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CORESPONSABILITÉ BAPTISMALE ET MINISTERIALITÉ

INTRODUCTION

Déjà le Concile Vatican II avait ouvert une brèche quant à la mission des
laïcs dans l’Eglise, mission qui est d’exercer leur sacerdoce dans le monde dans
lequel ils vivent, ils seront comme ferment d’Esperance auprès de leurs frères et
sœurs qui sont dans le monde en leur annonçant et en vivant l’Evangile. Mais à
côté de cette responsabilité séculière, il leur est reconnu des ministères spécifiques
au sein de la communauté ecclésiale. Ils peuvent être appelés à certaines charges
pastorales. Cependant, il y aurait un risque de confusion dans cette ouverture, du
moins pensent certains théologiens et ministres ordonnés qui n’arrivent pas encore
à concevoir le fait dans le sens d’une synodalité dans la mission. Risque d’autre
part pour les laïcs eux-mêmes, qui pensent plutôt que le fait d’exercer un
ministère dans l’Eglise, fait d’eux des clercs au même titre que les ministres
ordonnés. Et par conséquent, de nombreux prêtres peuvent se poser la question de
savoir que deviendra donc le ministère ordonné ? Question légitime puisqu’il faut
y penser. Serait-ce une forme de cléricalisation des laïcs ? Et nous pourrons
reprendre ici à notre compte ce questionnement de Luc Forestier : comment
concilier alors le fait de confier ces responsabilités ecclésiales à des laïcs et la
vocation proprement séculière de leur baptême ? Comment différencier ce qui
relève vraiment du ministre ordonné et ce qui tient à l’activité quotidienne d’un
chrétien dans l’Eglise ?1

D’emblée, il faudra donner un élément de réponse avant tout


développement par la suite. Le Concile Vatican II avait fortement encouragé et
même légitimé la responsabilité du peuple ecclésial dans l’unique mission de
l’Eglise. « Quant à la dignité et l’activité commune à tous les fidèles dans
l’édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité »2. Et
Jean Rigal d’ajouter que « le fait communautaire est constitutif non seulement de
la foi chrétienne mais de la vie ecclésiale. Fondé sur le mystère trinitaire de
1
FORESTIER L., Les ministères aujourd’hui, Salvator, Paris, 2017, p. 144
2
LG n. 32

1
l’Eglise, il ne devrait souffrir d’aucune suspicion. Au contraire, il engendre entre
pasteurs et autres fidèles, une communauté de rapports au service d’une même
mission »3.

I- L’EGLISE, UN PEUPLE TOUT ENTIER MINISTERIEL :


L’ENSEIGNEMENT DU CONCILE VATICAN II

Le Concile Vatican II avait tenu à clarifier le rôle de chacun des membres


du Peuple de Dieu dans l’édification du Corps du Christ qu’est l’Eglise. En
parlant justement du sacerdoce commun, les pères conciliaires soulignaient que :

Les baptisés en effet, par la régénération et l’onction du Saint


Esprit, sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce
saint, de façon à offrir, par toutes les activités du chrétien, autant d’hosties
spirituelles, en proclamant les merveilles de celui qui, des ténèbres, les a
appelés à son admirable lumière. C’est pourquoi tous les disciples du Christ,
persévérant dans la prière et la louange de Dieu, doivent s’offrir en victimes
vivantes, saintes, agréables à Dieu, porter témoignage du Christ sur toute la
surface de la terre, en rendre raison sur toute la requête, l’espérance qui est
en eux d’une vie éternelle (cf. 1P3, 15) 4.

C’est donc le peuple tout entier ici qui est visé non pas seulement une
partie, mais l’ensemble des baptisés. Nous sommes d’abord tous appelés à
répondre de l’espérance que nous avons reçue au matin de Pâques chacun selon sa
condition. Cela relève d’une responsabilité commune en Eglise. Le texte
conciliaire parle justement d’une considération baptismale qui elle-même,
comporte deux dimensions à savoir : la dimension cultuelle et celle du
témoignage.

En effet, le Concile a voulu relier à la catégorie de Peuple de Dieu,


l’affirmation de la commune dignité de tous les chrétiens. Le Peuple de Dieu est

3
RIGAL J., Découvrir les ministères, Desclée de Brouwer, Paris, 2002, p. 140
4
LG n. 10

2
unique et il n’existe aucune inégalité dans le Christ et dans l’Eglise 5. Bien sûr que
le Peuple de Dieu n’est pas une masse et donc, il inclue pour tous les baptisés, la
commune dignité d’être membres, la commune grâce d’être fils de Dieu et la
commune vocation à la sainteté. Tout ceci constitue de façon organique ce que
nous pouvons appeler selon le Concile « le sacerdoce commun des fidèles ». Et le
même Concile indique sa source dans le sacrement du baptême et l’onction du
Saint Esprit, la mission prophétique, sacerdotale et royale du Christ.

Le Christ est Prêtre, Prophète et Roi. Et le Concile une fois de plus


réaffirme dans cette veine, l’engagement missionnaire de tout le peuple chrétien et
sa profession de foi dans laquelle est décidée toute l’Eglise à savoir : l’annonce de
la Parole, le ministère de la sanctification et l’activité pastorale. Ce sont les trois
aspects de l’unique action salvifique du Christ qui ont justement leurs racines dans
l’incarnation du Fils de Dieu et cependant sont inséparables de sa vie, sa mission,
de l’incarnation jusqu’à sa venue glorieuse à la fin des temps.

Le sacerdoce commun des fidèles qui découle de celui du Christ, consiste


donc dans l’offrande totale de sa propre existence au Père par le Fils et dans
l’Esprit Saint et ensuite une totale donation aux frères. C’est une participation
commune à la vie même du Christ qui s’est offert une fois pour toutes au Père
pour les frères. « C’est cette nouveauté chrétienne radicale qui nait avec le
baptême et trouve son développement dans le sacrement de la confirmation. Il a
son soutien et son accomplissement dynamique dans l’eucharistie et donc
l’expression se manifeste dans toute l’existence chrétienne »6. Ce sacerdoce est
donc aussi universel selon les mêmes mots du Concile et engage chaque membre
de Peuple de Dieu sans exclusion aucune à participer aux trois fonctions du Christ
qui engagent totalement leur vie : « ceux qu’il unit intimement à sa vie et à sa
mission, le Christ Jésus, leur donne également part à son office sacerdotal pour
qu’ils exercent le culte spirituel, afin que Dieu soit glorifié et les hommes soient
sauvés »7.

5
Cf. SEMERARO M., Mistero, Comunione e missione. Manuale di ecclesiologia, EDB, Bologna,
1996, p. 59
6
Ibidem, p. 61
7
LG 34

3
Et justement cela se traduit dans toutes leurs actions, leurs prières, leurs
initiatives apostoliques ainsi que leur vie conjugale et familiale, tout leur travail
journalier, leurs loisirs, s’ils sont vécus dans l’Esprit Saint 8. Il faut le dire tout de
suite que cette participation n’est pas seulement celle des laïcs, mais c’est la base
et la condition pour n’importe quelle autre consécration qui pourrait être
développée à travers la participation du sacerdoce du Christ. Les fidèles sont
appelés à participer au sacerdoce du Christ. Et cette participation, nous l’avons dit,
s’accomplit dans divers modes et démontre que dans l’Eglise qui est une seule, il
y a la diversité de charismes des vocations. Ainsi, puisque l’Eglise est Une, aussi
le sacerdoce est un seul, parce que le Christ Jésus n’est pas divisé selon les paroles
de saint Paul aux Corinthiens « le Christ est-il divisé ? » (1Co1,13).

Il est d’ailleurs à noter que la Constitution sur l’Eglise, avant de parler du


rôle de la hiérarchie dans l’Eglise, elle s’arrête profondément sur le sacerdoce
universel des fidèles. Et puis seulement se concentre sur les vocations
particulières à l’intérieur de l’Eglise. Ces fonctions de la hiérarchie, la
Constitution en parle en forme particulière mais elles sont contenues dans le vaste
ensemble du sacerdoce universel. Le laïcat, lui, est traité comme forme
déterminée du sacerdoce universel. Tout fidèle baptisé, après avoir reçu le
baptême est inséré au Christ et participe à sa mission de prêtre, prophète et roi. Et
ces trois fonctions sont inséparables. Donc, qui est investi du sacerdoce, au même
moment participe aux autres fonctions.

Il s’agit ici du peuple tout entier convoqué et envoyé au service du


Royaume. Cette Eglise se construit communautairement en tant qu’elle est Corps
du Christ et rassemblée par la même foi et envoyée pour la même mission 9. « Tout
ce qui a été dit du Peuple de Dieu concerne à titre égal laïcs, religieux et les
clercs »10. On note en fait dans l’esprit du Concile, une précision de plus en plus
sur la responsabilité de tous les membres de l’unique communauté au service de
tous. C’est donc le fait communautaire qui apparait plus amplement au-delà de la

8
Cf. BRULIN M., « La vocation baptismale initiée et soutenue par les sacrements » in Revue de
pastorale des vocations, Eglise et Vocations, la vocation baptismale, n. 11, aout 2010, Trimestriel,
pp. 21-29
9
Cf. RIGAL J., Découvrir les ministères, op. cit. p. 24
10
LG n. 30

4
spécificité des charges à l’intérieur de l’Eglise. Et Bernard Sesboue souligne cette
réalité en ces termes : « mais comme tout le monde ne peut pas tout faire, on
constate une spécialisation de certains membres dans telle ou telle fonction en
raison de leur charisme »11. C’est finalement toute la communauté qui est en
service d’évangélisation dans le monde. Et puisque la ministérialité qui est en
d’autres termes, responsabilité, c’est le fait de l’Eglise tout entière. Elle est
solidaire de la mission et de l’apostolicité, de la sacramentalité et du prophétisme
de l’Eglise entière12.

C’est une exigence première de l’existence chrétienne laquelle fonde le


jaillissement d’un certain nombre de ministères en fonction des dons de l’Esprit.
Ils sont comme le dit le même Sesboue, « un lieu d’initiatives nécessaire pour la
vie de l’Eglise »13. Et saint Jean Chrysostome avant lui, disait déjà que : « c’est le
même baptême que chacun possède ; c’est d’un Esprit unique que nous avons été
jugés dignes ; c’est en vue du même règne que nous faisons effort ; nous sommes
ensemble frères du Christ ; tout nous est commun »14. Pour dire en fait que, le fait
communautaire est constitutif non seulement de la foi chrétienne mais aussi de la
vie ecclésiale15. Ce fait, comme le stipule la Constitution dogmatique sur l’Eglise,
engendre entre les pasteurs et les autres fidèles, une « communauté de rapports »16
au service d’une unique mission. Et de ce point de vue, les fidèles et les pasteurs
travaillent en parfaite symbiose pour l’avènement du Règne de Dieu, conjuguant
les efforts dans cette mission qui est celle du Christ pour toute l’humanité. Le
code de droit canonique en vient à préciser la nature de cette collaboration :

Selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, les


fidèles ont le droit et même parfois le devoir de donner aux pasteurs sacrés
leur opinion sur tout ce qui touche le bien de l’Eglise et de le faire connaitre
aux autres fidèles restant sauves, l’intégrité de la foi et des mœurs et la

11
SESBOUE B., L’organisation des ministères dans l’Eglise in La Croix https://www.la-croix.com
juin 2017
12
Ibidem
13
Ibidem
14
JEAN CHRYSOSTOME, Homélie du 2e Epitre aux Thessaloniciens, 4, PG 62, 415
15
Cf. RIGAL J., Découvrir les ministères, op. cit. p. 25
16
LG 32

5
révérence due aux pasteurs et en tenant compte de l’utilité commune et de la
dignité des personnes 17.

C’est donc dire qu’il y a dans l’Eglise, une synodalité dans la ministérialité.
Cela nous plonge inéluctablement dans ce que le Concile a bien voulu appeler le
« sensus fidei », le sens de la foi qui habite le peuple chrétien tout entier18,

Le peuple saint de Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ ;


il répand son vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité, il
offre à Dieu un sacrifice de louange, le fruit des lèvres qui célèbrent son nom
(cf. Hb 12,15). La collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint
(cf. Jn 2,20 ; 1Jn 2, 27) ne peut se tromper dans la foi. Ce don particulier
qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de foi qui est
celui du peuple tout entier ; lorsque « des évêques jusqu’au dernier des
fidèles laïcs » elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un
consentement universel. Grace en effet, à ce sens de la foi qui est éveillé et
soutenu par l’Esprit de vérité et sous la conduite du Magistère sacré, pourvu
qu’il lui obéisse fidèlement, le peuple de Dieu reçoit, non plus une parole
humaine mais véritablement la Parole de Dieu (cf. 1Th2, 13), il s’attache
indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes (cf. Jude
3) il y pénètre plus profondément par un jugement droit et la met en plus
parfaitement en œuvre dans sa vie 19.

Le sens de la foi du peuple chrétien lui vient de son baptême et peut donc
s’élargir à l’ensemble des fidèles et comme le dit si bien Jean Rigal, « devient alors
sensus fidelium »20. Cela se vit en effet, non pas individuellement mais en
communion ecclésiale. C’est en communion avec tout le peuple des baptisés. Déjà
Joseph Ratzinger soulignait déjà cet aspect en ces termes : « la foi de l’ensemble de
l’Eglise est à chaque moment l’étalon valable de la Vérité catholique : en effet, la
vérité n’est pas le privilège de la hiérarchie, elle est l’apanage de l’Epouse du
21
Christ » . C’est donc à ce niveau précis que se joue toute la profondeur de
l’exercice des responsabilités ecclésiales. Il s’agit notamment de penser aux valeurs
de dialogue et de participation dans la vie ecclésiale. Il est tout d’abord question de

17
Can. 212,3
18
Cf. LG 12
19
LG 12,1
20
RIGAL J., Découvrir les ministères, p. 29
21
RATZINGER J., Le nouveau peuple de Dieu, Paris, Aubier-Montaigne, 1971, p. 77

6
service qui devrait être l’attitude des ministres une manière d’être qu’une tache à
accomplir, dira Jean Rigal22. Ce service doit le dire, c’est d’abord se mettre au
service du Christ dans son amour pour les hommes, ce qui dépasse la simple
solidarité humaine. C’est une responsabilité exercée en vue de la croissance et de
l’édification du Corps du Christ qui se vit avec le Peuple de Dieu et pour lui
seulement. Comme le soulignait d’ailleurs Ratzinger plus haut, la seule supériorité
qui devrait primer est celle de l’amour (1Co 13, 13) non pas un ordre de valeur et
de sainteté des chrétiens23.

Dans de nombreux textes, le Concile a fortement insisté sur le fait que


l’Eglise n’existe pas par elle-même, pour réaliser son projet qu’elle aurait élaboré.
Au contraire, sa mission originale c’est d’être le sacrement du Christ dans le monde
et par là le signe et serviteur du dessein d’amour de Dieu pour les hommes 24. Jean
Rigal, à cette suite, viendra réaffirmer cette position en ces termes :

L’Eglise tout entière, collectivement et en chacun de ses membres, est signe


de ce que Dieu accomplit dans le monde. Sacrement du Christ, signe et instrument
de salut, l’Eglise est là à travers tout son être et toute sa vie, dans tout ce qui fait
apparaitre l’originalité chrétienne : les institutions et surtout les personnes 25.

Il est donc de la responsabilité de tous les baptisés d’être et de devenir


davantage les témoins et serviteurs du Christ pour porter le dessein d’Amour de
Dieu aux hommes. Personne ne revendique ce service de façon exclusive, c’est la
responsabilité de tout chrétien de servir cette initiative de Dieu. Et le Code de droit
canonique vient le préciser de façon éclatante encore :

Les fidèles du Christ sont ceux qui, en tant qu’incorporés au Christ par le
baptême, sont constitués en Peuple de Dieu et qui, pour cette raison, faits
participants à leur manière à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du
Christ, sont appelés à exercer chacun selon sa condition propre, la mission que
Dieu a confiée à l’Eglise pour qu’elle l’accomplisse dans le monde 26.

22
Cf. RIGAL J., Services et responsabilités dans l’Eglise, Col. Foi vivante, Cerf, Paris, 1987, p. 11
23
Cf. Ibidem, p. 12
24
LG n. 1,9 ; GS n 42, 43 ; SL n. 5 ; AG 1,5
25
RIGAL J., Services et responsabilités dans l’Eglise, op. cit. p. 22
26
Can. 204, 1

7
C’est donc à partir du baptême que nous sommes habiletés à participer à la
fonction sacerdotale qui consiste pour nous à faire de nos vies avec le Christ, une
offrande spirituelle. Par le baptême nous sommes appelés à devenir serviteurs de la
Parole de Dieu en témoignant d’abord par nos vies et par les paroles. Il nous donne
en même temps d’être appelés à travailler à ce qu’advienne le Règne de Dieu.
« Voila ce qui fonde sacramentellement la coresponsabilité de tous les chrétiens.
Voila pourquoi les sacrements de l’initiation chrétienne constituent le fondement
sacramentel des différents services charges ecclésiales, ministères institués »27.

II-LES MINISTERES DANS L’EGLIE : UN MYSTERE DE


COMMUNION

Tout ministère, toute responsabilité dans la communauté ne s’exerce pas


de façon solitaire. Les ministères s’inscrivent toujours dans le réseau des relations
mutuelles ou l’identité de chacun est reconnue28. « Le ministère est
fondamentalement « un être pour »29. Le témoignage de notre foi est celui de la
communauté et de l’universel. Ainsi en est-il de l’exercice des ministères dans
l’Eglise. Cet aspect de communion a fortement été souligné par Benoit XVI dans
l’encyclique Spe Salvi : « nul ne vit seul, nul ne pèche seul, nul n’est sauvé seul…
Notre espérance est toujours et essentiellement aussi espérance pour les autres »30.

L’unité de tous s’élabore à partir de la reconnaissance de l’unicité de


chacun, disait Dominique Rey. Et donc de fait, la véritable communion sur la
distinction et l’élection de chaque personne. La grosse peur dans l’église de notre
temps est de penser qu’à côté du ministère ordonné, qu’il puisse exister un autre
type de ministère soit-il dit laïc. Et pourtant dans la mission même de l’Eglise,
l’Esprit Saint concède des dons et des charismes à l’intérieur de la communauté
pour son édification. Ces charismes sont à prendre comme une richesse spirituelle
27
RIGAL J., Services et responsabilités dans l’Eglise, op. cit. p.24
28
Cf. SESBOUE B., N’ayez pas peur ! Regards sur l’Eglise et les ministères aujourd’hui, Desclée de
Brouwer, 1996, p. 147
29
Idem
30
SP n. 48

8
pour la vie ecclésiale et non comme une force parallèle. Et en retour, les fidèles
laïcs ne devraient pas comprendre la hiérarchie de l’Eglise comme une force qui
avilie.

Nous tous ministres au service dans la mission évangélisatrice de l’Eglise.


Et ce terme qui fait effet de mode aujourd’hui devrait trouver plutôt une
signification assez profonde pour parler de l’exercice de nos responsabilités
différenciées à l’intérieur du Corps du Christ qu’est l’Eglise. Déjà au départ de
cette coresponsabilité, le cardinal Suenens posait les bases en ces termes :

Si l’on me demandait quel est le germe de vie le plus riche en


conséquence pastorales qu’on doit au Concile, je répondrais sans hésiter : la
découverte de peuple de Dieu comme un tout, comme une globalité et, par
voie de conséquence, la coresponsabilité qui en découle pour chacun de ses
membres 31.

Il s’agit dune coopération dans l’évangélisation et non pas d’abord une


participation à la gouvernance de l’Eglise. C’est une coresponsabilité qui existe
entre tous les baptisés qui induit en même temps une compréhension nouvelle et
profonde des charismes reçus de l’Esprit Saint qui habitent chacun selon sa
condition. Et Benoit XVI, une fois de plus, donne une note assez claire à cette
notion :

La coresponsabilité exige un changement de mentalité touchant en


particulier, au rôle des laïcs dans l’Eglise, qui doivent être considères non
comme des collaborateurs du clergé, mais comme des personnes réellement
coresponsables de l’existence de l’action de l’Eglise. Il est par conséquent
important que se renforce un laïcat mur et engagé, capable d’apporter sa
contribution spécifique à la mission ecclésiale, dans le respect des ministères
et des taches que chacun a dans la vie de l’Eglise et toujours en communion
cordiale avec les évêques 32.

31
SUENENS J., La coresponsabilité dans l’Eglise aujourd’hui, Desclée de Brouwer, Paris, 1968, p.
29
32
BENOIT XVI, Message à l’occasion de la VIe Assemblée Ordinaire du Forum International
d’Action Catholique, Castel Gandolfo, le 10 aout 2012

9
La réalité des ministères dans l’Eglise doit se comprendre comme une
action ecclésiale. L’Eglise elle-même étant une communion, communion des
communautés, donc l’inscription des particularités au sein d’une réalité commune.
Dans cette veine, les ministres ordonnés sont spécifiquement appelés à exercer ce
ministère de communion. Ils doivent faire exister ensemble et se rencontrer pour
un dialogue fructueux et un objectif commun, des chrétiens qui vient des
expériences différentes et des richesses complémentaire33.

Le ministère des baptisés devra être accueilli en débouchant à une égalité


foncière dans l’Eglise selon la qualification de chacun pour la mission commune.
Et de toute évidence, la coresponsabilité revient à exprimer cette facette de la
communauté ecclésiale ou tout se vit comme si tout dépendait de chacun alors
qu’en définitive tout trouve sa source en l’Unique Esprit. En fait, dans cette
logique, le ministère ordonné prend une figure nouvelle selon les paroles de Jean
Rigal

Qui conjugue écoute, dialogue, éveille, accompagne, soutient et


partage…la création des équipes pastorales de laïcs prend un caractère
d’urgence. Des relations de réciprocité s’établissent, la distance, la
soumission, la supériorité, la passivité, l’isolement cèdent le pas à la
confiance, à la recherche, aux confrontations, à la responsabilité 34.

Il y a là une priorité de la ministérialité globale de l’Eglise au-delà des


nécessaires distinctions qui demeurent. C’est la vocation du Peuple de Dieu tout
entier. Là se trouve le fondement trinitaire de cette mission qui est somme toute,
communion. « Le Saint Esprit unit en seul Corps ceux qui suivent Jésus Christ et
il les envoie comme des témoins dans le monde »35. Cette mission ministérielle
tire sa source dans la mission du Christ et elle constitue la nouveauté ministérielle
de l’Eglise. L’Eglise elle-même prend son départ dans la vocation du Peuple de
Dieu tout entier. « C’est l’appel qui vous a rassemblés en un seul Corps ». (Col 3,

33
RIGAL J., Découvrir les ministères, op. cit. p. 180
34
Ibidem, p. 181
35
BAPTEME, EUCHARISTIE, MINISTERE, 1982-1990. Rapport sur le processus « BEM » et les
réactions des Eglises, Cerf, Paris, 1993

10
15). Ainsi, toute la communauté ecclésiale est don de Dieu et réponse à un appel.
Toute vie pleinement saisie par le Christ s’enracine dans la communauté de ses
disciples, qui, par le don de l’Esprit se reconnaissent convoqués par le même Père.

La communion comme aime à le rappeler Jean Rigal, ne constitue pas une


tache individuelle, car c’est la mission de l’Eglise tout entière. Ainsi le ministre se
définit essentiellement au service de la communauté : « la ministérialité est le fait
de l’Eglise. Toute la communauté chrétienne est en situation de service et de
mission ; le ministère de l’Eglise est porté par tous les chrétiens »36. C’est une
mission portée solidairement selon la grâce reçue. Cette ministérialité ne saurait se
limiter aux seuls ministres ordonnés, elle est de la responsabilité de tout baptisé.
Et le même Rigal ajoutera : « la réalité première du Peuple de Dieu ne réside pas
dans les différences de vocations ou de rôles, mais dans le « nous » ecclésial
constitué par l’ensemble des baptisés »37. C’est donc le Peul de Dieu dans tous ses
membres qui est artisan de communion, grâce à la diversité des services et des
ministères sans laquelle il ne serait véritablement pas le Peuple de Dieu. « Voila
pourquoi toute fonction dans l’Eglise est d’abord une fonction de l’Eglise, toute
responsabilité, une responsabilité de l’Eglise »38. Toutes les fonctions ecclésiales
relèvent d’abord de la responsabilité globale de la communauté.

Alors que l’Instruction romaine de 1997 sur « La collaboration des fidèles laïcs au
ministère des prêtres » manifestait la crainte que les laïcs prennent trop de place
dans l’Eglise et viennent se substituer aux prêtres, le pape Jean Paul II, dans son
Exhortation Apostolique, Novo Millenio Ineunte, a présenté avec force une vision
diversifiée des ministères dans une Eglise qui est communion. Il dit en effet :

Cette perspective de communion est étroitement liée à la capacité de la


communauté chrétienne de donner une place à tous les dons de l’Esprit.
L’unité de l’Eglise n’est pas uniformité, mais intégration organique des
légitimes diversités. C’est la réalité de nombreux membres réunis en un seul
Corps, l’unique Corps du Christ (cf. 1Co 12, 12). Il est donc nécessaire que
l’Eglise du troisième millénaire stimule tous les baptisés et les confirmés à
36
RIGAL J., L’ecclésiologie de communion. Son évolution historique et ses fondements, Cerf, Paris,
1997, p. 279
37
RIGAL J., Services et responsabilités, op. cit. p. 55
38
Idem

11
prendre conscience de leur responsabilité active dans la vie ecclésiale. A
coté des ministres ordonnés, d’autres ministères, institués ou simplement
reconnus, peuvent fleurir au bénéfice de toute la communauté, la soutenant
dans ses multiples besoins ; de la catéchèse, à l’animation liturgique, de
l’éducation des jeunes aux expressions les plus diverses de charité 39.

Dans son livre intitulé, L’heure des laïcs, Agnès Desmazieres pose le
problème en ces termes : « missionarité et coresponsabilités sont vouées à se
conjuguer. Elles sont deux facettes d’une même vocation. L’approfondissement
récent de la coresponsabilité de tous les baptisés répond à une perception accrue
de la commune dignité de tous les baptisés »40. En effet, il existe une
responsabilité commune dans l’Eglise pour l’annonce de l’Evangile. Chacun
cependant selon son statut mais la mission demeure commune à tous, car tous en
effet élèvent leurs voix : que ton règne vienne.

En fait, cette mission se déploie dans diverses structures ecclésiales qui


engagent la coresponsabilité de tout le Peuple de Dieu. On appelle à la
participation de tous pour l’édification du Corps du Christ. Les instances de
communion dans l’Eglise doivent intégrer un certain nombre de paramètres qui
tiennent compte de la participation de tous. Notre auteur suscité, parle de la
culture du dialogue et de la démocratie. Cependant, n’allons pas comprendre la
démocratie au sens de la vie politique d’un Etat. Il s’agit bien dans le sens
théologique, des notions de collégialité et de synodalité prenant en compte les
responsabilités différenciées, c’est en somme ce qui convient d’être appelé en
ecclésiologie de communion : le principe de subsidiarité. Cette communion n’est
pas démocratique au sens strict du terme, mais c’est une communion hiérarchique,
donc sacramentelle.

Jean Paul II dans son Exhortation Apostolique Christefideles Laici,


souligne l’importance de la communion dans la mission laquelle d’ailleurs est
source de fécondité :

39
JEAN PAUL II, Novo Millenio Ineunte au terme du grand jubilé de l'an 2000, le 6 janvier 2001, n.
46
40
DESMAZIERES A., L’heure des laïcs. Proximité et coresponsabilité, Salvator, Paris, 2021, p.

12
La communion et la mission sont profondément unies entre elles,
elles se compénètrent et s’impliquent mutuellement, au point que la
communion représente la source et tout à la fois le fruit de la mission :la
communion est missionnaire et la mission est pour la communion. C’est
toujours le même et identique Esprit qui appelle et unit l’Eglise et qui
l’envoie prêcher l’Evangile « jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8) 41.

Cette insistance montre et dénote en même temps cette complémentarité


qui doit exister dans la mission de l’Eglise. Les différences dans le Peuple de Dieu
deviennent une richesse quand la participation est accueillie avec joie dans
l’Eglise où l’on reconnait à chacun le droit et le devoir d’apporter du sien dans la
vie de la communauté. C’est donc le même Esprit qui envoie en mission mais
donne des dons et des charismes différents aux membres de cette communauté. Et
chacun selon le don qu’il a reçu, travaille à ce que la Bonne Nouvelle soit
annoncée et qu’advienne le Règne de Dieu.

En effet, prêtres et fidèles laïcs, tous ensemble, forment l’unique Peuple de


Dieu et sont appelés à évangéliser par des moyens qui sont propres à chaque état
et en respectant les limites de la charge des autres, cependant en conjuguant les
efforts pour la vie de la communauté. La mission de l’Eglise est unique et chacun
a une part de responsabilité dans cette entreprise ecclésiale. Celle-ci découle
d’abord du baptême que nous avons tous reçu. Chaque baptisé est donc en fait
missionnaire indépendamment des états de vie que l’on trouve dans l’Eglise, car à
partir du baptême nous recevons cet engagement en étant en même temps
incorporés dans le Corps du Christ, Et comme disait saint Augustin « deviens ce
que tu reçois ». En d’autres termes, recevoir le Corps du Christ et être invité à le
devenir, c’est accepter de travailler à ce que l’Eglise tout entière soit édifiée, unie
et devienne véritablement ce corps où tout harmonieusement tous les membres
vivent l’Evangile et l’annonce au monde pour hâter la venue du Règne de Dieu.

Le Concile a insisté sur la symbiose qui doit régner dans l’exercice des
responsabilités de chacun dans l’Eglise :

41
JEAN PAUL II, Exhortation Apostolique post-synodale Christifeles Laici, sur la vocation et la
Mission des Laïcs dans l'Eglise et Dans le Monde le 30 décembre,1988, n. 32

13
Il y’a dans l’Eglise diversité de ministère, mais unité de mission. Le
Christ a confié aux apôtres et leurs successeurs la charge d’enseigner, de
sanctifier et de gouverner. Mais les laïcs, rendus participants de la charge
sacerdotale, prophétique et royale du Christ, assurent dans l’Eglise et dans le
monde leur part dans ce qui est la mission du Peuple de Dieu tout entier 42.

Ils exercent concrètement leur apostolat en se dépensant à l’évangélisation


et à la sanctification des hommes ; il en est de même quand ils s’efforcent de
pénétrer l’ordre temporel d’esprit évangélique et travaillent à son progrès de telle
manière qu’en ce domaine, leur action rende clairement témoignage au Christ et
serve au salut des hommes. Le propre état des laïcs étant de mener leur vie au
milieu du monde et des affaires profanes, ils sont appelés par Dieu à exercer leur
apostolat dans le monde à la manière d’un ferment grâce à la vigueur de leur esprit
chrétien43.

Par ailleurs, il est à comprendre de façon claire que la mission des laïcs
dans le monde ne les exempte pas des responsabilités à l’intérieur de la
communauté ecclésiale. Bien plus, la participation aux fonctions sacerdotale,
prophétique et royale est fondamental indépendamment de leur mission dans le
monde. Et d’ailleurs le même Concile propose à cet effet une forte implication des
laïcs dans ce sens :

Participant à la fonction du Christ, Prêtre, Roi et Prophète, les laïcs


ont leur part active dans la vie et l’action de l’Eglise. Dans les communautés
ecclésiales, leur action est si nécessaire que le sans elle l’apostolat des
pasteurs ne peut, la plupart du temps, obtenir son plein effet 44.

En somme, la mission de l’Eglise est unique et tous, pasteurs et fidèles


laïcs, ont des responsabilités partagées et sont appelés une synergie pastorale pour
la construction du Royaume. Les appels incessants de synodalité prennent leurs
sens dans cette coresponsabilité ecclésiale. Il y va de l’avenir de l’Eglise et pour la

42
LG 31
43
Ibidem
44
AA 10

14
plus grande gloire de Dieu. Ici, les réticences et les peurs constituent un blocage à
l’action de l’Esprit.

L’Eglise est par essence missionnaire même si elle d’abord communion. Et


cette mission n’est visible que dans la communion de tous ses membres ainsi que
le rappelle cette Exhortation Apostolique « les pasteurs, en conséquence, doivent
reconnaitre et promouvoir les ministères, les offices et les fonctions des fidèles
laïcs, offices et fonctions qui ont leur fondement dans le Baptême, dans la
Confirmation et de plus pour beaucoup d’entre eux, dans le mariage »45. Ce rappel
est en même temps un appel à la collaboration qui manifeste visiblement la
communion ecclésiale. Il y a certainement des distinctions dans les charges selon
la condition de chaque fidèle mais une commune responsabilité : la
coresponsabilité baptismale.

III-QUELS MINISTERES POUR LES LAICS AUJOURD’HUI ?

Pour arriver à comprendre clairement ce problème, il nous faudra rentrer


dans les sources scripturaires. Et dans notre contexte, la première Epitre aux
Corinthiens est fort évocateur lorsque saint Paul parle en ces termes : « Vous êtes
le Corps du Christ et vous êtes ses membres chacun pour sa part » (1Co 12, 27).
C’est dire que tous sont dans la communauté ecclésiale, tous sont en situation de
service et selon la particularité des fonctions de chacun. En effet, comme le
souligne Jean Rigal, « toute la communauté chrétienne est en situation de service
et de mission. Le ministère de l’Eglise est porté par tous les chrétiens »46.

De fait, le mot ministère lui-même rentre dans le cadre global de la


mission de l’Eglise. Ce terme revient alors à souligner fondamentalement la
responsabilité de tous les baptisés dans l’unique mission de l’Eglise 47. Dans ce
sens, les fidèles laïcs sont appelés à participer à la mission du salut du Christ
confiée à l’Eglise. Il est vrai que lorsqu’on parle des ministères dans l’Eglise, on
45
CL 23
46
RIGAL J., L’Eglise en chantier, Cerf, Paris, 1994, p. 141
47
Cf. Ibidem, 142

15
se représente d’abord le ministère ordonné. Certes, dans ce cas précis, les pasteurs
jouent un rôle de guide de la communauté et médiateur mais en fait c’est toute
l’Eglise elle-même qui est en mission. Et précisément le Concile souligne à cote
du ministère ordonné, la présence d’autres ministères « il y a dans l’Eglise
diversité de ministères mais une unité de mission »48. Chacun selon sa catégorie
exerce un ministère dans la communauté.

Dans notre contexte, le cas des laïcs nous interpelle précisément au regard
de toutes les revendications et les appels à la reconnaissance de ce qui convient
d’appeler « ministères laïcs ». Avant d’entrer dans les considérations
profondément théologiques, il faudra préciser que les baptisés sont tous appelés à
œuvrer pour la vie de l’Eglise et le sacrement de Baptême est de confirmation les
constituent déjà comme ministres du sacerdoce universel. Et comme tels, ils
doivent se sentir en situation de mission et coresponsables avec les autres
ministres de la vie ecclésiale.

En empruntant au cheminement ecclésiologique de Rigal sur les modèles


ecclésiologiques des ministères, nous pouvons mieux nous situer 49. Il part du
modèle linéaire dans lequel les ministres ordonnés sont investis des pouvoirs de
supériorité, une figure de type pyramidale et sacramentelle qui enlève aux autres
baptisés la possibilité d’exercer leur ministère baptismal, ils sont récepteurs des
grâces et des décisions des pasteurs. Tout à côté, il y a ces ministères qui
proviennent de la catégorie de Peuple de Dieu donc, une sorte d’émanation de la
communauté. Dans ces deux cas, les ministres étaient soit des médiateurs soit des
délégués de la communauté.

Un second modèle est celui dit dualiste, qui crée cette crise entre les
prêtres et les fidèles laïcs aujourd’hui. Simplement la répartition des
responsabilités et des taches a été mal vécu. D’une part on reconnait aux ministres
ordonnés la responsabilité de la vie spirituelle et pastorale et aux fidèles laïcs, la
responsabilité de la vie séculière. Cependant, pour rétablir un équilibre et une voie
raisonnable, il a fallu reconsidérer la communauté ecclésiale comme point de
départ de cette mission. Ainsi, en paraphrasant le Concile, Rigal dit « Le laïc
48
AA 2
49
Cf. RIGAL J., Découvrir les ministères, op. cit. p. 138

16
exerce pour sa part, dans l’Eglise et dans le monde, la mission qui est celle de
toute l’Eglise. La vocation séculière n’est pour personne, une exclusivité »50.

Enfin le modèle communionnel. Ce modèle selon les termes de Rigal,


dépasse les deux premières réalités et engage à une dimension communautaire.
Dans ce sens, les responsabilités sont partagées à l’intérieur de l’Eglise. La voie
s’ouvre à une perspective charismatique. Mais toujours avec une référence à la
hiérarchie mais chaque baptisé, agissant selon sa condition. A cet effet, Rigal cite
l’épître aux Ephésiens qui rend bien compte de cette réalité charismatique et
sacramentelle :

c’est Lui (Le Christ) qui a donné certains comme apôtres, d’autres
comme prophètes, d’autres comme évangélistes, d’autres enfin comme
pasteurs et chargés de l’enseignement, afin de mettre les saints en état
d’accomplir le ministère pour bâtir le Corps du Christ…Et c’est de lui que le
Corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les articulations qui le
desservent, selon une activité repartie à la mesure de chacun, réalise sa
propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour ( Ep 4, 11-
12.16).

C’est dire que la mission de l’Eglise incombe à tout le Peuple de Dieu, à


chaque baptisé. L’annonce de l’Evangile est de la responsabilité de tous les
baptisés. Cette responsabilité est constitutive de toute vocation baptismale.

Aujourd’hui on peut constater dans plusieurs pays du monde, des secteurs


de la vie ecclésiale qui sont animés par des fidèles laïcs tels que : la catéchèse,
l’animation liturgique, les aumôneries, la préparation aux sacrements d’initiation
chrétienne, l’accompagnement des malades, l’animation des groupes de prière et
des associations chrétiennes. Ils sont autant de pôles d’action pastorale dans la
communauté ecclésiale ou les fidèles laïcs vivent leur foi, manifestent leur charité
et transmettent l’Esperance, qui constituent également les lieux d’annonce de la
Bonne Nouvelle. A coté de ces secteurs, il y existe des services qui relèvent
proprement de la charge pastorale. Cependant, de telles charges demandent une
certaine investiture ou un mandat de la hiérarchie. D’ailleurs, dans l’ecclésiologie
de communion, l’expression responsabilité différenciée a ici tout son sens. En
50
Ibidem, p.140

17
effet, il signifie que tous sont responsables dans l’Eglise mais pas au même titre,
mais chacun selon son état51. C’est selon les mots de Rigal, une sorte de
communion missionnaire dans laquelle chacun exerce un ministère selon la nature
de sa vocation mais collaborant pour l’édification du Corps du Christ52.

On le soulignait déjà plus haut dans le cadre de l’exercice des charges


pastorales qui intègrent les fidèles laïcs. La mission se reçoit du Christ et s’exerce
pour le salut des hommes. Et de façon sacramentelle, les ministres ordonnés, par
leur ordination ont reçu de façon officielle ce mandat pour représenter
sacramentellement le Christ dans la vie de l’Eglise. Et donc, les fidèles laïcs, qui
sont associés directement à leur ministère pastoral, doivent jouir d’une
reconnaissance officielle et légitime de la part de la hiérarchie. Non pas pour une
substitution mais pour une collaboration et dans l’esprit synodal pour l’unique
mission ecclésiale. Tout a son fondement dans les sacrements et le pouvoir est
reçu du Christ et confirmé par l’Eglise, il ne relève pas de la souveraineté du
peuple, pas plus qu’il ne tient sa raison d’être d’une capacite personnelle : « c’est
dans les sacrements d’initiation chrétienne qu’un laïc trouve la justification la plus
fondamentale de ses responsabilités dans la communauté et de son pouvoir
ecclésial »53.

Au demeurant, il s’agit de la mission de l’Eglise comme finalité. Et Rigal


le rappelle en ces termes : « la collaboration des chrétiens repose d’abord sur la
reconnaissance mutuelle et le respect des vocations et des fonctions différentes
mais pour le service d’une mission commune »54. Dans cette veine, on appelle au
sens de l’Eglise pour éviter des écueils provenant de l’esprit de compétition qui
n’est surement pas un esprit synodal que nous appelons de tous nos vœux. C’est
plutôt la dynamique de partenariat qui donnera toute sa valeur au concept de
synodalité recherché.

Il nous faut mettre tout en œuvre pour que la vie et la mission de


l’Eglise reposent sur la responsabilité des baptisés. C’est en prenant au
sérieux cette responsabilité commune que nous pouvons le mieux faire

51
Cf. RIGAL J., Horizons nouveaux, Cerf, Paris, 1999, p. 18
52
Cf. Idem
53
Ibidem, p. 91
54
RIGAL J., Horizons nouveaux, op. cit. p. 94

18
apparaitre la spécificité du ministère des prêtres, sur le plan théologique et
sur le plan pastoral, et que nos efforts pour éveiller, préparer, appeler,
ordonner des prêtres auront un écho dans le peuple chrétien 55.

Mais qu’est ce que la charge pastorale ? Il s’agit en effet, de celle de la


paroisse même si celle-ci est d’abord et surtout confiée au curé. En la matière, le
Code de droit canonique désigne les curés comme étant des titulaires de la charge
paroissiale avec « cura animarum », charge d’âmes. Emile Jombart en donne
d’ailleurs une définition assez claire :

Par charge d’âmes, (cura animarum), on entend, en droit canonique,


l’obligation de justice pour certains prêtres, en vertu de leurs offices,
d’administrer les secours religieux (sacrements, offices divins, catéchisme et
prédication, sépulture ecclésiastique …) à des groupes déterminés de fidèles.
La charité demande à tout fidèle, à fortiori à tout prêtre, d’aider d’autres
âmes à faire leur salut et à se sanctifier ; mais les titulaires de certains offices
ecclésiastiques ont des devoirs de justice, à l’égard d’âmes qui leur sont
spécialement confiées et au sujet desquelles ils encourent une grave
responsabilité 56.

On voit bien que notre auteur distingue soigneusement d’une part,


l’obligation de justice pour les ministres ordonnés en vertu de leur ordination
sacramentelle ou de leur mission et d’autre part, l’obligation de charité de tous les
fidèles en vertu de leur baptême. Bien sûr, cette définition s’entend au sens large
de sollicitude pour autrui et l’attention portée aux personnes. Cette prise en charge
des gens et le soin des âmes, revient évidemment à tous les fidèles, les uns à
l’égard des autres et qui plus est, envers tout le genre humain en vertu de leur
baptême et leurs charismes propres57.

Evidemment que cette charge est surtout celle des pasteurs selon le can.
145, cependant, les fidèles laïcs le font au nom de leur dignité baptismale, les
pasteurs le font au nom de l’Eglise. En réalité, il est à noter tout de suite que selon

55
ASSEMBLEE EPISCOPALE DE LOURDE 1973
56
JOMBART E., “Charge d’âmes” in Catholicisme 2, Col. 953-954
57
Cf. BORRAS A., Communion ecclésiale et synodalité, Cahiers de la Novelle Revue de Théologie,
Paris, 2022, p. 116

19
une note juridique et sacramentelle, la charge pastorale ne se partage pas,
contrairement au langage commun. C’est une charge dont le curé seul est le
titulaire et les autres fidèles laïcs, en raison de leur foi et en vertu de leur baptême,
peuvent participer à l’exercice de celle-ci. Alphonse Borras en donne le contenu
en ces termes :

Au sein de l’équipe pastorale, ce qui réunit le curé et les autres


fidèles, c’est la conduite pastorale à laquelle le premier prend part en vertu
de son ordination sacramentelle et les autres participent en fonction de leur
idonéité et à base de l’appel de l’autorité compétente. Cette distinction
honore l’originalité presbytérale et valorise à la fois le ministère confié à
d’autres baptisés. Par ailleurs, ensemble, curé et équipe pastorale se
concertent avec le conseil pastoral, instance synodale qui reflète la
coresponsabilité baptismale de « tous » et lui donne une figure
institutionnelle 58.

CONCLUSION

Notre recherche sur le lien ecclésial nous montre en définitive que nul n’est
indispensable dans l’Eglise. Les divers ministères et leur harmonie constituent en
fait, la communion de la communauté. La vie de l’Eglise tient de la communion
de ses fidèles, laïcs et clercs, tous sont ordonnés au service de la communauté des
frères. Tous en en effet sont coresponsables de la vie ecclésiale. C’est le baptême
qui donne à tous les droits et les devoirs d’exercer une responsabilité même si
cette coresponsabilité varie selon les conditions particulières de chaque baptisé.

Nous le disions déjà plus haut, c’est toute l’Eglise qui est ministérielle, c’est-à-
dire, en service, en mission. Et cette mission découle de notre baptême. Elle est
celle du Peuple de Dieu tout entier. Le mandat d’annoncer la Bonne Nouvelle
incombe à tous les baptisés. Cependant, à certains membres de l’Eglise, il a été
donné la charge de prendre soin de ce Peuple. Toutefois, pour que cette mission
soit fructueuse, il est important de construire un ministère relationnel qui lui
ouvrira la porte au dialogue. C’est d’ailleurs ce que le prochain synode appelle de
tous ses vœux : la culture du dialogue qui est l’âme de la synodalité. Et pourtant,
58
BORRAS A., Communion ecclésiale et synodalité, op. cit. p. 129

20
si l’on parle de synodalité, c’est qu’on convoque l’idée que l’on chemine
ensemble dans le sens de l’accueil et de l’ouverture : c’est un chemin de
conversion. Nous sortirons de cet affront malheureux laïcs-clercs, nous entrerons
dans la dynamique d’une communion missionnaire.

La coresponsabilité baptismale nous met sur un chemin de partenariat dans


l’unique mission de l’Eglise. Puisque c’est l’unique Esprit qui concède des dons
pour le bien de tous, c’est en effet ce même Esprit qui est le principe de la
mission. Or, cet Esprit donne une grâce particulière à chacun pour un projet
commun, il est donc impossible que la diversité des charismes et des ministères
soit un obstacle pour la vie de l’Eglise.

En fait, les laïcs ne sont pas opposés à l’autorité ecclésiale, mais à la manière donc
cette autorité est exercée. Ils ont juste besoin d’une reconnaissance et d’ouverture
et d’accueil. A côté du ministère ordonné, les autres formes ministérielles doivent
être valorisées et reconnues et même accueillies. Toutes ces formes nouvelles
participent avec le ministère ordonné, à la mission que le Christ a confiée à son
Eglise. Le succès dans cette mission passera inéluctablement par la collaboration
et le respect des vocations. Alphonse Borras fit cet appel en ces termes :

les laïcs, dont le pôle spécifique, mais non exclusif, la sécularité, rappelle à
tous l’engagement de l’Eglise dans l’histoire des hommes ; les fidèles
engagés dans la vie consacrée dont le pole spécifique rappelle à toute
l’Eglise l’urgence du Royaume et la radicalité de l’Evangile ; et enfin, les
ministres de l’Eglise et par excellence ceux qui ont été ordonnés au ministère
apostolique, dont le pole spécifique est le service de l’Eglise, signifiant de
manière éminente par l’ordination qu’elle se reçoit de Dieu 59.

La coresponsabilité appelle à un respect mutuel des vocations, à une action


commune, c’est une dynamique de collaboration qui renouvelle la figure de
l’Eglise. Bien sur que cela ne va pas sans heurts. Il est en ce cas urgent de penser
avec discernement et franchise, à la répartition des taches pour éviter les conflits
de pouvoirs et des rapports de force. « Nous sommes associés pour la même

59
BORRAS A., Communautés paroissiales, Cerf, Paris, 1996, p. 239

21
construction, et si nous avons à nous accueillir les uns les autres, c’est non
seulement parce que nous sommes frères dans le Christ, mais parce que « nous
travaillons ensemble à l’œuvre de Dieu » (1Co 3, 9) »60. C’est une véritable
conversion à laquelle l’Eglise est appelée pour témoigner pleinement du Christ.

60
RIGAL J., Horizons nouveaux pour l’Eglise, op. cit. p. 95

22

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