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LUCIUS CAECILIUS FIRMIANUS LACTANTIUS


DIVINAE INSTITUTIONES

LACTANCE

INSTITUTIONS DIVINES.

LIBER SECUNDUS. LIVRE II.


DE ORIGINE ERRORIS. DE L'ORIGINE DE L'ERREUR.
CAPUT PRIMUM. Quod I. Quoique j'aie parfaitement, dans mon
rationis oblivio faciat homines premier livre, fait voir que la religion des
ignorantes veri Dei, qui colitur in dieux est fausse, et que ceux auxquels le
adversis, et in prosperis consentement des hommes, fondé sur une
contemnitur. persuasion ridicule, a attiré par toute la
Quamquam primo libro religiones terre des cultes si variés et si
deorum falsas esse monstraverim; dissemblables, n'étaient que des mortels
quod ii, quorum varios dissimilesque qui, à la fin de leur vie, ont été contraints
cultus per universam terram de subir la loi générale de la mort ;
consensus hominum stulta cependant, afin qu'il ne reste aucun doute
persuasione suscepit, mortales sur cette matière, je tâcherai de découvrir
fuerint, functique vita, divinae dans ce second livre la propre source de
necessitati morte concesserint; cette erreur, et d'expliquer les causes qui,
tamen ne qua dubitatio relinquatur, ayant d'abord trompé les hommes, les ont
hic secundus liber fontem ipsum portés à croire A la pluralité des dieux, et
patefaciet errorum, causasque omnes ensuite, par des préjugés invétérés, les ont
explicabit, quibus decepti homines, et affermis dans les religions auxquelles ils
primitus deos esse crediderint, et s'étaient d'abord soumis, car j'en ai un
postmodum inveterata persuasione in extrême désir, Constantin, après avoir
susceptis pravissime Religionibus démontré jusqu'à l'évidence le néant de ces
perseveraverint. Gestio enim, croyances et dévoilé la vanité impie des
Constantine Imperator, convictis hommes, de manifester la majesté du seul
inanibus, et hominum impia vanitate vrai Dieu. Quelle mission plus utile et plus
detecta, singularis Dei asserere noble à remplir que celle de les retirer du
majestatem, suscipiens utilius et mauvais chemin où ils sont engagés, de les
majus officium revocandi homines a faire rentrer en grâce avec eux-mêmes, et
pravis itineribus, et in gratiam secum d'empêcher qu'à l'imitation de certains
ipsos reducendi, ne se (ut quidam philosophes, ils ne conçoivent du mépris
philosophi faciunt) tantopere pour eux-mêmes et ne se considèrent

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despiciant, neve se infirmos, et comme des êtres faibles, inutiles, nuls en
supervacuos, et nihil, et frustra un mot, et créés sans le moindre but ? Car
omnino natos putent. Quae opinio sitôt qu'ils sont persuadés que Dieu
plerosque ad vitia compellit. Nam s'embarrasse fort peu de nous, et qu'ils ne
dum existimant, nulli Deo nos esse seront que néant après leur mort, ils
curae, aut post mortem nihil futuros, s'abandonnent entièrement à leurs
totos se libidinibus addicunt, et dum passions; et comme ils croient que tout leur
licere sibi putant, hauriendis doit être permis, ils s'efforcent d'assouvir
voluptatibus sitienter incumbunt, per leur soif ardente des voluptés, ce qui est le
quas imprudentes in laqueos mortis plus grand chemin de la perdition; car ils
incurrunt; ignorant enim quae sit ignorent réellement et ne connaissent point
hominis ratio. Quam si tenere vellent, la raison qui est attribuée aux hommes ; et
in primis Dominum suum s'ils voulaient s'en servir, ils
agnoscerent, virtutem justitiamque commenceraient à reconnaître l'existence
sequerentur, terrenis figmentis du vrai Dieu, et n'auraient pour but dans
animas suas non substernerent, toutes leurs actions que la justice et la
mortiferas libidinum suavitates non vertu : rien ne les attacherait plus à tout ce
appeterent: denique seipsos magni qui est terrestre ; ils n'auraient plus aucune
aestimarent, atque intelligerent plus passion déréglée ; ils s'estimeraient même
esse in homine, quam videtur, cujus beaucoup plus qu'ils ne font, et
vim conditionemque non aliter reconnaîtraient toutes les prérogatives de
possent retinere, nisi cultum veri leur être, qui ne peut subsister qu'en
parentis sui, deposita pravitate, renonçant à l'erreur et en adorant le vrai
susceperint. Equidem, sicut oportet, Dieu. Effectivement, quand je pense à
de summa rerum saepenumero l'immensité de toutes choses, je ne puis
cogitans, admirari soleo majestatem m'empêcher d'admirer la grandeur et la
Dei singularis, quae continet regitque puissance du vrai Dieu, qui contient tout et
omnia, in tantam venisse oblivionem, qui gouverne tout; mais en même temps je
ut quae sola coli debeat, sola ne puis assez m'étonner que ce même
potissimum negligatur; homines Dieu, que l'homme devait perpétuellement
autem ipsos ad tantam caecitatem connaître et adorer, soit la première chose
esse deductos ut vero ac vivo Deo qu'il ait commencé à négliger et à oublier;
mortuos praeferant, terrenos autem et qu'il ait été aveuglé au point de préférer
sepultosque in terra ei qui fundator des hommes morts à un Dieu vivant, des
ipsius terrae fuit. hommes qui sont terrestres et ensevelis
Et tamen huic impietati hominum dans la terre à celui qui est le créateur de
posset venia concedi, si omnino ab cette même terre. Cependant les hommes
ignorantia divini nominis veniret hic ne doivent pas désespérer que Dieu ne leur

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error. Cum vero ipsos deorum pardonne cette impiété, si elle ne vient que
cultores saepe videamus Deum par l'ignorance où ils étaient du vrai Dieu et
summum et confiteri et praedicare, faute de le connaître ; mais comme nous
quam sibi veniam sperare possunt voyons bien des hommes, qui font
impietatis suae? qui non agnoscunt profession d'adorer les faux dieux, et qui
cultum ejus, quem prorsus ignorari ab néanmoins conviennent et publient même
homine fas non est. Nam et cum qu'il n'y en a qu'un seul, quel pardon et quel
jurant, et cum optant, et cum gratias grâce peuvent-ils espérer que Dieu fasse à
agunt, non Jovem aut deos multos, leur impiété, ceux qui, ayant connaissance
sed Deum nominant: adeo ipsa du vrai Dieu, ne connaissent point le culte
veritas, cogente natura, etiam ab qu'ils lui devraient rendre, ce qu'il n'est
invitis pectoribus erumpit; quod presque pas permis à un homme d'ignorer
quidem non faciunt in prosperis ? Car quand ils jurent, quand ils implorent
rebus. Nam tum maxime Deus ex la bonté divine, ou qu'ils lui rendent grâce
memoria hominum elabitur, cum de quelque chose, ce n'est point Jupiter ni
beneficiis ejus fruentes, honorem les autres dieux à qui ils s'adressent, mais
dare divinae indulgentiae debent. At ils nomment Dieu. Effet singulier de la
vero si qua necessitas gravis nature, qui leur arrache, pour ainsi dire, la
presserit, tunc Deum recordantur. Si vérité, et même malgré eux, quand ils sont
belli terror infremuerit, si morborum dans l'accablement et le malheur, ce qu'ils
pestifera vis incubuerit, si alimenta ne font jamais néanmoins quand ils sont
frugibus longa siccitas denegaverit, si dans la prospérité. Et en effet, Dieu n'est
saeva tempestas, si grando ingruerit, jamais tant oublié des hommes que lorsque
ad Deum confugitur, a Deo petitur l'homme jouit tranquillement des grâces et
auxilium, Deus, ut subveniat, oratur. des biens qu'il lui envoie, ce qui néanmoins
Si quis in mari, vento saeviente, devrait lui en rappeler la mémoire et
jactatur, hunc invocat. Si quis aliqua l'engager à une reconnaissance
vi afflictatur, hunc potius implorat. Si proportionnée. Mais quand au contraire
quis ad extremam mendicandi l'homme se trouve dans l'adversité, c'est
necessitatem deductus, victum pour lors qu'il a recours à Dieu. Si les
precibus exposcit, Deum solum horreurs de la guerre le menacent et le font
obtestatur, et per ejus divinum atque trembler, si une maladie contagieuse
unicum nomen hominum sibi désole son pays, si une grande sécheresse
misericordiam quaerit. Numquam a desséché tous les fruits de la terre, si une
igitur Dei meminerunt, nisi dum in tempête survient, ou un orage ou une
malis sunt. Postquam metus deseruit grêle, pour lors il a recours à Dieu ; il lui
et pericula recesserunt, tum vero demande du secours; il l'invoque pour qu'il
alacres ad deorum templa le soulage dans ses peines. Si quelqu'un est

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concurrunt; his libant, his sacrificant, surpris en mer par une tempête, et qu'il
hos coronant. Deo autem, quem in court risque de périr, il invoque aussitôt
ipsa necessitate imploraverant, ne Dieu ; s'il se trouve dans quelque danger
verbo quidem gratias agunt: adeo ex pressant, il a aussitôt recours à Dieu ; si un
rerum prosperitate luxuria, ex luxuria homme se voit très affaibli par la longueur
vero, ut vitia omnia, sic impietas d'une maladie et la violence des remèdes,
adversus Deum nascitur. il demande avec instance, en attestant le
Quanam istud ex causa fieri putemus? nom de Dieu, qu'on lui donne à manger, et
nisi esse aliquam perversam il espère par cette supplication toucher les
potestatem, quae veritatis sit semper hommes de compassion. Ainsi donc, les
inimica, quae humanis erroribus hommes ne songent jamais à Dieu et n'ont
gaudeat, cui unicum ac perpetuum sit recours à lui que lorsqu'ils sont dans
opus offundere tenebras, et hominum l'adversité ; et sitôt que le péril est passé,
caecare mentes, ne lucem videant, ne et qu'ils n'appréhendent plus rien, on les
denique in coelum aspiciant, ac voit recourir avec joie aux temples des faux
naturam corporis sui servent, cujus dieux. Ils leur font des libations, ils leur
originem suo loco narrabimus; nunc offrent des sacrifices, ils vont jusqu'à les
fallacias arguamus. Nam cum couronner, et ne songent pas seulement à
caeterae animantes pronis corporibus rendre les moindres actions de grâces au
in humum spectent, quia rationem ac vrai Dieu qu'ils ont pourtant imploré dans
sapientiam non acceperunt, nobis leurs afflictions. Et de même que la luxure
autem status rectus, sublimis vultus n'est produite que par la trop grande
ab artifice Deo datus sit, apparet istas aisance et la jouissance des commodités de
religiones deorum non esse rationis la vie, de même cette luxure et tous les
humanae, quia curvant coeleste autres vices ne produisent que l'oubli et
animal ad veneranda terrena. Parens l'impiété envers Dieu. Mais d'où cela peut-
enim noster ille unus et solus, et cum il provenir, si ce n'est qu'il y a quelque
fingeret hominem, id est animal puissance perverse et mauvaise qui est
intelligens et rationis capax, eum vero ennemie déclarée de la vérité, qui
ex humo sublevatum ad s'applaudit des erreurs des hommes, qui
contemplationem sui artificis erexit. n'est uniquement occupée qu'à répandre
Quod optime ingeniosus poeta les ténèbres et à aveugler les nommes, de
signavit: peur qu'ils ne voient la lumière et de peur
Pronaque cum spectent animalia qu'ils n'élèvent les yeux au ciel, et ne
caetera terram; fassent attention à leur nature et à leur
Os homini sublime dedit, coelumque origine, dont nous parlerons en son lieu ?
tueri Mais pour le présent, nous nous
attacherons seulement à combattre les

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Jussit, et erectos ad sidera tollere erreurs des hommes. Comme tous les
vultus. Hinc utique ἀνθρώπον Graeci animaux ont le corps et le regard tournés
appellarunt, quod sursum spectet. vers la terre, parce qu'ils n'ont pas été
Ipsi ergo sibi renuntiant, seque doués de la raison et de la sagesse, et les
hominum nomine abdicant, qui non hommes au contraire portent le corps droit
sursum aspiciunt, sed deorsum: nisi et la tête élevée toujours vers le ciel, on
forte id ipsum, quod recti sumus, sine peut induire de là que la religion des faux
causa homini attributum putant. dieux n'est pas un effet de la raison des
Spectare nos coelum Deus voluit, hommes, puisque l'homme, qui doit être
utique non frustra. Nam et aves, et ex tout divin, est obligé de s'abaisser pour
mutis pene omnia coelum vident; sed adorer des choses terrestres. Car Dieu, qui
nobis proprie datum est, coelum est notre seul et unique père, quand il
rigidis ac stantibus intueri, ut forma l'homme et qu'il le rendit capable
religionem ibi quaeramus, ut Deum, d'intelligence et de raison, il s'éleva, pour
cujus sedes illa, quoniam oculis non ainsi dire, hors de terre pour pouvoir
possumus, animo contemplemur: contempler plus facilement son créateur.
quod profecto non facit, qui aes, aut C'est ce qu'a dit fort ingénieusement un
lapidem, quae sunt terrena, poète[1] :
veneratur. Est autem pravissimum,
« Et quand le reste des animaux porte le
cum ratio corporis recta sit, quod est
corps et le regard sur la terre, il (Dieu) a
temporale, ipsum vero animum, qui
donné à l'homme un visage élevé, voulant
sit aeternus, humilem fieri; cum
qu'il contemplât le ciel et fixât directement
figura et status nihil aliud significent,
ses regards vers les astres. »
nisi mentem hominis eo spectare
oportere, quo vultum et animum tam C'est ce qui a fait que les Grecs ont

rectum esse debere, quam corpus, ut donné à l'homme le nom d'anthrôpos,


id, cui dominari debet, imitetur. parce qu'il regarde en haut. Ainsi on peut

Verum homines, et nominis sui, et dire que ceux qui n'ont point les yeux

rationis obliti, oculos suos ab alto élevés vers le ciel, et qui ne pensent

dejiciunt, soloque defigunt, atque uniquement qu'aux choses terrestres,

timent opera digitorum suorum, quasi renoncent pour ainsi dire à la qualité

vero quidquam esse possit artifice suo d'homme et abdiquent leur état, à moins

majus. qu'ils ne se figurent que la structure droite


et élevée de l'homme ne soit pas un attribut

CAPUT II. Quae fuerit prima particulier que Dieu lui ait donné. Ce n'est

causa fingendi simulacra; de vera pas en vain que Dieu a voulu que nous

Dei imagine, et ejus vero cultu. eussions toujours la tête élevée vers le ciel.
De tous les animaux et de tous les oiseaux,

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Quae igitur amentia est, aut ea il n'y en a presque point qui puisse voir le
fingere quae ipsi postmodum timeant, ciel ; mais cette faculté a été accordée à
aut timere quae finxerint? Non ipsa, l'homme, afin qu'il puisse y chercher son
inquiunt, timemus, sed eos, ad Créateur et son maître qui y fait son séjour;
quorum imaginem ficta, et quorum et, ne pouvant pas le voir face à face, le
nominibus consecrata sunt. Nempe contempler au moins en esprit et l'adorer
ideo timetis, quod eos esse in coelo avec ardeur, c'est certainement ce que ne
arbitramini: neque enim, si dii sunt, peut pas faire celui qui s'amuse à adorer de
aliter fieri potest. Cur igitur oculos in l'airain ou de la pierre, toutes choses
coelum non tollitis; et advocatis terrestres ; il est même déraisonnable de
eorum nominibus, in aperto sacrificia penser que la structure du corps de
celebratis? Cur ad parietes, et ligna, l'homme étant droite et élevée, bien qu'il
et lapides potissimum, quam illo ne soit que terrestre et temporel, son âme,
spectatis, ubi eos esse creditis? Quid qui est éternelle, soit humble et s'abaisse
sibi templa? quid arae volunt? quid aux choses terrestres ; car la figure et la
denique ipsa simulacra, quae aut structure de l'homme signifient tout
mortuorum aut absentium simplement que l'homme doit avoir toutes
monimenta sunt? Nam omnino les pensées tournées du même côté et au
fingendarum similitudinum ratio même endroit que le visage, et que son
idcirco ab hominibus inventa est, ut esprit doit être aussi droit que son corps,
posset eorum memoria retineri, qui de peur qu'il ne ressemble à tous les autres
vel morte subtracti, vel absentia animaux sur lesquels il doit dominer. Mais
fuerant separati. Deos igitur in nous voyons au contraire que les hommes,
quorum numero reponemus? Si in oubliant et leur prééminence et leur raison,
mortuorum, quis tam stultus ut colat? détournent les yeux du ciel et ne les ont
Si in absentium, colendi ergo non attachés qu'à la terre ; ils craignent même
sunt, si nec vident quae facimus, nec des dieux qui ne sont l'ouvrage que de leurs
audiunt quae precamur. Si autem dii mains, comme si quelqu'un pouvait être
absentes esse non possunt, qui plus grand que son créateur.
quoniam divini sunt, in quacumque
mundi parte fuerint, vident et audiunt
universa; supervacua ergo sunt
simulacra, illis ubique praesentibus,
cum satis sit audientium nomina
precibus advocare. At enim
praesentes non nisi ad imagines suas
adsunt. Ita plane; quemadmodum
vulgus existimat, mortuorum animas

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circa tumulos et corporum suorum
reliquias oberrare. Sed tamen
postquam deus ille praesto esse
coepit, jam simulacro ejus opus non
est.
Quaero enim, si quis imaginem
hominis peraegre constituti
contempletur saepius, ut ex ea
solatium capiat absentis, num idem
sanus esse videatur, si, eo reverso
atque praesente, in contemplanda
imagine perseveret, eaque potius,
quam ipsius hominis aspectu frui
velit? Minime profecto. Etenim II. N'y a-t-il pas bien de la folie, et n'est-
hominis imago necessaria tum ce pas une erreur bien grande à l'homme,
videtur, cum procul abest; de former de ses mains des dieux qu'il doit
supervacua futura, cum praesto est: craindre quand ils sont faits, ou de craindre
Dei autem, cujus spiritus ac numen lui-même ces mêmes dieux quand il les a
ubique diffusum, abesse numquam formés ? Mais ce ne sont pas, me dira-t-on,
potest, semper utique imago ces mêmes dieux qui ont été formés par
supervacua est. Sed verentur, ne l'homme que nous craignons, ce sont ceux
omnis eorum religio inanis sit et vana, à l'image et a la représentation desquels ils
si nihil in praesenti videant quod ont été faits et auxquels ils ont été
adorent, et ideo simulacra consacrés. Ainsi donc, vous craignez ceux
constituunt, quae quia mortuorum que nous croyons être dans le ciel ; et cela
sunt imagines, similia mortuis sunt; ne peut être autrement s'ils sont
omni enim sensu carent. Dei autem in véritablement dieux. Pourquoi, dans cette
aeternum viventis vivum et sensibile pensée, n'élevez-vous pas toujours les
debet esse simulacrum. Quod si a yeux vers le ciel et faites-vous en secret
similitudine in nomen accepit, des sacrifices à vos dieux quand vous
quomodo possunt ista simulacra Deo voulez les invoquer? Pourquoi vous
similia judicari, quae nec sentiunt, adressez-vous à des murailles, à du bois, et
nec moventur? Itaque simulacrum surtout à des pierres, seuls objets que vous
Dei non illud est, quod digitis hominis voyez dans vos temples, où vous croyez
ex lapide, aut aere, aliave materia que vos dieux résident? Ces temples, ces
fabricatur; sed ipse homo, quoniam et autels, et enfin ces simulacres de vos dieux,
sentit, et movetur, et multas sont-ce autre chose que des
magnasque actiones habet. Nec

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intelligunt homines ineptissimi, quod, représentations de personnes mortes ou
si sentire simulacra et moveri absentes? L'idée que les hommes ont eue,
possent, ultro adoratura hominem en imaginant de faire et de fabriquer de
fuissent, a quo sunt expolita, quae pareils simulacres, n'a été que de perpétuer
essent aut incultus et horridus lapis, la mémoire de ceux qui sont morts ou de
aut materia informis ac rudis, nisi ceux dont ils ont été obligés de se séparer
fuissent ab homine formata. et qui sont absents. Dans laquelle de ces
Homo igitur illorum quasi parens deux classes mettrons-nous donc vos
putandus est, per cujus manus nata dieux? Si nous les mettons dans celle des
sunt, per quem speciem, figuram, morts, quelqu'un peut-il être assez insensé
pulchritudinem habere coeperunt. Et pour les adorer? Si nous les mettons dans
ideo melior est qui fecit, quam illa celle des absents, on ne doit point non plus
quae facta sunt. Et tamen factorem les adorer, puisqu'ils ne voient point ce que
ipsum nemo suspicit, aut veretur: vous faites et n'entendent point les vœux
quae fecit, timet, tamquam plus et les prières que vous leur adressez. Si, au
possit esse in opere, quam in opifice. contraire, ces dieux ne peuvent être
Recte igitur Seneca in libris absents d'aucun endroit, parce qu'étant
moralibus: Simulacra, inquit, deorum dieux ils sont répandus dans toutes les
venerantur, illis supplicant genu parties du monde, qu'ils voient tout et qu'ils
posito, illa adorant, illis per totum entendent tout, les simulacres que les
assident diem, aut astant, illis stipem hommes font pour les représenter sont fort
jaciunt, victimas caedunt; et cum inutiles puisqu'ils sont présents partout, et
haec tantopere suspiciant, fabros, qui qu'il suffit de se pouvoir faire entendre par
illa fecere, contemnunt. Quid inter se ceux qu'on invoque. Mais ils ne sont là
tam contrarium, quam statuarium présents que par rapport à leurs figures qui
despicere, statuam adorare, et eum y sont, et comme autrefois les peuples
ne in convictum quidem admittere, croyaient que les âmes des morts erraient
qui tibi deos faciat? Quam ergo vim, autour de leurs tombeaux et des restes de
quam potestatem habere possunt, leurs corps. Cependant, après que leur dieu
cum ipse, qui fecit illa, non habeat? a exaucé leurs vœux et leurs prières, leur
Sed ne haec quidem dare his potuit, simulacre est inutile ; car je demande si
quae habebat, videre, audire, loqui, quelqu'un contemplait souvent le portrait
moveri. Quisquamne igitur tam d'un homme qui serait dans un pays fort
ineptus est, ut putet aliquid esse in éloigné, dans l'idée de se consoler de son
simulacro dei, in quo ne hominis absence, cet homme serait-il bien sensé si
quidem quidquam est praeter son ami, étant revenu de ces pays lointains,
umbram? Sed haec nemo considerat; et étant avec lui, il continuait de contempler
infecti sunt enim persuasione, ac toujours son portrait, et avait plus de plaisir

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mentes eorum penitus fucum à le regarder qu'à regarder son ami ? Sans
stultitiae perbiberunt. Adorant ergo doute cela serait ridicule, car le portrait
insensibilia, qui sentiunt; d'une personne ne peut faire plaisir à voir
irrationabilia, qui sapiunt; exanima, que quand elle est absente; mais sitôt
qui vivunt; terrena, qui oriuntur e qu'elle est présente, il semble qu'il devient
coelo. Juvat ergo, velut in aliqua inutile. Or Dieu, dont l'esprit est toujours
sublimi specula constitutum, unde répandu partout ne peut être absent
universi exaudire possint, Persianum d'aucun endroit ; par conséquent, il est
illud proclamare, inutile d'en avoir le simulacre ou la figure.
O curvae in terras animae, et « Mais il est à craindre, me dira-t-on, que
coelestium inanes! Coelum potius toute leur religion ne devienne vaine et
intuemini, ad cujus spectaculum vos inutile s'ils n'ont point un objet présent qui
excitavit ille artifex vester Deus. Ille leur rappelle l'idée de celui qu'ils adorent;
vobis sublimem vultum dedit; vos in et c'est ce qui les a engagés à faire des
terram curvamini: vos altas mentes, simulacres et des représentations qui
et ad parentem suum cum corporibus ressemblent à des morts, parce qu'elles
suis erectas, ad inferiora deprimitis, sont véritablement la représentation de
tamquam vos poeniteat non gens qui sont morts, n'ayant plus aucune
quadrupedes esse natos. Fas non est sensation, au lieu que le simulacre d'un
coeleste animal cum terrenis, in Dieu vivant et éternel doit être vivant et
terramque vergentibus coaequari. sensible. Si c'est la propre ressemblance
Quid vos beneficiis coelestibus qui leur a fait donner leurs noms, comment
orbatis, pronique in humum vestra peut-on se figurer et croire que ces idoles
sponte procumbitis? Humi enim ou simulacres ressemblent au dieu qu'ils
miseri volutamini, cum deorsum représentent, puisqu'ils sont insensibles et
quaeritis quod in sublimi quaerere ne sont capables d'aucun mouvement ?
debuistis. Nam ista mortalium Ainsi donc le simulacre du vrai Dieu n'est
digitorum ludicra et fragilia figmenta, point celui qui est fait par main d'homme
ex quolibet materiae genere formata, avec une pierre, de l'airain ou quelque
quid aliud sunt, nisi terra, ex qua nata autre matière ; mais ce doit être l'homme
sunt? Quid ergo rebus inferioribus lui-même, parce qu'il a le don de sentir et
subjacetis? quid capitibus vestris de se mouvoir lui-même, et qu'il est
terram superponitis? Cum enim vos capable de toute sorte d'actions. Mais ces
terrae submittitis, humilioresque adorateurs des faux dieux ne font pas
facitis, ipsi vos ultro ad inferos attention que, quand même ces idoles qu'ils
mergitis, ad mortemque damnatis, adorent auraient du sentiment et
quia nihil terra inferius et humilius, pourraient avoir quelque mouvement, on
nisi mors et inferi. Quae si effugere devrait bien plutôt adorer ceux qui les

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velletis, subjectam pedibus vestris auraient faits et y auraient mis la dernière
terram contemneretis, corporis statu main, puisque, sans leur travail, ce ne
salvo: quod idcirco rectum accepistis, serait encore qu'une masse informe, une
quo oculos atque mentem cum eo, qui pierre brute, ou quelque autre matière qui
fecit, conferre possitis. Contemnere n'aurait aucune figure. Ainsi l'homme doit
autem et calcare terram, nihil aliud être regardé comme leur créateur, car ils
est quam simulacra non adorare, quia n'ont pris leur naissance, leur forme, leur
de terra ficta sunt, item divitias non figure, leur beauté et leur perfection que du
concupiscere, voluptates corporis travail et de l'adresse de leurs mains. Ainsi
spernere, quia opes et corpus ipsum, il faut convenir que celui qui a fait cette
cujus hospitio utimur, terra est. idole qui devient si vénérable, doit être plus
Vivum colite, ut vivatis; moriatur considéré que l'idole même qui ne serait
enim necesse est, qui se suamque rien sans lui. Cependant personne ne
animam mortuis adjudicavit. considère ni ne craint cet habile ouvrier, et
il craint et vénère lui-même son ouvrage,
comme si la statue qui sort de la main de
l'ouvrier avait plus de pouvoir et de crédit
que l'ouvrier lui-même. C'est ce qui a si
bien fait dire à Sénèque dans ses livres de
morale : « Les simulacres des dieux sont
révérés; on fléchit le genou devant eux, on
les adore, on est en prières et en
méditations des jours entiers devant ces
figures, on leur offre et présente de
l'argent, on leur immole des victimes ; mais
pour peu que ceux qui leur rendent un
pareil culte y veuillent faire attention, ils
méprisent les ouvriers qui les ont faits. » Y
a-t-il rien, je vous prie, de si opposé et de
si contradictoire que d'adorer la statue et
de mépriser l'ouvrier qui l'a faite, et de ne
vouloir pas seulement admettre a la table
celui qui a fait les dieux que nous adorons
? Quelle force et quelle puissance peuvent
avoir ces dieux, puisque celui qui les a faits
n'en a aucune, n'ayant pas pu lui-même
leur communiquer seulement les facultés
qu'il avait, qui étaient de voir, d'entendre,

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de parler, de se mouvoir. Peut-il donc y
avoir quelqu'un d'assez insensé pour croire
qu'il peut y avoir quelque chose de
respectable dans le simulacre d'un dieu,
dans lequel on ne trouve tout au plus que
l'ombre et la ressemblance d'un homme?
Cependant personne ne fait ces réflexions,
et tout le monde demeure dans son erreur
et dans sa prévention, étant comme enivré
de son erreur et de sa folie. Ainsi nous
voyons que des hommes qui ont du
sentiment adorent des dieux insensibles;
que des hommes qui sont raisonnables en
adorent qui n'ont aucune raison; que des
hommes qui vivent et qui respirent adorent
des dieux sans vie, sans force et sans
puissance ; et que des hommes qui tirent
leur origine du ciel adorent des choses
terrestres. Oh ! qu'avec raison nous
devrions nous écrier avec Perse, de
manière que tout le monde puisse nous
entendre :

Pourquoi les hommes rampent-ils


toujours sur la terre, et pourquoi
s'éloignent-ils si fort du ciel.

Mais élevons plutôt nos yeux vers le ciel,


ce grand ouvrier et auteur de toute chose,
doit nous y exciter et nous y porter. Il nous
a donné un visage et un regard élevé, et
vous le fixez seulement sur la terre; il vous
a donné un esprit supérieur et capable de
s'élever jusqu'aux choses divines, et vous
ne pensez qu'à des choses abjectes et
terrestres, comme si vous étiez fâché de
n'être pas nés comme les bêtes brutes. Un
homme, qui est né pour le ciel, ne devrait
point s'égaler et se comparer à tout ce qui

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est terrestre et abject: et pourquoi, vous
privant vous-mêmes de tous les biens et de
tous les avantages célestes, vous attachez-
vous volontairement aux biens terrestres ?
L'homme vit malheureux sur la terre quand
il cherche ici-bas ce qu'il ne peut trouver
que dans le ciel; car tous les dieux que les
hommes font, de quelque manière qu'ils
soient composés, sont-ils autre chose que
de la terre? Ainsi, pourquoi vous
soumettez-vous à des choses purement
terrestres ? Pourquoi élevez-vous des
choses terrestres au-dessus de vous? Car,
quand vous vous soumettez à des choses
terrestres, et que vous vous humiliez à ce
point, vous vous condamnez vous-mêmes
à la mort, et vous courez le grand chemin
des enfers, parce qu'il n'y a rien au-dessous
et plus abject que la terre, excepté la mort
et les enfers; et si vous voulez les éviter, il
faut mépriser tout ce qui est terrestre, et
n'y point laisser assujettir votre corps, afin
que vous soyez toujours en état d'élever
vos yeux et votre esprit vers celui dont vous
tenez l'être. Quand je dis qu'il faut mépriser
tout ce qui est. terrestre, je n'entends dire
autre chose que de ne point adorer les faux
dieux, parce qu'ils ne sont faits que de
terre, tout comme de ne point s'attacher
aux richesses, de mépriser toutes les
voluptés du corps, parce que les richesses
et notre corps même, qui sert de prison à
notre âme, ne sont que des choses
terrestres. Adorez le vrai Dieu si vous
voulez vivre : car il faut nécessairement
que celui qui se consacre lui-même aussi

13
bien que son âme à des morts, meure lui-
même.

CAPUT III. Quod Cicero III. Mais que sert au peuple et à des
aliique doctiores peccaverunt, gens ignorants de les prêcher ainsi, puisque
non avertendo populos ab errore. nous voyons des gens très sages et très
Sed quid prodest ad vulgus et ad savants qui, quoiqu'ils connaissent à
homines imperitos hoc modo merveille la fausseté de ces religions,
concionari? cum videamus etiam néanmoins ne laissent pas de persister dans
doctos et prudentes viros, cum leur erreur et de continuer d'adorer des
religionum intelligant vanitatem, dieux qu'ils méprisent. Cicéron sentait fort
nihilominus tamen in iis ipsis, quae bien que tous les dieux que les Romains
damnant, colendis nescio qua adoraient dans leurs temples étaient de
pravitate perstare. Intelligebat Cicero faux dieux ; car après avoir dit plusieurs
falsa esse, quae homines adorarent. choses qui tendaient à faire voir l'illusion de
Nam cum multa dixisset quae ad leur religion et à la détruire, il dit ensuite :
eversionem religionum valerent, ait « Il ne faut cependant pas disputer sur cette
tamen non esse illa vulgo disputanda, matière devant le peuple, de peur que de
ne susceptas publice religiones pareilles disputes ne ruinent totalement une
disputatio talis extinguat. Quid de eo religion qui deviendrait suspecte. » Que
facias, qui, cum errare se sentiat, peut-on faire à un homme qui s'égare
ultro ipse in lapides impingat, ut volontairement, et qui s'arrache les yeux
populus omnis offendat? ipse sibi pour que les autres deviennent aveugles?
oculos eruat, ut omnes caeci sint? qui qui ne rend service ni aux autres, qu'il laisse
nec de aliis bene mereatur, quos dans l'erreur, ni à lui-même, qui suit les
patitur errare; nec de se ipso, qui erreurs des autres, qui ne se sert point de
alienis accedit erroribus, nec utitur ses lumières et ne fait pas le bien qu'il
tandem sapientiae suae bono, ut connaît, et qui s'embarrasse lui-même dans
factis impleat, quod mente percepit, le filet d'où il devait retirer le peuple ?
sed prudens et sciens pedem laqueo Employez, ô Cicéron, les talents que vous
inserit, ut simul cum caeteris, quos avez reçus du ciel pour inspirer quelque
liberare ut prudentior debuit, et ipse sentiment de sagesse à vos concitoyens,
capiatur? Quin potius, si quid tibi, c'est un sujet qui mérite que vous déployiez
Cicero, virtutis est, experire populum toute la force de votre éloquence. Il ne faut
facere sapientem: digna res est, ubi pas appréhender que les paroles vous
omnes eloquentiae tuae vires manquent quand vous défendrez ainsi une
exerceas. Non enim verendum est ne si bonne cause, puisque vous en avez

14
te in tam bona causa deficiat oratio, souvent trouvé une merveilleuse abondance
qui saepe etiam malas copiose ac pour défendre les plus mauvaises. Mais
fortiter defendisti. Sed nimirum vous faites difficulté d'entreprendre la
Socratis carcerem times, ideoque défense de la vérité, parce que vous
patrocinium veritatis suscipere non appréhendez d'être mis en prison comme
audes. At mortem ut sapiens Socrate ; l'amour de la sagesse devait vous
contemnere debuisti. Et erat quidem donner du mépris de la mort, et il valait
multo pulchrius, ut ob bene dicta mieux la souffrir pour avoir fait des discours
potius, quam ob maledicta morereris. utiles à tout le monde que pour avoir fait de
Nec plus tibi laudes Philippicae afferre violentes invectives. Quelque gloire que vos
potuerunt, quam discussus error Philippiques vous aient acquise, ce vous en
humani generis, et mentes hominum aurait été une incomparablement plus
ad sanitatem tua disputatione grande d'avoir détrompé les esprits. Mais
revocatae. quand nous pardonnerions à la crainte qui
Sed concedamus timiditati, quae vous empêche de déclarer la vérité, et qui
in sapiente esse non debet. Quid ergo est pourtant indigne d'un homme qui fait
ipse in eodem versaris errore? Video profession de l'étude de la sagesse,
te terrena et manufacta venerari: pourquoi demeurez-vous attaché à la même
vana esse intelligis, et tamen eadem superstition que le vulgaire? Pourquoi
facis quae faciunt ipsi, quos ipse adorez-vous des idoles que les mains des
stultissimos confiteris. Quid igitur hommes ont faites avec de l'argile ? Vous
profuit vidisse te veritatem, quam nec savez qu'il n'y a que de la vanité et de
defensurus esses, nec secuturus? Si l'impiété dans le culte qu'on leur rend, et
libenter errant etiam ii qui errare se vous le leur rendez comme les plus
sentiunt, quanto magis vulgus ignorants et les plus insensés. De quoi vous
indoctum, quod pompis inanibus sert d'avoir connu la vérité, puisque vous
gaudet, animisque puerilibus spectat n'avez le courage ni de la suivre ni de la
omnia? oblectatur frivolis, et specie défendre? Que si des hommes savants, et
simulacrorum capitur, nec ponderare qui ont eu assez de lumières pour découvrir
secum unamquamque rem potest, ut l'erreur, se plaisent néanmoins à la suivre,
intelligat nihil colendum esse quod faut-il s'étonner que les ignorants s'y
oculis mortalibus cernitur, quia plaisent encore davantage? Ils aiment
mortale sit necesse est. Nec naturellement les spectacles, la pompe et la
mirandum est, si Deum non videant, magnificence, les figures et les ornements,
cum ipsi ne hominem quidem videant, mais ils ne sauraient pénétrer dans la
quem videre se credunt. Hoc enim nature des choses, ni reconnaître qu'il ne
quod oculis subjectum est, non homo, faut rien adorer de ce que l'on peut voir par
sed hominis receptaculum est; cujus les yeux du corps, parce que l'on ne peut

15
qualitas et figura, non ex lineamentis rien voir de la sorte qui ne soit corruptible
vasculi quo continetur, sed ex factis et périssable. Il ne faut pas s'étonner qu'ils
et moribus pervidetur. Qui ergo ne voient pas Dieu, puisqu'ils ne voient pas
colunt simulacra, corpora sunt même l'homme qu'ils croient voir. Ce que
hominibus carentia, quia se l'on voit de l'homme n'est qu'un vase qui le
corporalibus dediderunt, nec vident renferme; il faut juger de lui, non par la
plus aliquid mente quam corpore; figure de ce vase, mais par ses actions et
cum sit animi officium ea subtilius ses mœurs. Ceux qui adorent les idoles ne
cernere, quae acies corporalis non sont que des corps et non pas des hommes,
potest intueri. Quos homines idem ille parce qu'ils ne voient rien par les yeux de
philosophus ac poeta graviter l'esprit, qui sont les véritables yeux de
accusat, tamquam humiles et l'homme, et qui sont beaucoup plus subtils
abjectos, qui contra naturae suae et plus perçants que ceux du corps. Un
rationem ad veneranda terrena se poète, qui était aussi excellent philosophe,
prosternant: ait enim: reprend fortement la lâcheté avec laquelle
Et faciunt animos humiles les hommes s'abaissent jusqu'à adorer des
formidine divum, natures terrestres :
Depressosque premunt ad terram.
Il n'y a rien, dit-il, qui abaisse si fort le
Aliud quidem ille, cum haec
courage ni qui le rende si rampant, s'il est
diceret, sentiebat; nihil utique esse
permis de parler ainsi, que la superstition et
colendum, quia dii humana non
une trop forte appréhension de la puissance
curent.
des dieux.[2]
Denique alio loco religiones
Quand il parlait de la sorte, il avait une
deorum et cultus inane esse officium
autre pensée que celle que ses paroles
confitetur:
expriment, savoir, qu'il ne faut rendre
Nec pietas ulla est, velatum
aucun culte aux dieux parce qu'ils ne
saepe videri
prennent aucun soin de nos affaires. Il
Vertere se ad lapidem, atque omnes
avoue franchement en un autre endroit que
accedere ad aras,
tous les devoirs de la religion sont
Et procumbere humi prostratum, et
entièrement inutiles, quand il déclare
pandere palmas
ouvertement :
Ante deum delubra, nec aras
sanguine multo Que la piété ne consiste pas à tourner
Spargere quadrupedum, nec votis plusieurs fois autour d'une pierre, à se
nectere vota. prosterner contre terre, à s'approcher des
Quae profecto si cassa sunt, non autels, à lever les mains au ciel, à faire de
oportet sublimes et excelsos animos longues prières et à immoler des victimes.[3]

16
avocari, atque in terram premi, sed Que si ces devoirs ne servent de rien,
nihil aliud quam coelestia cogitare. faut-il qu'un esprit aussi élevé que celui de
Impugnatae sunt ergo a l'homme s'abaisse à les rendre et qu'il
prudentioribus falsae religiones, quia rampe sur la terre, au lieu d'être toujours
sentiebant esse falsas: sed non est par la pensée dans le ciel? Les plus éclairés
inducta vera, quia qualis, aut ubi ont combattu la religion des païens parce
esset, ignorabant. Itaque sic qu'ils en avaient examiné la fausseté, mais
habuerunt, tanquam nulla esset ils n'ont pas établi la vérité de la nôtre,
omnino, quia veram non poterant parce qu'ils ne les connaissaient pas.
invenire. Et eo modo inciderunt in L'impuissance où ils ont été de découvrir la
errorem multo majorem quam illi qui véritable religion, a été cause qu'ils n'en ont
falsam tenebant. Nam isti fragilium point du tout, et qu'ils ont été plus criminels
cultores, quamvis sint inepti, quia que ceux qui en ont une fausse; car, bien
coelestia constituunt in rebus que ceux qui avaient des idoles se
corruptibilibus atque terrenis, aliquid trompent, parce qu'ils prennent des choses
tamen sapientiae retinent, et habere terrestres et corruptibles pour les choses
veniam possunt, quia summum célestes et éternelles, ils sont pourtant
hominis officium, etsi non reipsa, excusables et même louables, en ce qu'ils
tamen proposito tenent: siquidem ont dessein de s'acquitter du principal
hominum atque mutorum, vel solum, devoir de l'homme, bien qu'ils ne s'en
vel certe maximum in religione acquittent pas de la manière qu'ils le
discrimen est. Hi vero quanto fuerunt doivent. La religion met la seule, ou au
sapientiores, quod intellexerunt moins la principale différence qu'il y ait
falsae religionis errorem, tanto facti entre les hommes et les animaux. Plus ceux
sunt stultiores, quod esse aliquam dont je parle ont été sages et éclairés,
veram non putaverunt. Itaque quand ils ont reconnu que la religion des
quoniam facilius est de alienis païens est fausse, plus ils ont été insensés
judicare, quam de suis; dum aliorum et aveugles quand ils se sont persuadés qu'il
praecipitium vident, non n'y en a point de véritable. Comme il est
prospexerunt quid ante suos pedes plus aisé de juger de ce qui regarde les
esset. In utraque igitur parte, et autres que de ce qui nous regarde nous-
summa stultitia invenitur, et odor mêmes, ils ont vu le précipice où les païens
quidam sapientiae: ut possis sont tombés et n'en ont pas vu un autre qui
dubitare, quos dicas potissimum était à leurs pieds. Il y a de côté et d'autre
stultiores, illosne qui falsam une extrême folie, bien qu'il y ait aussi
religionem suscipiunt, an eos qui quelques traces de sagesse. Il est difficile de
nullam. Sed (ut dixi) venia concedi dire quels sont les plus insensés, ou ceux
potest imperitis, et qui se sapientes qui admettent la fausse religion, ou ceux qui

17
non esse fateantur: his vero non n'en admettent aucune. On peut pourtant
potest qui, sapientiam professi, pardonner, comme je l'ai déjà dit, à ceux qui
stultitiam potius exhibent. Non sum ne sont pas éclairés, et qui font un aveu
equidem tam iniquus, ut eos putem sincère de leur peu de science, mais on ne
divinare potuisse, ut veritatem per saurait pardonner à ceux qui, faisant
seipsos invenirent; quod fieri ego non profession d'être sages et habiles, tombent
posse confiteor. Sed hoc ab his exigo, dans la dernière de toutes les
quod ratione ipsa praestare extravagances. Je n'ai pas si peu d'équité
potuerunt. Facerent enim prudentius, que de prétendre qu'ils devaient deviner et
si et intelligerent esse aliquam veram trouver la vérité d'eux-mêmes. J'avoue que
religionem, et falsis impugnatis, cela ne leur était pas possible. Mais il leur
aperte pronuntiarent, eam, quae vera était possible de découvrir par la lumière de
esset, ab hominibus non teneri. la raison qu'il y a une religion, de réfuter les
Sed moverit eos fortasse illud, fausses, et j'avoue franchement que la
quod si qua vera esset religio, véritable ne leur était pas connue. Il y a une
exereret se ac vindicaret, nec objection qui fait une forte impression sur
pateretur esse aliud quidquam. l'esprit de quelques-uns, c'est que s'il y
Videre enim nullo modo poterant, avait une véritable religion, elle ne
quare, aut a quo, et quemadmodum manquerait pas de paraître, et de dissiper
Religio vera opprimeretur; quod est par son éclat toutes les autres. Que ceux
divini sacramenti, et coelestis arcani. dont je parle n'aient pu comprendre
Id vero, nisi doceatur, aliquis scire comment la véritable religion demeurait
nullo pacto potest. Summa rei haec opprimée, c'est en effet un mystère
est: imperiti et insipientes falsas impénétrable à l'esprit humain. C'est ici le
religiones pro veris habent, quia principal point de notre sujet. Les ignorants
neque veram sciunt, neque falsam prennent une fausse religion pour la
intelligunt. Prudentiores vero, quia véritable, parce qu'ils ne connaissent ni
veram nesciunt, aut in iis, quas falsas l'une ni l'autre. D'autres plus éclairés
esse intelligunt, perseverant, ut demeurent dans une fausse religion, parce
aliquid tenere videantur, aut omnino qu'ils ne connaissent pas la véritable, et
nihil colunt, ne incidant in errorem, qu'ils ont peur de n'en avoir aucune, ou bien
cum id ipsum maximi sit erroris vitam ils n'en ont aucune de peur d'en avoir une
pecudum sub figura hominis imitari. fausse; ce qui est la plus grande de toutes
Falsum vero intelligere, est quidem les erreurs, et qui fait mener à l'homme une
sapientiae, sed humanae. Ultra hunc vie semblable à celle des bêtes. Pour
gradum procedi ab homine non reconnaître la fausseté d'une religion, il ne
potest; itaque multi philosophorum faut qu'une sagesse humaine et ordinaire.
religiones (ut docui) sustulerunt: L'homme ne saurait pourtant aller plus

18
verum autem scire divinae est avant, et c'est pour cela que plusieurs
sapientiae. Homo autem per seipsum philosophes ont nié absolument toutes les
pervenire ad hanc scientiam non religions; mais pour découvrir la véritable;
potest, nisi doceatur a Deo. Ita il faut être éclairé d'une sagesse divine, que
philosophi quod summum fuit l'homme ne saurait avoir si Dieu ne la lui
humanae sapientiae assecuti sunt, ut donne. Voilà comment les philosophes ont
intelligerent quid non sit: illud assequi découvert, par la lumière de la raison, la
nequiverunt, ut dicerent quid sit. Nota fausseté des religions païennes et n'ont pu
Ciceronis vox est : « Utinam tam découvrir la vérité de la nôtre. Cette parole
facile vera invenire possem, quam de Cicéron est connue de tout le monde [4] :
falsa convincere. » Quod quia vires « Plût à Dieu qu'il me fût aussi aisé de
humanae conditionis excedit, ejus connaître la vérité que de réfuter l’erreur !
officii facultas nobis est attributa, » Cette connaissance est au-dessus de la
quibus tradidit Deus scientiam nature ; mais Dieu nous l'accorde par sa
veritatis; cui explicandae quatuor grâce. Nous tâcherons de la communiquer
posteriores libri servient. Nunc aux autres dans les quatre derniers livres de
interim falsa, ut coepimus, cet ouvrage. Mais cependant continuons de
detegamus. réfuter la fausseté du paganisme.

CAPUT. IV. De IV. Que peuvent avoir de divin des


Simulacris, images qui ont été faites par un homme
ornamentisque de qui il dépendait, ou de ne les point
templorum, et eorum faire du tout, ou de les faire autrement
contemptu, etiam ab qu'elles ne sont ? Voilà pourquoi Priape
ipsis Gentilibus. parle ainsi dans Horace :

Je n'étais autrefois qu'un tronc de


Quid igitur majestatis
figuier, bois mutilé, lorsqu'un ouvrier,
possunt habere simulacra,
incertain s'il ferait de moi une escabelle
quae fuerunt in homunculi
ou un Priape, aima mieux que je
potestate, vel ut aliud
devinsse un dieu. Je suis donc un dieu
fierent, vel ut omnino non
par cette raison, l'effroi des voleurs et
fierent? Idcirco apud
des oiseaux.
Horatium Priapus ita
Qui ne sera pas en sûreté ayant un
loquitur:
gardien si vigilant et si redoutable ? Les
Olim truncus eram
voleurs seront peut-être assez timides
ficulnus, inutile lignum;
pour appréhender la présence de
Cum faber incertus,
Priape, bien que les oiseaux que l'on

19
scamnum faceretne croit mis en fuite par sa faux, s'arrêtent
Priapum, souvent sur les images des dieux, font
Maluit esse deum. Deus leur nid dans l'intérieur, et les souillent
inde ego, furum aviumque de leurs ordures. Horace s'est moqué
Maxima formido. comme un poète satirique de la vanité
Quis non sit tanto hoc des hommes. Mais cependant ceux qui
custode securus? Fures adorent les images agissent
enim tam stulti sunt, ut sérieusement. Un poète fort célèbre, et
Priapi tentiginem timeant; d'ailleurs fort sensé, Virgile s'est trompé
cum aves ipsae, quas comme le plus faible de tous les
terrore falcis aut inguinis nommes, quand dans ces livres qu'il a
abigi existimant, corrigés avec tant de soin il a ordonné
simulacris fabrefactis, id ce qui suit :
est, hominum plane
Priez Priape, afin qu'avec sa faux il
similibus, insidant,
chasse les oiseaux qui pourraient
nidificent, inquinent. Sed
manger vos grains, et épouvante les
Flaccus, ut satyrici
voleurs qui pourraient vous faire tort.
carminis scriptor, derisit
Les hommes adorent donc des
hominum vani-tatem.
ouvrages périssables de la main des
Verum ii qui faciunt,
hommes, des ouvrages que l'on peut
seriam se facere rem
rompre et brûler. Ils sont souvent brisés
opinantur. Denique poeta
par la chute de la couverture des
maximus, homo in caeteris
temples qui tombent en ruines; ils sont
prudens, in hoc solo non
réduits en cendres par le feu, ou ils sont
poetice, sed aniliter
quelquefois enlevés par les voleurs, si
desipuit; cum in illis
ce n'est que la pesanteur de leur masse
emendatissimis libris
ou la vigilance des gardes les garantisse
etiam fieri hoc jubet:
de cet outrage. Quelle folie de craindre
Et custos furum atque
des images pour lesquelles ou craint, ou
avium, cum falce saligna,
qu'elles ne soient brisées par la chute
Hellespontiaci servet
d'un bâtiment, ou consumées par le feu,
tutela Priapi.
ou enlevées par les voleurs ! Quelle
Adorant ergo
extravagance d'attendre protection de
mortalia, ut a mortalibus
ces images qui ne se sauraient sauver
facta. Frangi enim,
elles-mêmes ! Quel désordre d'avoir
cremari, perire possunt.
recours à des figures que l'on outrage
Nam et tectis vetustate
impunément, si ceux qui les adorent ne
labentibus saepe

20
comminui solent, et prennent le soin de les venger ! Où se
consumpta incendio trouve donc la vérité de la religion? Elle
dilabuntur in cinerem, et se trouve où la religion ne peut souffrir
plerumque (nisi sua illis de violence, où l'impiété ne saurait
magnitudo subvenerit, aut commettre de sacrilège. Tout ce qui
custodia diligens sepserit) peut être ou vu ou touché est fragile, et
in praedam furibus cedunt. partant ne saurait être l'objet de notre
Quae igitur insania est, ea culte. C'est donc en vain que l'on fait
timere, pro quibus aut des dieux d'ivoire, et qu'on les enrichit
ruinae, aut ignes, aut furta avec de l'or et des perles, comme s'ils
timeantur? Quae vanitas, pouvaient prendre quelque plaisir à ces
aliquam ab his sperare ornements. De quoi ces parures
tutelam, quae tueri peuvent-elles servir à des images qui
semetipsa non possunt? n'ont point de sentiment? Les honneurs
Quae perversitas, ad que l’on rend aux dieux sont semblables
eorum praesidia aux devoirs que l'on rend aux morts. On
decurrere, quae ipsa, cum embaume les corps et on leur met de
violantur, inulta sunt, nisi riches habits, avant de les enfermer
a colentibus vindicentur? dans les tombeaux. On pare de même
Ubi ergo veritas est? ubi les dieux qui n'ont aucun sentiment de
nulla vis adhiberi potest ce que l'on prétend figuré pour les
Religioni; ubi nihil, quod honorer. Perse ne trouvait pas bon que
violari possit, apparet; ubi l'on mît des vases d'or dans les temples,
sacrilegium fieri non et il fait voir qu'il est inutile d'employer,
potest. dans l'exercice de la religion, un métal
Quidquid autem oculis qui est plus propre à exciter l'avarice
manibusque subjectum qu'à entretenir la piété. Les présents
est, id vero, quia fragile qu'il veut que l'on offre à Dieu sont:
est, ab omni ratione
Un esprit rempli des sentiments de
immortalitatis est alienum.
l'équité et de la justice, et un cœur
Frustra igitur homines
brûlant de l'amour de l'honnêteté et de
auro, ebore, gemnis deos
la vertu.
excolunt et exornant;
Il n'y a rien de plus raisonnable que
quasi vero ex his rebus
ce sentiment; mais ce qu'il ajoute est
ullam possint capere
ridicule, quand il dit que l'or tient le
voluptatem. Quis usus est
même rang, dans les temples
pretiosorum munerum
nihil sentientibus? an ille

21
qui mortuis? Pari enim
Que les poupées que les filles
ratione defunctorum
donnent à Vénus, et que cette déesse
corpora, odoribus ac
méprise à cause de leur petitesse.
pretiosis vestibus illita et
Il ne songeait pas que les figures et
convoluta, humi condunt,
les images des dieux faites d'or et
qua deos honorant, qui
d'ivoire par la main des Praxitèle,
neque cum fierent,
d'Euphranor ou de Phidias, ne sont
sentiebant, neque cum
autre chose que de grandes poupées
coluntur, sciunt; nec enim
consacrées, non en jouant par de
sensum consecratione
jeunes filles à qui ce divertissement
sumpserunt. Non placebat
serait pardonnable, mais sérieusement
Persio, quod aurea vasa
par des hommes avancés en âge.
templis inferantur,
Sénèque a raison de se moquer de la
supervacuum putanti esse
folie des vieillards, quand il dit : « Nous
inter religiones, quod non
ne sommes pas deux fois enfants,
sanctitatis, sed avaritiae
comme on le dit communément, mais
sit instrumentum. Illa
nous le sommes toujours. Toute la
enim satius est Deo, quem
différence qu'il y a entre eux et nous,
recte colas, inferre pro
c'est que nous jouons plus grand jeu. »
munere.
Quand les hommes ont paré les images,
Compositum jus,
qui ne sont que de grandes poupées, ils
fasque animi, sanctosque
leur offrent de l'encens, des parfums et
recessus
des odeurs, et ils leur sacrifient de
Mentis, et incoctum
grasses victimes. Ces images ont une
generoso pectus honesto.
bouche, mais elles ne s'en peuvent
Egregie, sapienterque
servir pour manger. On leur présente
sensit. Verum illud ridicule
des voiles et des habits dont elles n'ont
subdidit: hoc esse aurum
aucun besoin. On leur donne de l'or et
in templis, quod sint,
de l'argent, qu'elles ne possèdent non
Veneri donatae a virgine
plus que ceux qui ne l'ont plus quand ils
pupae: quas ille ob
le leur ont donné.
minutiem fortasse
Quand Denys, tyran de Sicile, eut
contempserit. Non videbat
remporté une victoire qui le rendait
enim, simulacra ipsa et
maître de la Grèce, il eut raison de
effigies deorum, Polycleti,
mépriser et de dépouiller les dieux, et
et Euphranoris, et Phidiae
d'ajouter la raillerie au sacrilège. Il fit
manu ex auro atque ebore
enlever à Jupiter Olympien un manteau
perfectas, nihil aliud esse

22
quam grandes pupas, non d'or, et lui en fit donner un de laine, en
a virginibus, quarum disant que le manteau d'or était trop
lusibus venia dari potest, pesant en été, et trop froid en hiver, au
sed a barbatis hominibus lieu que celui de laine était plus propre
consecratas. Merito igitur en l'une et en l'autre des saisons. Il ôta
etiam senum stultitiam la barbe d'or à Esculape, et dit qu'il était
Seneca deridet. Non, contre la bienséance qu'il eût une
inquit, bis pueri sumus (ut grande barbe, puisque Apollon son père
vulgo dicitur); sed n'en avait point. Il prit aussi des coupes
semper. Verum hoc et d'autres petits présents qui étaient
interest, quod majora nos aux mains des images, et dit que c'était
ludimus. Ergo his ludicris, les recevoir d'elles et non pas les leur
et ornatis, et grandibus ôter, ajoutant qu'il y avait de la folie ou
pupis et unguenta, et même de l'ingratitude à ne pas recevoir
thura, et odores inferunt: des mains des dieux ce qu'ils nous
his opimas et pingues offrent, puisque nous leur demandons
hostias immolant, quibus tous les jours des grâces. Il en usa de la
est quidem os, sed carens sorte, parce qu'il avait entre les mains
officio dentium: his peplos la souveraine puissance, et que la
et indumenta pretiosa, victoire secondait ses entreprises. Le
quibus usus velaminis bonheur ne cessa point pour cela de le
nullus est: his aurum et suivre. Il vécut jusqu'à une extrême
argentum consecrant, vieillesse, et laissa son royaume à son
quae tam non habent qui fils. Puisque les hommes n'étaient pas
accipiunt, quam qui illa assez forts pour punir ces sacrilèges, les
donarunt. dieux ne devaient-ils pas entreprendre
Nec immerito de le faire ? Si un homme de basse
Dionysius, Siciliae condition les avait commis, ou aurait eu
tyrannus, post victoriam tout prêts, les fouets, le feu, les
Graecia potitus, deos tales chevalets, les potences, et les autres
contempsit, spolia-vit, instruments de la colère et de la
illusit: siquidem sacrilegia vengeance. Mais ceux qui punissent de
sua jocularibus etiam la sorte les sacrilèges se défient du
dictis prosequebatur. Nam pouvoir de leurs dieux. Car s'ils sont
cum Jovi Olympio aureum persuadés qu'ils ont quelque pouvoir, ils
amiculum detraxisset, leur doivent laisser le soin de venger
laneum jussit imponi, leurs propres injures. Ils croient que
dicens, aestate grave esse c'est par leur permission ou par leur

23
aureum, hyeme frigidum, ordre, que les coupables sont
laneum vero utrique découverts et arrêtés ; quand ils les ont
tempori aptum. Idem entre les mains, ils les châtient moins
auream barbam detrahens par colère, que par crainte d'être
Aesculapio, incongruens et châtiés en leur place. N'est-ce pas une
iniquum esse ait, cum extravagance insupportable,
Apollo pater ejus imberbis d'appréhender que les dieux, qui n'ont
esset adhuc, ac laevis, pu faire de mal à ceux qui les ont
priorem filium quam dépouillés, ne fassent souffrir à des
patrem barbatum videri. innocents la peine de ces sacrilèges? On
Item pateras, et exuvias, dira peut-être qu'ils ont quelquefois
et parva quaedam sigilla, puni les coupables; s'ils les ont
quae simulacrorum quelquefois punis, ce n'a été que par
protentis manibus hasard, puisqu'ils ne les ont pas
tenebantur, detrahebat: et toujours punis. Je ferai voir dans la suite
accipere se illa, non de quelle manière cela est arrivé. Je
auferre dicebat; perquam demande cependant pourquoi les dieux
enim stultum esse et n'ont pas réprimé une insolence aussi
ingratum, nolle accipere manifeste et aussi publique que celle
ab his ultro porrigentibus, avec laquelle Denys le Tyran les avait
a quibus bona sibi homines joués? Pourquoi ne chassaient-ils pas de
precarentur. Haec ille fecit leurs temples ce fameux sacrilège, et
impune, quia rex et victor pourquoi ne lui défendaient-ils pas de
fuit. Quin etiam secuta est regarder leurs images et d'assister à
eum solita felicitas: vixit leurs cérémonies? Pourquoi
enim usque ad permettaient-ils qu'il eut une navigation
senectutem, regnumque heureuse, et qu'il dit, en raillant, selon
per manus filio tradidit. In sa coutume, ceux de sa suite qui
eo igitur, quia homines appréhendaient le naufrage : « Vous
sacrilegia vindicare non voyez combien les dieux sont propices à
poterant, oportuit deos eux-mêmes qui violent la sainteté de
ipsos sui vindices esse. At leurs temples. » C'est qu'il avait peut-
si humilis quispiam tale être appris de Pluton que les dieux ne
quid commiserit, huic sont rien.
praesto sunt flagella, Que dirons-nous de Verrès que
ignes, equulei, cruces, et Cicéron compare à Denys, à Phalaris et
quidquid excogitare iratis aux autres tyrans? Quand il pilla la
et furentibus licet. Sed Sicile, n'enleva-t-il pas tous les

24
cum puniunt deprehensos ornements des temples et toutes les
in sacrilegio, ipsi de images des dieux? Je n'ai pas assez de
deorum suorum potestate loisir pour m'arrêter à toutes les
diffidunt. Cur enim illis circonstances ; je n'en marquerai
potissimum non relinquant qu'une seule sur laquelle ce fameux
ulciscendi sui locum, si eos accusateur déploya toute son
posse aliquid arbitrantur? éloquence, je parle de la profanation
Quin etiam putant illorum des mystères de Cérès de Catane ou
numine accidisse, ut d'Enna : l'une était honorée avec un si
praedones rerum profond respect qu'il n'était pas permis
sacrarum deprehensi aux hommes d'entrer dans son temple;
tenerentur; et saeviunt le culte de l'autre était si ancien que
non tam ira, quam metu, toutes les histoires font foi qu'elle
ne si deorum injuriam non inventa la première, dans le territoire
vindicaverint, ipsos d'Enna, où sa fille fut enlevée, l'art de
expetant poenae; semer les grains. Enfin, lorsque la
incredibili scilicet vanitate, tranquillité publique fut troublée par les
qui nocituros sibi deos séditions des Gracques, on trouva dans
putent ob aliena scelera, les livres des sibylles et on reconnut
qui ipsis, a quibus violati même par les prodiges qui parurent,
spoliatique sunt, per qu'il fallait apaiser l'ancienne Cérès, et
seipsos nihil nocere on envoya à cet effet des ambassadeurs
potuerunt. At enim saepe à Enna. Cérès, soit que ce fût la plus
ipsi quoque in sacrilegos mystérieuse, qu'il n'était pas permis
vindicaverunt: potest id aux hommes de voir, non pas même à
vel casu accidisse, quod dessein de lui rendre leurs respects, ou
aliquando, non semper. bien que ce fût la plus ancienne, que le
Sed tamen paulo post, sénat et le peuple apaisèrent par des
quomodo id acciderit, sacrifices, cette Cérès, dis-je, fut
ostendam. Nunc interim enlevée impunément de l'endroit le plus
quaero, cur illi tot et tanta secret et le plus saint de son temple, par
sacrilegia in Dionysio non des voleurs auxquels Verrès avait donné
vindicaverunt, qui non cet ordre. Quand le même orateur
furtim, sed palam deos exprime la manière dont les habitants
ludibrio habuit? Cur hunc de Sicile l'avaient prié d'entreprendre
tam potentem sacrilegum leur défense, il témoigne « qu'ils
a templis, a ceremoniis, ab n'avaient plus de dieux dont ils pussent
imaginibus suis non implorer la protection, comme si Verrès

25
arcuerunt? Cur etiam eût chassé les dieux du ciel, en ôtant
sacris rebus ablatis, leurs images des temples. » Il paraît par
prospere navigavit? quod là que les dieux ne sont autre chose que
joco ipse testatus est (ut la matière dont leurs images sont
solebat). Videtisne (inquit formées. Les Siciliens eurent raison
comitibus suis naufragium d'avoir recours à vous, Cicéron, après
timentibus) quam avoir reconnu pendant trois ans
prospera sacrilegis combien leurs dieux avaient peu de
navigatio ab ipsis diis pouvoir. Ils auraient eu fort peu de sens
immortalibus tribuatur? s'ils les eussent priés de les défendre
Sed hic fortasse a Platone contre Verrès, eux qui n'avaient pu lui
didicerat, deos nihil esse. témoigner aucun ressentiment des
Quid Caius Verres? outrages qu'il leur avait faits. Mais
quem Tullius, accusator Verrès fut condamné pour ces
ejus, eidem Dionysio, et sacrilèges. Ce ne furent donc pas les
Phalaridi, et tyrannis, dieux qui le châtièrent ; ce fut Cicéron
omnibus comparat. Nonne qui eut l'adresse de ruiner ou le pouvoir
omnem Siciliam ou la faveur de ceux qui le protégeaient.
compilavit, sublatis On peut dire de plus que l'arrêt qui fut
deorum simulacris, prononcé contre lui, fut moins une
ornamentisque fanorum? condamnation qu'une décharge. Les
Otiosum est persequi dieux lui accordèrent une aussi agréable
singula. Unum libet tranquillité qu'ils avaient accordée à
commemorare in quo Denys le Tyran une navigation
accusator omnibus heureuse. Sa condamnation même, qui
eloquentiae viribus, omni l’éloigna des emplois, le garantit des
denique conatu vocis et dangers qui en enlevèrent beaucoup
corporis deploravit, de d'autres durant la fureur des guerres
Cerere Catinensi, vel civiles. Il demeura seul debout pendant
Ennensi; quarum alterius que d'autres tombaient de tous côtés,
tanta fuit religio, ut adire lui qui semblait être tombé seul pendant
templi ejus secreta que les autres étaient demeurés
penetralia viris nefas debout. Enfin il jouit longtemps des
esset; alterius antiquitas richesses immenses qui étaient le fruit
tanta, ut omnes historiae de ses sacrilèges, et les posséda jusqu'à
loquantur ipsam deam une extrême vieillesse, et jusqu'à ce
fruges in Ennae solo qu'il fut enlevé du monde par la
primum reperisse, proscription du même triumvirat, par

26
filiamque ejus virginem ex laquelle Cicéron, ce fameux défenseur
eodem loco raptam. de la puissance outragée des dieux, fut
Denique Gracchanis aussi enlevé. Il eut le plaisir même
temporibus, turbata d'apprendre, avant d'expirer, le genre
republica et seditionibus et cruel de mort qu'on avait fait souffrir à
ostentis, cum repertum son accusateur, comme si les dieux
esset in carminibus eussent pris soin que ce profanateur de
Sibyllinis antiquissimam la sainteté de leurs temples, eût en
Cererem debere placari, mourant la consolation de se voir vengé
legati sunt Ennam missi. des déclamations de Cicéron.
Haec igitur Ceres vel
religiosissima, quam
videre maribus ne
adorandi quidem gratia
licebat, vel antiquissima,
quam Senatus Populusque
Romanus sacrificiis
donisque placaverat, ex
arcanis et vetustis
penetralibus, a Caio Verre,
immissis latronibus servis,
impune sublata est. Idem
vero cum affirmaret se a
Siculis, ut causam
provinciae susciperet,
oratum, his verbis usus
est: « Sese jam ne deos
quidem in suis urbibus, ad
quos confugerent, habere;
quod eorum simulacra
sanctissima C. Verres ex
delubris religiosissimis
sustulisset: » quasi vero si
Verres ex urbibus
delubrisque sustulerat, de
coelo quoque sustulerat.
Unde apparet istos deos
nihil habere in se amplius

27
quam materiam de qua
sunt fabricati. Nec
immerito ad te, Marce
Tulli, hoc est, ad
hominem, Siculi
confugerunt; quoniam
triennio sunt experti deos
illos nihil valere. Essent
enim stultissimi, si ad eos
ob defendendas injurias
hominum confugissent,
qui Caio Verri nec pro
seipsis irati esse
potuerunt. At enim Verres
ob haec facinora damnatus
est. Non ergo dii
vindicaverunt, sed
Ciceronis industria, qua
vel defensores ejus
oppressit, vel gratiae
restitit. Quid, quod apud
ipsum Verrem non fuit illa
damnatio, sed vacatio? ut
quemadmodum Dionysio
deorum spolia gestanti dii
immortales bonam
dederant navigationem,
sic etiam Verri bonam
quietem tribuisse
videantur, in qua
sacrilegiis suis tranquille
frui posset. Nam
frementibus postea
civilibus bellis, sub obtentu
damnationis ab omni
periculo et metu remotus,
aliorum graves casus et
miserabiles exitus

28
audiebat, et qui cecidisse
solus universis stantibus
videbatur, is vero
universis cadentibus solus
stetit, donec illum et
opibus sacrilegio partis et
vita satiatum, ac
senectute confectum,
proscriptio triumviralis
auferret, eadem scilicet
quae Tullium violatae
deorum majestatis
ultorem. Quin etiam felix
in eo ipso fuit, quod ante
suam mortem
crudelissimum exitum sui
accusatoris audivit; diis
videlicet providentibus, ut
sacrilegus ac praedo ille
religionum suarum, non
ante moreretur quam
solatium de ultione
cepisset.

CAPUT V. Quod V. Combien est-il plus juste et plus


solus omnium creator raisonnable de renoncer au culte de
Deus est colendus, non toutes les choses insensibles, et de
vero elementa, nec tourner les yeux du côté où est le palais
corpora coelestia: et le trône du véritable Dieu, qui a
Refelliturque Stoicorum affermi la terre sur des fondements
sententia, qui stellas et inébranlables, qui a attaché les astres
astra deos putant. au firmament, qui a donné la lumière au
Quanto igitur rectius soleil, afin qu'elle fût une image de la
est, omissis insensibilibus majesté invisible, qui a répandu la mer
et vanis, oculos eo autour de la terre, qui a donné aux
tendere, ubi sedes, ubi fleuves un mouvement perpétuel :
habitatio est Dei veri; qui

29
terram stabili firmitate
Qui a étendu les campagnes, qui a
suspendit; qui coelum
élevé les montagnes qui a abaissé les
distinxit astris fulgentibus;
vallées, et qui a revêtu d'arbres les
qui solem rebus humanis
forêts.
clarissimum, ac singulare
C'est un principe dont il ne faut point
lumen, in argumentum
chercher le commencement, parce qu'il
suae unicae majestatis
n'en a point et qu'on ne le saurait
accendit: terris autem
trouver. L'homme se doit contenter de
maria circumfudit, flumina
savoir qu'il y a un Dieu, de l'honorer
sempiterno lapsu fluere
comme le père du genre humain et
praecepit.
comme l’auteur des merveilles de
Jussit et extendi
l'univers. Quelques-uns ont été assez
campos, subsidere valles,
grossiers et assez stupides pour adorer
Fronde tegi silvas,
les éléments, bien qu'ils aient été créés
lapidosos surgere montes.
et qu'ils soient privés de sentiment.
·uae utique omnia
Quand ils ont considéré le ciel avec les
non Jupiter fecit, qui ante
astres, la terre avec les plaines et les
annos mille septingentos
montagnes, la mer avec les rivières et
natus; sed idem:
les étangs, ils ont été surpris d'une si
Ille opifex rerum,
grande admiration, qu'ils ont oublié
mundi melioris origo, qui
l'ouvrier pour ne révérer que les
vocatur Deus, cujus
ouvrages. Ils n'ont pu comprendre
principium, quoniam non
combien il est élevé au-dessus des
potest comprehendi, ne
choses qu'il a tirées du néant, qu'il tient
quaeri quidem debet. Satis
soumises à ses ordres, et qu'il fait servir
est homini ad plenam
aux besoins et aux commodités de
perfectamque prudentiam,
l'homme. Ils se rendent sans doute
si Deum esse intelligat:
coupables de la plus criminelle de toutes
cujus intelligentiae vis et
les ingratitudes, quand, au lieu de
summa haec est, ut
conserver la mémoire des bienfaits
suspiciat et honorificet
qu'ils ont reçus de la bonté de Dieu, ils
communem parentem
prennent les créatures pour des dieux,
generis humani, et rerum
et les préfèrent à lui. Mais faut-il
mirabilium fabricatorem.
s'étonner que des ignorants soient
Unde quidam hebetis
tombés dans cette erreur, puisque les
obtusique cordis,
stoïciens sont persuadés que les astres
elementa, quae et facta
doivent être mis au rang des dieux ?
sunt et carent sensu,

30
tamquam deos adorant. Lucilius, philosophe stoïcien, en parle
Qui cum Dei opera dans Cicéron en ces termes: « Je ne
mirarentur, id est coelum saurais concevoir que les étoiles aient
cum variis luminibus, un mouvement si juste et si égal, ni
terram cum campis et qu'elles règlent comme elles le font par
montibus, maria cum leur cours la diversité des saisons dans
fluminibus et stagnis et la suite de tous les siècles, si elles
fontibus, earum rerum n'avaient une âme, une intelligence et
admiratione obstupefacti, une raison. Que si elles en ont une, nous
et ipsius artificis obliti, ne saurions refuser de les mettre au
quem videre non poterant, rang des dieux. » Il avait dit un peu
ejus opera venerari et auparavant: « Le mouvement des
colere coeperunt; nec astres doit être volontaire ; ce qui étant,
umquam intelligere on ne saurait nier non seulement sans
quiverunt, quanto major ignorance, mais encore sans impiété,
quantoque mirabilior sit, qu'ils ne soient des dieux. » Nous le
qui illa fecit ex nihilo. Quae nions cependant très fortement, et nous
cum videant divinis legibus faisons voir très clairement que vous
obsequentia commodis autres, qui prétendez être philosophes,
atque usibus hominis n'êtes non seulement que des ignorants
perpetua necessitate et des impies, mais encore que des
famulari, tamen illa deos aveugles et des insensés, et que vous
existimant esse; ingrati allez au delà de la stupidité des peuples
adversus beneficia divina, : car vous communiquez
qui Deo et patri indifféremment les honneurs divins à
indulgentissimo sua sibi tous les astres, au lieu que le peuple ne
opera praetulerunt. Sed les a déférés qu'à la lune et au soleil.
quid mirum, si aut barbari, Découvrez-nous donc le secret de la
aut imperiti homines religion des étoiles, et nous enseignez la
errant? cum etiam manière dont nous devons bâtir des
philosophi Stoicae temples et élever des autels à chacune;
disciplinae in eadem sint en quel jour nous les devons révérer,
opinione, ut omnia sous quel nom, avec quelles
coelestia, quae moventur, cérémonies, par quelle prière nous les
in deorum numero devons célébrer, ou s'il est plus à propos
habenda esse censeant; de les prier toutes en commun ou en
siquidem Lucilius Stoicus général. L'argument dont ils se servent
apud Ciceronem sic pour prouver que les étoiles sont des

31
loquitur: « Hanc igitur in dieux, peut servir à prouver tout le
stellis constantiam, hanc contraire. C'est une erreur de prendre
tantam in tam variis l'égalité de leur mouvement et de leur
cursibus in omni cours, pour une preuve de leur divinité.
aeternitate convenientiam Au contraire si elles étaient des dieux,
temporum, non possum leur mouvement dépendrait de leur
intelligere sine mente, volonté, et elles paraîtraient où il leur
ratione, consilio; quae plairait dans le ciel, comme les animaux
cum in sideribus esse vont où il leur plaît sur la terre. Le
videamus, non possumus mouvement des astres n'est donc pas
ea ipsa non in deorum volontaire, mais nécessaire, parce qu'ils
numero reponere. » Item suivent la loi qui leur est imposée. Mais
paulo superius: « Restat, ce philosophe ayant reconnu, par l'ordre
inquit, ut motus astrorum si réglé des saisons, que le cours des
sit voluntarius; quae qui astres ne peut être un effet du hasard,
videat, non indocte solum, il a cru qu'il dépendait d'une volonté
verum etiam impie faciat, libre, comme si les astres ne pouvaient
si deos esse neget. » Nos avoir un cours si juste et si réglé, sans
vero et quidem constanter avoir la connaissance de l'utilité des
negamus, ac vos, o secours et des avantages qu'en tirent
philosophi, non solum les créatures inférieures. Que la vérité
indoctos et impios, verum est difficile et obscure à ceux qui
etiam caecos, ineptos l'ignorent, mais qu'elle est aisée et
delirosque probamus, qui claire à ceux qui la connaissent! « Si le
ignorantiam imperitorum mouvement des astres, disent ces
vanitate vicistis. Illi enim philosophes, ne dépend pas du hasard,
solem et lunam, vos etiam il dépend du libre arbitre. » Au
sidera deos putatis. contraire, il est aussi clair qu'il ne
Tradite igitur nobis dépend pas du libre arbitre, qu'il est
stellarum mysteria, ut clair qu'il ne dépend pas du hasard.
aras et templa singulis Comment donc se peut-il faire que leur
erigamus; ut sciamus quo cours soit si réglé? C'est que Dieu qui a
quamque ritu, quo die créé l'univers, les a disposés de telle
colamus, quibus sorte, qu'en faisant le tour du ciel ils
nominibus, quibus mesurent le temps et règlent les
precibus advocemus; nisi saisons. Archimède a pu inventer une
forte nullo discrimine tam sphère de cuivre où il a mis un soleil et
innumerabiles, tam une lune, qui imitent la marche des

32
minutos deos acervatim astres eux-mêmes et qui représentent
colere debemus. Quid des jours ; il a pu marquer dans ce
quod argumentum illud, globe artificiel les changements de la
quo colligunt universa lune, l'inégalité du cours des planètes
coelestia deos esse, in ou des étoiles fixes, et Dieu n'aura pu
contrarium valet. Nam si faire le véritable modèle de ce globe !
deos esse idcirco Un stoïcien, voyant la sphère
opinantur, quia certos et d'Archimède, aurait-il dit que ces
rationabiles cursus figures du soleil, de la lune et des étoiles
habent, errant. Ex hoc se remuaient par un effet de leur
enim apparet deos non volonté ou par celui des machines qu'un
esse, quod exorbitare illis mathématicien avait inventées? Il y a
a praestitutis itineribus une raison et une intelligence qui règle
non licet. Caeterum si dii le cours des astres, mais c'est la raison
essent, huc atque illuc et l'intelligence de Dieu qui a créé toutes
passim sine ulla choses et qui les gouverne, et non pas
necessitate ferrentur, sicut ces astres mêmes. Si Dieu avait voulu
animantes in terra, que le soleil fût demeuré immobile, il y
quarum quia liberae sunt aurait eu un jour perpétuel dans les
voluntates, huc atque illuc lieux qui avaient été éclaires de sa
vagantur, ut libuit, et quo lumière; si les autres astres étaient
quamque mens duxerit, eo immobiles, il est certain aussi qu'ils
fertur. Non est igitur n'auraient point reçu d'autre clarté que
astrorum motus celle qu'ils répandent. Mais Dieu leur a
voluntarius, sed imprimé un mouvement accompagné
necessarius, quia d'une si merveilleuse diversité, que non
praestitutis legibus seulement il fait succéder tour à tour le
officiisque deserviunt. Sed jour à la nuit, dont l'un est destiné au
cum disputaret de cursibus travail et l'autre au repos, mais qu'il
siderum, quos ex ipsa partage aussi le froid et le chaud entre
rerum ac temporum les saisons, avec la justesse qui est
congruentia intelligebat nécessaire pour produire les fruits et les
non esse fortuitos, grains et pour leur donner une juste
existimavit voluntarios maturité. L'ignorance où les
esse, tamquam non philosophes ont été de la sagesse
possent tam disposite, admirable avec laquelle la puissance
tam ordinate moveri, nisi divine a réglé le cours des astres, les a
sensus illis inesset officii portés à croire que ces astres étaient

33
sui sciens. O quam difficilis comme les animaux qui ont eux-mêmes
est ignorantibus veritas, et le mouvement. Il n'y a cependant
quam facilis scientibus! Si personne qui ne reconnaisse que Dieu a
motus, inquit, astrorum placé les astres dans le ciel, et leur a
fortuiti non sunt, nihil aliud assigné la route qu'ils tiennent, de peur
restat, nisi ut voluntarii que quand le soleil disparait, la terre ne
sint; immo vero, ut non soit couverte d'une très grande
esse fortuitos manifestum obscurité. Voilà pourquoi il a attaché au
est, ita nec voluntarios. firmament une multitude si prodigieuse
Quomodo igitur in d'étoiles, dont la lumière dissipe une
conficiendis itineribus partie des ténèbres de la nuit. Ovide en
constantiam suam a jugé plus sagement que ces hommes
servant? Nimirum Deus, qui font profession de l'étude de la
universi artifex, sic illa sagesse, quand, dans un petit livre où il
disposuit, sic machinatus décrit les phénomènes, il assure que,
est, ut per spatia coeli quelque merveilleuse que soit ou la
divina et admirabili ratione multitude ou la diversité des astres, il
decurrerent, ad efficiendas n'y en a aucun que Dieu n'ait placé dans
succedentium sibi le ciel, et qu'il n'ait destiné à répandre
temporum varietates. An quelque lumière sur la terre et à diriger
Archimedes Siculus une partie de l'obscurité de la nuit. Que
concavo aere s'il n'est pas possible que les étoiles
similitudinem mundi ac soient des dieux, il n'y a pas plus de
figuram potuit machinari, raison d'y mettre le soleil ou la lune,
in quo ita solem ac lunam puisqu'ils diffèrent des autres astres,
composuit, ut inaequales non par l'intelligence, mais par la
motus, et coelestibus grandeur; et si ce ne sont pas des dieux,
similes conversionibus, encore moins le ciel qui ne fait que les
singulis quasi diebus renfermer tous.
efficerent, et non modo VI. On peut dire de la même sorte
accessus solis et recessus, que si la terre que nous foulons aux
vel incrementa pieds, que nous remuons et que nous
diminutionesque lunae, cultivons pour en tirer de quoi nous
verum etiam stellarum, vel nourrir, n'est pas un Dieu, les plaines ni
inerrantium, vel vagarum, les montagnes ne sont pas des dieux :
dispares cursus orbis ille, si l'eau dont les animaux se servent
dum vertitur, exhiberet? pour boire et pour se laver n'est pas un
Deus ergo illa vera non dieu, les sources d'où elle coule, les

34
potuit machinari et efficere fontaines, les rivières, les fleuves et la
quae potuit solertia mer même qui se grossit de ces fleuves
hominis imitatione ne doit pas passer pour un dieu. Que si
simulare? ni le ciel, ni la terre, ni la mer, qui sont
Utrumne igitur les principales parties du monde, ne
stoïcus, si astrorum sont pas des dieux, le monde entier
figuras in illo aere pictas n'est pas un dieu, bien que les stoïciens
effictasque vidisset, suo lui aient attribué la vie, la sagesse et la
illa consilio moveri diceret, divinité. Ils s'accordent néanmoins si
ac non potius artificis peu en cela avec eux-mêmes, qu'ils
ingenio? Inest ergo renversent ce qu'ils avaient dessein
sideribus ratio ad d'élever. Voici comment ils raisonnent :
peragendos meatus suos Il n'est pas possible que ce qui produit
apta: sed Dei est illa ratio, des êtres qui ont du sentiment, soit
qui et fecit, et regit omnia, privé du sentiment ; le monde produit
non ipsorum siderum, l'homme qui a du sentiment; le monde
quae moventur. Nam si en a donc aussi bien que l'homme. De
solem stare voluisset, plus, le tout dont une partie a du
perpetuus utique dies sentiment, a aussi du sentiment; le
esset. Item, si motus astra monde est un tout dont l'homme qui en
non haberent, quis dubitet est une partie, a du sentiment ; le
sempiternam noctem monde en a donc. Les deux premières
fuisse futuram? Sed ut diei propositions de chaque syllogisme sont
ac noctis vices essent, véritables; savoir, que ce qui produit un
moveri ea voluit: et tam être qui a du sentiment doit avoir du
varie moveri, ut non modo sentiment, et qu'un tout dont une partie
lucis ac tenebrarum a du sentiment en a aussi. Mais les deux
mutuae vicissitudines suivants ne le sont pas ; car le monde
fierent, quibus laboris et ne produit point l'homme, et l'homme
quietis alterna spatia n'est point une partie du monde.
constarent; sed etiam L'homme a été créé par le même Dieu
frigoris et caloris, ut que le monde, et il n'est point une partie
diversorum temporum vis du monde, comme un membre est une
ac potestas, vel partie du corps. Le monde peut être
generandis, vel sans l'homme, comme une maison ou
maturandis frugibus une ville peut exister sans l'homme.
conveniret. Quam Une maison est le lieu et la demeure
solertiam divinae d'un homme. Une ville est le lieu et la

35
potestatis in machinandis demeure d'un peuple, et le monde est
itineribus astrorum, quia le lieu et la demeure du genre humain.
philosophi non videbant, Autre chose est le lieu où demeure une
animalia esse sidera personne, et autre chose la personne
putaverunt; tamquam qui demeure dans ce lieu. Mais pendant
pedibus, et sponte, non que ces philosophes s'efforcent de
divina ratione prouver la fausse opinion dont ils se
procederent. Cur autem sont laissé prévenir : « que le monde a
illa excogitaverit Deus, du sentiment et quelque chose de divin,
quis non intelligit? Scilicet » ils ne prévoient pas les conséquences
ne solis lumine decedente, que l'on peut tirer contre eux de leurs
nimium caeca nox tetris principes. Si l'homme est une partie du
atque horrentibus tenebris monde, et si le monde a du sentiment
ingravesceret, noceretque parce que l'homme en a, il sera donc
viventibus. Itaque et sujet à la mort parce que l'homme y est
coelum simul mira sujet, et ne sera pas seulement sujet à
varietate distinxit, et la mort, mais encore aux maladies et
tenebras ipsas multis aux autres infirmités humaines. On peut
minutisque luminibus encore tirer cette conséquence contre
temperavit. Quanto igitur eux : Si le monde est dieu, les parties
Naso prudentius, quam illi, qui le composent seront immortelles :
qui sapientiae studere se l'homme sera immortel et partant Dieu,
putant, qui sentit a Deo puisqu'il est une partie du monde, selon
lumina illa, ut honorem l'opinion de ces philosophes. Si l'homme
tenebrarum depellerent, est dieu parce qu'il est une partie du
instituta! Is eum librum, monde, les animaux, les oiseaux et les
quo Φαινόμενα breviter poissons seront aussi des dieux, parce
comprehendit, his tribus qu'ils sont des parties du même monde
versibus terminavit: et qu'ils ont du sentiment. Cela est
Tot numero, talique peut-être supportable, parce que les
Deus simulacra figura Egyptiens adorent ces animaux. Mais ou
Imposuit coelo, perque pourra dire par la même raison que les
atras sparsa tenebras souris, les puces et les fourmis sont des
Clara pruinosae jussit dare dieux, parce qu'elles ont du sentiment
lumina nocti. et qu'elles sont des parties du monde.
Quod si fieri non Voilà comment les faux principes
potest, ut stellae dii sint; produisent toujours d'impertinentes
ergo nec sol quidem, nec conséquences. Quel jugement ferons-

36
luna dii esse possunt, nous de ce que les mêmes philosophes
quoniam luminibus avancent : que le monde a été bâti
astrorum, non ratione comme un palais pour loger les dieux et
differunt, sed les hommes? Si le monde a été bâti de
magnitudine. Quod si hi dii la sorte, ce n'est pas un dieu, et non pas
non sunt; ergo nec coelum même un animal; car les animaux sont
quidem, in quo illa omnia nés et n'ont pas été bâtis. Que s'il a été
continentur. bâti comme une maison ou comme un
CAPUT VI. Quod nec vaisseau, il y a eu un dieu qui l'a bâti,
mundus totus, nec et ce dieu est autre que le monde
elementa sint Deus, nec même. Ce qu'ils disent : que les astres
animata. et les éléments sont des dieux,
Simili modo si terra, s'accorde-t-il avec ce qu'ils disent que le
quam calcamus, quam monde est un dieu? Comment peut-on
subigimus et colimus ad faire un seul dieu de l'assemblage de
victum, deus non est, nec plusieurs dieux ? Si les astres sont des
campi quidem ac montes dieux, le monde sera leur palais et ne
dii erunt: sed si hi non sera pas un dieu. Si le monde au
sunt, ergo ne tellus contraire est un dieu, les astres et les
quidem universa Deus éléments ne seront pas des dieux, mais
videri potest. Item si aqua, seulement les membres et les parties de
quae servit animantibus dieu ; et on ne pourra pas les appeler
ad usum bibendi aut proprement des dieux, comme on
lavandi, deus non est, nec n'appelle pas proprement homme la
fontes quidem, ex quibus partie du corps d'un homme. De plus,
aqua profluit. Si fontes quand on compare le monde à un
non sunt, nec flumina animal, la comparaison n'est pas juste ;
quidem, quae de fontibus car l'animal a le sentiment répandu
colliguntur. Si flumina dans tous ses membres. A quoi donc
quoque dii non sunt, ergo peut-on comparer le monde pour faire
et mare, quod ex la comparaison plus juste? Les
fluminibus constat, Deus philosophes le disent eux-mêmes quand
haberi non potest. Quod si ils avouent qu'il a été bâti comme un
neque coelum, neque palais pour loger les dieux et les
terra, neque mare, quae hommes. Puisqu'il a été bâti comme un
mundi partes sunt, dii esse palais, il n'est pas dieu, ni les éléments
possunt; ergo ne mundus qui les composent ne sont pas des
quidem totus Deus est, dieux. Un palais, ni ce qui entre dans la

37
quem iidem ipsi stoïci, et construction d'un palais, ne peut avoir
animantem, et sapientem aucun droit de disposer de soi. L'opinion
esse contendunt, et de ces philosophes est donc détruite par
propterea Deum: in quo leurs propres paroles aussi bien que par
tam inconstantes fuerunt, la vérité. Car le monde qui n'a point de
ut nihil dictum sit ab his sentiment dépend de Dieu qui l'a fait
quod non ab iisdem fuerit pour son usage, comme une maison
eversum. Sic enim dépend de l'homme qui l'a bâtie ou qui
argumentantur: Fieri non l'habite.
posse, ut sensu careat, VII. Les païens tombent dans deux
quod sensibilia ex se extravagances : l'une est qu'ils
generat. Mundus autem préfèrent à Dieu les éléments, qui ne
generat hominem, qui est sont que les ouvrages de Dieu ; l'autre
sensu praeditus; ergo et qu'ils donnent à ces éléments une forme
ipsum sensibilem esse. humaine. Car, au lieu d'adorer
Item: Sine sensu esse non simplement le soleil et la lune, ou bien
posse, cujus pars habeat le feu, la terre et la mer qu'ils appellent
sensum; igitur quia homo Vulcain, Vesta, Neptune, ils leur
sensibilis est, etiam donnent une figure d'hommes. Ils
mundo, cujus pars homo prennent un si grand plaisir à regarder
est, inesse sensum. les images et les portraits, qu'ils
Propositiones quidem semblent mépriser la vérité et les
verae sunt, et sensibile originaux. Ils ne veulent voir que de
esse, quod sensu l'ivoire, de l'or et des perles. Ils sont
praeditum gignat, et tellement éblouis de l'éclat de ces riches
habere sensum, cujus pars matières, qu'ils croient que sans elles il
sensu aucta sit: sed n'y a point de piété. Ainsi, ils adorent la
assumptiones falsae, cupidité et l'avarice sous prétexte
quibus argumenta d'adorer les dieux. Ils se persuadent
concludunt, quia neque que les dieux aiment ce qu'ils aiment
mundus generat eux-mêmes, ce pourquoi ils
hominem, neque homo commettent des vols, des brigandages
mundi pars est. Nam et des homicides, et se font des guerres
hominem a principio idem cruelles qui troublent la tranquillité
Deus fecit, qui et publique; voilà pourquoi ils consacrent
mundum: et non est à leurs dieux une partie du butin et des
mundi pars homo, sicut dépouilles qu'ils ont remportés. Il faut
corporis membrum; potest que ces dieux-là soient bien faibles, s'ils

38
enim mundus esse sine désirent des choses si misérables.
homine, sicut urbs, et Croyons-nous qu'ils soient dans le ciel
domus. Atqui ut domus s'ils souhaitent les biens de la terre,
unius hominis habitaculum qu'ils soient heureux s'ils ont besoin de
est, et urbs unius populi; nos présents, et qu'ils soient
sic et mundus domicilium incorruptibles s'ils jouissent des plaisirs
totius generis humani. Et que nous ne saurions rechercher que
aliud est, quod incolitur, par une cupidité blâmable? Les païens
aliud quod incolit. Sed illi, vont donc dans les temples non par
dum student id, quod falso piété, parce qu'il n'y en peut avoir dans
susceperant, confirmare, des biens ou acquis par de mauvais
et sensibilem esse moyens, ou sujets à la corruption, mais
mundum, et Deum, par la curiosité de voir de l'ivoire et du
argumentorum suorum marbre bien travaillés, enrichis
consequentia non d'ornements magnifiques, des vases
viderunt. Nam si mundi d'or et des perles précieuses. Ils
pars est homo, et s'imaginent que plus les temples et les
sensibilis est mundus, quia images sont bien parés, plus ils méritent
homo sentit: ergo quia de respect. Ainsi, toute leur religion se
mortalis est homo, borne à adorer ce que leur cupidité
mortalis sit et mundus admire. Voilà les religions qu'ils
necesse est; nec tantum prétendent avoir reçues de leurs
mortalis, sed et omnibus ancêtres, et qu'ils soutiennent avec une
morbis et passionibus opiniâtreté invincible. Ils n'en
subjectus. examinent point la vérité. Ils se
Et e contrario: Si Deus contentent de savoir qu'elles sont
est mundus, et partes ejus anciennes, et l'antiquité a une autorité
utique immortales sunt; si absolue sur leurs esprits, qu'ils
ergo et homo Deus est, croiraient que ce serait un crime de
quia pars est (ut dicitis) douter de ce qu'elle a une fois
mundi. Si homo; ergo et approuvé. Ils reçoivent comme une
jumenta, et pecudes, et vérité généralement reconnue tout ce
caetera genera bestiarum, que le temps autorise. C'est pour cela
et avium, et piscium; que Cicéron fait parler Cotta à Lucilius
quoniam et illa eodem en ces termes : « Vous voyez, mon cher
modo sentiunt, et mundi Balbus, quel est le sentiment du pontife
partes sunt. At hoc Cotta. Je vous supplie de me déclarer
tolerabile est: nam et haec maintenant le vôtre : car un philosophe

39
colunt Aegyptii. Sed res eo comme vous doit rendre raison de la
pervenit, ut et ranae, et religion, au lieu que la raison même
culices, et formicae dii nous oblige de croire ce que les anciens
esse videantur, quia et nous enseignent, bien qu'ils n'en
ipsis inest sensus, et rendent aucune raison. » Si vous croyez
partes mundi sunt. Ita ce que les anciens enseignent, pourquoi
semper argumenta ex demandez-vous à un philosophe une
falso petita ineptos et raison qui détruira peut-être votre
absurdos exitus habent. croyance ? Si vous demandez une
Quid, quod iidem ipsi raison et que vous souhaitiez de la
aiunt, deorum et hominum connaître pour la suivre, c'est que vous
causa mundum esse ne croyez pas ce que les anciens vous
constructum, quasi enseignent. Supposons que la raison
communem domum: ergo vous fasse voir que la religion des dieux
nec mundus Deus est, nec est fausse ; que ferez-vous en ce cas-là
animans, si constructus ? Suivrez-vous les anciens ou la raison?
est; animans enim non Si vous préférez la raison, et que vous
construitur, sed nascitur. teniez qu'il n'y a de bon chemin que
Et si est aedificatus sic celui qu'elle montre, vous renoncerez à
utique tamquam domus, l'autorité de vos ancêtres. Que si la
tamquam navis; est ergo piété vous porte au contraire à écouter
aliquis artifex mundi Deus; leur voix, il faut que vous reconnaissiez
et seorsum erit mundus, qu'ils avaient perdu le sens, quand ils
qui factus est, seorsum ont suivi des religions contraires à la
ille, qui fecit. Jam illud raison, et que vous n'êtes pas vous-
quam repugnans et même raisonnable quand vous aurez
absurdum, quod cum des dieux de la fausseté desquels vous
coelestes ignes caeteraque êtes convaincus. Néanmoins, comme on
mundi elementa deos nous oppose perpétuellement les
affirment, item ipsum anciens, examinons un peu quels sont
deum mundum dicunt. ces anciens à l'autorité desquels il n'est
Quomodo potest ex pas permis de se soustraire. Quand
deorum multorum acervo Romulus eut résolu de fonder une ville,
unus Deus confici? Si astra il assembla une troupe de pasteurs
dii sunt, mundus ergo non parmi lesquels il avait été élevé; mais
Deus, sed domicilium parce qu'ils n'étaient pas en assez grand
deorum est. Si vero Deus nombre pour la remplir, il en fit un lieu
mundus est; ergo omnia d'asile, où tout ce qu'il y avait de

40
illa quae sunt in eo dii non scélérats à l'entour se rendirent en
sunt, sed Dei membra, foule. Ce furent là les premiers
quae utique sola Dei habitants de la ville, parmi lesquels il en
nomen accipere non choisit cent des plus âgés qu'il appela
possunt. Nec enim recte pères et sénateurs, et sans l'avis
quis dixerit, membra desquels il ne voulait rien entreprendre.
hominis unius multos Properce parle de cette assemblée en
homines esse: sed tamen ces termes:
non est similis comparatio
Le sénat qui possède maintenant une
animalis et mundi. Animal
autorité si absolue et si redoutable, ne
enim, quia sensu
fut composé au commencement que
praeditum est, etiam
d'une troupe de paysans vêtus de
membra ejus habent
peaux. Ils s'assemblaient ordinairement
sensum, nec, nisi a
au son d'un cor, et n'avaient point
corpore divulsa,
d'autre lieu de réunion qu'une prairie
brutescunt. Cujus igitur rei
émaillée de fleurs.
similitudinem gerit
Voilà les vénérables vieillards au
mundus? Nimirum ipsi
jugement desquels les plus éclairés et
docent, cum factum esse
les plus sages se doivent soumettre, et
non diffitentur, ut esset
dont toute la postérité doit recevoir les
diis et hominibus quasi
arrêts comme des oracles infaillibles. Ce
communis domus. Si ergo
sont pourtant les mêmes auxquels
est constructus, ut domus,
Numa imposa des lois et auxquels il fit
nec ipse Deus est, nec
accroire que les mystères qu'il
elementa, quae sunt
enseignait étaient véritables et qu'il les
partes ejus; quia neque
avait appris d'une déesse. Leur autorité
domus habere dominium
doit être sans doute fort grande après
sui potest, neque illa de
leur mort, puisque leur mérite a été si
quibus domus constat.
considérable durant leur vie, qu'il ne
Non tantum igitur veritate,
s'en trouve personne qui n'ait refusé
sed etiam verbis suis
leur alliance.
revincuntur. Sicut enim
domus, in usum habitandi
facta, per se nihil sentit,
dominoque subjecta est,
qui eam fecit, aut incolit:
ita mundus, per se nihil
sentiens, factori Deo

41
subjacet, qui eum in usum
sui fecit.
CAPUT VII. De Deo,
et religionibus
insipientium; de
avaritia et majorum
auctoritate.
Duplici ergo ratione
peccatur ab insipientibus:
primum, quod elementa,
id est Dei opera Deo
praeferunt; deinde, quod
elementorum ipsorum
figuras humana specie
comprehensas colunt.
Nam solis lunaeque
simulacra humanum in
modum formant; item
ignis, et terrae, et maris,
quae illi Vulcanum,
Vestam, Neptunum
vocant; nec elementis
ipsis in aperto litant. Tanta
homines imaginum
cupiditas tenet, ut jam
viliora ducantur illa quae
vera sunt: auro scilicet,
gemmis, et ebore
delectantur. Horum
pulchritudo ac nitor
praestringit oculos: nec
ullam religionem putant
ubicumque illa non
fulserint. Itaque sub
obtentu deorum avaritia et
cupiditas colitur. Credunt
enim deos amare quidquid
ipsi concupiscunt; quiquid

42
est, propter quod furta, et
latrocinia, et homicidia
quotidie saeviunt; propter
quod bella per totum
orbem populos urbesque
subvertunt. Consecrant
ergo diis manubias et
rapinas suas, quos certe
necesse est imbecilles
esse, ac summae virtutis
expertes, si subjecti sunt
cupiditatibus. Cur enim
coelestes eos putemus, si
desiderant aliquid de
terra? vel beatos, si aliqua
re indigent? vel
incorruptos, si voluptati
habent ea in quibus
appetendis cupiditas
hominum non immerito
damnatur? Veniunt igitur
ad deos, non tam religionis
gratia, quae nulla potest
esse in rebus male partis
et corruptibilibus, quam ut
aurum oculis hauriant,
nitorem levigati marmoris,
aut eboris aspiciant; ut
insignes lapillis et
coloribus vestes, vel
distincta gemmis
fulgentibus pocula
insatiabili contemplatione
contrectent. Et quanto
fuerint ornatiora templa,
et pulchriora simulacra,
tanto plus majestatis
habere creduntur: adeo

43
religio eorum nihil aliud
est, quam quod cupiditas
humana miratur.
Hae sunt religiones,
quas sibi a majoribus suis
traditas pertinacissime
tueri ac defendere
perseverant: nec
considerant quales sint;
sed ex hoc probatas atque
veras esse confidunt, quod
eas veteres tradiderunt,
tantaque est auctoritas
vetustatis, ut inquirere in
eam scelus esse dicatur.
Itaque creditur ei passim,
tamquam cognitae
veritati. Denique apud
Ciceronem sic dicit Cotta
Lucilio: « Habes, Balbe,
quid Cotta, quid pontifex
sentiat. Fac nunc ego
intelligam, quid tu sentias;
a te enim philosopho
rationem religionis
accipere debeo, majoribus
autem nostris, etiam nulla
ratione reddita, rationis
est credere. » Si credis,
cur ergo rationem requiris,
quae potest efficere ne
credas? Si vero rationem
requiris, et quaerendam
putas, ergo non credis.
Ideo enim quaeris, ut eam
sequaris, cum inveneris.
Docet ecce te ratio non
esse veras religiones

44
deorum. Quid facies?
majoresne potius, an
rationem sequeris? quae
quidem tibi non ab alio
insinuata, sed a te ipso
inventa et electa est, cum
omnes religiones radicitus
eruisti. Si rationem mavis,
discedere te necesse est
ab institutis et auctoritate
majorum; quoniam id
solum rectum est quod
ratio praescribit. Sin
autem pietas majores
sequi suadet, fatere igitur,
et stultos illos fuisse, qui
excogitatis contra
rationem religionibus
servierunt, et te ineptum
qui id colas, quod falsum
esse convinceris. Sed
tamen quoniam nobis
tantopere majorum
nomen opponitur,
videamus tandem qui
fuerint majores illi, a
quorum auctoritate discedi
nefas ducitur.
Romulus urbem
conditurus, pastores inter
quos adoleverat
convocavit, cumque is
numerus condendae urbi
parum idoneus videretur,
constituit asylum. Eo
passim confugerunt ex
finitimis locis pessimi
quique, sine ullo

45
conditionis discrimine. Ita
conflavit ex his omnibus
populum; legitque in
senatum, eos qui aetate
anteibant, et Patres
appellavit, quorum consilio
gereret omnia. De quo
senatu Propertius
Elegiarum scriptor haec
loquitur:
Buccina cogebat
priscos ad verba Quirites:
Centum illi in prato saepe
Senatus erat.
Curia, praetexto quae
nunc nitet alta Senatu,
Pellitos habuit rustica
corda Patres.
Hi sunt Patres,
quorum decretis eruditi ac
prudentes viri devotissime
serviunt, idque verum ac
immutabile omnis
posteritas judicet, quod
centum pelliti senes
statutum esse voluerunt,
quos tamen, ut in primo
libro dictum est, Pompilius
illexit, ut vera crederent
esse sacra quae ipse
tradebat. Est vero, cur
illorum auctoritas tanti
habeatur a posteris, quos
nemo, cum viverent,
neque summus, neque
infimus affinitate dignos
judicavit?

46
CAPUT VIII. De VIII. Chacun doit se fier à soi-même
dans la plus importante affaire de sa
rationis usu in vie, et se servir de ses sens et de son
religione; deque esprit pour chercher la vérité, plutôt que
somniis, auguriis, de se laisser tromper en suivant les
erreurs des autres. Dieu a donné à
oraculis, talibusque
chaque homme une portion de lumière
portentis. et de sagesse par laquelle il peut
Quare oportet, in ea apprendre ce qu'il ignore et examiner ce
qu'on lui propose. Ceux qui nous ont
re maxime in qua vitae
précédés dans l'ordre du temps, ne
ratio versatur, sibi nous ont pas pour cela surpassés en
quemque confidere, prudence. Les hommes de tous les
suoque judicio ac propriis temps en ont leur part, et les anciens
n'en ont pas été si avantageusement
sensibus magis niti ad partagés qu'il n'en soit point resté pour
investigandam et ceux qui le sont suivis. Elle est
perpendendam veritatem; incorruptible et inaltérable, comme la
lumière. Elle éclaire l'esprit, comme le
quam credentem alienis
soleil éclaire le corps. Tous les hommes
erroribus decipi tamquam cherchent naturellement la vérité. Ceux
ipsum rationis expertem. qui approuvent le sentiment des anciens
sans l'examiner, se privent eux-mêmes
Dedit omnibus Deus pro
de l'avantage de leur raison et se
virili portione sapientiam, laissent conduire comme des bêtes.
ut et inaudita investigare C'est le nom d'antiquité, d'anciens qui
possent, et audita leur impose, et qui leur persuade que
les pères ont été plus habiles que leurs
perpendere. Nec quia nos
descendants. Mais qui empêche que,
illi temporibus suivant leur exemple, nous ne
antecesserunt, sapientia découvrions la vérité à ceux qui
viendront après nous, comme ils ont
quoque antecesserunt;
enseigné l'erreur à ceux qui sont venus
quae si omnibus aequaliter après eux ? Il nous reste une question
datur, occupari ab fort importante, et dont la décision
antecedentibus non dépend plutôt de la connaissance de
l'histoire que de la sublimité de l'esprit.
potest. Illibabilis est Je la proposerai un peu au long pour ne
tamquam lux et claritas laisser aucun doute sur le sujet que je
solis, quia ut sol oculorum, traite. Plusieurs ont recours à des
histoires écrites par de célèbres
sic sapientia lumen est
auteurs, et par lesquelles il semble être
cordis humani. Quare cum justifié que ceux que nous prétendons
sapere, id est, veritatem n'avoir point été des dieux, ont fait voir
par des prodiges, par des songes, par
quaerere, omnibus sit
des présages et par des oracles, qu'ils
innatum, sapientiam sibi étaient véritablement des dieux. On
adimunt, qui sine ullo raconte en effet divers miracles, et
judicio inventa majorum entre autres celui-ci : Anius Navius,

47
probant, et ab aliis grand augure, ayant averti Tarquin
l'ancien de ne rien entreprendre sans
pecudum more ducuntur. avoir auparavant consulté le vol des
Sed hoc eos fallit, quod oiseaux, ce prince se moquant de la
majorum nomine posito, superstition de cette cérémonie, lui
ordonna de les consulter, pour savoir si
non putant fieri posse, ut
ce qu'il avait dans l'esprit pouvait être
aut ipsi plus sapiant, quia exécuté. Navius lui ayant répondu qu'il
minores vocantur, aut illi le pouvait, Tarquin repartit : Prenez
donc un rasoir et coupez cette roche. A
desipuerint, quia majores
l'heure même, Navius la coupa. Durant
nominantur. Quid ergo la guerre contre les Latins, on vit Castor
impedit, quin ab ipsis et Pollux proche du lac de Suturne qui
sumamus exemplum; ut essuyaient la sueur de leurs chevaux, la
porte de leur maison qui était près d'une
quomodo illi, quae falsa fontaine hélant ouverte d'elle-même.
invenerant, posteris On dit que pendant la guerre de
tradiderunt, sic nos, qui Macédoine ils parurent sur des chevaux
blancs à Vatienus qui allait à Rome, et
verum invenimus, posteris
lui dirent que le roi Persée avait été
meliora tradamus? vaincu et pris ce jour-là ; ce que bientôt
Superest ingens quaestio, après on apprit par les lettres de Paul
Emile, être véritable. Ce que l'on dit de
cujus disputatio non ab
l'image de la Fortune des Femmes est
ingenio, sed a scientia fort merveilleux : qu'elle a très souvent
venit, quae pluribus parlé. Après la prise de Véies, un soldat
explicanda erit, ne quid qui avait été chargé de faire porter à
Rome l'image de Junon Moneta, lui
omnino dubium
ayant demandé en riant si elle
relinquatur. Nam fortasse consentait à ce transport, elle répondit
aliquis ad illa confugiat, qu'elle y consentait. On rapporte encore
une action mémorable de Claudia pour
quae a multis et non dubiis
preuve d un miracle extraordinaire.
traduntur auctoribus; eos Quand pour obéir aux oracles contenus
ipsos, quos docuimus deos dans les livres des sibylles on eut fait
non esse, majestatem venir l'image de la mère des dieux,
comme le vaisseau où elle était
suam persaepe demeurait tellement immobile sur le
ostendisse, et prodigiis, et Tibre, que, quelque machine dont on se
somniis, et auguriis, et servît, il était impossible de le remuer,
Claudia, dont la vertu avait toujours été
oraculis. Et sane multa
un peu suspecte à cause du trop grand
enumerari possunt digna soin qu'elle prenait de sa parure, se mit
miraculo: in primis illud, à genoux et pria la déesse qu'elle se
laissât attirer avec sa ceinture, si elle
quod Accius Navius
avait conservé la pudicité; et ainsi elle
summus Augur, cum tira à bord le vaisseau qui n'avait pu
Tarquinium Priscum être ébranlé par tous les jeunes gens de
commoneret, ut nihil novi la ville. Ce que l'on publie d'Esculape

48
facere inciperet, nisi prius n'est pas moins merveilleux : qu'ayant
été amené d'Epidaure à Rome, il la
esset inauguratus, eique délivra de la maladie contagieuse dont
rex artis ejus elevans elle avait été longtemps tourmentée. On
fidem diceret, ut consultis peut aussi rapporter un grand nombre
de sacrilèges dont les dieux ont puni
avibus renuntiaret sibi,
l'impiété par des châtiments
utrumne fieri posset id exemplaires. Appius Claudius, censeur,
quod ipse animo ayant communiqué les mystères
d'Hercule aux esclaves publics contre
concepisset, affirmaretque
l'ordre qu'il en avait reçu perdit l'usage
Navius posse: Cape igitur de la vue, et la nation des Politiens qui
hanc, inquit, cotem, avait trahi ce secret fut éteinte en un
eamque novacula dissice. an. Fulvius, censeur, ayant ôté le
marbre dont le temple de Junon Lacinia
At ille incunctanter accepit était orné, pour en parer le temple qu'il
ac secuit. avait élevé dans Rome en l'honneur de
Deinde illud, quod la Fortune Equestre, il perdit d'abord la
raison, et ensuite ses deux fils qui
Castor et Pollux, bello
servaient dans les troupes d'Illyrie, et
latino, apud Lacum mourut enfin consumé de chagrin et
Juturnae visi sunt d'angoisses. Turullius, lieutenant
d'Antoine, ayant fait couper dans l’île de
equorum sudorem
Cos un bois consacré à Esculape pour en
abluentes, cum aedes faire des vaisseaux, fut vaincu en ce lieu
eorum, quae juncta fonti même par l'armée de Jules César. On
erat, sua sponte patuisset: ajoute à ces exemples celui de Pyrrhus
qui fit un triste naufrage après avoir
iidem bello macedonico
pillé le trésor de Proserpine de Locres,
equis albis insidentes, et perdit toute sa flotte, à la réserve de
Publio Vatieno Romam l'argent qu'il avait enlevé à cette
déesse. Cérès de Milet rendit autrefois
nocte venienti se obtulisse
sa puissance fort redoutable par
dicuntur, nuntiantes eo die l'exemple de la sévérité dont elle usa
regem Persen victum contre des profanateurs sacrilèges.
atque captum, quod Alexandre, s'étant rendu maître de la
ville, et quelques soldats ayant fait
paucis post diebus litterae irruption dans son temple à dessein de
Pauli verum fuisse le piller, ils furent consumés par son feu
docuerunt. Illud etiam qui s'alluma à l'instant même. On
rapporte aussi quantité de songes qui
mirabile, quod simulacrum
sont autant de preuves du pouvoir des
Fortunae muliebre non dieux. On dit que Jupiter apparut à
semel locutum esse Tibérius Attinius, homme du peuple, et
qu'il lui commanda d'avertir les consuls
traditur; item Junonis
et les sénateurs qu'un certain Antonius
Monetae, cum, captis Maximus, qui avait mené la danse aux
Veiis, unus ex militibus ad derniers jeux publics, lui avait déplu
eam transferendam pour avoir fait punir un esclave dans le

49
missus, jocabundus ac cirque, et qu'ils eussent à recommencer
les jeux. Ayant négligé d'obéir à ce
ludens interrogavit, commandement, il perdit le jour même
utrumne Romam migrare son fils, et fut frappé d'une dangereuse
vellet, respondit velle. maladie. Jupiter, lui ayant apparu une
seconde fois et lui ayant demandé si sa
Claudia quoque proponitur
désobéissance n'avait pas été assez
in exemplum miraculi. rigoureusement châtiée, il se fit porter
Nam cum ex libris dans une chaire au sénat, où il n'eut pas
plutôt exposé son ordre, qu'il fut si
Sibyllinis Idaea mater
parfaitement guéri qu'il s'en retourna à
esset accita, et in vado pied chez lui. Le songe par le moyen
Tiberini fluminis navis qua duquel on dit qu'Auguste évita la mort
vehebatur haesisset, nec n'est pas moins merveilleux. Ayant été
attaqué d'une fâcheuse maladie, il
ulla vi commoveretur, résolut de ne se point trouver à la
Claudiam ferunt, quae bataille; mais Minerve apparut à
semper impudica esset Artorius, son médecin, et l'avertit que
sa maladie ne devait pas l'obliger à
habita ob nimios corporis
demeurer dans son camp. Brutus entra
cultus, deam submissis le même jour dans le camp et le pilla.
genibus orasse, ut, si se Mais Auguste s'était fait porter à son
armée. Je pourrais rapporter quantité
castam judiearet, suum
d'autres exemples semblables, si je
cingulum sequeretur, ita n'appréhendais de m'éloigner trop de
navim, quae ab omni mon sujet et d'être encore d'une
juventute non valuit longueur ennuyeuse.

commoveri, ab una IX. Pour ne rien laisser d'obscur sans


muliere esse commotam. l'éclaircir, je ferai voir que les prodiges
et les songes dont j'ai parlé n'étaient
Illud aeque mirum, quod que des illusions dont le démon s'est
lue saeviente, servi pour tromper les hommes, et pour
les éloigner de la vérité. Mais je
Aesculapius, Epidauro
reprendrai les choses de plus haut, afin
accitus, urbem Romam que ceux qui ne sont pas instruits de
diuturna pestilentia cette matière puissent apprendre d'où
procède le désordre, et reconnaître le
liberasse perhibetur. principe de leur erreur et la cause de
Sacrilegi quoque l'égarement général des hommes. Dieu
ayant une sagesse infinie pour former
numerari possunt, quorum
ses desseins et une puissance égale à
praesentibus poenis sa sagesse pour les exécuter, avant de
injuriam suam dii commencer le grand ouvrage de
l'univers, fit le bien et le mal.
vindicasse creduntur. J'expliquerai ceci le plus clairement qu'il
Appius Claudius Censor, me sera possible, de peur qu'on ne
s'imagine que je veuille imiter les
cum adversus responsum
poètes qui revêtent de figures sensibles
ad servos publicos sacra les choses les plus spirituelles. Comme
Herculis transtulisset, il n'y avait rien que lui, et qu'il était,

50
luminibus orbatus est, et comme il l'est encore, l'unique principe
de tous les biens, il produisit un esprit
Potitiorum gens, quae semblable à lui, un fils qui avait une
prodidit, intra unius anni puissance égale à la sienne. Je tâcherai
d'expliquer dans le quatrième livre de
tempus extincta est. Item cet ouvrage ce qui le porta à vouloir
Censor Fulvius, cum ex produire cet esprit. Il en produisit
Junonis Laciniae templo ensuite un autre qui ne conserva pas la
sainteté de la nature divine et qui, ayant
marmoreas tegulas été corrompu par l'envie comme par un
abstulisset, quibus aedem poison, passa du bien au mal, et prit,
par un effet de sa liberté, un nom
Fortunae equestris, quam contraire A celui qu'il avait reçu. Cela
Romae fecerat, tegeret, et montre que l'envie est la source de tous
mente captus est, et les péchés. Il porta envie à celui qui
avait été produit avant lui, et qui étant
amissis duobus filiis in demeuré uni à son père, est toujours
Illyrico militantibus, chéri de lui. Cet esprit, qui de bon qu'il
avait été créé est
summo animi moerore devenu méchant, est appelé diable
consumptus est. par les Grecs et délateur par les
Praefectus etiam M. Romains, parce qu'il défère à Dieu les
crimes où il fait tomber les hommes.
Antonii Turullius, cum J'expliquerai, autant que mon peu de
apud Coos everso talent le pourra permettre, les raisons
pour lesquelles Dieu, qui n'agit jamais
Aesculapii luco classem
qu'avec une parfaite justice, a voulu
fecisset, eodem postea qu'il ait été tel qu'il est. Dieu ayant
loco a militibus Caesaris résolu de faire le monde, il commença à
produire ce fils unique pareil à lui-
est interfectus. His même. Il lui commit le soin de tout ce
exemplis adjungitur grand ouvrage, et il l'établit comme
conciliateur, et en même temps et
Pyrrhus, qui sublata ex
conjointement avec lui comme principal
thesauro Proserpinae inventeur de ce grand ouvrage qu'il
Locrensis pecunia, projetait, afin qu'il pût l'orner et le
perfectionner entièrement, parce qu'il
naufragium fecit, ac vicinis est lui-même la perfection en tout ce qui
deae littoribus illisus est, est conception, raison et puissance.
Nous en parlerons très peu à présent,
ut nihil, praeter eam
parce que nous rapporterons dans un
pecuniam, incolume autre endroit et sa vertu, et son nom, et
reperiretur. Ceres quoque ses autres attributs. Qu'on ne nous
demande donc point de quelle manière
Milesia multum sibi apud il s'est servi pour faire un ouvrage si
homines venerationis grand et si merveilleux, car il a fait tout
de rien. Il ne faut point ajouter foi à ce
adjecit. Nam cum ab
que les poètes avancent, qu'il y avait au
Alexandro capta civitas commencement un chaos et une
esset, ac milites ad eam confusion étrange des éléments, et que
quand Dieu fit le monde, il ne fit rien
spoliandam irrupissent, autre chose que d'en ôter la confusion
omnium oculos repente et d'en mettre les parties en ordre. Mais

51
objectus fulgor ignis il est aisé de leur répondre : qu'ils
connaissent fort peu l'étendue de la
extinxit. puissance divine, quand ils se
Reperiuntur etiam persuadent qu'elle a besoin d'une
matière pour agir. Les philosophes ont
somnia, quae vim deorum soutenu la même erreur, et Cicéron l'a
videantur ostendere. expliquée dans les livres de la Nature
Tiberio Namque Attinio, des Dieux, quand il dit : « Il n'est pas
probable que la matière d'où toutes les
homini plebeio, per choses ont été tirées soit un ouvrage de
quietem obversatus esse la Providence. Il y a plus d'apparence de
croire qu'elle a toujours conservé et
Jupiter dicitur, et qu'elle conserve encore sa nature et sa
praecepisse, ut Consulibus force. La providence divine n'a point fait
et Senatui nuntiaret, ludis la matière. Elle s'est servie de celle
qu'elle a trouvée, comme un artisan se
Circensibus proximis sert du bois ou de la cire qu'il ne saurait
praesultorem sibi faire. Que si Dieu n'a pas créé la
matière, il n'a pas créé non plus la terre,
displicuisse, quod l'eau, l'air ni le feu. » Quel prodigieux
Antonius Maximus quidam amas d'erreurs en si peu de lignes !
diverberatum servum sub C'est premièrement une chose étrange
de voir que Cicéron, qui avait toujours
furca medio circo ad soutenu la Providence dans ses autres
supplicium duxerat, ouvrages, et qui s'était fortement
opposé à ceux qui avaient entrepris de
ideoque ludos instaurari
la combattre, l'ait tout d'un coup trahie
oportere; quod cum ille et abandonnée. Si quelqu'un voulait
neglexisset, eodem die contester la vérité de ce fait, il ne serait
pas nécessaire d'employer beaucoup de
filium perdidisse, ipse raisons pour le convaincre. Il n'y aurait
autem gravi morbo esse qu'à lire les propres paroles de Cicéron
; car on ne saurait jamais mieux le
correptus: et cum rursus
réfuter que par lui-même. Mais quand
eamdem imaginem on lui laisserait la liberté que les
cerneret quaerentem, académiciens prétendent avoir de
soutenir et de dire tout ce qui leur plaît,
satisne poenarum pro cela n'empêche pas que nous
neglecto imperio n'examinions ses sentiments et ses
paroles. ! Il n'est pas probable, dit-il,
pependisset, lectica
que Dieu ait fait la matière. « Comment
delatus ad Consules, et le prouvez-vous ? car vous n'avez rien
omni re in Senatu allégué qui fasse voir que cela n'est pas
probable. Je dis au contraire que cela
exposita, recepisse est probable, et je le dis avec raison,
corporis firmitatem, attendu que Dieu ne doit pas être réduit
à la condition d'un artisan, qui n'a rien
suisque pedibus domum
dans son ouvrage que la façon. Quel
rediisse. Illud quoque avantage aurait la puissance de Dieu
somnium non minoris fuit sur la faiblesse de l'homme s'il avait
besoin de quelque chose ? il en aurait
admirationis, quo Caesar besoin, s'il ne pouvait rien faire sans
Augustus dicitur esse qu'on lui eût fourni une matière. S'il

52
servatus. Nam cum bello attendait qu'on lui fournît cette matière,
son pouvoir serait limité, et celui qui la
civili Brutiano, implicitus lui fournirait serait en ce point plus
gravi morbo, abstinere puissant que lui. Quel nom donnerions-
nous à celui qui serait plus puissant que
praelio statuisset, medico Dieu et qui pourrait faire quelque chose
ejus Artorio Minervae de lui-même, au lieu que Dieu ne
species obversata est, pourrait que travailler sur le sujet qu'il
aurait reçu d'un autre? Que s'il est
monens ne propter impossible qu'il y ait aucun être plus
corporis imbecillitatem puissant que Dieu, puisqu'il est
infiniment parfait, il faut avouer que la
castris se contineret matière n'est pas moins son ouvrage
Caesar. Itaque in aciem que les autres choses qui sont
lectica perlatus est, et composées de matière. Rien n'a pu
recevoir l'être sans l'agrément de Dieu.
eodem die a Bruto castra Rien n'a pu être fait qu'il ne l'ait ; bien
capta sunt. Multa voulu faire. « Mais il est probable, dites-
vous, que la matière dont toutes choses
praeterea exempla similia ont été tirées a toujours conservé sa
possunt proferri: sed force et sa nature, et qu'elle la conserve
vereor ne, si fuero in encore. » Quelle force et quelle nature
peut-elle avoir si elle ne l'a reçue, et de
propositione rerum qui peut-elle l'avoir reçue que de Dieu ?
contrariarum diutius Si elle a reçu la nature, elle est née ; car
c'est de là même que vient le mot
immoratus, aut oblitus
nature. Comment a-t-elle pu naître, si
esse propositi videar, aut ce n'est que Dieu l'ait produite? cette
crimen loquacitatis nature, d'où vous prétendez que toutes
choses ont été tirées, ne les a pu
incurram. produire, à moins qu'elle n'ait
CAPUT IX. De l'intelligence et la raison. Que si elle a
l'intelligence et la raison, c'est-à-dire la
Diabolo, Mundo, Deo,
sagesse pour former le dessein de ses
Providentia, Homine et ouvrages et le pouvoir de les achever,
ejus sapientia. elle est Dieu. C'est pour cela que
Sénèque, le plus subtil des stoïciens, a
Exponam igitur fort bien jugé que la nature n'est rien
omnium istorum rationem, autre chose que Dieu même. «
Pourquoi, dit-il, ne louerions-nous pas
quo facilius res difficiles et
Dieu à qui la puissance est naturelle,
obscurae intelligantur, et puisqu'il ne l'a reçue d'aucun autre ?
has omnes simulati Nous le louerons sans doute, parce qu'il
tient de soi cette puissance qui lui est
numinis praestigias naturelle, et qu'il est lui-même la
revelabo, quibus inducti nature. » Quand vous attribuez à la
nature le pouvoir de produire que vous
homines, a veritatis via
ôtez à Dieu, vous vous engagez dans
longius recesserunt. Sed l'erreur plus avant que vous n'y étiez, et
repetam longe altius; ut si vous ressemblez à ceux qui, pour payer
de vieilles dettes, en font de nouvelles.
quis ad legendum veri Dans le temps même que vous niez que
expers et ignarus Dieu ait fait le monde, vous confessez

53
accesserit, instruatur, qu'il l'a fait. Sénèque fait après cela une
comparaison fort ridicule. « Dieu, dit-il,
atque intelligat, quod a besoin d'un sujet sur lequel il travaille,
tandem sit comme un artisan a besoin de bois ou
de cire, et Dieu ne crée non plus ce sujet
Caput horum et causa que l'artisan ne crée la cire ni le bois. »
malorum; et, lumine Au contraire, il n'en a pas besoin; et s'il
accepto, suos ac totius en avait besoin son pouvoir en serait
moindre. Un artisan ne fera jamais rien
generis humani perspiciat s'il n'a une matière comme du bois, et il
errores. ne saurait créer ce bois parce qu'il est
faible. Dieu, au contraire, crée la
Cum esset Deus ad matière sur laquelle il travaille, parce
excogitandum providentis que sa puissance est infinie. L'homme
simus, ad faciendum ne saurait travailler s'il n'a un sujet sur
lequel il travaille, parce que la condition
solertissimus, antequam mortelle le rend faible, et que sa
ordiretur hoc opus mundi faiblesse met des bornes fort étroites à
son pouvoir. Mais Dieu fait ce qu'il lui
(quoniam pleni et plait sans avoir besoin de sujet, parce
consummati boni fons in que son éternité fait sa force, et que sa
ipso erat, sicut est force lui donne un pouvoir aussi infini
que sa vie. Faut-il donc s'étonner que
semper), ut ab eo bonum Dieu, ayant dessein de faire le monde,
tamquam rivus oriretur, en ait premièrement préparé la matière,
et qu'il l'ait tirée du néant. Il fallait
longeque proflueret,
nécessairement qu'il en usât de la sorte,
produxit similem sui puisqu'il ne peut rien emprunter, et qu'il
spiritum, qui esset est le principe qui renferme et qui
produit tous les biens. S'il y avait
virtutibus Dei Patris quelque chose avant lui, ou qui eût
praeditus. Quomodo l'être indépendamment de lui, il n'aurait
plus le pouvoir, ni même le nom de
autem id voluerit, in
Dieu. « Mais la matière, dit-on, n'a
quarto libro docere jamais été faite, et elle a cet avantage
conabimur. Deinde fecit particulier, qui ne lui est commun
qu'avec Dieu, qui, de cette matière, a
alterum, in quo indoles fait le monde. Il faudrait pour cela
divinae stirpis non admettre deux êtres qui, étant
également éternels, seraient tellement
permansit. Itaque suapte
contraires entre eux, que leur combat et
invidia tamquam veneno leur guerre ne pourrait être terminée
infectus est, et ex bono ad que par la défaite et par la ruine de l'un
ou de l'autre. S'ils sont contraires, il faut
malum transcendit; qu'ils se combattent l'un l'autre. S'ils se
suoque arbitrio, quod a combattent, l'un des deux remportera la
victoire. Ainsi il est clair qu'il n'y a qu'un
Deo illi liberum datum
être éternel, et qui est comme la source
fuerat, contrarium sibi d'où sont sortis les autres. Il faut donc
nomen adscivit. Unde ou que Dieu soit sorti de la matière, ou
que la matière soit sortie de Dieu. Il est
apparet cunctorum aisé de reconnaître lequel des deux est
malorum fontem esse sorti de l'autre : l'un a du sentiment, au

54
livorem. Invidit enim illi lieu que l'autre n'en a point. Le pouvoir
d'agir ne se trouve qu'où se trouve le
antecessori suo, qui Deo sentiment, le mouvement, la pensée et
Patri perseverando, cum l'intelligence. On ne saurait rien
entreprendre, rien commencer, rien
probatus, tum etiam achever que l'on n'en ait formé le
charus est. Hunc ergo ex dessein par la raison, que l'on n'en ait
bono per se malum résolu l'exécution par sa volonté, et
qu'enfin on n'ait mis la main à l'œuvre.
effectum Graeci διάβολον Or, ce qui n'a point de sentiment ne met
appelant; nos point la main à l'œuvre, et ce qui n'a
point de mouvement ne produit aucune
criminatorem vocamus, chose. Bien qu'il n'y ait point d'animal
quod crimina, in quae ipse qui n'ait la raison, il n'y en a point qui
illicit, ad Deum deferat. puisse procurer aucune des choses qui
n'ont point la raison. Enfin on ne saurait
Exorsus igitur Deus rien trouver, ni rien prendre dans un
fabricam mundi, illum lieu qu'il n'y soit auparavant. Personne
ne doit douter de la vérité de ce que je
primum et maximum dis, sous prétexte que l'on voit des
Filium praefecit operi animaux qui naissent de la terre. Ce
universo, eoque simul et n'est pas la terre qui les produit, c'est
l'esprit de Dieu, sans lequel rien ne se
consiliatore usus est, et produit dans le monde. Dieu n'est donc
artifice in excogitandis, pas sorti de la matière, parce que ce qui
a du sentiment ne saurait sortir de ce
ornandis, perficiendisque
qui n'a point de sentiment. Ce qui a de
rebus, quoniam is et la raison, ne saurait sortir de ce qui n'a
providentia, et ratione, et point de raison. Ce qui est impossible ne
saurait sortir de ce qui est possible. Ce
potestate perfectus est: de qui est spirituel ne saurait sortir de ce
quo nunc parcius, quod qui est corporel. La matière est plutôt
sortie de Dieu, car ce qui est solide, dur,
alio loco et virtus, et
et peu maniable, reçoit sa force du
nomen ejus, et ratio dehors. Ce qui reçoit sa force du dehors
enarranda nobis erit. se peut dissoudre. Ce qui se peut
dissoudre, finit. Ce qui finit a eu un
Nemo quaerat, ex quibus commencement et un principe, c'est-à-
ista materiis tam magna, dire un auteur qui a du sentiment, de la
prévoyance, de la sagesse, et cet
tam mirifica opera Deus
auteur-là est Dieu. Comme il a le
fecerit; omnia enim fecit sentiment, la raison, la prévoyance, la
ex nihilo. puissance et la sagesse, il peut faire des
créatures animées et inanimées, et il
Nec audiendi sunt sait de quelle manière il faut les faire.
poetae, qui aiunt chaos in La matière ne peut avoir toujours été,
parce que si elle avait toujours été, elle
principio fuisse, id est,
ne serait pas sujette au changement. Ce
confusionem rerum, atque qui a toujours été ne cesse jamais d'être
elementorum; postea vero ; et comme il n'a point eu de
commencement, il n'a point aussi de fin.
Deum diremisse omnem Il arrive même plus aisément que ce qui
illam congeriem, a eu un commencement n'ait point de

55
singulisque rebus ex fin, qu'il n'arrive que ce qui n'a point eu
de commencement en ait une. Rien
confuso acervo separatis, n'aurait pu être fait de la matière, si elle
in ordinemque descriptis, n'avait pas été faite elle-même, et si
rien n'en avait pu être fait, elle ne serait
instruxisse mundum pas matière; car la matière n'est que ce
pariter et ornasse. Quibus dont on fait quelque chose. Ce dont on
facile est respondere fait quelque chose est changé et détruit
par la main de l'ouvrier, et cesse d'être
potestatem Dei non ce qu'il était pour commencer d'être ce
intelligentibus, quem qu'il n'était pas. Si la matière a cessé
d'être ce qu'elle était auparavant,
credant nihil efficere lorsque le monde a été fait d'elle, et si
posse, nisi ex materia elle a eu une fin, elle avait donc eu un
subjacente ac parata; in commencement. Ce qui est détruit a été
autrefois élevé. Ce qui est délié a été
quo errore etiam autrefois lié. Ce qui finit a commencé. Si
philosophi fuerunt. Nam de ce que la matière est sujette au
changement et de ce qu'elle cesse
Cicero de Natura deorum d'être ce qu'elle était auparavant, on
disputans, sic ait: « conclut bien qu'elle a eu un
Primum igitur non est commencement et un principe, quel
peut être ce principe-la, si ce n'est Dieu
probabile, eam materiam même? Il n'y a que lui seul qui n'ait pas
rerum, unde orta sunt été fait. Il peut tout anéantir, et ne peut
être anéanti. Il sera toujours ce qu'il a
omnia, esse divina
toujours été. Il n'a point été engendré.
providentia effectam; sed Il n'a point reçu la naissance d'un autre.
habere, et habuisse vim et Son être étant indépendant, il est aussi
immuable. Il subsiste par lui-même, et
naturam suam. Ut igitur ainsi il est tel qu'il a voulu être,
faber, cum quid impassible, immuable, incorruptible,
heureux, éternel. La conclusion par
aedificaturus est, non ipse
laquelle Cicéron a terminé son discours
facit materiam, sed ea est encore plus absurde. « Si Dieu, dit-
utitur quae sit parata, il, n'a pas fait la matière, il n'a pas fait
non plus la terre, l'eau, l'air ni le feu. »
fictorque item cera: sic isti Qu'il évite adroitement la difficulté ! Il
providentiae divinae suppose la première proposition,
comme si elle n'avait point besoin d'être
materiam praesto esse
prouvée, bien qu'elle soit moins
oportuit, non quam ipse certaine que celle qu'il prétend prouver
faceret, sed quam haberet par elle. « Si Dieu, dit-il, n'a pas fait la
matière, il n'a pas non plus fait le
paratam. Quod si non est monde. » Il a mieux aimé tirer une
a Deo materia facta, ne fausse conclusion d'un faux principe,
que d'en tirer une véritable d'un
terra quidem, et aqua, et
véritable. Au lieu de prouver ce qui est
aer, et ignis a Deo factus incertain par ce qui est certain, il a
est. » O quam multa sunt choisi ce qui est incertain pour
combattre ce qui est certain. Car pour
vitia in his decem ne parler ni de Trismégiste, qui déclare
versibus! Primum, quod is, que l'univers est l'ouvrage de la divine

56
qui in aliis disputationibus, providence, ni des sibylles dont les vers
contiennent le même oracle, ni des
et libris fere omnibus prophètes que l'esprit de Dieu a animés
providentiae fuerit pour publier la même vérité, presque
tous les philosophes, les chefs des
assertor, et qui acerrimis principales sectes, les pythagoriciens,
argumentis impugnaverit les stoïciens et les péripatéticiens en
eos, qui providentiam non conviennent. Enfin on n'en avait jamais
douté, ni dans les premiers temps, ni au
esse dixerunt, idem nunc siècle de Socrate et de Platon,
quasi proditor aliquis, aut jusqu'avec qu'Épicure, qui n'est venu
qu'après une longue suite d'années, ait
transfuga, providentiam eu la témérité, par un désir déréglé
conatus est tollere: in quo d'avancer des nouveautés et de se faire
si contradicere velis, nec chef de secte, de révoquer en doute ce
qui avait presque jusque alors été
cogitatione opus est, nec évident et manifeste. N'ayant pu rien
labore; sua illi dicta découvrir de nouveau, et n'ayant pas
voulu paraître du même sentiment que
recitanda sunt. Nec enim les autres, il a entrepris d'ébranler ce
ab ullo poterit Cicero, qui était le plus solidement établi sur le
quam a Cicerone témoignage de toute l'antiquité, en quoi
il a excité l'indignation de toutes les
vehementius refutari. Sed sectes. Il est donc certain que le monde
concedamus hoc mori et est l'ouvrage de Dieu et non de la
matière. Au lieu de se persuader que
instituto Academicorum;
Dieu n'a pas fait le monde parce qu'il n'a
ut liceat hominibus valde pas fait la matière, il faut croire qu'il a
liberis dicere, ac sentire fait la matière, parce qu'il a fait le
monde. Il est plus croyable que Dieu a
quae velint. Sententias fait la matière parce qu'il peut tout, qu'il
ipsas consideremus. Non n'est croyable qu'il n'a pas fait le
monde, sous prétexte que rien ne se
est, inquit, probabile,
peut faire sans conseil, sans raison et
materiam rerum a Deo sans esprit. Mais cette faute est moins
factam. Quibus hoc particulière à Cicéron qu'à sa secte; car
comme il avait entrepris de discourir sur
argumentis doces? Nihil la nature des dieux, l'ignorance de la
enim dixisti, quare hoc non vérité l'a engagé à soutenir qu'il n'y en
avait aucun. Il pouvait nier l'existence
sit probabile. Itaque mihi e
des dieux, parce qu'en effet il n'y a point
contrario vel maxime de dieux. Mais quand il a entrepris de
probabile videtur: nec combattre la providence d'un seul dieu,
il s'est trouvé sans forces et sans
tamen temere videtur, preuves, et il est tombé dans un abîme
cogitanti plus esse aliquid d'où il ne saurait se retirer. Il s'y tient
attaché. Lucilius qu'il a introduit perd la
in Deo, quem profecto ad
parole. C'est ici la plus importante
imbecillitatem hominis question ; c'est le point d'où dépend le
redigis; cui nihil aliud, reste. Que Cotta se tire comme il pourra
des embarras, et qu'il fasse voir qu'il y
quam opificium concedis. a toujours eu une matière indépendante
Quo igitur ab homine de la divine providence ; qu'il montre

57
divina illa vis differet, si ut comment un corps solide et pesant a pu
être sans avoir été créé, et comment il
homo, sic etiam Deus ope a pu être changé de telle sorte qu'il ait
indiget aliena? Indiget cessé d'être ce qu'il était, pour devenir
ce qu'il n'était pas : quand il aura
autem, si nihil moliri prouvé tout cela, je demeurerai
potest, nisi ab altero illi d'accord que le monde n'est pas
materia ministretur. Quod l'ouvrage de la divine providence, et ne
laisserai pas de le tenir enveloppé dans
si fit, imperfectae utique un filet, d'où il ne pourra s'échapper ;
virtutis est, et erit jam car il sera obligé d’avouer, malgré tous
ses efforts, que le monde et la matière
potentior judicandus d'où il a été tiré existent par la force de
materiae institutor. Quo la nature. Or je prétends que la nature
igitur nomine appellabitur, n'est autre chose que Dieu même; car
rien ne peut produire des ouvrages tout
qui potentia Deum vincit? à fait admirables, s'il n'a la sagesse, la
Siquidem majus est, prévoyance et la puissance. Ainsi il est
clair que Dieu a fait toutes choses, et
propria facere, quam qu'il n'y a rien qui ne tire de lui son
aliena disponere. Si autem origine. Quand Cicéron veut suivre les
fieri non potest, ut sit sentiments d'Épicure et soutenir que
Dieu n'a pas fait le monde, il demande
potentius Deo quidquam, s'il a des mains, et de quelle machine il
quem necesse est s'est servi pour construire un si précieux
édifice. Il aurait peut-être vu de quelles
perfectae esse virtutis,
machines Dieu s'est servi pour achever
potestatis, rationis: idem son ouvrage, s'il eût vécu en ce temps-
igitur materiae fictor est, là. Mais Dieu n'a pas jugé à propos de
mettre l'homme dans le monde avant
qui et rerum ex materia que le monde fût achevé, de peur qu'il
constantium. Neque enim ne le vît travailler à son ouvrage. Il ne
pouvait même être mis dans le monde
Deo non faciente, et invito,
avant qu'il fût achevé: car comment y
esse aliquid aut potuit, aut aurait-il subsisté pendant que Dieu
debuit. Sed probabile est, étendait le ciel, qu'il affermissait les
fondements de la terre, pendant que
inquit, materiam rerum l'une était peut-être glacée par la
habere, et habuisse rigueur du froid ou bouillante par l'excès
de la chaleur, avant que le soleil eût
semper vim et naturam
répandu sa lumière, que la terre eût
suam. Quam vim potuit produit des fruits et que les animaux
habere, nullo dante? quam fussent nés? Dieu ne devait donc créer
l'homme qu'après avoir mis la dernière
naturam, nullo generante? main au reste de ses ouvrages. Enfin,
Si habuit vim, ab aliquo l'Ecriture témoigne qu'il fut créé le
dernier, et qu'il fut placé dans le monde
eam sumpsit. A quo autem
comme dans un palais qui avait été bâti
sumere, nisi a Deo potuit? et préparé exprès pour le recevoir. Les
Porro si habuit naturam, poètes en demeurent d'accord; et après
qu'Ovide a décrit la construction de
quae utique a nascendo l'univers et la production des animaux,
dicitur, nata est. A quo il ajoute:

58
autem, nisi a Deo potuit « Comme il manquait encore à
l'univers une créature pourvue d'un
procreari? Natura enim, esprit éclairé et pénétrant, qui eût en
qua dicitis orta esse elle-même quelque chose de saint et de
sacré, et qui fût capable de commander
omnia, si consilium non à celles qui avaient déjà été faites,
habet, efficere nihil potest. l'homme fut produit. »
Si autem generandi et Il n'est pas permis de pénétrer ce
que Dieu a voulu nous tenir secret.
faciendi potens est, habet Cicéron n'entreprenait pas aussi de le
ergo consilium et pénétrer à dessein de s'instruire, mais à
dessein de réfuter l'opinion contraire à
propterea Deus sit necesse la sienne, et sous ce seul prétexte que
est. Nec alio nomine personne ne s'est trouvé au
appellari potest ea vis, in commencement des choses. Est-ce une
preuve que Dieu n'a pas fait le monde,
qua inest, et providentia de dire qu'il n'y a point d'homme qui l'ait
excogitandi, et solertia vu travailler à cet ouvrage? Si vous
aviez été élevé dans une maison bien
potestasque faciendi. bâtie et bien parée, sans avoir vu
Melius igitur Seneca travailler à la bâtir et à la parer, vous
omnium stoicorum croiriez sans doute qu'elle n'aurait pas
été bâtie par des hommes, et vous
acutissimus, qui vidit « nil demanderiez de quels instruments ils se
aliud esse naturam, quam seraient servis pour faire un si grand
ouvrage, pour tailler et pour placer de si
Deum. Ergo, inquit, Deum
grosses pierres, pour élever de si hautes
non laudabimus, cui colonnes; vous jugeriez sans doute que
naturalis est virtus? » nec la construction d'un si superbe édifice
serait au-dessus de la force des
enim illam didicit ex ullo. hommes, parce que vous ne sauriez pas
Immo laudabimus: que la force y contribue moins que
l'adresse. Que si l’homme, bien qu'il
quamvis enim naturalis illi
n'ait aucun avantage qui soit tellement
sit, illa sibi illam dedit; parfait qu'il n'y manque quelque chose,
quoniam Deus ipse natura ne laisse pas de faire par son industrie
des ouvrages qui semblent être au-
est. Cum igitur ortum dessus de sa nature, quelle raison y a-
rerum tribuis naturae, ac t-il de douter que Dieu, qui est
souverainement parfait et qui a une
detrahis Deo, in eodem
sagesse et une puissance infinies, ait pu
luto haesitas; versuram produire le monde? Ses ouvrages sont
solvis, Geta. A quo enim exposés à la vue. Mais la manière dont
il les a faits est incompréhensible. Ce
fieri negas, ab eodem qui est mortel ne peut, comme dit
plane fieri mutato nomine Trismégiste, s'approcher de ce qui est
immortel, c'est-à-dire il ne le peut
confiteris.
comprendre. Ce qui est périssable ne
Sequitur ineptissima peut s'approcher de ce qui est éternel.
comparatio. « Ut faber, Ce qui est corruptible ne peut
s'approcher de ce qui est incorruptible.
inquit, cum quid Une créature aussi terrestre que
aedificaturus est, non ipse l'homme ne saurait pénétrer

59
facit materiam, sed utitur parfaitement les choses célestes. Son
corps est comme une prison qui le
ea quae sit parata, relient, et qui l'empêche d'user de ses
fictorque item cera: sic isti forces et de son esprit. Que ceux qui
recherchent ce que l'on ne saurait
providentiae divinae trouver, reconnaissent combien leur
materiam esse praesto occupation est vaine. C'est passer les
oportuit, non quam ipse bornes de notre nature ! ignorer
jusqu'où se peuvent étendre nos
faceret, sed quam haberet connaissances. Quand Dieu a révélé la
paratam. » Immo vero non vérité à l'homme, il lui a découvert tout
ce qu'il avait intérêt de savoir pour son
oportuit; erit enim Deus salut, et lui a caché ce qui n'aurait servi
minoris potestatis, si ex qu'à entretenir une curiosité profane.
parato facit, quod est Pourquoi donc cherchez-vous ce que
vous ne sauriez trouver, et pourquoi
hominis. Faber sine ligno voulez-vous savoir ce dont la
nihil aedificabit, quia connaissance ne contribuerait en rien à
vous rendre heureux? L'homme sera
lignum ipsum facere non assez savant, quand il saura qu'il y a un
potest; non posse autem, Dieu, et que ce Dieu a fait toutes
imbecillitatis est choses.

humanae: Deus vero facit


sibi ipse materiam, quia
potest. Posse enim, Dei
est: nam si non potest,
Deus non est. Homo facit
ex eo, quod est; quia per
mortalitatem imbecillis
est, per imbecillitatem,
definitae ac modicae
potestatis: Deus autem
facit ex eo, quod non est;
quia per aeternitatem
fortis est, per
fortitudinem, potestatis
immensae, quae fine ac
modo caret, sicut vita
factoris. Quid ergo mirum,
si facturus mundum Deus,
prius materiam de qua
faceret praeparavit, et
praeparavit ex eo quod
non erat? quia nefas est

60
Deum aliunde aliquid
mutuari, cum in ipso vel ex
ipso sint omnia. Nam si est
aliquid ante illum, et si
factum est quidquam non
ab ipso, jam et potestatem
Dei, et nomen amittet. At
enim materia nunquam
facta est, sicut Deus, qui
ex materia fecit hunc
mundum. Duo igitur
constituuntur aeterna, et
quidem inter se contraria;
quod fieri sine discordia et
pernicie non potest.
Collidant enim necesse est
ea quorum vis et ratio
diversa est: sic utraque
aeterna esse non
poterunt, si repugnant,
quia superare alterum
necesse est. Ergo fieri non
potest, quin aeterni natura
sit simplex, ut inde omnia,
velut ex fonte,
descenderint. Itaque aut
Deus ex materia ortus est,
aut materia ex Deo. Quid
horum sit verius, facile est
intelligi. Ex his enim
duobus alterum sensibile
est, alterum caret sensu.
Potestas faciendi aliquid
non potest esse, nisi in eo
quod sentit, quod sapit,
quod cogitat, quod
movetur. Nec incipi, aut
fieri, aut consummari

61
quidquam potest, nisi
fuerit ratione provisum; et
quemadmodum fiat,
antequam est, et
quemadmodum constet,
postquam fuerit effectum.
Denique is facit aliquid, qui
habet voluntatem ad
faciendum et manus ad id
quod voluit implendum.
Quod autem insensibile
est, iners et torpidum
semper jacet, et nihil inde
oriri potest, ubi nullus est
motus voluntarius. Nam si
omne animal ratione
constat, certe nasci ex eo
non potest, quod ratione
praeditum non est; nec
aliunde accipi potest id,
quod ibi, unde petitur, non
est. Nec tamen
commoveat aliquem, quod
animalia quaedam de terra
nasci videntur. Haec enim
non terra per se gignit, sed
spiritus Dei, sine quo nihil
gignitur. Non ergo Deus ex
materia, quia sensu
praeditum ex insensibili,
sapiens ex bruto,
impatibile de patibili,
expers corporis de
corporali numquam potest
oriri: sed materia potius ex
Deo est. Quidquid enim est
solido et contrectabili
corpore, accipit externam

62
vim. Quod accipit vim,
dissolubile est. Quod
dissolvitur, interit. Quod
interit, ortum sit necesse
est. Quod ortum est,
habuit fontem unde
oriretur, id est factorem
aliquem sentientem,
providum, peritumque
faciendi. Is est profecto,
nec ullus alius quam Deus.
Qui quoniam sensu,
ratione, providentia,
potestate, virtute
praeditus est, et
animantia, et inanima
creare et efficere potest,
quia tenet quomodo
quidque sit faciendum.
Materia vero semper fuisse
non potest, quia
mutationem non caperet,
si fuisset. Quod enim
semper fuit, semper esse
non desinit; et unde abfuit
principium, abesse hinc
etiam finem necesse est.
Quin etiam facilius est, ut
id quod habuit initium, fine
careat, quam ut habeat
finem, quod initio caruit.
Materia ergo si facta non
est, ne fieri ex ea
quidquam potest. Si fieri
ex ea non potest, nec
materia quidem erit.
Materia enim est, ex qua
fit aliquid. Omne autem ex

63
quo fit, quia recepit opificis
manum, destruitur, et
aliud esse incipit. Ergo
quoniam finem habuit
materia, tum cum factus
est ex ea mundus, et
initium quoque habuit.
Nam quod destruitur,
aedificatum est; quod
solvitur, alligatum; quod
finitur, incoeptum est. Si
ergo ex commutatione ac
fine materia colligitur
habuisse principium, a quo
alio fieri nisi a Deo potuit?
Solus igitur Deus, qui
factus non est, et idcirco
destruere alia potest, ipse
destrui non potest.
Permanebit semper in eo
quod fuit, quia non est
aliunde generatus, nec
ortus, nec nativitas ejus ex
aliqua alia re pendet, quae
illum mutata dissolvat. Ex
seipso est, ut in primo
diximus libro; et ideo talis
est, qualem se esse voluit,
impassibilis, immutabilis,
incorruptus, beatus,
aeternus.
Jam vero illa
conclusio, qua sententiam
terminavit Tullius, multo
absurdior. « Quod si
materia, inquit, a Deo non
est facta, nec terra
quidem, et aqua, et aer, et

64
ignis a Deo factus est. »
Quam callide periculum
praetervolavit. Sic enim
superius illud assumpsit,
tanquam probatione non
indigeret; cum id multo
esset incertius quam illud
propter quod assumptum
est. Si non est, inquit, a
Deo facta materia, nec
mundus a Deo factus est.
Ex falso maluit colligere,
quod falsum est, quam ex
vero, quod verum. Et cum
debeant incerta de certis
probari, hic probationem
sumpsit ex incerto, ad
evertendum quod erat
certum. Nam divina
Providentia effectum esse
mundum (ut taceam de
Trismegisto, qui hoc
praedicat, taceam de
carminibus Sibyllarum,
quae idem nuntiant;
taceam de prophetis, qui
opus mundi, ac opificium
Dei uno spiritu ac pari voce
testantur) etiam inter
philosophos pene
universos convenit; id
enim Pythagoraei, Stoici,
Peripatetici, qui sunt
principes omnis
disciplinae. Denique a
primis illis septem
sapientibus ad Socratem
usque ac Platonem pro

65
confesso et indubitato
habitum est, donec unus
multis post saeculis extitit
delirus Epicurus, qui
auderet negare id quod est
evidentissimum, studio
scilicet inveniendi nova, ut
nomine suo constitueret
disciplinam. Et quia nihil
novi potuit reperire: ut
tamen dissentire a caeteris
videretur, vetera voluit
evertere. In quo illum
circumlatrantes philosophi
omnes coarguerunt.
Certius est igitur mundum
providentia instructum,
quam materia
providentiam
conglobatam. Quare non
oportuit putare, idcirco
mundum non esse divina
providentia factum, quia
materia ejus divina
providentia facta non sit:
sed quia mundus divina
providentia sit effectus, et
materiam esse factam
divinitus. Credibilius est
enim materiam potius a
Deo factam, quia Deus
omnia potest, quam
mundum a Deo non esse
factum, quia sine mente,
ratione, consilio nihil fieri
potest. Verum haec non
Ciceronis est culpa, sed
sectae. Cum enim

66
suscepisset
disputationem, qua
deorum naturam tolleret,
de qua philosophi
garriebant, omnem
divinitatem ignorantia veri
putavit esse tollendam.
Itaque deos potuit tollere,
quia non erant. Cum
autem providentiam
divinam, quae est in uno
Deo, conaretur evertere,
quia contra veritatem niti
coeperat, deficientibus
argumentis, in hanc
foveam necessario decidit,
unde se extricare non
posset. Hic ergo illum
teneo haerentem, teneo
defixum, quo Lucilius, qui
contra disserebat,
obmutuit. Hic est ergo
cardo rerum; hic vertuntur
omnia. Explicet se Cotta, si
potest, ex hac voragine;
proferat argumenta,
quibus doceat semper
fuisse materiam, quam
nulla providentia effecerit.
Ostendat, quomodo
quidquam ponderosum et
grave, aut esse potuerit
sine auctore, aut immutari
valuerit, ac desierit esse,
quod semper fuit, ut
inciperet esse, quod
numquam fuit. Quae si
docuerit, tum demum

67
assentiar, ne mundum
quidem divina providentia
constitutum; et tamen sic
assentiar, ut aliis illum
laqueis teneam. Eodem
enim, quo nolet
revolvetur, ut dicat, et
materiam de qua mundus
est, et mundum qui de
materia est, natura
extitisse: cum ego ipsam
naturam Deum esse
contendam. Nec enim
potest facere mirabilia, id
est maxima ratione
constantia, nisi qui habet
mentem, providentiam,
potestatem. Ita fiet, ut
Deus fecerit omnia, nec
quidquam esse possit
omnino, quod non
originem a Deo traxerit.
At idem quoties
Epicureus est, et non vult
a Deo factum esse
mundum, quaerere solet
quibus manibus, quibus
machinis, quibus vectibus,
qua molitione hoc tantum
opus fecerit. Videret
fortasse, si eo tempore
potuisset esse, quo fecit.
Sed ne perspiceret homo
Dei opera, noluit eum
inducere in hunc mundum,
nisi perfectis omnibus. Sed
ne induci quidem poterat:
quomodo enim

68
subsisteret, cum
fabricaretur desuper
coelum, terraque subter
fundaretur; cum fortasse
humida, vel nimiis
rigoribus torporata
concrescerent, vel igneis
caloribus incocta et
solidata durescerent? Aut
quomodo viveret, sole
nondum instituto, nec
frugibus, nec animalibus
natis? Itaque necesse fuit
hominem postremo fieri,
cum jam mundo
caeterisque rebus manus
summa esset imposita.
Denique sanctae litterae
docent hominem fuisse
ultimum Dei opus, et sic
inductum fuisse in hunc
mundum, quasi in domum
jam paratam et
instructam: illius enim
causa facta sunt omnia.
Idem etiam poetae
fatentur. Ovidius perfecto
jam mundo, et universis
animalibus figuratis, hoc
addidit:
Sanctius his animal,
mentisque capacius altae
Deerat adhuc, et quod
dominari in caetera
posset;
Natus homo est. Adeo
nefas existimandum est ea
scrutari, quae Deus voluit

69
esse celata! Verum ille non
audiendi aut discendi
studio requirebat, sed
refellendi; quia confidebat
neminem id posse dicere.
Quasi vero ex hoc
putandum sit, non esse
haec divinitus facta, quia
quomodo facta sint, non
potest pervideri. An tu, si
educatus in domo
fabrefacta et ornata,
nullam umquam fabricam
vidisses, domum illam
putasses non ab homine
esse aedificatam; quia,
quomodo aedificetur,
ignorares? Idem profecto
de domo quaereres, quod
nunc de mundo requiris;
quibus manibus, quibus
ferramentis homo tanta
esset opera molitus;
maxime si saxa ingentia,
immensa caementa,
vastas columnas, opus
totum sublime et excelsum
videres, nonne haec tibi
humanarum virium
modum viderentur
excedere, quia illa non tam
viribus quam ratione atque
artificio facta esse
nescires?
Quod si homo, in quo
nihil perfectum est, tamen
plus efficit ratione, quam
vires ejus exiguae

70
patiantur, quid est cur
incredibile tibi esse
videatur, cum mundus
dicitur factus a Deo, in
quo, quia perfectus est,
nec sapientia potest
habere terminum, nec
fortitudo mensuram?
Opera ipsius videntur
oculis. Quomodo autem
illa fecerit, ne mente
quidem videtur: quia, ut
Hermes ait, mortale
immortali, temporale
perpetuo, corruptibile
incorrupto propinquare
non potest, id est propius
accedere et intelligentia
subsequi. Et ideo terrenum
adhuc animal rerum
coelestium perspectionem
non capit, quia corpore
quasi custodia septum
tenetur, quominus soluto
ac libero sensu cernat
omnia. Sciat igitur quam
inepte faciat, qui res
inenarrabiles quaerit. Hoc
est enim modum
conditionis suae
transgredi, nec intelligere,
quousque homini liceat
accedere. Denique cum
aperiret homini veritatem
Deus, ea sola scire nos
voluit, quae interfuit
hominem scire ad vitam
consequendam: quae vero

71
ad curiosam et profanam
cupiditatem pertinebant,
reticuit, ut arcana essent.
Quid ergo quaeris, quae
nec potes scire, nec si
scias, beatior fias?
Perfecta est in homine
sapientia, si et Deum esse
unum, et ab ipso esse
facta universa cognoscat.

CAPUT X. De mundo X. A présent que nous avons réfuté


ejusque partibus, ceux qui ont du monde et de Dieu son
elementis et auteur une opinion contraire à la vérité,
tempestatibus. retournons à cette œuvre divine de
Nunc quoniam l'univers dont parlent les livres
refutavimus eos qui de mystérieux de notre sainte religion.
mundo et de factore ejus Dieu créa le ciel avant toutes choses, et
Deo aliter sentiunt quam il le suspendit dans la partie la plus
veritas habet, ad divinam élevée de l'univers pour y établir le
mundi fabricam trône de sa gloire. Il a ensuite affermi la
revertamur, de qua in terre qui devait servir de demeure aux
arcanis sanctae religionis hommes et aux animaux. Il a répandu
litteris traditur. Fecit igitur sur sa surface la mer et les fleuves. Il a
Deus primum omnium rempli le lieu de sa demeure de lumière,
coelum, et in sublime en y attachant le soleil, la lune et une
suspendit, quod esset infinité d'autres globes éclatants. Il a
sedes ipsius Dei conditoris. placé les ténèbres sur la terre, car cette
Deinde terram fundavit, ac masse grossière et opaque n'a pas
coelo subdidit, quam homo d'autre jour que celui qu'elle reçoit du
cum caeteris animalium ciel ; elle est le lieu de la nuit, de la mort
generibus incoleret. Eam et du tombeau, comme la partie qui lui
voluit humore circumflui, est opposée est le lieu de la lumière et
et contineri. Suum vero de la vie. La terre est autant éloignée du
habitaculum distinxit claris ciel que le mal est éloigné du bien, que
luminibus, et implevit, sole le vice est éloigné de la vertu. Il a divisé
scilicet, lunaeque orbe la terre en deux parties qui semblent

72
fulgenti, et astrorum contraires, l'orientale et l'occidentale.
micantium splendentibus L'orient a un rapport particulier avec
signis adornavit; tenebras Dieu, qui est le véritable principe de la
autem, quod est his lumière, le soleil spirituel et invisible qui
contrarium, constituit in nous éclaire et qui nous conduit à une
terra: nihil enim per se vie immortelle. L'occident, au contraire,
continet luminis, nisi ressemble à cet esprit ténébreux qui
accipiat a coelo, in quo nous dérobe la lumière et qui nous jette
posuit lucem perennem, et dans la mort du péché. Il a encore
superos, et vitam distingué sur la terre deux autres
perpetuam, et contra in parties : le midi, qui approche plus de
terra tenebras, et inferos, l'orient et qui est exposé aux ardeurs du
et mortem. Tanto enim soleil, et le septentrion qui approche de
haec ab illis superioribus l'occident, et qui est couvert de neige et
distant, quantum mala a de glace. Le froid est contraire au
bonis, et vitia a virtutibus. chaud, comme les ténèbres sont
Ipsius quoque terrae binas contraires à la lumière. Le midi
partes contrarias inter se, approche de l'orient, comme la chaleur
diversasque constituit, approche de la lumière, et le
scilicet orientem, septentrion approche de l'occident,
occidentemque: ex quibus comme le froid approche des ténèbres.
oriens Deo accensetur; Il a assigné à chaque partie une saison
quia ipse luminis fons, et qui lui est propre, savoir : le printemps
illustrator est rerum, et à l'orient, l'été au midi, l'automne à
quod oriri nos faciat ad l'occident, et l'hiver au septentrion. Le
vitam sempiternam. midi et le septentrion sont aussi des
Occidens autem images de la vie et de la mort, parce que
conturbatae illi pravaeque la vie consiste dans la chaleur qui
menti adscribitur, quod procède du feu, comme la mort consiste
lumen abscondat, quod dans le froid qui procède de l'eau. Ces
tenebras semper inducat, saisons apportent une grande variété
et quod homines faciat dans la longueur des jours et des nuits,
occidere atque interire dont la révolution continuelle suit les
peccatis. Nam sicut lux années et les autres mesures du temps.
orientis est, in luce autem Le jour que l'orient répand appartient à
vitae ratio versatur; sic Dieu, comme tout ce qu'il y a de bon et
occidentis tenebrae sunt: d'excellent lui appartient; la nuit, au
in tenebris autem, et contraire, que l'occident répand,

73
mors, et interitus appartient à l'esprit qui, comme nous
continetur. Deinde alteras l'avons dit, est contraire à Dieu. Ce
partes eadem ratione souverain seigneur de l'univers a trouvé
dimensus est, meridiem ac bon de tracer dans le jour et dans la nuit
septentrionem; quae des figures de la religion et des
partes illis duabus superstitions; car comme le soleil, bien
societate junguntur. Ea qu'il soit seul, ainsi que son nom le
enim, quae est solis calore porte, est le père du jour et remplit
flagrantior, proxima est, et toutes les parties du monde de sa
cohaeret orienti. At illa, lumière et de sa chaleur. Dieu de la
quae frigoribus et même manière, bien qu'il soit unique, a
perpetuo gelu torpet, une majesté, une grandeur et une
ejusdem est cujus puissance infinies. La nuit, dont nous
extremus occasus. Nam avons dit que l'intendance est donnée à
sicut contrariae sunt l'esprit ennemi de Dieu, représente en
lumini tenebrae, ita frigus quelque sorte par sa noirceur
calori. Ut igitur calor lumini l'aveuglement et l'erreur des
est proximus, sic meridies superstitions païennes; car quelque
orienti: ut frigus tenebris, grand que soit le nombre des astres qui
ita plaga est brillent au milieu des ténèbres, ils n'en
septentrionalis occasui. sauraient jamais dissiper l'obscurité, et
Quibus singulis partibus ayant fort peu d'éclat ils n'ont point du
suum tempus attribuit, ver tout de chaleur. La chaleur et l'humidité
scilicet orienti, aestatem sont deux principes que Dieu a établis
meridianae plagae; pour la production et pour la
occidentis autumnus est, conservation de tous les êtres. Comme
septentrionis hyems. In la force de Dieu consiste dans la chaleur
his quoque duabus et dans le feu, si l'excès de cette ardeur
partibus, meridiana et n'avait été en quelque sorte tempéré
septentrionali, figura vitae par l'humidité et par la fraîcheur de la
et mortis continetur: quia matière, elle aurait entièrement
vita in calore est, mors in consumé tout ce qui lui aurait été
frigore. Sicut autem calor exposé, de sorte que rien n'aurait reçu
ex igne est, ita frigus ex la vie qu'il ne l'eût aussitôt perdue. C'est
aqua. Secundum harum pour cela que quelques philosophes et
partium dimensionem, quelques poètes ont dit que le monde
diem quoque fecit ac subsiste par l'accord et par la discorde
noctem, quae spatia, et qui se rencontrent entre les parties qui

74
orbes temporum le composent. Héraclite a dit que toutes
perpetuos ac volubiles, choses étaient nées du feu. Thalès de
quos vocamus annos, Milet a dit qu'elles étaient nées de l'eau.
alterna per vices Ils ont tous les deux découvert quelque
successione conficiant. chose de la vérité, et se sont pourtant
Dies, quem primus oriens trompés tous les deux ; car s'il n'y avait
subministrat, Dei sit point eu d'autre principe que le feu,
necesse est, ut omnia jamais l'eau n'en serait sortie; et s'il n'y
quaecumque meliora sunt. avait eu d'autre principe que l'eau,
Nox autem, quam jamais le feu n'aurait été produit. La
occidens extremus inducit, vérité est que le mélange de ces deux
ejus scilicet, quem Dei éléments est la cause de toutes les
esse aemulum diximus. productions. Ce n'est pas que le feu
Quae duo etiam in hoc puisse être mêlé avec l'eau, parce que
praescius futurorum Deus ce sont deux contraires dont l'un
fecit, ut ex iis, et verae détruirait l'autre; mais la chaleur qui
religionis, et falsarum procède du feu et l'humidité qui procède
superstitionum imago de l'eau peuvent être mêlées, et Ovide
quaedam ostenderetur. a eu raison d'en parler de cette sorte.
Nam sicut sol, qui oritur in Quelle que soit la contrariété apparente
diem, licet sit unus, unde entre la chaleur et l'humidité, et
solem esse appellatum quelque combat qu'il y ait sans cesse
Cicero vult videri (lib. II de entre l'eau et le feu, il est vrai pourtant
Nat. deorum) , quod qu'il n'y a rien dans l'univers qui ne soit
obscuratis sideribus, solus composé du mélange de ces qualités
appareat, tamen quia contraires. L'un de ces deux éléments
verum ac perfectae est comme le mâle et l'autre comme la
plenitudinis lumen est, et femelle; l'un agit et l'autre souffre. Les
calore potissimo, et anciens se servaient du symbole du feu
fulgore clarissimo illustrat et de l'eau dans la célébration de leurs
omnia: ita in Deo, licet sit mariages, parce que la chaleur de l'un
unus, et majestas, et et l'humidité de l'autre servent à former
virtus, et claritudo et à animer les corps des animaux. Tout
perfecta est. Nox autem, animal étant composé de corps et
quam pravo illi antitheo d'âme, l'humidité sert de matière à l'un
dicimus attributam, ejus et la chaleur à l'autre. Cela paraît
ipsius multas et varias principalement dans la formation des
religiones per oiseaux; car bien que les œufs d'où ils

75
similitudinem demonstrat. sortent soient remplis d'une humeur
Quamvis enim stellae épaisse, jamais cette humeur n'est
innumerabiles micare ac animée qu'elle n'ait été auparavant
radiare videantur; tamen, rendue féconde par la chaleur. C'était
quia non sunt plena ac autrefois une coutume de défendre
solida lumina, nec caloris l'usage de l'eau et du feu aux
praeferunt quidquam, nec coupables; car on était encore persuadé
tenebras multitudine sua en ces premiers temps que, quelque
vincunt. Duo igitur illa crime qu'un homme eût commis, il ne
principalia inveniuntur, fallait pas le punir de mort ; mais en le
quae diversam et privant de l'eau et du feu sans lesquels
contrariam sibi habent on ne saurait presque conserver la vie,
postestatem; calor et on faisait presque la même chose que si
humor: quae mirabiliter on la lui eût ôtée. Voilà comment ces
Deus ad sustentanda et deux éléments ont toujours paru si
gignenda omnia nécessaires, que l'on a cru que sans eux
excogitavit. Nam cum l'homme ne pouvait ni recevoir l'être ni
virtus Dei sit in calore et le conserver; l'usage de l'un de ces
igni, nisi ardorem vimque éléments nous est commun avec les
ejus admixta humoris ac bêtes, et l'autre nous est propre. Nous
frigoris materia nous servons seuls du feu, qui étant
temperasset, nec nasci descendu du ciel, et tendant vers le ciel
quidquam nec cohaerere par un mouvement perpétuel, nous
potuisset, quin statim avertit en quelque sorte de l'immortalité
conflagratione interiret de notre Ame. Les autres animaux, qui
quidquid esse coepisset. sont entièrement sujets à la mort, ne se
Unde et philosophi quidam servent que de l'eau, qui est un élément
et poetae discordi grossier et terrestre, dont la pesanteur
concordia mundum tend toujours vers le bas, et marque le
constare dixerunt: sed lieu du tombeau; les animaux qui sont
rationem penitus non privés de l'usage du feu ne regardent
videbant. Heraclitus ex jamais le ciel et n'ont aucun sentiment
igne nata esse omnia dixit; de religion. Il n'y a que Dieu, qui est
Thales Milesius ex aqua. l'auteur de ces deux éléments, qui
Uterque vidit aliquid: sed sache de quelle manière il en a allumé
erravit tamen uterque, un, et de quelle manière il a répandu
quod alterutrum si solum l'autre sur la terre.
fuisset, neque aqua nasci

76
ex igne potuisset, neque
rursus ignis ex aqua. Sed
est verius, simul ex
utroque permisto cuncta
generari. Ignis quidem
permisceri cum aqua non
potest, quia sunt utraque
inimica; et si cominus
venerint, alterutrum quod
superaverit, conficiat
alterum necesse est: sed
eorum substantiae
permisceri possunt.
Substantia ignis, calor est;
aquae, humor. Recte igitur
Ovidius:
Quippe ubi temperiem
sumpsere humorque
calorque,
Concipiunt, et ab his
oriuntur cuncta duobus:
Cumque sit ignis aquae
pugnax, vapor humidus
omnes
Res creat, et discors
concordia foetibus apta
est.
Alterum enim quasi
masculinum elementum
est, alterum quasi
foemininum; alterum
activum, alterum patibile.
Ideoque a veteribus
institutum est, ut
sacramento ignis et aquae
nuptiarum foedera
sanciantur, quod foetus
animantium calore et

77
humore corporentur,
atque animentur ad vitam.
Cum enim constet
omne animal ex anima et
corpore, materia corporis
in humore est, animae in
calore: quod ex avium
foetibus datur scire, quos
crassi humoris plenos nisi
opifex calor foverit, nec
humor potest corporari,
nec corpus animari.
Exulibus quoque ignis et
aqua interdici solebat:
adhuc enim videbatur
nefas, quamvis malos,
tamen homines supplicio
capitis afficere. Interdicto
igitur usu earum rerum,
quibus vita constat
hominum, perinde
habebatur, ac si esset, qui
eam sententiam
exceperat, morte
mulctatus. Adeo ista duo
elementa prima sunt
habita, ut nec ortum
hominis, nec sine his vitam
crediderint posse
constare. Horum alterum
nobis commune est cum
caeteris animantibus,
alterum soli homini datum.
Nos enim quoniam
coeleste atque immortale
animal sumus, igne
utimur, qui nobis in
argumentum

78
immortalitatis datus est,
quoniam ignis e coelo est:
cujus natura, quia mobilis
est, et sursum nititur,
vitae continet rationem.
Caetera vero animalia,
quoniam tota sunt
mortalia, tantummodo
aqua utuntur, quod est
elementum corporale
atque terrenum. Cujus
natura, quia mobilis est, ac
deorsum vergens, figuram
mortis ostendit. Ideo
pecudes, neque in coelum
suspiciunt, neque
religiones sentiunt,
quoniam ab his usus ignis
alienus est. Unde autem,
vel quomodo Deus haec
duo principalia, ignem et
aquam, vel accenderit, vel
eliquaverit, solus scire
potest qui fecit.

APUT XI. De animantibus, homine, XI. Lorsque Dieu eut achevé le monde,
Prometheo, Deucalione, Parcis. il commanda que les animaux de diverses
Consummato igitur mundo, animalia formes et de diverses espèces, grands et
varii generis, dissimilibus formis, et magna petits, fussent faits. Ils furent faits deux
et minora ut fierent, imperavit. Et facta de chaque espèce et de différent sexe, et
sunt bina; id est diversi sexus singula: ex ils se sont tellement multipliés depuis
quorum foetibus, et aer, et terra, et maria qu'ils ont rempli la vaste étendue de l'air,
completa sunt. Deditque his omnibus de la mer et de la terre. Dieu leur permit
generatim Deus alimenta de terra, ut usui de se nourrir des aliments qui croissent
hominibus esse possent; alia nimirum ad sur la terre, afin qu'ils puissent servir les

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cibos, alia vero ad vestitum: quae autem uns à la nourriture de l'homme, les autres
magnarum sunt virium, ut in excolenda à son vêtement, les autres au travail et au
terra juvarent; unde dicta sunt jumenta. Ita labourage. Lorsqu'il eut ainsi rangé les
rebus omnibus mirabili descriptione parties de l'univers dans cet ordre
compositis, regnum sibi aeternum parare admirable qui en fait la principale beauté,
constituit, et innumerabiles animas il se fit à lui-même un royaume éternel,
procreare, quibus immortalitatem daret. en créant un nombre infini d'âmes
Tum fecit ipsi sibi simulacrum sensibile, auxquelles il donna le privilège de
atque intelligens, id est ad imaginis suae l'immortalité. Il fit ensuite un portrait
formam, qua nihil potest esse perfectius: sensible et intelligent de lui-même, et le
hominem figuravit ex limo terrae; unde plus excellent que l'on puisse voir. Il
homo nuncupatus est, quod sit factus ex forma le corps de l'homme du limon, et
humo. Denique Plato humanam formam c'est ce que le nom d'homme marque
esse ait; et Sibylla, quae dicit: dans la langue latine. Platon a dit que la
Εἰκών ἐστ' ἄνθρωπος ἐμὴ λόγον ὀρθὸν forme de l'homme ressemble à celle de
ἔχουσα Dieu, et cette pensée a assez de rapport
De hac hominis fictione poetae à celle que la sibylle présente à l'esprit,
quoque, quamvis corrupte, tamen non quand elle dit que l'homme est une image
aliter tradiderunt: namque hominem de de Dieu, mais une image animée et
luto a Prometheo factum esse dixerunt. Res raisonnable. Bien que les poètes n'aient
eos non fefellit, sed nomen artificis. Nullas parlé que fort imparfaitement de la
enim litteras veritatis attigerant: sed quae formation de l'homme, ils n'ont pas laissé
prophetarum vaticinio tradita, in sacrario de dire qu'il a été fait de limon par
Dei continebantur, ea de fabulis et obscura Prométhée. Ils ne se sont pas trompés
opinione collecta et depravata, ut veritas a dans le fond, ils ne se sont trompés que
vulgo solet variis sermonibus dissipata dans le nom de l'ouvrier : car ils n'avaient
corrumpi, nullo non addente aliquid ad eu aucune connaissance des livres sacrés
quod audierat, carminibus suis qui expliquent clairement la vérité ; ils
comprehenderunt; et hoc quidem inepte, n'avaient rien lu des prophètes dont les
quod tam mirabile tamque divinum prédictions étaient cachées dans le secret
opificium homini dederunt. Quid enim opus de Dieu. Ils n'ont rois dans leurs poèmes
fuit hominem de luto fingi, cum posset que ce qu'ils avaient appris de la fable, et
eadem ratione generari qua ipse l'ont mis corrompu par le mélange des
Prometheus ex Japeto natus est? qui si fuit erreurs populaires sur lesquelles chacun
homo, generare hominem potuit, facere avait enchéri à l'envi, comme il arrive
non potuit. De diis autem illum non fuisse, ordinairement quand on rapporte les faux
poena ejus in Caucaso monte declarat. Sed bruits qui ont été une fois répandus. C'est
neque patrem ipsius Japetum, patruumque sans doute une impertinence d'attribuer à

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Titana quisquam deos nuncupavit, quia l'homme, comme ils ont fait, un ouvrage
regni sublimitas penes Saturnum solum si excellent et si divin. Qu'était-il besoin
fuit, per quam divinos honores cum que Prométhée prit du limon pour faire
omnibus suis posteris consecutus est. l'homme, puisqu'il le pouvait engendrer
Multis argumentis hoc figmentum poetarum de la même façon qu'il avait été engendré
coargui potest. Factum esse diluvium ad par Japhet son père ? Le supplice qu'il
perdendam tollendamque ex orbe terrae subit sur le mont Caucase ne fait que trop
malitiam, constat inter omnes. Idem enim voir qu'il n'était pas du nombre des dieux.
et philosophi, poetae, scriptoresque rerum Japhet son père, ni Titan son oncle, n'ont
antiquarum loquuntur; in eoque maxime jamais été honorés par personne de ce
cum prophetarum sermone consentiunt. Si titre, il n'a été attribué qu'à Saturne et à
ergo cataclysmus ideo factus est, ut ses descendants, en considération de la
malitia, quae per nimiam multitudinem dignité royale dont il avait joui. Il n'y a
increverat, perderetur, quomodo fictor rien si aisé que de détruire cette vaine
hominis Prometheus fuit? cujus filium imagination des poètes touchant la
Deucalionem iidem ipsi ob justitiam solum formation de l'homme; tout le monde
esse dicunt servatum. Quomodo unus demeure d'accord que le déluge n'a été
gradus, et una progenies, orbem terrae tam répandu sur la terre que pour la laver des
celeriter potuit hominibus implere? Sed crimes dont elle était toute salie; les
videlicet hoc quoque sic corruperunt, ut philosophes, les poètes et les historiens
illud superius; cum ignorarent, in quo conviennent de cette vérité avec les
tempore cataclysmus sit factus in terra, et prophètes. Si l'unique fin du déluge a été
quis ob justitiam meruerit, genere humano d'arrêter le cours des crimes que le grand
pereunte, salvari, et quomodo, aut cum nombre des hommes avait rendus trop
quibus servatus sit: quae omnia publics et trop communs, comment
propheticae litterae docent. Apparet ergo Prométhée a-t-il formé l'homme, puisque
falsum esse quod de opificio Promethei les poètes assurent que Deucalion, qui
narrant. était son fils, fut seul préservé à cause de
Verum quia poetas dixeram non sa justice? la terre a-t-elle pu être si fort
omnino mentiri solere, sed figuris peuplée dans l'espace d'une seule
involvere, et obscurare quae dicant, non génération ? Les poètes ont changé ces
dico esse mentitos, sed primum omnium circonstances aussi bien que d'autres dont
Promethea simulacrum hominis formasse nous avons déjà parlé, parce qu'ils n'ont
de pingui et molli luto, ab eoque primo rien su de ce que les livres saints
natam esse artem, et statuas, et simulacra enseignent touchant le temps auquel le
fingendi; siquidem Jovis temporibus fuit, déluge inonda la terre, touchant la
quibus primum templa constitui, et novi personne dont la vertu mérita d'être
deorum cultus esse coeperunt. Sic veritas préservée de l'inondation, et touchant la

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fucata mendacio est; et illud, quod a Deo manière dont elle fut préservée et le
factum ferebatur, homini, qui opus divinum nombre de ceux qui furent aussi sauvés
imitatus est, etiam coepit adscribi. avec lui. Il est donc clair que ce qu'ils
Caeterum fictio veri ac vivi hominis e limo avancent, de la manière dont Prométhée
Dei est. Quod Hermes quoque tradidit: qui forma l'homme, est contraire à la vérité ;
non tantum hominem ad imaginem Dei ce n'est pas qu'ils l'aient tout à fait abolie,
factum esse dixit a Deo; sed etiam illud ils n'ont fait que l'obscurcir et
explanare tentavit, quam subtili ratione l'envelopper. Prométhée inventa en effet
singula quaeque in corpore hominis le premier l'art de faire des figures et des
membra formaverit, cum eorum nihil sit images avec de la terre et du limon, et il
quod non tantumdem ad usus vécut au temps de Jupiter, où on
necessitatem, quantum ad pulchritudinem commença à élever des temples et où on
valeat. Id vero etiam stoici, cum de inventa le culte des dieux. Voilà comment
providentia disserunt, facere conantur; et la vérité a été altérée par le mensonge, et
secutus eos Tullius pluribus quidem locis. comment on a attribué l'ouvrage de Dieu
Sed tamen materiam tam copiosam et à un homme qui n'en avait fait que la
uberem strictim contingit; quam ego nunc figure; au reste il n'y a que Dieu qui ait
idcirco praetereo, quia nuper proprium de formé de limon un homme vivant et
ea re librum ad Demetrianum auditorem véritable. Trismégiste reconnaît cette
meum scripsi. Illud hoc loco praeterire non vérité, et non seulement avoue que Dieu
possum, quod errantes philosophi quidam a fait l'homme à son image, mais tâche
aiunt, homines, caeteraque animalia sine même d'expliquer le soin qu'il a pris de
ullo artifice orta esse de terra; unde illud travailler à chaque partie, dont il n'y en a
Virgilianum est: aucune qui ne soit aussi admirable pour
Virumque son usage que pour sa beauté. Les
Terrea progenies duris caput extulit arvis. stoïciens remarquent à peu près les
Et ii maxime fuerunt in ea sententia qui mêmes choses lorsqu'ils parlent de la
esse providentiam negant. Nam stoici Providence, et Cicéron les a imités en
animantium fabricam divinae solertiae plusieurs endroits de ses ouvrages; il n'a
tribuunt. Aristoteles autem labore se ac pourtant touché que légèrement cette
molestia liberavit, dicens semper mundum matière, quoiqu'elle soit fort abondante.
fuisse; itaque et humanum genus, et Je ne la traiterai pas en ce lieu-ci, parce
caetera quae in eo sunt, initium non que je l'ai traitée fort au long dans un livre
habere, sed fuisse semper, ac semper fore. que j'ai adressé à Démétrianus, mon
Sed cum videamus singula quaeque disciple. Je ne puis néanmoins admettre
animalia, quae ante non fuerant, incipere l'erreur où sont tombés quelques
esse, et esse desinere, necesse est totum philosophes, qui ont soutenu que les
hommes et les autres animaux étaient nés

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genus aliquando esse coepisse, et de la terre, sans qu'aucun ouvrier eût
aliquando desiturum esse, quia coeperit. travaillé à les former ; c'est ce qu'il
Omnia enim tribus temporibus semble que Virgile ait voulu faire
contineri necesse est, praeterito, praesenti, entendre, quand il a dit que la race des
futuro. Praeteriti est origo, praesentis hommes est sortie de dessous les sillons
substantia, futuri dissolutio. Quae omnia in de la terre. Ce sont principalement ceux
singulis hominibus apparent, et incipimus qui nient la Providence qui ont été dans ce
enim, cum nascimur; et sumus, cum sentiment; car les stoïciens qui la
vivimus; et desinimus, cum interimus. reconnaissent, tiennent que Dieu a pris le
Unde etiam tres Parcas esse voluerunt; soin de produire les animaux. Aristote a
unam, quae vitam hominibus ordiatur; évité cette difficulté en soutenant que le
alteram, quae contexat; tertiam, quae monde est éternel, et que la nature
rumpat ac finiat. In toto autem genere humaine n'a point eu de commencement
hominum, quia solum praesens tempus et n'aura point de fin; mais puisque nous
apparet, ex eo tamen et praeteritum, id est, voyons que chaque animal naît en un
origo colligitur; et futurum, id est, temps et meurt en un autre, il faut
dissolutio. Nam quoniam est, apparet nécessairement que l'espèce entière soit
aliquando coepisse (esse enim nulla res sujette à la même loi, qu'elle ait autrefois
sine exordio potest); et quia coepit, apparet commencé et qu'elle doive un jour finir. Il
quandoque desiturum. Nec enim potest id n'y a rien au monde qui ne soit renfermé
totum esse immortale, quod ex mortalibus dans l'espace du passé, du présent et de
constat. Nam sicut universi per singulos l'avenir; le passé est le temps de la
interimus, fieri potest, ut aliquo casu omnes naissance, le présent celui de la
simul; vel sterilitate terrarum, quae consistance, et l'avenir celui de la
accidere particulatim solet; vel pestilentia dissolution. Ces trois degrés se font
ubique diffusa, quae singulas urbes atque remarquer dans le cours de la vie de tous
regiones plerumque populatur; vel incendio les hommes. Nous commençons quand
in orbem misso, quale jam fuisse sub nous naissons, nous demeurons en un
Phaetonte dicitur; vel diluvio aquarum, état de consistance durant toute notre vie,
quale sub Deucalione traditur, cum praeter et nous finissons par la mort. C'est pour
unum hominem genus omne deletum est. cela que les poètes ont inventé trois
Quod diluvium si casu accidit, profecto Parques, dont l'une commence la vie de
potuit accidere, ut et unus ille, qui l'homme, l'autre la continue, et la
superfuit, interiret. Si autem divinae dernière la termine. Bien que l'on ne voie
providentiae nutu, quod negari non potest, que le présent dans le cours de la vie
ad reparandos homines reservatus est, humaine, on ne laisse pas de reconnaître
apparet in Dei potestate esse, vel vitam, vel par là même, et le passé qui est le temps
interitum generis humani. Quod si potest de l'origine, et l'avenir qui est celui de la

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occidere in totum, quia per partes occidit, mort. Car tout ce qui est a autrefois
apparet aliquando esse ortum; et ut commencé, et parce qu'il a commencé, il
fragilitas initium, sic declarat et terminum. finira. La nature ne peut être immortelle,
Quae si vera sunt, non poterit defendere puisqu'elle ne subsiste que dans les
Aristoteles, quominus habuerit et mundus individus qui sont mortels. Comme
ipse principium. Quod si Aristoteli Plato et chaque individu meurt séparément, il peut
Epicurus extorquent, et Platoni et Aristoteli, arriver que tous les individus ou au moins
qui semper fore mundum putaverunt, licet un grand nombre d'entre eux soient
sint eloquentes, ingratis tamen idem enlevés, soit par la stérilité de la terre et
Epicurus eripiet, quia sequitur, ut habeat et par la disette des grains, ou par la
finem. Sed haec in ultimo libro pluribus. corruption de l'air et par une maladie
Nunc ad hominis originem recurramus. contagieuse, ou par un embrasement
général semblable à celui qui consuma
l'univers au temps de Phaéton, ou par une
pluie telle que celle dont Deucalion eut
seul le bonheur d'être préservé. Si ce fut
par hasard que le déluge inonda la terre,
il pouvait par un hasard semblable enlever
l'homme qui en échappa seul, mais cet
homme fut sauvé seul par l'ordre de la
divine providence. Il est clair que la
conservation et la ruine du genre humain
dépendent uniquement de Dieu ; si la
nature entière peut finir parce que les
individus qui la composent finissent, il est
clair qu'elle a commencé, et ce
commencement est une marque aussi
naturelle et aussi nécessaire de sa fragilité
que sa fin. Si tout ceci est véritable,
Aristote n'a pu soutenir comme il l'a fait
que le monde a toujours été. Si Platon et
Epicure convainquent Aristote sur ce
point, Epicure convaincra Aristote et
Platon, malgré toute leur éloquence sur ce
qu'ils ont cru que le monde n'avait point
de fin, car il faut nécessairement qu'il en
ait une puisqu'il a eu un commencement.
Je traiterai plus amplement ce sujet dans

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le dernier livre, mais maintenant je
continuerai à traiter ce qui reste touchant
la formation de l'homme.

CAPUT XII. Quod XII. Quelques-uns assurent que la


animalia non sponte révolution du ciel et des astres a amené
nata sint, sed une saison propre à jeter la semence de
dispositione divina, toutes sortes d'animaux, que la terre,
cujus fecisset nos l'ayant reçue et l'ayant conservée, a
conscios Deus, si scire produit comme certains petits étuis
expediret. dont Lucrèce a dessein de parler, quand
Aiunt certis il a dit que le sein de la terre semblait
conversionibus coeli, et s'enfler et s'ajuster aux racines des
astrorum motibus plantes et des arbres. Lorsque ces étuis
maturitatem quamdam sont venus à une juste maturité et qu'ils
extitisse animalium se sont rompus, il en est sorti quantité
serendorum; itaque de petits animaux. La terre a été
terram novam, semen trempée en même temps d'une humeur
genitale retinentem, semblable au lait, et qui leur a servi de
folliculos ex se quosdam in nourriture. Comment ont-ils pu éviter
uterorum similitudinem ou supporter le froid et le chaud?
protulisse, de quibus Comment ont-ils pu naître pendant
Lucretius: qu'ils étaient ou gelés par la glace ou
Crescebant uteri brûlés par les ardeurs du soleil ? C'est,
terrae radicibus apti; dit-on, qu'au commencement du
eosque, cum maturassent, monde, il n'y avait ni hiver ni été. C'était
natura cogente ruptos, un printemps perpétuel et une
animalia tenera température d'air toujours égale.
profudisse. Deinde terram Pourquoi ne jouissons-nous plus de
ipsam humore quodam, cette agréable température? C'est
qui esset lacti similis, qu'elle n'était nécessaire, explique-t-on,
exuberasse, eoque qu'au commencement du monde pour
alimento animantes esse favoriser la naissance des animaux,
nutritas. Quomodo igitur mais depuis qu’ils sont venus à une
vim frigoris aut caloris juste grandeur et qu'ils ont eu la

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ferre aut vitare potuerunt, puissance d'engendrer leurs
aut omnino nasci, cum sol semblables, la terre a cessé d'en
exureret, frigus produire, et les saisons ont été réglées
astringeret? Non erant, comme nous les voyons. Qu'il est aisé
inquiunt, in principio de détruire le mensonge!
mundi hyems nec aestas, Premièrement, il n'y a rien dans le
sed perpetua temperies, et monde qui ne se conserve en l'état où il
ver aequabile. Cur ergo a été créé. Le soleil la lune et les astres
nihil horum fieri etiamnunc avaient été créés avant ce temps-là. Ils
videmus? Quia semel, avaient déjà un mouvement et un cours
aiunt, fieri necessarium réglé par l'ordre de la divine providence.
fuit, ut animalia De plus, quand ce que prétendent ceux
nascerentur; postquam dont je parle serait vrai, ils
vero esse coeperunt, retomberaient dans le mal qu'ils veulent
concessa his facultate éviter, et seraient contraints de
generandi, et terra parere reconnaître une providence. Il fallait en
desiit, et temporis conditio effet qu'il y eût une puissance
mutata est. O quam facile intelligente qui, pour empêcher que la
est mendacia redarguere! terre ne demeurât déserte, présidât à la
Primum, quod nihil potest naissance des animaux; qui préparât la
esse in hoc mundo, quod terre pour la rendre propre à les
non sic permaneat, ut produire d'elle-même, et à leur donner
coepit. Nec enim sol, et cette variété si merveilleuse de formes
luna, et astra tunc non et de figures qui les distinguent. Il fallait
erant, aut cum essent, sans doute un soin tout particulier pour
meatus non habebant, ac faire en sorte que les animaux
non divina moderatio, sortissent des étuis où ils étaient
quae cursus eorum enfermés, et qu'à ce moment-là même
temperat et gubernat, ils reçussent la vie et le sentiment. Que
cum ipsis simul coeperit. s'ils ne l'ont reçu que par hasard, n'est-
Deinde quod si ita sit, ut ce aussi que par hasard que la terre a
dicunt, providentiam esse fait couler comme une espèce de lait
necesse est; et in idipsum pour les nourrir, et que l'air est devenu
incidunt, quod maxime doux et tempéré de peur de leur nuire ?
fugiunt. Nondum enim Il est certain que cela n'est pas arrivé
natis animalibus, aliquis sans un soin particulier, et qu'il n'y a
utique providit, ut que Dieu qui l'ait pu prendre. Mais
nascerentur, ne orbis examinons s'il est probable que

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terrae desertus, atque l'homme ait pu naître de la terre,
incultus horreret. Ut comme l'on dit. Quiconque considérera
autem de terra sine officio avec attention la peine qu'il faut
parentum nasci possent, prendre, et le temps qu'il faut mettre à
necesse est magna ratione élever des enfants, reconnaîtra
esse provisum; deinde ut certainement qu'il aurait été impossible
humor ille concretus de que des enfants nés de la terre eussent
terra in varias imagines pu vivre sans que quelqu'un eût soin de
corporum fingeretur; item les nourrir. Il aurait fallu qu'ils eussent
ut e folliculis, quibus été étendus sur la terre l'espace de
tegebantur, accepta plusieurs mois durant lesquels leurs
vivendi, sentiendique nerfs étaient trop faibles pour les
ratione, tamquam ex alvo soutenir. Ils n'auraient eu presque
matrum profunderentur, point, de mouvement. Il n'y a personne
mira inextricabilisque qui ne juge fort bien qu'il est impossible
provisio est. Sed putemus qu'un enfant demeure plusieurs mois
id quoque casu accidisse: dans la même posture où il aurait été
illa certe quae sequuntur, jeté au moment de sa naissance. Mais
fortuita esse non possunt; s'il était demeuré en cet état, les
ut terra continuo lacte déjections ne se seraient-elles pas
manaret, ut aeris mêlées avec l'humeur que la terre aurait
temperies esset aequalis. fait couler pour le nourrir, et si elles s'y
Quae si constat idcirco étaient mêlées, ne l'auraient-elles pas
esse facta, ut animalia étouffé? Il a donc fallu qu'il y ait eu
recens edita, vel haberent quelqu'un qui ait eu le soin d'élever
alimentum, vel non l'homme ; car personne ne s'est encore
haberent periculum, avisé de dire que les animaux ne sont
necesse est, ut aliquis pas nés faibles, mais qu’ils sont nés
divina nescio qua ratione capables de se nourrir. Cette manière
providerit. dont on explique la naissance des
Quis autem potest animaux est donc ridicule, vaine,
providere, nisi Deus? dépourvue d'apparence et de raison. En
Videamus tamen an id effet, dire que les animaux sont nés
ipsum, quod dictitant, fieri d'eux-mêmes, sans que la Providence
potuerit: ut homines ait pris aucun soin de les produire, c'est
nascerentur e terra. Si combattre ouvertement la raison ; ainsi
consideret aliquis quandiu, nier la Providence et combattre la raison
et quibus modis educetur sont la même chose. Il faut donc avouer

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infans, intelliget profecto que Dieu a fait l'homme comme il a fait
non potuisse terrigenas toutes les autres créatures. Bien que
illos pueros sine ullo Cicéron n'eut aucune connaissance des
educatore nutriri. Fuit saintes Écritures, il n'a pas laissé de
enim necesse découvrir cette vérité et d'en parler de
quampluribus mensibus la même manière que les prophètes
jacere projectos, donec avaient fait avant lui. Je rapporterai ici
confirmatis nervis movere ses paroles. « Cet animal, dit-il, si
se, locumque mutare subtil, si pénétrant, si éclairé, qui se
possent: quod vix intra souvient du passé, qui connaît le
unius anni spatium fieri présent, qui prévoit l'avenir, qui agit par
potest. Jam vide utrumne raison et par conseil, et à qui l'on a
infans eodem modo, et donné le nom d'homme, a été produit
eodem loco quo est d'une manière toute particulière par le
effusus, jacere per multos souverain Seigneur de l'univers. Il n'y a
menses valuerit, ac non et que lui parmi tous les animaux qui ait
humore illo terrae, quem l'avantage de penser et de discourir. »
alimenti gratia Voilà comment Cicéron, tout éloigné
ministrabat, et sui corporis qu'il était de la vérité, a eu pourtant
purgamentis in unum assez de lumières pour reconnaître que
mixtis obrutus l'homme n'a pu être placé dans le
corruptusque moreretur. monde que par un effet de la divine
Itaque nullo modo fieri toute-puissance. Si ces témoignages ne
potest, quin ab aliquo suffisent pas, produisons-en de plus
fuerit educatus; nisi forte forts. La sibylle déclare que l'homme est
animalia omnia non tenera l'ouvrage de Dieu quand elle dit : Dieu,
nata sunt, sed excreta: qui a seul tiré le monde du néant pur un
quod ut dicerent, effet de sa puissance infinie, a pris aussi
numquam venit illis in le soin de former le corps du premier
mentem. Omnis ergo illa homme et de lui inspirer l'âme et la vie.
ratio impossibilis, et vana Les livres saints nous enseignent la
est: si tamen ratio dici même vérité. Dieu nous a donc rendu
potest, qua id agitur ut les véritables devoirs d'un père. Il a
nulla sit ratio. Qui enim formé nos corps et répandu en eux la
dicit omnia sua sponte vie qui les anime. Ainsi, nous tenons de
esse nata, nihilque divinae lui tout ce que nous sommes. S'il avait
providentiae tribuit, hic été à propos que nous connaissions de
profecto rationem non quelle manière il a achevé cet ouvrage,

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asserit, sed evertit. Quod il nous l'aurait enseigné comme il nous
si neque quidquam fieri a enseigné ce qui nous était nécessaire
sine ratione, neque nasci pour nous retirer de l'erreur et pour
potest, apparet divinam nous conduire à la vérité.
esse providentiam, cujus XIII. Dieu ayant fait l'homme à son
est proprium quod dicitur image fit ensuite la femme à l'image de
ratio. Deus igitur rerum l'homme, afin qu'ils pussent mettre des
omnium machinator fecit enfants au monde et avoir une postérité
hominem. Quod Cicero, qui se multipliât de telle sorte qu'elle
quamvis expers remplît toute la terre. Pour faire
coelestium litterarum, l'homme, il se servit du feu et de l'eau,
vidit tamen; qui libro de de ces deux matières que nous avons
Legibus primo hoc idem dit être si contraires. Dès que le corps
tradidit, quod prophetae, fut achevé, il l'anima par le souffle de
cujus verba subjeci: « Hoc son esprit et par la communication de
animal providum, sagax, sa vie éternelle. Ainsi l'homme est un
multiplex, acutum, petit monde formé par le mélange
memor, plenum rationis et d'aliments contraires et composé d'âme
consilii, quem vocamus et de corps, dont l'une ressemble au ciel
hominem, praeclara et l'autre à la terre. L'âme qui nous fait
quadam conditione vivre est descendue du ciel et nous est
generatum esse a communiquée par l’effusion de l'esprit
supremo Deo; solum est de Dieu, et le corps a été tiré de la terre
enim ex tot animantium et formé de limon. Empédocle, que l'on
generibus atque naturis, ne sait en quel rang on doit mettre, ou
particeps rationis et en celui des poètes, ou en celui des
cogitationis, cum caetera philosophes, parce qu'il a écrit sur les
sint omnia expertia. » choses naturelles en vers grecs, comme
Videsne hominem, Varron et Lucrèce en ont écrit en vers
quamvis longe a veritatis latins, a admis quatre éléments, savoir
notitia remotum, tamen, : le feu, l'air, l'eau et la terre ; en quoi
quoniam imaginem il a suivi Trismégiste qui avait dit avant
sapientiae tuebatur, lui que nos corps ne sont ni feu, ni air,
intellexisse non nisi a Deo ni terre, ni eau, mais un composé de
hominem potuisse toutes ces choses. Ce qui certainement
generari? Sed tamen est très vrai ; car la chair a quelque
divinis opus est chose de la terre, le sang a quelque
testimoniis, ne minus chose de l'eau, les esprits ont quelque

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humana sufficiant. Sibylla chose de l'air, et la chaleur a quelque
hominem Dei opus esse chose du feu. Le sang ne saurait
testatur: pourtant être tout à fait séparé de notre
Ὃς μόνος ἐστὶ Θεὸς corps comme l'eau peut l'être de la
κτίστης ἀκράτητος terre, ni la chaleur ne saurait être
ὑπάρχων, séparé des esprits vitaux comme le feu
Αὐτὸς δὲ ἐστήριξε τύπον peut l'être de l'air. Ainsi il ne se trouve
μορφῆς μερόπωντε, proprement que deux éléments qui
Αὐτὸς ἔμιξε φύσιν πάντων aient contribué à la formation de nos
γενεῆς βιότοιο. corps. L'homme est donc composé aussi
Eadem sanctae bien que le monde de contraires, de la
litterae continent. Deus lumière et des ténèbres, de la vie et de
ergo veri patris officio la mort. Dieu a voulu qu'il y eût entre
functus est. Ipse corpus ces contraires un combat perpétuel
effinxit; ipse animam qua dans l'homme, afin que si l'âme qui est
spiramus infudit. Illius est descendue du ciel remporte la victoire,
totum, quidquid sumus. elle soit immortelle et demeure toujours
Quomodo id fecerit, si nos dans la région de la lumière, et que si
oporteret scire, docuisset, au contraire elle est vaincue, elle
sicut docuit caetera quae demeure dans les ténèbres et dans la
cognitionem nobis, et mort. L'effet de cette mort n'est pas de
pristini erroris et veri détruire l'essence de l'âme et de la
luminis attulerunt. réduire au néant ; ce n'est que de la
CAPUT XIII. Quare châtier d'un châtiment qui n'aura point
duo sexus in homine: de fin. Nous appelons ce châtiment la
quid sit mors ejus seconde mort, qui est d'une éternelle
prima, quid secunda; et durée aussi bien que l'âme. On définit la
de primorum parentum première mort de cette manière : la
culpa et poena. mort est la destruction de la nature des
Cum ergo marem ad animaux, ou bien la mort est la
similitudinem suam séparation du corps et de l'âme. Voici
primum finxisset, tum comment on définit la seconde : la mort
etiam foeminam est la souffrance d'une douleur
configuravit ad ipsius éternelle, ou bien la mort est la
hominis effigiem, ut duo condamnation de l'âme à un supplice
inter se permisti sexus éternel et égal à ses crimes. Les bêtes
propagare sobolem ne sont pas sujettes à la seconde mort,
possent, et omnem terram parce que leurs âmes n'ont point été

90
multitudine opplere. In créées de Dieu, mais formées d'air et
ipsius autem hominis qu'elles finissent avec leurs corps.
fictione illarum duarum L'âme qui vient de Dieu et qui doit
materiarum, quas inter se commander au corps tient la première
diximus esse contrarias, place dans l'homme, qui est une image
ignis et aquae, conclusit et un abrégé du monde ; et le corps qui
perfecitque rationem. vient du démon tient la dernière place,
Ficto enim corpore, et parce qu'il est terrestre il doit être
spiravit ei animam de vitali soumis à l'âme, comme la terre l'est au
fonte spiritus sui, qui est ciel : c'est en quelque sorte un vase où
perennis, ut ipsius mundi l'âme est renfermée comme une
ex contrariis constantis essence fort précieuse. Le devoir
elementis similitudinem réciproque de ces deux parties, est que
gereret. Constat enim ex celle qui vient de Dieu et du ciel
anima et corpore, id est, commande, et que celle qui vient du
quasi e coelo et terra: démon et de la terre obéisse. Cette
quandoquidem anima, qua vérité a été reconnue par Salluste lui-
vivimus, velut e coelo, même, tout vicieux qu'il était. Voici ce
oritur a Deo, corpus e qu'il en dit : « Toute notre force consiste
terra, cujus e limo diximus dans l'esprit et dans le corps, l'esprit
esse formatum. doit commander et le corps obéir. » Cela
Empedocles, quem est fort bien dit, mais il devait vivre
nescias utrumne inter comme il a parlé. Cependant il s'est
poetas, an inter rendu l'esclave des plus sales voluptés
philosophos numeres, quia et a démenti ses sentiments par le
de rerum natura versibus dérèglement de sa vie. Que si l'âme est
scripsit, ut apud Romanos un feu comme nous l'avons dit, elle doit
Lucretius et Varro, quatuor tendre comme le feu vers le ciel et
elementa constituit, id est, s'élever à l'immortalité. Mais comme le
ignem, aerem, aquam, et feu a besoin pour brûler et pour vivre
terram; fortasse d'une matière épaisse qui l'entretienne,
Trismegistum secutus, qui ainsi l'âme pour vivre a besoin d'une
nostra corpora ex his nourriture qui est la justice. Quand Dieu
quatuor elementis eut fait l'homme de la manière que je
constituta esse dixit a l'ai décrit, il le plaça dans le paradis,
Deo: habere namque in se c'est-à-dire dans un jardin très agréable
aliquid ignis, aliquid aeris, et très fertile, assis en Orient et planté
aliquid aquae, aliquid de toute espèce d'arbres dont les fruits

91
terrae; et neque ignem devaient le nourrir et lui fournir une vie
esse, neque aerem, neque facile et sans autre soin que de servir
aquam, neque terram: Dieu. Dieu lui fit certains
quae quidem falsa non commandements, à condition que s'il
sunt. Nam terrae ratio in les gardait il obtiendrait l'immortalité, et
carne est; humoris, in que s'il les violait il deviendrait sujet à
sanguine; aeris, in spiritu; la mort. Le principal commandement
ignis, in calore vitali. Sed qu'il lui fit, fut de ne point manger du
neque sanguis a corpore fruit d'un arbre qu'il avait planté au
secerni potest, sicut milieu du paradis, et auquel il avait
humor a terra; neque calor attaché la connaissance du bien et du
vitalis a spiritu, sicut ignis mal. Alors le calomniateur, animé par la
ab aere: adeo rerum jalousie qui lui donnait l'excellence de
omnium duo sola l'ouvrage de Dieu, employa tout ce qu'il
reperiuntur elementa, avait de ruses et d'artifices pour
quorum omnis ratio in tromper l'homme, et pour le priver de
nostri corporis fictione l'immortalité. Il persuada premièrement
conclusa est. Ex rebus à la femme de goûter du fruit défendu,
igitur diversis ac et se servit ensuite de la femme pour
repugnantibus homo porter l'homme à violer le
factus est, sicut ipse commandement. Dès que l'homme sut
mundus ex luce ac le bien et le mal, il eut honte de sa
tenebris, ex vita et morte: nudité, et tâcha de se cacher et de se
quae duo inter se pugnare dérober à la vue de Dieu, ce qu'il n'avait
in homine praecepit, ut si jamais fait jusque alors. Dieu le
anima superaverit, quae condamna à vivre de son travail, le
ex Deo oritur, sit chassa du paradis, entoura le paradis de
immortalis, et in perpetua feu de peur qu'il n'en approchât jusqu'à
luce versetur; si autem ce que Dieu juge la terre et jusqu'à ce
corpus vicerit animam, qu'après avoir détruit la mort il
ditionique subjecerit, sit in rétablisse ses serviteurs dans ce lieu
tenebris sempiternis, et in des saintes délices, comme l'Ecriture et
morte. Cujus non ea vis la sibylle même le témoigne quand elle
est, ut injustas animas assure que ceux qui auront rendu à Dieu
extinguat omnino, sed ut les honneurs et le culte qui lut sont dus,
puniat in aeternum. jouiront en récompense d'une vie
Eam poenam éternelle dans un lieu délicieux. Mais
secundam mortem comme cela n'arrivera qu'à la fin du

92
nominamus, quae est et monde, je n'en dois parler aussi qu'à la
ipsa perpetua, sicut et fin de mon ouvrage. Parlons maintenant
immortalitas. Primam sic de ce qui a précédé. L'homme est mort
definimus: Mors est comme Dieu l'avait ordonné, et comme
naturae animantium la sibylle le déclare quand elle rapporte
dissolutio; vel ita: Mors est la manière dont, après que l'homme eut
corporis animaeque été formé des mains de Dieu, il fut
seductio. Secun-dam vero trompé par les ruses du serpent, et
sic: Mors est aeterni tomba dans la mort, au lieu d'arriver à
doloris perpessio; vel ita: la connaissance du bien et du mal. Ainsi
Mors est animarum pro la vie de l'homme devint limitée par le
meritis ad aeterna temps, quoique ce temps fût d'assez
supplicia damnatio. Haec longue durée, et qu'il s'étendit jusqu'à
mutas pecudes non mille ans. Ce fait dont l'Écriture fait
attingit, quarum animae mention est devenu si public que
non ex Deo constantes, Varron, en ayant entendu parler, voulut
sed ex communi aere, rechercher la raison pour laquelle on a
morte solvuntur. In hac étendu jusqu'à mille ans la vie des
igitur societate coeli atque premiers hommes, et dit que parmi les
terrae, quorum effigies in Égyptiens les mois tiennent lieu
homine expressa est, d'années. Mais son argument est
superiorem partem tenent évidemment faux ; car jamais personne
ea quae sunt Dei, anima n'a vécu plus de mille ans. Or ceux qui
scilicet, quae dominium en vivent seulement cent, ce qui n'est
corporis habet; inferiorem pas rare, vivent douze cents mois. Mais
autem ea quae sunt parce que Varron ne savait ni le sujet
diaboli, corpus utique: pour lequel la vie des hommes fut
quod quia terrenum est, accourcie, ni le temps auquel cela
animae debet esse arriva, il l'a accourcie lui-même de la
subjectum, sicut terra manière qui lui a paru la plus probable,
coelo. Est enim quasi sur ce qu'il savait que l'on peut vivre
vasculum, quo tamquam jusqu'à cent vingt ans qui valent
domicilio temporali quatorze cents mois.
spiritus hic coelestis
utatur. Utriusque officia
sunt, ut hoc, quod est ex
coelo et Deo, imperet, illud
vero, quod ex terra est et

93
diabolo, serviat. Quod
quidem non fugit hominem
nequam Sallustium, qui
ait: Sed omnis nostra vis
in animo et corpore sita
est; animi imperio,
corporis servitio magis
utimur. Recte, si ita
vixisset, ut locutus est.
Servivit enim foedissimis
voluptatibus, suamque
ipse sententiam vitae
pravitate dissolvit. Quod si
anima ignis est, ut
ostendimus, in coelum
debet eniti, sicuti ignis, ne
extinguatur, hoc est ad
immortalitatem, quae in
coelo est. Et sicut ardere,
ac vivere non potest ignis,
nisi aliqua pingui materia
teneatur, in qua habeat
alimentum: sic animae
materia et cibus est sola
justitia, qua tenetur ad
vitam. Post haec Deus
hominem, qua exposuri
ratione generatum, posuit
in paradiso, id est, in horto
foecundissimo, et
amoenissimo: quem in
partibus Orientis omni
genere ligni arborumque
consevit, ut ex earum
variis fructibus aleretur,
expersque omnium
laborum, Deo patri summa
devotione serviret.

94
Tum dedit ei certa
mandata: quae si
observasset, immortalis
maneret, si
transcendisset, morte
afficeretur. Id autem
praeceptum fuit, ut ex
arbore una, quae erat in
medio paradisi, non
gustaret, in qua posuerat
intelligentiam boni et mali.
Tum criminator ille
invidens operibus Dei,
omnes fallacias et
calliditates suas ad
decipiendum hominem
intendit, ut ei adimeret
immortalitatem. Et primo
mulierem dolo illexit, ut
vetitum cibum sumeret; et
per eam ipsi quoque
homini persuasit, ut
transcenderet Dei legem.
Percepta igitur scientia
boni et mali, pudere eum
nuditatis suae coepit,
absconditque se a facie
Dei, quod antea non
solebat. Tum Deus ejecit
hominem de paradiso,
sententia in peccatorem
lata, ut victum sibi labore
conquireret, ipsumque
paradisum igni
circumvallavit, ne homo
posset accedere, donec
summum judicium faciat
in terra, et justos viros

95
cultores suos in eumdem
locum revocet, morte
sublata; sicut sacrae voces
docent, et Sibylla
Erythraea, cum dicit:
Οἵ δὲ Θεὸν τιμῶντες
ἀλητινὸν ἄεναὸν γε
Ζωὴν κληρονομοῦσι τὴν
αἰῶνος χρόνον αὐτοὶ
Οἰκοῦντες παράδεισον
ὀμῶς ἐριθελέα κῆτον.
Verum quoniam haec
extrema sunt, in extrema
operis hujus parte
tractabimus. Nunc ea,
quae prima sunt,
explicemus. Mors itaque
secuta est hominem
secundum Dei sententiam;
quod etiam Sibylla in
carmine suo docet, dicens:
Ἄνθρωπον πλασθέντα
Θεοῦ παλάμαις ἐνὶ αὐταῖς
Ον κε πλάνησεν ὄφις
δολίως, ἐπὶ μοῖραν ἀνελθεῖν
Τοῦ θανάτου, γνῶσίν τε
λαβεῖν ἀγαθοῦ τε κακοῦ τε.
Sic facta hominis vita
est temporaria: sed tamen
longa, quae in mille annos
propagaretur. Quod divinis
litteris proditum, et per
omnium scientiam
publicatum cum Varro non
ignoraret, argumentari
nisus est cur putarentur
antiqui mille annos
victitasse. Ait enim, apud

96
Aegyptios pro annis
menses haberi, ut non
solis per XII signa circuitus
faciat annum, sed luna,
quae orbem illum
signiferum 30 dierum
spatio lustrat: quod
argumentum perspicue
falsum est. Nemo enim
tunc millesimum annum
transgressus est. Nunc
vero qui ad centesimum
perveniunt, quod fit
saepissime, mille certe ac
ducentis mensibus vivunt.
Et auctores idonei tradunt,
ad centum et viginti annos
perveniri solere. Sed quia
ignorabat Varro, cur aut
quando vita hominis esset
diminuta, ipse diminuit;
cum sciret mille et
quadringentis mensibus
posse vivere hominem.

CAPUT XIV. De Noe vini XIV. Lorsque Dieu vit que la


inventore: qui primi scientiam terre était toute couverte de
astrorum habuerint, ac de crimes, il se résolut d'exterminer
ortu falsarum religionum. le genre humain par le déluge; et
Deus autem postea, cum néanmoins, pour le réparer, il
videret orbem terrae malitia et choisit un homme qui dans la
sceleribus oppletum, statuit corruption générale avait
humanum genus diluvio perdere: conservé son innocence. Il
set tamen ad multitudinem s'appelait Noé. A l'âge de six
reparandam delegit unum, quod, cents ans il construisit sur le
corruptis omnibus, singulare commandement de Dieu une

97
justitiae supererat exemplum. arche où il fut préservé avec sa
Hic cum sexcentorum esset femme, ses trois fils et ses trois
annorum, fabricavit arcam, sicut belles-filles de l'eau du déluge
praeceperat ei Deus, in qua ipse, qui avait couvert le sommet des
cum conjuge, ac tribus filiis plus hautes montagnes. Lorsque
totidemque nuribus servatus est, cette eau fut dissipée et que la
cum aqua universos montes surface de la terre eut commencé
altissimos operuisset. Deinde à paraître et à se sécher, Dieu,
orbe siccato, execratus en haine des crimes qui avaient
injustitiam prioris saeculi Deus, attiré cet épouvantable
ne rursus longitudo vitae causa châtiment, et de peur que la trop
esset excogitandorum malorum, longue durée de la vie humaine
paulatim per singulas progenies ne servît qu'à en accroître la
diminuit hominis aetatem, atque corruption, la raccourcit peu à
in centum et viginti annis metam peu, et la borna à l'espace de
collocavit, quam transgredi non cent vingt ans. Lorsque Noé fut
liceret. Ille vero, cum egressus sorti de l'arche, il cultiva la terre
esset ex arca, ut sanctae litterae et planta la vigne. Cela fait voir
docent, terram studiose coluit, clairement la fausseté de
atque vineam sua manu sevit. l'opinion de ceux qui attribuent à
Unde arguuntur qui auctorem vini Bacchus l'invention et la manière
Liberum putant. Ille enim non de faire le vin; car Noé a précédé
modo Liberum, sed etiam de plusieurs siècles non
Saturnum, atque Uranum multis seulement Bacchus, mais
antecessit aetatibus. Qua ex Saturne et Uranus. Aux
vinea cum primum fructum premières vendanges qu'il fit, il
cepisset, laetus factus, bibit but jusqu'à perdre l'usage de la
usque ad ebrietatem, jacuitque raison, et s'endormit sans se
nudus. Quod cum vidisset unus couvrir. Un de ses fils nommé
ex filiis, cui nomen fuit Cham, non Cham l'ayant vu en cet état, au
texit patris nuditatem: sed lieu de couvrir sa nudité, alla en
egressus, etiam fratribus avertir ses frères. Ils prirent un
indicavit. At illi sumpto pallio, manteau, entrèrent au lieu où
intraverunt aversis vultibus, leur père dormait, et le
patremque texerunt. Quae cum couvrirent en tenant toujours le
facta recognovisset pater, visage et les yeux tournés d'un
abdicavit atque expulit filium. At autre côté. Quand Noé sut ce qui
ille, profugus, in ejus terrae parte lui était arrivé, il maudit Cham et

98
consedit, quae nunc Arabia le chassa. Cham s'enfuit au pays
nominatur; eaque terra de que l'on appelle aujourd'hui
nomine ejus Chanaan dicta est, Arabie et que l'on appelait
et posteri ejus Chananaei. Haec autrefois de son nom terre de
fuit prima gens, quae Deum Canaan, comme on appelait ses
ignoravit; quoniam princeps ejus descendants Cananéens. Ce
et conditor cultum Dei a patre furent les premiers peuples qui
non accepit, maledictus ab eo: ne connurent point Dieu, parce
itaque ignorantiam divinitatis que leur chef n'avait pas appris à
minoribus suis reliquit. le connaître et n'avait point été
Ab hac gente, proximi quique instruit par Noé son père, qui
populi, multitudine increscente, l'avait maudit et chassé. C'est
fluxerunt. Ipsius autem patris d'eux que les peuples voisins
posteri, Hebraei dicti, penes quos sont descendus. Les descendants
religio Dei resedit. Sed et ab his de Noé son père furent depuis
postea, multiplicato in appelés Hébreux. Ils furent
immensum numero, cum eos dépositaires de la véritable
angustiae locorum suorum religion. Lorsqu'ils se furent si
capere non possent, tum fort multipliés que le pays où ils
adolescentes vel missi a demeuraient ne pouvait plus les
parentibus, vel sua sponte, cum contenir, quantité de jeunes gens
rerum penuria cogeret, profugi, en allèrent chercher un autre,
ad quaerendas sibi novas sedes, soit qu'ils eussent été envoyés
huc atque illuc dispersi, omnes par leurs parents ou qu'ils y
insulas, et orbem totum eussent été contraints par la
replerunt; et a stirpe sanctae disette, et, s'étant répandus de
radicis avulsi, novos sibi mores, côté et d'autre, ils peuplèrent les
ac instituta pro arbitrio îles. Alors étant comme séparés
condiderunt. Sed omnium primi, de la racine d'où ils avaient tiré
qui Aegyptum occupaverunt, le sentiment de la véritable piété,
coelestia suspicere atque adorare ils se firent d'autres mœurs
coeperunt. Et quia neque chacun selon son caprice. Les
domiciliis tegebantur propter Égyptiens commencèrent les
aeris qualitatem, nec ullis in ea premiers à regarder le ciel et les
regione nubibus subtexitur astres, et à les adorer. Mais
coelum, cursus siderum, et parce qu'ils n'avaient point
defectus notaverunt, dum ea encore de maisons et qu'ils
saepe venerantes, curiosius jouissaient d'un air fort pur, et

99
atque liberius intuerentur. Postea qui n'était couvert d'aucun
deinde potentificas animalium nuage, ils considérèrent
figuras, quas colerent, commenti attentivement les astres et en
sunt, quibusdam prodigiis observèrent le cours et les
inducti: quorum mox auctores défaillances. Ils furent quelque
aperiemus. Caeteri autem, qui temps après excités par des
per terram dispersi fuerunt, prodiges à adorer des animaux
admirantes elementa mundi, d'une figure monstrueuse. Ceux
coelum, solem, terram, male, qui se dispersèrent en d'autres
sine ullis imaginibus ac templis pays, admirèrent le ciel, le soleil
venerabantur, et his sacrificia in et les éléments, les adorèrent et
aperto celebrabant; donec leur offrirent des sacrifices, bien
processu temporum, qu'ils n'eussent fait encore ni
potentissimis regibus templa et temples ni images et qu'ils ne les
simulacra fecerunt; eaque aient inventés que dans la suite
victimis et odoribus colere des temps, en l'honneur des plus
instituerunt; sic aberrantes a puissants princes auxquels ils
notitia dei gentes esse coeperunt. présentèrent de l'encens et
Errant igitur, qui deorum cultus immolèrent des victimes. Voilà
ab exordio rerum fuisse comment ils s'éloignèrent de la
contendunt, et priorem esse connaissance du vrai Dieu et
gentilitatem, quam Dei tombèrent dans l'aveuglement
religionem: quam putant du paganisme. Ainsi ceux qui
posterius inventam, quia fontem croient que l'idolâtrie est aussi
atque originem veritatis ignorant. ancienne que le monde et que
Nunc ad principium mundi notre religion est nouvelle sont
revertamur. dans une erreur manifeste.
CAPUT XV. De XV. Dieu, ne voulant pas
inquinatione angelorum, et permettre que le démon, à qui
duobus generibus dès le commencement il avait
daemonum. donné un grand pouvoir sur toute
Cum ergo numerus hominum l'étendue de la terre, corrompît
coepisset increscere, providens ou dissipât les hommes qui
Deus ne fraudibus suis diabolus, commençaient à se multiplier,
cui ab initio terrae dederat envoya ses anges pour les
potestatem, vel corrumperet garder, et leur recommanda sur
homines, vel disperderet, quod in toutes choses de ne rien perdre
exordio fecerat, misit angelos ad de la pureté de leur nature par le

100
tutelam cultumque generis commerce qu'ils entretiendraient
humani: quibus quia liberum ici-bas. Il leur défendit de faire ce
arbitrium erat datum, praecepit, qu'il savait bien qu'ils feraient, et
ante omnia, ne, terrae il le leur défendit afin que quand
contagione maculati, substantiae ils l'auraient fait, il ne leur restât
coelestis amitterent dignitatem. aucune excuse. Le prince du
Scilicet id eos facere prohibuit, monde qui a quantité de moyens
quod sciebat esse facturos, ut de tromper, les engagea peu à
veniam sperare non possent. peu dans le crime et les souilla
Itaque illos cum hominibus par l'habitude criminelle qu'il leur
commo-rantes dominator ille fit contracter avec des femmes
terrae fallacissimus consuetudine Ces péchés leur ayant fermé
ipsa paulatim ad vitia pellexit, et l'entrée du ciel, ils tombèrent sur
mulierum congressibus la terre, et au lieu d'anges et
inquinavit. Tum in coelum ob d'envoyés de Dieu qu'ils avaient
peccata, quibus se immerserant, été, ils devinrent les ministres et
non recepti, ceciderunt in terram. les esclaves du démon ; les
Sic eos diabolus ex angelis Dei enfants qui descendirent d'eux
suos fecit satellites, ac ministros. ne furent ni de la nature des
Qui autem sunt ex his procreati, anges ni de celle des hommes,
quia neque angeli, neque mais d'une nature qui tient le
homines fuerunt, sed mediam milieu entre ces deux là. Aussi
quamdam naturam gerentes, non furent-ils exclus de l'enfer
sunt ad inferos recepti, sicut in comme leurs pères l'avaient été
coelum parentes eorum. Ita duo du ciel. Ainsi il y eut deux
genera daemonum facta sunt, espèces de démons : savoir, les
unum coeleste, alterum démons du ciel et ceux de la
terrenum. Hi sunt immundi terre. Ces derniers sont des
spiritus, malorum, quae esprits impurs qui sont cause de
geruntur, auctores, quorum idem tout le mal qui se commet et qui
diabolus est princeps. Unde obéissent au diable comme à leur
Trismegistus illum δαιμονιάρχεν prince. C'est pour cela que
vocat. Daemonas autem Trismégiste l'appelle
grammatici dictos aiunt, quasi Démoniarque c'est-à-dire prince
δαήμονας, id est, peritos, ac des démons. Les grammairiens
rerum scios, hos enim putant enseignent que le nom de démon
deos esse. Sciunt illi quidem vient de daïmôn, qui signifie
futura multa, sed non omnia, savant, et ils croient que les

101
quippe quibus penitus consilium démons sont des dieux, lis
Dei scire non liceat: et ideo solent savent quelque chose de l'avenir,
responsa in ambiguos exitus mais ils ne savent pas tout, car
temperare. Eos poetae et sciunt ils n'entrent pas au conseil de
esse daemonas, et loquuntur. Dieu. C'est pour cela qu'ils ne
Hesiodus ita tradit: font que des réponses ambiguës.
Οἱ μὴν δαἰμονές εἰς Διὸς Les poètes les ont connus et ont
μεγάλου διὰ βουλὰς, parlé d'eux. Voici ce qu'en dit
Ἐσθλοὶ ἐπιχθόνιοι, φύλακες Hésiode :
θνητῶν ἀνθτρώπων.
« Les démons ont été créés
Quod idcirco dictum est,
par la volonté de Jupiter pour
quoniam custodes eos humano
être les gardiens des hommes. »
generi Deus miserat: sed ipsi,
Hésiode a parlé de la sorte
cum sint perditores hominum,
parce que les démons avaient été
custodes tamen se videri volunt,
chargés de garder les hommes,
ut ipsi colantur, et Deus non
et parce qu'ils veulent que l'on
colatur. Philosophi quoque de his
croie qu'ils les gardent, bien
disserunt. Nam Plato etiam
qu'au lieu de les garder ils les
naturas eorum in Symposio
corrompent et se fassent adorer
exprimere conatus est. Et
par eux. Les philosophes ont
Socrates esse circa se assiduum
parlé d'eux fort au long. Platon a
daemona loquebatur, qui sibi
lâché d'expliquer leur nature.
puero adhaesisset, cujus arbitrio
Socrate disait que dès sa
et nutu sua vita regeretur.
jeunesse il avait toujours eu
Magorum quoque ars omnis ac
auprès de lui un démon par le
potentia horum aspirationibus
conseil duquel il s'était conduit
constat, a quibus invocati, visus
dans les actions les plus
hominum praestigiis
importantes de sa vie. La
obcaecantibus fallunt; ut non
puissance et les effets de la
videant ea quae sunt, et videre se
magie dépendent d'eux. Quand
putent illa quae non sunt. Hi, ut
ils sont évoqués par les
dico, spiritus contaminati ac
cérémonies de cet art, ils
perditi per omnem terram
enchantent de telle sorte les
vagantur, et solatium perditionis
hommes par leurs illusions, qu'ils
suae perdendis hominibus
ne voient plus ce qui est devant
operantur. Itaque omnia insidiis,
eux et qu'ils s'imaginent voir ce
fraudibus, dolis, erroribus
qui n'y est pas. Ces esprits
complent; adhaerent enim

102
singulis hominibus, et omnes impurs sont errants et
ostiatim domos occupant, ad sibi vagabonds sur toute la terre, et
geniorum nomen assumunt: sic n'ont rien qui les console de leur
enim latino sermone daemonas chute, que la malheureuse
interpretantur. Hos in suis satisfaction de faire tomber les
penetralibus consecrant: his hommes dans le même précipice.
quotidie merum profundunt; et C'est pour cela qu'ils usent de
scientes, daemonas venerantur, tant d'artifices et de tant de
quasi terrestre deos, et quasi ruses ; qu'ils dressent tant de
depulsores malorum, quae ipsi pièges et tant d'embûches. Il n'y
faciunt et irrogant. Qui quoniam a personne à qui ils ne
sunt spiritus tenues, et s'attachent pour cet effet, ni de
incomprehensibiles, insinuant se maison dont ils ne s'emparent
corporibus hominum, et occulte sous le nom de génie, qui signifie
in visceribus operati, valetudinem en latin la même chose que
vitiant, morbos citant, somniis démon. On les consacre dans les
animos terrent, mentes furoribus maisons, on répand chaque jour
quatiunt, ut homines his malis du vin devant eux, on les révère
cogant ad eorum auxilia comme des esprits remplis de
decurrere. science, comme des dieux
terrestres, comme des génies qui
CAPUT XVI. Daemones détournent et éloignent k mal de
nihil posse in eos qui in fide nous, bien qu'en effet ils l'attirent
solidati sunt. et le procurent. Comme ce sont
Quarum omnium fallaciarum des êtres subtils et impalpables,
ratio expertibus veritatis obscura ils s'insinuent dans les entrailles,
est. Prodesse enim eos putant, y altèrent la santé, y excitent des
cum nocere desinunt, qui nihil maladies, troublent le repos par
aliud possunt quam nocere. Dicat des songes affreux, ébranlent
fortasse aliquis, colendos esse l'esprit par de furieux
ergo, ne noceant, siquidem mouvements, et épouvantent si
possunt nocere. Nocent illi fort les plus hardis qu'ils les
quidem, sed iis, a quibus contraignent d'implorer leur
timentur, quos manus Dei potens protection.
et excelsa non protegit, qui
profani sunt a sacramento
veritatis. Justos autem, id est
cultores Dei, metuunt, cujus

103
nomine adjurati de corporibus
excedunt: quorum verbis,
tanquam flagris verberati, non
modo daemonas se esse
confitentur, sed etiam nomina
sua edunt, illa, quae in templis
adorantur, et quod plerumque
coram cultoribus suis faciunt; non
utique in opprobrium religionis et
honoris sui, quia nec Deo per
quem adjurantur, nec justis,
quorum voce torquentur, mentiri
possunt. Itaque maximis, saepe
ululatibus editis, verberari se et
ardere, et jam jamque exire
proclamant: tantum habet Dei
cognitio ac justitia potestatis! Cui
ergo nocere possunt, nisi iis, quos
habent in sua potestate? Denique
affirmat eos Hermes, qui
cognoverint Deum, non tantum
ab incursibus daemonum tutos
esse, verum etiam ne fato
quidem teneri. Miva inquit,
φυλακὴ εὐσέβεια εὐσέβοῦς γὰρ
ἀνθρώπον οὐ δαίμων κάκος, οὔτε
εἰμαρμένη κρατεῖ. Θεὸς γὰρ ρύεται
τὸν εὐσεβῆ ἐκ παντὸς κακοῦ τὸ
γὰρ ἐν καὶ μόνον ἐν ἀνθρώποις
ἐστὶν ἀγαθὸς εὐσέβεια. Quid sit
autem εὐσέβεια, alio loco his
verbis testatur, dicens:
ἡ γὰρ εὐσέβεια γνῶσίς ἐστι
τοῦ Θεοῦ.
Asclepius quoque auditor
ejus, eamdem sententiam latius
explicavit in illo sermone
perfecto, quem scripsit ad regem.

104
Uterque vero daemonas esse
affirmat inimicos et vexatores
hominum; quos ideo
Trismegistus ἀγγέλους πονηροὺς
appellat: adeo non ignoravit ex
XVI. Ceux qui ne connaissent point
coelestibus depravatos, terrenos
la vérité ont peine à éviter ces
esse coepisse. tromperies; car ils croient qu'ils
servent quand ils cessent de nuire,
bien qu'ils n'aient aucun pouvoir, si
ce n'est de nuire. Quelqu'un dira
peut-être que, puisqu'ils ont le
pouvoir de nuire, il faut les révérer
de peur qu'ils ne nuisent ; mais ils
ne nuisent qu'à ceux qui les
craignent, qu'à ceux qui ne sont pas
défendus par la main toute-
puissante de Dieu, et qui n'ont point
de part au secret de la vérité. Mais
ils craignent si fort les gens de bien
et les serviteurs de Dieu, qu'aussitôt
qu'ils entendent prononcer leur
nom, ils sortent du corps qu'ils
possédaient, étant quelquefois
pressés et comme battus, non à
coups de bâton, mais par la voix de
ces fidèles adorateurs du souverain
maître de l'univers. Ils confessent
qu'ils sont des démons, et déclarent
les noms sous lesquels ils sont
adorés dans les temples, et le
déclarent à leur honte en présence
de leurs adorateurs, parce qu'ils ne
peuvent en imposer ni à Dieu, au
nom duquel ils sont conjurés, ni aux
personnes saintes qui les pressent
et qui les tourmentent par la force
de leur parole. Ils protestent
quelquefois avec d'horribles
hurlements qu'ils sentent qu'on les
bat et qu'on les brûle, et qu'ils sont
prêts à sortir des corps qu'ils
possèdent. Voilà le pouvoir que la foi
et la sainteté exercent sur ces
esprits. A qui peuvent-ils donc
nuire, si ce n'est à ceux qu'ils
tiennent sous leur puissance?
Trismégiste assure que ceux qui

105
connaissent Dieu sont exempts des
insultes des démons, et que de plus
ils ne dépendent point de la
destinée. « Toute la force. dit-il, et
toute l'assurance de l'homme
consistent dans la piété. Le démon
ni la destinée ne peuvent rien sur les
hommes pieux. Dieu les délivre de
toute sorte de mal, et la piété est
l'unique bien. » Expliquant en un
autre lieu en quoi consiste la piété,
il dit qu'elle consiste en la
connaissance de Dieu. Asclépius,
son disciple, a enseigné plus au long
la même doctrine dans un discours
dédié à un roi. Ils conviennent tous
deux que les démons sont les
ennemis qui tourmentent l'homme,
et Trismégiste dit que c'est pour
cela qu'ils ont été appelés les
mauvais anges. Il paraît par là qu'il
n'a pas ignoré qu'ils tiraient du ciel
leur origine, et qu'ils ne sont
devenus terrestres que par leurs
crimes.

De CAPUT XVII. XVII. L'astrologie judiciaire, les


Astrologiam, aruspicinam et auspices, les augures, les oracles, la
similes artes esse nécromancie, la magie, et tous les
daemonum inventa. mauvais arts que les hommes exercent,

Eorum inventa sunt soit en particulier, soit en public, sont

astrologia, et aruspicina, et des inventions des démons, et ces arts-


là sont faux, comme la sibylle Erythrée
auguratio, et ipsa quae
le témoigne quand elle dit : que tout ce
dicuntur oracula, et
que les hommes dépourvus de sagesse
necromantia, et ars magica,
cherchent par l'explication des songes,
et quiquid praeterea
n'est qu'illusion et tromperie. Mais bien
malorum exercent homines,
que ces moyens de parvenir à la
vel palam, vel occulte. Quae connaissance de la vérité soient faux,

106
omnia per se falsa sunt, ut les démons qui les ont inventés abusent
Sibylla Erythraea testatur: tellement de la crédulité des hommes,
Επεὶ πλάνα πάντα τάδ' qu'ils les leur font recevoir comme
ἐστίν. Ἅπερ ἄφρονες ἀνδρες véritables. Pour les détourner du culte

ἐρευνῶσι κατ' ἧμαρ. du vrai Dieu, ils leur ont appris à faire

Sed iidem ipsi auctores des images et des idoles, à embellir les
portraits des princes défunts, et à les
praesentia sua faciunt, ut
consacrer dans les temples, et ils ont
vera esse credantur. Ita
pris eux-mêmes les noms de ces princes
hominum credulitatem
comme des marques pour attirer les
mentita divinitate deludunt,
adorations des peuples. Mais quand les
quod illis verum aperire non
magiciens font les cérémonies
expedit. Hi sunt qui exécrables de leur art, ils appellent les
imagines, et simulacra démons par leurs propres noms et non
fingere docuerunt; qui, ut par les noms sous lesquels ils se font
hominum mentes a cultu veri rendre un culte de religion. Ces esprits
Dei averterent, et fictos impurs et vagabonds mêlent la vérité
mortuorum regum vultus, et avec le mensonge, pour tout confondre

ornatos exquisita et pour répandre des erreurs. C'est dans

pulchritudine statui ce dessein qu'ils ont feint un grand


nombre de dieux, dont Jupiter est le roi.
consecrarique fecerunt, et
Cette fiction obscurcit la vérité : savoir
illorum sibi nomina, quasi
que dans le ciel il y a un grand nombre
personas aliquas, induerunt.
d'anges et un seul Dieu qui est leur
Sed eos magi, et ii quos vere
Seigneur, et elle la dérobe à la vue des
maleficos vulgus appellat,
hommes ! Dieu étant seul n'a pas besoin
cum artes suas execrabiles de nom pour se distinguer, comme je
exercent, veris suis l'ai dit au commencement de cet
nominibus cient, illis ouvrage. Les anges, bien qu'ils soient
coelestibus, quae in litteris immortels, ne veulent pas pourtant
sanctis leguntur. Hi porro qu'on les appelle dieux. Ils mettent
incesti ac vagi spiritus, ut toute leur gloire dans leur devoir, et leur

turbent omnia, et errores devoir consiste uniquement à obéir au

humanis pectoribus souverain maître de l'univers. Nous


disons que Dieu gouverne le monde à
offundant, serunt ac miscent
peu près comme un gouverneur
falsa cum veris. Ipsi enim
administre sa province. Bien que le
coelestes multos esse
gouverneur fasse beaucoup de choses

107
finxerunt, unumque omnium par le ministère de ses officiers, il n'y a
regem Jovem; eo quod multi pourtant personne qui dise que ces
sunt spiritus angelorum in derniers partagent avec lui l'honneur du
coelo, et unus parens ac gouvernement. Cependant ils agissent

dominus omnium Deus: sed très souvent contre ses ordres, sans

veritatem mentitis nominibus qu'il le sache, et cette ignorance on il


est, est une misérable dépendance de
involutam ex oculis
notre condition. Mais le souverain
abstulerunt.
maître de l'univers, qui sait tout et qui
Nam Deus, ut principio
voit tout, possède seul avec son Fils la
docui, neque nomine, cum
puissance du commandement, et les
solus sit, eget; neque angeli,
anges n'ont que l'obéissance en
cum sint immortales, dici se partage. Ils ne s'attribuent aucun
deos aut patiuntur, aut honneur, et toute leur grandeur
volunt: quorum unum consiste à être soumis à Dieu. Mais ceux
solumque officium est, qui ont renoncé à son service et déclaré
servire nutibus Dei, nec la guerre à la vérité tâchent d'usurper
omnino quidquam nisi jussu des honneurs divins, non par aucun

facere. Sic enim mundum désir qu'ils en aient, car quel désir en

regi a Deo dicimus, ut a pourraient avoir des esprits qui se sont


perdus par leurs crimes ? ni à dessein
rectore provinciam: cujus
de nuire à Dieu à qui nul ne peut nuire,
apparitores nemo socios
mais à dessein de nuire aux hommes,
esse in regenda provincia
en les détournant du culte de la majesté
dixerit, quamvis illorum
éternelle, et en les privant de
ministerio res geratur. Et hi
l'immortalité dont il se sont privés eux-
tamen possunt aliquid mêmes. C'est pour cela qu'ils mettent
praeter jussa rectoris, per des voiles sur la vérité, et qu'ils
ipsius ignorantiam, quae est charment les hommes de peur qu'ils ne
conditionis humanae. Ille reconnaissent leur père et leur
autem praeses mundi, et Seigneur. Pour tromper plus aisément
rector universi, qui scit ils se cachent dans les temples aux

omnia, cujus divinis oculis heures auxquelles on offre des sacrifices

nihil septum est, solus habet ; ils y font de faux miracles, par lesquels
ils épouvantent les simples et leur font
rerum omnium cum filio
prendre des idoles pour des dieux. C'est
potestatem; nec est in
ce qui a fait croire qu'un augure avait
angelis quidquam, nisi
coupé une roche avec un rasoir, que

108
parendi necessitas. Itaque Junon avait déclaré qu'elle voulait être
nullum sibi honorem tribui transportée de Véies à Rome, que la
volunt, quorum omnis honor Fortune des Femmes a averti du péril
in Deo est. Illi autem, qui dont la ville était menacée, que Claudia

desciverunt a Dei ministerio, a attiré à bord un vaisseau que toute la

quia sunt veritatis inimici, et jeunesse n'avait pu ébranler, que


Junon, Proserpine, Cérès, se sont
praevaricatores Dei, nomen
vengées des sacrilèges qui avaient été
sibi et cultum deorum
commis contre elles, qu'Hercule, se
vindicare conantur; non quo
vengea aussi d'Appius comme Jupiter
ullum honorem desiderent
d'Attinius, et Minerve de César. C'est
(quis enim perditis honor
aussi ce qui a fait croire que le dragon
est?), nec ut Deo noceant, amené d'Épidaure avait délivré Rome de
cui noceri non potest: sed ut la maladie contagieuse. On peut dire
hominibus, quos nituntur a qu'alors le Démoniarque, c'est-à-dire le
cultu et notitia verae prince des démons, fut amené par les
majestatis avertere, ne ambassadeurs sans aucun déguisement
immortalitatem adipisci et sous sa propre et naturelle figure de

possint, quam ipsi sua serpent. Mais jamais ces démons ne

nequitia perdiderunt. trompent tant que quand ils rendent des


oracles, dont ceux qui sont privés des
Offundunt itaque tenebras, et
lumières de notre religion ne
veritatem caligine obducunt,
découvrent pas les illusions et les
ne dominum, ne patrem
impostures. Ils s'imaginent que ces
suum norint; et ut illiciant
oracles promettent les dignités et les
facile, in templis se occulunt,
royaumes, la victoire, les richesses,
et sacrificiis omnibus praesto l'heureux succès des entreprises; ils se
adsunt, eduntque saepe persuadent que ces oracles ont souvent
prodigia, quibus obstupefacti averti des dangers dont les Etats étaient
homines, fidem commodent menacés, et déclaré le moyen de les
simulacris divinitatis ac éviter en apaisant la colère des dieux
numinis. Inde est, quod ab par des sacrifices ; mais ce n'est que

augure lapis novacula tromperie et illusion. Comme les

incisus est; quod Juno démons connaissent l’ordre que Dieu,


dont ils ont été les ministres, a établi
Veiensis migrare se Romam
dans le monde, ils se mêlent à ses
velle respondit; quod Fortuna
ouvrages pour lui ravir la gloire qui lui
muliebris periculum
est due et pour se l'attribuer à eux-

109
denuntiavit; quod Claudiae mêmes. Quand ils savent que, selon la
manum navis secuta est; disposition de l'éternelle providence, il
quod in sacrilegos et Juno doit arriver quelque avantage ou à une
nudata, et Locrensis ville ou à un peuple, ils promettent ou

Proserpina, et Ceres Milesia en songe, ou par des prodiges, ou par

vindicavit; et Hercules de des oracles, de le procurer, au cas qu'on


leur élève des temples, qu'on leur offre
Appio, et Jupiter de Atinio, et
des sacrifices, qu'on leur rende des
Minerva de Caesare. Hinc,
honneurs. Quand ces honneurs leur ont
quod serpens urbem Romam
été rendus, et que l'avantage qu'ils
pestilentia liberavit Epidauro
avaient promis est réalisé, le peuple
accersitus. Nam illuc
conçoit pour eux une admiration et une
δαιμονιάρχης ipse in figura révération qu'on ne saurait exprimer.
sua sine ulla dissimulatione On leur élève ensuite des temples, on
perlatus est; siquidem legati consacre leurs images et on égorge en
ad eam rem missi, draconem leur honneur une prodigieuse quantité
secum mirae magnitudinis de victimes. Mais ceux qui s'acquittent
advexerunt. de ces devoirs sont eux-mêmes des

In oraculis autem vel victimes qui sacrifient la vie non de

maxime fallunt, quorum leurs corps, mais de leurs âmes. Quand


les démons prévoient un danger
praestigias profani a veritate
extraordinaire qui est proche, ils
intelligere non possunt:
protestent qu'ils sont en colère, bien
ideoque ab illis attribui
qu'ils n'en donnent le plus souvent que
putant, et imperia, et
de fort légères raisons, comme quand
victorias, et opes, et eventus
Junon protesta qu'elle était en colère
prosperos rerum; denique contre Varron parce qu'il avait placé un
ipsorum nutu saepe jeune garçon dans le temple de Jupiter
rempublicam periculis pour y veiller et pour y servir de
imminentibus liberatam: sentinelle. Ce fut pour cela que les
quae pericula, et responsis Romains perdirent la bataille de Cannes
denuntiaverunt, et sacrificiis qui enleva la fleur de leur armée et qui

placati averterunt. Sed éteignit presque le nom de leur

omnia ista fallaciae sunt. république. Si Junon était jalouse du


jeune garçon dont j'ai parlé, fallait-il
Nam cum dispositiones Dei
que la fleur de l'armée romaine en
praesentiant, quippe qui
portât la peine? Si les dieux n'ont soin
ministri ejus fuerunt,
que des chefs, et s'ils négligent les

110
interponunt se in his rebus, soldats, pourquoi Varron, qui était
ut quaecumque a Deo vel coupable, échappa-t-il, et pourquoi
facta sunt, vel fiunt, ipsi Paulus, qui était innocent, fut il tué?
potissimum facere, aut Lorsque Annibal tailla en pièces deux

fecisse videantur. Et quoties armées romaines par son habileté et par

alicui populo vel urbi, sa valeur, la haine que Junon avait


conçue contre les Romains ne fut point
secundum Dei statutum boni
cause de cette défaite ; autrement elle
quid impendet, illi se id
aurait entrepris de défendre Carthage,
facturos vel prodigiis, vel
où elle avait son char et ses armes, et
somniis, vol oraculis
de repousser les Romains, puisqu'elle
pollicentur, si sibi templa, si
avait ouï dire qu'il sortirait de Troie une
honores, si sacrificia nation qui abattrait un jour les
tribuantur: quibus datis, cum forteresses de Carthage. Ce ne sont que
illud acciderit, quod necesse des illusions par lesquelles les démons,
est, summam sibi pariunt cachés sous le nom de quelques
venerationem. Hinc templa personnes qui ne sont plus, tâchent de
devoventur, et novae surprendre ceux qui sont encore. Quand

imagines consecrantur, le péril qui est proche peut être

mactantur greges hostiarum. détourné, ils font croire qu'ils l'ont


détourné après avoir été apaisés par
Sed cum haec facta sunt,
des sacrifices. Quand il ne peut-être
nihilominus tamen et vita, et
détourné, ils disent qu'ils ne l'ont pas
salus eorum qui haec
voulu, en haine du mépris qu'on a fait
fecerint, immolantur. Quoties
de leur puissance.
autem pericula impendent,
Voilà comment ils se font respecter
ob aliquam ineptam et levem et craindre par des hommes qui ne les
causam se profitentur iratos: connaissent point. Voilà quels sont les
sicut Juno Varroni, quod artifices dont ils se sont servis pour ôter
formosum puerum intensa à presque tous les peuples la
Jovis ad excuvias tenendas connaissance d'un seul Dieu. Depuis
collocarat; et ob hanc qu'ils se sont perdus par leurs crimes,

causam Romanum nomen ils ne travaillent plus qu'à perdre les

apud Cannas pene deletum autres. C'est pour cela qu'ils ont été
assez cruels pour vouloir qu'on leur
est. Quod si Juno alterum
sacrifiât des victimes humaines, et qu'ils
Ganymedem verebatur, cur
se sont repus avec tant de plaisir de leur
juventus Romana luit
sang et de leurs âmes.

111
poenas? Vel si dii XVIII. Quelqu'un demandera peut-
tantummodo duces curant, être pourquoi Dieu souffre ces
caeteram multitudinem désordres et pourquoi il permet que les
negligunt, cur Varro solus hommes tombent en des erreurs si

evasit, qui hoc fecit, et déplorables et si dangereuses ? C'est

Paulus, qui nihil meruit, afin qu'il y ait un combat entre le bien
et le mal, entre la vertu et le vice, et
occisus est? Videlicet nil tunc
qu'il y ait des gens de bien qu'il
Romanis accidit
récompense et des coupables qu'il
. . . . . Fatis Junonis
châtie. Je parlerai dans le dernier livre
iniquae,
du jugement qu'il établira à la fin des
cum Annibal duos
siècles, et où il jugera les vivants et les
exercitus populi Romani, et morts. Il diffère cependant jusqu'à ce
astu, et virtute confecit. Nam que le temps arrive auquel il répandra
Juno audere non poterat, aut sa colère avec une force dont on ne
Carthaginem defendere, ubi saurait voir l'image dans les livres des
arma ejus et currus fuit, aut prophètes sans être saisi d'horreur et
Romanis nocere, quia d'effroi. Mais jusque-là il permet aux

. . . . . Progeniem hommes de s'égarer et de se montrer

Trojano a sanguine duci impies à son égard, et il ne fait rien en


cela de contraire à sa justice, à sa
Audierat, Tyrias olim quae
douceur, et à sa patience. Car
verteret arces.
quiconque a une vertu parfaite a aussi
Sed illorum sunt isti
une patience parfaite. Quelques-uns
lusus, qui sub nominibus
croient que Dieu n'entre jamais en
mortuorum delitescentes,
colère, parce qu'il est exempt des
viventibus plagas tendunt. passions auxquelles l'homme est sujet ;
Itaque sive illud periculum, mais ce sentiment est contraire à la
quod imminet vitari potest, vérité et ruine entièrement la religion.
videri volunt id placati Je l'examinerai dans un ouvrage exprès
avertisse; sive non potest, id ou je traiterai fort au long de la colère
agunt, ut propter illorum de Dieu. Quiconque aura suivi ces

contemptum accidisse esprits impurs, et les aura révérés, ne

videatur. Ita sibi apud jouira jamais du ciel ni de la lumière de


Dieu, mais tombera dans les ténèbres et
homines, qui eos nesciunt,
dans les supplices qui sont préparés au
auctoritatem, ac timorem
prince et à l'auteur du péché. J'ai fait
pariunt. Hac versutia, et his
voir, si je ne me trompe, par trois

112
artibus, notitiam veri ac raisons invincibles qu'il n'y a rien que de
singularis Dei apud omnes vain et de ridicule dans le culte qu'on
gentes inveteraverunt. Suis rend aux dieux. La première est que les
enim vitiis perditi, saeviunt, images que l'on adore représentent des

et grassantur, ut perdant. hommes qui ont vécu autrefois sur la

Idcirco etiam humanas terre. Or c'est une chose contraire à la


bienséance et à la raison que l'image de
hostias excogitaverunt ipsi
Dieu adore l'image d'un homme,
hostes humani generis, ut
puisque celui qui rend l'adoration est
quam multas devorarent
plus élevé et plus puissant que celui à
animas.
qui il la rend. D'ailleurs c'est un crime
CAPUT XVIII. De Dei
énorme d'abandonner le culte de Dieu
patientia et ultione, vivant, pour se soumettre à celui d'un
daemonum cultu, et falsis cadavre et d'un tombeau qui ne
religionibus. sauraient donner la vie dont ils sont
Dicet aliquis: Cur Ergo privés. Enfin il ne peut y avoir qu'un seul
Deus haec fieri patitur, nec Dieu, de la souveraine puissance du
tam malis succurrit quel toutes les créatures relèvent. La

erroribus? Ut mala cum seconde raison est que les images, que

bonis pugnent; ut vitia sint les païens adorent par le dernier et par
le plus déplorable de tous les
adversa virtutibus; ut habeat
aveuglements, n'ont aucun sentiment
alios, quos puniat; alios,
puisqu'elles ne sont que de terre. Or il
quos honoret. Ultimis enim
n'y a personne qui ait assez peu de
temporibus statuit de vivis ac
lumière pour ne pas reconnaître que
mortuis judicare: de quo
l'homme, à qui Dieu a donné une taille
judicio mihi erit in ultimo libro droite et élevée afin qu'il regarde le ciel
disputatio. Differt ergo, d'où il est descendu et où il doit
donec veniat temporum finis, retourner, ne doit pas s'abaisser et se
quo effundat iram suam in courber vers la terre qu'il foule aux
potestate ac virtute coelesti, pieds. La troisième raison est: que les
sicut esprits qui président aux religions

. . . . . . Vatum praedicta païennes, ayant été condamnés par la

piorum bouche de Dieu et chassés de sa


présence, sont errants et vagabonds sur
Terribili monitu
la terre où, bien loin de procurer aucun
horrificant. Nunc autem
avantage à ceux qui les adorent, ce qui
patitur homines errare, et
n'appartient qu'à Dieu seul, ils les

113
adversum se quoque impios empoisonnent par des erreurs
esse, ipse justus, et mitis, et pernicieuses et les détournent de la fin
patiens. Nec enim fieri à laquelle ils doivent tendre. Il ne faut
potest, ut non is, in quo donc pas adorer ces esprits qui sont

perfecta sit virtus, sit etiam condamnés par la bouche de Dieu, et ce

perfecta patientia. Unde serait un crime de s'abaisser au-


dessous d'eux, puisqu'il est aisé de
quidam putant, ne irasci
s'élever au-dessus en suivant la justice,
quidem Deum omnino, quod
et de les chasser par la force du nom de
affectibus, qui sunt
Dieu. Si ces raisons font voir la vanité
perturbationes animi,
des religions païennes, il est clair que
subjectus non sit; quia fragile
ceux qui prient les morts, qui se
est omne animal quod courbent vers la terre, qui adorent des
afficitur et commovetur. esprits impurs, s'éloignent de la raison,
Quae persuasio veritatem, et qu'ils subiront le supplice dû à
atque religionem funditus l'impiété par laquelle ils se sont
tollit. Sed seponatur interim soulevés contre le père commun du
locus hic nobis de ira Dei genre humain et se sont souillés par

disserendi, quod et uberior d'exécrables sacrifices.

est materia, et opere proprio XIX. Quiconque veut tâcher de se


rendre digne du nom qu'il porte, et
latius exequenda. Illos ergo
conserver l'excellence de sa nature, doit
nequissimos spiritus
s'élever au-dessus de la terre, regarder
quisquis veneratus fuerit, et
fixement le ciel, et bien loin de chercher
secutus, neque coelo, neque
sous les pieds un Dieu pour l'adorer, le
luce potietur, quae sunt Dei:
chercher en haut, tout ce qui est au-
sed in illa decidet, quae in dessous de l'homme étant sans doute
distributione rerum attributa moindre que l'homme. Or comme Dieu
esse ipsi malorum principii est plus grand que l'homme, il est aussi
disputavimus; in tenebras au-dessus de lui dans la plus haute et
scilicet, et inferos, et non pas dans la plus basse région du
suplicium sempiternum. monde. C'est pourquoi il est certain qu'il

Docui religiones n'y a point de religion là où il y a des

deorum triplici modo vanas images et des idoles. La religion


consiste dans les choses de Dieu : les
esse: uno, quod simulacra
choses de Dieu sont célestes. Les
ista, quae coluntur, effigies
images ni les idoles n'ont rien de
sint hominum mortuorum;
céleste, parce qu'elles ne sont que de

114
esse autem perversum et terre, et par conséquent il n'y a point de
incongruens, ut simulacrum religion dans les images. Tout homme
hominis a simulacro Dei qui aura un peu de pénétration
colatur: colit enim quod est reconnaîtra par le nom même d'image

deterius et imbecillius; tum la vérité de ce que je dis ; car une image

inexpiabile facinus esse, est quelque chose d'opposé à la vérité.


Ce qui la représente et ce qui l'imite
deserere viventem, ut
n'est pas elle. L'imitation et la
defunctorum monimentis
représentation ne sont pas une chose
servias, qui nec vitam, nec
sérieuse : ce n'est qu'un divertissement
lucem dare cuiquam
et un jeu. Ainsi il n'y a point de religion
possunt, qua ipsi carent; nec
dans les images, mais seulement une
esse alium quemquam imitation, ou, s'il est permis de parler
Deum, praeter unum, cujus ainsi, une comédie de religion. Il faut
judicio ac potestati omnis donc préférer la vérité à toutes sortes
anima subjecta sit. Altero, de faussetés. Il faut fouler la terre aux
quod ipsae imagines sacrae, pieds pour s'élever au ciel, car
quibus inanissimi homines quiconque abaissera vers la terre son

serviunt, omni sensu carent, âme, qui est descendue du ciel,

quoniam terra sint. Quis tombera lui-même au lieu où il l'aura


abaissée. C'est pourquoi il faut toujours
autem non intelligat, nefas
se souvenir de sa dignité et toujours
esse rectum animal curvari,
tendre vers le lieu de son origine.
ut adoret terram? quae
Quiconque s'acquittera fidèlement de ce
idcirco pedibus nostris
devoir aura la justice et la sagesse, et
subjecta est, ut calcanda
méritera le titre d'homme. Quand Dieu
nobis, non adoranda sit, qui le verra non couché sur la terre comme
sumus ideo excitati ex ea, les animaux, mais droit et élevé vers le
statumque sublimem praeter ciel, tel qu'il l'a fait, il le reconnaîtra
caeteras animantes pour son enfant.
accepimus, ut non XX. J'ai achevé, je crois, une grande
revolvamur deorsum, nec et difficile partie de l'œuvre que j'ai

hunc coelestem vultum entreprise; et Dieu ayant daigné me

projiciamus ad terram; sed suggérer mes paroles, j'ai réfuté assez


fortement les erreurs invétérées. Mais
oculos eo dirigamus, quo
maintenant ce qui me reste à faire sera
illos naturae suae conditio
sans doute encore fort difficile ; car j'ai
dixerit, nihilque aliud
à combattre la philosophie dont on

115
adoremus, nihil colamus, nisi m'oppose la doctrine et l'éloquence. Au
solius artificis parentisque lieu que l'on n'avait employé jusqu'ici
nostri unicum numen: qui que le suffrage de la multitude et le
propterea hominem rigidum consentement des nations pour

figuravit, ut sciamus, nos ad opprimer la vérité, on emploie

superna et coelestia maintenant l'autorité des plus


excellents hommes en toute sorte de
provocari. Tertio, quod
sciences. Or il est certain que le
spiritus, qui praesunt ipsis
jugement d'un petit nombre de savants
religionibus, condemnati et
doit être préféré à celui d'un grand
abjecti a Deo, per terram
nombre de personnes qui n'ont que
volutentur: qui non tantum
l'ignorance en partage. Je ne désespère
nihil praestare cultoribus suis pas pourtant de convaincre, avec l'aide
possint, quoniam rerum de Dieu, les philosophes, et je ne puis
potestas penes unum est, m'imaginer qu'ils aient une opiniâtreté
verum etiam mortiferis eos assez déraisonnable pour nier qu'ils
illecebris et erroribus voient la lumière lorsque je la leur aurai
perdant; quoniam hoc illis mise devant les yeux. S'ils cherchent

quotidianum sit opus, sincèrement la vérité, comme ils en font

tenebras hominibus profession, je leur ferai voir clairement


qu'elle est trouvée et qu'elle ne pourrait
obducere, ne quaeratur ab
l'être par la seule pénétration de leur
illis verus Deus. Non igitur
esprit, ni par la seule force de la nature.
colendi sunt, quia sententiae
Dei subjacent. Est enim
piaculum maximum,
addicere se potestati eorum,
quibus, si justitiam sequare,
potentior esse possis, et eos
adjuratione divini nominis
expellere, ac fugare. Quod si
apparet, religiones istas tot
modis esse vanas, quibus
docui, manifestum est eos
qui vel mortuis supplicant,
vel terram venerantur, vel
spiritibus impuris animas

116
suas mancipant, rationem
hominum non tenere,
eosque impietatis ac sceleris
sui supplicia pensuros, qui
rebelles adversus parentem
generis humani Deum,
susceptis inexpiabilibus
sacris fas omne violaverint.
CAPUT XIX. De
simulacrum et terrenarum
rerum cultu.
Quicumque igitur
sacramentum hominis tueri,
rationemque naturae suae
nititur obtinere, ipse se ab
humo suscitet, et erecta
mente oculos suos tendat in
coelum: non sub pedibus
quaerat Deum, nec a
vestigiis suis eruat quod
adoret (quia quidquid homini
subjacet, infra hominem sit
necesse est); sed quaerat in
sublimi, quaerat in summo;
quia nihil potest homine
majus esse, nisi quod fuerit
supra hominem; Deus autem
major est homine; supra
ergo, non infra est, nec in
ima potius, sed in summa
regione quaerendus est.
Quare non est dubium quin
religio nulla sit, ubicumque
simulacrum est. Nam si
religio ex divinis rebus est,

117
divini autem nihil est, nisi in
coelestibus rebus; carent
ergo religione simulacra,
quia nihil potest esse
coeleste in ea re, quae fit ex
terra. Quod quidem de
nomine ipso apparere
sapienti potest. Quidquid
enim simulatur, id falsum sit
necesse est; nec potest
unquam veri nomen
accipere, quod veritatem
fuco et imitatione mentitur. Si
autem omnis imitatio, non
res potissimum seria, sed
quasi ludus ac jocus est, non
religio in simulacris, sed
mimus religionis est.
Praeferendum est igitur
verum omnibus falsis:
calcanda terrena, ut
coelestia consequamur. Ita
enim res se habet, ut
quisquis animam suam,
cujus origo de coelo est, ad
inferna et ima prostraverit, eo
cadat quo se ipse dejecerit.
Ideoque oportet rationis, ac
status sui memorem, non nisi
ad superna niti semper, ac
tendere. Quod qui fecerit, hic
plane sapiens, hic justus, hic
homo, hic denique coelo
dignus judicabitur; quem
suns parens non humilem,

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nec ad terram more
quadrupedum abjectum, sed
stantem potius, ac rectum,
sicut eum fecit, agnoverit.
CAPUT XX. De
philosophis, deque veritate.
Peracta est igitur (ni
fallor) magna et difficilis
suscepti operis portio; et
majestate coelesti
suggerente nobis dicendi
facultatem, inveteratos
depulimus errores. Nunc
vero major nobis, ac difficilior
cum philosophis proposita
luctatio est: quorum summa
doctrina et eloquentia, quasi
moles aliqua mihi opponitur.
Nam ut illic (id est, in
secundo libro) multitudine,
ac prope consensu omnium
gentium premebamur; ita hic
auctoritate praestantium
omni genere laudis virorum.
Quis autem nesciat, plus
esse momenti in paucioribus
doctis, quam in pluribus
imperitis? Sed non est
desperandum, istos quoque
de sententia, Deo ac veritate
ducibus, posse depelli: nec
tam pertinaces fore arbitror,
ut clarissimum solem sanis
ac patentibus oculis videre
se negent. Modo illud verum

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sit, quod ipsi solent profiteri,
studio investigandae veritatis
se teneri, efficiam profecto,
ut quaesitam veritatem diu,
et aliquando inventam esse
credant, et humanis ingeniis
inveniri non potuisse
fateantur.

[1] Ovide, Métamorphoses, livre I.


[2] Lucrèce, De la nature des choses, livre VI, v. 51.
[3] Lucrèce, De la nature des choses, livre V, v. 1197.
[4] Cicéron, De la nature des Dieux, livre I.

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