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Le livre hurle la douleur, la souffrance d’une jeunesse victime des injustices.

Construit comme un thriller


politique, le roman « Le cercle des tropiques » pointe du doigt les maux qui minent l’Afrique
contemporaine, dont la corruption, l’incompétence des dirigeants, le culte de la personnalité, les
atteintes aux droits humains.

Original par sa thématique qui demeure toujours d’actualité et explorée jusqu’alors dans la fiction
africaine, ‘’Le cercle des tropiques’’ continue de frapper par son audace. En creusant, c’est une
radioscopie d’une Afrique qui s’offre aux lecteurs, avec un cryptage fin, tout en nuance et tranche d’un
système de gouvernance ou régime dictatorial qui ankylose toute l’Afrique. A ce titre, le style du roman
n’échappera pas aux tenants de la réflexion actuelle.

Dans le processus de l’évolution de la littérature africaine, ‘’Le cercle des tropiques’’ s’inscrit dans la
trame du "nouveau roman politique" créé par les romanciers de la seconde génération. Ce roman paru
en 1972 emprunte les formes du réalisme pour démontrer les mécanismes du parti unique dans un pays
fictif, " Les marigots du sud", à la faveur de l’indépendance, par lesquels se maintient, sur tout un
peuple, l’autorité généralement décriée d’un potentat nommé Baré Koulé. En effet, " Le cercle des
tropiques" est l’une des premières œuvres à faire le procès des dictatures tropicales consécutives aux
indépendances des Etats africains. Avec une tonalité acerbe, Alioum Fantouré fustige les maux de ce
continent et de ses dirigeants à travers l’évocation de la vie dans l’imaginaire république "Les marigots
du sud".

Pratiquement toutes les thématiques si chères aux écrivains du chaos et à leurs successeurs sont
présentées et abordées, dont la corruption, l'incompétence des dirigeants, le culte de la personnalité,
les atteintes aux droits humains, bref tout ce qui fait la définition d’une dictature digne de ce nom.
D’ailleurs, il est difficile de ne pas y voir une critique en filigrane des pays africains, avec la prise du
pouvoir par la force de la manigance et de meurtres. Le narrateur, Bohi Di, nous raconte la vie après les
indépendances dans ce pays imaginaire où, après le remplacement de l’administration coloniale par
celle de Baré Koulé, le peuple de ce pays imaginaire a l’impression de vivre un cauchemar. Dans " Le
cercle des tropiques", le héros Bohi Di prend conscience de la dictature impitoyable et délirante d’un
potentat protégé non pas par l’armée dont il se méfie, mais par une milice totalement acquise au
dictateur. Emprisonnement de masse, torture quotidienne, le peuple est habité par la peur de la
délation. Ce pays de terreur, de crimes contre l’humanité n’est pas sans rappeler parmi tant d’autres des
dictatures comme celle de Bokassa en Centrafrique, Mobutu en République démocratique du Congo,
Sékou Touré en Guinée.
Le peuple coule sous le poids de la misère et de la terreur sans avoir la moindre occasion de s’en sortir.
Pourtant, certains hommes osent aspirer à la liberté. Dans cette lutte pour une réelle indépendance et
dignité, beaucoup ont perdu la vie. Vaut-il mieux vivre dépendant et constamment apeuré ou nourrir en
essayant de conquérir sa liberté ? C’est dans " Le cercle des tropiques" que l’Afrique décadente est
offerte en spectacle, cette Afrique du non-sens, où la désillusion y est patente, car de nombreux
Prométhée africains, apparus aux premières heures des indépendances, sont devenus des César noirs ou
des Néron nègres.

Alioum Fantouré est né en 1938 à Forecariah, en Guinée Conakry. Après ses études de sciences
économiques en France et en Belgique, il a travaillé comme économiste dans différents organismes de
coopération internationale, notamment à la Communauté économique européenne à Bruxelles.

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24/04/2024

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PANORAMA

«Le Cercle des tropiques» d’Alioum Fantouré

17/02/2023

Intégration

Avant d’aborder le contenu du roman, je voudrais dire un mot sur l’épigraphe (courte citation placée en
tête d’un ouvrage ou d’un chapitre) et le titre.

Alioum Fantouré

L’épigraphe “Le soleil grille ici toutes les choses, il grille le cerveau et grille jusqu’aux roses”, Alioum
Fantouré l’emprunte à Nicolas Guillen, poète cubain qui combattit l’injustice dans son pays avant de
s’exiler à Paris. Guillen retourna à Cuba quand Fidel Castro arriva au pouvoir. Il y a un lien entre cette
épigraphe et le titre (“le cercle des tropiques”) parce que le roman nous parle d’un pays africain
(certains penseront tout de suite à la Guinée de Sékou Touré, mais ça pourrait être aussi la Côte d’Ivoire,
le Cameroun, le Togo, le Congo, le Gabon ou le Zaïre) où une dictature implacable empêche les
populations de sortir, de réfléchir et de s’exprimer. L’arbitraire, les exactions de toutes sortes,
l’emprisonnement et l’assassinat des opposants avaient fait de la République des Marigots du Sud (c’est
le nom de ce pays imaginaire) un enfer sur la terre. Et on comprend pourquoi l’auteur compare cette
République à un “cercueil de zinc”.
C’est Bohi Di (ce nom signifie “fils de la terre” dans la langue de l’auteur) qui nous raconte cette triste
histoire. Le héros n’est pas uniquement acteur des injustices et des mauvais traitements qui
conduisirent progressivement à militer dans le Club des travailleurs. Il est aussi et avant tout un témoin
privilégié des événements qui vont impacter les Marigots du Sud. Une histoire qui commence quelques
années avant l’indépendance, avec l’élection organisée par les colons qui s’apprêtent à quitter le pays.
Deux partis politiques sont en lice pour cette élection : le Club des Travailleurs (CT) dirigé par le
communiste Monchon et le Parti social de l’espoir (PSE) de Baré Koulé soutenu par l’ancienne puissance
coloniale. Monchon, estimé et apprécié en raison de sa solidarité avec les travailleurs, sera
malheureusement tué par la milice de Baré Koulé, mais ses camarades ˗le Docteur Malekê, Mellé Houré,
Benn Na et Salimatou˗ poursuivront la lutte envers et contre tout. Combattants déterminés, ils sont
prêts à donner leurs vies pour le triomphe de la justice et de la liberté dans leur pays.

Quelques jours avant l’élection, Dr Malekê et ses camarades doivent animer un meeting à Porte Océane,
ville acquise au CT. Sept-Saint Siss, le commissaire blanc arrivé au siège du CT, ne les autorise pas à
s’adresser au public. Si la rencontre entre le commissaire et les responsables du Club des travailleurs est
tendue, elle est aussi un des moments importants de ce roman publié par Présence Africaine en 1972 et
vainqueur du Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1973; car on y voit les trois enseignements majeurs
que l’auteur a voulu livrer: 1) le colon a octroyé des indépendances bidon en 1960 puisqu’il continue de
contrôler et d’exploiter les pays de l’Afrique francophone via ses multinationales et les valets installés au
pouvoir et soutenus par lui; 2) le changement dans un pays ne pourra advenir que si chaque Africain
commence par se changer lui-même en disant “non” à la corruption, au laisser-aller, au gaspillage du
bien public, à l’injustice dans sa propre maison ou dans son milieu professionnel, au non-respect des lois
de la République, etc.; 3) pour qu’un pays devienne libre, c’est tout le monde, et pas seulement
quelques individus, qui doit accepter de faire des sacrifices, de prendre la rue ou de boycotter les
produits des entreprises de l’ancienne puissance colonisatrice.

Empêché de faire campagne, traqué et violenté par les miliciens de Baré Koulé, le Club des travailleurs
ne pouvait que perdre le scrutin présidentiel. Sitôt “élu”, le nouveau président se met à affamer et à
terroriser le peuple. Se croyant tout permis, il décide et agit comme bon lui semble, fait arrêter et
emprisonner quiconque ose critiquer son régime. Mais Bohi Di et ses camarades ne se découragent pas.
Ils continuent de sensibiliser et de mobiliser à droite et à gauche. Ils ont aussi des rencontres avec
l’armée. Devant le mécontentement grandissant du peuple, la grande muette finira par sortir de sa
réserve pour renverser le dictateur.

Comme on peut le voir, «Le Cercle des tropiques» s’inscrit dans tout un mouvement romanesque que
Jacques Chevrier nomme “les romans de la désespérance”. (cf. «Littérature nègre», Paris, Armand Colin,
1984). Ces romans sont, entre autres, «Les Soleils des indépendances» d’Ahmadou Kourouma,
«Perpétue ou l’habitude du malheur» de Mongo Beti, «Le Devoir de violence» de Yambo Ouologuem,
«La Vie et demie» de Sony Labou Tansi et»Le Pleurer-rire» de Henri Lopès. Tous font le procès de
l’Afrique après le pseudo-départ de la France de ses colonies. Après avoir étudié l’économie en France et
en Belgique, Fantouré a travaillé à la défunte Communauté économique européenne (CEE) à Bruxelles.
Né en 1938, il a également écrit “Le Récit du cirque de la vallée des morts” (1975); “L’Homme du
troupeau du Sahel” (1979), “Le Voile ténébreux” (1985); “Le Gouverneur du territoire” (1995) et “L’arc-
en-ciel sur l’Afrique” (2001).

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