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Herméneutique et vérité. Des énoncés dogmatiques en contexte


œcuménique. Démarches catholiques actuelles
par Hervé LEGRAND OP

| Centre Sèvres | Recherches de science religieuse

2006/1 - Tome 94
ISSN 0034-1258 | pages 53 à 76

Pour citer cet article :


— Legrand op H., Herméneutique et vérité. Des énoncés dogmatiques en contexte œcuménique. Démarches
catholiques actuelles, Recherches de science religieuse 2006/1, Tome 94, p. 53-76.

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HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ.
DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES
EN CONTEXTE ŒCUMÉNIQUE
Démarches catholiques actuelles
Hervé LEGRAND op
Institut Catholique de Paris

L e renouveau d’intérêt, parmi les catholiques, pour la réflexion sur le


phénomène de la dogmatisation est aisément compréhensible. Cer-
tes, le choc que fut, à l’époque moderniste, la prise de conscience de la
réelle historicité des dogmes, s’est atténué. Des herméneutiques instau-
ratrices, développées dans de grandes œuvres comme celles de Gadamer
et de Ricœur, ont été bénéfiques pour l’interprétation du fait religieux ;
mais moins pour celle des dogmes, trop liés au destin de la raison
spéculative. Déjà miné par l’historicisation, le statut des dogmes subit
désormais une érosion provenant des différentes sociologies de la
connaissance et, plus encore, du « tournant linguistique » de la philoso-
phie 1.
L’œcuméniste catholique ne peut ignorer ces questionnements relatifs
à la genèse, à la portée et aux fonctions des dogmes, mais il ne les prend
pas en charge directement 2. Sa tâche est de participer à la guérison des
ruptures survenues dans la communion ecclésiale ; elle le met au contact

1. Bien que datant de plus de vingt ans, on trouvera une très bonne illustration
des conséquences du linguistic turn pour la théologie dans la réflexion de
G. LINDBECK, The Nature of Doctrine. Religion and Theology in a Postliberal Age, West-
minster Press, Philadelphia, 1984, récemment traduite en français : La nature des
doctrines. Religion et théologie à l’âge du post-libéralisme, Van Dieren, Paris, 2003. Pour
une large discussion, œcuménique, de sa pensée, on pourra se référer en français à
M. BOSS, G. EMERY et P. GISEL (éd.), Postlibéralisme ? La théologie de George Lindbeck et
sa réception, Labor et Fides, Genève, 2004.
2. Habituellement il se sentira conforté par des mises au point classiques de
spécialistes de théologie fondamentale et d’histoire des dogmes, comme celles de
K. RAHNER et K. LEHMANN, Mysterium Salutis t. 3, Éditions du Cerf, Paris, 1969,
pp. 183-283.

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des dogmes tels qu’ils furent formulés. Avec leurs anathèmes récipro-
ques, ils ont jadis cristallisé les ruptures de communion et les justifient
encore aujourd’hui. Il doit donc montrer ou bien que ces anathèmes 3 ne
touchaient pas le partenaire visé à l’époque, ou ne le touchent plus, tel
qu’il est devenu aujourd’hui. Aussi recourt-il habituellement à une her-
méneutique bien classique, d’ordre historique et systématique, sans se
confronter directement aux questions de la « post-modernité ».
Néanmoins, même dans ces limites, la démarche œcuménique peut
avoir un réel intérêt réflexif. Dans un paysage caractérisé par la surabon-
dance des théories de l’interprétation et par la misère de sa pratique, elle
est dans l’obligation d’interpréter. Elle ne peut aboutir sans mettre en
évidence la légitimité d’une pluralité théologique, et sans légitimer, par là
même, une certaine relativité des constructions conceptuelles. Elle doit
donc démontrer que pluralité et relativité sont compatibles avec l’inté-
grité de la foi, et même que cette dernière les exige. Quand la frontière
entre relativité et relativisme, entre pluralité et pluralisme apparaît fragile
à beaucoup, un consensus œcuménique doit relever ce défi. S’il y aboutit
de façon répétée, il pourra introduire une action en appel dans le procès
de dogmatisme fait au dogme.
Dans le difficile débat épistémologique actuel sur la dogmatisation et
sur l’interprétation des dogmes, ce bref essai s’abstiendra d’ajouter aux
théorisations existantes, préférant se référer à des interprétations en
cours, privilégiant l’une d’entre elles comme étude de cas, non sans
prendre acte de l’antinomie, souvent vivement perçue, entre la logique
œcuménique, si tard venue à la conscience catholique, et la logique
dogmatique qui a dominé presque toute l’histoire du christianisme
d’Orient et d’Occident.

3. On ne peut définir ici le sens variable du mot anathème dans le langage


conciliaire. Signalons du moins qu’il est admis que la présence d’un anathème
n’équivaut pas à celle d’une hérésie, par exemple dans un concile moderne comme
Trente.
HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 55

I. Épistémologiquement antagoniste de la logique dogmatique,


la logique œcuménique permet de prendre en charge la vérité
avec plus de justesse, et d’arriver à des consensus différenciés

1.1. Par son ouverture très récente à l’œcuménisme, l’Église catholique reconnaît
le besoin qu’elle a des autres chrétiens pour approfondir sa propre foi

L’attitude œcuménique qui va de soi, actuellement, est bien récente


dans l’Église catholique. Au milieu du XXe siècle encore, aux applaudis-
sements presque unanimes des fidèles, le pape Pie XII proclamait solen-
nellement l’Assomption de Marie comme « dogme divinement révé-
lé », [ajoutant :] « par conséquent, que si quelqu’un, ce qu’à Dieu ne
plaise, osait volontairement mettre en doute ce qui a été défini par Nous,
qu’il sache qu’il a totalement abandonné la foi divine et catholique » 4.
En contraste, à peine dix ans plus tard, Vatican II se refusait à toute
condamnation doctrinale, espérant ainsi contribuer à l’unité des chré-
tiens divisés 5. Relativement brusque et radical, — et contraire à la mé-
thode de tous les conciles précédents —, ce changement de logique est
pourtant légitimé au plus haut niveau ; « l’ouverture » fut saluée avec
enthousiasme par l’opinion publique, et acceptée presque sans réserve
par les fidèles.
Si la convocation de Vatican II n’avait pas été prévue, la « conversion »
de l’Église catholique à l’œcuménisme l’avait été encore moins. A la mort
de Pie XII, en 1958, l’œcuménisme ne préoccupait qu’une petite élite
théologique francophone et germanophone 6. Ce pape en était resté aux
refus de Pie XI dénonçant les « panchrétiens » dans l’encyclique Morta-
lium animos (1928), y expliquant pourquoi ni les catholiques, ni a fortiori
le Saint Siège, ne pouvaient « sous aucun prétexte » participer à leur
action. Dans « le retour des dissidents à la seule et véritable Église », dans
son état actuel 7, résidait la solution du problème 8. Fidèle à Pie XI, Pie

4. DENZINGER-HÜNERMANN (désormais DH) 3903-3094.


5. L’Osservatore romano des 26-27 janvier 1959 rapporte comme suit les paroles de
Jean XXIII : « Le concile n’a pas seulement pour but le bien du peuple chrétien [...]
il veut être aussi une invitation aux communautés séparées pour la recherche de
l’Unité ».
6. Cf. pour la francophonie, la remarquable histoire d’E. FOUILLOUX, Les catholi-
ques et l’unité chrétienne du XIXe au XXe siècle. Itinéraires européens d’expression française.
Le Centurion, Paris, 1982.
7. DC 19, 1928, 202 : « [...] le retour des dissidents à la seule et véritable Église du
Christ, qu’ils ont eu jadis le malheur d’abandonner. Le retour, disons-Nous, à la
seule et véritable Église du Christ, comme telle et bien visible à tous les regards ».
56 H. LEGRAND

XII confirme l’interdiction faite « aux laïcs comme aux clercs tant régu-
liers que séculiers » d’assister « aux réunions que l’on appelle œcuméni-
ques [...] sans le consentement préalable du Saint-Siège » 9. Quant au
fond, son encyclique Humani Generis (1950) rappelle : « Le Corps mysti-
que du Christ et l’Église catholique romaine sont une seule et même
réalité » 10. Encore en 1962, en son article 7, le premier schéma de
Vatican II sur l’Église énonce avec la même intransigeance : « L’Église
catholique est le Corps mystique du Christ [...] seule celle qui est catho-
lique romaine a le droit d’être appelée Église » 11.
Pourtant dès 1964, l’introduction du Décret sur l’œcuménisme prend
acte du fait que

Sous l’action de l’Esprit Saint est né un mouvement qui s’amplifie


également de jour en jour chez nos frères séparés en vue de rétablir l’unité
de tous les chrétiens ; [de plus] le Maître des siècles qui poursuit son
dessein de grâce avec sagesse et patience à l’égard des pécheurs que nous
sommes, a commencé, en ces derniers temps, de répandre plus abondam-
ment sur les chrétiens divisés entre eux, l’esprit de repentir et le désir de
l’union, (alors que notre division) est pour le monde un objet de scandale
et fait obstacle à la plus sainte des causes : la prédication de l’Évangile à
toute créature. (UR 1).

En conséquence, Vatican II

exhorte tous les fidèles catholiques à reconnaître les signes des temps et
prendre une part active à l’effort œcuménique [...] où chacun explique à
fond la doctrine de sa communion et montre de façon claire ce qui la
caractérise [pour que] tous acquièrent une connaissance plus véritable, en
même temps qu’une estime plus juste de l’enseignement et de la vie de
chaque communion (UR 4),

Ce dialogue sera mené « d’égal à égal » (UR 9).

8. C’est aussi le message de l’encyclique Rerum orientalium adressée la même


année aux Orientaux : DC 19, 1928, col. 385-396.
9. Monitum de la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office du 5 juin 1948,
DC 45, 1948, col. 810.
10. « unum idemque esse », AAS 42, 1950, 581 ; DC 47, 1950, col. 1161.
11. Acta Synodalia (désormais AS) I, IV, 15. On se rappellera à ce sujet la première
prise de parole sur ce document de la part du Cal Liénart : « Je demande expressé-
ment la suppression de l’art. 7 du ch. I, où l’on équipare de façon absolue l’Église
Catholique et le Corps mystique du Christ, et aussi que l’ensemble du schéma soit
totalement remanié », AS I, IV, 127.
HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 57

La théologie, et les autres disciplines surtout l’histoire, doivent être


enseignées dans un sens oecuménique non pas en termes de polémique
(UR 10). Et « il faudra expliquer la foi catholique de façon plus profonde et
plus droite », et surtout « se rappeler qu’il y a un ordre ou une « hiérar-
chie » des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport
différent avec les fondements de la foi chrétienne (UR 11).

Voici donc un programme spirituel et théologique où l’écoute « sur


pied d’égalité » de l’autre, condamné jusqu’ici comme hérétique, peut
amener la foi catholique à plus de justesse et de profondeur. La « conver-
sion à l’œcuménisme » aura été l’événement majeur de l’Église catholi-
que au XXe siècle, tant elle est grosse des plus grandes promesses théolo-
giques, pastorales et spirituelles, offrant, en tous ces domaines, un
véritable chemin de vérité. C’est ainsi probablement que « Dieu a visité son
peuple ».
Une telle « conversion » n’est pas seulement un « changement de
paradigme théologique », que l’on réduirait à l’abandon du dogme, à
cause de l’inacceptable dogmatisme 12, ou qui pourrait signifier l’absorp-
tion du dialogue œcuménique par le dialogue interreligieux 13. La
conversion qui résulte de la perception de l’antinomie entre les deux
logiques globales, que l’on a décrites comme « dogmatique » et « œcu-
ménique », est indissociablement d’ordre intellectuel et spirituel.

1.2. Tous les chrétiens ont hérité des aspects chrétiennement négatifs des logiques
de dogmatisation

On ne proposera qu’une analyse sommaire de ces aspects négatifs,


familiers aux théologiens ; ils soulignent leurs limites conceptuelles, la
contrainte sociale qui les s’accompagne, et leur trop grande confiance
dans la logique dans le cadre d’une scolastique, éloignée tant de l’Écri-
ture que de la culture.
Les historiens des dogmes du XXe siècle ont montré leurs limites
linguistiques ou conceptuelles, sources de tant de malentendus, à peine

12. Ch. MOREROD a probablement voulu parer à ce danger par le sous-titre de son
ouvrage Tradition et unité des chrétiens : le dogme comme condition de possibilité de
l’œcuménisme, Parole et Silence, Paris, 2005.
13. TILLICH a promu un tel dialogue mais sur le fondement d’une théologie
libérale, cf. C. GEFFRÉ, "Paul Tillich et l’avenir de l’œcuménisme interreligieux",
Revue des sciences philosophiques et théologiques, 77, 1983, 3-22. Le statut épistémologi-
que d’un tel programme ne peut qu’être douteux, si l’on lit G. LINDBECK, cité supra
note 1. H. KÜNG, Le christianisme et les grandes religions du monde, Le Seuil, Paris, 1986,
privilégie aussi l’œcuménisme des religions, mais avec plus de réserves.
58 H. LEGRAND

dissipés de nos jours, qu’il s’agisse des grands conciles christologiques 14,
de la querelle du Filioque, ou des anathèmes échangés au XVIe siècle entre
catholiques et protestants 15.
Au delà de leurs appartenances confessionnelles, ces historiens s’accor-
dent pour constater la promptitude des chrétiens à se condamner les uns
les autres, sans déployer autant d’efforts pour se comprendre vraiment.
Sans juger les acteurs du passé, un chrétien d’aujourd’hui ne peut regarder
cette histoire seulement avec fierté, alors qu’il peut se réjouir qu’on arrive
enfin à se comprendre, condition première pour chercher une réconcilia-
tion dans la vérité.
Un second constat s’impose : ces logiques de dogmatisation ont été
constamment des logiques de contrainte sociale en faveur de l’orthodo-
xie. Le livre XVI du Code de Théodose en a fourni la matrice 16 ; de plus,
en devenant lois d’Empire, les décisions des conciles œcuméniques ac-
quéraient un statut nomocanonique ; de ce fait, sauf durant trois ou
quatre siècles, le christianisme orthodoxe persécutera ou discriminera les
hétérodoxes pendant presque toute son histoire 17, ce qui ne facilite pas
aujourd’hui la confiance que les Églises minoritaires peuvent accorder
aux majoritaires 18.

14. On verra, à titre l’exemple, l’article clair et équilibré de B. SESBOÜÉ, « Le


procès contemporain de Chalcédoine. Bilan et perspectives », Recherches de Science
Religieuse, 65, 1977, 45-80.
15. Voir le travail d’équipe Lehrverurteilungen-kirchentrennend ?, Freiburg-
Göttingen t. I, 1986, t. II, 1989, t. III, 1990, dont seul le premier tome a été traduit en
français Les anathèmes du XVIe siècle sont-ils encore actuels ? Les condamnations du concile
de Trente et des Réformateurs justifient-elles encore la division de nos Églises, Éditions du
Cerf, Paris, 1989. Ce travail habituellement de haute érudition a montré soit que les
anathèmes du passé ne visaient pas adéquatement l’adversaire, soit que celui-ci ne
tombe plus aujourd’hui sous leur condamnation.
16. Le lecteur francophone dispose de deux traductions commentées de cette
œuvre, publiées aux Éditions du Cerf, l’une en 2002, Le Code Théodosien Livre XVI
(Sources canoniques 2), et l’autre en 2005, Code Théodosien XVI (Sources chrétiennes
497).
17. C’est vrai à Byzance avant la conquête turque ; en Russie (persécutions des
Vieux Croyants et intégration de force des uniates dans l’Église orthodoxe par les
tsars) ; dans les pays protestants qui appliquent le principe « cuius regio eius et
religio », dont les traces ont tardé à disparaître (en Suède la loi de pleine liberté
religieuse est adoptée en 1951). En pays latins, les papes Pie XI et Pie XII signeront
des concordats aux clauses discriminatoires pour les non-catholiques, celui avec
l’Espagne n’étant abrogé qu’en 1980.
18. Une anecdote vécue : il y a une dizaine d’années quelques pentecôtistes
italiens refusèrent de se faire photographier avec l’ensemble de la Commission
HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 59

Enfin la dogmatisation a connu une certaine autonomisation ration-


nelle dans l’Église latine, spécialement en mariologie, selon la logique de
la déduction des dogmes 19.
Sous l’influence de différents facteurs, qu’il n’y a pas lieu d’énumérer
ici, cette logique négative de la dogmatisation a laissé la place à une
logique œcuménique qu’il convient de caractériser au moins sommaire-
ment, toujours à partir de l’expérience œcuménique, avant de nous
présenter une étude de cas.

1.3. La logique œcuménique n’a pas seulement changé les cœurs, elle use
d’une nouvelle méthodologie, celle du consensus différencié
Cela se vérifie d’abord avec les non-chalcédoniens. Pie XII, car tout n’a
pas commencé avec Vatican II, a été le premier pape à reconnaître
officiellement le conditionnement linguistique de leurs énoncés christo-
logiques. Dans Sempiternus Rex (1951), il n’attribue qu’un monophysisme
verbal à leurs Églises, ouvrant la voie aux accords christologiques des
années 1970 et suivantes 20. C’est la renonciation à l’uniformité du lan-
gage qui a permis de se retrouver un dans la foi, alors que le langage
unique avait conduit à des condamnations aux conséquences incalcula-
bles, dont nous souffrons encore aujourd’hui 21.

internationale de dialogue catholique-pentecôtiste, tant demeurait vive la blessure


d’avoir vu leurs leaders internés en hôpital psychiatrique comme délirants (ils
parlaient en langues) selon des dispositions qui avaient quelque lien avec le
concordat...Ceux qui s’élèvent contre les demandes de pardon de l’Église catholi-
que, sont-ils véritablement informés ?
19. Ainsi Jean-Paul II a-t-il du récuser une pétition de 1995 (signée par 43 cardi-
naux) en vue de dogmatiser la Corédemption et la Médiation de Marie, et son statut
d’Advocata [paraklètos !], DC 94, 1997, 693-696.
20. Sur ces accords voir F. BOUWEN, « Le consensus christologique entre l’Église
catholique et les Églises orthodoxes orientales », Proche-Orient Chrétien, 43, 1993,
324-353 et « Consensus contemporains en christologie », ibidem, 49,1999, 323-332.
La diversité des conceptualités reconnues légitimes se vérifie aussi dans la Déclara-
tion christologique commune entre l’Église catholique et l’Église assyrienne
d’Orient, DC 91, 1994, 1069-1070.
21. F. BOUWEN se demande si « ces longs siècles de division, de confrontation et
de souffrance [qui en ont été les conséquences] ont été pour rien ? Une question
terrifiante ! [...] Ces divisions ont tragiquement affaibli l’Église chrétienne dans les
régions où elle est née[...] au point même de mettre en danger son avenir. S’il n’y
avait pas eu ces divisions et leurs conséquences, dans les domaines de l’unité, de la
solidarité et du témoignage commun, l’islam n’aurait peut-être jamais connu
l’influence et l’expansion qu’il a maintenant, au Moyen-Orient et ailleurs », « Le
consensus... art. cit. », pp. 324-325.
60 H. LEGRAND

Relativement au Filioque, on se trouve devant un processus analogue de


consensus différencié 22. C’est surtout dans le cadre exceptionnellement
fécond des relations luthéro-catholiques, que ce modèle a été le mieux
testé 23 et qu’il a aussi donné les résultats les plus fructueux puisqu’il a
abouti à la signature par l’Église catholique (et non pas une commission
de théologiens) de la Déclaration commune sur la doctrine de la Justification en
octobre 1999. Elle met un terme à un contentieux de 480 ans qui a
cristallisé la Réforme, et obtient un consensus sur l’articulus stantis vel
cadentis ecclesiae, 24 qui est aussi, en théologie, l’article qui permet de juger
de tous les autres articles 25. Il faut surtout souligner que c’est la méthode
même de ce Consensus qui nous fait sortir du dogmatisme. En effet, avec
des termes différents, des Denkformen divergentes et des accentuations
non identiques, nous ne disons certes pas la même chose, mais la chose
même dont il s’agit, ainsi qu’on le vérifie.
Cela témoigne fondamentalement de la catholicité de notre foi. Une
théologienne anglaise, Daphné Hampson, a critiqué cet Accord, parce
qu’il n’abolissait pas la différence irréductible de Denkformen entre les
partenaires 26. Faudrait-il donc parler le même langage pour partager la
même foi 27 ?

22. Le travail pionnier fut ici celui du russe B. BOLOTOV, paru en allemand :
« Thèses sur le "Filioque" », Revue internationale de Théologie, 6, 1898. 681-712 ; trad.
fr. Istina, 17, 1972, 261-289. Après la Clarification du Conseil pontifical pour la
promotion de l’unité des chrétiens, DC 92, 1995, 941-945, il convient de lire en
priorité Le Filioque : une question qui divise l’Église ? Déclaration de la Commission
théologique orthodoxe-catholique d’Amérique du Nord. St Paul’s College,
Washington, DC le 25 octobre 2003, Irénikon, 77, 2004, 69-100.
23. Quiconque insinuerait que le dialogue mené selon le modèle du consensus
différencié permettrait à chacune des parties d’y retrouver l’expression inchangée
de sa propre position, pourrait se convaincre aisément du contraire en lisant le
document de la Commission internationale luthéro-catholique, Église et justification.
La compréhension de l’Église à la lumière de la justification, DC 91, 1994, 810-858.
24. WA 40, III, 352, 2.
25. WA 39, I, 205, 2-3.
26. D. HAMPSON, Christian Contradictions. The Structures of Lutheran and Catholic
Thought, Cambridge 2001.
27. Sur le consensus différencié on pourra voir H. LEGRAND, « Le consensus
différencié sur la doctrine de la Justification (Augsbourg 1999). Quelques remar-
ques sur la nouveauté d’une méthode », Nouvelle Revue Théologique, 124, 2002, 30-56,
et en plus technique : « La légitimité d’une pluralité de formes de pensée (Denkfor-
men) en dogmatique catholique. Retour sur la thèse d’un précurseur O.H. PESCH »,
Mélanges Doré, Desclée, Paris, 2002, pp. 685-704.
HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 61

Bien des réflexions épistémologiques 28 qui se développeront encore


ont accompagné l’événement. Dans cet essai, pour se concentrer sur le
terrain œcuménique, on préfère se livrer à une étude de cas sur une
réinterprétation en cours.

II. Une étude de cas : la réinterprétation catholique des dogmes


de Vatican I et ses règles dans le dialogue en cours avec l’Église
orthodoxe.
Le dialogue entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe, interrompu
depuis 1993 29, mais qui tient particulièrement à cœur à Benoît XVI,
reprendra en Serbie en novembre 2006. Il aura pour thème central la
primauté romaine, autant dire l’interprétation des dogmes de Vatican I.
Déjà le Cardinal W. Kasper, Président du Conseil pontifical pour l’unité
des Chrétiens, a exposé publiquement les principes herméneutiques qui
guideront la délégation catholique dans l’interprétation autorisée de ses
propres dogmes ; le véritable travail œcuménique commençant « à la
maison ». Un tel dialogue sera difficile : l’Église catholique est dogmati-
quement liée aux définitions de Vatican I, confirmées à Vatican II, et les
Églises orthodoxes, de leur côté, ont déjà rejeté ces dogmes. De notre
côté, une relecture de la doctrine définie à Vatican I s’impose. Elle sera
guidée par les principes de réinterprétation que le Cal Kasper prône à cet
effet, et qui nous paraissent pleins de promesses 30.

28. Pour compléter les références de la note précédente, on lira particulièrement


le collectif rassemblé par H. WAGNER (Hrsg.), Einheit- aber wie ? Zur Tragfähigkeit der
ökumenischen Formel vom « differenzierten Konsens », (QD 184), Herder, 2000, notam-
ment M. STRIET ; on pourra aussi comprendre le consensus différencié sans néces-
sairement recourir à la catégorie de complémentarité, comme le fait L. ULLRICH.
29. Pour des raisons complexes, malgré une tentative malheureuse à Baltimore
en 2000, la Commission ne s’est plus réunie depuis sa session de Balamand, en 1993,
où la partie catholique a reconnu que l’uniatisme n’était acceptable ni comme but
ni comme méthode, parce que l’Église catholique et l’Église orthodoxe se considé-
raient désormais comme des Églises sœurs [Sur la portée historique de cette
Déclaration, on verra le volume de la Commission mixte catholique orthodoxe en
France, Les enjeux de l’uniatisme, dans le sillage de Balamand, Éditions du Cerf, Paris,
2003, où l’on trouvera notre propre contribution « L’ecclésiologie des Églises
sœurs, clé de la Déclaration de Balamand, a-t-elle plein droit de cité dans l’Église
catholique ? », pp. 357-400].
30. Son dernier exposé sur le sujet, fait à Rome le 3 décembre 2005 au colloque
sur « Episkopos-Episcopè », que nous avons co-organisé, ne sera publié que dans
quelques mois (dans The Jurist, Washington, et dans Studi ecumenici, Venise). On
62 H. LEGRAND

Relecture et re-réception ne pouvant signifier escamotage, il s’agira


d’interpréter l’enseignement de Vatican I selon les règles herméneuti-
ques communément admises. Certes les dogmes doivent être compris
dans le sens même où l’Église les a définis 31, mais cela n’implique pas un
respect fondamentaliste, peu rationnel de leur formulation, car juste-
ment selon Vatican I, la foi et sa compréhension sont indissociables 32 ; de
plus la doctrine catholique peut reconnaître un approfondissement pro-
gressif de la vérité révélée une fois pour toutes 33. Les dogmes ont une
histoire, celle de leur compréhension et de leur interprétation. Il n’est
donc pas surprenant que J. Ratzinger ait parlé de la nécessité d’une
relecture du concile Vatican I 34, et Yves Congar, et d’autres, d’une
re-réception de ce même concile 35.
Le concept de réception, souvent négligé dans le passé, est fondamen-
tal pour la théologie catholique, surtout pour la théologie œcuménique
et pour l’herméneutique des dogmes 36. Réception et re-réception sont
des processus d’appropriation vivants et créatifs, faisant partie de l’inter-
prétation. Pour relire les dogmes de la primauté et de l’infaillibilité du
pape on retiendra quatre règles, particulièrement pertinentes pour cela.

suivra donc le texte, inédit en français, de sa contribution au Symposium scientifi-


que, organisé par le Conseil Pontifical pour l’Unité avec des invités officiels des
principales Églises autocéphales, intitulée « Introduzione al tema ed ermeneutica
cattolica dei dogmi del concilio Vaticano I », dans Il ministero petrino. Cattolici e
ortodossi in dialogo, Città Nuova, Rome, 2004, pp. 11-28 : sur de très nombreux
points, il y devance, quelquefois littéralement, l’exposé de décembre 2005. Sélec-
tions et paraphrases sont de notre seule responsabilité.
31. Vatican I, Pastor aeternus : « Le sens des dogmes doit être conservé à perpétuité, tel
qu’il a été déclaré par l’Église, et il n’est pas loisible de s’en écarter sous le prétexte ou
au nom d’une compréhension plus poussée », DH 3020 ; voir aussi DH 3043.
32. Ibidem : « il ne peut jamais y avoir de vrai désaccord entre la foi et la raison »,
DH 3017.
33. Vatican II, Dei Verbum 8 : « sous l’assistance du Saint-Esprit, la perception des
réalités aussi bien que des paroles transmises se développe ».
34. Voir ce développement consacré à la relecture de Vatican I dans Le nouveau
peuple de Dieu, Aubier, Paris, 1971, pp. 64-67.
35. Y. CONGAR, Diversités et communion, Éditions du Cerf, Paris, 1982.
36. Cf. Y. CONGAR, « La réception comme réalité ecclésiologique », Revue des
sciences philosophiques et théologiques, 56, 1972, 369-403 ; A. GRILLMEIER, « Konzil und
Rezeption », Theologie und Philosophie, 45, 1970, 321-352 ; G. ROUTHIER, La réception
d’un concile, Éditions du Cerf, Paris, 1993.
HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 63

Première règle : relire et recevoir à nouveau les définitions relatives au ministère


pétrinien en intégrant la primauté dans le contexte global de la théologie de l’Église.
Cette règle a été formulée par Vatican I lui-même quand il affirme que
les mystères de la foi doivent être interprétés « e mysteriorum ipsorum nexu
inter se », c’est-à-dire selon la logique interne dont ils tirent leur cohé-
rence 37, ce que Vatican II a exprimé par la doctrine de la hiérarchie des
vérités 38. Aucun dogme ne doit donc être interprété isolément hors du
cadre global de la doctrine de la foi.
L’appel à une telle intégration se trouve déjà dans le Proemium de Pastor
aeternus, qui finalise d’emblée le primat par l’unité de l’épiscopat et de tous
les fidèles. Citant saint Cyprien : « Ut episcopatus ipse unus et indivisus esset »,
il voit Pierre comme appelé à être un principe perpétuel de l’unité et son
fondement visible. L’unité de l’Église est la raison d’être du ministère de
Pierre et le contexte dans lequel il faut situer sa compréhension.
Perdant ses États dans le contexte de la guerre franco-prussienne, Pie
IX renvoya Vatican I sine die. Il n’avait réussi à définir que la seule
primauté et infaillibilité du pape, sans pouvoir les intégrer dans le
contexte d’ensemble de l’ecclésiologie. Resté incomplet, Vatican I se
prêta à des interprétations unilatérales et déséquilibrées. Pourtant il avait
voulu « confirmer, renforcer et défendre » le pouvoir immédiat et ordi-
naire des évêques 39. En approuvant la Déclaration des évêques allemands
contre la Dépêche de Bismarck, Pie IX lui-même avait défendu la position
de l’évêque comme pasteur de son diocèse 40. Quant à la formule, ordi-
nairement incomprise, selon laquelle le pape est infaillible, « ex sese, non
autem ex consensu Ecclesiae » 41, déjà durant le concile, le rapporteur de la
Commission doctrinale avait confirmé son sens purement juridique : ce
n’est pas parce que ces définitions ne nécessitaient pas de ratification
juridique de la part d’une instance plus élevée 42 que leur infaillibilité en
devenait théogiquement séparée de la foi de l’Église 43.
Vatican II, pour sa part, a poursuivi l’intégration de la primauté dans
l’ensemble de l’ecclésiologie, notamment au sein du collège des évêques.

37. Vatican I, Pastor Aeternus, DH 3016.


38. UR 11 qui exhorte les théologiens « à se rappeler qu’il y a un ordre ou une
"hiérarchie" des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport diffé-
rent avec les fondements de la foi chrétienne »
39. DH 3061.
40. DH 3112-3117.
41. DH 3074
42. Mansi 52, 1317 A-B.
43. Ibidem, 36, CD.
64 H. LEGRAND

Pour cela, il a confirmé, entre autres, l’importance de l’Église locale, du


ministère épiscopal et surtout de la compréhension de l’Église comme
communio, redonnant vie aussi aux éléments synodaux, spécialement à
travers les conférences épiscopales et différents types de synodes.
Mais parce que Vatican II n’a pas réussi à réconcilier pleinement ces
éléments nouveaux, — émergence de la tradition la plus ancienne —, avec
les affirmations de Vatican I, on a pu dire quelquefois qu’il y avait deux
ecclésiologies différentes dans les textes du concile. Les controverses post-
conciliaires à ce sujet ne sont pas encore définitivement tranchées à ce jour.
En ce sens, Vatican II, lui aussi, demeure un concile inachevé. L’intégration
du ministère pétrinien dans l’ensemble de l’ecclésiologie, la relation entre
la dimension universelle et la dimension locale de l’Église, la possibilité
d’appliquer le principe de subsidiarité en ecclésiologie, d’autres questions
encore soulèvent toujours des difficultés théologiques et pratiques, aux-
quelles on n’a pas répondu de façon définitive.

Deuxième règle : relire concile Vatican I à la lumière de toute la tradition, mieux


encore, le resituer dans l’ensemble de la tradition.

Toujours dans le Proemium de Pastor aeternus, Vatican I demande d’inter-


préter ses définitions « selon la foi antique et universelle de l’Église » 44,
exprimée dans les témoignages des « Actes des conciles œcuméniques et
dans les saints canons » 45, vécue dans « l’usage perpétuel des Églises »,
traduite « particulièrement dans les conciles où l’Orient se rencontrait
avec l’Occident, dans l’union de la foi et de la charité » 46. Le concile
Vatican II renforce spécialement ce dernier point car il mentionne la
légitimité des traditions particulières des Églises d’Orient 47 et reconnaît
qu’elles peuvent se gouverner selon leur droit propre 48.
Ce qui était vrai durant le premier millénaire ne peut pas ne pas l’être
durant le second. De ce fait, la tradition la plus ancienne ne peut être
réduite à être la première phase d’un développement postérieur. Il
convient aussi d’interpréter les développements tardifs à la lumière d’une
tradition plus ancienne et plus large. Aussi Vatican I doit-il être situé dans
la ligne des conciles de l’Antiquité. L’ecclésiologie de communion du
premier millénaire, dont Vatican II a réaffirmé la validité, constitue le

44. DH 3052
45. DH 3059
46. DH 3065
47. UR 14
48. UR 16
HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 65

cadre herméneutique de Vatican I. Cette normativité du premier millé-


naire est désormais largement reconnue en théologie catholique 49. Cer-
tes l’histoire ne retourne pas en arrière : d’ailleurs l’Orient a aussi évolué
pendant le second millénaire ; l’empereur, qui rendait possible le concile
œcuménique disparaît, et l’Église éclate en autocéphalies nationales. On
devrait pourtant arriver, au IIIe millénaire, à un exercice diversifié de la
primauté romaine, comme c’était, du reste, le cas au premier millénaire.

Troisième règle : historiciser l’interprétation de Vatican I

Comme pour tous les dogmes, il faut aussi pour ceux de Vatican I
distinguer entre leur contenu, immuable et normatif, et leur forme,
historique et changeante. Vatican II a exprimé clairement ce principe :
« ... Autre est le dépôt ou la vérité de la foi, autre est le mode de son
énonciation... » 50. On ne saurait donc considérer les formulations de
Vatican I comme l’unique expression possible, ni de la forme concrète du
ministère pétrinien ni de sa normativité permanente.
Les Pères de Vatican I ont vécu dans des conditions historiques bien
précises qui les ont conduits aux formulations que nous connaissons. La
plupart d’entre eux voyaient l’Église assiégée de tous côtés, dans une
situation presque apocalyptique. Traumatisés par les Lumières, par la
Révolution française, par l’absolutisme des États modernes, par le gallica-
nisme et l’épiscopalisme, ils voulaient absolument sauvegarder les capaci-
tés d’action du pape dans des situations extrêmes. Dans ce but, ils recou-
rurent au concept moderne de souveraineté absolue pour définir sa
primauté. Ainsi, même empêché de communiquer avec l’Église, il serait
toujours en mesure d’agir. Leurs affirmations sur la primauté furent donc
conçues tout exprès pour des situations extrêmes et exceptionnelles.

49. On ne le doit pas en dernier lieu à J. RATZINGER qui a écrit : « Rome ne peut
exiger de l’Orient en ce qui concerne la doctrine de la primauté plus qu’il n’a été
formulé et vécu durant le premier millénaire » Theologische Prinzipienlehre, Mün-
chen, 1982, p. 209 (tr. fr., Les principes de la théologie catholique, Paris, 1985, p. 222).
Bien d’autres avaient la même conviction, comme L. BOUYER, « Réflexions sur le
rétablissement possible de la communion entre les Églises orthodoxe et catholique.
Perspectives actuelles », Istina 20, 1975, 112-115. Depuis, J. RATZINGER a précisé que
le théologien catholique ne peut refuser « que les décisions dogmatiques postérieu-
res aux séparations puissent être objet de dialogue ; sinon on se réfugierait dans
l’irréel : on doit s’y refuser fermement », Église, œcuménisme et politique, Fayard, Paris,
1987, p. 115 (notre traduction).
50. Gaudium et Spes 62 ; Mysterium Fidei y fait écho (DH 4539).
66 H. LEGRAND

Pourtant même pour Vatican I, comprendre la primauté en termes de


souveraineté ne signifiait pas accorder au pape un pouvoir illimité, car il
est limité de bien des façons : par la révélation elle-même, par la tradition
normative, par la structure sacramentelle, par la constitution épiscopale
de l’Église, et par les droits humains provenant de Dieu. C’est donc moins
le dogme de Vatican I, en tant que tel, qui pose problème que son
interprétation maximaliste, tant par ses défenseurs que par ses détrac-
teurs. Ce qui avait été pensé en fonction d’une situation exceptionnelle
s’est vu transformer en norme ordinaire de la vie ecclésiale. J. Ratzinger
avait donc raison : « L’image d’un État centralisé que l’Église donnait
d’elle-même jusqu’à Vatican II ne dérive pas directement du ministère
pétrinien. Le droit canon unitaire, la liturgie unitaire, la provision des
sièges épiscopaux à partir du pouvoir central romain ne sont pas des
prérogatives nécessaires de la primauté en tant que telle » 51.
La signification essentielle et normative de la primauté de juridiction,
— à savoir que le pape doit être libre d’agir quand les nécessités spécifi-
ques et changeantes de l’Église le demandent — doit absolument être
distinguée des formes historiques concrètes qu’elle a pu revêtir. C’est en
ce sens que Jean-Paul II parle, dans Ut Unum Sint 95, de la nécessité de
trouver des modes d’exercice de la primauté adaptés à la situation
œcuménique d’aujourd’hui.

Quatrième règle : interpréter le ministère pétrinien à la lumière de l’Évangile.


Les catholiques font leur la règle, qui a été spécialement soulignée dans
le dialogue avec les Luthériens, que dans l’Église doit valoir ce qui est
fondé dans l’Évangile, et non ce qui provient de traditions humaines.
Pour la foi catholique, la primauté se fonde sur le témoignage biblique
et en dernière analyse en Jésus Christ lui-même. Elle ne se réfère pas
seulement aux textes pétriniens du Nouveau Testament (comme Mt 16,
18 s. Lc 2, 32 ; Jn 21, 15-17), mais au fait que Jésus a donné à Simon le nom
de Képhas (Jn 1, 42), qui signifie pierre, et qu’il a ainsi expliqué sa
fonction dans l’Église. Elle se réfère aussi au rôle privilégié de Pierre
parmi les Douze ; il est leur porte-parole et leur représentant, le leader de
la première communauté à Jérusalem. Enfin toute une tradition biblique
(spécialement 1 et 2 P.), postérieure à la vie terrestre de Pierre, témoigne
de son rôle dans la tradition post-apostolique.
Toutefois l’argumentation théologique dépasse l’exégèse scientifique,
car elle ne sépare pas l’Écriture de la tradition vivante. L’attention renou-

51. J. RATZINGER, Le nouveau peuple de Dieu, op. cit. p. 68.


HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 67

velée à la Bible a déjà permis de changer le vocabulaire usuel : « papauté »


et « ministère papal » ont cédé la place à « ministère pétrinien » et « service
pétrinien ». S’agissant du ministère de Pierre, on signifie ainsi que l’Évan-
gile est toujours là pour dépasser les lourdeurs héritées de l’histoire. Au
plan théologique, les formulations juridiques du ministère de Pierre de-
vraient être interprétées dans la catégorie de l’épiscopè, ce qui correspon-
drait bien aux intentions exprimées par le Proemium de Vatican I, reprises
par Vatican II. De la même manière, Jean-Paul II situe, dans Ut Unum Sint,
les expressions juridiques de la papauté dans un contexte biblique et
théologique d’évidente valeur œcuménique.
Cette compréhension pastorale du ministère de Pierre comme épiscopè
n’exclut pas qu’il soit doté d’autorité au sens biblique d’exousia, car la
responsabilité pastorale privée des moyens de son exercice ne serait de
nulle aide pour l’Église, justement dans les situations où elle en aurait le
plus grand besoin. La bonne question est de se demander comment le
service d’épiscopè, peut se réaliser avec exousia, dans l’esprit de l’Évangile.
Cette question concerne nos deux traditions ecclésiologiques, même si
c’est de façon différente.
Selon le Cal W. Kasper, les quatre règles herméneutiques, décrites
ci-dessus, permettraient de préserver l’essence immuable et normative du
ministère pétrinien, tout en ouvrant de nouvelles voies à explorer ensem-
ble. Ces voies ne pourront porter de fruit œcuménique que si l’on poursuit,
au sein de l’Église catholique, un même cheminement théologique et
spirituel. Alors le ministère pétrinien pourra à nouveau assumer une forme
reconnue en Orient et en Occident, comme ce fut le cas durant le premier
millénaire, s’y exerçant de manière différente, parce qu’à nouveau l’unité
sera vécue dans la diversité et la diversité dans l’unité.
Résumons. On n’a pas hésité à exposer longuement les principes hermé-
neutiques qui présideront à l’interprétation des dogmes de Vatican I, car ils
proviennent non d’un théologien privé, mais d’un cardinal de Curie
s’exprimant ex officio. Sans doute même un peu plus qu’ex officio, puisqu’on
y décèle des vues que le prof. Ratzinger avait lui-même proposées sur ce
dossier 52. Cela étant, quelques commentaires peuvent être proposés :
1) Les principes herméneutiques exposés ci-dessus ont désormais ouver-
tement cours au Saint Siège ; c’est d’autant plus remarquable qu’il en va de
la façon dont il veut qu’on comprenne son autorité. On n’est plus au

52. On n’y retrouve naturellement aucun écho d’un débat dont K. MCDONNELL
a donné un bon résumé dans « The Ratzinger/Kasper Debate : The Universal
Church and Local Churches », Theological Studies, 63, 2002, 227-250].
68 H. LEGRAND

registre des abondantes théories élaborées par les théologiens au sujet de


l’herméneutique des dogmes, mais on est proche d’une relecture effective.
Même si beaucoup de temps était requis pour cette relecture dans le
dialogue avec l’Église orthodoxe, ce qui est probable, un point très impor-
tant semble acquis : le magistère lui-même attend que l’on applique à ses
propres énoncés l’équivalent de la méthode historico-critique en usage
dans l’exégèse de l’Écriture sainte depuis trois générations.
2) Les recherches des théologiens ont donc produit des effets pratiques
au sein de l’Église catholique. Une dynamique nouvelle préside à l’appro-
che des dogmes : la différence de tonalité en ce domaine est très nette
entre le Cal Bea et son successeur actuel, quarante ans plus tard. Pour le
premier, parce que vrai, le dogme entraîne inévitablement fixité et intran-
sigeance 53. Pour le second, la vérité du dogme ne peut être saisie que si
l’on accepte que ses expressions puissent changer.
3) Selon ces même principes herméneutiques, un consensus différen-
cié est possible, et même nécessaire, sur la papauté. La perception selon
laquelle des langages différents sont possibles sur des réalités de foi
identiques devrait voir s’élargir son droit de cité sous le pontificat de
Benoît XVI, si l’on songe que la signature par l’Église catholique de la
Déclaration d’Augsbourg sur la doctrine de la justification en 1999 aurait
été impossible sans l’aval du Cal Ratzinger, tout comme l’admission à
l’Eucharistie entre l’Église catholique et l’Église assyrienne de l’Orient 54.
4) Une dernière remarque : ces principes herméneutiques pertinents
au sujet des dogmes concernant le ministère pétrinien, ont une validité
plus générale : en régime chrétien, l’herméneutique des dogmes ne peut
relever de la seule raison spéculative. On voudrait conclure la présente

53. Dans un recueil spécifiquement œcuménique Pour l’unité des Chrétiens, Édi-
tions du Cerf, Paris, 1963, après avoir noté qu’il faut « haïr les erreurs et aimer les
errants, [...] (deux) expressions de la même charité » (p.18), le Cal Bea dévoile le
mouvement de sa pensée au sujet du dogme : « il ne peut être question de chercher
un compromis touchant au dogme » (souligné dans l’original) ni « par amour mal
compris [de] donner l’espoir qu’on est prêt à revoir le dogme de la primauté ou de
l’infaillibilité du pape » ; il exclut « le moindre changement, si petit soit-il »
(p.129) ; « Non possumus, la nature même de l’Église s’oppose à toute concession en
matière de doctrine [...] ce qui n’empêche pas de traiter les frères séparés avec
charité et courtoisie » (p.157).
54. On sait, en effet, que l’anaphore principale de cette Église, celle d’Addaï et
Mari, ne comporte pas le récit de l’Institution, cf. DC 94, 2002, 213-214. On sait aussi
que cette décision a soulevé des réserves dans les milieux conservateurs de la Curie,
comme en témoigne le numéro spécial de Divinitas, 1998/3 et 1999, 1-2-3.
HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 69

réflexion sur cette perspective : le dogme atteint l’ensemble de la vie


chrétienne.

III. Textuelle et conceptuelle, l’herméneutique des dogmes se doit


aussi d’inclure leur dimension sociale et communionnelle
Envisager les dogmes sous l’angle œcuménique montre bien que,
malgré son vœu indiscutable de clarté, le phénomène de dogmatisation
n’a jamais réussi, historiquement parlant, à attester de la vérité sans de
multiples ambivalences provenant de sa fonction sociale. Ce constat
implique d’intégrer cette dimension dans l’interprétation : elle dévoilera
l’unité diachroniquement pluriforme de l’Église, légitimant ainsi certai-
nes pluriformités synchroniques.

3.1. L’herméneutique des dogmes ne peut faire l’impasse sur leur rapport
aux sociétés

Les dogmatisations christologiques, premières en date et centrales


pour le christianisme, témoignent de l’exceptionnelle fécondité spécula-
tive de la foi chrétienne. Mais comme on l’a constaté, au nom de la foi,
elles ont procédé d’un même mouvement à des exclusions culturelles
indues, — frontières des schismes et des cultures coïncidant de façon
troublante — : on en connaît les conséquences ; elles sont entrées dans
un engrenage spéculatif qui, à d’autres époques, deviendra stérile (à la
Réforme, au XXe siècle) ; elles seront également instrumentalisées par
une raison d’État qui les associera à une violence contraire au message
même du Christ. Prendre en compte ces complexités, appartient à une
interprétation des dogmes juste et de valeur œcumémique...
A fortiori, les dogmes ecclésiologiques récents, périphériques par rap-
port à l’Ėvangile et spéculativement faibles, doivent être interprétés de la
même manière. Leur vocabulaire exprime clairement une réclamation
de pouvoir relativement au ministère de Pierre : « juridiction univer-
selle » et « infaillibilité », réclamation qui se veut vraie pour tous les
chrétiens, au-delà de l’Église catholique.
Leur interprétation, selon les critères généralement acceptés par les
théologiens catholiques et prônés par le Cal Kasper, soulagera nos parte-
naires orthodoxes, heureux de leur découvrir une plus grande vérité.
Mais cette exégèse textuelle produira peu d’effets, même si, comme c’est
prévu, on leur donne l’assurance que ces dogmes, bien que de foi, ne sont
pas destinés à avoir chez eux les mêmes effets que dans l’Église latine. Une
70 H. LEGRAND

telle relecture convaincra-t-elle, si elle ne s’accompagne pas de notables


révisions au sein de l’Église catholique elle-même ?

3.2. L’herméneutique des dogmes pétriniens est inséparable d’un cahier des charges
catholique

Une fidélité aux dogmes de Vatican I, plus fine historiquement, plus


sophistiquée épistémologiquement, c’est-à-dire consciente des limites du
langage utilisé en même temps que de son ombre portée au plan social, et
même psychologique, une telle fidélité représente avant tout un cahier
des charges catholique. S’il est permis de citer Jn 3, 21 de façon accom-
modatice : seul « celui qui fait la vérité vient à la lumière ». Autrement dit,
sans « faire la vérité » de ces dogmes chez nous, pourrons-nous parvenir à
la lumière à leur sujet avec les orthodoxes ?
Précisons. Historiquement, on semble bien avoir pris le contre-pied de
la citation johannique, comme si nous partagions l’illusion selon laquelle
le progrès moral d’une personne ou d’une société serait conditionné par
l’approfondissement de ses connaissances au sujet de la morale, comme si
ce progrès pouvait être indépendant du progrès des comportements so-
ciaux, personnels et collectifs. Ecclésiologiquement, les dogmes concer-
nant le ministère de Pierre (juridiction universelle et infaillibilité)
peuvent-ils avoir une vérité indépendante de la vérité qui est la leur, en
pratique, dans la communauté catholique ? Dans le cas, il ne s’agit pas de
parvenir à une meilleure moralité, mais d’améliorer une pratique ecclé-
siologique (qui en un sens est aussi un éthos) bien éloignée des dogmes
de Vatican I correctement interprétés.
En effet, personne n’ignore que le droit canonique en vigueur inter-
prète la juridiction universelle du pape à travers le prisme de la bureau-
cratie séculière moderne. Ce que Max Weber avait pressenti, dans les
termes suivants :

Dans l’Ėglise, au plan des principes, c’est l’épiscopat universel du pape


qui est le résultat le plus effectif de la définition de 1870 et non pas le dogme
de l’infaillibilité dont on a tant parlé. C’est ce qui a permis la création d’un
gouvernement de vicaires (Kaplanocratie), transformant l’évêque et le curé
en simples fonctionnaires du pouvoir central curial 55.

55. M. WEBER, Gesammelte politische Schriften, Tübingen 19582, p. 309.


HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 71

Vatican II, en réévaluant l’épiscopat, notamment sous sa forme collé-


giale, avait permis de croire, pendant quelque temps 56, que Max Weber,
si souvent clairvoyant, s’était pourtant trompé. En réalité, une récente
thèse d’habilitation, portant sur l’épiscopat dans le droit en vigueur,
conclut que, depuis Vatican II, les évêques diocésains sont devenus en fait
« des fonctionnaires du pape [rechtlich als päpstlichen Beamten] », dépen-
dant de lui comme un vicaire général de son évêque 57, conclusion
approuvée par l’ensemble des recensions savantes de ladite thèse 58.
Un tel état du droit représente-t-il un écart par rapport au Proemium de
Vatican I, ou est-ce quelque chose de plus grave ? En fait, selon M. Weber,
la papauté, copiant les bureaucraties étatiques modernes, a réussi à
« fonctionnariser l’épiscopat » : la Codification de 1917 assure au pape la
libre nomination de tous les évêques de l’Église latine . La question ainsi
posée ne relève pas de la morale 59 mais de l’ecclésiologie : est-il justifiable

56. Le diagnostic que nous avions proposé il y a quinze ans dans une conférence
à l’Université Notre-Dame (cf. H. LEGRAND, « Collégialité des évêques et commu-
nion des Églises dans la réception de Vatican II », Revue des sciences philosophiques et
théologiques 75, 1991, 545-568) a été confirmé par l’évolution de la fin du pontificat
de Jean-Paul II, cf. H. LEGRAND, « Les évêques, les Églises locales et l’Église entière.
Évolutions institutionnelles depuis Vatican II et chantiers actuels de la recherche »,
dans H. LEGRAND et C. THEOBALD, Le ministère des évêques à Vatican II et depuis.
Hommage à Mgr Herbulot, Éditions du Cerf, Paris, 2001, pp. 201-260.
57. Voici cette conclusion de la thèse de G. BIER, récemment élu à l’université de
Fribourg : « Résumons : les déterminations générales du Code au sujet de l’épisco-
pat et de l’évêque diocésain ainsi que la configuration normative de ce ministère
dans les déterminations du Code décrivent l’évêque diocésain comme étant juridi-
quement un fonctionnaire du pape », Die Rechtsstellung des Diözesanbischofs nach dem
Codex Iuris Canonici von 1983 (Forschungen zur Kirchenrechtswissenchaft, Bd 32),
Würzburg 2001, p. 376. Selon le can. 480, « Le vicaire général et le vicaire épiscopal
doivent rendre compte à l’évêque diocésain tant des principales affaires à traiter que
de celles déjà traitées, et ils n’agiront jamais contre la volonté ou le sentiment de
l’évêque diocésain ».
58. Sur sept recensions techniques détaillées que nous avons lues, une seule se
montre critique de la méthodologie positiviste adoptée. Certes l’Auteur a raison au
plan des textes, mais sa thèse est irritante, car jamais il ne souligne la distance que ce
droit prend indûment vis-à-vis de la théologie, question majeure de l’ecclésiologie
catholique, constamment sous-estimée, cf. H. LEGRAND, « Grâce et institution dans
l’Église : les fondements théologiques du droit canonique », dans L’Église, institution
et foi. Publications des Fac. universitaires St Louis, Bruxelles, 19791, 19852.
59. Car, empiriquement, est-ce le choix direct par Rome ou sur une base plus
large qui donnerait les meilleurs évêques ? L’opacité des procédures actuelles a des
inconvénients, quelquefois catastrophiques, analysés pour l’Autriche par
G. GRESHAKE, « Nach dem “Fall Krenn”. Streiflichter zur jüngsten österreichischen
72 H. LEGRAND

qu’un diocèse en tant que tel n’ait rien à dire sur le choix de son
évêque 60 ? Le souci de la libertas ecclesiae, qui peut être assurée autrement,
ne justifie pas cette mesure extrême.
Plus généralement, le dogme de la juridiction universelle justifie-t-il le
caractère discrétionnaire, — ce qui ne veut pas dire arbitraire ou despo-
tique —, que revêt l’autorité papale à l’époque actuelle 61 ? Ayant tous les
pouvoirs dans l’Ėglise 62, ceux-ci n’étant limités que par le droit naturel et
le droit divin (i.e l’existence de l’épiscopat), le pape y est un véritable
monarque 63. Il y exerce tous ses pouvoirs selon son jugement personnel,
ce qui a été rappelé à l’occasion de Vatican II 64. C’est, en termes de
science politique, un pouvoir absolu 65, n’ayant de comptes à rendre à

Kirchengeschichte », Herder Korrespondenz, 58, 2004, 589-592 ; ainsi le futur Cal


Groer devint directement archevêque de Vienne, sans que son Père abbé ait été
consulté.
60. Seuls les évêques de la conférence ou de la région sont consultés, mais les
membres des différents conseils de l’Église concernée ne peuvent l’être qu’à titre
individuel (cf. can. 377, § 3) !
61. C’est peu probable, car celles de l’évêque et du curé le sont également dans
leur ordre propre.
62. Ainsi les orthodoxes pourraient être surpris de lire au can. 412 du Code des
canons des Églises orientales que « tous les religieux sont soumis au Souverain
pontife en raison du vœu d’obéissance » et qu’au canon 1008, § 1 il se déclare
« suprême administrateur et dispensateur de tous les biens de l’Église ».
63. A ce sujet, les nuances entre deux professeurs de la Grégorienne, le Cal Billot
sj, qui parle d’une monarchie pure (Tractatus de Ecclesia Christi, t. III, Rome 1900,
p. 38), et le P. M. DE LUCA sj, qui y voit une monarchie absolue (Institutiones Juris
ecclesiastici Publici, II, Rome, 1901, pp. 36-41) sont sans importance.
64. Tels sont les termes de la Nota Praevia au ch. 3 de Lumen Gentium : « le pape
peut exercer son pouvoir librement en tout temps à son gré (omni tempore, ad
placitum) », alors que le collège ne peut jamais exercer son pouvoir sans son chef et
que « pour régler, promouvoir et approuver l’exercice collégial, le souverain pon-
tife agit selon sa propre discrétion ». Ces deux expressions (ad placitum, “ à sa
discrétion ”) furent qualifiées par le Prof. J RATZINGER comme « peu heureuses » et
« n’ayant jamais été exprimées sous cette forme dans un document de l’Église »,
ajoutant « de plus, il faut bien dire que la notion d’une collégialité exclusivement
centrée sur toute l’Ėglise conduit à une impasse », cf. "La collégialité épiscopale,
développement théologique ", dans G. BARAUNA, L’Église de Vatican II, t. III (Unam
sanctam 51 c), Éditions du Cerf, Paris, 1966, pp. 885-786.
65. Selon l’acception commune des dictionnaires, on désigne ainsi le « régime
politique où le détenteur de la puissance attachée à sa personne, concentrant entre
ses mains tous les pouvoirs, gouverne sans aucun contrôle » cf. par ex. Henri
MOREL, Dictionnaire de philosophie politique (Sous la direction de Ph. RAYNAUD
et S. RIALS), PUF, Paris, 1996, p. 1.
HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 73

aucune autre instance 66 ; ce qu’illustre aussi le fait que la reconnaissance


de l’autorité des évêques sur l’Ėglise universelle par Vatican II ne se
traduit en aucune détermination légale qui serait extérieure à l’autorité
papale : ainsi n’ont-ils pas le pouvoir d’approuver les traductions liturgi-
ques qu’ils patronnent dans leur propre aire linguistique 67 et se sont-ils
vus refuser récemment un magistère authentique dans le cadre des
conférences épiscopales, à moins d’être unanimes 68.
S’il pouvait être affirmé clairement que le fait de n’avoir de comptes à
rendre à personne, sauf à Dieu 69 (la non-accountability comme disent les
anglo-saxons), n’est pas inclus dans le dogme de la juridiction universelle,
cet éclaircissement aurait une importance œcuménique capitale. Depuis
les débuts de la Réforme, c’est une objection majeure faite à l’ecclésiolo-
gie romaine. Melanchthon s’en est fait le porte-parole avec clarté : « non

66. Selon le can. 333, 3 « A l’encontre d’une décision ou d’un décret du pontife
romain, il n’y a ni appel ni recours ». Cette soustraction à tout droit d’appel s’est
accentuée après Vatican II. Vatican I interdisait l’appel à un concile comme autorité
supérieure, le Code de 1917 (can. 228, § 2) exclut ce recours sans précision, celui de
1983, tout juste cité, interdit tout recours ou tout appel. Semblable interdiction
vient d’être étendue récemment aux décisions de la SCDF, Ratio agendi in doctrina-
rum examine art. 27, AAS 89, 1997, 834.
67. Ainsi selon l’Instruction Liturgiam authenticam, de la Congrégation pour le
Culte divin, n. 80, AAS 93, 2001, 685 : la recognitio romaine des traductions liturgi-
ques dans la langue du peuple est un « acte de gouvernement absolument néces-
saire, en l’absence duquel l’acte de la conférence épiscopale est privé de toute
valeur légale ». Tirer une telle conséquence de la primauté n’est pas aisé à justifier.
Il peut arriver qu’il n’y ait aucun évêque de la même langue à la Curie : sera-ce alors
un prêtre, éventuellement étudiant, qui fera fonction d’interprète, jugeant ainsi
d’une traduction approuvée par des évêques, iudices fidei ? Le public entend parler
aussi des conflits entre l’International Commission on English in the Liturgy (ICEL) et la
Congrégation pour le culte divin, cf. DC 92, 2000,198, 597.
68. Apostolos suos (1998) n. IV, art. 12 : « Pour que les déclarations doctrinales de
la conférence des évêques puissent constituer un magistère authentique et être
publiées, il est nécessaire qu’elles soient approuvées à l’unanimité des membres
évêques ou bien que, approuvées en séance plénière, au moins par les deux tiers des
prélats ayant voix délibérative, elles obtiennent la reconnaissance (recognitio) du
Saint-Siège ». C’est l’unique exigence d’unanimité dans le droit en vigueur.
69. Il ne serait pas convenable d’accorder trop d’importance à une boutade du
regretté Cal Schotte, secrétaire du synode des évêques, disant à des journalistes
« Les évêques n’ont de comptes à rendre à personne, sauf au pape. Et le pape n’a de
comptes à rendre à personne d’autre qu’à Jésus », The Tablet 24 nov. 2001, 1658. Pas
plus qu’il ne serait convenable d’insister sur la colère et la déception qu’a rencon-
tré, auprès des fidèles, la manière dont les évêques ont géré, aux États-Unis et en
Irlande notamment, leur responsabilité vis-à-vis de la communauté catholique dans
la crise de la pédophilie.
74 H. LEGRAND

est transferendum ad pontifices quod dicitur de ecclesia » 70, c’est-à-dire :


ce qui a été promis à l’Église, en tant que telle, dans l’Évangile, ne peut
être transféré exclusivement à la hiérarchie. C’est aussi une conviction
orthodoxe fondamentale, exprimée déjà par Nicétas de Nicomédie dans
son dialogue avec Anselme de Havelberg 71, mais aussi dans l’encyclique
des patriarches orientaux adressée au bienheureux Pie IX en 1848 72.
Ces brèves analyses décrivent suffisamment le cahier des charges de
l’ecclésiologie vécue actuellement au sein de l’Église catholique pour que
la nouvelle herméneutique de Vatican I n’apparaisse pas irréelle. Il ne
s’agit pas seulement de prendre en compte en plus des textes, les symbo-
les (qu’on pense à la figure médiatique de Jean-Paul II pour l’interpréta-
tion de la papauté), les rites liturgiques et les coutumes, réalités décisives
pour l’immense majorité des chrétiens situés loin de la « religion sa-
vante ». S’agissant de l’herméneutique des dogmes de Vatican I, on ne
peut faire l’impasse sur le droit, et sur l’éthos qu’il induit. Tout à la
critique du juridisme, Vatican II ne s’est prononcé que cinq fois sur le
droit canon alors que le mot Église revient 1135 fois dans ses textes. Mais
sans cette dimension du droit comment gérer les légitimes différences
dans l’unité, alors qu’elles sont laminées aux yeux de nos partenaires par
des procédures d’uniformisation bureaucratiques, dont il est superflu de
donner des exemples ?

3.3. La vérité du dogme implique la pluriformité de l’Église

Enoncer que la vérité du dogme implique la pluriformité de l’Église se


déduit aisément des principes herméneutiques devant présider au dialo-
gue catholique-orthodoxe, qui reprend en 2006. Un tel présupposé va à

70. Apologia 188 dans A. BIRMELÉ et M. LIENHARD, La foi des Églises luthériennes.
Confessions et catéchismes. Paris 1991, p. 159 : « Nos adversaires voudraient peut-être
que l’Église soit définie ainsi : elle est une monarchie extérieure dont la suprématie
s’étend sur la terre entière, et dans laquelle le pontife romain doit avoir un pouvoir
anypeuthynon, que personne n’a le droit de discuter et de juger ; il peut, à son gré,
établir des articles de foi, abolir les Écritures, instituer des cultes et des liturgies ; de
même promulguer, à son gré, des lois ; dispenser à son gré de n’importe quelles lois
soit divines soit canoniques soit civiles ». C’est à la suite de ce texte que se trouve
l’axiome cité en latin.
71. PL 188, 1218-1219, avec son refus répété que le pape puisse décider de tout,
tout seul, tr. fr. dans Initiation à la Pratique de la théologie, t. III, Éditions du Cerf, Paris,
19933 (H. LEGRAND).
72. « Chez nous la sauvegarde de la religion réside dans le corps entier de
l’Église », Mansi 40, 408 C.
HERMÉNEUTIQUE ET VÉRITÉ DES ÉNONCÉS DOGMATIQUES 75

l’encontre des évidences communes et même savantes. On en donnera


quelques expressions provenant d’Églises ou de théologiens.
On lit ainsi dans les directives pour l’œcuménisme des Églises protes-
tantes de Suisse :

Aucune Église ne possède pleinement la connaissance de la vérité [...] Le


but n’est pas une uniformisation, mais une pluralité confessionnelle, trans-
confessionnelle et contextuelle d’expressions d’Églises qui s’interpellent
mutuellement 73.

De façon beaucoup plus élaborée et aussi plus catégorique, le Prof.


Dalferth pense que :

Aucune herméneutique, fut-elle théologique, ne peut-être liée à un


programme d’unification ni prendre l’Église comme but. Dès que l’on fait
cela, l’herméneutique a perdu sa fonction critique [...] Aussi longtemps
que le mouvement œcuménique n’abandonne pas une perspective ecclé-
siocentrique d’une unité visible de l’Église dans la doctrine et le ministère,
on ne pourra pas dire que l’œcuménisme ait abordé les temps modernes 74.

Cette crainte d’un dogme synonyme d’uniformisation indue de la vie


ecclésiale, fréquente chez beaucoup de protestants, doit bien s’expliquer
autrement que par leur expérience de foi qui n’implique pas d’abord un
corps normé de doctrines. On ne la dissipera pas par des explications.
Certains catholiques, qui n’ont pas la sérénité d’un Mgr Journet 75,
nourrissent aussi des craintes analogues, même sans rejoindre un C. Du-
quoc, dans son essai d’ecclésiologie œcuménique, pour qui : « L’idéolo-
gie unitaire a partie liée avec la violence et a produit tant de méfaits et de
crimes dans l’histoire du christianisme » 76.
L’herméneutique qui se dessine dans le dialogue catholique-
orthodoxe présente un autre visage, modeste et perfectible, du dogme,
favorisant la pluriformité des langages et des formes de communion dans

73. Fédération des Églises protestantes de Suisse, Lignes directrices de l’action


œcuménique, 1994, aux numéros I.4 et I.6.
74. I.U. DALFERTH, Auf dem Wege der Ökumene. Die Gemeinschaft evangelischer und
anglikanischer Kirchen nach der Meissener Erklärung, Leipzig, 2002, p. 257.
75. Ch. JOURNET, Le Dogme chemin de la Foi, Fayard, Paris, 1963, n’envisage le
dogme que sous l’angle de son titre. Rien n’est dit de la relativité des langages et les
non catholiques sont vus comme des victimes d’une « mutilation collective du
dogme », p. 94.
76. C. DUQUOC, Des Églises provisoires, Éditions du Cerf, Paris, 1985, p. 9.
76 H. LEGRAND

l’Église une. C’est une bonne nouvelle que les autorités romaines recon-
naissent qu’à cet égard la balle est dans leur camp.
*
* *
Dans l’étude de cas que l’on a retenue, l’herméneutique choisie laisse
bon espoir. On répétera donc notre question : suffira-t-il de voir la vérité
pour parvenir à la lumière ?
Deux développements pratiques, que rien n’interdit et que tout recom-
manderait en tout état de cause, y aideraient beaucoup : la création au
sein de l’Église latine, de plusieurs grandes Églises continentales, sur le
modèle des patriarcats, comme cela a déjà été suggéré après Vatican II 77,
et l’exercice généralisé des ministères ordonnés, sur un mode simultané-
ment « personnel, collégial et communautaire » 78. Ainsi seraient dissipés
les malentendus si dommageables qu’entraînent les modèles ecclésiolo-
giques unitaires et monarchiques, en vigueur chez nous, entraînant des
diversités difficilement réconciliables.
Décidément, l’herméneutique des dogmes, en contexte œcuménique,
requiert plus que de la vigueur spéculative ; s’agissant de la vérité chré-
tienne, cela ne saurait surprendre. ¶

77. Comme semblait le souhaiter J. RATZINGER, la tâche à envisager serait de


distinguer à nouveau, plus nettement, entre la fonction proprement dite du succes-
seur de Pierre et la fonction patriarcale ; en cas de besoin de créer de nouveaux
patriarcats détachés de l’Église latine [...] On pourra, dans un avenir pas trop
éloigné, se demander si les Églises d’Asie et d’Afrique, comme celles d’Orient, ne
pourraient pas devenir l’équivalent « de patriarcats sous ce nom ou tout autre que
l’on voudra donner à l’avenir à ces Églises dans l’Église », Le nouveau peuple de Dieu,
op. cit. pp. 68-69. (Traduction légèrement corrigée sur l’original, pp. 142-143)
78. Foi et Constitution, Lima 1982, Baptême, eucharistie et ministère, III, 26, éd. du
Seuil, Paris, 1982, p. 65.

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