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En attendant le vote des bêtes sauvages est un roman en langue française de

l'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma, publié aux Éditions du Seuil le 26 août


1998.
Le récit décrit l’ascension du maître-chasseur Koyaga, et son exercice du pouvoir
comme Président de la République du Golfe. Redoutable guerrier, il est un
autocrate brutal dont le pouvoir repose sur deux piliers majeurs : l’armée et la
magie. Koyaga parvient à se maintenir au pouvoir plus de trente années durant,
au rythme des faux complots ourdis par ses services. Ce sont autant de prétextes
pour multiplier les purges politiques, ainsi que les célébrations à la gloire du
despote.
En attendant le vote des bêtes sauvages est une fresque historique qui dépeint
l’Afrique et ses potentats pendant la Guerre froide. Koyaga et ses homologues
dictateurs portent des noms fictifs, mais sont inspirés de dirigeants africains bien
réels de la seconde moitié du XXe siècle.
Ahmadou Kourouma propose une lecture personnelle et nuancée des événements
et des dynamiques en vigueur dans les États africains qui, après la dissolution de
l’Empire colonial français, accèdent progressivement à l’indépendance, toute
relative néanmoins à cause du néocolonialisme. L’auteur aborde de façon critique
et ironique certaines traditions africaines, la colonisation, la tyrannie et la
démesure des chefs d’États africains, ainsi que l’hypocrisie des Occidentaux ;:
« Sa démarche créatrice [consiste à] mettre les atouts de la fiction au service de la
vérité historique, d’en faire une voie d’accès à la mémoire du présent, de traquer
dans le merveilleux romanesque et l’invraisemblable du récit fictionnel la réalité
du monde et des êtres »1

Veillée I[modifier | modifier le code]


Tchao, le père de Koyaga est un champion de lutte parmi les hommes nus
montagnards, un peuple que les colonisateurs ont abandonné aux curés, car ils ne
sont pas encore colonisables. Il devient le premier homme nu à se joindre à
l’armée française. Pendant la Première Guerre mondiale, il est blessé au front à
Verdun et récompensé de plusieurs honneurs militaires. Lors de son retour auprès
des montagnards, il conserve ses habits, car il ne peut afficher ses médailles en
étant nu. En s’habillant, les Français croient que les hommes nus sont enfin
colonisables. Les montagnards combattent les Français, mais finissent par perdre.
Tchao est emprisonné, alors que son fils Koyaga a sept ans. Avec l’arrivée de la
colonisation, Koyaga est envoyé à l’école, mais lors de la période de l’harmattan
(saison de la chasse) Koyaga retourne toujours à la montagne. Ces périodes
d’absence mènent à l’enlisement de Koyaga à l’école des enfants de troupe et il
part combattre pour la France en Indochine. Pour ses exploits militaires, Koyaga
est récompensé de médailles militaires et rentre chez lui comme rapatrié sanitaire.
Nadjouma, la mère de Koyaga était aussi championne de lutte et épouse Tchao à
travers le rituel du mariage-rapt. Lorsque Tchao est envoyé en prison, Nadjouma
l’accompagne dans la ville et à la mort de son mari, se lie à un pharmacien qui
provoque une crise chez Nadjouma en la demandant en mariage. Nadjouma est
envoyée chez le marabout Bokano, qui la guérit et découvre qu’elle est née avec
les dons de la divination. Il l’instruit dans l’art de la divination et la géomancie,
avant qu’un de ses trésors, un aérolithe, ne désigne Nadjouma comme la nouvelle
détentrice de la pierre. Au moment de lui donner l’aérolithe, Bokano annonce à
Nadjouma que son fils Koyaga est de la race des maîtres, qui doivent savoir
s’arrêter à temps, mais que malheureusement il ne saura s’arrêter et ira trop loin.
Pour qu’il soit gratifié d’une longue vie, Bokano place Koyaga sous la protection
de son Coran et Nadjouma place sous la protection de sa pierre aérolithe.
Veillée II[modifier | modifier le code]
Au retour de Koyaga dans la République du Golfe comme rapatrié sanitaire,
l’armée française lui accorde un pécule pour son service en Indochine, il s’achète
un fusil et retourne à son village natal. À Tchaotchi, lors de l’harmattan, il tue une
panthère solitaire qui terrorisait les villageois. Après l’avoir tué, Koyaga tranche
la queue de la panthère et l’enfonce dans sa bouche afin d’éteindre les
puissants nyamas de la bête. Koyaga tue de cette façon d’autres monstres qui
terrorisaient son village, avant de se réengager dans la guerre d’Algérie.
Cependant, à son retour le pays vient d’accéder à l’indépendance et le nouveau
président, Fricassa Santos, conserve les rentes militaires pour les fonds de l’État.
En apprenant ceci, Koyaga s’attaque au directeur de cabinet et se fait arrêter par
les autorités. Il est emprisonné dans la même cellule que son père, où, avant de
s’échapper, décide d’assassiner le Président. Bokano et Nadjouma fabriquent
des talismans pour lui permettre de réaliser la tâche. Après une longue nuit où le
Président Fricassa Santos se métamorphose afin de se cacher de Koyaga et ses
lycaons (son armée), Koyaga réussit à le tuer en l’atteignant d’une flèche
empoisonnée. Après la mort de Fricassa Santos, le pouvoir est divisé en quatre
par l’occident. Koyaga devient ministre de la Défense, le colonel Ledjo devient
président du comité du salut public, Tima devient président de l’Assemblée et J-
L Crunet est nommé président du gouvernement provisoire. Les quatre hommes
se battent pour le pouvoir et des alliances se forment. Sous le prétexte de la
réconciliation, Ledjo et Tima organisent une rencontre où ils assassinent Crunet
et tentent de tuer Koyaga. Cependant, celui-ci survit et assassine et castre Ledjo
et puis Tima. Afin de confirmer son ascension au pouvoir, le nouveau président
Koyaga ne doit que partager une proclamation déclarant son pouvoir absolu à la
radio nationale. C’est à la radio qu’il rencontre Maclédio, qui améliore la
proclamation avant qu’elle ne soit diffusée et devient rapidement proche
conseiller de Koyaga.
Veillée III[modifier | modifier le code]
Description du parcours de Maclédio, ministre de l’Intérieur et de l’orientation
nationale de la République du Golfe. Né avec un noro funeste (le noro détermine
et explique la prédestination de chaque personne) Maclédio est condamné à quitter
son village avant l’âge de huit ans à la recherche de son «homme de destin», qui
lui permettra de neutraliser son noro et d’annihiler sa damnation. La quête de
Maclédio pour son homme de destin lui fera quitter la République du Golfe, il ira
au Cameroun, au Sahara et passera plusieurs années en France, avant d’offrir ses
services au dictateur de la République des Monts. Il devient responsable de
l’idéologie de la radio avant d’être accusé de complot contre le dictateur. Après
plusieurs années d’emprisonnement, il se fait libérer par le Président Fricassa
Santos, et retourne à la République du Golfe et devient célèbre animateur de la
radio nationale. La rencontre entre Maclédio et Koyaga se fait dans les heures qui
suivent immédiatement suivant sa montée au pouvoir. Lors de cette rencontre,
Maclédio réalise que Koyaga est son homme de destin.
Veillée IV[modifier | modifier le code]
Après l’assassinat de J-L Crunet, de Ledjo et de Tima, l’ascension au pouvoir de
Koyaga est presque complète. Avant de pouvoir poser un acte de chef d’État, il
doit procéder à un voyage initiatique et rencontrer les plus prestigieux chefs d’État
de l’Afrique. Koyaga commence son voyage par la République des Ébènes où «le
dictateur au totem caïman» lui apprend l’importance de ne pas séparer la caisse
d’État de sa caisse personnelle, de ne pas instituer une distinction entre vérité et
mensonge et de ne pas faire confiance à ses proches. Le voyage de Koyaga se
poursuit au Pays aux Deux Fleuves, où «le dictateur au totem hyène» défend la
prison comme la principale institution d’un gouvernement à Parti unique. Le
prochain arrêt de Koyaga est à la République du Grand Fleuve, où «l’homme au
totem léopard» vit en permanence sur son bateau. Selon lui, l’authenticité d’un
vrai chef africain engendre la présence d’une ambiance de fête permanente. Le
dernier arrêt de Koyaga est au pays des Djebels et du Sable, où il existe
traditionnellement une lutte perpétuelle entre le roi et son peuple. Afin de distraire
son peuple, «l’homme au totem chacal» instaure une guerre sans fin au nord du
pays. Tout juste avant le départ de Koyaga, il l’informe de la préparation d’un
complot contre lui, et recommande qu’il évite l’aéroport de la capitale de la
République du Golfe.
Veillée V[modifier | modifier le code]
Koyaga sera la cible de trois complots en moins de trois ans. À son retour du
voyage initiatique, une mitraillette devait prendre l’avion en enfilade lors de son
atterrissage. Le tireur d’élite responsable de cette tâche était saoul et drogué et ne
réussit pas à tirer un seul coup de feu. Koyaga et Maclédio en sortent indemnes.
Une investigation révèle que le complot était organisé par des communistes. Lors
du second complot contre le dictateur, l’avion dans lequel Koyaga voyageait
s’écrase en pleine forêt. On ne retrouve pas le corps de «l’homme au totem
faucon» parmi les morts. Soupçonné d’avoir été expulsé de l’avion, plusieurs
journées de recherches passent sans que l’on retrouve le corps du dictateur. C’est
parce qu’il est vivant, à peine blessé, aux côtés de sa mère. De nouveau, Koyaga
détermine que les communistes sont responsables de l’attaque. La chance du
dictateur ne peut être expliquée autrement que par la protection de sa mère
sorcière et de son aérolithe ainsi que grâce au marabout Bokano et son Coran. Un
autre complot communiste ne réussit pas à tuer Koyaga. Un matin lors de la levée
du drapeau un soldat à moins de dix mètres du dictateur tire et rate sa cible. Après
tant d’attentats contre sa personne, Koyaga établit plusieurs précautions : un vaste
réseau de renseignement s’étend dans tous les coins de la République, les
membres de la garde présidentielle viennent tous de son clan, les enfants de
Koyaga sont soit préparés au métier des armes ou se marient à des officiers.
Malgré ceci, un quatrième complot, organisé par son gendre et son beau-frère
échoue. Comme dans les autres attentats échoués, le désespoir pousse les
comploteurs à s’émasculer et ensuite à se suicider.
Veillée VI[modifier | modifier le code]
Pour célébrer les trente ans de la prise de pouvoir du dictateur, d’immenses
célébrations sont préparées et plusieurs remises de prix, au dictateur ainsi qu’aux
citoyens ayant fait preuve de grande loyauté. Un grand défilé à l’honneur de
Koyaga dure plus de huit heures. Cependant, l’opulence de ces célébrations ainsi
que la chute des prix des matières premières de la République sur le marché
international vident la Caisse de stabilisation des produits agricoles. Les salaires
ne peuvent plus être réglés, une entente minime est donc conclue avec le FMI.
Avec la fin de la guerre froide, soufflent les premiers vents de la démocratie. Les
bikarolos, chômeurs ayant abandonné l’école et refusant le travail dans les
champs, se lancent dans la révolution. La distribution de tracts pro démocratie se
multiplient ainsi que les escarmouches entre bikarolos et les forces de l’ordre.
L’occident exige que Koyaga arrête le massacre et commence un dialogue avec
les manifestants. La guerre froide étant terminée, les menaces de Koyaga de
passer dans le camp communiste ne ressortent plus d’effet auprès de l’occident.
L’Assemblée nationale de Koyaga accepte toutes les revendications des
manifestants, mais les bikarolos ne sont toujours pas satisfaits. Une conférence
nationale est organisée et la destitution du dictateur est réclamée. Cependant, la
misère engendrée par le processus de démocratisation permet à Koyaga de
regagner la faveur du peuple. De nouveau Guide suprême, Koyaga est la cible
d’un nouvel attentat. Il survit, mais décide d’attendre plusieurs jours avant
d’annoncer officiellement que l’attentat avait échoué. Durant cette période, les
dictateurs de tous les pays africains envoient des agents afin de récupérer
l’aérolithe de la mère, Nadjouma et le Coran du marabout Bokano. En apprenant
ceci, Koyaga retourne à son village natal et est incapable de retrouver ses
protecteurs. Koyaga sait que dans de telles circonstances, sa seule option est
d’entreprendre son geste purificatoire de maître chasseur,
son donsomana cathartique.
Titre de l'œuvre[modifier | modifier le code]
Énigmatique, le sens du titre En attendant le vote des bêtes sauvages ne s’éclaircit
qu’à la fin du roman. Alors que le contexte pousse Koyaga à préparer des élections
présidentielles démocratiques auxquelles il compte se présenter, il a la certitude
d'être élu : il sait que « si d’aventure les hommes refusent de voter pour [lui], les
animaux sortiront de la brousse, se muniront de bulletins et [le] plébisciteront »2.
Kourouma envisageait initialement d’intituler son roman « Le geste du Maître
chasseur », mais d’après lui ce titre ne révélait pas suffisamment la dimension
politique. L’ouvrage aurait également pu s’appeler « Le Donsomana du Guide
suprême », mais Kourouma s’est finalement ravisé, jugeant que le terme de
« donsomana » n’était pas assez parlant pour le lectorat français3.
Personnages principaux[modifier | modifier le code]
Koyaga : protagoniste du roman, ancien militaire dans le corps des tirailleurs
sénégalais, il renverse le président Fricassa Santos pour prendre sa place. Il
n’hésite pas à organiser la mort de ses opposants dans des attentats qu’il attribue
ensuite aux ennemis de la nation. Par deux fois, il feint sa mort afin de forcer ses
ennemis à se dévoiler. Homme au totem faucon, son personnage fait référence
à Gnassingbé Eyadema, président du Togo.
Tchao : père de Koyaga, premier homme paléo (homme nu abandonné aux curés)
à s’engager dans l’armée française en tant que tirailleur sénégalais. Blessé au
front, il est récompensé de médailles militaires françaises. De retour à son village
montagnard, Tchao refuse la nudité, car il ne peut faire tenir ses médailles sans
habits. Il est arrêté par les Français en combattant la colonisation des peuples
montagnards. Il meurt dans une prison française.
Nadjouma : mère de Koyaga, championne de lutte des femmes montagnardes,
femme de Tchao par mariage-rapt. Elle entre en transe lors d’une demande en
mariage et on l’apporte à Bokano pour qu’il la guérisse. Celui-ci l’instruit dans
la divination et la géomancie. Elle devient propriétaire de l’aérolithe. Avec cet
aérolithe et ses pouvoirs de géomancie, elle protègera Koyaga toute sa vie.
Bokano : Marabout avec le don de la divination. Successeur d’un saint uléma, de
qui il reçoit deux trésors : un ancien Saint Coran qui permet l’invincibilité contre
tous les maraboutages et un aérolithe qui protège contre toutes les sorcelleries et
envoûtements. Bokano donnera cet aérolithe à Nadjouma. Bokano est un
conseiller spirituel et politique de Koyaga.
Maclédio : Associé de Koyaga, ancien animateur de la radio nationale de la
République du Golfe sous Fricassa Santos, il est maintenant ministre de l’Intérieur
et de l’orientation nationale de la République du Golfe. Il refuse d’abord
d’accepter le règne de Koyaga, avant de s’y dévouer complètement.
Fricassa Santos : ancien président de la République du Golfe. Grand sorcier, il
utilise ses pouvoirs pour assurer l’indépendance de la France. Il est assassiné par
Koyaga et ses Lycaons. Le personnage renvoie au premier président
togolais Sylvanus Olympio.
Bingo : sora (équivalent malinké de l’aède et du rhapsode), est le narrateur
principal du donsomana : il chante les louanges de Koyaga et joue de la kora. Il
est le griot musicien de la confrérie des chasseurs et a comme rôle de dire les
exploits des chasseurs et encense les héros chasseurs.
Tiécoura : apprenti de Bingo, appelé «répondeur» ou cordoua. C’est un initié en
phase purificatoire, un fou du roi. Il fait le bouffon, se permet tout et il n’y a rien
qu’on ne pardonne pas au cordoua.
Homme au totem caïman : aussi appelé Tiékoroni ou le bélier de Fasso,
dirigeant de la République des Ébènes (Côte d’Ivoire), son personnage fait
référence à Félix Houphouët-Boigny.
Homme au totem hyène : aussi appelé Bossouma, dirigeant de la République des
Deux Fleuves (Centrafrique), son personnage fait référence à Jean Bédel Bokassa.
Homme au totem léopard : dirigeant de République du Grand Fleuve (Zaïre), il
fait référence à Mobutu Sese Seko.
Homme en blanc au totem lièvre : aussi appelé Nkoutigui Fondio, dirigeant de
la République des Monts (Guinée), son personnage fait référence à Ahmed Sékou
Touré.
Homme au totem chacal : dirigeant du Pays des Djebels et du Sable (Maroc),
son personnage fait référence à Hassan II.
Le métis Crunet, faisant référence à Nicolas Grunitzky4.
Thématiques[modifier | modifier le code]
Tyrannie des dictateurs africains[modifier | modifier le code]
Dans son roman, Kourouma s’attaque indirectement aux dictateurs qui ont pris le
pouvoir dans plusieurs pays d’Afrique au cours du 20e siècle, au lendemain des
indépendances. À travers son œuvre, il les décrit comme effets inéluctables du
chaos instauré par les années de colonisation et également comme la cause d’un
chaos aussi ravageur. Dans son écrit, Ahmadou Kourouma formule un constat
ironique du continent : « l’Afrique est de loin le continent le plus riche en pauvreté
et en dictatures […]. (P.354) »
Style[modifier | modifier le code]
Oralité[modifier | modifier le code]
En attendant le vote des bêtes sauvages oscille entre les types de discours. D’abord
narré par un narrateur externe, le récit est ensuite passé au personnage de Bingo,
donc en focalisation interne, mais qui va lui-même prendre le rôle d’un narrateur
omniscient durant les veillés. Ainsi, la majorité du roman est en fait raconté au
discours direct, celui de Bingo. Cependant, sa place de personnage est rapidement
effacée, et il devient le véritable narrateur du roman. Par ce procédé, Kourouma
offre une illusion de l’oralité et montre le lien puissant qui existe entre son œuvre
et le récit conté.
Le roman présente plusieurs proverbes qui témoignent d’une tradition orale,
marquant l’imaginaire des romanciers francophones d’Afrique subsaharienne.
« Il vaut mieux marcher sur la queue d’une vipère des déserts que de tenter d’être
injuste à l’égard d’un montagnard […]. » (P.10) Une longue tradition d’oralité se
remarque sur les œuvres africaines. Kourouma se détache toutefois du modèle
réaliste que constitue le roman francophone d’Afrique subsaharienne, jusqu’aux
années 1960, pour présenter un imaginaire véritablement africain. En attendant le
vote des bêtes sauvages tente de conjuguer les pouvoirs magiques du récit oral
traditionnel, qu’il reproduit à travers le donsomana, et les charmes de la poésie
occidentale.
Donsomana[modifier | modifier le code]
En attendant le vote des bêtes sauvages a comme structure formelle organisatrice
du récit, un chant de chasseurs, récit purificatoire et geste, appelé en malinké le
donsomana ». (P.10) Le donsomana permet une construction du roman en six
veillées, subdivisées en vingt-quatre séquences, scènes, tableaux ou chapitres. La
relation entre ce type de récit et l’histoire racontée des trente années du pouvoir
de Koyaga, fait en sorte qu’il n’y a plus d’ordre chronologique.
Forme[modifier | modifier le code]
La forme qui structure ce roman, est le cercle. Le récit commence quand l’histoire
est terminée. En effet, le roman se structure sur une vaste rétrospective qui
commence par la fin annoncée de la dictature et récapitule toute la biographie du
tyran Koyaga. Cette biographie engendre des événements, qui laissent place à de
nouveaux personnages, qui déclenchent successivement plusieurs boucles
narratives. Le temps raconté est donc déjà clos, il ne peut pas y avoir aucun
suspense, aucune attente sauf celle de l’acte magique présente dans le donsomana.
Ce cercle se manifeste déjà dans le titre, répété à la toute dernière page :
« Car vous le savez, vous êtes sûr que si d’aventure les hommes refusent de voter
pour vous, les animaux sortiront de la brousse, se muniront de bulletins et vous
plébisciteront. » (P. 358).
Cette structure circulaire devenue un cercle vicieux suggère que le pouvoir
dictatorial est un engrenage dont il est quasi impossible de sortir, même par le
vote. Il n’y a presque pas de dates, donc peu de repères, le temps n’avance jamais
sans reculer, il s’agit d’une temporalité mouvante et circulaire.
Malinké[modifier | modifier le code]
Pour Kourouma, le Malinké est bien plus qu’une langue : C’est une vision
particulière du monde, une façon différente de réfléchir et de comprendre. Ainsi,
lorsqu’il écrit En Attendant le vote des bêtes sauvages, le Malinké est pour lui un
outil de compréhension du personnage et de son environnement puisqu’il offre un
aperçu de cette logique particulière. Le but n’est pas de traduire, mais de
transposer la parole, car la vulgaire traduction ne porterait pas les subtilités du
langage et du sens qui lui est donné par l’individu. Le Malinké est une langue qui
laisse la place au mystère et au secret, il se nourrit de l’inexplicable et refuse de
dire autre chose que le nécessaire.
La satire[modifier | modifier le code]
L’écriture de Kourouma est constamment ironique, voire sarcastique, dans le
roman, l’auteur adopte le langage de l’ennemi, pour en suggérer le revers. Dans
le monde renversé instauré par Koyaga, maître-chasseur, les valeurs anciennes de
la chasse sont subverties. La fraternité se réduit à une association de criminels,
tuant injustement des innocents. Hommes et bêtes deviennent équivalents, comme
le suggère d’ailleurs le titre En attendant le vote des bêtes sauvages. Ce titre révèle
également une formule sarcastique à plusieurs effets de sens.
Roman autobiographique[modifier | modifier le code]
D'après un témoignage d’Ahmadou Kourouma, son roman — dédié à son oncle
et son père, tous deux chasseurs, qu’il accompagnait enfant — a une forte
dimension autobiographique. Les parcours de Koyaga et de Maclédio, par certains
aspects, sont inspirés des expériences personnelles de l’auteur. En effet, la
jeunesse de Kourouma est marquée par de nombreux voyages initiatiques ou
encore par son enrôlement dans l’armée française qui le mène sur le front
en Indochine3.

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