« 444 C.
(S) Op. cil Dhmput XXIII, oect $, n. 5, (id. Vlvbm, t. XlX, p. 336). -- Cf.
led~~y~ Se~l¢~ii¢u M~Uama, Par~ III, q. IX, art. 6 (dans Summa uureoE, t.
Y I L I , 111 - 1 9 4 ) . - - D T ' C , a r t . M u r / e , L O E , c o l . 2 4 0 1 u e t 2 4 3 e , ~ J . A J ] ( e r, L a
do¢trtn~ du ~rps mfl#iiqu~ de J. C., Paris, ]hmuche|ne, 19J4, p. 346 et $47.
F fl e t b o f f , D e A l m ~ ~ o c i u C h r i s t | m e d i @ ~ o r ~ , l ~ o m e 1 ~ , p . : 11 6 - : 1 ~ 1 . - -
]~t~nm~,ux, op. etS. p. ~AU-MT.
( 4 ) A l l o c u t i o n p o u r 1 , , o e l ~ ~ d ~ fl o n d e J ~ d ' A r c . A c t e s . ~ d . B . P. ,
L I1, p. SS.
($) « ~~mle itaqu~ ,k~e mdl~tionem M~ p~ lnl~-c¢~s~n~m ¢Jas
« u~~esa/um0 quia d~ facto halls fraie homlalb~ oen¢#ditur ntsl propret
« ~us btt~~lo~m ; ~u~~~'fmuÆ Insep~ sure e~e¢ n~'~s~i~m qulu umfo~r-
»a~am ), J. BJthsmJeux p. eU. p. 1t~
M a i s / a ~ p ~ ~ q ~ n ~ t p u w ~ J e , l ' l n 4 ~ r c e u J o n d e M a r i e p e u t 4 i r e e fl l c a ~ ,
eu mUme ~mee~Jre, smss erre unJ~le (ibid. p. 2~1I).
MARIE, REINE DU MONDE 4"1

S. Bernard, « nostroe salutis negotia tractans de unioerso


« humano genere est sollicita » (1). C'est elle qui prend en
mains l'affaire de notre salut, elle plaide en notre faveur auprès
du Souverain Roi, et nous obtient toutes choses par ses
maternelles supplications. Sans avoir le pouvoir de gouverne-
ment, elle « règne » véritablement et mérite bien son titrede
Reine du monde. « Nihil enim Rex coeli nisi de voluntate
Genitricis suoe Regin~ mundi nobiscum agit, dit encore
François Coster ; et censetur facere mater quidquid precibus
obtinet ut fiat a filio ». (2). Et plus loin : « Merito rogare pores,
quia ut tilia Abrahae, caro nostra es ; ut Domina curam
« noJtri geris ; ut orbis Regina, nihil non pores ; ut Mater
Dei, cuncta impetrabis ; lïlius est quem rogas ; pro tuis
clientibus rogas ; et ca quoe fllio tue accepta sunt rogas (3) ».
Ce n'est pas le lieu d'insister longuement sur un point
d e d o c t r i n e q u i n o u s e s t p a r t i c u l i è r e m e n t c h e r, e t q u e l e s
théologiens s'appliquent à élucider chaque jour davantage.
Sans l'avoir recherché, nous avons en effet rejoint la médiation
universelle de Marie, envisagée dans sa phase actuelle, dispen-
s a t i o n d e t o u t e s l e s g r ~ c e s . P a r d e s v o i e s d i ff é r e n t e s , n o u s
sommes parvenues à des conclusions identiques et sous cet
aspect les deux thèses se confondent. Pareille constatation va
nous permettre une double remarque, qui terminera la
première partie de cette étude.
To u t d ' a b o r d , s i n o u s n e v o u l o n s p a s p r o u v e r i d e m p e r
i d e m , i l s e m b l e b i e n q u e n o u s d e v i o n s r e n o n c e r à j u s t i fi e r l a
Royauté universelle de Matie par son rble dans la dispensation
de toutes les gr/kces, ou réciproquement (4). Les deux asser-

( | ) B u U e l n e ~ a b i l l $ ( fi n ) . ~ C f . S . B e r n a r d , S e r r a o I i n A s s u m p t . n . I :
Pr~eeJsit no# regizm nostra... Adooeatam proemisit peregrfnatlo nostra, quoe
Mnquam Jadieis mater, et mater mtJericordie suppll¢iter salatis nostret ne~g4ta
p~tractabit *. I~ 183, 415 C.
(2) Libellu# sodatitaris, p. 545 et 546
(3) Ibid. p. 547.
(4) L'argument tiré du eouverain donmine de Marie en faveur de la
dl~on des grbees est expoaé lmr le Chan. Bittremieux, op. cit., p. 2~-226.
En termlnant, l'Auteur remsrque : Ouldam ut ~iunde probatam a¢eiplentes
cooperattonem Martoe in dispentedione gratiarum, ez hec coneludunt ad pores-
r a t e r a e J u s r e l a l e m ; n o s c o n t r a n o n t i c p r ~ c e d i m u s , # e d e z o ~ s e r t o a Tr a -
c dttione onsorlio Mariw in manere regali Christi, ad cooperationem eJus in
grallaram dispensatione gressum facimus , (p. 225 et ~O).
C ' e s t l q Tr a d i t i o n , ~ ~ d u s q u e l e r a i e o n n e m e n t t h é o l o g t q u e , q u i n o u s d i r a
Jtu~lu'oa s'étend l'mmoclation de Marie if la Royautè de aOn Fils. Le titre de
d u m o m i e p o u r r a i t s e j t t s t i fl e r , k l u r i g u e u r , s a n s l ' u n l v e r s a l i t é d u
pouvoir d"lntea~~slou.
MARIEp REINE DU MONDE 47

S. Bernard, « nostrs~ salutis negotia tractans de unioerso


humano genet« est sollicita » (1). C'est elle qui prend en
mains l'affaire de notre salut, elle plaide en notre faveur auprès
du Souverain Roi, et nous obtient toutes choses par ses
maternenes supplications. Sans avoir le pouvoir de gouverne-
ment. elle « r~gne » véritablement et mérite bien son titrede
Reine du monde. « Nihil enim Rex coeli nisi de voluntate
Genitricis su~ Reginæ mundi nobiscum agit, dit encore
François Coster ; et censetur [acere mater quidquid precibus
obtinet ut fiat a fllio ». (2). Et plus loin : Merito rogare potes,
quia ut filin Abrahae, caro nostra es ; ut Domine curam
nostri geris ; ut orbis Regina, nihil non potes ; ut Mater
Dei, cuncta impetrabis ; fllius est quem rogas ; pro fuis
clientibus roffas ; et en quoe filio tuo accepta sunt roças (3) ».
Ce n'est pas le lieu d'insister longuement sur un point
de doctrine qui nous est particulièrement cher, et que les
théologiens s'appliquent à élucider chaque jour davantage.
Sans l'avoir recherché, nous avons en effet rejoint la médiation
universelle de Marie, envisagée dans sa phase actuelle, dispen-
sation de toutes les grâces. Par des voies différentes, nous
sommes parvenues à des conclusions identiques et sous cet
aspect les deux thèses se confondent. Pareille constatation va
nous permettre une double remarque, qui terminera la
première partie de cette étude.
Tout d'abord, si nous ne voulons pas prouver idem per
idem, il semble bien que nous devions renoncer à justifier la
Royauté universelle de Marie par son rble dans la dispeusation
de toutes les grâces, ou réciproquement (4). Les deux asser-

( 1 ) B u U e I n e [ ? a b U i s ( fi n ) . - - C f . S . B e r n a r d , S e r m o I i n A s s u m p t . n . I :
pr~csaJit nos regina notera.. Ad~ocatam proemi#it p¢regrinatto noztr«, quoe
fanquam Judl¢iz mat~r, st mater mlMricordiw suppliciter salures nostre ne@otia
i~ztractabft ~,. ~ 183, 415 C.
(l) Libelle# sodalttari#, p. 545 et 546
($) Ibid. p. 547.
( 4 ) L ' a r g u m e n t fl r ë ( t u s o u v e r a i n d o n w l n e d e M a r i Q e n f a v e u r d e l a
dlspqmsation des grbou est ezpo~ pro- le Chan. Bittremieux, op. cit., p. 222-33G.
ff, n termlnant, l'Auteur remarque : Ouidam it aliunde probatam acclpieates
coopsPatienem Mer4oe en dtspen#atione fr¢diar',tm, sz hoe eonslnd~nt ad potes-
t , r d e m # J u s f e r a / c m / n o s c o n t r a n o n i r a p r ~ c e d i m u s , s ¢ d e z o J s e r t o a Tr e -
dit(crue ~smol'tio Martoe in m~,nert regali Chrteti, ad oopcra~lonsm jus in
f/l,m'tgram dl#pensatlo~e flr¢s#um fdwtmu: * (p. 225 et 22$).
C'ut Iq Traditions ~us que le lmtao~ent théoloGlque, qui nous dira
Jusqu'o~ s'îtqmd l,assoetatton de Marie k la Ro~ut~ de eon Flla. Le titre de
] ~ s t m s d u m o m i e p o u r r a i t s e J u s t t fl ¢ x , l . l a r i s u ~ t r , s a n s l ' u n i v e r s a l i t ë d u
pouvoir d~ts~osston.
4 8 socI~ FRANÇAISE D'ÉTUDES MARIAI~s

tions ne sont pas spécifiquement autres et il ne peut être


question de déduction, de conclusion. Nous avons simplement
affaire à deux modalités sous lesquelles se présente la même
vérité traditionnelle.
En second lieu, -- et ceci a peut-être plus d'importance,
puisque la Royauté de Marie doit s'envisager secundum sexum
femineum, et ne comporte pas un pouvoir gouvernemental
proprement dit, nous devons en bonne logique abandonner
toute idée de causalité physique dans la médiation universelle
de la Très Sainte Vierge. Réservant semblable conception à
l'efficacité sacramentaire, nous aurons plus de chances
d'aboutir.

II. -- LES TITRES DE MARIE


A LA ROYAUTÊ UNIVERSELLE

La nature de la Royauté universelle de Marie étant mieux


précisée, il en faut rechercher les fondements doctrinaux.
Sans revenir sur la Royauté d'excellence dont il a été suffisam-
ment parlé, nous aurons à envisager surtout la Royauté
proprement dite ou de domination. Encore est-il qu'il faut
commencer par bien s'entendre et par défmir la méthode à
suivre. Il ne s'agit point d'apporter des arguments de raison
théologique qui nous conduiraient par voie .de déduction
rigoureuse à la certitude du fait. On pourrait douter de leur
valeur probante, car le pouvoir royal de Marie est d'un genre
trop spécial pour rentrer entièrement dans nos catégories
toutes faites. Nous aurons plutôt à rechercher comment ce
point de doctrine, déjà établi par l'enquête positive préalable,
se rattache aux autres données de la théologie mariale, dans
quelle mesure il s'appuie sur elles ou au contraire les
complète. C'est .dire que, si le raisonnement aura son rôle
jouer, il n'en faudra pas exagérer la portée, et ses lacunes
seront à combler par ailleurs. Plus encore que de fondements
doctrinaux, de motifs proprement dits, nous devrons parler,
pour être exacts, des titres de Marie à la Royauté sur tout
runivers. De la sorte, nous laisserons moins croire à l'exis-
tence d'un proCédé strictement démonstratif.
MARIE, REINE DU MONDE 4 9

Divers motifs proposés

Dès le moment où la Royauté de Marie commence d'~tre


affirmée, on se préoccupe d'en montrer la légitimité, beaucoup
plus d'ailleurs que sa nature exacte. L'occasion en est assez
souvent fournie par l'interprétation du nom de Marie, qui
s i g n i fl e r a i t S o u v e r a i n e , m a i s l e m o t i f i n v o q u é e s t t o u j o u r s
la divine maternité. On peut déjà le deviner dans les textes
de S. Ephrem, de S. Pierre Chrysologue ou de S. Ildefonse de
To l è d e . L e V é n é r a b l e B è d e s e r a p l u s c l a i r : « M a r i a a u t e m
« H e b r a i c e s t e l l a m a t i s , S y r i a c e v e t o D o m i n a v o c a t u r, e t
« merito, quia et totius mundi Dominum, et lucem soeculis
« meruit generare perennem » (PL 92, 316 D). Des théolo-
giens de l'époque carolingienne, comme Raban Maur, Christian
de Stavelot, Haymon d'Halberstadt (ou d'Auxerre), sans
o u b l i e r A m b r o i s e A u t p e r t , n o u s o ff r i r a i e n t d e s t e x t e s s i m i -
laires. Quant aux Orientaux, contentons-nous de citer S. Jean
Damascène qui les résume tous, et deviendra avec le Pseudo-
Athanase déjà mentionné, un des auteurs classiques en la
matière: La gràee, -- c'est ce que veut dire Arme,
engendre la Souveraine, -- telle est la signification du nom de
M a r i e . E n e ff e t , e l l e d e v i n t v r a i m e n t l a S o u v e r a i n e d e t o u t e s
les créatures, en acquérant le titre de Mère da Créateur »
( P G 9 4 , 11 5 7 B ) . A i l l e u r s i l l a s a l u e , c o m m e « R e i n e d e t o u s
les hommes et de toutes les femmes, des créatures de la terre
et du ciel, en tant que Mère du Seigneur de toutes choses ».
(PG 96, 809 A, cf. 722 D).
Longtemps on s'en tint là (1), mais à mesure que se
précise mieux la coopération immédiate de Marie à l'oeuvre
de notre Rédemption (2), un autre titre apparalt. Il est très
nettement mis en relief par S. Albert-le-Grand, dans les textes
d é j à c i t é s : B e a t i s s i m a a u t e m Vi r g o a s s u m p t a e s t i n s a l u t i s
« auxilium, et in regni consortium : ipsa enim sola ministris
« fugientibus comppssa fuit. Unde et sola regni consortium
« obtinuit, quæ laboris adjutrix fuit, juxta illud : Faciomus ei
« adjutorium simile sibi (3). Pour lui, Marie est « particeps
in regno », parce qu'elle fut « particeps passionum pro genere

(I) On trouvera de nombnmx tt~tes réunis dans Pau~gll~ De fmmoeulato


Detparoe semper Vfrgtnf~ oa¢eptu, Rome 1854~ t. IH, p. 1112-1119, et surtout
dans de Gruyter, op. cit.
(2) Cf. Bnllctln 1~~ p. 14~-159.
(3) Maritale, soi. a& q. 36-4.q, | II (éd. Borgnet, t. 37, p. 85).
5 0 sOcIËTÉ FBANÇAISE D'ÉTUDES ~/ARIALES

humano » (1). L'idée lui est chère ; il y revient à diverses


reprises (2). Cela ne l'empêche pas d'ailleurs de reconnaitre
la valeur d'autres motifs qu'il prend soin de grouper en une
v u e s y n t h é t i q u e . « Te r t i a g r a t i a s p e c i a l i s f u i t , q u o d f u i t
Domlna omnium : et hoc triplici ratione : tripliciter enim
« eflïcitur quis juste dominus. Uno modo per operationem, ut
domin.us est quis e jus rei quam operatus est et conduxit in
esse. Seeundo modo per emptionem. Teriio per electionem,
« ut praelati, lsta triplici ratione beatissima Virgo fuit Domina
« omnium creaturarum, utpote mater creatoris, adjutrix
« redemptionis, regtna creationis et re9enerationis » (3).
Jacques de Voragine (* 1298) calquera exactement les
dites de son glorieux frère en religion (4), et les m~mes expres-
sions se retrouveront sous la plume du franciscain Bernardin
de Busti (5). Des motifs semblables sont épars dans les
uvres mariales de S. Bonaventure, Richard de Saint-Laurent,
Augustin d'Ancône, Gilles de Home, Gabriel Biel, Denys le
Chartreux, Bernm'din de Sienne, etc. Ils s'entremêlent d'ailleurs
d'autres plus fantaisistes : « propter peccati immunitatem »,
« propret progenitorum nobilitatem », « quia bonis nostris
non eget », « quia nullius creaturoe adjutorio indi9et », etc.
Dans sa vaste compilation, Christophe de Vega affirme
que la Vierge possède « multiplici ex coEpite, re9num hoc ac
domînium in omnes res creatas.., oidelicet primo ex Mater-
« nitate Dei ; secundo ex offleio Corredemptricis, quia simul
cure FiUo otaries homines in libertatem asseruit, opusque
redemptionis cum ipso peregit : tertio quia Spiritus Sanctus
B. Virginem in sponsam sibi copalavit ; quarto ex dono
iustitioe originatis ; omnes rituli a nobis non levi calamo
exa~fandî sunt (6).

(1) Ibid, q. 42 (p. 81).


(2) /bid. q. 148-150 (p. 219) -- q. 154 (p. 226) -- q. 166 (p. 251).
($) ibid. q. 166 (p, 951). ~ Cf. De natur~ bon~ : ln1~tqpr~tatlon du nom de
Mm'la : EI~ est Notre Dame pour trois raisons, dont l'une sut ou "dlllnit6
p t fl s q u ' e 4 1 e e s t l a M è r e d e n o t r e R o i e t S e ~ n e u r J ~ s u s - C h r i s t . - - L a s e c o n d e
raison, c'est qu"e, lle-,m~me 'nous achëte continuellement k son oerviee Imr les
bienfaits et les richesses de sa grlkce... ~ En troisième lieu, elle est notre Dame
, v m r c e q u ' e l l e é l o i g n e d e n o u s l ' e n n e m l » . ( Tr a d u c t i o n d e J . A n ¢ e l e t - H u s t a c h e ,
d ~ V i e S p L ~ I t u e l l i æ I w a v r i , l 1 9 3 3 , t . X X X V, p . 6 9 - 7 1 ) .
(4) ~~WJ¢1~a a~V~i, t. IL Mo~iale aurlmm~ 6¢A. I~~'oI, Toulouoe 18~, p. 118
M II{L
(5~ Mur/aie de ezeellentlts regine coeli, Pars LE[. sera. H~ 3, Stras«
bourg 14~8.
(6) Op. elt. n. l~l~, p. ,~49.
MAP,.IE~ REINE DU MONDE 51

E n fi n t o u t c e q u e l ' o n a p u d i r e s u r c e s u j e t s e t r o u v e
r a s s e m b l é s e m b l e - t - i l , p a r l e P. J u s t i n d e M i e c h o w ( t 1 6 4 2 ) ,
dans ses Discursus proedicabiles super Litanias Laurttanas (1).
Mème en abrégeant ses développements, nous aurons une vue
d'ensemble qui ne sera pas inutile.
La pi~t~ chrétienne, dit-il, croit que la Sainte Vierge Marie
« est Reine ; elle en comprend la raison et elle la publie. La
« f o u l e d e s h é r é t i q u e s l e n i e ( L u t h e r, B r e n t g , C a l v i n ) . . . M a i s
« nous, vengeurs de la dignité de la Mère de Dieu nous
« croyons du fond de nos ~mes, nous confessons et nous
publions de toutes les puissances de notre voix, qu'elle est
« Reine et qu'elle l'est par toute espèce de droit: de droit
« naturel, de droit divin et de droit humain.
« De droit naturel. Il est certain qu'elle est de race royale ;
« les témoignages les plus authentiques abondent ....
« L a s a i n t e Vi e r g e e s t R e i n e d e d r o i t d i v i n p a r c e q u ' e l l e
« a été choisie comme Mère de Dieu, Roi de tout ce qui
« existe. En sa qualité de Mère du Christ, elle partage avec lui
« l e d r o i t d e r é g n e r e t d e c o m m a n d e r. . . I ~ C h r i s t e s t d e d r o i t
« divin le Roi et le Monarque de l'univers entier; la sainte
« Vi e r g e , p a r c e q u ' e l l e e s t s a M è r e , e s t a u s s i d e d r o i t d i v i n
« Reine de ce m~me univers... Le Fils de Dieu a servi sur la
« terre cette grande Reine : « Et il leur était soumis », dit
« Saint Luc. Or comme le Fils est naturellement soumis à
« ses parents, tout ce que le Fils possède, les parents le
« poss&dent et le partagent avec lut. Le Christ étant, de droit
« divin et par la force de l'union hypostatique, Roi et Domina-
t e u r, d e t o u t e s c h o s e s , l a B i e n h e u r e u s e V i e r g e M a r i e e s t
« donc naturellement et de droit divin Reine de tout ce qui
« existe ....
La Mère de Dieu est Reine de droit humain. On peut
« a c q u é r i r, d e d r o i t h u m a i n , u n r o y a u m e d e c i n q m a n i è r e s
« diffSrentes : par l'hérídité, par la guerre, en l'achetant, en
« le recevant en don, par l'électton. La Sainte Vierge est Reine
« de l'univers de toutes ces manières :
« premièrement, per l'hérédité. EHe a hérité légitime-

( | ) C o n f ~ ~ - e n o e $ ] q P ~ ' o ~ P ) . J e c i t e d ' s p r t ~ | i t t r t ~ l u e t J O l t fl N t n ç s d ~ ~ l t
l ' A h b 6 ~ m w l : C a n f ë r ~ r ~ e ¢ , , n f l e s / J t w t l e ; d e l ~ 7 ' . & F. , P t r t e , 1 8 G 4 1 , t . V.
p. 425~t37 (cf. t Il, p. I$~14~).
I4 ~ /mum~mtion me ~ dans les Netsendlalla ~mreitia d* aeda
S e e a t t e r ( $ u m m a c u r e , ' , , L I V, c o l 1 ~ ; 0 ~ - 1 5 1 2 ) o u l a S o m m e d e m G r m t d e i l ~ ~ t
Marie, de l'.4,bJ~ Z, C. JolIr4a~ ~lp ëd. Pttris 190~, 1, III, p. P,83-~90,
SOCI~~T]~ FRANÇAIS]~ D'~rUDKS MARINES

« ment du royaume d'Israël, puisqu'elle était de la race de


« David...
« Secondement, la Sainte Vierge est Reine par droit de
« guerre. Le OErist fut un guerrier véritable et triomphant.
« Il vainquit le démon, le monde, le péché, la mort et l'enfer...
Or, la Sainte Vierge a partagé ses travaux et ses victoires
« en l'aidant à venir au monde, en soutenant son enfance, en
« le protégeant par ta fuite, en supportant les fatigues des
« m~mes voyages, des m~mes travaux, en ressentant comme
« lui toutes les horreurs de sa passion. Bien plus, elle lui a
« fourni des armées dont il s'est servi contre l'ennemi du
« genre humain ; comme lui, elle s'est mise en ligne de bataille,
« elle a combattu, elle a vaincu...
« Elle l'est, troisièmement, par droit d'achat. Le Christ
« est Roi non seulement à cause de l'union hypostatique avec
« le Verbe éternel, mais parce qu'en rachetant le monde, il a
« mérité de voir son nom exalté sur tous les autres noms...
Or, Marie a concouru de plusieurs n~anières à la rédemption
« du monde, mais elle y a concouru surtout en fournissant
« matériellement le prix de la rédemption, puisqu'elle a
« engendré le Rédempteur et qu'elle l'a nourri de son lait.
« Donc elle est Reine par droit d'achat aussi.
« Quatrièmement, elle est Reine par droit de donation. Le
Christ, comme homme, dès le premier moment de sa concep-
t tion, a été établi Roi sur toutes les nations... Cette Royauté,
« il ne l'a remise à personne, ni à un homme, ni à aucune
« autre créature ; il n'aurait pu le faire sans porter préjudice
à sa Mère. Personne au monde n'était digne de partager avec
« lui cette dignité suprême, excepté Marie...
« Cinquièmement, Marie est Reine par droit d'élection.
« La gloire des ancêtres, la science, la sagesse, la prudence,
« la beauté et la force du corps, telles sont les qualités qui
« désignent les rois au choix des peuples... La Sainte Vierge
possédait tous tes avantages... Marie est donc aussi Reine
par droit d'élection ».

Deux titrez d retenir

Il est clair que parmi toutes ces « preuves » un sérieux


triage s'impose. Il faudra à la fois éliminer et réduire. On ne
saurait guère, par exemple, faire de Marie la prétendante
légitime au tr6ne du roi David son an,c~tre (1), et, d'autre part,

(1) Cette id6e sourit cependmnt tu P. Garënaux, op. cit., p. 31-37.


MARIE, REINE DU MONDE

les divisions et subdivisions propos~es ne sont pas irréductibles


e n t r e e l l e s . To u t b i e n p e s é , d e u x t i t r e s é m e r g e n t d u l o t e t
méritent considération : la maternité divine et la coopération
d l'oeuvre de notre rédemption.
Nous les retrouvons bien mis en évidence par Suarez :
« B. Virgo, eo quod mater Dei est, habet speciale quoddam jus
« et dominium in omnes creaturas ». Ceci prouvé, il examine
ensuite allure titulum bu jus dominii, scilicet, quia ad
« nostram redemptionem singulari modo cooperata est » (1).
Les théologiens plus pressés, qui parlent seulement en
passant de la Royauté de Marie, -- comme l'avait fait Saint
Thomas, -- ou se soucient moins d'en établir les fondements
rationnels, se contenteront d'indiquer rapidement le premier
motif, ainsi Bellarmin, Vasquez, Contenson, ou les Carmes de
Salamanque. Certains s'y arrêtent avec une particulière
complaisance, comme Ferdinand de Salazar, Ripalda, Sedlmayr.
M a i s d è s q u e l a q u e s t i o n p r e n d u n p e u p l u s d ' a m p l e u r, o u
m~me au hasard de développements d'ordre plutbt ascétique,
la coopération à la Rédemption reparaît, soit explicitement, soit
sous la forme équivalente de droit d'achat ou de droit de
guerre. ~tons, par exemple, Novati, Georges de Rhodes,
Barthélemy de los Rios, Alvarez de Paz, Reichenberger, et la
l i s t e p o u r r a i t s ' a l l o n g e r. D e n o s j o u r s , c e s d e u x t i t r e s s o n t
passés assez communément dans nos manuels de théologie
dogInatique (2). En les conservant nous ne serons donc pas en
dehors de l'enseignement traditionnel.
Nous rejoindrons également la doctrine de la Royauté du
Christ avec laquelle nous voulons garder le parallélisme. « Quo
« autem hoec Domini nostri dignitas et potestas fundamento
« consistat, déclare rEncyclique Quas primas, apte Cyrillus
A lexandrînus animadvertit.., scilicet eius principatus, illa
innititur uniome mirabili, quam hypostaticam appellant.
U n d e c o n s e q u i t u r. . , u t v e l s o l o h y p o s t a t i c o e u n i o n i s n o m i n e
Christus potestatem in universas creaturas obtineat. ~ At
veto quid possit iucundius nobis suauiusque ad cogitandum
accidere, quam Christus iure non tantum nativo sed etiam
quoesito tcilicet redempttonis, imperare ?... Jam nostri non
« sumus, cure Christus pretio magno nos emerit , (3).
Si le Christ est Roi par droit de naissance et par droit de

(1) L. ¢., p. 326 et 327.


(2) V. g. Hermann, Hervë, Lahitton, Le.cher, Bartm~nn.
(3) L. e. p. 72 et 73.
conquête, Sure non tantum n,ti»o, sed ttiam quoesito, nous
serons logiquement amenés à voir en Marie la Reine de
l'univers au double titre de la Maternité divine et de la coopéra-
tion à l'oeuvre de la Rédemption. Nous pouvons dire déjà, avec
quelque vraisemblance, qu'elle est Reine par grâce et Reine
par la conquête : Reine par la grâce insigne qui la fait Mère du
Christ Roi, Reine par la conquête du royaume à laquelle elle
participe singulari modo aux e6tés du Christ-Roi.
Cela n'implique pas que nous devions irréductiblement
séparer ces deux motifs et les rendre indépendants l'un de
l'autre. Si les lois de notre intelligence nous obligent à distiu-
« guet des concepts de soi différents, nous aurons soin de ne
pas oublier que la réalité est une, et que tout se tient dans le
mystère de Marie, Mère du Seigneur Dieu (1).
Examinons donc dans cet esprit la valeur respective des
deux titres, connexes, mais distincts, qu'une première épura-
tion nous a permis de retenir.

1" MARIE, REINE PAR LA GRACE


DE LA MATERNITÊ DIVINE

Le premier motif mis en avant, parfois le seul, est, avons-


nous dit, la divine maternité. Afin d'être plus clairs, posons-
nous à son sujet une double question :
-- Comment, en premier lieu, la maternité de Marie
légitime-t-elle te nom même de Reiae qui lui est décerné?
Comment ensuite lui assure-t-elle le royal pouvoir que
nous lui avons reconnu ?

A. -- LE TITRE DE REINE

La première question ne semble pas jusqu*à ces derniers


temp~ avoir beaucoup préoccupé les auteurs. Ils ont surtout
considéré la seconde, et n'ont pas cru pour le reste devoir
se mettre en frais. « Ouis enim îgnorat, dit François Coster,
Marrera Regis totius universi, Reginam quoque esse orbis » (2).
Sans doute s'en tenaient-ils au langage courant qui décerne le

(1) Cf. E. DauwtL Position st 8t~'ucture du traitd Marlal» dans Bulletin 1936,
p. 16-:19.
(2) LlbelluJ ~odalitatis, eptMola dedic~ort«, lngolstadt, 15~$, s. p.
MARIE, REINE DU MONDE

titre de Reine non seulement à l'épouse, mais également à la


Mère d'un roi ? « Naturaliter enim mater regis est regina »,
dit S. Albert-le~rand (1).
L e p r o c é d é e s t s o m m a i r e e t n e t t e m e n t i n s u f fi s a n t . E s t - i l
à ce point incontestable, que toute femme, mère d'un roi, soit
véritablement reine ? Passe encore pour les monaoehies
héréditaire.s, oh l'épouse d'un roi, -- reine déjà de ce chef,
transmet à son fils, en lui donnant la vie, le droit de régner à
son tour. Mais faut-il, même d'après les lois du langage ordi-
naire, concéder pareil titre à la mère du conquérant assez
habile pour se tailler de toutes pièces un royaume ? Il ne le
p a r a i t p a s . P o u r q u e l a r o y a u t é d u fi l s e n t r a i n e c e l l e d e l a
m è r e , l e l i e n d u s a n g n e p e u t s u f fi r e , c a r i l n ' i ~ n p l i q u e p a r
lui-méme qu'une coincidence toute matérielle et fortuite entre
cette royauté et la fonction maternelle.
Dans le cas présent, nous trouvons heureusement davan-
tage. Si le Christ est Roi de par l'union hypostatique, sa royauté
date de l'instant m~me où cette union se réalise, c'est-b-dire de
l'instant où Marie devient Mère. En eonséquence, l'humble
Vierge de Nazaretl~ n'est plus seulement la Mère d'un Fils,
qui plus tard sera Roi, elle est Mère de celui qui, d'ores et
déjà, est le Roi de l'univers (2). C'est un Roi qu'elle conçoit et
porte dan~ son sein, c'est un Roi qu'elle enfante. Entre sa
maternité et la royauté de son Fils, le contact est étroit.
Il y a plus. C'est à elle, c'est à son consentement et à son
office maternel, que le Verbe Incarné a voulu de fait devoir sa
Royauté. La Royauté propre du Christ en effet, cel4e qui est
directement l'objet de l'intervention récente du Pape, n'est pas
à confondre avec le souverain Domaine que les trois divines

(1) Marlale, q. 154, (l. e. p. 226). -- Cf. Bellarmin, de Controversis, c. gen.


XIV, c. pr. III, 1. I, c. 15 (ëd. Vlvès, L Vl, p. 429) : Et lpsa proeterea cure mit
per= Mater t{egie Regain, R~ginoe appell~tionem me~ttur ». -- ff. M. BOUDON,
uvre# complètes, éd. Migne, Paris, 1858, t. Il, col. 344: Si ,les hërëtlque=
reconnaissent et appellent re/nes les épouses des rois, pourquoi trouvent-ils
ëtrange que noum donnions la qualité de dame et de reine à celle qu'un Dieu
« a ¢hoiele pour sa Mère ? »
(2) On pourrait reprendre ld les termes .par lesquels S. Vlnceltt de Lërins
J u s t i fi e l e t i t r e d e t h e o t o o o s : N o n e r m o d o t h e o t o o e s q B o i m p i a h o e r e s i s
s u s p i c a t u r, q u ~ a d s e r i t e a m D e t m a r r e r a s o l a a p p e l l a t i o a e d i e e n d a m , q u o d
« eum #cilicet peperit hominem qui postes fat'tus est Drus ; slctlt dicimus
« pr~=byteri matrom, aut EpJseopi marrera, non jam Presbyterum Ep~scopum
« partendo, »ed eum generando homlnem qui postea Preebgter vel Episeopus
« fact=s e#t..., sed ldeo pottu#, quonlam... Jam In eius sacro utero sacrosanctum
lllud mysterium perpetrafum e=t... » Commonttortum I, 15, PL 50, 658.
Rien n'empéche de considérer ici .la l~oyauté totale du Christ, et comme
Dieu, et comm= homme.
56 SOC~~T~ FBANç~SE D'~TUDES MAP~ALES

personnes possèdent en commun sur toutes les créatures. L'en-


c y c l i q u e Q u a s p r i m a s p r e n d b i e n s o i n d e n o t e r, q u e c e t t e
Royauté convient au Christ, en tant qu'homme, nisi quatenus
h o m o e s t ( 1 ) . O r, c ' e s t e n M a r i e q u e l e Ve r b e s ' i n c a r n e , c ' e s t
d'elle qu'il emprunte la nature humaine qui le fait homme
et lui permet d'être Roi. Dans cette mesure, qui a son impor-
tance, il lui est redevable de sa Royauté. « Quod etiam esset
« ultimus Dux, ultimus Re:c, dit S. Bernardin de Sienne, unde
« h o c h a b u i t , n i s i a Vi r g i n e g l o r i o s a ? » ( 2 ) .
N'est-ce pas la même idée qui s'exprime dans tant cle
commentaires du texte des Cantiques : « Videte regem in
« d i a d e m a t e , q u o c o r o n a p i t e u m M a t e r s u a » ( I I I , 11 ) . « C o r o -
« navit qua~do formapit, disait déjà S. Ambroise ; coronavit
« eum quando generavit » (PL 16, 328 D). S. Bonaventure
sera plus clair : « Dicit autem signanter mater sua, quoniam
« Pater coronavit eum diademate regni oeterni, sed mater Virgo
« coronat diademate temporalis regni, scilicet carnis mortalis
« mundissimoe et venerabilis » (3).
A raison même de sa maternité librement consentie, la
Mère du Christ-Roi mérite bien le titre ,de Reine. Jamais reine
de la terre ne le put revendiquer avec plus de légitimité, car
nulle ne put jamais pareillement contribuer à la dignité royale
de son fils. « Salut, seule Reine entre toutes les reines, dit une
v i e i l l e h o m é l i e , v o u s ë t e s fi l l e d e r o i s , e t M è r e d u C h r i s t , R o i
de l'univers » (4). Notons-le, si elle est Mère du Roi de
l'univers, et de ce fait véritable Reine, elle a droit d'être saluée
par tous, en toute rigueur de langage, comme la Reine de
l ' u n i v e r s e n t i e r, c o m m e l a R e i n e d u m o n d e . « A b c o d e r a d o t a l -
« nio et regno a quo Filius nomen accepit revis, et ipsa
« reginoe » (5).
O n e s t a l l é p l u s l o i n . L e g r a v e S c h e e b e n a f fi r m e q u e
l ' i n f u s i o n d u Ve r b e d a n s l e s e i n d e l a Vi e r g e p e u t ê t r e c o n s i -
« dérée à la fois comme un sacre et une génération qui font

(1) L. c. p. 68.
( 2 ) 8 ¢ t ~ n i n N a t , B . M . , c . 1 . ~ O p . o n m . L y o n , 1 6 5 0 ~ t . I V, p . 9 4 .
C f . B . H . ] K ~ t u z . ~ c H ( t e x t e d t ~ ~ p l u s l o i n , p . 6 0 ) . - - D e G r u y t e r, o p . c i t . p . 1 3 7 -
139. N Frtethoff, op. dt..p. 193 et 194.
( 3 ) S e r r a . X I I i n N e t . D o m . - - O p . o m n ~ a , 4 ~ d . Q u a r a c c h l , T. I X , p . 1 2 1 .
Cf. Vén. Bkog, /n Cant. Cant., IH, 11, PL 91, t~27 CD. -- S. BI~aNARD Serra. 1 in
Eptph PL 183, 147-149 ; Serra. in Dom. tnfra Oct As.~umpt. n. 6, PL 183, ~~ D.
L 4 u - f fi ~ ~ ~ B a l ~ m , M a r t « i e , p . 2 4 4 e t 3 7 4 .
( 4 ) H o m l l . i n A n : t . B . l l . V. , f a n e n t a t t r i b u é e i L S . . J e a n D a r n a s c ë n e ,
PG 96, 653 D.
(5) $. Albert ~ Grand, M«ri¢dc, q. 156 (l. c. p. ~0).
MXPJE, P~ZX~~'~ DU MO~ 57

« d'elle une souveraine ) (1). Bien avant lui, Richard de


S. Laurent appelait Marie « Regina propter unctionem ) (2), et
l'Oratien Gibieuf soulignait avec complaisance ce point de vue :
« Et y ayant trois momens principaux en votre vie : celui de
« vostre conception, celui de vostre Annonciation, auquel vous
entrez dans la divine Maternité, et celui de vostre Assomption
« dans la gloire: chacun d'eux porte l'impression et les
« marques de vostre céleste Royauté... Au second vous ~tes
sacrée, et l'huile de vostre Sacre est la plénitude de ta divinité
dont vous ëtes imbue et pénétrée pour l'accomplissement du
« m y s t è r e i n e ff a b l e d e l ' I n c a r n a t i o n ) ( 3 ) . P u i s q u e l ' a n a l o g i e
n o u s p e r m e t d e v o i r d a n s l ' u n i o n h y p o s t a t i q u e u n e i n e ff a b l e
inction par laquelle le Christ est constitué Prêtre et Roi, nous
ne serons sans doute pas illogiques en admettant cette concep-
tion des choses. Le caractère royal de notre Reine s'en trouvera
renforcé, à condition que nous gardions la sobriété voulue.
L'appellation de Reine réclame un dernier ~laircissement.
Au lieu d'en rechercher la légitimité dans la maternité de la
Très Sainte Vierge, ne pourrait-on pas aboutir d'une façon plus
directe en partant de la notion d'épouse ? Les lois du langage,
dira-t-on, sont ici plus absolues et plus fermes ; toute épouse
d'un roi mérite bien le nom de reine. Remarquons d'abord que
lorsqu'il s'agit de Marie, les deux concepts ne sont pas néce~
sairement exclusifs. Elle peut ~tre aussi bien Sponsa Christi
que Mater Chri#ti, et nous aurions de ce chef, une double
raison de son titre de Reine. On trouverait m~me des textes,
oh les deux formules se rencontrent simultanément : celui-ci,
par exemple, de Guerric, disciple de S. Bernard : « Fiducialiter
« axe tanquam regina, mater Regis et sponsa » (4) ; ou cet
autre de S. Bernardin de Sienne : « Adstat... pro nobis supplez
« a dextria Filii vera Regina, quia summi Regis mater per

(1) L. . n. 1623. En parlant de « g/m~ation », ~b(m me rëf(~re au texte


de S. Pierre Chry~lo~ue : 0n¢J~ hase/ et votre'/ Dominam tpza sui g¢rminis
feeft d fmpetrgvft m~etorff¢~ ) PL 52, 579 C.
( 2 ) D e / m ~ d t b n s B . i f . V. , 1 . V I , e . 1 3 , ( I m r m i ~ e s u v r e s d e S . A l b e r t l e
Grand, éd. ~ t ~, p. 354.
(3) La vfe et le# i~denrs de la T~e~e VIe~~ Mm~le, M~re dt Dieu,
eh. VIl, Paris 1635, L ~ p. 190 et 191.
( 4 ) S e r r a . I I I i n A s # . I ~ L 1 8 5 , 1 9 5 B . - - C f . P # . A n f n s fi n ( = , ~ A u t p e r t ) , s t r m o
2 0 8 , n . 11 , P L 3 9 , 2 1 3 ~ . - - P $ o A n a e l m e , O r ¢ ~ / o ~ , P L 1 5 8 , 9 4 ~ A . - - A u g u s t i n
d'&ne~e, in Saint. Ang¢L, I. III, q. 5 (dans Blbltotheca Vfr~Fln¢di~, de PLerre de
A J v a e t A s t o r l ~ , t . I I I , p . 3 2 1 ) . - - B e r n a r d i n d e B u s t l , M o . r t a l e , # e r r e . 111 , d e
~ m / m ~ / o n e M d w / ~ . - - P e l b a ~ d e Te m ~ v a r, S t e l l m ' i n m o e r o n ~ ~ l o r i o ~ i s z i m o e
Vf~~nI#, l. X, p. Il, s. I, V¢nise 1584, fol. 1@9.
socih~rk t~~Nç~SE D'~TUDES MAR~LRS

« generosam concep#ionem, quia summi Regis filia, per gra-


« tiosam adoptionem, quia summi Regis sponsa, per gloriosam
« Assumptionem » (1).
Ceci concédé, il faut bien reconnattre que les faveurs de
l'enseignement traditionnel vont à la maternité de Marie : c'est
le motif constamment mis en avant, et, peut-on dire, toujours
présupposé, même si l'on met l'accent sur le concept
d'épouse (2). D'autre part, de ce point de vue, l'unit~ de la
doctrine mariale apparait mieux, car tout doit se rattacher à
la divine maternité. Enfin, rien ne montre PlUS parfaitement le
r61e de ta Vierge vis-à-vis de la Royauté de son Fils. Dans ces
conditions, pourquoi ne pas nous en tenir de préférence à cette
manière de voir ? D'autant plus que nous aurons tout à l'heure
d'autres services à demander au titre de Sponsa, ou tout au
moins à l'idée d'association qu'il implique (3).

B . ~ L E P O U V O I R R O YA L

La royauté de Marie ne se réduit pas à un simple titre hono-


rifique, à une pure dénomination si légitime qu'elle soit. Elle
comporte, nous l'avons vu, un véritable pouvoir royal, encore
qu'il faille l'envisager secundum sexum femineum. Comment
le rattacher à son tour à la maternité divine ?

Modes courants d'argumentation

Sur ce point, nos auteurs sont beaucoup plus prolixea, et


cette abondance nous invite à la circonspection. Il n'est même
pas facile dès l'abord de se retrouver parmi tant de preuves
apportées. Tout compte fait, elles semblent bien se ramener
à trois chefs principaux : droit naturel de la Mère sur les biens
de son fils, autorité maternelle sur le fils lui-même, ou simple
gratitude de la part de celui-ci.

(1) Serrer Vl, de A~nn. a. 3, c. 3. -- Op. otan. Lyon 1650, t. IV, p. 101. N
Cf. Bell,rmî~, /~/~s¢J. X/.JF, 11 (éd. VlTès, L X, ~. 297).
(2) V. g. &elred de Riëvaux (t 1166) : Memus etiam 1Iii ser~itium, qultt
domlnu nostra est. Sponsa enim Dominf nostrt, domina nostra est ; sports«
r¢~ls nostrt, r~ln« x~ostra ~. PL 195, 3~ et 3~~1~.
(3) & dire viral, ce ne ~ralt peut-~a~ pas nuire beaucoup k la ctart~
14[~s, que de r/~el'ver k l'E~lise, ou n~me k l'kme fidèle, le titre de 8pezta
CJ~'fML Une conception plus adëquate de la maternitë rép~',erait avantageusem¢~
domnmges, st ta~ est qu'il en fQt de bien Sé~ietIK.
MARIE, RE1[N]~ DU MONDE

Le premier argument, -- si argument il y a -- se trouve


déjà dans un texte de S. Jean Damascène (1) dont j'emprunte
a u P. P o i r é u n e t r a d u c t i o n s a v o u r e u s e : « I l é t a i t n é c e s s a i r e
que fa Mère de Dieu posséddt tout ce qui est du domaine de
son Fils, et qu'elle fût reconnue et adorée comme Reine de
« toutes les choses créées ; car jaçoit que, selon le cours
ordinaire, l'héritage passe plutbt des pères et des mères à
leurs enfants, qu'au contraire, ici néanmoins i.1 faut que je
me serve du mot d'un docte écrivain, et que je dise que les
fontaines vont contre-mont et retournent à leur source,
« d'autant que l'héritage a passé du fils à la mère, lorsqu'il lui
a assujetti toutes les choses créées » (2).

E n d ' a u t r e s t e r m e s , t o u t c e q u i e s t a u fi l s r e v i e n t d e d r o i t
à sa mère (3). Tel est le principe que sous diverses formes, à
g r a n d r e n f o r t d e t e x t e s j u r i d i q u e s , F e r d i n a n d d e S a l a z a r,
Barthélemy de los Rios, Christophe de Vega, Sadlmayr et beau-
coup d'autres, même le P. Hugon et le Card. Lépieier, essayent
d e n o u s i n c u l q u e r. O n i n v o q u e j e n e s a i s q u e l l e i d e n t i t é
m o r a l e e t j u r i d i q u e e n t r e l e fi l s e t s e s p a r e n t s , c a r, a u d i r e
d ' A r i s t o t e , p a r e n t e s e t fi l i i n o n c e n s e n f u r a l i q u i d d i v e r s u m » ,
e t l e fi l s e s t r e g a r d ë u t p a r s a l i q u a p a r e n t f s v e l i d e m p r o r s u s
cum illo ». On fait appel aux maximes du droit civil;
Princeps... eadem Au9ust~ privilegia tribuit quze et ipse
h«bet », ou encore : Quidquid acquirit [ïlius patte carens,
acqufrit marri ». On nous parle d'héritage naturel : Si elle
est re&re, elle est héritière naturelle de tout le patrimoine du
F i l s : s i m a t e r e t h o e r e s » . B r e f , c ' e s t u n d é b o r d e m e n t d u fl o t
juridique qui risque fort d'emporter tout, sauf la conviction !
L'autorité légitime des parents sur leurs enfants vient
a p p o r t e r u n e n o u v e l l e p r e u v e o u u n c o n fl r m a t u r. C ' e s t e n c o r e
A r i s t o t e q u i l i d i t : S o c i o t a s p a r t i s a d fi l i o s r e g n i p r e s e
[ert e~î«iem ». Sur quoi Ferdinand de Salazar raisonne ainsi :
l t a q u e p a r t i s i m p a r i u m i n fi l i o s r e g i u m q u o d a m m o d o e s s e
d i c i t e t p a t r e m i n fi l i o s r e g n a r e , e r g o s i fi l i u s t e x c r e a t u r,

(1) gom. ! fn Dormir. B. M. PG 06, 741 BC. ~ Cf. Chevsiler, op. cit. p. 20/.
(2) La triple om'oAne dz fa Mëre de Dieu, t. II, ch. XII, 8 IU, 3, éd. de
84gesmes, Paris 1858, L n, p. 103.
(3) Ideo unlo hypo#t«tiea radical domtnfum in omnes cr~.atur«s, qui«
M u l t C h r i J t o fl l t a t l o n e m n a t u r a l e m , e t i n d ¢ ] u s h o e r e d i t m ~ l u m o m n l u m b e n o r n m
l~l ad ¢~tra : erlro etiam maternitaz Dei erft radix moralis exigttlva e~nsdem
d m m i n l , q u i a p a r l t # r t r i b u i t c o n n a t u r a l e J u s a d b e a u F i U i » . S e ] d m e y r, l . .
!, lf~48. -- C cependJn4 n. 1553, eongruftaa morali, 7~.
0 0 SOCIE~]~ FRANÇAISE D'E~UDES MAPHALES

« pater urique Rez Regis erit, arque adeo potiori iure Rex » (1).
Evidemment, on ne manque pas d'invoquer ici le précepte du
Décalogue, et surtout l'erat subditus illis de l'Evangile, avec les
commentaires de S. Bernard ou de S. Bernardin de Sienne.
C'est pourquoi la question de la patria potestas de Marie sur le
Christ est annexée par Vega, Ripalda et Sedlmayr, à celle de
sa Royauté. Pourtant, malgré la fortune d'une expression du
Pseudo-Pierre Damien (---- Nicolas de Clairvaux) : « Accedis...
~on solum rogans, sed imperans, domina, non ancilla » (2),
nous ne concevons pas bien cette autorité maternelle, en dehors
des strictes limites et des modalités que la Révélation lui
assigne (3).
Dernier refuge : une dette de reconnaissance du Fils vis-
à-vis de sa mère et un juste retour des choses. L'idée n'en
paraît pas déplaire au P. Merkelbach, qui écrit : « A beata
« Virgine enim habuit Christus quod, ut homo, dominium
« supra otaries res et bona possideret, cure consensus Matris
« fuerit conditio et causa licarnationis. Ratione ergo gratitu-
« dinis fllialis connaturale est Matrem participare supremum
« dominium Filii, qui inde a conceptione et natiuitate est
« omnium Dominus sicut ipsa vere est Mater supremi Regis
« ac genitrix » (4).
De ce rapide examen, il résulte qu'en dépit d'une incontes-
table bonne volonté, les auteurs éprouvent un réel embarras.
On a bien vu qu'il fallait rattacher la Royauté de Marie à sa
maternité divine, -- et c'est toujours là d'ailleurs qu'il faut
logiquement en venir, -- mais on n'a pas suffisamment saisi

(1) Op. cit., col. 593. -- Cf. Georges <le Bhodes, Dtsputationes theologtcoe
s e h o l a s t i c e e , t . V I I I , s e e t . H I , S V I I I , Ly o n 1 6 7 1 , t . I I , p . 2 1 0 . ~ C h . d e Ve p ,
op. dt. n. 1643, p. 349.
( 2 ) S e r r a . 4 ~ i n N a t . B . M . P L 1 4 4 7 4 0 B . e r D I L l e n s c h n e t d e r, o p . c i t . L I . ,
p.m.
(3) De Gruyter a fait de cet argument et du précêdent une critique qui
dispose d'insister. Op. cit. p. 141-144. ~ Cf. Seheeben, 11 ., n. 1023 : « On aurait
d é J k t o ~ t d ' e n v i s a g e r c o m m e t i t r e p r i n c i p a l ( e u x d r o i t s d e D o m l n a ) l ' i n fl u e n c e
ma~rnelle sur Se Christ, en tant qu'homme, mais bien plus tort encore d'en
déduire un dominium en vertu duquel Marie serait domina Chrfsli, comme tl
pourrait appara1~re dans oertaines exagërations trop zël/~.s du dorninium Marfse.
Pas davantage, l'atrto~ité maternelle sur ]'humanitë du Christ ne se laisse
earaetériser par un domininm in Chrfsturn, car 4'auto~vité maternelle, m~me k
l'égard de sJn~ples hommes, n'est pas un véritable dominium ~.
( 4 ) ( ] n i d s e n z e r i t $ . T h o m o ~ d e m e d i a t i o n e B . M . V. ? R o m e 1 9 2 4 , p . 1 5
( e x t r s i h s d e s X e n i u T h o m i M i e a , t . n , ~ . 5 0 2 - 5 3 0 ) . - - C f . S e d l m a y r, I . c . ~ . 1 5 4 9 ,
col. lSB& -- ~ n'aecorde k ce titns qu'une valeur secondQire, I. c. n. 1~3
(texte clt6 plus ~oln p. 05).
MARIE, REINE DU MONDE

la nature de ce lien. A travers les méandres de la logique et du


droit, la pensée et l'expression se cherchent l'une et l'autre.
Ne serait-ce pas que l'on veut trop prouver par voie de déduc-
tion rigoureuse, et que l'on n'a pas encore bien mis au point
la notion exacte de Royauté qui convient à Marie.
Il s'en faut toutefois que tout soit à rejeter en bloc. Sous
des termes et tours de phrases peu heureux, se cache un fond
de vérité obscurément entrevu, que les travaux post~rieurs
pourront mettre davantage en lumière. N'est-il pas intéressant
de retrouver dans le premier argument l'idée sous-jacente
d'une communication, d'une intimité, entre le Fils et la Mère,
en vertu de laquelle les biens de l'un sont, en [ait, sinon en
droit, les biens de l'autre ? De m~me, l'autorité maternelle qui
fut un temps celle de Marie, comme aussi la révérence et la
g r a t i t u d e , o u m i e u x e n c o r e l ' a m o u r fi l i a l q u e l e C h r i s t l u i a
voué à jamais, ne laissent-ils pas entendre que la Mère du Roi
des Bois est dotée, de par la oolonté divine, d'un r61e absolu-
ment singulier et d'une puissance d'intercession sans égale ?
Essayons de mettre les choses au point.

Essai de mise au point

Nous avons reconnu en Marie, non seulement un prestige


personnel incomparable, que son titre de Reine et ses qualités
propres pourraient suffire à lui assurer, mais encore et surtout
un pouvoir d'intercession efficace, nécessaire, universel. C'est
le point le plus important. Reconnaissons sans ambages que le
r a i s o n n e m e n t p u r e t s i m p l e e s t i m p u i s s a n t à l ' é t a b l i r. N o u s
prouverons bien un crédit très spécial auprès du Christ-Roi,
en vertu duquel nous serons déjà fon~lés à parler d'une certaine
Royauté, mais, ne l'oublions pas, ce dont se contentent les
reines de la terre est loin d'épuiser en sa totalité le prestigieux
pouvoir de la Reine du monde. Une lacune est à combler (1).
L a Tr a d i t i o n , o u , p o u r m i e u x d i r e , l ' i d é e d e l a Tr a d i t i o n s ' e s t
faite de la divine maternité, nous apportera le complément de
preuve qui nous manque.

(1) C'est peut-6tre parce qu'Ils le sentent que les auteurl ~Joutent parfois aux
a ~ ~ o e l u i d ' u n e d o n a t i o n g r a t u i t e , v, g . J u s t l n d e M l ¢ c h o w ( s u p r a p . 5 2 ) ,
Cmorges de Rhodes, l. c. -- Dans 4 m4~me sens Reichenber~er écrit : Addi
p#test et terti~ Marl~i in omnes r~~ e.regtaJ lml~rti t|taln~ : vo~tmtaria
acilleet et liberalis in idem eum Filio ~uo Regnnm et Imperium cooptatio et
« assumpt/o ; ri cuju# idem D«i et Mcwi~ Filfus, eut Pater in marins omala
tradidlt, Genitri¢l sUoe eunctas res ¢reata$ #ubdidit ». Martani cultus oindieioe,
XXVH, Pxw~xe, 1677, p. 1-~7.
SOC/ÉTÉ FRANÇAISE D~~UDE8 MARIALES

D'après la doctrine des siècles pass6s, ou tout au moins des


siècles post~rieurs à l'~ge patristique (1), la Mère du Roi des
Rois ne reste pas pour lui une étrangère et son rble n'est pas
achevé dès que son divin Fils est humainement capable de se
suffire à lui-mëme. AssOciée, comme M~re, à son entrée en ce
monde, elle lui reste unie, comme Mère, toute sa vie, sur terre
et au ciel, et dans toute son activité rédemptrice', méme dans
l'exercice effectif de s~a Royauté, arctissimo et indissolubiU
vinculo cure ca conjuncta (2). Le concept naturel de maternité,
pas plus d'ailleurs que celui d'épouse, n'implique de soi une
aussi étroite et universelle union. Tout dépend ici des inson-
dables richesses de la sagesse et de l'amour divin, et par le
fait échappe aux déductions de notre pauvre logique.
Pour nous limiter au point qui nous occupe présentement,
établissons au moins brièvement comment la Tradition a vu
la Reine du monde entièrement associée comme Mère au
gouvernement royal du Christ-Roi. Bien entendu, nous ne
chercherons pas, surtout au début, une formule parfaite:
l'idée, mëme maladroitement exprimée ou simplement sous-
jacente, importe plus que les mots, et il faut laisser au donné
révélé le temps normal d'élaboration.
Certaines tournures de phrases sont assez approchantes,
et veulent montrer à quel titre, au jour principalement de la
glorieuse Assomption, Notre Seigneur octroie à Marie le
royaume universel. « Vous m'avez communiqué ce qui était
« à vous, fait dire au Christ S. Jean Damascène, venez mainte-
« riant participer à ce qui m'appartient. Venez, Mère, auprès
« de votre Fils. Venez, régnez avec celui qui, né de vous, fut
« pauvre avec vous » (S). De m~me Ambrotse Autpert
(t 781) : « Tlbi thronus regius ab An~jelis coliocatur in aula
« oeterni Regis, teque tpse Irez regum, ut matrem veram et
« decoram sponsam proe omnibus diltgens amoris amplexu
« sibi assoctat. Nec mirum si dignetur tibi adgaudere Deus
« regnans in coeli, quam tu parvulum ex te homtnem natum
« tartes osculata es in terris » (4).

(1) Cf. B~ll~ttn 10N, p. 17.


(2) ltuile lneffeblUe.
( 8 ) t l o m . I 11 i n D ~ ~ ~ , n i t . B . I L / T ' . ] P O 9 6 , 7 5 0 B . { o f . e o l . 7 4 t 8 C ) . ~ C f .
Modeste de J6rtw~ltm, (~ 684), oeneemlum in do~nit. Delà» PG 86, 3"28~ C.
-- ~lt¢étas David. In di~n ~~falem ~S. De~ G«tffrfM,, PG 105, 28 B.
(4) ~t ,tppeadice de 8. Augtuttin, serm. 2~8, I~t ,Iss. s. 11 PG 30 2fS& ~etez
!~ Ttrtml~ desm6e pro" le Ps. AJeuln t « lmperltli ampl~ »tb! aS,oe/«t 1.
PL 1Ol, ~~507 C.
MARIE, REINE DU MONDE 63

Nous retrouverions ici encore 1' « excellent auteur ano-


nyme déjà signalé plus haut : Sed dignum et omnibus modis
« e o n u e n i e n s e r a t , u t o m n i a s u b fi c e r e n t u r s u b p e d i b u s e j u s ,
« qu~e omnium genuerat creatorem. Dignus erat ut Domina
« esset angelorum, que digna fuerat esse mater Domini ange-
« Iorum... Ecce enim ezaltata est super choros angeloa'um
« usque ad dexteram filii, et facta est potens materfamilias in
un versa domo Domini, et regina coelorum appellata est » (1).
C'est la communauté parfaite, comme au sein de la famille ;
Marie, la Mère veille à tout dans la maison du Seigneur : « lpsa
« sol« dicitur mater Dei, précise Pierre le Vénér~ble. Unde
« j u s t u m e r a t u t . . . s i c u t C h r i s t u s u n i c u s fi l i u s d o m i n a n s i n
« d o m o ( H e b r. I I I , 6 ) , s i c i p s a e j u s m a t e r v i r t u t i b u s e t g l o r i a
loti familioe post ipsum in eadem prineiparetur domo » (2).
I;I ne faut pas omettre non plus deux textes devenus clas-
siques en la matière et souvent invoqués par les auteurs. Le
p r e m i e r e s t d e G u e r r i c , a b b é d ' I g n y ( t v e r s 11 5 7 ) : P e r g e
M a r i a , p e r g e s e c u r a i n b o n i s F i l i i t u t ; fi d u c i a l i t e r a g e t a n -
« quam regina, mater Regis et sponsa'. Requiem quoerebas, sed
« amplioris gloriae est, quod tibi debetur, regnum et potestas
« Indivisum habere tecum eupit imperium, chi tecum in carne
una, et uno spiritu indivisum fuit pietatis et unitatis myste-
« rium : dura scilicet salvo honore natures, geminato munere
gratioe, juncta est mater in matrimonium » (3). On peut
d i f fi c i l e m e n t m a r q u e r e n t e r m e s p l u s f o r t s l a c o n t i n u i t é e t
l ' ~ t e n d u e d e l ' a s s o c i a t i o n e n t r e l a m è r e e t l e fi l s , p o s s é d a n t
dans l'indivis » tout le royaume, et le gouvernant ensemble,
chacun, bien entendu, selon son mode d'activité particulier.
L'autre témoignage, d'Arnaud de Chartres, Abbé de Bon-
n e v a l ( t a p r è s 11 5 6 ) , e s t b i e n v o i s i n d e p e n s é e e t d ' e x p r e s -
sion (4) : Maria lingua Syriaca domina dicitur : Christus

( 1 ) P L 9 5 , 1 4 9 f C e t 1 ~ A . ~ o r. p . 4 3 , n . 4 .
(2) ,Ep4MoloJ'Dm, I. III, ep. "v~ll, PL 189, 286 D.
C'est tout k /~ait ~~s les idées de $~he~~~. Le droH de Marie k cet 6gard
n'est INm A est/m~ slmpleme~ d'apr~ la partlctlmtton ~Pune reine oz~~lnah, e
« su gouvermmen~ du rot, mais encore ~ surlouL d'wp~s la partletlmtion de I*
mère de famllJe aux droits domestiques du pë¢e de famille ». L. e. n. ~23,

( I ) I~L
h t l159,
i n . i l570-575.
i ~ . ~ P L~ 1Ah~mrd,
5 5 , ~ 6 HWmn#
~ . ~ C f .: Mffttt
~ d m e ad
r, D e t ~ c e l lPL
e ~ t178,
i e B 1~16.
. M., .
VII-LT, Vi~inem,
A I J a t l n d b l b u i s , I n C i m t . O a n t . P L 11 0 , 5 5 C - S 6 A . ~ R t t ~ p e r t d e D e u t z , i n
Cdmt., PL 1e8, ~1 d. ~ Pierre de Blots, 8~. 84, |n Ass. I~L 20"/, 663 CD.
(4) ~U~aud est ei¢teveien comme G~ et con eontempe~tn. Celu peut
indiquer un enseignement pult6 k la ~e sortes, sans doute ehu S. Bernard.
SOCIÉTÉ FRANÇAISE D']~TUDES MARIALES

« Dominus, Maria Domina... Constitata quippe est super


« omnem creaturam, et quicumque Jesu curvat genu, matri
« quoque pronus supplicat et accliuis... Nec a dominatione vel
« potentia fllii mater potest esse sejuncta. Una est Marioe et
« Christi caro, anus spiritus, una charitas, et ex quo dictum
« est ei : VOmNUS TECUM, inseparabiliter perseveravit promis-
« sum et donum. Unitas divisionem non recipit, nec secatur
« in partes (1), et si ex duobus factura sit unum, illud tameu
« ultra scindi non potest, et filii gloriam cure marre non tare
« communem judico quam eamdem » (2). La Mère et le fils
sont ensemble toujours et en tout, même dans l'exercice du
pouvoir de domination, Dominus tecum.
Ceci nous invite à relire maints commentaires, trop négligés,
des paroles angéliques. Celui de S. Albert-le-Grand est bien
connu : « Inter Deum et beatissimoEm Virginem fuit associatio
« in substantiali, scilicet humanitate, qua fuit verus homo de
homine oero. Fuit etiam in quali, scilicet similitudo volun-
« tatis unius in utroque. Fuit etiam in quanto, scilicet oequalis
« potentia in genere : ipsa enim ejusdem regni regina est,
« au jus ipse est rex » (3). Il faut en rapprocher celui de Conrad
de Saxe : « Iste uniuersalis omnium Dominus sic cum Maria
« fuit, quod etiam ipsam unipersalem omnium dominam fecit :
« dominam, inquam, coeli, et dominam mundi » (4), ou même
cette paraphrase, légèrement audacieuse, de Barthélemy de los
Rios : « Dominus tecum, inquit, formalissime loquitur. Domi-

Le grand doctettr souligne surtout l~Lutimité entre la Mëre et le Fils, en vertu


de quoi ~I y a comme réciprocité dans la communication de la ,royaut6 : ( Ouam
f a m t l i a r l $ e t f a c t a e ~ , D o r n i n a l O u a m p r o , t r o u , i m o q u a m i n t i m a fl e r i
merul~ti... Vestt$ eum substantta earnts, et vestlt file te gloria suoe majestatts..
Dentque et eoron«vit eum (cf. supra p. 56), et vicissim ab eo meruit coronari.
E n g r e d t r n l n t fl l t o e S i o n , e t v i d e t e R e g e m S « l o m o n e m t n d t a d e m a t e q u o c o r o -
~t nautt eum mater sua (cant. III, 11). Verurn hoe allas. Interim eane tngrediminl
m e n t s , e t v t d e t e r e g t n a m i n d i a d e m a t e , q u o e o r o n a v t t e a m fl l t u s s u u s » .
In Oct. Ass. n. 6, PL 1830 432 CD.
(1) Arnaud eut sans doute peu goOté cer~lnes td~s, ou tout su moins
certaines expresstonz, eur la division du royaume du Christ en deux parties :
royaume de ta mimgrico~de, rëaervë k Marie ,et royaume <le la justice. ~ En
les interprétant "aainement, on y retrouve oependant la m4~me communication (le
p o u v o i r. C f . Te r r i e n , L a M ë r e d e s h o m m e s , L V i l , c . I , t . I , p . 5 1 9 - 5 3 1 .
(2) Lfbellu~ de Laztdtbus B. M. V. ~ PL 189, 17Jf9 AB.
(8) Mariate, q. 165, Utrum bene ponatur in satutwttone Ar~eltca : Dominus
teeam, (L e. T). 24 et 248). ~ Cf. M. A~ G~nevois, Bible mariale et mariotofle de
8. Atbert le Grand, Saint MaxtrniZb I934, p. ~[54 et 155.
( 4 ) S p e c u l u m B . M . V. , l e e t . V I I I , ( l . e . p . 2 5 6 ) . ~ C f , S . B o c a v. , i n A n a .
serra. V, ~1. Quaraeehi, 1:. IX, p. 679. -- Pierre de la Pelud, Serra. 71, in Ann. I1.
8, Bern. de Sienne, Hom. ;'1 de Ann. a. 1, e. $ (t. e. p. 100). -- Laurent de
In 8¢]ut. Anfei. strm, VIl (Maria/e, p. 209).
MAR'IE, REINE DU MONDE

nus, QUA D O M I N U S , t e c u m est ; hoc est, omnem rationem


« dominii, cujus pura cre«tura est capax, tibi communicat,
« uc ita absolutissimo titulo te Mariam, hoc est Dominam
omnium te constituit » (1).
En résumé, de par sa maternité divine la Vierge Marie
mérite en toute propriété de langage le nom de Reine, et de
Reine du monde. En vertu de la même maternité, il lui revient
connaturellement un certain pouvoir royal, analogue à celui
des reines de la terre, pouvoir fait à la fois d'une influence
immédiate sur les sujets et d'un spécial crédit auprès du Roi.
Nous n'en pouvons déduire rien de plus avec certitude. En fait,
cependant, -- et ceci nous le savons par les sources de la
Révélation, -- Dieu a voulu daVantage. Il a voulu, dans sa
sagesse et sa miséricorde, que la Mère du Christ-Roi lui fiat
associée en tout, participant en tant que telle, -- c'est-à-<iire au
titre de Mère et selon le mode d'activité qui lui est propre,
à l'exercice complet et effectif de son universelle Royauté. La
Mère du Roi des Bois régnera pleinement avec lui ; comme une
mère de famille vigilante, elle s'occupera de toutes choses dans
la maison du Seigneur. C'est, pourrait-on dire, dans la « logique
divine » de la maternité de Marie, si ce n'est pas dans la nôtre,
et nous percevons facilement l'harmonie et la continuité du
plan divin.
De préférence à beaucoup d'autres, nous retiendrons l'argu-
mentation de Scheben, qui insiste plutôt cependant sur |e
concept d'épouse : « Le titre aux droits que comporte le carae-
« tère de DOmNA est en premier lieu la communauté person-
« nelle parfaite (vollendete persSnliche Gemeinschaft) de
« Marie avec le Fils de Dieu, communauté impliquée dans la
« dioina sponsalitas (g/Sttlichen Brautschaft) de Marie et l'in-
c fusion du Verbe au moment de sa conception, -- par quoi
« l'infusion (lu Verbe dans le sein de la Vierge peut être consi-
« dérée à la fois comme un sacre et une génération qui font
« d'elle une souveraine (2). C'est seulement en vertu de ce titre
« que vient aussi en considération, comme deuxième titre, la
« communication réciproque qui répond à la maternelle solli-
« citude dont fut entourée l'humanité du Christ, ou bien le
respect et l'affection rendus par le fils à sa mère... Par
« rapport au Christ, on peut seulement parler d'une apparte-

(1) De Hfzraehta M~r4mta, I. I e. N'I, Anvers 1641, p. 15.


(2) Ci. supra p. 56.
soc1Ë~ r~ç~sE v'~'ruDEs MARL~LES

« mince de lui-m6me à Marie, à raison de laquelle la partici-


« pation à ses biens et le dominium sur ses sujets est juste-
« me=t envisagée comme un condominium » (1).
En somme Seheeben rattache justement ce parfait condo-
m/n/um b ce qu'on est convenu d'appeler le principium
oneort//, connu équivalemment de toute la Tradition (2). La
méthode est excellente : c'était déjà celle de Suarez : « Major
« patet en 8anctis Patribus, qui primo [undant hoc dominium
« in conjonctione et af/ïnitate inter Deum et Vir9tnem ». Il n'a
point uit seulement : « in materaitate I

2" MARIE, REINE PAR LA COOPÉRATION


A LA RÉDEMPTION

Les données de l'enseignement traditionnel, comme le


parallélisme entre le mystère de Marie et le mystère du Christ,
nous ont amenés à retenir an autre titre de la Très Sainte
Vierge à la l~oyauté, quia ad nostrum redemptionem singu-
« lari moto cooperata est ». Suarez, qui s'exprime ainsi, s'en
explique aussitôt : « Sicut enîm Chr~tu.~, eo quod nos redunit,
« speciali tilulo dominus est ac tex noster, ira et B. Virgo,
« propret singularem modum quo ad nostram redemptionem
« concurrit, et substantiam suam ministrando, et illum pro
nobîs uotunlarie olÎerendo, nostramque salutem singulariter
« desiderando, petendo, procurando » (3).
La marche gënèrale de l'argument est simple. Du fait de
son sacrifice rédempteur, le Christ est Roi par droit de
conquête, iure non tantum natioo, sed etiam quoesito, scilicet
redemptioniz : il nous arrache à l'empire de Satan, et nous
dëlivre pretio soluto de la servitude du péehë. Dans la mesure
où Marie. sa Mère, eoopère à cette uvre, elle aequiert un titre
spëeial et nouveau h la Royauté : elle est Reine, non plus
seulement par grâce, mais par un certain droit de eonquëte.
Cela ne va pas cependant sans quelque diffieulté, et il nous
îau't préciser, autant que possible, la valeur et la portëe de
ce titre.

(1) L. . ~. t61B. ç)t~ ~ l~slste lti l~lutSt mrr Se eencept d't~ouse


q u e s u r c e l u i d e m ë r e I m p o r t e p e u , p u i s q u e , s e l o n s a t h é o r f e g é n é r a l e , 11 y a
.lî deu aspects absolument indlssolubles, Intëgrant tme véall;é tmîq~ »,
Cf. Bulletin 1036, p. 24.
(2) Cf, BIU.zemieax, op. oit. lb. 212-~.
(3) L. ¢. p. 827.
MARI~, BXlNg DU HONDIg 0 7

La valeur de ce titre

Tout d'abord, remarquons qu'il ne faut pas faire entrer en


ligne de compte le r61e actuel de Marie dans l'extension du
royaume de Dieu. Lorsque Suarez nous dit que la Vierge
concourt à notre rédemption, «no&train «durera sinçulariter
« desiderando, pe~endo, procurando », il exprime sans doute
une vérité incontestable, mais qui n'a rien à voir avec la
question présente. Il s'agit lb de l'exercice de la Royauté, et non
de son acquisition. C'est plutbt, si l'on veut, une prise de
possession progressive du Royaume déjà conquis aux dépens
de Safari, mais non la conquête proprement dite, qui seule
nous importe ici (1). Restent donc les deux premiers éléments
signalés : coopération éloignée et coopération prochaine à la
Rédemption : « ad noztram redemptionem concurrit et subi-
e tantiam suam ministrando, et illum pro nobis uoluntarie
« o~erendo ».
Certains paraissent se contenter d'une coopération éloignée.
Ainsi Sedlmayr : « Est intuper titulus Ule dominii non minirni
« momenti, quia acquiritur per emptionem soluto pretio supe~
« abulutanti. Chriztus enim lmmanum genus... Et beata
« Virgo pretitun boc subminiztrauit, nempe carnem et $angui-
« hem, quem Filias Patri in pretium Redemptionis obtulit,
ideo titnlo, et jure bu jus emptionis beata Virgo Domina ezt
generis humaRi » (2). C'est en somme l'application très pous-
sée du principe : causa cauze e~t cauta cauzati, mais, à dire
vrai, on n'en voit pas bien en l'oceurence la parfaite légitimité.
On n'a point coutume de dire clans le langage courant, que la
Mère d'un prince victorieux a conquis elle-même un royaume,
si son r61e ~ borne à sa maternité. Le titre de Marie à la
royaut(~ serait en conséque-c¢ bien minime, s'il se limitait b
ce concours très éloigné et imiirect.
Il faut donc s'arrèter à l'autre affirmation de Suarez, ex/
redemptionem noMram concurrit.., illum pro nobis voluntarie
offerendo ». Et nous voilà plongés ~ nouveau dans un des

(1) Parfa/s eepndant S. &lb*rt Je 6tend JusU~ de es potin de vue le titre


de Notre Dame ) : La seconde raison, c°~t qu'elle no~ e~da44e eontln~t
4 k son servlce'pa~ les blenf~ts et les rk~besm de Je. Ip'ioo ~. De na/u.t~ boni,
Trad. J. Aa~elet-Hu~t~el~, dans Vie ~çptrtt., t. XL~.V, p. 69.
(2) Op. cit. "- 79~ (v~lr cependant n. 1880). ~ Cf. Ja«ttt,~ de V«n~glv~,
~ r m o ~ s a ~ " t i , To t ~ e u s ~ 1 8 ~ 6 , L I ~ p . | 1 ~ ~ B e r n a r d î n d e B u s t / , M a r i a / e ,
Pars II, a~rm. H, n. B. ~ J¢mn de Carthagëne, B#mtliar ~tkol£cm de ~zris ~0
Delp~oe .M~'/B, l. Il, hom, 8, Rome 1611, p. 160 et 161,
68 socI~ FFJLNÇXISE V'X~rUDES ~XLES

problèmes les plus actuels de la théologie mariale. Après


avoir rencontré celui de la dispensation universelle des grâces,
nous rejoignons celui du coin~rite médiateur. Nous n'avons
pas à le reprendre, les rapports de l'an dernier nous ayant
suffisamment montré la légitimité et le sens des paroles de
Pie X: « Eu tamen, quoniam universis sanctitate prestat
( conjunctioneque cure Christo, atque a Christo ascita in
« humanoe salutis opis, de eongruo, it aiant, promeret nobis
« qnse Christus de eondigno, promeruit » (1). C'est sur ces
bases qu'il faut raisonner.
On aura remarqué que le Pape ajoute aussitôt : « estqne
« princeps largiendarum gratiarum ministra. Sedet llle ad
( dexteram majestatis in excelsis (Hebr. I, 3); Maria oero
« adstat regina a dextris eius ». N'est-ce pas non seulement
nous montrer que cette Royauté de Marie s'exerce principale-
ment par son rôle dans la dispensation universelle des grâces,
mais encore nous inviter à rattacher son titre de Reine au
mérite acquis de congruo « dans la communion de douleurs
et de volonté » (2) avec le Christ-Roi ? Ici le parallélisme entre
la Mère et le Fils semble jouer parfaitement, « quoniam unioer-
« sis sanctitate proestat eonjunctioneque cum Christo ».
Pouvons-nous sans illogisme reconnaître au Christ un titre
spécial et nouveau à la Royauté, du fait de son saerifiee
rédempteur, et ne point concéder à sa Mère, -- à son associée
dans cette uvre capitale, comme dans tout le reste, -- un
titre, non point certes identique, mais du moins analogue ? Le
Christ est Roi par la conquëte, Marie sera Reine elle aussi
par la conquête, à proportion de son rôle effectif et de son
mérite (3). Sans doute cette intervention n'était point néces-
saire, et S. Ambroise le rappelle un peu rudement (4), mais
il reste cependant que Marie était là en fait ( consors passionis,

(1) Ene. Ad die.m (llum, Actes, &t. B. P. t. I, p. 80. ~ Voir les rapports des
PP. Dlllenschnelder et Phtllpon dans Bulletin 1986, p. 127-191 et 205-245.
(2) Pie X, l. e., p. 78 Ez hv~ aulem Mariam inter et Chrlstum commu-
atone doloram et volnntatis promeruit tila t~t retmratrix perditi orbis
(dlKal~hne, fleret o.tque ideo univer~orum munernm diJpensatrl= quoe nobis
Je~us n¢¢~ et sO~tgulne eomparavit ).
(3) 8i¢uti entra Chrt~tma... «et Jpeeiali# aoster R~ oc Dominus titulo
Rcd¢mptlonis ; ira aoquum est sentire Deiparo.m quoqu¢ qne hutc redemptioni..
specialtter eooperata fuit, in Rie/ni a¢ Domtnationi# i~tius ¢ommuntonem
fule¢e a l~'|lio ad#cltam et adlsetam ~. l~l~rger, Mariani cultuz slndtdoe,
mtfmad. XXVII, Pragtm 1677, p. 158.
(4) Rp. 63, n. II0, PL 16, I~I18 C. -- Cf. in Lac, I. X, n. 132, PI, 15, 11137 G.
MARIE, REINE DU MONDE 69

ad iu~rix redemptionis » (1), qu'elle n'était point seulement


spectatrice, mais actrice de ce grand drame. Autant qu'il était
en elle, autant que son rôle unique de Mère du Sauveur le lui
permettait, elle offrait, expiait et méritait (2), coopérant ainsi
à l'oeuvre de la rédemption, et partant, à la conquête du
royaume. C'en est assez pour lui reconnaître un nouveau
titre à la Royauté: « lpsa enim sola ministris fugientibus
« compassa fuit. Unde et sola regni consortium obfinuit, quoe
( laboris adjutrix fuit , (3).
Ce titre cependant n'est pas indépendant du précédent,
comme le voudrait faire entendre Barthélemy de los Rios,
lorsqu'il écrit : « Licet Beatoe Marioe Virginis mancipia non
« essemus quia ipsa est Mater Dei, essemus tamen quia nos
« soluto pretio coemit » (4). Une conquête, un rachat,
impliquent bien l'idée de propriété, d'appartenance, de
dominium, mais pas forcément celle de Royauté. « Omnis enim
regina est domina et non contra ), dit justement S. Albert-
le-Grand (5). Tout païen qui, par la guerre ou à prix d'argent,
se procurait des esclaves n'était pas roi pour autant. Les
choses changent, lorsque c'est un roi lui-même qui conduit la
conquête, délivre ou rachète des eaptifs dont il fera ses sujets.
Il les soumettra à son pouvoir juridictionnel, il les régira et
les orientera vers une fin commune. Il sera vraiment roi à un
nouveau titre et non plus seulement dominus.
C'est dans cette perspective qu'il convient de se placer ici.
En dehors m6me de leur commune conqu6te, Jésus et Marie

(1) ~ AJbe~ le Grand, Jtar/a/e, q. 29, § m (t. e. p. 62).


Sur la ¢oopér~tlon de Mmrle k la Passion d'après S. Albert, voir : M. M. Des-
marais, $. Albert le Grand, docteur de la mëdlatton martale, Psxis-O/tawa,
1935, p. e8-78.
(2) Cf. Benoit XV, Inter »odalicia : Ira cure Fllio p¢dlente et moriente passa
est et poene eommortna, sic materna in Filium jura pro homtnum salute
abdicavit plaeemdeeque Justitioe, quantum ad se pertinebat, lZilium lmmolcwit,
« rit diei mertto queat I~psam cure Chrtsto humanum genus redernisse ».
(3) S. A,Ibert le Grand, Mariale, soi. ad. q. 3ê-43, § II (1. e. p. 85). -- Cf.
autres textes supra p. 49.
(4) Op. vit. 1. I, c. 20, p. 55.
15) Muriale, q. 163, § m (L e. p. 240).
Svdlmayr sorës avoir eité le texte connu du Ps. Athanase e joute oe ommen-
taire qui sot)ligne bien la dtffëren¢e : Ubi dirtinguit inter regtnam cul proprium
est jus Jnrisdtcttonis, et inter dominant, eut proprtum est J~~s proprletat]s, et
« utramqae hot" beate oirgini a$#ignat ). L. c. n. 1565 (col, 1.~47).
Cependant le langage courant ne fait pas plus cette distinction lorsqu'H
s'agit de Mat/e, qu'i propos d'un roi ou d'une reine ordinaires. L'appeler Domina
équivaut pmUquenumt k reetmnattre sa Royauté. Domlna et ltegina sont deux
termes tndlfféremment employé.
SOCIÉTÉ FRA/qÇArSE D'ÉTUDES MARIALES

possèdent déjà la Royauté ; c'est, comme Roi et comme Reine,


qu'ils l'entreprennent ensemble et afin d'exercer sur tous le
même royal gouvernement. Un titre spécial et nouveau
s'ajoute au premier, mais en sa dépendance, et l'on peut parler
de Royauté de conquête. Tout se réfère dès lors pour Marie
à sa divine maternité, qui demeure la raison fondamentale
de toutes ses prérogatives, et les scrupules soulevés par
Ferdinand de Salazar se trouvent apaisés (1). Nous comprenons
mieux pourquoi Notre-Dame nous conquiert moins à son
propre service qu'au service du Christ-Roi. C'est en union
avec lui, et par lui, qu'elle réalise ce grand uvre, una cure
ilio, et par IHum (2). Rachetée la première et le plus parfaite-
ment, « sublimiori modo redempta », elle est toujours « ancilla
Domini », mais elle est aussi la Reine, Mère du Roi des Rois (3).
Associée, comme telle, à son divin Fils, elle poursuit avec lui
un même but, et coopère, -- dans la mesure de ses forces sans
doute, mais très réellement, -- à la conquëte du commun
royaume. Reine par la grâce insigne de sa maternité, elle l'est
ertcore par la conqugte, « coadjutrix et socia, particeps in regno,
quoe fuit particeps passionum pro genere humano » (4).
Réunissant tout ce que nous avons dit dans une vue
synthétique assez complète, Auguste Nieolas pouvait écrire :
« D'une manière générale, Marie est Reine, parce qu'elle est
« la Mère du Roi, la Fille du Roi, l'Epouse du Roi .... Et
« d'autant plus Reine, à tons ces titres que c'est au Fiat de sa

(I) Ferdinand de Salazar critique en effet ce ,point de vue : ~ ~ed quamvis


« hoee acate et zati$ ad rem di¢antur : non tamen satls evineunt Virgini secundum
propriam aceeptionem eonvenire jus regni et supremam polestatem in otaries
creatura~. Sieur ehlm ere~turoe meta7?horlce tantum OEpttvoe divu~tur :
ira etiam Virgo ill¢a metaphorice em~ di¢Itar arque ~de~ #et,~d1~rn eum
: on$1derationem, non sine meta~hara DomlnoE earumdem appellatur ».
Op, cit., col. 589.
Qu'il y ait une part de métaphore, c'est certain, mais elle existe tout autant
pour le Christ-Rot. La vraie raison de ces réserves doit plut6t ~tre cherchée dans
~e souci de tout rattacher b tu divine maternité, 1)uisque SalLzar écrit un peu
plus loin : « £z his Parfum testimonil~ constat unlcam et proecipuam Mariant
imperit, regnique radic¢m esse mater~itatem, ob qaam non metaphorice, ac
lmproprie, sed germane et proprio omnium creaturarum regina est ». Ibid.,
col. 591.
(2) ButI, o Ine~abiff~.
(3) La dSpendance fon¢/~re de Maris vis-~,-vli du Christ n'exclut pas une
8troite union avec ~ui, et c'est pourquoi les auteurs parlent d'une servitns
I m p r o p r t e d l e t a . C f . S ~ I / m a y r, l . ¢ . n . 1 5 7 3 - 1 5 8 0 ( c o ~ . 1 3 5 1 - 1 3 5 4 ) . ~ C h r i s t . d e
VeI~L, I. ¢., n. 1671 (,p. 364).
(4) S. Albert le Grand, Marl«le, q. 42 (i. e. p. 81). -- Cf. Georges de P~odes:
8tout entra di:¢l alfaz CbrlMnm speeialiter esse omnium dominnm, quia
redemptor est, sic Maria, redemptton~s huJus partioeps, regni etiam est consore ».
D l s p u t a t i o n e s t h e o l , s e h o l , t V I I I , s e c t . I I I , § 8 , L y o n 1 6 7 1 , t I I , p . 3 11 .
MARII, REINE DU MONDE 71

« foi et de son humilité que le Fils de Dieu a voulu devoir cette


« Royauté ; et qu'elle a partagé avec Lui tous les travaux, tous
les combats, toutes les souffrances par ~quels il ra
eonquise » (I).

La portée universelle de ce nouoeau titre

Puisque nous avons reconnu à Marie une Royauté sur tout


l'univers, nous sommes logiquement amenés à nous demander
si ce nouveau titre possède une portée absolument générale.
Mëme s'il fallait répondre par la négative, rien ne serait
encore compromis, car, à la rigueur, la seule maternité pourrait
suffire A légitimer l'appellation de Reine du monde. Ceci nous
met tout b fait à l'aise pour juger en toute indépendance.
Il faut reconnaltre que nombre de témoisnages n'apportent
p o i n t d e p r é c i s i o n s . O n s ' e s t c o n t e n t é d ' a f fi r m e r q u e M a r i e
est Poeine du monde pour avoir coop~r~ à la R/~t¢mption.
D'aucuns sont plus expli¢ites. S. Albert le Grand dira par
exemple : Sieut totu# mundu» obltga~ur Doo per sure pas-
« sionem, it~ et Dominoe omnium per comp~sionem (2).
Eadmer surtout deviendra classique, encore qu'il soit oit~
euvent sous ! nom d'Anselme et que sa pensée exacte soit
quelque peu dépm~e : Sieur ergo Deus suc potentia l~rm~o
cancta Pater est ¢t Dominus omnlum, ira btata Maria suis
meritis cuncta reparando mater est et domi~a rtrum ;
Deus enim e~t Dominus omnfum, sîn#ula iR sua nature pro-
« p r i a j u ~ i o n e e o n s fi t u t n d o ; e t M a r i a o r d o m i n a r e r u m ,
« slngula conge.nitst dlgnitati per llkun quam meruit gratiam
« restituendo (3).
Somme toute, puisque Marie est coadjutrtx redemptoris »,
t o u t d é p e n d d e l ' é t e n d u e s e e o r d é e b l ' i n fl u e n c e d e l ' a c t e
r é d e m p t e u r l u i - m ~ m e . L a m e s u r e e s t c o m m u n e . To u s c e u x
qui sont redevables au Christ Rédempteur, le sont également,

(1) L« Vierge et le plan dfvfn, ~ III, I. I, e. II, Paris 1864, p. 59.


(2) Marfale, Resp. ad. q. 145-150 (L «. @. ~t19).
( S ) D e ~ l l e a t i , , V. M . c . 1 1 , P L 1 5 9 , 5 7 8 A B . B i e n q u ' E a d m e r e m l ~ o l e
Pexpre¢mio~ suis merff~ t~m~ta r¢p~O ï,, g envi~ p;ut6t la coepê~tion
tL la B~iemp~on, pu/s~m~/l ajoute deux lignes p/us loin : Ira M¢J'4~ de
« se« e~rne gemtit iUum qui in decorem primoe creaïlonls omnium eun~a raJtt-
« tait».
II faut en rapprocher le texte presque ide~tlque de fa grande priëre dis
S~ Ansehne, maltre d~, Oratfo L/l, PL 158, 9~ Ail. Dom WUmlrt en a
donn~ la lecture exa¢~ dans Recherehea de thî~. ~ac. ~ m~d., It~ p. ~~L
~t r~NçAnsB v'~u~s ~R~LLSS

proportions 8ardëes, b sa Très Sainte Mère. Cela ne veut pas


dire d'ailleurs qu'ils le soient tous au m~me degré, et il y a
lieu de distinguer diverses catégories de bénéficiaires.
Il est clair tout d'abord que les hommes sont les premiers
trtbutaîres du sacrifice r~dempteur. Nous devons tout, dans
l'ordre de la grîce, au Roi-Sauveur, nous sommes vis-à-vis de
l u i p o p u l u ~ « c q u i s i t i o n i s » ( I P e t r. I I , 0 ) . S i d o n c M a r i e
est Reine par la conquête, c'est avant tout sur les hommes. Elle
est pour nous selon l'expression de S. Taraise « la Reine
conciliatrice de la paix » (1), ou encore, comme le dit Alcuin
nostroe regina salutis » (2), vraiment la ( Reine de tout le
genre humain » (3), « omnium christianorum Domina » (4).
A un degré bien inférieur, les créatures privées de raison
peuvent figurer elles aussi parmi les ~tres que la Rédemption
arrache à la servitude, et qui relèvent à ce titre de la Souve-
raineté de Marie. L'origine de ces considérations, illustrées
surtout par S. Anselme et Eadmer, est à rechercher dans les
paroles de S. Paul : « Vanitati enim creatura subiecta est non
volens, sed propret eum qui subiecit eam in spe : quia et
ips« creatura liberabitur « servitute corruptionis in liber-
« torero glorioe filiorum Dei » (5). Plus encore qu'une mater-
nitë, c'est une Royauté que Marie acquiert vis-àovis du monde
matériel, non seulement pour lui avoir donnë le Rédempteur,
mais aussi par une coopération plus immédiate à sa délivrance
effec~ve. Mater est et domina rerum (6).
Restent les Anges. Allons-nous les exclure ? Grave question
qui semble nous poursuivre avec insistance depuis le début de
nos Journées Mariales. Sans doute faudra-t-il nous résoudre
finalement b l'aborder de front ? Je pr~fère, en attendanL
battre prudemment en retraite, et passer, sans plus, à la
conclusion de ce bien long discours.

(l) !~ S~;. ~lp~rw prK~nt~,~.~m, n. 15 PG ~ 1oe IL


(l) PL Ici. T;I At et 774 D.
(3) ,% Andr4 de (îv#te, la DormL & M. Il, PC, I)7, 10~ J ~ C.
(4) ~ ~ ~ ~ m s t G t 4 ~ J r e ! I . ~ C . J ' . S u t r e x , L . e t d e G r u y t ¢ r, o p . ~ i l . .

( 5 ) ~ V I I L I $ - : ~ . - - C t . p r t t ~ / ~ t ~ ~ d e S . / , ~ t . ë ( L : ~ , PA r ~ m $ 3 4 .
t. L p. ]lS5et :rot
( 6 ) B a d i n e r, L « . - - Ve i r ~ / . 4 M ~ r ~ d t , J m m m ~ . I . v i n , . v i l
,,,/me d~ m~sd#, T. Il, IF 148-163.
MARIE, REINE DU MONDE 7 3

CONCLUSION

Nous concevons mieux maintenant la place spéciale et très


grande qui revient en théologie à la Royauté universelle de la
Mère de Dieu. S'enracinant toute entière dans la divine
maternité, elle en fait ressortir encore davantage la richesse,
en mëme temps qu'elle en souligne le primat. Ma jus est hoc
donum quod sit Mater Dei, dit justement S .Bernardin de
Sienne, quam quod sit Domina creaturarum Dei, quia hoc
dependet ab illo, sieur ramus a radice, propterea ci protius
« dicimus Mater Dei, quam Domina mundi vel universi » (1).
Considérée dans son exercice, la Royauté rejoint la maternité
de gr~ce, c'est-à-dire la phase actuelle de l'universelle média-
tion. Marie est Mère en mème temps que Reine, Regina mater
misericordie. Mëme à tout prendre, elle est plus Mère que
Reine », comme l'avait bien senti Sainte Thérèse de l'Enfant
Jésus (2), car toute sa puissance est au service de son amour,
et son activité royale n'a qu'un but, répandre en abondance le
trésor des grâces divines (3). On voit par là qu'il n'est pas à
ce point difficile d'harmoniser Maternité spirituelle et Royauté.
Le~ concepts sont distincts, mais la réalité est une: Marie
roegne en dispensant toute grdce. L'identité cependant n'est pas
pleinement adéquate, puisque nous avons dû reconnaître à
cbté de la toute-puissance d'intercession" une part d'influence
immédiate. Sans apporter au fond aucun élément nouveau, la
doctrine de la Royauté de Marie éclaire ainsi d'un jour
différent les données qu'elle rassemble, mais à son tour elle a
beaucoup à attendre des précisions diverses qu'il convient
d'acquérir (4).
Dans la position adoptée, il est également facile de souli-
gner l'accord profond entre la Royauté du Christ et celle de
Marie. Les points de contact seront évidemment nombreux :
re&me universalité du royaume, origine voisine des pouvoirs,

( 1 ) ~ ¢ r m . V / l d e B . M . V. , s . I I I , e . 2 . L y o n 1 6 5 0 , t . I V, p . 1 0 1 . - - C f . p . 8 2
et 1~.
(2i Hls~. d'nn« drue, c~ XII.
( S ) C f . E . M u t a , o p . ' c i t , p . 1 6 1 . - - P. M . G a r é n a u x , p . 7 6 e t 7 7 .
(4) Surtout pour le point primordial de la dispenaatinn universelle des
SOC~ ]FIULNÇ/d~LE D'~'UDW~. MARIALES

union dans l'exercice du gouvernement. Les deux Royautés


marchent de pair et sont inséparables, mais il demeure entre
elle des divergences profondes. Si les titres à la Royauté se
correspondent, -- union hypostatique et maternité, mérite de
condigno et mérite de congruo, w ils sont loin d'ëtre équiva-
lents. Par suite, les deux Royautés sont d'un ordre bien
différent. Le Christ seul est véritable Bot, Marie est Reine,
uniquement Reine. Elle n'intervient pas en vertu d'un pouvoir
proprement juridictionnel, mais selon qu'il convient/~ son r6[e
de Mère, secundum sexum [emineum. Toute sa Royauté enfin
est eu dépendance complète de la Royauté du Christ, et pour
son exercieq effectif, et pour ses origines. Forte avant tout
de son pouvoir dïntercession, elle ne règne que par son divin
Fils, « nec enim ipse magnus eut potens est per eam, sed ilIa
per ipsum (I). Elle n'aurait pas de royaume et ne serait
m~me pas Reine de nom, s'il n'était pas le Sauveur et le Roi
des Rois.
Toute cela commande notre attitude et nous dicte nos
devoirs. II nous faut rendre d'abord b notre Reine Les hommages
auxquels elle a droit ; c'est trop clair. Honorera igitur hube-
bim~L1 domin~ et matd no#tre, omnibuJ diebus uitoe
« nostroe » (2). Mais notre Reine est la Reine de la miséricorde,
nous aurons recours à elle avec la plus entière confiance.
Elle ~a/t ce qu'il nous convient, elle peut nous le donner, elle
peut nous le procurer. « Quidni darel P s'~crie S~ Bernard,
Siquidem nec f«cultas ci dees:~ petit, nec uolm~tas. Regina
« ¢oelo~'um e~t, miaericor# est ; denique mmttr est anigeniti
Filii Dei » (3). C'est pour nous qu'elle est Reine, comme le
lui rappelle avec quelque dé~involture le moine Eadmer;
comment n'aurait-elle pas à o0eur de nous exaucer ? « Car
« itetque non jmmbil nos peccatorea, quando propter nos /a
tantam celsitudinem es elepata ut te dominam habeat et uen~-
retur omniz pm'iter creatura (4). C'est encore trop peu de
serre pQrt. Il faut nous vouer tout entiers au service de notre
Reine, nous faire « les chevaliers-servants de Notre-Dame ».
La servir, c'est ohéir pleinement à la loi d'amour que nous
dicte le divin Roi. La servir, c'est bnîler de zèle pour sa gloire,
et chercher à reculer de plus en plus les frontières de son

(1) Eadmer, De e.z¢~lentia B. M., c. 6, PI, 159, 570 A.


(~1) S. Albert ~e Grm~, la Rpa~. Laoe, I, 43 (ëd. Borgnet, t, ~I, p. 131.
(3) ~~rm. 1 ~n Azz. n. 2 PL 183, 415 D.
(4) De e-~e¢l. B. M., e. XII, PL 159, 579 C.
royaume. La servir surtout, c'est nous consacrer entièrement
b elle, tous tant que nous sommes, individus et sociétés.
S . I l d e f o n s e d e To l è d e l ' a v a i t c o m p r i s e t p r a t i q u é p l u s d e
mille ans avant le Bx Grignon de Montfort ; nous ne cherche-
rons pas d'autre voie. Quam prompte serous hujus dominoe
« eNîci concupisco, quam fideliter »eroitutis bu jus jugo delec-
tor, quam plene [amulari bu jus imperiis opto, quam ardenter
ab iilius dominio dissociari non quoero » (1). Servant ainsi la
Mère, nous servirons mieux le Fils, et c'est tout le désir de la
Reine du monde : « Nain ego ut sire servus fllii e jus, banc mihi
« domiRari peropto ; ut dorninetu.r rnitd Iîlius ipsius, huic
« seruire decerno ; ut comprober servire Duo, dominium matris
« e jus super me in testtmonium quoero... Sic TRANSIT HONOR IN"
4 : ~ E M z Q U I D E F E R T U R I N FA M U L AT U M ~ ~ E G I N , , E ~ ( 2 ) .

(1) De VLr~initate perpetua S. M., c. XII, PL 96, 107 A.


(2) Ibid. col. 107 D et 108 d.
7 6 soc~b~r~ I~SANçAISE D'~~rUDES ~RL~LES

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MA~E, l~I~ïE DU MONDE 77

Echangedevues
après le rapport du R. P. Barré

B. P. MOmN~u. N Mon cher Père, l'éloquence est exclue de


nos réunions et aussi les éloges. Je veux cependant vous dire
le très vif intérët que nous avons pris à entendre votre exposi-
tion si riche et si abondante. Il n'y a pas la moindre critique
dans ce dernier qualificatif.
J'ai noté surtout les soins que vous avez pris de marquer
comment ce problème de la royauté de Marie se relie à tout
l'ensemble de la mariologie. Vous avez fait surgir devant nos
yeux des aspects nouveaux et cela a été l'un des charmes de
votre exposition.
Vous avez parfaitement vu le point délicat : est-ce que
Marie gouverne ?
Vous avez suivi les différents auteurs dans leurs chemins
divers, les uns préférant les routes montantes, les autres
suivant les détours, et vous avez abouti à la conclusion qui est
la n6tre, Marie, notre Mère est aussi notre Reine.
Mais nous cherchons à mettre le plus possible de précision,
de concentration dans nos pensées. Qu'y a-t-il au juste dans
ce mot de « royauté » de Marie ?
Vous avez rappelé les formules de S. Albert le Grand :
Marie est Reine parce qu'elle nous a conduits à l'alliance avec
Dieu. Et nous voyons surgir tout le grand drame de l'Incarna-
tion qui est originé » au premier chapitre de la Bible. Dieu
a voulu avoir un royaume des esprits à qui Il communiqucrait
sa vie. Et c'est ici que la nouvelle Eve nous apparatt tenant
une place tout à fait singulière. On pourrait l'exprimer ainsi :
Dieu a voulu qu'elle ait une activité, une action. Elle a eu une
activité dans ce moment décisif de l'Annonciation que Bérulle
a commenté avec splendeur et abondance. Nous savons que
cette activité se retrouvera partout et que cette action peut
~tre réelle. Ici, nous rencontrons une idée qui nous arrête, la
SOCIÉTI~ Flg&~ÇAmE D'~ruIYg~$1KARIALES

question de la causalité physique. Laissons-la de côté. Nous


voyons dans la vie des saints que la Vierge fait surgir, à cer-
taines époques, des personnages qu'elle conduit -- comment ?
cela, c'est son affaire ! Ce qui est certain, c'est qu'elle
agit. Je pense en ce moment à Robert d'Arbrissel, qui a eu
une si grande part dans la régénération du clergé de son temps.
Est-ce que la Sainte Vierge ne l'a pa~ conduit, comme elle a
conduit d'une manière toute spéciale Saint Bernard ?
Elle leur a fait comprendre leur mission. Comment ?
Est-ce miracle ? Y a-t-il eu causalité physique ? Je n'en sais
rien. Ce que je sais, c'est qu'elle a eu une action réelle. Sans
doute la Vierge ne donne pas la grace au sens qu'elle en serait
créatrice, la grtce étant vie divine. Mais quand il s'agit de la
communiquer, est-ce qu'etle n'a Pas une fonction de Reine,
est-ce qu'elle n'intervient pas dans le gouvernement ? Elle ne
donne pas des lois, mais des directives, quelque chose qui
corserait davantage la notion d'intercession. Je pose simple-
ment la q~estion.
IL P. B~R~. -- Certes, la nouvelle Eve est pleinement
associée à l'oeuvre de Notre-Seigneur. Je me sui~ attaché à
mettre ce point en lumière. Cette association va jusqu'à l'union
effective dans l'exercice de la royauté. Mais comment s'exerce
cette royauté ?
J'ai adopté le point de vue de Suare~, point de vue qu'il
a emprunté au pseudo-A~ase : ~ecundum sexum [e~ineum.
Si au s'en fient à certaine~ expressions, on pourrait prendre
cette royauté da~s le sens strict. Marie commande, elle régit,
elle gouverne. Ces formules ont leur explication dans ce
commentaire de Th. Raynaud : « Ce que nous faisans par nos
nos amis, nous sommes ceasés le faire par nous-m~mes ».
Vous dites que la Vierge agit dans la vie des saints. Mais ce
n'est pas seulement la Vierge qui a~it ainsi. Le~ Fondateurs
d'Ordres i~terviennent eux aussi dans la marche de leur
~ciété, sans que l'on parle de royauté.
R. P. MO~INEAU. ~ D'accord.
R. P. B~R~. -- Ils interviendront, dans tel cas que Dieu
a voulu. Ils interviennent ex venia Dei. Rien n'empêche en effet
que Dieu les délègue pour F~c.~omplissement de ses desseins.
R. Mom~gau. ~ L'i~te~ce~sdon est toujours supposée, mais
dsmB la vie du P. de Ra~ignan, j'ai été frappé par lïatluenc~
qu'a eu saint Ignace. On a, en lisant cette vîe, comme le
~RIE, ~aRI~X DU MONDE 79

~ntiment d'un influence de prdsence de saint IgnaceJt est


tout naturel que saint lgnace s'occupe de ses fils. La Vierge est
Médiatrice universelle. Elle exerce une action réelle, véritable.
Non pas indépendamment de Notre-Seigneur évidemment.
B. P. BAZRÉ. q Intervention par intercession.
B. P. Mo~IN~u.- Je ne dis pes que la Vierge donne des
lois, mais enfin elle est mère spirituelle, elle agit comme un
directeur de conscience...
R. P. BAnal. -- Quand la mère d'un roi obtient une faveur,
elle peut vouloir communiquer elle-mëme au bénéficiaire
l'heureuse issue de son intervention. Elle agit, mais sans
gouverner.
Ceci d'ailleurs sans préjudice de ce que j'ai appelé son
, pouvoir propre », qui tut permet une influence très étendue
et très profonde. C'est par t~ qu'elle prédispose à la grâce,
dispensée par intercessîon.
R. P. G~NEVOIS. -- Le gros intérét de votre travail a été
de souligner, dès le début, que nous sommes dans le domaine
de l'analogie. Une Reine, ici-bas, n'est pas un roi au féminin.
Il faut rester soigueusement dans ce domaine de l'analogie.
L'action de la Vierge vis-à-vis du Christ ne sera pas seule-
ment l'action d'une reine de la terre vis-à-vis d'un roi de la
terre. Ce sera une action tout à fait sui geneds. Ce qui se
passe dans le domaine terrestre ne peut nous donner que des
analogies. La réalité du mystère est incomparablement plus
riche.
B. P. BARR~. -- Les expressions dont je me suis servi pour
traduire le pouvoir de la Vierge m'ont été suggérées par
Suarez. On peut les dépasser. Ainsi, Fr. Coster dira que le Roi
ne fait rien nlsi de v~luntate Geni~ricis snoe.
Il y a entre eux une véritable intimité...
R. P. G~NEVO~S. ~ Un consortium.
R. P. BARR~. ~ J'ai gardé l'expression de Suarez. J'aurais
pu souligner qu'il y a plus qu'une intercession, un accord
parfait de volonté.
1~ P. ~vms, ~ ~i l'on assimile par trop cette royauté
de Marie à uni l~yauté terrestre, la ~luestioa de La causalité
physique n'est PaS touchée. C~Ardons-nous de toute univo¢ité.
Ahbé CH~ -- Js vondrais ajont¢~ une remarque. Dieu
a le gouvernement Jmp¢~ne, il n'y a rien au-dessus de sa
8 0 SOCIÉT~ FRANÇAISE D~~TUVES MARIALES

volonté. Cette volonté est absolue, elle ne dépend de personne,


pourtant le gouvernement de Dieu n'est pas « totalitaire ».
Dieu laisse une certaine initiative aux Anges. La Vierge doit
avoir elle aussi une part d'initiative dans le gouvernement des
hommes.
R. P. BARs~. -- Oui, dans une certaine mesure. On ne peut
pas cependant la considérer comme disposant, à son gré, de
toutes les créatures.
R. P. MORINEAU. -- Evidemment, elle n'est pas capricieuse.
R. P. BAsR~. -- Elle n'a pas la véritable royauté, elle n'est
pas li chef. Il y a quelqu'un qui commande au-dessus d'elle.
La royauté implique l'indépendance.
R. P. GÉNEVOIS. -- On peut maintenir subordination et
indépendance. Il y a un roi absolu, Dieu, mais il laisse sous
lui liberté d'action entière, Il cause en nous cette liberté.
R. P. MORINEAU. m Créateur, il nous a donné la maitrise de
nous-mêmes et une causalité libre.
R. P. G~NEVOIS. -- La royauté de Marie sera universeHement
subordonnée. Et cependant, nous devons lui donner une uni-
verselle indépendance.
Abbé CHANSON. m Une part d'initiative.
M. DULORT. m C'est le grave problème de la liberté de
l'homme.
R. P. G~vms. m Oui, et il faut traiter cette question en
liaison directe avec la doctrine du gouvernement divin.
R. P. LAJEUNIE. -- On ne peut pas envisager la royauté en
dehors du triple pouvoir judiciaire, législatif et exécutif.
Abbé CHANSON. m Nous serions alors dans l'équivoque.
R. P. LAJ~um~.. -- L'idée essentielle me "parait être l'idée
d'association. Il ne faut pas considérer la royauté de la Vierge
comme une royauté indépendante de la royauté du Christ.
Est-ce que le Christ n'a pas donné à la Vierge une part réelle
dans son gouvernement ?
N'y a-t-il pas entre la Vierge et le Christ une collaboration
intime, chacun dans son ordre ayant sa liberté, son mérite et,
si je puis dire, son initiative, mais en accord profond ?
La Vierse participe personnellement, activement, au gou-
vernement du Christ. Son action n'est évidemment pas du
même ordre que celle du Christ, elle reste à préciser. Cette
MARRE,I~EINEDUMONDE 81

action n'es! pas un simple pouvoir d'intercession. Ne dit-on


pas que la Vierge est la trésorière des grâces ? Le problème
pourrait donc se formuler ainsi : « Quel est le pouvoir de la
Vierge sur les grâces de son Fils ? Quelle est cette domination
que le Christ lui a donnée sur ses grâces ? Comment peut-elle
en disposer ? Et que signifie exactement cette métaphore ? »
Nous trouvons dans l'Evangile un fait qui peut nous
éclairer : Cana. « Faites tout ce qu'il vous dira ». La Vierge
n'attend pas que le Christ lui ait fait connaltre sa décision.
Elle intervient comme si elle avait un certain droit de décision.

R. P. BA~a~. m Elle voit ce qui se passe, que le vin va


manquer. Elle le signale, c'est un mot de prière, d'intercession.
Elle se fait l'avocate...

R. P. LAJEUNIE. -- Non, elle ne supplie pas, elle collabore.


Les deux volontés coïneident.

R. P. MORINF~U. m Elle , adapte » les gens à recevoir la


grAce.
R. P. DILLENSCHNEIDER. m M. de Gruyter dans son livre
sur la Royauté de Marie s'appuie sur l'idée de médiation. Il
faut tenir grand compte de cette idée. La Vierge a dans sa
médiation le moyan d'exercer sa royauté, comme le Christ
trouve dans la sienne le moyen d'exercer sa royauté à Lui.
Mais ces deux prérogatives qui sont nécessairement connexes
et se compénètrent, il nous faut les distinguer eonceptuelle-
ment, si nous ne voulons pas rester dans l'imprécision. Vous
avez parlé de col4aboration. Ce qui est strictement royal dans
la fonction médiatrice de la Vierge, c'est une certaine maîtrise,
une certaine autonomie. Vous avez critiqué de Gruyter au sujet
du pouvoir législatif, qu'il semble revendiquer pour Marie.'
Evidemment la Vierge ne légifère pas comme le Christ. Cepen-
dant il y a le mot admirable de Saint Thomas sur la loi
interne. Cette loi interne, c'est la grî~ce. Il faudrait utiliser ce
mot. Puisque la grâce est la loi interne, et essentiellement la
loi interne, du Nouveau Testament, puisque la Vierge intervient
dans la communication de cette loi interne, de cette grâce, il
suffit de se demander ce qui donne à cette médiation son
caractère royal. C'est qu'elle communique la grAce avec
mattrise. La distinction de la maitrise du Christ et de la mai-
frise de Marie dans la communication de la grbce ferait la
diff~ience entre les deux royautés. Si on ne distingue pas
SOCl~"l~ "FRANÇAISE D']~'TUDES MARIA.LES

l'action médiatrice de Marie de son action royale, on reste


dans le vague.
11 . P. B A ~ n ~ : . m I l f a u t m a i n t e n i r l a d i s t i n c t i o n d e s
concepts, mais fl semble que matériellement la 1loyauté de
Marie, m tout au moins dans son aspect partiel, qui est pou-
voir d'intercession, m coïncide avec sa médiation (elle-même
envisagée partiellement : dispensation actuelle des grâces).
C'est la 11eine qui joue ce rble de Médiatrice, nécessaire
et universelle.
11. P. AUBRON, -- Il me semble qu'on n'arrivera pas à
distinguer nettement l'action royale de Marie de son action
médiatrice considérée en général, tant qu'on n'aura pas mis
en évidence l'aspect social de cette action, c'est-à-dire montré
comment elle ne s'exerce pas seulement sur les individus, mais
sur la société chrétienne, et même l'humanité, prises dans leur
ensemble. Cet aspect social est, en effet, une des notes essen-
tielles du pouvoir royal, par quoi il se distingue de tous les
autres pouvoirs.
11. P. MORINF~U. k Oui, c'est vrai, il y a ce mode d'action,
mais là ne peut se borner l'action de Marie, si la Sainte Vierge
est vraiment Reine: il y doit y avoir des interventions de
Marie qui atteignent directement l'Eglise et l'humanité tout
entières. Ce sont ces interventions que je voudrais voir mettre
en lumière, car ce sont elles qui constituent l'exercice du
pouvoir royal au sens le plus formel du mot.
11. P. LAJEUNIE. m La question revient à se demander si
la Vierge, dans la distribution des grâces de salut, exerce une.
véritable souveraineté sur tout 1 peuple des ~lus.
11. P. MOnINF~U. ~ Dans les diverses apparitions du
xlx" siècle, nous voyons que la Vierge donne une ligne de
conduite à tel ou tel pour tous.
Abbé CHANSON. -- Il me semble qu'il ne faut pas écarter
totalement le pouvoir judiciaire. Evidemment la Vierge ne
figure pas au jugement à titre de juge, mais elle y joue un
r61e officiel, elle est Avocate ! .
11 . P. B x s n ~ . - - C e n ' e s t p a s p r é c i s é m e n t l e p o u v o i r
judiciaire !
Abbé CHANSON. -- Elle peut agir, modérer un peu le bras
de la justice du Christ.
11. P. B,tnn~. -- Ce n'est pas elle qui prononce la sentence
MARIE, I~,/NE DU MONDE

B . P. G ~ E v o l s . ~ S a i n t T h o m a s f a i t r e m a r q u e r q u e d a n s
toutes les uvres de Dieu, on trouve en même temps justice et
miséricorde.
On peut donc dire que la Vierge participe au pouvoir
judiciaire total du Christ, non seulement en tant qu'avocate
mais en tant que juge; elle y participe en tout ce qu'il y a
de miséricorde dans le jugement, même le plus sév~re. On
peut dire de même pour le pouvoir exécutif.
R . P. B A H a ~ . - - I l y a d o n c a s s o c i a t i o n d a n s l ' e x e r c i c e d u
pouvoir royal.
R. P. LAJEUNIE. -- C'est le problème.
R. P. BAFtat~. -- C'est bien à ce point de vue que j'ai voulu
l ' e n v i s a g e r. L a Vi e r g e e s t r e i n e e t a s s o c i é e e n t a n t q u e M è r e
à tout l'exercice du pouvoir royal. Comment exerce-t-elle cette
royauté ?
R . P. L A J E U N I E . ~ E n l a c o m p l é t a n t , d ' u n e c e r t a i n e
manière et en son ordre.
R . P. B x R R ~ . . - - J e r e c o n n a i s q u ' i l n ' y a p a s s e u l e m e n t
pouvoir d'intercession, mais aussi parfait accord des volontés,
sans parler du prestige personnel.
R . P. L ~ E U m E . - - P o u v o i r d ' i n t e r c e s s i o n e t a s s o c i a t i o n
pour l'exécution.
R . P. C L o w s . m S i n o u s e n l e v o n s à l a Vi e r g e l e p o u v o i r
législatif et judiciaire, nous lui enlevons les prérogatives prin-
cipales de la royauté. Il y aurait lieu de faire une distinction
entre son pouvoir exercé « de potentia absolut« » et son
pouvoir exercé « de potentia ordinata », celui-ci n'entrant en
acte que dans la dépendance du Christ et in union avec Lui.
I l f a u t r e t e n i r q u e l a Vi e r g e p o s s è d e r a d i c a l e m e n t l e s d e u x
pouvoirs, législatif et judiciaire, en pleine participation avec
son divin Fils, et toute proportion gardée.
R . P. B A B s ~ . - - P o u r q u o i l u i a c c o r d e r u n p o u v o i r q u ' e l l e
n'exerce pas ?
R . P. C L O W S . w E l l e a l e d r o i t d e p o t e M a t e a b s o l u t a d e
donner des ordres et de porter des sanctions, mais elle n'agit
et ne veut agir que de potestate ordinafa. Elle garde la mai-
trise de son action, et c'est en quoi elle est Reine. Royauté
n'est pas synonyme d'indépendance absolue. La Sainte Vierge
a juridiction sur les grâces et dons du Saint-Esprit. Elle les
distribue comme Elle veut, à qui Elle veut.
SOCIÉTË FRANÇAISE D']~UDES MARIALES

S'il n'y a qU'une simple association, où est son pouvoir


d'exécution ? Il lui platt d'accorder des grAces à tel saint pour
augmenter son influence sociale sur son siècle, elle le peut.
Votls parliez de l'intervention des fondateurs d'Ordres en
faveur de leurs disciples; la Vierge peut d'elle-mëme prendre
cette initiative.
R. P. LAJEUNIE. -- Ce sera toujours en parfait accord avec
le Christ.
R. P. CLOVIS. -- Oui, mais elle peut avoir l'initiative. Et
cela en vertu du I~OUvoir direct de domination qui appartient
strictement à la reine.
R. P. BAsRÉ. -- La reine peut intervenir par ses prières
et faire agir le roi lui-m~me. Il faudrait donner à la Vierge
initiative et indépendance dans l'action pour arriver à la
royauté stricte.
R. P. CLOVlS. -- Elle agit de potestate ordinata.
R. P. LA~EVmE. -- Il faut toujours revenir à l'idée d'asso-
ciation, de collaboration et d'accord. Entre le Christ et la
Vierge, pas de désaccord possible. Pouvoir ordonné, mais
subordonné. Les initiatives souveraines de la Vierge prennent
pour ainsi dire naissance dans la volonté de son Fils.
R. P. DILLEN$CHNEIDER. m Le Christ agit toujours en plein
accord avec le Père, bien qu'il agisse d'autorité. Cela vaut
aussi pour la Mère,
R. P. CLows. m Parfait !
R. P. LAJPVNIE. -- Sans aucun doute.
R . P. P H I L I P P O N . ~ V o u s a d m e t t e z q u e l e t r i p l e p o u v o i r
~t eltsmtiel à la royauté. Pour ne pas rester dans l'équivoque,
il faut donc l'accorder proportionnellement à la Vierge. En
reprenant la pensée du P. Lajeunie, en déterminant la nature
de l'association, ne pourrait-on pas attribuer à la Vierge le
pouvoir législatif, judiciaire et exécutif. Avec, bien sir, toutes
les précautions que requiert un bon u~age de l'analogie. Marie
n'a-t-elle pas un pouvoir exécutif ? Je ne veux pas parler de
la causalité physique, puisqu'il y en a qui ne l'admettent pas.
Mais la Vierge, par exemple, a un pouvoir d'illumination sur
les Anges. Dieu garde le primat. Le Christ gouverne le monde.
Il communique son plan /L la Vierge qui le communique par
fllumination aux Anges. Marie n'a-t-elle pas un certain pou-
mUN~ DU MONDE U

voir judiciaire ? Elle se tient comme avoc8te dans le jugement.


C'est bien une certaine participation au pouvoir judiciaire.
R. P. Moalm~u. ~ Et le pouvoir législatif ?
R. P. Pmu~pom. -- Ici, je suis plus embarrass~.
R. P. DILLm~SCHNRmU. -- La Vierge ne légif~re pas. Elle
eommtm|que la loi interne de Dieu, qui est celle de la grglce.
B. P. Moal~~tu. ~ Elle adapte les hommes A la loi.
R.P. DILLr~SCHNEIDEa. -- A cette loi interne de la grAce
et avec maltrise.
R. P. LAJ~UmE. m II s'agit de la participation h la souve-
raineté du Christ et non de la participation à l'action du
Christ en général. C'est là où commence le problème. Nous ne
l'avons pas résolu. Comment la Vierge participe-t-elle au
Gouvernement souverain du Christ ?
M. COnVONmEa. -- La Vierge a la maltrise sur les grâces
de Dieu en ce sens que tout ce qu'elle demandera sera obtenu.
Elle a reçu ce droit une fois pour toutes; elle sera toujours
entendue. Son intervention sera vraiment souveraine. Cepen-
dant, il ne faut pas limiter la royauté de la Vierge à ce pouvoir
d'intercession.
R. P. BAaaI~. -- L'expression d'intercession n'est pas
pleinement adéquate. Il faut l'amplifier et mettre en relief
l'idée d'association, comme M~re du Roi, au gouvernement
du royaume. Marie aura ainsi sa part dans le pouvoir législatif,
Judiciaire et exécutif.
/t. P. Moa~v. -- FJle l'aura de droit. C'est tout le plan

14. P. B41Jut. ~ J'ai dit qu'il fallait envisuger cette royauté


jecundum uxum femineum; mais ce qui se v~rifle pour les
reines de la terre, est bien dépassé dans le cas présent.
R. P. Nt¢oL~. ~ Il ne faut pas trop accentuer les siml.
litud~ avec loe reines de ha terre. Il faut rester dans les termes
du problème : la Vierge est véritablement reine, et ci Je a son
x~le dans la communication de la grâce. Elle peut fort bien
tire reine, et exercer dans l'ordre de la grAce une causalité
physique. Je ne dis pas que c'est ainsi, mais la question reste
4mti6ee.
R. P. BAaat. ~ En aoi, oui, mais si c'est par sa puissance
d'~t¢rc~sioo que la Vi~rlle agit, la question n'est plus entière.
86 SOCï~]~ FRANÇAISE D'ÉTUDES MARIALES

B. P. MORINEAU. -- La puissance d'intercession est certai-


nement première.
R . P. L A J E U N I E . ~ N o u s pourrions aller plus avant. Pour-
quoi le Christ exerce-t-il un pouvoir souverain ? Parce qu'il
l'a mérité. Le Christ a droit, il a le droit strict de nous faire
entrer au paradis. C'est en vertu de ses mérites qu'il est
souverain.
R. P. D I L L E N S C H N E I D E R . - - Le Christ a mérité de condigno,
la Vierge, de congruo.
R. P. GÉNEvoIs. -- La Vierge a mérité, elle a autorité, elle
a un droit sur les grâces de salut, elle les distribue avec
autorité.
R. P. LAJEVNIF.. m Le mérite du Christ est d'une autorité
telle qu'il commande en stricte justice. Est-ce que le mérite
de Marie atteint ce degré de puissance souveraine ?
R. P. DILLF~SCHNEIDER. ~ Non, évidemment, Mais c'est
plus qu'un mérite de simple convenance, c'est un mérite qui
se fonde sur une éminente équité et qui relève en quelque
sorte de la justice distributive. Marie mérite d'office !
R. P. LAJEUNIE. -- lI faut donc distinguer initiative et
souveraineté. Les initiatives de Marie sont absolues, sa souve-
raineté de l'est pas.
R. P. GÉNEVOIS. -- Souveraineté subordonnée.
R. P. MORmEAt/. -- Le mystère de l'Annonciation nous
montre le respect de Dieu pour la liberté de la Vierge. Nous
devons en tenir compte. Bérulle a bien marqué ce point.
M. Goyau disait que nous ne nous arrêtons pas assez à ce
point de vue. Au jour de l'Annonciation, la Vierge a pris en
mains la cause de l'humanité.
R. P. L A J E U N I E . - - La Vierge tient à ce moment la place
de l'humanité tout entière, la décision de notre sort est entre
ses mains. Elle eut là, semble-t-il, la dëcision souveraine.
R. P. AussoN. -- Voici précisément une de ces interven-
tions de la Vierge qui engagent l'humanité tout entière, et,
sous cet aspect, un acte proprement royal.
M. CORDONNIES. -- Ne séparons pas ce que Dieu a uni. Il
faut regarder simultanément Jésus et Marie. Vous avez montré
les analogies entre la royauté de la Vierge et les royautés de
la terre. Je voudrais signaler d'autres analogies que j'ai
M~~~IF~ REINE DU MONDE

utilisées dans des conférences faites à des ingénieurs. Je crois


q u e D i e u a v o u l u r e fl é t e r l e m y s t è r e d e l ' I n c a r n a t i o n p l u s
encore dans le monde physique que dans les événements
historiques.
Pour esquisser un peu ma pensée, j'indiquerai deux de ces
images. D'abord l'arc électrique. Il représente ici l'unité du
plan divin, le mystère de l'Incarnation illuminant toute la
création. Le pôle + est l'image du Christ. En face de lui est
Marie. C'est du Christ que jaillit le « champ de grAce
intérieur qui va vers Marie, toujours sous la volonté supérieure
du Christ. Ce qui agit, « à l'extérieur » du mystère de l'Incar-
nation, ce n'est pas séparément Jésus et Marie, c'est simulta-
nément Jésus et Marie, réunis en un seul rayonnement
d ' A m o u r.
Autre image voisine: l'aimant. De m~me qu'on ne peut
pas physiquement séparer le pSle positif du péle négatif, Jésus
et Marie sont voulus dans le plan divin, ensemble et non
s é p a r é m e n t . A u t o u r d e l ' a i m a n t , i l y a u n c h a m p d ' i n fl u e n c e
où tout est comun aux deux pbles. Nous, les créatures, nous
sommes comme des parcelles de limailles soumises à l'in-
fl u e n c e d e l ' a i m a n t ( a d G l o r i a m G r a t i o e s u o e ) , l i b r e s d e n o u s
conformer plus ou moins profondément aux « lignes de force
de ce champ commun, je veux dire au rayonnement de la
g r A c e , à s o n i n fl u e n c e q u i e s t t o u j o u r s c o m m u n e a u C h r i s t e t
à sa mère.

R. P. BARRÉ. -- NOUS revenons à l'idée d'association, mais


dans cette association, l'élément primordial vient du Christ.

M. CORVONmEn. -- C'est bien ce que j'ai dit, en rapportant


au Christ le pble positif. Je L~ourrais vous apporter aussi des
i m a g e s m a t h é m a t i q u e s . M a i s i l s e r a i t d i f fi c i l e d e l e s f a i r e
comprendre à un auditoire qui n'a pas la m~me formation
que moi ou les ingénieurs auxquels je m'adresse parfois. En
p a r t i c u l i e r, o n p o u r r a i t u t i l i s e r c e r t a i n e s n o t i o n s s u r l e s
« espaces abstraits ... Elles me paraissent très riches dans
leurs transpositions analogiqués.
I l m e s e m b l e q u e D i e u a v o u l u r e fl é t e r l e m y s t è r e d e s e s
uvres dans les événements historiques, mais plus profondé-
ment encore dans la création. Pour moi, l'univers est un chant,
une symphonie en l'honneur de l'Incarnation.
J e c r o i s q u e l ' o n p e u t u t i l i s e r l e s p r o g r è s s c i e n t i fi q u e s p o u r
pén~trer plus avant dans le mystère des choses. Beaucoup de
socI~r~ mg~f#d~ o'ffr~jmzs ZO~LL~OES

0oncepts de Dieu sont cachés en symboles dans la création,


et c'est ainsi qu'elle chante sa Gloire.
B. P. Gî~~zvols. -- En symbole : je suis de votre avis. La
réalité est incommensurablement plus riche.
M. CoRm)~t!m. -- Oui, mais la création est un peu comme
l'échelle de Jacob qui mène jusqu'au ciel. Elle peut nous
~e~--mettre d'~ller plus loin que les échafaudages de concepts
que nous élaborons avec peine. C'est une uvre qui garde
l'empreinte de ~o4n Auteur. ~Elle n'a p~ les horizons bornés
de no; esprMs.
B. P. G~~vols. -- Des analogies, des métaphores plus ou
moins précises, et qui, toutes, clochent plus ou moins.
R. P. MoRmetv. -- La remarque de M. Cordonnier nous
montre comment il peut transposer pour son milieu ce que
étudions du point de vue théologique. Il peut ainsi
éveiller l'attention des esl)rits curieux des sciences physiques
~t mathématiques. Mais il faudrait se garder d'y mettre une
rigueur théologique qui n'existe pas, qui serait m~me nuisible,
car elle risquerait d'abolir le passée du naturel au surnaturel,
l~equel est d'un « autre ordre », comme disait Pascal après
~mint François de Sales. Ceci d'ailleurs est bien la pensée de
}/L Cordonnier, des adumbraiiones ». C'est une préparation
de la Théologie, et non de la Théologie.

M. Coquin. ~ Noas sommes bie~ évidemment d'accord


sur ~ traite du surnaturjl.
MABIE, P~INE DU MONDE 8B

Notecomplémentaire

Nous sommes d'accord pour reconnaitre que la Très-Sainte


Vierge n'est pas « un roi au féminin », et que, par suite, sa
.Roy~uté n'est pas à identifier avec celle d'un roi, ni m~me
d'gae reine ¢uppléant un roi, mais doit s'envisager par analogie
avec la royauté d'une reine, mère d'un roi effectivement
r~t.
Ce point de départ contient toute la clef du problème, et
deux constatations primordiales en découlent immédiate.ment.
1" Il faut d'abord dégager une notion tout à fait générale
de royauté, convenant à la fois, au sens propre et non seule-
men~ métaphorique, à un roi et à une reine, Rour marquer
ensuite les modes différents selon lequels elle se vérifie dans
les deux cas.
Cet élément commun, essentiellement imprécis, nous le
trouvons, semble-t-il, dans une certaine influence dominatrice
(i. e. s'imposant à un titre ou à un autre) sur la conduite des
membres de la sociét6 en vue de les orienter effectivement
vers la fin commune.
Le point de discrimination se place toute naturellement
dans la nature mëme de cette influence dominatrice, à savoir :
-- ~bez 1 ~'oi : ~véri.table pouvoir de juridiction, i. e. auto~
rité propren~nt ~te, impliquant le triple pouvoir
j pdieiaire, !égisletif, e.~écutiî, et imposant aux sujets
g~e obl'~~.tion st ricîe.
chez la reine : négation de cette juridiction, -- autre-
ment nous sortons de l'analogie pour tomber dans
t'univo~é, -- mais en retour un double mode d'in-
îluenee sur les sujets (cf. Suarez) :
l'un £ndie«ct, ~'e~erçagt par t~intar.médiaire du
roi et proportim~nel à la part prise à ses décisions
auctoritatives (pouvoir d'intercession, ou mi¢ug
SOCIËTI~ FRANÇAISE D'Ëq~UDES MARIALES

d'intervention). C'est par là que la reine rentre dans


l'ordre gouvernemental proprement dit.
l'autre direct sur les sujets eux-m~mes, fait de
prestige personnel et d'ascendant moral qui s'impose
sans avoir un caractère strictement obligatoire. Il
peut d'ailleurs s'avérer particulièrement efficace.
2" Il n'y a pas non plus univocité entre la royauté de la
mère d'un roi de la terre et celle de la Reine du monde, mais
encore et toujours analogie, i. e. notion commune, encore
imprécise, et modalités différentes de vérification.
Le point commun ne peut être que dans la nature même
de l'influence dominatrice. Force est donc de maintenir le
double pouvoir particulier aux reines (intercession et ascen-
dant personnel), sans retomber dans le pouvoir strict de
juridiction. A proprement parler, Marie ne gouverne pas. Son
prestige personnel exceptionnel étant sauf par ailleurs, elle
n ' e x e r c e d ' i n fl u e n c e d a n s l ' o r d r e s t r i c t e m e n t g o u v e r n e -
mental et juridictionnel que par l'intermédiaire du Christ,
una cure illo, et perillum (cf. Th. Raynaud avec son pouvoir
moral). Il n'y a pas à lui attribuer un pouvoir législatif, judi-
,ciaire ou exécutif, vraiment digne de ce nom, et d'ailleurs
:ignoré de la Tradition.
Quant aux modalités différentes de vérification, elles vont
:~urgir principalement d'un autre principe capital, le princi-
pium consortii, dont la Tradition légitime l'extension à la
.question présente.
Il y a association. Donc nous ne chercherons point tant
à subordonner les deux Royautés du Christ et de Marie qu'à
les coordonner. Le problème est là, et non pas dans la dépen-
dance de la cause seconde libre vis-à-vis de la cause première,
,ou du ministre vis-à-vis de son roi. Non est vicaria, dit saint
Albert le Grand, sed coadjutrix et socia.
Or nous voyons que l'association est totale, englobant à
la fois la conquête de la Royauté et son exercice intégral. Par
.sa coopération, médiate et surtout immédiate, à la Rédemp-
tion, Marie acquiert un titre nouveau à la Royauté, i. e. une
puissance particulière d'intervention et un dominium plus
parfait sur les sujets. Elle a certains droits que n'ont point les
reines de la terre, et, puisque son royaume est avant tout
spirituel, elle a dans l'ordre de la grâce une spéciale autorité,
une certaine « mattrise ), toute p_roportionnée à ses mérites
passés.
MARIEp REINE DU MONDE 91

Ce fait s'incorpore à la divine Maternité pour nous faire


saisir l'association plénière dans l'exercice de la Royauté. Le
Christ ne fera plus rien sans que sa Mère y ait sa part. L'inter-
vention de Marie sera non seulement efficace, mais universelle
et nécessaire, et, par suite, sa Boyauté sera bien différente
des royautés humaines. Mais de quelle nature est cette inter-
vention ? A coup s~r, elle n'est point d'ordre strictement
juridictionnel, -- sans quoi nous sortons à nouveau de l'ana-
logie fondamentale, -- mais elle se situe dans l'ordre des
possibilités qui conviennent à la mère d'un roi, secundum
.,exum femineum, i. e. intercession et accord des volontés. Le
Christ ne fait rien « nisi de voIuntate Génitricis suoe Reginoe
mnndi » (Fr. Coster) et rien ne s'oppose à ce que telle décision
auctoritative du Christ n'ait son origine dans une « initiative »
de Marie.
C'est sur cette base que l'on peut concevoir la participation
de Marie au triple pouvoir juridictionnel du Christ. Tentons
un essai d'application.
Le Christ juge, et la sentence sans appel relève de sa seule
autorité, mais Marie peut faire entendre la voix de la miséri-
corde, et le Christ concéder un I)ardon que sans cela il n'eut
pas accordé (cf. efficacité de la prière, v. g. II. II. q. 83, a. 2).
Y a-t-il au contraire condamnation ? les deux volontés restent
d'accord.
Le Christ ldgifère, et sa seule volonté fait na|tre l'obligation
morale, mais Marie demeure d'accord avec lui, et nous redit :
« Faites tout ce qu'il vous dira » (Io. II, 5).
Le Christ enfin agit dans l'ordre de la nature ou de la
grttce, et lui seul, avec ou sans intermédiaire, est l'exécuteur
de ses desseins, mais Marie peut provoquer cette décision, ou
même être l'agent spécialement mandaté à cet effet (v. g.
nfiracles, inspirations particulières, etc.). En tout cas, elle
approuve, et l'exercice du pouvoir reste commun, quoique sur
un plan différent.

Ces remarques pourront se préciser, mais il semble que, si


l'on veut sauvegarder les lois de l'analogie, il faut rester dans
cette ligne de pensée, qui fut clairement celle de Suarez,
Th. Raynaud, Scheeben, et, peut-on dire, de toute la Tradition.

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