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LE CHRIST

DANS
LA LITURGIE
CONFÉRENCES SAINT-SERGE
XXVII" SEMAINE D'ETUDES LITURGIQUES

Paris, 24-28 Juin 1980

éditées par A.M. TRIACCA et A. PISTOIA

ANDRONIKOF C. - BOBRINSKOY B. - CAZELLES H. - DALMAIS J.H. - GER-


HARDS A. - HRUBY K. - KNIAZEFF A. - OULOMZINE N. - NEUNHEUSER B.
OSSORGUINE N. - RAFFIN P. - RENOUX CH. - RORDORF W. - ROSE A.
THEODOROU E. - TRIAC CA A.M. - WEBB D. - WEST PHAL G. - ZELLWEGER E.
2U2EK R.

c.L.V. - EDIZIONI LITURGICHE - 00192 ROMA


Via Pompeo Magna, 21
1981
BIBLIOTHECA "EPHEMERIDES LITURGICAE»
"SUBSIDIA»

COLLECTIO CURA A. PISTOIA, C.M., et A.M. TRIACCA, S D.B., RECTA

20

DE LICENTIA SUPERIORUM
TABLEAU DES MATIÈRES

Page
Préface (TRIACCA A.M.) 7
ANDRONIKOF C., Le Dieu-Homme dans la liturgie de la Trans-
figuration et de l'Ascension 13
BOBRINSKOY B., Comment le Christ et le Saint Esprit se
situent-ils l'un par rapport à l'autre dans la liturgie? 27
CAZELLES H., Le Messie dans l'Ancien Testament . 37
DALMAIS I.-H., Le Christ dans les liturgies syriennes orien-
tales et occidentales 49
GERIIARDS A., Le phénomène du Sanctus adressé au Christ.
Son origine, sa signification et sa persistance dans les
Anaphores de l'Eglise d'Orient 65
HRUBY K., Le Messie dans la liturgie juive . 85
KNIAZEFF A., La Passion du Christ et le jugement de ce
monde (Jean 12,31) d'après les lectures bibliques de la
Semaine Sainte byzantine . 105
KOULOMZINE N., La prière du Christ au Père . 131
NEUNHEUSER B., Les fêtes de l'année liturgique: fêtes du
Christ? (Comment expliquer l'absence de fêtes du
Père?) 143
OSSORGUINE N., La Résurrection du Christ en tant que vic-
toire définitive sur la mort à travers le septième jour,
d'après la liturgie orthodoxe 151
RAFFIN P., La fête de Noël, fête de l'événement ou fête
d'idée? . 169
RENaux Ch., Le Christ dans quelques textes du rite ar-
ménien 179
RORDORF W., La liturgie et le problème du " Filioque " 203
ROSE A., Versets psalmiques de Pâques ct de l'Ascension 217
6 TABLEAU DES MATIERES

Page
THEODOROU E., Le Christ dans le cycle des fêtes de l'Eglise
orthodoxe 245
TRIACCA A.M., " Christoprosopographie ». Frontière entre la
Christologie et la Christianologie selon les sources li-
turgiques occidentales (De la méthode à la théologie
liturgique) . 261
WEBB D., Le Christ dans la liturgie baptismale de l'Eglise
nestorienne 305
WESTPHAL G., Le Christ dans la récente liturgie romande
des temps de fête et dans le nouveau recueil "Nos
coeurs te chantent» à l'usage des Eglises protestantes
de France . 331
ZELLWEGER E., Les fêtes du Christ dans l'année liturgique
des Eglises réformées de Suisse Alémanique . 345
ZU1:EKR., Christologie et sotériologie de la prière de l'Hym-
ne des Chérubins 363
PRÉFACE

Dans le même moment où la liturgie est présence du Christ J,


Grand Prêtre Eternel, elle est aussi son action, unie à celle de
Son Corps animé par l'Esprit: l'Eglise. En vérité, ce qui était
d'ùnportance maxùnale dans le Christ est «( passé» dans les
« célébrations}) 2 où nous rencontrons le même Christ 3 qui agit
et célèbre '. Chaque célébration liturgique devient ainsi, en raison
de la «Présence et Action» du Christ, un « événernent nou-
veau », un renouvellement constant dans le temps et l'espace de
la rédemption" et de la manifestation de la gloire du Seigneur
Jésus, pour nous transformer toujours plus à sa propre image,
par la force de l'Esprit.
Il était évident que dans le développement logique des thè-
mes traités lors des Semaines d'Etudes Liturgiques de Saint-
Serge, l'on aborde le thème du «Christ dans la liturgie ». En

1 CfT. A. CUVA, La Presenza di Cristo nella Liturgia (E.L.E.V. - Roma 1973).


! Cfr. LED MAGNUS, Sermo 74,2 (=PL 74, 398B): ({ ... quod itaquc Redemptoris
nos tri conspîcuum fuit, in sacramenta transivit »,
.1 Cfr. A~1llRO.sIllS, Apologia prophetœ David l, 12, 58 (= CSEL 32,2,340 B; PL

14,946 E): « Christe ... in tuis Te invenio sacramentis ».


; Cfr. A. AUGlTSTlNUS, In JoannÎs evangelium. Tractatus 4,18 (= PL 35,1424):
« Ouos enim baptizavit Joanncs, Christus baptizavit: quos autem baptizavit Ju-
das, Christus baptizavit. Sic ergo quos baptizavit ebriosus, quos baptizavit ho-
micida, quos baptizavit adulter, si baptismus Christi erat, Christus haptizavit:
Ibidem, 5,7 (= PL 35,1418): «( Petrus baptizet, hic [= Christus] est qui baptizat:
Paulus baptizct, hic est qui baptizat: Judas baptizet, hic est qui baptizat »; IDEM,
Contra liUeras Petiliani 3, 49 59 (= PL 43, 379): «( Hic [= Christus] est qui hap-
tizat in Spiritu Sancto: nec sicut Petilianus dicit, iam baptizare cessavit, sed
adhuc hic agiL, non minislerio corporis sed invisibili opere maiestatis n, etc .
., Cfr. Liber Sacramentorum Romanœ Aeclesiœ Ordinis Anl1i L'irct/li (Sacra-
mentarium Gelasianum) [Co MüHLBERG ed.] (Roma 1960) nI'. 196: « Concede nobis
hœc quœsumus, domine, frequentare mysteria, quia quociens hui us hostilE com-
memoracio ccelebratum, opus nostrœ rcdempcionis exercitum » ct encore: Missale
Romal1wn (Pii V): Secreta: IX Dom. post Pentecosten; Missale Romanum
(Pauli VI) Super ablata: Feria V Hebd. Sanclœ; II Dom. « per ammm,,: Missa
Votiva De 55. ma Eucharislia. B: "quotics hosti<e commemoratio celcbratur,
opus nostr;:e redemptionis excrcetur n.
8 ACHILLE M. TRIACCA
~---------------

effet, après le traité sur" L'Esprit Saint dans la liturgie,," et


sur" L'Eglise dans la liturgie" 7 au terme de cet ensemble que
nous avons qualifié d'" admirable trilogie,,' et qui constitue
la base de toute" ecclésiologie liturgique" " il fallait logiquement
et en conséquence faire porter notre attention sur la personne du
Christ.
Les relations présentées au cours de la XXVII' Semaine
d'Etudes Liturgiques, bien évidemment n'épuisent pas tout le
thème dont nous voulons maintenant présenter une première
approche thématique.

* * *

Les contributions que l'on trouve dans ces Actes, serviront


sans nul doute à susciter l'approfondissement et l'étude de la
richesse des diverses manifestations de l'Unique Liturgie qui
perpétue la présence, actualise l'œuvre et célèbre les mystères
du Christ.
En fait, tout événement faisant partie de l'histoire du salut,
ne devient capital qu'à la lumiere du Christ >c. C'est Lui qui donne
sens à l'Ecriture à tel point que comprendre l'Ecriture Sainte
égale comprendre le Christ, et ignorer l'Ecriture, c'est ignorer le
Christ ". De même aussi que ne pas célébrer le Christ revient à
ne pas célébrer l'Ecriture. Mais, célébrer le Christ (ce que fait
la liturgie), c'est célébrer l'Ecriture et son contenu, c'est-à-dire
célébrer le projet d'économie du salut mis en branle par la Trinité

6 Cfr. Le Saint-Esprit dans la liturgie. Conférences Saint-Serge, XVI~ Se-


maine d'Etudes Liturgiques (Roma 1977).
7 Cfr. L'Eglise dans la liturgie. Conférences Saint-Serge, XXVle Semaine d'Etu-

des Littlrgiques (Roma 1980).


8 Cfr. A.M. TRIACCA, Presentazione, à: Gestes et paroles dans les diverses fa-
milles liturgiques. Conférences Saint-Serge, XXIVe Semaine d'Etudes Lill/rgi-
ques (Roma 1978) 8-9.
9 Cfr. Les Actes de Saint-Serge (Semaines XXII. XXIII. XXIV) c.à.d.: Litur-
gie de l'Eglise particulière et liturgie de l'Eglise universelle (Roma 1976); L'assem-
blée liturgique et les différents rôles dans l'assemblée (Roma 1977); Gestes et
paroles dans les diverses familles liturgiques (Roma 1978).
10 Cfr. A AUGUSTINUS, Quœstionum in Heptateuchum liber 2, 73 (= PL 34,
623): «Novum in Vetere latet et in Novo Vetus patet".
11 Cfr. HIEROr.,."YMUS, Commel1tarii in Isaiam prophetam. Prologus (= PL 24,
17 AB): «Si enim iuxta Apostolum PauIum {= 1 Cor 1.24), Christus Dei virtus
est, Deique Sapientia, ct qui nescit Scripturas, nescit Dei virtutem eiusque sa-
pientiam. Ignoratio enim Scripturarum ignoratio Christi est D.
PREFACE 9

pour le bien de l'humanité, C'est pourquoi les événements histo-


rico-salvifiques du passé, irrépétibles, vécus et concentrés SUr la
personne du Christ, sont proclamés par l'ensemble des fidèles
convoqués en une assemblée liturgique, car, tandis que l'assem-
blée évoque les étapes passées de l'histoire du salut, elle anticipe
sur le futur, avec le Christ, dans le Christ et par le Christ elle
invoque la puissance salvifique de l'Esprit, par Lui, avec Lui et
en Lui, elle loue le Père ",
Et les multiples recherches christologiques présentes aujour-
d'hui dans le tissu ecclésial" ne pourront que tirer profit de
l'apport de la tradition, Ainsi, ces Actes font corps avec la ten-
dance très nette à notre époque, de vouloir donner la préseance
sur des études de type plutôt positif, à la redécouverte de la
personne et de la mission du Christ", On peut se souvenir ici
de la parole de Tertullien, paraphrasée par Jacques-Paul Migne
lorsqu'il voulait justifier sa volonté nelte de servir la cause des
Pères de l'Eglise, et dire que les Actes de Saint-Serge offrent
aujourd'hui à un monde avide de progrès, la Tradition du passé
afin de pouvoir progresser dans le futur 15,
Dans leur approche des diverses traditions liturgiques, les
spécialistes ne découvrent pas seulement des textes qui parlent
du Christ, mais bien plus, ils découvrent le Christ vivant. On se
trouve en contact avec les diverses modalités par lesquelles le
Christ, toujours vivant et nous interpellant 16, s'est rendu présent
et agissant dans les diverses assemblées liturgiques sous des

12 Voir _ par exemple _ les doxologies finales des Canons Romain et


Ambrosien:
Liturgie Romaine Liturgie Ambrosienne
1 Per ipsum, et cum ipso, et in ipso 2 Et est tibi Deo Patri omnipotenti
2 est tibi Deo Patri omnipotenti 1 ex ipso, et per ipsum et in ipso
4 omnis honor, virtus et gloria
3 in unitate Spiritus Sancti 4bisimperium, perpetuitas et potesta...
4 amnis honor et gloria 3 in unitate Spiritus Saneti
5 per omnia sœcula sœcularum 5 per infinita secula seeulorum
6 Amen 6 Amen.
1l Pour une bibliographie voir: A. AMATO, Selezione orientativa sulle pubbli-
cazioni cristologic11e in ltaha, dans: AA.VV., Annunciare Cristo ai giovani (a
cura di A. Amato - G. Zevini) (Roma 1980) 355-373.
t4 Voir _ par exemple - AA.VV., Cristologia e catechesi patristica (a cura di
S. Fclici), 2 voU. (Roma 1980-1981).
15 Cfr. A.G. HAMMAN, Jacques-Paul Migne. Retour aux Pères de l'Eglise (Pa-
ris 1975) 116.
16 Cfr. Hebr. 7,25.
10 ACHILLE M. TRIACCA

cieux différents, dans des régions et des situations culturelles


disparates.
L'on comprend ainsi comment c'est à la liturgie qu'il revient
de vivifier ce camp de la théologie systématique que l'on nomme
christologie, et aussi de modeler de l'intérieur cette vitalisation
des fidèles qui doivent trouver dans le Christ et la célébration
de son mystère, leur plus intime raison d'être. Et d'autre part,
c'est encore la liturgie qui constitue le témoignage le plus pur
parmi les diverses cristallisations théologiques qui portent sur
la personne et l'action du Christ. Celles-ci se sont révélées à
travers les différences liturgiques et la diversité des formulations
d'une même tradition liturgique.
La succession des différents moments culturels et des di-
verses formulations du contenu de la foi en Christ, nous apporte
le témoignage de la richesse d'expression et de la capacité polyé-
drique de pénétration de la liturgie, pour nous faire approcher
le Christ vivant, nous le faire connaître et nous faire vivre de
son Esprit.

~, * *

L'intérêt suscité par le thème développé à Saint-Serge en


1980 est destiné à croître 17. La personne du Christ et son œuvre
ne peuvent être voués à l'oubli ou au silence. Sa Personne, mê11'ze
l'athée désire ardemnlent à la rencontrer, consciemment ou non.
Tout homme L'attend. Le fidèle Lui rend témoignage. Le cher-
cheur La considère d'une manière neuve. Le théologien s'efforce
de Lui donner une interprétation unitaire. Ceux qui se veulent
liturgistes'" doivent insister sur le fait que la personne de Jésus
Christ, Verbe de Dieu incarné, émerge de la liturgie comme
unique et absolu sauveur de l'homme, parce que vrai Médiateur
du salut éternel. La liturgie professe continuellement que les
éléments salvifiques contenus dans les philosophies humanistes
ou dans les religions non-chrétiennes, trouvent dans le Christ-
Li/urge leur unique sens et complément. De même, c'est l'action
liturgique qui couronne tout effort d'évangélisation et de caté-

11 Voir B. NEUNHEUSER, Saint Serge 1980, dans: Erbe und Auftrag 56 (1980)
410414.
IR Voir l'apport des professeurs italiens de liturgie sur notre sujet dans:
AA.VV., Cristologia e Liturgia. Atti della VIII Settimana di studio dell'Associa-
zione Professori di Liturgia (Balogna 1980).
PREFACE 11

chèse ", quand le centre du message chrétien, qui est le Christ,


est proclamé par la liturgie de façon éminente, car Il y est
présent et agissant.
C'est l'action liturgique qui fait dépasser la pluralité des
modèles christologiques, plus ou moins voisins à ceux de Chalcé·
daine ou de toute autre tradition théologique, au nom de la pré-
sence et de l'action de l'Unique Médiateur entre Dieu et les
hommes. Et c'est encore la liturgie qui donne la vraie réponse
aux interrogations et attentes religieuses présentes dans toutes
les époques culturelles et dans les expériences fondamentales du
cœur humain qui ne peut trouver qu'en Christ sa véritable Paix.
C'est dans, avec et par la liturgie que le Christ nous assume
en Lui, en vertu de l'Esprit, dans son rapport unique avec le Père.
Sa vie se mêle à la nôtre 'o. Immanence mutuelle. Le rapport
n'est plus seulement « par Lui », ni seulement (c avec Lui », mais
devient (c en Lui» un rapport unique de contemporanéité.
La liturgie est le " Christ·vie ", vivant dans le temps, cru et
vécu par le fidèle dans un rapport d'intimité. L'intimité avec le
Seigneur, dominateur et créateur de tous les temps, et qu'aucun
temps ne peut contraindre".
En fait, la liturgie opère graduellement dans le croyant l'in·
tériorisation ecclésiale du Mystère du Christ en ce qu'Il est et
opère. Intériorisation et perpétuation de ce qui est arrivé en
Christ, au Christ, par le Christ et avec le Christ, pour atteindre à
la vie à l'unisson avec le Christ.
Le Christ dans la liturgie exige que les fidèles qui célèbrent
soient en syntonie avec la façon de juger et de voir du Christ,
pour être en sympathie avec la façon de souffrir et d'aimer du
Christ et en synergie avec son ({ être-Liturge » par excellence.

Université Pontificale Salésienne


Faculté de Théologie, Institut Liturgique" E.M. Vismara"
Rome, Epiphanie du Seigneur 1981.

Achille M. TRIACCA

19 Cfr. A.M. TRIACCA, Evangelizzazione e calechesi peY la liturgia, dans AA.VV.,


Evangelizzazione e calechesi (a cura di G. Concetti), (Milano 1980) 339-360.
2n Cfr. Jo 5, 56.
21 " Omnium temporum Dominator non adstringitur spatiis temporalibus ».
LE DIEU-HOMME DANS LA LITURGIE
DE LA TRANSFIGURATION ET DE L'ASCENSION

Ces deux fêtes, l'une du cycle fixe, l'autre du cycle mobile,


mettent particulièrement en lumière par leur hymnographie
un élément fondamental de toute la doctrine chrétienne de
l'Incarnation, de l'Inhumanation de Dieu. C'en est peut-être
l'aspect le plus prodigieux et le plus difficile à concevoir et à
assimiler. L'Eglise n'en as pas donné jusqu'ici de définition
dogmatique. Néanmoins, sans cet élément, le dogme de l'Incar-
nation resterait incomplet, celui de la Résurrection, inachevé;
l'humanité du Christ ne serait que temporelle et sa théanthropie
connaîtrait une solution de continuité. Enfin, l'Eglise elle-même
ne serait pas intégralement le Corps du Christ, elle n'irait pas
non plus jusqu'au ciel. C'est dire que cet élément est inaliénable
de la christologie, aussi bien que de l'anthropologie (et donc de la
cosmologie), tout autant, enfin, que de la sotériologie et de
l'ecclésiologie, dont il est le sommet. Les théologiens ne l'ont
guère explicité, les hymnographcs l'ont cependant bien mis en
lumière.
Voici le thème en question, tel que l'expose l'ikos de la
Transfiguration:
{( Le Créateur a relevé aujourd'hui de la corruption notre figure,
anciennement corrompue, dans les retraites infernales de l'ancêtre
Adam. Il divinise notre esprit (noùs). Or, Dieu demeure ensemble
homme, en portant les deux natures unies sans confusion ni division.
C'est par là qu'il brille indiciblement sur le Thabor aujourd'hui; et
de toute sa chair, il irradie les rayons de sa divinité, en illuminant
ceux qui clament: le Christ se transfigure et il sauve tous les
hommesl ».

Et voici comment l'exprime le kontakion de l'Ascension:


{jAyant uni les choses de la terre à celles qui sont au ciel, tu
t'es élevé dans la gloire, sans te séparer d'aucune façon, mais tu
demeures permanent (menô adiastatos, prebyvaia neotstoupno)}).
14 CONSTANTIN ANDRQNIKOF

A savoir: non seulement continûment présent sur la terre


comme au ciel, mais encore constant comme Dieu parfait et
comme homme parfait, selon la doctrine patristique: «C'est le
Verbe qui co-siège avec Dieu, mais avec la chair, lneta sarkos» 1.
Nous tâcherons de nous en tenir strictement à ce thème
théanthropique du «Christ dans la liturgie", en laissant de
côté d'autres aspects qui y sont pourtant intimement liés, comme
ceux de la lumière ou de la triadologie, que l'on trouve par exem-
ple résumés dans l'exapostilaire de la Transfiguration:

« 0 Verbe, lumière immuable de la lumière du Père inengendré,


dans ta lumière révélée, nous avons vu aujourd'hui sur le Thabor la
lumière qu'est le Père et la lumière qu'est l'Esprit, instruisant
la création entière par la lumière ».

Retenons cependant que, conformément au récit évangélique,


plusieurs hymnes insistent, comme celle-là, sur le caractère tri-
nitaire de la fête. Il n'y a pas à y revenir ici, mais pour se faire
une idée complète et juste du «Christ dans la liturgie", il est
nécessaire de tenir compte du fait que celle-ci ne cesse pas de
le glorifier comme «Un de la Trinité", même lorsqu'il s'agit
de son action immédiate, par exemple de sa Passion, et que
l'Eglise s'y prépare (v. les tropaires triadologiques aux matines
et complies du Dimanche des Rameaux, des Grands Lundi, Mardi,
Mercredi).
Plusieurs idées ressortent des formules liturgiques, concises
et, pour ainsi dire, factuelles, qui présentent diverses facettes
du dogme de l'Incarnation. Et d'abord, le principe de base: il
n'y pas de solution de continuité entre Dieu et l'homme, entre
le Verbe et la chair, à partir de la conception de la Vierge. Le
Christ est le Dieu-Homme sur la terre (et même dans l'Hadès
comme au ciel, du haut en bas de la création et dans le milieu
divin). Il est le plérôme, «tout en tout". Ensuite, le principe
sotériologique qui culmine toute l'économie du salut: la grâce
de déification. D'autres encore sont précisés ou suggérés par les
offices de nos deux fêtes, que nous ne pourrons pas tous rele-
ver ici.

1 CYRILLE D'ALEXANDRIE, Hom. Pase. XX; PG LXXVII, 841 D.


LE DIEU-HOMMF DANS LA LITURGTE 15
---------=.=
Enfin, la Transfiguration et l'Ascension sont éminemment
marquées par un double caractère (certes à l'instar de tout fait
d'Eglise): à la fois actuel et prophétique, historique et eschato-
logique; ce qui renforce le sens théologique de la vision que la
li turgie nous offre du Christ.
Au sujet du premier principe que j'avais indiqué:
« Tu t'es élevé et tu as pris place à la droite du Père ... Tu t'es
manifesté dans la chair, mais tu es demeuré sans changement»
(vendredi de l'Ascension, matines, cathisme).

Notons, en passant, un autre thème qui fait partie intégrante


du nôtre ici: le Juge, le Soleil de Justice, est aussi le Verbe
incarné:
« Par là, tu attends» (ou « espères », comme en vieux français
ou en belge; ou en anglais (, expect ») « l'accomplissement des
termes (synteleias tu peras, soverchenia kOl1ets), pour venir sur
terre juger le monde entier» (ib.).

L'affirmation de ce stichère quant à la permanence de la


réalité déi-humaine tant du Christ exalté que du Roi du Deuxième
Avènement correspond exactement à ce qu'ont révélé les anges
aux premiers disciples: « Ce Jésus-ci qui vous a été enlevé dans
le ciel viendra de la même manière ... (houtos ho 1èsous ...
hou/ôs ... ) » (Act. I, 11).
La déification est directement fonction de cette consubstan-
tialité de l'homme et de Dieu. Les offices des deux fêtes le
mettent en évidence.
« En ce jour, sur le Thabor, le Christ transforma la nature
obscurcie d'Adam. L'ayant illuminée, il la divinisa» (petites vêpres,
apostiche).
« Toi qui n'étais pas séparé du sein du Père et qui as fréquenté
en tant qu'homme (synanastrapheis hàs antl/râpos) ceux qui sont
sur la terre, tu es remonté aujourd'hui du mont des Oliviers dans la
gloire; et tu as élevé avec compassion notre nature déchue, tu l'as
faite siéger avec le Père (synekathisas) » (veille de l'Ascension, lucer-
naire; cf. apostiche: « Dieu est monté ... pour élever l'image déchue
d'Adam »).

Ces deux événements sont historiques en même temps qu'ils


sont des prophéties in actu de l'achèvement de l'œuvre du salut,
quand le Christ" transformera le corps de notre humilité (en le
16 CONSTANTIN ANDRONIKOF

rendant) conforme (symmorphon) au corps de sa gloire" (Ph.


III, 20-21). Le fait qui s'est produit sur le Thabor nous offre le
modèle de cette {( symmorphie », où {( les justes resplendiront
comme le soleil" (Mt. XIII, 43). Un cathisme revient encore à
cette annonce évangélique dans le contexte de la fête:

({ Tu t'es transfiguré sur le mont Thabor, ô Sauveur, en mani-


festant la transformation qui sera celle des mortels lors de ton
avènement second et terrible dans la gloire".

D'ailleurs, toutes ces hymnes suivent de très près l'Ecriture,


faut-il le rappeler? - qu'elles paraphrasent souvent ou com-
mentent. " Lors de la régénération de toutes choses, quand le Fils
de l'homme siégera sur son trône de gloire, vous, qui m'avez
suivi, vous siégerez vous aussi" (Mt. XIX, 28). Ce à quoi le
Visionnaire fait écho: « Nous sommes maintenant enfants de
Dieu, mais ce que nous serons n'est pas encore apparu. Nous
savons que, lorsque cela apparaîtra, nous serons semblables à
Lui, parce que nous le verrons tel qu'il est" (1 Jn. III, 2).
Il est remarquable que pour décrire la Transfiguration nom-
bre d'hymnes commencent par dire qu'elle s'est produite" sur
la montagne »: sur un lieu élevé, certes lui-même allégorique,
mais faisant physiquement partie de notre monde. C'est sur
terre que le Roi de l'univers s'illumine par la gloire de l'Esprit
et que la théophanie trinitaire prend place. C'est aussi en présence
des hérauts de la Loi et des Prophètes, Moïse et Elie, et devant
les coryphées de la génération apostolique, que se trouve préfi-
gurée la jonction de la Jérusalem Céleste avec la terre, de l'incréé
avec le créé, que se manifeste le Royaume trinitaire de Dieu
avec les fils adoptifs, dont le Roi est le Christ, le Dieu-Homme,
consubstantiel au Père et consubstantiel à la nature humaine. La
Transfiguration prophétise in actu un état de la création unie
à son Créateur, qui doit être établi après le retour physique du
Fils dans le sein de la Trinité. En ce sens, la Transfiguration
annonce un événement christologique postérieur à l'Ascension,
et aussi au Second Avènement, lui aussi physique, comme l'étape
finale de l'économie du Verbe incarné. La Transfiguration est
une anticipation de la condition post-pascale du Christ, de la
condition post-parousique des hommes. Elle est une figure de
l'Eden où le Christ est parmi ses co-héritiers dans la vie éternelle.
Elle montre l'éon futur du Royaume, tandis que l'Ascension
LE DIEU-HOMME DANS LA LITURGIE 17

achève l'éon de la vie humaine de Dieu ici-bas. L'Ascension pré-


cède la Transfiguration dans le devenir général du salut, mais
elle la suit dans l'économie physique du Christ sur la terre. La
Transfiguration est eschatologique quant au Dieu-Homme,
l'Ascension l'est quant à l'homme. Mais toutes deux sont égale-
ment théanthropiques, bien que le Christ ne se soit pas transfi-
guré quand il s'est élevé ni ne se soit élevé quand il s'est trans-
figuré.
Néanmoins, il y a une discontinuité dans la manifestation:
à la Transfiguration, le Christ se montre à la créature comme il
sera et, au ciel, comme il est toujours, en interrompant pour un
instant sa kénose; à l'Ascension, il quitte la terre pour un temps
et il revient au ciel, mais pour y siéger avec sa chair. Il introduit
ainsi un événement dans l'immuable et une nouveauté dans
l'éternel. Or cet éternel vient maintenant baigner le temps du
monde, puisque, malgré l'absence, «je suis avec vous tous les
jours jusqu'à la fin des temps" (Mt. XXVIII, 20). A la limite,
ces deux conséquences du mystère de l'Incarnation sont parfaite-
ment indicibles. Il va de soi que l'Absolu ne change pas, qu'aucun
événement temporel ne représente pour lui une innovation quel-
conque. Cependant, dans le domaine de la manifestation, où le
discours théologique a sa place légitime, nous sommes fondés
à formuler l'antinomie. Le Dieu-Homme fait se compénétrer
l'éternité divine et le temps de la créature. L'économie du salut
imprègne l'histoire des hommes. Et ceux-ci l'expriment éminem-
ment par leurs textes liturgiques.
«Le Père reçoit Celui qu'il a co-éternel dans ses profondeurs»
(veille de l'Ascension, lucernaire).

Il y a simultanéité des deux «états" du Fils: dans le ciel


avec le Père, sur la terre avec les hommes; et cet état-ci est à la
fois éternel et temporel; et dans les deux, le Christ a les deux
natures.
« Tu as nettoyé par l'eau et par le feu la nature humaine souillée.
Tu en montres l'éclat par ta chair, t'étant illuminé plus que le
soleil, à l'image de la gloire future» (avant-fête de la Transfi-
guration, matines, canon, 7r ode).

Sur le Thabor, l'humanité du Christ revêt déjà « l'éclat" de


la « gloire future" qui sera celle des hommes intégrés au Royau-
18 CONSTANTIN ANDRONIKOF

me. Cette déification est l'œuvre finale de la théanthropie du


Christ, et la liturgie ne cesse pas d'y revenir.
Il Préparant pour ses amis la demeure de gloire pour la joie
future, le Christ gravit la montagne en les élevant de la vie d'ici-bas
vers l'être céleste» lavant-fête, 6~ ode du canon).

Par l'Ascension, il le réalise quant à lui, mais avec son corps,


il le fait aussi {( pour ses amis »:
e
« Tu t'es élevé ... et tu as élevé notre genre» (matines, 3 ode du
Damascène) .
{( Tu as rétabli la nature des hommes .' et tu l'as élevée par
ta montée, et tu nous as glorifiés avec toi-même» (ib.).

Ce rétablissement dans la dignité glorieuse du Paradis avec


le Christ, nous savons qu'il l'a donné à un homme avant son
Ascension: au larron sage crucifié avec lui (ce que la liturgie ne
manque pas de chanter; v. e.g. le fameux exapostilaire du Ven-
dredi Saint). Le jour de la Transfiguration, le Christ rend visible
cette condition glorieuse de la théanthropie, qui est la sienne par
nature et à laquelle nous sommes appelés par adoption.
« C'est plus que les hommes n'ont jamais vu, plus qu'ils ne
verront jamais dans l'histoire, avant le Second Avènement. Ni
Moïse ni Elie n'avaient pu voir le visage de Dieu, qui ne s'était
pas incarné en leur temps, ni recevoir de théophanie trinitaire
(en dehors de celle, symbolique et impersonnelle, qui eut lieu
«aux chênes de Mambré ,,). Aucun des trois disciples qui étaient
avec le Christ et les deux prophètes sur le Thabor, ni aucune des
personnes qui seront en présence du Christ jusqu'à sa mort et,
après sa résurrection, jusqu'à son ascension, ne contempleront
plus le Dieu-Homme transfiguré. En ce jour, les vivants et les
morts participent au Royaume de Dieu. Les hommes obtiennent
une béatitude et une connaissance de la divinité plus grandes
que celles qu'avait possédées Adam (car dans la «dimension»
prétemporelle de l'humanité édénique, Dieu ne s'était pas incarné,
il n'avait pas pris pour se manifester la ressemblance de sa
propre image, il n'avait pas distingué les Personnes de son être,
il n'avait rien dit à l'homme de Lui-même; quant à l'humanité
d'Adam, elle n'avait pas la connaissance du bien et du mal avant
la chute, elle ne pouvait donc pas concevoir une transfiguration
du créé qu'elle ne connaissait qu'en tant que bonne; etc.). Cette
LE DIEU-HOMME DANS LA LITURGIE 19

béatitude et cette connaissance, découvertes pour un instant par


la Transfiguration (et que la lilurgie nous permet de contempler
et de revivre d'année en année), s'instaureront à jamais après la
fin de ce monde. quand il y aura "un ciel nouveau et lille terre
nouvelle", dans le dynamisme glorieux et synergique de l'éternelle
jeunesse de Dieu et du créé recréé. En puissance et en acte, la
Transfiguration est donc le symbole de la Pâque au-delà du
temps, c'est-à-dire celui de la résurrection dans l'éternité et dans
la gloire, quand Dieu sera "tout en tous". La Transfiguration
représente le fruit de l'économie du salut, le but de l'histoire
commune aux hommes et à Dieu. Elle est ainsi la clé de l'escha-
tologie. En ce sens, elle est bien la fête suprême de l'Eglise, la
plus téléologique, et la consommation préfigurée de toutes les
autres )) 2.
Et l'une des clés de cette fête, comme de celle de Pâques
et de l'Ascension, c'est que le Christ accomplit ces étapes du salut
et de la palingénésie par sa nature théanthropique, en tant que
Dieu-Homme. « Dieu a rendu nouvelle la nature d'Adam par lui-
même (kainonoièsas seautô[i)) », chante l'Eglise à la litie, la
veille de l'Ascension. «Par ta venue théanthropique ... Tu as
mystérieusement illuminé le monde par l'aurore des merveilles »,
chante-t-elle à la Transfiguration (avant-fête, matines, canon,
4< ode).
Il est clair aussi que cette révélation de la déi-humanité du
Fils, dans l'épiphanie trinitaire, s'accompagne d'une épiclèse:
manifesté par la lumière incréée, l'Esprit Saint descend et im-
prègne le créé, en lui rendant 1.. beauté que celui-ci avait à l'origine
et qu'il aura après sa palingénésie. Le sens cosmique de la théan-
thropie glorifiée du Christ, auquel nous avions fait allusion,
apparaît ici avec évidence. cc L'éclat nouveau du Dieu-Homme,
irradié par la gloire et ensemble l'irradiant, rend éclatants ses
vêtements, l'air qui l'entoure, la terre sur laquelle il se tient.
L'Esprit glorifie la nature, la matière. Il les rend capables, par
leur pureté recouvrée, de réfléchir la lumière divine et de s'en
laisser pénétrer» '. « Tu as fait briller la lumière dans le monde
en venant dans la chair ... » (v. supra).

2 c. AXDRONTKOF, Le sens des fêtes, Paris 1970, pp. 243·244; avec les excuses
de l'auteur pour se citer lui·même.
l C. ANDRONIKOF, op. cU., p. 248.
20 CONSTANTIN ANDRONIKOF

C'est la déi-humanité du Christ, sa double consubstantialité,


qui rend l'homme et le monde capables «d'approprier l'Esprit
Saint" (selon le précepte de Séraphin de Sarov). C'est parce
que Dieu a assumé l'homme que celui-ci reçoit la faculté de
recevoir l'Esprit. Et ce don pneumatique, à son tour, permet
à l'homme d'assimiler le Christ en s'élevant le long de l'échelle
de la ressemblance au Dieu-Homme.
« Venez à présent, transfigurés en une forme meilleure, les
yeux fixés aujourd'hui vers le ciel, rendus conformes au Christ
(symmorpholl111erwi) .. , et nous élevant du fond de la terre vers la
contemplation la plus haute des vertus)} (petites vêpres).

L'homme devient « christophore» ou ({ christomorphe» ou


« christophyte ", selon les expressions des Pères, dans la mesure
où il devient pneumatophore. Ceci est la condition de cela, en-
core que ceci soit « second» par rapport à cela, dans le mystère
de l'économie, en ce sens que c'est le Christ qui envoie l'Esprit
d'auprès du Père. Il n'en reste pas moins que « l'Esprit souffle
où il veut »; mais cela est un autre mystère.
Je ne puis que faire allusion ici à ces thèmes dont la liturgie
trouve la révélation dans ces deux fêtes, mais, avant d'en termi-
ner, je voudrais en indiquer brièvement deux autres connexes:
celui de la pédagogie christique et celui de la réunification de
l'homme avec Dieu par la gloire.
A vrai dire, ils transparaissaient déjà dans les quelques
textes liturgiques que j'ai cités. Il suffira de les préciser, car
ce sont des traits saillants du « Christ dans la liturgie ".
De toute évidence, tant à la Transfiguration qu'à l'Ascension,
il se produit une initiation fondamentale à l'ontologie du Christ,
non moins essentielle qu'à la Nativité. Son contenu est résumé
par un apostiche de l'avant-fête de la Transfiguration (à vêpres):
({ Tu es le Dieu Un qui t'es incarné, et tu as divinisé l'humanité ».
Or, c'est en participant à l'illumination divine (l'on aperçoit à
quel point ce thème gnoséologique est lié à celui de la gloire),
c'est en recevant la lumière incréée que l'homme accède au Logos
(liaison avec le thème pneumatologique):

110 Verbe de Dieu, qui est compris par les fidèles et qui est
humainement connaissable » (9~ ode du canon de l'avant-fête).
Cc Eclaire-nous aussi de la lumière de ta connaissance» (aposti-

che de vêpres).
LE DIEU-HOM!vlE DANS LA LITURGIE 21

Or la lumière de cette connaissance du Christ a une portée


universelle: elle s'étend à l'ensemble du créé, depuis la matière
cosmique jusqu'aux esprits incorporels:
« Réjouis-toi, ciel, qui as connu maintenant celui qui fait lever
sa lumière à partir de la terre ... et que la terre exulte radieuse·
ment, elle qui s'illumine de l'éclat céleste et qui devient lumière»
(9~ ode du canon de l'avant-fête).

Pour le monde angélique, c'est évidemment l'Ascension qui


est la source de la stupéfaction la plus grande et de la révélation
la plus prodigieuse. Voyant le Christ monter au ciel du mont des
Oliviers,
« les incorporels disaient: Qui est-il, cet homme beau (anèr)? C'est
qu'il n'est pas seulement homme (anthrôpos), il est Dieu et homme,
ce qui est conjointement manifesté ... Hommes de Galilée, celui
qui est parti de vous, celui-ci, Jésus, homme Dieu (anthrôpos
Theos), reviendra Dieu-Homme (theanlhrôpos») (litie).

Le liturgiste fait ici ressortir encore une fois l'identité du


Christ pascal et du Christ à venir, en soulignant le parallélisme
entre l'Ascension et le Second Avènement.
L'Ascension est présentée comme le gage de la Parousie et du
Jugement, qui seront accomplis par l'un et le même Dieu-Homme,
ainsi que l'affirme en conclusion le stichère que je viens de citer:
ce même Jésus, « homme Dieu, reviendra Dieu-Homme, juge des
vivants et des morts ». Laissons de côté ce thème, en notant
toutefois qu'il renforce notre propos, à savoir: la révélation,
par voie de démonstration cognitive, de la réalité théanthropique:
le Fils de Dieu ne se dépouillera jamais de son corps humain,
désormais en gloire; et il le démontre à tous les ordres du créé.
Cette réalité suprême, préfigurée par la Transfiguration, actua-
lisée par l'Ascension, établit une liaison organique entre la terre
et le ciel.
Liaison ontologique, d'abord: avant même la plénitude des
temps, où aura lieu la récapitulation de tout par le Christ, le
Dieu-Homnle rejoint le ciel incréé avec sa chair créée.
« Tu as élevé notre nature déchue en la faisant siéger avec le
Père» (lucernaire).
22 CONSTANTIN ANDRONIKOF
-------------------------------------------
Liaison gnoséologique, ensuite: la révélation théanthropique
est donnée aux hommes comme aux anges:
{( Aujourd'hui, les puissances d'en-haut, voyant notre nature
dans les cieux, s'émerveillaient de cette montée d'un mode étrange»
(mégalynaire).

Liaison liturgique, enfin:


« Tu as élevé notre nature ... à cause de cela, les ordres célestes
des incorporels ... magnifiaient ton amour de l'homme. Avec eux,
nous aussi, qui sommes sur la terre, glorifiant ta condescendance
envers nous ct ton ascension loin de nous, nous te prions ... »
(lucernaire).
«La terre est en fête et en joie, et le ciel dans l'allégresse à
cause de l'Ascension aujourd'hui de Celui qui a fait le créé et qui
a unifié ce qui était manifestement divisé» (3 e ode du canon de
matines).
«Avec les puissances d'en~haut, célébrons sans cesse toi qui
viens à nouveau de là~bas avec la chair, comme juge de l'univers
et Dieu tout~puissant» (mégalynaire).

La liturgie terrestre rejoint la céleste pour célébrer le Dieu-


Homme qui achève l'œuvre de l'Incarnation en élevant la nature
humaine afin de la faire co siéger à la droite du Père dans la
gloire de l'Esprit.
Cette gloire est le sceau de la réunification de l'homme avec
Dieu, qui est le but suprême de toute l'économie du salut, autre-
ment dit, la déification ou encore, la conformation d'Adam au
Christ que célèbre la liturgie de nos deux fêtes. Cette « symmor-
phose" durera toute l'éternité, elle est le fruit de l'Incarnation
et de l'œuvre pascale, menée à chef par la Parousie et l'Apoca-
castase, tant attendues durant toute l'histoire de l'humanité,
depuis l'exil du Paradis et le Déluge.
«Celui qui, dans les temps anciens, parla en symboles avec
Moïse sur le mont Sinaï, disant: "Je suis celui qui suis", aujourd'hui
sur le Thabor, transfiguré devant ses disciples, leur montre la beauté
première de ['image, ayant lui~même assumé la nature humaine)
(Transfiguration, vêpres, apostiche).

Et à l'Ascension:
« Le ciel, ayant ouvert ses portes, révèle sa beauté, et la terre
découvre les trésors cachés, apprenant la descente et la remontée
d'Adam» (litie).
LE DIEU-HOMME DANS LA LITURGIE 23

C'est exactement la conformation au Christ que nous annonCe


S. Paul: "Nous qui, le visage découvert, contemplons (ou re-
flétons) la gloire du Seigneur, nous nous transfigurons en la
même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur Esprit»
(II Cor. III, 18). Et " quand le Christ sera manifesté, lui qui est
notre vie, alors vous serez manifestés vous aussi avec lui dans
la gloire» (Col. III, 4).

* * *

Comment pourrait-on concevoir une conclusion à cette


esquisse d'un thème qui représente en lui-même une ouverture
infinie? (Conclure est en général l'une des difficultés majeures
de la théologie liturgique). Pour nourrir notre contemplation
réfléchie et continuée du " Christ dans la liturgie », contentons-
nous de reprendre un texte de celle-ci:
« Tu t'es élevé, Christ, Donateur de vie .. ' et tu as élevé notre
genre (genos) ... Tu as rétabli la nature (physin) des hommes,
tombée à cause de la corruption, ct tu l'as élevée par ta montée, et
tu 11011S as glorifiés avec toi-même» (Ascension, matines, 3~ ode du
canon de Jean Damascène).

Toutefois, pour satisfaire aux exigences de la théologie


" positive », plutôt qu'apophatique, à savoir: celle exactement
que présente la liturgie, il convient au moins d'essayer de dresser
un tableau récapitulatif des thèmes contenus dans les deux
fêtes choisies comme exemple du " Christ dans la liturgie» (j'y
avais fait allusion au départ). Schématiquement, selon les caté-
gories habituelles de l'école (mais elles sont si intimement liées
et complémentaires que des chevauchements sont inévitables),
l'on obtient à peu près ceci:

1) Christologie: manifestation suprême du Christ


en tant que Fils de Dieu et Fils de l'homme à la droite du
Père;
- en tant que Sauveur (justification de la kénose et achève-
ment de l'économie du salut);
- en tant que Logos (le seul et même Verbe créateur accomplit
la palingénésie pour le Royaume);
24 CONSTANTIN ANDRONIKOF

- en tant que Plérôme du créé (le Nouvel Adam exalté, élevant


le microcosme jusqu'au ciel);
_ en tant que Chef de l'Eglise (union du ciel et de la terre
pour glorifier Dieu dans la gloire);
- en tant que Epoux (présentation de son Corps au Temple
de Dieu);
- en tant que Vainqueur de la mort et du monde;
- en tant que Révélateur de l'Unique Sainte Trinité (" Tu mon-
tres aujourd'hui mystérieusement sur le Thabor
une image de la Trinité », lucernaire);
- en tant que Donateur de l'Esprit Saint (" Dieu est monté ...
pour élever l'image déchue d'Adam et pour en-
voyer l'Esprit Paraclet sanctifier nos âmes»
(Ascension, apolytikion).

2) Triadologie: le Dieu trine révélé (cataphatiquement)


comprend la nature intégrale de l'homme régénéré selon l'Ar-
chétype de la création première; la Trinité inclut l'ontologie
christique de la Théanthropie dans la gloire du Royaume de Dieu
avec les hommes, ses fils adoptifs. Il en résulte que l'image de
Dieu en l'homme a aussi un aspect trinitaire.
3) Anthropologie: en fonction de ce qui précède, révélation
de la vraie nature de l'homme; connaissance de Dieu à la mesure
de la "symmorphie» avec le Christ; participation immédiate
de la nature divine dans la gloire; liberté par la communion avec
la vérité et la délivrance du mensonge: "Le Christ ... qui est
monté dans les cieux en deux ousies ... a délivré la créature de
l'asservissement aux idoles et l'a présentée libre à son Père»
(matines, 8' ode de Jean); le corps pneumatisé recouvre la beauté
originelle de la condition paradisiaque dans les demeures du
Père 4,

~ Les hymnes liturgiques ont une conception globale de l'humanité du Christ:


il a assumé toute la «nature» d'Adam, désignée par physis ou par sar."C. Elles
disent aussi qu'il a «divinisé» le noûs (l.c., v. supra p. 13), pour bien signifier
cette totalité. Aucune allusion n'étant fait à l'âme du Christ, dont la question
a tant agité des théologiens occidentaux, d'une part, nous ne savons pas si
nos liturgistes avaient une vision dichotomiste ou trichotomiste de la nature
humaine; d'autre part, ils évitent cette problématique même et ne permettent
donc pas de donner à leur énoncé christologique une tournure non orthodoxe,
dans le sens de l'arianisme (par exemple, du théopaschisme) ou du mono-éner-
gisme apollinarien.
LE DIEURHOMME DANS LA LITURGIE 25

4) Angélologie: révélation continuée de l'essence divine par


la Théanthropie: "Voyant en haut ta chair déifiée, les anges
se disaient: En vérité, celui-ci est notre Dieu" (9" ode); partici-
pation à la liturgie universelle; union des incorporels et des
mortels promis à la résurrection et à la glorification.
5) Cosmologie: le monde récapitulé par le Christ dans les
hommes christiques et pneumatophores; achèvement de la Ge-
nèse dans le " ki tob " téléologique; participation à la gloire des
fils de Dieu; liturgie cosmique; condition paradisiaque.
6) Ecclésiologie: l'Eglise-Corps du Christ sur la terre comme
au ciel; rendue conforme à son Chef par l'Esprit, dont elle est
le Temple, au point que Dieu lui-même est le temple dans la
Jérusalem Céleste; d'où, liturgie non seulement cosmique, mais
encore « plérômique)}J « panenthéiste »; dès maintenant J COffiR
munion des saints, vivants et défunts.
7) Liturgie: en fonction de ce qui précède, la Transfigura-
tion présente le type de la liturgie de la postérité d'Abraham,
dans la lumière de l'Esprit, sous la voix du Père qui proclame
le Fils. De même, l'Ascension, image de l'Eglise en contempla·
tian, centrée sur la Mère de Dieu et les apôtres, entourée d'anges,
sommée par le Christ, ici-bas et en-haut (v. l'icône de l'Ascension).
Nous pouvons dire J pour terminer, que tous ces éléments
font partie intégrante de la vérité chrétienne, qui est la tradition
vivante de l'Una Sancta (quelles qu'en soient les nuances ou
les divergences confessionnelles). Et elle fait monter sa liturgie
" au Dieu unique notre Sauveur par Jésus Christ notre Seigneur,
gloire, grandeur, puissance et autorité, avant tous les siècles et
maintenant et dans tous les siècles" (Jude 25).

Cons tan tin ANDRONIKOF


COMMENT LE CHRIST ET LE SAINT ESPRIT SE SITUENT-ILS
L'UN PAR RAPPORT À L'AUTRE DANS LA LITURGIE?

Nous bénéficions aujourd'hui des fruits d'un renouveau


liturgique et théologique profond. L'un des résultats en est le
passage d'une conception étroitement christomoniste de la litur-
gie conçue comme actualisation de l'unique sacrifice rédempteur
du Christ Cà l'exclusion d'une référence consciente et élaborée
au Père et à l'Esprit Saint), passage donc à une vision franche-
ment trinitaire de l'Eucharistie, sacrement de l'assemblée ecclé-
siale, avènement du Royaume trinitaire dans le monde.
Un autre résultat du renouveau théologique de toutes nos
Eglises est la perspective ecclésiologique de l'Eucharistie et de
ses structures: relation de l'Eucharistie à l'Eglise, à ses ministères
ordonnés, au laïcat, au témoignage catéchétique et missionnaire.
Enfin, c'est la dichotomie même de la christologie et de la
pneumatologie qui est mise en question, voire dépassée, d'une
manière déterminante, comme nous pouvons le constater dans
les diverses catégories du dialogue œcuménique, le Groupe des
Dombes, le dialogue catholique-orthodoxe sous l'égide du Secré-
tariat Romain pour l'Unité dès 1972 et surtout dès la Pentecôte
1980 à Rhodes.
Le thème général de la Semaine Liturgique de Saint Serge
de cette année, «Le Christ dans la liturgie", est donc d'une
importance capitale, mais ce thème est délicat à manier, car il
apparaît à première vue comme une « lapalissade », une tautologie
et on risque de passer à côté du point névralgique essentiel.
C'est pourquoi j'ai tenu à préciser mon sujet: «Le Christ et
l'Esprit Saint dans leurs rapports mutuels ". En réalité je m'ef-
forcerai non moins de situer le contexte trinitaire et la finalité
« patrocentrique" de l'Eucharistie et de l'Eglise. L'ampleur du
sujet et sa complexité me contraindront à un exposé assez
28 BORIS BüBRINSKOY

schématique de quelques thèses fondamentales qui mériteraient


toutes d'être développées et complétées.

1. - PLACE DE L'ESPRIT-SAINT DANS LE MYSTËRE DU


CHRIST

Le mystère du Christ, Verbe éternel et incarné, Dieu-homme


et Seigneur de gloire, est inséparable de l'Esprit-Saint. Celui-ci
repose sur le Fils de toute éternité et remplit Jésus en plénitude
dès le premier instant de l'Incarnation à Nazareth, jusqu'à la
Croix, la Résurrection et l'Ascension.
La vie entière de Jésus est ({ constituée}) par la présence de
l'Esprit-Saint qui la remplit dès la conception virginale de
Nazareth. Jésus a été constitué, formé, porté par l'Esprit·Saint,
animé par l'Esprit, obéissant à l'Esprit, poussé par l'Esprit.
Saint Jean Chrysostome rappelle que «Jésus Christ est spi-
rituel, car c'est l'Esprit lui-même qui L'a construit" (Hom. XV
in Hebr. § 2, P.G. 63, 119). Mais désormais, Jésus est le Donateur
de l'Esprit, dans sa nature terrestre, en avant·goût, et dans sa
gloire, dans la mission pentecostale sur le monde.
On ne peut donc dissocier la vie de Jésus et la présence de
l'Esprit. Cette dernière n'est ni secondaire ni consécutive, mais
« constitutive" du mystère du Christ Sauveur et du mystère
du Christ total, c'est à dire de l'Eglise.
Le mystère du Christ ne doit pas être réduit aux cadres de
sa vie terrestre. Jésus est vivant dans la Gloire du Père; Il est
présent dans l'Eglise qu'Il vivifie et qu'Il maintient dans l'Esprit.
La christologie chrétienne est donc une christologie {( extensive »,
récapitulant en elle toute l'histoire humaine et cosmique, histoire
sacrée qui culmine dans le mystère de l'Eglise. Celle·ci n'est
extérieure ni au Christ ni à l'œuvre du salut.
l'aimerais rappeler ici la vision théologique du Christ total
que développe Saint Augustin et à laquelle fait écho le P. Georges
Florovsky (<< Le Corps du Christ vivant" dans La Sainte Eglise
Universelle, Neuchâtel, 1948, pp. 9·57, et surtout p. 21).
Une christologie extensive englobe donc le devenir de l'Eglise,
de son culte, de sa théologie, elle englobe aussi la destinée de
l'homme créé à l'image du Verbe Incarné et appelé à la divine
ressemblance. Il est donc évident que le rôle de l'Esprit-Saint
LE CHRIST ET LE SAINT ESPRIT 29

n'est ni secondaire, ni extérieur, dans l'édification du mystère du


Christ total. Il continue dans le temps de l'Eglise, Corps du
Christ, comme dans le devenir de l'homme devenu christ par la
grâce, la même œuvre de manifestation du Christ caché et glo-
rieux dans l'histoire - que dans la vie même de Jésus où
l'Esprit-Saint était à l'œuvre.

2. - EUCHARISTIE, CULTE TRINITAIRE

Passons maintenant à l'Eucharistie, moment central du culte


que l'Eglise rend à la Sainte Trinité, manifestation plénière de
l'Eglise, elle-même sacrement du salut et de l'Alliance Nouvelle.
Il n'est pas vain de dire que l'Eucharistie - et sa correspondance
cachée dans la prière du cœur - est le lieu le plus fort et le plus
central de l'identité spirituelle de l'Eglise. C'est lorsqu'elle prie,
que l'Eglise (et l'homme) manifeste sa véritable identité dans
une relation de communion à la Trinité éternelle.
Le culte ecclésial est donc liturgique et trinitaire, par excel-
lence, par nature. Evoquer la Trinité, c'est d'une part parler du
mystère de la communion trinitaire des Personnes divines, du
mouvement infini et éternel d'amour et de partage. C'est d'autre
part pénétrer dans l'enceinte du cercle trinitaire et découvrir
que les relations trinitaires des Personnes divines concernent le
mond créé, l'homme, et que l'Eglise subsiste elle-même et intro-
duit dans des relations spécifiques avec le Père, par le Fils, dans
l'Esprit-Saint. Chacune de ces relations contient et détermine
toutes les autres et exprime à sa manière la totalité de la com-
munion trinitaire.
Vivre la dimension trinitaire de l'Eucharistie', c'est décou-
vrir et annoncer que depuis l'Incarnation du Verbe éternel et
depuis la Pentecôte de l'Esprit, il n'y a plus de distance entre le
mystère de la Trinité et la destinée de l'homme; c'est découvrir
que « la Trinité est le programme social de l'homme" (Fedoroff),
que l'existence humaine la plus concrète est un apprentissage de
l'amour divin «qui est répandu dans nos cœurs par l'Esprit-
Saint" (Rom. 5, 5). En termes d'Eglise, l'amour trinitaire se dit

1 Voir P. Boris BoSRDlSKOY, «Confession dc foi trinitaire et consécrations


baptismales et eucharistiques dans les premiers siècles », dans La liturgie, ex-
pression de la foi, Rome 1979, pp. 57-67.
30 BORIS BOBRINSKOY

d'une part collégialité (sobornost), dans le don par l'Esprit de


l'harmonie et de l'unanimité intérieure (Act. 1,14); elle se dit
aussi cOlllpassÎon et miséricorde dans l'ouverture des cœurs au
prochain, au pauvre et au souffrant.
L'enseignement de Saint Jean Chrysostome sur les correspon-
dances entre le sacrement du frère et le sacrement de l'autel
est significatif à cet égard.
Pour Saint Jean Chrysostome, l'amour fraternel et la misé-
ricorde ne sont que le prolongement du mystère du Christ vécu
dans l'Eucharistie. Ce mot "prolongement» est même trop
faible et évoque une relation extérieure, de cause à effet. Il
faudrait dire que pour Chrysostome, le souci et la charge du
Pauvre sont inscrits dans le cœur même du mystère de l'Eu-
charistie '.

La structure de la pnere eucharistique répond, dès les ori-


gines chrétiennes, aux lois de la prière et de la foi de l'Eglise.
La prière eucharistique est immuablement adressée au Père,
l'Eglise se tourne vers Lui dans la continuité de la prière" sacer-
dotale" de Jésus lui-même: "Abba Père", "Notre Père ». C'est
vers le Père que l'Eglise se tourne dans son action de grâces
(eucharistie), dans son intercession. C'est du Père qu'elle reçoit
la grâce de la vie nouvelle, grâce qu'à son tour elle transmet aux
hommes. Le « Notre Père» est bien, avec la communion, le point
culminant du mystère eucharistique, où l'Eglise se constitue
dans une attitude filiale.
La prière s'élargit à la présence du Fils et de l'Esprit dès la
Pentecôte. La médiation du Christ Ressuscité est totale dans la
plénitude de l'Esprit: "Les presbytres, disciples des Apôtres
- nous dit Saint Irénée de Lyon - décrivent la marche de ceux
qui sont sauvés et les degrés de leur ascension: par l'Esprit ils
montent au Fils, et par le Fils au Père, et le Fils remet enfin au
Père son œuvre, ainsi que l'a dit l'Apôtre (1 Cor. 15,24) »'.
De même Saint Basile de Césarée: «Le chemin de la con-
naissance de Dieu va donc de l'Esprit, qui est un, par le Fils
qui est un, jusqu'au Père qui est un, et en sens inverse, la bonté

2 Voir P. Boris BOBRINSKOY, «L'Esprit du Christ dans les sacrements chez


Jean Chrysostome et Augustin », dans Jean Chrysostome et Augustin, Paris 1975,
surtout pp. 272 à 276.
l Contre les hérésies, V, 36,2.
LE CHRIST ET LE SAINT ESPRIT 31

naturelle, la sainteté de nature el la dignité royale s'écoulent


du Père, par le Fils unique jusqu'à l'Esprit" '.
Si donc le Père est le terme et le principe du salut et du culte
ecclésial, le Fils et l'Esprit en sont les médiateurs uniques et
nécessaires. Médiation ascendante où le Christ prie dans l'Esprit
et où l'Esprit gémit (Rom. 8,23 et Gal. 4,6) et exulte (Le. 10,21)
dans le Christ. Selon que l'Eglise s'identifiera au Christ dont
elle est le Corps ou à l'Esprit dont elle est le Temple, et nous
savons comment ces deux figures de l'Eglise coïncident (cf Jn. 2,21
et cf Cor. 6,19), l'Eglise invoquera la venue de l'Esprit Consolateur,
s'unissant à l'épiclèse permanente du Grand Prêtre Jésus (In.
14,16), ou elle annoncera et acclamera la venue du Seigneur
Ressuscité: « L'Esprit et l'Epouse disent: viens, Seigneur Jésus»
(Apc. 22,17 et 20).
Médiation descendante non moins, du Fils et de l'Esprit,
provenant « du Père des Lumières, duquel découle tout don par-
fait" (Je. 1,17). Chacune des Personnes divines donne et est
donnée, envoie et est envoyée, mais toujours d'une manière propre
et unique. Le Père et le Fils envoient l'Esprit qui leur est propre
dans la Pentecôte historique et dans la Pentecôte permanente;
cela détermine la mission, l'expansion de l'Eglise dans l'histoire,
dans le monde. Le Père et l'Esprit manifestent le Fils dans
l'Incarnation et la Pâque historiques et dans leur actualisation
ecclésiale. Le Christ historique et glorieux englobe, récapitule
l'Eglise, la rassemble et la manifeste. Enfin le Christ et l'Esprit
nous introduisent dans la Maison du Père (Jn. 14, 2-3) et intro-
duisent le Père dans le temple du cœur humain (Jn. 14,23).

3. - EUCHARISTIE, MÉMORIAL DU SAUVEUR ET DU MONDE

Si nous poursuivons notre lecture trinitaire de la prière


eucharistique, nous y découvrons la place spécifique du Seigneur
ressuscité. Jésus est l'objet du mémorial eucharistique, de l'anam-
nèse; en face du Père et en face du monde, l'Eglise évoque dans
l'Esprit toute l'œuvre rédenlptrice du Sauveur, mais aussi à
rebours le cosmos, la création, l'humanité! entière projetée en le
Christ, recapitulée et restaurée en Lui. Nous retrouvons ici la
notion de « christologie extensive». Cela signifie que la Pâque

4 Traité du St Esprit, 18, 47.


32 BORIS BOBRINSKOY

rédemptrice dont l'Eglise fait mémoire est le foyer de l'hist01re


du monde, sa destinée la plus réelle et décisive. L'Eglise rend
grâces au Père pour Jésus, fait mémoire de Lui. Dans la puis-
sance de l'Esprit, cette mémoire de l'Eglise est créatrice, elle
transcend l'espace et le temps, nous rend contemporains ll{ll
Jésus de l'histoire, au Logos créateur, au Seigneur crucifié et
exalté à la Droite du Père, à Celui qui est, qui était et qui vient.
Les épreuves des chrétiens derrière tous les rideaux de fer du
monde nous rendent plus sensibles au mémorial ecclésial et
cosmique de la Croix et de la Passion de Celui qui récapitule et
sublime en Lui toute souffrance humaine, qui essuiera toute
larme. La citation suivante sera plus éloquente que mes propos
théologiques: «Maintenant nous nous trouvons sur le Golgotha
et le Christ est mis en croix ... Maintenant, dans chaque être cru-
cifié, dans chaque être qui souffre, c'est le Christ que l'on
crucifie ... Et voilà que toutes ces crucifixions, nous les voyons
donner des fruits, voilà la resurrection qui commence. Aujour-
d'hui le Golgotha est en Russie, et là où est le Golgotha, là est
la Résurrection» (P. Dimitri DOUDKO, L'espérance qui est en nous,
Paris 1976, pp. 135-136 et 74, 113, 183). Mais, ajoute le Père
Dimitri, « celui qui ne s'associe pas d'une façon ou d'une autre
aux souffrances, celui-là n'a pas le droit de parler de résur-
rection ... » (p. 183). Cela est particulièrement vrai pour notre
propos, d'actualiser dans l'Eucharistie la Passion rédemptrice
du Sauveur.
Il est nécessaire que le mémorial du Christ s'élargisse à la
mémoire des saints, des défunts, des souffrants, des vivants, de
tous les membres du Corps du Christ. Il est nécessaire enfin
que le mémorial du Christ divin, historique et total, culmine dans
la communion eucharistique. Celle-ci nous introduit à la fois dans
le face à face avec le Seigneur ressuscité qui devient plus intime
et plus intérieur que le plus intérieur de nous mêmes. Mais la
communion eucharistique signifie aussi vie commune et partage
avec tous les membres du corps du Christ, les saints, les défunts,
les vivants; la communion eucharistique réalise donc la présence
réelle et sacrementelle de toute l'Eglise, dans la totalité et la
plénitude de sa foi, de sa tradition et de sa sainteté. Tout cela
est immergé dans le Corps et le Sang eucharistiques que nous
consommons et qui nous consomment, que nous assimilons et qui
nous assimilent (voir Nicolas CABASILAS, Vie en Christ 1. IV, P.G.
150, 593 BC, trad. franç. Broussaleux, p. 108).
LE CHRIST ET LE SAINT ESPRIT 33

4. - L'ESPRIT SAINT DANS L'EUCHARISTIE

Dans la liturgie et dans la science liturgique, c'est J'épiclèse


qui est devenue à peu près exclusivement le moment pneumato-
logique par excellence, indiquant l'intervention de J'Esprit Saint
pour la consécration des éléments eucharistiques et leur trans-
formation au Corps et Sang précieux du Christ. En réalité, le
rôle de l'Esprit Saint dans l'Eucharistie dépasse le cadre d'une
formule ponctuelle. L'Eucharistie de l'Eglise (et J'Eglise eucha-
ristique) est toute entière épiclèse-invocation comme elle est
toute entière mémorial. On ne peut juxtaposer ces moments,
ou du moins durcir cette juxtaposition, comme on ne peut durcir
la juxtaposition Pâque-Pentecôte. L'action de l'Esprit ne se réduit
pas à un moment (Pentecôte, épiclèse) mais implique une durée,
une permanence, un état, une attitude nouvelle, caractéristiques
du temps et de l'être de l'Eglise.
De même que dans le temps de l'Incarnation du Verbe,
l'Esprit Saint ne s'incarne pas, mais pénètre la nature humaine
du Verbe dont Il est éternellement inséparable, de même dans le
temps de l'Eglise, l'Esprit Saint n'est pas l'objet d'un mémorial
festif ou eucharistique, mais Il constitue la puissance, la grâce
même du mémorial et de la présence du Christ dans J'Eglise.
L'Esprit Saint n'est pas simplement don du Christ, dont la
venue serait une conséquence de la Pâque rédemptrice, mais Il
pénètre intimement le Sauveur, en réalise l'Incarnation, en « con~
stitue» le mystère, en manifeste la présence aux hommes, en
accomplit le rayonnement et la gloire. L'Esprit Saint est à la
fois personne indicible et don divin qui cache son visage et son
nom. Mystère caché en Jésus, et plénitude de toutes ses qualités
et énergies. Le Christ vivant, lumineux, doux, saint, sage. Tous
les attributs de Jésus constituent les fruits de l'Esprit dont
parlera Salint Paul (Gal. 5, 22-24) et qui sont les manifestations
de la puissance de l'Esprit dans les saints.
Si donc l'Esprit de Jésus le manifeste et en rassemble le corps
né de la Vierge, ce même Esprit rassemble les membres dispersés
du corps ecclésial de Jésus en un seul Homme nouveau. L'Esprit
est donc la puissance de rassemblement des hommes en Eglise,
dans l'unité des « enfants de Dieu dispersés" (Jn. 11,52).
Enfin, l'Esprit Saint constitue pour tous les temps la force
pentecostale d'expansion missionnaire de l'assemblée eucharisti-
34 BORIS BOBRINS~K~O~Y~____________________

que jusqu'aux confins de la terre, jusqu'aux ténèbres mêmes de


l'enfer où désormais "la lumière luit dans les ténèbres et les
ténèbres ne l'ont point embrassée" (Jn. 1,5).
Alternance incessante de l'expansion et du rassemblement,
de la dilatation et de la contraction, à l'image des rythmes de
la respiration ou du cœur. Ces images naturelles des rythmes hu-
mains sont profondément adéquats pour exprimer le travail de
l'Esprit divin qui anime le corps total du Christ, l'Eglise, comme
Il anime les corps individuels, créés et destinés à être à l'image
du Christ.
Nous avons parlé à propos de l'Esprit Saint dans l'Eucha-
ristie, de " Pentecôte permanente". Il est possible d'approfondir
ce thème en distinguant dans la Pentecôte le temps unique d'at-
tente de l'Esprit (Le. 24,49; Act. 1,4), de communion préalable
(Act. 1,14). Cela correspond bien à l'épiclèse, ou plutôt aux
différentes épiclèses de l'Eucharistie, avant la consécration, ou
avant la communion eucharistique.
Par ailleurs l'irruption même de l'Esprit sanctificateur dans
le Cénacle correspond dans le mystère eucharistique à la double
descente de l'Esprit Saint sur les dons et sur les fidèles. En
réalité, la descente est unique et le fruit en est la consécration
des éléments en vue de la sanctification des fidèles, de leur
transformation eux aussi en corps divinisé du Christ. Rappelons
ici encore l'importance du réalisI11e sacramentaire des Pères.
La communion eucharistique est donc communion au Corps
vivifiant du Sauveur, "rempli de feu et d'Esprit Saint" (Saint
EpHREM LE SYRIEN, Sermon sur la Semaine Sainte, éd. Lamy,
vol. l, Malines, 1883 p. 415 et s.), elle est communion à l'Esprit
Saint (2 Co. 13,13), comme l'expriment fréquemment les prières
des liturgies byzantines. L'Esprit Saint nous introduit dans l'in-
timité de la vie trinitaire, par le Christ, vers le Père; une relation
indicible mais essentielle s'instaure dans notre vie avec l'Esprit
divin.
L'Esprit est le Grand Précurseur de Jésus dont Il prépare
l'avènement dans nos cœurs; Il s'efface derrière ses propres dons,
l'état nouveau de grâce, de douceur et de joie, de bonne odeur
du Christ dont l'Esprit est l'arôme. L'Esprit constitue enfin le
mystère de la personne humaine, de l'être humain devenu enfin
personne, à l'image de l'unique Hypostase du Verbe Incarné;
dans cette personne humaine l'Esprit se fond, s'efface et s'af-
_________________L~E~C~H=R=I~S~T_E='~r_L_E__S_A_I_N_T__E~S_P_R_IT______________~35

firme, lui, priant en nous (Gal. 4,6 et Rom, 8,26) et nous en lui
(Rom, 8,15), creusant en notre être un espace grandissant où
s'instaure le Règne de Jésus, où « ce n'est plus moi qui vis, mais
le Christ en moi" (Gal. 2,20),
Relation du Christ et de l'Esprit Saint dans l'Eucharistie,
C'est un don réciproque permanent à l'Eglise qui la maintient
dans l'être, dans le mouvement et dans la vie (Act. 17, 28,
appliqué à rebours à la trilogie sacramentaire par Nicolas Ca-
basilas; voir Vie en Christ, 1. l, P,G, 150, 501-504, trad, franç"
p, 27), L'Esprit creuse en nous un espace infini d'accueil, nous
constitue en temple de la divinité, crie lui-même en nous « viens,
Seigneur Jésus », « Maranatha », «Abba Père». Le Seigneur
ressuscité nous communique à nouveau son Esprit comme à la
création et à la résurrection: « Recevez l'Esprit Saint }).

5, - LE MYSTÈRE DU PÈRE

Enfin la prière unique que murmure Jésus dans l'Esprit et


l'Esprit en Jésus, c'est l'Abba Père, Le Notre Père est bien le
point culminant du mystére eucharistique où se réalise et se
renouvelle la paternité inaugurée au baptême, Dans la perma-
nence de l'Esprit de Jésus en nos cœurs, le cri de Jésus monte
enfin du fond de notre être: Père, Le Père céleste n'est pas
étranger ni extérieur à la communion qui s'inaugure à l'Eucha-
ristie, Il en est l'auteur et le sommet. Lorsque l'appel au Père
monte du cœur de l'homme, celui-ci redécouvre enfin son identité
véritable, L'Esprit de Jésus qui se déverse en nous dans l'Eucha-
ristie nous entrouvre le cœur du Maître, Il nous embrase au
contact du brasier d'amour qui y brûle, Dans l'Eglise la prière
de Jésus (mon Père) s'élargit à toute la famille humaine (notre
Père), la communauté d'abord (Jn, 17), puis les autres brebis qui
sont encore hors du bercail divin, L'Eucharistie nous fait donc
pénétrer à travers le cœur de Jésus dans le brasier de l'Esprit où
se joue la destinée du monde que porte le Père dans ses deux
mains: {( Dieu a tant aimé le monde ».

Boris BOBRINSKOY
LE MESSIE DANS L'ANCIEN TESTAMENT

Tout le monde sait que le terme de Messie nous vient à


travers le Nouveau Testament de l'Ancien Testament. Il arrive
aux Evangélistes de rappeler au lecteur que Christos, de la racine
X riô, oindre, correspond à Messia(s), adjectif dérivé de la racine
mashal:z, qui en hébreu signifie elle aussi «oindre ", mais aussi
«peindre» avec une couleur qui pénètre le bois (Jér 22,14). Dans
nos langues modernes le mot a pris saveur d'idéal plus ou moins
irréalisable. Les croyants chrétiens parlent plus volontiers de
Christ que de Messie quand le sérieux de leur foi est en cause.
Chez les Juifs, après avoir été très vive au début de notre ère
comme l'a montré le livre de P. Grelot, l'espérance dans la venue
du Messie a perdu de sa force et les esprits réfléchis parlent plus
volontiers de Messianisme que de Messie sauf aux époques de
revival. Ce glissement de Messie il Messianisme se répercute
aussi sur les études chrétiennes. Pour quiconque croit au Messie
de la Bible, il n'est pas défendu d'analyser le contenu de cette
croyance, le messianisme, quitte à découvrir qu'il peut y avoir
plusieurs messianismes. Mais, puisqu'il s'agit d'« onction », donc
d'un rite, il est bon dans des semaines d'études liturgiques com-
me celle-ci de préciser de quelle onction il s'agit. Même si les
mouvements messianiques de notre époque n'ont plus aucun
rapport avec une onction, nous devons nous rappeler dès le
début qu'à la veille du Nouveau Testament le livre de Daniel parle
d'un Messie en 9,25 et 26, après avoir évoqué au verset précédent
l'onction d'un Saint des Saints. Traiter du Messie de l'Ancien
Testament, c'est traiter de la signification d'un rite liturgique.
Je me permettrai en conclusion d'interroger le Nouveau Testa-
ment sur cet aspect de son ou de ses messianismes ou christo-
logies, messianisme et christologie étant deux faces d'une même
donnée.

I. Le Messie est tout d'abord le Messie du Seigneur, le


meshiah YHWH, l'oint du Dieu dynastique et national qui porte
le nom de Yahve depuis Moïse (Ex 3,14) ou depuis Enosh petit-
38 HENRI CAZELLES

fils d'Adam (Gen 4,26). Le titre était connu de l'Ancien Orient,


bien que rare. Sargon l'Ancien et Naram Sin au 3èmc millénaire
étaint dits les «oints d'Anu ou d'Enlil ». On trouve beaucoup
plus fréquemment le rite de l'onction; c'est une application
d'huile sur la peau de même que de la peinture est appliquée
sur le bois (Jér 22,14) ou de l'huile sur des gâteaux (Lév 2,4). L'huile
pénètre la peau ou la farine de même que le minium pénètre le
bois. L'huile adoucit la peau, assouplit les muscles et rend le
corps brillant de l'éclat des dieux. «Elle rend honorables les
dieux et les hommes» (Jud 9,9). Aussi l'onction faisait-elle
souvent partie des rites de couronnement et d'intronisation. Le
Pharaon était oint et oignait ses préfets ou ses rois vassaux de
Phénicie. Rois hittites et babyloniens furent oints, du moins à
une certaine époque, et c'est probable de l'Assyrie. Mais on oignait
aussi pierres sacrées et statues divines. Le beau-père oignait sa
future bru, un contractant son cocontractant, un maître l'esclave
qu'il émancipait. L'onction est ainsi le signe d'un pouvoir qui
fait participer à ce pouvoir un subordonné. Il l'investit et le
contrôle à la fois.
Dans l'Ancien Orient ce n'était pas le rite principal. Le
couronnement, la remise des emblèmes royaux et l'acclamation
représentaient davantage le pouvoir que conférait le dieu natio-
nal au roi son élu. Ces rites d'intronisation existaient aussi en
Israël (Ps 2,110). Mais la Bible a donné un relief tout particulier
à l'onction. Pourquoi?

II. Le but de ces rites était de signifier au peuple que son


dieu national pénétrait le corps et l'âme de cet homme d'une force
surhumaine pour le salut de ce peuple. Le dieu national était
cette puissance invisible qui non seulement faisait germer sur
un sol donné, la ({ terre des vivants )}, la végétation, les troupeaux,
les familles humaines, mais même une société organisée avec
armée, administration et justice. Le roi était le vicaire ou plus
souvent le « serviteur}) de cette divinité. On le disait aussi son
prêtre et son pasteur. Le roi était dit aussi «fils du dieu ». Il
pouvait même être fils de plusieurs dieux ou déesses: on mar-
quait ainsi qu'il était l'héritier du dieu maître de son peuple; il
participait à son action et à ses responsabilités. Le Pharaon
était dit fils du dieu soleil Re'. De même que ce dieu donnait
prospérité à l'Egypte par le rythme diurne du jour et de la
nuit, le rythme annuel de la crue et de la décrue du Nil, le Pharaon
LE MESSIE DANS L'ANCIEN TESTAMENT 39

devait faire régner la même harmonie et la même prospérité


par l'exercice de la justice représentée par la déesse Maât, fille
de Re'. Celui·ci la donnait au Pharaon son fils; celui·ci l'offrait
chaque matin au Soleil son père. Pour mieux décrire cette pa·
renté surnaturelle (qui n'excluait nullement une parenté natu-
relle comme nous le savons pour le roi d'Assyrie Assurbanipal),
le dieu Amon, identifié à Re', s'approchait de la reine, même
sous les traits du Pharaon son époux. Un Pharaon s'écrie: "Je
fais briller Maât qu'aime Re'. Je sais que je vis de Maât. Elle
est ma nourriture, je mange de son éclat. Je suis son image,
venant de ses membres, un avec lui ».
Le Pharaon recevait Maât de Re'. En Sumer, le chef recevait
un ME royal (" force divine »: Falkenstein) principe d'une insti·
tution parmi d'autres institutions de la vie civilisée. Selon la
Bible, ce que le roi reçoit par son onction est la ruah de Dieu
que l'on a traduite par" souffle» ou " esprit» de Dieu (1 Sam
10,6.10; cf. 16,13). Cette transformation dans la symbolique du
rituel royal est extrêmement importante pour comprendre à
quel titre et sous quelles conditions une monarchie sacrale
" comme en ont les autres peuples» (1 Sam 8,5.20) a été reçue
en Israël et, par suite, comment l'espérance païenne en un roi
serviteur d'une puissance politique est devenue dans la Bible
l'espérance messianique. Je préfère parler d'espérance que d'at·
tente. Une certaine attente messianique a été déçue. La vertu
d'espérance dont la foi chrétienne est le support (l'upos/as;s
pour parler comme Héb 11,1), est une capacité de l'intelligence
humaine par laquelle l'auteur sacré pouvait reconnaître en David
l'élu du Dieu d'Abraham, comme les Apôtres et nous mêmes
pouvons reconnaître en Jésus de Nazareth le Christ.
Qu'est-ce que cette ruah du Seigneur qui, selon la Bible,
pénètre Saül, puis David lors de leur onction? Le terme hébreu
est souvent traduit par « fondre sur », mais une étude plus
poussée du verbe (II Sam 19,18; Jud 16,14 cf Am 5,6) me persuade
de plus en plus qu'il faut traduire par" pénétrer ». Nous verrons
pourquoi, par la suite, ce verbe va être abandonné pour d'autres
expressions décrivant l'action de la ruah sur l'élu de Dieu. Pour
l'instant il nous faut cerner ce qu'était cette ruah pour les Israé-
lites des débuts de la monarchie. Vous en devinez l'importance
pour une théologie biblique de l'Esprit Saint et de ses rapports
avec le Messie.
40 HENRI CAZELLES

Le terme est prébiblique. Il vient d'une racine rawaJ:z qui


signifie une distance, un espace. L'espace privilégié est celui qui
s'étend entre le ciel et la terre. Il peut être parfumé et c'est
un réah. Il peut être cet espace que nous connaissons, calme ou
violent, souvent impalpable et insaisissable. C'est l'atmosphère
dont vivent par leur nephesh ou leur neshamah, le souffle qui
passe par les narines ou par la gorge, les hommes et les animaux.
Cette atmosphère est une réalité extérieure à l'homme; aussi dit-
on, quand un homme meurt, que sa nephest « sort» comme une
ruah et quand il est mort qu'elle « est sortie» (Ugarit). L'atmo-
sphère est parfois divinisée chez les Babyloniens (zaqiqu) et en
Egypte (Amon, pneuma theôn). Pour les auteurs bibliques le
problème théologique fut de savoir comment rattacher cet élé-
ment vital au Dieu des promesses d'Abraham et de la Loi de
Moïse. Dès les plus anciens textes cet élément est entièrement
subordonné au Seigneur. Quand il la retire, la vie s'en va (Gen
6,3; Ps 104,29). Quand il l'envoie, «ils sont créés et tu renouvelles
la face de la terre» (Ps 104,30). Aussi la ruah est-elle un messager
de Dieu (Ps 104,4). Il peut y avoir plusieurs ruhôt et toutes ne
sont pas bonnes, mais finalement le messager/ange qui guidait
le peuple au désert (Ex 23,20; 33,2) sera reconnu comme l'Esprit
Saint (Is 63,10.11.14) du Dieu Saint d'Israël.
C'est donc cette puissance vitale de Dieu dans sa création qui
est conférée par le Dieu d'Abraham au roi d'Israël lors de son
onction pour le salut du peuple vis à vis des Ammonites (Saül)
comme vis à vis des Philistins (David). Remarquons cependant
que pour l'auteur biblique la ruah n'est venue à Saül que lors de
sa rencontre avec les prophètes tandis que David la reçoit directe-
ment, comme Samson et Gédéon, Othniel et Jephté, mais pas
tous les Juges.

III. Les prophètes furent les hommes de la parole de Dieu


avant d'être les hommes de rEsprit. Mais nous les voyons inter-
venir lors de la désignation et de l'onction royale, ainsi Nathan
pour Salomon (1 Reg 1,45; voir aussi Néh 6,7). Le même prophète
Osée, pour lequel on a fait des rois sans l'aveu de Dieu (8,4),
proclame que «l'homme de l'esprit» délire (9,7). C'est peut-
être en fonction de cette responsabilité dans la désignation de
l'oint du Seigneur que les prophètes ont eu un rôle décisif dans
le messianisme biblique.
LE MESSIE DANS L'ANCIEN TESTAMENT 41

L'Oint du Seigneur était un élu du Dieu d'Israël sur lequel


il était criminel de porter la main (1 Sam 24,11; 26,9; II Sam
1,16). Il consultait Dieu pour mener le peuple à la victoire. Il
bénissait le peuple, construisait le Temple, désignait les prêtres
et intervenait dans le culte. Mais avec toutes ces fonctions reli-
gieuses il était surtout chargé d'assurer au peuple mishpat et
sedaqah (cf Ps 72), le droit et la prospérité. Avec d'importantes
nuances, c'était aussi une des fonctions du monarque dans l'An-
cien Orient. Les abus du règne de Salomon, les luttes fratricides,
mais surtout les désastreuses guerres araméennes du milieu du
9'mo siècle ébranlèrent la confiance d'Israël dans la validité de
sa monarchie. Avec Elisée, le disciple d'Elie, le prophétisme se
montra comme une institution proche du peuple qui soutint le
roi Joas d'Israël dans la restauration nationale. Mais cette restau-
ration ne dura pas un demi-siècle. A la fin du règne de Jéro-
boam II, la monarchie s'avérait de nouveau défaillante et inca-
pable de fonder l'espérance du peuple. Les disciples de quatre
prophètes allaient recueillir les interventions de leurs maîtres.
La fin du royaume d'Israël et l'asservissement de plus de 10
tribus sur 12 à des dieux autres que Yahvé allaient provoquer
la fixation de quatre témoignages prophétiques: Amos, Osée,
Michée et Isaïe. Aucun ne parlera de Messie et d'oint du Seigneur.
Ils n'en ont pas moins chacun une doctrine messianique.
Amos prend position contre la maison de Jéroboam (7,9.11)
menacée par la progression assyrienne, sans parler de ses suc-
cesseurs. Dans un oracle d'authenticité contestée il annonce le
relèvement de la hutte croulante de David (9,11). Il ne combat
pas l'institution monarchique, mais son inefficacité à assurer
droit et prospérité, mishpat et sedaqah ayant tourné en poison
et cigüe. Venu de Juda Amos fut expulsé de Bethe!, sanctuaire
royal du Nord. Osée, lui, est né et a vécu dans le nord et semble
avoir vécu la décomposition du royaume mais non la chute de
Samarie. Samarie et son roi sont comme des «éclats de bois
à la surface de l'eau" (10,5). Les rois sont dupés et victimes de
leur entourage et des conspirations (7,3-7). Il sont impuissants:
« le roi que pourrait-il faire pour nous? " (1O,3b). Peut-être même
a-t-il connu les derniers mois de Samarie quand le roi avait été
emmené captif et non remplacé: « Je t'ai donné un roi dans
ma colère et dans ma fureur je le reprends" (13,10). Mais il ne
donne pas les titres de roi aux chefs de Juda qui sont des voleurs
42~__________________~H=E=N~R~I,-,C~A=Z=E=L=L=E=S~_____________________

et déplacent les bornes (5,10). La royauté de Samarie est un


échec, un « enfant qui n'est pas venu à terme" (13,13).
Michée est un judéen, mais un judéen du Bas pays qui a
beaucoup souffert des guerres où le gouvernement de Jérusalem
n'était pas sans responsabilités. Il est très sévère pour ce gouver-
nement de Jérusalem (3,10) et ne donne pas le titre de roi au
successeur de David. Il n'en affirme pas moins la légitimité de
cette maison de David: c'est de Bethléem Ephrata, le plus petit
des clans de Juda, que doit sortir celui qui doit gouverner Israël
(5,1). C'est là qu'il y a un reste qui reviendra vers ses frères du
Nord. Selon Jérémie 26,18 il fut un des promoteurs de la réforme
d'Ezéchias, donc après la mort d'Achaz le roi proassyrien (vers
716/5). Peut-être parle-t-il au nom du roi quand il se dit « rempli
de force, de droit et de vaillance grâce à l'Esprit du Seigneur ".
C'est le vocabulaire d'Is 11, pour le rejeton de Jessé.
Isaïe est l'homme de Jérusalem, la cité sainte du Saint
d'Israël. C'est à lui que nous devons une véritable théologie mes-
sianique sans le mot, en fonction de l'élection de la maison de
David. Très ferme pour défendre la légitimité de la dynastie
contre le projet de Damas et d'Ephraïm d'expulser Achaz au
profit du fils de Tabéel, c'est à dire le prince de Tyr Ittob'aal,
son enthousiasme pour Ezéchias diminua avec le temps, peut-être
dès la mort d'Achaz (14,29). Il semble bien qu'il ait célébré
l'accession d'Ezéchias comme corégent vers 728 en voyant en lui
la lumière qui pouvait atteindre les trois provinces captives
d'alors: Galaad, Galilée, bord de la mer (9,1). Né comme Em-
manuel (" Dieu avec nous" et non plus Ittob'aal, « Baal est avec
lui "), Ezéchias reçoit sur le trône de David les quatre noms
humano-divins: conseiller miraculeux, dieu vaillant, père à ja-
mais, général de paix (9,5-6). Né comme Emmanuel en sachant
choisir le bien et rejeter le mal, l'héritier davidique est dans la
sphère du divin et, selon les conceptions royales du temps, il
y a une action toute particulière de Dieu sur la mère prégnante.
Ces affirmations, le prophète ne les reniera jamais. Mais jamais il
ne nomme le roi régnant. A la fin de sa vie il songe moins à la
délivrance du nord, qu'à l'exercice de la justice envers les hum-
bles du pays dans une paix intérieure, selon l'allégorie des
animaux qui vivent ensemble (11,1-8). Au ch. 1, qui sert de pro-
logue à l'ensemble du livre, il n'est plus question du roi, mais
seulement de la cité qui redeviendra cité de justice. Le règne
LE MESSIE DANS L' .\NCIEN TESTAMENT 43

d'Ezéchias s'était terminé à la! fois par un salut inespéré mais


par une mutilation profonde du royaume. L'échec politique laissa
intact, grâce à Isaïe, l'espérance dans la venue d'un futur rejeton
de Jessé, un nouveau David.
Un demi-siècle plus tard environ le mouvement prophétique
reprend son essor à la faveur de la débâcle de l'Assyrie. Sophonie,
Nahum, Habaquq et Jérémie ne parleront pas de Messie, sauf
peut-être Habaquq dans son cantique (3,13) si le Psaume est de
lui, ce qui est fort douteux. Le problème de ces prophètes
comme du mouvement deutéronomique n'est pas celui du roi,
mais celui de la Loi ... et de la justice. Yahvé est-il un baal ou
le Dieu des commandements? Dans son livret sur les rois, Jérémie
juge les rois comme le fera le Livre deutéronomiste des Rois.
Après avoir condamné J oyaqim, qui n'a pratiqué ni mishpat
ni sedaqah, et exclu de l'héritage son fils exilé Joyakin, Jérémie
proclame l'accession d'un roi qui portera le nom de «Yahvé
notre justice" où l'on peut reconnaître le nom de Sédécias (23,6).
Mais, dans une édition postérieure à la chute de Jérusalem, ce
n'est plus le roi, c'est Jérusalem elle-même qui portera ce nom.
Toutefois, comme chez les prédécesseurs de Jérémie cette secon-
de édition comme la première maintiennent fermement que
David aura un rejeton légitime qui pratiquera mishpat et sedaqah
dans le pays (33,15; 23,5). Tandis qu'Isaïe attribuait à une pré-
sence permanente de l'Esprit sur le rejeton de Jessé l'exercice
de cette justice et de cette prospérité, Jérémie ne parle pas de
l'Esprit. Il exclut pour toujours du trône de David et du pouvoir
sur Juda les descendants de Joyakin; pourtant c'est par cette
lignée que va se poursuivre la descendance de David. Sous l'in-
spiration d'Ezéchiel et de son école les structures du peuple de
Dieu vont changer et, par suite, la place du roi oint.

IV. Déjà dans le Deutéronome le roi était subordonné à la


Torah et, dans la Torah, l'élection du Temple était divine (le Lieu
choisi par Yahvé: ch. 12), tandis que le choix du roi était
à la fois humain (17,15) et divin. Après Isaïe et son intervention
au temps de Sennachérib cette primauté du Temple s'imposa
de même que l'élection du peuple qui s'y rendait l'emporta sur
l'élection du roi: Jérémie fut poursuivi plus pour offense au
temple que pour offense au roi. Avec la chute de la monarchie,
la présence de Dieu dans son Temple devint l'objectif principal.
Ezéchiel, fils d'un prêtre du temple, accuse la maison d'Israël
44 IlENRI CAZELLES

d'avoir profané le Temple (44,7) et Sédécias d'avoir rompu l'al-


liance (17,19). Ezéchiel attend une alliance éternelle de paix avec
David pour prince (34,24ss; 37,25s). Mais les princes ne régle-
mentent plus le sanctuaire. Ils n'y viennent guère que pour le
service religieux du peuple. Ce sont les prêtres, fils de Sadoq,
qui s'approchent de Dieu et de son autel. Cet autel est purifié
par le sang (43,26-27) ainsi que le Sanctuaire (45,18), mais il
n'est pas oint, pas plus que les prêtres. Quant à l'Esprit il n'est
conféré ni à la liturgie et son sacerdoce, ni au prince. Il meut
le prophète, tombe sur lui et le transporte. Il sera donné à la
maison d'Israël (39,29) et à ceux qui recevront la lustration d'eau
pure (36,27).
Cette onction va être prévue par le code sacerdotal. Pour la
consécration d'Aaron, le grand prêtre, et de ses fils, il faut au
préalable l'onction de l'autel et du sanctuaire (Lév 8,10-13).
L'onction que va recevoir Aaron est subordonnée à celle du
lieu de la présence de Dieu où se manifeste sa gloire. Mais le
grand prêtre n'en sera pas moins le Messie sacerdotal, le prêtre
oint (Lév 4,3) "celui sur lequel a été versée l'huile d'onction et
qui reçu l'investiture pour revêtir les vêtements» (Lév 21,10).
A la différence de l'onction royale, cette onction n'est pas signe
de la venue de l'Esprit. L'Esprit est donné aux constructeurs du
sanctuaire come Bézaléel (Ex 31,3). Dans le livre des Chroniques
il sera aussi donné aux Lévites qui ont la mission de réparer le
Temple; signe d'une réforme dans le peuple (II Chr 15,1). Mais
autant est symbolique la liturgie qui va se dérouler dans le temple
reconstruit par les soins des deux oints qui sont le prince Zoro-
babel et le prêtre Josué, autant elle est en soi peu charismatique.
Au milieu des Empires qui le dominent politiquement, c'est au
Temple que le peuple entend trouver la majesté de son Dieu,
roi depuis la création du monde (Ps 93).
Le chant des Psaumes va en effet exprimer en prière col-
lective et individuelle la piété et la révérence du peuple en son
Dieu. C'est dans les Psaumes que le terme de Messie réapparaît
avec plus de force encore que dans les livres de Samuel, après
le long silence prophétique, à peine troublé par la reconnaissance
en Is 45,1 de Cyrus comme le Messie du Seigneur. Il devait en
effet reconstruire Jérusalem et son Temple. Les Lamentations
célébrées sur les ruines du Temple avaint gardé le souvenir de
la mission protectrice de l'oint du Seigneur: "souffle de nos
LE MESSIE DANS L'ANCIEN TESTAMENT 45

narines ... lui dont nous disions: "sous sa protection au milieu


des nations nous vivrons"" (4,20). Les ruines du Temple sont
devenues un nouveau Temple et alors qu'il n'y a plus de roi oint
en Israël, les anciens Psaumes royaux sont repris avec ferveur en
fonction d'une espérance tenace. Les Ps 110 et 2 célébraient
l'intronisation du roi par lequel il devenait fils de Dieu et siégeait
à sa droite. Il est maintenant repris comme un appel à la sagesse
des rois qui seront écrasés s'il ne se soumettent pas à sa cor-
rection. Les Ps 20 et 21 célébraient son départ en campagne et
son retour: on rappelle maintenant (en tenant compte d'Isaïe)
que ce ne sont pas les chevaux qui donnent la victoire, mais
l'invocation du Nom du Seigneur. Le Ps 18 évoquait les combats
difficiles du roi et son salut par l'intervention du Dieu d'en
haut; on rappelle maintenant les exigences de justice et de pureté
qui avaient été trop oubliées par les successeurs de David (18,21-
25). On célébrait le mariage du roi (Ps 45); la reine est maintenant
célébrée comme celle qui donne le jour à une multitude de princes
sur la terre. Le Ps 72 rappelle la prospérité que l'on attend du
fils du roi, le Ps 101 l'importance du choix des ministres. Le
Ps 89 qui débute par la promesse à David, évoque les catastrophes
de ses successeurs mais se termine sur une note d'espérance.
Telle est cette liturgie administrée par le Messie aaronide.
La vitalité d'Israël est manifeste. Les colonies juives essaiment
d'Orient en Occident et subsistent malgré les pogroms menaçants
de Perse (Esther) ou d'Egypte. Quand viendra la persécution
grecque d'Antiochus Epiphane (166-164 av. JC), c'est encore
comme Messie qu'est évoqué le grand prêtre Onias III assassiné
à Daphné (9,27 et probablement Josué en 9,25). Ce qu'on attend,
c'est une nouvelle onction du Saint des Saints, désécré par le
roi grec qui avait établi sur l'autel l'abomination de la désolation,
la statue de Zeus/Jupiter Olympien.

V. Nous avions eu un Messie roi, puis un Messie grand-prêtre,


probablement aussi en Is 61,1 un Messie à la fois grand-prêtre
et prophète puisque l'Esprit était sur lui. Le Messie est donc un
médiateur de la présence divine en son peuple. Chargé d'une
mission politique et militaire au début de la monarchie, les pro-
phètes l'ont peu à peu déchargé de cette mission pour lui
remettre avant tout une mission religieuse qui atteindrait les
cœurs au lieu de contraindre les corps. Le régime aaronide avec
toutes ses faiblesses que soulignèrent les derniers prophètes
46 HENRI CAZELLES

comme Malachie (ch. 2), Zacharie (11.14), Néhémie et le Chro-


niste, fonctionna cependant jusqu'à la révolte maccabéenne.
Asmonéens, puis Sadducéens s'y accrochèrent: tout plutôt que
ne périsse le temple et sa liturgie. La secte de Qumrân attendra
un Messie d'Aaron.
Cependant les livres bibliques ne vont pas dans ce sens et
Zach 9-14 est un des plus fermes à attendre le salut par la maison
de David. Dès la reconstruction du Temple au temps de Zacharie
1-9 on attend autre chose que le Messie sacerdotal, on attend un
héritier de la maison de David comme Zorobabel pour achever
la nouvelle alliance amorcée par Jér 31,31-33. Nous avons vu que
les Psaumes témoignaient de cette attente. On va passer de
1'{( avenir)} à la {( suite des temps », à la traduction de la Septan-
te: "dans les derniers temps", eH eschalais èmerais. Le terme
employé va être qès, un temps qui est une fin après des suc-
cessions de 1 temps, 2 temps, une moitié de temps, selon le
langage de Daniel. Le langage apocalyptique va traduire cette
espérance eschatologique. Mais comment concevoir ces derniers
temps? Un nouveau régime politique indépendant avec les Zélo-
tes? Une pure continuation avec les Sadducéens? Une intervention
divine qui garde la distinction de la communauté religieuse et
des Empires païens avec les Pharisiens? Un bouleversement
cosmique général? Un jugement dernier avec le livre de la Sa-
gesse de Salomon? Un baptême dans l'eau et dans le feu avec
certaines sectes baptistes? Partis et courants avaient chacun leur
interprétation et les textes de l'époque témoignent de la plus
grande confusion. Comme le traduisent les Targums dans leur
liturgie populaire, le Messie est essentiellement un Messie Roi,
mais de quelle royauté? Une royauté de type asmonéen qui
confond prince et grand prêtre, contrairement à la théologie
d'Ezéchiel appliquée par le code sacerdotal (Num 27,15-23, dis-
tinction de Josué dans lequel est l'Esprit de Dieu et Eléazar
l'aaronide) et appliquée par le prophète Zacharie? Un roi de
type hérodien?
Le mouvement chrétien se mit résolument dans la ligne du
mouvement baptiste de Jean. La royauté du Fils de l'Homme
n'était pas du type des royautés sortant du monde. Cette royauté
laisserait les Empires à leur caducité (Dan 7). Mais le baptême
au nom de Jésus de Nazareth Messie, serait un baptême dans
l'eau et l'Esprit. Le Fils de l'homme sera le Serviteur d'Isaïe
LE MESSIE DANS L'ANCIEN TESTAMENT 47

sur lequel repose l'Esprit, le Messager d'Is 61,1 sur lequel repose
l'Esprit du Seigneur pour proclamer l'année de libération. Saül
et David avaient reçu l'Esprit lors de leur onction mais ils ne
pouvaient le transmettre. Le rejeton de Jessé d'Is 11,lss était
sous la mouvance de l'Esprit et pouvait mettre son pays dans
l'ambiance de l'Esprit. Pour l'Epître aux Hébreux le Sacerdoce
aaronide cède la place au sacerdoce selon Melkisédek. Le Christ
est la Sagesse miroir de Dieu car, en elle, est l'Esprit selon la
Sagesse de Salomon (7,22). Enfin, pour Luc et pour Jean la
Pentecôte est le don de l'Esprit car Jésus a l'Esprit sans
mesure (3,34) et fait naître de l'Esprit (3,8). Aussi sa chair et
son sang sont esprit et vie. Tel est le Messie biblique qui fait de
Jésus de Nazareth parfait médiateur. A 1" place de la liturgie
non charismatique d'un Temple de pierre, il lègue aux membres
de son corps une liturgie où l'Esprit agit et donne le vie.

Henri CAZELLES
LE CHRIST DANS LES LITURGIES SYRIENNES
ORIENTALES ET OCCIDENTALES

Un tel titre ouvre sur des perspectives sans commune mesure


au temps et à l'espace impartis pour l'aborder. Et un regard
d'ensemble sur le sujet supposerait, pour être crédible, qu'on
puisse se référer à des recherches parcellaires qui font presqu'en-
tièrement défaut et, tout d'abord, que soit moins imparfaitement
connu le champ immense des formulaires liturgiques syriens.
C'est dire, d'entrée de jeu, les limites et le caractère conjectural
de cette esquisse dont on voudrait seulement espérer qu'elle
suscite des études plus précises.
Mais, tout d'abord, que faut·il entendre par «liturgies sy·
riennes »? Depuis plus de quatorze siècles les communautés
chrétiennes qui s'étaient constituées au sein de la vaste région
qui va de la rive orientale de la Méditerranée jusqu'à la vallée
du Tigre et qui très tôt ont provigné jusqu'à l'Asie Centrale, à
l'Inde du sud et même, à certaines époques, jusqu'au travers de
l'immense Chine, se sont regroupées en quatre ensembles ec-
clésiastiques autonomes et souvent rivaux, voire adversaires.
Trois d'entre eux -les Eglises grecque·melkite, syrienne (souvent
appelée syra.jacobite) et maronite - se réclament du titre presti-
gieux d'Antioche. Le quatrième, qui s'est développé presqu'entiè-
rement en dehors des limites orientales de l'empire romain et
de la culture gréco·romaine, se désigne lui·même comme « Eglise
Apostolique Orientale »; de l'extérieur, et souvent même de
l'intérieur, il a été longtemps connu sous la dénomination d'Egli-
se nestorienne. Ajoutons, pour n'oublier personne, que depuis les
XVI'-XVII' siècles, des fractions plus ou moins nombreuses de
ces diverses Eglises ont renoué ou établi la cOlnmunion avec
Rome, ce qui n'a pas été sans entraîner des révisions de leurs
liturgies, qui portent la marque de conceptions latinisantes en
même temps que d'une orthodoxie pointilleuse. Mais, au delà
50 IRENEE-HENRI DALMAIS

de leurs diversifications, toutes ces Eglises ont gardé, avec le


sens très vif de leur enracinement commun, un immense héritage
qu'elles ont fait fructifier, chacune selon sa manière propre et
les retentissements de leurs environnements culturels, Durant
de longs siècles, ceux-là même au cours desquels s'est fixée la
liturgie dont elles continuent de vivre, elles usaient d'une langue
commune, ce dialecte araméen de Haute Mésopotamie, longtemps
appelé chaldaïque et, plus habituellement, syriaque. Alors même
que de plus en plus il cède la place à l'arabe - ou, en Inde du
sud, au malayalam - il demeure la langue ecclésiastique clas-
sique à laquelle il faut sans cesse se référer. Plus profonds que
ces données culturelles il faut sans doute discerner les traits
qui dénotent une mentalité commune: attention privilégiée,
exigeante, à l'établissement de structures précises en matière de
grammaire, de logique, de droit et de règles - dans le domaine
ecclésiastique et liturgique autant que pour la médecine ou l'ar-
chitectonique. Et cela bien plus qu'aux spécultations doctrinales.
Les Syriens sont avant tout des constructeurs.

LES ORIGINES

Il faut pourtant, et cela dès l'origine, reconnaître d'impor-


tantes différences qui ne cesseront de s'amplifier, entre les com-
munautés chrétiennes qui prennent naissance dans l'ambience
des cités profondément hellénisées de la Syrie occidentale, et
notamment dans la vallée de l'Oronte - dans l'orbite culturelle
de la grande métropole d'Antioche - , et celles qui se forment en
Mésopotamie, mais aussi sans doute dans les régions demeurées
plus rurales de la Syrie antérieure. Pour les premières nous
avons dans les Actes (11,19-27) l'acte de naissance de l'Eglise
d'Antioche dons le fidèles venaient, les uns du Judaïsme et les
autres de la Gentilité. Il semble bien par contre que la commu-
nauté de Damas, sans doute un peu plus ancienne, s'était formée
au sein d'un enracinement juif, peut-être à dominante essénienne.
Pour la Mésopotamie, les légendes qui les ont très tôt embrumées
permettent difficilement de discerner les conditions précises des
origines chrétiennes. Elles s'accordent pourtant à les rattacher à
des disciples immédiats de Jésus, voire à Jésus lui-même. L'iden-
tification avec l'apôtre Thaddée de cet Addaï qui aurait le premier
LE CHRIST DANS LES LITURGIES SYRIENNES 51

porté l'évangile en ces régions, et dont on nous dit qu'il venait


des contrées plus orientales où les communautés juives étaient
particulièrement nombreuses et florissantes, s'accorde bien avec
les traits judéo-chrétiens qui se maintiendront mieux qu'ailleurs
en cette « Eglise Apostolique d'Orient ». La première figure qui
émerge, bien faiblement encore, de ces brumes est celle de cet
énigmatique et étrange Bardesane dont le nom évoque le caractère
fantasque du torrent d'Edesse: le Desain - c'est à dire «le
sauteur»; mais peut être aussi le caractère de celui qui est
connu sous ce nom. Si nous ne connaissons plus que quelques
vers des hymnes nombreuses qu'il aurait composées, nous avons
du moins dans les Odes de Salomon - très vraisemblablement
issues de ces régions - et aussi dans les Actes de Thomas l'écho
des plus anciennes liturgies mésopotamiennes et du témoignage
qu'elles voulaient rendre au Christ. Il y faut joindre les quelques
vers qui nous ont été transmis comme indication de la mélodie
sur laquelle devaient être chantées des compositions postérieures,
notamment celles de saint Ephrem et de ses disciples. Ainsi
l'Hymne X sur la Foi, dont on parlera plus loin, devait se chanter
sur l'air: «Ambassadeur et Guide» (Izgaddâ Haddayâ), deux
titres fréquemment donnés au Christ depuis les Actes de Thomas.
A la fin de son grand livre: Symboles de l'Eglise et du Royaume 1
le P. R. Murray a rassemblé nombre de ces appellations qui con-
stituent l'une des bases les plus sûres pour connaître les plus
anciennes expressions christologiques de la tradition syrienne.
Et, jusqu'à nos jours, la liturgie syrienne-orientale a enchassé
comme une gemme précieuse l'antique acclamation connue sous
le label de ses deux premiers mots: Laku Mara: «A Toi Seigneur
de l'univers, nos louanges, à Toi, Jésus Christ, noS bénédictions,
Toi le Vivificateur de nos corps et le Sauveur de nos âmes ».
L'Anaphore des Apôtres - dite aussi d'Addaï et Mari -,
prière eucharistique traditionnelle de cette même liturgie, témoi-
gne également de formulations archaïques de la foi chrétienne.
Sous sa forme primitive, débarrassée d'ajoutes postérieures, il
semble qu'elle n'explicitait pas le mystère de la manifestation
dans le Christ du « Nom adorable et glorieux qui a créé le monde
dans sa grâce et ses habitants dans sa clémence, sauvé les hom-

L R. MURRAY, Symbols of Church and Kingdom. A study in early syriac tradi-

tion, Cambridge U.P. 1975, Appendix III, pp. 353-363.


52 IRENEE-HENRI DALMAIS

mes dans sa miséricorde et accordé aux mortels un immense


bienfait ". On confesse seulement:
« Tu as revêtu notre humanité, tu es descendu avec ta divinité,
tu as élevé notre bassesse, relevé notre décheance, ressuscité notre
chair mortelle, pardonné nos fautes, justifié notre péché, illuminé
notre intelligence, vaincu nos ennemis, honoré notre petitesse ».

Et, après avoir renouvelé les gestes du Christ à la dernière


Cène - sans qu'il soit possible de déterminer avec certitude si
le récit d'institution était formulé - on déclarait que, l'ayant
reçu par tradition, on commémorait et accomplissait
«ce grand, redoutable, saint et divin mystère de la passion, de la
mort, de l'ensevelissement et de la résurrection de notre Seigneur
et Sauveur Jésus Christ ... grande économie, immense et merveil-
leuse, accomplie parmi nous».

L'anaphore byzantine mise sous le patronage de saint Jean


Chrysostome, témoigne d'une christologie plus élaborée: "Tu as
aimé le monde jusqu'à lui donner ton Fils unique afin que tous
ceux qui croient en Lui ne périssent pas mais possèdent la vie
éternelle ».
Le Christ est envoyé du Père pour accomplir l'économie du
salut. Il est le vivificateur, le guide, le médecin et c'est ainsi
qu'il est" Seigneur" (Mara) , un terme qui a en syriaque de tout
autres résonances que Kyrios ou Dominus, exprimant respect
et vénération plutôt que sujétion. Pour en déchiffrer les har-
moniques les théologiens-poètes de Syrie, qu'ils soient de langue
araméenne ou de langue grecque, ne cesseront de puiser dans le
trésor d'images et de figures qu'ils découvrent dans la Bible,
parfois avec une ingéniosité déconcertante. Citons, à titre d'exem-
ple, les premières strophes de l'Hymne 1 sur la Résurrection,
naguère reconstituée par le P. Jean Slim ':

« Il nous est venu un agneau de la maison de David,


Prêtre et pontife de la semence d'Abraham:
Il fut pour nous agneau, il fut pour nous pontife:
Son corps en sacrifice, S011 sang en aspersion;
Béni soit-il pour ce qu'il accomplit.
Le Pasteur de tous voleta et descendit,
Il chercha Adam, brebis perdue;

lOrient Syrien XII, 4 (48), p. 511.


___________L=E~C=I='R=I=S=T~D=A=N=S~L=E=S~L~IT~I~JR~G~I=E=S~S=Y=R=I=E=N=N=E=S~______~53

Il le porta sur ses épaules ct remonta.


Il se fit oblation au Maître du troupeau:
Béni soit-il en son volettement.
Il se répandit, rosée et pluie vivifiante,
Sur Marie, terre assoiffée;
Grain de froment il descendit au Shéol;
Il en remonta, gerbe et pain nouveau.
Bénie soit son oblation »,

SAINT ÉPHREM

Cette hymne est peut-être parmi les plus anciennes qUI nous
soient conservées de saint Ephrem; du moins a-t-on pu le con-
jecturer en raison des incertitudes de la prosodie. Mais tout
au travers de son œuvre et de ce qu'y ont ajouté au cours des
siècles les innombrables disciples dont l'anonymat s'abrite sous
son nom prestigieux, c'est au travers de ce jeu d'images et de
figures bibliques que s'exprime avant tout le témoignage que les
Eglises syriennes n'ont cessé de rendre au Christ Seigneur et
Sauveur. Par delà les controverses théologiques dont les âpres
disputes recouvrent, on le reconnaît de plus en plus, bien des
malentendus et qui ont trop souvent servi de paravent à des
oppositions et à des refus dont la nature véritable est toute autre
que la sauvegarde de la foi orthodoxe, celle-ci n'a cessé en toute
confiance de se reconnaître et de se dire dans cette poésie
archaïque. Ephrem, plus que quiconque, s'est employé à mettre
en garde contre le goût intempérant des spéculations sur ce qui
doit rester mystère, caché aux prétentions de l'intelligence hu-
maine. Il y insiste d'autant plus qu'il lui faut, surtout lorsqu'il a
trouvé refuge à Edesse, cité plus influencée que ne l'était Nisibe
par les divers courants hétérodoxes, à défendre la pureté de la foi
chrétienne.
C'est précisément cette folle prétention qu'il reproche rude-
ment aux Ariens. Tout autre sera son attitude; il l'explique
longuement, par exemple, au début de l'Hymne X sur la Foi:
« Seigneur, c'est de vous qu'il est écrit: Ouvrez votre bouche et je
[la remplirai.
54 IRENEE-HENRI DALMAIS

Voyez, Seigneur, la bouche de votre serviteur et son esprit aussi


[ont ouverts pour VOUS.
Remplissez-les, Seigneur, de votre Don:
Que je puisse chanter votre louange selon que vous le voudrez.

Il cst de multiples niveaux pour parler de vous;


En ma témérité j'approche le plus bas.
En un profond silence est celée votre naissance:
Quelle bouche s'aventurera d'en traiter?

Bien que votre nature (kyana) soit une, multiples en sont les
[expressions;
On en trouve trois niveaux: élevé, moyen, inférieur.
Rendez-moi capable d'aborder le moindre,
de picorer les miettes de la table de votre sagesse.

La plus haute expression de vous est cachée en votre Père,


Les richesses de celle du milieu font l'admiration des Veillants
[(Anges);
Un ruisselet de votre enseignement, Seigneur,
Est pour nous, ici-bas, un flot d'interprétations» 3.

Dans les Hymnes de la Perle que la tradition a retenues


comme en conclusion des Hymnes sur la Foi, Ephrem exprime
admirablement son saisissiment adorant devant la chatoiement
des symboles sous lesquels se révèle et se cache le mystère du
Christ:

« Un jour, mes frères, je pris une perle:


J'y aperçus en symboles, relatifs au Royaume,
Des images et des types de cette Majesté.
Elle devint une fontaine et je m'y abreuvais des symboles du Fils.

Je la plaçais, mes frères, dans le creux de ma main pour mieux


[l'examiner.
Jerne disposais à la regarder sous une seule facette,
Mais de tous côtés elle n'était que facette.
Telle est la recherche du Fils, Lui qu'on ne peut scruter puisqu'il
[est toute lumière.

Dans cette pureté je reconnus le Pur qui ne souffre souillure,


Et dans cette limpidité le grand mystère du corps du Seigneur qui
[est totalement pur.
En son indivision je reconnus la vérité qui est indivisible ».

'csco 154.
LE CHRIST DANS LES LITURGIES SYRIENNES 55

Et un peu plus loin il insiste sur l'impossibilité de scruter


le mystère:
«Mais la trompette vint retentir et le tonnerre munnura:
Ne sois pas téméraire, laisse les questions obscures, ne prends que
[ce qui est clair.
Alors je vis dans le ciel serein une pluie toute nouvelle,
Une source à mes oreilles semblant sortir de la nuée
Les comblant d'explications.
C'était comme la manne qui à elle toute seule rassasia le peuple
Remplaçant tout autre mets.
Moi aussi, de ses délices elle m'a rassasié
Cette perle me tenant lieu de livres, de lectures et même de com-
[mentaires }} 4.

Ephrem est le Docteur commun de la tradition syrienne; les


liturgies des diverses Eglises n'ont cessé de puiser largement
dans l'héritage qu'il leur a laissé et, dans leur ensemble, les
hymnographes postérieurs sont demeurés fidèles aux perspectives
qu'il avait ouvertes. Alors même qu'ils sont profondément enga-
gés par ailleurs dans les controverses christologiques, ils gardent,
lorsqu'ils s'expriment pour le service de toute la communauté
chrétienne, une réserve comparable à celle du vieux maître af-
fronté à Edesse à l'exigence de défendre contre les Ariens la foi
orthodoxe. C'est à cette foi, telle qu'elle fut définie à Nicée, qu'ils
veulent avant tout rester fidèles. C'est elle - elle seulement -
ainsi qu'on l'a fait remarquer, qu'un Jacques de Saroug par exem-
ple, pourtant fermement attaché aux thèses cyrilliennes les
plus rigoristes, pose comme unique exigence alors qu'il polé-
mique non seulement contre les Juifs mais encore contre les
« Nestoriens»:

« Dieu est unique et Il a un Verbe et Il a un Esprit;


Le Seigneur est unique: son Verbe et son Esprit sont un avec Lm.
Trois Personnes, un seul Dieu sans limites;
Trinité, une seule Seigneurie qui ne reçoit pas d'ordre Il
(Hom. 1 contre les Juifs, vv. 93-96).

Rapprochant de cette déclaration, qu'elle avait par ailleurs


étudiée, la confession de foi envoyée par Jacques aux bienheureux
d'Azroun en Perse madame M. Albert commentait à la suite de

~ Trad. Fr. GRAFFIN, Orient Syrien XII, 2 (46), 132-134.


56 lRENEE-HENRI DALMAIS

J. Jansma: «Il semble donc que Jacques ne voulait connaître


que la définition de Nicée et préférait ignorer les querelles posté-
rieures: celles-ci devaient, dans son esprit, pouvoir trouver leur
solution dans les termes bien compris du premier concile œcu-
ménique. Et de rappeler que telle avait bien été, au dire de Cyrille
lui-même dans sa Lettre à Acace de Bérée, l'intention des Pères
arrivant pour le concile d'Ephèse " '.

ÉGLISES DE MÉSOPOTAMIE

Les Eglises de l'empire Perse qui, lorsqu'elles s'organisèrent


officiellement en 410, avaient exprimé leur communion dans la
foi avec les Eglises d'Occident sur la base des Actes du concile
de Nicée (Synod. Orient., p. 259), s'en tiendront toujours à cette
unique règle de foi, l'estimant suffisante. Pour elles, conformé-
ment à l'antique tradition, le Christ est "le Vivificateur de nos
corps et le Sauver de nos âmes ». II annonce et inaugure en sa
personne la seconde et définitive «catastase}} qui sera mani-
festée au terme de l'histoire et que nous attendons, vigilants
dans l'espérance. Ce souci de bien maintenir la distinction des
deux catastases, celle de la condition présente selon l'ordre de
la première création en laquelle le Christ est pleinement engagé
par son incarnation, et celle de la création nouvelle dont, vivifié
en l'Esprit lors de sa résurrection, il nous communique les
arrhes en ce même Esprit, semble bien être à la racine de ce qui
fut désigné cornille « nestorianisme» par ceux qui mettaient
l'accent sur le Christ comme Verbe de Dieu incarné. Cette théolo-
gie alexandrine du Logos est toujours demeurée étrangère et
sans doute difficilement compréhensible à ces araméens de Méso-
potamie affrontés aux doctrines mazdéennes d'une divinité qui
se manifeste dans la lumière et dans le feu. La lumière que
chantent avec magnificence les hymnes de cette liturgie', c'est
la lumière eschatologique qui se lèvera seulement lors de la
Parousie du Christ. Alors, et alors seulement, la plénitude du

5 Orient Syrien XII, 4 (48), pp. 493-494.


6 Cf. L-H. DALMAIS, Le thème de la lumière dans l'office du matin des Eglises
syriennes-orientales, dans Noël, EpiphanÎe, Retour du. Christ, Le Cerf, Paris 1967,
pp. 270·276.
LE CHRIST DANS LES LITURGIES SYRIENNES 57
--------

mystère du Christ sera manifestée. C'est pourquoi les théolo-


giens de cette Eglise s'attacheront fermement aux enseigne-
ments de Théodore (de Mopsueste), l'interprète par excellence
des Ecritures, en qui ils reconnaissent un témoin fidèle du
réalisme de la tradition antiochienne. La magnifique Hymne de
Louange (Teshbota) qui se chante aux dimanches des temps de
l'Annonce et de Noël est attribuée à Babaï le Grand, l'un des
théologiens les plus célèbres et les plus rigoureux de cette Eglise.
Par sa précision doctrinale elle est digne de cette attribution:

«Béni soit le (Dieu) de clémence qui dans sa bonté


Nous prenait en charge par la prophétie.
Avec les yeux de l'esprit Isaïe vit
L'enfant admirable de la virginité.
Car, sans maxiage, Marie enfanta
L'Emmanuel, Fils de Dieu.

C'est d'elle que l'Esprit Saint façonna


Un corps adorable, comme il était écrit,
Pour être uni parfaitement
A la splendeur du Père en une seule filiation.

Au tout début de sa conception admirable


Il (l'Esprit) unit avec l'Unique (Fils) en une seule personne
Afin d'accomplir en Lui tout ce qu'il voulait faire
Pour le salut de tous selon son bon plaisir.

Au jour de sa Nativité les vigilants l'ont glorifié


Par leurs alleluias au plus haut des cieux.
Quant à ceux de la terre ils lui rendirent hommage
Avec leurs présents dans un honneur unanime.

Un est le Christ, le Fils de Dieu, adoré de tous en deux natures:


Selon sa divinité né du Père, sans commencement, en dehors du
[temps.
Et selon son humanité, né de Marie, à la fin des temps dans le
[corps qu'il s'est uni.
La divinité ne vient pas de la nature de sa mère,
Ni l'humanité de la nature de son Père.

En lui les natures sont conservées dans leurs {( propriétés» (ql1wni


[= hypostasis)
Dans l'unique personne (prosôpon) d'une unique filiation;
De même que la divinité est trois « propriétés» mais une essence
Ainsi la filiation du Fils est en une « personne» deux natures.
Voilà ce qu'a appris la sainte Eglise pour confesser le Fils qui est
[le Christ.
58 lRENEE-HENRI DALMAIS _ _ _ _ _ _ _ _ __

Nous adorons, Seigneur, ta divinité et ton humanité indivisées (3 fois).


Une est la puissance, une est la majesté,
Une est la volonté, une est la gloire,
Du Père, du Fils et du Saint Esprit, pour le siècles des siècles» 7.

Plus brièvement une très ancienne antienne (onita resh qala)


chantée à l'office de Noël et en diverses autres occasions, expri-
mait déjà l'essentiel de cette foi:
« Le grand mystère (raza rabba) qui était caché depuis les
âges et les générations, nous a été révélé à la fin des temps: le Fils
unique, qui était dans le sein du Père, est venu. Dans sa bonté il a
pris la forme d'esclave. Et il nous a raconté et révélé la foi parfaite
en la Trinité» o.

En cette même fête de la Nativité, la Supplication diaconale


(karozouta) propose une belle catéchèse doctrinale sur le mystère
du Christ:
Il 0 Christ, né éternellement du Père sans commencement, splen-

deur de sa gloire et image de sa substance, Toi qui tiens et gouvernes


l'univers par la force de ta parole, nous te prions ,.'
o Christ, né temporellement à la fin des temps de la Vierge
Marie, source de sainteté pour le salut de notre nature et la libéra-
tion de toute créature, nous te prions ...

o Christ, Fils éternel et consubstantiel de Dieu (yalda utyaya


w-bar itutà), enfant engendré avant les étoiles, qui es né aujourd'hui
à Bethléem pour mettre le sceau aux prophéties, nous te prions .. '
o Christ, Seigneur de David par ta divinité et fils de David
par ton humanité, qui es né aujourd'hui de la maison de David pour
réaliser les prophéties de ton ancêtre David, nous te prions· .. '
o Christ, qui sans mariage es né aujourd'hui de la Vierge Marie,
enfant admirable et fns de merveille, Dieu, le Puissant des siècles,
Prince de la paix, selon les oracles d'Isaïe le glorieux parmi les
prophètes, nous te prions ...
o Christ, soleil de justice qui as brillé de la maison de David, qui
as manifesté aujourd'hui ta gloire dans notre nature humaine pour
confirmer les prophéties de Malachie et de Jérémie, nous te prions ...

o Christ, qui en naissant d'une fille d'Eve as défait et annulé


la sentence qui condamnait Eve et as promis une vie nouvelle, bon
espoir et salut à tous les enfants d'Eve, nous te prions ..

7 Trad. MATEOS: Lelya-Sapra, Rome 1972, pp. 114-115.


3 Ibid., p. 119.
LE CHRIST DANS LES LITURGIES SYRIENNES 59

o Christ, second Adam qui en naissant d'une fille d'Eve as


rendue jeune la vieillesse du premier Adam et lui as préparé une
demeure au ciel, à la place de la demeure passagère du paradis,
nous te prions ... » 9.

Citons enfin une expression de cette sobre christologie à


perspective eschatologique qui est demeurée celle des chrétiens
de tradition mésopotamienne. Au matin du troisième dimanche
après l'Epiphanie on chante une madrasha qui pourrait remonter
à une époque où les mystères de la Nativité et de la Manifestation
du Christ se célébraient d'une seule venue. En voici la première
strophe:
«La splendeur sans commencement de la Lumière éternelle
s'est rendue semblable à un soleil et s'est levée sur le monde.
Il était caché en son Père avant les siècles et les âges,
mais sa gloire s'est étendue sur tout pour vivifier notre mortalité.
Une image de son être invisible, il la fonna dans une fille d'homme
et il apparut enfant à la race des mortels» 10.

Le déroulement de l'Economie du salut accomplie par le


Christ est parfois résumé en une synthèse remarquable de densité
et de puissance évocatrice. Ainsi en cette oHita d-lelya pour le
troisième dimanche du temps des Apôtres (après la Pentecôte):
({ Béni soit le (Dieu) de bonté qui au commencement fit Adam
à son image et ressemblance; aux derniers temps il a eu pitié
de celui qui était déchu de sa gloire et il cst venu du ciel pour nous
sauver. Il a pris de notre race mortelle une nature humaine qu'il
a unie à sa personne et il est devenu Guide, Chef et Seigneur sur
tout ce qui existe au ciel et sur la terre. Il a renouvelé par elle
toute la nature qui se corrompait d'une mort lente qui régnait sur
elle par le péché» 11.

La fête de l'Ascension donne occasion à quelques développe-


ments sur le sacerdoce du Christ. Ainsi la première strophe de
la teshbi5ta du matin:
«Un grand prêtre est choisi parmi les mortels pour opérer la
[réconciliation
et pour qu'il exerce son sacerdoce dans le Temple de Dieu en
[faveur de son peuple.

9 Ibid., p. 128.
10 Ibid., p. 144.
Il Ibid., p. 256.
60 lRENEE-HENRI DALMAIS

Dans le Saint des Saints plus élevé que le Saint terrestre,


il mérita d'entrer avec son propre. sang.
Il est entré et paru devant l'invisible et a acquis une rédemption
[éternelle» 12.

Et l'onita d-lelya précise:


«Le sanctuaire véritable, voici que Dieu l'a établi dans la Jé-
rusalem d'cn-haut. Là a été élevé notre Sauveur afin qu'il soit
exalté à la droite et qu'il s'offre comme un sacrifice au Père adorable
pour nous tous, afin de libérer la race des mortels» 13.

LITURGIES SYRO-ANTIOeRIENNES

Bien que puisant largement aux mêmes sources et nourrie de


la même sève, la liturgie syro-antiochienne, sous sa double forme
({ jacobite» et ({ maronite» témoigne, il faut le reconnaître, d'une
attitude sensiblement différente face au mystère du Christ. La
note dominante paraît bien se reconnaître dans l'attention privi-
légiée donnée à la perspective du Logos, avec ce que ce terme
comporte de plus intellectualiste par rapport au syriaque me/ta
qui n'est d'ailleurs employé qu'avec une grande sobriété dans
la tradition mésopotamienne. Par contre, la perspective eschato-
logique et le thème de la libération comme celui de la vivification
ne reçoivent qu'un moindre relief. Cette différence d'attitude
pourra se durcir dans le cadre des controverses doctrinales, mais
on ne trouverait sans doute dans les textes liturgiques que peu
de trace de ces raidissements et des polémiques qu'ils ont suscités.
Bien plus importante paraît avoir été la différence de climat
culturel: dans l'ambiance des grandes cités hellénistiques - An-
tioche, Apaméc, Bérée et même Emèse - le vieux fond sémitique
a été largement imprègné par les influences multiples issues
notamment de l'Anatolie et - dans le domaine chrétien - plus
précisément de Cappadoce. c'est sur un terrain ainsi préparé
que la théologie alexandrine de saint Cyrille trouvera un accueil
enthousiaste. Le patriarche d'Antioche, Sévère, achèvera - au
début du VI' siècle - de l'acclimater en terre syrienne. La
tradition postérieure le considère comme le principal organisa-
teur de la liturgie syrienne et lui attribue en particulier la

Il Ibid., p. 245.
13 Ibid.
LE CHRIST DANS LES LITURGIES SYRIENNES 61

rédaction d'un recueil d'hymnes qui furent par la suite traduites


en syriaque par Jacques d'Edesse en 675 et transmises selon
l'ordre des huit modes de la musique grecque, d'où le nom
d'Octoéchos souvent donné à ce recueil. La première section est
intitulée: Sur la Nativité du Christ qui est Dieu. La maternité
divine de la Vierge - expression absente, et même récusée
comme trop ambiguë, par la tradition mésopotamienne - est
fortement soulignée. L'Hymne IV met avant tout l'accent sur le
mystère même de l'Incarnation:
« Le Fils et Verbe de Dieu qui remplit toutes choses, mais qui
n'est lui-même circonscrit ni contenu par toutes choses, a incliné
les cieux et est descendu sur terre dans sa pitié pour nous, de
manière inexprimable il a été contenu sans être enfenné dans le
sein d'une vierge. S'étant incarné d'elle sans changement, il est
né selon les lois de la nature: car il fut conçu comme enfant par
un miracle, il accomplit les neuf mois de la conception; mais par
sa naissance il n'a pas brisé les liens et les sceaux de la virginité de
sa mère. Ne demande pas comment; car si c'est l'Emmanuel qui
est né, sa naissance est incompréhensible et la manière d'un tel
miracle ne peut être expliquée (?). Aussi, conduits par une étoile
lumineuse pour nous élever vers les cieux avec les yeux de notre
esprit, bénissons et adorons tous, avec les mages, celui qui a fait
les cieux et la terre, offrons lui nos louanges pour sa grande pitié
et sa grâce envers nous» 14.

Plus nettement encore l'Hymne VII, après avoir rappelé les


prophéties d'Isaïe sur la naissance de l'Emmanuel, pose la que·
stion:
{{ Comment donc ne serait-ellc pas Mère de Dieu, celle qui a
enfanté le Dieu puissant, incrédules, ignorants et fous que vous
êtes? Vous aussi, reconnaissez avec nous, adorez et dites: Louanges
à toi!» 15,

Enfin l'Hymne IX plonge jusqu'aux profondeurs du mystère:


{{ Désirant voir avec les yeux de mon esprit les profondeurs du
mystère de l'Incarnation, j'étends de part et d'autre mon intelli-
gence et je l'applique de tous côtés; ayant reçu quelque lumière, je
concentre mon regard ct abandonne la spéculation (théoria), car je
suis dépassé par l'incompréhensible lumière de ces miracles. Celui
qui, au commencement, est le Verbe de Dieu le Père, sans cesser
d'être Dieu, est tout entier contenu sans être enfermé dans le sein

I~ Patrologie Orientale 26 (IV, 4), pp. 47-48.


15 Ibid., p. 50.
62 lRENEE-HENRI DALMAIS

de la Vierge Marie, la mère de Dieu. Et ce n'est pas en mettant en


branle les armées des êtres célestes que cela s'est accompli, mais
silencieusement, de manière inexprimable. Ayant hypostatiquement
uni une chair sainte et une âme intelligente, il est devenu homme
parfait sans subir de changement. C'est ce que David avait chanté
bien auparavant quand il prophétisait et s'écriait: "Il descendra
comme la pluie sur le gazon". C'est aussi ce que Jean fut inspiré
plus tard d'écrire en ses enseignements évangéliques quand il pro-
clamait et disait: "Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi
nous". C'est ce que Gabriel annonça à la Vierge quand il dit: "Salut
à toi car tu as été grandement favorisée; le Seigneur est avec toi,
bénie entre les femmes". Nous aussi louons-le et confessions qu'il
est le Sauveur de notre race, Christ, Dieu au dessus de tout» 16.

Ces textes d'une si ferme densité ont été par la suite submer-
gés sous le flot des compositions plus récentes dont celles de
Jacques de Saroug, si riches d'images poétiques glanées au tra-
vers de la Bible mais doctrinaIement plus imprécises, ont fourni
le modèle. C'est plutôt dans les Sédré, joyeau de la catéchèse
liturgique des Eglises syro-antiochienne et maronite qu'il faudrait
chercher le témoignage de leur christologie. Or il est à souligner
que ces «discours ordonnés" - tel est, semble-t-i1, le sens le
plus sûr de Sédro - composés originairement pour accompa-
gner l'offrande de l'encens du soir et du matin mais qui se sont
par la suite multipliés sans mesure, sont pour une large part
communs à deux Eglises dont l'une confesse les formulations
chaIcédoniennes de la foi alors que l'autre, en la majorité de ses
communautés, ne les a pas reçues. Citons seulement, à titre
d'exemple, quelques lignes d'un Sédro pour la fête de la Nativité,
cueilli dans la liturgie maronite. Il suffira à donner le ton de ces
compositions qui mériteraient d'être étudiées avec plus d'atten-
tion par les théologiens:
« A Toi la louange et la reconnaissance, Enfant éternel qui n'a
pas de commencement, Lumière cachée qui a brillé sur le monde,
Ancien des jours qui es né petit enfant de la fille de David, Seigneur
qui t'es contenté d'une mangeoire dans la grotte, Très-Haut qui fus
enveloppé de langes, Redoutable qui t'es complu dans les chants de
la fille de David. Nous qui maintenant contemplons émerveillés
le mystère de notre salut, nous nous écrions: Merveilleux es-tu, ô
Dieu, qui es devenu homme, sans changer en rien de la nature de ta
Divinité ... »17.

16 Ibid., pp SI-52.
17 Trad. P. BOUTROS G~MAYEL.
LE CHRIST DANS LES LITURGIES SYRIENNES 63

Certes, la distance est grande entre cette contemplation de


la Lumière du Verbe manifestée dans l'humilité de la crèche
et l'hymne de saveur si purement sémitique au Seigneur qui a
assumé la condition de l'humaine mortalité pour être « le Vivi-
ficateur de nos corps et le Sauveur de nos âmes »; mais, dans la
diversité des expressions, c'est bien de la même foi qu'il est
porté témoignage.

Irénée-Henri DALMAIS
LE PHÉNOMÈNE DU SANCTUS ADRESSÉ AU CHRIST
SON ORIGINE, SA SIGNIFICATION ET SA PERSISTANCE
DANS LES ANAPHORES DE L'ÉGLISE D'ORIENT

La Sanctus, issu du service matinal de la synagogue, joue de


bonne heure un rôle dans le culte chrétien '. C'est, au plus tard,
dès le 4' siècle, qu'il commence à faire partie intégrante des
anaphores de l'Orient', et également de celles de l'Occident dès
le 5' siècle '. Son insertion dans différents passages de l'anaphore',
mais surtout l'addition du HosannajBenedictus nouveautesta·
mentaire' marquent la première partie de la' Prière Eucharistique
de manière différente dans chaque cas, mais posent également
des problèmes à la recherche. En 1947, le théologien anglican
Cyril C. Richardson attira l'attention sur une difficulté qui pro-
vient de la combinaison des deux acclamations Sanctus et Bene-
dictus, sur le fait, que l'on passe de l'acclamation adressée au
Père ou pour ainsi dire à la Trinité (Sanctus), à celle adressée
au Fils (Benedictus). D'après Richardson, la réunion des deux
chants, qui d'abord apparaissaient séparément au cours du culte

1 Cf. A. BAUMSTARK, Tt"isl1agÏon und Qeduscha, dans: JLW 3 (1923), 18-32. J.A.
JUNGMAXN, Missarwn Solleml1ia II (Wien - Freiburg - Basel 51962), 161-173, 579-580:
E. WERNER, The Genesis of the liturgical Sanctus, dans: J. WESTRUP (Ed.), Essays
presented to Egon Wellesz (Oxford 1966) 19-32. G. K.RETsCHMAR, art. Abend-
mahlsfeier !, dans: TRE 1 (1977) 229-278, surtout 243-245.
l Cf. J.M. HANSSENS, Institutiones LiturgiclJ!. de ritibu5 orientalibus II (Ramœ
1932),390-404; G. KRETSCHMAR, Studien zur frühchristlichen Trinitlitstheologie (Tü-
bingen 1956) 134-182.
l Cf. L. CH.WOU'TIER, Un libellus Pseudo-Ambrosien sur le Saint-Esprit: SE 11
(1960) 136-192, surtout 180-191: G_ KRErscHMAR, Neue Arbeiten zur Geschichte des
Ostergottesdiwsles II: Die Einfithrung des Sanctus in die lateinische Messlitur-
gie, dans: !LH 7 (1962) 79-86.
4 Cf. L. LIGIER, Célébration divine et Anamnèse dans la première partie de
l'AIlaphore ou Canon de la Messe Orientale, dans: Greg 48 (1967) 225-252: aussi
dans: Eucharisties d'Orient et d'Occident II (= W 47), Paris 1970, 139-178.
S Cf. E. WER:!\ER, The HosaJ1l1a in the Gospds, dans: ILE 65 (1946) 97-122: J.A.
JUNGMANN, Missarum Sollemnia II (voir n. 1) 170 suiv.; J. BUNZLER, art. Hosanna,
dans: LThK 5, 489.
66 ALBERT GERHARDS

liturgique, a eu lieu en Syrie à une époque inconnue, et de là


- à la seule exception de la liturgie égyptienne - s'est répandue
dans les autres domaines liturgiques. Il s'agirait là, selon Ri-
chardson, d'un" typical example of bad Syrianization », c'est à
dire, d'un exemple typique de mauvaise syrianisation '.
Depuis, des recherches ont pu faire la preuve qu'un tel chan-
gement de la personne à qui l'on s'adresse est justement de règle
dans les hymnes - et le Sanctus, en sa qualité de chant de
l'assemblée appartient sans aucun doute à ce genre '. Dans le
Gloria, le passage bien connu de l'acclam8!lion au Père à l'accla-
mation adressée au Fils est d'origine". De même, les parties du
Te Deum n'ont pas été assemblées après coup, mais il a été
composé dès le début comme louange du Père et du Christ '.
Même le changement de personne dans les prières eucharistiques,
en lequel on a jusqu a présent vu surtout un développement
négatif IO, est interprété avec une prudence croissante 11, Cette

6 c.e. RICHARDSOK, «Blessed is He that cometh in the Name of the Lord »,


A Liturgical Note, dans: AThR 29 (1947) 96-98, ici 97.
J Cf. J.A. JUNGMANN, Die Stelltmg Christi im liturgischen Cebet (= LQF 19/20),
Münster 21%2, 208.
! Cf. JmwMANN, Missarum Sollemnia l (voir n. 1) 446-461; ID., Um den Auf-

hau des « Gloria in excelsis », dans LI 20 (1970) 178-188.


9 Cf. E. KA:ID.ER, Studien zum Te Deum und zur Geschichte des 24. Psalms in

der Alten Kirche (Gôttingcn 1958), 114 suiv. L'Exsultet de la nuit pascale en effet
ne connaît pas les changement de personne, mais la double acclamation au Père
et au Fils. Cf. H. SCHMIDT, Hebdomada Sancta II (Rom - Freiburg - Barcelona
1957) 627-650.
10 Cf. B. BOTIE, L'Anaphore Chaldéenne des Apôtres: OCP 15 (1949) 259-276,
surtout 265 suiv. Un grand nombre de théologiens est d'accord pour ramener ce
changement de personne à un monarchianisme primitif. Cf. G. KRETscm1AR,
Neue Arbeiten zur Gescl1ichte des Ostergottesdienstes II (voir n. 3) 85 suiv.;
aussi JUNGMANN, Die Stellung Christi im liturgischen Gebet (voir n. 7) 199-203.
lIOn considère maintenant de manière de plus en plus positive ce change-
ment de personne dans l'anaphore mentionnée plus haut (voir n. 10). Cf. HA.J.
WEG:\>IA:'\, Pleidooi vor een tekst. De Anaphora van de Apostelen Addai en Mari,
dans: Bijdragen 40 (1979) 17-43. R.J. G.o\LVIN, Addai and Mari revisited: the state
of t11e question: EL 87 (1973) 383-714. D.B. SPINKS, The original form of the Ana-
phara of ale Apostles: a suggestion in the light of Maronite Sharar: EL 91
(l977) 146-161. Cf. aussi le conspect le plus récent de la volumineuse littérature
chez A. VERHEUL, La prière eucharistique de Addaï et Mari, dans: QL 61 (1980)
19-27. L. Ligier a publié dans les miscellanea en l'honneur de A.H. Couratin (éd.
par B.D. SPINKS une étude sur l'anaphore du Testarncntum Domini, dans la-
quelle on trouve une structure semblable à celle de l'anaphore des Apôtres: L.
LIGIER, L'Anaphore de "La Tradition Apostolique J> dans le «Testamentum Do-
mini », dans: The Sacrifice of Praise. Stt/dies 011 the themes of t11anksgiving
a11d redernption in the central prayers of the etlcharistic and baptismal liturgies
(Bibliotheca Ephemerides Liturgicre - Subsidia 19), Roma 1981, 91-106. Je re-
mercie le Père Ligier, qui a mis le manuscrit à ma disposition.
LE SANCTUS ADRESSE AU CHRIST 67

nouvelle interprétation va de pair avec l'augmentation des con-


naissances sur la singularité de la liturgie judéo-chrétienne, de
laquelle ce changement semble être caractéristique. Pierre Prigent
voit dans le 4< et le 5' chapitre de l'Apocalypse un exemple signi-
ficatif à ce sujet ".
Notre propos nous amène cependant à considérer une forme
particulière du Sanctus, pour laquelle la question soulevée par
Richardson est sans objet, puisqu'il s'agit du Sanctus déjà
adressé au Christ. Cette conception du Sanctus a été examinée
en détails par Georg Kretschmar n. Hansjorg Auf der Maur y a
ajouté des aspects décisifs 14. Nous nous appuyons sur les résul-
tats de ces deux auteurs tout en essayant de mettre ce phénomène
en relation avec des sources supplémentaires et d'amorcer une
systématisation théologique. Pour ce faire, nous considérons tout
d'abord le fondement biblique, les premiers témoignages, puis
la signification du " Sanctus ad Christum ", pour formuler ensuite
une hypothèse sur son origine, c'est-a-dire le " Sitz im Leben ".
C'est toujours le Sanctus anaphorique qui se trouve au centre
de notre intérêt. Georg Kretschmar le met cependant déjà en
parallèle avec deux formules liturgiques qui lui sont apparentées
et que nous ne pouvons laisser tout à fait de côté: Le Trishagion
dans la liturgie de la parole" et l'acclamation Er, &yw, avant la
communion Hl. Ces deux formules étant - comme on le sait
aujourd'hui - adressées à l'origine non à la Trinité, mais au
Christ ".

12 P. PRlGENT, Apocalypse el Liturgie (= Cahiers Théologiques 52) Neuchâtel


1964. 46-76.
II G. KRETSCHMAR, Studien (voir n. 2), 174-182; ID., Neue Arbeiten zur Ge·
sehichte des Ostergottesdienstes (voir n. 3), 79·86.
I~ H. AUF DER MAUR, Die Osterhomilien des Asterios Sophistes als Quelle für
die Geschichte der Osterfeier (= Trierer Theo!. Studien 19), Trier 1967, 74-94.
IS Cf. KrurrSCHMAR, Studien (voir n. 2), 175·178, 180.
16 Cf. ibid. 177.
17 Cf. L. BRou, Le Trisagion de la Messe d'aprè.s les sources manuscrites: EL

61·/1 (1947) 309·340; V.·S. JANERAS, Les Byzantins et le Trisagion christologique,


dans: Mise. Lit. Lercaro II (Rom· Paris _ Tournai - New York 1967) 469-499;
H. ENGDERDING, 2um formgeschichtliclœn Versldndnis des éiyLoÇ 0 ,q.e:6ç, &.yLOÇ
taxup6ç, &yLOÇ &'&&;VIXTor;." ÉÀ~lIaov 1J!-liiç: U 10 (1930) 168-174. Réc.emmen.t paru:
E. KLUM-BoHMER, Vas Tnshagwn ais Versühnungs{ormel der Chnstenhett. Kon-
troverstheologie im V. und VI. Jahrhtmdert, München - Wien 1979. Cette étude est
de moindre intérêt pour l'histoire de la liturgie. Un fait regrettable est la déno-
mination du Trisagion comme «Hymne de la Trinité» (Dreifaltigkeitshymnus),
bien que l'auteur connaisse son usage christologique originel.
68 - - - - - - - ALBERT GERHt\.RDS

1. LE FONDEMENT BIBLIQUE

D'après les affirmations de l'Ancien Testament, la Sainteté


est l'essence la plus profonde et la plus intime de Dieu, ce
qui fait son Etre ". L'appellation 0 &y,oç, un des noms le plus
souvent donnés à Dieu par le judaïsme 19, nous la retrouvons dans
l'Apocalypse pour désigner Dieu con1n1e «1\lIaÎtre saini et vrai»
(Apoc. 6,10). Les mêmes noms y sont également attribués au
Christ: «Ainsi parle le Saint, le Vrai, celui qui détient la clé de
David" (Apoc. 3,7) '". C'est tout à fait naturellement que s'opère,
à l'époque patristique, ce transfert du nom « saint» sur la person-
ne du Christ. C'est ainsi que le Psaume 98 (99), dans lequel cette
appellation apparaît à plusieurs reprises, est interprété par les
Pères de l'Eglise comme s'adressant au Christ ". Dans la ligne
de cette tendance, le Christ est également désigné dans les hym-
nes comme le « Saint unique», denomination que l'Apocalypse
réserve encore pour Dieu seul (Apoc. 15,3-4) 22.
Le Sanctus liturgique a son origine dans l'acclamation des
Séraphins au cours de la vision du temple d'Isaïe: «Ils se criaient
l'un à l'autre ces paroles: Saint, saint, saint est Yahvé Sabaot,
sa gloire emplit toute la terre" (Is. 6,3). L'Apocalypse nous livre
un important témoignagc biblique de l'utilisation liturgique:
« Saint, saint, saint, Seigneur, Dieu MaÎtre-de-tout. Il était, Il est,
et Il vient" (Apoc. 4,8) ". D'après Erik Pcterson, cette affirmation
« Il vient" représente une rupture par rapport à l'usage ontolo·
gique, d'après lequel on devrait dire « Il sera". Cette troisième
affirmation se rapporte selon lui à l'Economie du Salut, qui
s'est manifestée dans la venue de Dieu dans la création et la
rédemption 24. En effet, le Christ est bien, dans l'Apocalypse,

18 Cf. ThWNT l 91·97 (O. PROCKSCH) et T. HOLTZ, Die Christologie der Apo-
kalypse des Johannes (= TU 85) Bedin 21971, 140 suiv.
l~ Cf. ThWNT l 98 suiv. (K.G. KUHN).
10 Cf. ThWNT l 103 (O. PROCKSCH).
~l Cf. la volumineuse documentation dans La Tradition médite le Psautier
Chrétien II/2 (Saint Céneré 1974) 336-341.
22 Cf. le Gloria dans sa version originale selon le Codex Alexandrinus: B.
CAPELLE, Le texte du "Gloria il1 excelsis l', dans: Revue d'hisl. eccl. 44 (1949) 439-
457. E. COTHENET, Liturgie terrestre et litllrgie céleste d'après l'Apocalypse, dans:
L'Assemblée liturgique et les différents rôles dam l'assemblée (= Bibl. E.L. Sub
si dia 9) Roma 1977, 143-166 .
., Cf. PRIGF.NT (voir n. 12), 49-66.
11 Cf. E. PETERSON, Von den Ellgeln, dans: Theologische Traktate (München
1951) 333 suiv.
______________~L~E~S~A~N~C~TUS MJRESSE _A_U~C~H=R=1=S_T______________~69

celui qui vient. Au début nouS trouvons ces p"roles: «Voici, il


vient avec les nuées" (Apoc. 1,7), et à la fin: «Le garant de ces
révélations l'affirme: Oui, mon retour est proche! Amen, viens,
Seigneur Jésus! " (Apoc. 22,20).
Une autre référence du Nouveau Testament à la vision du
temple d'Isaïe, celle de Jean (12,41), est de première importance
pour notre propos. Faisant allusion au passage d'Isaïe parlant
de l'endurcissement des Juifs (Is 6,9), Jean fait la remarque
suivante: «Isaïe a dit cela, parce qu'il eui la vision de sa gloire
et qu'il parla de lui ". Les exégètes voient dans ce passage l'uti-
lisation d'un Targum, d'après lequel Isaïe n'aurait pas vu Dieu
lui-même, mais sa gloire (shekina). D'après Saint Jean (1, 14),
Jésus lui-même est la shekina de Dieu. Par conséquent, c'est Jésus
qu'Isaïe a vu dans le temple 25. Il s'agit donc dans ce passage de
Saint Jean d'une affirmation sur la pré-existence de Jésus, qui
montre cependant déjà, d'après Rudolf Schnackenburg, un Christ
destiné à sa mission salvatrice sur la terre 26. Si Isaïe, d'après
l'affirmation du quatrième Evangile, a vu Jésus dans le temple,
on peut en déduire que c'est aussi devant lui, que les Séraphins
ont chanté le Sanctus. C'est là le point de départ pour l'interpré-
tation du Sanctus liturgique adressé au Christ ", mais cela ne
fut pas le seul, puisqu'à l'époque des premiers Pères de l'Eglise
toutes les Théophanies de l'Ancien Testament, et donc également
ce passage d'Isaïe, furent interprétées par rapport au Christ "'.

II. LES PREMIERS TÉMOIGNAGES

On pourrait mentionner COlnme premier téInoignage datant


du début du deuxième siècle une remarque célèbre tirée de la
première lettre de Pline, qui écrit: «Carmen Christo quasi deo

l> Cf. R. BROWN, The Gospel according to John 1 (New York 1966) 486 suiv.
26 R. SCJINACKENBURG, Das Johannesevungeliwn. II (Freiburg - Basel - Wicn
1971) 520.
li Cf. KREISCJJMAR, Studien (voir n .2), 164-180; ID" Ahendm.alllsfeier (\'oir n. 1),
244. Le passage de Jean 12,41 est également d'importance pour l'interprétation
trinitaire du Sanctus, conjointement avec Is 6 et Actes 28,25 suiv.; cf. lEAN CHRY-
SOSTOME, ln Isaiam cap. VI: PG 56,71 (c). Cette interprétation, qui met les trois
personnes divines au même niveau, remplace l'ancienne exégèse que fait d'Is. 6
le judaïsme tardif, reprise ensuite par Origène. Cf. A. GRILLMEIER, Jesus, der
Christus im Glauben der Kil'che 1 (Freiburg - Basel - Wien 1979), 156 et 423.
U Cf. JUSTIN, Apol. l 63,16, mais aussi Actes 10,43.
70 ALBERT GERHARDS
-----------------
dicere » 29, D'après Josef Andreas Jungmann, cette notation s'ap-
plique (c selon toute vraisemblance» à la célébration matinale
de l'Eucharistie, et plus précisément au Sanctus JO. Il n'est cepen-
dant pas hors de doute, que le service divin décrit par Pline soit
effectivement la célébration de l'Eucharistie n. A partir de l'usage
dans l'antiquité romaine F. Fourrier a interprété le «carmen»
comme une cc formule consécratoire au Christ », c'est-à-dire,
comme la profession de foi de la liturgie baptismale dans la nuit
pascale. Tertullien, qui se refère dans son Apologeticum (2,6) à
ce passage, transforme le (c carmen» en hymne, ainsi que le
comprend Jungmann: "Christo ut deo canere» ".
Le récit du martyre de Perpétue et Félicité, qui fut écrit
vers 200 en Afrique du Nord, présente un document sans équi-
voque du phénomène qui nous occupe. Il s'agit de la vision avant
le martyre, dans un endroit céleste et plein de lumière:
« Nous entrâmes et entendîmes des voix qui chantaient à l'unisson
et sans fin: Saint, saint, saint. Et nous vîmes en ce lieu, assis, lUl
homme agé qui avait des cheveux tout blancs, mais un visage d'ado-
lescent; mais ses pieds, nous nc les vîmes pas» 33.

Celui qui est assis sur le trône, c'est le Christ, dont la descrip-
tion est identique à celle que nous trouvons dans le célèbre
chapitre eucharistique du récit, le chapitre 4. C'est à lui, que
s'adresse l'acclamation sans fin des voix unies. La description du
Sanctus, transmis en langue grecque dans le récit latin, ainsi
que la scène du salut au Christ par un baiser - et qui constitue

29PUNIUS SEC. MIN" Epist. 10, 96,7.


J,A. JUNGMANN, Missarum Sollemnia (voir n, 1) l 23 contre F,J. DOLGER, Sol
ltJ
Salutis (LQF 16/17), Münster 1920, 105 suiv. 110·115. Selon Dülger le « carmen»
est une prière d'intercession.
JI « Quibus peractis (sc. carmen dicere etc.) morcm sibi discedendi fuisse
rursusque coeundi ad capiendum cibum, promiscuum tamen et innoxium », G,J.
Cuming interprète la liturgie décrite par Pline comme ({ a morning meeting
which seems to have been non·sacramental »: C. JONES, G. WAINWRlGHT, E. YARNOLD,
The Study of Liturgy (London 1978) 353.
~l F. FOURRIER, La lettre de Pline à Trajan sur les chrétiens (X,97), dans:
Rech. de théol. a/1C. et méd. 31 (1964) 161·174. Dans le livre cité plus haut D.H.
Tripp se réfère à cette interprétation déjà soutenue par Lietzmann, mais sans
citer l'article de Fourrier, qui éclaire les points restés jusque là sans explication
(voir n. 31) 51.
JJ « Et introivimus, et audivimus vocem unitam dicentem: "Agios, agios,
agios", sine cessatione. Et vidimus in eodem loco sedentem quasi hominem
canum, niveos habentem capillos ct vultu iuvenili, cuius pedes non vidimus »:
Passio S8. Perpetuee et Felicitatis 12, 2·3, éd. J. van BEEK, Flor. Patr. 43 (Bonn
1938) 16.
LE SANCTUS ADRESSE AU CHRIST 71

selon Franz Josef Dolger une référence au baiser de l'autel" -


ces deux descriptions peuvent être interprétées dans un contexte
liturgique, mais pas nécessairement eucharistique 35, Dans la
tradition de l'Occident le Sanctus" ad Christum» est rarement
attesté. P.-M. Gy nous a fait connaître un exemple intéressant
de S. Pierre Chrysologue:
«Celui (le Christ), de sa majesté la voix des fidèles atteste tous
les jours criant: Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire»-OO.

L'histoire du Sanctus dans la liturgie chrétienne est étroite-


ment liée à celle de la liturgie syrienne, dans laquelle les échanges
entre les pensées juive et chrétienne persistèrent longtemps. Des
savants comme Louis Ligier 37, Léon Cornet'" et Bryan D. Spinks"
ont fait, il y a peu de temps, des déclarations à ce sujet. Comme
l'a établi Georg Kretschmar, le Sanctus a été, en Syrie, surtout
interprété comme étant adressé au Christ ". Ephraim (t 373),
chez lequel on ne peut cependant pas prouver la présence d'un
Sanctus anaphorique ", considère le Sanctus des Séraphins dans
le passage d'Isaïe comme une acclamation au Christ ". Vers l'an
400, le poète syrien Cyrillonas interprète de façon eucharistique
la vision du prophète:
« Ceci est le corps que les anges ne peuvent pas voir à cause
de sa splendeur. Ceci est le pain de la divinité, que j'ai donné par
ma grâce aux habitants de la terre. Ceci est le Saint des Saints, par
lequel les Séraphins sont sanctifiés au plus haut des cieux, en
invoquant sa sainteté» 43.

34 Cf. F.I. DOLGER, AC 2 (1930) 207-209, aussi G. KRETSCHMAR, Die Geschichte des
T aufgottesdienstes der alten Kirche (:::: Leiturgia 5), Kassel 1970, 283.
JS Grégoire de Nysse mentionne le Sanctus en rapport avec le baptême:
PG 46,241C.
JI Sermon 170: PL 52.644 B. Cf. P.-M. GY, Le Sanctus romain et les Anaphores
Orientales, dans: Mél. Lit. B. Botte (Louvain 1972) 168.
37 Les origines de la prière eucharistique: de la cène du Seigneur à l'eucha-
ristie: QL 59 (1972) 181-201.
3.1 Sa/1ctus et Merkaba, dans: QL 59 (1978) 23-37.
39 The Jewish Sources for the Sanctus, dans: The Heythrop Journal 21 (1980)
168·179.
lD KRETSCHMAR, Studien (voir n. 2), 174-178.
II Ibd. 181 n. 1.
II « lm zweitcn Jahr m6gcn die Scraphim viel - mit uns danken. Die ihr
Heilig dem Sohne zuriefen . sahen ihn hinwieder (sic!) geschmaht - unter
den Leugnem. Er ertrug den Spott - und lehrte (uns sein) Lob. Ihm sei Lobpreis»
(Nat. 18.6). CSCO 187, Syri 83 (E. BECK) 84.
41 Première homélie sur la Pâque du Seigneur, éd. par BICKELL, dans: ZDMG
27 {1878) 569-575; cf. P.S. LANDERSOORFER (BKV, deuxième série vol. 6), Kempten-
München 1912, 37.
72 ALBERT GERHARDS

Le contexte eucharistique mérite l'attention, cependant le


passage en question n'indique pas si le poète se rapporte au
Sanctus liturgique et si c'est l'acssemblée qui fait l'acclamation.
Mais la réponse à ces questions se trouve dans un autre texte
syrien, un chant de louange (onita), qui à l'origine avait vrai-
semblablement sa place dans l'office de minuit du vendredi, com-
me le suppose l'éditeur Juan Mateos 44. Nous reviendrons plus tard
sur ce point.
Hansjiirg Auf der Maur a pu fournir la preuve que le Sanctus
de la prière eucharistique a été aussi très tôt interprété dans
le sens christologique. Il trouva dans les homélies du prédicateur
de Cappadoce Asterios le Sophiste (t peu après 341) une attesta-
tion sans équivoque du Sanctus anaphorique adressé au Christ,
tel qu'il doit avoir été répandu dans la Cappadoce et la Syrie
de cette époque ":
{( Car, puisque les Séraphins et les anges à six ailes, et tous les
esprits et ceux qui célèbrent avec lui la liturgie voient resplendir
au dessus d'eux le Corps du Christ (la poussière d'argile), ils louent
et glorifient le Christ pour ce miracle extraordinaire ... en disant:
Saint, saint, saint le Dieu Sabaoth ... ») 46,

Mais il n'y a pas que les esprits célestes qui louent le Christ
glorifié. Le Christ a transformé la terre en ciel,
« afin que ceux d'en-Bas puissent glorifier Dieu de la même façon
que ceux d'en-Haut, plus encore, afin que ceLL'\': d'en-Bas soient uns
avec ceux d'en-Haut» 47,

Un autre passage d'Asterios nous livre une version plus


longue du Sanctus, correspondant mot pour mot à celui qu'on
trouve dans l'Anaphore du huitième livre des Constitutions Apo-
stoliques:
« Saint, saint, saint, le Seigneur. Le ciel et la terre sont remplis
de sa gloire» 48.

44 Cf. J. MATEOS, Un office de minuit chez les chaldéens?, dans: OCP 25 (1959)
101·113, texte 104 .
• .1 Cf. H. AUF DER MAUR (voir n. 14), 74-94; outre cela GRILLMEIER (voir n. 27),

345-355.
46 Asterii Sophistae Commentariorum in Psalmos quae supersllnt accedunt

aliquol homiliae anonymae, éd. M. RICHARD (= Symbolae Osloenses, fasc. supplet.


XVI), Oslo 1956. 115, 1-6.
47 [bd. 115, 15·17.
~s [bd. 233, 6·7. Cf. F.X. FUNK, Didascalia el Constituliones Apostalorum 1
(Paderborn 1905) 506, 4-6; aussi AUF DER MAUR {voir n. 14), 89.
LE SANCTUS ADRESSE AU CHRIST 73

L'emploi de la troisième personne montre qu'il s'agit d'une


forme primitive du Sanctus, encore très nettement influencé
par Isaïe (Is. 6,3). Mais le rajout de l'expression « le Ciel et la
Terre» est considéré par rapport au passage d'Isaïe con1me un
trait spécifique de la liturgie chrétienne. Cela exprime la pensée
que la gloire de Dieu rayonne non plus seulement du temple ter·
restre, mais à présent aussi du corps glorifié du Christ, pensée
que Asterios développe en faisant allusion aux paroles d'Ezéchiel
(Ez. 3,12): «Bénie soit la gloire de Yahvé au lieu de son séjour!» ".

III. LA SIGNIFICATION

1. Le caractère anamnétique

Les bases d'une interprétation sont déjà contenues dans les


documents que je viens de présenter pour le Sanctus adressé au
Christ. En tant que chant de louange au Christ, il se réfère à
l'humiliation et à l'exaltation du Fils de Dieu. Même dans les
passages où il s'agit d'une affirmation sur la pré·existence, corn·
me par exemple chez Saint Jean (12,41), on constate le rapport
avec la future œuvre salvatrice du Christ. Le « punctum compa·
rationis» est la réunion du ciel et de la terre pour chanter la
louange de Dieu, louange dont les hommes n'étaient pas capables
à cause du péché. Cette pensée, que nous retrouvons surtout chez
Jean Chrysostome 50, fait encore plus nettement apparaître au
centre de la liturgie celui par lequel cette union a été effectuée.
C'est le Christ, qui a abattu les barrières entre ciel et terre, et a
fait du Sanctus des Séraphins un «Hymne des fidèles ». L'ex·
pression utL'Joç "t'W'J 7ttO'''t'OO'J employée par Asterios montre bien,
que les acteurs du Sanctus, ce ne sont plus seulement les anges,
mais aussi et surtout l'assemblée chrétienne. La louange à Dieu
a trouvé en la personne du Christ non seulement un nouveau
motif, mais aussi quelquefois une nouvelle direction. Cela ne

49 Cf. AUF DER MAVR (voir 11. 14), 84. L'opinion de A. Baumstark selon laquelle
Ez. 3 doit être compris seulement comme une expression judaïque, est ici re-
fusée: Cf. PRIL"ENT (voir n. 12), 64.
so Cf. par exemple «Vidi Dominum », Hom. 6,3: PG 56,138.
74 ALBERT GERHARDS

signifie en aucune façon un changement de perspective, si nouS


prenons au sérieux la conception théologique de Saint Jean, selon
laquelle le Christ fait un avec le Père (voir Jean 14,9). C'est dans
cette optique qu'il faut comprendre l'onita syrienne déjà men·
tionnée:
« A celui que les Chérubins entourent, en l'honneur duquel les
Séraphins chantent le 'Saint', à celui dont les anges et les hommes
répètent la gloire de sa majesté, Jésus, notre roi victorieux, qui
est venu et nous a sauvé par sa Croix et nous a promis le Royaume
et la jouissance sans fin, à lui la gloire, et sur nous ses miséri-
cordes ... » 51,

Le Sanctus ainsi conçu n'est plus une pure « Theologia » au


sens de la première demande du Notre Père (<< que ton nom soit
sanctifié ») 52, mais exprime déjà un relnerciement pour la « Oiko-
nomia ». Cette relation entre louange et action de grâces appa-
raît déjà dans la troisième phrase du dialogue initial: «Rendons
grâce au Seigneur notre Dieu ». Cette exhortation est d'origine
juive ", mais l'action de grâce a pris par la Passion, la Mort et la
Résurrection du Christ une nouvelle dimension. Ephraim inter-
prétait déjà la louange des anges comme action de grâces pour
la Rédemption, lorsqu'il dit, dans une de ses paroles de louange
sur les trentes années de vie du Christ:
«Que les Séraphins chantent avec nous l'action de grâces au
cours de la deuxième année. Ceux qui acclamaient le Fils en chantant
sa Sainteté, le virent alors bafoué par ceux qui le reniaient. Il sup-
porta les outrages et nous enseigna sa louange. Loué soit-Il!» 54.

La référence au mystère Pascal est de tradition. On peut y


rattacher également l'onita syrienne déjà citée, que Georg Kretsch-
mar place dans l'ancienne célébration pascale, à un stade anté-

Voir n. 44.
51

Cf. PETERSON (voir n. 24) 354. Cette interprétation se trouve aussi chez
52

TERTULLIEN: De oral. 3 (CSEL 20,182,20 suiv.).


SJ Cf. C.A. BOliMAN, Variants in the. Introdu.ction ta the Euc11aristic Prayer,
dans: Vigo Cl1r. 4 (1950) 94-115, ici 101.
~ EPHRATM, Nat. 18,6 (voir n. 42). Cf. Nat. 18,7, avec la référence à ~z. 3: {{ lm
crsten Jahr, (das) der Herr der Schatze - und die Fülle der Güter (ist), mogen
mit uns danken - die Cherubirn, die den Sohn lobpreisend trugen. - Er verliess
seine Herrlichkeit, mühte sich und fand - das Schaf. das verloren gegangen
war. Ihm sei Dank! ».
LE SANCTUS ADRESSE AU CHRIST 75

rieur à son développement dans le Triduum ", le Trish8!gion


du Vendredi Saint dans la liturgie romaine ", et enfin les cachets
des hosties coptes avec l'inscription du Trishagion, que Franz
Josef Diilger met en relation avec le pain béni (Eulogia), sur
lequel fut prononcé le &y,o, 0 0E6, 07. Qu'il s'agisse ici d'un reste
de la fonction consécratoire du Sanctus, comme le prétend
Edward C. Ratcliff ", voilà qui est, comme la thèse de Ratcliff
elle-même, extrêmement difficile à démontrer.
En résumé, nous pouvons dire que dans les interprétations
christologiques (et plus tard trinitaires ") du Sanctus, on retrouve
la référence anamnétique à la Mort et à la Résurrection du
Christ. A cette nouvelle signification du Sanctus correspond le
passage de l'acclamation à l'hymne tel qu'il est maintemmt
universellement connu 60.

2. La désignation" Hymne de victoire»


Plus nettement encore que dans l'expression "Hymne des
fidèles », c'est dans le terme spécifique È1tLV[XLQÇ O[.Lvo:;, que se mani-
feste le caractère anamnétique du Sanctus. Ce terme, que nous
tenons des Anaphores de l'Eglise orientale, désigne dans l'Anti·
quité grecque le chant qui célèbre la victoire ". Dans la traduction
biblique de Symmachus, nous le retrouvons dans des titres de
Psaumes et également pour la première fois dans le contexte
d'Isaïe 6,3 (~cr[.LIX't"1X È7tLVLXLIX) 62. L'expression « Hymne de victoire)}
a déjà du être utilisée très tôt pour des chants de Pâques. On
peut la rattacher au "Cantique nouveau» ()(im~ 4>6·~) sur l'Agneau,
dans le passage de l'Apocalypse (Apoc. 5,9). Une homélie de
Pâques datant des premiers temps de la chrétienté (et attribuée

55 Cf. KRErSCHMAR, Neue Arbeiten (voir n. 3), 85 n. 50.


56 Cf. n. 17.
51 Cf. F.J. DOLGER, Heidnische und christliche Brotstempel mit religiOsen Zei-

chen, dans: AC 1 (1929) 26.


51 Cf. E.C. RATCLIFF, The Sanctus and the Pattern of the Early Anaphora,
dans: JEH 1 (1950) 29-56, 125-134: outre B.D. SPI:-lKS, A note on the AnapllOra
Jutlined in Narsai's Homily XXXII, dans: lTS 31 (1980) 82-93.
59 Cf. l'addition «théopaschite» au Trisagion, «celui qui a été crucifié pour

nous », qui suppose une interprétation christologique: JANERAS (voir n. 17),475 suiv.
60 Cf. AUF DER MAUR (voir n. 14), 79-84.
61 Cf. H. STEPHANUS, Thesaurus Graecae Linguae 3, 1712 suiv.
ouCf. WERNER (voir n. 1), 27.
74 ALBERT GERHARDS

signifie en aucune façon un changement de perspective, si nous


prenons au sérieux la conception théologique de Saint Jean, selon
laquelle le Christ fait un avec le Père (voir Jean 14,9). C'est dans
cette optique qu'il faut comprendre l'onita syrienne déjà men·
tionnée:
« A celui que les Chérubins entourent, en l'honneur duquel les
Séraphins chantent le 'Saint', à celui dont les anges et les hommes
répètent la gloire de sa majesté, Jésus, notre roi victorieux, qui
est venu ct nous a sauvé par sa Croix et nous a promis le Royaume
et la jouissance sans fin, à lui la gloire, et sur nous ses miséri-
cordes ... » 51.

Le Sanctus ainsi conçu n'est plus une pure « Theologia " au


sens de la première demande du Notre Père (<< que ton nom soit
sanctifié ») 52, mais exprime déjà un remerciement pour la « Oiko-
nomia". Cette relation entre louange et action de grâces appa-
raît déjà dans la troisième phrase du dialogue initial: «Rendons
grâce au Seigneur notre Dieu". Cette exhortation est d'origine
juive 53, mais l'action de grâce a pris par la Passion, la Mort et la
Résurrection du Christ une nouvelle dimension. Ephraim inter-
prétait déjà la louange des anges comme action de grâces pour
la Rédemption, lorsqu'il dit, dans une de ses paroles de louange
sur les trentes années de vie du Christ:
{( Que les Séraphins chantent avec nous l'action de grâces au
cours de la deuxième année. Ceux qui acclamaient le Fils en chantant
sa Sainteté, le virent alors bafoué par ceux qui le reniaient. Il sup-
porta les outrages et nous enseigna sa louange. Loué soit-Il!» 54.

La référence au mystère Pascal est de tradition. On peut y


rattacher également l'onita syrienne déjà citée, que Georg Kretsch-
mar place dans l'ancienne célébration pascale, à un stade anté-

31Voir n. 44.
52Cf. PETERSON (voir n. 24) 354. Cette interprétation se trouve aussi chez
TERTULLIEN: De orat. 3 (CSEL 20,182,20 suiv.).
53 Cf. C.A. BOUMAN, Variants in the Introduction to the Eucharistie Prayer,
dans: Vigo Chr. 4 (1950) 94-115, ici lOI.
!>4 EPHRAIM, Nat. 18,6 (voir n. 42). Cf. Nat. 18,7, avec la référence à :Ëz. 3: «lm
ersten Jahr, (das) der Herr der Schatze - und die Fülle der Güter (ist), mogen
mit uns danken - die Cherubim, die den Sohn lobpreisend trugen. - Er verliess
seine Herrlichkeit, mühte sich und fand - das Schaf, das verloren gegangen
war. Ihm sei Dank! ».
LE SANCTUS ADRESSE AU CHRIST 75

rieur à son développement dans le Triduum se, le Trishagion


du Vendredi Saint dans la liturgie romaine se, et enfin les cachets
des hosties coptes avec l'inscription du Trishagion, que Franz
Josef Dolger met en relation avec le pain béni (Eulogia), sur
lequel fut prononcé le &YLOÇ 0 006ç". Qu'il s'agisse ici d'un reste
de la fonction consécratoire du Sanctus, comme le prétend
Edward C. Ratcliff ", voilà qui est, comme la thèse de Ratcliff
elle-même, extrêmement difficile à démontrer.
En résumé, nous pouvons dire que dans les interprétations
christologiques (et plus tard trinitaires 56) du Sanctus, on retrouve
la référence anamnétique à la Mort et à la Résurrection du
Christ. A cette nouvelle signification du Sanctus correspond le
passage de l'acclamation à l'hymne tel qu'il est maintenant
universellement connu 60.

2. La désignation « Hymne de victoire"


Plus nettement encore que dans l'expression «Hymne des
fidèles », c'est dans le terme spécifique Èn:L\I[XWÇ Ütl\lO::;, que se mani-
feste le caractère anamnétique du Sanctus. Ce terme, que nous
tenons des Anaphores de l'Eglise orientale, désigne dans l'Anti-
quité grecque le chant qui célèbre la victoire ". Dans la traduction
biblique de Symmachus, nous le retrouvons dans des titres de
Psaumes et également pour la première fois dans le contexte
d'Isaïe 6,3 (~crtlOC'TOC ÈnW[XLOC) 62. L'expression « Hymne de victoire»
a déjà du être utilisée très tôt pour des chants de Pâques. On
peut la rattacher au «Cantique nouveau" ("~L"~ 0S'~) sur l'Agneau,
dans le passage de l'Apocalypse (Apoc. 5,9). Une homélie de
Pâques datant des premiers temps de la chrétienté (et attribuée

~~ Cf. KRETSCHMAR, Neue Arbeiten (voir n. 3), 85 n. 50.


56 Cf. n. 17.
~1 Cf. F.J. DOLGER, Heidnische und christliche Brotstempel mit religiOsen Zei-
chen, dans: AC 1 (1929) 26.
55 Cf. E.C. RATCLIFF, The Sanctus and the Pattern of the Early Anaphora,
dans: fEH 1 (1950) 29-56, 125-134: outre B.D. SPINKS, A note on the Anaplwra
.Jutlined in Narsai's Homily XXXII, dans: fTS 31 (1980) 82-93.
59 Cf. l'addition «théopaschite» au Trisagion, «celui qui a été cntcifié pour
nous», qui suppose une interprétation christologique: JANERAS (voir n. 17), 475 suiv.
60 Cf. AUF DER MAUR (voir n. 14), 79-84.
61 Cf. H. STEPHANUS, Thesaurus Graecae Linguae 3, 1712 suiv.
O\1Cf. WERNER (voir n. 1), 27.
76 ALBERT GERHARDS

à Hippolyte) se réfère à un autre cantique, désigné ici de façon


explicite CQIUme {( chant de victoire », le Cantique de Moïse:
« Elève aujourd'hui aussi parmi nous le signe de ta victoire et
laisse-nous joindre nos voix pour chanter avec Moïse le chant de
victoire, car c'est à toi qu'appartiennent la puissance ct la gloire pour
les siècles des siècles. Amen» 63.

Le signe de victoire par excellence, c'est la croix. Vicenc-


S. Janeras rattache l'Hyrnne È7nvtx.wç à l'inscription {( NIKA»
trouvée sur les croix datant du quatrièn1C siècle 64, C'est en pre-
mier lieu chez Jean Chrysostome 65 et Grégoire de Nysse 66 qu'on
le trouve comme terme spécifique pour désigner le Sanctus
anaphorique. Dans une homélie pascale, Grégoire de Nysse s'élève
contre la confusion entre la liturgie et l'accomplissement eschato-
logique encore à venir, en insistant sur le fait que le È:7nvbuo; ü~voç
ne pourra être chanté d'une seule voix que le jour de la Résur-
rection, à la fin des temps ". A cette époque-là, la conception de
la liturgie en tant qu'eschatologie déjà réalisée commence à
s'imposer 68. Dans des ténloignages plus anciens, principale-
ment d'origine judéo-chrétienne, nous retrouvons le Sanctus
dans une série d'acclamations bibliques, où alternent les voix
célestes et terrestres. A côté de celle d·Astcrios, il faut citer surtout
une prière des Constitutions Apostoliques (VII), encore tout à
fait dépendante de la liturgie juive, qui désigne en ces termes
bt~'J[x~oç ?3'~ l'acclamation des Séraphins, déjà nettement li-
turgique:
« Saint, saint, saint le Seigneur, le ciel et la terre sont remplis
de ta gloire» 69.

Cette action de grâces après la communion évoque ensuite


{( Israël, ton Eglise formée des nations terrestres)}, qui rivalise
avec les célestes 70. La conception chrétienne apparaît nettement
ici, ce qui nous pennet d'interpréter égalcluent l'expression ( Ode
de victoire» dans le sens développé plus haut.

61SC 27, 191, 20 (P. NAU'IIN).


04 JANERAS (voir n. 17),494 n. 65; cf. DOLGER (voir n. 57), 24·26.
65 É1nvbnoç ~87j: PG 49, 370. 374 C.
66 PC 46, 921 et 654.
671n Christi resur. or. 3: PC 44, 653 B.
6.! Cf. KRETSCIIMAR, Studien (voir n. 2), 179 suiv.
69 FVNK (voir n. 48) l, 430.
70 Cette répréscntation a donné naissance à un genre littérairc proprc, la
« Rangstreitliteratur »; cf. S. BROCK, A Syriac Disptlte belween Heaven and Barth,
dans: Mus 91 (1978) 261-270.
LE SANCTUS ADRESSE AU CHRIST 77
-------

En Syrie, en Palestine, et dans les territoires placés sous


leur influence, l'expression {( Hymne de victoire» parvient à
prendre sa place dans la Prière Eucharistique. Nous la retrouvons
dans la liturgie syrienne de Timothée ", les récensions syriaque
et grecque de la liturgie de Jacob ", les liturgies byzantines de
Chrysostome" et de Basile 74 et dans la liturgie égyptienne de
Grégoire, sur laquelle nous reviendrons 75.

3. Le Hosanna/Benedictus
Un des traits caractéristiques de toutes les anaphores qui
désignent le Sanctus comme" Hymne de victoire", est qu'elles
font suivre le Sanctus par le Hosanna et le Benedictus: "Hosan·
na au plus haut des cieux. Béni soit celui qui vient au nom du
Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux" (Matth. 21,9; Ps. 118
[117], 25 s). A la différence du Sanctus, le contexte christologique
ne fait ici aucun doute. Mais il est toujours question du Christ
à la troisième personne. C'est cela qui différencie le Benedictus
du Sanctus développé. Seule la liturgie arménienne adresse le
Benedictus directement au Christ (c'est à dire, à la deuxième
personne) ". Les chercheurs ne sont pas d'accord sur l'époque,
à laquelle le Hosanna-Benedictus a été rattaché au Sanctus".
Nous trouvons déjà le Hosanna dans une des prières eucharisti·
ques de la Didaché ". Une parole de louange comparable au
Benedictus est ajoutée au Sanctus dans l'Anaphore des Consti·
tutions Apostoliques (VIII): "Loué sois·tu pour les siècles des
siècles" '". André Tarby déduit de cette formule raccourcie, que
le Benedictus du Nouveau Testament a été rattaché par étapes
à la Prière Eucharistique '". Effectivement, la brève doxologie se
rattache à ce passage du Prophète Ezéchiel (3,12), qui constitue
avec celle d'Isaïe la Kedusha: "Bénie soit la gloire de Yahvé

71 Cf. A. HANGGI • 1. PAHL, Prex Eucharistica (= Spicilegium Friburgensc 12),


Fribourg 1968 (abbrév. PE) 277.
12 Cf. PE 270 et 246.

7l Cf. PE 224.
Î~ Cf. PE 232.
JI Cf. PE 360.
76 Cf. PE 321 et 327: HANSSENS (voir n. 2) Ill, 394.
TI Cf. A. TARBY, La prière ellc1wl"i3tique de l'église de Jérusalem (= Théologie

Historique 17), Paris 1972, 83 suiv.


la Cf. SC 248, 180: outre KIŒTSCH.:\UR, Abel1dmahlsfeier (voir n. 27), 233 suiv.
79 FliNK (voir D. 48) 1. 506.
la Cf. TARBY (voir D. 77), 84.
78 ALBERT GERHARDS

au lieu de son séjour! » Hl. On remplace volontiers ce texte par


un autre texte semblable, et les chrétiens ne furent pas les pre-
miers à le faire, comme le supposa Anton Baumstark "'. Voici le
passage correspondant dans l'Apocalypse de Hénoch, qui date
encore d'avant Jésus-Christ: "Loué sois-tu et loué soit le nom du
Seigneur pour les siècles des siècles" (1 39, 13) "'. De là au
Benedictus du Nouveau Testament, il n'y a qu'un pas.
Un Hosanna/Benedictus complet se trouve déjà dans le
huitième livre des Constitutions Apostoliques, certes non dans le
contexte du Sanctus anaphorique, mais rattaché au Et, &Y'o,
et au Gloria (Luc 2,14) avant la Communion M. David Flusser met
aussi ce passage du Gloria en relation directe avec le Sanctus
d'Isaïe as. Cependant le EL, &,.0,
est tiré, comme le Sanctus, de
ce passage d'Isaïe ". Le Testamentum Domini syrien transmet
aussi un Benedictus placé au même moment de la liturgie ". La
question reste de savoir à quelle époque et où le Benedictus a
été pour la première fois rattaché au Sanctus.
Le fait qu'on ait trouvé peu d'attestations du Benedictus
liturgique chez les Pères de l'Eglise conduisit à penser que le
Benedictus n'a été que plus tardivement rattaché au Sanctus.
Pour l'Occident, c'est un sermon de Césarius d'Arles (t 540), qui
est cité comme le plus ancien témoignage connu ". Pour l'Orient,
une homélie d'Ephraim - sur l'authenticité de laquelle on peut
cependant émettre des doutes" - relie au Sanctus le Benedictus,
complété dans le territoire sémite par ces mots: «Loué soit
celui qui est venu et qui viendra" "o. Ephraim dit:
«Il laissa dans son Royaume des Cieux les Séraphins qui l'ac-
clamaient "saint" avec le Père et accepta la louange innocente des
enfants de Jérusalem» 91,

SI Cf. la première berakah (Yotsèr) avant le sema Israël: PE 37; voir aussi
les Constitutions Apostoliques VII, 35,3 (voir n. 69) et JUNGMANN (voir n. 1) II, 162.
&2 Cf. A. BAUMSTARK, Trishagion und Qeduscha, dans: JLW 3 (1923) 23-25.
~l SPINKS (voir n. 39), 177.
M fuNK (voir n. 48), l, 516.
BS D. FLUSSER, Sanctus und Gloria, dans: Abraham, unser Vater (Miscell. O.
Michel), éd. par O. BETZ, M.N. ENGEL, P. SCHMIDT (:::: Arbeiten zur Geschichte
des Spatjudentums und Urchristentums V), Leiden-Koln 1963, 129-152.
M Cf KRETSCHMAR, Sludien (voir n. 2), 177 n. 1.

SJ I.E. RAHMAN!, Te!itamentum Domil1i l10stri Jesu Christi (Mainz 1899), 44.
M PL 39, 22 ï7; cf. JUNGMANN (voir n. 1) II, 162 suiv. et 170 suiv. Mais on doit

attendre une nouvelle édition critique relativement à ce point.


~9 Cf. La préface de l'édition de E. BEeK: C5CO 312 {Syri 135) IX.
!la lbd. 92, 693.
91 [bd. 93, 745.
LE SANCTUS ADRESSE AU CHRIST 79

Dans ce passage l'ancienne Jérusalem est opposée à la


(( nouvelle », qui chante la louange de celui « qui est venu et qui
viendra ». Le Benedictus devient ici un rappel de l'Incarnation
dans la perspective du retour du Christ.
On retrouve cette évocation de la double venue de Jésus
dans l'acclamation déjà citée des Constitutions Apostoliques,
où ces mots ajoutés à la suite du Benedictus: "et il est apparu
parmi nous»"'. Proclus de Constantinople Ct 446) interprète au
cinquième siècle le Benedictus de la même façon:
«Loué soit celui qui vient au nom du Seigneur, loué soit celui
qui vient dans tous les temps, car ce n'est pas la première fois
qu'il vient» 93.

Proclus connaît déjà la forme liturgique de la double accla-


mation « Hosanna au plus haut des cieux », qui remplace dans
le premier cas le " Hosanna au fils de David» 94. Proclus avait
apparemment une prédilection particulière pour le Benedictus.
C'est ainsi qu'il conclut une homélie pascale en ces termes:
{( Loué soit celui qui vient au nom du Seigneur; qu'il soit glorifié
dans les siècles des siècles» 95.

Cent ans auparavant, Asterios mentionne déjà le Benedictus


dans le cadre d'une cérémonie pascale, à savoir, en rapport direct
avec le Sanctus liturgique ". On ne peut certes pas encore parler
ici d'un contexte liturgique commun aux deux formules, mais
leur étroite parenté Spirituelle ne fait aucun doute ". Nous avons
vu que la signification de la Kedusha dans le chapitre 6 d'Isaïe
a évolué: issue d'un pur chant de louange elle a ensuite inclus
l'action de grâces. Le Sanctus de l'Apocalypse exprime cela par
le thème de la venue de Dieu. Les liturgies qui se réfèrent de
nouveau plus nettement à ce passage l'Isaïe, reprennent ce même
thème avec le Benedictus. Il est intéressant de constater que,

9:2 Voir n. 79 et PROCLUS, Or. VII, 2 in S. Theophania, dans: PC 65, 760 B.


9J PC 65, 757.
~ Or. IX, 1 in Ramas Palmarum, dans: PC 65, 772 C.
91 F.J. LEROY, L'Homilétique de Proclus de Constantinople. Tradition manuscrite,
il1édite, études connexes (= Studi e testi 247), Città deI Vaticano 1967, 225. Pour
l'attribution des homélies à Proc1us par Leroy cf. pourtant M. AUBINEAU, Bilan
d'une enquête sur les homélies de ProclLls de Consta/1tinople, dans: Rev. des
études greques 85 (1972) 572-586.
?Ii Cf. RICHARD (voir n. 46) 122, 12-14; cf. 115, 18 suiv. (Ps 8,3 a).
97 Cf. AUF DER MAUR (voir n. 14), 93 suiv.
80 ALBERT GERHARDS

d'après ce que nous savons, le Sanctus de l'Apocalypse n'a


subsisté dans la liturgie que là, où la réunion du Sanctus et du
Benedictus n'était pas enracinée, c'est-à-dire dans la liturgie
égyptienne" .
La parenté d'idées entre le Sanctus et le Benedictus devient
presque une relation d'identité lorsque, suivant les paroles d'une
homélie des Rameaux prêchée par Proclus, la foule de Jérusalem
chante « avec des voix de séraphins », non le Sanctus, mais le
Benedictus go.

IV. RÉFLEXION SUR L'ORIGINE DU SANCTUS, C'EST-À-DIRE


LE « SITZ lM LEBEN "

En résumé, on peut dire que le Sanctus adressé au Christ


n'a pas seulement une tradition dans l'exégèse, mais aussi dans
la liturgie. Ce qui confirme la thèse de Georg Kretschmar, selon
laquelle le Sanctus, dans son acception christologique, a déjà
du être répandu très tôt en Syrie '"0. Nous pensons que le Sanctus
a été intégré par étapes successives et non d'un seul coup dans
la Prière Eucharistique. Ceci est corroboré par la coexistence de
différentes phases liturgiques dans les écrits d'Asterios et dans
les septième et huitième livres des Constitutions Apostoliques.
Il est frappant de constater que le Sanctus christologique est
attesté presque unanimement dans le cycle des cérémonies pas-
cales. On s'est apparemment appuyé sur le fait que le Christ
occupe une place centrale dans ce Mystère. Josef Andreas Jung-
mann avait déjà exprimé une telle supposition '"'. On pourrait
ajouter aux témoignages de l'Eglise d'Orient que nous avons
cités, des exemples de la liturgie latine de Gaule présentés par
Klaus Gamber '"'. De savoir si ces textes appartiennent - au
sens strict du terme - à la cérémonie pascale ou à d'autres
fêtes du Seigneur, est d'importance secondaire. Celles-ci sont

Cf. TARBY (voir n. 77), 84.


9&

Cf. PC 65, 773 CD.


99
100 Voir n. 40.

101 Cf. JUNGMANN, Die Stellung Christi im liturgischen Gebet (voir n. 7), 208.
102 Cf. K. GAMBER, Alteste Euc1wristiegebete der lateinischen Osterliturgie, dans:
Paschalis Sollemnia. Studien zur Oster/eier und Ostertrommigkeit {Misee!. J.A.
Jungmann), éd. par B. FISCHER et J. WAGNER, Basel-Freiburg-Wien 1969, 159-178.
LE SANCTUS ADRESSE AU CHRIST 81
-------=--=
considérées de toutes façons comme s'étant développées à partir
de la Fête de Pâques. C'est ainsi que le Sanctus adressé au
Christ est rattaché à la fête de l'Ascension, comme le montre
l'ordre des Péricopes syriaque plus tardif "', mais aussi une
homélie de l'Ascension transmise sous le nom de Chrysostome,
mais que Benedikt Marx attribue plutôt à Proclus de Constan-
tinople HI4. Il y est dit, en référence au passage de Saint Jean
(20.28), qui relate la profession de foi de l'Apôtre Thomas recon-
naissant le Christ comme Seigneur et Dieu:
"Dieu monte parmi l'acclamation, Yahvé, aux éclats du cor
(ps. 47,6). Dans l'acclamation en effet, car ils chantent sans fin à
Dieu (c'est-à-dire au Christ), l'hymne du Trisagion» 105.

Dans tous les témoignages il faut noter l'importance du con-


texte anamnétique de la victoire pascale du Christ, qui est théma-
tisée dans la dénomination du Sanctus comme "hymne de
victoire ». L'élargissement du Sanctus par le Hosanna/Bene-
dictus, tout à fait en accord avec le point de vue christologique,
semble être issu du même contexte héortologique - peut-être
plus tôt qu'on ne l'a supposé jusqu'à maintenant.
Dans la liturgie, l'assemblée célèbre le Christ qui vient, par
un hymne de victoire qui indique son rang divin (le Sanctus), et
aussi sa mission terrestre (le Benedictus). Mais ces deux thèmes
se mêlent de façon inséparable comme le montre une homélie
syriaque sur la fête des Rameaux, attribuée à Jean Chrysostome,
qui a été éditée dernièrement par F. Rilliet:

"Les séraphins, certes, crient sans arrêt: Saint, saint, saint le


Seigneur puissant. Et les enfants les ont soutenus aujourd'hui par
leur voix en chantant eux aussi la louange: Saint, saint, saint le
Seigneur puissant, qui est venu pour l'infamie de la croix. Les
chérubins disent toujours: Bénie soit la dignité du Seigneur dès
maintenant pour l'éternité. Et les enfants ont crié: Béni soit celui
qui est venu au nom du Seigneur» 106.

103 Ce chapitre Is. 6 a été lu pour la fêtc de l'Ascension: cf. KRETSCHMAR, Stu-
dien (voir n. 2), 175.
I~ Cf. B. MARX, Procliana. Untersuchungen über den homiletischen Nachlass
des Patriarchen Proc1os von KOl1stantinopel. (= MUnsterische Bcitdige zur Theo-
logie 23), Münster 1946, 45 suiv. Sur la contribution de Marx cf. LEROY (voir n. 95)
257-272.
lOS PG 52,801.
F. RILLIET, Une homélie syriaque sur la fête des Rameaux attribuée à Jean
106

Chrysostome, dans: Parole d'Orient 8 (1977-8) 151-177, ici 162.


82 ALBERT GERHARD~S~____________________

Si nous nous posons des questions sur la persistance du


Sanctus adressé au Christ, nous rencontrons un témoignage de
la liturgie copte actuelle que Cyril C. Richardson semble avoir
oublié lorsqu'il considère la liturgie d'Egypte comme seule excep-
tion à la "mauvaise syrianisation »: il s'agit de l'anaphore de
Grégoire, à l'origine en langue grecque, aujourd'hui célébrée en
copte et en arabe 101. Cette anaphore, dont le type et l'origine
attestent son appartenance à la liturgie syrienne, réunit toutes les
caractéristiques que nous avons pu rassembler pour le sujet qui
nous occupe: comme toutes les parties de cette prière eucharisti-
que, le Sanctus -- toujours conservé en langue grecque -- est
adressé au Christ. C'est la seule anaphore du domaine liturgique
égyptien qui contienne le Benedictus, avec la double expression,
typique pour le domaine sémite: "Qui est venu et qui viendra ».
L'élément anamnétique apparaît nettement dans la dénomination
du chant des anges comme" hymne de victoire de notre salut »,
au lieu de celle que l'on trouve habituellement: "Hymne de
victoire de ta glorieuse D1ajesté }) lOB.
L'attribution traditionnelle de la liturgie de Grégoire à Gré-
goire de Nazianze -- Anton Baumstark la considérait encore
comme liturgie locale à Nazianze 109 - connaît un renouveau d'inté-
rêt depuis la découverte du Sanctus adressé au Christ dans la li-
turgie cappadocienne des troisième et quatrième siècles. Son
utilisation liturgique ne manque d'ailleurs pas d'importance. Elle
est, parmi les trois formules de l'Eglise copte, l'anaphore des jours
de fête pour Pâques, Noël et l'Epiphanie no. Considérant tout ce
que nous connaissons sur le « Sitz im Leben » du Sanctus adressé
au Christ, nous pouvons poser la question de savoir si la particu-
larité de la direction" ad Christum » dans l'anaphore de Grégoire
ne doit pas être ramenée au fait que les fêtes du Seigneur, et sur-
tout celle de Pâques, sont centrées sur la personne du Christ. Son
emploi actuel comme anaphore des jours de fête serait alors un

ID) Cf. E. HAMMERSCHMIDT, Die koptisc1œ Gregoriosanaphora. Syrische und grie-

chis che Einfmsse auf eine agyptische Liturgie. (= Berliner Byzantinischc Arbei-
ten B), Berlin 1957, 1 sui\'.
Ill!! Pour le texte grec cf. PE 360, pour le texte copte cf. HAMh.ŒRSCHMIDT (voir
ll. 107). 26.
109 Cf. A. BAUMSTARK, Die Cllrysostomus-Liturgie und die syrische Liturgie des
Nestorius, dans: XPYCOCTOMIKA, Roma 1907, 846-848.
110 Cf. G. GIAJ\ŒERAROIKl, La consacrazione eucaristica nella ChieSG Capta (;0:: Ae-
gyptica christiana l, 8) Cairo 1957, 80.
LE SANCTUS ADRESSE AU CHRIST 83

de ces exemples pour ce que Anton Baumstark appelle «loi de


l'évolution liturgique ", le «Gesetz der Erhaltung des Alten in
liturgisch hochwertiger Zeit », c'est-à-dire, que « les états anciens
se maintiennent avec plus de ténacité dans les temps les plus
sacrés de l'année liturgique" lU.

Albert GERHARDS

III A. BAUMSTARK, Liturgie comparée {Chevetogne - Paris l1953) 30; cf. ID., Das
Gesetz der Erhaltung des AUen in liturgisch hochwertiger Zeit, dans: lLW 7
(1927) 1-23.
LE MESSIE DANS LA LITURGIE JUIVE

Pour bien situer notre sujet, nous voudrions citer en exergue


ce qu'a écrit à propos de l'espérance messianique exprimée dans
la liturgie juive un auteur du début de ce siècle, H. Greenstone,
dans son livre The Messiah Idea in Jewlsh History ':

L'espérance messianique trouve son expn;ssion la plus complète


et la plus noble dans le Livre de prières juif. Les aspirations su-
blimes des prophètes, les spéculations du sage ct du philosophe, les
rêves du mystique et l'envol de l'imagination du prédicateur - voilà
les thèmes élaborés par le poète religieux. Tantôt il chante l'uni-
versalisme prophétique, tantôt le nationalisme étroit. L'un parle
de la venue d'un Messie personnel, rejeton de la dynastie de David,
qui va opérer des miracles en faveur d'Israël et confondre les
ennemis du peuple. L'autre présente Dieu en personne comme
Rédempteur à la tête d'une théocratie caractérisée par un élat
parfait de justice et de paix. L'un s'inspire de la fresque sublime
d'Isaïe et décrit l'idéal le plus élevé d'une humanité spirituellement
à l'avant-garde; l'autre dépeint avec force, en détail, la grande fête
préparée aux justes après la résurrection. Partout quelle que soit sa
forme précise, l'espérance messianique trouve son expression fer-
vente dans les prières quotidiennes, celles pour les Sabbats et les
jours de fête, dans les hymnes insérées à la suite de l'office et
dans les poésies religieuses (piyyûtim) ... L'espérance en la rédemption
de l'exil et dans le rétablissement de la nation juive dans toute sa
splendeur sur son ancien territoire peut être considérée comme la
clef de voûte du Rituel de prières juif.

Cet élément messianique omniprésent dans la liturgie reflète


les différentes étapes d'évolution que le messianisme a connues
dans la vie juive. Tandis que le fond de prières anciennes expri-

1 Philadelphie. 1906. p. 285 55.


86 KURT HRUBY

me cette espérance plutôt avec les accents du messianisme bibli-


que, la poésie religieuse a davantage recours aux développements
traditionnels tels que nous les trouvons dans le Talmud et dans
les Midrashim. A plusieurs moments de l'histoire, les éléments
apocalyptiques et mystiques ont nettement prédominés au niveau
des idées messianiques, et la liturgie a également conservé leur
empreinte.
La base des passages messianiques de la liturgie juive dans
sa forme traditionnelle est toujours la croyance en la venue d'un
Messie personnel, instrument de choix, certes, de Dieu dans la
phase finale de l'œuvre du salut, mais agissant néanmoins toujours
en étroite dépendance de Dieu. Même là - et les exemples sont
nombreux - où la liturgie ne parle explicitement que de l'action
de Dieu en personne dans cette phase décisive, elle sous-entend
néanmoins que Dieu agira par l'entremise du Messie ou que
celui-ci sera intimement associé à l'action divine. Les éléments
qui reviennent invariablement dans les textes: le rassemblement
des dispersés, le retour dans le pays d'Israël, la reconstruction
de Jérusalem et du Temple, l'état de paix et de prospérité qui
règnera alors ainsi que la résurrection des morts, sont autant
d'étapes liées étroitement, dans la conception de la tradition
juive, à l'œuvre et à la tâche du Messie.
Etant donné qu'il est absolument impossible de présenter,
dans un cadre très limité, ne fût-ce que les aspects majeurs de
cette riche tradition liturgique en rapport avec le messianisme,
nous devrons nous contenter d'en souligner quelques traits ma-
jeurs. Ainsi procéderons-nous d'abord à une analyse ~ fort
incomplète - du rituel de prières où, en règle générale, ont été
insérés les éléments en même temps les plus anciens et les plus
sobres, quitte à présenter dans une seconde partie quelques spé-
cimens de poésie religieuse.
En revanche, il ne nous est pas possible d'aborder ici la
Haggadah shel Pessah (Rituel du repas pascal), si riche en élé-
ments messianiques, ni - sauf une exception - les prières
d'inspiration messianique entrées dans le rituel à la suite du
renouveau cabbalistique de Safed, au xVI'me siècle. Et nous
laissons également inexplorées les Zemirot, les chants accompa-
gnant les repas sabbatiques, dont beaucoup se situent d'ailleurs
dans le sillage de la mystique de Safed.
LE MESSIE DANS LA LITCRGIE JUIVE 87

l - ÉLÉMENTS MESSIANIQUES CONTENUS DANS LE RI-


TUEL DE PRLÈRES

Dans les bénédictions qui entourent le Shem'a dans la prière


du matin
Sous l'influence de milieux mystiques', le passage angéolo-
gique qui figure dans le corps des bénédictions anciennes récitées
avant le Shem'a a été enrichi d'un élément messianique qui se
rattache à Ps 136: 7 cité dans ce contexte: «Louanges à Celui qui
a créé les grands luminaires, car éternelle est sa bonté! ».
L'insertion en question s'énonce comme suit 3:
Tu feras briller sur Sion une nouvelle lumière. Puissions-nous
bientôt mériter (de voir) son éclat!

Cette insertion n'a pas été acceptée par tous les auteurs,
plus particulièrement par ceux qui s'opposaient à l'admission
dans le rituel de prières d'inspiration angéologique, et elle ne
figure donc pas dans certains rites. A l'origine, cette prière sem-
ble avoir été plus longue. Dans un fragment de la Guenizah
du Caire figure par exemple cette phrase: «Fais briller sur
nous la lumière de ton Messie! » 4.
Dans la bénédiction - appartenant il un fond ancien - qui
précède directement le Shem'a, est inséré un passage qui exprime
bien la permanence de l'espérance en la rédemption finale ':
Ramène-nous en paix des quatre coins de la terre et conduis-
nous, la tête haute, dans notre pays. Car tu es un Dieu qui opères
le salut ...

A la fin de la dernière bénédiction récitée après la lecture


du Shem'a de la prière du matin, appelée Gueûlah, «Rédemp-
tion », qui évoque plus particulièrement la libération d'Egypte

2 Probablement les Yordei Merkavah dont les spéculations portaient sur le


char divin décrit dans Ez 1, mouvement mystique de l'époque des Gueonim,
VII-IX e s.
l S. BAER, Sédèr 'Avodat Yisraël, 2ème édition, Berlin 1936, p. 79, cité désor-
mais sous le sigle S.'A.Y.
~ Cf. 1. ELBOGEN, De.r jüdische Gottesdienst in seiner geschicht. Elllwicklung,
3ème édit., Francfort s.M. 1931, p. 19-20.
~ S.'A.Y. p. 80.
88 KURT HRUBY

et le Cantique à la Mer Rouge (Ex 15: 1-21), on trouve le passage


suivant 6:

Rocher d'Israël, lève-toi au secours d'Israël, et délivre, selon ta


promesse, Juda et Israël. Délivre-nous, toi dont le nom est Seigneur
Sabaot, le Saint d'Israël. Sois béni, Seigneur, qui as délivré (dans
certains rites: « qui délivres ») Israel!

Certaines versions orientales anciennes développent encore


davantage l'idée de la rédemption et de son actualité, comme
par exemple ce texte cité par E1bogen 7:

Seigneur notre Roi, Dieu vivant, que ton nom soit invoqué sur
nous d'une manière permanente! Seigneur, notre Créateur, viens à
notre secours, épargne-nous ct aie pitié de nous dans ta grande
miséricorde, car tu es un Dieu plein de grâce et de miséricorde.
Tu es le (Dieu) de bonté. Le Seigneur était Roi, le Seigneur est Roi,
le Seigneur sera Roi à tout jamais! Que le Seigneur notre Dieu
veuille rendre durable pour nous sa royauté, sa majesté, sa grandeur,
sa splendeur, sa sainteté et la sainteté de son grand Nom. Il est
le Seigneur, notre Dieu: qu'il aie pitié de nous, nous mette au large
par rapport à toutes nos angoisses, qu'il opère (en notre faveur)
une rédemption totale et qu'il règne bientôt sur nous à tout jamais.
Sois béni, Seigneur, Rocher d'Israël et son Rédempteur!

La Tefillah
Quant à la Tefillah, « pnere (par excellence) ", appelée aussi
'Amidah, «prière faite (en station debout) " ou encore Dix-huit
Bénédictions (bien qu'il s'agisse en réalité de 19), elle n'est
devenue définitivement un élément central de la prière juive
que relativement tard, vers la fin du l'' siècle de notre ère; mais
elle se compose de toute évidence de prières beaucoup plus
anciennes qui ont d'ailleurs été modifiées, amplifiées et rema-
niées selon les circonstances et les exigences concrètes. La version
la plus ancienne que nous possédions - elle date probablement
du VI'm, s. - est celle découverte dans la Guenizah du Caire et
publiée pour la première fois par S. Schechter '. Les éléments

6 S.'A.Y. p. 86.
7 Op. cit., p. 24.
1 JQR, X, p. 656; version palestinienne.
LE MESSIE DANS LA LITURGIE JUIVE 89

ayant trait à la rédemption et à la personne du Messie qui y


figurent sont les suivants:

II - Tu es puissant ct humilies les orgueilleux: tu es fort ct exerces


le jugement sur les tyrans. Tu vis éternellement, assures la durée
aux morts, fais souffler le vent et descendre la rosée, donnes la
subsistance aux vivants, fais revivre les morts dans un seul instant
et nous fais genner le salut (cf. Is 45: 8). Sois béni, Seigneur, qui
fais revivre les morts!

v - «Fais-nous revenir à toi, Seigneur, et nous reviendrons. Renou-


velle nos jours comme autrefois! )} (Lam 5: 21). Sois béni, Seigneur,
qui te complais dans la pénitence!

VII - Regarde notre pauvreté (cf. Lam 1: 9), mène notre combat et
délivre-nous (cf. Ps 119: 154) à cause de ton nom. Sois béni, Seigneur,
qui délivres Israël!

IX - Bénis en notre faveur, Seigneur notre Dieu, cette année et tous


ses produits pour le bien. Fais approcher bientôt l'année de la fin
de notre rédemption (cf. Dan 11: 13) ...

X - Fais retentir le grand Shofar pour notre libération (cf. Is 27: 13)
et élève l'étendard (cf. Is 5: 26 - 11: 12) pour le rassemblement de nos
exilés. Sois béni, Seigneur, qui rassembles les dispersés de ton
peuple, Israël! (cf. Is 56: 8).
XI - Rétablis nos juges comme autrefois et nos conseillers comme
dans les débuts, et règne sur nous toi seul. Sois béni, Seigneur, qui
aimes le droit!
XIV - Aie pitié, Seigneur notre Dieu, dans ta grande miséricorde,
de ton peuple, Israël, de Jérusalem, ta ville, de Sion, siège de ta gloire
(cf. Ps 26,8), de ton Sanctuaire, de ta résidence et de la royauté
de David, ton juste Messie. Sois béni, Seigneur, Dieu de David qui
reconstruis Jérusalem!
XVI - Agrée-nous, Seigneur notre Dieu, établis ta demeure à Sion,
et tes serviteurs te rendront le culte à Jérusalem. Sois béni, Seigneur,
toi que nous servirons (avec des sentiments) de crainte (révéren-
tieHe) !

XVIII - Donne la paix à Israël, ton peuple, à ta ville et à ton héri-


tage (cf. Dt 9:26), et bénis-nous tous comme un seul homme. Sois
béni, Seigneur, qui établis la paix!

Il ne nous est pas possible d'analyser ici les différents stades


d'évolution de la Tefillah au cours des siècles, ni d'étudier les
différences - à vrai dire minimes - qui existent actuellement
quant au texte dans les divers rites. Nous passons donc sans
90____________________~K~U~R~T_H~R~U~B~Y__._____________________

transition à la forme que cette prière majeure de la liturgie


juive revêt actuellement '.
Nous constatons d'abord que la première bénédiction, ap-
pelée Avot (" pères,,) parce qu'elle évoque le souvenir des pa-
triarches, qui ne comportait pas d'éléments messianiques dans
la version palestinienne de la Guenizah du Caire, en a été dotée
à son tour. Voici le texte:
1 . Sois béni, Seigneur, notre Dieu et Dieu de nos pères, Dieu
d'Abraham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob (cf. Ex 3: 15), le Dieu
grand, fort et redoutable (cf. Dt 10:7), le Dieu suprême (cf. Gn 14:19),
qui dispense des grâces précieuses, es le Créateur de toutes choses,
te souviens des qualités des pères et fais venir un libérateur pour
les enfants de leurs enfants, à cause de ton nom, avec amour.

En revanche, la mention de ]'" année de la fin" a disparu


de la Ix'm, bénédiction. Quant à la XIV'"'C bénédiction, elle a été
divisée en deux parties dont voici le texte:
A Jérusalem, ta ville, retourne avec miséricorde, ct établis ta
demeure en elle comme tu l'as promis (cf. Zach 8: 3). Rebâtis-la
bientôt et de nos jours d'une reconstruction éternelle, et érige en
elle bientôt le trône de David. Sois béni, Seigneur, qui reconstruis
Jérusalem!
Fais germer bientôt le rejeton de ton serviteur David (cf. Jér.
33: 15), et élève sa corne. (sa puissance) par ton secours (cf. Ps 112: 9).
Car c'est en ton secours que nous espérons tout le jour (cf. Gn 49: 18-
Ps 25: 5). Sois béni, Seigneur, qui fais germer la corne du salut!

La XVlèm, bénédiction de la version palestinienne a été dotée


du supplément suivant:
Puissent nos yeux voir ton retour à Sion (cf. Mich 4: 11) en miséri-
corde. Sois béni, Seigneur, qui ramène ta Shekhinah à Sion!

Avant ce dernier passage, on insère dans la Tefillah, les


jours de néoménie et de demi-fête, un passage aux accents
messianiques très perceptibles 10:
Notre Dieu et Dieu de nos pères! Que notre souvenir, notre
mémoire, celle de nos pères, celle du Messie, fils de ton serviteur
David, celle de Jérusalem, ta ville, ainsi que le souvenir de ton peuple

9 Pour le texte, cf. S.'A.Y. p. 87-104.


10 S.'A.Y. p. 99.
LE MESSIE DANS LA LITURGIE JüIVE 91

Israël, s'élèvent, arrivent, parviennent, comparaissent, soient acueil-


lis, pris en considération et rappelés devant toi, pour (que nous
obtenions de ta part) faveur, grâce, miséricorde, vie et paix en ce
jour de ...

Autres éléments messianiques de la prière du matin


Les lundis et jeudis on intercale dans la prière du matin
une prière à l'origine individuelle mais qui, depuis des siècles,
est devenue également communautaire. Une autre partie de cette
prière est récitée - sauf exception - tous les jours ". Elle
comporte également une supplication adressée à Dieu pour
hâter le salut. Cette prière est composée en très grande partie
de citations bibliques 12,
Prête, ô mon Dieu, ton oreille et écoute, ouvre tes yeux et regarde
notre désolation et la ville sur laquelle a été invoqué ton nom. Ce
n'est pas à cause de notre justice que nous déversons DOS suppli-
cations devant toi, mais cn raison de ta grande miséricorde. Seigneur
écoute! Seigneur pardonne! Seigneur sois attentif ct agis sans re-
tard, à cause de toi, mon Dieu, car ton nom a été invoqué sur ta
ville et sur ton peuple. Notre Père, Père miséricordieux, fais-nous
voir un signe de bonheur, rassemble nos dispersés des quatre coins
de la terre, afin que tous les peuples reconnaissent et sachent que
tu es le Seigneur, notre Dieu.

A la fin de l'office du matin - et de tous les offices -


figure depuis de longs siècles la prière de 'Alénû, qui faisait pri-
mitivement partie des Malkhûyot, proclamations solennelles de
la royauté de Dieu de l'office de Rosh ha-Shanah, et qui semble
remonter à l'époque talmudique. C'est une grande fresque de
l'espérance en l'établissement final du Royaume de Dieu et en
sa reconnaissance par toutes les nations 13:
. .. C'est pourquoi nous espérons en toi, Seigneur notre Dieu,
voir bientôt la majesté de ta puissance, afin que disparaissent les
idoles de la terre, et que soient entièrement exterminées les fausses
divinités. (Nous espérons) que sera redressé le monde par l'action
du Tout-Puissant, que toute chair invoquera ton nom, et que se
tourneront vers toi tous les (hommes) iniques du monde. (Alors)
reconnaitront et sauront tous les habitants du globe que devant toi

Il Cf. K. HRUBY, Quelques notes SHI' le Talwnûn et la place de la prière indi-


viduelle dans la liturgie synagogale, Orient Syrien, vol. IX, fasc. 1, 1964, p. 75-104.
!~ S.'A.Y. p. 113·14.
U S.'A.Y. p. 131-32.
92 KURT HRUBY

doit fléchir tout genou, devant toi prêter serment toute langue
(Is 45: 23). Devant toi, Seigneur notre Dieu, ils devront s'incliner et
se prosterner, et confesser la majesté de ton nom. Et tous recevront
le joug de ton Royaume, (afin) que bient6t tu règnes sur eux à
tout jamais. Car le Royaume t'appartient, et à tout jamais tu
règneras dans la gloire, comme il est écrit dans ta Torah (Ex 15: 18):
« Le Seigneur règnera à tout jamais! )} Et il est écrit (Zach 14: 9):
« Et le Seigneur sera roi sur toute la terre. En ce jour, le Seigneur
sera unique, et son nom unique ".

Il y a encore lieu de mentionner ici la pnere de Qaddish


(<< sanctification"J, qui sépare les différentes parties de l'office.
Elle est - à l'exception du dernier paragraphe - rédigée en
araméen et est mentionnée pour la première fois, comme partie
stable de l'office synagogal, dans Massèlchet Sofrim, l'un des
« petits traités" post-talmudiques datant probablement du VIerne
s. Elle contient cependant de toute évidence des éléments beau-
coup plus anciens, dont certains sont d'ailleurs mentionnés dans
le Talmud. Le Qaddish est construit autour d'une eulogie cen-
trale: "Que son grand nom soit loué à jamais et d'éternité en
éternité! " qui rappelle Dan 2: 20 et Ps 113: 2 ainsi que le répons
habituellement employé au Temple: "Béni soit à jamais le nom
glorieux de son Royaume! ". Voici le texte de la première partie ":
Que soit exalté et sanctifié son grand nom dans le monde qu'il
a créé conformément à sa volonté. Qu'il établisse son règne - dans
le rite sépharade on ajoute ki: « Qu'il fasse germer son salut et
rende proche (la venue de) son Messie» - de votre vivant, de vos
jours et du vivant de toute la maison d'Israël, bientôt et dans un
temps proche, et nous voulons dire: Amen! Que son grand nom soit
loué à jamais et d'éternité en éternité!

Etant devenue aussi au cours des âges la prière qu'on dit en


souvenir des défunts, on a inséré - assez tardivement - dans
le Qaddish un supplément qui est récité aux enterrements ":
Que soit exalté et sanctifié son grand nom dans le monde qu'à
l'avenir il renouvellera quand il ressuscitera les morts pour les
appeler à la vie éternelle. (Alors) il rebâtira la ville de Jérusalem
et rétablira le Temple au milieu d'elle, bannissant l'idolâtrie de la
terre et rétablissant le culte du (Dieu du) ciel en son lieu. Le
Seigneur règnera alors dans son Royaume et dans sa gloire ".

J4 S.'A.Y. p. 153.
Il S.'A.Y. p. 588.
LE MESSIE DANS LA LITVRGIE JUIVE 93
------=-=
Dans la plupart des rituels on a inséré en annexe, après la
prière du matin, les Treize Articles de Foi de Maïmonide (1135-
1204), où il est dit à l'article 12 ":
Je crois avec une foi parfaite en la venue du Messie, et bien
qu'il tarde, j'attends tous les jours qu'il vienne.

Au début d'un grand nombre de rituels figure également la


prière hymnique Yigdal Elohim haï (<< Que soit exalté le Dieu
vivant »), composée au XIv ème siècle à Rome d'après les Treize
Articles de Maïmonide. Voici la strophe correspondant au 12'mo
article 17:

Il enverra à la fin des jours notre Messie, pour libérer (ceux)


qui attendent son salut final.

Eléments messianiques dans la prière du Sabbat et des fêtes

Dans la prière du vendredi soir, veille du Sabbat, a été


intercalé aux XVI'-XVIr siècles, sous l'influence du mouvement
cabbalistique autour de R. Isaac Lûria de Safed (1534-1572),
l'office de Qabbalat Shabbat, riche en éléments mystiques et
messianiques et plus développé dans le rite séfarade que dans le
rite ashkénaze. Au cœur de cet office figure le poème Lekhah Dodi
(<< Viens, mon bien-aimé "), de R. Salomon Alqabets de Safed
(1505 - env. 1580), qui contient plusieurs strophes d'inspiration
eschatologique et messianique ":

Sanctuaire du Roi, ville royale (cf. Ps. 48: 3), lève-toi, sors de ta
destruction! Trop longtemps tu a<; séjourné dans la vallée des larmes.
C'est (Dieu) qui aura pitié de toi dans sa clémence (cf. Jér 15: 5).
Secoue ta poussière, relève-toi (ls 52:2); revêts tes habits d'ap-
parat, mon peuple. Par le fils de Jessé, le Bethléémite (le Messie),
approche de mon âme, delivre-la (cf. Ps 69: 19).
Réveille-toi, réveille-toi (Is 51: 17) car ta lumière paraît; léve-toi
et resplendis! (ib. 60: 1). Eveille-toi, éveille-toi, entonne un cantique
(cf. Jg 5: 12), car la gloire de Dieu se manifeste sur toi! (cf. 1s 60: 1).

16 S.'A.Y. p. 16l.
17 Rituel de Prières . .. par Joseph BI.OCH, Paris 1963, p. 4.
Il S.'A.Y. p. 181-82.
94 KURT HRUBY

N'aie pas honte, ne rougis point (Is. 54:4); pourquoi es-tu


confondue et émue? CPs 42: 12). C'est en Toi que mettent leur COD-
fiance les affligés de mon peuple (Is. 14:32), et la ville sera re-
construite sur ses ruines (lér. 30: 18).

Tu t'épanouiras à gauche et à droite (Is. 54:3), et tu rendras


hommage à ton Dieu (cf. ib. 29: 23). Par l'homme de la lignée de
Pérèts Ig nous nOliS réjouirons et nous jubilerons! (cf. Is 25:9).

Deux des bénédictions qui, les Sabbats et fêtes, suivent la


lecture de la péricope prophétique, sont également d'inspiration
messianique 20:
Aie pitié de Sion car elle est la maison de notre vie; viens en aide
bientôt (et) de nos jours à celle qui est affligée dans son âme. Sois
béni, Seigneur, qui réjouis Sion par ses fils! (cf. Is 66: 8).
Réjouis-nous, Seigneur notre Dieu, par ton serviteur le prophète
Elie 21 et par la royauté de la maison de David, ton oint. Que (le
Messie) vienne bientôt, et que notre cœur jubile! Sur son trône ne
sera assis aucun étranger, et d'autres n'hériteront plus sa gloire.
Car tu lui as juré par ton saint nom (à David; cf. Ps 132: 11) que
sa lumière ne s'éteindra pas à tout jamais. Sois béni, Seigneur,
bouclier de David!

Dans la prière supplémentaire - Mûssaf - du Sabbat figure


également un passage pour le rétablissement du culte au Temple
qui se produira à son tour aux temps messianiques 22;
... Que ta volonté soit, Seigneur notre Dieu et Dieu de nos pères,
de nous ramener joyeusement dans notre, pays et de nous réimplanter
dans nos frontières. Là nous t'offrirons les sacrifices obligatoires,
les (sacrifices) perpétuels selon leur ordre, et les (sacrifices) sup-
plémentaires conformément aux prescriptions (les concernant) ...

Dans la prière de Mûssaf des « fêtes de pèlerinage », ce para-


graphe revêt la forme suivante ":
Que ta volonté soit, Seigneur notre Dieu et Dieu de nos pères,
Père miséricordieux, d'avoir (de nouveau) pitié de nous et de ton
Sanctuaire dans ta grande miséricorde, (afin que) tu le reconstruises

1~ Le Messie, descendant de Pérèts, fils de Juda, par Tamar; cf. Tg shéni de


Gn 38:25.
2D S.'A.Y. p. 227.

li Cf. Mal 3:23,24: Elie est le précurseur du Messie.


Il S.'A.Y. p. 238-39.
n S.'A.Y. p. 352-56.
LE MESSIE DANS LA LITURGIE JUIVE 95

bientôt et que tu augmentes sa majesté. Notre Père, notre Roi,


révèle bientôt sur nous la gloire de ton Royaume, manifeste·toi et
élève-toi au-dessus de nous aux yeux de tous les vivants. Rapproche
nos dispersés (cf. Jér 50: 17) d'entre les nations, et rassemble nos
exilés (cf. Is 11:32) des confins de la terre (cf. Jér. 31: 8). Amène-nous
à Sion, ta ville, avec des jubilations, et à Jérusalem, ta sainte Maison,
dans une joie éternelle. Là nous t'offrirons nos sacrifices obliga-
toires ".
Notre Dieu et Dieu de nos pères, notre Roi, Roi miséricordieux,
prends pitié de nous! (Dieu) bon ct bienfaisant, sois disposé à nous
exaucer! Reviens vers nous dans ta grande miséricorde à cause des
pères qui ont accompli ta volonté. Rebâtis ta Maison comme au
début, rétablis ton Sanctuaire en son endroit, fais-nous voir sa
reconstruction et réjouis-nous par son rétablissement. Ramène les
prêtres à leur service, les lévites à leurs chants et à leur musique,
et ramène Israël dans ses demeures. Là nous voulons monter Cà Jé-
rusalem), faire acte de présence et nous prosterner devant toi à
l'occasion de nos trois fêtes de pèlerinage

La prière d'action de grâces après le repas comporte, dans


sa première partie, l'invocation suivante 24:
Aie pitié, Seigneur notre Dieu, d'Israël, ton peuple, de Jérusalem,
ta ville, de Sion, habitation de ta gloire, et du royaume de la maison
de David, ton oint, de la grande et sainte Maison sur laquelle ton
nom a été invoqué ...
Et reconstruis Jérusalem, la ville sainte (cf. 1s 52: 1 - Néh. 11: 1)
bientôt (et) de nos jours. Sois béni, Seigneur, qui dans ta miséricorde
rebâtis Jérusalem!

Dans la seconde partie des grâces figurent les éléments mes-


sianiques suivants 25:
(Dieu) de miséricorde, envoie-nous le prophète Elie d'heureuse
mémoire, et il nous annoncera des nouvelles bonnes, salutaires et
consolantes!
(Le jour du Sabbat): (Dieu) de miséricorde, donne-nous en
héritage le jour qui sera tout entier Sabbat, et repos pour la vie
éternelle!
(Les jours de fête): (Dieu) de miséricorde, donne-nous en héritage
le jour qui sera entièrement bon (le jour messianique)!

l' S.'A.Y. p. 556-58.


15 S.'A.Y. p. 560-62.
96 KURT HRUBY

(A Sdkkot): (Dieu) de miséricorde, redresse pour nous la tente


de David qui s'est écroulée!
(Dieu) de miséricorde, fais-nous mériter les temps messianiques
ct la vic du monde à venir! « (Le Seigneur) multiplie pour son roi
les délivrances et montre de l'amour pour son Messie, pour David
et sa descendance à jamais» (Ps 18:51).

Les sept bénédictions du mariage contiennent également des


éléments messianiques fortement accentués 26:

Réjouis-toi et jubile, femme stérile (Jérusalem. cf. Is 54: 1), à


cause du joyeux rassemblement, en ton sein, de tes enfants. Sois
béni, Seigneur, qui cause de la joie à Jérusalem et à ses enfants!
Sois béni, Seigneur notre Dieu, Roi de l'univers, qui crées
allégresse et joie, fiancé et fiancée, allégresse, chant de joie, exubé-
rance, réjouissance, amour, fraternité, paix et amitié! Que bientôt
on puisse entendre dans les villes de Juda et dans les rues de
Jérusalem la voix de jubilation et de joie, la voix du fiancé et de
la fiancée (Jér. 33: 10), les cris d'allégresse des époux dans leur cham-
bre nuptiale et des jeunes gens lors du festin au milieu des chants ...

II - PRIÈRES D'INSPIRATION MESSIANIQUE DITES EN


D'AUTRES CIRCONSTANCES

Passage inséré dans la prière d'action de grâces à l'occaslOn


d'un repas de circoncision 27:
« Que le (Dieu) miséricordieux daigne bénir celui qui a circoncis
la chair du prépuce, qui a opéré la peri'ah 28 et la 1netsitsah 29 du
sang de la circoncision, l'homme (l'opérateur rituel) qui doit avoir
peur et être rempli de crainte que son acte ne soit souillé, s'il n'a
pas observé ces trois (éléments).
Que le (Dieu) miséricordieux daigne nous envoyer son Messie,
qui marche dans l'intégrité, par le mérite des fiancés de la circon-
cision du sang (c.-à-d. des circoncis), afin qu'il annonce de bonnes
nouvelles et console le peuple unique dispersé et disséminé parmi
les nations.

16 S.'A.Y. p. 564.
n Siddûr Bef Ya'aqov, 1ère partie, Lemberg 1904, p. 103.
2.! Mise à découvert du gland.
21 Purification de la plaie en aspirant le sang.
LE MESSIE DANS LA LITURGIE JUIVE 97
Que le (Dieu) miséricordieux daigne nous envoyer le prétre de
justice 30 qui reste caché aux yeux du monde jusqu'à ce que lui
soit préparé un trône (brillant) comme le soleil et le diamant, (le
prophète) qui cacha sa face dans son manteau et s'y enveloppa
(cf. 1 R 19: 13). Mon alliance avec lui, (dit le Seigneur), est une
alliance de vie et de paix.

Piyyût (poésie religieuse) Odèh hasdo hifla pour la prière du


soir de la veille du 7'rn' jour de la Pâque ";

... Lui (Dieu), qui a opéré tant de miracles redoutables, nous


fera encore vojr des merveilles (en frappant) la mer de son bâton.
Les dispersés (d'Israël), il les conduira chaussés (c.-à-d. à pieds
secs) à travers la mer, qu'il divisera en sept sections. Il rendra libres
les débris (du peuple) qui auront survécu (à l'exil) d'Egypte,
d'Assyrie et des îles lointaines. Il les rassemblera des (différents)
pays pour les libérer du Nord et de l'Ouest, afin de les exalter
comme autrefois ... De la souche de Jessé (le Seigneur fera surgir)
un Germe, qui dominera d'une mer à l'autre. Puisse sa gloire briller
de nos jours, et le Seigneur accomplir sa parole! ...

Piyyût Hasdei Y. askir pour la prière du matin du 7'rn' jour


de la Pâque";

(Le Seigneur) sauvera Sion de nos jours; il reconstruira les


villes de Juda et nous y rétablira; les descendants de ses serviteurs
et ceux qui ont aimé son Nom y habiteront ... Tu (nous) as fait
tomber dans un piège, as imposé l'oppression à nos reins. Tu as
établi un homme (étranger) comme chef sur nous, nous avons été
soumis au feu et à l'eau: fais-nous sortir au large! Aie pitié de
nous, bénis-nous et fais briller sur nous ta face! Fais briller notre
lumière et dissipe nos ténèbres! Jette un regard sur Sion, la cité
de nos temps sacrés. Car là (se manifeste) la grandeur du Seigneur
notre Dieu. Dans les ruines de Jérusalem éclateront nos jubilations,
car le Seigneur a consolé Sion, la maison de notre Sanctuaire; il
étendra son bras sacré pour exercer notre vengeance. Tous les confins
de la terre verront le salut de notre Dieu, quand il reviendra avec
nous de notre exil. Il fera alors germer le rejeton juste (le Messie)
pour notre communauté, et voici son nom: ({ Le Seigneur est notre
justice)} (lér. 23: 6).

30 Elie, identifié par le Midrash avec Pinhas, le fils d'Elé'azar.


JI Prières de toutes les grandes fêtes. Prières de Pâque, Paris 1950, p. 326-27.
II lb., p. 416.
98 KURT HRUBY

Piyyût Hû niqra rash rishon pour le Shabbat ha-Hadèsh


(2 eme Sabbat avant Pâque)":
On ne dira alors plus: « Le Seigneur est vivant. qui a fait
monter (les enfants d'Israël) du pays d'Egypte}) (Jér 23: 7) par
l'entremise d'un prophète (Moïse) mais: le Seigneur est vivant, qui
a fait monter et qui a fait venir (!e Messie). Alors Dieu rugira
comme un lion pour mener mon combat et pour annoncer des
nouvelles par un prophète de la tribu de Lévi 34, pour faire revenir
mon cœur (cf. Mal. 3:24) ct renouveler mon combat. (Alors) germera
le rejeton désigné par sept (noms) 3,), accompagné des sept bergers 36
qui renouveleront pour le peuple sept choses 37, (Le Messie) restera
caché pour eux pendant sept semaines 38, (puis) il reviendra et se
manifestera au peuple des saints qui, en sa compagnie, sera sancti-
fié, mais non pas au troupeau saint, jusqu'à la fin de six autres
mois 39, jusqu'à cc que vienne le premier des mois (Nisân). Alors
il se manifestera à la communauté des saints qui subsistent malgré
le joug (que faisaient peser sur eux) les impurs (les peuples du
monde). Il leur fera voir des signes nouveaux, renouvèlera les
cieux et la terre, consacrera le Saint des Saints, ouvrira la porte
(du Temple) aux saints à l'occasion des Sabbats et des néoménies ...

Piyyût Ansikha malki pour les malkhiyyat (proclamation de


la royauté de Dieu) de Rosh ha-Shanah '":
Avant que règnât un roi (terrestre), la royauté appartenait
depuis toujours au (Dieu) vivant; quand disparaîtra le dernier roi,
il sera (enfin) le seul Roi.

Le (Dieu) pur mettra en place le jugement et établira sa voie


(sa loi). Il écrasera les iniques, exercera la vengeance et règnera.

Il anéantira le diadème des présomptueu.x et donnera de la


puissance au roi (Messie), les purs le proclameront roi, et il règnera
sur tous.

11 S.'A.Y. p. 701.
." Elie qui, d'après le Midrash, en est issu .
.'5 D'après le Midrash, le Messie porte sept noms.
\(, Adam, Seth, Méthusalem, Abraham, Jacob, Moïse et David; cf. Sûk. 52b.
).7 L'Arche d'Alliance, le feu céleste, la Shekhinah, l'Esprit Saint, le chande-
lier à sept branches et l'huile d'onction: cf. Yoma 2Ib.
~ Cf. Shir R II,9 .
.19 Le Messie se manifestera d'abord aux justes ct aux hommes pieux au début
du mois de Tishri, puis après six mois, au début du mois de Nisân, au reste du
peuple.
<0 Gebete fiir das Neuiahrsfesl von Wolf HEIDEKHEIM, Rodclheim 1892,
p.220ss.
LE MESSIE DANS LA LITURGIE JUIVE 99
Il renouvèlera le royaume conformément au droit et à la
Halakhah. Rejeton de souche royale, il règnera avec droiture.

Des princes puissants qui ont exercé la domination rejetteront


le manteau (royal) et proclameront d'une voix puissante la royauté
du Seigneur qui est Roi.

Le pouvoir appartiendra à ceux qu'il aura appelés; ils mar~


cheront à sa suite la tête haute, et à leur tête le Roi (de l'univers).

Le mystère caché (de la rédemption) est destiné (à être révélé)


en ce jour dont le moment précis cst déterminé (depuis toujours).
En lui, le Dieu de vengeance règneral

(En ce jour) sera établi le trône (du Messie) qui brille comme
le soleil, (lui) dont le nom (s'épanouit) face au soleil 41 et dont
l'aspect est comme le soleil levant, et il règnera comme roi.

Piyyût We-yétou kol le'ovdékha pour la prière de Mûssaf


de Rosh ha-Shanah "':
Alors tous viendront pour te servir et ils béniront ton nom
glorieux, annonçant aux îles (lointaines) ta justice. Des peuples qui
ne te connaissaient pas te rechercheront. Les confins de la terre
te loueront et diront sans arrêt: Que le Seigneur soit exaltél Ils
t'offriront leurs sacrifices, abandonneront leurs idôles, auront honte
de leurs images taillées et sc prosterneront unanimement pour te
servir. Tant que durera le soleil te craindront ceux qui recherchent
ta face, ils reconnaîtront la puissance de ton règne et enseigneront
la connaissance à ceux qui sont dans l'erreur. Ils proclameront ta
puissance et t'exalteront, toi qui es au-dessus de tout. Avec trem~
blement ils rechercheront ta face et t'offriront un diadème magni~
fique. Les montagnes éclateront en jubilation et les îles exulteront
(en l'honneur) de ta royauté. Ils accepteront le joug de ton royaume
et t'exalteront dans l'assemblée du peuple. Des (nations) lointaines
l'entendront, viendront et t'offriront la couronne royale.

Piyyût Adabrah we-a'irah pour la prière du soir du 2'me jour de


Sûkkot ":
... Rétablis ta maison (le Temple) en son endroit et le Sanctuaire
dans sa plénitude, remplis-le à l'intérieur de l'amour et de la majesté
de ta Shekhinah. Le Seigneur Sabaot est pour nous un soleil et un

41 En fonction de Ps 72: 17: cf. Sanh. 9gb.


42 lb., 213.
4} Gebetbuch für Laubhütlel1!est von Wolf HElDENHEIM, Francfort s.M.
(sans année), p. l09ss.
100 KURT HRUBY

bouclier au moment de son retour à Sion. (Le Dieu) élevé et exalté


réunit et rassemble ses (enfants) dispersés, afin que nous chantions
un chant nouveau et que nous soyons resplendissants sur sa terre.
Je t'adresse ma prière, Seigneur, au temps favorable et au moment
(propice). Conduis-nous, Seigueur notre Dieu, vers la hutte de
David ton serviteur, accueille comme jadis avec complaisance les
sacrifices d'obligation des fils de tes bien-aimés. Que ton nom soit
exalté afin que se réjouissent en toi ceux qui te craignent. Fortifie
comme jadis tes foules qui s'unissent étroitement à toi. (Fasse) que
jubilent et se réjouissent en toi tes témoins qui se languissent de
Sion, et qu'ils disent à tout jamais: Que soit exalté le Seigneur, qui
désire la pai,x de ses serviteurs! Sois béni, Seigneur, qui étends la
hutte de paix sur nous, sur tout Israël et sur Jérusalem!

Rash'anal pour Rosha'na Rabba (7'n" jour de Sûkkot) H:


En vérité, ton salut est venu: {( La voix de mon Bien-aimé, voici
qu'il vient» (Ct. 2:8), qu'il proclame et dit (cf. Is 52:7): « Qui an-
nonce le salut, qui dit à Sion: Ton Dieu règne! ».
Il est venu avec des myriades d'anges pour s'établir sur le Mont
des Oliviers (cf. Zach 14:4).
Il approche pour sonner du Shofar, sous lui la montagne se
fend (ib.).
Il frappe, regarde, rayonne, et la moitié de la montagne se
déplace vers l'Est (ib.).
Il accomplit la parole de son oracle; il vient, et tous les saints
avec lui (ib. 5).
Pour tous les hommes une voix céleste retentit à travers le
monde.
La progéniture de ceux qu'il a portés dès le sein (de leur mère)
est née (de nouveau) comme (sortie) des entrailles de leur mère.
(Celle qui est appelée): {( Qui est-ce? Il (Ct. 3: 6; Israël) accouche
et enfante (cf. Is 66: 8). Qui a entendu une chose pareille?
Le (Dieu) pur a opéré tout cela. Qui a vu une chose pareille?
Le salut et le temps se sont unis. Est-ce qu' (autrement) on
pourrait accoucher d'un pays en un seul jour? (cf. Is, ib.).
Il est puissant en-haut et en-bas. Comment (autrement) pourrait-
on enfanter une nation tout à la fois? (cf. Is, ib.).
Le (Dieu) redoutable va opérer la rédemption de son peuple au
temps (prévu): « Au temps du soir il fera clair Il (Zach 14: 7).
{( Des sauveurs graviront la montagne de Sion» (Abd 28) car
Sion a accouché et enfanté (cf. Is, ib.).
On l'entend dans toutes les frontières: «Elargis l'espace de ta
tente »! (Is 54: 2).

44 S.'A,Y. p. 380-81.
LE MESSIE DANS LA LITURGIE JUIVE 101

Etends ta tente jusqu'à Damas (cf. Zach 9: 1); accueille tes


fils et tes filles.
Jubile, rose de Saron (cf. Ct 2: 1), car ceux qui dorment à
Hébron (les patriarches) se sont levés!
«Tournez-vous vers moi pour être sauvés» (ls 45: 22), «aujour-
d'hui même si vous écoutez ma voix» (Ps 95:7) 45.
Il a surgi l'homme dont le nom est « Germe» (tsémah); c'est
David en personne 46.
Levez-vous, vous qui êtes cachés dans la poussière, réveillez-vous
et jubilez, habitants de la poussière (cf. 1s 26: 19).
Conférez la dignité royale à (la ville) au peuple nombreux; «il
multiplie pour son roi les délivrances» (Ps 18: 51).
Effacez les noms des iniques! (Dieu) fait grâce à son Oint, à
David!
Donne le salut au peuple éternel, à David et à ses descendants
à jamais!

Piyyût Dorshim ba-takhlit mo'adam pour la prière du matin


de la Fête de Clôture (8'me jour de Sûkkot) ":
... (Dieu) de bonté, qui trônes dans les hauteurs, fais venir (le
temps de) la fin, (temps) de consolation, et réveille ceux qui dor-
ment dans la terre! Dieu qui habites (dans les demeures) élevées,
puissant en hauts faits, rassemble maintenant les exilés! Anéantis
tous tes ennemis et pare ceux qui t'aiment du règne du Messie, fils
de David! ... Exauce leur prière fervente afin qu'on entende (bientôt)
la voix de celui qui annonce (le salut: cf. 1s 52: 7). Fais résonner les
quatre voix de joie (cf. Jér 33: 11), hâte-toi de nous sauver, fais
taire tes adversaires! Dieu exalté au-dessus de tout, réjouis les
âmes de ceu.x qui aspirent à la reconstruction (du Sanctuaire)
élevé!

Piyyût Tsiyon qedosh mishkenei 'Elyon pour le 9 Ab, jour


anniversaire de la destruction du Temple ":
... (Jérusalem, jadis) ville de délices, je me souviens de toi
et te mets au plus haut de ma joie (cf. Ps 137:6); jamais je n'oublierai
ton amour paré d'un diadème! Ton amour est gravé dans mon cœur,

45 Cf. Sanh. 98a, l'interprétation donnée par le prophète Elie des paroles adres-
sées à R. Yehoshû'a b. Lévi par le Messie installé parmi les miséreux aux portes
de Rome.
46 Cf.Sanh. 98b.

47 Gebetbuch für das Laubhiittel1fest ... von Wolf HEIDENHEIM, Francfort s.M.
(sans année), Hème partie: Gebetbuch für das Schluss- und Preudenfest, p. 35 ss.
48 Sédèr ha-Qinnot le-Tish'ah be-Av, édité par S. BARR, Rodelheim 1863, p. 141ss.
102 KURT HRUBY

mon âme est entièrement attachée à toi et se languit de ton héritage.


Puissé-je saisir les pans de ton vêtement, toi qui (jadis) étais vêtue
de pourpre et parée d'or! Le Sud et l'Est, le Nord et l'Ouest lointains,
ceux qui sont (dispersés) aux confins du monde languissent après
ton territoire! la maison de Juda et la maison de Joseph, tous
aspirent à la poussière de ta terre et inclinent la tête vers toi (dans
la prière). Ils désirent ardemment se rendre en pèlerinage trois
fois par an dans ton (Sanctuaire) sublime. Ils attendent les (évène-
ments) merveilleux et la fin des jours (cf. Dan 12: 6,13), lorsque la
majesté de Dieu sera pour eux une lumière et qu'elle resplendira
pour toi! Alors sera exaltée la majesté de Dieu, les idôles disparai-
tront comme si elles s'étaient totalement évanouies tandis que
(Dieu) illuminera tes ténèbres. La bouche de ton peuple sera pleine
de joie, ils pousseront à travers les herbages comme sur un pré
au bord d'un fleuve (cf. Ts 44:4). Alors ta jeunesse sera renouvelée
comme l'aigle (cf. Ps 103:5), et l'hirondelle trouvera une maison
et un nid dans ton ombre (cf. ib. 84: 4). Puissant et grand, le Saint
de Jacob (résidera) en ton milieu. Alors la tranquillité (règnera)
dans tes palais, la paix dans tes murs!

Prière pour le Sabbat qui précède la néoménie ";

(Que celui) qui renouvelle les mois (daigne) rassembler les


saints, hommes et femmes, dans la ville (de Jérusalem) reconstruite.
(Que) Dieu (daigne) renouveler cc mois pour du bien. Que telle soit
la volonté du Dieu tout-puissant!
Que la volonté du Dieu du ciel et de la terre soit de rétablir la
Maison de notre vie (le Temple) et de faire revenir sa Shekhinah
en elle, bientôt et en nos jours, et dites: Amen!

Que la volonté du Dieu du ciel soit qu'on entende et qu'on pro-


clame de bonnes nouvelles, des nouvelles de salut et de consolation
aux quatre coins de la terre, et dites: Amen!
Que celui qui a fait des miracles pour nos pères et les a libérés
d'Egypte, nous libère et fasse revenir les fils (d'Israël) dans les
frontières (de leur pays). Que cette néoménie ... soit pour nous de
bon augure, et que le Saint, béni soit-il, la renouvelle pour nous et
pour tout son peuple, Israël, pour le salut et la consolation, pour la
subsistance et l'entretien, pour les bonnes nouvelles et les bons
messages, pour les pluies en leur temps, pour une parfaite guérison
et pour la rédemption prochaine, et dites: Amen!

49 Séfèr 'olat tamid (rituel sépharade), Livourne 1887, p. l04b.


LE MESSIE DANS LA LITURGIE JU IVE 103

Piyyût Tahat eilat Olér de la prière pour la rosée du premier


jour de la Pâque "':
... (Le prophète Elie) adressa une prière fervente au (Dieu)
vivant qui vivifie tout par la rosée, rendant la vie à l'enfant (de la
veuve de Sarcpta; cf. 1 R 17: 17-24) par l'intervention de la rosée. Il
raconta et dévoila à tous la puissance de la rosée, faisant entendre
que ceux qui habitent (les régions de la mort) ressusciteront (un
jour) par la rosée (cf. 1s 26: 19). (Le don d'opérer des miracles)
par la force de la rosée était l'apanage des anciens élus (de Dieu);
aucun autre homme ne peut prétendre (à faire de tels miracles)
par la rosée ... La rosée donne la subsistance aux vivants tandis
qu'aux morts est préparée (en toute) liberté la résurrection par la
rosée. Ils se réveilleront (dans les temps messianiques), se disperse-
ront et revivront par la tombée de la rosée. Ils se lèveront (de leurs
tombeaux), se tiendront debout et monteront par la couche de la
rosée (qui couvre la terre). Ils feront entendre la mélodie de leur
chant par la rosée et sa lumière; les habitants de la roche (les
morts) jubileront parce qu'ils revivent par la rosée!

Selihah (prière pénitentielle) pour le Jeûne de Guedalyah ":


Ramène-nous, Dieu de notre salut, et réprime ta colère
contre nous!

Tu n'as pas rejeté définitivement ceux qui mettent leur con-


fiance en toi et qui sont tes témoins (parmi les nations). Ils sont
frappés (de châtiments) comme des pécheurs; prosternés (devant
toi), ils mettent en toi leur espérance. (Transforme) ta colère en
bienveillance, conformément à l'équité (dont tu fais preuve) à
l'égard de tes serviteurs!

Reviens, Seigneur! Combien de temps (seras-tu en colère)? Aie


pitié de tes serviteurs!

Chaque jour nous guettons la révélation de ton secret (c.-à-d. la


venue du Messie), qui est scellé et caché tandis que s'épuise la vie
de tes pieux (serviteurs). La honte a brisé notre cœur mais nous
espérons (néanmoins) en ta grâce!

«Retourne, Seigneur, délivre nos âmes, et sauve-nous en vertu


de ta grâce! II (cf. Ps 6: 5).

"" Gebete fiir das Pessachfest ... von Wolf HEIDENHEIM, Rodclheim 1891,
p. 156·57.
5! Institué à la mémoire de Guedalyah, fils d'Ahikam, gouverneur de Judée

environ entre 586 et 582 av. J.C., tué par ses advcl·saires. Le Jeûne de Guedalyah
a lieu le 3 Tishri, le lendemain de Rosh ha-Shanah. Cette prière date de la fin
du Xème siècle. Cf. The AUlhorised Selichot for the Whole Year ... by A. ROSEN-
FELD, Londres 1957, p. 200-201.
104 KURT HRUBY

Nous sommes abandonnés et considérés à l'égal de ceux qui


descendent dans la fosse. Notre harpe, nos chants et notre flute
traduisent le deuil. Ceux qui marchaient (jadis) au milieu de chants
joyeux. et d'action de grâce, avancent (actuellement pleins de)
tristesse.
{( Fais revenir, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au
Néguev!» (cf. ib. 126:4).
Les larmes sont le pain (quotidien) de ceux qui mettent leur
confiance en toi, ô Dieu mon rocher! Où est le rédempteur? Les
adversaires de Dieu sont (pleins) de mépris. (Autrefois) ô Dieu, tu
as parlé en visions aux hommes droits (aux prophètes)!
{( Rétablis, Seigneur, les myriades des milliers d'Israël! (cf.
l)

Nb 14:20). Nos infidélités sont innombrables mais tu as ouvert


(la porte en disant): Reviens, Israël!
«Fais-nous revenir à toi, Seigneur, et nous reviendrons!»
(Lam. 5:21).

Kurt HRUBY
LA PASSION DU CHRIST ET LE JUGEMENT DE CE MONDE
(Jean 12,31)
D'APRÈS LES LECTURES BIBLIQUES
DE LA SEMAINE SAINTE BYZANTINE

Le système des lectures bibliques adopté par la liturgie by-


zantine pour la Sainte et Grande Semaine de la Passion du
Christ est le même, en principe, que celui qui régit le choix des
lectures des jours aliturgiques de la Sainte Quarantaine: on y
lit la Loi et les Prophètes, ces derniers étant représentés par un
livre prophétique proprement dit et un livre sapientiel', Du
Lundi Saint au Mercredi Saint on lit aux vêpres Exode et Job
et à la sexte Ezéchiel. Le Jeudi Saint et le Vendredi Saint aux
vêpres on lit Exode et Job; la lecture prophétique est alors prise
dans Isaïe et elle se fait également aux vêpres', On sait que les
vêpres du Grand Samedi comportent quinze leçons vétérotesta-
mentaires, mais leur choix a été lui aussi commandé par le
principe de la lecture de la Loi et des Prophètes que l'Eglise a
hérité du culte synagogal',
D'autres lectures bibliques viennent compléter ce premier
ensemble de leçons prises dans l'Ancien Testament. Il faut y
ajouter les lectures de l'Evangile aux matines et aux vêpres du
Lundi, du Mardi et du Mercredi " Les jours suivants, les Evangiles
des vêpres sont précédés par la lecture de l'Epître', Le Vendredi

1 Aux offices de semaine les lectures bibliques pendant la Sainte Quarantaine


se répartissent ainsi: Isaïe à la sexte, Genèse et Proverbes aux vêpres. La lecture
de ces livres se fait dans l'ordre du texte, du premier chapitre jusqu'au dernier,
avec quelques omissions, surtout dans la seconde partie du Carême. Voir: Alexis
KNIAZEFF, La lecture de l'Ancien et du Nouveau Testament dans le rite byzantin,
dans «Lex Grandi» no 35: La Prière des Heures, Le Cerf, Paris 1963, pp. 201-252.
l Le Grand Jeudi les vêpres sont continuées par la liturgie de saint Basile

le Grand (v. infra).


J Voir: Ivan KARABINOV, Poslnaïa Triod', Saint-Pétersbourg 1910. Ce livre, qui

est devenu une rareté bibliographique, demeure pour le Triodion l'étude de base
encore aujourd'hui.
4 Cet office de vêpres se prolonge par la liturgie des Présanctifiés.
5 L'Epître du Jeudi Saint s'inscrit déjà dans le cadre de la liturgie de saint
Basile. Le Vendredi le groupe des lectures bibliques se place entre l'entrée vespé-
rale avec le chant de l'hymne Lumière joyeuse qui l'accompagne et l'écténie dite
de la prière instante qui suit cette entrée. S'il y a incidence avec la fête de
l'Annonciation (25 mars), les vêpres du Saint et Grand Vendredi se prolon-
gent par la liturgie de saint Jean Chrysostome.
106 ALEXIS KNIAZEFF

aux matines a lieu la lecture des douze Evangiles de la Passion


du Christ, lesquels ont fait donner à cet office l'appellation de
Saintes Souffrances. Le Grand Jeudi il y a une lecture prophé-
tique à prime, tandis que le Grand Vendredi il y a à chacune
des petites heures une lecture prophétique, une Epître et un
Evangile et le tout forme un office continu, dit les Heures
Royales. Les matines du Grand Samedi, après la grande doxologie,
en plus de la lecture d'Ezéchiel, ont elles aussi une Epître et un
Evangile. On aboutit donc, en fin de compte, à un ensemble de
lectures bibliques assez complexe, dont le détail est donné par
le tableau que nous donnons à la page suivante.

Si nous revenons aux textes de l'Ancien Testament qui sont


l'objet de la lecture liturgique du Grand Lundi au Grand Mer-
credi, nous pouvons constater qu'ils représentent respectivement
les prologues des livres de l'Exode, de Job et d'Ezéchiel et que
le contenu de chacun de ces trois prologues fait état d'une situa-
tion de crise. Dans Ex., en effet, il s'agit de la situation périlleuse
en Egypte des descendants de Jacob, oppressés par le nouveau
Pharaon qui n'avait pas connu Joseph (Ex. 1,8 et ss.). Ez. 1 - 3,
qui contient le double récit de la vocation du prophète, place cette
vocation, dans l'état actuel du texte, en Babylonie, sur les rives
du fleuve Kébar, où le prophète se trouvait parmi les déportés
de peuple de Juda (Ez. 1,1). Quant à Job 1 - 2, nous y voyons le
héros du livre frappé subitement de cruels malheurs, dont il
ignore totalement la raison et la cause.
Nous pouvons en dire autant des évangiles des matines de
ces trois premiers jours de la Semaine Sainte byzantine. Leur
contenu tend à représenter comme une crise les événements qui
ont marqué ce début de cette dernière semaine de la vie terrestre
du Christ. Jésus, en effet, se trouve affronté à l'hostilité crois-
sante et aux questions perfides des chefs religieux dans le Temple
de Jérusalem (Mt. 21,1843 el 22,15-23.29). Jésus se heurte égaIe-
ment à l'incrédulité totale du peuple (Jean 12,17-50), ce qui amène
l'évangéliste à faire avec amertume cette sorte de constat d'échec:
c( bien qu'il eût opéré tant de signes en leur présence, ils ne

croyaient pas en lui» (ibid., v. 37). Tout conduit donc à ce


LE LECTIONNAIRE BYZANTIN DE LA SEMAINE SAINTE
~~nmn~~I~~~~~,rn~NTI~'~""~'~C=~~~~~~~~
OFFICES LUNDI MARDI MERCREDI SAMEDI
---
Les douze Ezéch. 37,1-14
Evangiles 1 Cor. 5,5-8
MATINES Mat. 21, 1843 Mat. 22,15 ~ 23,39 Jean 12,17-50 Luc 22,1-39
Gal. 3,13-14
de la Passion *
Mat. 27,62-66 ~
00
Zach. 11,10-13 00
Jérémie 11,18-22 ~
PRIME Gal. 6,14-18 0
12,1-5.9-11,14-15 Z
Mat. 27,1-56

TIERCE
Is. 50,4-11
Rom. 5,6-11
"CCl
Marc. 15,16-41 ~
------

SEXTE Ezéch. 1,1-20 Ezéch. 1,21 - 2,1


Ezéch. 2,3-10
3,1-30
Is. 52,13 - 54,1
Hébr. 2,11-18 '"
~
00
>-l
Luc. 23,3249 tTI

li
Jérém. 11 - 12
NONE Hébr. 10,19-31
'"0_ 18,28 _ 19,37
- - - - - - ---oE~x-od-:-e-'I;-,-;1-;-2:::0---,E=-x-.-:2",5:--1;:0,----E=x-.-:3:-,;:11-:-2:-:2---~E;-x-.O:I9°c,1;:0C:_1:::9---';;:~
.c.x. 33,11-23 I~
Job l, 1-12 Job l, 13-22 Job 2,1-10 Job 23,1-23 Job 42,12-16 tTI
Z
Mat. 26,6-16 42,4-5 Is. 52,13 - 54,1 >-l
Mat. 24,3-35 Mat. 24,36 ~ 26,2 Isaïe 50,4-11 1 Cor. 1,18 - 2,2 L d
VEPRES 1 Cor. Il ,23-32 E '1 . a gran e
vangl e compOSl- Vigile "CltTI
et Mat. 26,1-20 te de la Passon: p 1 ** tTI
LITURGIE Jean 13,3-17 Mat. 27,1-38 ascae
Mat. 26,21-39 Luc 23,39-43 ~
0
Luc 22,4345 Mat. 27,39-54 Z
Mat. 26. 40 - 27,2 Jean 19,31-37 !il
Mat 27,5-61
Jean 13,31 - 18,1; Jean 18,1-28; Mat. 26,57-75; Jean 18,28 - 19,16; Mat. 27,3-32; Marc 15,16-32; Mat. 27,32-54; Luc 23,32-49; Jean
19,25-37; Marc 15,43-47; Jean 19,38-42; Mat. 27,62-66.
** Gen. 1,1-13; Is. 60,1-16; Ex. 12,1-11; Jonas 2,1-11; Jos. 5,10-15; Ex. 13,20 - 14.32 (15,1~19); Sapho 3,8-13; 3 Royaumes 27,8-23; Is.
61,10-11: 62,1-5: Gen. 22,1-8: Is. 61,1-9: 4 Royaumes 4,8-37: Is. 63,11 - 64,5: Jérém. 31,31-34: Dan. 3,1-56 (57-88). A l'Epîtrc: Rom 6,3-11 ,_
A l'Evangile: Mat. 28,1-20. 8
108 ALEXIS KNIAZEPF

conflit entre le Royaume de Dieu et la mentalité de ce monde,


qui apparaît au grand jour par le fait de l'onction à Béthanie,
qui passe par la trahison de Judas (Mat. 26, 6-16) et s'achève
sur le Golgotha.
Or, sur le plan religieux, crise signifie jugement. Cela semble
apparaître déjà de l'étymologie grecque du mot. Cela est claire-
ment attesté par l'Ecriture Sainte, selon laquelle toutes les
crises, qui ont marqué l'histoire du salut, ont été des jugements
de Dieu de même que tous les jugements de Dieu se sont traduits
sur le plan humain par des crises. Dans la Bible, en effet, une crise
se présente comme une situation éprouvante, qui n'a pas d'issue
humaine, mais que Dieu utilise pour la réalisation de son dessein
et que Dieu suscite parfois lui-même pour signifier une condam-
nation et, aussi, un appel à un acte de foi. Si l'appel est entendu,
s'il reçoit une réponse positive, il n'y a pas condamnation mais,
au contraire, il y a une délivrance, laquelle, au surplus, ouvre
l'accès à un nouvel état religieux, ou une nouvelle situation
religieuse, caractérisés par une connaissance de Dieu plus parfaite
et par une bénédiction de sa part plus grande encore.
Ceci étant, on est donc amené à se demander si le rappro-
chement fait dans le lectionnaire byzantin de la Semaine Sainte
entre les crises auxquelles se réfèrent les prologues d'Ex., d'Ez.
et de Job avec œlle qui s'est dessinée dès le lendemain de l'entrée
de Jésus à Jérusalem s'explique non pas par une simple analogie
de situations extérieures, mais par le fait que la Passion du
Christ est présentée par le Fils de Dieu lui-même comme un
jugement de Dieu. Parlant de la mort de Jésus sur la croix et de
ses conséquences, - et ce passage forme précisément le début
de l'évangile du Grand Mercredi aux matines, - Jean rapporte,
en effet, ces paroles du Christ: "C'est maintenant le jugement de
ce monde, maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors,
et moi, élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi" (Jean
12,31-32). Et si le thème de la Passion considérée comme juge-
ment de ce monde et de son prince peut expliquer quelque peu
la composition de notre lectionnaire, nous pouvons aussi nous
demander si les autres textes qu'il comprend permettent eux
aussi d'y trouver esquissée une doctrine du jugement de Dieu.
La question posée est d'in1portance, tout au moins pour la
théologie orthodoxe. Cette dernière, en effet, a envisagé la
Rédemption sous bien des angles. On s'est demandé dans le passé
PASSION DU CHRIST ET JUGEMENT DE CE MONDE 109

si le sacrifice du Christ n'était pas offert au diable. Les auteurs


des manuels scolaires du siècle dernier ont adhéré aux vues de
saint Anselme de Canterbury. Mgr Antoine Khrapovitsky, au
début du siècle présent, a mis en avant la théorie de l'amour
compatissant du Christ et a vu le moment fort de la Rédemption
non dans l'élévation du Christ sur la croix, mais dans sa prière
solitaire dans le jardin de Géthsémani '. Le P. Serge Boulgakov
et d'autres sont revenus aux Pères et à la liturgie et ont présenté
la Rédemption comme la restauration de l'homme dans l'état
qui était le sien avant la chute. Mais, à notre connaissance, nul
n'a développé le thème de la Passion du Christ et de la Rédemption
considérées comme jugement du monde et du prince de ce monde.
Il est à remarquer que le système de lectures adopté par la
liturgie byzantine pour la Semaine Sainte diverge sur bien des
points, par la manière dans laquelle il se présente, des systèmes
de lecture des autres moments de l'année liturgique. Il a fait
appel à des textes à la fois nombreux et variés. Les sections évan-
géliques y sont beaucoup plus longues que de coutume. Il a admis
de nombreuses répétitions. Il a fait un très large appel à l'Ancien
Testament. Pour en revenir aux leçons de l'Evangile, notons
que les Saintes Souffrances en comportent douze. Pour ce qui
est de l'Evangile de la liturgie de saint Basile célébrée le Grand
Jeudi après les vêpres et de celui des vêpres du Grand Vendredi "
on doit remarquer que ce sont de très longues lectures composi-
tes: leur trame est représentée par le récit pris dans Matthieu,
dans lequel ont été introduits, pour le compléter, des textes pris
dans d'autres Evangiles. Tout cela dénote un évident désir de
l'Eglise de retenir et de communiquer au peuple en prière le
maximum du témoignage que la Tradition a gardé à propos de
la Passion du Christ. Bien plus, ce lectionnaire semble être fondé
sur un choix théologique de textes, choix fait délibéremment et
de longue date. On sait que les leçons tirées de l'Ancien Testa-
ment n'ont commencé à figurer dans les manuscrits du Triodion
qu'à partir du XII' siècle. Pourtant, chose curieuse, le système
de lectures adopté par les recueils particuliers qui contenaient

6 Voir le t. II des Oeuvres complètes de l'Archevêque Antoine KHRAPOVITSKY,

publiées à Kazan en 1903, ainsi que son Catéchisme, publié dans l'émigration et,
aussitôt, retiré de la vente, précisément à cause de cette théorie, qui réduit
la mort du Christ sur la croix à ce qui ne serait qu'une mort pour une idée.
l La composition des leçons évangéliques des Grands Jeudi et Vendredi est

donnée dans le tableau ci-dessus. On reviendra sur la signification pOSSible de


ces deux compositions au cours de la présente étude.
110 ALEXIS KNIAZEFF

ces leçons, ne diffère guère du système adopté par les manuscrits


du Triodion du Xlr siècle, lequel, à son tour, est identique, à
peu de choses près, au système de lectures actuel '.
Dans l'exposé qui va suivre nous laisserons de côté les lectu-
res du Saint et Grand Samedi, en nous tenant uniquement à ceux
des cinq jours qui le précèdent. En effet, ce Samedi appartient
déjà pleinement au temps de la Résurrection du Christ. Ses
matines possèdent tout d'aspect d'un office de la Résurrection '.
Ses vêpres représentent l'ancienne vigile pascale. Par contre, les
vêpres du Grand Vendredi ont tous les éléments qui en font un
aboutissement du cycle pascal Passion-Résurrection: d'après leur
degré de festivité, ce sont des grandes vêpres W et leurs stichères
aux apostiches, qu'accompagne le chant des versets du psaume
92 propres aux offices de la Résurrection, qui font déjà retentir
la louange du Christ vainqueur de l'Enfer et auteur du salut ".
Dans ce qui suivra, nous examinerons d'abord les lectures
des trois premiers jours de la Sainte et Grande Semaine, puis
celles du Grand Jeudi et, pour finir, celles du Grand Vendredi.

II

En ce qui concerne les lectures bibliques des trois premiers


jours, le thème du jugement y apparaît formulé non seulement
dans J'Evangile des matines du Mercredi, mais aussi dans d'autres
leçons évangéliques. En effet, dans l'Evangile des matines du
Lundi il est question de la condamnation du figuier stérile" et
des vignerons homicides (Mat. 21, 1843). L'Evangile des matines

3 Voir 1. KARABINOV, Postnaïa Triod', op. cit., p. 62. Cet auteur estime que le
système des lectures bibliques adopté pour la Semaine Sainte byzantine a été
définitivement élaboré du V e au VIlle siècle. En outre, il indique des cas où
le choix de lectures pour le temps de la Sainte Quarantaine a été le fait d'un
choix théologique ct d'une idée directrice très précise (Voir: A. KNIAZEFF, La
lecture de l'A.T. et du N.T., op. cit., pp. 234-247).
9 Voir la traduction française de cet office dans E. MERCENNIER, La Prière des
Eglises de rite bYzantin, II. iL Ed. Chevetogne, 1948, pp. 218-254.
10 Cet office possède, en effet, toutes les caractéristiques d'un très haut degré

de festivité: l'entrée, les lectures et la litanie de demande placée après et non


avant celle de la prière instante (Voir: E. MERCENNIER, op. cil., n, i, 1962, pp.
69 et ss.).
Il Voir traduction dans MERCENXIER, op. cil., n, ii, pp. 210-216.
I~ Ce thème est exprimé dans l'hymnographic de l'office, notamment dans le
stichèrc à «Maintenant et toujours» des laudes. L'hymnographie du jour suivant
reprend et développe les thèmes de la parabole des talents et du Jugement
dernier.
PASSION DU CHRIST ET JüGEMENT DE CE MONDE 111

du Mardi renferme les sept malédictions de Jésus aux scribes


et aux Pharisiens, l'annonce des châtiments prochains et l'apo-
strophe à Jérusalem (Mat. 23,13 à 39). Les Evangiles des vêpre»
du Lundi et du Mardi (Mat. 24,3-35 et Mat. 24,36 à 26,2) ont pour
contenu le grand discours eschatologique que Jésus, à la veille
de sa Passion, prononça devant ses disciples sur le mont des
Oliviers, discours qui, précisément chez Matthieu, se ternline par
les paraboles des dix vierges et des talents, ansi que par les
paroles dans lesquelles Jésus présente son second avènement
comme le Jugement dernier. Or, dans tous ces cas le principal
accent est mis sur le jugement eschatologique. Les lectures de
l'Ancien Testament, quant à elles, viennent rappeler à l'Eglise
des faits qui ont trait à des crises, par lesquelles se réalisera un
jugement. Ces crises conduisent à des epreuves, lesquelles se
résolvent dans la manifestation éclatante de la justice de Dieu.
Quant à cette justice, elle traduit l'ordre des choses que Dieu
entend établir dans le monde et qu'il garantit par sa sanction,
car cet ordre répond à ce qu'il est lui-même.
Ainsi, dans Ex. 1 - 3 les tribus d'Israël, pour lesquelles le
temps est venu de se rendre dans la Terre Promise, se voient op-
pressées par le Pharaon pour qui Joseph était inconnu (Ex. 1,8).
Mais cette crise a abouti au miracle de la Mer Rouge, par lequel
le Dieu des Pères, dont le nom signifie Celui qui est (Ex. 3,13-15),
s'est couvert de gloire, Iniracle qui aussi détermina la naissance
spirituelle d'Israël comme peuple de Dieu (Ex. 15 et 14, 30-31).
Dans Ez. 1 - 3 le peuple de Dieu est soumis à l'épreuve de l'exil,
mais cette épreuve sera pour lui une rénovation spirituelle et le
conduira à une délivrance que les prophètes représentent comme
un nouvel Exode accompagné de nouveaux prodiges (Is. 41,17-20).
Enfin, dans Job 1 - 2 des malheurs s'abattent sur Job, dont la
fidélité à Dieu a été présentée par Satan comme intéressée, mais
Job, mal jugé par ses amis, fera preuve au milieu de ces malheurs
d'un acte de foi tel (Job 19,2-29), que Dieu lui répondra par une
théophanie (ibid., chap. 38 à 41).
Ces trois prologues, de plus, ont ceci de remarquable qu'ils
font également apparaître, conln1e en filigrane, ceux qui peuvent
être considérés comme les trois protagonistes du drame que
Jésus annonce dans Jean 12, 31-32. Ce sont: «ce monde », le
prince de ce monde et Celui à qui le Père a remis le jugement,
autrement dit le Fils de Dieu (Jean 5,22-23.27). On peut, en
112 ALEXIS KNIAZEFF

effet, estimer que dans les trois cas (c ce lllonde » est représenté
par la situation de souffrance que chacun des trois prologues
retrace, car, il ne faut pas l'oublier, la souffrance, depuis la
chute, est devenue l'état habituel, on pourrait même dire quasi-
normal, de ce monde déchu (Gen. 3,16 ss.). Pour ce qui est du
prince de ce monde, dans le récit de l'Exode il est figuré par le
Pharaon, qui agit en ennemi de Dieu, car il ne veut pas qu'Israël
soit un peuple nombreux (Ex. l, 9 ss.) et, ainsi, s'oppose à la
réalisation de la promesse faite par Dieu aux Patriarches. C'est
pour cela que la tradition liturgique et patristique de l'Eglise
considère le pharaon comme une figure du diable. Dans Ez. 1 - 2
le prince de ce monde est représenté par les péchés d'Israël,
dont il est question dans le chap. 2 et dans la suite du livre du
prophète. Quant au prologue de Job, le prince de ce monde ap-
paraît en personne, car on y voit Satan calomnier Job devant
Dieu, tout comme il a calonmié Dieu devant le premier couple
(Gen. 3, 1-6).
Le Fils de Dieu, le Messie, lui, apparaît dans les récits du
prologue de l'Exode préfiguré par Moïse. Moïse, en effet, doit
d'abord rappeler au peuple asservi que Dieu a promis une terre
à Abraham, Isaac et Jacob et à leur descendance (Ex. 3,5-12).
Il doit aussi lui transmettre l'ordre divin de marcher vers cette
terre, tout comme plus tard le Christ devra annoncer la venue du
Royaume de Dieu. Moïse devra également libérer le peuple par
le miracle de la mer, tout comme le Christ libérera le peuple de
la Nouvelle Alliance par sa Résurrection et par le baptême, ce
qui permettra de parler de la nouvelle Pâque et autorisera saint
Paul de dire que les croyants ont été baptisés en Christ, tout
comme autrefois les enfants d'Israël ont été baptisés en Moïse
(1 Cor. 10,1-6; cf. Rom. 6,1-11). Mais le Fils de Dieu apparaît aussi,
toujours en filigrane, dans les récits d'Ezéch. 1 - 2. Il y est pré-
figuré, d'abord, par la Présence divine qui a suivi le peuple en exil
et qui s'y manifeste dans la vision symbolique du char de la
gloire de Dieu (Ez. I). Il en est ainsi, parce que le Christ est le
Fils de Dieu dans le sens fort du terme, donc cette Présence elle-
même, et parce qu'il continue à l'être même aux moments les
plus douloureux dans sa Passion. Toujours dans Ez. 1 - 2 le
Christ peut être considéré comme étant aussi préfiguré dans
la personne du prophète, car il est le Prophète par excellence
(Deut. 18, 15 sS.; cf. Actes 3,22-23 et 7,37; Jean 1, 21 et ss.). Ezé-
PASSION DU CHRIST ET JUGEMENT DE CE MONDE 113

chiel, par son action parmi les exilés, doit faire en sorte que le
volume, sur lequel sont inscrits les péchés des fils d'Israël, soit
dans sa bouche doux comme du miel (Ez. 2,2-3) et que l'Esprit
de Dieu puisse venir rénover les cœurs de l'engeance rebelle. De
même, le Christ, par sa prédication, par sa Passion, par l'Esprit
Saint doit de l'homme tout entier faire une nouvelle créature.
Mais comment le Fils de Dieu figure-t-il dans le prologue de Job?
Celte question, en effet se pose, car le Libérateur, le goël
ou le Défenseur de Job n'apparaît à ce dernier que dans la foi
(Job 19,25 ss.). Pourtant, le Christ possède dans le livre de
Job une préfiguration qui n'est autre que Job lui-même. Tout
souffrant, en effet, est une figure du Christ. De plus, dans ce
livre, c'est Job qui apparaît comme le seul témoin de Dieu.
Abandonné de tous, et même de Dieu, par sa fidélité dans la souf-
france solitaire il proclamera que Dieu est juste et, ainsi, il con-
damnera le Calomniateur et donnera tort à ses amis, lesquels, au
lieu d'essayer de considérer Dieu tel qu'il est, se sont contentés
de bien parler de lui. Job, dans sa souffrance, est donc bien
une préfiguration du Souffrant qui, dans l'Apocalypse, est pré-
senté comme l'Amen, le Témoin fidèle et vrai (Apoc. 3,14). Le cas
de Job nous montre, en conséquence, que, pour que ce monde
soit définitivement jngé et que le prince de ce monde puisse être
définitivement jeté dehors, Celui à qui le jugement appartient
doit souffrir lui-même. Le prologue de la Passion du Christ doit
donc nécessairement se présenter comme une crise.
Quant à l'analyse que nous venons de faire de la totalité des
lectures bibliques des trois premiers jours de la Semaine Sainte
dans l'Eglise byzantine, elle nous révèle:
1) que la Passion du Christ est préfigurée d'une façon ou
d'une autre dans toutes les crises-jugements de l'Ancienne Al-
liance;
2) que dans la Passion du Christ, comme dans toutes les crises
qui l'ont précédée, Dieu s'est servi, pour libérer l'homme et le
monde du prince de ce monde, de ce même mal auquel les a
soumis le prince de ce monde, c'est il dire de la souffrance et de
la mort;
3) que la Passion du Christ est effectivement un jugement
de Dieu, du moment qu'elle conduit il rendre au monde et à
l'homme le don initial, injustement ravi, du Créateur: l'inno-
cence, la justice, l'immortalité et l'incorruptibilité.
114 ALEXIS KNIAZEFF

Retrouvera-t-on les mêmes conclusions, avec d'autres idées,


après l'analyse des lectures des jours suivants?

III

Le Jeudi Saint est le jour que la Tradition de l'Eglise


considère comme celui de la célébration par le Christ de la sainte
Cène. Là est, sûrement, l'explication du choix des textes néotesta-
mentaires dont la lecture est prescrite pour ce jour par le
lectionnaire byzantin. En effet, l'Evangile des matines, Luc 22,1-39,
contient le récit des préparatifs par les apôtres du repas pascal,
de ce repas lui-même et de l'institution de l'Eucharistie ainsi
que des propos tenus par Jésus pendant et après le repas:
annonce de la trahison de Judas, réponse à la question: «qui
est le plus prand ", annonce du retour et du reniement de Pierre,
annonce de la venue de l'heure du dernier combat (vv. 21 à 39).
A l'Epître, à la liturgie, on lit 1 Cor. J 1,23-32, où saint Paul
raconte le Repas du Seigneur, l'institution de l'Eucharistie, en
montrant sa signification et son importance dans la vie chrélienne.
L'Evangile de la liturgie de saint Basile, qui est célébrée ce jour,
se rapporte aussi à la Cène, mais raconte également les faits qui
l'ont précédée et qui l'ont suivie. C'est, comme on l'a noté, un
Evangile composite, dont la trame est constituée par Mat. 26,1
à 27,2, passage dans lequel ont été introduits des textes em-
pruntés à d'autres évangélistes. L'ensemble, ainsi réalisé, se
présente de la façon suivante:
1) Mat. 26,1-20: formation du complot contre Jésus. l'onction à Béthanie
et trahison de Judas, préparatifs du repas pascal et la venue de l'heure
de la Cène;
2) Jean 13,3-17: le lavement des pieds;
3) Mat. 26,21-39: annonce de la trahison de Judas. institution de
l'Eucharistie, prédiction du reniement de Pierre, Ja prière dans le jardin
de Gethsémani;
4) Luc 22,42-45: détail sur l'agonie de Gethsémani: (( alon. lui apparut,
venant du ciel, un ange qui le réconfortait; en proie à la détresse, il
priait de façon plus instante, et sa sueur devint comme de grosses gouttes
de sang qui tombaient à terre»;
5) Mat. 26,40 - 27,2: fin du récit de l'agonie de Gethsémani, l'arresta-
tion de Jésus, Jésus devant la Sanhédrin et sa condamnation à mort,
reniement de Pierre, Jésus conduit devant Pilate.
PASSION DU CHRlST ET JUGEMENT DE CE MONDE 115

Donc, tout en racontant le dernier repas et l'institution de


l'Eucharistie, l'Evangile de la liturgie du Grand Jeudi cherche
à raconter aussi, avec le plus de détails possible, l'agonie solitaire
de Jésus à Gethsémani. Mais également il reprend le début
même du drame, raconté déjà dans l'Evangile du Grand Mer-
credi aux vêpres, et se termine par la décision du Sanhédrin
de conduire Jésus devant Pilate, pour que soit confirmée la
sentence de mort que le haut tribunal juif a prononcé contre
lui. Nous nous demanderons plus loin si dans le lectionnaire,
cette façon de procéder répond à une préoccupation théologique.
Parmi les leçons d'Ancien Testament, on trouve, le Grand
Jeudi, d'abord deux lectures de Prophètes: 1) à Prime, Jér 11,18 -
12,15, où le prophète d'Anatot se plaint des persécutions, dont
il est l'objet de la part des gens de son village, où il se plaint
également du bonheur des méchants et où il annonce, enfin,
le jugement et le salut des peuples voisins; 2) aux vêpres, Is. 50,4-
11, c'est à dire le troisième chant du Serviteur souffrant, où ce
dernier parle, décrit ses souffrances et fait état de sa confiance
en son Dieu, qui viendra l'acquitter (v. 8). Nous remarquerons
que ce chant, qui se termine par une exhortation à suivre le
Serviteur, dit que ce dernier doit ètre jugé et subir un procès.
Mais, très sûrement, ces deux leçons vétérotestamentaires se
trouvent aussi parmi les lectures du jour pour affirmer que,
selon le plan de Dieu, le Messie doit passer par l'épreuve de la
souffrance. Jérémie persécuté est, en effet, une préfiguration
du Christ souffrant, tandis que les chants du Serviteur sont
considérés par l'Eglise chrétienne comme des prophéties se rap-
portant directement à la Passion du Christ.
Mais les vêpres du Grand Jeudi comportent également deux
autres lectures vétérotestamentaires: Ex. 19,10-19 et Job 23,1-23;
42,4-5. Le premier texte décrit la manifestation de Dieu sur le
mont Sinaï dans le cadre d'un orage et d'un tremblement de
terre. Il insiste sur l'aspect terrifiant de la théophanie, sur la
majesté de Dieu, sur sa transcendance, son inaccessibilité à la
créature. On explique généralement le choix de ce texte pour la
liturgie du Jeudi Saint par le désir de bien mettre en évidence
la kénose du Christ, laquelle se manifeste ce jour d'une façon
particulièrement éclatante: le Dieu, si inaccessible lors de la
théophanie du Sinaï, s'humilie volontairement et devient plus
qu'accessible à l'homme dans J'Eucharistie et dans la Passion.
116 ALEXIS KNIAZEFF

Cette idée, sûrement, doit être retenue pour la compréhension


du choix des lectures du Grand Jeudi. Mais Ex. 19 met également
en avant un autre motif pour lequel les fils d'Israël ne doivent
pas s'approcher de la sainte montagne: c'est celui de leur état
d'impureté. Dieu est inaccessible à l'homme par sa nature non
seulement parce que l'homme est créature, mais aussi parce que
l'homme est impur devant la sainteté de Dieu. Evidemment,
dans Ex. 19 il s'agit avant tout d'impureté rituelle, mais l'Eglise
sait que l'expérience des prophètes, notamment celle d'Isaïe au
moment de sa vision dans le temple (ls. 6), a révélé un aspect
beaucoup plus profond de l'impureté de l'homme devant Dieu:
celui qui relève du péché.
Nous sommes ainsi amenés à parler de la lecture aux vêpres
du Grand Jeudi du passage du livre de Job. Le passage choisi
pour ce jour comprend d'abord un discours de Yahveh dans
lequel Dieu étale devant Job les merveilles de la création et de la
toute-puissance divine, après quoi vient le récit de l'humble sou-
mission de Job devant la théophanie et la grande et terrible
leçon qu'il vient de recevoir de Dieu. Job comprend qu'il ne
peut pas avoir de réponse de Dieu sur le problème de sa souf-
france: il ne peut que se courber devant les mystères de la Sa-
gesse divine, qui dépassent infiniment sa capacité de comprendre.
La Sagesse divine est transcendante, comme Dieu lui-même, et
se confond, dans ses sources, avec la toute-puissance de Dieu.
D'où la soumission de Job. Mais cette soummission nous permet
de voir que Dieu, en se manifestant et sans lui donner de réponse
à la réponse qu'il posait, a fait aussi sentir à Job ce qu'il y a
de positif dans sa toute-puissance et sa Sagesse. En se soumet-
tant, Job a compris que la Sagesse et la toute-puissance de Dieu
sont aussi bonté. Le Christ à Gethsémani a dû se soumettre de
la même façon devant la volonté du Père qui lui proposait de
boire le calice de la souffrance rédemptrice, laquelle apportera
le salut aux hommes et au monde. La leçon de Job vient donc
éclairer l'agonie de Jésus sur le Mont des Oliviers, racontée
avec tant de détail dans l'Evangile qui sera lu ce jour à la liturgie
eucharistique.
Mais la soumission de Job peut, à son tour, recevoir une
lumière nouvelle de la lecture du chap. 19 de l'Exode. Cette
lecture biblique rappelle, en effet, aux fidèles que l'homme non
sanctifié par Dieu lui-même demeure impur devant Dieu. Il lui
PASSION DU CHRIST ET JUGEMENT DE CE MONDE 117

faut acquérir une pureté non seulement rituelle, voir même mo-
rale, mais une pureté de tout son être, autrement dit une pureté
ontologique. Ainsi se trouve rejoint dans le lectionnaire byzantin
du Jeudi Saint le thème du péché du couple ancestral et de ses
conséquences (Gen. 3). Devant la majesté divine, Job a bien
abandonné sa fierté d'homme, il s'est humblement prosterné
dans la poussière et la cendre. Mais il a également cessé de se
prévaloir de cette justice, dont il avait fait état dans ses discus-
sions avec ses amis et qu'il croyait alors posséder, parce qu'il
ne se connaissait pas de péché. Or, la justice de l'homme n'est
rien à côté de la justice de Dieu, ou, plutôt, l'homme, même s'il
ne se connaît pas de faute, ne peut pas prétendre à la justice,
puisqu'il naît pécheur. Nous voyons ainsi que Job, en se soumet-
tant, a apporté à Dieu le plus grand des sacrifices: ayant déjà
renoncé à ses biens, à sa postérité et à sa santé il a, pour triom-
pher de ses amis, voulu se réfugier dans le mystère et maintenant
il prend l'humble attitude de pénitent. La manifestation divine
lui a donc appris que la justice, à laquelle il croyait pouvoir
prétendre, n'est pas la vraie justice. Celle-ci n'appartient qu'à
Dieu et ne peut être conférée que par Dieu ".
Ainsi éclairée, la leçon de Job, considérée dans le contexte
des autres lectures bibliques du Grand Jeudi, vient introduire
dans tout l'office de ce jour le grand thème théologique des
conséquences de la faute originelle pour ce qui est de l'état de
justice inhérant à l'homme. Cela permet à la liturgie du Grand
Jeudi de mettre en relief tout ce que comporte, dans les voies
de la justification de l'homme, l'acceptation donnée par Jésus
Christ à la volonté de son Père, telle que cette acceptation ap-
paraît à travers les événements commémorés ce jour par l'Eglise.
Elle nous rappelle tout d'abord que la Passion du Christ est bien
un jugement, puisque le Christ souffre pour que soit rendue à
l'homme une justice qu'il n'a plus et, même, qu'il n'a pas. Elle
nous montre que pour que justice soit donnée à l'homme, le
Fils de Dieu, lui aussi, tout comme Job, devait renoncer à se
prévaloir de la justice que, pourtant, il possédait, car il était
seul sans péché. Lors de sa prière à Gethsémani Jésus a donc
accepté de souffrir et de mourir sur la croix et, pour cela, il

D Nous reprenons ici les idées que nous avons exposées dans notre étude:
La Théodicée de J.:)b dans les offices byzantins de la Semaine Sainte, «Theolo-
gia» XXVI, Athènes, p. 107 55.
118 ALEXIS KNIAZEFF

s'est chargé du péché du monde. Pour conférer à l'homme déchu


la justice, Jésus a dù, non en apparence mais réellement, prendre
sur lui le péché de l'homme et réellement paraître en coupable
non seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes.
Il en résulte que, pour juger « ce monde» et condamner le
prince de ce monde, Jésus, dans son épreuve, devait être néces-
sairement jugé et condamné par la justice des hommes de ce
monde. Et, comme il était le vrai Fils de Dieu, il devait nécessai-
rement être condamné comme blasphémateur. C'est pour montrer
tout cela que l'Evangile de la liturgie ne s'arrête pas à la prière
de Gethsémani, mais raconte la suite: l'arrestation, la condamna-
tion par le Sanhédrin, la décision de faire condamner Jésus
par Pilate. Tous ces faits sont racontés par l'Evangile avec la
Cène, car l'institution de la Cène signifie aussi l'acceptation de
tout ce qui va la suivre, puisque en effet, l'institution de l'Eucha-
ristie est déjà don du Corps et du Sang du Christ pour le salut
des hommes. On peut, de même, considérer que tous les événe-
ments qui précèdent la Cène et que raconte l'Evangile de la
liturgie du Grand Jeudi révèlent eux aussi cette volonté mani-
festée par le Christ de boire jusqu'au fond le calice que lui tend
le Père. Si, notamment, Jésus a accepté l'onction de Béthanie,
c'est bien parce que, comme il l'a dit lui même, c'était une
préparation de son ensevelissement (Mat. 26,12).
Donc, tout le lectionnaire du Grand Jeudi, pris dans son
ensemble, montre avec évidence que tous les événements de
ce jour, évoqués par l'Eglise dans sa prière, traduisent l'accepta-
tion qui a été donnée par le Messie de souffrir pour le monde,
en subissant aussi un jugement de condamnation et la mort,
lui le vrai Fils de Dieu, le seul Juste et le seul Immortel. Que
vont alors apprendre aux fidèles les lectures bibliques du Grand
Vendredi, jour des souffrances volontaires et de la mort du
Christ?

IV

Dans l'Eglise byzantine l'office du Grand Vendredi a une


physionomie unique. Toute cette journée s'y passe dans la prière.
Ce jour l'Eglise est manifestement préoccupée de ne pas perdre
une seule circonstance de la Passion du divin Rédempteur. Elle
PASSION DU CHRIST ET JUGEMENT DE CE MONDE 119

le suit heure par heure, pas à pas, depuis le Cénacle, où il prit


avec les Apôtres le dernier repas pascal, au cours duquel il institua
l'Eucharistie, jusqu'au Calvaire et au sépulcre. Aussi, tous les
offices de cette journée exceptionnelle sont-ils marqués d'un
grand nombre de lectures scripturaires. Comme le Grand Ven-
dredi l'Eglise byzantine ne célèbre pas la liturgie eucharistique
(sauf s'il y a incidence de l'Annonciation), on peut dire que
tout l'ensemble des offices du Grand et Saint Vendredi se
présente comme une immense liturgie de la Parole.
Cet ensemble commence par un service de matines que l'on
nomme « Acolouthie des Saintes et Rédemptrices Souffrances de
Notre Seigneur Jésus Christ ». La principale caractéristique de
ce service est qu'on y lit les Douze Evangiles de la Passion du
Christ. Ce service n'est que la transformation, reçue à Byzance,
d'une longue fonction qui, au IV' siècle, se déroulait à travers
Jérusalem, aux lieux et endroits où le Christ avait passé et souf-
fert en cette nuit du Vendredi après la Pâque juive. A chacune
des stations on lisait les passages de l'Evangile racontant les
événements qui s'y étaient passés et, ensuite, le chœur com-
mentait ces lectures par le chant de cantiques appropriés.
Aujourd'hui ces Evangiles se trouvent donc distribués dans le
cadre ordinaire d'un orthros de jours non festifs. Ces douze
sections évangéliques sont les suivantes:
1) Jean 13,31 à 18,1: le dernier entretien après la Cène et prière
sacerdotale de Jésus.
2) Jean 18,2-28: arrestation de Jésus; Jésus chez Anne, lequel l'envoie
chez Caïphe; reniement de Pierre.
3) Mat. 26,57-75: Jésus jugé chez Caïphe; sa condamnation à mort
pour blasphème et reniement de Pierre.
4) Jean 18,23 - 19,16: Jésus jugé par Pilate, à qui on arrache sa
condamnation à mort.
5) Mat. chap. 27: mort de Judas; Jésus devant Pilate et le début
de sa marche au Calvaire.
6) Marc 15,16-32: apres sa condamnation à mort Jésus est raillé et
outragé par les soldats; crucifixion de Jésus, raillé et outragé à nouveau.
7) Mat. 27,33-54: crucifixion de Jésus, outrages, mort de Jésus, le
voile du Temple qui se déchire, la résurrection des saints, la confession
du centurion.
8) Luc 23,39-49: la confession du bon larron et mort de Jésus.
9) Jean 19,25-37: Jésus et sa Mère; le cri: « Tout est accompli » et
mort de Jésus; le coup de lance ct reconnaissance en Jésus crucifié
120 ALEXIS KNIAZEFF

de l'Agneau et du Transpercé annoncés par les Ecritures (Ex. 12,46 et


Zach. 12,10).
10) Marc 15,4347: Joseph d'Arimathie demande et obtient la restitu-
tion du corps de Jésus; la mise au tombeau.
II) Jean 19,3842: mise au tombeau de Jésus par Joseph et Nicodème.
12) Mat. 27,62·66: le tombeau scellé.

Cet office des Saintes Souffrances se prolonge tard dans la


nuit. Pourtant, dès le lendemain, l'Eglise à nouveau convoque les
fidèles pour la continuation de cette liturgie de la Parole qu'est
toute la journée du Grand Vendredi. L'office que l'on célèbre
dans la matinée de ce jour s'appelle les Heures Royales. Il est
d'origine constantinopolitaine. Il s'agit d'une suite composée de
Prime, de Tierce, de Sexte et de None suivies immédiatement
des Typiques, le tout étant célébré de façon à ne former qu'une
seule fonction. Le nom d'Heures Royales, qui lui est donné,
provient du fait qu'à cet office assistait l'Empereur entouré
de toute la Cour. Dans chacune de ces heures deux des trois
psaumes habituels sont remplacés par des psaumes de souf·
france 14. En plus de cela, chacune des Heures Royales possède
trois lectures: une prophétie, une Epître et un Evangile. Voici
les sections utilisées ainsi que leur contenu:
A Prime: Zach. 11,10-13: la prophétie des trente deniers.
Gal. 6,14-18: la croix du Christ fait de l'homme une nouvelle
créature et le croyant est appelé à mourir par cette croix au
monde des péchés.
Mat. 27,1-56: le récit de la Passion du Christ selon Matthieu.
A Tierce: Is. 50,4-11: le troisième chant du Serviteur (déjà lu aux
vêpres du Grand Jeudi).
Rom. 5,6-11: l'homme séparé de Dieu par le péché est justifié
et réconcilié avec lui par le sang de Jésus Christ.
Marc 15,1641: le récit de la Passion selon Marc.
A Sexte: Is. 52,13 - 54,1: le quatrième chant du Serviteur (qui sera de
nouveau entendu aux vêpres).
Héb. 2,11-18: la Rédemption n'est pas le fait des anges mais du
Fils de Dieu, vrai Grand-Prêtre.
Luc 23,3249: la Passion selon saint Luc (le 8~ Evangile de la
Passion).

J~ Ainsi, à Prime la psalmodie comprend les pss. 5, 2, 21(22); à Tierce 34(35),


108(109), 50(51): à Sexte 53(54), 139(140). 90(91): a None les pss. 68(69), 69(70),
85(86).
PASSION DU CHRIST ET JUGEMENT DE CE MONDE 121

A None: Jér. 11 - 12: les souffrances de Jérémie (cet Evangile a été lu


le Grand Jeudi à prime).
Héb. 10,10-31: tous ont reçu accès au sanctuaire, c'est à dire
auprès de Dieu.
Jean 18,28 - 19,37: le récit de la Passion selon saint Jean.

Comme on peut le voir d'après ce tableau, le système des


lectures de ces Heures dites Royales est une récapitulation par
évangélistes des événements du Vendredi saint et un commentaire
théologique de ces événements. Il tend à montrer que parce qu'ils
sont la révélation du dessein de Dieu, ces événements ont été
sous l'Ancienne Alliance préfigurés dans l'histoire d'Israël ou
annoncés par les prophètes. Il met aussi en évidence les divers
aspects du salut qu'apporte aux hommes le mystère de la mort
du Christ sur la croix.
La liturgie du Grand Vendredi trouve son couronnement
dans l'office des vêpres. Elles sont célébrées dans l'après-midi,
vers la neuvième heure, au moment même de la journée où
Jésus expirait sur sa croix. Elles s'achèvent par la translation
et l'exposition du Saint-Suaire. Au milieu de l'office l'Eglise,
une dernière fois, lit le récit de la condamnation, de la mort
et de la sépulture du Christ. Elle fait précéder ce récit évangélique
de trois lectures vétérotestamentaires et d'une Epître.
La première leçon vétérotestamentaire est Exode 33,11-23. Il
s'agit là d'un épisode que ce livre place après le pardon accordé,
sur la prière de Moïse, à Israël coupable d'avoir adoré le Veau
d'or. Moïse demande à Dieu: (c Daigne me révéler tes voies
(ou ta nature), pour que je te comprenne, afin de jouir de ta
faveur» (v. 13). A cela Dieu répond: «J'irai moi-même et je te
donnerai le repos» (c'est à dire la possession de la Terre pro-
mise). Puis Dieu « manifeste sa gloire» en passant devant Moïse
abrité dans le creux d'un rocher. Dans le contexte du Grand
Vendredi, les idées à retenir de ce texte sont: le pardon divin,
le repos, qui préfigure le don du Royaume à venir et, aussi, la
conduite du peuple par Dieu et la manifestation de la gloire.
La conduite d'Israël par Dieu préfigure la présence du Christ
ressuscité dans l'Eglise, le nouveau peuple de Dieu, né sur le
Golgotha. Quant à la manifestation de la gloire, elle doit rap-
peler aux chrétiens que, selon les paroles du Christ dans Jean
13,31, début du premier Evangile de la Passion, l'heure de ses
souffrances et de sa mort est l'heure de la manifestation de la
122 ALEXIS KNIAZEFF

gloire de Dieu et de sa propre gloire. Cette lecture vient donc


proclamer dans le contexte de ces vêpres que la croix du Christ
est une croix glorieuse.
La seconde lecture d'Ancien Testament est la finale du livre
de Job. Elle aussi peut être comprise dans le contexte du Grand
Vendredi comme une proclamation du triomphe du Christ et
de sa victoire sur Satan. C'est, en effet, le récit de la manière
dont Dieu a rendu à Job tout ce qu'il a perdu et a béni sa
condition nouvelle plus que J'ancienne. Job paraît dans ce récit
comme un homme rénové par Dieu après son épreuve. Il est à
remarquer aussi que cette péricope se termine dans le lection·
naire par l'addition apocryphique que le livre de Job a reçue
dans la Septante. Cette addition, prise dans le « Livre syriaque »,
dit textuellement de Job: «II ressuscitera avec ceux que le
Seigneur fera ressusciter ». Cette addition peut expliquer pour
une large part l'utilisation de toute la péricope dans l'office du
Grand Vendredi. En effet, le récit de l'épilogue de Job avec
l'addition qu'il a reçue fait apparaître Job justifié, rétabli dans
tout ce qu'il lui a été enlevé par le fait de Satan, et, de plus,
appelé à ressusciter {( avec ceux que le Seigneur ressuscitera »,
comme une figure du Christ ressuscité réduisant à l'impuissance
celui qui a la puissance de la mort, c'est à dire le diable (Héb.
2,14); il peut en faire aussi comme une préfiguration de l'homme
nouveau, sauvé par les souffrances et la mort du Christ sur sa
croix.
La troisième lecture vétérotestamentaire est celle de Is.
52,13 - 54,1, qui est le quatrième chant du Serviteur souffrant.
Elle a été déjà entendue à Sexte. On sait que ce texte est inter-
prété par toute la Tradition de l'Eglise comme la prophétie qui
donne de la Passion du Christ l'image vétérotestamentaire la
plus complète. C'est aussi le texte qui, avec force et à plusieurs
reprises, affirme que les souffrances du Serviteur ont puissance
expiatoire (Is. 53,4-5.8.11 et ss.). Le Serviteur est dépeint comme
l'Agneau que l'on mène au sacrifice, ce qui ne peut qu'évoquer
le sacrifice de J'agneau pascal, dont le sang a sauvé en Egypte
les premiers-nés d'Israël (Ex. 12,1-14) et qui, tout comme le
Serviteur, est également une préfiguration du Christ (Jean 1,29).
Le quatrième chant dit aussi que le Serviteur grandira (52,13),
qu'il aura une postérité nombreuse (53,10), que les foules rache-
tées seront à lui (53,12) et que l'on verra la fin de toute stérilité
PASSION DU CHRIST ET JUGEMENT DE CE MONDE 123

(54,1). Bref, nous avons là dans l'office du Grand Vendredi un


texte prophétique, qui non seulement dépeint de façon saisissante
les souffrances du Messie, mais qui annonce clairement sa
victoire et sa glorification.
Après la lecture d'Isaïe vient l'Epitre. c'est le célèbre dis-
cours de la croix de 1 Cor. 1,28 - 2,1. Saint Paul y oppose à la
sagesse humaine la sagesse de Dieu. L'Apôtre, appelant les Corin-
thiens à la modestie, expose avec admiration et étonnement le
plan de Dieu, dans lequel la Sagesse et la puissance divines se
sont révélées par la croix, autrement dit dans ce qui, aux yeux
de ce monde, est folie et scandale. Grâce à cela, tout ce qui ici·
bas peut paraître faible et insensé devient, par la victoire du
Christ sur la croix, relevant directement de la force, de la Sagesse
et de la toute-puissance de Dieu. Donc, cette Epître vient complé-
ter tout le message de Job: non seulement elle souligne le ca-
ractère transcendant de la Sagesse de Dieu, mais elle montre
que par les souffrances et la mort du Fils de Dieu, cette Sagesse
a complètement ruiné la sagesse de ce monde asservi à son
prince, lui aussi jugé et défait par la croix.
Nous en venons donc à l'Evangile. Tout comme pour l'Evan-
gile du Grand Jeudi, son caractère composite fait naturellement
penser à un choix de textes fait exprès. Cet Evangile est composé
toujours d'après le principe noté à propos de celui qui a été
lu à la liturgie du Grand Jeudi. La trame du texte est formée
par la 110· section liturgique de Matthieu que viennent compléter
des passages empruntés aux autres évangélistes. Nous avons
donc, en définitive, un ensemble qui se présente de la façon
suivante:
Mat. 27,1-38: mort de Judas; Jésus devant Pilate; le couronnement
d'épines; le crucifiement de Jésus.
Luc 23,3943: la conversion du «bon larron» et la grâce que Jésus
lui annonce: «Aujourd'hui tu seras avec moi au Paradis ».
Mat. 27,39-54: Jésus sur sa croix raillé et outragé; la mort de Jésus;
le rideau du Temple se déchire, les corps des justes qui ressuscitent; la
confession du centurion.
Jean 19,31-37: le coup de lance; du flanc de Jésus s'écoulent le sang
ct l'eau; l'évangéliste témoin reconnaît en lui le vrai Agneau pascal et
le mystérieux Transpercé du chap. 12 de Zacharie.
Mat. 27,55-61: la descente de croix et la mise de Jésus au tombeau.

Ce rappel du contenu des textes, qui forment cette longue


leçon évangélique, permet de voir que le lectionnaire a tout
124 ALEXIS KNIAZEFF ____________________~

d'abord voulu rappeler les principaux événements de la journée:


la condamnation de Jésus, sa mort, sa sépulture, mais qu'il a
tenu également à mettre en évidence ceux des détails, qui, ou bien
attestent l'accomplissement des prophéties anciennes, ou bien
manifestent les divers aspects du salut résultant du sacrifice offert
par le Christ sur la croix. Dans la première catégorie des faits
rentrent le rappel dans Mat. 27,3 et ss. de la prophétie des trente
deniers (Zach. Il,10-13, ici présentée comme étant de Jérémie)
ainsi que les mentions de l'Agneau et du Transpercé dans Jean
19,31-37. Dans la deuxième, avec l'écoulement de l'eau et du sang,
qui symbolisent la nouvelle vie qui jaillit du flanc du Christ
Nouvel Adam, il faut placer le récit du Troisième Evangile ra-
contant la conversion du bon larron, ce qui vient manifester
la réconciliation avec Dieu, acquise par le Christ souffrant à
l'humanité pécheresse, et le pardon divin, lequel est désormais
ouvert à tout homme qui fera preuve d'un repentir sincère de
ses transgressions aux commandements de Dieu. Ainsi cet Evan-
gile composite vient, tel qu'il se présente dans le lectionnaire du
Grand Vendredi, affirmer lui aussi avec force que la Passion du
Christ est une victoire et que sa croix est une croix glorieuse.
Si donc nous essayons de récapituler le message commun
qui se dégage de l'ensemble des lectures bibliques de cette journée
exceptionnelle, nous pouvons dire qu'il vient proclamer cette
vérité surprenante: la toute-puissance de Dieu, tout comme
celle du Christ s'est manifestée au moment où le· Fils de Dieu,
dans sa totale soumission à la volonté du Père, a été le plus
faible au point de mourir sur la croix, et tout cela contrairement
à toute sagesse humaine et en contradiction totale avec la léga-
lité qui régit ce monde déchu et déterminé par le péché. Lc
Christ sur sa croix a donc fait resplendir un nouvel ordre des
choses, le vrai, et a fait transcender l'homme et la création entière
dans un tout autre état, libéré de l'esclavage au péché et à la
mort, un nouvel état qui a reçu sa première manifestation dans
la Résurrection du Christ, Premier-Né de toute créature et Pre-
mier-Né d'entre les morts (Col. 1,15.18). Donc, -- et c'est ce
qui ressort effectivement du systèlne des lectures scripturaires
du Grand Vendredi, -- le jugement de ce monde a été réellement
accompli dans la Passion du vrai Fils de Dieu, qui s'humilia,
obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix (Phil. 2,5-10).
En effet, dans cette humiliation la sagesse de ce monde s'est
PASSION DU CHRIST ET JUGEMENT DE CE MONDE 125

trouvée couverte de honte et le prince de ce nlonde s'est vu jeté


hors de ce dernier, puisque J'implacable loi du péché et de la
mort, à laquelle il a réussi à soumettre le monde d'ici·bas, s'est
trouvée anéantie dans la Résurrection du Christ. L'autre consé·
quence de ce jugement de condamnation a été le rétablissement
de l'homme dans tous les dons qu'il avait reçus de son Créateur:
tel Job, qui a été justifié par Dieu et à qui Dieu restitua tout ce
qui lui a été injustement enlevé par le fait de Satan, l'homme
en Jésus Christ a été restauré dans sa vocation première à la
justice, à J'immortalité et à l'amitié avec Dieu. Il y eut donc
bien un jugement de Dieu, ainsi qu'il l'a été dit dans Jean 12,31.

v
Les textes du lectionnaire du Grand Vendredi contiennent
également des appels. Le fait que des appels s'y trouvent est
rendu nécessaire par cette loi qui se retrouve à propos de toutes
les crises de l'histoire du salut: tant que le jugement eschatolo·
gique n'est pas encore intervenu, tout jugement de Dieu est
nécessairement un appel. C'est un appel invitant soit le peuple
tout entier, soit un individu particulier à se dépasser lui·même
par le fait de la foi. Tout jugement de Dieu comporte un nouveau
don. Or, ce don ne peut être reçu que par la foi: il doit être, en
effet, accepté, réalisé, actualisé, vécu et tout cela dans la foi. Si
l'acte de foi fait défaut de la part du bénéficiaire du don, le
jugement lui tourne à condamnation; dans le cas contraire il
lui procure le salut. Il ne peut donc qu'être de même de la
Rédemption avec tout ce qu'elle a apporté aux hommes.
Il faut donc là aussi faire un effort dans la foi, donc des
appels à cet effort doivent nécessairement se faire entendre.
Mais en quoi cet effort va·t·il consister? Deux lectures du Grand
Vendredi le précisent. Un premier appel est inclus dans l'Evangile
des vêpres (comme, du reste, dans celui de la None et dans le
9' Evangile des Souffrances): «Ils regarderont celui qu'ils ont
transpercé» (Jean 19,37 = Zach. 12,10) et un second dans l'Epître
de ces mêmes vêpres, c'est il dire dans 1 Cor. 1,18 et ss. qui
parle de la nécessité pour ceux qui cherchent le salut de corn·
prendre le langage de la croix. Pour préciser davantage, on peut
dire: les deux textes font état de la nécessité pour les hommes
de croire désormais en un Dieu crucifié. Croire en un tel Dieu
126 ALEXIS KNIAZEFF

signifie lui être fidèle et faire confiance en sa mort comme en


un triomphe et en une source de vie nouvelle. Or, du point de
vue purement humain, cela signifie fonder sa vie sur un paradoxe,
autrement dit un illogisme. Donc, il s'agit là pour les hommes
d'une épreuve, d'une nouvelle épreuve, c'est à dire d'un nouveau
jugement. L'épreuve ne concerne plus le Messie, mais le nouveau
peuple de Dieu. C'est ce peuple de Dieu qui se trouve mis en
jugement après la condamnation de ce monde et de son prince.
Le critère de ce jugement sera l'attitude que l'on adoptera devant
la croix. C'est pour cela qu'Apoc. 1,7 nous dit de la vision du
Transpercé qu'elle sera la béatitude des croyants et le jugement
des pécheurs. Pour la même raison saint Paul affirme que le
langage de la croix est folie pour ceux qui se perdent, mais qu'il
est puissance de Dieu pour ceux qui sont en train d'être sauvés
(1 Cor. 1,18). Et la méme vérité est attestée dans ces paroles
du Sauveur lui-même: «Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il
renonce à lui-même et qu'il me suive. En effet, qui veut sauver
sa vie, la perdra; mais qui perdra sa vie à cause de moi et de
l'Evangile, la sauvera" (Marc 8,34-35 et parallèles). Cela signifie
en substance: qui par fidélité au Christ crucifié n'hésitera pas,
s'il le faut, même devant le sacrifice de sa vie, celui-là entrera
avec lui dans la gloire qu'il avait auprès du Père avant que fût
le monde (Jean 18,5). La loi en vertu de laquelle le Christ a
accepté de s'offrir en sacrifice sur la croix, se répète donc pour
le fidèle du Christ: si le grain de blé ne tombe en terre et ne
meurt, il demeure seul; s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.
(Jean 12,24 s.).
n apparaît donc clairement que le jugement de Dieu qui s'est
manifesté par la Passion du Christ comprend, en fait, deux
phases: la première a été l'humiliation volontaire du Fils de
Dieu jusqu'à la mort sur la croix; la seconde est celle qui suit
la Résurrection du Christ et la venue du Saint Esprit. La première
a concerné ce monde et le prince de ce n'londe; elle est maintenant
terminée, car, dans ce plan, la victoire est acquise et la Rédemp-
tion est devenue un fait. La seconde concerne l'humanité en tant
que telle, elle durera jusqu'à la fin des temps, c'est à dire jusqu'à
la Parousie, car désonnais il revient à tous les hommes, comme à
l'humanité entière, de se déterminer, face à la Rédemption acquise,
en acceptant l'épreuve de fonder toute espérance sur la foi en
un Dieu crucifié.
PASSION DU CHRIST ET JUGEMENT DE CE MONDE 127

En vertu de la même loi spirituelle la délivrance d'Egyptc


s'est faite, elle aussi, en deux temps. C'était, on l'a vu, la toute
première grande crise-jugement de Dieu de l'histoire du salut.
Dans un premier temps Dieu suscita Moïse, le libérateur, le
Prophète (Deut. 18, 15 et ss.), dont il éprouva la foi, puisqu'il
est écrit de lui: «Par la foi Moïse, devenu grand, renonça à
être appelé fils de la fille de Pharaon: il choisit d'être maltraité
avec le peuple de Dieu, plutôt que de jouir pour un temps de
péché; il considéra l'humiliation du Christ comme une richesse
plus grande que les trésors d'Egypte, car il avait les yeux fixés
sur la récompense» (Héb. 9,24-26). Le second temps a été l'épreuve
dans la foi que connut le peuple tout entier, lorsqu'il fut, dès
l'Egypte, appelé à marcher vers le Chanaan à travers mille
obstacles. L'Ecriture dit de cc peuple: «Par la foi ils traversèrent
la Mer Rouge comme une terre sèche, alors que les Egyptiens,
ayant essayé le passage, furent engloutis» (Héb. 9,29). Le Chris,
est le second Moïse et les tribus d'Israël préfigurent l'Eglise,
le peuple de Dieu de la Nouvelle Alliance, tandis que la Passion,
la mort et la Résurrection du Christ représentent la Seconde
Pâque. Parlant de la Première Pâque, Dieu avait dit à Moïse:
({ Je vous revendiquerai à bras tendu et à grands jugements»
(Ex. 6,6). Là aussi, l'Ecriture s'accomplit dans le Christ: le bras
étendu fut sa victoire sur sa croix et quant aux grands jugements,
on peut les retrouver dans ce temps de l'Eglise lors de toutes
les crises, c'est à dire des occasions offertes par Dieu aux fidèles
de juger à leur tour ce monde et le prince de ce monde, de les
juger par l'obéissance jusqu'à la croix, tout comme l'a déjà fait
le Messie.

* * *

Telle est la théologie de la Passion du Christ considérée


comme jugement de Dieu, théologie qui ressort de ce lectionnaire
de la Selnaine Sainte con1posé de manière à pouvoir attirer l'at-
tention de l'Eglise qui prie sur le moindre détail des faits com-
mémorés qui pourrait être chargé d'un sens religieux du plus
haut intérêt. Cette théologie fait apparaître sous un angle
nouveau non seulement la Réden1ption mais également toute la
vie chrétienne et même toute l'histoire du monde. Elle permet,
128 ALEXIS KNIAZEFF

notamment, de comprendre les affirmations du Christ dans le


quatrième Evangile telles que celles-ci: "Il (le Père) lui (au Fils)
a donné le pouvoir d'exercer le jugement, parce qu'il est le Fils
de l'homme" (Jean 5,27), ou: "Celui qui écoute ma parole et
croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle et n'est pas soumis
au jugement, mais il est passé de la mort à la vie" (ibid., v. 24).
Par ailleurs, notre analyse nous permet de faire une constatation
importante sur le plan méthodologique: dans une composition
liturgique, telle une fonction ou un office, tout comme l'hymno-
graphie, les lectures bibliques servent à exprimer une vision
théologique.
Cela nous conduit à regretter que l'hymnographie de la
Semaine Sainte byzantine se soit développée, selon toute appa-
rence, indépendamment des lectures et sans relation avec elles.
On peut le voir, par exemple, dans le fait que le thème de l'Agneau
d'Iso 52 - 53 n'est développé que dans les stichères du Grand
Jeudi chantées aux laudes, surtout dans le dernier 15. Quant au
thème du jugement, il n'est évoqué qu'à propos de la condamna-
tion du Christ par le Sanhédrin ou par Pilate 16. Cette absence
de liaison entre le développement du lectionnaire et celui de
l'hymnographie de la Semaine Sainte byzantine a été probable-
ment l'une des causes qui ont conduit cette hymnographie à
l'appauvrissement théologique de son contenu, tel qu'on le
constate aujourd'hui. Pour quelle autre raison a pu disparaître
de l'office du Grand Vendredi la presque totalité du kontakion
de Romanos le Mélode qui présente en marche le mystère de la
Rédemption?" D'où vient dans les offices des Grands Jeudi,
Vendredi et Samedi cette profusion de textes qui se plaisent à
répéter une indigna lion pieuse devant la trahison de Judas ou
le geste insensé du peuple de l'Ancienne Alliance qui s'est détourné
de son Bienfaiteur?

IS Voici la traduction de ce stichère: « L'Agneau qu'Isaïe annonça s'en va


à l'immolation volontaire. Il présente son dos aux coups, ses joues aux soufflets.
Il ne détourne pas son visage pour éviter les crachats déshonorants. Il est con-
damné à une mort infâme. Tout cela l'Immaculé l'accepte pour donner à tous
la résunection des morts».
1. Voici le dernier stichère aux apostiches des Saintes Souffrances: «Voici le
calame de la décision trempé (dans l'encre) par les juges iniques. Jésus accepte
d'être jugé et condamné à la Croix. La créature souffre en voyant le Seigneur
crucifié. Mais gloire à toi, qui souffres pour nous par la nature corporelle ».
17 Dans l'office actuel il ne reste de cette composition que les deux premières

strophes que l'on chante après la 6~ ode du canon.


PASSION DU CHRIST ET JUGEMENT DE CE MONDE 129

Préconiserions-nous une révision de cette hymnographie?


Oui, si une telle révision va s'avérer possible. Pour cela il faut
d'abord qu'elle puisse être l'œuvre de théologiens qui soient aussi
poètes et mélodes. Il faut, ensuite, qu'elle soit réalisée en liaison
avec un renouveau de la prédication biblique. Car, si le message
du salut doit être mis à la portée des chrétiens de notre temps,
il ne peut l'être réellement qu'a la lumière de la Parole de Dieu
elle-même, puisque Dieu a donné aux hommes cette Parole dans
le but précis de leur faire connaître ce qu'ils peuvent connaître
de sa Sagesse et leur rendre intelligible le langage de la Croix.

Alexis KNIAZEFF
LA PRIÈRE DU CHRIST AU PÈRE

La prière d'un homme, de tout homme, celle d'un chrétien,


comme celle d'un païen ou même d'un homme que nous dirions
primitif, n'est possible que parce que cet homme est créé à l'image
et à la ressemblance de Dieu. De par la volonté même du Créateur
l'homme est rendu capable de s'élever au-dessus de sa réalité
terrestre pour parler à son Dieu. Certes, dans chaque homme
l'image divine s'est trouvée ternie par le péché; l'homme se
montre incapable de réaliser sa ressemblance à Dieu; sa prière
en est devenue moins parfaite, cependant jamais totalement
impossible.

PRIÈRE AU PÈRE CHEZ LES PAŒNS

Ceci dit, une première question se pose: cet homme, créé


par Dieu, s'est-il adressé, ici ou là, à Dieu comme à un Père ou
à son Père? Et, si oui, quel sens a-t-il donné à cette appellation?
Aux yeux des peuples païens voisins d'Israël la notion d'un
Dieu transcendant semble avoir été absente et, si ces peuples
se sont quelquefois adressés à Dieu comme à un père, ils se
sont imaginé leur filiation plutôt comme une sorte de génération
naturelle. En ce sens, nous possédons une prière du roi Goudéa
de Lagash, adressée à la divinité de cette ville et exprimée en
termes plutôt réalistes:

« Je n'ai pas de Mère, tu es ma Mère;


Je n'ai pas de Père, tu es mon Père;
Tu m'as conçu dans ton cœur,
Dans ton temple, tu m'as engendré» 1.

1 A. FALNKENSTEIN und W. von SODEN, Sumerische und Akkadische Hymnen


und Gebete, Zürich-Stuttgart 1953, p. 140 (cité par W. MARCHEL).
132 NICOLAS KOULüMZINE

De même, le roi assyrien Assourbanipal se reconnaît fils du


Dieu Assour:
« Je suis fils de mon Dieu Assour et de ma déesse l'Assyrienne» 2,

Selon les conceptions hellénistiques, les dieux et les hom-


mes, bien que séparés par un abîme, sont néanmoins, comme
le dit J. Gross, " unis par les liens d'une origine commune, d'une
parenté primitive» 3; « D'une seule race sont les hommes et les
dieux, lisons-nous dans Pindare, d'une seule mère» 4. Dans le
même sens, le poète stoïcien Aratos (IIr siècle av. J.C.) s'écrie:
{( Tous nous avons besoin de Jupiter, car nous sommes tous de
sa race» 5.

LA PRIÈRE AU PÈRE DANS L'ANCIENNE ALLIANCE

Les conceptions religieuses dont témoignent les textes paléo-


testamentaires se situent à un niveau plus élevé. Les Juifs ne
se sont pas adressés à un père générateur, mais, en appelant Dieu
leur Père, ils s'adressèrent à lui comme à leur Créateur. Dans
le récit sacerdotal de la création', l'emploi du verbe bârâ' au lieu
du verbe (iisfih, non seulement dans le premier verset, mais aussi
au verset 27, montre que l'homme est créé par un acte très spécial
de la toute-puissance divine. C'est ce Dieu créateur, bon et pater-
nel, que les Juifs appelaient Père dans leurs prières:
« N'avons-nous pas un Père unique?
N'est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés?» 7,

La même relation entre les notions de paternité et de création


est soulignée dans une invocation de la seconde partie du livre
d'Isaïe: « Et pourtant, Yahwé, tu es notre Père, nous sommes

2 W. MARCHF.L, Dieu le Père dans le Nouveau Testament (traduit de l'alle-


mand), Cerf, Paris 1966, dans «Lire la Bible» no 7, p. 14.
l J. GROSS, La divinisation du chrétien d'après les Pères grecs, Gabalda, Paris
1938, p. 16.
4 PIXDARE, Nemea, IV, 1-7.
5 ARATOS, Phenom. 5; cf. l'apôtre Paul dans Actes 17,28, dans un tout autre sens.
~ Gen 1,1 - 2,3.
7 Mal 2,10.
LA PRIERE DU CHRIST AU PERE _ _ _ _ _ _-'1c::3=3

l'argile; tu es notre potier, nous SOlnmes l'œuvre de tes mains» 8,


Nous trouvons la même relation dans un psaume: « Comme est
la tendresse d'un père pour ses fils, tendre est Yahwé pour qui
le craint; il sait de quoi nous sommes pétris; il se souvient que
poussière nous sommes» 9.
Pour donner à leur Dieu le nom de Père, les Juifs avaient
encore d'autres raisons. L'intervention de Dieu, comme Père,
dans l'existence ou, mieux, dans l'histoire des hommes, s'est ma-
nifestée, d'une manière toute particulière, par l'élection du peu-
ple, consacré à Dieu et destiné à être l'instrument de sa provi-
dence. Quand Dieu décide de faire sortir d'Egypte les fils d'Israël,
il ordonne à Moïse de dire au Pharaon: «Ainsi parle Yahwé:
mon Fils premier-né, c'est Israël» 10. Dès ce moment l'élection du
peuple s'identifie à une filiation à Dieu: «Vous êtes des Fils
pour Yahwé, votre Dieu}) 11, lit-on dans le Deutéronome; et
l'explication qui suit est claire: «Car tu es un peuple consacré
à Yahwé ton Dieu et Yahwé t'a choisi pour être son peuple
à lui parmi tous les peuples qui sont sur la terre» "'. Ainsi Israël
n'est plus déclaré Fils en vertu de quelque descendance natu-
relle; sa filiation à Dieu ne repose pas sur un mythe, mais sur
un fait historique concret, l'exode d'Egypte, magnifié à travers
les âges par les liturgies juives, aussi bien que chrétiennes,
comme l'œuvre, merveilleuse par excellence, de Dieu.
L'élection d'un peuple par Dieu suppose de la part de Dieu
la conduite de ce peuple, conduite dans laquelle les prophètes
ont su déceler une sollicitude vraiment paternelle: «Quand
Israël était enfant, s'écrie Yahwé par la bouche d'Osée, je l'ai
aimé et d'Egypte j'ai appelé mon Fils» 13. « J'apprenais à marcher
à Ephraïm et je le prenais dans mes bras» H. Jérémie, à son
tour, s'exprime dans des termes semblables "; et, c'est pourquoi
les Juifs de prier: «C'est toi, Yahwé, notre Père» ".

aIs 64,7 .
• Ps 103 (102 LXX), 13.
10 Ex 4,22.
11 Deut 14,1.
12 Deut 14,2.
Il Os 11,l.
14 Os 11,3.
J5 Jer 31,9; 31,20 ...
1& 15 63,16.
134 NICOLAS KOULOMZINE
~~----------~ --------------
Dans quelques textes tirés également des prophètes le thème
de l'amour d'un Dieu-Père pour Israël, son premier-né, se com-
bine, étrangement selon notre mentalité moderne, avec le thème
de l'amour du Dieu, l'Epoux d'Israël: "Et moi, s'écrie Yahwé
par la bouche de Jérémie, qui m'étais dit, comme je voudrais te
mettre au rang de fils, te donner un pays de délices, un héritage
qui soit la perle des nations! J'avais pensé: Tu m'appelleras:
mon Père; et tu ne te sépareras pas de moi. Mais comme une
femme qui trahit son amant, ainsi m'a trahi la maison d'Israël» 17,
Ces derniers textes que nous avons cités et dont l'inspiration
remonte à Osée, prophète du VIII' siècle, montrent que paral-
lèlement aux rédactions de la Torah, où Dieu apparaît comme
Législateur, exista en Israël un autre courant, prophétique, où
Dieu était considéré comme un Père aimant son Fils ou un
Epoux aimant son Epouse. Cette sollicitude paternelle n'excluait
d'ailleurs pas la correction paternelle: "Ne méprise pas, mon
fils, la correction de Yahwé et ne prends pas mal sa réprimande,
car Yahwé reprend celui qu'il chérit, comme un père son fils
bien-aimé» 18.
Notons, enfin, que dans l'Ancien Testament Dieu est encore
dit Père du Messie; le professeur Joachim Jeremias remarque
à ce sujet que le " Mon Père" qui apparaît dans les prières de
Jésus se trouve « ainsi préparé dans le contexte des espérances
messianiques,," de l'ancien peuple de Dieu_ En effet, Dieu est
le Père du Messie davidique, du Messie Roi, dans la prophétie
de Nathan ", dans les psaumes ... ". Dans la littérature apoca-
lyptique plus tardive Dieu est le Père d'un Messie sacerdotal"
et du Messie de Juda ", toujours selon les données de Jeremias ".
Pour conclure ce chapitre on doit faire remarquer que les
auteurs vétérotestamentaires n'ont utilisé qu'assez rarement le
nom de Père pour désigner Dieu ou pour s'adresser à lui, et,
ceci très probablement pour éviter quelque interprétation natu-

17 Jer 3,19-20.
II Ps 3,11-12.
l? Joachim JEREMIAS, Le message central du Nouveau Testament, Paris 1976,
dans {( Foi vivante» nO 175, p. 26.
20 II Sam 7,14 et 1 Chran 17,13.
" Ps 2,4; Ps 89 (88 LXX), 27.
21 Testament de Levi 18,6.

1J Testament de Juda 24,2.


24 Loc. cit.
LA PRIERE DU CHRIST AU PERE 135

raliste. Au contraire, dans les textes plus tardifs, appartenant au


judaïsme palestinien du temps de Jésus, abondent des expres-
sions comme « notre Père» ou «( notre Roi». On trouve même
assez souvent l'expression « notre Père qui est au ciel », comme,
par exemple, dans une prière de Rabbi Yohanan ben Zakkay
(qui vécut vers 70 après J.-c.): «Loué soit le Dieu d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob, qui a donné à notre père Abraham un fils
sage et sachant exposer la gloire de notre Père qui est dans le
ciel »25.

" MON PÈRE» DANS LES PRIÈRES DE JÉSUS

Quand Jésus s'adresse à Dieu comme à son Père, la réalité


de cette prière devient tout autre, puisque c'est le Fils monogène
lui-même qui s'adresse à Dieu, comme à son propre Père.
Les 4 Evangiles attestent que Jésus s'est adressé à Dieu
comme à son Père dans toutes ses prières à l'exception de la
seule exclamation sur la croix: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m'as tu abandonné» " qui, d'ailleurs, est une citation du psaume
22 (21 LXX). C'est là une première constatation d'importance.
Le professeur Joachim Jeremias que nous avons déjà eu l'oc-
casion de citer, affirme très catégoriquement ({ qu'il n'y a jusqu'
ici aucune preuve que dans le judaïsme palestinien quelqu'un
se soit adressé à Dieu en l'appelant: mon Père» ". Marchel men-
tionne à ce propos une exception dans un texte rabbinistique qu'il
cite 28, texte que Jeren1ias cannait, mais qu'il rejette comme
tardif, voire médiéval ". C'est là une deuxième constatation d'im-
portance.
Joachim Jeremias, dont la spécialité a"ait été de rechercher
avec soin le substrat armnéen des textes néo testamentaires,
nota que, dans l'Evangile de Marc, où, d'une manière générale,
abondent les termes araméens, Jésus s'adressa à Dieu dans sa
prière de Gethsémané, en l'appelant 'A~~a b 1t(f.~~p '". Non sans

:!5Cité d'après W. M,\RCHEL, op. cil., p. 3I.


16 Mc 15,34 et Mt 24,46.
n J. JEREMIAS, op. cit., p. 16.
l! Seder Eliahu Rabba, scIon W. MARCHEL, op. cit., p. 32.
~ J. JEREMIAS, op. cit., p. 15, note 4.
JI] Mt 14,30.
136 NICOLAS KOULOMZINE

raison, Jeremias pense que Jésus avait dû utiliser souvent, sinon


toujours, dans ses prières, l'équivalent araméen 'abbii' du terme
grec 'A~~"'. En faveur de cette thèse Jeremias avance deux
arguments.
Premièrement, Jeremias attire l'attention sur l'usage, dans
quelques prières de Jésus, du nominatif 6 "x,r,p, là où devrait
figurer le vocatif: dans l'Evangile de Matthieu, par exemple,
nous lisons: voct, 6 1tfl.TlJp, o'n <hrrwç eù8ox(ct. ÈyÉVE"t'O ÈtL1tpocr&É:v
crOU 31; toutes les traductions ont compris le nominatif (; 1t(f.r~p
dans le sens d'un vocatif: «oui, Père, car tel a été ton bon
plaisir )}, Le même terme se retrouve dans le même sens et avec
l'article dans l'Evangile de Marc, dans la littérature paulinienne
et dans la prière sacerdotale de Jésus". Cet usage d'utiliser le
nominatif avec l'article dans le sens d'un vocatif s'explique fort
bien si 6 "ex...l]p est une traduction de l'araméen 'abbii' qui juste-
ment peut être compris soit comme un vocatif, soit comme la
forme emphatique (déterminative) à rendre dans les traductions
avec l'article.
Jeremias donne une deuxième raison: puisque la même
expression 'A~~IÎ 6 "ex...l]p se trouve dans deux épîtres de Paul
adressées l'une à des communautés pauliniennes 33, l'autre à une
communauté non paulinienne "', on peut en conclure, pense-toi!
non sans fondement, que cette appellation ' A~~", est un écho
des propres paroles de Jésus ".
Toujours selon Jeremias le terme 'abbii', rendu en grec par
'A~~IÎ, appartient au vocabulaire enfantin et exprime l'intimité
des relations entre celui qui prononce ce nom et celui à qui il
s'adresse. Jeremias appuie son affirmation sur des témoignages
patristiques "'. Si son affirmation est fondée, on peut dire que
Jésus fut le seul en son temps à parler à Dieu comme un enfant
à son père, «simplement, intimement, sans crainte »37. Selon
Jeremias, l'appellation « Abba " appartient, comme il dit, à «i'ipsis-
sima vox Christi » 38.

31 = Luc 10,21.
Mt 11,26
32 Mc 14,36; Rm 8,15: Gal 4,6 et dans la prière sacerdotale de Jésus (ln 17)
plusieurs fois.
Jl Gal 4,6.
14 Rm 8,15.
l5 J. JEREMIAS, op. cU., p. 17.
J6 CHRYSOSTOME, PG 60, 527; THÉODORE DE MOPSUESTE, PG 66, 824; TIffioDORET nE
CYR, PG 82, 133.
37 J. JEREMIAS, op. cit., p. 20.
JlIIbid., p. 19.
LA PRIERE DU CHRIST AU PERE 137

LE CHRIST SE R:e.V:e.LANT FILS MONOGÈNE DE SON PÈRE,


DANS L'ESPRIT

Par sa manière de prier, comme à travers toute l'œuvre qu'il


accomplissait sur terre, Jésus se révéla Fils monogène du Père.
La conscience ecclésiale n'a pas cessé, dès les débuts, d'appro-
fondir la signification de cette filiation de Jésus. Dans la tradition
synoptique notons le verset très connu: «Nul ne connaît le Fils,
si ce n'est le Père et nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils
et celui à qui le Fils veut le révéler" ". Ce thème est central dans
la tradition johannique; notons le verset: «Moi et le Père, nous
sommes un}} 40. Ce continuel approfondissement, dont nous ne
détaillons pas les étapes, conduisit à la confession, par l'Eglise,
de l' bfLOOU(rLOÇ au IV· siècle. L'histoire de l'évolution de cette
théologie est connue.
On parle moins souvent de la pneumatologie néotestamen-
taire inhérente à la révélation trinitaire. Nous voudrions noter
que dès le début la communauté chrétienne fut consciente du
fait de la présence de l'Esprit Saint sur le Fils de Dieu incarné.
Les deux premiers évangélistes l'attestent avec sobriété: l'Esprit
conduit Jésus au désert", l'Esprit descend sur Jésus au-dessus
du Jourdain, tandis que Luc, plus tardif, semble avoir perçu la
réalité de cette présence avec plus d'acuité. Il est le seul à avoir,
dès le début de son Evangile, placé toute l'œuvre du Christ sous
le signe de l'Esprit reposant sur le Christ, en rappelant les pre-
miers mots de la prédication de Jésus: «L'Esprit du Seigneur
est Sur moi, car il m'a oint ... )} 42. Luc a été également le seul
à avoir insisté sur cette permanente effusion de l'Esprit lors des
événements décrits dans les deux premiers chapitres (Annon-
ciation, différentes prophéties: Zacharie, Siméon, Anne).
Pour ce qui concerne plus particulièrement la prière de
Jésus, Fils monogène du Père, il semble très juste de dire avec
le Père Boris Bobrinskoy que, puisque dans l'Eglise c'est bien
l'Esprit «qui nous fait crier: Abba, Père)} 43, il s'ensuit que
« c'est dans l'Esprit que Jésus, au fond de son être, crie, prie et
s'adresse à son Père. L'Esprit n'est pas étranger au mouvement

19 Mt 11,27 = Luc 10,22.


ln 10,30.
J,()

41 Mc 112

u Luc 4,18.
41 Rm 8,15 = Gal 4,6.
138 NICOLAS KQULOMZINE

filial le plus authentique, le plus total, le plus personnel de


Jésus» 44. Cette transposition de l'expérience de la communauté
primitive sur la personne mêlue de Jésus nous est autorisée grâce
à cette vision par l'évangéliste Luc de l'Esprit de Dieu reposant
sur Jésus.
Remarquons que cette présence de l'Esprit sur le Christ n'a
été perçue aux temps de l'incarnation du Fils que par quelques
élus: Marie qui perçoit l'annonce ... ; Zacharie, Siméon, Anne
qui prophétisent dans l'Esprit. Mais qui sur le Jourdain put
voir l'Esprit tel une colombe descendre sur Jésus? Seul Jean
Baptiste selon le IV' Evangile .,s. Sur le mont Thabor, qui des
trois disciples, témoins de la Transfiguration ", put discerner la
théophanie trinitaire, dont ne parleront que les Pères de J'Eglise
plus tard?
L'Esprit était présent sur le Christ priant son Père, mais
cette vision n'était encore que difficilement perceptible par les
mortels.
Pourtant on doit bien dire que J'Esprit était là dès la création
du monde; n'a-t-i1 pas vivifié les eaux primordiales? L'Esprit,
plus tard, n'avait-il pas parlé par les prophètes? N'avait-il pas
couvert de son ombre Marie? Tout ceci est exact; l'Esprit est
toujours à J'action dans ce monde.
Mais au jour de la Pentecôte, J'Esprit a été donné aux disci-
ples, et, depuis, il est donné à l'Eglise qu'il conduit dans la vraie
connaissance. Ce don de l'Esprit accordé à la Pentecôte est un
don eschatologique radicalement nouveau.
Au temps de la vie de Jésus, J'Esprit était là, reposant sur
le Christ, mais sa présence n'était pas encore pleinement révélée,
comme elle l'est dans l'Eglise depuis la Pentecôte.

PRIÈRE DE L'ÉGLISE DU CHRIST AV PÈRE DANS L'ESPRIT

La prière de J'Eglise au Père, prière qui reprend la prière


de Jésus lui-même, est, elle aussi, une manifestation de l'Esprit
inhérent à l'Eglise .

.f.I Père Boris BOBRTNSKOY, Le Mystère de la Trinité, Cours par correspondance


polycopié, p. 12.
4S In 1,32.

'6 Mt 17,1 et par.


LA PRIERE DU CHRIST AU PERE 139

Or du mystère de l'Eglise en relation avec le mystère trini-


taire et, en particulier, avec le mystère de la vie de l'Eglise dans
l'Esprit et par l'Esprit, il est possible de parler de deux manières,
dont chacune exprime d'ailleurs la même réalité profonde de
l'Eglise de Dieu.
D'une part il est possible de dire, et cette manière de parler
est correcte, que l'Eglise est le lieu où les croyants unis au Christ,
dont ils sont les membres, sont appelés à acquérir durant leur
vie les dons spirituels, c'est-à-dire les dons de l'Esprit de Dieu,
qui est aussi l'Esprit du Christ. Dans cette manière de voir il
apparaît que le but de la vie d'un chrétien est l'acquisition pro-
gressive et continuelle des dons de l'Esprit (selon les paroles de
Séraphim de Sarov, saint du XIX' siècle).
On peut aussi adopter une seconde manière de parler, qui
exprime la méme réalité ecclésiale, mais qui accentue le rôle de
l'Esprit Saint comme de celui qui révèle le Christ, et sans les dons
duquel, accordés depuis la Pentecôte, il n'y a pas Eglise; en
effet, la proclamation même de la Bonne Nouvelle est déjà,
comme le dit l'apôtre Paul, une manifestation de l'Esprit ". De
même la foi en Christ, qui naît de l'audition du kérygme, et sans
laquelle on n'est pas membre de l'Eglise, est, comme l'affirme
explicitement le même apôtre, un don de l'Esprit: «Nul ne peut
dire que Jésus est Seigneur, sinon dans l'Esprit Saint» ".
Le IV' Evangile souligne dans le même sens que l'Esprit,
procédant du Père, devra non seulement rendre témoignage au
Christ", mais encore révéler en profondeur qui est le Christ:
{( Ce jour-là vous connaîtrez que je suis en mon Père» 50, étant
bien entendu que l'expression «ce jour-là» qui désigne dans
l'Ancien Testament le jour de Yahwé, vise ici, dans le contexte
du discours d'adieu de Jésus, la réalité ecclésiale consécutive à
l'envoi de l'Esprit. Toujours selon le même Evangile, l'Esprit
actualise dans l'Eglise l'enseignement de Jésus: «Il vous fera
ressouvenir tout ce que je vous ai dit» 51.
Ce que nous disons signifie que c'est après la descente du
Saint Esprit à la Pentecôte et seulement après cette descente,

41 «Ma parole ct ma prédication ne reposaient pas sur les discours persua-


sifs d'une sagesse, mais sur une démonstration d'Esprit ct de puissance »: l
Cor 2,4; comp. 1 Thes 1,5 et Mt 10,20.
u 1 Cor 12,3.
49 ln 15,26.

50 ln 14,20.
SI ln 14,26.
140 NICOLAS KQULQMZINE

que l'Eglise du Christ a commencé son existence en tant que


Corps du Christ.
Ces considérations d'ordre ecclésiologique nous amènent à
parler de la prière de l'Eglise au Père. Les épîtres de Paul aux
Galates et aux Romains nous apprennent que dans certaines
communautés pauliniennes" (peut-être dans toutes), ainsi que
dans la communauté non paulinienne de Rome 53 (et peut-être
ailleurs), les chrétiens utilisaient en s'adressant au Père le vocable
Abba. Ceci nous autorise à supposer que les fidèles du premier
siècle étaient conscients d'imiter dans leurs prières la prière
même de Jésus.
Nous avons suggéré l'idée, bien que les textes scripturaires
n'en aient pas parlé, que la prière au Père du Fils monogène
était une prière dans l'Esprit Saint. En ce qui concerne la prière
des membres de l'Eglise les textes scripturaires sont explicites;
Paul affirme bien que « l'Esprit vient en aide à notre faiblesse,
car nous ne savons pas prier connne il faut» 54; comme suite à
ce que nous avons dit sur l'Esprit dans l'Eglise, ou plutôt de
l'Eglise dans l'Esprit, nous pouvons dire maintenant que notre
prière est aussi un don de l'Esprit, car c'est l'Esprit de Dieu qui
nous révèle l'envoi du Fils par le Père afin de nous conférer
l'adoption filiale; car, comme le dit l'apôtre: «Dieu a envoyé
dans nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba Père" ".
Notre prière en tant que fils par adoption du Père est donc,
comme celle du Fils lui-même, dite dans l'Esprit.
Une telle prière des chrétiens dans l'Esprit, prière qu'ils
adressent au Père, à J'image de la prière même du Fils monogène,
est le signe de notre union au Christ dans l'Eglise, en même
temps qu'une confession par l'Eglise d'un Dieu dorénavant révélé
en trois Personnes.

FILIATION COMME ACCOMPLISSEMENT DE LA VOLONTÉ


ÉTERNELLE DU PÈRE

Notre filiation est voulue par Dieu dès avant la création du


monde: «ceux que d'avance Dieu a connus, il les a aussi pré-
52 Gal 4,6.
S3 Rm 8,15.
54 Rm 8,26.
ss Gal 4,6.
LA PRIERE DU CHRIST AU PERE 141

destinés à être conformes à l'image de son Fils, afin que celui-ci


soit le premier d'une multitude de frères" ", Le même thème
reçoit un développement plus étendu dans la prière liminaire
de l'épître aux Ephésiens; voici ce texte: « Béni soit Dieu, le
Père de notre Seigneur Jésus-Christ; il (le Père) nous a bénis
de toute bénédiction spirituelle dans les cieux en Christ, Il nous
a élus en lui avant la fondation du monde pour que nous soyons
saints et irréprochables sous son regard, Dans l'amour ", il (le
Père) nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par
Jésus-Christ" ", Dans ces textes nous traduisons le verbe grec
7tpoopt~E:L\I par « prédestiner» et non point par « déterminer
d'avance», comme c'est le cas dans certaines traductions 59. Il
s'agit là d'une prédestination conçue dans la pensée éternelle de
Dieu avant la création du monde, Cette prédestination concerne
tout spécialement l'homme créé à l'image comme à la ressem-
blance de Dieu, Cette prédestination conçue dans l'amour
(iv '",'""'n) ne peut être comprise par nous que comme une pré-
destination vers le bien de l'homme ",
Dans le livre de la Genèse le dessein éternel de Dieu se
résume en une simple proposition: « Faisons l'homme à notre
image, comme à notre ressemblance» 61. Les Pères orientaux ont
réfléchi, à la lumière de la révélation nouvelle, sur cette affir-
mation de l'Ancien Testament et ils cherchèrent à distinguer
les notions d'image et de ressemblance ", Ainsi Origène dans son
flope &pxôiv'" et aussi l'auteur (peut-être Basile de Césarée?) de
l'ouvrage Sur l'origine de l'homme'" affirment que l'image divine,
donnée à l'homme, ne peut être ternie par le péché, mais que la
ressemblance est réservée pour un perfectionnement ultérieur.
L'auteur du second ouvrage cité dit assez explicitement que Dieu
nous a créés « capables en puissance de ressembler à Dieu ... ,
afin que nous soyons nous-n1émes les artisans de cette ressem-

56 Rm 8,29.
S7 Nous rattachons les mots 11:\1 &.ya.7t"(l (dans l'amour) à la proposition qui suit
et non à celle qui précède.
~s Eph 1,3-5.
S9 La traduction de la Bible de Jérusalem, par ex.
60 Comme aimait le répéter Monseigneur Cassien, exégète orthodoxe et ancien
recteur de l'Institut Saint Serge.
61 Cen 1,26.
6l Malgré que les deux notions peuvent avoir à peu près le même sens en

hébreu.
6] PC 11, 333.
604 PC 30, 29 et sq; voir traduction dans «Sources chrétiennes» no 160, 1970,

p. 207 et sq.
142 NICOLAS KQULOMZINE

blance .,., afin que nous ne soyons pas des portraits sortis de
la main d'un peintre» ". Le théologien orthodoxe Serge Boulgakof
écrit à ce sujet que" l'image de Dieu est le fondement ontologique
inamissible» de la nature humaine créée. Quant à la ressemblance
elle est, toujours selon Boulgakof, "la réalisation libre par
l'homme de son image », car poursuit-il, " selon le conseil divin,
l'homme est créé afin qu'il accomplisse une œuvre créatrice en
lui-même et dans le monde» ".
Ceci suppose que l'homme est créé libre, prédestiné à se
déterminer dans la liberté. C'est ce que l'apôtre Paul semble avoir
perçu le premier, en précisant que l'homme est invité à réaliser
le dessein éternel de Dieu non pas en tant qu'esclave obéissant
seulement, mais en tant que fils dans la maison de son Père.

***

C'est pourquoi la prière du Christ à son Père, comme la


nôtre à notre Père, est, en fin de compte, la réponse filiale du
Christ d'abord, la nôtre à notre tour, à Dieu, le Père, qui dans son
dessein éternel nous a prédestinés à être ses fils adoptifs en
Christ.

Nicolas KOULOMZINE

6SIbid.
~ Serge BOULGAKOF, L'Agneau de Dieu (traduction du russe), Aubier, Paris
1943, p. 70.
LES FÊTES DE L'ANNÉE LITURGIQUE: FÊTES DU CHRIST?
(Comment expliquer l'absence de fêtes du Père?)

Peut-on parler réellement des fêtes de l'année liturgique


comme fêtes du Christ? Que de problèmes sous cette question!
Pour y donner une réponse, procédons par degrés successifs:
- comparaison entre différentes systématisations des fêtes; -
les points essentiels de la systématisation opérée, pour l'Eglise
romaine, par la réforme liturgique de Vatican II; - la valeur
théologico-liturgique y sous-tendue.

l - QUELQUES EXEMPLES DE SYSTÉMATISATION

1. Missel Romain de 1920: Index festorum: Festa D.N.I.C. -


B.M.V. - Sanctorum. Parmi les fêtes de N.S.J.C. on cite toutes
les fêtes « de tempore » par ordre alphabétique: Ascensio-Trini-
tatis SSm",.
Missel Romain de 1963: Index alphabeticus omnium Festo-
rum: Festa Domini CAscensio-Trinitatis SSm",) - B.M.V. - Sanc-
torum C... ) - Miss", Votiv",: De SS. Trinitate, De Angelis, De
S. Ioseph, De Spiritu Sancto, de SS.mo Eucharisti", Sacramento,
De D.N.I.C. Summo et Aeterno Sacerdote C... ), De SS. Corde
Iesu, De S. Maria, etc.

2. Après Vatican II: dans le Missel Romain de 1970 l'Index


alphabeticus celebrationum donne une énumération purement
technique, sans aucune prétention théologique: Achilleus C.··),
Iacobus, Iesus Chr. D.N.; Annuntiatio, Ascensio, Cor S., Corpus
et Sanguis SS. C· .. ), Resurrectio ...
Mais dans l'Index Prœfationum on distingue mieux:
De Tempore (De Quadragesima, De Passione, De Tempore
Paschali. .. );
144 BURKHARD NEUNHEUSER

- De Festis et Mysteriis Domini (De SS. Trinitate, De


Mysterio Incarnationis [ ... ], De SS. Eucharisti" [ ... ], De
Spiritu Sancto);
De Festis Sanctorum;
In Missis ritualibus;
In variis celebrationibus.
Finalement, dans l'Index Generalis on trouve la division
suivante:
Proprium de Tempore: Tempus Adventus, Nativitatis,
Quadragesim",, Hebdomada Sancta, Triduum Paschale,
Tempus Paschale, Tempus «per annum", Sollemnitates
Domini «per annum» occurrentes;
Proprium de Sanctis;
Communia (Dedicationis, B.M.V., Martyrum ... );
Miss", rituales;
Miss", et orationes ad diversa (pro S. Ecclesia, pro rebus
publicis, ... );
Miss", votiv"': De SS. Trinitate, De Mysterio S. Crucis,
De SS. Eucharistia, De SS. Nomine Iesu . ", De Spiritu
Sancto, De B.V.M .... ;
- Miss", defunctorum.

Le Missel Romain (édition manuelle) de 1977 donne la même


division.

Conclusion: Même si nous ne donnons pas trop d'importance


à ces divisions tout à fait provisoires et schématiques, nous
pouvons pourtant dire qu'on ne connaît que de fêtes du Christ,
en dehors de la catégorie particulière des fêtes des Saints. Même
les fêtes du Saint-Esprit et de la Trinité on les regarde sans plus
comme fêtes du Christ.

3. C'est le Calendal'ium Romanum de 1969 qui nous donne


une vision quelque peu plus profonde. Lorsque le chap. l parle
de l'année liturgique, on y distingue clairement le jour liturgique
en général et le dimanche; celui-ci comme jour du Seigneur ou
de la célébration pascale hebdomadaire: dies testus primordia/is.
C'est seulement aux « fêtes du Seigneur» que le dimanche cède
sa place; néanmoins on ne dit pas quelles sont ces fêtes-ci.
Pratiquement il s'agit de fêtes telles la Sainte Croix et le Christ-
Roi.
_ _ _ _ _ _ _A~N:'N":E=E'_L'CI"_T..U'éR":GIQUE ET FETES DU CHRIST 145

Dans le paragraphe suivant on distingue les solennités,


fêtes et mémoires. Dans le n' 8 on dit: «Anni circulo, Ecclesia,
mysterium Christi celebrando, etiam beatam Dei Genetricem Ma-
riam ... veneratur, memoriasque Martyrum aliorurnque Sancto-
rum pietati fidelium proponit ».
Le Titre II présente l'anni circulum. Le n' 17 dit: «Totum
Christi mysterium per anni circulum ab Ecclesia recolitur, ab
Incarnatione usque ad diem Pentecostes et ad exspectationem
adventus Domini ». On y parle:
- De Triduo Paschali (nn. 18-21);
- De Tempore Paschali (nn. 22-26);
- De Tempore Quadragesim<E (nn. 27-31);
De Tempore Nativitatis (nn. 32-38);
De Tempore Adventus (nn. 39-42);
De Tempore «per annum» (nn. 43-44), c'est-à-dire des
semaines « in quibus non celebratur peculiaris mysterii
Christi adspectus, sed potius ipsum mysterium Christi
in sua plenitudine recolitur ... » (n' 43);
De Rogationibus et Quattuor anni temporibus (nn. 45-47).

Le chap. II présente le Calendarium (nn. 48-61), où on distin-


gue le calendrier général de toute l'Eglise et le calendrier parti-
culier des différentes Eglises locales. «In calendario generali
universus cyclus celebrationum inscribitur, tum mysterii salutis
in Proprio de tempore, tum eorum Sanctorum qui momentum
univers ale pr<E se ferunt ... » (n" 49). Pour illustrer tout cela on
ajoute une Tabula dierum liturgicorum selon l'ordre suivant:
au premier degré: Triduum Paschale Passionis et Resur-
rectionis Domini; Nativitas Domini; Epiphania; Ascensio;
Pentecostes, etc.; Sollemnitates Domini, B.M.v., Sancto-
rum, .. ;
au deuxième degré: Festa Domini; les Dimanches ordi-
naires (<< per annum,,); les [êtes de Marie et des
Saints, etc.;
_. au troisième degré: les « memorüe » et les jours fériaux.

Tout cela est bien expliqué dans un Commentaire (pp. 53-83)


où on ren1.arque la célébration de 1'« opus salutiferum Christi»
dans le mémorial du mystère pascal (pp. 54-59); ensuite, la célé-
146 BURKHARD NEUNHEUSER
.----------------
bration de la manifestation du Seigneur: Noël, Avent; en troisième
lieu, le cycle" per annum» (pp. 62-63): "Prreter tempora cele-
brationi mysterii paschalis et adventus Christi inter homines
dicata, 33 vel 34 hebdomadre per circulum anni remanent ... »
(p. 62). Il y a encore les" Sollemnitates mobiles "per annum" »,
c'est-à-dire" Sollemnitates mobiles Domini »: et ici on cite de
nouveau les fêtes de la T.S. Trinité, du Corps et Sang du Sei-
gneur (Fête-Dieu), du Sacré Cœur de Jésus, du Christ-Roi.
Le chap. II traite du Proprium Sanctorum (pp. 65-83). Ici,
il n'est pas nécessaire pour nous d'entrer dans le détail; je
voudrais pourtant remarquer au moins le paragraphe concernant
la "festorum devotionis imminutio» (pp. 66-68). Voilà ce qu'il
dit avant tout: "Devotionis festa ea sunt qure celebrant non
factum mysterii salutis, sed quamdam faciem, seu rationem,
alicuius mysterii, vel titulum quo Dominus aut B.V. Maria aut
Sanctus invocatur. "Hrec festa, inde a Media Aetate, e privata
devotione in publicum cultum Ecclesire inducta sunt" ... Plera-
que devotionis festa reeenter (i.e. sreculo XVII exeunte) ... in
calendarium generale relata sunt ... S. Pius V duo tantum devo-
tionis festa retinuit: festa nempe SS. Cor-poris Christi (1264) et
SS. Trinitatis (1334) .... Postremis sreculis 16 devotionis festa
calendario generali adscripta sunt ... » (p. 66), c'est-à-dire avant
tout des fêtes de la Vierge Marie, mais aussi de Notre Seigneur:
SS. Nominis Iesu (1721), Pretiosissimi Sanguinis D.N.I.C. (1849),
SS. Cordis Iesu (1856), S. Familüe (1921), D.N.I.C. Regis (1925).
A présent, dans le calendrier général, parmi les fêtes du Seigneur,
on a retenu seulement la T. S. Trinité, la T. S. Eucharistie, le
Sacré Cœur de Jésus, Christ-Roi et la Sainte Famille.

II - LES POINTS ESSENTIELS DE LA NOUVELLE SYSTÉ-


MATISATION

Après avoir présenté ces schémas quelque peu arides et


abstraits, il nous faut insister maintenant sur les points essen-
tiels, qui s'y montrent d'ailleurs assez clairement.
D'abord, on n'y trouve jamais la moindre idée d'une fête
dédiée au Père. Il y a seulement des fêtes du Seigneur (Festa
Domini). A ce propos pourtant nous devons faire encore une
distinction: dans le cycle " de tempore » il y a des fêtes appelées
ANNEE LITURGIQUE ET FETES DU CHRIST 147

parfois fêtes du Seigneur; mais au sens strict de la parole les


fêtes du Seigneur sont seulement les lesta devotionis, assez
tardives d'ailleurs, lesquelles relèvent d'une conception théolo-
giquement moins parfaite: en effet, elles ne célèbrent pas un
« factum mysterii salutis », mais un aspect partiel, dévotionnel,
pour ainsi dire; c'est qu'elles ont été introduites dans le calendrier
de l'Eglise par la dévotion privée des temps récents.
Encore plus important c'est, me semble-t-il, que ces fêtes
qui paraient être orientées vers une autre Personne divine, telle
l'Esprit Saint, ou vers la Trinité tout entière, sont toujours
énumérées sous le titre de « fêtes du Seigneur ». Cela veut dire
qu'elles aussi sont célébrées comme des aspects partiels de
l'œuvre du salut du Christ.
Finalement, il nous faudrait voir aussi le fait que la Consti-
tution liturgique Sacrosanctum Conci/ium de Vatican II regarde
même les fêtes des Saints comme des formes concrètes de célé-
bration du mystère du salut du Christ: « ... Ecclesia Beatam Ma-
riam Dei Genetricem cum peculiari amore veneratur» (n' 103);
« ... In Sanctorum enim nataliciis prredicat paschale mysterium
in Sanctis cum Christo compas sis et conglorificatis» (n' 104).

III - ÉVALUATION THÉOLOGICO-LITURGIQUE

Tout ce que nous venons d'exposer nous donne la possibilité


de préciser notre position théologique à la lumière du Concile
Vatican II et d'une saine théologie liturgique.

1. Les fêtes liturgiques classiques sont toutes dirigées vers le


Père, par le Christ, dans l'Esprit Saint, en tant qu'elles célèbrent
l'œuvre du salut accomplie par le Christ dans son mystère pascal,
dans son « épiphanie» et, bien que d'une autre manière, aussi dans
la commémoraison des Saints.
En d'autres termes: la liturgie classique ne connaît pas de
fêtes du Christ de même qu'elle ne connaît point de fêtes du Père
ou du Saint-Esprit. C'est qu'elle célèbre l'œuvre du Christ, du
Fils du Père, incarné pour notre salut, mort et glorifié pour
nous. Et c'est en rendant grâce au Père par le Christ dans
l'Esprit qu'elle célèbre cette œuvre.
148 BURKHARD NEUNHEUSER

On pourrait ci ter à ce propos le canon 21 du Concile de


Hippone de 393: "Cum altari adsistitur, semper ad Patrem
dirigatur aratia ». C'est dans le même sens que s'expriment les
grandes oraisons de la liturgie de Rome (cf. les conclusions:
«( Per Dominum nostrum Iesum Christulll .. . qui tecum vivit et

regnat in unitate Spiritus Sancti, Deus, ... » et presque toutes


les Prières Eucharistiques ou Anaphores, soit d'Orient soit d'Oc-
cident). Comme témoin moderne on peut citer ici l'œuvre désor-
mais classique de J.A. JUNGMANN, Die Stellung Christi im litur-
gischen Gebet, Münster i.W. ' 1925.
Cependant, suivant une terminologie moins précise, on peut
évidemment parIer de ces fêtes célébrant l'œuvre du Christ com-
me fêtes du Seigneur, tout en les distinguant nettement de ces
fêtes du Christ du type dévotionnel moderne, dont le thème
central est, en verité, la personne mêlne du Sauveur Jésus-
Christ ou un aspect très concret, très particulier de son œuvre:
telles les fêtes du " Corpus Domini » et du Sacré Cœur.
2. D'autre part, nous ne pouvons pas nier le fait que cette
conception classique, maintenant renouvelée par la réforme litur-
gique postconciliaire, n'a pas été unique. D'abord, on a connu,
déjà dans l'antiquité, des fêtes d'idée, d'une idée abstraite, telle
par exemple la fête de J'Orthodoxie de l'Eglise byzantine. Tout le
monde sait que A. Baumstark a voulu expliquer presque toutes
les fêtes anciennes comme des fêtes d'idée (cf. Liturgie comparée,
31953, pp. 168-179, 181-193), et que, plus encore, dès le Moyen-Age
on a voulu célébrer le Christ par des célébrations spéciales: c'est
le cas, par exemple, de la fête du " Corpus Domini »; en outre,
qu'on a introduit la fête de la T. S. Trinité et que parfois on a
même voulu regarder le dernier dimanche de la "Pentekosté»
comme une fête du Saint-Esprit.
3. Pour finir nous voudrions résumer notre opinion ainsi:
1

Les célébrations de l'année liturgique sont des fêtes de l'œuvre


du salut du Christ; cependant, elles considèrent le Christ tout en
étant toujours orientées vers le Père, dans J'unité du Saint-
Esprit. C'est par là qu'on ne peut pas parler des fêtes du Père
ou du Saint-Esprit. Ces fêtes sont, en réalité, des actions sacrées
dans lesquelles nous rendons grâce à Dieu le Père, dans J'Esprit
Saint, en faisant le mémorial de J'œuvre du salut accomplie par
le Christ, avant tout dans le mystère pascal de sa mort et de
sa résurrection.
ANNEE LITURGIQCE ET FETES DU CHRIST 149
--------

On peut faire encore une distinction à propos des fêtes du


Christ:
a) dans un sens immédiat, c'est-à-dire les fêtes (classiques)
"de tempore" et celles (moins classiques) dévotionnelles, ab-
straites;
b) dans un sens médiat, c'est-à-dire les fêtes des Saints (de
Notre Dame, des Martyrs et des autres Saints) en tant qu'elles
sont des témoignages de la participation au mystère du Christ.

Burkhard NEUNHEUSER
LA RÉSURRECTION DU CHRIST EN TANT QUE VICTOIRE
DÉFINITIVE SUR LA MORT À TRAVERS LE SEPTIÈME
JOUR, D'APRÈS LA LITURGIE ORTHODOXE

Monseigneur, Révérends Pères, Mesdames, Messieurs,


Permettez-moi de vous dire quelques mots avant d'aborder
le vif du sujet.
Lorsque Monsieur le Recteur m'a proposé de faire une com-
munication sur le thème général: Le Christ dans la liturgie, je
fus sensible à l'honneur qui m'était fait et acceptai volontiers.
Cependant, je ne vous cacherai pas que le thème par lui-
même me laissa quelque peu perplexe, étant donné que, de mon
point de vue, toute liturgie est une icône du Christ, autrement
dit, il n'y a pas de liturgie sans Christ, comme il n'y a pas d'océan
sans eau.
Ceci étant, dans filon exposé j'ai cerné plus précisément la
résurrection du Christ en tant que victoire définitive sur la mort
à travers le septième jour, d'après la liturgie orthodoxe, puisque
je m'intéresse depuis de nombreuses années et travaille à la
recherche d'une définition du sens et de la « place» de Pâques
dans la liturgie orthodoxe. Cette étude est encore loin d'être
achevée. Ce que je soumets aujourd'hui à votre réflexion ne
représente qu'un condensé des principaux sujets que j'ai l'inten-
tion d'approfondir.
Avant d'aborder le sujet de mon exposé, permettez-moi de
vous présenter quelques remarques préliminaires sur le problè-
me du temps, car il tient une place importante dans ma présen-
tation. Je voudrais donc, dès le départ, vous préciser ma pensée
à cet égard.

* * *

{( Si l'on m'interroge, disait Saint Augustin à propos du


temps, je le sais; mais si je veux l'expliquer, je ne puis».
Aujourd'hui encore, la question reste valable. {( Nous ne conser-
152 NICOLAS OSSORGUlNE

vons le temps, notait Aristote, que si notre mouvement s'effectue


par rapport à des repères. Et cependant nous mesurons non
seulement le mouvement grâce au tenlpS, mais aussi le temps
grâce au mouvement, parce qu'ils se définissent l'un l'autre».
L'analyse du mouvement par Newton, la conception d'Ein-
stein qui veut que le temps soit une quatrième dimension, com-
parable à la longueur, la largeur et la hauteur, ont révolutionné
la physique, mais ne définissent pas pour autant ce temps insaisis-
sable, inexorable aussi. Notre vie est tout entière une lutte contre
le temps qui passe. Peut-être parce que, justement, ce n'est pas
le temps qui passe, c'est nous qui passons.
Indépendant de tout autre phénomène, mais exerçant son
action sur tout ce qui est, le temps ne peut, par nature, être
maîtrisé. Tout ce qui vit, plantes, animaux, organisme humain,
a dû, dès l'origine, adapter le rythme de vie qui lui est propre
aux effets extérieurs afin de ne pas disparaître.
La lumière, la chaleur, le son, tout ce qui permet à l'homme
de percevoir le monde ambiant, existe sous forme de mouvement
vibratoire, régulièrement répété selon une fréquence donnée. La
valeur de celle-ci définit le phénomène. La lnmière se situe dans
la gamme des très hautes fréquences, le son dans celle des
basses, etc.
Sous l'aspect d'un mouvement régulièrement répété, une
forme d'être matériel apparaît, déterminé par ce mouvement
qui se manifeste dans le temps et qui revient constamment à
son état initial.
Dans la catégorie temporelle, cela forme comme i'image
d'un être à l'état de présent ininterrompu, sans passé, ni futur.
L'on observe comme une différenciation de l'éternel dans le
temps, qui passe.
Incapable de mettre un terme au flot du temps, l'homme
se contente de le mesurer, de le " mettre en grille », en se référant
au cours des astres, un phénoméne récurrent, que l'on peut
assimiler au mouvement vibratoire, auquel il a été fait allusion.
C'est ainsi que la rotation de la terre autour de son axe
détermine le cycle circadien. Le mois se rapporte à la révolu-
tion de la lune autour de la terre; l'année correspond au mouve-
ment de notre planète autour du soleil.
La chute introduisit la mort dans l'univers, rompant le cycle
de l'existence humaine dans un présent éternel. Le temps se mit
__________________~L=A~RE~S~U~RRE=__C_T_I_O_N_D_U
__C_H
__R_IS_T______________ 153

à couler dans une sorte d'illimité sans espoir. Ayant vaincu la


mort, le Christ a rétabli la continuité du cycle et il a donné la
possibilité à tout fidèle de se libérer du temps qui fuit et de
revenir à l'état qui correspond à la vocation de l'homme, c'est à
dire {( l'éternel présent ».
La conception involontaire que nous autres mortels avons
du temps se réduit en quelque sorte à trois aspects: le passé,
le présent et le futur. Le passé tout comme d'ailleurs le futur
nous paraissent infinis, alors que le présent par essence ne se
prète pas à la mesure et ressemble à un point géométrique P
(voir fig. 1) qui se déplace le long d'une droite infinie. Le passé
précède ce point, le futur le suit, mais le présent pour ainsi
dire n'existe pas, car dans ces conditions le passé semble dévorer
le futur.

Fig.!
REPRÉSENTATION GRAPHIQUE DU TEMPS

of---pClSJ:' ~
a a"
---.-0----------' ---------.------
p

Du point de vue de la liturgie, dans la mesure où celle-ci est


l'expression de la vie éternelle, le concept du temps est tout
autre. Là, il n'y a ni passé, ni futur, dans le sens que nous venons
de leur donner; seul le présent existe où se réalise, à travers un
enchaînement d'événements, l'Economie divine.
A supposer que les événements soient disposés, tels des objets
en un lieu donné, guidés par le temps chanlel, selon l'expression
de St. André le Crétois (cf. le canon de la Nativité de la Vierge:
« Le principe sans commencement à travers le temps charnel
trouve un commencement en toi, Mère de Dieu, et demeure sans
commencement ... »), nous parvenons en longeant ces événements
liturgiques à la plus réelle des réalités. C'est ainsi qu'à Noël,
Pâques ou tout autre fête, nous en arrivons par la vie liturgique
de l'église à participer à l'événement lui-même.
154 NICOLAS OSSORGUINE

Si j'ai donné l'exemple d'une droite infinie pour définir


notre conception du temps, dans le cas du présent éternel je
citerai celui du cercle comparable à une roue qui se déplace le
long d'une droite, comme sur une route, en laissant des traces
(voir fig. 1).
Un point A choisi sur cette roue pourrait être reproduit
sur une droite un nombre infini de fois (a, a', aU ... ), mais toutes
ces représentations ne seraient que des images, icônes, d'une
seule et même réalité, au futur comme au passé. C'est dans ce
sens qu'il faudrait comprendre la préfiguration ou parfois la
symbolique ou même la prophétie, dont l'objet ne serait qu'un
signe à peine perceptible, mais contiendrait néanmoins l'em-
preinte de l'éternelle vérité. Selon ce raisonnement, le jour de
l'équinoxe vernal, point de départ de la date de Pâques, est
l'icône du 1" jour de la Création, ce dont traite en détail un
document du IV' siècle - "L'homélie anatolienne sur la date
de Pâques de 387". La Semaine de la Passion y est comparée
à celle de la Création du monde (semaine rédemptrice = semaine
créatrice), le point vernal correspondant au 1" jour de la Création,
c'est à dire au Jour Unique (~ fLl", ~fLÉp,,), la pleine lune au 4'
jour et le jour de Pâques clôturant le cycle septénaire de la
Création.
Certes, un esprit sceptique pourrait mettre en doute toute
correspondance entre l'équinoxe de printemps et le 1" jour de la
Création en déclarant qu'il s'agit là d'un phénomène parfaitement
connu de la physique et pleinement expliqué par l'astronomie sans
aucun rapport avec le surnaturel. Pour ne pas m'appesantir sur
ce sujet, je me contenterai de poser une question à ce sceptique,
s'il croit toutefois en un Dieu Créateur. Est-il plus naturel de
supposer que la création de Dieu porte en soi l'empreinte de Sa
main ou de supposer qu'elle ne la porte pas? Par ailleurs, on
pourrait ajouter que, si l'homme a été créé à l'image et à 1"
ressemblance de Dieu, la création tout entière n'a-t-elle pas été
créée à l'image et à la ressemblance des anges et de ce fait ne
traduit-elle pas un message de son Créateur puisque les anges sont
les messagers de Dieu?
Etant donné que la vie liturgique nous amène à participer
aux événements de l'Economie divine, fait établi précédemment,
examinons à présent le contenu et les modalités d'expression de
cette vie liturgique.
LA RESURRECTION DU CHRIST 155

* * *
Les vêpres du Samedi Saint, ayant un nombre exceptionnel
de lectures - 15 « parémies » - , n'ont pas de « prokimenon »
qui normalement doit précéder les parémies. Cette absence de
prokimenon est un cas unique dans l'année liturgique et c'est
en quelque sorte la première lecture qui prend sa place. Il serait
intéressant de connaître la signification du prokimenon en
général et de son absence dans le cas cité en particulier, mais
ce n'est pas notre propos.
Dans cette première parémie il s'agit d'un extrait du début
de la Genèse (1,1-13) qui nous place devant l'image du Jour
Unique (~ [Ll", ~[L'PIX), Jour que se partagent deux domaines,
celui de la lumière et celui des ténèbres, le jour et la nuit.
Aux vêpres de Pâques, célébrées le lendemain, une lecture de
l'évangile selon St. Jean est lue à la place des parémies. Ceci est
encore un cas unique. Cet évangile décrit l'apparition du Christ
à ses disciples (Jn 20,19-23) "le premier jour de la semaine », à
savoir celui où, d'après la conception joannique, l'Ascension
(20,17) et la Pentecôte (20,22) se recoupent. Ces trois événements,
la résurrection, l'ascension vers le Père et l'envoi de l'Esprit
Saint ont tous lieu dans l'éternel présent en ce Jour Unique,
bien que, considérés en projection sur notre «temps charnel»
(cf. l'expression de St. André le Crétois), nous les percevons
comme séparés dans le temps.
Le dimanche de St. Thomas, qui fait suite à celui de la
Résurrection, célèbre la 2' apparition du Christ ressuscité, mais
cette fois en présence de l'apôtre Thomas. Le synaxaire lu après
la 6' ode du canon spécifie: "On peut l'appeler huitième (ce di-
manche) en tant qu'icône de ce jour éternel ... non interrompu
par la nuit ». En d'autres termes, la Résurrection du Christ abolit
définitivement le domaine des ténèbres qui au début de la
Création avait sa place dans l'image du Jour Unique. St. Jean
le Théologien confirme ce fait dans l'Apocalypse: "Il n'y aura
plus de nuit; ils se passeront de soleil pour s'éclairer, car le
Seigneur Dieu répandra en eux Sa lumière» (Apoc 22,5).
Le mystère de l'Economie divine est révélé donc par l'ac-
complissement du Jour Unique d'où le domaine de la mort-ténè-
bres, présent au 1" jour de la Création, est totalement éradiqué.
Cette victoire sur les ténèbres s'affirme le Samedi Saint. Le
156 NICOLAS OSSORGUINE

jour de Pâques, au cours de la liturgie, après la proclamation


du prokiménon: «Voici le jour que fit le Seigneur pour nous,
joie et allégresse" (Ps 118, 24), l'évangile selon St. Jean nous
dévoile le mystère de cette Lumière que les ténèbres ne peuvent
saisir (Jn 1, 5).
Notons que le cycle pascal débute à Pâques et se termine le
Samedi Saint et recouvre par conséquent l'année tout entière.
Il est fort erroné d'estimer que ce cycle ne correspond qu'au
triodion du Carême et à celui de Pâques, c'est à dire à une période
de 18 semaines. On pourrait donc assimiler l'année pascale
tout entière au Jour Unique, dont la partie lumière-journée cor-
respondrait dans l'hémisphère boréal à l'été et la partie-nuit
à l'hiver.
Une représentation schématique du cycle pascal basée sur
ces notions de jour et de nuit aurait l'aspect représenté sur la
fig. 2, où le point E correspondrait au point vernal, c'est à dire
au passage de l'obscurité à la lumière.

Fig.Z
CYCLE DU JOUR CYCLE PASCAL DE L'ANNEE

jou.r

An"?n,,~hc,.
Vèpres
(EQLlinoxe dt

.,, Print~l1".p.l)

../
./
_t,or. .' .
'
.

Noël

Dans le cadre du cycle pascal, il correspond à la période


de Pâques; dans celui du cycle circadien, aux matines, pendant
lesquelles on entonne des versets du psaume 118 (117): «Dieu
Seigneur nous est apparu" Cv. 26-27). (Le jour de Pâques l'on
chante le verset: «Voici le jour que fit le Seigneur ... " [v. 24]).
Selon ce schéma une certaine analogie transparaît entre
les cycles circadien et annuel, analogie qui sera confirmée ulté-
rieurement par des arguments d'ordre liturgique. En effet le
thème commun qui unit les deux cycles est l'image du Jour
__________________~L~A~RE~S~U~R~RE~C~T~I~O~N~D~U~-~C~H~R~I~s~r______________157

Unique, point de départ de la réalisation de l'Economie Divine,


mais avec cette différence que le concept du Jour Unique inclut
également celui de parachèvement de l'Economie Divine: l'alpha
et l'oméga. Le parachèvement dans le cadre du Jour Unique se
découvre dans le cycle hebdomadaire comme le processus de
réalisation de l'Economie Divine. Pour en revenir à notre schéma,
le cycle hebdomadaire nous indique la progression de la lumière
envahissant les ténèbres. La lumière finit par s'emparer du cercle
entier.

Le sinaxaire du premier dimanche du Triodion (dont le


thème est la parabole du phacrisien et du publicain) nous éclaire
sur les circonstances et les raisons à la suite desquelles la lu-
mière apparaît au début de la Création.
Ce sinaxaire insiste, en particulier, sur la nécessité du repen-
tir, autrement dit, sur la nécessité de la reconnaissance de ses
péchés, permi lesquels le plus redoutable est l'orgueil; et c'est
précisément par orgueil que Lucifer, porteur de la lumière (en
slavon « dennijsa" qui signifie l'annonciateur du jour), a chuté,
en se détournant de Dieu. Ainsi, en se privant, par orgueil, de
la Lumière, il est devenu lui-même ténèbres, précise le sinaxaire.
Dès lors, la venue de la Lumière au commencement le l'Eco-
nomie Divine doit être comprise comme le début de la lutte avec
les ténèbres, lutte qui s'achève par la victoire totale de la Lu-
mière, à savoir, l'accomplissement de ce Jour Unique (8' jour),
au tcrme de cette Economie Divine.
L'idée du cycle hebdomadaire est tirée de la Bible (Genèse,
1 - 2,3) dont je traiterai certains aspects importants sans m'ar-
rêter sur les détails du récit biblique.
1) La création du monde commence le 1cc jour de la semaine,
c'est à dire dimanche, et s'achève le 6' jour - vendredi. En ce
qui concerne ce 1" jour (~ [.Llo: ~[.L<pC1.), l'interprétation donnée par
les Pères de l'Eglise, et notamment par St. Basile le Grand, est
celle d'une image de jour, disons, d'un jour étalon. Par référence
à la définition du temps donnée au début de l'éxposé, le Jour
Unique serait le lieu Où s'accomplit sur un mode ordonné
l'Economie Divine et le cadre où s'insèrent les jours de création
suivants, représentant les différentes phases de cette création.
2) Le déroulement de la création correspond à un certain
ordre cyclique. On peut diviser les 6 jours de la création en 2
158 NICOLAS OSSQRGUINE

cycles parallèles de 3 jours chacun (voir fig. 3), à savoir: a) Le


sujet de la lumière aux prises avec les ténèbres est commun au
1" et au 4' jours; h) Aux eaux et au ciel - réceptacles de la
vie - sont consacrés les 2' et 5' jours; c) La vie sur la terre ap-
paraît les 3' et 6' jours.

ri L~ndi ~.~
1

OISEA:;X L. SO!. l'<'T I .. sse.,bl~"ent


pitT s,;par"~lO" dp~ R"UX - les J,!I:'1.S
~<S EAUX r.,.. POISSONS La 'fIE, 1. '-'Ioncle v~6~r,,1 1. ",on<te <1nh."~
l'~RilRE lN" ho=p: ADAIi

rntro~uet1on ~e 1 ... L'OR'!'

fig. 3 LE SEPTÉNAIRE
7 samedi de la CRÉATION

Quant au 7' jour, en poursuivant le même processus de rai-


sonnement, il devrait être à l'origine d'un nouveau cycle et, par-
tant, son sujet serait celui des Je' et 4' jours: la lumière aux
prises avec les ténèbres.
3) A propos de chacun des 6 jours de la création, la Bible
nous informe qu'il y eut un soir et un matin, jour un tel.
C'est le signal qui nous annonce le commencement du jour un
tel. Il est à noter d'autre part que la nuit semble absente ou
ignorée dans ce récit biblique. On y lit: «Il y eut un soir et il
y eut un matin »; et non pas: «Il y eut un soir, il y eut une nuit
et il y eut un matin ». Par conséquent, le 6' jour, celui de la
création de l'homme, est entamé. En effet, « Il y eut un soir et
il y eut un matin: sixième jour ». En ce qui concerne la nuit,
elle est citée seulement deux fois: le premier et le quatrième
jours. Quant au 7 e jour, sa destination est certes précisée, mais
on ne trouve aucune mention du fait qu'il ait commencé. « Dieu
LA RESURRECTION DU CHRTST 159

se reposa de toutes ses œuvres» pourrait être conçu comme


une prophétie au sujet d'un événement à venir. Bien plus,
lorsque le 6' jour s'achèvera pour céder sa place au 7', celui-ci
sera introduit par un soir suivi d'une nuit. Il est intéressant
ici de remarquer que le Mercredi Saint à la 9' heure la lecture
de l'évangile (" tétraévangile ») s'achève ainsi: "Quant à Judas,
ayant pris la bouchée il sortit immédiatement: il faisait nuit"
(Jn 13,30).
Dans le cadre du cycle liturgique hebdomadaire, le samedi
est consacré à la mémoire de tous les saints et de tous les
défunts, c'est à dire tous ceux qui à travers la mort ont at-
teint un monde autre. Le samedi est donc lié au concept de la
mort, ce qui correspond liturgiquement au concept de la nuit ou
des ténèbres, expression même du royaume des enfers. Un grand
nombre de textes liturgiques viennent étayer le sens que nous
venons de donner au 7' jour; nous ne citerons que deux exemples
parmi les plus importants, à savoir:

a) Une stichère des matines du Samedi Saint qui précède


la Grande Doxologie, donc avant le lever du soleil:
«( Le grand Moïse prophétisa mystérieusement ce jour en disant:

Dieu bénit le 7~ jour, car c'est ici le Sabbat béni. C'est ici le jour de
repos. En lui le Fils de Dieu s'est reposé de toutes œuvres. Il a
tout accompli par la morL Il a célébré le Sabbat daus sa chair.
Et revenant à ce qu'Il était, par la Résurrection, Il nous a donné
la vie éternelle, en sa bonté et son amour de l'homme».

h) Un autre texte, celui du trop aire du Samedi Saint:


{( Quand Tu es descendu vers la mort, Vie immortelle, Tu as
détruit l'enfer par l'éclair de Ta Divinité et quand Tu ressuscitas
les morts des tombeaux, toutes les puissances des cieux procla-
maient: Christ qui donne la vie, notre Dieu, gloire à Toi ».

Selon le 1" texte, le 7' jour de la Création débute dans la


conscience ecclésiale orthodoxe au moment de la mort du Christ
sur la croix. St Jean le Théologien dit à ce propos: "Ce Sabbat
était un grand jour" (Jn 19,31).
Le deuxième texte, tropaire du Samedi Saint, est en fait
aussi le tropaire du dimanche 2' ton, ce qui signifie que du
point de vue liturgique, le 7' jour est de même nature que le 8' et
le complète en quelque sorte.
160 NICOLAS OSSORGUINE

La conclusion qui s'impose est que le 7" jour - samedi -


par rapport au Jour Unique n'en constitue que la partie envahie
par les ténèbres qui, une fois disparues, le Jour Unique atteindra
plénitude de lumière.
L' œuvre de Création trouve son terme à Pâques - la se-
maine créatrice est accomplie.
St. Isaac le Syrien écrivait (déjà au VI" siècle):
{( Le jour de la résurrection est pour nous, tant que nous
sommes limités par la chair et par le sang, un de ces mystères
des hautes vérités qui dépasse l'entendement. En ce monde,
il n'est point de huitième jour, ni de sabbat au sens propre du
mot. Car celui qui a dit: "Dieu s'est reposé au septième jour"
(Gen. 2,2), a signifié le repos terminant cette vie. Pendant six
jours s'accomplissent tous les actes de l'existence par l'obser-
vation des commandements; le septième se passe tout entier au
tombeau et le huitième - au sortir du tombeau ".
Ainsi le Christ ressuscité révèle le 8" jour lequel, selon l'évangé-
liste Jean, comprend aussi l'Ascension et la Pentecôte. En s'adres-
sant à Marie Madeleine le Christ ressuscité dit: «Je monte vers
mon Père et votre Père" (Jn 20,17), et cinq versets plus loin
il dit aux apôtres (le même jour): «Recevez l'Esprit Saint"
(20,22). L'apparition du Christ aux apôtres, les portes fermées,
au soir du même jour, est la preuve que le Christ, retourné au
sein de la Trinité et demeurant par conséquent dans le 8" jour
Jour Unique - , visite ses disciples alors qu'ils se trouvent
en situation de portes fermées, c'est à dire encore au 6" jour.
Les portes fermées séparent les disciples du Christ car ils
ne connaissent pas encore le 7' jour, n'étant pas passés par la
mort. Voici pourquoi le Christ, dès sa résurrection ne reste plus
en permanence comme avant sa mort auprès de ses disciples
et ne fait qu'apparaître. Cependant le don du Saint Esprit, c'est
à dire la fondation de l'Eglise du Christ, peut être considéré
comme l'anticipation du 8' jour dès le 6".
Le 6" jour, jour de la création de l'homme Adam, comprend
en termes liturgiques tout autant la chute de l'homme que
l'incarnation du Christ. De nombreux textes liturgiques souli·
gnent que" le serpent par le moyen de l'arbre fit fermer l'Eden,
mais l'arbre de la croix l'ouvre à nouveau" (3" semaine du Ca-
rême, adoration de la Sainte Croix). Du reste, c'est par l'arbre
LA RESURRECTION DU CHRIST 161

que le premier Adam tout comme le deuxième ont connu la


mort et sont entrés dans le 76 jour, domaine des ténèbres, mais
le premier ne put ressusciter n'ayant pas cette possibilité (et
c'est précisén1ent pour cette raison que l'arbre lui avait été
interdit); par contre, le deuxième Adam-Fils de Dieu, après avoir
goûté à l'arbre de la mort, entra dans le repos du Sabbat et,
selon l'expression du tropaire cité, " a détruit l'enfer» (la mort).
Souvenons-nous des accusations lancées par les juifs respec-
tueux du Sabbat contre le Christ lorsqu'Il guérissait les malades
ce jour là, notamment le paralytique, auxquelles le Christ répon-
dait en disant que: "Mon Père est à l'œuvre jusqu'à présent et
j'œuvre moi aussi» (Jn 5,17). Le Christ témoigne en personne
que le 7' jour n'est pas encore arrivé. Agonisant sur la croix, le
Christ prononce selon le témoignage de St. Jean: "C'est achevé ».
En comparant ce récit sur la mort du Christ avec celui de
la Genèse sur l'achèvement de la création du monde (2,2):
« Dieu acheva au septième jour l'œuvre qu'il avait faite », le
texte grec (ainsi que les traductions slavonne, russe et des
versions françaises comme Ost y, TOB) utilisent dans les deux
cas des formes du verbe ~EÀéO). Cet emploi du grec fait apparaître
la relation profonde entre ces deux récits. L'évangéliste souligne
que la Passion avait eu lieu le vendredi et ainsi la situe dans le
cadre de la création. La parole du Fils de Dieu: "C'est achevé»
résonne comme un témoignage du fait que l'œuvre créatrice
commencée par Son Père est maintenant conduite à terme. Le
repos du Sabbat s'annonce.

Pour mieux saisir la signification et la place données au


samedi et au dimanche par le Typicon, il faudrait en premier
lieu essayer de comprendre son langage. Arrêtons-nous pour ce
faire, sur l'utilisation de la 17' cathisme (Ps. 118) dans la
liturgie.
Le Psautier, qui contient 150 psaumes et qui est divisé en
20 sections-cathismes, occupe une très grande place dans les
offices orthodoxes en règle générale. En particulier, il est lu
au complet, en une semaine, aux vêpres et aux matines et deux
fois par semaine en période de Carême. A suivre l'ordre de
lecture des cathismes établi pour l'année, on s'aperçoit qu'à
l'exception de la 17" cathisme, cet ordre n'est pas totalement
immuable par rapport au jour ou à l'office donné. Or la 17",
162 _________________~N~'C~O~L=A~S~O_S_S_O_R_G_U_'_N_'E_·____________________

grâce à son contenu, a une relation très nette, jamais rompue,


avec un moment liturgique spécifique. Le moment en question
est celui qui traduit le passage de la mort à la résurrection. En
effet, la 17' cathisme exprime l'amour de l'homme envers la
loi divine qui est son salut. Elle est, pour ainsi dire, l'échelle
que gravit l'homme déchu pour atteindre Dieu. Son leitmotiv
est: « Béni es Tu, Seigneur, apprends-moi tes comn1andements »
(119,12); "Si ta loi n'eût fait mes délices, je périssais dans la
misère. Jamais je n'oublierai tes préceptes: par eux tu me
vivifies» (119,92·93). De ce fait, elle s'est vu attribuer une place
bien déterminée dans le cycle liturgique orthodoxe, notamment
lorsqu'il s'agit d'attirer l'attention sur la mort. A ce moment
là, la 17' cathisme intervient comme échelle permettant à la
foi en le salut, c'est à dire en la résurrection, de se déclarer.
Cette cathisme est par conséquent liée au samedi, jour
consacré à la mémoire des trépassés et se lit au cours des
matines. Elle est aussi lue à l'office de minuit les cinq premiers
jours de la semaine, car une partie de cet office est également
consacrée aux défunts.
Le Typicon connaît trois types d'office de minuit: l'office
quotidien, celui du samedi et celui du dimanche. Si l'on examine
l'ordre dans lequel apparaît la cathisme dans le cycle hebdoma·
daire, nous arrivons à la situation suivante: la 17 apparaît C

d'abord aux cinq offices de minuit -- du lundi au vendredi --


tous identiques, le jour précis de la semaine ne jouant aucun
rôle (voir fig. 4). De ce point de vue, on pourrait considérer que
ces cinq jours se fondent en un seul.

Fig. 4-

OFFICE DE MINUIT

j)i.manche

Lundi
Mardi
l4~rl'red/
Jeudi
Vendredi ----------}
:<
Samedi
ttntbm
==
(lnéQnti.~5
LA RESURRECTION DU CHRIST 163

Dans la nuit du vendredi à samedi, la 17° cathisme (transférée


aux matines du samedi, COlnme nous l'avons déjà indiqué) est
remplacée par la 9" (Ps 65-70) qui contient des psaumes utilisés
au cours des offices pascaux.
Dans la nuit du samedi au dimanche, à la place de la
cathisme on chante un canon dédié à la Sainte Trinité pris dans
l'office dominical de l'Ochtoèque selon le ton en vigueur. Et la
partie funèbre de cet office de minuit est éliminée. La conclusion
qui s'impose au vu de ce cycle hebdomadaire de la 17° cathisme
est que les cinq premiers offices de minuit de la semaine reflètent
le contenu du Sabbat sous forme de la partie nocturne du Jour
Unique.
A l'office de minuit du samedi, la 9" cathisme remplace la 17',
l'espoir du salut est substitué par l'instant de la délivrance de
la mort, ce dont nous fait part la 9' en termes utilisés aux
services de Pâques: « Que Dieu ressuscite ... )}, ce qui revient
à dire qu'il s'agit de l'instant de la descente du Christ aux enfers
et de leur anéantissement.
Quant à l'office de minuit dominical, il n'a plus de cathisme,
le canon trinitaire célebrant l'avènement du 8" jour à la manière
de l'exapostilaire de la Pentecôte: «Lumière est le Père, Lumière
est le Verbe, Lumière est l'Esprit Saint ».
En résumé, sur le plan du Jour Unique, le samedi comme
contenu y occupe le domaine de la nuit correspondant à la
mort qui est anéantie le 7" jour. Le Jour Unique s'ouvre alors
sans nuit, la nuit n'y trouvant plus de place et le samedi et le
dimanche se fondent en un tout (fig. 4).

Examinons le lien unissant ces deux jours (ou ces deux


aspects du «Jour Unique ») du point de vue liturgique.

l' A quelques exceptions près, tout au long de l'année l'on


chante certains chants du dimanche à l'office du samedi (dogma-
tique aux vêpres et le théotokion, suite au tropaire, aux vêpres
et aux matines).
20 Le service du san1edi ne peut avoir, tout COlnme le di~
manche, un caractère de pénitence spécifique au Carême. Ce
dernier ne trouve expression que pendant les cinq premiers jours
de la semaine (cf. offices du Grand Carême). De plus, dans le
cas où la veille de Noël (24-XII) ou celle de ['Epiphanie (5-1)
164 NICOLAS OSSORGUINE

tombent un samedi, les services de ces jours voient leur structure


de caractère de CarénlC entièrement supprinlée. Tout se passe
comme si c' étai t le dimanche.

3' Les trois grandes fêtes: Noël, l'Epiphanie et l'Exaltation


de la Croix s'accompagnent de lectures spéciales des épitres
et de l'évangile aux liturgies du samedi et du dimanche qui
précèdent et qui suivent leur célébration.

De ces trois exemples on peut conclure que le samedi et


le dimanche forment un tout du point de vue liturgique. A l'épo-
que du Triode du Carême qui nous amène au Samedi Saint, le
thème de la mort est souligné avec encore plus de vigueur
qu'en temps normal et ceci pratiquement tous les samedis du
Carême. L'Eglise prévoit en plus, tous les samedis et dimanches
du Carême, la lecture de l'Héxaéméron de St. Jean Chrysostome
entre les cathismes des matines en tant qu'instruction des fidèles
afin de les préparer à la venue du 7' jour.
Le samedi précédant le Samedi Saint est la fête de la
résurrection de Lazare et les matines ont tous les traits des
matines du dimanche. Bien que l'évangile ne précise pas que
la résurrection de Lazare ait eu lieu un samedi, l'Eglise a tout
de même fixé cette fête un samedi et lui a donné l'aspect d'un
dimanche en tant que préfiguration du 8' jour. Finalement, le
Samedi Saint ayant également les traits caractéristiques du
dimanche exprime, comlne nous l'avons déjà indiqué, la victoire
du Christ sur la mort. L'avènement du Jour Unique se réalise
à Pâques et tous les jours de la semaine pascale semblables au
1" jour (trois détails secondaires près) expriment ce fait. Le
changement de ton à chaque jour de la semaine pascale signifie
que tout au long de ces sept jours, nous passons de dimanche
en dimanche. Il s'agit - pourrait-on dire - d'une « semaine de
sept dimanches )}.
La 17' cathisme a une importance tout aussi grande sur le
semaine suivante, celle de St. Thomas pour ce qui est des cinq
premiers jours de la semaine, à savoir qu'à côté des thèmes
pascaux et dominicaux qui ont leur place jusqu'à l'octave de
Pâques (veille de l'Ascension), on voit apparaître à certains
moments appropriés le thème prescrit à chaque jour de la se-
maine. Le lundi et le mardi, la pénitence; le mercredi et le
vendredi, la croix; le jeudi, les apôtres.
LA RESURRECTION DU CHRIST 165

Quant aux samedis de cette période, on y souligne avec force


à l'encontre de toute logique le thème de la résurrection aux
endroits normalement consacrés au thème habituel du samedi, à
savoir tous les saints et les défunts. Autrement dit, alors que
les cinq premiers jours de la semaine commencent à retrouver
leur aspect habituel, le samedi acquiert au contraire l'aspect du
dimanche et ne retient aucune allusion à la mort.
La 17' cathisme a une importance tout aussi grande sur le
plan du cycle annuel pascal, car à certaines périodes de l'année
elle se chante au lieu du polyéléion habituel des matines domi-
nicales (Ps 135 et 136). Dans ce cas le psaume prend l'aspect
d'un témoignage fait à la lumière comme si, pour reprendre
l'image de l'échelle, nous étions parvenus à son sommet.
La 17' cathisme se chante à la place du polyéléion aux ma-
tines du dimanche à partir de la 1'" semaine du Grand Carême
(époque proche de l'équinoxe vernal) jusqu'à l'octave de l'Exalta-
tion de la Croix - le 22 septembre, équinoxe d'automne, ce qui
correspond à la période de l'année où le jour domine la nuit
dans l'hémisphère boréal. Elle remplace à nouveau ce polyéléion
en hiver, à l'époque qui correspond au « minuit» hivernal, depuis
la pré-fête de Noël jusqu'à l'octave de l'Epiphanie (du 20-XII
au 14-!). Ainsi la fête de Noël à travers les dimanches éclaire cette
période de l'année, comme la pleine lune à minuit.
Dans la mesure où le samedi apparaît comme la figure de
la partie nocturne du Jour Unique (~ 1-'[" ~f.L.p,,) où pénètre la
lumière c'est à dire le Christ (comme la lune le 4' jour de la
Création), l'Eglise Orthodoxe y reconnaît également l'Incarnation.

Du point de vue liturgique, la fête de la Nativité comporte


beaucoup de points communs avec le Samedi Saint et Pâques.
Par exemple, le thème des trois jeunes gens dans la fournaise
(Dan 3) est lié à la Nativité et au Samedi Saint. Du Psaume 65,
qui fait partie des antiennes de la liturgie pascale, est tiré le
prokiménon commun à la liturgie de la Nativité et au Samedi
Saint: "Devant toi toute la terre se prosterne, elle te chante,
elle chante pour ton nom" (v. 4). En général, il y a une ana-
logie entre la pré-fête de Noël (20-24 Décembre) et la Semaine
Sainte. En effet, la fête de Noël n'est-elle pas désignée dans les
livres liturgiques comme « Pâques - fête de trois jours»? Or,
puisque Pâques est l'accomplissement du Jour Unique, l'Incarna-
tion du Christ doit en faire partie.
166 NICOLAS OSSORGUINE

St. Jean le Théologien dit dans son prologue, lu par les


orthodoxes à Pâques et par les catholiques à Noël, que" Tout fut
par lui et sans lui rien ne fut» (Jn 1,3) et "Il était dans le
monde et le monde fut par lui (J n 1,1). Dans l'esprit de la
liturgie orthodoxe, l'Incarnation du Fils de Dieu contient dans
sa totalité l'acte de la création du monde.
Le Psautier annoté (s posledovaniami) indique à côté de la
date du 25 mars, jour de l'Annonciation, que celle-ci a eu lieu le
dimanche et Noël (à la date du 25 décembre) le mercredi. De
toute évidence il ne s'agit nullement de quelque hypothèse de
calendrier, ce n'est que dans le cadre du septénaire de la création
que ces deux fêtes ont leur jour approprié. L'Annonciation cor-
respondant au 1" jour de la création, Noël au 4' et la résurrection
du Christ parachèvant le tout.
Examinons le schéma représentant le Jour Unique dans le
cycle pascal annuel (voir fig. 2).
Nous y voyons que l'Annonciation arrivée le 25-III correspond
à l'équinoxe du printemps (cf. mon article dans la Pensée Russe,
avril 1980) et nous savons à présent qu'il est l'icône du 1" jour
de la Création et se trouve être le point de départ pour la déter-
mination du jour de la fête de Pâques.
La fête de Noël, le 25-XII tombe en hiver dans son minuit
comme un rayon de la lumière divine rappelant l'événement qui
marqua le 4" jour de la Création quand Dieu ordonna à la lune
d'éclairer les ténèbres. Ce jour correspond au mercredi.
En outre, le 1" dimanche après Noël, l'on chante une sti-
chère avant la doxologie, c'est à dire au lever du soleil, qui inter-
prète la vision du prophète Joël (Joël 3,30-31): le soleil obscurci,
des sombres nuages, nuées et ténèbres, la lune recouverte de
sang. La stichère nous explique que le soleil obscurci - c'est
Dieu qui souffre, la lune ensanglantée - l'Incarnation, et la
nuée - l'Esprit Saint descendu sur la Vierge. La lune dans
cette vision représente la Mère de Dieu. Le Samedi Saint aux
matines pendant le chant de la 17" cathisme après le verset 96 on
chante: "Tu te couches sous la terre, Sauveur, Soleil de la
Justice - et la lune qui t'a enfanté se voile de tristesse, car elle
est privée de ta vue ». Ainsi l'Incarnation du Fils de Dieu qui
se traduit par l'Annonciation, la Nativité et la Résurrection révèle
et est elle-même le contenu du septénaire de la Création.
* * *
LA RESURRECTION DU CHRIST 167

En conclusion, je voudrais souligner qu'une réflexion sur


la méthode appliquée à déterminer la date de Pàques à partir
de l'explication donnée dans «L'Homélie anatolienne sur la
date de Pàques de 387» (tradition nicéenne) nous conduit sur
la base de l'équinoxe, de la pleine lune et du 1" jour de dimanche,
à voir se dessiner l'icône de l'Econon1ie Divine tout entière
depuis son commencement jusqu'à son achèvement, achèvement
manifesté par le 8' jour où l'accomplissement du Jour Unique
arrive à son terme, puisque le 7~ jour se voit définitivement
débarrassé de toute obscurité (voir fig. 3: l'ensemble formé
par les jours 1, 4 et 8).
Le concept de la résurrection ou de l'ensevelissement tridiur-
ne ne recouvre-t-il pas ces trois moments précis de l'Economie
Divine, à savoir: premièrement l'apparition de la lumière en face
des ténèbres - l'Annonciation (équinoxe de printemps); deuxiè-
mement, la pénétration de cette lumière à l'intérieur des ténè-
bres - la Nativité (première pleine lune) et enfin - troisiè-
mement -l'anéantissement total des ténèbres par la Résurrection
du Christ (premier dimanche après cette pleine lune)?
Cet aspect trinitaire du Jour Unique représente l'image de
la Sainte Trinité où 1) le Père révèle la Lumière, 2) le Fils-
Lumière pénètre dans les ténèbres et 3) où le Saint Esprit se
manifeste suite à la Résurrection.
{{ Lumière est le Père, Lumière est le Verbe, Lumière est le
Saint Esprit qui fut envoyé aux apôtres dans les langues de feu.
Par Lui le monde entier illuminé vénère la Sainte Trinité» (exa-
postilaire de la Pentecôte).

Et si l'on se réfère au verset 5 du 1" chapitre de la Genèse,


où Dieu donne le nom de Jour à la lumière, le sens de l'exaposti-
laire précité peut être interprété ainsi: «Jour est le Père, Jour
est le Verbe, Jour est le Saint-Esprit... ».
Quant à nous, n'ayant pas encore franchi le seuil de la
mort, nous nous trouvons toujours au 6' jour, jour de la mort.
(Il se peut d'ailleurs que le chiffre apocalyptique de la bête - le
666 - ait un rapport avec le 6' jour en tant qu'expression ultime
de la mort). Mais à ceux qui croient en lui, le Christ annonce:
« En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole
et croit en Celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle; il ne vient
pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie» (Jn 5,24).
Nicolas OSSORGUINE
, ,
LA FETE DE NOEL, FETE DE L'ÉVÉNEMENT
A
OU FETE D'IDÉE?

Que célèbre-t-on d'abord à Noël? Un "factum mysterii sa-


lutis " ou le dogme de l'Incarnation?
A. Baumstark estime que Noël est d'abord une fête d'idée '.
Si l'on peut admettre que la Noël romaine primitive mette prin-
cipalement l'accent sur la commémoraison de la naissance du
Seigneur, la fête orientale de Noël, sous l'influence des conciles
des IVèrne et Vérne siècles, redevient une fête d'idée ...
Pour répondre à la question initiale, nous rappellerons
d'abord brièvement les circonstances de l'institution de la fête
de Noël, nous verrons ensuite les développements que celle-ci
connaîtra dans la liturgie romaine, notamment sous l'influence de
S. Augustin et de S. Léon le Grand, nous examinerons enfin
quelques textes de l'actuelle liturgie romaine.

l - AUX ORIGINES DE LA FETE DE NOËL

Grâce à un certain nombre de travaux dont ceux du re-


gretté Dom Bernard Botte', l'origine de cette fête nous est rela-
tivement bien connue. Pendant près de quatre siècles l'Eglise n'a
connu qu'une seule fête: la Pâque hebdomadaire et annuelle.
Au IVèrne siècle, tandis que l'année liturgique se constitue en
sa structure essentielle, apparaît à Rome vers 336 la fête du
Natale Christi. Il s'agissait alors moins de commémorer un anni-
versaire au sens strict - les évangiles ne nous ont pas transmis
la date de naissance du Christ et toutes les reconstitutions qui ont
essayé de l'établir sont de pures conjectures - que de combattre
les fêtes païennes du solstice d'hiver, célébrées à Rome le 25 dé-

1 A. BAUMSTARK, Liturgie comparée, 3ème édition revue par Dom Bernard


BOTIE, Chevetogne 1953, pp. 168 et 55.
2 B. BOTIE, Les origines de la Noël et de l'Epiphanie, Abbaye du Mont-César,
Louvain 1932.
170 PIERRE RAFFIN

cembre et en Egypte le 6 janvier. Cette fête du Natale Christi


Salis lnvicti fut accueillie avec d'autant plus de ferveur par les
Eglises d'Orient et d'Occident qu'elle constituait, face à l'hérésie
arienne, une proclamation du dogme formulé en 325 à Nicée.
A une époque où se développe également le culte des apôtres
et des martyrs, où leur 1"nelnoria est évoquée et célébrée plus
particulièrement, sur leurs tombeaux, il un jour déterminé de
l'année, celui de leur natale, la célébration de Noël apparaît
comme une lnemoria, une memorÎa privilégiée sans doute, mais
de même nature que la tnenwria sanctorum. Le Sacramentaire
léonien, qui fut sans doute compilé vers 560, place Noël dans le
sanctoral des derniers jours de décembre, comme le font d'ail-
leurs les Ménées byzantins. Ce n'est que dans la seconde moitié
du VIerno siècle, au moment où Rome fixe au 25 décembre le début
de l'année liturgique, que les fêtes de Noël et de l'Epiphanie
prennent place dans le temporal, y entraînant du même coup
celles de S. Etienne, de S. Jean l'Evangéliste et des SS. Innocents.
La fête de Noël fut donc instituée, tout au moins à Rome,
comme une memoria, analogue à celles du sanctoral, plutôt que
comme une célébration annuelle d'un mystère de l'économie du
salut.

2 - LE SENS DE LA NOJôL PRIMITIVE'

Au début du v'rne siècle, S. Augustin (354-430) énonce le


caractère n0l1~sacran7entel de la fête de Noël comme une vérité
évidente. Pourquoi la Nativité du Seigneur est-elle toujours célé-
brée un même jour de l'année, tandis que la solennité pascale est
liée au comput du sabbat et de la lune? demande Januarius. Et
Augustin de lui répondre: Noël est un simple anniversaire, une
memoria: il suffisait donc de marquer d'une festivité religieuse
le jour même où s'est produit l'événement de la naissance à
Bethléem. Pâques, au contraire, est un sacrmnentum, c'est-à-dire
{( une célébration, qui est la commémoration d'un fait passé,
mais telle qu'clle propose à notre intelligence le signe d'une
réalité sacrée qu'il faut recevoir saintement» 4.

l Nous reprenons en la résumant la thèse de Dom Jean GAU~ARD, Noël, me-

moria ou mystère?, dans La Maison-Dieu no 59 (1959) pp. 37-59.


'Ep. 55, - PL 33, 205.
NOEL: FETE DE L'EVENEMENT OU D'IDEE? 171

Pâques est un sacramentum parce que la célébration de l'évé-


nement sauveur - mort et résurrection du Christ - représente
pour nous le passage de la mort à la vie (" transitus quidam de
morte ad vitam »), réalité sacrée que le signe offre à notre intel-
ligence et que nous devons recevoir réellement dans notre vie
par la foi, l'espérance et la charité.
Pâques étant une célébration fondée sur un symbolisme et
nous engageant par ce symbolisme même dans la réalité sym-
bolisée, nous ne pouvons négliger aucun élément de ce signe
sacré, y compris la liaison de la date de Pâques avec le cycle
lunaire. Cette liaison, non moins que le huitième jour de la se-
maine chrétienne (le dimanche) et les cinquante jours de la
festivité pascale, intéresse le mystère de notre transit us de la
mort à la vie, dans la passion et la résurrection du Seigneur.
Noël, simple anniversaire, n'étant point célébré in sacramento,
n'a pas besoin de tant de symbolisme.
Cette explication évidemment se heurte au fait que le 25
décembre n'a pas été choisi en vertu d'une tradition quelconque
sur la date réelle de la naissance de Jésus, mais en fonction du
symbolisme scripturaire de la lumière, dans une intention de
rencontre avec la fête païenne du solstice d'hiver.
S. Augustin connaît ce thème et l'exploite dans le Sermon 190:
Il Le jour de sa naissance est le symbole mystérieux (mysterium)

de la lumière qu'il vient répandre. La nuit est avancée, dit l'Apôtre,


le jour est tout proche; rejetons donc les œuvres de ténèbres et
revêtons les armes de lumière; conduisons-nous avec décence comme
en plein jour (Rm 13, 12). Sachons reconnaître le jour et soyons nous-
mêmes le jour. Nous étions la nuit, quand nous vivions dans l'in_
fidélité. Et puisque cette infidélité, qui enveloppait le monde entier
comme une nuit, devait diminuer avec le progrès de la foi, c'est
pour cette raison qu'à partir du jour du Natalis de N.S.J.C., la nuit
commence à diminuer et le jour à croître. Tenons donc ce jour pour
un jour solennel; non comme les infidèles à cause de ce soleil visible,
mais à cause de celui qui a fait ce soleiL Car il était le Verbe et il
s'est fait chair (Jn 1, 14), afin de pouvoir être pour nous le soleil ll5.

L'anniversaire de la naissance du Christ n'est donc pas un


anniversaire comme un autre: le Créateur l'a choisi lui-même
pour venir en ce monde et il l'a ainsi rendu sacré. Pour autant,

'P.L. 38, 1007.


172 PIERRE RAFFIN

Noël ne se célèbre pas in sacranzento, parce que, pour lui, Noël,


en tant qu'anniversaire de la naissance du Sauveur, ne lui paraît
pas être le signe sacré de cette grâce de mort et de résurrection,
qu'évoquent, selon le mode sacramentel, la solennité pascale,
l'initiation baptismale et la liturgie eucharistique.

3 - POUR S. LÉON LE GRAND, NOË.L N'EST PAS SEULEMENT


UNE MEMORIA MAIS AUSSI UN MYSTÈRE

A une époque où le calendrier romain place encore Noël dans


le sanctoral, le pape saint Léon le Grand (440-461), dans ses
sermons au peuple de Rome, s'exprime en de tout autres termes.
Pour lui, toute fête liturgique est d'abord une memoria,
puisqu'elle réveille le souvenir d'un événement passé mais elle
est plus que cela. Anniversaire d'un événement majeur de la
vie du Sauveur, non d'un simple épisode historique, mais d'un
moment du sacramentum sa/Ulis, la fête est avant tout le jour
sacré auquel, dans l'Eglise entière, tous les chrétiens se rassem-
blent en même temps pour célébrer le souvenir de cet événement,
en accomplissant solennellement le culte eucharistique. L'événe-
ment lui-même, dans ses circonstances historiques, ne saurait
revivre, mais la célébration cultuelle rend présents ces faits à
l'esprit de ceux qui écoutent les saintes lectures, grâce à la
puissance de la foi. Elle permet de pénétrer, à travers les faits
commémorés, jusqu'à l'intelligence spirituelle du grand mystère
qu'ils recouvrent. Enfin, si le mystère doit être honoré non pas
tant comme passé que comme actuellement présent, c'est qu'il
y avait dans les actes sauveurs du Christ autre chose que de purs
événements: l'action passée, la virtus du mystère demeure. Son
efficacité n'est pas périmée, « au point qu'il n'en soit parvenu
jusqu'à nous qu'un souvenir que garde la foi et qu'honorent les
mémoires ». Nullement. «Le don cie Dieu se renouvelle, et
aujourd'hui encore notre temps fait l'expérience des merveilles
dont le passé a reçu les prémices" G. S. Léon explique, en d'autres
circonstances, que cette virtus operis s'exerce par les sacrements
(baptême, eucharistie) et par l'exemple du Seigneur offert à notre
imitation.

6 Sermon 36 _ P.L. 54, 524.


NOEL: f'ETE DE L'EVENEMENT OU D'IDEE? 173

Or, pour S. Léon, ce n'est pas seulement le culte pascal qui


célèbre le mystère du salut, ainsi rendu prése,"!, la fête de Noël,
également, renouvelle l'avènement du Christ. Elle est, elle aussi,
un mystère. S. Léon parle fréquemment du sacramentum pascha·
le, des sacrwnentorum paschaliwn divina mysteria et il dit aussi,
à plusieurs reprises: saCfwnentU/1"l Natalis Christi, Nativitatis
dominicœ sacramentum.
Sans doute peut·on et doit·on méditer, chaque jour et en
tout temps, le mystère du Verbe fait chair,

{( mais aucun jour ne nous le rappelle plus que celui-ci, alors que
la lumière nouvelle apparaît jusque dans les éléments, et que nos
sens eux-mêmes perçoivent l'éclat d'lm si admirable mystère. Ce
n'est pas seulement à notre mémoire, c'est pour ainsi dire à nos
yeux ("non solum enim in memoriam, sed in conspectum quo dam-
modo") que revient l'entretien de l'ange Gabriel avec Marie étonnée,
et sa conception par l'opération de l'Esprit Saint, et sa foi aussi
merveilleuse que l'annonciation elle-même. Aujourd'hui (hodie), en
effet, le Créateur du monde est né de la Vierge, et lui qui a fait
tous les êtres, il est devenu le Fils de celle qu'il a créée. Aujourd'hui
le Fils de Dieu s'est montré revêtu de chair, ct lui qui échappait
aux regards de l'homme est devenu tangible à ses mains. Aujourd'hui
la parole des anges apprend aux bergers que le Sauveur est
engendré dans la substance de notre corps et de notre âme ...
Il n'est pas une parole des di vines Ecritures, mes bien-aimés,
qui ne nous exhorte à nous réjouir sans cesse dans le Seigneur;
cependant le mystère de la Nativité du Seigneur, qui aujourd'hui
brille à nos yeux d'un éclat plus vif ("Nativitatis Dominicre sacra-
mento nobis clarius coruscante"), nous invite sans aucun doute à
nous livrer davantage encore à ln joie spirituelle; car, si nous
recourons à cette condescendance inexprimable de la miséricorde
divine qui a incliné le Créateur des hommes à se faire homme, elle
nous élèvera à la nature de Celui que nous adorons dans la nôtre» 7,

Ainsi l'actualité du mystère de Noël n'est-elle pas simple-


ment une représentation, si vivante soit-elle, de l'esprit; la virtus
operis des actes du Christ agit en ce jour, comme en toute célé·
bration du sacramentum salutis, car le Fils de Dieu s'est fait
homme pour nous faire participer à sa divinité.

7 Sermon 28 - P.L. 54, 222.


174 PIERRE RAFFIN

4 - LA FÊTE DE NOËL RENOUVELLE LES PRÉMICES DU


SALUT

Pour S. Léon comme pour l'ensemble de la tradition pa-


tristique et liturgique, il n'y a qu'un sacramentum sai ulis, unique
en lui-même, mais célébré sous différents aspects tout au long
de l'année liturgique. A Noël, comme à Pâques, l'Eglise célèbre
en réalité le mystère de la Rédemption:

« Exultons dans le Seigneur, mes bien-aimés, livrons-nous entiè-


rement à la joie spirituelle, car voici que commence à briller pour
nous le jour nouveau de notre rédemption ("quia illuxit nobis dies
redcmptionis navre »), jour depuis longtemps préparé ("prœparationis
antiquœ"), jour de l'éternel bonheur.
Car avec l'année sc renouvelle pour nOliS le mystère de notre
salut, mystère promis depuis le début du temps, donné à la fin,
pour durer sans fin ("Reparatur enim nobis salutis nostne annua
revolutione sacramentuffi, ab initia promissum, in fine redditum,
sine fine mansurum"). En ce jour, il convient que nous élevions nos
cœurs, que nous adorions ce mystère divin, et qu'à la grandeur du
bienfait que Dieu nous accorde réponde la joie de l'Eglise en
fête )}8.

Néanmoins, dans cette célébration annuelle d'un mystère


unique, chaque fête vise un objet plus spécial: chacune commé-
more et renouvelle le mystère du salut sous un aspect particulier.
Le propre de la fête de Noël, pour S. Léon, est de renouveler les
prémices du salut: "sacra primordia". La rédemption des
hommes a commencé avec l'incarnation du Fils de Dieu, bien
qu'elle ne doive s'achever qu'avec la passion et la résurrection.
En assumant la nature humaine, le Seigneur déjà la régénère au
contact de sa divinité: la filiation humaine du Fils de Dieu ap-
porte aux hommes la dignité d'enfants de Dieu: "ideo filius
hominis est factus, ut nos filii Dei esse possimus }) 9.
Pour S. Léon, en un temps où Noël n'est pas une fête bap-
tismale comme l'est Pâques, il y a une similitude profonde entre le
baptême, naissance du chrétien, et Noël, naissance du Christ:

! Sermon 22 - P.L. 54, 193-194.


9 Sermon 26,2 _ Sources chrétiennes no 22, p. 126.
NOEL: FETE DE L'EVENEMENT OU D'IDEE?
-"---'-=--=--=~~~~
175

l'une et l'autre naissance est l'œuvre de l'Esprit, le péché n'y a


aucune part:
« Il est devenu un homme de notre race, pour que nous puissions
participer à sa nature divine. Le principe de fécondité qu'il a trouvé
dans le sein de la Vierge, il l'a communiqué aux fonts du baptême,
il a donné à l'eau ce qu'il avait donné à sa mère: la vertu du Très-
Haut, l'opération du Saint-Esprit, qui firent que Marie engendra le
Sauveur, fait que l'eau engendre à nouveau le croyant» 10,

Ainsi, dans la célébration annuelle du mystère du salut, dont


le sommet et la plénitude se trouvent à Pâques, la célébration
de Noël met en relief l'aspect de nouvelle naissance que com-
porte la rédemption. En cela S. Léon se fait l'écho des Pères
Grecs dans leur prédication de Noël. S. Grégoire de Nazianze,
par exemple, prêchant pour Noël, considère cette fête comme
le mystère de notre régénération: En ce jour, dit-il, nous sommes
nés avec le Christ, «sungénomenoi», c'est le temps de notre
régénération, ( kairos anagénèseàs ».

5 - LA LITURGIE LATINE DE NOil.L (relevé non-exhaustif)

Ces grands thèmes patristiques, il est facile de le montrer,


ont été repris dans la liturgie de Noël. Si l'on s'en tient aux
livres liturgiques promulgués par le Pape Paul VI à la suite du
2'me Concile du Vatican, livres liturgiques plus variés que ceux
de la réforme post-tridentine, on peut trouver de nombreux
exemples.
1 - Le Mystère de Noël est la source même de tout le culte
chrétien:
« Omnipotens sempitcrne Deus, qui in Filii lui nativitate
tribuisti totius religionis initium perfectionemque constare,
da nabis, quresumus, in cius portione censeri,
in quo totius salutis humana:: summa consistit Il 11.

10 Sennml 25,5 - Sources chrétiennes no 22, p. 121.


11 Collecte du 31 décembre tirée du Sacramcntarium Veronense (( Leonianum Il

(édit. Mohlberg) - Enchiridion Euchologicum Fontium Liturgicorum [= EEFL]


(Enzo LODI - C.L.V. - Edizioni Liturgiche - Roma 1979) no 1135.
176 PIERRE RAFFIN
~--------------

2 - Noël contient le commencement, l'aurore de notre ré-


demption:
« Tanta nos, Domine, qureswnus,
promptiore scrvitio hrec prrecurrere concede sollemnia,
quanta in bis cons tare principium
nostrœ redemptionis ostendis 12,J)

3 - Noël, restauration de la nature humaine:


{( Deus, qui humame substantire dignitatem
et mirabiliter condidisti, et mirabilius refonnasti,
da, quœsumus, nobis eius divinitatis esse consortes,
qui humanitatis nostn:e fieri dignatus est particeps» 13,
«Concede, quœsumus, omnipotens Deus,
ut nos Unigeniti tui nova per carnem nativitas liberet,
qUQS sub peccati iugo vetusta servitus tenet» 14,
«Qui, in huius venerandi festivitate mysterii,
invisibilis in suis, visibilis in nostris apparuit,
et ante tempora genitus esse cœpit in tempore;
ut, in se erigens cuncta deiecta,
in integrum restituerct universa,
et hominem perditum ad crelestia rcgna revocaret» 15,

4 - Noël, divinisation du chrétien:


({ Grata tibi sit, Domine, quresumus,
hodiernre festivitatis oblatio,
ut, per hrec sacrosancta commercia,
in illius inveniamur forma, in quo tecum est nostra substantia» 16.

5 - Aujourd'hui (Hadie) le Christ est né: Ce thème revient


sans cesse dans les divers éléments de l'Office de la Nativité
(présentation Liturgia hararum):

a) l Vêpres - Ant. 3:
Verbum supernum, a Patre ante tempora genitum, hodie pro nobis
caro factum exinanivit semetipsum.

Il Super ablata du 24 décembre soir, ibidem EEFL no 1141.


Il Collecte de la messe du jour de Noël reprise du Missel de S. Pie V - EEFL
nO 2085.
14 Collecte de la messe du 30 décembre reprise du Missel de S. Pie V - EEFl.

nO 1663.
!S Préface II de Nativitate Domini - S. L~ON, Sermon 22,2 (P.L. 54, 195-196).
16 Super ablata de la messe de la nuit de Noël reprise du Missel de S.
Pie V - EEFL no 1136.
NOEL: FETE DE L'EVENEMENT OU D'IDEE? 177

b) l Vêpres - RI breve:
RI. Hodie scietis -;." Quia veniet Dominus. )1'. Et mane videbitis glo-
riam eius (cf. Ex 16,6-7).

c) Office des lectures - Ant. 1:


Dominus dixit ad me: Filius meus es tu, ego hodie genui te.

d) Office des lectures - RI prolixe 1:


EV. Hodie nobis crelorum Rex de Virgine nasci dignatus est, ut
hominem perditum ad ccelestia regna rcvocaret: * Gaudet exercitus
angclorum: quia saIns reterna humano generi apparuit 17.

e) Office des lectures - Lectio altera:


5alvator noster, dilectissimi, hodie natus est
(5. Léon - 5erm. 1 in Nativitate Domini).

f) Office des lectures - RI. prolixe II:


BI. Hodie nobis de ccelo pax vera descendit: * Hodie per totum
mundum melliflui facti sunt creli. 'f. Hodie illuxit dies redemptionis
novce, prreparationis antiquae, felicitatis reternre» la.

g) Laudes - Ant. 3:
Parvulus filius hodie natus est nobis, et vocabitur Deus fortis, alleluia.

h) II Vêpres - Ant. 3:
In principio et ante sœcula Deus erat Verbum; ipse natus est hodie
5aIvator mundi.

i) II Vêpres - Ant. Magnificat:


Hodie Christus natus est; hodie Salvator apparuit; hodie in terra
canunt angeli, lretantur archangeli; hodie exsultant iusti, dicentes:
Gloria in excelsis Dea, alleluia 19.

* * *

La fête de Noël, fête de l'événement ou fête d'idée? La


liturgie de Noël, telle qu'elle s'est développée en Occident sous
l'influence incontestable de S. Léon le Grand et des Pères Grecs,

11 EEFL no 1856 - Ex formulariis Grcecis antiphonarii romani


laEEFL nO 1856 a - Ex fonnulariis Grcecis antiphonarii romani.
19 EEFL no 1842 - Ex formulariis Grœcis antiphonarii romani.
17.~8~__________________~P~I~E~R~RE~~R~A~F~F~IN~_______

ne nous propose pas un traité de l'Incarnation, elle est entrée


dans le mystère du salut. Noël en effet esl un mystère, mais non
point un mystère particulier, distinct ou indépendant de celui de
Pâques. Toute fête liturgique célèbre le sacramentum paschale,
mais chacune apporte sa nuance propre à la manière dont ce
mystère unique est vécu par l'Eglise: «La lumière unique du
Dlystère, écrivait Dom Botte, est comme réfractée et décomposée
en ses divers éléments; mais les rayons proviennent toujours
d'un même foyer, et c'est le mystère total qu'on célèbre chaque
fois en mettant en valeur un de ses aspects» ". Le spécifique
de la fête de Noël est de manifester à quel point le mystère du
salut tout entier est contenu comme en germe, ({ sacra primor-
dia », dans l'événement de la naissance virginale du Fils de Dieu.

Pierre RAFFIN

10 B. BOTTE, Le cycle liturgique et l'économie du salut, dans La Maison-Dieu


il" 30 (1952) p. 66.
LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES DU RITE ARMÉNIEN

Le trésor de la foi concernant le Christ dans les textes litur-


giques n'a rien d'un exposé systématique et exhaustif. La pensée
de l'Eglise sur la personne de son fondateur, ses origines, sa vie
el sa mISSIon, y apparaît cependant constamment à travers le
vocabulaire et les expressions de la prière. Les textes du rite
arménien offrent-ils un intérêt particulier à cet égard? Cette
Eglise non-chalcédonienne, qui ne reconnaît comme base de sa
foi que les seuls trois premiers conciles œcuméniques J, donne-t-
elle une expression christologique originale à ses formulations
liturgiques? C'est ce que nous nous sommes proposé d'explorer.
Cependant, présenter une analyse de l'ensemble du rite aTmé-
nien en quelques minutes eût été impossible; c'est pourquoi
nous nous sommes arrêté d'abord à quelques-uns des textes les
plus vénérables encore en usage aujourd'hui: ceux du baptême,
des ordinations, de l'anaphore de saint Grégoire l'Illuminateur,
de la dédicace d'une église, de la bénédiction des eaux le jour
de l'Epiphanie et de la prière spéciale adressée au Christ le
jour de la Pentecôte. Les textes de ces rites nous sont connus
par des manuscrits qui s'étagent du IX" au XIII' siècle, et s'ils

e
1 L'Eglise Arménienne ne s'est pas tenue cependant à l'écart du V concile
œcuménique de Constantinople en 553 auquel assistèrent plusieurs évêques armé-
niens (voir G. G.-\RITTE, La Narratio de Rebus Armeniae. Edition critique et corn·
mentaire. Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, vol. 132, Louvain 1952,
p. 176-179, 196-197). La législation du VIe concile in Trullû de 692 connaît plu-
sieurs canons (32,33,56,99) (cf. P.P. JOANNOU, Discipline Générale Antique (II~_Ixe 5.]
t. 1,1: Les canol1S des conciles œcuméniques, Rome 1962, p. 162,166,193,235) qui
visent l'Eglise arménienne se trouvant dans la partie du pays soumise à l'empe-
reur byzantin. Les canons du synode de Sirakawan (862), tenu en présence du
délégué du patriarche Photius, constituent, par la reconnaissance des «deux
natures en une personne)l, un changement complet des positions christologiques
de l'Eglise annénienne (cf. A. BALGY, Historia doctrinœ catholicœ inter Armenos,
Viennae 1878, p. 26-27 et 217-219). On sait aussi que la communion ecclésiale entre
l'Eglise arménienne et les autres Eglises fut rétablie de nombreuses fois après
Chalcédoine (cf. G. A:MADOUNI, L'Eglise arménienne et la catholicité. Précis histo-
rique et œcuménique, Venise 1978, p. 17 55).
180 CHARLES RENOUX

n'ont pas de témoins plus anciens, nous savons que leurs racines
plongent dans les liturgies palestinienne, cappadocienne et syrien-
ne des IV·, V· et VI" siècles. Nous les avons étudiés dans la
présentation la plus ancienne qu'on leur connaît à l'heure
actuelle, soit à l'aide de manuscrits dont nous disposions dans
le cas des ordinations et de la dédicace des églises 2, soit à l'aidé
d'éditions critiques pour le baptême et la prière au Christ du
jour de la Pentecôte", soit il l'aide des volumes de Conybeare et
Catergian-Dashian qui restent fondamentaux pour une étude de
la liturgie arménienne 4,
A ce premier groupe de rites dont l'organisation primitive,
telle que la révèlent les manuscrits des rituels et des lectionnaires,
ne fait pas encore appel à l'hymnodie, nous avons ajouté l'analyse
de plusieurs hymnes et de quelques canons liés aux fêtes et
aux rites les plus anciens du rite arménien": les hymnes des
cérémonies du baptême 6 et de la dédicace des églises', celles
des fêtes de l'Epiphanie, de la grande semaine, de Pâques, de
la fête de la Pentecôte, de la Transfiguration, de la semaine de
la croix, et de Jean l'Evangéliste.

l Pour les ordinations, le codex 457 de Venise du Ixe_xe siècle (no 320 du
catalogue de B. SARG1SEAK ew G. SARGSE,\N, Mayr c'uc'ak hayeren jeragrac' Mate-
nadarîn Maxit'areanc' i Venetik, Halor 3, Vcnctik 1966, coL 1-48); pour la dédi-
cace des églises, le codex 1001 du Ixe_x e siècle et le codex 907 du XVIIe s. mais
copié sur un manuscrit ancien (cf. O. EGANYAN, A. ZEYT'UNYAN, P. ANr'ABYAN,
C'uc'ak Jeragrac' Mastoc'i Anvan Matenadarani, Hator 1, Erévan 1965, p. 456).
Comme il n'existe aucune traduction des rites de ces deux manuscrits, nous
renverrons au Ritt/ale Armenorwn de Conybeare (cf. note 4).
l S. CF..MèEMEAN, Mkrtut'eun ararolut'iwn masloc'neru mei, dans Bazmavep 129

(1971). p. 25-46; 130 (1972), p. 183-231 et 381-419; C. RENOUX, Un rite pénitentiel


le jour de la Pentecôte? L'Office de la génuflexion dans la tradition arménienne
(Studien zur annenischen Geschichte, 12), Wien 1973.
4 F.-C. CONYBEARE, Rituale Armenorum being the AdmÎllistration of the Sacra-
ments and the Breviary Rites of the armenian Church, Oxford 1905; Y. CATER-
GlAN (= Gat'rcean), Die Liturgien bei den Armeniern. Fihlfzehn Texte und Un-
tersuchullgen herausgegeben von P.l. DASHIAN (= Tasean) (en arménien),
Wien 1897.
5 L'existence d'un hymnaire antérieur au XIII~ siècle, date des plus anciens

manuscrits, est certaine. Nous savons que Nersès snorhali (1102-1173) a complété
les canons des fètes dépourvues des lwmnes nécessaires aux divers offices litur-
giques de la journée et dc l'année (vofr S. CEMéEMEAN, Jeragir sarak/wc'nera ew
anonc' kmwnnera, Venise 1970). Les canons des hymnes font leur apparition dans
les lectionnaires du XIIIe siècle.
6 Mastoc' kam Cisaran, Jérusalem 1933.
1 Les hymnes de cette cérémonie ont été reprises dans le canon des fêtes

de la croix en septembre (cf. note 8). Les rituels anciens ne possèdent pas
d'hymnes pOUl" les ordinations.
LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES AR!\·1ENIENS 181

Dans tous ces textes 8, qui constituent un ensemble suffisam-


ment vaste à partir duquel il sera légitime de tirer quelques
conclusions, nous avons glané uniquement les passages où il était
explicitement question de «Jésus-Christ ou du Christ ». Ceux
qui mentionnaient" le Verbe, le Fils, le Seigneur, le Sauveur»
ont été laissés de côté, toutes les fois où ces dénominations
n'étaient pas mises en relation avec le nom du « Christ ». Notre
exposé ne consistera qu'en une lecture des textes retenus, ban-
nissant volontairement tout comlnentaire.

1. JESUS-CHRIST

Quelques prières seulement sont adressées directement au


Christ dans les rites de l'initiation baptismale, de la dédicace
des églises et dans le canon du samedi saint '; plus habituelle-
ment, c'est à partir de « Dieu» ou du « Seigneur» que l'on prie.
Mais, dans ces mêmes textes, les allusions au « Christ» revien-
nent très fréquemment; elles constituent un volumineux dossier
que nous allons ouvrir en énumérant d'abord les noms et les
ti tres par lesquels on le désigne JO.

B Ces hymnes, de même que celles de la semaine de Pâques et de la fête de


la Transfiguration, ont été lues dans le Jaynk'al Sarakank' (Venise 1907), et
c'est à partir du même hymnaire qu'ont été faites les traductions suivantes
auxquelles nous renverrons: pour les canons de la grande semaine et de Pâques
voir Revue des Etudes Arméniennes 7 (1970), p. 55-122; pour les canons des
fêtes de la Croix, voir Melto. Recherches Orientales 5 (1969), p. 123-175; pour le
canon de la Pentecôte, voir Mémorial Mgr Gabriel Khauri-Sarkis, Louvain 1969,
p. 83-88; pour le canon de Jean l'Evangéliste, voir Mélanges offerts à Jean Dau-
villier, Toulouse 1979, p. 725-730. Les hymnes des fêtes de l'Epiphanie et de la
Présentation se lisent en français dans J. LEMARIÉ, La Manifestation du Seigneur
(Lex Orandi 23), Paris 1957, p. 509-524, et celles de la Transfiguration dans F.
NÈVE, L'Arménie Chrétienne et sa littérature, Louvain 1886, p. 66-75.
9 Voir en annexe une traduction française de prières inédites de la liturgie
baptismale s'adressant au Christ.
10 Voici la liste des sigles utilisés:

Baptême = S. CEMCEMEAN (cf. note 3).


Ordinations = F.-C. CONYBEARE (cf. note 4).
Dédicace = F.-C. CONYBE.<\RE (cf. note 4).
Anaphore Grégoire = CATERGIAN-DASHIAN (cf. note 4).
Génuflexion = C. RriNOUX (cf. note 3).
Hymnes Baptême = Mastoc', Jérusalem 1933 (cf. note 6).
Hymnes Epiphanie et Présentation = J. LEMARI~ (cf. note 8).
Hymnes Grande semaine de Pâques = C. RENOUX (cf. note 8).
Hymnes Transfiguration = F. NÈVE (cf. note 8).
Hymnes Dédicace = C. RENOUX (cf. note 8).
Hymnes Jean l'Evangélistc = C. RENOUX (cf. note 8).
182 CHARLES RENOUX

Les noms du Christ


Jésus-Christ, ou le Christ, est désigné avant tout par le nom
de «Seigneur », dans des formulations où toutes les liturgies
chrétiennes, empruntant aux écrits pauliniens 11, nlarquent la
souveraineté présente du Christ. Les prières des rites analysés
font allusion à <{ Jésus~Christ, Seigneur 12 », mais plus souvent
à «Jésus-Christ notre Seigneur 13 », à « Notre Seigneur Jésus-
Christ 14 », au « Christ Jésus, notre Seigneur 15 », marquant ainsi
J'appartenance de la communauté des fidèles au Christ qui en
est aussi le principe d'unité.
La raison de la souveraineté que le Christ exerce sur les
croyants est clairement explicitée. Le Christ est dit « Dieu », soit
que les deux termes se trouvent associés, {( Christ Dieu ... ton
Christ Dieu 16 », soit que la prière s'adresse au Christ comme
({ vrai Dieu 17 » et « Dieu de vérité IR », se faisant l'écho vraisem-
blablement du texte de 1 Jean 5,20: « ... Jésus-Christ. Celui-ci
est le Dieu véritable. » De Dieu, le Christ est le « Verbe vivant 19 »
et « le Verbe ou la Sagesse d'avant les siècles 20 », deux expres-
sions reprises de l'anaphore byzantine de Basile. Nous lisons
encore « ton Saint 21 », selon la formule du Psaume 16,10 reprise
par Actes 2,27; ou encore, et de nombreuses fois, « ton Fils bien-
aimé 22», autre appellation néo-testamentaire 23; (( le Fils uni-
que 24)}, et «le Fils saint 25}). Enfin, en relation avec l'œuvre
accomplie par Jésus sur terre, nous trouvons le titre de {{ Sau-
veur », dans des formulations reprises du Nouveau Testament:

1\ Sur le titre de «Seigneur », voir l'article Kyrios de L. CERFAUX dans DBS,


t. 5, col. 208-228.
12 Baptême, p. 43: Anaphore Grégoire, p. 126.
JJ Génuflexion, p. 54-55.
I~ Anaphore Gré.goire, p. 142.
15 Baptême, p. 38.
16 Baptême, p. 228: Ordinations, p. 235. L'appellation (( ton Christ» se lit
plusieurs fois: Baptême, p. 223,228: Ordinations, p. 234.
17 Anaphore Grégoire, p. 128; cL Sagesse 12,27: Jérémie 10,10: Jean 17,3, etc ...
18 Génuflexion, p. 64-65; cf. Psaume 30,6.
19 Anaphore Grégoire, p. 128, l'expression «Ban kendani, Verbe vivant )', dif·
férente de celle de Jean 1,1 (' Banin kenac', Verbe de Vie », semble cependant
viser aussi la mission du Logos auprès des hommes.
20 Anaphore Grégoire, p. 128.

~I K'aroz (= prière de supplication) pour la dédicace, attribuée à Basile et


propre au ms. Erévan 100l.
11. Dédicace, p. 9.

2J Cf. Matthieu 3,17 et 17,5: Marc 1,11 et 9,8; 2 Pierre 1,17.


21 Baptême, p. 408: cl'. Jean 1,18.
25 Génuflexion, p. 65-66.
LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES ARMENIENS
_---=c::c 183

« Jésus-Christ Seigneur et Sauveur 26 » et « Jésus-Christ notre


Sauveur 21 ».
La plupart de ces diverses appellations, qui toutes font
référence à l'Ecriture, se lisent aussi dans les compositions
hymnodiques ". Mais celles-ci allongent la liste des titres utilisés
pour désigner la personne et la mission du Christ. Celui-ci est
présenté comme «le Roi des Rois 2~» dans l'une des hymnes
du canon du vendredi saint, allusion sans doute à la question
de Pilate et à la réponse de Jésus dans le récit de la Passion
selon saint Jean, lu le vendredi saint '''. C'est le seul endroit où
le titre de (( Roi» ait une résonance terrestre; partout ailleurs,
il évoque une souveraineté qui n'est pas de ce monde et la souve-
raineté sur l'Eglise: le Christ est ainsi le «Roi immortel", le
Roi des cieux 32, le Roi des siècles 33, le Christ Roi venu avec la
multitude des anges H, le Roi de Paix ", le Christ Roi qui a
couronné l'Eglise 36". Enfin le nom Christ, dérivé de Zp(O),
oindre, étant devenu un nom propre, et sa signification n'étant
plus perçue, l'auteur de l'un des canons de la Dédicace n'a pas
craint d'ajouter le titre de (( Christ» à celui de (( Oint», sans
doute pour expliquer ce dernier: «Réjouis-toi ... Eglise ... voici
que nous voyons l'Oint, le Christ" ... ".

Les titres métaphoriques


Peu d'images dans les textes anciens que nous avons ana-
lysés; mais il eût fallu lire, sans doute, l'ensemble du rite armé-

Anaphore Grégoire, p. 126; cf. 2 Pierre 1,1.11; 2,20; 3,18; Jude 1.25.
16

Génuflexion, p. 68-69: cf. Tite 1,4 et 3,6. Sur le titre de «Sauveur», voir O.
21
CULLMANN, Christologie du Nouveau Testament, Paris 1955, p. 206-212.
lB« Christ, toi, le Verbe d'avant les siècles» (Hymnes Epiphanie, p. 517);
"Seigneur» (Hymnes Baptême, p. 28; Hymnes Grande Semaine, p. 101); «Christ
Dieu» (Hymnes Epiphanie, p. 519 et Présentation, p. 522 et 523; Hymnes Grande
Semaine, p. 93 ct 118; Hymnes Dédicace, p. 148 et 174); «Christ, notre Dieu)'
(Hymnes Transfiguration, p. 68); «Christ, Fils de Dieu» (Hyml1es Grande Se-
maine, p. 9; Hyml1es Tral1sfiguration, p. 69); «Sauveur» (Hymnes Baptême,
p 28).
2~ Hymnes Grande Semaine, p. 101; cf. 1 Timothée 6,15; Apocalypse 17,14.
lO Cf. Jean 18,33-37.
JI Hymnes Dédicace, p. 101.
12 Ibid., p. 160.
JJ Hymnes Gmnde semaine, p. 88.
M Hymnes Dédicace, p. 161.
l5 Hymnes Gml1de semaine, p. 85.
3< Hymnes Dédicace, p. 145.
37 Ibid., p. 166.
184 CHARLES RENOUX

nien. Une fois seulement, dans l'Anaphore de Grégoire l'Illumi-


nateur, le Christ est présenté avec les paroles de Jean-Baptiste J8
comme {( l'Agneau de Dieu ou l'Agneau sans tache 39 », et ({ le
Chef de la vie 40, le Dispensateur des bienfaits et des miséricor·
des 41, le Port de ceux qui naviguent 42 ».
Pareille sobriété n'existe plus dans les compositions hymno-
diques. Deux métaphores principales, reprises de l'Ecriture, re·
viennent assez souvent: celles du Christ comme «Lumière» et
comme « Soleil ».
Conformément à la pensée fondamentale de l'évangile de
Jean, le Christ est la lumière en même temps qu'il apporte la
lumière; d'où l'expression « Lumière inaccessible 43» qui désigne
l'identité de la personne du Christ, et les expressions « Lumière
des nations 44 », (c Lumière de la connaissance, Colonne de Lu-
mière 45 » pour décrire la réalité et les effets du salut.
Les auteurs des canons ont eu recours aussi à l'image bi-
blique du «soleil »: le Christ est le «Soleil intelligible"» et,
conformément à Malachie 3,20, le « Soleil de justice" », en tant
qu'il apporte le salut à l'univers. Les textes hymnodiques élar·
gissent encore cette nomenclature, et nous lisons du Christ qu'il
est «celui qui siège sur le trône de gloire 48, source de vie,
dispensateur de la vie ", ami des hommes Où, allégresse des
créatures 51 ».

li Jean 1,29.36.
)9 Anaphore Grégoire, p. 124.
~o Ibid., p. 136; cf. Actes 3,15.
41 Génuflexion, p. 67.
~2 Ibid., p. 62-63.
4J Hymnes Jean l'Evangéliste, p. 728.

oH Hymnes Présentation, p. 522; Hymnes Dédicace, p. 166 .


• 5 Hymnes Paques, p. 119,121.
.6 Hymnes Présentation, p. 523. Expression platonicienne employée par de
nombreux Pères de langue grecque pour marquer l'opposition au monde sen-
sible (cf. A.-J. FESTUGIÈRE, Les Moines d'Orient, 1. IV/l, p. 88, note 58) .
• 7 Hymnes Grande semaine, p. 115; Hymnes Baptême, p. 29; Hymnes Dédicace,
p. 159. L'expression revient deux fois dans la Catéchèse de l'Agathange attribuée
à Grégoire l'Illuminateur {cf. R.W. THOMSON, The Teaching of Saint Gregory.
An early Armenian Catechism, Cambridge [Massachusetts] 1970, p. 136 [no 566)
et p. 171 [nO 684]) .
.a Hymnes Grande semaine, p. 81,82 .
• 9 Hymnes Grande semaine, p. 77.

50 Ibid., p. 85; Hymnes Présentation, p. 523.


51 Hymnes Grande semaine, p. 116.
LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES ARMENIENS 185

L'énumération de ces divers noms et images appliqués au


Christ suggère déjà ce que nous retrouverons constamment par
la suite: le Christ est Dieu et il est venu pour le Salut de l'univers.
Dieu et Sauveur.

II. LE CHRIST DIEU

L'utilisation, à l'adresse du Christ, Je titres qui l'égalent à


Dieu n'est que l'une des manifestations de sa divinité dans le
rite arménien. Dans cette partie consacrée au Christ Dieu, nous
voudrions regrouper les textes qui mettent Jésus-Christ en rela-
tion avec la Trinité, la personne du Père et celle de l'Esprit-
Saint, en commençant par l'examen des doxologies.

Le Christ et les Personnes Divines


Comme tous les autres rites, la liturgie arménienne termine
toutes ses prières par une doxologie 52. Celles où le nom du
Christ apparaH, nous ne nous arrêterons qu'à celles-là, sont de
trois types:

1 - La doxologie dont la formulation est uniquement christo-


logique:
... le Christ Jésus notre Seigneur à qui conviennent la
gloire, la puissance et l'honneur ", maintenant et toujours et
dans les siècles des siècles. Amen ".
Cette doxologie, à perspective uniquement christologique os,
est employée fréquemment dans les oraisons baptismales; les
textes des autres rites que nous avons analysés n'y font pas
appel.
Ce type de doxologie s'inscrit sans doute dans la ligne de
celle de 2 Timothée 4,18, Hébreux 13,21 et 2 Pierre 3,18; "A lui,

~l Sur la doxologie cf. l'article de A. STUIBER, Duxologie, dans Reallexican fUr


Antike und Christentwn, t. IV, col. 210-226; A. BAUMSTARK, Liturgie comparée,
3~ édition revuc par B. Botte, Chevetogne 1953, p. 71-79.
51 Baptême, p. 39.
~ Ibid., p. 223, 230-231, 408.
55 Quelques manuscrits, dont l'un (le Erévan 1001) est aussi ancien que le
Venise 457 (Ixe-x~ siècle), insèrent la mention du Père et du Saint-Esprit (cf.
Baptême, p. 39, apparat critique des lignes 31 et 32).
186 CHARLES HENQUX
------~

la gloire dans tous les siècles.» Le thème de la « puissance»


figure en Apocalypse 1,6: «A lui la gloire et la puissance dans
les siècles des siècles." Et c'est encore dans Apocalypse 5,13
que nous voyons rassemblés les trois termes de notre texte:
« A l'Agneau, la louange, l'honneur, la gloire et la puissance dans
les siècles des siècles." C'est donc entièrement de l'Ecriture
que provient cette doxologie christologique.

2 - Deux doxologies s'adressent au Père et au Christ:


· .. notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ . .. avec lui, te
conviennent, Père tout-puissant, la pUlssance, la domination et
la gloire, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Amen 56/

· .. le Christ Jésus notre Seigneur, avec lui te cOl1viennent,


Père, la gloire, la puissance et thonneU7' maintenant et tou.jours
et dans les siècles des siècles. Amen 57!
C'est vraisemblablement dans Apocalypse 7,10, salutation
adressée à Dieu et à l'Agneau, qu'il faut chercher l'inspiration de
cette doxologie. L'absence du nom de l'Esprit-Saint ne doit pas
la faire considérer comme entachée d'hérésie arienne; de naIn-
breux textes anciens nous ont conservé des exemples de doxo-
logies binaires (Père et Fils) oP.

3 - Les doxologies adressées à la Trinité apparaissent sous


plusieurs formes, mais le nom du Christ y est toujours simple-
ment coordonné aux noms du Père et de l'Esprit par les conjonc-
tions et ou avec.
· .. qu'il (le catéchumène) te (Christ) glorifie avec le Père et
le Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles.
Amen 59.

~ Ordinations, p. 233. La mention de "l'Esprit-Saint vivifiant et libérateur»


entrera par la suite dans cette doxologie.
~J Baptême, p. 406. La doxologie sera élargie au Saint-Esprit dans les mêmes
manuscrits que précédemment (cf. note SS ct 56).
~g Cf. Martyre de Polycarpe, 20,2 (éd. CAMELOT, Sources Cl1rétiennes 10, Paris
1969, p. 270); CLÉMENT DE RO!\lE, Epîlre al/X Corinthiens 61,3: 64 (éd. JAUBERT, Sour-
ces Chrétiennes 167, Paris 1971, p. 200-202); fragments grecs de l'Allaphore de saint
Marc (Revue des Sciences Religieuses 8 [1928J, p. 489-515); bénédiction des fmits
de la Tradition Apostolique d'Hippolyte (éd. BOTIE, Liturgiewissenschaftliche.
QlIellel1 und Forschtmgen, Heft 39, Münster 1963, p. 76); et le Gloria in excelsis
dans la recension syrienne (Constitutions Apostoliqtœs 7,47: éd. FUNK l, p. 454-456).
S9 Baptême, p. 221.
LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES AR~1ENIENS 187

Notre Seigneur Jésus-Christ, avec qui, à toi, Père et le


Saint-Esprit, conviennent la gloire, la puissance et l'honneur,
maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Amen ".
· .. Notre Seigneur Jésus-Christ à qui, en même temps qu'avec
le Père et le Saint-Esprit, conviennent la gloire, la puissance et
l'honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles.
Amen 61.
· .. ton Christ, avec qui, à toi Père tout-puissant, en même
temps qu'au Saint-Esprit vivifiant et libérateur, conviennent la
gloire, la puissance, et l'honneur, maintenant et toujours et dans
les siècles des siècles. Amen ".
· .. Notre Seigneur Jésus-Christ, avec qui, à toi Père tout-
puissant, ainsi qu'au Saint-Esprit vivifiant, conviennent le règne,
la puissance et la gloire, maintenant et toujours et dans les siècles
des siècles. Amen 63.

Ce qui caractérise ces doxologies, c'est l'absence de conjonc-


tions relationnels (par, dans), établissant une hiérarchie, une
économie. Le nom du Christ est rattaché par la conjonction
« avec» aux noms du Père et du Saint-Esprit, lesquels sont entre
eux simplement coordonnés par la conjonction et; l'égalité dans
la louange entre les Trois Personnes est totale. Il y a là, sans
doute, fidélité aux formulations liturgiques qui virent le jour
au IV' et au V' siècle, en réaction à l'hérésie arienne interprétant
dans un sens subordinationiste la hiérarchie marquée entre les
trois Personnes divines par l'emploi des prépositions par et
dans 64.
Les textes de l'Hymnaire affirment eux aussi cette égalité
du Christ par rapport au Père et à l'Esprit - Saint. Le Christ,
« qui nous fait connaître le mystère de la Trinité 65» « est con-

60 Ibid., p. 212-213 et 229; Ordinations, p. 240.


M Baptéme, p. 411.
6lOrdinations, p. 229, 238.
~l Ibid., p. 230. Doxologie identique à celle de la finale glosée du Pater dans
la liturgie de la messe (cf. C.-\TERGIAN-DASHTAN, p. 212, 372, etc .. ).
t.4 Cf. A. STUIBER, Doxologie, loe. cil., col. 221·223.
65 Hymnes Grande semaine, p. 85.
188 CHARLES RENaUX

substantiel au Père et au Saint-Esprit" », selon la formule du


Concile de Nicée; il est "un dans la gloire avec le Père et
l'Esprit 67 ».

Le Christ et le Père
Situation et relation du Christ par rapport à la seule person-
ne du Père font aussi l'objet de quelques allusions dans les
textes liturgiques arméniens, selon des formules qui, pour les
textes anciens, renvoient toutes au Nouveau Testament.
Jésus-Christ tire son origine du " Père », et il est dans une
relation de filiation par rapport à lui, comme le disent ces
formules classiques: «Dieu ... Père de notre Sauveur et Seigneur
Jésus-Christ 68, Seigneur Dieu, Père de notre Seigneur J ésus-
Christ"', Ton Fils bien-aimé Jésus-Christ ". »
C'est dans cette filiation manifestée aux hommes durant sa
vie terrestre que le Christ révèle le Père: "Jésus-Christ .,. qui
est l'image de la gloire 71 }} du Père, ({ son sceau exact 72 »; ({ en lui-
même il montre le Père 73 », et il est ({ à la gloire de Dieu le Père 74 ».
Les mêmes expressions reviennent dans l'Hyml1aire, sans
l'originalité que l'on aurait pu espérer trouver dans des com-
positions poétiques. Jésus est "le Fils unique ", l'effigie du
Père ", consubstantiel au Père 77, l'égal en gloire du Père 78; il est
monté près du Père de qui il était sorti ", il offre les créatures à
son Père 80, il reviendra dans la gloire du Père 81 ».

66 Hymnes Epiphanie, p. 513; Hymnes Pâques, p. 120. Consubstantiel, hamagoy,

est l'équivalent de l'homoouSÎ-vs grec (cf. AVEDIcHr .\N, Sulle correzimli dei Libri
Ecclesiastici Arment, Venezia 1868, p. 82-83).
07 Hymnes Epiphanie, p. 513; cf. Jean 17,11.22.
0lI Anaphore de Grégoire, p. 126.

69 Baptême, p. 405; cf. Romains 15,6; 2 Corinthiens 11,31; Ephésiens 1,3; 1 Piero

re 1,3.
70 Dédicace, p. 34.
71 Anaphore Grégaire, p. 126: cf. Hébreux 1,3.
72 Ibid., p. 126.
7] Ibid., p. 128.

7~ Baptême, p. 43; cf. Ephésiens 1,11: Philippiens 2,Il.


7~ Hymnes Gmnde semaine, p. 79.
,6 Ibid., p. 97: cf. Hébreux 1,3.
77 Ibid., p. 120.
;~ Ibid., p. 120.
79 Hymnes Baptéme, p. 29.
la Hymnes Présentation, p. 524.
It Hymnes Pâques, p. 120.
LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES ARMENIENS 189

Le Christ et l'Esprit-Saint
En dehors des doxologies que nous avons rapportées précé-
demment, peu d'allusions aux relations entre le Christ et l'Esprit-
Saint. Le jour de la Pentecôte, dans la prière spéciale adressée
au Christ, le célébrant lui demande de nous remplir «de ton
Esprit-Saint 82 », et «de guider notre marche par ton Esprit-
Saint dans des sentiers irréprochables 83 ». Et le canon du jour
de Pâques chante que le Christ est «consubstantiel au Père et
au Saint~Esprit 84 ».

La divinité du Christ
La divinité du Christ, dont les textes viennent de nous dire
les relations avec le Père et l'Esprit-Saint, est souvent proclamée
dans les prières, mais là encore sans grande originalité. Le
Christ a illuminé ses créatures « en faisant poindre en nos âmes
la lumière de sa divinité 85 }); il a «uni notre nature passible à
sa divinité impassible 86», et nous devons «l'adorer avec le
Père en esprit et en vérité 87 ». C'est avec la mên1e silnplicité, et
en faisant appel à des images vraiment communes, que les hymnes
chantent le Christ Dieu: Christ dont «la lumière divine (est)
plus brillante que le soleil '", du haut des cieux tu as illuminé de
ta divine splendeur le temple saint de ta gloire 39 ». Le Christ
« vit éternellement 90, il est adoré par les créatures du ciel et de
la terre avec le Père et le Saint-Esprit" ».
La manifestation de la divinité du Christ, c'est enfin l'attri-
bution, à la personne du Verbe incarné, des actions de Dieu,
conformément à la doctrine de la communication des idiomes. Le
Christ est ainsi présenté con1n1e créateur: «Seigneur, toi qui
as créé par ta grande puissance la mer, la terre ferme et toutes

82 Génuflexion, p. 60-61.
!1 Ibid., p. 62-63.
l' Hymnes Grande semaine, p. 120.
I~ Baptême, p. 228.
BIi Génuflexion, p. 66·67; anaxt, libre de toule maladie et de toute passion,
l'apatheia.
~1 Ibid., p. 64-65.
U Hymnes Dédicace, p. 146.
!9 Ibid., p. 147.

'ICI Hymnes Grande semaine, p. 115, 120.


91 Hymnes Baptême, p. 31.
190 CHARLES RENOUX

les créatures toi, notre Seigneur Jésus-Christ 92 », «créa-

teur des créatures 93 ••• de ton divin cri de créateur, tu as appelé


Lazare hors du tombeau 94 ••• ».
La lecture de ces textes nous met constanlment devant une
compréhension très simple, mais très vraie, de la foi où la
personne du Christ apparaît comme le mode unique et le plus
haut qui soit de la rencontre entre Dieu et l'homme. Le Christ,
Fils de Dieu, est Dieu lui-même. Le vocabulaire de la christologie
alexandrine, à lequel l'Eglise Arménienne est si fortement atta-
chée, n'apparaît pas ici, même si l'inspiration s'en fait sentir,
nous le verrons. C'est presque uniquement à des mots bibliques
que font appel les textes liturgiques pour parler du Christ.

III. JÉSUS-CHRIST SAUVEUR

Jésus-Christ dans les textes liturgiques armemens est beau-


coup plus envisagé sous l'angle de la sotériologie que sous celui
de la christologie; tout en organisant le culte de louange à Dieu,
ils mettent au premier plan le fait objectif du salut. Aussi les
allusions à l'économie rédemptrice sont-elles abondantes.

Expressions globales de l'économie rédemptrice


Avant de regrouper ces textes épars concernant le salut
apporté par le Christ, énumérons quelques expressions qui nous
le présentent de façon globale.
L'action rédemptrice du Christ est «lumière de grâce os,
grâce et anl0ur des hommes sc, miséricorde et compassion 97,
bienfaisante royauté 98; elle nous guérit 99, nous purifie 100 et guide
notre marche 101; il a repoussé la ruse des démons, l'idôlatrie du

92 Baptême, p. 219.
9_1 Hymnes Epiphanie, p. 513.
94 Hymnes Grande semaine, p. 79.

9.1 Baptême, p. 41.

~6 Baptême, p. 408; Ordinations, p. 230 et 233.


~; Ordinations, p. 229.
9! Génuflexion, p. 73.
99 Ibid., p. 67.
LOO Ibid., p. 69.

LOI Ibid., p. 63.


LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES ARMENIENS 191
-------'-'-=

mensonge et tous les pièges sataniques 102 ». L'Hymnaire possède,


lui aussi, de nombreuses formules de ce genre enfermant en quel-
ques mots tout le mystère rédempteur. En voici quelques-unes:
.< Il a expulsé les ténèbres de l'ignorance '''; ouvre-nous la porte
de ta miséricorde 104; tu nous as accordé la palme du combat 105;
rends~nous dignes de ta lumineuse demeure; reçois-nous pour
l'adoption dans le livre de vie '00 ». La libération de l'ignorance,
c'est bien sûr la libération de la non-connaissance de Dieu; le
Christ se fait notre" Docteur », parce qu'il révèle Dieu et qu'il
incarne l'amour créateur et rédempteur.
Plus significatifs du contenu du mystère rédempteur que
ces brèves formules, apparaissent trois textes tirés de l'ordo
baptismal ancien et de l'anaphore de Grégoire l'Illuminateur;
ils nous présentent la place du Christ dans l'économie rédemptri-
ce. Au catéchumène, prescrit la rubrique d'introduction des plus
anciens rituels baptismaux connus 10"i, on doit enseigner, après
l'annonce de la naissance du Christ, " toute l'économie, le grand
mystère de la croix, l'ensevelissement et la résurrection, l'ascen-
sion auprès du Père et le second avènement ... loe ». Cette ru-
brique, dont les origines seraient hiérosolymitaines et qui pour-
rait être contemporaine de Cyrille de Jérusalem ''', présente un
schéma de l'histoire du salut où l'on distingue bien naissance du
Christ et économie. Mais ce faisant, mort et résurrection du
Christ n'excluent pas ni ne rendent inutile l'Incarnation; il
serait illégitime d'inférer que, pour ce texte, l'Incarnation n'est
pas conçue en fonction de la Rédemption.
La profession de foi baptismale, rapportée par le ms. Venise
199 de 1216 '10, énumère les événements suivants de la vie du
Christ: "la naissance du Christ, le baptême, la crucifixion, la
sépulture de trois jours, la bienheureuse résurrection, la divine

IOl Baptême, p. 43.


101 Hymnes Baptême, p. 29.
1(1.1 Hymnes Baptême, p. 28.

105 Hymnes Dédicace, p. 169.


106 H)'mnes Baptême., p. 28.

107 Les manuscrits Venise 457 et Erévan 1001 du IX~_Xe siècle et le Venise 199
de 1216; cf. M.-F. LAGES, The Hierosolymitain Origill of the Catechetical Rites
irl the Annellian Liturgy, dans Didaskalia 1 (1971). p. 233-249.
10! Baptême, p. 37.

109 Cf. M.-F. LAGES, loc. cit., p. 248-249.


110 Les manuscrits plus anciens ne possèdent que les trois interrogations au
sujet de la foi au Père, au Fils et au Saint-Esprit.
192 CHARLES RENOUX

ascension, la session à la droite du Père et le redoutable et


glorieux avènement ll! ». Nous trouvons là l'énumération de tous
les articles de foi que commentent les Pères au IV' et V' siècles;
l'Incarnation n'est pas séparée de la mort et de la résurrection
du Christ dans le mystère du salut.
Il est intéressant enfin de signaler la présentation globale de
l'économie rédemptrice qui se trouve au cœur de l'anaphore de
Grégoire l'Illuminateur 112: "Il a séjourné dans ce monde et nous
a donné des préceptes vivifiants et salutaires; il nous a sauvés
de l'erreur de l'idôlatrie et nous a amenés à la connaissance de
notre vrai Dieu; il nous a acquis comme peuple propre, comme
royaume, comme sacerdoce, comme race sainte; il nous a lavé~
dans l'eau de la sainte piscine et purifiés par l'Esprit-Saint; il
se livra lui-même à la mort et sauva tous ceux qui étaient mis
en péril par la mort ... ; il descendit aux enfers par la mort de
la croix en sa chair, afin de tout accomplir; il ressuscita le
troisième jour ... ; il devint prémices de ceux qui se sont en-
dormis et premier-né de tous les morts, afin qu'il fût le premier
en tout; il s'assit à la droite de ta grandeur ... ; et il nous laissa
en mémorial de sa salutaire passion (ce pain) que nous avons
placé là .,. "
Le commentaire de ces formules globales nous est donné
constamment par l'une ou l'autre expression où le Christ apparaît
dans l'un de ses mystères.

Incarnation et Rédemption
L'hymne consacré à la Vierge dans chaque canon, le
Mecac'usc'e (= Magnificat), montre comment l'Eglise Arménienne
parle de l'Incarnation: "Le Christ qui, d'une vierge, naquit Roi

III Le Credo de la liturgie ajoute la mention de la Passion (CATERGIAN-DASHIAN,


op. cit., p. 659). La profession de foi et tout l'ordo baptismal imprimés dans
ASSEMANI, Codex Litu.rgicus II (reproduction anastatique pour Welter, Paris 1902,
de l'édition de Rome 1749), p. 202-210, ont-ils quelque valeur? On sait par G.
AVEDICHTAN (Sulle correzioni dei Libri EcclesÎastici Armeni, Venezia 1868, p. 2840)
le travail néfaste opéré au XVII" s. par B. Barsech, prêtre arménien ennemi
de la langue et des traditions de sa nation, dans les traductions qu'il fit pour
le compte de la Sacrée Congrégation de la Propagande. Les anomalies de ce rituel
relevées par J.-A. ASSEMANUS (cf. Monitum) ne proviennent-elles pas de là? - Des
rituels plus tardifs feront mention de «l'Annonciation de Gabriel n, voire «de
la conception de Marie n.
m Anaphore Grégoire, p. 134-136.
LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES ARMENIENS 193

sans souillure ... 113; Christ, qui t'es incarné pour nous de la
Vierge sainte ... 114; sans subir de corruption, le Christ, Dieu et
Sauveur, habita en ton sein ... 115; en son corps né de la Vierge,
le Christ est déposé dans un tombeau vierge ... lui qui délie des
peines de l'enfer ... 116». L'Incarnation est donc bien envisagée
en fonction de la Rédemption; le Christ, ce Roi qui naît, a un
rôle de Sauveur.

Le Christ et les anges


Vers le Christ, Verbe fait chair, devenu Roi de l'univers,
convergent aussi les anges, mais dans les textes liturgiques ana-
lysés nous ne voyons ces derniers que dans une seule fonction:
celle de l'adoration. "Le Christ, né de la Vierge ... est glorifié
sans arrêt par les anges ... I11; le Christ Dieu ... devant qui
tremblent les Puissances intelligibles ... "'; le Christ que glori-
fient dans les hauteurs les Puissances intelligibles ... 119; le Christ,
le Roi honoré avec crainte par les armées invisibles ... 120; tu es
béni par les anges ... 121 }).

La Rédemption
Le Christ, adoré par les anges, s'est incarné pour nous
sauver. A la suite de plusieurs textes du Nouveau Testament qui
dénoncent la puissance du démon dans le monde pécheur 122,
quelques textes liturgiques arméniens reprennent, après de nom-
breux Pères 123, la métaphore de la rançon: "Par la passion et la
mort de la croix tu as acheté notre salut et notre retour ... 124;
N .... est baptisé ... racheté par le sang du Christ de la servitude
du péché ... 125 »,

III Hymnes Epiphanie, p. 510, 512.


114 Hymnes Présentation, p. 524.
115 Hymnes Grande semaine, p. 78, 88.
!l6 Ibid., p. 115.
117 Hymnes Epiphanie, p. 510.
liS Ibid., p. 512.
1J9 Hymnes Présentation, p. 524.

ua Hymnes Grande semaine, p. 116.


m Ibid., p. 120.
121 Cf. Jean 12,31; 14,30: 1 Jean 3,8.

III Cf. J. RIVIÈRE, Rédemption, dans Dictiannaire de Théologie Catholique,


col. 1939.
124 Baptême, p. 38.
125 Ibid., p. 224.
19~4__________________~C~H=A=R=L=E=S~R=E=N~'0~U~X~_____________________

La Passion volontaire
Le Christ qui nous sauve par son sang le fait volontairement.
De nombreux textes insistent sur ce caractère volontaire de la
passion du Christ: "De sa propre volonté il venait à la mort,
dans la nuit où il se livrait lui-même à la mort ... », répète
l'anaphore de Grégoire l'Illuminateur l " . Les textes hymnodiques,
plus récents, reprennent le même thème: "Christ Dieu, toi qui
as consenti à souffrir volontairelnent ... » chante le canon du
jeudi saint "'; et l'un de ceux des fêtes de la Croix: "Volontaire-
ment tu es monté sur ta croix, tu as étendu les bras pour ras-
sembler près de toi la race humaine dispersée ... 128 ». Affirmer
le caractère volontaire des souffrances du Christ, mais marquer
aussi que c'est à l'humanité du Christ, instrument de sa divinité,
que se rattache toute cette activité rédemptrice: "Christ Dieu,
toi qui as consenti à souffrir volontairement ... », tel est bien
le sens de ces textes.

La Croix
Parmi les souffrances du Christ, celles de la Croix tiennent
une place importante dans la liturgie arménienne 129 et particu-
lièrement dans les canons des fêtes de la croix. ".La force ir-
résistible de ta croix, ô Christ, vient à notre secours ... 130 ». Le
Christ en croix enlève la condamnation et enchaîne l'Adversaire:
"Christ, par le signe de la Croix victorieuse, tu as enlevé la
condamnation ... 131; le Christ, cloué à la croix, a délié ceux qui
étaient enchaînés et par sa croix vivifiante a enchaîné l'Adversai-
re ... 1"' ». Aussi, avec la Croix, le Christ nous a donné" l'emblème
de la victoire 133, l'arbre de vie qui rend la vie lH, un sceptre
royal 135; il s'y est assis sur un trône seigneurial 136 ». Et dans cette
insistance sur la valeur de la croix du Christ comme instrument

Ill; Anaphore Grégoire, p. 136.


117 Hymnes Grande semaine, p. 93.
12~ Canon Dédicace, p. 149.
119 Cf. notœ article sur La Croix dans le rite arménien, dans Melto. Recher-

ches Orientales 5 (1969), p. 123-175.


110 Canon Dédicace, p. 129.
III Ibid., p. 169.

112 Ibid., p. 170.


m Ibid., p. 148.
III Ibid., p. 148.

III Ibid., p. 148 et 154.


13.\ Ibid., p. 154.
LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES ARMENIENS 195

du salut, l'une des hymnes des fêtes de la Croix tient à affirmer


que c'est à l'union, en sa personne, de l'humanité et de la divinité
qu'est due la valeur de la croix: «Christ Dieu, toi qui en étendant
les bras sur tal croix sauvais le monde ... 13? », Ou encore; « Le
Christ, notre Dieu, est venu par sa croix, répandre ses bienfaits
sur le monde 138 }).

Le salut dans le Christ


Les effets de l'œuvre rédemptrice accomplie par le Christ
revêtent de très nombreuses formulations: le Christ, « salut des
créatures 139, a détruit la mort par la mort 140, a restauré notre
nature 141 ». Mais ce sont surtout les thèmes classiques à toutes
les liturgies qu'il faut relever, car ils montrent combien le rite
arménien puise, comme elles, au langage des Ecritures. A côté
du thème du salut: «Nous sommes sauvés grâce à la vraie con-
naissance de Dieu (révélée) par ton Christ ... 142, grâce à la
résurrection ... 143», nous trouvons aussi celui de la lumière:
« Christ Dieu, toi qui as illuminé tes créatures en faisant lever
en tes serviteurs la lumière de ta divinité 144; le Christ t'a illu-
n1iné 14:i; que ce sceau, au nom du Christ, illumine tes yeux 146 ».
C'est aussi, enfin, en termes de vie qu'est présenté le salut apporté
par le Christ: «Ceux qui étaient morts en Adam ont revécu dans
le Christ '" 147 ».
Le baptême est l'un des lieux où les textes manifestent le
mieux notre vie par le Christ: le Christ est baptisé au Jourdain
«en modèle pour l'ablution (donnée) en cette sainte piscine;
il sanctifie l'eau comme il a sanctifié le Jourdain en y descendant,
et elle accorde la rémission des péchés, la réception de l'Esprit-
Saint, l'adoption des fils de ton Père céleste et l'héritage de ton

Jl7 Ibid., p. 148.


Il! Ibid., p. 151.
ll9 Hymnes Grande semaine, p. 115.
l4~ Ibid., p. 148.
l~l Ibid., p. 84.
ln Baptême, p. 407.
14J Hymnes Grande semaine, p. 118.

144 Baptême, p. 228.


H5 Hymnes Grande semaine, p. 120.
l~6 Baptême, p. 401.
W Anaphore Grégoire, p. 134.
196 CHARLES RENOUX

royaume des cieux 143, Le Christ est baptisé et toutes les créatures
sont purifiées, il nous donne le pardon des péchés 149 ».
Aussi, c'est le Christ que l'on prie au cours des cérémonies du
baptême, pour qu'il donne l'Esprit-Saint: "Envoie l'Esprit-
Saint dans cette eau 150 ». Et le jour de la Pentecôte, dans la
prière spéciale adressée au Christ, c'est à lui également que l'on
demande qu'il rende ses serviteurs dignes des six dons divins
(sagesse, intelligence, conseil, force, science, piété) "et de ton
Esprit de crainte"'; remplis-nous de ton Esprit Saint 152 ».

Eglise et sacrements
Alors que les textes anciens, au llloins ceux que nous avons
choisis, ne mentionnent que rarement le Christ dans sa relation
à J'Eglise, " ta sainte Eglise '" », les canons hymnodiques, et prin-
cipalement ceux de la Dédicace et des fêtes de la Croix, sont d'une
très grande richesse à ce sujet.
Le Christ qui a fondé l'Eglise: "Christ, toi qui par ta pa<role
as établi ton Eglise sur le roc des apôtres ... "'; par la puissance
de ta croix, tu as fondé l'Eglise 155 », et qui est ressuscité pour
eIIe: "Bénissez le Christ ressuscité des morts pour la sainte
Eglise 156 », en reste la lumière: « Le Christ, ta lumière, est res-
suscité 157; sur toi s'est levée la lumière de la connaissance, le
Christ ''''; tu as illuminé ta sainte Eglise "'; tu as illuminé de ta
divine splendeur le temple saint de ta gloire 16U ». L'image, pré-
parée dans l'Ancien Testament et empruntée au Nouveau Testa-
ment, de l'Eglise, épouse du Christ, n'est pas ignorée des hymnes
de la Dédicace: "Le Christ s'est uni à la sainte Eglise '''; réjouis-

I.S Baptême, p. 220.


IH Hymnes Epiphanie, p. 520.
ISO Baptéme, p. 220.
m Génuflexion, p. 62-63.
ISl Ibid., p. 60-61. Dans la prière adressée au Père, ce même jour et au cours
de la même liturgie, l'Esprit-Saint est appelé aussi «ton Esprit », par rapport
au Père (Génuflexion, p. 28-29), et l'on demande aussi au Père: « Envoie, en ton
temple et en ceux qui sont rassemblés, ton Esprit-Saint bienfaisant ... » (Gé-
nu.flexion, p. 40-41).
153 Baptême, p. 21.
1501 Hymnes Dédicace, p. 158.
IS5 Ibid., p. 155.
156 Hymnes Grande semaine, p. 121.

m Hymnes Grande semaine, p. 119.


ISo! Ibid.

159 Hymnes Dédicace, p. 146, 150.

1611 Ibid., p. 147.


161 Ibid., p. 146.
_ _ _ _-'LE=-'C:::HRIST DANS QUELQUES TEXTES ARMENIENS 197

toi, exulte, épouse du Christ, sainte Eglise "2,,; l'Eglise est" le


temple de gloire du Christ 163; le saint tabernacle que tu as choisi
pour ta venue, Christ 16< ". Et, faisant allusion à l'un des rites du
mariage dans la liturgie arménienne, le couronnement des
époux 165, l'un des canons chante: "Le Christ Roi l'a couronnée
de sa gloire admirable 166 ".
La vocation missionnaire de l'Eglise est affirmée dans nos
textes et, conformément à la meilleure théologie, elle est fondée
dans la mission du Fils et dans l'action de l'Esprit-Saint: "Tu as
envoyé tes saints apôtres ... en leur ordonnant de prêcher et de
baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ... 167; tu
as fait la grâce de ta paix à tes apôtres en soufflant sur eux ...
et tu leur as fait don aussi, avec éclat, de l'Esprit-Saint 168 ".
Dans l'Eglise, l'Eucharistie est "le redoutable et céleste
mystère du corps et du sang de notre Seigneur Jésus-Christ 169 ".
La réalisation de cette présence " du corps et du sang précieux
du Seigneur et Sauveur Jésus-Christ 170 " est exprimée en simples
termes de changement: "Seigneur, notre Dieu ... que les obla-
tions sans taches qui seront offertes sur cet autel soient chan-
gées 171 au corps et au sang précieux de ton Christ ... 172 », chan-
gement opéré par l'Esprit: "Afin que les oblations deviennent 173
vraiment le corps et le sang de ton Fils par l'Esprit-Saint grâce
auquel nous serons sanctifiés et purifiés de nos péchés ... 174 ».

Le retour du Christ
Pour clore ce tour d'horizon sur les manifestations du Christ
dans le rite arménien, il faut regrouper quelques textes concer-
nan t le retour du Christ.

162 Ibid., p. 161.


16J Ibid., p. 145.
164 Ibid., p. 146.
165 Cf. A. RAEs, Le. Mariage dans les Eglises d'Orient (Collection lrénikon) ,
Chevetogne 1958, p. 82-1Ol.
166 Hymnes Dédicace, p. 145.
167 Baptême, p. 219.

lM Génuflexion, p. 55.
169 Ordinations, p. 233.

l7C Anaphore Grégoire, p. 100.

171 p'oxesc'in, changer, convertir, commuer.


m Dédicace, p. 7.
l7l elic'i, être, devenir.
m Dédicace, p. 9.
198 CHARLES RENOUX

Jésus-Christ nous a invités et appelés à son royaume 175, «le


royaume de ton Christ 176)}, quand la prière s'adresse à Dieu.
Ce royaull1e reçoit aussi les noms de « tabernacle spirituel 177,
d'héritage sans fin des saints m ». Le Christ reviendra dans un
avènement dont la Transfiguration a été une préfiguration:
"Aujourd'hui, tu as manifesté, ô Christ, à tes disciples sur le
Thabor le mystère de ton deuxième avènement '" ». Cette seconde
venue renouvellera les créatures et c'est pourquoi, comme au
baptême, la grâce demandée est ceIle de la lumière qui recrée:
" IIIumine-nous, Christ, lors de ta seconde venue, lorsque tu te
montreras dans les cieux et renouvelleras tes créatures IBO », Le
Christ reviendra comme juge: "Christ, lorsque des cieux tu
viendras dans la gloire et que tu t'assiéras sur le trône du juge
et que tu sépareras tous les peuples, place-nous à ta droite avec
(tes) brebis '"1 ». Mais le Christ est un juge qui peut se laisser
fléchir: "Quand tu siégeras au tribunal, comme un juge redou-
table, épargne tes créatures, en raison de l'intercession et des
prières des saints ascètes lA2 ». Et plus que l'intercession des
saints, la présence, à l'extrême bord de l'enfer, de la croix, ma-
nifestation de l'amour extrême du Christ, permet toute confiance:
« En toi nous mettons notre confiance, Christ, toi qui reviendras
avec la croix, afin de nous sauver en ce jour redoutable du
jugement 183 ».

* * *
L'audition de tous ces textes, sans couleurs bien vives, dans
un assemblage sans originalité, vous aura sans doute déçus;
c'est avec morosité que nous l'avons réalisé nous-même. Il a
cependant l'intérêt de montrer que la prière de l'Eglise Armé-
nienne, au sujet du Christ, ne s'écarte en rien des formes que
revêt la prière liturgique dans les autres rites. Comme partout,
ce qui la caractérise avant tout, c'est le recours aux textes bibli-

175 Ordinations, p. 233.


176 Ibid., p. 234.
177 Hymnes Transfiguration, p. 69.
Ha Anaphore Grégoire, p. 104.
179 Hymnes Transfiguration, p, 69.
liO Hymnes Grande semaine, p. 89,
LSI Ibid., p. 87.

1&2 Hymnes Baptême, p. 30.


lil Hymnes Dédicace, p. 176.
LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES ARMENIENS 199

ques, constamment sous-jacents, quand les formules elles-mêmes


ne leur sont pas directement empruntées. Quant au contenu,
plus qu'une christologie, c'est une sotériologie qui les anime,
exprimée non seulement sous l'angle de la libération de la
mort, mais surtout comme la vie de Dieu apportée par le Christ,
Dieu et Homme parfait.
C'est dans l'expression de cette sotériologie qu'il est cepen-
dant possible de saisir un aspect original, car il y en a un dans
les allusions au Christ des textes dont nous nous sommes servi.
En aucun cas, l'humanité du Christ n'est séparée de la divinité;
le Christ Sauveur, c'est le Christ Dieu, le Christ consubstantiel
au Père et à l'Esprit-Saint, nous l'avons vu plusieurs fois 184. Le
Verbe incorporel s'approprie, comme étant à soi, ce qui était
propre à son corps: "Christ Dieu, toi qui as consenti à souffrir
volontairement ... ». La personne du Christ, Verbe de Dieu, est
engagée dans la Passion, mais toute idée de théopaschisme est
cependant soigneusement bannie puisqu'on prie aussi «la divi·
nité impassible du Christ 185 ».
Dans cet usage de l'appropriation, nous reconnaissons les
positions de Cyrille d'Alexandrie dont l'Eglise arménienne a fait
l'un de ses quatre grands théologiens J86. Aussi pour conclure,
en situant les textes que nous avons lus dans une perspective
plus vaste, nous ne saurions mieux faire que de reprendre la
conclusion du dialogue sur Le Christ est un de Cyrille d'Alexan-
drie: "Nous croyons par conséquent que le Fils de Dieu le Père
est unique et qu'il faut concevoir comn1e une Personne unique
notre Seigneur Jésus-Christ, engendré de Dieu le Père divinement,
comme Verbe, avant tous les siècles et les temps, né, le même,
au dernier âge du monde, selon la chair d'une femme. A Lui
nous attribuons et le divin et l'humain, et à Lui nous disons
qu'appartiennent la naissance selon la chair et la souffrance sur
la croix, Lui qui s'est approprié tout ce qui revenait à sa chair
et qui est resté néammoins impassible en la nature de la divinité.
Car ainsi tout genou fléchit devant Lui, et toute langue confesse
que Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père.
Amen. )} 187

1&-1 Cf. p. 185-190.


us Génuflexion, p. 66-67.
lM Cf. V. INGLISIAN, Clwlkedon und die armenische Kirche, dans GRILLMEIER·

BACHT, Das Konzil von Chalkedan, 1. II, Würzbourg 1953, p. 390-393.


1&7 CYRILLE D'ALEXANDRIE, Deux dialogues christologiques, éd. de Durand (SC
97). Paris 1964, p. 512·515.
200 CHARLES RENOUX
~~------------~--

ANNEXE

M Prière sur le catéchumène au début du baptême 1


Seigneur notre Dieu, Dieu bienfaisant, toi qui n'as pu délaisser la race
humaine qui s'était détournée ct éloignée de toi (et) avait été expulsée et
déchue du jardin de délices, mais qui, par pitié, t'es abaissé de ta hauteur
vers notre nature inférieure, en prenant notre (humanité) tout entière,
sauf le péché; après avoir acheté, par la passion, la mort (et) la croix,
notre salut et notre conversion, tu nous as fait à nouveau le don de la
vie. Accueille aussi maintenant, Seigneur bienfaisant, la bonne volonté
de ta créature qui s'est empressée de s'approcher de ta sainte, unique
et vraie divinité, en se se chargeant du nom de chrétien. Aussi donne-lui
force et secours, et qu'elle soit digne de parvenir d'une part à la purifi-
cation de la sainte piscine de la vie immaculée, et d'autre part à l'héritage
de l'adoption de ton royaume céleste, avec le Christ Jésus, notre Seigneur,
à qui conviennent la gloire, la puissance et l'honneur, maintenant et toujours
et dans les siècles des siècles. Amen.

2 - Prière de la bénédiction de l'eau 2

Seigneur, toi qui as créé par ta grande puissance la mer, la terre


ferme et toutes les créatures qui s'y trouvent, tu as séparé et établi
les eaux qui (sont) au-dessus des cieux, comme demeure pour les armées
célestes qui sont sans cesse occupées à ta louange. Tu as envoyé tes
saints apôtres, leur ordonnant de prècher et de baptiser toutes les nations
au nom du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint. Et tu as aussi décrété, de
ta parole véridique, que celui qui ne naît pas de l'eau et de l'Esprit n'entrera
pas dans le royaume. Effrayé par cette parole (et) désireux de la vie
éternelle, ton serviteur est venu lIbrement au baptême de cette eau
spirituelle. Nous t'en prions, Seigneur, envoie l'Esprit-Saint en cette eau
et sanctifie-la, comme tu as sanctifié le Jourdain en y descendant,
complètement pur du péché, toi notre Seigneur Jésus-Christ, en modèle
du baptême en cette piscine, pour la naissance d'en-haut de tous les
hommes. Et accorde-lui que cette eau, dans laquelle il est baptisé mainte-
nant, (soit) pour la rémission des péchés, la réception de l'Esprit-Saint,
l'adoption des fils du Père des cieux et l'héritage du royaume des cieux.
Ainsi purifié des péchés, qu'il vive en ce monde selon ta volonté, qu'il
reçoive dans le monde à venir les biens inépuisables avec tous tes saints,
et qu'il glorifie, en rendant grâces, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, main-
tenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

1 Cf. Baptême, p. 38-39.


l Ibid., p. 219-220.
LE CHRIST DANS QUELQUES TEXTES ARMENIENS 201

3 - Prière après le baptême 3


Christ Dieu, toi qui as illuminé ta créature en faisant poindre en ton
serviteur la lumière de ta divinité, tu l'as aussi délivré, sanctifié et
justifié et tu (lui) as donné l'adoption des fils. Fais-lui, Seigneur, la grâce
d'avoir part à la vie, accorde-lui le don de la perpétuelle incorruptibilité,
en l'unissant avec tes justes au nombre de tes bien-aimés. Par notre
Seigneur Jésus-Christ, à qui conviennent, avec toi, Père et l'Esprit-Saint, la
gloire, la puissance et l'honneur, mamtenant et toujours et dans les
siècles des siècles. Amen.

4 - Hymne précédant le baptême 4


Le Christ, soleil de justice levé sur le monde, a expulsé les ténèbres
de l'ignorance et, après sa mort et sa résurrection, est monté près du
Père de qui il était sorti. Il est adoré par les créatures du ciel et de la
terre, avec le Père et le Saint-Esprit. C'est pourquoi, nous aussi, nous
adorons le Père en esprit et en vérité.
A la place de Celui qui est né du sein, le Verbe qui est remonté aux
cieux, fut envoyé la promesse du Père, l'Esprit de vérité, pour consoler
ceux qui étaient attristés du fait d'Adam et pour embraser le chœur
choisi des apôtres. C'est pourquoi, nous aussi, nous adorons le Père en
esprit et en vérité.
Aujourd'hui se sont dissipées les tristes et ténébreuses douleurs de
l'enfantement pour la mère du genre humain, car ceux qui étaient nés
selon la chair, pour la mort et la corruption, l'Esprit (les) fait renaître
en fils de lumière du Père céleste. C'est pourquoi, nous aussi, nous adorons
le Père en esprit et en vérité.
En-Calcat
F-81110 Dourgne
Charles RENOUX
CNRS-Paris

l Ibid., p. 228-229.
4 Hymne que l'on chante en se dirigeant vers la piscine (Mastoc', Jérusalem
1933, p. 31-32). Ce texte est tiré du canon du quatrième jour après la Pentecôte.
j
j
j
j
j
j
1

:
1
j
j
LA LITURGIE ET LE PROBLÈME DU «FILIOQUE»

Depuis le Concile de Gentilly tenu en 767 aux portes de


Paris, le filiaque est un sujet de discussions, parfois violentes,
entre chrétiens d'Orient ed d'Occident. Nous n'avons pas à en
refaire l'histoire '. Or, depuis 100 ans, la question est redébattue
même en Occident. L'Eglise catholique-chrétienne, on le sait, a
toujours rejeté le filiaque de sa confession de foi; mais ce qu'on
sait moins, c'est qu'en 1976, les Eglises réformées de Suisse
romande se sont donné un nouveau recueil de « Psaumes et
cantiques» où le filiaque n'apparaît plus dans le credo. Plusieurs
Eglises protestantes sont en train de se demander si elles ne
veulent pas suivre cet exemple. De son côté, le Conseil œcumé-
nique des Eglises a constitué un groupe d'études qui poursuit une
consultation sur ce sujet 2.
Fidèle à la tradition des « Semaines d'études liturgiques» de
S. Serge, j'aimerais aborder le méme problème non pas de
manière dogmatique - dans ce domaine, tout semble être dit
au cours des siècles - , mais à la lumière de la liturgie. J'ai
toujours été frappé de constater que la théologie « filioquiste »
(qui est antérieure à l'insertion du filiaque dans le credo) appa-
raît à peu près à l'époque où l'Epiclèse disparaît progressivement
de la messe occidentale: s'agit-il d'une pure coïncidence, ou y
a-t-il là, si non un rapport de cause à effet, du moins une sorte
de logique qui veut que la lex credendi corresponde à la lex
orandi et vice versa? C'est à cette question que j'aimerais essayer
de répondre. Pour pouvoir le faire, je commencerai par exposer
la situation en Orient, au IV· siècle. Je le ferai en parlant de

1 Cf. le résumé très complet d'A. PALMIERI, dans DictionnaÎre de Théol. cacl1.
V,!, col. 762-829.
l Cf. Geist Gottes _ Geist Christi, éd. par L. VISCHER, Frankfurt am Main
1981. Mentionnons que le nO 148 (1979) de Concilium est entièrement consacré
au thème «Le Saint-Esprit en rediscussion ». Cf. aussi le dossier publié dans
Istina 17, 1972, pp. 257-467; et A. de HALLEux, Pour un accord œcuménique sur
la procession de l'Esprit Saint et l'addition du «Filioque» au symbole, dans
Irénikon 51, 1978, pp. 451-469.
204 WILLY RORDORF

s. Basile; dans son œuvre, le lien entre lex orandi et lex credendi
est justement bien visible.

Pour introduire le chapitre sur s. Basile, je ne peux mieux


faire que de citer une page tirée d'une étude remarquable du
P. Bobrinskoy sur "Liturgie et ecclésiologie trinitaire de saint
Basile })3:
« L'innovation liturgique d'une doxologie trinitaire, non plus
seulement "en Pneumati", mais "syn Pneumati" et "kai hagiô
Pneumati", découle nécessairement de J'orthodoxie basilienne. La
portée de cette innovation de S. Basile en doxologie liturgique
trinitaire n'a peut-être pas été encore suffisamment évaluée dans
l'évolution de la théologie liturgique. Pour la première fois, le
Saint-Esprit n'est plus seulement le moyen, le souffle, le lieu de
la sanctification et de la prière (en ou dia), mais il apparaît, à l'égal
du Père et du Fils, comme le terme auquel la prière chrétienne et
la doxologie de l'Eglise sont adressées. C'est dans le Traité sur le
Saint-Esprit que la justification de la doxologie adressée en commun
au Père et au Fils, avec le Saint-Esprit, prendra toute son envergure
(chap. 19-23). Elle est traditionnelle, dira Basile, en citant Denys
d'Alexandrie. Il se souvient aussi de l'hymne antique du lucernaire,
le "phos hilaron" ("lumière joyeuse"), dans lequel le peuple entier
loue "le Père et le Fils et le Sant-Esprit de Dieu" ».

En s'inspirant de la formule trinitaire baptismale et de la


doxologie déjà traditionnelle qui s'y rattache: «syn Pneumati »
et "kai hagiô Pneumati », s. Basile en arrive à distinguer net-
tement deux aspects de la doctrine trinitaire: ad extra, celui qui
concerne la manifestation de la Trinité dans l'histoire du salut,
et ad intra, celui qui concerne les relations des trois Personnes
divines entre elles. Suivant le contexte qu'on a en vue, on
s'adressera au Père «par le Fils» ou on le glorifiera" avec le
Fils ». Ecoutons ce passage du traité Sur le Saint·Esprit ':
{( Que si l'on regarde la grandeur de la nature du Monogène
et son éminente dignité, on témoigne que c'est avec le Père que lui

J In: Eucharisties d'Orient et d'Occident II, Paris 1970, pp. 226-227 (égale-
ment publié dans Verbum Caro 89, 1969, pp. 18-19); cf. IDEM, Quelques réflexions
sur la pneumatologie du culte, dans Mélanges liturgiques offerts au R.P. Dom
Bernal'd Botte O.S.B., Louvain 1972, pp. 19-29.
47,6. Trad. de B. Pruche, dans SC 17bis, 1968, p. 299.
LA LITURGIE ET LE PROBLEME DU ({ FILIOQUE » 205
revient la gloire. Que si l'on songe aux biens dont il se met en frais
pour nous les procurer, ou à notre accès personnel auprès de Dieu
et à notre entrée dans sa familiarité, c'est par lui et en lui que l'on
confesse avoir reçu cette grâce. Ainsi l'une (des deux locutions)
est-elle propre à proclamer la doxologie: avec qui; l'autre, par qui,
mieux choisie pour rendre grâces ».

Ce qui est vrai du Fils, s'applique aussi au Saint-Esprit.


S. Basile s'efforce longuement de le démontrer dans son ouvra-
ge 5; vers la fin, il s'exprime ainsi 6:

« On a dit le sens de l'une et l'autre expression (sc. "dans


l'Esprit" et "avec l'Esprit"); on va dire maintenant en quoi elles
s'accordent et en quoi elles diffèrent. La contradiction ne les dresse
pas l'une contre l'autre, au contraire, chacune apportant à la piété
le sens qui lui est propre: dans fait voir plutôt ce qui a trait à
nous, avec révèle la communauté de l'Esprit avec Dieu. Aussi bien,
usons-nous des deux termes: par l'un nous marquons la dignité
de l'Esprit; par l'autre, nous proclamons sa grâce chez nous. C'est
ainsi que nous rendons gloire à Dieu et dans l'Esprit et avec
l'Esprit ».

Inutile d'ajouter que cette même doctrine du Saint-Esprit


se retrouve dans le 3" article du Credo de Nicée-Constantinople:
Kcd dc;; "TO TI\lZÜ!1-OC Tà ocyw\I .,. Tà crûv TIccTpl xcd Yti'!l cru!1-1t'pOOXU\lOU-
!1-EVOV xcd. cruv80~cc~6tLE\lO\l 7.
Il vaut maintenant la peine de souligner le rapport entre
cette théologie trinitaire et la liturgie eucharistique orientale à
l'époque de s. Basile. Là encore, je peux me référer à l'étude déjà
mentionnée du P. Bobrinskoy". A la suite des travaux de Dom
Engberding et de Dom Capelle, mais en les poussant plus loin, le
P. Bobrinskoy montre très bien que l'Anaphore byzantine de
s. Basile qui - en tout cas dans la rédaction de la Préface et
du Post-sanctus - doit beaucoup au grand Cappadocien, suit
un mouvement interne qui va de l'affirmation trinitaire de la
Préface à la christologie du Sanctus, du Post-sanctus et de
l'Institution, et enfin à la pneumatologie de l'Epiclèse et l'ec-
clésiologie de l'Intercession. Dans cette liturgie, il y a un équi-

59,22ss.
627,68. Trad. de B. Pruche, ibid., p. 489.
7 Cf. A.-M. RITIER, Das Konzil von Konstantinopel und sein Symbol, Gëttin-
gen 1965, pp. 293-307.
1 Cf. note 3.
206 WILLY RORDORF

libre parfait entre les deux aspects ad extra et ad intra de la


Trinité: d'une part, le déroulement même de l'Anaphore rappelle
l'ordre de l'histoire du salut où c'est évidemment Dieu le Père,
créateur de l'univers, qui envoie son Fils sur terre « quand est
venu l'accomplissement des temps" (cf. Gal. 4,4)', et où c'est par
le Fils que le Saint-Esprit est donné aux croyants w; d'autre part,
l'Eglise, tout en s'adressant à Dieu le Père pendant toute sa prière
eucharistique, n'omet pas de se référer spécialement au Fils au
moment de l'Anamnèse U et au Saint-Esprit au moment de
l'Epiclèse ".
Nous retrouvons donc, dans la liturgie eucharistique de
s. Basile, la combinaison des deux théologies trinitaires con-
densées dans les formules doxologiques "par le Fils dans
l'Esprit" et " avec le Fils - avec l'Esprit ", théologies trinitaires
que le Père cappadocien essaie de définir dans son traité Sur le
Saint-Esprit, comme nous l'avons vu. Cette conformité n'est
évidemmen t pas le fruit du hasard".
Vous voyez où j'en veux venir: sur la base de la lex orandi
et de la lex credendi, toutes deux indissolublement présentes
dans l'œuvre de s. Basile, on ne peut guère prétendre à mon sens
que s. Basile ait été adepte d'une théologie filioquiste qui n'af-
firmerait pas seulement la mission temporelle du Saint-Esprit
par le Fils, mais aussi sa procession éternelle du Père et du Fils.
Dans un article posthume sur "La procession du Saint-
Esprit d'après la liturgie grecque de saint Basile" g, Dom B. Ca-
pelle a néanmoins soutenu cette thèse, et puisqu'il s'agit d'un
grand spécialiste de la question, nous ne pouvons la passer sous
silence. Le savant bénédictin s'appuie sur une tournure de
phrase au début de la Préface qui dit ceci: ",,,p' 00 (sc. Ta';
XpLO'TOU) TO IIvEufloc 't'à &.ywv Ê~E(f)(iv1J, pour affirmer que s. Basile
enseigne la procession de la troisième Personne par l'intermédiaire
du Fils au sein même de la Trinité. Il cite aussi d'autres passages
tirés de l'œuvre du Père cappadocien, mais leur force probante

9 Cf. F.E. BRIGHn,I .\N - C.E. HAMMOND, Liturgies Eastem and Western l, Ox-

ford 1965, p. 325. 1.195.


10 Ibid., p. 326, 1.29s.
Il Ibid., p. 328, 1.26 - p. 329, 1.10.
12 Ibid., p. 329, 1.11 _ p. 330, 1.11.

Il Elle se retrouve d'une manière générale dans les liturgies eucharistiques

orientales.
H L'Orient Syrien 7, 1962, pp. 69-76.
_ _ _ _ _ccL"A:...::LCCIT:URGIE ET LE PROBLEME DU « FILIOQUE » 207

est très contestable ". Surtout il me semble que Dom Capelle


n'a pas suffisamment tenu compte du caractère des affirmations
trinitaires de la Préface elle-même: elles ne se situent pas seule-
ment sur le plan de la vie intratrinitaire, mais glorifient en même
temps l'œuvre des trois Personnes divines ad extra, dans l'histoire
du salut; ainsi, Dieu le Père est magnifié en tant que Créateur de
l'univers et Maître de l'histoire 16, le Fils l'est comme « Sauveur
de notre espérance}) 11; et surtout le Saint-Esprit est caractérisé
comme la Personne divine qui agit dans l'histoire des hommes:
il est Ta Ttjc;; uLoih:crtaç Z&p~cr!1-O:, 0 &ppc{~W\l TIjç !J..EÀÀOUO"lJç xÀ1)po-
'JO!-LLOCr;, -~ &7ta.pX~ TW'J <x~(ùvtwv &'YCl&(;)V, ~ ~wo1to~àç 8{1'·,1OCI-LLc;;, ~ 1t1Jy/J
.QÛ &.yLClO'/-LOU mxp' oi) noccroc x"dmç ÀOyLX~ TE xrx.t vm::poc OU',IC(/-LOUj1.É:vlJ
0'01 À<XTpe:Ûe:L xCll crot TIïv &tOLO'I ctvG:.7télL1tEL 8o~oÀoy((xv ... 18. Il ne faut
donc pas s'étonner que le Saint-Esprit en tant que force divine
agissant dans l'histoire du salut soit considéré comme étant
envoyé par le Fils, mais on n'en peut déduire que le Sant-Esprit
en tant que Personne divine éternelle procède également du
Fils. Je pense donc que la thèse ingénieuse de Dom Capelle est
sans fondement réel dans les textes basiliens.

II

Tournons-nous maintenant du côté de la tradition occiden-


tale. Ici, je prendrai pour point de départ la Tradition apostolique
d'Hippolyte ". A sa manière, la liturgie eucharistique de la Tra-
dition apostolique, bien qu'antérieure d'un siècle et demi à celle
de s. Basile et, pour cette raison, doctrinalement moins dévelop-
pée, manifeste déjà le même équilibre entre les deux plans de

U Le texte parallèle principal est De Spiritu sanclo 18,46: or, B. Pruche,


ap. cit. (note 4). p. 4105, note 1, s'exprime très prudemment à son sujet: «A
prendre le texte au sens strictement littéral, il ne peut s'agir ici, semble-t-il, que
du Père, d'où sort le Saint-Esprit ».
16 F.E. BRIGHTMANN _ C.E. HAMMoND, op. cU. (note 9), p. 322, 1. 13-21.
17 Ibid., p. 322, 1.27.
1& Ibid., p. 323, 1.5-13.
19 Je n'ignore pas qu'il y a une discussion interminable à propos de l'origine
romaine de cet écrit et d'une série d'autres ouvrages attribués communément
à Hippolyte de Rome; cf. en dernier lieu l'ouvrage collectif Ricerche su Ippo-
lito, Rome 1977. Quant à moi, je persiste à penser que la Traditian apostolique,
tout en étant influencée par certaines traditions orientales, est bien d'origine
romaine.
208 WILLY RORDORF

la doxologie trinitaire qui visent l'action de la Trinité dans


l'histoire du salut, aussi bien que la relation des trois Personnes
divines entre elles. Au début de la Préface eucharistique, on
s'adresse à Dieu en ces termes :.JQ:
«Nous te rendons grâces, ô Dieu, par ton Enfant bien-aimé
Jésus-Christ, que tu nous as envoyé en ces derniers temps (comme)
sauveur, rédempteur et messager de ton dessein, lui qui est ton
Verbe inséparable, par qui tu as tout créé et que, dans ton bon
plaisir, tu as envoyé du ciel dans le sein d'une vierge et qui ayant
été conçu, s'est incarné et s'est manifesté comme ton Fils, né de
l'Esprit-Saint et de la Vierge» 21.

Viennent ensuite le rappel de l'œuvre salutaire du Christ,


l'Institution et l'Anamnèse. L'Epiclèse clôt ainsi la prière:
« Et nous te demandons d'envoyer ton Esprit-Saint sur l'oblation
de la sainte Eglise. En (les) rassemblant, donne à tous ceux qui
participent à tes saints (mystères), (d'y participer) pour être remplis
de l'Esprit-Saint, pour l'affermissement de (leur) foi dans la vérité,
afin que nous te louions et glorifions par ton Enfant Jésus-Christ,
par qui à toi gloire et honneur, Père et Fils avec le Saint-Esprit
dans la sainte Eglise, maintenant et dans les siècles des siècles» 22.

Il est remarquable de voir comment, dans ce texte, les deux


plans de la doxologie trinitaire se confondent: on s'adresse à
Dieu le Père qui a envoyé le Fils et qui par le sacrifice du Fils
nous donne maintenant l'occasion de le glorifier dans l'Esprit-
Saint (= doxologie de la Trinité pour son action dans l'histoire
du salut); mais le tout se termine dans l'adoration de Dieu" par
ton Enfant Jésus-Christ, paT qui à toi gloire et honneur, Père et

2D Chap. 4. Je reprends la traduction française des textes proposée par B.


BOlTE, La Tradition apostolique de saint Hippolyte, Münster en Westf., 210 éd.
1963. pp. ]3·17.
II Voir, à propos de ce dernier passage, W. RORDORF, « ... Qui natus est de

Spiritu Sa/1cta et Maria virgine », dans Augustinianum 20, 1980, pp. 545-557.
21 A la différence de Dom Botte, je maintiens l'addition de la traduction
latine patri et tilio qui apparaît aussi dans les chap. 3 et 7 où elle est confirmée
par la traduction éthiopienne (et indirectement par l'Epitomé); cf. aussi J.A.
JUNGMANN, Die Stellung Christi im liturgischen Gebet, Münster en Westf., 2" éd.
1962, pp. 13555. Je ne suis pas d'accord avec Dom Botte quand il note (op. cit.
[note 20], p. Il, note 3): « Malgré l'accord de LE, je doute de l'authenticité de
ces mots. Tout à fait normale quand la doxologie commence par tibi gloria,
cette mention est incohérente quand elle est précédée de per quem» (cf. aussi
A. STUIBER, RAC 4, 1959, 2185.). La double mention du Fils correspond aux deux
plans de son action en tant que Fils incarné (per puerum ...) et en tant que
Fils éternel du Père (patri et tilia ... ); cette dernière doxologie se retrouve dans
les chap. 6 et 21, et en Contra Noëtum 18.
LA LITURGIE ET LE PROBLEME DU « FILIOQUE }) 209

Fils avec le Saint-Esprit ... " (= doxologie de la Trinité en elle-


même). Dans son rappel de la tradition ecclésiastique pour
défendre la doxologie contestée" avec le Fils - avec l'Esprit ",
s. Basile aurait pu se référer aussi à la Tradition apostolique!
La lex orandi qui s'exprime dans cet ouvrage est en effet très
proche de la lex credendi que le Père cappadocien s'efforce de
formuler à partir de la liturgie vécue.
Qu'est-ce qui se passe ensuite dans la tradition occidentale?
Malheureusement, notre information est très lacunaire '"'. On
peut cependant affirmer sans grand risque d'erreur que le mo-
dèle liturgique que nous trouvons dans la Tradition apostolique
est conservé - non sans modifications, bien sûr - en Afrique
du Nord et dans les diverses liturgies gallicanes. En particulier
- et c'est ce qui nous intéresse ici - l'Epiclèse après l'Institution
et l'Anamnèse apparaît dans toutes ces liturgies, de même que la
doxologie "avec l'Esprit" 24, ce sont là deux indices montrant
que le Saint-Esprit est considéré comme troisième Personne de
la Trinité équivalente au Fils. Il y a d'ailleurs un texte de Ful-
gence de Ruspe (mort en 533) qui s'exprime clairement à ce
sujet:
« Quand donc la sainte Eglise, qui est le Corps du Christ,
pourrait-elle avec plus de raison demander la venue du Saint-Esprit,
que pour consacrer le sacrifice du Corps du Christ, elle qui sait
que son chef est né selon la chair (par l'opération) du Saint-
Esprit?}) 25.

Ce texte est particulièrement intéressant parce qu'il souligne


l'interdépendance du Fils et de l'Esprit même au niveau de
l'histoire du salut: le Saint-Esprit est, certes, envoyé par le
Fils aux hommes, mais en revanche, le Fils s'est incarné à l'aide
du Saint-Esprit. De même, lors de la célébration eucharistique,
c'est grâce au Saint-Esprit que le sacrifice du Fils se réactualise ".

2J Cf. I.A. IUNGMANN, Missarum Sollemnia l, Paris 1951, pp. 7255.; S. SALAVILLE,

dans DThC V,I, Paris 1913, col. 194-300; F. CABROL, dans DACL V,l, Paris 1922,
col. 142-184; P. L'HUILIER, Théologie de l'EpicIèse, dans Verbum Caro 14, 1960,
pp. 307·327.
24 J.-A. JUNGMANN, op. cir. (note 22), pp. 151-168 souligne la fonction antia-
rienne de cette doxologie.
2.1 Ad Monimum U,10); CC 91, p. 44, 1. 433-437. Fulgence combat dans cet ou-

vrage les ariens; cf. H.J. DIESNER, Fulgentius tlon Rusp eals Theologe und
Kirchenpolitiker, Stuttgart 1966, p. 43.
26 Cependant, il faut dire que le même Fulgence de Ruspe affirme très net-
tement le filioque; cf. A. PALMIERI, art. cit. (note 1), pp. 8045.
210 WILLY RORDORF

Doctrinalement, ces affirmations se situent bien dans la ligne de


la théologie de s. Augustin qui avait formulé le principe d'une
action toujours simultanée des trois Personnes de la Trinité 27,
Mais avec Ambroise de Milan, nous voyons apparaître un
type de liturgie qui reflète une autre conception des relations
intratrinitaires '". En ce qui concerne la doxologie, la forme
traditionnelle est encore maintenue 29, mais - selon toute vraisem-
blance'" - l'Epiclèse a disparu du Canon de la messe. Et pour
cause! S. Ambroise développe en effet une conception de la
consécration eucharistique qui rend superflue l'Epiclèse. Ecou-
tons-le :l1,
«Tu dis peut-être: C'est mon pain ordinaire. Mais ce pain
est du pain avant les paroles sacramentelles; dès que survient la
consécration, le pain se change en la chair du Christ. Prouvons
donc ceci. Comment ce qui est du pain peut-il être le corps du
Christ? Par quels mots se fait donc la consécration et de qui sont
ces paroles? Du Seigneur Jésus. En effet tout le reste qu'on dit
avant est dit par le prêtre: on loue Dieu, on lui adresse la prière, on
prie pour le peuple, pour les rois, pour tous les autres. Dès qu'on
en vient à produire Je vénérable sacrement, le prêtre ne se sert
plus de ses propres paroles, mais il se sert des paroles du Christ.
C'est donc la parole du Christ qui produit ce sacrement".

Et Ambroise de citer un extrait de la prière elle-même "':


{( Tu veux être convaincu que l'on consacre au moyen de paroles
célestes? Voici quelles sont ces paroles: "Accorde-nous, dit le
prêtre, que cette offrande soit approuvée, spirituelle, agréable,
parce qu'elle est la figure du corps et du sang de notre Seigneur
Jésus-Christ, qui la veille de sa passion, prit du pain dans ses mains
saintes, leva les yeux au ciel, vers toi, Père saint, Dieu tout-puissant
et éternel, le bénit en rendant grâces, le rompit et le donna rompu
à ses apôtres et à ses disciples en disant: "Prenez et mangez tous
de ceci, car ceci est mon corps qui sera rompu pour vous". Fais
attention. "De la même manière, il prit aussi le calice après la cène,

li Cf. par ex. A. von HARNACK, Lehrbuch der Dogmengeschichte II, réimpr.
Darmstadt 1964, pp. 304ss.
1& Sur la question de l'origine de ce type de liturgie cf. d'une part K. GA1\IIBER,

Die Autorschaft von De Sacramentis, Regensburg 1967 (auteur: Nicétas de Re-


mesiana), d'autre part J. SCHMITZ, Gotlesdienst im allchristlichen Mailand, Koln-
Bonn 1975, pp. 390-398 (auteur: probablement Ambroise lui-même).
2~ Cf. De sacr. IV,6,29; VI,5,24.
Cf. P. L'HUILIER, art. cil. (note 23), pp. 321s.; R. JOHANNY, L'eucharistie cen-
:l(J

tre de l'histoire du salut chez Saint Ambroise de Milan, Paris 1968, pp. 125ss.;
J. SCHMITZ, op. cif. (note 28), pp. 403s.
II De sacr. IV,14; trad. B. Botte, SC 2Sbis, 1961, pp. 109-111. Cf. De mys!. 54.
~l De sacr. IV,21-22; trad. B. Botte, ibid.} p. 115.
LA LITURGIE ET LE PROBLEME DU ({ FILIOQUE » 211

la veille de sa passion, leva les yeux au ciel, vers toi, Père saint,
Dieu tout-puissant et étcrncI, le bénit en rendant grâces et le donna
à ses apôtres et à ses disciples en disant: "Prenez et buvez tous
de ceci, car ceci est mon sang". Remarque que ce sont toutes paroles
de l'évangéliste jusqu'à "prenez" le corps ou le sang; mais à partir de
là, ce sont des paroles du Christ: "Prenez et buvez tous de ceci, car
ceci est mon sang")J.

Il est évident que les paroles mêmes du Christ lors de l'insti-


tution de l'eucharistie ont valeur consécratoire. Le Saint-Esprit
agit par l'intermédiaire du Christ sans qu'on ait besoin d'invo-
quer son action 83_

Arrivé à ce point de mon exposé, je dois faire intervenir le


problème du filioque. A mes yeux, je le répète, ce n'est pas par
hasard qu'à cette époque justement, la théologie filioquiste se
développe en Occident ". Chez Tertullien déjà, il est vrai, on
trouve une affirmation qui va dans ce sens ". Mais il faut attendre
s. Hilaire de Poitiers pour voir apparaître les premières allusions
répétées au fait que le Saint-Esprit procède éternellement du
Père et du Fils ". Plusieurs fois, Hilaire affirme que le Saint-
Esprit a son existence du Père par le Fils ". Ce qu'il entend par
là, il le dit plus clairement dans un autre passage où il fait
l'exégèse de Jean 16,14-15 ":
«Je me demande si c'est la même chose, recevoir du Fils
et procéder du Pèrc. Car, si on croit qu'il y a une différence entre
recevoir du Fils et procéder du Père, on sera au moins forcé de
croire que recevoir du Père et recevoir du Fils sont une seule et
même chose ... Ce que le Saint-Esprit recevra, que ce soit la
puissance, ou la vertu, ou la doctrine, le Fils déclare que le Saint-
Esprit le recevra de lui, et il déclare en même temps qu'il recevra

]] Cf. R. JOHANNY, op. cit. (note 30), pp. 1125s. Gaudence de Brescia confirme
cette vue; cf. S. SALAVII.LE, art. cit. (note 23), p. 244.
>4 Cf. A. PALMIERI, art. cit. (note 1); M. SIMONETII, La processione dello Spi-
rito Santo nei Padri latini, dans Maia 1955, pp. 308-324; et les différents travaux
historiques dans Concilium nO 148, 1979.
lS Adv. Prax. 4,1; et 8,12; cf. W. BENDER, Die Lehre über den Heiligen Geist
bei TertulIîan, München 1961, pp. 92ss. Cependant, J. MOINGT, Théologie trini-
taire de Tertullien III (Théologie 70), Paris 1966, p. 1062-1068, est très réticent
à l'égard de cette interprétation.
]0\ Cf. P. SMULDERS, La doctrine trinitaire de S. Hilaire de P.Jitiers, Rome 1944,

pp. 253ss.; 265ss.; 276s.; J. MOINGT, La théologie trinitaire de S. Hilaire, dans


Hilaire et son temps, Paris 1969, pp. 166s., ct J.-M. GARRIGUES, dans [stina 17,
1972, pp. 35255., qui cite encore un auteur anonyme contemporain de S. Hilaire
(~ CCL 9, pp. 116-117).
l7 De Trin. XII,55; 56; 57.

li De Trin. VIII,20; cf. P. SMULDERS, op. cit., p. 255, note 143.


212 WILLY RORDORF

aussi du Père. En effet, lorsqu'il affirme qu'il possède tout ce qui


est au Père, il affirme qu'il (sc. l'Esprit) recevra de ce qui est à
lui (sc. au Fils) et il affirme aussi que tout ce qu'on recevra du
Père, on le recevra aussi de lui (sc. du Fils), parce que tout ce qui
est au Père lui appartient»,

La pointe de l'argumentation est la suivante: l'Esprit de


Dieu est aussi l'Esprit du Fils '", et ceci, parce que le Fils est de
la même nature que le Père. On le voit: s. Hilaire veut - face
aux ariens - prouver l'homoousie du Fils. Il ne se rend pas
compte qu'argumenter de la sorte implique le danger de rabaisser
le Saint-Esprit par rapport au Père et au Fils. Il ne faut pas
s'en étonner: Hilaire a écrit son traité Sur la Trinité avant
l'éclatement de la crise pneumatomaque. Devant répondre aux
Pneumatomaques, un s. Basile ira forcément plus loin que lui
dans l'élaboration de la doctrine de l'homoousie du Saint-Esprit,
comme nous l'avons vu.
Or, la voie ouverte par s. Hilaire ne pouvait pas ne pas
influencer les théologiens occidentaux postérieurs. Nous le
constatons déjà avant s. Augustin, dans le traité Sur le Sain/-
Esprit de s. Ambroise" qui fut écrit en 381, l'année même de la
réunion du Concile de Constantinople. L'interprétation de cet
ouvrage est délicate parce que, d'une part, s. Ambroise n'y est
pas très original, mais copie les Pères grecs, en particulier Didyme
d'Alexandrie ", et que, d'autre part, il n'est pas très précis dans
le choix de ses termes trinitaires 42, Mais il y a au moins un pas-
sage qui indique clairement que pour s. Ambroise le Saint-Esprit
procède éternellement du Père et du Fils. Voilà ce passage <J:
« Accipe nunc, quia sieut pater fons vitae est, ita etiam filium
plerique fontem vitae memorarunt significatum, eo quod "apud
te", inquit, "deus omnipotens, tilius tuus 'fons vitee' sit" (Ps. 35,10),
hoc est fons spiritus sancti, quia spiritus vita est ... )J.

19 Cf. De Trin. VIII,21.


40 Cf. N.J. BELVAL, The Roly Spirit in Saint Ambrose, Rome 1971, pp. 38ss.;
L. HERR!l.-1ANN, Ambrosius von Mailand aIs Trinitli.tstheologe, dans ZKG 59, 1958,
pp. 2125s.
4! Cf. la dernière partie de l'ouvrage de N.J. BELVAL (note 40); l'allusion à
la procession du Saint-Esprit dans un texte de la traduction latine de Didyme
semble être l'œuvre de s. Jérôme (cf. N.J. BELVAL, pp. 98s.).
42 « Proce5sio» ne signifie pas toujours la procession éternelle du Saint-
Esprit, mais peut désigner la mission ad extra de l'Esprit; cf. N.J. BELVAL, op. cit.
(note 40). pp. 38ss.
43 De Spù'itu sancto I, 18, 152; CSEL 79. 1974, p. 80, 1. 16-19. Dans l'interpré-

tation de ce passage, je suis avec N.J. BELVAL, op. cit. (note 40), p. 43, contre
L. HERMANN, op. cit. (note 40), pp. 21455., note 93.
LA LITURGIE ET LE PROBLEME DU « FILIOQUE » 213

Nous avons vu par ailleurs que s. Ambroise est le premier


Père - à notre connaissance - qui insiste sur le fait qu'il
suffit de répéter les paroles mêmes du Christ, lors de la célé-
bration eucharistique, pour que le Saint-Esprit transforme les
dons de l'Eglise en corps et en sang du Seigneur, et la liturgie
milanaise de son époque qui a laissé tomber l'Epiclèse, cor-
respond parfaitement à cette théologie. Encore une fois, j'expri-
me ma perplexité et je répète ma question initiale: est-ce le fruit
du hasard si la théologie filioquiste apparaît au moment même
où la liturgie eucharistique et son explication théologique ont
changé de caractère et où l'équilibre parfait de la liturgie tradi-
tionnelle entre les aspects christologique et pneumatologique
se rompt au profit d'une accentuation christologique unilatérale?

III

Il est superflu de poursuivre l'étude historique. Les faits


sont connus: s. Augustin va donner à la théologie filioquiste ses
bases systématiques <4; bientôt, le filiaque va faire son apparition
dans les confessions de foi occidentales ". D'autre part, la liturgie
telle que nous la trouvons à Milan à l'époque d'Ambroise et qui
est aussi celle de Rome, va s'imposer progressivement dans toutes
les Eglises occidentales ". Ajoutons un détail qui ne me semble
pas être sans signification: la doxologie change de structure; chez
Gaudence de Brescia déjà (mort après 406), nous trouvons la
nouvelle formule: in unilale Spiritus sancli (au lieu de: cum
Spiritu sancla) qui deviendra désormais traditionnelle 47.

* * *

Ma conclusion sera une suggestion. Le II' Concile du Vatican


a apporté un profond renouveau dans beaucoup de domaines.
En particulier, la liturgie de l'Eglise a été réformée de fond en

""' Il est intéressant de comparer la théologie sacramentaire de s. Augustin;


cf. B. BOBRINSKOY, L'Esprit du Christ dal1s les sacrements chez Jean Chrysostome
et Augustin, dans Jean Cl1rysostome et Augustin (Théologie historique 35), Paris
1975, pp. 261-272.
45 Cf. I.N.D. KELLY, AltchristUche Glaubensbekenntnisse, 1972, pp. 35255.
46 Cf. I.A. JuNGMANN, op. cit. (note 22).

t7 Cf. B. BaTIE - Chr. MOHRMANN, L'ordinaire de la Messe, Paris 1953, pp. 133-139.
214 'WILLY RORDORF

comble. Sur le plan cecumenlque, une redécouverte romaine a


été hautement appréciée, à savoir la réintroduction de l'Epiclèse
dans le Canon de la messe. On est tenté d'y reconnaître l'action
du Saint-Esprit lui-même qui pousse tous les croyants vers l'unité.
Mais le moment n'est-il pas venu d'aller plus loin et d'étendre la
réforme à la Confession de foi? Le credo de Nicée-Constantinople
est la seule confession de foi qui soit vraiment œcuménique,
reconnue par toutes les Eglises. n est donc regrettable que ce
credo, dans sa forme occidentale, connaisse une addition qui
fasse obstacle à l'unité des croyants. Tout ce que j'ai dit tend
à montrer que la suppression du filioque serait la conséquence
logique du renouveau de la liturgie eucharistique. La lex orandi
qui s'exprime dans la liturgie à caractère épiclétique me semble
exiger en effet qu'on ne maintienne pas dans la lex credendi ce
qui est, sinon en contradiction, du moins en tension avec elle.
n me semble que les Pères occidentaux des IV et V siècles
- dans un acte de défense légitime de l'orthodoxie vis-à-vis des
ariens - ont mis en évidence unilatéralemwt l'aspect christolo-
gique de l'enseignement trinitaire, au détriment de son aspect
pneumatologique. Je pense qu'il faudrait rétablir un équilibre
entre ces deux aspects qui non seulement correspond à la lex
orandi, mais qui est aussi exigé par la lex credendi elle-même.
Dans ce contexte, je peux faire miennes les remarques pertinentes
qu'Olivier Clément a faites récemment à ce sujet 48:
{( Le Filioque souligne que l'Esprit est l'Esprit du Fils, qu'il est
communiqué par le Fils et que cette "économie" ne peut pas
ne pas nous éclairer sur les relations trinitaires elles-mêmes. Mais
l'envoi de l'Esprit par le Fils, à la Pentecôte, ne constitue qu'un
des aspects de l'économie divine. Réciproquement, c'est l'Esprit qui
permet l'Incarnation, repose sur Jésus et le ressuscite; c'est lui
qui donne le Christ à l'Eglise en réponse à l'épiclèse. Le Fils et
l'Esprit apparaissent liés par une relation de mutuel service (qui
vient du Père et renvoie à lui), par une réciprocité qui permet
l'entière "pneumatisation" de l'humanité du Christ et de l'humanité
en Christ ... Il n'y a donc ni subordination de l'Esprit au Fils, cette
tendance, parfois, du catholicisme: et alors Je sacerdoce universel,
la liberté chrétienne, le prophétisme sont soumis au sacramenta-
Esme; ni résorption du Christ dans l'Esprit, cette tentation des
mouvements charismatiques: et alors l'objectivité de la Parole et
du sacrement se dissout dans l'expérience spirituelle, ou plutôt

~a Quelques approches de la théologie et de l'expérience du Saint-Esprit dans


l'Eglise O1"thodoxe, dans Contacts 31, 1979, p. 250s.
LA LITURGIE ET LE PROBLEME DU {( FILIOQUE » 215

dans un certain type d'expérience psychologique. L'Esprit procède


du Père conjointement et en rapport avec le Fils, dans lequel il
repose, et le Fils est engendré conjointement et en rapport avec la
procession de l'Esprit qui le manifeste et qu'il communique ... ".

Je suis heureux de pouvoir faire ma suggestion non loin


de Gentilly où la querelle entre Occident et Orient au sujet du
filioque a éclaté ", et dans le cadre de la Semaine d'études litur-
giques de S. Serge, en ce lieu de recherches œcuméniqus d'où
l'esprit de l'orthodoxie, depuis de nombreuses années, rayonne
au cœur de l'Occident.

Willy RORDORF

~9 Le document du Conseil Oecuménique des Eglises mentionné en note 2


(== Geist Gottes·Geist Christi, p. 23) suggère aussi la suppression du filioque dans
la confession de foi, pOur des raisons œcuméniques; cela n'empêche pas que la
réflexion trinitaire soit poussée plus loin et trouve un jour une nouvelle expres-
sion universellement admise par les Eglises.
VERSETS PSALMIQUES

DE PAQUES ET DE L'ASCENSION

1. LE PSAUME 87 ET LA DESCENTE AUX ENFERS

Sur la base de Lc 23,49, qui cite implicitement ce psaume,


ce chant de lamentation a été considéré comme prophétique de la
Passion. Reprenant les termes du psaume, l'évangéliste décrit
comme suit l'abandon de Jésus par ses proches au Golgotha:
«Toutes ses connaissances se tenaient loin de lui
7t'IXVTec; o[ YVCIlO''t'ol a:6't'ij> OCrro IJ.lXxp66ev»>.

Le vocabulaire de cette phrase est clairement inspiré par


deux passages du Ps 87:
« Tu as éloigné (i~ciKpu\la:d de moi mes connaissances ('t'Où~ yVCIlO''t'Otll;)J
(v. 8).

« Tu as éloigné (éfJ.&:xpuwxç) de moi mon ami et proche, et mes con-


naissances ('t'oùc; yVCllat"oo~) à cause de ma misère» (v. 19) 1,

Par ailleurs, la tradition primitive a retenu l'expression


"étendre les mains» Cv. 10) comme prophétique de la crucifi-
xion '. Pour ce psaume, il faut citer saint Cyprien, qui écrit à
propos du verset 10:
{( Que les Juifs l'attacheraient à la croix» (Ad Quirinum, Testimonia
2,20).

1 L'expression chro !-LŒxp60ev se retrouve plusieurs fois dans les récits synop-
tiques de la Passion: Mt 26,58; Mc 14,54 et Le 22,54 (sans &1to) pour Pierre; Mt
27,55; Mc 15,40 et Le 23,49 pour les saintes femmes.
1 La tradition des premiers siècles a appliqué au Christ crucifié les expres-
sions étendre les mains, élever les mains. Ainsi pour cette dernière en Ps 140,2
Cyprien Ad Quirinum (Testimonia) 2,20; Epistola 63,16. Dans la prière eucha-
ristique de la Tradition Apostolique d'Hippolyte (n. 4), on lit « extendit manus
suas cum pateretur", allusion à Is 65,2. Cfr. à ce sujet B. BOTTE, Extendit manus
suas cum pateretur, dans Les Questions liturgiques et paroissiales 49 (1968) 307s
et E.J. LENGELING, Hippolyt von Rom und die Wendung « extendit manus suas
cum pateretur », ibid. 50 (1969) 141ss.
218 ANDRE ROSE

Deux versets ont été retenus pour signifier la descente aux


enfers:
V. 5: ({ Je suis devenu comme un homme sans aide, libre parmi les
morts (è'J ve:)Cpor~ eÀe:u6epo,,). 3,
v. 7: « Ils m'ont placé dans une fosse très profonde (Àctx)(.!t> K/X"t'(,,)-

't'~"t"tfl),
dans les ténèbres et à l'ombre de la mort ».

USAGES LITURGIQUES ET COMMENTAIRES DU V. 7

La liturgie de Jérusalem utilise ce verset pour rappeler la


mise au tombeau: «Le jour du samedi (saint) à l'aube, dans
la sainte Anastasis, on dit Ps 87,7 ». Ce chant est suivi de l'évan-
gile de la garde du tombeau, demandée à Pilate (Mt 27,62 ss)
(Lectionnaire arménien du V' siècle)'. Un peu plus tard, on
trouve ce verset aux Vêpres du Vendredi saint (Lectionnaire
géorgien: V' au VII' siècle) '.
Chez les Coptes, le verset se trouve à la 17' heure de la
Parascève de Pâques (Vendredi saint, au soir) avant Mt 26,57-61 ",
tandis qu'à Byzance, le Typicon de la Grande Eglise (X' siècle) le
cite comme 3' prokimenon des Vêpres du Grand Vendredi, où il
est resté jusqu'à nos jours 1,
En Occident, un répons de l'office romain du Samedi saint
est formé des deux versets cités plus haut:

« J'ai été compté parmi ceux qui descendent dans la fosse: * Je


suis devenu comme un homme sans aide, libre parmi les morts.
'Y', Ils m'ont placé dans une fosse très profonde, dans les ténèbres
et à l'ombre de la mort. * Je suis devenu ... ».

J L'expression libre parmi les morts se trouve dans le texte des Septante,

mais ne figure pas dans le texte massorétique. La version des textes psalmiques
donnée dans cet article suit le texte grec des Septante, qui est le plus souvent
à la base des interprétations patristiques et des usages liturgiques.
4 Pour le lectionnaire arménien, cfr. A. RENOUX, Le codex arménien Jérusalem
121, dans Patrologia Orientalis, t. 25, fascicule 1, Turnhout 1962 et t. 36, fasci-
cule 2, Turnhout 1971.
5 Pour le lcctionnaire géorgien, voir M. TARCHNISCHVILI, Le grand Lection-
naire de l'Eglise de. Jérusalem (V"-VIIlc siècle), tomes 1 et 2, Louvain 1959 et 1960.
6 Pour la liturgie copte de la Semaine sainte, cfr. O.H.E. BURMESTER, Le le.c-
tionnaire. copte de la Semaine Sainte 1 et n, dans Patrologia Orientalis, t. 24,2,
Paris 1933 et 25,2, Paris 1939.
1 Cfr. J. MATEOS, Le Typicon de la Grande Eglise, tomes 1 et 2, Rome 1962
et 1963.
VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 219

Le verset est cité dans une homélie anoméenne pour l'octave


de Pâques' comme témoignage des prophètes sur le Christ où
il est joint à Ps 77,65: ainsi sont évoquées la mort et la résur-
rection du Christ.
{{ Par ces mots - commente Eusèbe de Césarée (PG 23, 1057) _
(le psalmiste) montre qu'à un signe et à la volonté du Père, ce n'est
pas simplement vers la mort ou vers l'enfer, appelé la "fosse",
qu'il est descendu, mais vers les lieux les plus profonds, les plus
bas et les plus éloignés, pour ainsi dire, des contrées qui sont là ».

Puis, après avoir cité Mt 12,40 sur le sejour du Fils de


l'homme trois jours et trois nuits dans le sein de la terre, Eusèbe
conclut:
« Là le Sauveur, établi dans la mort elle-même, décrit toute son
économie» (ibid., 1060).

Didyme d'Alexandrie insiste sur l'expression ombre de la


mort:
«Si à cause d'eux je suis allé dans la mort, ce n'est pas dans
la mort elle-même au sens propre, mais dans son ambre (car j'ai
pris les devants, en ressuscitant après trois jours): de cette même
manière, placé par eux dans les ténèbres, je les ai illuminés, pour
qu'ils n'aillent plus jamais dans les ténèbres, mais, en moi, la
lumière)} 9.

Jérôme développe les mêmes thèmes en son commentaire:


«Je suis descendu jusqu'aux extrémités de l'enfer, pour délivrer
tous les hommes des liens de l'enfer. Dans les lieux ténébreux
et à l'ombre de la mort: je n'ai pas dit dans la mort, mais dans
l'ombre de la mort: car c'est volontairement que je suis descendu
pour le salut des hommes. Donc je suis descendu comme lumière
dans les enfers, pour délivrer les âmes des ténèbres de l'enfer)}
(CC 78, 401) ".

& Cfr. J. LIÉBAERT, Deux homélies anoméennes pour l'octave de Pâques (Sour·

ces chrétiennes n. 146), p. 79 {I, 241).


9 Pour les textes de Didyme, cfr. E. MÜHLENBERG, Psalmenkonllnelltare aus der

Ketene1'liiberlieferung, tomes 1 et 2, Berlin-New York 1975 et 1977 (= M.).


10 Sur les rapports entre le TractalUs S. Hieronym.i presbyteri in librum Psal-
morum (édité par Dom G. MORIN dans «Corpus Christianorum» 78) et le corn·
mentaire d'Origène su)' le psautier, cfr. V. PERI, Omelie origeniane sui Salmi.
Contributo all'idenlificazione deI testo latino, Città deI Vaticano 1980. Ce com-
mentaire est cité ici sous le titre Jérôme.Origène.
220 ANDRE ROSE

A la lumière de ces commentaires de la tradition, il s'avère


que, dans la liturgie chrétienne, l'évocation de la mise au tom-
beau et le séjour du corps du Christ dans le tombeau, appelle
aussi la descente de son âme dans les enfers. Par ailleurs, le
verset psalmique est mis sur les lèvres du Christ, comme une
parole prononcée par lui-même.

USAGES LITURGIQUES ET COMMENTAIRES DU v. 5

Comme en témoignent les lectionnaires arménien et géorgien,


le verset psalmique est chanté à Jérusalem dans la journée du
Vendredi saint". Les Coptes le possèdent en la matinée du
Samedi saint.
Si les byzantins ne l'ont pas comme prokimenon, il a in-
fluencé plusieurs tropaires de l'office du dimanche:
« Tu es devenu comme un homme sans aide et blessé parmi les
morts, volontairement pour nous, toi qui cs élevé au-dessus tout, tu
nous as tous délivrés et par ta main forte, tu nous as ressuscité
avec toi, toi, le Dieu loué par nos Pères et glorifié au-dessus de
tout» (dimanche du 1er ton: 7e ode).
{( Il est ressuscité, celui qui est libre parmi les morts et il
accorde au monde la grande miséricorde» (dimanche du 1er
ton: Laudes).
({ Christ, toi qui remportes la victoire sur l'enfer, tu es monté
sur la croix pour ressusciter avec toi ceux qui sont assis dans les
ténèbres de la mort, toi qui cs libre parmi les morts, toi qui fais
jaillir la vie de ta propre lumière. Sauveur tout-puissant, prends
pitié de nous)) (dimanche de 6~ ton: Grandes Vêpres).

Le répons de l'ancien office romain a été signalé plus haut.


Mais l'office du Samedi saint possèàe ce verset comme antienne
du 9" psaume dès les anciens antiphonaires (IX" siècle), tandis
que l'office milanais possède la même antienne (Samedi saint,
Matines, 2" psaume). Enfin, on trouve le même jour dans les
Matines hispaniques:
« Mon âme a été remplie de maux et ma vie s'est approchée de
l'enfer. J'ai été compté parmi ceux qui descendent dans la fosse,
comme un homme sans aide, libre parmi les morts)} (vv. 4-5).

Il Lect. arménien: 6e heure: Lect. géorgien: dans la journée.


VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 221

Les commentaires des Pères mettent ce verset en relation


avec la descente aux enfers.

Origène
« Il nous faut chercher à quelle condition le Sauveur s'est
réduit, pour dire, par l'intermédiaire du prophète David Je suis
comme un homme privé de tout secours, libre parmi les morts:
de même qu'il est supérieur aux hommes par sa naissance virginale
et par les prodiges du reste de sa vie, de même, parmi les morts,
car seul il s'y trouve libre et son âme n'a pas été abandonnée dans
l'Hadès » (Commentaire sur Jn 1,31; trad. de C. BLANC, SC 120).

Méthode d'Olympe
« Jésus seul a marché dans l'abîme comme libre, là où il n'y
a pas de trace de marcheurs, car il a choisi la mort, non en étant
dépendant d'elle, mais pour racheter ceux qui sont soumis à la
mort; et il dit à ceux qui sont dans les chaînes; "Sortez" et à ceux
qui sont dans les ténèbres "Venez à la lumière" (Is 49,6) » (Fragment
sur Job 38,16: CGS 27, 517).

Eusèbe de Césarée
« Mon âme a été remplie de maux (v. 4): ces mots indiquent
clairement sa descente aux enfers et les maux dont il a dit que
son âme était remplie ...
Je suis devenu ... (v. 6): Ceux qui sont véritablement sans
secours et sont dominés par la mort sont emmenés et conduits
par elle. Seul notre Sauveur et Seigneur s'est humilié jusqu'à la
mort (Phil 2,8) et est devenu dans la similitude d'une chair de
péché (Rom 8,3). De la sorte, il est devenu comme l'un de ceux qui
sont sans secours.
Mais comme il n'était pas véritablement l'un de la multitude
des hommes, seul il était libre parmi les morts et n'est pas resté
asservi à la mort: "Moi qui suis le libre et le véritable et seul
Seigneur de tous, je suis devenu comme un homme sans secours
parmi les morts, non pas vraiment sans secours, mais comme
sans secours",
Ces paroles - poursuit Eusèbe - ne peuvent s'appliquer qu'à
Notre Seigneur Jésus Christ» (Commentaire sur le Ps 87: PG 23,
1054-1056).

JérÔlne-Origène
« Je suis devenu comme un homme sans aide, libre parmi les
morts: Il n'a pas dit "Je suis devenu sans aide", mais "Je suis
222 ANDRE ROSE

devenu comme un homme sans aide", car il avait le Père comme


aide.
Libre parmi les morts: Tous les autres hommes sont tenus en
enfer par les liens du péché: "Aucun homme n'est sans péché,
même si sa vie n'est que d'un seul jour" (Job 14,4: LXX). Car
tous nous sommes tenus dans la prévarication: et c'est pourquoi
quiconque descend en enfer est tenu par la loi de l'enfer: "car
chacun est tenu par les liens du péché" (Prav S,22). Donc j'étais
libre par nature, mais je suis devenu peu de temps comme un
débiteur à cause du péché des hommes) (CC 78, p. 401).

Didyme d'Alexandrie
« Celui qui est devenu est le Sauveur venu pour le salut de
tous, "donner son âme en rédemption pour beaucoup" (Mt 20,28),
"ayant goûté la mort pour tous par la grâce de Dieu" (Hebr 2,9).
Car lui seul est mort pour tous et dit ici: "J'ai été estimé parmi
ceux qui descendent dans la fosse". Car chacun, c'est à juste titre
qu'il descend dans la fosse, à cause de ce qu'il a fait et pensé, mais
n'lOi j'ai été estimé et j'ai été compté parmi eux, non en suite de mes
œuvres qui m'ont poussé là, mais en raison de la bienveillance du
Père et de ma propre volonté, qui ont décidé que je fusse estimé
parmi ceux qui descendent dans la fosse. Aussi c'est de plein gré et
volontairement que je suis devenu comme un homme sans aide, la
ressemblance n'étant pas portée vers l'homme. Certainement pas!
Car il est devenu véritablement homme, mais, dit-il, pour ressembler
non seulement à un homme mais à un homme sans aide: car il
pouvait ne pas souffrir, ne pas être arrêté, ne pas être lié, mais il
s'est donné lui-même, devenu obéissant jusqu'à la mort et la mort
de la croix (Phil 2,8).
Mais s'il est devenu volontairement homme sans aide, au point
d'être revêtu par la mort, il était néanmoins libre parmi les morts . ..
Seul Jésus ayant déposé de lui-même son âme, personne ne la
lui prenant, est devenu libre parmi les morts (cf. Jn 10,18). Tandis
que "tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu", délivrés
de la vie, ils se trouvent dans l'enfer avec des liens plus ou moins
différents, seul celui qui n'a pas commis le péché et ne connaissant
pas le péché est devenu libre parmi les morts, de manière à délier
des liens de la mort tous les autres morts, en les ressuscitant
et en les vivifiant, de manière, lui le seul libre des péchés, à donner
la rémission des péchés sur la terre, car il dit: "Si le Fils vous
délivre, vous deviendrez vraiment libres" (Jn 8,36). De cette manière,
venu dans l'enfer avec liberté, il a délivré les âmes retenues captives,
produisant la crainte chez eux qui les retenaient: et les portiers de
ces lieux furent frappés d'épouvante, en voyant son pouvoir absolu
et sa liberté.
Il s'en suit qu'il faut interpréter aussi les versets précédents
comme dits par le Christ. Le Sauveur dit en effet à son Père: "Si
VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 223

je suis le Sauveur du monde venu chercher et sauver ce qui était


perdu, devenu pour tous cause de salut éternel, alors, ô Père, tu
es le Dieu du salut que je donne à ceux qui sont sauvés: car c'est
par ta volonté que je le leur donne: d'où, devenu l'intercesseur
auprès de toi pour ceux qui ont péché, je les sauverai en intercédant
pour eux» (Commentaire sur le Psaume 87, nC 871 M. II, p. 161).

Théodoret
{( Comme non soumis à la mort (car il n'a pas commis de péché),
mais ayant subi celle-ci à cause d'une sentence injuste et pécheresse,
(le Christ) est devenu, comme libre parmi les morts, rédemption
pour ceux qui sont justement retenus captifs sous la mort» (ln
Rom. 8,3: PG 82, 129).

Proc/us de Constantinople
« Le soleil est apparu à ceux qui étaient assis dans les ténèbres,
au plus profond de la fosse (E'J ),<XXXIfl xa't'Ci)'t'<x-clfl) et à l'ombre de la
mort» (Oratio XII: PG 65, 788).

La locution libre parmi les morts exprime cette liberté avec


laquelle le Fils de Dieu incarné descend dans la mort et poursuit
sa marche au·delà de la mort: le rapprochement avec Jn 10,18
est significatif. Cette liberté est la conséquence de l'absence de
péché; de plus, elle est libératrice, elle rend libres: car l'appa·
rition du Christ au séjour des morts détruit la mort. Le Christ
délivre ceux qui étaient, à cause de leurs péchés, détenus à
juste titre dans les liens de la mort.

II. VERBES DE RÉSURRECTION: SE LEVER (&"",~ocv",,).


S'ÉVEILLER (tç.ydpm) ET RÉGNER (~"'("À.6 ..v)

1. LE VERBE &vw~ocv,,, (SE LEVER ou. RESSUSCITER)

Ps 81,8: «Lève·toi (Ressuscite), ô Dieu, juge de la terre,


car tu recevras un héritage parmi toutes les nations )J.

Pour la liturgie de Jérusalem, le lectionnaire géorgien té·


moigne qu'il était chanté le soir du Samedi saint après le
<l>w.:; t/\OCpO\l et avant les lectures, soit au commencement de la
grande Vigile de Pâques.
224 ANDRE ROSE

A Byzance, c'est dans cette même liturgie de la nuit de


Pâques, mais avant le premier évangile de la Résurrection (Mt
21,1-20) qu'il figure, dès le X' siècle"'.
Les Coptes possèdent aussi ce verset en la Vigile pascale.

De ce psaume, seul le verset 6 J'a; dit: Vous êtes tous des


dieux est cité dans le Nouveau Testament (Jn 10,34) et très
souvent dans les premiers écrits chrétiens (Irénée, Clément
d'Alexandrie, Tertullien, Hippolyte).
Sur le psaume entier, Justin écrit:
« Ecoutez comment l'Esprit Saint parle de ce peuple (les chré-
tiens) qu'ils sont tous fils du Très Haut et que dans leur assemblée
il apparaîtra lui-même, ce Christ, pour juger toute race d'hommes»
(Dialogue avec Tryphon 124, 1).

En Cyprien (Ad Quirinum, Testimonia 2, 28), le verset 8


figure sous le titre:
c, Que lui-même (le Christ) viendra comme juge ».

Cette finale du Psaume 81 constitue un appel au jugement


divin: au jour du jugement "le Seigneur» recevra en héritage
tous les peuples du monde. Deux termes de la version des LXX
ouvrent ce verset à la lecture christologique: le jugement évoque
la Parousie du Christ. Telle est la ligne suivie par Justin et
Cyprien. Mais le verbe se lever (en grec: &vLCmiv"'L. ressusciter)
appelle le thème de la résurrection, d'autant plus que dans la
théologie paulinienne, la Résurrection du Christ apparaît comme
le premier acte de la Parousie 13. Il était donc normal que la
tradition chrétienne glisse de la Parousie à la Résurrection.
Par ailleurs, le thème de l'héritage est aussi appliqué au Christ
dans le Nouveau Testament (Mt 28,18; 21,38 et Apoc 2,6).
Eusèbe de Césarée commente le verset 8 comme suit:
«Comme il te convient de juger avec justice, car le Père a
donné le jugement au seul Fils, maintenant toi-même, lève-toi
aussitôt pour accomplir, par ta résurrection, la résurrection générale
de tous les hommes)} (PG 23, 989).

Il Pendant le chant de ce psaume, dans le rite grec, le célébrant qui vient

de revêtir les ornements blancs «parcourt en procession le sanctuaire, dont il


parsème le sol de feuilles de lauriers, symbolisant la victoire du Christ» (Litur-
gicon, Beyrouth 1960, p. 149).
Il Voir à ce sujet L. CERFAUX, Le Christ dans la théologie de saint Paul, Paris
1951, p. 65ss.
VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES El DE L'ASCENSION 225

On perçoit le passage de la Parousie à la Résurrection.


Chez Hésychius, le verset est rapporté à ce mystère:
« Lève·toi, ô Dieu, juge la terre le troisième jour et sauve le
monde, car par ton propre sang tu acquerras pour le salut toutes
les nations» (PG 27, 1001).

Même interprétation en Augustin, où il est mêlé à Ps 75,9-10:


« La terre s'est soulevée (ou a eu peur), lorsqu'on te crucifiait;
ressuscite d'entre les morts et juge la terre» (PL 37, 1050).

Dans la tradition chrétienne, le verset s'adresse non plus à


Dieu (le Père), mais au Christ venant pour le jugement. D'autre
part, la Résurrection est mêlée à l'évocation de la Parousie, con-
formément à la théologie paulinienne, au point que les deux
mystères apparaissent comme deux manifestations du même
jugement de Dieu sur le monde.

* * *

Ps 67,2: «Que Dieu se lève (ressuscite) et que ses ennemis soient


dispersés
et que ceW( qui le haïssent fuient devant sa face ».
Le lectionnaire géorgien de Jérusalem témoigne de l'usage
de ce verset le dimanche de Pâques comme verset de l'Alleluia
avant l'évangile de la liturgie eucharistique H.
Par ailleurs, le Typicon de la Grande Eglise le cite comme
troisième antienne à la Liturgie du dimanche de Pâques. C'est
de là que, plus tard, il s'est étendu au début de l'office des Matines
et de tous les offices principaux de la semaine pascale, accom-
pagnant le XpL<:rTàç &vocrTI), au point de devenir l'un des versets
essentiels de la fête de Pâques dans la liturgie de la Ville im-
périale.
Dans les Testimonia (2,28), saint Cyprien explique les versets
2-8 par le titre déjà cité plus haut:
« Que lui-même (le Christ) viendra comme juge )/.

14 On trouve aussi ce verset dans la liturgie dominicale, cfr. TARCHNISCHVILI,


op. cit., p. 88 (n. 1692).
226 ANDRE ROSE

La logique d'interprétation qui a joué pour Ps 81,8 joue


également pour ce psaume. Un écrit anonyme du III' siècle pos-
sède ces phrases:
«Il est mort, il est ressuscité comme "puissant" 15,
il a pris ce qu'il avait déposé l'S.
Quel est cet échange (7tptfrnç)?
Le prophète dit:
"Que Dieu ressuscite et que ses enl1emis soient dispersés".
Là où est la Résurrection, là était la mort)1
(De recta in Deum fide: GCS 4 [19011. 54, 17).

Jérôme-Origène
« Il faut rapporter ce psaume au Seigneur lui-même: il est
ressuscité d'entre les morts et il a dispersé ses ennemis, c'est-à-dire
le diable et son armée».

Eusèbe de Césarée
« Lorsqu' "après avoir pris la forme du serviteur et avoir été
considéré pour l'extérieur comme un homme, il s'est humilié lui-
même jusqu'à la mort" (Phil 2,7-8), le Saint Esprit prophétise à juste
titre sa Résurrection en disant: "Que Dieu se lève (&:'Ja:o't'i)'rw)
et que ses ennemis soient dispersés"; par Dieu, il comprend Dieu
le Verbe " (PG 23, 681-684).

Athanase ou Marcel d'Ancyre


« Car "devenu semblable aux hommes" (Phil 2,7), par ses prières,
il cherche à écarter la Passion, comme homme; mais étant Dieu
et subsistant dans l'impassibilité selon l'essence divine, il prend
sur lui volontairement la Passion ct la mort; c'est pourquoi il
n'était pas possible qu'il soit dominé par la mort; car il était Dieu
devenu semblable aux hommes, mourant volontairement, et ressusci-
tant selon sa propre puissance comme Dieu, ainsi que David l'avait
dit: "Que Dieu se lève ... ")} (De l1'1carnatio1'1e Verbi et contra
Arianos: PG 26, 1024).

Hilaire
« Tout cc psaume est tissé par les mystères de l'ancienne et de
la nouvelle Loi. On souhaite la résurrection du Christ et par elle la
fuite des démons» (PL 9, 443).

15 Le terme 8UW1't'O,," (puissant) vient du Ps 77,65 (voir aussi Ps 23,8).


16 Allusion à Jn 10,17.
VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 227

Didyme d'Alexandrie
« Que cela soit dit par manière de prière au Père, lorsque après
la Passion du Christ, son corps encore déposé dans le sépulcre,
celui-ci dépouillait l'enfer, les Juifs se rassemblaient avec les
démons pervers qui les remplissaient et les autres puissances mau-
vaises: Qu'il ressuscite le Dieu qui est descendu vers la mort après
être devenu homme, pour que soient dispersés ceux qui se sont
rassemblés contre lui: car alors aussi ceux qui le haïssent, ne
pouvant résister à celui qui est ressuscité d'entre les morts, fuiront
devant sa face» (M. II, p. 63 n. 681).

Théodoret
« Il dit: "Il est temps, Maître, de ressusciter et de réaliser le
salut des hommes", Il appelle Résurrection, comme nous l'avons
souvent dit, non seulement la fin du temps de la patience (c'est-à-
dire la Parousie), mais aussi la résurrection du Sauveur du monde
après trois jours, après que librement il eut choisi de mourir pour
nous» (PG 80, 1376).

La référence de ce verset à la Résurrection du Christ appa-


raît comme universel dans la tradition des commentaires du
psautier. La relation primitive au jugement et à la Parousie a
entraîné ce second sens, appelé par le verbe &v~cr"t"a'lCH du début
du psaume.

* * *

Ps 7,7-8: Lève-toi (ressuscite), Seigneur, en ta colère,


Sois élevé jusqu'aux confins du pays de tes ennemis.
Réveille-toi, Seigneur mon Dieu, selon le décret que tu
as intimé
et l'assemblée des peuples fera cercle autour de toi,
et au-dessus d'elle, retourne dans la hauteur ».

La succession des trois verbes &.vaaTfJEh, u~w8"t/"t"~, È~e:yÉp8"t/"t"t


appelait fatalement la lecture de ces passages en rapport avec la
résurrection et la glorification du Christ.
La liturgie de Byzance le possède comme prokimenol1 du di-
manche du 2" ton (un peu abrégé), où on le trouve dès le typicon
du X" siècle. Les Coptes l'ont en la Vigile pascale après les lectures.
Cet usage correspond aux commentaires patristiques.
228 ANDRE ROSE

Jérôme-Origène
« Réveille-toi, Seigneur mOn Dieu, selon le décret que tu as
intimé. Cela c'est nous qui le disons: Tu as souffert pour nous,
tu as été crucifié pour nous: lève-toi et sauve-nous ...
Et ['assemblée des peuples fera cercle autour de toi. Lève-toi
pour ceci: afin qu'une multitude nombreuse croie en toi.
Quand tu seras ressuscité, que demandons-nous d'autre? Retourne
vers le Père. Et pour elle retourne dans les hauteurs. Pour qui?
pour l'assemblée des peuples. Lorsque tu es mort, c'est pour nOliS
que tu es mort; lorsque tu es ressuscité, c'est pour nous que tu
es ressuscité; lorsque tu es remonté auprès du Père, remonte pour
nous. Et au-dessus d'elle retourne dans les hauteurs: "Personne
n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de
l'homme qui est au ciel" (In 3,13)>> (CC 78, 24-25).

Eusèbe de Césarée
«Inspiré par l'Esprit divin, David prophétise, annonçant la
Théophanie du Sauveur, arrivée non pour lui-même, mais pour
toute la race humaine» (PIIRA, Analecta sacra III, p. 386).

Basile
{( Le prophète prie pour qu'agisse déjà le mystère de la Résur-
rection pour la destruction de leurs péchés - ou il annonce
l'élévation (üljJ(ol(J"~) (du Christ) sur la croix, qui devait arriver après
l'élévation jusqu'à la limite extrême, de la méchanceté de ses
ennemis.
Reveille-toi ... La parole peut être rapportée au mystère de la
Résurrection.
Et après cela retourne dans les hauteurs: Il s'agit de l'assemblée
qui fait cercle autour de lui, assemblée qu'il a acquise par sa
descente (parmi nous) et son économie selon la grâce.
Retourne dans les hauteurs de la gloire que tu avais avant
la création du monde (In 17,5)>> (PG 29, 236).

Hésychius
«Eveille-toi ... selon l'ordre: selon lequel il a dit aux Apôtres:
"Après trois jours je ressusciterai".
Et l'assemblée ... : après la Résurrection, les Apôtres ont ras-
semblé le monde entier par la foi.
Et retourne dans la hauteur: il parle de l'Ascension du Seigneur»
(PG 26, 669).
VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 229

Texte attribué à Athanase


« Eveille-toi ... : clairement est annoncée la théophanie du
Sauveur.
Et ['assemblée des peuples ... : est annoncée clairement la Foi
de l'Eglise en lui.
Retourne dans les hauteurs: laisse entendre à mots couverts
ou sa croix précieuse sur laquelle il a enlevé nos péchés, ou son
Ascension aux cieux: car il est parti pour apparaître devant la
face du Père en notre faveur (He br 9,24) » (PC 27, 60).

L'ensemble des commentaires manifeste que c'est toute


l'œuvre du Christ - la "théophanie" - qui est lue dans ces
versets, mais principalement la Croix, la Résurrection, l'Ascension
et la foi des peuples en lui 17.

* * *
Ps 11, 6: "A cause de la détresse des pauvres
et à cause du gémissement des indigents,
maintenant je ressusciterai, dit le Seigneur,
j'établirai dans le salut,
je me manifesterai en lui avec assurance ».

A Jérusalem, le lectionnaire géorgien fixe ce verset au soir


du Samedi saint, en parallèle avec 1s 33,10: "Maintenant je
ressusciterai, dit le Seigneur, maintenant je serai glorifié, main-
tenan t je serai élevé ».
Même situation du verset psalmique dans la liturgie copte,
après les lectures du soir du Samedi saint.
La liturgie byzantine le possède comme prokimenon du di·
manche du 1" ton avant l'évangile de la Résurrection de l'Orthros.

Eusèbe commente comme suit:


« Ils sont devenus pauvres et indigents à cause de moi, dit-il,
pleurant et gémissant sans cesse, et toujours les indigents, les
pauvres en esprit, qui sont attentifs à ma parole et gardent une
foi sans défaillance. C'est pourquoi à cause de ceux-ci, maintenant
je ressusciterai et j'accomplirai ce qui convient à ma résurrection;

17 Parallèle à ce passage est l'usage du Ps 9,33 Lève-toi (Ressuscite), Seigneur

mon Dieu, que ta lnain s'élève dans la liturgie byzantine: Prokimenon du dimanche
du se ton (partiellement) et du 7e ton (texte complet).
230 ANDRE ROSE

j'établitai le salut pour tous les hommes à cause de ma résurrection


et je me manifesterai avec assurance par ce salut, comme par un
grand succès) (PrIRA, Analecta sacra III, 404-405).

Didyme d'Alexandrie
«Il est montré par là comment c'est Jésus Christ, lui qui a
délivré celui qui est dans la détresse, parce qu'il avait un corps de
mort, c'est lui qui dit: "Maintenant je ressusciterai, dit le Seigneur"»
(M. !, p. 166).

C'est le verbe &\I~cr"t'&.'1c(L qui a entraîné cette lecture du verset


en rapport avec la résurrection du Christ.

* * *
Ps 40,11: "Mais, toi, Seigneur, aie pitié de moi et ressuscite-moi,
et je leur rétribuerai ».

A Byzance, l'office des Saintes Souffrances (Orthros du Ven-


dredi saint) possède, entre le troisième et le quatrième évangile,
l'antienne suivante:
«Ils m'ont donné du fiel pour nourriture
et pour étancher ma soif ils m'ont abreuvé de vinaigre (Ps 68, 22).
Mais toi, Seigneur, ressuscite-moi et je leur rétribuerai».

Depuis le Nouveau Testament, le psaume entier est consi-


déré comme prophétie de la Passion sur la base du v. 10 con-
cernant Judas (Mc 14,18 et Jn 13,18), qui précède ce passage '".
Aussi lit-on en'

Didyme
« Pour me substituer un autre peuple il la place de celui qui
est rejeté et Mathias au lieu de Judas. Mais aussi: Ressuscite-moi
pour que je leur rétribue, la rétribution devant leur survenir pour
le bien» (M. !, p. 323).

Cyrille d'Alexandrie
« (Le psalmiste) adapte (ces paroles) au Christ selon le mode
de son humanité. En effet il considèl e à nouveau pour moi le Dieu

I! Le rite byzantin possède le v. 10 comme 2e stique de l'Alleluia à la Liturgie


du Grand Jeudi.
VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 231

Verbe, qui d'une part sc trouve dans la forme et l'égalité de


son Dieu et Père, lui qui est apparu de son essence, lui qui est
sur le même trône que lui ct gouvernant tout avec lui, et qui
d'autre part se trouve en infériorité ct en amoindrissement, à cause
de sa ressemblance avec nous, et davantage d'une manière humaine
à cause de la "kénose", c'est-b.-dire adressant ces paroles à son Père
comme convenant à Dieu: "Aie pitié de moi ... ". Cependant il est
lui-même selon sa nature la miséricorde du Dieu et Père, la résur-
rection et la vie selon sa propre loi» (PG 69, 997).

Théodoret
cc Il dit tout cela comme venant de la nature qu'il a assumée,
selon laquelle il a souffert la Passion. Ainsi aussi, dans les saints
évangiles, nous entendons le Christ priant: "Père, sauve-moi de cette
heure" (ln 12,27) et "Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne
de moi" (Mt 26,42) ».

Didyme prolonge la relation à Judas et à la Passion par


l'évocation de la Résurrection, tandis que Cyrille d'Alexandrie et
Théodoret soulignent la divino-humanité du Christ et voient dans
ces paroles la prière du Dieu Verbe incarné.

2. LES VERBES Èçeydp"v et Èydpm (ÉVEILLER)

Ps 3,6: " Moi je me suis endormi et j'ai pris mon sommeil


et je me suis réveillé, parce que le Seigneur
m'a pris sous sa protection ».

La première épître de Clément cite le verset en relation avec


le thème de la résurrection (26,2). Mais depuis le milieu du II"
siècle, la tradition est unanime à rapporter ce verset à la mort,
au séjour au tombeau et à la résurrection du Christ: ainsi l'épître
des Apôtres, document apocryphe du milieu du II" siècle (Ch. 19),
Justin (Apologie 1, 38,5; Dialogues 97,1), Irénée (Démonstration
apostolique 73; Adversus hœreses IV, 31,2 et 33,13). Au III" siècle,
Clément d'Alexandrie (Stromates V, 205,3) " et Hippolyte (Béné-
dictions d'Isaac 1; De Antichristo 8; dans les deux cas, le texte
psalmique est uni à Gen 49,9) le comprennent dans le même sens.

19 Clément d'Alexandrie voit aussi dans le sommeil une image de l'Incarna-

tion: «David désigne allégoriquement non seulement par le réveil du sommeil


la résurrection du Christ, mais aussi par le sommeil la descente du Seigneur
dans la chair» (Stromates 5,105,3).
232 ANDRE ROSE

Dans les Testimonia, Cyprien présente le verset comme suit:


({ Qu'i! ne serait pas vaincu par la mort et qu'il ne resterait
pas dans les enfers (2,24) )l,

Origène distingue les deux verbes X.OLtLaO"eC(~ et lHtVOUV:


Selon le sens spirituel, comme nous l'avons dit, ces paroles
«(

annoncent, de la part du Seigneur, sa propre dormition maintenant


expliquée, ainsi que le sommeil qui suivit la Passion .,.
Nous disons que Notre Sauveur Jésus Christ s'est endormi
lorsqu'il est mort de la mort commune aux hommes et qu'il s'est
plongé dans le sommeil, lorsque son âme s'est séparée de son corps.
Rien d'étonnant que le Sauveur dise Je me suis endormi et je
me suis plongé dans le sommeil, car son activité a été beaucoup
plus grande pour le salut des âmes pendant le temps de la séparation
de son corps, selon ce que Pierre dit dans l'Epître catholique: "Par
lequel (l'Esprit), il (le Christ) vint prêcher aux esprits captifs qui
avaient désobéi jadis, alors que la patience de Dieu attendait au
temps de Noé, quand on construisait l'arche. Quelques-uns y entrè-
rent. Il y en eut peu - c'est-à-dire huit âmes - qui y trouvèrent le
salut au milieu de l'eau" (1 Petr 3,19-20). Après ce sommeil, le Père,
l'ayant pris sous sa protection, l'a ressuscité» (PG 12,1125-1129).

Eusèbe développe des thèmes analogues dans son commen·


taire: le verset annonce la mort, la descente aux enfers et la
résurrection (PC 23, 96).

Didyme commente comme suit ce passage:


« Le verbe XO~!-l"leijVa:L signifie l'action de se coucher, action par
laquelle le sommeil vient aussitôt. Lorsque donc Jésus a librement
déposé son âme, après cela s'étant couché il s'est endormi; car il_ ne
serait pas mort, s'il ne s'était pas donné pour cela. Ressuscité d'entre
les morts, Dieu l'a pris sous sa protection et il est devenu le premier-
né d'entre les morts» (M. l, p. 126).

Le verset revient dans la prédication pascale de Chromace


d'Aquilée et d'Augustin ". Voici un passage de la prédication de
celui·ci au cours de la Vigile de Pâques:
« Nous veillons, frères très chers, en cette nuit où nous com-
mémorons l'ensevelissement du Seigneur et nous veillons dans le
temps même où lui, pour ainsi dire, dort pour nous. Depuis long-

20 Cfr. R. CANTALA...'1ESSA, La Pâque dans l'Eglise ancienne, Berne - Francfort-


sur-Mein - Las Vegas 1980, p. 120 (pour Chromace d'Aquilée) ct 132 (pour Au-
gustin). La traduction française est extraite de ce livre.
VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 233

temps, en effet, il avait annoncé sa passion par son prophète en


disant: "Je me suis endormi et me suis relevé (exsurrexi), car le
Seigneur m'a soutenu (suscepit me)"» :1.1,

L'usage liturgique du verset .et même du psaume entier


apparaît assez universel dans la célébration pascale. L'ancien rite
de Byzance le possédait à l'Ortbros de Pâques 22, ainsi que le
rite copte au soir du Samedi saint.
En Occident, il figure aux Matines de Pâques comme troisiè-
me psaume avec l'antienne Ego dormivi (v. 6)". Quant au rite
hispanique, le passage est souvent répété dans tout l'office de la
semaine pascale, aux Matines 24, Le psaume entier, se trouve au
début des Matines quotidiennes dans l'office de saint Benoît ".
Le verset apparaît ainsi interprété comme la prophétie de
la « dormition" du Christ sur la Croix, du sommeil au tombeau et
de son réveil par la Résurrection.

* * *

Ps 138,1-2 et 18:
« Seigneur, tu m'as éprouvé et tu m'as connu,
tu as connu mon repos (TIjv xot6éSpotv !Lou, sessionem) et mon
réveil (TIjv tyepcrtv, resurrectionem) ".
Je suis éveillé (anciennes versions latines: resurrexi) et je
suis encore avec toi».

En Occident, l'introït de la messe romaine de Pâques est


assez connu. Son premier mot Resurrexi évoque le mystère de
la Résurrection. Le verset 18 se retrouve dans les rites ambrosien
et hispanique pour la fête de Pâques. A vrai dire, le psaume
parle de la connaissance universelle et sans limite de Dieu.

II Ibid., p. 132.
llVoir J. MATEOS, op. cit., t. II, p. 93. Cet usage a disparu dans le rite actuel.
.13 Ainsi dans le Breviarium Roma/mm. Le nouvel office romain de la Liturgia
Horarum a transféré les Psaumes 1, 2 et 3 aux Matines du Lundi de Pâques
et du dimanche suivant (2e de Pâques).
24 En ce rite, le Psaume 3 figure au début des Matines. Mais toute l'octave
pascale comporte ce verset comme antienne d'accompagnement du Psaume. Cfr.
J. VIVES, Antifonario visigotico mozarabe de la Catedral de Leon, Barcelona-
Madrid 1959, p. 294.
IS Règle, chapitre 9.
26 Littéralement: <t le fait de m'asseoir et le fait de me lever ».
234 ANDRE ROSE

Cependant le verset 12 sur la «nuit illuminée comme le jour })


l'avait déjà attiré à la célébration de Pâques ".
Dans son commentaire écrit saint Hilaire sur le verset 18:
« Je suis ressuscité et je suis avec toi: Je suis ressuscité vise
la gloire de la résurection» (PL 9, 813).

* * *
Quelques versets isolés apparaissent choisis par la liturgie
en raison des verbes OC\l~crT&:\lctL et É~EydpEt\l.

A) Ps 75,9-10: "La terre a craint (ou a tremblé) et s'est apaisée,


lorsque Dieu s'est levé (È:IJ -rt:J &.\lctcrr~\la:t) pour le
jugenlent ».

L'homélie d'Epiphane de Salamine sur le grand et saint


Samedi se sert de ces termes:
{( Ouest-ce que cela? Aujourd'hui ... le Roi dort, la terre a craint
et est restée en silence, car Dieu a dormi dans sa chair et a ressuscité
ceux qui dorment depuis les siècles» (PG 43, 453).

Cependant certaines versions latines ont changé le timuit


en tremuit, changement d'autant plus facile que lorsqu'on craint,
on tremble. Le tremblement de terre accompagnant la résur-
rection du Christ selon le récit évangélique (Mt 28,2) a en-
traîné son usage dans plusieurs liturgies occidentales ".

B) Ps 77,65: "Le Seigneur s'est réveillé (Éç1)yépB1))


comme un dormeur, comme un puissant ... ».

A Byzance, la Liturgie de la Vigile de Pâques possède comme


antienne de communion:
« Le Seigneur s'est réveillé comme un dormeur
et il est ressuscité pour nous sauver Il.

27 Voir le chant pascal Exsultet; cfr. CANTALAMESSA, op. cil., p. 110.


l~ Ce verset se trouve dans les liturgies de Rome et de Tolède, le jour ou
l'octave de Pâques (voir l'antienne d'offrande de la messe romaine du jour
de Pâques). Le nouvel office romain (Liturgia Horarum) possède le Psaume 75
à l'office du milieu du jour des dimanches «per annum Il II et IV, avec l'antien-
ne Terra tremuil (pour la 2~ section du Psaume).
VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 235

Les Coptes possèdent plusieurs fois le verset dans leur office


de Pâques. En Occident, l'Alleluia de la messe milanaise de la
Vigile et un répons des vêpres possèdent ce verset: Resurrexit
tamquam, dormiens Dominus. On le trouve aussi dans les chants
de la liturgie pascale hispanique.
L'ancienne homélie pascale anoméenne y voit l'annonce de la
résurrection du Christ 29. Quant à Hésychius de Jérusalem, il
glose comme suit:
« Il est ressuscité des morts le troisième jour, comme puissant
et couvert de son sang à cause de sa passion; il a brisé la puissance
des esprits impurs» (PG 26, 984).

C) Ps 101,14: «Toi, tu le lèveras (litt. t'étant levé: &v"'CITœç)


et tu auras pitié de Sion ».

Le lectionnaire géorgien de Jérusalenl assigne ce verset à la


Vigile de Pâques, tandis qu'à Byzance il figure dans le Typicon
de la Grande Eglise, comme verset de l'Alleluia de la Liturgie
du jour de Pâques, où il se retrouve de nos jours.
« Ressuscité d'où?, commente Hésychius, Des morts, c'est clair»
(PG 27, 1276).

Un texte attribué à Eusèbe commente comme suit:


« Je pense qu'on prophétise ici aussi l'épiphanie du Christ parmi
les hommes ... Quel est ce temps longtemps attendu et trois fois
désiré, où on dit que s'accomplira ce qui a été annoncé sur Sion?
C'est le temps de ta Résurrection, Seigneur».

3. LE VERBE ~o.cr'ÀE6<LV (RÉGNER) ET LA RÉSURRECTION DU CHRIST

L'enquête présente se limite au Ps 92,1 universellement


rapporté à la résurrection dans les liturgies d'Orient et d'Occi-
dent. Qu'il suffise de signaler, pour Byzance, le prokimenon du
Samedi soir: Le Seigneur a régné et s'est revêtu de splendeur
et, pour Rome, la place de ce psaume en tête des Laudes du di-

;t9 Cfr. op. cit., p. BO (l, 243).


236 ANDRE ROSE

manche dans l'ancien office romain avec, comme antienne, le


même texte encadré d'Alleluias "'.
Il faut citer ici nombre de commentaires des Pères:

Eusèbe de Césarée
« Lorsque recevant la gloire qu'il avait auparavant auprès du
Père (Jn 17,5), il transforma en une condition meilleure la forme
du Serviteur, selon le témoignage de l'Apôtre disant: "Il transfor·
rnera le corps de notre humilité pour le rendre semblable au corps
de gloire du Christ" (Phil 3,21), c'est alors qu'il revêtit la beauté».

Cette beauté, poursuit le commentateur, il l'avait perdue


lors de sa Passion, mais il la retrouve par sa résurrection (PG 23,
1185).

Evagre
Evagre rapproche ce verset de 1 Cor 15,25: "Il faut qu'il
règne jusqu'à ce qu'il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds»
(P ITRA, Analecta sacra III, p. 173).

Grégoire de Nysse
«Le prophète David, contemplant maintenant la restauration
de la beauté, la destruction de la mort, la liberté de ceux qui
étaient esclaves, s'écrie et dit: Le Seigneur a régné, il s'est revêtu
de beauté. Quelle beauté a-t-il revêtu? L'incorruption, l'immortalité,
le sénat des Apôtres, la couronne de l'Eglise. Car ce qui était cor·
ruptible est devenu incorruptible et celui qui était considéré par
eux comme un homme ordinaire apparaît comme Dieu véritable ...
Il a revêtu la puissance et s'en est ceint: Il dit puissance à cause
de l' "économie" de sa chair, car rien n'est plus puissant que celle-ci:
par son corps, celui qui est sans corps a expulsé les démons; par la
croix, il a réduit en les assiégeant les puissances ennemies II (Ho-
m.élie pour la Résurrection du Christ: PG 46, 688).

Théodoret
{( La Passion apparut triste à ceux qui savaient que son fruit
demeurerait, comme le prophète criait: "Nous l'avons vu et il
n'avait ni apparence ni beauté, mais son aspect était sans honneur,
abandonné parmi les fils des hommes" (ls 53,2-3); après (sa naissance
de la Vierge, sa Croix volontaire et) son Ascension au ciel, il émit

III L'antienne a malheureusement disparu dans le nouvel office romain (Litur-


gia Horarum) pour faire place à une antienne brève (Mirabilis in altis Dominus,
alleluia) qui n'évoque plus le règne du Christ (cfr. Dimanche III, Laudes, 1ère
antienne).
VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 237

les rayons lumineux qui convenaient à sa divinité. A juste titre, le


prophète s'écrie: Le Seigneur a régné, il s'est revêtu de beauté. Il
n'a pas pris ce qu'il ne possédait pas, mais il a montré ce qu'il
possédait. Ainsi il dit à son Père: "Père, glorifie-moi de la gloire
que j'avais auprès de toi avant que le monde fût" (In 17,5) » (PG 80,
1624).

Arnobe le Jeune
« Le Seigneur a régné, c'est-à-dire il a reçu le règne sur la
Croix. Il s'est revêtu de beauté dans la Résurrection. Car il a revêtu
la faiblesse dans la puissance, il s'est ceint de l'éternilé et affermit
la terre par sa Résurrection. Et posséàant un trône préparé (v. 2), il
est monté aux cieux pour siéger à la droite du Père» (PL 53, 460).

III. LE VERBE OCV"'~cdVELV ET L'ASCENSION

Dans la tradition primitive, plusieurs verbes ou expressions


ont été rapportés à l'Ascension du Christ: tels le verbe û~ouv
(exaltare, élever), l'expression siéger à la droite (Ps 109,1) sur
la base du récit de Mc (16,19). Il faut ajouter l'application uni-
verselle du Ps 23,7-10 à l'Ascension depuis le II' siècle 31.
Le verbe &.\I<X~Cd\lEL\I (monter) se trouve _en plusÏeurs versets
psalmiques où la tradition a lu la prophétie de l'Ascension du
Christ sur le mont des Oliviers.

1) Ps 67,19: "Tu es monté sur la hauteur,


tu as réduit la captivité en captivité,
tu as reçu des dons parnli les hommes ».

En Eph 4,8-10 - dans une version du psaume influencée


par le rabbinisme: Tu as fait des dons au lieu de Tu as reçu des
dons -, saint Paul lit en ces versets la prophétie de l'Ascension
du Christ et du don de l'Esprit 32. Justin, Irénée et Tertullien
reprennent l'inteprétation de l'Apôtre.
«Après avoir montré, écril Evagre (PG 12, 1508), la descente du
Sauveur et la destruction des démons, le psalmiste le montre
montant et délivrant ceux qui auparavant étaient captifs ».

l! Sur la lecture chrétienne de Ps 23,7-10, cfr. A. ROSE, Attollite pûrtas, princi-

pes, vestras. Aperçus sur la lecture chrétienne du Ps 24 (23) B, dans Miscellanea


liturgica in anore di Sua Eminenza il Cardinale Giacomo Lercaro, tome I, Rome-
Paris-Tournai-New York 1966, p. 453-478.
31 Voir à ce sujet A. ROSE, Aspects de la Pentecôte, dans Les Questions liturgi-

ques et paroissiales, 1958, n. 2, p. 108-109.


238 ANDRE ROSE

2) Ps 67,34: «Chantez un psaume pour le Seigneur,


chantez un psaume pour Dieu, qui est monté
sur les cieux des cieux, à l'Orient ».

On trouve le verset dans la prédication de saint Grégoire de


Nysse et de Jean Chrysostome sur l'Ascension (mêlé par celui-ci
à Ps 23,7-10).
La Didascalie syriaque justifie ainsi la prière vers l'Orient:
« Il vous faut prier tournés vers l'Orient, comme vous savez,
car il est écrit: Rendez gloire à Dieu, qui est monté sur les cieux
des cieux, vers l'Orient »,

Eusèbe rapproche ce passage du verset 5 où l'on parle de


la montée au-dessus de l'Occident. Mais ici, il oppose la descente
sur l'Occident à la montée vers l'Orient:
« Sa descente a eu lieu sur l'Occident, parce qu'il a obscurci
les rayons de sa divinité; sa remontée sur les cieux des cieux a eu lieu
vers l'Orient par sa glorieuse restauration (a1tOKlX't'aa-rccoLt;) dans les
cieux» (PG 23, 720).

En l'opposant au verset 19, Evagre rapproche le verset 34,


d'Eph 4,10, sur la montée du Christ (PG 12, 1509).
On lit aussi dans un passage attribué à Athanase:
« (Le psalmiste) proclame la Passion du Christ, à cause de ceux
qui sont en bas et sa descente au séjour des morts, et, grâce à cela,
il annonce aussi sa montée (à.\loXq>OL1:''1)O'L\I) vers les cieux» (PG 27, 303).

Les rites d'Occident utilisent beaucoup ces deux versets


dans la liturgie de l'Ascension. A Milan, le chant d'entrée est le
verset 34 Psallite Domino, le verset 19 étant le psalmellus (gra-
duel) du dimanche suivant. Dans le rite hispanique, on trouve
les versets 33-34 aux Vêpres de l'Ascension. Mais on les retrouve
aussi dans la célébration de la Résurrection elle-même aux Mati-
nes pour les jours de l'octave pascale ". Quant au rite romain,
le verset 19 figure à plusieurs reprises comme verset, répons
bref de l'office de l'Ascension et spécialement à l'Alleluia de la
messe. A la communion, le verset 34 évoque l'Ascension au Mont
des Oliviers, situé à l'Orient de Jérusalem.

J] Cfr. VIVES, Antifonario ... , p. 289.


VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 239

En Orient, les deux versets se trouvent dans les chants de


la Vigile pascale copte avec le Ps 23,7-10 et 46,6-9, témoignage
d'un temps archaïque où la célébration de l'Ascension n'était
pas séparée de celle de la Résurrection en la nuit de Pâques.

3) Ps 46,6: «Dieu est monté au milieu des acclamations,


le Seigneur, au son de la trompette ".
L'usage de ce verset - et en conséquence du psaume - est
universel dans les rites d'Orient et d'Occident. On le trouve dès
le V' siècle à Jérusalem, au jour de l'Ascension.
Dans les Dialogues (97,1) Justin cite ce psaume comme pro-
phétie de l'Ascension, après le Psaume 23. De même, Athanase
dans la Lettre à Marcellin (PG 27, 27).
Pour Jean Chrysostome, -Il est monté ne signifie pas « on l'a
fait monter »;
«Il est monté montre que ce n'est pas un autre qui l'a pris par
la main pour Je faire monter, mais que c'est lui-même qui a pris
cette route. Car Elie n'est pas monté comme le Christ: il a été
conduit par une autre force. Il n'appartient pas en effet à la nature
humaine de pouvoir emprunter un chemin étranger. Mais le Fils
unique est monté par sa propre puissance ...
Dans l'acclamation, c'est-à-di~e qu'il est monté victorieux, après
avoir maîtrisé la mort, renversé le péché, mis en fuite les démons,
expulsé l'erreur, transformant toutes choses en une condition
meilleure, (les conduisant) vers la patrie ancienne (le paradis), bien
plus beaucoup meilleure, y faisant monter notre nature» (PG 55,
213-214).
« Alors fut accompli ce qui est dit dans les psaumes: "Dieu est
monté dans l'acclamation, le Seigneur au son de la trompette". Le
prophète signifie là clairement la dualité des natures dans le Christ
(allusion à In 20,28: "Mon Seigneur et mon Dieu") ...
D'une part dans l'acclamation, parce que d'une voix incessante
on adresse à Dieu l'hymne du trisagion et nous avons montré
auparavant comment il est monté sur un trône de Chérubins.
D'autre part au son de la trompette, c'est-à-dire de la trompette
de l'archange, signifiant ainsi d'avance sa montée dans les cieux»
(Citation de Ps 23,7-10 et 109,1) (4 r Homélie sur l'Ascension).

Cyrille d'Alexandrie
«Ayant accompli pour nous l'économie, il est monté vers son
Père qui est dans les cieux et Dieu, devenu comme les prémices
de l'humanité rénovée pour l'incorruption: car de cela nous avons
été enrichis dans le Christ» (PG 69, 10S3).
240 ANDRE ROSE

Théodoret
«Après être descendu, il est monté au ciel, conduit par les
puissances célestes et les chœurs angéliques, les unes criant en
bas: "Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d'auprès de vous reviendra
de la même manière" (Act 1,11), les autres ordonnant en haut:
"Levez les portes, ô princes, et le Roi de gloire entrera"» (PG 80,
1208-1209).

Hésychius
« Cela signifie l'Ascension du Verbe de Dieu. La voix de la
trompette: il est glorifié par les saintes puissances» (PG 27, 833).

4) Ps 17,10-11: «Il inclina les cieux et il descendit,


l'obscurité était sous ses pieds.
Et il monta sur un chérubin et il plana,
il plana sur les ailes des vents ».

Cette théophanie se manifeste dans la tradition comme pa-


rallèle à Ps 18,7 (la course du soleil), 1s 55,10-11 (descente et re-
montée de la Parole de Dieu) et In 16,28 (le Christ sorti du
Père et remontant au Père). Elle est comprise comme une pro-
phétie de la descente et de la remontée du Fils de Dieu.
La liturgie byzantine de l'Ascension comprend ce verset dans
le mégalynaire de l'Orthros. Mais aussi le rite hispanique de
l'Ascension possède des allusions à ces versets ".
De nombreux commentaires sont éclairants au sujet du sens
profond de ces versets:

Eusèbe de Césarée
«( Par l'obscurité et par la ténèbre, (le psalmiste) désigne ce
qui est caché et secret de son économie selon l'humanité. Ensuite il
retourne où il était auparavant: car il est monté vers les cieux
aussi avec le chérubin et il a plané. Cependant il n'était pas descendu
avec lui: car c'est sans chérubin qu'il a incliné les cieux et qu'il
est descendu. Mais pour sa remontée, il est dit: Il monta sur un
chérubin et il plana, c'est-à-dire avec le corps qu'il avait assumé»
(La suite cite Ps 23,7-10 et Act 1,9-10 sur l'Ascension) (PG 23, 172) .

.li Ibid., p. 32955.


VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 241

Didyme d'Alexandrie (parle plutôt de l'Incarnation)


«Il inclina les cieux et il descendit se rapporte sans difficulté
à la Parole sur l' "économie" et lui, alors que l'on dit que le Sauveur
habite dans les cieux, une fois devenu homme, change le lieu de
sa demeure: car il a été vu sur la terre et il est demeuré avec les
hommes (Baruch 3,38). Il habite dans le ciel TIon localement, mais
il descend en se déplaçant (ceci appartient au corps et à ce qui
entoure un corps), mais pour cela on le dit habiter les cieux.
Subsistant en effet dans la forme de Dieu, il est descendu en prenant
la forme de Serviteur, aucun changement de lieu ne survenant en
lui» (M. l, p. 190).

Jérôme
« Il inclina les cieux et il descendit: c'est ce qui est dit dans un
autre psaume: "Il descendra comme la pluie sur le gazon" (Ps 71,6),
car il s'est montré à nous dans l'humilité, et caché sous la forme
de serviteur» (Commentarioli, CC 72, p. 195).

Jean Chrysostome
« il inclina les cieux et il descendit. David a signifié clairement
la venue du Verbe des cieux. Il désigne par la ténèbre sous ses pieds,
le revêtement de la divinité par la chair, reconnaissant que son
avènement serait inconnu de beaucoup à cause de son humilité et de
sa douceur.
Et il dit aussi: Il monta sur un chérubin et il vola sur les ailes
du vent. Il dit sur un chérubin, car lui-même, étant dans les cieux
avec le Père, était transporté par les Chérubins et cependant, de-
meurant sur la terre avec les hommes, il ne s'est jamais séparé du
trône céleste des Chérubins.
Les ailes des vents signifient les nuées sur lesquelles il a été
enlevé en haut, selon ce qui est écrit dans les Actes: "Et une nuée
le déroba à leurs yeux" (Act 1,9») (4 e Sermon sur l'Ascension).

Texte attribué à Athanase


« Il inclina les cieux et il descendit prophétise très clairement
la descente du Seigneur. Cela signifie: "Il s'est humilié jusqu'à la
mort" (Phil 2,8).
Et les ténèbres étaient sous ses pieds manifeste ce qui est
secret de sa venue dans l'économie et l'invisible de Dieu, afin que
par cela nous ne soyons pas attirés vers des pensées corporelles.
Il est monté ... Par là, on montre son Ascension. Chéruhins et
ailes des vents signifient la nuée qui l'a pris (citation d'Act 1,9) ».
242 ANDRE ROSE
~----------------

Dans la suite, les ténèbres sont expliquées comme la pré-


sence cachée du Sauveur avec les hommes; le tabernacle est la
sainte Eglise.

Hésychius
V.10: « Il est venu sur la terre et il accompli ce qu'il avait promis »
(PG 27, 704).
{( Il a incliné les cieux pour unir la terre au ciel ct accorder à
ceux qui étaient en bas la communion aux réalités d'en haut. Cela
ne serait pas arrivé s'il n'était pas descendu de manière qu'il pût
être accueilli, c'est-à-dire dans la chair qu'il appelle la ténèbre sous
ses pieds ».

L'ensemble des versets de la théophanie expriment ainsi le


mystère de l'Incarnation et de la remontée du Fils de Dieu par
l'Ascension, les diverses images servant à exprimer le mystère
de la présence de Dieu dans la chair mortelle.

CONCLUSIONS

Le parallélisme entre les divers usages liturgiques et les in-


teprétations des Pères est frappant. Certes, les commentaires
patristiques développent aussi d'autres aspects: on y trouve, en-
deça de la typologie, des interprétations littérales, mais aussi,
au-delà de celle-ci, des applications morales et mystiques, visant
la vie spirituelle du chrétien. Cependant, comme la liturgie chré-
tienne célèbre essentiellement le mystère du salut chrétien, il
est normal que celle-ci mette au premier plan la lecture christo-
logique et ecclésiale des textes de l'Ancien Testament. Il n'y a
teoutefois aucune exclusive vis-à-vis du sens spirituel et mysti-
que 35,
La méthode essentielle de la lecture liturgique des psaumes
est fondée sur l'intelligence profonde, en relation avec le mystère
du Christ, de toute une série de verbes, de substantifs ct d'adjec-
tifs: ainsi en va-t-il, pour les textes examinés ci-dessus, d'expres-
sions comme libre parmi les morts CPs 87), de verbes comme se
lever, s'éveiller, régner, monter, ainsi que des substantifs et

J~ En Orient les anavathmi de l'Orthros byzantin du dimanche. en Occident


les «oraisons psalmiques)) se rattachent à l'interprétation mystique ou spiri-
tuelle. Pour ces dernières, cfr. P. VERBRUŒN, Oraisons sur les 150 Psaumes, Pa-
ris 1967.
VERSETS PSALMIQUES DE PAQUES ET DE L'ASCENSION 243

d'adjectifs correspondants. Parfois, c'est un psaume entier qui


est rapporté à tel ou tel mystère - ainsi le Ps 87 pour la Passion
et la mise au tombeau - , parfois c'est un verset ou un groupe
de versets - ainsi Ps 23,7-10 et 46,6-10 pour l'Ascension ou 17,10-
12 pour évoquer la descente et la remontée du Fils de Dieu dans
toute son ceuvl'e, de l'Incarnation à l'Ascension. Il arrive aussi,
dans l'usage liturgique, qu'un simple terme détermine l'usage
d'un verset: ainsi à Byzance, à Milan et à Tolède pour Ps 77,65:
Le Seigneur s'est réveillé com11'ze un dormeur, et en Occident pour
Ps 138,18 Je suis ressuscité, évoquant le mystère de la Résur-
rection.
Cette méthode ne fait que prolonger celle du Nouveau Testa-
ment et la tradition d'interprétation des Pères apparaît claire-
ment en continuité avec celle-ci. C'est dans cette ligne que s'inscri-
vent les grands choix des rites de la liturgie chrétienne. Il arrive
même que cct usage soit universel dans la diversité géographique
des rites: ainsi Ps 117,24 Voici le jour que le Seigneur a fait,
pour la fête de Pâques; Ps 2,7 Tu es mon Fils: moi je t'ai en-
gendré aujourd'hui et Ps 109,3 Du sein, avant l'étoile du matin,
je t'ai engendré, pour la fête de la Nativité.
Cette manière de lire l'Ancien Testament s'enracine dans
l'intuition la plus profonde de l'Eglise des premiers temps. Selon
la parole de l'Apôtre, «quand on se convertit au Seigneur, le
voile est enlevé» (2 Cor 3,16). La lecture de l'Ancien Testament
se fait dans le rayonnement du mystère du Christ mort ct res-
suscité.
Quant à la méthode de prière psalmique - prière du Christ
ou prière au Christ - les deux orientations se retrouvent mêlées
dans la tradition patristique et liturgique, comme dans le Nou-
veau Testament. Il arrive que tel psaume ou passage psalmique
exprime la prière du Christ lui-même (Ps 87; 3,6; Il,6). Mais dans
d'autres cas, c'est une révélation prophétique sur l'œuvre du
Christ (Ps 46,6-9 et 67,19 et 92,1-2). Le Dieu dont on parle dans
le psaume est le Christ lui-même. L'Eglise y médite la prophétie
sur l'œuvre du Christ ou s'adresse au Christ-Dieu (ainsi en Ps
7,7-8; 81,8 et 101,14).
De la sorte, c'est toujours le mystère du Christ, son «écu-
nomie ), qui d'une manière ou d'une autre est méditée par la
lecture du texte psalmique.
André ROSE
LE CHRIST DANS LE CYCLE

DES FÊTES DE L'ÉGLISE ORTHODOXE

Ce que tout d'abord je me propose dans cet exposé n'est pas


d'examiner en détail le contenu christocentrique de chaque fête
de l'Eglise orthodoxe, mais d'indiquer au point de vue phénomé-
nologique les principaux éléments christocentriques ou christo-
logiques du cycle des fêtes orthodoxes. Cette indication, qui va
toucher autant l'aspect matériel que l'aspect formel, va aussi se
borner à une série de neuf points, que je vais traiter tout de suite.

1 - L'institution des fêtes ne fut pas un caprice de l'Eglise.


Elle repose au contraire sur des raisons christologiques bien
profondes. C'est qu'en effet le Christocentrisme représente autant
la différence spécifique par laquelle le calendrier chrétien des
fêtes se distingue du calendrier judaïque, que l'entéléchie qui
détermine et anime le développement du cycle des fêtes dans sa
totalité. Ce cycle, tout au long de sa formation historique, a été
soumis et a obéi le plus souvent à un principe normatif et
unifiant précis, à une idée fondamentale et directrice. « Le plus
souvent », disons-nous, parce que sûrement, dans l'évolution du
cycle festif se sont ingérés des éléments qui n'obéissent pas à
ce principe et à cette idée, mais qui jouent un rôle secondaire.
Exception faite de ces déviations futiles, cette évolution signifie
un élargissement, un enrichissement aussi, mais théologiquement
rien n'est changé: l'unité du mystère pascal demeure. Quant au
catalogue orthodoxe des fêtes, il se présente dans son ensemble
comme une unité et une totalité qui se développe et évolue orga-
niquement, et qui est régie par un ordre intérieur. Cet ordre
tient au fait que ces nouveaux éléments, qui se sont développés
tout au long des siècles, n'étaient pas rangés dans des unités
sans rapport entr'elles, mais classifiés dans un système de cercles
multiples qui, tout en s'élargissant de plus en plus, se sont tou-
jours articulés l'un après l'autre et de façon concentrique. C'est
pour cela que ces nouveaux éléments, à travers lesquels on peut
saisir et la direction unique et la cause créatrice - malgré leur
diversité morphologique et malgré la différence concernant le
24~6__________________
E_VA_N~G_E_L_O_S_T_H
__ E_O_D_O_R_O_U________________

lieu et le temps de leur provenance, - ne constituent pas, d'une


certaine manière, des plantes différentes, séparées l'une de l'autre,
mais ils constituent les branches d'un arbre spirituel un et iden-
tique. Ces branches ont surgi, par étapes successives, de la
même racine et du même tronc central, auquel ils sont toujours
demeurés organiquement liés, et auquel ils puisent encore leur
sève vitale.
La complexité des branches et des rameaux d'un arbre -- on
le sait bien, -- de même que leur diversité morphologique et leur
différentiation telles qu'elles se manifestent inévitablement à
l'extérieur par rapport à leur racine, cela ne trouble d'aucune
façon l'unité de cet arbre qui continue d'évoluer et d'être vivifié
par la même entéléchie et sève vitale. Pareillement, la variété
des fêtes (fêtes de la semaine et fêtes de l'année, fêtes majeures
et fêtes mineures, fêtes mobiles et fixes de Notre Seigneur,
fêtes de la Vierge, fêtes de Saints, fêtes commémorant des évé-
nements divers); la variété aussi des éléments propres à chaque
fête; les vigiles et les octaves, les vêpres et les matines des fêtes;
l'ensemble de leurs hymnes et spécialement les diverses odes des
« canons}) des matines; la variété représentée par tout ce qui est
lu, chanté, accompli, entendu et vu durant les diverses fêtes:
tout cela ressemble à la variété des sons et des instruments qui
fait plus riche et plus attrayant l'accord unique du cycle des
fêtes, dans lequel le ton fondamental, du prélude au final, est
représenté par l'invitation à la rencontre et à la participation
existentielle au Christ, en vue d'une communion vivante avec Lui.

2 - Dans la vie liturgique de l'Eglise toute catégorie ontolo-


gique immanente de l'espace et du temps est franchie, tandis que
sont révélées les dimensions du "temps liturgique" ou du
« temps concentré ». Dans ce « temps »-ci il arrive que d'une part
le passé, le présent et l'avenir se joignent en une unité dans
laquelle l'éternité se croise avec le temps et est vécue, elle, dans
le présent; d'autre part, que terre et ciel s'unissent en une réalité
dont la signification n'est pas physique ou astronomique, mais
théologique, christologique, ecclésiologique, anthropologique,
eschatologique.
Sur la base du {( mémorial» propre aux fêtes, il nous est
donné de transcender le fractionnement du temps. Par là encore,
la vie terrestre du Christ est reproduite d'une façon réelle et
commémorative. Toute la célébration de la fête est engagée dans
LE CHRIST DANS J 'HEORTOLOGIE ORTHODOXE 247

cette actualisation des choses passées. En effet, nous n'avons pas


été sauvés par le Christ autrefois seulement, mais nous somlnes
sauvés aujourd'hui. Dans la célébration des fêtes, " c'est la parole
de l'Ecriture qui s'anime et prend vie ».
Pour ceux d'entre vous qui comprennent l'allemand, pero
mettez·moi d'ajouter ce que Friedrich Heiler dit dans son ouvrage
Urkirche und Ostkirche; il dit précisément que les fêtes sont
« nicht nur Erinnerungen, an die Heilsgeschehnisse, sondern
sie sind diese Geschehnisse selber; die Glaubigen wohncn dem
einmal vollzogenen Geschehen bei und erwecken es dadurch zu
neuem Leben. So sind die Festc nicht nur Gedenkfeiern, sondern
geheimnisvolle Handlungen, Christophanien »' (p. 335). A noter
que F. Heiler mentionne ici l'ouvrage de S. Boulgakof: Le ciel
sur la terre.
Dans les fêtes du Seigneur nous participons aux" Christopha·
nies », c'est·à-dire aux différentes étapes de la vie et de l'activité
rédemptrices du Christ, ainsi qu'à la richesse des biens qui ont
émané d'elles. Et précisément parce que nous, comme êtres li-
mités, ne pouvons pas comprendre en une seule fois toute cette
richesse, l'Eglise l'a distribuée en une série des fêtes distinctes
et particulières. Celles-ci pourtant font, d'une certaine manière,
apparaître sous le soleil l'œuvre rédemptrice du Seigneur et con-
tribuent à ce que d'elle émane tantôt l'un, tantôt l'autre de ses
éclats et rayonnements. Mais de tous ces aspects et manifesta-
tions, c'est toujours l'unique et même Soleil qui rayonne, c'est-à-
dire le Seigneur, le Christ.
Les fêtes du Seigneur ne sont pas, elles, un simple souvenir
ou, en un certain sens, un enseignement illustrant la vie du Sei-
gneur en général. Elles ne se limitent pas même à rappeler sim-
plement l'œuvre rédemptrice du Sauveur incarné, mais, bien plus,
elles font apparaître cette même œuvre comme une réalité vi-
vante et présente, qui se renouvelle toujours en notre faveur.
C'est le trait saillant des fêtes du Seigneur de faire résonner par
excellence l'" aujourd'hui» (cr~fL.POV) du salut, et d'employer au
présent les expressions relatives au temps. Tous les différents
aspects de l'œuvre rédemptrice du Christ demandent à être

J « . non seulement des souvenirs des événements du salut, mais sont,


elles, ces événements eux-mêmes: les fidèles sont présents à l'événement jadis
aeeompii et J'éveillent à L1ne nouvelle vie. Voilà pourquoi les fêtes ne sont pas
seulement des célébrations de souvenirs, mais des actions mystérieuses, des
Christophanies 1>.
248 EVANGELOS THEODOROU

déployés ou se déployent déjà ou même vont être déployés tout


près de nous et devant nous, de sorte que nous devenions réel-
lement contemporains des événements salvifiques, et que nous
les vivions concrètement comme témoins oculaires de ceux-ci.
C'est ainsi que par le cadre de l'économie christologique des
fêtes nous sommes appelés et invités à participer à la vie de
Jésus Christ dans l'expérience existentielle de notre rencontre
avec Lui.
Voilà maintenant quelques expressions tirées des hymnes
des fêtes.
Au lundi de la sixième semaine de Carême, nous chantons:
«Avec les palmes de la vertu portons les rameaux de la pureté
pour rencontrer le Christ notre Dieu, qui sur un ânon s'avance vers
Jérusalem ».

Au jeudi de la même semaine, nous chantons:


«L'Enfer attend sa perdition, car la Vie s'approche pour
ressusciter Lazare ... et briser l'empire de la mort }),

Au Dimanche des Rameaux:


«Frères, présentons les palmes de nos vertus au Christ, quj
marche pour nous vers sa volontaire immolation ».

Au Lundi Saint de la Grande et Sainte Semaine, nous


chantons:
({ Venez, célébrons ce mystère, allons à sa rencontre avec nos
chants, car le Créateur s'avance pour souffrir sur la croix ».
«Accompagnons le Christ sur la montagne des Oliviers: avec
les Apôtres, mystiquement passons la nuit et veillons avec Lui ».

Au Vendredi Saint, nous disons:


«Aujourd'hui est suspendu à la croix Celui qui suspendit la
terre sur les eaux; d'une couronne d'épines le Roi des Anges est
couronné, d'une pourpre dérisoire Il est revêtu, Lui qui revêt le
ciel de nuées; Celui qui dans le Jourdain a libéré Adam, accepte les
coups et les soufflets; l'Epoux de l'Eglise est percé par les clous;
le Fils de la Vierge, d'une lance est transpercé. 0 Christ, nous
adorons ta Passion; montre-nous ta sainte Résurrection! )).

Au Dimanche de Pâques:
« Hier, avec Toi, ô Christ, moi j'étais enseveli; avec Toi je me
réveille aujourd'hui prenant part à ta Résurrection ».
LE CHRIST DANS L'HEORTOLOGIE ORTHODOXE 249

3 - Le caractère christocentrique des fêtes dédiées à la Vierge


Marie est tout à fait évident.
Le culte de la Mère de Dieu est totalement fondé sur les
aspects théophaniques et ch,-istophaniques de sa vie et de ses
actions. C'est dans les hymnes mariales que ces aspects, se rap-
portant spontanément au mystère du Christ, trouvent leur
spécifique accentuation. Selon ces hymnes, en effet, la Mère de
Dieu
« a conçu d'une façon merveilleuse le Verbe jaillissant éternelle-
ment du Père});
« a conçu la Sagesse et le Verbe de Dieu});
« a nourri de son lait le nourricier de l'univers });
« est le tabernacle immaculé de la vraie Lumière});
« est le livre vivant du Christ, scellé par le sceau de l'Esprit});
(( a enfanté le fruit suave et le parfum de notre Roi »;
(( (est) le trône, le palais et le siège du Roi});
« (est) l'échelle céleste par laquelle Dieu descendit »;
« (est) la Mère de l'Agneau et du Bon Pasteur »;
(( (est) la clef du Royaume du Christ}).

Même les fêtes des Saints ne font, en dernière analyse, que


mettre en avant le Christ. Elles proclament en effet les merveilles
du Christ dans ses serviteurs. Tout le culte des Saints n'est
qu'un aspect du mystère pascal du Seigneur.
Les Saints, imitant la vie, la passion, les souffrances et la
mort du Christ, ne font que refléter l'unique Modèle, tandis que
leur intercession ne monte vers le Père qu'en passant par l'unique
Médiateur. Les Saints sont donc les témoins, les athlètes et les
soldats du Christ, qui ont milité pour le Fils unique de Dieu et
ont confessé le Seigneur de l'univers.
Les fêtes des Saints mentionnent le mystère de leur union au
Christ: union spirituelle qui est une unité organique des Saints
avec le Christ ainsi que les Saints les uns avec les autres.
La {( communia Sanctorum» est « une authentique Christo-
phanie ». Le Prophètes annoncèrent l'avènement du Christ: ils
furent les médiateurs de la Nouvelle Alliance du Christ. Les
Apôtres, de même que les [cra7t6cr-rof..Ot( = égaux aux Apôtres) sont
250 EVANGELQS THEODOROU

les hérauts et les perles brillantes du Verbe notre Dieu. La


passion des Martyrs est la passion du Seigneur, telle qu'elle se
continue dans les membres de son Corps Mystique. Honorer les
Martyrs, c'est honorer le Christ lui-même. La victoire des Martyrs,
qui portent les stigmates du Christ, est la victoire du Christ. Les
Ascètes, remplis de sagesse par la puissance du Christ, l'ont servi
en brisant la puissance de l'Ennemi. Les saints Pères rédigèrent
divinement le symbole de la foi, dans lequel ils proclamèrent
très clairement le Verbe coéternel au Père.
La Théotokos comme tous les Saints intercèdent sans cesse
auprès du Seigneur pour le salut de nos âmes et pour le monde
entier.

4 - Il est possible de constater que dans le cycle des fêtes


s'avère le principe d'Aristote selon lequel "le tout précède la
partie ". Cela veut dire que toutes les fêtes prises singulièrement
sont, par leur Christocentrisme, en rapport effectif avec le
" tout", c'est-à-dire avec le mystère pascal, qui est la grande
œuvre du salut accomplie par le Christ. Toutes les fêtes, in-
distinctement, se rapportent à ce mystère. Le contenu mystérique
d'une fête quelconque n'a rien de fragmentaire: il constitue
toujours le mystère, rappelé et contemplé à la lumière d'un fait
salvifique particulier que l'on célèbre et dont on attend une grâce
particulière qui nous rende conformes au Seigneur.
C'est cette vision du «( tout » qui explique pourquoi les
hymnes, en chantant les louanges d'une étape partielle de l'œuvre
rédemptrice du Christ, rappellent en même temps d'autres aspects
de cette œuvre. C'est ainsi encore que ces hymnes, avec· un
admirable et touchant dynamisme, tournent leur regard de la
Mort du Christ à sa Résurrection, de l'Ascension à la Naissance
et à l'Incarnation, etc. etc.
Voilà, par exemple, deux morceaux caractéristiques:
« Dans ton ineffable bonté Tu t'es incarné, ô Jésus; immortel,
Tu as bien voulu souffrir la croix et la mort, mais d'entre les morts
Tu ressuscitas le troisième jour et, le quarantième, Tu es monté
aux cieux d'où Tu étais descendu».
«Seigneur, qui racontera tes éclatantes merveilles? Qui annon-
cera tes mystères divins? Selon ton bon vouloir Tu t'es incarné
pour nous et Tu manifestas force et puissance, par ta croix Tu as
ouvert au larron le Paradis, au tombeau Tu as brisé les verrous de
l'enfer, par ta résurrection Tu as comblé l'univers».
LE CHRIST DANS L'HEORTOLOGIE ORTHODOXE 251

Elles sont innombrables les hymnes qui prouvent que lorsque


nous fêtons une étape partielle de l'œuvre rédemptrice du Christ,
nous savons que le Christ a déjà réalisé son œuvre de salut
dans sa totalité et que toutes les Ecritures qui Le concernent ont
été accomplies (Luc 24,41).
Un lien intime existe donc entre les diverses fêtes, un lien
qui permet de les rattacher les unes aux autres et de les orienter
vers une même plénitude eschatologique.

5 - Les offices des fêtes amènent au contact avec la quintes-


sence de la Christologie orthodoxe, qui, selon la tradition des
Pères grecs de l'Eglise, est inséparablement liée à la Sotériologie.
Si on laisse de côté quelques élans poétiques, quelques exagéra-
tions et généralisations ou quelques illustrations dramatisantes
qu'on rencontre aux hymnes des fêtes, de même que certaines
choses dites et chantées « par licence poétique », on constatera
que les hymnes du cycle festif orthodoxe constituent en réalité,
le plus souvent, une expression particulière et plastique de la
Christologie, telle qu'elle apparaît dans l'expérience de l'Eglise.
Les textes des offices festifs ne sont ni des traités dogma-
tiques, ni des collections de définitions synodales. Les dogmes
christologiques néanmoins s'y trouvent bien assimilés et comme
distillés. Les fêtes sont en elles-mêmes la Christologie confessée,
appropriée, assimilée, convertie en prière et renforcée par l'unité
de foi avec les frères, bien mieux avec toute l'Eglise.
La Christologie sotériologique des textes liturgiques ortho-
doxes accentue et met fortement en relief l'élément de l'Incar-
nation, qui est elle-même rédemptrice, et le fait que le Christ
est Dieu-Homme, qu'en Lui a eu lieu l'union hypostatique des
deux natures. Cette Christologie, sans glisser à des analyses
pédantes, combat le docétisme ainsi que toutes les hérésies christo-
logiques; en employant des expressions simples, souples, con-
crètes, elle proclame les dogmes christologiques des Conciles
Oecuméniques, celui spécialement du Concile de Chalcédoine.
Tout cela explique pourquoi la Christologie contenue dans
l'" Heortologion" (= cycle des fêtes) est d'une part fortement
« cénotique », et de l'autre fortement « doxologique ».
En particulier, les textes des offices festifs condamnent
tous ceux qui essaient d'introduire dans le mystère du Christ
deux hypostases ou personnes. Par ces textes on exclut absolu~
ment une double adoration donnée à deux personnes distinctes,
252 EVANGELOS THEODORQU

de même qu'on exclut une seule adoration accordée uniquement


à la divinité du Christ. Il est vrai qu'il n'y a qu'une seule adoration
admise, celle précisément qui atteint la personne unique dans
laquelle se rencontrent et la divinité et l'humanité. Rien n'existe
en Christ qui soit seulement divin ou seulement humain, mais
l'un existe avec l'autre. L'union parfaite de l'humanité et de la
divinité en Christ a entraîné, en effet, leur compénétration
" énergétique »: c'est là la conception fondamentale de la péri-
chorèse.
Somme toute, les offices des fêtes contribuent à édifier une
Christologie authentique, à savoir une Christologie qui ne cède
ni à la tentation monophysite d'évaporer l'humanité de Jésus
dans sa divinité, ni à la tentation nestorienne de séparer l'huma-
nité de la divinité.
Il y a dans les hymnes des offices festifs d'innombrables
expressions se rapportant au mystère de l'Incarnation et des
deux natures en Christ. En voici quelques exemples:
«0 Christ, nOliS Te glorifions comme l'Un de la Trinité, qui as
pris chair de la Vierge sans changement et qui, sans quitter le sein
paternel, t'es uni à notre destinée humaine»,
"Celui qui se revêt de lumière comme d'un manteau, a revêtu
la nature humaine ».
« . '. le Fils unique, le reflet du Père intemporeL, .. ineffable-
ment s'est incarné ».
« ' •• Il est Dieu par nature, et par nature s'est fait homme pour
nous sauver ».
Cf Par ton incarnation Tu assumas de la nature humaine tous
ses aspects ».

L'Incarnation est aussi le fondement christologique de l'icone,


qui est partie intégrante de la liturgie et des fêtes. C'est pour
cela que nous chantons:
« En exposant, Seigneur, ton image corporelle pour la venerer,
nous annonçons le grand mystère du ton œuvre de salut. 0 Christ
ami des hommes, Tu t'es montré à nos yeux non par une pure appa-
rence, m.8js dans la réalité de la chair».

Par la Christologie des textes liturgiques orthodoxes est


aussi exalté le lien du Dieu-Homme avec l'histoire, de même
qu'est réduit à un non-sens tout effort pour « démythiser» et
pour «dékérygmatiser» la Christologie elle-même.
LE CHRIST DANS L'HEORTOLOGIE ORTHODOXE 253

A l'origine de la fête se trouve donc un événement décisif,


qui constitue un moment très précis de l'histoire. C'est l'idée
principale des hymnes orthodoxes et l'on tomberait dans quel-
que chose d'équivalent à l'ancien docétisme, si l'on renonçait à
établir un lien entre le Jésus de l'histoire et le Christ de la foi.
Pour employer la terminologie de Bultmann, il ne s'agit pas
seulement de «Geschichte », c'est-à-dire d'histoire subjective,
mais aussi d'{( Historie », à savoir d'histoire objective.
Les textes liturgiques exaltent autant le milieu humain et
cosmique où le Christ devait apparaître, que le fait qu'il n'y a
pas discontinuité entre Jésus et l'Eglise.

6 - La Christologie des offices festifs orthodoxes a! un


caractère fort apophatique. C'est pourquoi elle exalte sans cesse
le mystère du Christ. Voilà quelques expressions éloquentes:
L'Incarnation est « action étrange, mystère inouï ».
« L'ineffable mystère, c'est nous qui le proclamons, nous les
fidèles, en contemplant la Crucifixion que nul ne peut saisir, et ta
Résurrection que nul ne peut expliquer ».
« Seigneur, malgré les scellés apposés par les impies, Tu es
sorti du tombeau comme Tu es né de la Mère de Dieu, et comme
les Anges ne furent à même de s'expliquer ta mystérieuse Incar-
nation, de même les soldats ne purent observer le moment de ta
sainte Résurrection. Car cette double merveille est scellée pour les
savants, mais elle se révèle à ceux qui adorent avec foi le mystère
qu'ils célèbrent de leurs chants ».

Il s'agit donc d'un «mystère effrayant », d'une «merveille


vraiment mystère étrange et nouveau ».
L'élément apophatique de la Christologie du cycle des
fêtes orthodoxe est évident même quand, selon l'enseignement
biblique et la tradition patristique, il est combiné avec des
formules affirmatives (kataphatiques), qui sont pourtant déga-
gées de tout rationnalisme pédant.
Par ces formules, c'est la dimension dynamique qui vient
s'ouvrir. Cela veut dire que toute expression est susceptible
d'être intégrée dans une autre formule. Etant donné les limites
de la connaissance humaine, aucune formule ne peut réunir tous
les aspects de la révélation dans une perspective de synthèse.
Toutes les formules dogmatiques ne seront jamais à même de
rendre de façon exhaustive la plénitude des vérités de la foi.
254 EVANGELQS THEQDORQU
------------------------.----------------
Quant aux différentes formes d'expression, elles ne sont pas
interchangeables, mais elles se complètent mutuellement dans
un pluralisme de formulation.
Il faut noter à ce propos que les textes liturgiques utilisent
des images courantes et des symboles empruntés à la littérature
prophétique, apocalyptique, biblique et patristique. Quant au
langage christocentrique des offices en question, il est inséré
habituellement dans une forme historique et anthropomorphi-
que. Enfin, les expressions liturgiques visent constamment à
l'union soit des éléments immanents et transcendants, soit du
symbolisme et du réalisme.
En ce qui concerne en particulier la nature divine du
Christ, nous pouvons toujours nous référer à la formule classi-
que de Jacobi: "En formant l'homme, Dieu s'en tenait à des
considérations théomorphiques; c'est pourquoi, nécessairement,
l'homme s'en tient à des considérations anthropomorphiques ».
C'est par là qu'on a fait toujours recours au symbole.« Il y a deux
critères - dit J. Hessen - qui déterminent de façon essen-
tielle un symbole: d'abord le rapport avec une réalité donnée
et l'intention de la représenter sous sa propre identité; ensuite,
la conscience de ne pouvoir identifier cette réalité que de façon
insuffisante, c'est-à-dire que le symbole n'est qu'une expression
certes juste, mais en même temps tout à fait imparfaite de
cette réalité, rien d'autre qu'une parabole ». Et S. Boulgakof
de dire: «La définition de la nature divine ... n'est ... qu'une
analogie, comprise néanmoins d'une façon réaliste, c'est-à-dire
que l'on y conserve non seulement toutes les distinctions d'état,
mais aussi l'identité de l'être ».

7 - La Christologie du cycle festif possède aussi, dans sa


globalité et dans son dynamisme, une dimension cosmologique
qui rappelle d'une certaine façon l'enseignement de Teilhard de
Chardin. D'après cet enseignement, le Christ est" le point omé-
ga» de notre développement total dans l'histoire du monde.
Et la liturgie orthodoxe ne fait que développer la Christologie
d'Irénée où l'on trouve toujours exalté le thème central de
l'Epître aux Ephésiens: la récapitulation dans le Christ de
toutes choses, de tous domaines ontologiques, des êtres célestes
ainsi que des terrestres (Eph 1,10).
C'est par là que l'œuvre rédemptrice du Christ conduit au
renouveau non seulement de l'homme, mais du monde tout
LE CHRIST DANS L'HEORTOLOGIE ORTHODOXE 255

entier. C'est toute la création matérielle qui prend part à la joie


de ce renouveau. Le salut, en effet, comprend un renouvellement
de tout notre être; mais celuiRci étant lié au cosmos, il comR
prend aussi un renouvellement de l'univers avec celui de l'hom-
me. On peut dire que l'ordre global du monde reçoit tous les
reflets et tous les rayons de la Lumière incréée telle qu'elle s'est
manifestée au Mont Thabor. Et l'hymne pascal souligne bien
l'invitation à ce que
« le Ciel se réjouisse comme il convient et la Terre soit avec lui
dans la joie! Qu'à cette fête prenne part l'univers tout entier, le
monde visible et le monde immatériel ).

Dans cette récapitulation cosmique et hypercosmique ac-


complie dans le Christ et incluant, rectifiant, complétant les
perspectives évolutionnistes de l'humanisme moderne, tel qu'il
est évoqué par les sciences physiques et biologiques, on peui
reconnaître le principe à partir duquel pourrait se développer
le seul humanisme vraiment intégral.
La gloire du Christ est virtuellement gloire de toute la
nature humaine. C'est par là qu'on explique pourquoi la Christo-
logie des textes liturgiques orthodoxes est le meilleur fonde-
ment de l'espoir eschatologique et de la théologie de l'espérance.
En Christ - chacun le sait - l'homme participe de nouveau
à la vie éternelle que Dieu lui a destinée. Or, suivant les expres-
sions des hymnes, le Christ,
« sorti du sein paternel, s'est lui-même anéanti, assumant notre
humanité tout entière pour la diviniser )).

Et c'est le jour de l'Ascension que


« les puissances d'en-haut voient notre nature dans les cieux».

8 - Un autre enseignement fort important du cycle festif,


c'est que le Christ ne glorifie pas la nature humaine d'une
manière mécanique ou magique ou automatique ou coercitive.
Cela présuppose au contraire l'appropriation personnelle de
l'œuvre de la rédemption dans la liberté, appropriation qui
s'accomplit par l'incorporation personnelle au Christ Lui-même,
par la conformation à Lui et par l'imitation de sa vie.
Pour ce qui concerne spécifiquelnent l'imitation du Christ,
la prétention assez répandue selon laquelle cette idée est in-
256 EVANGELOS THEODOROU

connue dans la spiritualité orthodoxe est démentie par les


textes liturgiques orthodoxes eux-mêmes. C'est de façon unani-
me qu'ils enseignent que la célébration des fêtes doit aboutir
à une imitation plus parfaite du Christ pour s'unir entièrement
au Seigneur. Afin que le don de la fête soit pleinement épanoui,
il faut imiter le Christ. En d'autres termes, le temps des fêtes
est le temps de l'appropriation subjective, de la part de chacun,
du salut objectif. La rédemption suppose évidemment la li-
berté humaine pour être reçue ou rejetée. Elle n'est en effet
que virtuelle et ses effets resteraient à l'état de pures potentia-
lités, si nous n'étions pas personnellement incorporés au Christ,
associés effectivement à tout son mystère et cela justement par
son imitation. La célébration d'une fête ne va donc pas sans
participation par une vie donnée en oblation au Seigneur.
Tout cela, les expressions suivantes en donnent un témoi-
gnage très caractéristique:
« Imitons par notre vie celle de Jésus ».

« Dans l'humilité suivons l'exemple du Christ ».

« Le Seigneur, en jeûnant en homme nous donne l'exemple et


triomphe de la tentation ».
I(Le Sauveur ... nous a montré comment on s'élève en s'humi-
liant, car Lui-même a lavé les pieds de ses disciples ».
« Le Seigneur veut la conversion de nos cœurs ».

« Tourne-toi vers le Seigneur, accomplissant de bonnes actions ».

« A tes disciples, Seigneur, Tu as dit: Prenez modèle sur moi ».

« Suivons les traces du divin Crucifié en mortifiant nos passions 1),

« Venez, purifions nos pensées pour marcher avec Lui, laissons-


nous crucifier comme Lui, en Lui mourrons aux plaisirs de la vie,
afin de vivre avec Lui ».
( Seigneur, donne-nous les larmes qui nous purifient, imprègne
en nos pensées ton amour, la foi, la charité, le repentir ».

Ce sont encore les textes liturgiques qui montrent avec


force que les chrétiens doivent vivre la Pâque du Christ, imiter
sa Passion, afin de ressusciter avec Lui. En d'autres termes, tout
chrétien est appelé à reproduire en lui-même le mystère pascal
de son Seigneur:
«Gravissons la montagne des bonnes actions, et par le jeûne
libérons-nous de nos impulsions terrestres et de l'aiguillon du
LE CHRIST DANS L'HEORTOLOGIE ORTHODOXE 257

plaisir; pénétrons dans l'obscure nuit de la sublime contemplation


pour ne voir rien d'autre que l'aimable bonté du Christ le long
de la mystique voie de la divine ascension».
« Tenant nos lampes allumées, comme au-devant de l'Epoux,
allons à la rencontre du Christ ressuscité».

« Purifions nos sentiments, et nous verrons le Christ resplendis-


sant de l'inaccessible clarté de sa Résurrection».

C'est aux fêtes des Saints d'accentuer l'idée de l'imitation


du Christ en proposant l'imitation des Saints eux-mêmes. Voilà
quelques expressions des textes liturgiques:
« Nous devons imiter leurs vertus, la justice, la chasteté, le
courage, l'intelligence».

{( Travaillons avec zèle pour le Seigneur, car il confie sa richesse


à ses serviteurs. Et que chacun multiplie le talent de la grâce! Que
l'un procure la sagesse en faisant du bien, que l'autre assure le ser-
vice d'illuminer, qu'un fidèle partage sa science avec les non-initiés,
qu'un autre partage ses biens avec les indigents! ».

9 - En tant qu'homme, le Christ apparaît dans les textes


héortologiques orthodoxes comme le meilleur modèle pédagogi-
que et comme la force motrice de toute saine civilisation.
Le Christ, en effet, y apparaît sans altérations manichéen-
nes, sans déformations ou mutilations quelconques, mais comme
homme "ayant été éprouvé en tout, à notre ressemblance, à
l'exception du péché" (Héb 4,15). On voit ainsi les textes relater
son amour du recueillement et de la solitude et rappeler les
nuits fréquemment passées en prière. Si le Christ est homme
contemplatif, Il est en même temps homme d'action. Il incarne
en Lui-même le véritable modèle pédagogique et humaniste, car
Il harmonise et hiérarchise parfaitement toutes les valeurs. Les
biens matériels, les valeurs biologiques et la sphère corporelle,
c'est par le Seigneur Jésus qu'ils ont été bénis. Il est venu
guérir les malades. Comme le dit très bien l'une de nos hymnes
à propos du mariage, celui-ci
« est digne d'honneur, sans reproche (est) le lit nuptial, car le
Christ les a bénis lorsqu'aux. noces de Cana, revêtu de notre chair,
il changea l'eau en vin».

Le Christ a aussi reconnu l'état et les valeurs politiques,


Lui qui a été le modèle d'une saine sociabilité en fréquentant
25~8_ _ __ EVANGELOS THEODOROU

les humains, « en guérissant et faisant du bien à tous », en


acceptant des invitations à des mariages, à des festins et à
des banquets amicaux. C'est bien cette acceptation qui lui a valu
l'accusation par ses ennemis d'être « gourmand et buveur du
vin". Et même il a parfois mangé à la table des riches, ainsi
qu'à celle des publicains ou des pharisiens. Lui, le Christ, aime
fréquenter les pécheurs.
A tout cela il faut ajouter que le Seigneur a été personnelie·
ment l'affirmation des valeurs cognitives, Lui le Verbe incarné,
le Prince de Sagesse, l'incarnation de la Vérité, de la connais·
sance et de la sagesse absolues, Lui encore la Voie, la Vérité et
la Vie:
Il 0 Christ, accorde-moi le flot de l'ineffable Sagesse et de la
Connaissance d'en-haut, Toi Lumière des cœurs enténébrés! ».

C'est Lui encore, le Christ, qui représente l'affirmation hors


de pair des valeurs esthétiques en étant Lui·même l'incarnation
ct la promotion du beau, le symbole éternel de la " beauté uni·
verselle », " le plus beau des fils des hommes ", celui qui remar·
que la beauté des lis des champs, celui qui considère "bonne
œuvre" le geste par lequel une femme Lui offre un parfum
très précieux, celui qui veut célébrer sa mystique cène d'adieu
dans une grande chambre placée en haut et garnie de coussins,
celui enfin qui porte une tunique précieuse, sans couture,
« tissée tout d'un pièce de haut en bas» par une seule fem-
me, etc. etc.
Pour terminer, le Christ apparaît comme la plus haute in·
carnation des valeurs morales et de la fidélité aux lois, celui
qui n'a pas commis de faute, celui qui nous a laissé un modèle
afin que nous suivions ses traces (cf. 1 Pie,. 2,21), celui qui est
le bien et le modèle sublime, dont l'appropriation doit consti-
tuer le but final de tout sain effort d'éducation et d'humanisa-
tion. Effort qui doit viser" jusqu'à ce que le Christ soit formé
en nous" (Gal 4,19).

* * *

De tout ce qui a été dit jusqu'ici, on peut conclure que le


Christ est autant la cause efficiente et formelle que la cause
finale des fêtes. Toutes les fêtes du calendrier sont des fêtes
LE CHRIST DANS L'HEORTOLOGIE ORTHODOXE 259

christocentriques. En particulier, les hymnes de leurs offices


contiennent des expressions qui n'ont rien à envier aux formu~
les des conciles œcuméniques ou à l'enseignement de l'Eglise.
La Christologie du cycle héortologique, en tant que foi vécue
par l'Eglise, est le centre des perspectives de la théologie tout
entière.
Ce sont là les trois dimensions propres à la célebration des
fêtes de l'Eglise orthodoxe, c'est-à-dire:
a) la référence à un événement historique, dont nous
célébrons la mémoire;
b) la référence à la présence actuelle du Seigneur en
gloire, présence qui rejoint son sommet dans la célébration de
l'Eucharistie;
c) la référence à l'espérance eschatologique, qui produit
le dynamisme du renouveau et de la récapitulation de tous et
de tout dans le Christ.
Les fêtes sont, elles, source de vie spirituelle, expression
de l'esprit d'une foi bien vivante. Au dire de S. Grégoire de
Nazianze, "ce que nous célébrons est bien au-dessus du monde
présent et dépasse les choses de la terre. Ce que nous fêtons
n'est pas à nous, cela appartient à celui qui s'est livré pour
nous, à celui qui est le Seigneur. Nos fêtes ... servent à notre
salut" (PG 36, 316).
En conclusion, la célébration des fêtes est le moyen et l'aide
indispensables pour l'enseignement catéchistique et pour l'acti-
vi té pastorale.

Evangelos THEODOROU
Recteur de l'Université d'Athènes
260 EVANGELOS THEODOROU

BIBLIOGRAPHIE UTILIS~E

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Pentecostaire, Traduction de D. GUILLAUME, t. 1-2, Rome 1978.
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE »

FRONTIÈRE ENTRE LA CHRISTOLOGIE ET LA CHRISTIANOLOGIE


SELON DES SOURCES LITURGIQUES OCCIDENTALES
(De la méthode à la théologie liturgique)

« Il n'est aucun don plus grand que Dieu puisse accorder


aux hommes que de faire de son Verbe leur Chef, pour lequel il
créa toutes choses. Il ne pouvait rien leur accorder de plus grand
que de les unir à lui comme membres, faire que le Verbe soit
en même temps Fils de Dieu et Fils de l'Homme, un seul Dieu
avec le Père, un seul homme avec les hommes, de telle sorte
que dans la prière nous parlons à Dieu sans exclure le Fils (du
Père) et quand prie le Corps du Fils, il ne se sépare pas de sa
Tête mais tout se passe de façon que lui, unique sauveur de son
Corps, Notre Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, prie lui-même
pour nous, prie en nous, et est prié par nous. Il prie pour nous
comme notre prêtre, en nous comme notre Chef, par nous com-
me notre Dieu. Reconnaissons donc en lui notre voix et sa voix
en nous» '. Danc ce passage d'Augustin, spécialement la dernière
partie, se trouve déjà synthétiquement concentrée notre relation
qui comprendra quelques remarques et précisions préliminaires.
Ayant ensuite procédé à l'analyse des données provenant de cer-
taines sources liturgiques occidentales, nous terminerons par des
considérations diverses. Il est certain qu'en ce qui concerne par-
ticulièrement le contenu des sources liturgiques, il apparaîtra
qu'en vérité Jésus, Fils du Dieu vivant, se trouve au centre de
toute la vie chrétienne. Un travail plus approfondi mériterait
d'être conduit à partir de notre relation, pour faire émerger du
dépôt eucologique l'immense et très documentée anthologie de
textes qui serviraient à démontrer un principio aureo régissant

1 A. AUGUSTINUS, Enarratio in Ps, as, 1 (PL 37,1081; Corpus Christianorum


39. 1176).
262 ACHILLE M. TRIACCA

l'eucologie: le Christ est vraiment la vie; en Lui tout se résume,


avec Lui nous vivons et existons; par Lui nous allons au Père dans
l'Esprit.

1. QUELQUES REMARQUES ET PRÉCISIONS PRÉLIMI-


NAIRES

Ainsi que l'a déjà démontré le P. Cyprien Vagaggini, litur-


giste bien connu, « ... il est facile de se rendre compte dans
quelle mesure la conscience christologico-trinitaire dans la vi-
sion scripturaire du schéma a, per, in, ad, eut une influence capi-
tale sur la psychologie religieuse des premières générations chré-
tiennes» 2. De cette conscience christologique, nous trouverons
des traces dans un échantillonnage de sources liturgiques de
l'occident chrétien. Concrètement, nous nous arrêterons à la sui-
vante {( collection d'échantillons »: une source liturgique ro-
maine: le dit Sacramentaire de Vérone 3; une source hispano-
visigothique: le Liber Orationum Psalmographus '; une source
ambrosienne: le Sacramentaire de Bergame '.

A. Motifs du choix des sources

Les motifs du choix d'un tel échantillonnage sont divers.


Nous en évoquerons certains pour l'utilité du lecteur de notre
relation.
1) D'abord, il nous semble utile de tenir compte de l'harmo-
nie des diverses sources liturgiques occidentales, soit qu'elles
proviennent du milieu romain, soit an1brosien, soit hispano-visi-

~ Cfr. C. VAGAGGINI, Il senso tcologico della liturgia. Saggio di liturgia teologica


generale (Roma ~1965) 208; spécialement Chapitre VIII: DaI Padre, per Cristo
nello Spirito Santo, al Padre: la liturgia e il movimento crislologico-trinitari.:;
dell'economia divina (pp. 196-242).
l Ve = L.C. MüHLBERG [L. ErZENHOFER - P.SIFFRIX] (edd.), Sacramenlarium Ve-
rOl1ense (Cod. Bibl. Capit. Veron LXXX[BOJ) = Rerum Eccesiasticarum Docu-
menta. Series Maior. Fontes l (Roma ~197B).
4 LOPs = 1. Pr:-';UL (ed.), Liber Oratiol1um Psalmographus. Colectas de Sal-
mos deI antiguo Rito Hispdl1ico. Recomposici6n .Y edici6n critica = Monumenta
Hispaniae Sacra. Serie litùrgica. Vol. IX. Consejo Superior de Investigaciones
Cientificas. Instituto P. Enrique F16rcz (Barcelona-Madrid 1972).
S Ber = A. P.o\REDI (ed.), Sacramentarium Bergomcnse. Manoscrirto dei se-
colo IX della Biblioleca di S. Alessandro in Colonna in Bergamo = Monumenta
Bergomensia, VI (Bergamo 1962).
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 263

gothique 6. Fondamentalenlent, elles se rejoignent en ce qui con-


cerne leur contenu. Ceci sera une preuve supplémentaire de la
catholicité (au sens étymologique du terme) du fond commun
du « dcpositum fidei christologicum » ou mieux, une preuve ulté-
rieure du principe bien compris que « l'on croit ce que l'on
prie et l'on prie ce que l'on croit » 7.

2) Il faut aussi tenir compte de ce que les trois sources


que nous considérons couvrent une période de temps d'un den'li
millénaire.
En effet, on sait que le Sacramentaire de Vérone pris com-
me collection, remonte à la seconde moitié du VI" siècle".
Considéré comme témoin de formes eucologiques typiques,
il nous offre alors des compositions qui remontent au V· siè-
cle!l, se référant à divers auteurs comme aux papes Sirice
(393-398) l", Léon le Grand (440-461) n, Gélase (492-496) ", Vigile

6 Avec la même ou l'analogue méthode nous avons déjà traité le sujet de la


foi dans la liturgie. Voir A.M. TRIACCA, «Fides magistra omnium credentium)J.
Pédagogie liturgique: pédagogie ({ de la foi» ou «par la foi »? (Contribution des
SOtlrCes liturgico-eucologiques à l'intelligence d'un problème actuel). dans: A.M.
TRTACCA - A. PISTOIA (edd.), La liturgie expression de la foi. Conférences Saint-
Serge. xxve Semaine d'études liturgiques. Paris, 27-30 1978 (Roma 1979) 265-310
spécialement 282-284.
1 Cfr. K. FEDERER, Liturgie und Glaube ({ Legem credendi lex statuat suppli-
candi" (Tiro Prosper von Aquitanien). Eine T/œologigeschichtliche Untersuchung
(Freiburg LS. 1950); C. VACAGCINI, D.C., 477-508 spécialement 496-508 (= Lex orandi
lex credendi, reciprocD influsso della fede e della lirlugia); et les ponctua!isations
du prof. P. DE CLERCK, «Lex arandi, lex credendi". Sens origirtel et avatars histo-
riques d'un adage équivoque, dans: Questions Liturgiques 59 (978) 193-212: IDEM,
La prière universelle, expression de la foi, dans: A.M. TRTACCA - A. PISTOIA (edd.),
o.c., 129-146.
3 Cfr. L.C. MOHLBERG [CO EJZENHOFER - P. SIFFRINl {edd.), Q.c., LXlss; C. VOGEL,
Introduction aux sources de l'histoire du culte chrétien au Moyen Age (Spolcto
1966) 37-39.
9 Cfr. C. VOCEL, a.c., 33-35; E. BOURQUE, Etude sur les Sacramentaires Romains.
1. Les textes primitifis (Roma 1949) 81-169; A. CHAVASSE, Le sacramentaire Géla-
sien. (Vaticanus Reginensis 316). Sacramentaire presbytéral en usage dans les
titres romains au VII~ siècle (Paris - Tournai 1957) 64; 162; 206-211.
10 Cfr. J. JAKINl, S. Siricio y las cuatro témporas. Una investigaci6n sobre
las fuentes de la espiritualidad seglar y deI Sacramentario Leoniano (Valen·
cia 1958).
Il Cfr. C. CALLEWAERT, S. Léon le Grand et les textes du Léonien, dans: Sac ris
Erudiri 1 (1948) 36·164; E. DEKKERS, Autour de l'œuvre liturgiques de S. Léon le
Grand, dans: Sacris Erudiri 10 (1958) 368-398; A. LANG, Leo der Grosse und die
Texte des Allgelasianwns mit Berücksichtigung des Sacramentarium Leonianum
und des Sac/"atrJenlurium Gregorianum (Stey] 1957).
1! Cfr. B. CAPEU.E, Messes dH Pape S. Gélase dans le Sacramentaire de Vérone,

dans: IDEM, T'·avullx liturgiques II (Louvain 1962) 79-105: IDEM, Retouches géla-
siennes dans le Sacramentaire de Vérone, dans: ibi 106-115; C. COEBERGH, S. Gé-
lase ler auteur principal du soi-disant Sacramentaire Léonien, dans: Ephemeri-
264 ACHILLE IV1. TRIACCA

(537-555) 13. En d'autres termes, nous disposons d'un matériel qui


remonte à une période allant de la fin du IV" siècle, reflétant en
majeure partie le V' siècle tellement important pour les questions
christologiques.
Le Liber Orationum Psalmographus est un témoin de la
meilleure production liturgique du milieu hispano-visigothique,
le siècle d'or" de l'antique Espagne chrétienne, c'est-à-dire la pé-
riode qui comprend la fin du VI" siècle et tout le VII" siècle 15.
Ajoutons que selon les conclusions de diverses études 16, l'auteur
du Liber Orationum Psalmographus serait Léandre de Sévil-
le (t 600).
Quant au Sacramentaire de Bergame, comme manuscrit il
remonte au IX" siècle 17, mais il est le témoin d'une triple strati-
fication rédactionnelle 18 ainsi que ce fut démontré, à savoir: une
première rédaction remontant au V C siècle 19, une seconde au

des Liturgicae 65 (1951) 171·181; InEM, Le pape Saint Gélase 1er auteur de plusiett-
res Messes et préfaces du soi-disant Sacramentaire Lém1ien, dans: Sacris Eru-
diri 4 (1952) 46-102; IDEM, Saint Léon le Grand auteur de la grande formule «( Ad
virgines sacras» du Sacramentaire Léonien, dans: Sacris Erudiri 6 (1954) 282-326.
Il Cfr. A. CH.WASSE, Messes du pape Vigile (537-555) dans le Sacramentaire
Léonien, dans: Ephemerides Liturgicae 64 (1950) 161-213; 66 (1952) 145-219.
H Cfr. R. MENENDEZ PIDAL, Historia de Espana. III. Espana visigoda: 414-711
de J.C. (Madrid 1940): B. GARCIA LORC'\, Historia de la Iglesia Cat6lica. Edad An-
tigua (Madrid 1955); J. FERN,\NOEZ ALONSO, La cura pastoral en la Espaiia romano-
visiguda (Madrid 1955); J. FONTAINE, Isidore de Séville et la culture classique dans
l'Espagne Wisigothique, 2 voll. (Paris 1959).
15 Cfr. J. PINELL, LOPs [9O]-[102J; A.M TRIACCA, Liber Orationum Psalmogra-
phus. A proposito della sua ricomposizione e reeente ediziol1e eritiea, dans:
Ephemerides Liturgieae 87 (1973) 284-300.
16 Cfr. J. PIl'\ELL, LOFs [9]-[293J spécialement [90]-[95J; J. AWAZABAL, La doe-
trina eclesiolôgiea dei Liber Orationwn Psalmographus. Las eoleetas de salmos
del antiguo rito hispânico (Roma 1975); D. BOROBIO, La doctrina penitencial en el
Liber Orationum Psalmograplllls (Bilbao 1977).
11 Pour les études sur le Sacramentaire de Bergamo voir la bibliographie
citée dans K. GAMBER, Codices Liturgiei Latini Antiquiores (Freiburg S. 11968)
nr. 505, et spécialement: F. COMBAT.UZIER, Sacramentarium Bergomense. L'Edition
Paredi (1962), dans: Sacris Erudiri 13 (1962) 62-66; F. DELL'ORO, Saeramentari'!J.m
Bergamense (A proposilo di una edizione), dans: Salesia/mm 25 (1963) 74-80; et
aussi ce qu'on a écrit: O. HEIMING, dans: Arehiv für Liturgiewissenschaft IX/l
(1965) 331-336. Mais avant tout cc qu'on peut lire dans: Ber, VU-XXIX c.-à-d.
l'lntroduzione par l'éditeur A. PAREOL
1& Voir A.M. TRIACCA, La liturgia ambrosiana, dans: AA.VV., Anamnesis. In-
troduzione storieo-teologica alla LiIUl'gia. 2. La Liturgia: panorama storico
generale (Torino-Roma 1978) 89-110. (NB: les pp. 108-110 nc sont pas à nous),
spécialement pp. 99-101.
19 Cfr. A. PAREOl, I prefazi arnbrusiani. Contributo alla storia della Liturgia
latina (Milano 1937); avec les compte-rendus de P. BORELLA, dans: Ambrosius 14
(1938) 109-115; L.C. MOHLBERG, dans: Theologisclle Revue 37 (1938) 41-47; IDEM,
dans: Zeitschrift tür Kingeschichte 58 (1939) 584-585; O. HEUUNG, dans: Archiv
für Liturgiewissel1schaft 1 (1950) 128-132.
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 265

Vlr siècle 20, et la troisième à l'époque carolingienne 21. Il COl'vre


ainsi une période de « quatre-cinq)} siècles qui servent précisé-
ments les buts de notre recherche: découvrir la façon habituelle
de considérer la personne et l'œuvre du Christ telle qu'elle fut
vécue dans l'ancien occident liturgique ambrosien.
En ce qui concerne le milieu liturgique ambrosien, la période
allant du V' au IX' siècle est caractérisée par la lutte contre
l'arianisme. Ainsi, la première couche rédactionnelle (V' siècle)
reflète la lutte contre l'arianisme pur; la seconde (VU' siècle)
reflète la lutte contre l'arianisme germanico-lombard; la troi-
sième (IX'-X' siècles), celle contre les survivances ariennes dans
la plaine du PÔ.

3) Nous ajouterons qu'un motif contingent nous a poussés


à considérer les trois sources en question. En fait, après avoir
déjà procédé à des recherches sur la christologie dans le Sacra-
mentaire de Vérone ", le Psalmographe hispanique 23 et le Sacra-
mentaire de Bergame 24, recherches déjà connues, nous voudrions
présenter une synthèse des résultats de ces investigations. Nous
nous excusons par conséquent de devoir renvoyer le lecteur à

2g Cfr. o. HEIMING, Aliturgische Fastenferien in Mailand, dans: ibi 2 (1952)


44-66; IDEM, Il lavoro di Maria Laach intorno al breviario ambrosiano, dans:
AA.VV., Problemi di Liturgia Ambrosiana. Atti deI Congresso Liturgico Ambre·
siano (Milano 1950) 48-58; IDEM, Die Episteln der Montage, Dienstage, MittWùche
und Donnerstage der Mailiinder Quadragesima, dans: lahrbuch für Liturgiewissen-
schaft 7 (1927) 141-144 (aussi dans: Ambrosius 6 [1930] 15-27); A.M. TRIACCA, 1
prefazi ambrosiani dei cielo «De Tempore» secondo il «Sacramentarium Bergo-
mense» (Roma 1970) 78-90; IDE]\·t, Per una migliore ambientazione delle fonti
liturgiche ambrosiane sinassico-eucaristiche. Note metodologiche, dans: Fons
vivus. Miscellanea liturgica in memoria di Don Eusebio Maria Vismara (Roma-
Zürich 1971) 163-220 spécialement 205-215.
11 Cfr. P. BORELL4., Influssi carolingi e monastici sul Messale Ambrosiano, dans:

Miscellanea Liturgica in honorem L. Cuniberti Mohlberg, 1 (Roma 1948) 73·115;


IDEM, Il Rito ambrosiano (Brescia 1963) 93-102 et bibliographie, ibi; et aussi: F.
BROVELLI, La «Expositio Missae Canonicae ». Edizione critica e studio liturgico·
teologico, dans: Ricerche Storiche sulla Chiesa Ambrosiana. VIII (1978-1979) = Ar·
chivio Ambrosiano, 35 (Milano 1979) 5-15l.
21 Cfr. Xo-Ve = A.M. TRIACCA, Cristologia nel Sacramentario Vermlese. Saggio

metodologico sull'« interscambio» fra catechesi patristica e Ziturgia, dans: S.


FELICI (ed.), Cristologia e Catechesi Patristica 1. Convegno di studio e aggiorna-
mento «Pontificium Institutum Altioris Latinitatis» (Facoltà di Lettere cri-
stiane e classiche). Roma, 17-19 febbraio 1979 (Roma 1980) 165-195.
2.l Cfr. Xo-LOPs = A.M. TRIACCA, Crislologia nel «Liber Orationum Psalmo-
graphus». Un saggio di catechesi patristica cristocentrica pregata, dans: S.
FELICI (ed.), Cristologia e Catechesi Patristica 2. Convegno di studio.. Roma,
8-9 marzo 1980 (Roma 1981) 123-172.
II Xo-Ber = «Cristologia testimoniata neZ Sacramentario Bergomense» (= «Se-
minarium Investigationis» chez « Pontificium Institutum Liturgicum - S. An-
selmi in Urbe»).
266 ACHILLE M. TRIACCA
~~----------~~

chercher ailleurs la partie analytique que nous ne donnons pas


ici pour des motifs d'économie et aussi pour éviter de fastidieu·
ses redites.

B. Le pourquoi du titre de cette relation

S'il nOliS arrive de recourir à des termes peu usuels ou à


des néologismes, ce n'est certes pas par désir d'être original,
mais pour des motifs spécifiques.

1) D'abord, il faut nous concéder que bien d'autres ont


recours à des hapax pour ranlasser en un seul tenne un condensé
de contenus; c'est donc dans cette même ligne que nous utilisons
des termes neufs. On peut penser à un Ignace d'Antioche qui,
par exemple, utilise le mot christomathia 25, un ({ hapax» par
lequel il désigne soit l'enseignement du Christ, soit le fait d'être
disciple à l'école du Christ. Ainsi, par le terme christoprosopo·
graphie, nous voulons désigner tout ce que les sources nous
indiquent quant à la personne (prosopôn) et à l'action du Christ.
Par contre, le terme christianologie nous sert à souligner les
témoignages qui proviennent des sources liturgiques et indiquent
ce qui regarde la vie et le nzode d'aclion de ceux qui suivent le
Christ: les chrétiens.
Que l'on note maintenant qu'une source liturgique n'est pas
un traité systématique de théologie. C'est pourquoi on n'y trouve
pas vraiment un discours sur le Christ: christologie. C'est plutôt
le témoin d'une photographie de qui est le Christ et de ce que
fut son agir. Semblablement, on peut dire la même chose en ce
qui concerne les chrétiens: on trouve dans les sources un type
de théorèse qui dit comment ils doivent vivre et agir selon la
volonté du Christ. De là, le terme de christianologie. Cette réali·
té n'est pas encore l'ecclésiologie qui est un discours (Myo,) réflé·
chi et scientifique sur la ll1anière dont est structurée et organisée
l'assemblée du peuple ou famille de Dieu ".

2) En d'autres termes, le motif qui nous a poussés au choix


et à l'emploi de mots neufs est celui d'un maximum d'objectivité

11 Cfr. IGNATIUS A., Epist. Plülad. 8,2.


Voir aussi A.M. TRT,\CCA - A. PTs"mIA (edd.), L'Eglise dans la Liwrgie. COH-
:'6
férences Saint-Serge. XXV[~ Semaille d'éludes liturgiques. Paris, 26-29 juin 1979
(Roma 1980).
{( CHRISTOPROSOPOGRAPHIE )} 267

vis-à-vis des données des sources liturgiques qui sont, à leur tour,
comme une icône où apparaît l'Icône du Père: Jésus Christ. Ainsi
les chrétiens eux-mêmes, dans le cours du temps et les diverses
conditions spatiales, devront être des icônes du Christ.
Le {( portrait» qui émerge des sources liturgiques et où sont
représentées et la personne agissante du Christ et la vic des chré-
tiens, est plus éloquent que n'importe quel traité systématique.

3) Enfin, il y a un autre motif qui nous a amenés à adopter


un titre « différent» des titres habituels. En effet, les études des
sources liturgiques qui ont cherché à analyser les rapports entre
la liturgie et la personne du Christ, jusqu'ici ont toujours mis
l'accent soit sur certains des mystères du Christ célébrés dans
l'action liturgique", soit sur des thématiques christologiques
abstraites ou génériques émergeant des sources 23 ou, en géné-
ral, des thématiques diverses liées à la personne ou à l'agir du
Christ '". Notre présente relation, qui se basera ou s'alimentera
à ces travaux mentionnés, voudrait en quelque sorte réaliser une

11 Voir _ par exemple _ E. ALBERICH, El misterio de Navidad en el Saera-


mentario Leoniano. Ensayo de Teologia Litu.rgica {Thèse doctorale polyco-
piée = Fac. Théo!. Univ. Salésienne) (Torino 1962): IDEM, El misterio salvifico
de la Encarnaci6n en el primer formulario naviderw del Sacramental'Ïo Leoniano,
dans: Revista Espafiola de Teologia 25 (1965) 277-317; I.M. CALABUIG, Cinco Misas
de Navidad en el Veronense (Thèse doctorale, Fac. Théo1. «Marianum ») (Roma
1962); F. DESLYS, Les mistères sotériologiques dans le Sacramentaire Léonie»,
dans: La Science catholique 11 (1896-1897) 1075-1085; ct aussi: P. PUNIET (DE), ln tus
reformari. Témoignages liturgiques sur le mystère de l'Emmanuel, dans: Epheme-
rides Litz,:.rgicae 52 (1938) 125-140; S. FARIA FERREIRA (DE), Natal e Eucaristia os
principais temas teo16gicos na Liturgia eucarlstica de Natal segunda 0 sacra-
mentario Veronense (Formulario XL) à luz. da Tradiçiio Ocidental (Braga 1973);
P. PUTHANANGADY, The Midl1ight Mass of Christmas in the Gelasian Sacramen-
{ary (Rome 1971), etc.
l~ Voir _ par exemple - M.B. Saas (DE), Présence du mystère du salut dans
la liturgie d'après Saint Léon, dans: Ephemerides Liturgicae 73 (1959) 116-135;
G.M. AGNELO, Liturgia. Serviço cultual do povo de Deus. Sentido e doutrina de
«servitus" no Sacramentario Veronense (Sao Paulo 1974); J. TRUDEL, Ellcaristie
et vie sociale: étude st:r la charité et la paix dans le sacramentaire de Vérone
(Recife 1974); A. MARINI, Cristo luce nelle collette salmiche ispaniche = Thèse
«ad licentiam II = Ist. Pont. S. Anselmo (Roma 1971), etc.
19 Voir, par exemple: A. BERCKHAUSER, a martirio luta vitoriosa cam Cris,ta.
Contribuçiio ao esttldio da linguagem militar no Sacramentario Verones (These
doctorale polycopiée = Inst. Lit. S. Anselmo) (Roma 1967); R. BERGER, Die Ter-
minologie der Nachfolge Christi in der romischen Liturgie, dans: AA.VV., Liturgie,
Gestalt und Vallz.ug. Festchrift J. Pascher (Innsbruck 1963) 1-24; E. ALIAGA
GIRBES, Victoria de Cristo sobre la muerte en los textos etlcaristicos de la oetava
pascual Itispdnica (Romac 1973); M. FERRO CALVO, La celebraci6n de la venida dei
Senor en el oficio hispal1ieo. Estudio histdrico doctrinal de los formula rios dei
oficio para el cielo natalicio en las dos tradiceiones del rito hispanico (Madrid
1972), etc.
268 ACHILLE M. TRIACCA
~------------------------------------------

synthèse globale et une réflexion sur les données, visant à ras-


sembler quelques lignes de force qui soutiennent la thématique
polyédrique qui circonscrit la personne et l'agir du Christ.

II. DES DONNÉES AUX CONSIDÉRATIONS

Partant du fait irréfutable que la liturgie a toujours offert


l'ambiance requise pour une reformulation de la foi, en parti-
culier de la foi dans le Christ qui sauve, et conjointement de cet
autre fait que dans la liturgie convergent toutes les expériences
salvifiques qui deviennent louange et action de grâce, alors éga-
Iement à propos de la christologie liturgique, se posent quelques
questions méthodologiques: comment faire en pratique pour
affronter les textes liturgiques et y découvrir les contenus christo-
logiques?

A. Les diverses manières d'affronter le thème

Le christianisme primitif n'était pas monolithique dans ses


modes d'expression de la personne et de l'action du Christ, et
même il se différencie en des perspectives diverses. Toutefois,
ce qui sera appelé christologie» se présentait comnle la vision
(c

de l'action salvifique du Christ. Une action aux dimensions uni-


verselles qui est exprimée -- sans ignorer les textes proprement
christologiques -- en des termes essentiellement sotériologiques
issus de la terminologie biblique. Il est certain qu'à mesure que
le message du Christ s'incarne dans des cultures neuves et s'éloi-
gne de son milieu judaïque originel, commence à prévaloir --
Conlnle au concile de Nicée - une christologie (c ontologique ».
C'est dans cette direction que se développera la "christologie
classique" qui perdra toujours plus son rapport direct avec la
dimension historico-salvifique. Celle-ci, bien que constituant la
base de la liturgie, n'est toutefois plus perçue dans sa spécificité,
et les titres christologiques tendent à se substituer, même dans
la liturgie, aux titres sotériologiques. C'est dans le contexte de
ces observations qu'il est licite de se demander quelle sera la
piste de recherche spécifique qui pourra mettre en relief les vrais
contenus christologiques des sources liturgiques antiques. Il est
vrai en effet que l'on arrivera à des conclusions typiques selon
les lignes méthodologiques suivies.
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 269

1) Du VOCABULAIRE AUX CONTENUS

La première méthode qu'il nous semble utile d'appliquer à


l'étude de la personne et de l'agir du Christ selon les sources
liturgiques, est celle du regroupement des termes. Même si l'exa-
men philologique des paroles en question ne devait nous appor-
ter que peu de renseignements, il n'en resterait pas moins vrai
toutefois, la chose est claire, que le contenu des signifiants a
notablement évolué - sinon du tout au tout - dans le milieu
liturgique chrétien, par rapport aux acceptions originelles. Ainsi,
en observant - par exemple - la terminologie liturgique témoin
de la vie historique et de la vie - si l'on peut dire - métahisto-
rique du Christ, on s'aperçoit d'emblée que le signifié profond
du terme chrétien-liturgique est chargé de sens qui proviennent
de l'histoire du salut telle qu'elle émerge des phases bibliques
(Ancien et Nouveau Testament), et de sens ecclésiaux (histoire
de l'Eglise dans les termes employés par les Pères et les conciles).
Ainsi, nous trouverons le Christ désigné comme le Verbe fait
chair 30, qui dès l'origine est Dieu auprès de Dieu 31, qui habita
le sein d'une vierge ", laquelle engendra un fils 33 qui naquit parmi
nous 34. Une naissance digne d'honneur 35, comme l'enfance du
« parvulus natus » est digne de vénération 36. Il est aussi le Fils
du Père ", bien-aimé 3B et partageant l'éternité du Père ", Fils

30 Ve 1245: Quia verbum caro factum habitavit in nabis. Voir aussi: Rotulw,
Ravennae (Ve 1355): ut verbum caro fieret ct habitaret in nabis .. NB: Les té-
moignages que nous allons rapporter ici, ne seront pas exhaustifs, mais seule-
ment exemplificatifs.
11 Ve 1276: et in principio verbum, quod deus erat apud deum

II Ve 1245: virgo in utera acccpit; Ve 1247: et ab uteri virginalis arcano


ineffabili editione promisisti; Ve 1270: et deus homo ... nisi virginc matTe gene-
rari. Et aussi Rotulus Ravennae (Ve 1365): ut sicut beatae Mariae intemeratae
virginis mirabiliter ingressus est uterum; (Ve 1367): qui filium tuum virginalibus
membris receptum nostrae carnis tunicam indui voluisti.
II Ve 1245: Virgo ... peperit filium.
J.I Ve 1251: natus est hodie; Ve 1250: hoclie natus Christus; Ve 1271: natus
hodie salvator mundi; Ve 694: et ideo nativitatem filii tui; Ve 697: qui et filii
tui nativitate nos salvas; Ve 1243: ut qui de nativitate domini nostri tui filii
gloriantur.
l~ Ve 1313: sed nativitate(m) panis aeterni purificatis suscipiamus mentibus
honoranda(m): Ve 1258: gloriosa nativitas; Ve 1240: ut nativitatis domini nostri
Jesu Christi sollemnia. Voir aussi Rotulus Ravennae (Ve 1346): ut magnificen-
tia(m) nativitatis tuae.
!Ii Ve 1291: ut etiam veneranda nos tri sa1vatoris infantia.
17 Filius tuus [= du Père]: Ve 239: nec mirum, si filium tuum, domine, pro-
creatus ostendit; Ve 1239: da, quaesumus, nabis Jesu Christi mii tui; Ve 752:
qui pro confessione Jesu Christi filii tui, etc.
lS Ve 552: qui nos corporis et sanguinis dilectissimi filU tui domini nos tri ..
19 Ve 294: quibus maicstatis tuae potentiam et coaeterni tibi filii revelaris
arcanum
270 ACHILLE M. TRIACCA

du Dieu vivant 40, et Fils d'une virginité perpétuelle ". Il est le


Fils unique du Père 42 et est Fils de l'Homme 43. C'est l'homme-
Dieu 44, de notre substance 45, avec un corps véritable 46, Cepen-
dant, c'est le Verbe engendré divinement par le Père 47. Ainsi
s'exprime le langage du Sacramentaire de Vérone, langage qui
remonte probablement au V' siècle.
Celui du Livre Psalmographique hispanique, qui date du
VII' siècle, n'est pas très différent. L'on y affirme en effet, que
Jésus est le Verbe du Père" fait chair ". Le Fils unique du Père"',
engendré « an te luciferum » 51, incréé 52, engendré dans le temps
par une créature non corrompue 53, né d'une mère 54 - vierge 55;
il est vraiment homme et vraiment Dieu 56.
Ainsi encore, le Sacramentaire de Bergame recourt à une
terminologie qui ne s'éloigne pas du vocabulaire commun fonda-

~o Ve 374: hic Christum filium dei vivi pronuntiavit.


4J Ve 1104: qui sic perpetuae virginitatis est sponsus, quemadmodum perpe-
tuae virginitatis es filius.
41 Ve 186: quo dominus noster unigenitus filius tUllS . . . ; Ve 1252: ut qui
unigenitum tuum in tua tecum gloria scmpiternum; Ve 239: et unigeniti dei
prescia exultationc praenuntians: Ve 820: non solum tui unigeniti passione sem-
piterna providentia: Ve 170: quo in tuo unigenito tecum est nostra substantia:
Ve 1281: qui ab unigenito tuo sic familiariter est dilectus, etc.
~J Ve 680: a dextris virtutis immensae filium hominis cerneret constitutum:
idem Ve 686.
H Ve 1270: et deus homo nasci dignatus congruentibus non deberet nisi vir-

gi11e matrc generari; Ve 1328: ut unus Christus in dei adque hominis veritate
nec a nostra divisus 11atura, nec a tua descretus adorc1ur essentia; Ve 1245: In
quibus omnibus evidentcr deum hominem que cognoscimus, qui suscipiendo quod
nostrum est, dignatus est nabis confcrre quod suum est.
45 Ve 186: quo ... filius tuus unitum sibi hominem nostrae substantiae.
~6 Ve 1252: .'. in tua tecum gloria scmpiternum in veritate nos tri corporis
natum de matre virgine confitentur.
~1 Ve 1258: ut simul pcrficiatur in nabis et quod creavit verbi tui divina gene-
ratio, et quod eius hominis facti gloriosa nativitas reformavit.
i~ LOPs 429: Verbum tuum (= du Père) - verbi tui; LOPs 580: verbo tua coo-
perante: LOPs 572: in verbi tui potentia: LOPs 61: hyssopo verbi tui, omni-
potens Deus, etc.
49 LOPs 389: Verburn caro factum, in medio tcrrae operatus es salutem.
50 LOPs 533: Magnificentiam unigeniti tui: LOPs 195: Unigenitum tuum digna-
tus es; LOPs 87: Tibi Domino Patri cogitatio confitetur Unigeniti tui.
51 LOP s 432: Domine, Pater omnipotens, qui ex tua substantia, tanquam ex
utero, Filium ante luciferum gcnuisti.
12 LOPs 255: qui increatus omnia creas.

Il LOPs 255: qui ... ct ex incorrupta creatura genitus.

54 LOPs 585: sed, sicut ablactatus supra matrem suam, de Dominum na-
tum ... corde integro confitentes; LOPs 432: et pro nobis natus.
1.1 LOPs 432: qui nec a te genitus aliquando recessit, et pro nabis natus,
Dominus ex utero virginali processit; LOPs 417: Cantat tibi, Domine ... qui
virginali partu editus.
~6 LOPs 354: ut splendor divinitatis tuae caliginem menti nostrae enubilet,
ct. vera humanitatis adsumptio humani generis sit manifesta redemptio: ut dum
verus Deus verusque homo in nobis atque pro nobis ostenderis, etc.
-----. __cc .CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 271
----------'

mental du Sacramentaire de Vérone et du Livre Psalmographique


hispanique. En effet, le Christ est Fils de Dieu le Père ", le Fils
unique SB, existant avant le temps 5~, qui entra dans le sein d'une
vierge 1i0 laquelle l'engendra !lI, vrai hon1me R2, de notre race sans
cesser d'être Dieu 63. Du groupement de ces termes et de la répar·
tition qui ressort de leur classen1ent, s'in1posent des divisions
typiques.
Une première division pourrait provenir d'un classement de
vocables qui se rattachent à des termes préexistants au latin des
trois sources en question (comme c'est le cas pour toute source
liturgique latine) et dont les chrétiens se sont servis en les codi-
fiant, les chargeant d'una signification propre. Ainsi, en rapport
avec la personne de Jésus, pourrait-on citer des termes de la
tradition chrétienne qui se rattachent:
*) au monde religieux païen, comme: Christus-Pontifex"'; Chri-
stus-hostia 65; Christus-victima;

51 Ber 52: in adventu Filii tui (= du Père); Ber 57: xpo filio tuo Domino
nostro venienti; Ber 62: Omnipotens xpe filius Dei: Ber 68: per adventum uni-
geniti filii tui; Ber 67: ut adventus gloriosissimi filii tui; Ber 199: et tuum uni-
eum filium, per speciem columbe sancto spiritu declarasti: Ber 312: qui misisti
nobis de eaelo dominum nostrum Iesum Christum filium tuum; Ber 459: qui
filium tuum dominum nostrum Jesum Christum in hunc mundum pro nostra
salute misisti: Ber 465: quem ad hoc humanam formam assumere voluisti; Ber
488: qui cum Deus esset in caclis, ad delcnda hominum peccata descendit in
terras.
5J Ber 52: in Unigenito tua novam creaturam nos tibi esse fedsti; Ber 55:
manifestans plebi tuae unigeniti tui mirabile saeramentum; Ber 68: qui pel' ad-
ventum unigeniti filii tui Domini nostri ihu. xpi; Ber 72: unigenitum filii tui
adventn voluisti ... ; Ber 82: ad prepal'andas unigeniti tui vias: Ber 91: et ad
nativitatem unigeniti filii tui, etc.
59 Ber 75: Cuius divinae nativitatis potentiam ingenita virtutis tuae genuit
magnitudo. quem semper filium et ante tempora aeterna generatum. Quia tibi
pleno atque perfecto aeterni patris nomen non defuit.
60 Be" 65: qui causa salutis humanae sic est dignatus uterum virginis introire;
Ber 80: nos beatae semper vil'ginis mariae sollemnia celebrare. quae parvo ntero.
dominum caeli portavit ... quem castis concepit visceribus. clausa ingredicns et
clausa reliauens: Ber 85: De cuius vcntre fl'uctus efflonlit; Ber 124: Quem beata
Maria sine· detrimento virginitatis. et sine virili actionc. mater et vil'go eoncepit
intacta ... 0 bcatum ct sacro.sanctum mariae virginis uterum Quac sola meruit
inter mulieres suis visceribus mundi portare dominum.
61 Ber 80: verbum carne mortali edidit salvatol'em: Ber 85: hinc egressa
mysteria salvatoris; Ber 124: ad nostram Quoque salutclll aeternam edidit xpm
Gaudcat itaque universus orbis, quia ex membris vil'ginalibus egressus est ùeus.
6Z Ber 80: verbum carne mortali cdidit salvatorem; Ber 184: et humanam in
se naturarn. vctustate expolians innovaret.
III Ber 65: et a tuae maiestate deitatis nurnquam deesset: Ber 189: quia pucr-
perio coeJcsti. intulit mundo suae miraeula maiestatis.
6-1 Cfr. Ve 1250: sed .. aeternus pontifex hodic Christus implevit.
(,S Cfr. Ber 601: qui idem sacerdos et hostia dignanter extitit.
272 ACHILLE M_ TRIACCA

*) au monde juridique, comme: Christus-intercessor; Christus-


advocatus;
*) au monde médical, comme: Christus-medicus "; Christus-
salus_
Manifestement, les diverses appositions appliquées au Christ
se revêtent de significations typiques qui mériteraient d'être
étudiées plus à fond, et non seulement de la manière allusive
qui est la nôtre_
Il faut noter également que le langage métaphorique recourt
à des images:
*) soit du monde inanimé, comme: Christus-templum; Christus-
porta; Christus-patria; Christus-mans; Christus-via 67;
*) soit du monde ani1né, comme; Christus-agnus 68;
*) soit du monde de la vie humaine: Christus-pastor; Christus-
rex; Christus-caput; Christus-nauta; Christus-conditor '"_

66 Cfr. Rotulus Ravennae dans Ve 1337 : qui celesti medici fulgentem prae-
6

sentiam sustinemus.
6, Voir par exemple LOPs où on peut lire:
* Christus porta: LOPs 282: ut Christum Dominum, per quem iustis tribui-
tur introitus, ae salvandis condonatur accessus et portam habeamus.
,.. Christus patria: LOPs 282: ae salvandis condonatur accessus et portam
habeamus et patriam; LOPs 252 Christum dominum ." confitemur et patriam.
'* Christus mans: LOPs 318: Exaudi nos quaesumus de monte Sancto tuo
Jesu Christo Domino nostro ... ; LOPs 319: et qui in munda ." manS faetus
cs magnus. Voir aussi Ve 327: Deus qui ecc1esiae tuae in sanctis montibus fun-
damenta posuisti, en comparation avec 1 Kor 3, 11-12.
* Christus via: LOPs 252: cognoscentes in terra viam tuam, Domine, in
omnibus gentibus salutare tuum Christum Dominum et viam esse confitemur et
patriam; LOPs 148: et in via tua vivifica nos.
r.a Cfr. Ve 1250: sed verus agnus et aetemus pontifex hodie natus Christus
implevit; Ber 614: idem sacerdos et sacer agnus exhibuit (= Ve 96).
b9 Voir:

* Christus Pastar: Ve 291: pastor bone: Ve 376: pastor aeternus: Ve 994:


ovium adesto pastor; LOPs 261: qui deducis velut ovem Joseph, pastoris guber-
nacula et protcctoris impende remedia; LOPs 416: et oves pascuae tuae pastor
sollicitus adtendas ...
* Christus Rex: Ve 177: qui mirantibus angelis angelOlumque principiis
rex gloriae dominusque virtutum resurrectionis beatae primitias ". : LOPs 508:
Christe Jesu et Rex noster; LOPs 563: Regi Christo: LOPs 211: Rex noster,
Domine Deus nos ter; LOPs 212: Rex noster et Deus nos ter; LOPs 222: Dominus
fortis et potens .. ' qui es rex gloriae.
* Christus Caput: Ve 183: illo subsequi tuorum membra fidelium, quo
caput nostmrn principiumque praecessit: LOPs 195: quo caput nostrum Uni-
genitum tuum dignatus es adinplere; LOPs 297: Christe Domine, qui es caput
in te credentium; LOPs 320: Domine, gloria nostra, caput nostrum.
* Christus nau.ta: LOPs 430: Deus qui navem Ecclesiae tuae ." optimus
nauta gubemas; LOPs 509: inter saeculis procellas sollicitus gubernator custodi.
* Christus Conditor: Ber 1234: Cuius (= civitatis 1 ecclesiae) conditor et
inhabitator est idem dominus noster Jesus Christus filius tuus.
(( CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 273

Sans nous étendre davantage sur ce sujet, qui mériterait une


mention spéciale, disons que ce qui nous intéresse surtout est de
considérer les titres christologiques plus directement engagés
dans une (( construction» et (( constitution» théologique de la
personne du Christ. Les plus importants peuvent être répartis en
trois secteurs. Notons encore que nous ne ferons pas les distinc-
tions entre substantifs, dénominatifs, participes adjectivaux ou
adjectifs.

(a) Titres ayant trait à la vie du Verbe fait chair:


Ceux-ci peuvent à leur tour être répartis selon qu'ils se rap-
portent à la:
vita ab œterno: Verbum (Dei); Filius Unigenitus (Patris);
Deus vivus-excelsus; Filius Dei; Co",ternus (Patri); Dilectis-
simus (Patri); Deus vivus-excelsus 70;
vita in tempore: Homo(-Deus); Filius natus; parvulus; pas-
sus; mortuus; resurgens; Jesus, Christus, Unus, Emmanuel.

(b) Titres qui partant de la Personne, en spécifient les actions


salvifiques:
Jesus - Christus - Salvator - Redemptor.
Pontifex - Sacerdos - Pastor - Agnus - Princeps pacis - In-
terces sor - Mediator Dei et hominum - Miserator - Medicus
Martyr - Misericors - Benedictus - Defensor - Dispositor
Distributor - Executor - Custos - Sanctificator - Perfector
Scrutator - Reformator - Reparator - Restaurator Redemp-
tor - Salvator.
Sacramentum salutis nostr",; Filius a dextris - a dextris
constitutus; Causa salutis nostr",; Deus auctor nostr'" salutis;
Dominus noster - Rex - Dominus angelorum - Dominus vir-
tutum; Dominator noster;
Perpetuus consolator - Possessor - Adiutor;
Sponsus - Sponsus virginitatis.

10 Pour des causes intuitives nous ne référerons pas les «loci» des sources

de cettes séries des dénominations.


Ainsi, dorénavant, nous traiterons en manière globale des titres ou des
appellatifs christologiques. D'autre côté beaucoup des réferences aux sources
nous les avons déjà données ci-dessus ou nous les donnerons ci-dessous.
274 ACHILLE M. TRIACCA

Il est certain que d'un point de vue formel, on pourrait


distinguer parmi ces termes ceux qui sont composés du préfixe
Re- (Reformator, Reparator, Restaurator, Redemptor), titres qui
mettent en relief le thème de la restauration opérée par le Christ
dans la Rédemption, Une série de termes qui, toujours d'un
point de vue formel, se réfèrent à une terminologie abstraite,
nous oblige à rappeler une chose. En effet, le Christ est dit:
virtus, sapientia, verbum, via, veritas, vita, salus, lux, illuminatio,
consolatio, gloria, indulgentia, pax, placatio.

(c) Titres directement relatifs à la vie des chrétiens:


On passe de termes comme: Sanctificator, Salvator, Redemp-
tor, Medicus, à d'autres en référence plus immédiate au Christ-
Liturge, comme: Pontifex, Sacerdos, Intercessor, Mediator.
Dans ce contexte, on comprend plus facilement les vocables
que la foi des chrétiens attribue au Verbe fait chair, comme
ceux déjà cités de: Dominus - (Kyrios) - Emmanue\- Mediator - etc.
En effet, les sources liturgiques concordent dans le témoi-
gnage de quelques centres d'intérêt (dont nous parlerons plus
avant) autour desquels se développe la réflexion sur la personne
et l'agir du Christ. Il est cependant clair qu'une fois terminée
la classification des termes issus des sources liturgiques, il fau·
drait passer à l'étude des syntagmes tels qu'ils sont situés dans
les structures de formulation, en des formulaires eux-mêmes
conditionnés par leur milieu (= Sitz im Leben).

2) DE L'ANALYSE AUX CoMPARAISoNS LITURGIQUES

Il est certain que, si aux résultats obtenus dans la partie


analytique (appliquée soit aux termes, soit aux syntagmes). on
ajoutait ceux de la méthode comparative-liturgique 71, la christo·
logie liturgique s'enrichirait alors de nouveaux apports. Dans
le cas qui nous occupe, la méthode comparative-liturgique par-
court le chemin entre la théologie liturgique (statique) et l'histoire
liturgique.
L'histoire liturgique met en évidence les motifs et les évolu-
tions de la christologie filtrée par la liturgie. Ces évolutions

:1 Voir A. R\U~·ISTARK, Liturgie comparée. Principes et Méthodes pour ['étude


historiqt;.e des liturgies chrétiennes (Chevetogne 31953).
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 275

présentent ce que chaque époque de l'histoire de la liturgie 2.


apporté de caractéristique et de significatif, d'enrichissant et d'ap-
pauvrissant, à la formulation de la christologie. Chaque époque
contient en effet - comme les couches géologiques -les diverses
inquiétudes et les accentuations théologico-liturgiques des di-
verses liturgies et des diverses périodes culturelles et cultuelles
qui utilisèrent un dépôt eucologique déterminé ou qui le formu-
lèrent d'une manière typique.

(a) Ainsi, le Sacramentaire de Vérone témoigne des princi-


pales étapes de la vie du Christ modulée autour de deux centres:
le mystère du Verbe fait chair qui habite parmi nous, et le mystère
de la passion, mort, résurrection, ascension et glorification du
Christ.
Le premier centre s'articule autour de termes typiques.
Puisque l'Incarnation du Verbe fait chair et sa Naissance Virgi-
nale sont le début de la Rédemption, on peut dire qu'à la première
création bonne, correspond la Re-création meilleure. A l'homme,
correspond le Racheté; à la créature, la plus admirable des
créatures.
Le second centre est le mystère Pascal-Pentecôtal. Ainsi est
mise en évidence la Passion du Seigneur par laquelle nous trou-
vons accès au Père, possédant le salut éternel. La passion du
Christ rachète et devient la passion du premier-né, prototype et
source de la force de la passion des martyrs. Ainsi, la croix du
Christ, la plus importante, devient pour nous mémoire des paroles
et promesses de Jésus, exemple qui entraîne. Et tandis qu'en croix,
Jésus confie sa Mère à Jean, Il verse son sang pour la rédemption.
Il meurt pour le bien des frères et les libère de l'antique mort
qui ne peut plus rien sur Lui. Il se relève d'entre les morts et sa
bienheureuse résurrection constitue la mort de la mort et la vie
des croyants. Il apparaît pendant 40 jours aux disciples, puis
monte au ciel. Glorifié, assis à la droite du Père, Il envoie l'Esprit
Saint. Rétourné au Père, selon ses promesses, le Christ reste
encore avec nous.

(b) Dans une perspective semblable à celle du Sacramentaire


de Vérone, évolue la structure mnbrosienne telle qu'en tén'lOÎgne
le Sacramentaire de Bergame. Celui-ci est le témoin de divers
centres christologiques qui par ailleurs, d'une part se détachent
de ceux du Sacramentaire de Vérone pour ce qui est de la tonalité
276 ACHILLE M. TRIACCA

spécifique, et d'autre part se présentent comme une explicitation


de ceux-ci. En effet, il s'agit du mystère de l'Incarnation comme
centre et résumé de « l'ceconomia salutis » et du mystère de l'Epi-
phanie du Christ comme réalisation de l'" œconomia salutis » ".
Ces deux points d'appui ambrosiens se rattachent au premier
centre d'intérêt christologique propre au Sacramentaire de Vé-
rone. Les autres centres christologiques ambrosiens sont une
explicitation du mystère Pâques-Pentecôte qui, dans le Sacramen-
taire de Vérone, constitue le second centre d'intérêt christolo-
gique. L'explicitation de la liturgie ambrosienne gravite autour
de l'action rédemptrice-salvifique (sotériologie) accomplie par
le Christ et spécialement sur la victoire que le Christ remporte.
Mais, voyons dans le détailles témoignages des sources litur-
giques ambrosiennes, au moins en un essai exemplatif d'expres-
sions christologiques qui s'y trouvent et témoignent des divers
centres christologiques.
En effet, le mystère de l'Incarnation est centre et résumé
de « l'œconomia salutis » puisque l'économie antique se concentre
sur l'annonce que l'Ange fait à la Vierge". Patriarches, loi, pro·
phètes, culte, sont orientés vers le mystère qui s'accomplit dans
l'homme-Dieu. A la lumière du Christ, tout l'Ancien Testament
constitue une figure imparfaite 74, une promesse, un essai qui
demande une réalisation. Celle-ci est confiée au Christ, mais
d'abord liée à Marie et à sa foi 75. Le mystère de l'Incarnation et
la naissance du Christ sont la réponse de Dieu le Père aux actes
du drame de la création avilie par la chute de l'humanité, de la

72 Voir A.M. TRIACCA, Riflessioni teologiche su alcuni prefazi deI «Sacramen-


carium Bergomense », dans: Salesianum 33 (1971) 455-492, spécialement 490-497
(= Il misLero della Incarnazione - nascita, palese manifestazione di Cristo come
centra e c.Jrnpei1dio dell'« oeconomia salutis» [pp. 490-493J; Il mistero epifanico
di Cristo: realizzaziolle dell'Ecol'lOmia della Salvezza [pp. 493497J).
7l Cfr. Ber 80: nos beatae semper virginis Mariae sollemnia celebrare, quae
parvo utero, dominum caeli portavit, et redemptorem mundi angelo praentln-
tian te verbum carne mmtali edidit salvatorem; Ber 124: ut quod audivit ab
angelo credcret.
7~ Voir Ber 283 et Ber 293 en comparaison. Dans Ber 283 il y a l'Ancien Testa-
ment c.-à-d. «Moyses famulus tuus» :::: Typus, et dans Ber 293 le Nouveau Testa-
ment c.-à-d. «Jesus Christus» ::; Antitypus. A prOpos de cette question, voir
A.M. TRIACCA, 1 prefazi Ambrosiani del Cielo «De Tempore» seconda il «Sacra-
mentarium Bergornense ». Avvial11ento ad unD studio critico-teologico (Roma
1970) 71-72 (à la note 29).
~s Cfr. Ber 124: Ut quod audivit ab angelo crederet, et quod crediderat indu·
bitanter acciperet.
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 277

figure de l'Ancien Testament 76. Par rapport à l'Ancien Testament,


la venue du Christ est un accomplissement. Par rapport à la
création et à la chute de l'humanité, le mystère de la naissance
du Christ, du Verbe fait chair 77 répare la ruine de l'une et restaure
la splendeur de l'autre 78.
En effet, le Christ nait dans le temps pour la ruine du dé-
mon ", pour pardonner le péché 80, pour défier la mort et l'escla-
vage tant du péché que de la mort 81.
Le mystère de l'Incarnation du Verbe" Conditor »82 repré-
sente et est une « redemptio )} R3 une « renovatio )} 84 une « libe-
J J

J6 Cfr. Ber 390: quoniam per te infirmis mundi cecitate detersa ... In quo
genus humanum originali ealigine maeulatum: Ber 488: Et qui humanum genus
venerat liberare: Ber 425: Nos quidem primi hominis faeinore consepultos, divina
Christi gratia ex inferis liberavit, et redivivos gaudiis rcddidit sempiternis, etc.;
mais sans doute on doit citer Ber 184: qui ut nos a gravi servitute legis redi-
meret circumcisionis legalis purgationem aecepit, in qua et observationis anti-
quae probator existeret, et humanam in se naturam, vetustate expolians innova-
ret, praeteriti saeramentorum consumator mysterii, idem lcgislator ct custos
praecipiens et obocdiens, dives in sua, pauper in nostro.
n Cfr. Ber 65: qui causa salutis humanae sic est dignatus uterum virginis
introire, ut et nobis viam salutis tribueret, et a tuae maiestate deitatis num-
quam deesset; Ber 80: quae parvo utero, dominum caeli portavit, et redempto-
rem mundi angelo praenuntiante verbum carne mortali edidit salvatorem, quem
castis concepit visceribus c1ausa ingrediens et clausa relinquens: Ber 85: De
cuius ventre fructus effloruit: Ber 124: Quem beata Maria sine detrimento
virginitatis, et sine virili aetione, mater et virgo coneepit intacta ... 0 beatum
ct sacrosanctum Mariae Virginis uterum, quae sola meruit inter mulieres suis
visceribus mundi portare dominum. Ad nos tram quoque salutem aeternam edi-
dit Christum. Gaudeat itaque universus orbis, quia ex membris virginalibus
egressus est Deus, etc.
7S Cfr. Ber 199: et deo filios generando adoptive faeiant ad vitam aeternam.

Nam quos ad temporalem vitam earnalis nativitas fuderat, quos mors per pre-
varicationem coeperat, hos vita aeterna recipiens, ad regni caelorum gloriam
revocavit.
19 Cfr. Ber 85: Distat opus serpentis et virginis. Inde fusa sunt venena discri-

minis, hine egressa mysteria salvatoris. Inde se praebuit temptantis iniquitas.


hine redemptoris opitulata maiestas. Inde partus oecubuit, hine eonditor re-
surrexit.
sc Cfr. Ber 199: Susccpcrunt hodie fontes benedictionem tuam. et abstule-
runt maledictionem nostram. Ha ut credentibus purifieationem omnium delieto-
rum exhibeant, et deo filios generando adoptive faciant ad vitam aeternam.
SI Cfr. Ber 85; Ber 184; Ber 199: déjà cités.

82 Cfr. Ber 85: Inde partus occubuit, hine conditor resurrexit. A quo humana
natura non iam captiva, sed libera restituitur, quod adam perdidit in parente,
Christo recepit auctore.
I l Cfr. Ber 80: et redemptorem mundi ange}o praenuntiante verbum carne
mortali edidit salvatorem; Ber 85: Inde fusa sunt venena diseriminis, hine egres-
sa mysteria salvatoris. Inde se praebuit temptantis iniquitas, hinc redemptoris
opitulata maiestas, etc.
&-! Cfr. P. BORELLA, «Vetustas» e «novitas» nella liturgia d'Avvento e dei
Natale, dans: Ambrosius 39 (1963) 247-257.
278 ACHILLE M. TRIACCA

ratio» 85, une « purificatio » SB, une « restitutio» 87, une cc salva-
tio}) 88, une «saIus» 89, une «resurrectio» 90, une « generatio» 91,
une {( innovatio » 92. En d'autres termes, le mystère de l'Incarna-
tion est central pour comprendre l'cc ceconomia salutis » et trouve
sa réalisation dans le mystère de J'Epiphanie. En effet, l'épiphanie
du Christ est en rapport direct avec le fait de l'introduction dans
le monde de la «maiestas deitatis» 93, du {( Daminus cœli}) 94,
La naissance du Christ et sa vie humaine reforment l'huma-
nité en initiant une nouvelle série d'hommes libres ", fils de
Dieu ". Le nouvel homme, Jésus Christ, sort du sein de J'huma-
nité corrompue comme fruit parfaitement pur et innocent n. En
lui, l'homme est recréé, complètement refait dans la splendeur
d'une absolue nouveauté ". Jésus en effet, est l'homme nouveau
parce que fruit cl 'une naissance virginale 99. La rénovation de
l'humanité exige l'apparition-épiphanie d'un vrai homme 100,

~j Cfr. Ber 85: A quo humana natura non iam captiva, sed libera restituitur.
!Ii Cfr. Ber 199: 1ta ut crcdentibus purificationem omnium dclictorum exhi·
beant, et deo filios gcnerando adoptive faciant ad vitam aeternam.
87 CEr. Ber 85: cité ci-dessus, à la note 85.
3B Cfr. Ber 80; Ber 85, cités ci-dessus, à la note 83, et Ber 199: qui te nobis
super iordanis ah'eum de caelis in voce tonitrui praebuisti, ut salvatorem caeli
demonstrares, et te patrern luminis aeterni ostenderes.
!9 Cfr. Ber 65: qui causa salutis humanae sic est dignatus uterum virginis
introire, ut ct nobis viam salutis tribueret.
!Xl Cfr. Ber 85, déjà cité.

91 Cfr. Ber 199: Ita ut credcntibus purificationem omnium delictorum exhi-


beant, ct deo filios gcnerando adoptive faciant ad vitam aeternam.
n Cfr. Ber 184: et humanam in se naturam, vetustate expolians vetustate
innovaret.
9J Cfr. Ber 65: ct a tuae maicstate deitatis numquam decsset; Ber 85: binc
rcdemptoris opitulata maiestas; Ber 189: intulisti mundo suae miraeula ma-
iestatis.
94 Cfr. Ber 80: quac parvo utero, dominum caeli portavit. Ber 124: quae sola
meruit inter mulieres suis visceribus mundi portare dominum.
9S Cfr. Ber. 85.

96 Cfr. Ber 199: et deo filios gcnerando adoptive faciant ad vitam aeternam
(voir aussi Ber 1234).
91 Cfr. Ber 85: Distat opus serpentis, et virginis. Inde ... hine egressa myste-

ria salvatoris. Inde ' .. hinc rcdemptoris opitulata maiestas. Inde binc con-
ditor resurrexit.
9! Cfr. Ber 85, Ber 124; Ber 184; Ber 199.

9'l Cfr. Ber 65: utcrum virginis introire; Ber 80: quem castis conccpit visee-
ribus; clausa ingrediens et c1ausa relinquens; Ber 85: De cuius ventre fructus
effloruit ... quod Eva vocavit in crimine, Maria restituit in salute; Ber 124; Quem
beata Maria sine detdmento virginitatis et sine virili actione, mater et virgo
concepit intacta. Et non est elus conceptio sine virginitatis inventa pudore.
100 Cfr. Ber 80: verbum carne mortali cdidit salvatorem, quem castis eoncepit

viseeribus; Ber 85: De cuius ventre fructus effloruit; Ber 184: et bumanam in
sc naturam ... , etc.
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE )) 279

consubstantiel avec les autres hommes 101, en qui soit garantie la


continuité de la race, mais cependant distinct des autres 102, com-
plètement libre des maux propres à l'humanité "", qui puisse en
vérité inaugurer sur la terre une hU111anité renouvelée et pure 104.
Le dessein du salut voit Dieu le Père qui, miséricordieux,
prend l'initiative d'envoyer son Fils pour sauver l'humanité créée
par Lui 10'. Celle-ci est, dès l'origine, tombée dans la plus obscure
ténèbre et cécité 106, dans le péché un, dans les vices les plus horri-
bles lOS. Chassée du paradis par la faute d'un tentateur qui séduisit
l'humanité avec un fruit ddendu 109, imprudente humanité im-

IQI Voir les notes - par exemple - 99 et 100 et aussi Ber 425: quem ct ami-
cum pia dignatione commemorans, ad claustrum ipsius spelei properavit. Ibique
iudaeorum turbis astantibus, lacrimosis oculis infremuit ae ploravit; Ber 459:
qui filium tuum dominum nostrum Jesum Christum in hunc mundum pro nostra
saiute misisti ut se humiliaret ad nos, et nos revocaret ad te; Ber 465: Pel' Chri-
stum dominum nostrum, quem ad hoe humanam formam assumere voluisti, ut
quiequid prophetales seu sanetac clamavere scripturae, bethleemitica rura, seu
Jerosolimam adveniens consumaret, etc.
J02 Voir - par exemple - la distinction qui a ses racines dans le «puerpe-
rium cacleste »: Ber 189: Per Christum Dominum nostrum, quia puerperio cae·
lcsti, intulit mundo suae miracula maicstatis; Ber 124, etc.
JO) Cfl'. Ber 85; Ber 184, déjà cités.
J(H Cfr. Ber 85: A quo humana natura non jam captiva, sed libera restituitur;

Ber 184: et humanam in se naturam, vetustate expolians innovaret: Ber 199: Nam
quos ad temporalem vitam carnalis nativitas fuderat, quos mors per praeva·
ricationcm coeperat, hos vita aeterna recipiens, ad regni caelorurn gloriam revo·
cavit, etc.
105 Cfr. Ber 356: Tu es enim domine mitissimus pater, qui ante multa tem-
pora abrahae in semine Christi, tui deique, natique adventum clamastl; Ber 312:
qui misisti nobis de caelo dominum nostrum Jesum Christum, filium tuum: voir
aussi: Ber 488.
106 Cfr. Ber 390: Nos tibi domine exceisa caelorum qui resides arce, gratia~
referre, et totis sensibus confiteri, quoniam per te infirmis mundi caecitatf.
de tersa, verum lumen emicuit ... ; Ber 425: Nos Quidem primi hominis facinore
consepultos, divina Christi gratia ex infens liberavit, et redivivos gaudiis red-
didit sempiternis, et aussi Ber 318 cité ci-dessous à la note 108.
107 Cfr. Ber 328: qui ieiunia sacro instituto exequi praecepisti, ut per hane
abstinentiam sicut confidimus de tua misericordia mereamur veniam dclicto-
rUlTI. Tu enim solus deus abluis egritudines animarum, quae peccati vitio inro-
gantur, et facis abstlnentiam prodesse, quibus fuerat obligata praesl1mptio: Ber
488: Qui cum deus esset in caelis. ad delenda hominum peccata descendit in
terras. Et qui hurnanum genus venerat liberare. tamquam obnoxius debitor, in-
licito pretio dominus a servo distrahitur.
103 Cfr. Ber 318: Implocamus itaql1e immensam clementiam tuam, ut contcm·
nentes tcnebrosam profunditatem vitlorum, et relinquentes noxiarum hydriam
cupiditatum, te qui fons vitae et origo bonitatis es semper sitiamus.
"19 Cfr. Ber 312: Ut qui per escam praesumptam, de paradiso deiecti fuerant,
per dus ieiunium, in paradisum rcvcrtendi facultatem acciperent ... ct se red·
emptorem omnium crcdentium demonstraret idem Jesus Christus Dominus
noster.
280 ACHILLE M. TRIACCA

pitoyablement persécutée '''. Dans le cours de l'histoire du salut,


après Abraham, les Pères, Moïse, finalement apparaît le Christ
envoyé par le Père, lui-même Dieu, source de vie divine 111, pain
et nourriture 112, «virtus 113, serma Dei 114)} vie et résurrection 115. Il
J

est le vainqueur 116, le rédempteur 117, le sauveur 11B, De lui nous


viennent la foi "", l'espérance '20, la charité et le feu de l'amour
divin '''. Ainsi, le Christ est celui qui était promis et attendu par
les nations, qui vainct les esprits et principautés de ce monde.
C'est lui le dominateur des éléments du monde "', le roi des
cœurs"', de la vie '''. Et de même qu'il enlève le péché, ainsi il
rachète l'humanité du péché et de ses conséquences mortelles ''',
réconciliant l'humanité avec le Père "'.

lIO Cfr. Ber 328: Tu enim solus deus abluis egritudines animarum, quae peccati
vitio inrogantur et facis ahstinentiam prodesse, qui bus fuerat obligata prae-
sumptio.
111 Cfr. Ber 318: te qui fons vitae et origo bonitatis es semper sitiamus et
ieiuniorum nostrorum observatione tibi placeamus; Ber 425: qui eminenti gloria
maiestatis, plurima in terris mirabilia peregit. Inter quae summae pietatis vir-
tute .'.
112 Cfr. Ber 283: Ipse enim panis verus et vivus, qui est substantia aeterni-
tatis, esca virtutis. Verbum enim tuum, per quod facta sunt omnia, non solum
humanarum mentium sed ipsorum quoque panis est angelorum.
1lJ Cfr. Ber 283: esca virtutis; Ber 390: quod inter muItarum tuarum virtutum

miracula ... ; Ber 425: Inter quae summae pietatis virtute ."
JH Cfr. Ber 283: Ouia illum et gloriae tuae cIarificabat aspectus et influente
spiritu, Dei sermo pascebat.
Ils Cfr. Ber 425.
lJ6 Cfr. Ber 312.
117 Cfr. Ber 312; Ber 390.
11S Cfr. Ber 390: Ubi non tantum corporea lumina, sed totus homo salvatus
est per Christum Dominum nostrum.
119 Cfr. Ber 318: ct a muliere samaritana, aquae sibi petiit porrigi potum, qui

in ea creaverat fidei donum. Et ita cius sitire dignatus est fidem, ut dum ab
eo aquam peteret, in ea ignem divini amoris accenderct: Ber 283: Per Christum
Dominum nostmm. In quo ieiuniantium fides alitur.
!lO Cfr. Ber 283: In quo (=: Christus) .. ' spes provehitur.

!li Cfr. Ber 283: In quo (=: Christus) ... caritas roboratur: Ber 318: in ea
ignem divini amoris accenderet.
III Cfr. Ber 390: Nos tibi domine excelsa caelomm qui resides arce; Ber 425:
qui eminenti gloria maiestatis, plurima in terris mirabilia peregit; Ber 425: Nos
quidem primi hominis facinore consepultos divina Christi gratia ex inferis libe-
ravit, et redivivos gaudiis reddidit sempitemis.
Jl3 Ch. Ber 318.
lU Cfr. Ber 425.

ilS Cfr. Ber 488: Oui cum deus esset in caelis, ad delenda hominum peccata
descendit in terras. Et qui humanum genus venerat libcrare, tamquam obnoxius
debitor, inlicito pretia dominus a servo distrahitur.
116 Cfl'. Ber 459: et nos revocaret ad te.
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE }} 281

Il est certain que la richesse du contenu des sources liturgi-


ques se heurte à l'aspect fragmentaire qui dépend des limites
de notre relation. Ceci cependant n'empêche pas de prendre
conscience de la manière dont les assemblées liturgiques, dans
le cours du temps et se recueillant dans la foi, à travers les
divers énoncés christologiques, ont pris conscience du dépôt
doctrinal proclamé par la liturgie sans tergiversations ni doutes,
et que ce soit généralement en forme sereine et contemplative
ou emphatiquement et avec solennité, l'intention fut toujours
utilitaire et catéchétique. Les textes liturgiques montrent que
c'est une conviction de la liturgie qu'il n'est pas possible de
participer au mystère salvifique si l'on ne croit pas à la vérité
proclamée qui est toujours centrée sur le Christ, artisan et prin·
cipal célébrant de la liturgie.

(c) Enfin, il n'est pas sans intérêt d'établir une comparaison


entre les deux couches eucologiques citées, la romaine et l'am·
brosienne, avec /'hispano-visigothique du Liber Orationum Psal·
mographus.
On y trouve en effet une certaine structure de titres christo·
logiques qui visent l'essentiel de la vie de Jésus polarisée en trois
moments: le Verbe pré-existant '''; le Verbe fait chair, c'est-à-
dire l'homme-Dieu; le mystère pascal où seront surtout accen-
tuées la Passion et Mort du Christ en croix où le sang versé est
le prix du rachat 128.
A primière vue, le schématicité de la christologie du Psalmo-
graphe hispanique en rapport avec la vie du Christ, prend
relief lorsqu'on la confronte avec l'ensemble des titres qui se
réfèrent au Christ de la foi (qui est toujours le même Christ) et
qui démontrent comment la liturgie, dans le cours des siècles (le
document hispanique que nous considérons remonte au cœur du
VII' siècle), s'enrichissant des contenus de la catéchèse et de
l'homilétique, réussit à nourrir et à stimuler la foi des chrétiens.

121Voir les notes 57, 58 et spécialement 59.


m Cfr. LOPs 258: ut calicis pennixti, cuius nos effusione redemptos fatemur;
LOPs 255: quam precioso sanguine redemisti; LOPs 494: tui sanguinis pretio
emptam; LOPs 563: cuius sanguine cognoscitur adquisita: LOPs 415: non repellas,
Domine, plebem tuam, quam mercatus es, nec derelinquas hereditatern, pro
qua cruce adpcnsus es; WPs 548: quos trophaeo crucis dignatus es compa-
rare, ac pro quibus fusio sacri sanguinis exstat redemptio: LOPs 478: qui pre-
tium factus es peccatorum; WPs 514: quos redemisti sanguine tuo: WPs 539:
tui sanguinis pretio redemisti.
282 ACHILLE M. TRIACCA

Les oraisons psalmiqucs hispaniques tendent - en ce


secteur - à une vivacité {( sui generis », En effet, les titres
insistent sur la présentation de Jésus Christ comme le Christ du
Père 129, le Seigneur des Anges 130, le Seigneur des «virtutes» 13\
notre Seigneur 132. Il est notre Dieu 133, et notre Dominateur 1H.
Nous sommes sa Possession 135. Il est notre Roi 136, notre Chef 131:
le Roi de Gloire. Puisqu'Il est le Dieu de notre salut 138, combattant
lui-même pour nous 139, il est l'auteur de notre salut 140, simulta-
nément sauveur 141 et salut 142, Il est notre Rédempteur ln, notre

J2\I Cfr. LOPs 508: Christe Jesu; LOPs 456 et 494: Domine Jesu Chris te; WPs
368: Christe Deus; LOPs 90: Christe Deus noster; LOPs 563: regi Christo, etc.;
et encore: LOPs 487: Christum tLIum Dominum nostrum; LOPs 289: Christi tui
expcctant regnum. Voir aussi LOPs 210; 544; 585.
TJO Cfr. LOPs 255: qui es Dominus angelorum.
Ul Cfr. LOPs 221: Domine fortis et potens, Domine \'irtutum.
III Cfr. LOPs 91: cognoscant gentes, Christe, quod nomen tibi slt Dominus:
LOPs 456: Domine Jesu Christe, Qui nobis salutis remedio ... ; LOPs 497: ut
Christum tuum Dominum nostrum; LOPs 112: ut dum cunctorum adtolleris vo-
cibus, intra Ecclcsiam tuam venereris ut Dominus.
m Cfr. LOPs 90: Christe Deus noster: LOPs 263: tu es enim Dominus Deus
nos ter.
1;4 Cfr. LOPs 537: Dominator Domine Jesu Christe; LOPs 155: tuo subdi ultro

imperio perfecta est beatitudo.


!JI Cfr. LOPs 396: et qui fidem omnium gentium pius posscssor inhabitas:
LOPs 589: Domine ... pius protector intendis: LOPs 539: congregationis tuae,
quam ... tui sanguinis pretio redemisti; et quia hanc ipsam in possessionem tui
de gentibus elcgisti: LOPs 154: ut tu sis nobis hereditas, nos que sine fine pos-
sideas: LOPs 155: portio nostra, Domine, esse dignare et posside nos; LOPs 344:
ut animas nostras, et admis sa remittendo conQuiras, et tegendo dellcta possi-
dcas. Voir aussi LOPs 2; 48; 98; 154; 283; 312; 351; 474.
136 Cfr. LOPs 508: Christe Jesu et Rex noster; LOPs 563: Regi Christo:
LOPs 211: Rex noster, Domine Deus noster: LOPs 212: Rex noster et Deus noster.
Voir aussi: LOPs 289: Christi tui expectant regnum: LOPs 255: Domine Jesu
Chris te, quem omnium sacculorum et l'egem fatemur et Dominum.
137 Cfr. LOPs 195: quo caput nostrum Unigenitum tuum dignatus es adimplere:
LOPs 297: Christe Domine, qui es caput in te credentium; LOPs 320: Domine,
gloria nostra, caput nostrum; et aussi: LOPs 221: Dominus fortis et potens
qui es rex gloriae.
1l! Cfr. LOPs 368: Christe Deus nostrae salutis.
D~ CfT. LOPs 316: Domine, contra multiplicationem tribulantium nos, fortis
propugnator adcurre.
l-I(J Cfr. LOPs 275: Salva nos, Domine, qui auctor es nostrae salutis, et con-
grega nos de nationibus: LOPs 320: tu qui auctor es et defensor nostrae
salutis.
I~l Cfr. LOPs 316: ut qui salutem animae nostrae in te esse denegant, te
salvatorem nostrum .. cognoscant.
H2 Cfr. LOPs 208: Tu es, Domine, saI us, et tua est salus.
I~J Cfr. LOPs 28 (= LOPs 586): Redemptor nos ter, Domine; LOPs 29: Domine
ct esta Rcdemptor: LOPs 206: Te agnoscit suum csse Redeptorem; LOPs 240: quae
te suum non ignorat esse ac redemptorem; LOPs 503: Redemptor nos ter, fer
opem nobis; LOPs 533: ut ubi Rcdemptor verus redcmptionis nostrae ... : LOPs
541: et indulgcntiali favore existe Redcmptor; LOPs 546: quique Redemptoris
nostri adventum; LOPs 105: et Redemptorem veneratur.
{( CHRISTOPROSOPOGRAPHIE ), 283

Juge 144 et notre Consolateur 145, car il est notre Créateur 146. Il est
la miséricorde du Père 147 et notre aide 148. Rédemption de notre
liberté car le Christ est lui-même liberté 149.
Maintenant, si l'on tient présent que la liturgie a toujours
eu et aura toujours son sommet expressif (et ontologique) dans
l'attitude de louange et d'action de grâce pour tous les bienfaits
opérés par la Trinité pour le salut de tous, avec le témoignage
du livre psalmographique hispanique, témoignage christocentri-
que, nous avons la proclamation du salut effectué en Christ et
l'invitation à y prendre une part active.

3) DES COMPARAISONS LITURGIQUES À LA RÉALITÉ ClIRISTOLOGIQUE


COMMUNE

En d'autres termes, la foi prIee rassemble la vérité sur la


personne du Christ et pousse à comprendre l'action par lui ac-
complie pour entrer non seulement en syntonie et en sympathie
(au sens originaire du terme) mais encore plus en synergie avec
l'action polyédrique du Christ.
Devant la connaissance que les diverses communautés (Rome-
Milan-Espagne), en des temps divers (des IV-V" aux VII-VIlle,
siècles), ont eue du Christ et devant la "profession de foi priée"

144 Cfr. Laps 497: ut Christum tuum Dominum nostrum Verum iudicem
promptissima devotione fateatur; Laps 396: Exsurge, Domine, qui iudicas terram.
\41 Cfr. Laps 61: et Christus Dominus in nobis maneat perpctuus consolator;

Laps 263: tu es enim Dominus Deus nos ter , qui nos ... et consolaris in munere.
\46 Cfr. Laps 240: Laudat et adnuntiat lingua nostra iustitias tuas, omnipotens
Deus, quae te suum non ignorat esse faetorern et redemptorem; Laps 105: Non
repellas, Domine, plebern tuarn, quam potentia tua creasti, quae te et creatorem
fatetur et redemptorem veneratur; Laps 206: Laetctur in te Domine, quia te
fatetur creatorem, te agnoscit suum esse redemptorem; Laps 260: quia creator
hominis in homine nascitur; Laps 572: Domine, qui ante mundi principium
semper es, et in verbi tui potentia mundi machinam dispositioni mirabili con-
didisti; Laps 429: ut quia nos meminimus Verbi tui formatos opificio: LOPs
432: qui (Filius) tecum universam lucem ex nihilo procreavit; Laps 580: Et tu
adiutor nostcr ... qui cooperante Verbo tuo Sanctoque Spiritu [ccisti cae1um et
tcrram; Laps 255: qui increatus omnia creas, et ex inconupta creatura genitus,
cuncta vivificas; Laps 107: qui nos fecisti ad imaginem tuam et rcfecisti propter
ingenitam bonitatem tuam; Laps 429: ut quia nos meminimus Verbi tui for-
matos opificio, eius rursu reformcmur imperio, etc.
147 Cfr. Laps 360: Suscepimus, Deus, misericordiam tuam Jesum Christum
Dominum nostrum, quem proptcr nostram exaudicndarn misisti miseriam
HI Cfr. Laps 28: Adiutor et rcdemptor nos ter Domine; Laps 29: Esto adiutor
noster Domine; Laps 580: et tu adiutor noster heredita nos ... ; Laps 272:
adiutorium Christi tui nobis concede magnificum.
\4~ Cfr. LOPs 275: Salva nos, Domine, qui auctor es nostrae salutis, et con-
grega nos de nationibus. qui rcdemptis libertas, et redemptio factus es libertatis.
284 ACHILLE M. TRIACCA

du mystère du Christ, s'imposent quelques considérations d'or-


dres divers mais qui se rapportent toutes cependant à la réalité
christologique commune et aux lignes méthodologiques qui la
structurent et la suscitent. On ne peut en effet méconnaître que
sous des cieux et des cultures diverses, se sont vérifiés les faits
suivants:

(a) Une source liturgique (d'hier ou d'aujourd'hui) considérée


dans sa globalité est aussi un instrument de catéchèse incompa·
rable. Cependant, il ne faut pas sous-entendre ni répandre des
équivoques 150. La liturgie n'est pas en premier lieu une catéchèse,
même si cette dimension lui est connexe 15\, Mais comme la
catéchèse ne peut être seulement une conservation jalouse de la
Parole de Dieu, mais doit la diffuser en la proposant sans l'im-
poser, en l'aimant sans l'exagérer, il faut admettre que les sources
liturgiques deviennent et sont un admirable témoignage d'exégèse
vivante de la Parole divine qui y est formulée dans l'eucologie.
C'est exactement dans cette ligne que les sources liturgiques de·
viennent une remarquable proposition de la Parole de Dieu qui
est méditée, approfondie et comprise, tandis qu'elle est priée "'.
Pour pouvoir sus ci ter l'élan vers la Parole de Dieu et la soif
d'un service durable de celle-ci, l'eucologie rapporte toute la
Parole de Dieu à son centre qui est le Christ Seigneur.
Le feu de la Parole divine n'entre dans aucune" grille métho-
dologique". Et même, restant dans l'éternité, elle brise tout
schéma humain au nom de l'inédit et de l'imprévisible divin. Elle

150 Voir, à propos de cette question, notre pensée dans: A.M. TRIACCA, Con-
tributo per una catec11esi lilurgico-sacramentaria. In margine al nuovo « Ordo
Cinfirmationis », dans: Rivista Liturgica 60 (1973) 611-632: IDEM, Elementos do
Novo Ritt/al da Ul1çiia dos Ellfermas para uma Acçiio Catequélico-Liturgica, dans:
ara et LaboreL. Revista Liturgico-pastoral Beneditina 19 (1973) 374-386: IDEM,
Struttura e linee-forza: dall'analisi alla sintesi. A proposito dei «Rito dell'Ini·
ziazionc Cri5tiana dcgli adulti )), dans: Rivista Liturgica 66 (1979) 425436; IDID.1,
L'« itinerario calecumenale)) catechesi orientata aIl'Eucaristia, dans: La Nuova
Alleanza 84 (1979) 387·396.
m Voir A.M. TRIACCA, La liturgia educa alla liturgia? Riflessioni fenome11ico-
psicologicltc sul data Iiturgico gZobalmente considerato, dans: Rivista Liturgica
58 (1971) 261-275; IDEM, «Fides Magistra omnium credentium ». Pédagogie litur-
gique: pédagogie" de la foi» ou « par la foi »?, dans: A.M. TRIACCA - A. PISTOIA
(edd.), La Lilurgie expression de la foi (Roma 1979) 265-310; A.M. TRIACCA, Evan-
gelizzazione e catechesi per la liwrgia, dans: G. CONCEITI (ed.), Evangelizzazione
e catechesi (MUana 1980) 339-360.
Hl Cfr. A.M. TRIACCA, Celebrazione liturgica e ParoZa di Dio. Attuazione ccdc-
siale della ParaZa. (Contributa aUa pastorale e aUa spiritualità liturgica) , dans:
G. ZEVINI (cd.), Incontra con la Bibbia. Leggere, pregare, camunicare (Roma
1978) 87-120.
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE )} 285

instruit et dirige l'action. Et tandis que par ses formules, la litur-


gie suscite en l'âme du fidèle la soif de la Parole divine, elle crée
dans le fidèle le désir de se consacrer au service de la Parole,
cette même Parole qui se fit chair et demeure présente parmi
nous.

(b) De même que toute catéchèse doit utiliser la parole sans


multiplier les paroles de peur de créer des confusions, ainsi l'euco-
logie va à l'essentiel. Les trois sources considérées, bien qu'ayant
des accentuations et des modalités propres, vont à l'essentiel du
Christ. Ainsi, l'art du catéchiste est de multiplier les exemples
attrayants et de simplifier la parole en vertu de la prééminence
de la Parole de Dieu. Les exemples que les sources liturgiques
présentent, sont ceux de la vie du Christ (Christo-zoè-graphie) et
ceux de l'authentique mode de vivre chrétien (Christiano-zoè-gra-
phie) 1".
Dans le respect de la souveraineté de la Parole de Dieu, les
auteurs de l'eucologie n'amplifient pas leur propre discours,
mais prient la Parole de Dieu en l'approfondissant.

(c) L'intime connexion entre « méthode» et « contenus» pré-


sente dans les sources liturgiques, pousse leurs auteurs à faire
apprendre la vérité priée en retournant sans cesse aux mêmes
idées. On recourt ainsi au langage métaphorique, aux jeux litté-
raires plus disparates, etc. qui deviennent le véhicule des conte-
nus denses, profonds, bien articulés 15'. Ceux-ci sont canalisés
vers la {( personne)} et « l'agir)} du Christ. Cela était nécessaire
pour sauvegarder la vérité de la foi christo logique tellement
menacée à cette époque par les diverses hérésies christologiques
et trinitaires.
Dès lors, de l'intime connexion entre {( nléthode» et « con-
tenus}) présente dans la liturgie, émerge un autre fait important.
En effet, la liturgie est" signum efficax fidei » et tandis qu'elle
célèbre les "divina mysteria» du Christ en les perpétuant dans
et par la foi, elle incite les « participants}) à vivre en conséquence

ln Voir ci-dessous: II. Des données aux considérations. B. L'actualité du


Christ dans les cé.lébrations. 2) La conformation au Christ.
I.~ Pour le langage métaphorique, les jeux littéraires, voir - par exemple -: H.
LAüSBERG, Handbuch der literarischen Rhetorik. Eine Grundlegung der Literatur-
wissenschaft, 2 voU. (München 1960).
286 ACHILLE M. TRIACCA

de façon à être toujours plus en mesure de transférer dans leur


vie quotidienne ce qui est célébré, et de porter à et dans la cé-
lébration ce qui est chrétiennement vécu. Ainsi, la christologie
révélée dans l'eucologie et priée dans la liturgie, rejoint aussi le
but d'aider à la croissance des personnalités chrétiennes, car en
professant, confessant, priant le Christ, modèle de vie pour arri-
ver au Père, lentement mais progressivement est dépassée dans
les « fidèles priants» féventuelle rupture ou « divorce» entre la
vie quotidienne et celle communément appelée vie de foi, hélas
souvent perçue comme séparée de la vie quotidienne.

B. L'actualité du Christ dans les célébrations

Restant dans le cadre de notre relation, et sans entrer dès


lors dans le détail des opinions qui furent débattues au cours
de ce siècle à propos de J'actualité du Christ dans les célébra-
tions 155, il faut admettre que les sources liturgiques que nous
analysons mettent J'accent sur l'histoire du salut (= historia
salutis) dans laquelle la place centrale est occupée par le mystère
du Christ vers qui tend toute J'histoire précédente et de qui
dérive toute celle qui suit. Si cette histoire forme un ensemble
unitaire, c'est précisément parce qu'elle est centrée sur le Christ
et son œuvre rédemptrice. Maintenant, si par le fait de l'Incar-
nation, le Christ appartient à un temps et à un lieu déterminé,
il n'est pas moins vrai que son œuvre concerne tous les temps
et tous les lieux 106 de sorte que devient actuelle pour nous soit
la présence, soit l'action, soit J'efficacité de l'œuvre du Christ. Ceci
apparaît encore plus clairement si l'on tient compte des consi-
dérations suivantes qui à partir de la méthode, nous conduisent
jusqu'à la théologie liturgique.

A propos de la présence de Christ dans la liturgie on peut rappeler la


1,'5
« question casélicnne ». Voir O. SA1\TAGADA, Dom Odo CaseZ. Contributo mono-
grafico per una bibliografia generale delle sue opere, degli studi sulla sua dut-
trina e della sua influenza nella teologia conlemporanea, dans: Archiv für Litur-
giewissenschalt 10/1 (1967) 7-77; B. NEUXHEL'SER, La celebrazione liturgica nella
prùspettiva di Odo Casel, dans: Rivista Liturgica 57 (1970) 248-256; et encore,
très utile est l'oeuvre de A. CL'VA, La presenza di Cristo nella Liturgia (Roma 1973).
[56 Cfr. P. VISENTl:\', Il Mistero di Cristo nella Costituzione. Liturgica, dans:
Rivista Liturgica 51 (1964) 293-307 spécialement 300-301.
({ CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 287

1) DE LA « FINALITÉ» À LA « RÉALITÉ»

Au-delà des diverses méthodes auxquelles nous avons fait


allusion plus haut "', toutes utiles pour isoler le "depositum
fi dei » à propos du Christ tel qu'en témoignent les diverses sour-
ces liturgiques, il en est une que l'on pourrait définir comme
partant de la téléologie (= finalité) (qui met en évidence les
buts de la" christologie liturgique ») vers l'ontologie (= réalité) de
la christologie liturgique.
En effet, d'un point de vue méthodologique, on peut étu-
dier l'essence (= le quid) de la présence et de l'action du Christ
en partant de la finalité (= l'ad quid). Ceci équivaut à remonter
à ce qui" découle» de l'actualité du " mysterium Christi» dans
la célébration, dans la mesure où elle est « inhérente» à 1'« histo-
ria salutis », à 1'« opus Redemptionis » 158 célébré par la liturgie.
On découvre ainsi comment, dans le cours des siècles, les diver-
ses générations chrétiennes ont vécu en célébrant et célébré en
vivant le ({ ~..1ysterium » qui est le Christ 159. On pourra remarquer
plus facilement que l'actualité opérante de la présence du Christ
dans la liturgie acquiert un relief particulier si elle est considérée
à la lumière de ce dont témoignent les sources liturgiques. Il
s'agit de préciser le rapport qui passe entre la célébration et le
" mysterium salutis ». En d'autres termes, il faudrait parler de
la présencialité du mystère du Christ dans la liturgie et de l'instru-
mentalité de l'humanité du Christ dans l'ccuvre du salut des fidè-
les. Ceci nous porte à affirmer la nécessité, de la part des fidèles,
d'être dans les dispositions nécessaires pour participer 160 avec

J57 Voir: II. Des données aux considérations. A. Les diverses manières d'affron-

ter le thème.
155 On peut rappeler la secreta de la IX Dom. post Pentecosten du Missale

Romanum (Piu.s V) et maintenant les Super oblata de la Feria V Hebd. Sanctae,


de la Il Dom. «per a/111Um », de la Missa Votiva de SS.ma Eucharistia B du
Missale Romanum ex Decret,] Sacl'Osancti Oecumenici Concilii VaticanÎ Il instau-
ratum. Auctoritate Pauli PP. VI prolnulgatum. Editio altera (Typis Polyglottis
Vaticanis 1975) respectivement aux pages 246, 341, 858, où l'on prie: "quoties
huius commemoratio celebratur, opus nostrae redemptionis exercetur ».
m La La bibliographie sur le sujet mysterium est très abondante. Voir au
moins: G. BORNK.A.MM, !J.UO''t'-IjpLO\l, dans: Theologisctws Worlerbuch zum Neuen Tes-
tament -1 (1942) 809-834: R. FOLLET - K. PRL.\lM, Mystères, dans: Dictionnaire de la
Bible - Supplémwl 6 (1958) 1-225; K. PRGMl\I, Mysterium, dans: Bibeltlwologi-
sches Worlerbll.ch 2 (KaIn '1967) 1038-1059, et spécialement pour la tonalité litur·
gique voir: C. V,\G,\GGINI, Il senso teologico della liturgia. Saggio di liturgia teo-
logica generaie (Roma 41965) 564-576.
1.0 La participation de l'assemblée à l'action liturgique jusqu'ici n'est-elle pas

eneore étudiée cn manière complète. Voir une petite contribution A.M. TRIACCA,
La «Methexis" dans l'ancienne lilt/rgie ambrosienne, dans: AA.VV., L'assemblée
liturgique et le différents rôles dans l'assemblée (Roma 1977) 269-305.
288 ACHILLE M. TRIACCA
------------------
fruit à ces actions liturgiques, et la nécessité de vivre plus inten-
sément l'insertion dans le mystère du Christ glorifié par sa mort
en croix '"'. En fait, l'actualité du Christ dans les célébrations,
postule ce qui suit.

2) LA CONFORMATION AU CHRIST

Plus haut 162, nous avons affirmé que dans la liturgie, la foi
priée rassemble la vérité sur la personne du Christ et pousse
à comprendre l'action réalisée par Lui pour entrer non seule-
ment en syntonie et en sympathie, mais encore plus en synergze
avec l'action polyédrique du Christ. Ici, nous attirons l'attention
sur le fait que les sources liturgiques mettent l'accent et rassem-
blent les énergies des fidèles sur la nécessité d'une conformation
progressive à l'action et au « sentir}) {( eum Christo », La « christo-
logie" des sources liturgiques suppose une continuelle modifi-
cation de l'attitude, de la façon de vivre, de penser et de juger des
fidèles, pour assumer les attitudes et les sentiments du Christ.
On comprend ainsi COlnment les sources ont intérêt à présenter
la personne et l'action de Jésus de telle sorte qu'en émergent
les lignes saillantes de sa vie (= Christo-zoè-graphie), avec l'inten-
tion principale de pousser le fidèle qui célèbre dans l'Eglise et
avec l'Eglise le " mystère" du Christ, à renoncer volontairement
à tout ce qui ne le rend pas conforme à la vie du Christ. En d'au-
tres termes, qui participe liturgiquement parlant aux mystères du
Christ et entend parler de Sa vie, priant avec Lui, en Lui, par Lui,
s'assimile lentement, existentiellement parlant, au Christ-Liturge.
De là, les allusions nombreuses au mode de vivre des chrétiens
(christiano-zoè-graphie) contenues dans les sources, et dont une
analyse détaillée nous porterait à trop de prolixité. Il est certain
que la participation liturgique donne une forme humaine à l'ac-
tion divine et une forme divine à l'action hunzaine.
C'est continuer - d'une façon analogique - le mystère
(= fait historico-salvifique) de l'Incarnation du Verbe et de la
vie de Jésus, pour arriver, toujours par le biais de l'action litur-
gique, à l'assimilation (= commune-union), à la conformation et
à la conformité avec le Christ.

Je! Cfr. Philip 2,9. Voir aussi Rom 4,24-25; 1 Kar 15,17, etc.
161 C.-à-d.: II. Des données aux considerérations. A. Les diverses manières
d'affronte.r le thème. 3) Des comparaisons liturgiques à la réalité christologique
commttne.
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 289

3) DE LA PERSONNE ET DE LA VIE DU CHRIST, À LA VIE DE CEUX QUI


SUIVENT LE CHRIST

Un chapitre qui, à la réflexion, connaît un renouveau vital


dans le vécu ecclésial, est celui de l'ecclésiologie liturgique. Les
semaines de S. Serge sont également un témoignage de ce ré-
veil, soit dans ce que nous avons défini comme 1'« admirable tri-
logie » 163, à savoir les actes des trois semaines liturgiques très
significatives 16\ soit dans le thème déjà «ex professa» traité
dans « L'Eglise dans la liturgie" '''. Toutefois, il ne sera pas inu-
tile de rappeler le lien étroit qui existe entre l'ecclésiologie litur-
gique et la christologie liturgique. En effet, c'est à partir du
« Christ-Eglise" que l'on va vers le Père. Ce lien trouve son
«point focal" dans la participation liturgique, qui est partici-
pation aux mystères de la vie du Christ en vue de la propre
et anthentique réalisation dans la «plebs Dei ", dans le «po-
pulus Dei ", dans la « familia Dei ".
Et de même que la participation liturgique traduit le visage
le plus intime et authentique d'une communauté de croyants
qui se réclame du Père, dans le Christ, « virtute Spiritus Sancti ",
ainsi l'ecclésiologie liturgique renvoie à la christologie liturgi-
que. Ainsi donc, comme nous le disions plus haut '"', des sour-
ces liturgiques plus qu'une ecclésiologie liturgique, on peut dé-
duire une christianologie, c'est-à-dire, un mode de vie pour les
chrétiens. En effet, l'eucologie met en relief le fait que l'assimi-
lation du Christ et la conformation au Christ sont les points
culminants de la participation liturgique, comme elles le sont
aussi de la christianologie, c'est-à-dire de cette réalité par la-
quelle les chrétiens, conscients de la loi de la «mimesis" en-
seignée par le Christ à ceux qui veulent le suivre, et transmise
par les Apôtres aux disciples de tous les temps, s'efforcent d'imi-

e
l6J Voir notre « Presentazione» aux Actes de la XXIV Semaine d'Etudes Li-
turgiques: Gestes et paroles dans les diverses familles liturgiques (Roma 1978)
7-12 spécialement 8-9.
164 Il s'agit des actes des XXII~XXIIIe-XXIve Semaines d'Etudes Liturgiques
c.-à-d.: Liturgie de l'Eglise particulière et liturgie de l'Eglise Universelle (Roma
1976); L'assemblée liturgique et les différents rôles dans l'assemblée (Roma 1977);
Gestes et paroles dans les diverses familles liturgiques (Roma 1978).
16.\ Voir A.M. TRIACCA _ A. PISTOIA (edd.), L'Eglise dans la Liturgie. Conférences

Saint-Serge. XXVle Semaine d'Etudes Liturgiques. Paris, 26-29 Juin 1979 (Ro-
ma 1980).
166 Voir: II. Des données aux considérations. A. Les diverses manières d'affron-
ter le thème. 1) Du vocabulaire aux contenus.
290 ACHILLE M. TRIACCA

ter le Christ. En effet, de même que Jésus dit de le suivre'" et


propose aux disciples une voie de perfection qu.i est aussi voie
d'inlitation et de confornlation: le Père 168, ainsi à son tour, Paul
enseignera à J'Eglise primitive cette loi de J'imitation, rappor-
tant tout au Christ; Christ du/vers le Père 16'. Et cette loi se
trouve déjà dans l'eucologie. La liturgie en effet, instille dans
les participants la réalité qu'ils constituent une unité avec le
Christ, qu'ils sont solidaires avec le Christ 170, et qu'ils doivent
le manifester aux autres. En effet, personne n'a vu ou ne voit le
Christ présent dans J'" Ecclesia" ou dans les actions liturgi-
ques, mais si les autres voient un chrétien authentique, ils voient
le Christ.
A partir de J'eucologie, les traits de la personne du Christ
se retrouvent (= christoprosopographie) non seulement d'une
manière directe comme nous l'avons montré plus haut 171 ou ail-
leurs 172 (= christologie), mais bien plus encore dans la manière
dont ils sont vécus par les chrétiens (= christianologie), lesquels
doivent révéler le Christ aux autres. Cela veut dire que les thèmes
de la " morale" chrétienne sont déjà contenus d'une façon vitale
dans les anciennes sources liturgiques. On priait ce qu'il fallait
vivre. On vivait comme on priait. C'était une façon de faire une
catéchèse et une pastorale vives et vitalisantes. De la sorte, il n'y
avait pas de rupture entre le {( rite» et la « vie »,
En d'autres termes, christoprosopographie et christianologie
dans les sources liturgiques permettraient de mettre en relief la
manière dont l'éthique chrétienne devrait avoir des liens intimes
avec la loi de la " mimesis " de la vie de Jésus. La christo-zoè-gra-
phie serait une investigation ultérieure à conduire. En effet, l'eu-
cologie rappelle au chrétien qu'il doit réaliser et actualiser le
plus adéquatement que possible la conformation à la vie du

167 Cfr. Ml 16,24: Mc 8,34; Jo 12,26.


16S Cfr. Mt 5,48.
16~ Cfr. 1 Kor 4,15; Eph 5,11: Philip. 3.17; 1 Thess. 1,6.
1,0 Voir notre étude citée à la note 160 spécialement aux pages 295-296, et
aussi A.M. TRIACC.o\, La partecipazione liturgica. Spunti melodologici, dans: Myste-
rion. Miscellanea in occasione dei 70 Ulmi dell'Abale Salvatore Marsili D.S.B.
(Torino-Leumann 1981) 261-287 spécialement 283ss.
lOl Voir: II. Des données aux considérations. A. Les diverses manières d'affron-

ter le thème (rout) B. L'actualité du Christ dans les célébrations 1) et 2).


mVoir les travaux cités aux notes 22 (= Xo·Ve); 23 (= Xo-LDPs): et aussi à
la note 24 (= Xo-Ber).
cc CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 291

Christ et cela, non tellement par l'enseignement du Christ perçu


noétiquement, n'lais bien plus par cet enseignement incarné de
manière vitale dans l'agir quotidien 173.
D'autre part, les sources nous montrent que la condition de
l'unité des chrétiens entre eux et avec le Christ, vient de l'inser-
tion de tous les membres en Christ )74. Nous sommes joints 175
et associés 176 au Christ car c'est à Lui que nous devons sans
cesse adhérer 177, Cette solidarité mutuelle avec le Christ postule
une façon de vivre qui soit en syntonie avec ce que le Christ
désire et veut 178, Et puisque Lui-même habite dans l'Eglise et
est présent au milieu de nous et en nous )'j9, on comprend alors
pourquoi les chrétiens doivent vivre unis entre eux et unis au
Christ 1", Dans le Christ et sous Sa protection 181, la chrétienté

11l Voir la thèse doctorale (malheureusement encore inédite) défendue chez


1'« Academia Alphonsiana}) à Rome, de T. GONZALES, Exposici6n de la perfecci6n
cristiana en los formularios cuaresmales y pascuales deI Sacramentario Gela-
siano. Intento de sintesis entre vida liturgica y vida moral {Roma 1967).
'J~ Cfr. LOPs 385: ut laudantes nomen tuum in canticis, te Dominum, in quo
vivit anima noslra, requircrc debeamus: LOPs 260: quos secunda nativitas in
Christo regenerat.
m Cfr. par exemple LOPs 256: Tibi adhaerere bonum est, Domine, et a te
recedere noxium; a te elongari perditio; et libi coniungi vitae est plenitudo: LOPs
335: vere enim salvi erimus, si vultus tui in nos aspcctum converteris, et hilariter
Hostri te animabus coniunxeris; et aussi LOPs 11, 84, 107, 204, 256, 303, 307, 314;
319, 386, 588, etc,
lJ6 Cfr. LOPs 84: ut spes, quae nos libi adsociat, nulla fidei titubatione vacillet:
LOPs 216: nos quoque tibi conlatione sanctitatis adsoeia.
ln Cfr. LOPs 445: errantes, ne pereant, quaeras, et inventos in te semper
rnanere concedas; LOPs 528: ut in te solo adsuescamus requiescere; LOPs 256:
ut qui spcm nostram in te ponimus, perfectam in te beatitudinem conscquamur:
LOPs 385: te Dominum, in quo vivit anima nostra requirere debeamus.
m Cfr. LOPs 241: et qui censemur voeabulo Christi, mereamur eius partîci-
patio perfrui ... et te in nobis esse gaudeamus; LOPs 357: ut tu, virtutum Domi-
nus, sis nobiscum; LOPs 450: quia nisi tu in nobis fueris ...
17'.1 Cfr. LOPs 80: ut te delectet esse intra nostrorum cordium intima, ac me-
rito habitantis sit habitationis earitas infinita; LOPs 264: ut te habitante per-
lustres; LOPs 125: ita simul pennaneant te inhabitante bcati; LOPs 162: ver-
bum tuum ... in Eeclesiae tuae semper inhabitet templo; ut inhabitatoris prae-
sentia: LOPs 225: domumque ecclesiae tuae, quam sanctitas decet sanctitas
te habitante perornet; et aussi: LOPs 358, 563, etc.
lW Cfr. LOPs 537: Dominator Domine Jesu Chris te, qui dominaris a mari
usque ad mare, concede nobis in tuae dorninationis unitate consisterc; LOPs
520: atque uniti fidci mysterio, muniamur suffragio tuae virtutis; LOPs 590: qui
eredentium dispcrsionem in tuam colligis unitatem; LOPs 384: qui inhabitare
faeis unanimes in domo; WPs 122: et de regionibus congregatos ... compagi
earitatis ... coniungis; et aussi: LOPs 460, 422, etc.
III Cfr. LOPs 348: In protectione alarum tuarum, Domine, filios hominurn
sperantes nequaquam detegas ... ; LOPs 450: esto servorum tuorum et custos:
LOPs 412: protege nos sub umbra aIarum tuarum obtentu, et eircumda nos
292 ACHILLE M. TRIACCA

doit tendre à conserver l'unité qui détruit toute erreur et contre


laquelle se brise l'hérésie 182, Le Christ a un héritage propre:
l'ensen1ble des chrétiens 183 par Lui purifiés 1B4 et rénovés. En ef-
fet, participants de Sa vie lB5, regénérés par Lui 186, ils sont pré-
destinés en Lui 187, Le dynamisme de la vie des chrétiens trouve
son centre en Christ 188, et tout effort nous rend prêts à aller
à sa rencontre 189, Le Christ est toujours le centre de toute aspi-
ration au bien, et le but de l'espérance des chrétiens 190, En som-
me, le Christ est tout pour les chrétiens, Et toute la vie des chré-

tuae veritatis scuta; LOPs 215: Custodi nos, Domine, ut pupillam oculi ne
innocentiae nastrae lumina carnalis concupiscentiae turbo corrumpat; protege
nos umbra alarum tuarum, ne insidiantium carnalium capiamur inlecebris VQ-
luptatum; LOPs 347: sed sperantes in protcctionc alarum tuarum, circumvo-
lantium insidiarum rapinis ercpti, ab ubertate damus tuae sancto eloquio replea-
mur; ct aussi LOPs 523; 248; 348; 558; 524, etc.
IO! Cfr. LOPs 405: non eas confringet errar; LOPs 492: non desistat; LOPs 510:

non sinas dirimi; LOPs 474; stabilitate verae fidei gradiamur; LOPs 153: sed fixa
in te stabilitate perdurent, etc.
m Cfr. LOPs 415: non rcpellas, Domine, piebem tuam, quam mercatus es,
nec derelinquas hereditatem, pro qua cruee adpensus es; LOPs 563: cuius san-
guine cognoscitur adquisita; LOPs 548: quos traphaeo crucis dignatus es com-
parare; ac pro quibus fusio saeri sanguinis exstat redemptio; LOPs 344: ut ani-
mas nostras et admissa remittendo eonquiras et tegendo delicta possideas;
LOPs 571: Eeclesiae tuae de gentibus lucra conquiris, etc.
lM Cfr. WPs 360: Suscepimus, Deus misericordiam tuam Jesum Christum
Dominum nostrum, quem propter nostram exaudiendam misisti miseriam; LOPs
225: salva piebem tuam ... quam pretioso sanguine redemisti; LOPs 258: ut
calicis permixti, cuius nos effusione redemptos, ete.
185 Cfr. LOPs 241: Deus, exaudi orationem nostram, ut in nomine tuo sal-
vemur; ct qui censemur vocabulo Christi, merearnur cius participatio perfrui.
lli6 Cfr. LOPs 260: Ne memineris inquitates nostras antiquas, Domine, neque
nos originalis debiti culpa perstringat, quos secunda nativitas in Christo rege-
nerat; adprehendat nos itaque misericordia tua, Domine, quia creator hominis
in homine naseitur, et homo in Deum glorifieandus adsumitur; LOPs 212: Rex
noster et Deus noster: depelle a cordibus nostris erroris et ignorantiae noctem;
ut renovando nos in novum hominem, mane nostras exaudias voces.
1!7 Cfr. LOPs 257: tuaeque non obliviscaris Ecclesiae, quam a saeculo prae-
destinasti in Christo.
\ij! Cfr. LOPs 340: sit in petra exaltatio nostra, ut corroborati per Christum,
in ipso effieiamur caritate sublimes, in quo aedificamur fide credentes; WPs
148: Avcrte oeulos nostros, Domine, ne videant vanitatem, et in via tua vivifica
nos; fae nos odire saeculum et diligere ChrÎstum.
139 Cfr. LOPs 296: ut operum nostrorum lucen1am Christo tua Domino nostro
praeparalltes, et fructum iustitiae repleamur ad gratiam, et verbum vitae conti·
neamus ad gloriam.
1911 Cfr. LOPs 586: Confitcbimur nomini tuo, Domine, in humilitatis abundan-
tia, qui solus facis mirabilia magna; confitebimur etiam paventes nostrorum
delictorum admissa, sperantes de tua gloria veniam; tu quippe, noster redemptor,
spem nos tram in te conIoea, et errorum lapsibus fractos tuae gratiae remediis
sana.
__________________-=«~C~H~R~I~S~T~O~P~R=O=S=O=P~O=G=R=APHIE » 293

tiens ne doit être qu'une suite de la vie du Christ, dans le temps


et dans l'espace.

III. DES CONTENUS A LA M.ËTHODE ET DE LA M.ËTHODE


AUX CONTENUS

La centralité de l'événement historique du Christ, culminant


dans la Pâque, fut toujours le point de référence pour l'élabo-
ration de la christologie. En effet, la singularité de la personne
du Christ vient de son événement concret historico-humain.
Ainsi, la première annonce le proclame homme-Dieu, Sauveur,
Libérateur, Rédempteur. Les approfondissements ultérieurs fu-
rent toujours orientés pour faire suivre les traces du Christ sur
le chemin qu'est le Christ}9' et à en suivre les enseignements
perçus et compris toujours plus profondément jusqu'à rejoindre
la maturité en Christ "'.
Et l'on ajoutera même que c'est du Christ que la foi par
les fidèles reçoit lumière et horizons nouveaux 193 et est invitée
à une nouvelle forme de vie culminant par excellence dans l'action
accomplie par le Christ dans l'Esprit: celle de glorifier le Père.
L'évangile du salut rend libre, de la liberté des fils de Dieu ''',
pour que l'on puisse louer, rendre grâce et glorifier Dieu en
esprit et en vérité "'. Et comme le sabbat du rituel hébraïque
exprimait «in umbra» la participation à la liberté souveraine
de Dieu dans la création, dans la vocation d'Abraham, dans la
« pâque juive », ainsi la réalité liturgique du nouveau, véritable,
complet et éternel testament, est participation à la liberté obte-
nue par l'intervention réalisée par le Père, en Jésus Christ dans
son Mystère Pascal, en vertu de l'Esprit Saint. Il nous insère plei-
nement dans la parfaite liberté de la dédition de Jésus dans
« l'action-événement» de la médiation réalisée précisément par
Lui, le Christ, Grand Prêtre Eternel.
On comprend ainsi à nouveau la centralité du Christ dans
la réalité liturgique. L'intention de la liturgie n'est donc pas de
tranSl1!ettre ou de propager une idéologie, mais de faire vivre une

191 Cfr. Jo 14,6.


191 Cfr. Eph 4,13.
193 Cfr. Hebr 12,2.

I~ Cfr. Ra 8,21; Gal 4,31; 5,13.


195 Cfr. Jo 4,23-24.
294 ACHILLE M. TRIACCA
~~----------~~~. ~~~~--------------

expérience vitale du Christ présent dans les mystères célébrés,


tandis qu'en Lui, avec Lui, par Lui en vertu de l'Esprit, le Père
est glorifié.
On comprend ainsi que les sources sont les témoins de con~
tenus spécifiques liés au vecteur portant d'une méthode typique,
et ce n'étant jamais finalisé en soi, mais aux seuls contenus.

A. Contenu christologique et méthode propre des sources liturgi-


ques: l'un au service de l'autre

La méthodologie propre aux sources li turgiques en raison de


leur contenu christologique tend à faire comprendre que le des-
sein révélé du salut n'est pas une chose à connaître de manière
théorique, mais se concentre et s'assume en une Personne qui
est le Révélateur et le Sauveur. Chaque type de méthodologie
relatif aux sources liturgiques est orienté de façon à susciter
dans le "participant-célébrant" de l'action liturgique une atti-
tude d'amour qui, lentement mais progressivement, le porte au
Christ-Liturge, à une «connaissance opérative» qui pousse à
agir comme le Christ le veut et l'exige.
A partir des textes eucologiques, on veut porter les célébrants
à croire et à confesser Jésus Christ (<< ore et corde,,), pour le
servir effectivement (<< opere») dans le prochain.
En d'autres termes, la prière liturgique est toute dirigée de
manière à créer un climat optimal et une ambiance de ({ sain réa-
Iisme" sur la réalité de la personne de Jésus. Il n'est pas seule-
ment prié comme Seigneur, exalté par le Père, mais aussi comme
« l'homme des douleurs". La méthode propre aux sources litur-
giques est au service du contenu christologique propre parce que
la prière liturgique opère en qui prie une action de cheminement
graduel de foi vers le Christ, avec le Christ, par le Christ, dans
le Christ.
Le dynamisme de la foi assume dans l'action liturgique une
explicitation de ce que la catéchèse et l'homilétique christocen-
triques avaient déjà commencé. La méthode relative précisé-
ment à l'action catéchétique se trouve, à son tour, avantagée par
l'action liturgique. En effet, la prière liturgique assure l'augmen-
tum fidei dont l'initium fidei avait été posé par le Kérygme et
l'action catéchétique successive. Lentement, l'experientia fi dei
que les méthodologies catéchétiques «sic et simpliciter» et
<c CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 295

catéchético-liturgiques en particulier, font faire au «fidèle-priant»,


pousse celui qui prie avec, dans, par le Christ à l'incitamentum
fidei "'.
On peut ainsi passer plus facilement du premier stade de
la foi envers la personne du Christ, cognoscitif et notionnel
(= credo Christum), au progrès de l'approfondissement de la
foi en Christ, rejoignant l'altitudo fidei qui pousse en profon-
deur vers le Christ (= credo in Christum), pour arriver à la vis
vitalis fidei qui fait que chaque fidèle se donne et s'offre tota-
lement au Christ (= credo Christo).

8. Les contenus liturgico-christocentriques: témoins d'une métho-


dologie liturgique vitale

Ce qui provient des sources que nous avons considérées est


une partie des témoignages du christocentrisme présent dans
l'occident liturgique 1"'. Dans le mode courant de l'exprimer, on
peut parler de «christologie liturgique", entendant l'ensemble
des vérités de foi qui concernent la personne et l'action de Jésus

196 Voir sur les dynamismes de la foi selon les sources liturgiques: A.M.
TRIACCA, «Fides magistra omnium credentium ll. Pédagogie liturgique: pédagogie
« de la foi» ou «par la foi »? Contribution des sources liturgico-ellcalogiques à
l'intelligence d'un problème actuel, dans: A.M. TRIACCA - A. PISTOIA (edd.), La Li-
turgie expression de la foi. Conférences Saint-Serge. XXV8 Semaine d'Etudes
Liturgiques. Paris, 27-30 Juin 1978 (Roma 1979) 265-310.
197 Chez les liturgies occidentales on peut chercher aussi la dimension pneu-
matologique. On trouvera sans doute beaucoup des témoignages si l'on applique
la méthode exacte. Voir A.M. TRIACCA, Spirito Santo e liturgia. Linee metodologiche
per un approfondimento, dans: Lex Orandi Lex credendi. Miscellanea in onore
di P. Cipriano Vagaggini (Roma 1980) 133-164, où dans la note 7 (pp. 134-135)
nous avons écrit: «Diciamo "liturgie occidentali" perché nell'accusa sarebbero
coinvolte la liturgia romana, ambrosiana, gallicana, gotica, ispano-visigotica, cel-
tica, africana, ecc. per quanto esistano tra loro differenze e tonalità diverse. In
gcnere si contrappane l'Occidente liturgico aU 'Oriente liturgico che, per un co-
mune modo di pensare (ma proprio c sempre con fondamento nella realtà!?), si
litiene più sensibilizzato per quanta concerne la Spirito Santo. Comunque stiano
le case, da un punto di vista oggettivo, si deve ammettere che comunemente gli
Orientali traverebbero la fonte deI grande difetto teologico degli Occidentali nel
fatto che la liturgia occidentale ha concentrato i suoi interessi sulla Persona di
Cristo (:::: Cristomonismo), per cui mancherebbe, nelle fonti occidentali, una
equilibrata compcnctrazione tra cristologia e dinamismo trinitario. L'altra que-
stione accentuata in Occidente, quella pelagiana, avrebbe causato uno squilibrio
neil',m~ropolo2.ia tcobgica ». Cf. Y.M. J. CO:--.iGAR, La pneumatologie dans la théo-
logie catholique, dans: Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques 51
(1967) 250-258 ». Voir aussi la bibliographie sur le sujet de l'Esprit Saint et la
sacramentaire: M.J. FRANCISCO, La Spirito Santa e i Sacramenti. Bibliografia,
dans: Notitiae 13 (1977) 326·335; D. BERTETTO, Lo Spirito Santo e Sal1tificatore.
Pnettmatologia (Roma 1977) 381-393.
296 ACHILLE M. TRIACCA

Christ telles qu'elles sont présentées par les éléments des sour-
ces liturgiques. Une «christologie liturgique» ainsi comprise,
nous pouvons la désigner comme «christologie liturgique sta-
tique» par opposition à la « christologie dynamique ».
Nous disons ceci en analogie avec ce que nous avons déjà
démontré par ailleurs à propos de l'ecclésiologie 198, puisqu'aussi
pour la christologie, on peut affirmer que toute assemblée litur-
gique qui a prié les diverses formules dont émerge la christo-
logie liturgique statique était, par la vertu du Christ présent
en Elle, une assemblée tendant à constituer une partie de l'uni-
que vrai Corps mystique du Christ. En ce sens, on peut égale-
ment affirmer l'existence d'une christologie liturgique dynamique.
Une telle christologie n'est pas en soi réductible en lignes
et structures d'étude. Cependant, de cette christologie liturgique
dynamique, toute source liturgique [et peut être considéré com-
me tel tout livre liturgique d'hier, d'aujourd'hui ou de demain 199J
nous donne un témoignage dans la mesure où l'on y applique des
critères méthodologique spécifiques 2".
Nous voudrions maintenant porter notre attention sur quel-
ques-uns de ces critères, presque comme synthèse de toute notre
relation.

1) LA LITURGIE EST LE « LOCUS» PER EXCELLENCE Où LE CHRIST EST


PRÉSENT ET AGIT

En fait, les mêmes textes liturgiques qui participent de la


réalité propre de la liturgie et des lois du langage liturgique ''', ne
sont pas à comprendre seulement uti sonant, mais au-delà du
signum ou fla/us vocis, ils signifient en vérité ce qu'ils disent.
C'est la res liturgica considérée au-delà du signum liturgicum, qui

!9S Cfr. A.M. TRIACCA, « A1ater omnium viventium ». Conrributo metodologico ad

llna ecclcsiotogia liturgica dal Nuovo Messale Ambrosiano, dans: In Ecclesia


(Roma 1977) 353-383, spécialement 35655. et 36355.: IDEM, «Ecclesia Mater omnium
viventitlm ,~. Liturgie ambrosiemte et ecc1ésiologie universelle, dans: A.M. TRIAC-
C,\ - A. PISTOIA (edd.), L'eglise dans la liturgie. Conférellces Saint-Serge. XXVI"
Semaine d'Etudes Liturgiques. Paris 26-29 Juin 1979 (Roma 1980) 241-269_
1'19 Cfr_ A_M. TRIACCA - B. NEUNHEUSER, Il libm liturgico e la celebrazione: iai
e oggi, dans: Rivista Ulurgica 63 (1976) 57-76.
200 Cfr. A.M. TRIACCA - R. F'\RIKA, Studio e lettura dell'Eucologia. Note meto-
dologiche, dans: Teologia - Liturgia - St.Jria. Miscellanea in onore di CarIo Man-
ziana, Vescovo di Crema (Brescia 1977) 197-224.
201 Voir les nr. 1 - 2 - 3 des Ephemerides Liturgicae 92 (1978) 3-237, sur le
sujet: Liturgia e lingllaggio.
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 297

importe. Ainsi, le Christ qui est présent et agit est la res irrem-
plaçable que seule l'action liturgique rend actuelle. I! est pré-
sent d'une manière opérante dans la mesure où la liturgie pro-
vient de Lui. En effet, c'est de Lui que proviennent les sacre-
ments que la liturgie célèbre. La proclamation de la Parole de
Dieu qui y est faite, est le mémorial du «Sermo Dei» porté
et proclamé par le Christ.
I! est présent dans le service ministériel de qui remplit, dans
la liturgie, une fonction instrumentale déterminante dans l'éco-
nomie voulue par le Christ. Mais il res te clair que la présence
et l'action du Christ dans la liturgie, ne s'expliquent par aucune
dépendance nécessaire vis-à-vis des structures choisies librement
par Lui.

2) L'ACTION LITURGIQUE EST LE « LOCUS» Où SE FAIT L'EXPÉRIENCE


DE LA CHRISTOLOGIE

En conséquence de l'affirmation faite ci-dessus (1), ceci est


d'une importance capitale pour comprendre que la «christolo-
gie statique» cristallisée dans une source liturgique, est encore
le témoin de la « christologie dynamico-opérative ».
En effet, l'action liturgique d'hier et de toujours, est le « lo-
cus» de la rencontre avec Jésus Seigneur, Rédempteur, Libéra-
teur, Sauveur, homme-Dieu, Emmanuel, Grand Prêtre Eternel.
La promesse du Christ d'être présent jusqu'à la fin des temps
là où deux ou trois sont réunis en son nom 202, est réalisée de
façon éminente dans l'action liturgique. La « conscience de foi»
de cette réalité fait de la liturgie, même dans son expression
linguistico-sémantique, une méthode irremplaçable d'étude, de
compréhension, d'approfondissement et de connaissance existen-
tielle de la personne de Jésus.
Les participants à l'action liturgique prennent conscience
d'être les artisans et les ouvriers de la vraie histoire du « cos-
mas» parce que la liturgie est le lieu où le passé salvifique est
présent en Christ; comme d'autre part, elle est le lieu où est
anticipé le futur salvifique. Ainsi, l'assemblée liturgique est le
« locus» où naît et se constitue le Corps du Christ. En d'autres
termes, la liturgie devient la matrice de la christologie vitale.

lD2 Cfr. Mt 18,20.


298 ACHILLE M. TRIACCA

En effet:
3) LA LITURGIE EST LE ({ LOCUS» où LA CHRISTOLOGIE NAîT, S'ART!·
CULE, SE DÉVELOPPE

Ce principe pourrait être démontré grâce à l'apport de l'histoi-


re du dogme christologique, et aussi à l'histoire liturgique. Celle-
ci en effet, - comme nous le disions plus haut - n'est rien
d'autre que l'étude des diverses modalités par lesquelles le Christ
au cours des siècles s'est rendu présent et a été connu, compris,
aimé par les diverses assemblées liturgiques qui ont vécu sous
des cieux et en des cultures différentes. En d'autres termes, on
pourrait dire que la liturgie et la christologie sont coextensives,
vivant et croissant de pair. C'est l'action du Christ qui rend un
culte au Père, dans l'Esprit. Elle est vécue et comprise par des
chrétiens qui, se rencontrant avec le Christ (Iee principe) et com-
mençant à faire l'expérience du Christ (U' principe), prennent
conscience de la personne du Christ d'une manière toujours plus
vive, professant la foi en Lui, L'attendant dans une bienheureuse
espérance, L'aimant dans les autres d'une infinie charité.
C'est dans l'action liturgique que, communiant au Corps et
au Sang du Christ, chaque fidèle, à la suite du Christ, devient
un «confesseur» du Christ qu'il reconnaÎt comme présent, vi-
vant, rédempteur, glorifié. C'est toujours l'action liturgique qui,
priant les vérités de foi sur le Christ, porte à vivre ces mêmes
vérités d'une manière toujours croissante. En effet, la foi des
chrétiens en Christ, dans la célébration devient rencontre avec le
Christ, se fait expérience du Christ.
L'action liturgique où se produit la rencontre de la com-
munauté animée par l'Esprit Saint, en Christ, avec le Père, est
le « locus» où la vérité de la foi en Christ passe de l'endoctrine-
ment dogmatique à la vitalisation de l'expérience, en sorte que
la personne du Christ est toujours mieux connue dans l'amour
et aimée dans la «compréhension», Se crée ainsi un schéma
psychologique progressif entre l'amour et la connaissance jusqu'à
comprendre que le passé, pour chaque participant de l'action
liturgique, est présent pour dire « Kyrie, eleison »; que le futur
est anticipé dans le «viens, Seigneur Jésus », « Maranatha »; et
que dans le présent, en Lui, par Lui, avec Lui, chaque participant
peut dire « Doxa Theô »,
« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE » 299

4) LA LITURGIE EST LE « LOCUS» DU DÉPASSEMENT DES DUALITÉS


INTERPRÉTATIVES À PROPOS DE LA PERSONNE ET DE L'ACTION DU
CHRIST

Partant de l'Eucharistie où le Christ est présent d'une


présence dite substantielle, à toutes les autres actions liturgiques
où sa présence opérative se fait prière avec la prière des parti-
cipants, on peut très bien affirmer que la personne du Christ
dans la liturgie est cause exemplaire de la sanctification et du
culte qui s'y réalisent. Dès lors, on comprend déjà comment la
dimension descendante ou sanctificatrice et la dimension ascen-
dante ou cultique qui se vérifient dans l'action liturgique, soient
rendues possibles par la double action du Christ: Rédempteur,
Sanctificateur, Libérateur et Grand Prêtre Eternel, Liturge par
excellence.
Mais, après une considération attentive des sources liturgi~
ques en comparaison avec les théorèses sur le Christ dans les
homélies, les traités, les catéchèses des Pères (comme également
dans les traités actuels sur le Christ), il faut affirmer que c'est
la liturgie qui opère une admirable synthèse vitale et opérative
des dualités d'interprétation de l'action et de la personne du
Christ. Nous croyons opportun d'examiner quelques-unes de ces
dualités résolues, aussi en relation à l'échange entre la liturgie
et la catéchèse.

(a) Christologie et Sotériologie

Si l'on tient présent que la personne du Christ est celle du


Sauveur, on comprend que christologie et sotériologie sont
étroitement liées dans l'action liturgique. Ainsi, la présence du
Christ dans l'action liturgique vise toujours simultanément le
salut du fidèle, sa sanctification, son culte en esprit et en vérité '''.
L'action liturgique accomplit et actualise l'œuvre rédemptrice.
Le mystère pascal que le Christ a réalisé en Lui est perpétué
dans et par la liturgie. Grâce à sa participation à la liturgie, le
fidèle aux côtés du Christ présent, re-célèbre le parcours salvi·
fique du Christ. Le Christ est célébré dans sa totalité: homme·
Dieu, Fils Unique du Père, Fils de l'Homme, Kyrios, Rédempteur,
Sauveur.

lU} Ciro Jo 4,23; RD 12,1.


300 ACHILLE M. TRIACCA

(bl Le Christ de l'histoire et le Christ de la foi


Habituellement aujourd'hui, dans le sillage de certaines
({ nuances» déjà présentes dans les écrits néo testamentaires et
dans certaines affirmations des Pères, on veut parler du Christ
de l'histoire et du Christ de la foi, jusqu'à poser une dualité dans
la personne du Christ. Il en est méme - on le sait - qui à la
suite du modernisme, voudraient affirmer que le Christ de l'histoi·
re et celui de la foi sont presque diamétralement opposés, au
point que l'un soit vrai et l'autre illusoire. Mais la liturgie de
tous les temps a célébré, a fait mémoire, a rendu présent et
rénové le Mystère dans son entièreté et intégralité qui est le
Christ: l'unique, l'égal, le terrestre et supra· terrestre, le divin·
humain. Ainsi, nous prenons part aux actions théandriques du
Christ, comme nous célébrons chacune des ses paroles: "Etant
donné que le Christ est le Verbe de Dieu, aussi une action du
Verbe est parole de salut pour nous" 2". C'est la liturgie qui
résout les éventuelles antinomies, contrapositÎons et dualités
que certains pourraient imaginer à propos de la personne et de
l'action du Christ. En fait, seule la liturgie est capable de « créer
la présence" des richesses des actions salvifiques et des mérites
du Seigneur, en sorte qu'elles soient présentes à tous les temps
et pour toutes les générations ,0> et que chaque fidèle puisse
entrer en contact et être rempli de la grâce salvifique. La liturgie
est le Christ·vie, vivant dans le temps, crû et vécu par le croyant
en un rapport d'intimité. L'intimité avec le Seigneur, domina·
teur et auteur de tous les temps, qui ne peut être contraint par
aucun temps 206, pas plus qu'il ne peut l'être par des considéra·
tions passagères qui défigurent la personne de Jésus ou la
mettent en doute, cette intimité c'est la liturgie qui la crée, la
réalise, l'approfondit, la renouvelle, la perpétue.

2'" Cfr. A. AUGUSTINUS, Tractatus in Evangelium Joannis 24,2 (= PL 35,1593;


Corpus Cllrislial10mm 36,244): «Nam quia ipse Christus Verbum Dei est, ctiam
faclura Verbi, verbum nobis est ».
l~~ Cfr. Sacrosallctum Concilium, 102.
lll6 Voir le principe que nous avons formulé ainsi: «Omnium temporum Do-
minator non adstringitur spatiis temporalibus ». Cfr. A.M. TRIACCA, Cristo e il
tempo. La redenzione come storia. Alcuni prestlpposti teologico-liturgici per la
comprel1sÎolle e vitalizzazione dell'anno liturgieD, dans: Liturgia. Notiziario quin-
dicinale Cef/tro Aziol1c Liturgica nr. 279-280, 12 (1978) 830-850. Le principe à
la pag. 348.
({ CHRISTOPROSOPQGRAPHIE » 301
---------------------- -----------------~

(c) Le Christ-mystère et le Christ-vie


Dans la considération des sources liturgiques d'hier et d'au-
jourd'hui, on voit ressortir de manière admirable combien le
Christ qui actualise et réalise le Mystère est aussi le Christ-vie
pour les fidèles. La plénitude de la miséricorde et de la bonté
du Père, le Christ, est étendue et donnée en partage aux fidèles
dans le temps et vécue par les frères du «Premier-né d'une
multitude de frères» 207, par la "prémice de la nouvelle créa-
tion» 2GB. L'éternité de l'amour des Personnes divines nous suit
dans le temps qui est le Christ '''. La certitude d'être aimés par
la Trinité en Lui, provient du fait que tous sont aimés par et pour
Lui. Le Christ, mystère-vie célébré et rendu présent par la litur-
gie, est la pensée du Père concrétisée et rendue actuelle pour
nous en Christ 2>0 par la force de l'Esprit. Le Père ne pense
pas à nous en dehors du Christ, et nous ne pouvons exister sans
être pensés par le Père, en Christ, mystère du Père qui nous est
communiqué comme vie, en vertu de l'Esprit.
La liturgie est l'intériorisation ecclésiale du mystère du
Christ qui est et agit dans le temps: intériorisation offerte en
participation au fidèle et perpétuation de ce qui est arrivé au
Christ, en Christ, par le Christ, avec le Christ. En d'autres termes,
la liturgie est l'espace privilégié de l'action de l'Esprit Saint qui
dans la célébration, actualise le mystère du Christ et opère dans
les fidèles ce que le Christ-vie est.

(d) Le Christ Prophète-Roi-Messie-Prêtre-Rédempteur


La liturgie possède la capacité de rassembler" una simul»
les dimensions du temps et de l'espace. L'" heri »-1'" hodie »- l'" et
in srecula)} deviennent « nunc », présents en un « hodie» éternel 211.
Comme Nazareth, Bethléem, Jérusalem, le Golgotha, le Cé-
nacle deviennent présents dans le hic, dans leur rapport aux
actions salvifiques que le Verbe fait chair, le Messie, le Pro-
phète, le Roi, le Prêtre, le Rédempteur, Celui qui nous donne
l'Esprit, a accomplies. Simultanément, chaque aspect du Christ

lui Ra 8,29.
203 Cfr. 1 Kar 15, 20.23.
109 CfI". A.M. TRIACc.\, a.c., spécialement 848-850.
1,Q Cfr. Eph 1,4.

III Cfr. J. PINELL, L'« hadie)' festiva ne.gli anlifonari latini, dans: Rivista Litw··
gica 61 (1974) 579·592.
302 ACHILLE M. TRIACCA

est vécu, comnlémoré, célébré. Le Christ, dans la liturgie, con·


quiert progressivement chaque fidèle. Il est la présence de
l'Eternel dans le temps. C'est Lui qui fait en sorte que la vie de
chaque croyant vaille la peine d'être vécue, car toute vie devient,
par l'action liturgique (du Baptême à chaque événement de
salut), vie dans le Christ. Il est Dieu traduit en gestes humains,
non seulement par ce qu'II a dit, mais plus encore par ce qu'II
fait et est pour chaque fidèle. En effet, le Christ, l'alpha et
l'oméga 212, est célébré dans la liturgie dans son "pleroma"
comme l'envoyé du Père, Verbe incarné, Prophète, Roi, Messie,
Prêtre, Rédempteur, Pantocrator, Libérateur, Liturge.

CONCLUSION

La christologie comprise comme "science qui étudie la


personne du Christ» et la sotériologie comprise comme « science
qui étudie l'action salvifique opérée par le Christ", sont deux
sciences qui doivent être sans aucun doute intégrées dans ce qui
émerge des sources liturgiques et plus encore dans ce qu'est
la liturgie.
Les sources liturgiques traitent et décrivent de façon prédo-
minante la personne du Christ en ce qu'elle est et fait. Elles nous
donnent simultanément une christoprosopographie et une chri-
stoénergographie indissociables à leur tour de la christianographie
et de là, indissociables de la figure (qualis esse debet) du chrétien
imitateur du Christ. En lui, est rendu visible au COurs des siècles,
le Christ invisiblement présent.
Maintenant, entre la christologie-sotériologie et la christo-
prosopographie-christoénergographie, existe un point de contact
qui est l'intérêt d'enseigner aux diverses générations de fidèles
que le point de contact entre Dieu et les hommes, c'est le Christ.
Ainsi, la (c mesure)} du don de soi du Dieu Un-Trine n'est pas
dépendant du besoin de justice ou de sens de la liberté qu'ont
les hommes, mais c'est d'abord et avant tout du Père lui-même
que" surgissent », dans le Fils Unique, par la force de l'Esprit,
l'Amour, la Justice, la Liberté, le Salut, la Rédemption, etc.

m CfT. Apoc 1,8; 21,6; 22,13.


« CHRISTOPROSOPOGRAPHIE )} 303

Et le Christ est « toute la volonté du Père" pour actualiser l'


o~xovo[J.(CX:
du salut {( virtute Spiritus Sancti ».
C'est le Christ que la liturgie rend présent en une modalité
maximale. C'est le Christ qui est l'auteur de la liturgie. C'est le
Christ qui, par la liturgie, attire à Lui les fils dispersés de Dieu 2".
En ce sens, les sources analysées sont des témoins de quelques.
unes des {( ecclesüe orantes» du passé. Celles-ci sont le (( lumen
fidei" et sur la base de l'expérience « théologique" propre à leur
milieu, el/es comprenaient car el/es la vivaient toute la réalité de
la personne du Christ (christoprosopographie) et de l'action de
Jésus Christ (christoénergographie). Elles la comprenaient parce
qu'elles la vivaient. En effet, la christoprosopographie et la chri·
stoénergographie sont inséparables de la christianologie.
La « réalité-Christ », el/es la vivaient parce qu'el/es l'aimaient
avec un esprit catholique au sens étymologique du terme (la
christologie est indissociable de l'ecclésiologie). El/es l'aimaient
parce qu'el/es la priaient. En effet, la même Personne de Jésus
était (et est) présente en toute {( ecclesia orans ».

Université Pontificale Salésienne


et Pontificium Institutum Liturgicum
Rome, le 24·5·1980
Achille M. TRIACCA

m Cfr. Jo 11,51·52.
LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE
DE L'ÉGLISE NESTORIENNE

Jerne propose d'aborder mon sujet, «Le Christ dans la


liturgie baptismale de l'Eglise nestorienne ", en examinant le rite
tel qu'il est décrit dans les manuscrits et dans l'édition imprimée
d'Urmi " et en m'inspirant de deux commentateurs, qui étaient
peut-être contemporains, mais qui ont abordé le sujet séparément
avec ùe notables différences. Ce sont Emmanuel bar Shahhare et
l'écrivain anonyme qu'on a identifié, probablement à tort, avec le
Métropolite Georges d'Arbèles et Mosul, et dont la présentation
des Offices de l'Eglise a été éditée par Dom R.H. Connolly'. En
ce qui concerne l'Anonyme, les savants ont situé son œuvre entre
le 9' et le li' siècle '. Son héros était le patriarche Isho'yabh III
(c. 650-660), à qui on attribue une révision complète des rites
nestoriens dans leur ensemble, et du rite baptismal en particulier.
On pense que ce dernier, destiné à l'origine au baptême des
adultes, a été modifié pour servir au baptême des enfants '.
L'Expositio Officiorum Ecclesiœ est une œuvre en prose qui offre

\ La liturgie baptismale figure dans la plupart des exemplaires manuscrits


des rituels destinés aux prêtres. Je me suis servi pour cet exposé (a) de l'ADD.
1984, de la Bibliothèque universitaire de Cambridge, daté A.G. 2018 == 1707 ap. J.C.
et écrit à Alqosh par le prêtre Joseph; (b) de l'ADD. 2045 de la Bibliothèque
universitaire de Cambridge, daté A.G. 1997 = 1686 ap. J.e. et rédigé à Gogtapa
par le scribe Shmso; {cl du texte du Syriaque 19, de la John Rylands Library,
Manchester, daté A.G. 1915 = 1604 ap. J.C., et écrit par l'évêque Jean.
La version imprimée de ce rite sc trouve dans Liturgia Sanctorum Aposto-
larum Adaei et Maris, cui accedunt duae aliae in quibusdam Festis et Feriis
dicendae: necnon Ordo Baptismae, Urmiac, Typos Archiepiscopus Cantuarcnsis,
MDCCCXC. Il existe une traduction anglaise dans The Liturgy of the Holy
Apostles Adai and Mari, S.P.C.K., London, 1893.
~ R.H. CONNOLLY, Anonymi Auctoris Expositio Officiorum EccIesiae, Corpus
Scriptorum Christianorum Orientalium, Scriptores Syri, Series Secunda, Vols.
91 & 92, Rome, 1913.
lA. RAES, "La confirmation dans le rite Svro-Oriental », dans L'Orient
Syrien, VoL l, fasc. 3, 1956, p. 247, propose le ge ~u le Ile siècle. CONNOLLY, qui
croit quc l'œuvre est du Métropolite Georges d'Arbèles et Mosul (c. 954 - 990), la
situe au lOe siècle.
4 E.C. RATCLIFF, Liturgical Studies, ed. A.H. COURATIN et S.H. TRIPP, S.P.C.K.,
Londres, 1976, note 89, p. 154.
306 DOUGLAS WEBB

quantité de renseignements utiles. Elle procède par questions


et réponses fournies par l'auteur, mais est malheureusement
rédigée en un style terne et pesant. L'auteur cite, de temps à
autre, des extraits des décrets de Isho'yabh, et dans ces cas
l'œuvre revêt l'autorité d'un document du T siècle. Il est expli-
qué avec clarté, dès le début, que Isho'yabh prenait soin dans
tous les offices d'annoncer la typologie de l'Ancien et du Nouveau
Testament '.
Le second auteur consulté, Emmanuel bar Shahhare, mourut
en 980 selon Carda!:>i ': Il enseignait au Diara 'Ellaita, près de
Mosul (Monastère de Mar Abraham et Mar Gabriel). Selon Asse-
mani il avait assisté à la consécration de 'Abdisho' l en 963 7 •
Il avait un frère du nom d' 'Abdisho' qui, lui aussi, était poète,
quoique moins considéré qu'Emmanuel. A part un certain
nombre de traités descriptifs de moindre importance, ce dernier
est l'auteur d'un ouvrage imposant sur l'Hexaemeron, « Les six
jours de la création ». Cette œuvre consistait, semble-t-il, à l'ori-
gine en vingt-neuf discours, écrits en vers de sept et de douze
syllabes. Le second de ces discours est absent de tous les ma-
nuscrits que nous possédons. On trouve cependant dans certains,
mais sûrement pas dans tous, le Traité du Baptême, à la suite
de l'Hexaemeron. Ce poème fut composé à la suite des réformes
de Isho'yabh. Le déroulement de la liturgie, décrit par Emmanuel,
qui offre bien des caractères du rite réformé, indique aussi un
certain nombre de différences dans l'enchaînement et le contenu
de la cérémonie 8.
Le poème d'Emmanuel bar Shahhare s'ouvre sur la décla-
ration que le baptême conféré par Jean fut consommé et dépassé
dans ses effets par celui de Notre Seigneur. Il énumère ensuite
les démarches que doit faire le candidat en quête du baptême.
Notons en passant que les dispositions décrites dans ce poème,
et ailleurs aussi dans le texte de l'Anonyme, ressemblent
à celles du sacramentaire gélasien, qui admet implicitement que

5 «eum in omnibus officiis sollicitus esset bcatus Isho' yabh veteris ac novi
Tcstamenti typos exprimere ~): COXNOLLY, op. cil. p. 88 .
• CARflAHI, Liber Thesaums, p. 138.
7 ASSBl<\:-'<I, Bibliotheca Orientalis III. i, p. 200.

~ D'autres modifications ont été effectuées dans le rite depuis la révision de


Isho'yabh. On sait qu'il a introduit l'onction après le baptême, accompagnée
d'une oraison qui a, semble-t-il, été supprimée. On pourrait se demander si le
dte d'Emmanuel représente une étape entre la réforme de Isho'yabh et son
état actuel.
LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 307

la majorité des candidats seraient des enfants. Le candidat aborde


un fidèle et lui exprime son désir. Ensemble ils s'adressent au
prêtre qui inscrit dûment leurs noms dans le registre paroissial.
Les homélies de Narsaï 9 semblent impliquer sans aucune doute
que, pour ce qui concerne l'Eucharistie, le catéchuménat était
encore en vigueur à l'époque ". Le texte de l'Anonyme qui inter-
prète symboliquement le renvoi des catéchumènes durant l'Eu-
charistie suggère qu'à l'époque où cette œuvre fut écrite, les
aspects pour le moins disciplinaires du catéchuménat étaient
tombés en désuétude. Cependant Emmanuel bar Shahhare et
l'Anonyme donnent à entendre, tous deux, que le catéchuménat
existait encore sous une forme quelconque en ce qui concernait
les candidats au baptême. Il n'en est pas fait mention ni dans
les manuscrits, ni dans l'édition imprimée.
Le langage d'Emmanuel bar Shahhare indique qu'il y avait
à cette époque trois étapes du catéchuménat, les candidats pas-
sant successivement par les ordres des pénitents, des catéchu-
mènes et des auditeurs. Il dit:
« Celui qui s'est repenti est reçu dans le premier ordre, comme
pénitent, ensuite comme catéchumène et en troisième lieu comme
auditeur» Il,

Le baptême est considéré ici métaphoriquement sous le


symbole de la conception et de la naissance d'un enfant et de
même chez d'autres auteurs nestoriens. Le catéchuménat est

9 R.H. COXNOLl.Y, The Liturgical Studies of Narsai, Texts and Studies, Vol. VIII,

University Press, Cambridge, 1909.


10 On a formulé des doutes quant à l'authenticité de l'attribution de ces homé-

lies à Narsaï. Il est donc intéressant de lire le commentaire de W.F. MACOMBER


dans The Maronite and Chaldean Versions of the Anaphora of the Apostles: «Je
serais pourtant d'avis qu'il est assez peu vraisemblable qu'un auteur qui écrit
après le 6e siècle ait su commenter de façon aussi intelligente les formules de
renvoi des catéchumènes et des pénitents, alors que la pratique de ce renvoi
avait disparu (comparaison qu'avec des commentateurs postérieurs je trouve
très instructive). Il aurait d'ailleurs été incapable d'offrir une imitation aussi
convaincante du style de NarsaÏ. « Mais n, ajoute-t-il, «il reste cependant la
question de l'interpolation n. Dom B. BOTIE dans «Le baptême dans l'Eglise
syrienne n, L'Orient Syrien, Vol. l fasc. 2, 1956, observe: « Leur authenticité
est douteuse et il n'est pas probable qu'elles datent du 5e siècle n.
Le professeur F.C. Bt.:RKITT dans « The Mss. of Narsai on the Mysteries »,
l.T.S. Vol. XXIX (avril 1958) suggère que les homélies pourraient être antérieu-
res, mais retravaillées par un éditeur postérieur, et Que cet éditeur serait 'Ab-
disho' d'Elam, à qui elles sont attribuées dans certains manuscrits.
Il Je cite d'après le poème d'Emmanuel bar Shahhare dans le manuscrit
ADD. 1994 de la Bibliothèque universitaire de Cambridge, lequel fut achevé en
l'an 2012 A.G. = 1701 ap. J.C. à Alqosh, le scribe étant le diacre Khanshaba, fils
du prêtre Daniel. Il n'y a pas de variantes importantes dans les manuscrits que
j'ai examinés.
308 DOUGLAS WEBB

assimilé au temps où l'enfant est porté et nourri au sein de sa


Dlère.
L'Anonyme mentionne d'abord que si Notre-Seigneur fut
baptisé à l'Epiphanie, Isho'yabh institua que le baptême fût
conféré en la vigile de la Résurrection (b-ramsha da-qyamtha),
ce qui lui permet d'expliquer un aspect de la théologie du
baptême chrétien en usage dans l'enseignement de l'Eglise depuis
St. Paul ", bien que les formes antérieures des rites syriaques
orientaux ne l'aient pas particulièrement souligné. Le baptême,
dit l'Anonyme, signifie mystiquement la mort et la résurrection
du Christ parce que nous sommes baptisés en sa mort et sa
résurrection et que nous ressusciterons mystiquement avec Lui.
Cette doctrine s'exprime avec clarté dans les Leçons catéchétiques
de Théodore de Mopsueste ", et c'est par lui qu'elle a dû passer
au nestorianislne, car il est nommé, à juste titre, « le père de la
théologie nestorienne ». L'Anonyme ajoute encore quelques détails
au sujet de l'imposition des mains qui s'accomplissent sur les
candidats en ce temps. Il ajoute une interprétation symbolique:
les deux diacres qui accompagnent le prêtre en cette occasion
représenteraient, selon lui, les deux anges qui accompagnaient
Dieu quand il apparut à Abraham. Il les identifie par la suite
avec Gabriel et Michel, "ministres des deux alliances, car ils
apparaissent dans l'Ancien Testament auprès de Dieu, et dans
le Nouveau à la Résurrection et à l'Ascension du Christ» ".
D'après les deux auteurs, les candidats se rendent au baptis-
tère pour leur préparation au baptême pendant" 1", Préparation
de la Passion de Notre-Seigneur ». Emmanuel bar Shahhare écrit:
« En ces jours où Notre-Seigneur préparait ses apôtres à voir
sa Pâque qui apporte la vie à tous les hommes, les auditeurs sont
préparés par la magnificence de la prière des foules qui mystique-
ment meurent avec Notre-Seigneur afin de ressusciter avec Lui» 15.

Il La référence dans le Nouveau Testament est }'Epître aux Romains VI, 3 - 5:

ctyvod't"e: o"t'~ o']"o~ È~0:1t'"d(61)!Le:v do;; Xp~O''t"à\l 'I1)O"oü\I, do;; -rà\l 6&.\l0:'t"ov o:6't"oü e':.{3O!7t-
"b6'1!l.e:\I; C1U\le:-:-&.tp1):l.e:\I 00\1 cxù't"~ ô~&. 't"OÜ ~o:1t,i.a!Lcx't"oo;; do;; 't"à\l 6&.vcx't"ov· tvlX
W01tEp 7JyÉp61) Xp~O"'t"àç Èx \le:xpwv 8~1i "âjç ôa;"lJç 't"oü IIIX,;paç oü-rw Xctt ~!Lero;; e':.v
xo::~vo"t"-rrr~ t;;CiJ7jç 1tEp~r.o:7f)aCiJf1.e:v. e:t ylip aUfltpu.cx ye:ya\lIX!l.e:v 't"ej} é!LOLOO!LIXT~ 't"oü
8ctv:hou aOTOü, lin&. xat "t"7jç &'vaa..-&'ae:CiJç Èa01J.e:6a:.
1) THÉODORE DE MOPSL'ESTE, Du baptême. R. TONNEAU et R. DEVREESSE, Les homé-

lies catéchétiqu.es de Théodore de Mopsueste, Studi e Testi, Città de! Vaticano,


1949. A. MŒG.\l\..'!., Commclllary uf Theudo,e of Mupsuestia on the Lord's Prayer
and the Sacramenrs of Baptism and the Eucharist, Woodbrooke Studies, Vol. VI,
W. Heffer & Sons, Cambridge 1933.
Il CONNOLLY, up. cif., p. 99 (texte), p. 90 (traduction).

Il Cambl"idge ADD. 1994, f. 269.b.


LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 309

Nous avons ici un exemple de la CQuturne des commentateurs


nestoriens qui relient certains détails de l'Office qu'ils com-
mentent à un épisode de la vie de Notre-Seigneur. En d'autres
termes, ils considèrent que les offices auxquels participe le peuple
illustrent et enseignent les événements de la vie terrestre du
Christ. L'Anonyme rattache les phrases de cette partie du rite
d'initiation aux événements relatés dans l'Ancien Testament,
plutôt qu'a ceux de la vie du Christ, puisque les deux alliances
sont représentées dans le baptême. Il note ici: «Le prêtre sort
du baptistère revêtu d'habits resplendissants. C'est ainsi que
Dieu apparut à Moïse dans le buisson» 16.
Il donne pour ces préliminaires du rite baptismal un ordre
de succession plus détaillé qu'Emmanuel bar Shahhare, en faisant
appel aussi à la typologie de l'Ancien Testament pour les expli-
quer. Il ajoute que l'engagement du candidat, qu'il compare à
la réponse d'Abraham à l'appel de Dieu à quitter son pays d'ori-
gine, a lieu le mardi de la mi-Carême, 4' semaine du jeûne ". Le
mercredi (die divisionis ieiunii, wa-b-yawma d-palgtha) le prêtre
accompagné des deux diacres qui symbolisent les deux anges,
Michel et Gabriel, sort du baptistère vers les candidats et pro-
nonce sur eux l'oraison de l'Imposition des mains, laquelle sera
vraisemblablement répétée chaque jour jusqu'à la cérémonie
proprement dite. Le baptême est identifié aux sacrifices quoti-
diens des agneaux dans le temple: il signifie, selon l'Anonyme,
toute l'ère de l'ancienne alliance. Au début de la dernière semaine
du jeûne, le candidat pénètre dans le baptistère vraisemblable-
ment pour recevoir l'instruction, symbole de la marche des en-
fants d'Israël allant trouver Jean au bord du Jourdain. L'autel
du baptistère est considéré comme symbolisant le tombeau du
Christ ainsi que son trône. En d'autres termes, l'autel signifie
l'honneur ou l'excellence du Christ qui se manifesta au Jourdain.
Il semblerait à bien des égards que ces cérémonies aient été
destinées aux candidats adultes plutôt qu'à des tout-petits, bien
qu'il ait été dit, nous l'avons noté, que la révision d'Isho'yabh
avait été adaptée au baptême des enfants. Les deux auteurs indi-
quent que durant la Semaine Sainte les candidats viennent

16 CONNOLLY, op. cil., p. 89 (texte), p. 99 (traduction).


IlLe jeûne, c'est à dire le Carême, commence un dimanche cinquante jours
avant Pâques ct ùure sept semaines. Le mercredi de la 4e semaine est dénommé
«la division du jeûne »: les 1ère, 4 c et 7~ semaines du .ieûne sont dites «les
semaines des mystères".
310 DOUGLAS WEBB

chaque jour au baptistère pour une préparation plus intensive.


Il est vrai que la remarque de l'Anonyme « Nisi enim prius do·
cuisset et monuisset quomodo baptizaret", ne s'appliquerait
guère au baptême des tout·petits. Emmanuel bar Shahhare men·
tionne des litanies, des louanges, (le Gloria Patri), le trisagion,
et l'Oraison dominicale ainsi que la procession depuis le baptistè·
re, précédée de la croix et de l'évangéliaire. La croix évoque Notre-
Seigneur conduisant la procession du dimanche des Rameaux,
et 1 évangéliaire, la Parole de Dieu qui donne vie à tous les
hommes. Ici encore le commentateur cherche à rattacher l'action
liturgique aux événements de la vie du Christ. Soulignons cepen-
dant que ni l'édition imprimée d'Urmi, ni les manuscrits examinés
ici ne font allusion à ces cérémonies pas plus qu'au catéchu-
ménat.
Emmanuel bar Shahhare introduit comme suit l'ouverture
des rites baptismaux célébrés selon lui la veille de Pâques.
« Le baiser de paix donné à la croix et à l'évangile, et par les
assistants les uns aux autres, c'est la paix de Jésus qui proclame
à tous le repentir et le royaume. C'est à l'heure où les méchants et
les soldats scellaient la tombe sacrée de notre Sauveur que s'ouvrait
la chambre nuptiale du baptistère. Au coucher du soleil, alors que
s'achevait la solennité du 7e jour, les gardiens étaient comme
morts tandis que le Seigneur sortait du tombeau. Ensuite la célé-
bration (de la liturgie) par ce signe porte le mystère. De même
que Notre-Seigneur se rendait à la demeure des trépassés, de
même le prêtre allait vers son troupeau. A partir de ce moment
le mystère de la Mort et de la Résurrection du Christ s'accomplit
chez les baptisés dans son ensevelissement et sa résurrection» 16.

Voilà encore une référence à la conception paulinienne du


baptême symbolisant la mort spirituelle, l'ensevelissement et la
résurrection des baptisés, qu'on retrouve dans Théodore de
Mopsueste en ces termes:
« Il est évident pour nous, selon les paroles de l'apôtre, que
lorsque nous célébrons soit le baptême, soit l'Eucharistie, nouS com-
mémorons la mort et la résurrection du Christ afin que son espérance
se fortifie en nous. En ce qui concerne la résurrection il dit, "Ou
bien ignorez-vous que nous tous, baptisés en Jésus-Christ, c'est
dans sa mort que nous avons été baptisés? afin que comme le
Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions
nous aussi une vie nouvelle" (Rom. VI, 34). Il nous enseigne

18 Cambridge ADD. 1994, f. 269.b.


LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 311

clairement ici que nous sommes baptisés afin d'imiter en nous la


mort et la résurrection de Notre-Seigneur et de recevoir, par la
commémoration de ces événements, la confirmation de notre espé·
rance dans les choses à venir)) 19.

Le rite actuel commence par les paroles de l'Oraison domini-


cale alternant avec le Gloria, et suivies d'une prière d'introduction
qui évoque Notre-Seigneur comme « le Bon Pasteur qui est sorti
pour nous chercher et nous a trouvés alors que nous étions
morts ». Il n'est pas fait mention d'un baiser de paix comme
l'entend bar Shahhare. Après quoi on récite le Ps. 84. Le manuscrit
de la Rylands Library contient une intéressante rubrique d'intro-
duction qui déclare explicitement qu'il s'agit du baptême des
tout-petits:
«( Et ceux qui seront baptisés sont rangés devant l'église du
baptistère (qdam basiliqe d·beyth 'amada). Et celui qui baptise sort
du baptistère, portant un vêtement de lin et la mitre, avec la Croix,
l'Evangile, l'incens et les lumières. L'un des prêtres porte la corne
d'huile. Les parrains des futurs baptisés les portent dans les bras,
la tête de l'enfant reposant sur le côté droit de celui qui le porte» 20.

Emmanuel bar Shahhare mentionne, lui aussi, le psaume,


en disant:
«Voici que le fils de Jessé annonce, sur les oisillons qui gran-
dissent auprès de l'autel du Christ, la vie nouvelle qui leur est
conférée ).

De même que l'Anonyme, il mentionne les vêtements resplen-


dissants du prêtre:
«Voici qu'est révélée dans ses vêtements, la lumière qu'ils
ont revêtue au baptême, s'étant dépouillés de l'ordre ancien, ils
revêtent l'Esprit par le feu. La mitre proclame que l'esprit répandit
la grâce de ses dons sur la tête des saints apôtres et la transmit
aux prêtres qui sont dans l'Eglise. De même que l'Esprit descendit
sur le Sauveur en la similitude d'une colombe lorsqu'il fut baptisé,
de même l'Esprit descend-il sur la tête des baptisés et les sanctifie.
Par la médiation du sacerdoce les baptisés reçoivent le Saint
Esprit et le prêtre place sur eux la main droite ct leur impose des
couronnes» 21.

19 TONNEAU & DF.VREESSE, op. cil., p. 332 . 333.


~u Rylands Library, Syriac 19. f. 61.a.
~\ Cambridge ADD. 1994, f. 270.R.
312 DOUGLAS WEBB

Dans le rite actuel le Psaume 84 est suivi d'une oraison


pour l'imposition des mains, le prêtre posant la main sur la
tête de chacun des enfants. Voici un passage de cette prière:
({ Ta grâce les a saisis dans son filet vivifiant et les a placés
dans le vase sacré du baptême qui pardonne les péchés, afin qu'ils
puissent renaître à une vie nouvelle et spirituelle pour l'accroisse-
ment de leur foi; et leur corps étant préservé de la pollution du
péché, ils obtiennent une purification durable ct deviennent les
membres du Christ nourris à la table de ses mystères» 22,

Emmanuel bar Shahhare fait, lui aussi, mention de cette


oraison de l'imposition des mains, en ajoutant qu'elle
« enseigne la force ct les gages des lois de notre Sauveur. Elle
enseigne à ce moment même et testifie que par cette disposition
nouvelle nous mourons avec Notre-Seigneur dans la similitude de
sa passion et de sa résurrection et nous revivons d'une naissance
spirituelle» 2:l.

Voilà donc ce qui résumerait cette oraison dont je vous ai


cité un extrait.
Après l'oraison le prêtre trace sur le front de chacun des
candidats le signe de la croix avec l'huile de l'onction ", l'index
passant de bas en haut et de droite à gauche, en disant: «N. est
signé de J'huile de l'onction au nom du Père et du Fils et du

II Cambridge ADD. 1984, f. 94b: Cambridge ADD. 2045, f. 68.a: Rylands Li-
brar)', Syriac 19.f. 62.a.
13 Cambridge ADD. 1994, f. 270.a.

li «L'huile de l'onction» cst contenue dans «la corne d'huile », mentionnée

dans les rubriques au début de l'office. Toutes les églises nestoriennes possè-
dent leur COrne d'huile sainte, d'ordinaire un petit vase en verre, conservé
au baptistère. A la const!cration de. l'Eglise cette huile est bénite par l'évêque
CIl prononçant la formule: «Cette huile de l'onction est signée et sanctifiée afin
qu'eUe soit un signe d'incorruptibilité au baptême qui pardonne les péchés,
au nom du Père ct du Fils et du Saint-Esprit, à jamais ». Le caractère de sainteté
particulière de l'huile est attribué moins à la consécration épiscopale qu'à son
origine prétendûment apostolique, dont la légende est conservée par bien des
auteurs du rite syriaque oriental. Parmi eux mentionnons Johannan bar Zo'bi
dont le poème Du baplêmc et du saint levain se trouve dans certains ma-
nuscrits, dont celui de l'université de Cambridge ADD. 2818, f. IB.b. - lI8.b.
Le rite du renouvellement de la provision d'huile a, semble-t-il, varié consi-
dérablement cl n'a pas toujours été accepté par un évêque. On mentionne
l'existence d'un office connu sous le nom de tak~a d-rubaia d-taybutha (La
célébration du renouvellement de l'huile sainte, litt. <l la grâce ») célébré par
l'évêque le samedi saint, mais cn bien des localités l'huile était sans doute renou-
velée par le prêtre.
LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 313

Saint-Esprit, à jamais, Amen»". Certes, le sens exact de cette


onction à ce moment de l'office est obscur, et les commentateurs
n'y ajoutent guère de lumière. Le Dr. Mitchell suggère que ce
geste pourrait remonter à l'époque où existait encore un catéchu-
ménat d'adultes, et qu'il aurait fait partie d'un rite prébaptismal ".
La suggestion n'est pas à rejeter et l'on pourrait ajouter qu'à
l'origine il existait un rapport avec l'exorcisme des candidats.
Mais cela ne résout pas la question de savoir pourquoi cette
onction se trouve dans le texte révisé par lsho'yabh III.
Ici l'Anonyme entame une longue discussion à propos de
l'onction et du baptême qui la suit. Il mentionne entre autres
pourquoi il doit avoir quatre rites distincts, le signe, l'onction,
le baptême, et le sceau, alors qu'on se sert de la même corne;
pourquoi est-il nécessaire de consacrer de l'huile alors que celle
de la corne est déjà consacrée; et pourquoi devrait-on signer
l'eau avec l'huile de la corne si l'Esprit y est déjà descendu.
L'Anonyme déclare que cette corne symbolise quatre figures du
don de la grâce:
(i). Le premier signe (rushma) est celle qu'Abraham reçut
de Dieu. Elle se trace sur le front parce que celui qui bénira les
gentils sur le front descendra de la semence d'Abraham. Elle
est semblable au sceau 27, dernière figure tracée sur le front du
baptisé après le baptême. Le geste accompli avec l'index signifie

25 Dr. L.L. Mitchell dans Baptismal Anointing, S.P.C.K., Londres 1966, p. 71,
écrit ceci: "Au début du rite baptismal, avant que le prêtre ne pénètre dans
le baptistère, le catéchumène est marqué du signe de la croix par cette formule:
"N. est signé au nom du Père ... ". Les rubriques dans R.O. {Ritus OIientaliurn
de Denzinger) ne mentionnent pas qu'on se sert d'huile, mais Timothée II et le
Pseudo-Georges d'Arbèles (g e or 10" siècle) recommandent que ce signe soit
tracé avec d'huile préalablement bénite, ce que recommande également l'édition de
Badger du rite moderne n. Dans les manuscrits que j'ai examinés les rubriques
mentionnent toutes l'onction qui cst dénommée spécifiquement l'huile de l'onc-
tion" (mt!sh}:la da-mshil;lUtha) dans Cambridge ADD. 1984 et ADD. 2045. Le texte
de Rylands Llbrary Syriaque 19 fait référence â "l'huile qui est dans la corne"
(portée par le prêtre selon les rubriques). En ce qui concerne la formule de
l'onction, seul Cambridge ADD. 1984 et le texte imprimé de l'édition d'Urmi con·
tiennent les mots "avec l'huile de l'onction". "Néanmoins il semble étrange »,
ajoute Mitchell, "que le rite dût inclure une onction avant la bénédiction de
l'huile qui devrait logiquement précéder son emploi". Mais en effet, J'huile
de la corne utilisée par l'onction est déjà consacrée, et c'est cc qu'indique l'expres·
sion de "huile sainte" de Georges d'Arbèles.
26 L.L. MITCHELL, op. cil., p. 71.
n Le terme syriaque "I:tuttama" rendu par" sceau" signifie «fin" ou con-
clusion, et s'appliquerait à la dernière oraison ou bénédiction d'un office.
314 DOUGLAS WEBB

que la puissance de Dieu ne nous est pas pleinement révélée


et que nous n'en avons qu'une connaissance partielle.
(ii). L'onction (mshil:mtha) est préfigurée par le geste accom-
pli sur Aaron et ses fils (les prêtres) et sur les rois.
(iii). Le baptême dans les eaux du Jourdain (les fonts baptis-
maux), c'est le baptême de Jean pour la rémission des péchés.
(iv). Le quatrième signe (I:mttama) sera le baptême de
Jésus, qui est aussi le don parfait de l'Esprit.
L'Anonyme donne diverses autres interprétations figuratives
des actions et des paroles du prêtre. Il les explique toutes à l'aide
de citations de l'Ancien Testament, en ajoutant de longs com-
mentaires sur les formules de l'onction et du baptême. Peut-être
est-il intéressant qu'à la fin de ce chapitre il ait reconnu ce qui
suit:
« Il en est en vérité qui nient que l'Eglise dans ces offices
liturgiques signifie l'Ancien Testament J).

Mais il ne le regrette pas et défend ses explications qui,


reconnaissons-le, paraissent assez forcées par endroits. en ajou-
tant:
{( Notre-Seigneur dit: "Je suis venu non pour détruire la Loi
et les Prophètes, mais pour les accomplir". Si donc ceux-ci ne
sont pas abolis, il annonce leur accomplissement par des actes .
..~insi accomplit-il tous les commandements de la Loi. C'est pourquoi
le baptême et, en vérité, toutes nos célébrations liturgiques datent
de façon mystique de la création du monde et se poursuivent
jusqu'à notre résurrection d'entre les morts» 28.

Dans le rite proprement dit après cette onction le prêtre


entonne le psaume 45, pendant qu'on récite des antiennes. L'Ano-
nyme relie ce psaume à la vision de Moïse au Sinaï, ce que men-
tionne également Emmanuel bar Shahhare, qui fait référence à
son contenu en ces termes:
« Ici la référence aux épices de l'embaumement annonce le mystè-
re de la mort de notre Sauveur Jésus-Christ, juge des vivants et des
morts, qui donne la vie à tous)) 29.

23 R.H. CONNOLLY, op. cit., pp. 105 - 109 (text) 95 - 99 (traduction).


19 Cambridge ADD. 1994, f. 270.a. _ 270.b.
LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 315

Ensuite tandis que le prêtre répète une prière, le diacre


proclame des litanies qui font référence à la promesse de la
résurrection «par la révela tion de Dieu, Parole et Sauveur de
tous, qui étant égal à Dieu revêtit l'aspect d'un serviteur et
spirituellement ouvrit la voie vers une vie nouvelle» ". Il transmit
aux apôtres le mystère du baptême en les envoyant appeler les
nations et convertir les enfants des hommes. Cette oraison de-
mande ensuite à Dieu de rendre les candidats dignes de l'état
d'incorruptibilité annoncé par le Christ, qui est lui-même prémices
de la résurrection ". D'après l'Anonyme, très sensible à la typo-
logie de l'Ancien Testament, cette oraison indique « les miracles
que Dieu accomplit par la verge de Moïse ». Emmanuel bar
Shahhare résume ces litanies en disant:
«Elles proclament les miséricordes de notre Sauveur que lui
demandent ceux que le stratagème des miséricordes divines a saisis
à tout âge et en toute condition» 32.

Il rattache cette oraison à « la première mission à laquelle


avant la Passion le Christ-Roi envoya ses apôtres» 33, mais la
mention des apôtres et du baptême se référerait plutôt, semble-
t-il, au commandement de Notre-Seigneur en Matthieu XXVIII,
19-20.

Vient ensuite la shurraya, un second psaume, en l'occurrence


le psaume 110, que l'Anonyme rattache aux signes qu'accomplit
Moïse devant le Pharaon. Selon bar Shahhare il se rapporte
à la divinité et à l'humanité du Christ:
«Et David annonça dans l'Esprit Saint que le Seigneur qui
devait venir serait révélé, qu'il habiterait au milieu de nous dans
son humanité, et qu'il se désaltérerait au torrent du chemin)} 34,

Ce psaume est suivi d'une oraison qui rappelle la guérison


de nos infirmités par l'huile et l'eau et notre purification par
l'Esprit. Pendant ce temps, le diacre récite une seconde prière
litanique où l'Anonyme voit le souvenir du massacre des pre-

:laCf. Phil II, 6 - 7.


11 Cambridge ADD. 1984, f. 9S.b _ 96.b: Cambridge ADD. 2045, f. 69.b - 70.a:
Rylands Library, Syr. 19. 63.a - 65.a. Dans ce manuscrit l'oraison est attribuée
à Théodore l'Interprète.
12 Cambridge ADD. 1994, f. 270.b.
1; Cf. St. Luc X, 1 - 20.

l' Cambridge ADD. 1994, f. 270.b.


316 DOUGLAS WEBB

miers-nés d'Egypte. Emmanuel bar Shahhare la réfère à la


mission des soixante-dix disciples ". Il dit ceci:
«Cette prière signifie que, bien que ce ne fût pas nécessaire,
le Christ fut baptisé à cause de sa sainteté, par Jean, son précurseur,
afin de nous uuvrir la route vers la vie. Ici est révélé que nOliS
dépouillons le vieil homme 3(i et revêtons l'Esprit dans les eaux
du baptême ».

Voilà suffisament résumée une partie de ces litanies qui en


outre prient pour le patriarche et l'évêque et pour leurs œuvres
afin que tous «soient rendus dignes de la nouvelle vie qui ne
passe pas ».
Le passage que je viens de citer continue: « alors que nous
renonçons à Satan et à toutes ses puissances et son règne».
Ceci nous amène au commentaire de bar Shahhare sur la renon-
ciation à Satan, ainsi qu'il suit:
Comme au début de leur catéchuménat, c'est en se tenant
(1

face à l'occident que les hommes sont obligés de renoncer à Satan.


Car ils sont là, dévêtus et nu-pieds, comme des captifs que l'Esprit
Mauvais a réduits en esclavage, et comme Adam au paradis, dé-
pouillé de sa gloire, Maintenant qu'ils reviennent de captivité, c'est
en tant que captifs qu'ils renoncent à Satan qui les a entraînés à
un service inutile, Ils renoncent à toutes les choses qu'il leur a
offertes, à tous ses fastes, à toutes ses idoles, ses fêtes et ses viles
aberrations)} 37.

Il poursui t:
« Ils se tournent vers l'orient, vers la mère de la lumière, d'où
Notre-Seigneur fit entendre sa voix, au lieu de rencontre du paradis,
leur première patrie. Ils reconnaissent ct confessent le Père, le
Fils et l'Esprit Saint, une seule nature divine (ou « substance» =
kyana) ... 38. Après s'être confessés ils sont oints avec l'huile de
l'onction ».

'J Cf. Luc X, 1 - 20 .


.16 Cp. Ephes. IV, 22.
]) Cambridge ADD. 1994, f. 270.b - 271.a.
10 Le texte est ainsi conçu: "Et tous reconnaissent et confessent le Père et
le Fils et l'Esprit Saint, une seule nature divine (ou substance = kyana) et une
seule puissance qui a donné l'existance à toutes choses. Et ils confessent le
don de la Parole accompli en un Corps humain en sa naissance, ainsi que dans
son b:J.ptême, sa passion, sa mort et sa résurrection. Ils confessent qu'il monta
aux cieux et (reconnaissent) ('Esprit, le Paraclet. Ils confessent la résurrection
t:. la confusion de Manes et dc Marcion, le jugement, le bonheur {futur) et la
juste punition qui sanctionnent les justes comme les méchants ». Cambridge ADD.
J994. f. 27l.b.
LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 317

Ceci n'est sans doute pas signalé dans le rite actuel. Les
termes ici employés supposent que bar Shahhare décrit une
véritable cérémonie et ce qu'il dit correspond sans doute aux
coutumes en usage dans d'autres Eglises. Elle ne diffère pas du
texte des Leçons catéchétiques de Théodore de Mopsueste qui
décrit la renonciation à Satan 39 et l'onction qui la suit, en men-
tionnant que les candidats sont dévêtus et nu-pieds (bien que ce
soit aussi la coutume dans d'autres rites), et la captivité de Satan.
Il y aurait là deux possibilités: soit que bar Shahhare explique
le sens de l'onction en termes généraux (bien que le rite actuel ne
contienne rien de semblable), soit qu'il décrit une véritable
cérénl0nie qui aurait existé à son époque, et qui fut omise par la
suite. Certes, le Credo est récité dans le rite actuel, mais pas
au même endroit de l'office.
Dans le rite actuel on trouve, après les litanies, un canon,
le psaume 132, 1-2: "Seigneur souviens-toi de David », avec ce
refrain: "Béni soit Celui qui bâtit son Eglise sur des modèles
célestes, la remplit de gloire et lui accorda le baptême pour le
pardon des péchés ». Le rite qui suit est construit par bien des
côtés comme l'ordinaire du rite eucharistique. On récite le
lakhumara, après quoi on remplit d'eau les fonts baptismaux et
on y place la croix et l'évangile. Puis vient la prière du lakhumara,
le trisagion (Dieu Saint, etc.) et l'oraison précédant les leçons,
enfin l'épître (I Cor. X, 1-13). Celle-ci est suivie de la station ou
madrasha. Il s'agit d'une hymne doctrinale qui rappelle le baptê-
me du Christ au Jourdain, la descente du Saint-Esprit et la voix
qui proclama: « Voici mon Fils bien-ainlé en qui j'ai mis nles
complaisances ». Suit l'évangile après quoi le prêtre redit une
oraison et le diacre récite deux longues litanies empruntées à la
célébration eucharistique: "Père des miséricordes, etc ». En
conclusion le diacre dit: " Inclinez vos têtes pour l'imposition des
mains et recevez une bénédiction ». Cette prière implore la béné-
diction de Dieu et sa protection sur son peuple. Pour finir le
diacre proclame les formules du renvoi des catéchumènes qui,
sans doute, devait être tombé en désuétude à l'époque de la
revis ion de Isho'yabh, et qui l'était certainement au temps de
l'Anonyme et d'Emmanuel bar Shahhare.

J9 TONNEAU & DEVREESSE, op. cit., pp. 367 . 401.


318 DOUGLAS WEBB

Avant de poursuivre l'examen du rite, voyons ce que disent


les commentateurs de ce qui précède. Emmanuel bar Shahhare,
après sa digression sur le renoncement à Satan et l'onction,
revient au rite actuel, en commentant l'épître. Il y voit « le mys-
tère du lavement que Notre-Seigneur donna aux disciples », et
continue par une interprétation allégorique comme celle de St.
Paul au sujet de l'Exode et de la traversée de la Mer Rouge. La
station, dit-il, est «un éloge du mystère vivant », et l'évangile
«le mystère de l'alliance que Notre-Seigneur accorde avant la
Passion à ses élus et au monde ». Il ressort de ce qui suit qu'il
se rapporte au baptême. Il commente les paroles de Jésus à
Nicodème sur la nécessité d'une nouvelle naissance en disant:
« Quiconque n'est pas baptisé dans la passion et la résurrection
de Notre-Sauveur est privé de la vie et du salut, qui est le
bonheur du royaume» 40. Les deux litanies et l'oraison de l'im-
position des mains il les compare aux « trois prières de la pas-
sion}) 41. Il mentionne ensuite la « purification des mains}) du
prêtre à laquelle il applique les mots de Pilate: «Je suis innocent
de la mort de ce juste ». Ni le rite d'Urmi, ni les trois manuscrits
que j'ai examinés ne mentionnent la purification des mains du
prêtre. Quant à la fermeture des portes rappelant «l'obscurité
qui tomba à cause de la croix », il s'agit sans doute d'une réfé-
rence aux renvois.

Après de longues considérations sur le baptême et l'onction,


l'Anonyme revient à la succession du rite, il en explique chaque
trait conformément à sa typologie de l'Ancien Testament - la-
quelle nous paraît irréelle et artificielle. La shurraya est «la
vision de Moïse au Mont Sinaï}); les premières litanies decrivent
« le miracle accompli par Dieu par le bâton de Moïse»; le seconde
psaume signifie « ce que fit Moïse devant le Pharaon ». Bien que
les rubriques ne donnent aucune indication quant aux gestes, il
remarque: «Par la génuflexion les futurs baptisés montrent
que les Israélites furent délivrés de la mort par la prière et par
l'immolation de l'agneau, et le sang appliqué sur le montant des
portes. En se relevant, ils signifient le départ d'Egypte des enfants

Cambridge ADD. 1994, f. 271.a.


-10
~III se réfère sans doute à Matth. XXV, 34 . 44. Voici son texte: ({ Le Seigneur
pria troÎs fois, rappelant les trois étapes de son jeûne, et à partir de là, il
triompha du diable et nous donna la victoire ».
LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 319

d'Israël ". Le psaume et son canon rappellent la traversée de la


Mer Rouge des enfants d'Israël; l'Epître, les commandements au
sujet de la chair, donnés à Moïse au Mont Sinaï; la station, la
construction du tabernacle et les prières qu'on y offrit; l'évangile
signifie la puissance de Dieu qui remplit le tabernacle. L'Anonyme
traite alors de la consécration de l'huile et de l'eau dont il sera
parlé plus loin. La dernière remarque de ce chapitre vaut la
peine d'être citée car elle indique les principes chers à l'auteur:

« Ainsi s'accomplissent tous les rites commencés dans l'Ancien


(Testament) et poursuivis jusqu'au Nouveau. Et cc qui est du
Nouveau est accompli, ensuite les mystères (ici l'Eucharistie) préfi-
gurent la résurrection des morts et le bonheur du ciel Il ~2.

Au chapitre suivant l'Anonyme se demande pourquoi l'évan-


gile est lu à l'intérieur du baptistère et pourquoi certains le
lisent à l'intérieur et d'autres à l'extérieur du baptistère, ce que
justifie l'Anonyme grâce il sa typologie. Le baptistère, dit-il, est
le lieu où se rencontrent l'Ancien et le Nouveau Testament. Il
représente le Jourdain, le lieu où Josué circoncit les Israélites
et où Jean-Baptiste conférait le baptême. Il poursuit en ces
termes:
« Mais d'autres, plus récemment, qui sont de faux esprits et
manquent d'intelligence, débitent une chose nouvelle que Isho'yabh
n'a point ordonnée. Ils sortent du baptistère pour lire l'Evangile,
ce que le bienheureux Isho'yabh n'a jamais prescrit. Mais ils disent
et l'oraison "A toi, Seigneur" (lakhumara) et le "Dieu Saint",
s'imaginant que ces additions aux oraisons sont un avantage. Ils ne
comprennent pas que ce qui cst plus que juste est pire que ce qui
l'est moins. Ainsi aller-au-delà de la vérité ou n'y point parvenir,
cela revient au même» 43.

42 CONKOLLY, op. cil., p. 112 (texte), p. 101 (traduction).


~l Le texte syriaque ct la traduction de Connolly sont ainsi conçus: Hadthâthâ
mab'în d-lâ pâqcd 'layhin Isho'yahb. nâpqîn l-bar qâreyn l-cwangelliôn. kad tub-
bânâ Isho'yabh lâ râshem hâde. Ellâ âp âmrîn lâkhumâra w-qaddîshâ. kad m~a­
hrîn da-b-thaw~epthâ da-çlâwâthâ hwâ yuthrânâ. kad là mcthbaynîn d-yaththirû-
thâ d-min 'I.vâlîthâ: bcîrâ min b-çiruthâ. w-shâwe :;;u'rânâ cmmathy d-'âbar min
shârrâ 1- el.
"Alii vero, recentiores, prava mentis indole, ct intellectu carentes, nova
cffutiunt, quœ non prœcepit Isho'yabh. Hi foras cgressi evangelium legunt: quod
beatus Isho'yabh nequaquam prœscripsit. Sed ct "Tibi Domine" (lâkhûmârâ) et
"Sanctus" dicunt, additionem orationum lucra esse put antes, neque intelligentes
illud, quad plus iusto sit, peius esse quam quod minus, idernque esse si quis aut
ultra veritatem procedat aut ad eandem haud perveniat ».
320 DOUGLAS WEBB

Que veut dire l'Anonyme par les «oraisons ajoutées »? Il


n'avait pas encore mentionné le lakhumara, ni le {{ Dieu Saint»
qui se récitent dans le rite actuel après le psaume 132. Il dit
ensuite que "Si le lakhumara signifie le baptême de Notre-
Seigneur, les futurs baptisés n'ont pas encore été oints dans
l'Ancien Testament» et d'après son interprétation les deux élé-
ments de la cérémonie doivent logiquement avoir une typologie
vétéro-testamentaire. On se demande dès lors si les deux élé-
ments (le Lakhumara et le "Dieu Saint ») sont des additions
récentes au rite, bien que cela paraisse improbable.
Après les renvois le prêtre commence la consécration de l'huile
et de l'eau. On remarquera que cette consécration suit la structure
de celle du pain et du vin dans l'Eucharistie qui s'accomplit par
une série de ghanthas et une épiclèse. Mais dans le cas présent
nous avons une épiclèse distincte pour chacun des deux éléments,
l'huile et l'eau. D'abord deux antiennes, toutes deux mentionnant
le baptême de Notre-Seigneur au Jourdain. Voici la seconde:
{{ Dans le fleuve du Jourdain, Jean a baptisé l'Agneau de Dieu
et lorsque Jésus sortit de l'eau, le Saint-Esprit de vérité, en la
forme corporelle d'une colombe, descendit et demeura au-dessus de
la tête de Notre-Seigneur tandis qu'on le baptisait» 44,

Pendant la récitation des antiennes, le prêtre verse de l'huile


dans une burette, la place sur l'autel du baptistère et la recouvre
d'un voile. Les prêtres et les diacres se tiennent de chaque côté
de l'autel. Celui qui est à droite tient la corne d'huile (l'huile
sainte qui a déjà servi dans les consécrations précédentes). Après
les antiennes tous récitent le Credo et le prêtre procède à la
consécration de l'huile dans la burette.
Il répète une ghantha, c'est-à-dire une oraison d'ordinaire
assez longue qui est prononcée à basse voix, tête baissée. Elle
consiste surtout en une prière de demande pour que le prêtre
soit digne du ministère qu'il va exercer: "qu'il soit digne de
conférer les richesses de Dieu sur ceux qui ont besoin de sa
grâce ». Après le dernier Canon" on dit: "Que la grâce de Notre-
Seigneur Jésus-Christ et l'amour de Dieu, etc. » et le prêtre trace

U Cambridge ADD. 1984, f. lO1.b _ 102.a: Cambridge ADD. 2045, f. 76a: Ry-
lands Librar,y' Syriac 19, f. 71.b.
~'Le mot "canon» s'applique dans la liturgie à la conclusion de plusieurs
oraisons longues récitées à voix basse. Il est marqué par l'élévation de la voix
et, dans la plupart des cas, par la sonnerie des cymbales.
LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 321

le signe de la croix dans l'air au-dessus de la burette. Il répète


la deuxième ghantha qui comprend l'épiclèse:
« Nous pleurons et nous supplions que par ta volonté, ô Dieu
le Père, et par la volonté de ton Fils unique Jésus-Christ, descende
sur nous la grâce du don de l'Esprit Saint qui est de toi en une
Personne véritable, et qui participe à ton être et ton pouvoir
créateur. Qu'il se mêle à cette huile et qu'il accorde à tous ceux qui
en sont oints le gage de la résurrection d'entre les morts en vue
de l'adoption parfaite, de la libération des passions mauvaises et de
la jouissance du repos éternel» 46.

A la suite de l'épiclèse la ghantha rappelle que Dieu, par la


venue du Christ, fait progresser le monde vers un esprit digne
de la Trinité. Elle fait mention de l'huile par l'onction antique
des rois et des prêtres. A présent, cette huile a été confiée à
l'Eglise comme gage et symbole de ceux qui quittent les choses
terrestres pour aller vers les choses du ciel en un corps immortel
et une âme inaltérable. On pourrait voir ici encore une allusion
au baptême qui apporte la vie nouvelle et la résurrection à celui
qui le reçoit. La ghantha s'achève par le canon" pleurant et priant
sans cesse» qui est suivi du Sanctus et du Benedictus.
Suit la troisième ghantha qui prie pour que:
«vienne la grâce du don de l'Esprit Saint, et qu'elle demeure en
cette huile, qu'elle la bénisse et la consacre et lui imprime le sceau
au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Et que par la puis-
sance de ta grâce cette huile de l'onction soit à même de donner à
tous ceux qui en sont marqués de son signe vivifiant ... la pleine
et véritable sainteté et la communion très haute au royaume des
cieux par ce baptême qui est parachevé et accompli à l'image de
la mort et de la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ» 47.

Après le Canon qui conclut cette oraison, le prêtre trace le


signe de la croix au-dessus de la burette et y verse de l'huile sainte
de la corne en disant:
« Cette huile est signée et consacrée et mêlée à l'huile sainte afin
qu'elle devienne l'image de l'incorruptibilité d'un baptême pour le
pardon des péchés. Au nom du Père, ctc.» 48.

~6 Cambridge ADD. 1984, f. 103a, Cambridge ADD. 2045, f. 77a., Rylands Li-
brary, Syriac 19, f. 74b.
47 Cambridge ADD. 1984, f. lOa, Cambridge ADD. 2045, f. 77b, Rylands Library
Syriac 19, f. 74b.
4~ Cam~ridge ADD. 1984, f. 100a, Cambridge ADD. 2045, f. 78a, Rylands Li-
brary, Synac 19, f. 74b.
322 DOUGLAS WEBB

La burette est alors recouverte d'un voile et on se rend en


procession aux fonts baptismaux, la croix et l'Evangile étant pla-
cés au-dessus vers l'Orient, jusqu'après la consécration de l'eau
qui va avoir lieu.

La consécration de l'eau commence par la répétition de la


formule « La grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc. », après
quoi le prêtre trace le signe de la croix sur l'eau et répète une
nouvelle ghantha, qui contient les paroles suivantes:
« Tu nous a donné la bonne nouvelle de notre renouvellement
et de notre intégration par Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, par
l'image de son baptême, a signifié la résurrection d'entre les morts
et nOliS a commandé d'effectuer, dans le mystère de son baptême,
une naissance nouvelle et spirituelle pour ceux qui croient» 49,

L'oraison poursuit:
«Car l'Esprit-Saint ... par l'eau visible renouvelle, selon sa
volonté, notre nature ancienne et par sa grâce verse en nous le
gage de l'incorruptibilité; lui qui descendit et demeura aussi sur
notre Sauveur lorsqu'il préfigura le Saint Baptême» 49_,

Elle conclut par l'épiclèse:


«Que le même Esprit, ô mon Seigneur, vienne aussi sur cette
eau, afin qu'elle reçoive le pouvoir d'assister et de sauver ceux qui
en sont baptisés» 4%.

Après le Canon final le prêtre verse de l'huile de la corne


dans l'eau tout en disant:
« Cette eau est signée et consacrée ct mêlée à l'huile sainte afin
qu'elle devienne comme le sein maternel qui enfante spirituellement
dans ce baptême pour le pardon des péchés. Au nom du Père, etc» 50.

De même que pendant la célébration de l'Eucharistie, avant


la réception des saintes espèces, le prêtre proclame: "Les choses
saintes conviennent parfaitement aux saints », ainsi avant l'onction
et le baptême des candidats, le prêtre proclame: "Les choses
saintes sont parfaites et convenables en vue d'une nature divine »,
à quoi le peuple répond: «Un Père Saint, un Fils Saint, un Esprit

~9_;9a_49b Cambridge ADD_ 1984, f. 100b - 105a, Cambridge ADD_ 2045, f_ 78b - 79a,
Rylands Library, Syriac 19, f. 75a.
50 Cambridge ADD. 1984, f. 105a. Cambridge ADD. 2045, f. 75a, Rylands Library,
Syriac 19. f. 75a.
LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENl'\.TE 323

Saint toujours et à jamais », Ensuite tandis qu'on récite l'un des


madrashe (hymnes doctrinales) de l'Epiphanie (et ces hymnes
sont fort longues), les candidats sont oints et baptisés. On peut
noter dans la dernière ghantha une nouvelle référence au baptême
comme la figure de la résurrection d'entre les morts et de la vie
nouvelle pour les croyants. Cette dernière pensée reprend les
paroles de Notre-Seigneur à Nicodème: «En vérité, en vérité, je
te le dis, à moins de naître d'en haut, nul ne peut voir le Royaume
de Dieu ». Elle rappelle aussi que l'Esprit renouvelle notre état
ancien (allusion sans doute au rétablissement de l'état d'innocence
d'Adam avant sa chute, qui entraîna la sentence de mort).
Emmanuel bar Shahhare établit un lien entre cette partie du
rite et la crucifixion de Jésus, rappelant que la croix de l'autel
est le symbole de la Croix du Calvaire. Il écrit:
«L'huile de la burette représente son Corps sur la croix et
les quatres oraisons 51 sont comme les quatres heures qu'il y
demeura attaché, En effet Jésus fut mis en croix à la sixième heure
et y resta jusqu'à la fin de la dixième, Il fut descendu à l'onzième
heure et enseveli à la douzième, Les fonts baptismaux à l'occident
représentent le tombeau)) 52,

L'huile versée dans l'eau à sa consécration symbolisera la


descente aux enfers de Notre-Seigneur.
En ce qui concerne l'Anonyme, sensible, nous l'avons vu, à la
typologie de l'Ancien Testament, il suffira de mentionner un seul
de ses commentaires:
« La consécration de l'eau et la descente de l'Esprit qui doit
venir indiquent que les actes accomplis sous la Loi n'ont été para-
chevés qu'après le baptême du Christ, Le mélange de l'huile et de
l'eau signifie que le baptême de Jean fut l'œuvre du même Esprit
Saint )) 53,

Les candidats quittent vêtements et bijoux, et le prêtre les


oint sur la poitrine en traçant le signe de la croix avec trois doigts,
du haut en bas et de droite à gauche, et en disant: «N. est signé
au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ». Selon les rubri-
ques cela signifie qu'en ce faisant il imprime la connaissance de

51 Les quatres oraisons ici mentionnées sont probablement les quatre ghan-
thas récitées sur l'huile et sur l'eau.
51 Cambridge ADD. 1994, f. 272a.

5l CONXOLLY, op. cit., p. 111 (texte), p. 100 (traduction).


324 DOUGLAS WEBB

la Trini té dans leur cœur et que cette connaissance leur est donnée
d'en haut. Après quoi le corps tout entier du candidat est oint
par d'autres personnes. Il est conduit au prêtre qui le fait entrer
dans les fonts baptismaux, la tète tournée vers l'orient, et l'im-
merge trois fois en disant la première fois: "N. est baptisé au
nom du Père» la seconde fois: « au nonl du Fils», et la troisième
J

fois: « au nom du Saint-Esprit », Le candidat est ensuite remis à


ses parrains qui l'enveloppent de vêtements propres, mais en
laissant la tête découverte.
Selon Emmanuel bar Shahhare,
«Le baptême symbolise les épices de l'embaumement, l'encens,
la myrrhe et l'aloès. Tous ceux qui le confessent et croient en Lui
sunt ses membres ct doivent être ensevelis avec Lui en la ressem-
blance de sa mort et de sa résurrection ».

Au sujet de la première onction il dit:


«La perfection de l'huile est ordonnée au sacerdoce et à la
royauté que signifie pour eux le Messie, qui leur accorde l'adoption
des fils)J.

Au sujet du baptême il dit:


« Il l'ensevelit dans l'eau et l'élève en le purifiant. Les
apôtres ont reçu le commandement du Sauveur de baptiser et de
faire des disciples au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Le
prêtre jette la nature humaine détériorée dans le creuset de l'eau
où elle est affinée, renouvelée et revêtue du Saint-Esprit ... C'est
le vieil homme qui est descendu dans l'eau, c'est l'homme nouveau
qui en remonte: en descendant c'était du cuivre, en remontant
c'est de l'or spirituel qui jamais ne s'altère. Il descend comme
esclave rebelle, il remonte comme prince bien-aimé qui reçoit des
richesses spirituelles, le royaume de Dieu. Il descend, Adam ter-
restre, il remonte, Adam spirituel. Et l'Esprit inscrit leurs noms
dans l'Eglise du Premier-né qui est dans le ciel)} 54.

Au sujet des vêtements propres bar Shahhare dit ceci:


« On revêt le baptisé de vêtements neufs pour signifier que la
splendeur qu'Adam avait détruite lui est maintenant restituée; il
porte une couronne de gloire afin d'être réintégré, lui qui est
libéré de l'esclavage du tyran. Car voici qu'il règne en Jésus, le
Seigneur. Il fait connaître sa beauté, la splendeur que revêtent les

5-4 Cambridge ADD. 1994, f. 272b.


LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 325

baptisés qui croient en Jésus, le vivant Fils de Dieu dans sa résur-


rection; l'image de lumière qui enveloppe divinement Notre-Seigneur
sur la montagne en présence des Apôtres et des prophètes; enfin
le mystère tout entier de la résurrection. Il illumine l'air par son
éclat et par l'intense lumière qui brille sur ses vêtements et son
corps, il éclaire leur esprit obnubilé >1 55.

Tous étant baptisés, le prêtre se rend au grand portail du


sanctuaire, accompagné des diacres avec la croix, l'évangile, l'en-
censoir, les cierges, la corne d'huile et les baptisés lui sont amenés.
On récite une oraison et un Canon, le psaume 95, avec ce
refrain: «De l'erreur, de la faute et de la mort Notre-Seigneur
nous a sauvés par son baptême. Prosternons-nous et adorons-le »,
Le prêtre dit ensuite l'oraison de l'imposition des mains, en
étendant la main sur la tête des candidats: «0 mon Seigneur,
grandes sont les actions merveilleuses de ton alliance! " Il ajoute
que nous sommes indignes même d'entendre ce que Dieu a fait
pour nous. Il reconnaît la transgression d'Adam et notre exclu-
sion, et déclare que Dieu n'a pas laissé l'homme dans sa dé-
chéance, mais:
«En te révélant dans la chair de Ton Fils unique, parole de
Dieu, tu nous as fait revenir à Toi, nous a rendus dignes de te
connaître et nous a fait sortir de l'abjection de notre nature» 56.

Quand vient le temps de l'adoption et de la rédemption de


notre corps,
« Dieu nous donne le gage de la consolation, la grâce de l'Esprit-
Saint que nous recevons par les saints mystères du baptême spi-
rituel »,

L'efficacité de ce baptême, c'est de libérer les baptisés de leurs


passions mauvaises et de les transformer en membres du Corps
du Christ qui est à l'origine de notre vie. Après cette oraison, les
candidats sont marqués du signe de la croix, puis on récite sur
eux une seconde oraison, dite aussi « Oraison de l'Imposition »,
qui vaut la peine d'être citée en entier:
« Que le gage du Saint-Esprit qui vous a été donné et les
mystères du Christ que vous avez reçus, le signe vivant que vous

55Cambridge ADD. 1994, f. 272b. - 273a.


5bCambridge ADD. 1984, f. 107a - lOBa: Cambridge ADD. 2045, f. BOb·81b: Ry-
lands Library, Syriac 19, f. 79a - 79b.
326 DOUGLAS WEBB

avez gagné et l'armure de justice que vous avez revêtue, vous


gardent du Mauvais et de ses troupes, qu'elles sanctifient vos
membres dans la chasteté. Que ce signe que vous avez reçu soit
pour vous un gage des bénédictions futures qui ne passent pas, en
la révélation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que, dans le monde
à venir, il vous place à sa droite. Puissiez-vous élever louange,
confession et adoration au Père, au Fils et au Saint-Esprit, mainte-
nant et toujours et à jamais~) 57,

L'oraison achevée, le prêtre trace sur le front des baptisés le


signe de la croix avec le pouce, de bas en haut et de droite à
gauche en disant:
{( N. est baptisé et devenu parfait au nom du Père et du Fils
et du Saint-Esprit, Amen ».

Après cela il doit imposer des couronnes en disant:


« Tu a posé sur la tête une couronne de gloire; il t'a demandé
la vie et tu la leur as donnée ».

On récite certaines antiennes célébrant le baptême et son


efficacité et le prêtre répète deux oraisons avant le l;mttama, la
bénédiction finale qui offre à Dieu gloire et honneur parce qu'il
nous a faits héritiers de sa gloire, fils de sa postérité. Il implore
aussi sa miséricorde pour ses fidèles.
Emmanuel bar Shahhare fait une allusion évidente à la
procession vers la porte du sanctuaire et au canon en disant:
« Les lumières qui les précèdent représentent la connaissance
parfaite, qui n'est ni l'obscurité, ni l'incertitude et qu'ils ont reçue
dans la liturgie du royaume. Debout en rangs et précédés de l'Evan-
gile avec la croix, l'image de notre Sauveur .. , tous s'écrient ensem-
ble: "Venez, adorons le Seigneur notre Dieu, qui nous a sauvés de
l'erreur, du péché et de la mort"}) 58,

L'Anonyme mentionne, lui aussi, la procession et l'explique


en ces termes:
« Tous sortent, tenant ce qu'ils avaient en mains, ce qui dé-
montre qu'après avoir servi Dieu, chacun à sa place, sous l'ancienne

~7 Cambridge ADD. 1984, f. 108a - 108b: Cambridge ADD. 2045, f. 81b: Rylands
Library Syriac 19, f. BOa.
18 Cambridge ADD. 1994, f. 272b.
LE CHRIST DANS LA LITL"RGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 327

Loi, ils le servent désormais dans la nouvelle alliance, sans usurper


les dons de leurs prochains ... Ils sortent cependant afin qu'en
représentant le baptême du Fils, ils représentent également sa mort
et sa résurrection. Maintenant, c'est Jean 59 qui sort pour désigner
le Fils dans son baptême, sa mort et sa résurrection. Il se rend au
lieu de la crucifixion».

Disons quelques mots des deux oraisons de l'Imposition et


des cérémonies qui l'accompagnent car on trouve des variantes.
D'après la rubrique de l'édition imprimée d'Urmi, compilée
d'après un certain nombre de manuscrits: « Le prêtre répète
cette oraison en faisant passer sa main droite sur la tête de
chacun des baptisés et en disant à voix intelligible ... ». Dans
certains manuscrits on a « Les têtes de tous et de chacun »,
Vient ensuite une oraison assez longue qui manque dans plusieurs
exemplaires du !ak~a. La rubrique concernant l'imposition des
mains s'applique, en ce cas, à la prière suivante qui commence
ainsi: « Le gage du Saint-Esprit que vous avez reçu », et qui est
dite" syâmîdâ ». Elle s'achève par le signe de la croix tracé dans
l'air, suivi de l'instruction qui suit: "Il trace la croix sur le
front avec le pouce de la main droite de bas en haut et de droite
à gauche en disant: "N. est baptisé et devenu parfait au nom
du Père et du Fils et du Saint-Esprit". Après quoi le prêtre les
couronne en disant: "Tu as posé sur sa tête une couronne
glorieuse; il a demandé la vie et tu la lui as donnée" ». On notera
que ni le rite d'Urmi ni les deux manuscrits de Cambridge ne
font mention de huile. Mais dans le manuscrit syriaque de la
Rylands Library on trouve, après la seconde oraison, la rubrique
suivante: "Il prend la corne d'huile et leur trace une croix sur
le front avec le pouce droit et non avec l'index du haut en bas
et de droit à gauche avec la huile sainte en disant: "N. est
baptisé et rendu parfait", etc. ». F.F. Irving indique que cette
rubrique ou son équivalent se retrouve dans d'autres exemplaires

~9 A noter deux points: «Jean », c'est le prêtre. L'Anonyme disait déjà que
~ si celui-ci représente tantôt Aaron, tantôt Jean, tantôt Siméon et tantôt Notre
Seigneur, peu importait. L'Evangile veut parfois signifier divers mystères» (CON-
NOLLY, op. cit., p. 112 [texte], p. 12 [traduction]. D'autre part, le lieu de la cruci-
fixion, selon le symbolisme de l'auteur, serait le porche de l'Eglise ou la nef. Il
faut donc que la seconde lecture de l'épître et de l'évangile et d'autres rites
s'accomplissent au porche de l'Eglise, après quoi tous retournent au sanctuaire
où le prêtre s'adresse aux nouveaux baptisés avant d'ouvrir la liturgie eucha-
ristique.
328 DOUGLAS WEBB
~~-------------

manuscrits du tak~a 60. Parmi les commentateurs l'Anonyme in-


dique nettement l'emploi d'huile. Il dit:
« Pour le sceau (~uttama), de même que l'Esprit descendit sous
la forme de langues de feu sur chacun, de même forme-t-il le sceau
sur le front de chacun ... Ainsi confère-t-il avec une seule corne
l'onction, le baptême et le sceau}) 61,

Emmanuel bar Shahhare remarque:


«Le prètre trace de nouveau une croix quand ils sont sortis de
l'eau à la ressemblance de l'Esprit qui descendit sur Notre-Seigneur
après son baptême. Il trace sur leur front le signe de la croix
vivante et complète ainsi le mystère de la passion de Jésus Notre
Sauveur, symbolisant par le sceau la force du don de la grâce que
nous recevons par sa résurrection dans la perfection du corps et
de l'esprit» 6.2.

L'emploi de l'huile n'est pas mentionné ici, mais plus haut,


quand l'auteur traite de l'onction, il dit:
{( Après s'être confessés, ils sont tous oints de l'huile de sancti-
fication avec le pouce ... sur le front, de bas en haut et de droite
à gauche ." le pouce signe les brebis, l'index les agneaux, après
quoi on étend sur leur tête un linge pour l'honneur du sceau» 63.

Il y aurait ici une référence au sceau final et donc à l'huile.


Le patriarche Timothée II dans ses Causes des Sacrements en
témoigne également, car il mentionne les onctions avec l'huile
de la corne, dont il dit que la première se fait avec l'index sur
le front, et la dernière avec le pouce, et il ajoute: "Le troisième
et dernier signe de croix, c'est la perfection de l'Esprit·Saint qui
est passé lors du baptême de Notre·Seigneur ». F.F. Irving consi·
dère que les couronnes (tressées en fils, d'ordinaire, blancs et
rouges, qui, selon le rite arménien, symbolisent l'eau et le sang
du côté du Christ) sont des survivances d'une coutume ancienne:
on enveloppait la tête après l'onction d'une étoffe de lin pour
protéger les traces de l'huile sainte. Il considère que cette seconde
oraison et l'onction qui l'accompagne sont équivalentes à la con·

• 6(] F.F. IRVING, The Ceremonial use of ail amollg the Easl $}'1·ians. An occa·
slOnal paper of the Eastern Cfwfches Association, Oxford 1902.
M CONNOLLY, op. cil., p. 108 (texte), 98 (traduction).

~2 Cambridge ADD. 1994, f. 273b.


ol Cambridge ADD. 1994, f. 271a.
LE CHRIST DANS LA LITURGIE BAPTISMALE NESTORIENNE 329

firmation dans les églises occidentales '", mais là n'est pas notre
sujet.
Emmanuel bar Shahhare et l'Anonyme indiquent, tous deux,
que de leur temps le rite baptismal était suivi de la célébration
de l'Eucharistie, une coutume qui a dû tomber en désuétude.
Le premier auteur dit encore:
«Ils se rendent en procession solennelle pour honorer le Saint
des Saints (le sanctuaire) comme au ciel, fortifiés par les mystères
glorieux du Corps et du Sang du Christ. Comme les apôtres en
Galilée, ils se tiennent ensemble au milieu du sanctuaire et contem-
plent Notre-Seigneur dans le mystère. Comme eux, qui se réjouis-
saient avec luj, ils contemplent la fête de sa résurrection dans les
mystères, symboles et paraboles; l'institution de notre Sauveur
accomplie dans sa nouvelle alliance. C'est de cet autel saint qu'ils
reçurent le Corps et le Sang qui donnent la vie)} 65.

* * *

Dans cette communication, la parole a été donnée à l'Eglise


nestorienne décrivant les rites du baptême: on aura vu aussi
comment deux commentateurs ont considéré le rite qui leur est fa-
milier, et leur interprétation, autant que possible, sans nos opi-
nions préconçues. Qu'avons-nous donc découvert du Christ dans la
liturgie baptismale? L'Anonyme voyait le rite baptismal de son
Eglise à la lumière de l'Ancienne Loi et à celle du Christ venu ac-
complir et non détruire la Loi. Emmanuel bar Shahhare y a vu tout
d'abord deux choses: le rite étroitement relié au baptême du Christ
qui lui a fourni son modèle et sa raison d'être, et par dessus tout
la passion, la mort et la résurrection thriomphante d'entre les
morts; en quoi l'Eglise nestorienne résume l'alliance de Dieu ou
du Christ. Dans notre baptême, c'est la même succession des
événements qui se reproduit symboliquement en nous. Nous
sommes ensevelis avec le Christ dans les eaux du baptême, notre
vieil homme pécheur est purifié et dans les eaux des fonts
baptismaux nous sommes à nouveau nés à la vie, de même que
le Christ est ressuscité d'entre les morts ainsi nous ressusciterons
pour la vie éternelle dans son royaume en union avec lui. Et

M F.F. IRVING, op. cil., p. 16.


~l Cambridge ADD. 1994, f. 273b.
330 DOUGLAS WEBB

cela, on peut le penser, sera aussi le message du rite continuelle-


ment réitéré à travers les rappels du baptême de Notre-Seigneur,
sa mort, son ensevelissement et sa résurrection, symbolisés dans
les différents gestes et paroles du rite.
Concluons cette étude par la dernière exhortation qu'Emma-
nuel bar Shahhare adresse à ses lecteurs:
« Rejouissez-vous, vivez et soyez fiers de ce mystère et conservez
le gage que vous avez reçu en cette naissance spirituelle. Protégez-le
bien pour vous défendre contre le Mauvais, de peur de commettre
un sacrilège, et que vous soyez dépouillés en devenant, comme
Adam, honte et dérision .. ' Ne quittez pas les vêtements du
baptême, ne reniez pas le Christ et confessez-le pour sa bonté et
louez-le pour ses dons ».

Douglas WEBB
LE CHRIST DANS LA RÉCENTE LITURGIE ROMANDE DES TEMPS

DE FETE ET DANS LE NOUVEAU RECUEIL «NOS CŒURS TE

CHANTENT» À L'USAGE DES ÉGLISES PROTESTANTES DE FRANCE 1

Je m'excuse de ce titre quelque peu barbare avec ces deux


adjectifs « récent» et ({ nouveau », tant il est vrai, comme on l'a
dit, « que seule la tradition apporte quelque chose d'original ».
Mais précisément, de toutes les liturgies en usage à ce jour dans
nos Eglises réformées calvinistes, cette récente publication de
Suisse romande est la plus appropriée à notre sujet, le Christ
dans la liturgie, par un retour à la Tradition ancienne dans ce
qu'elle a de meilleur. Le motif représenté sur la reliure de cet
ouvrage de 410 pages reproduit l'Agneau pascal figurant sur un
sarcophage du vèrno siècle, Galla Placidia de Ravenne, et indique,
à lui seul, toute une évolution:
recentrement sur la fête de Pâques (agneau pascal);
sur l'eucharistie (préconisée tous les dimanches et à toutes
les fêtes, avec un choix de préfaces pour les dimanches
d'Avent et de Carême, entr'autres);
la croix sur l'Agneau victorieuse de la mort: réintroduction
dans la liturgie eucharistique du memento pour les morts.
L'hymnologie protestante est très riche: le chant des fidèles
est partie intégrante de la liturgie. Par le chant, principalement,
l'assemblée atteste que la célébration du culte, de l'office divin
est son affaire, autant que celle des ministres chargés de conduire
sa prière. Le chant de l'assemblée est indispensable à la liturgie,
il en est indissociable: il est lui-même liturgie.

! Liturgie des temps de Fête, à l'usage des Eglises réformées de la Suisse


romande. Communauté de travail des commissions romandes de liturgie, La Con-
corde, Epalinges Vaud (Suisse) 1979.
Nos cœurs te chantent, recueil à l'usage des Eglises de la Fédération pro-
testante de France, Editions OberIin, Strasbourg-Paris 1979.
332 GASTON 'VESTPHAL

Dans le nouveau recueil de chants français (j'aurai pu pren-


dre aussi le recueil suisse Psaumes et Cantiques, mais je le connais
moins bien) nous lisons dans la préface cette citation de Dietrich
Bonhoeffer: « Dieu et son éternité veulent être ainlés par nous
pleinement; mais cet amour ne doit ni nuire à un amour ter~
restre ni l'affaiblir; il doit être en .quelque sorte le "cantus
firmus" autour duquel chantent les autres voix de la vie; l'amour
terrestre est un de ces thèmes à contrepoint qui, tout en ayant
leur pleine indépendance, se rapportent néanmoins au "cantus
firmus" .. ' Où le "cantus firmus" est clair et distinct, le con-
trepoint peut s'épanouir aussi puissamment que possible. Les
deux sont inséparables et pourtant distincts, comme les natures
humaine et divine du Christ. Peut-être la polyphonie en musique
nous est-elle si proche et a-t-elle tant d'importance pour nous
parce qu'elle est l'image musicale de ce fait christologique et
donc aussi de notre vie chrétienne. Quand on se trouve dans
cette polyphonie, la vie est complète et l'on sait que rien de fu-
neste ne peut arriver tant que le "cantus firmus" est tenu »,

* * *

Nous lisons dans l'avant-propos de la Liturgie pour les temps


de Fête, les indications suivantes:
La foi chrétienne entraîne immanquablement l'amour de l'Eglise.
Si le culte, ct plus pê.rticulièrement l'eucharistie, fait l'Eglise,
inversement l'Eglise, dans son être même, est une réalité cultuelle.
Paul exhorte les Romains en ces termes: {{ Offrez~vous vous-mêmes
en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu: cc sera là votre culte
spirituel» (Romains 12/l). La liturgie et l'existence chrétienne ont
partie liée; l'une et J'autre ont leur source et leur fin dans le mystère
de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Cette assurance a suffi à ceux
qui ont entrepris ce travail et l'ont conduit à son achèvement. Le
culte constitue un aspect majeur du témoignage d'une Eglise qui
se veut fidèle.
Mais aussi la fidélité de Dieu se manifeste dans la permanence
des données fondamentales du culte chrétien. On ne fabrique pas
une liturgie; la démarche première de tout liturgiste, de même
que celle de n'importe quel croyant, est de recevoir. Il convient de
remonter à la source. C'est la règle que Jean-Frédéric Ostervald
rappelait dans la préface à la Liturgie de 1713: {( En matière de
LE CHRIST DANS LA LITURGIE ROMANDE. .. 333

culte, on doit avoir de très grands égards pour ce qui sc pratiquait


dans les premiers siècles de l'Eglise ct il faut avouer qu'on trouve
dans les prières des anciens une simplicité et une onction toute
particulière. Qui peut douter d'ailleurs que ce qui se faisait dans
ces temps-là ct qui avait été établi par les successeurs des apôtres
ne soit très conforme à l'esprit dc l'Evangile et ne doive être regardé
avec respect par tous les chrétiens ... ». A partir de la tradition, on
peut chercher à instaurer du neuf qui ait quelque chance de durer.

Voilà pourquoi les auteurs du présent ouvrage se sont inspirés


d'un donné qui a subi l'épreuve des siècles; seule une telle liturgie
se révèle capable de pénétrer les situations mouvantes que con-
naissent les hommes d'aujourd'hui. Ils espèrent que les fidèles
assemblés au nom du Christ, dans la communion de l'Eglise, en
seront fortifiés pour remplir leur mission dans le monde.

Dans cette perspective générale, le groupe de travail s'est référé


à trois principes; il importe que les pasteurs, les officiants et les
paroissiens les connaissent clairement.

Le premier touche à l'année liturgique, plus précisément aux


liturgies des dimanches qui encadrent les fêtes. Dans nos paroisses,
les célébrations de l'Avent ont permis aux fidèles de découvrir le
bénéfice spirituel que comporte l'observance d'un cycle festif. Mais
il demeure hors de doute qu'un effort plus Important, déjà entrepris,
doit être poursuivi pour revaloriser Pâques par le Carême et par le
temps pascal. « La foi des chrétiens, c'est la résurrection des morts»
(Tertullien), Pâques doit redevenir la fête majeure de l'Eglise.

Le second principe est lié au précédent. Le plus ancien document


décrivant le culte dit: «Le jour du Seigneur, rassemblez-vous pour
rompre le pain et rendre grâces ... ~~ (Didaché XIV/I). La structure
normale du culte comprend la liturgie de la Parole et celle de la
Cène. Chacun sait que Calvin a voulu restaurer la pratique hebdo-
madaire du repas du Seigneur, avec la communion des fidèles.
Quand donc les chrétiens réformés se mettront-ils à suivre en cela
leur père spirituel? Les textes offerts ici leur permettront de le
faire; ils comportent en effet, avec les éléments fixes de la liturgie
eucharistique, des prières propres aux divers dimanches.
Enfin, le caractère original du culte protestant provient de la
richesse et de la beauté de son hymnologie. Cet héritage spécifique
doit être gardé et mis en valeur. L'apport du recueil « Psaumes et
Cantiques )}, édité en 1976. fait partie intégrante de cette liturgie; les
deux ouvrages constituent un tout dont la cohérence s'imposera
aux utilisateurs.

Au cours de dix-sept années de travail, les textes, mis à l'épreuve


dans bon nombre de paroisses, ont été révisés en vue de la présente
édition. Les responsables de cette entreprise n'ont pas d'autre
ambition que de servir l'Eglise; ils font confiance à leurs frères
334 GASTON WESTPHAL

qui utiliseront cette liturgie: leur vocation n'est-elle pas, à l'heure


du culte, d'être les porte-parole de la prière de l'Eglise? En respectant
de cette façon la liberté du peuple des croyants, ils contribuent à
unir l'Eglise terrestre à l'Eglise céleste qui glorifie le Seigneur.

C'est la comunauté de travail des commissions romandes de


liturgie qui a rédigé cet avant-propos. Faisons maintenant une
lecture rapide de la table des matières où nous verrons la réin-
troduction d'une prière du matin et d'une prière du soir pour
les temps de Carême et d'Avent, un Triduum pascal dévéloppé,
avec des Impropères et de nombreux tropaires orthodoxes (par
exemple p. 295: "Christ est ressuscité des morts! par sa mort
il a vaincu la mort! A ceux qu'enferment les tombeaux, il a donné
la vie »J.
Un «cahier d'accompagnement », historique, théologique et
liturgique, sorte de journal de bord de la Commission de travail,
est livré avec la Liturgie, essayant un exposé cohérent si non
scientifique sur les origines de l'année liturgique et sur ses prin·
cipaux aspects. Nous nous en servirons.
Par exemple à propos des options liturgiques pour le cycle
de Noël:
« La "Liturgie des temps de fête" reJomt la tradition la plus an-
cienne en ne faisant que du quatrième dimanche de l'Avent une
fête de préparation directe à Noël (péricopes de l'Annonciation, de
la Visitation, du Magnificat). Dès lors, les trois premiers dimanches
sont centrés sur la seconde venue du Seigneur. On y retrouve
toutes les péricopes eschatologiques importantes, attestant que celui
qui est venu dans l'humilité est le même que celui dont nous atten~
dons le retour en gloire. Il paraît important d'avoir ainsi trois
dimanches de caractère délibérément différent - eschatologique -
sur l'arrière-fond desquels Noël se détache d'une manière plus
juste, parce que mieux rattachée aux dimensions dernières de
l'histoire du salut ».

« L'Avent ne doit pas devenir pour autant un second Carême,


Noël ne pouvant en aucun cas concurrencer la célébration du Triduum
pascal. Les trois premiers dimanches de l'Avent sont un temps de
préparation au retour du Christ, sans relation importante avec
Noël. Si l'on considère que le début de l'année liturgique se situe
au premier dimanche de l'Avent, ces trois premiers dimanches sont
alors une introduction à toute l'année chrétienne, qui est une marche
de l'Eglise au devant de son Seigneur qui vient. Si l'on considère
au contraire que le début de l'année chrétienne se situe à Pâques:
ce n'est pas encore le Carême, mais c'est déjà la prédication de
Jean-Baptiste, et, comme un porche lointain du cycle pascal, à la
.. _ _ _ _ _-=3-=3-=5
LE CHRIST DANS LA LITURGIE ROM_A_N_D_E_._

manière du parvis extérieur du temple de Jérusalem par rapport


au saint des saints de ce même temple En somme un appel à
la repentance )1.
« Toute l'année chrétienne doit être vue sous l'angle de l'histoire
du salut. Dans le Carême, l'histoire du salut est présentée comme
un conflit entre le Christ sauveur et le prince de ce monde; l'homme
est sommé de prendre parti sous peine de manquer la grâce. Dans
le temps pascal, l'histoire du salut est vécue comme une grâce,
celle de notre communion avec le Christ ressuscité et vivant. Dans
l'Avent, l'histoire du salut apparaît dès lors comme une promesse;
aussi vrai que la première venue du Christ est une preuve de la
fidélité de Dieu aux promesses qu'il a faites dans l'Ancienne Alliance
par la bouche des prophètes, aussi vrai sa seconde venue est
certaine et sera l'accomplissement de toute la parole de Dieu, Cette
compréhension est, à notre avis, le seul moyen de rendre à l'Avent,
dans la prédication, comme dans la liturgie, une signification dyna-
mique: nous attendons la venue en gloire de Celui qui est venu dans
l'humilité, Replacé dans l'histoire du salut, l'Avent échappe à
l'ambiance souvent bien folklorique des préparations à Noël. La
dimension eschatologique est présente dans toutes les liturgies des
trois premiers dimanches, comme elle l'est dans les péricopes
bibliques de ces dimanches»,
( En faisant du seul quatrième dimanche de l'Avent une prépa-
ration à Noël et un mémorial de l'Annonciation, la liturgie donne à
la personne de la vierge Marie la place précise qui lui revient dans
la foi de l'Eglise,., Il convient donc, à notre avis, de ne pas esca-
moter ce mémorial annuel de la vierge Marie, scripturairement
fondé .. , »,

Dans le Recueil Nos cœurs te chantent, dont nous parlerons


plus loin, nous avons la belle citation de Luther:
« Il t'est impossible de reconnaître Dieu sans dommage, ni par
ton imagination et par tes spéculations, si non en te tenant à sa
crèche, Si tu suis le chemin inverse, si tu commences par réfléchir
à sa divinité, à la manière dont elle gouverne le monde, à la façon
dont elle a détruit Sodome et Gomorrhe, si tu cherches à savoir
si elle a prédestiné ou non tel ou tel homme, tu te casseras aussitôt
le cou, et tu tomberas du ciel, comme l'esprit malin. Mon cher,
n'escalade pas le ciel! va d'abord à Bethléem)) (p. 114).

La liturgie eucharistique, la prière eucharistique de l'ouvrage


romand est nettement plus développée que les précédentes tant
suisses que françaises: grand choix de préfaces appropriées,
nombreuses variantes pour les épiclèses, l'anamnèse, les récits
d'institution, les prières d'humble accès etc.
336 GASTON WESTPHAL

Nous avons signalé la réintroduction du memento des morts


formulé de la manière suivante:
({ Nous faisons mémoire devant toi de ceux des nôtres qui se
sont endormis dans la foi en tes promesses de résurrection pour
la vie éternelle».
« Unis en toi dans la communion de tous les croyants, nous
nous souvenons aussi de tes témoins de tous les temps, prophètes,
apôtres, martyrs, qui t'ont glorifié sur la terre» (p. 120).

Donc la pnere eucharistique est assez classique: avec un


vrai dialogue, des réponds, préface, sanctus, rappel de l'institu-
tion, anamnèse et épiclèse, oraison dominicale, fraction du pain
et présentation des espèces, agnus dei, communion, prière finale.
Mais la consécration des espèces n'est pas clairement expri-
mée, nous semble-t-i1: on présente les espèces mais l'épiclèse
est pour les gens qui vont communier:
({ Envoie ton Saint Esprit sur nous pour qu'il nous sanctifie,
et qu'en recevant ce pain et ce vin, nous puissions communier au
corps et au sang de ton Fils» (p. 124).

Alors que dans la liturgie de Taizé, par exemple, on ne craint


pas d'appeler le St Esprit « sur nous et notre eucharistie », « sur
nos personnes et nos dons, nos offrandes », afin que le pain des
hommes devienne le pain de Dieu, on situe dès le départ le
pain sur l'autel comme étant déjà de Dieu:
«Nous plaçons devant toi, Seigneur Dieu, tout puissant, ce
pain et ce vin que nous tenons de toi pour qu'ils soient le mémorial
du sacrifice que le Christ a fait de son corps et de son sang, une
fois pour toutes sur la croix»,

A la fin de la « communion», on a juste la discrète indica-


tion, en italique, « la communion des fidèles terminée, l'officiant
recouvre le pain et la coupe et met en ordre la Table sainte »!
La permanence de la présence réelle dans les espèces après la célé-
bration reste, malgré l'effort du groupe des Dombes', pratique-
ment en entier.

~ Vers une même foi eucharistique?, .'Groupe des Dombes-Taizé, Seuil


(1972), p. 22.
LE CHRI'iT DANS LA LITURGIE ROMANDE. .. 337

A la cathédrale de Lausanne, par exemple, le pain qui reste


après la communion des fidèles est donné, avec peut-être une vague
idée de sanctification de la création, aux cygnes du lac Léman
par le diacre. Sœur Antoinette Butte, de la communauté de
Pomeyrol, donne le pain consacré qui reste aux oiseaux du ciel,
dans la forêt. Pour la plupart des protestants, en effet, si le pain
est porteur de la communion, cela ne va pas au delà d'un fer
qui devient rouge quand il est porté au feu, mais qui redevient
comme il était avant, une fois le rassemblement terminé. Pour-
tant je connais des pasteurs, qui ont une réserve eucharistique
et beaucoup de pasteurs s'arrangent pour disposer de ce qui est
nécessaire pour la communauté rassemblée et finissent eux-
mêmes, avec quelques conseillers presbytéraux, les espèces qui
restent.
Nous pouvons lire d'ailleurs, dans le Cahier d'accompagne-
ment ces paroles explicatives, en un sens:

({ Dès le soir du jeudi saint, l'Eglise entre dans la célébration


du Triduum pascal. Le recueillement vespéral du jeudi saint en fait
donc déjà partie. Le soir de ce jour, l'Eglise romaine célèbre une
messe qui commémore l'institution de l'eucharistie par Jésus dans
la chambre haute, mais aussi, dans l'optique de la théologie romaine,
l'institution du sacerdoce des prêtres. Cette coutume d'une eucha-
ristie vespérale du jeudi saint n'est pas primitive. La célébration
eucharistique étant le mémorial de la mort et de la résurrection
du Christ, il ne nous paraît pas recommandable qu'à ce moment
précis de l'année; une sainte·Cène du soir, le jeudi saint, concurrence
les saintes-Cènes des trois jours du Triduum: la célébration eucha·
ristique doit être réservée au Vendredi saint, à la nuit de Pâques et
au jour de Pâques.
Célébrer la Saint-Cène en souvenir de l'institution, nous appa-
raît comme une pratique curieuse qui voile le lien de l'eucharistie
avec le mystère pascal plus qu'elle ne le met en évidence.
Notre tradition protestante, réformée, n'a jamais connu de
célébration de la Sainte-Cène le soir du jeudi saint ... ».

En fait ce n'est pas tout à fait exact: la liturgie officielle de


l'Eglise réformée de France (Berger Levrault 1963) comporte un
office eucharistique le jeudi saint, de même celle qui l'a précédée.
Mais, pour comprendre la position protestante classique, qui
a été en réaction contre le « pouvoir du prêtre », rappelons que
pour elle, l'auteur du sacren1ent d'eucharistie est tellement le
338 GASTON \VESTPH.A.~L ______________________

Christ, que c'est Lui et Lui seul qui préside et qui invite, que le
ministère du célébrant, quel qu'il soit, doit s'anéantir devant la
lumière éblouissante du Seigneur réellement présent dans le
mystère de sa mort, de sa résurrection et de son intercession.
La présence réelle du Christ (et c'est ce qui explique la re-
quête du président du Conseil national de l'Eglise réformée de
France, récemment, lors de la visite du Pape Jean-Paul II à la
nonciature à propos de la célébration de l'eucharistie) est pos-
sible:
1) par la présence du peuple chrétien rassemblé qui souhaite
communier;
2) par la proclamation de la Parole qui purifie et prépare;
3) par la liturgie solidaire des autres communautés dans
le temps et l'espace;
4) en dernier lieu par la présence du célébrant tout seul.
Celui-ci remplit une fonction au service du peuple chrétien: la
fonction crée l'organe, le célébrant agit davantage en " hérault "
du sacrement, c'est à dire énoncer droitement les paroles d'insti-
tution et d'épiclèse, que comme instrument humain privilégié,
« in persona Christi}), spécifiquement ordonné pour ce faire.

Si nous sommes le miroir grossissant du schisme d'Orient, la


place vacante, dans les icônes orthodoxes de Pentecôte, du mi-
nistère de Pierre à la place du Christ, s'accentue par l'absence
de tout ministère de remplacement.
En conclusion de cette première partie, je dirai donc que
si la récente liturgie romande des temps de fêtes marque un
très grand enrichissement et approfondissement des prières eu-
charistiques dans le sens de la communion des saints, discrètes
allusions à la sainte Vierge, remise en valeur des fêtes liturgiques
traditionnelles, y compris le mercredi des Cendres par exemple;
il nous faut constater aussi que sur le plan de la succession
apostolique, du ministère consacré, il n'y a pas d'avancée visible
bien que le dialogue entre célébrant et paroissiens soit bien réta-
bli, laissant deviner que l'eucharistie ne surgit pas de l'assemblée
(nécessité de l'altérité Christ-Eglise, pasteur-communauté) mais
vient d'un autre, d'ailleurs, du Seigneur, signifié dans le ministère
du président de l'assemblée eucharistique.
LE CHRIST DANS LA LITURGlE,,--,Rc:O::~=1=A~N=D=E::.:
..,,-._ _ _ _---=339

LE CHRIST DANS LE NOUVEAU RECUEIL « NOS CŒURS TE


CHANTENT»

« Un recueil de cantiques manifeste dans la vie de l'Eglise,


lit-on dans l'introduction signée du Président de la Fédération
protestante de France, la continuité de la foi, dans le temps et
dans l'espace. Ce nouvel ouvrage a été, comme son prédécesseur
(il y a 40 ans Louange et prière, succédant lui-même à Psaumes et
cantiques), préparé par une commission de poètes et de musiciens
chargée par la Fédération de mettre à la disposition des Eglises
et entre les mains de leurs fidèles un instrument qui, tout en conser-
vant l'essentiel des hymnes qui ont donné forme à notre piété, nous
aide à exprimer notre louange et notre foi de manière renouvelée,
en ce dernier quart du 20ème siècle ... )).
« Continuité dans le temps parce qu'il nous rattache à la foi de
nos pères. C'est pourquoi celui-ci, outre les psaumes bibliques qui
en constitue toujours le cœur, s'est enrichi de nombreux chorals
luthériens qui nous mettent au bénéfice de la jeunesse dynamique
des premiers temps de la Réforme. C'est pourquoi aussi quelques
textes de Pères, ou de contemporains, ont été insérés au début de
chaque rubrique pour aider chacun à se mieux pénétrer de la
signification spirituelle de chaque temps de l'année liturgique ou
des diverses dimensions de la foi et de l'obéissance chrétienne que
ces sections s'efforcent d'exprimer.
Mais c'est aussi dans l'espace que ce recueil doit attester la
communion des Eglises. C'est pourquoi, après quelques hésitations,
il est présenté sous forme reliée et donc fixe. Chacun pourra ainsi
au cours de ses voyages le retrouver dans son intégrité sur les
bancs de nos temples et se savoir accueilli par la même famille
d'Eglises. Mais pourquoi ne pas l'accompagner, dans chaque pa-
roisse, ou groupe de paroisses, d'un petit recueil à fiches mobiles
qui, dans le domaine liturgique et hyrnnologique, fasse droit et
place à la créativité nécessaire? On pourrait de la sorte mettre les
communautés au bénéfice de chants ou de textes exprimant par
exemple les recherches de la jeunesse ou provenant d'autres origines
confessionnelles ou d'autres contextes culturels, comme ceux des
Eglises africaines ou asiatiques 3. Ainsi serait manifestée la réalité
de l'Eglise universelle dans laquelle Dieu nous accorde aujourd'hui
le privilège de prendre mieux conscience de son Règne jusqu'aux
extrémités de la terre ».

Et le pasteur Maury de conclure par ce vœu:


« Que Dieu lui-même permette que grâce à tous ces psaumes,
chorals et cantiques, "nos cœurs le chantent" toujours plus joy-

l Cf. Cantate Domino, recueil du Conseil œcuménique de Genève.


340 GASTON WESTPHAL
~~~~'--'-=--.

eusement et que par là soit rendu un clair témoignage à la puissance


de vie de son amour pour tous les hommes ».

En fait, le titre de l'ouvrage Nos cœurs te chantent, chante le


Fils de Dieu, si nous nous reportons au n" 173, mais c'est le mystère
t rini taire:

1) Nos cœurs le chantent, Nos voix aimantes Te célèbrent, Fils


de Dieu.
Joie et lumière Où la prière Dit enfin ce que tu veux.
Nos CŒurs désirent Ton seul sourire, Ton seul visage, Ton seul
message.
Nos cœurs te chantent Alleluia!
2) Dure ou sereine Ma vie est pleine Du mystère de ta paix;
Et reste heureuse Et si joyeuse De te louer à jamais. Que je
choisisse,
Que je saisisse Toujours la trace que fait ta grâce,
Nos cœurs te chantent Alleluia!

La musique est de Gastoldi (vers 1600) et les paroles du


pasteur H. Capieu (1974), animateur de la commission d'hymno-
Iogie. Plutôt que {( doux Seigneur Jésus» ou « bon Maître» d'une
autre version (n' 174), le Christ est saisi ici comme Fils de Dieu
et dans son humanité, « ton seul sourire, ton seul visage », com-
me homme unique.
L'impression générale quant aux paroles du recueil est une
théologie trinitaire plus ferme, donc le Christ dans ses deux
natures, une ecclésiologie plus solide, le "nous» plus fréquent
que le « je », c'est à dire renforcement de l'aspect communautaire
sur l'aspect personnaliste, individualiste.
Au lieu de « Sur ton Eglise universelle, objet constant de ton
amour» (ancien recueil Louange et prière n" 214) celui-ci corrige:
« Sur ton Eglise universelle, que tu maintiens dans ton amour })
(n" 249). L'Eglise n'est plus un objet mais elle est souvent person·
nifiée comme l'épouse du Christ. Les chants liturgiques sont
plus abondants, particulièrement les chants de Sainte-Cène d'eu-
charistie, manifestant le renouveau sacramentaire dans nos
Eglises (cf 324, 325 etc ....).
Dans l'ancien recueil on avait souvent la dernière strophe
axée sur la vie éternelle, le paradis, le ciel, alors que la tendance
ici est souvent l'engagement du chrétien dans la cité des hommes
après un ressourcement spirituel.
LE CHRIST DANS LA LITURGIE ROMANDE. .. 341

Paraphrase actualisante audacieuse de J.L. Decker, au can-


tique 289 str. 5:

{( L'angoisse nucléaire, la faim, les armements, les puissants de


la terre, l'avenir, le présent, la mort, ni rien au monde, ne peut
priver nos cœurs de l'amour que Dieu fonde en Christ notre Sei-
gneur)} (d'après Romains 8).

Des emprunts sont faits à la liturgie orthodoxe (Béatitudes,


Notre Père), alleluia des diaconesses de Reuilly, réponds de
l'Eglise latine (Berthier etc.). Plusieurs frères de Taizé (Frère
Pierre-Yves, Daniel, Pierre-Etienne) ont contribué à l'adaptation
versifiée et musicale, accent œcuménique.
De très beaux textes introduisent chaque temps ecclésiasti-
que: par exemple, temps de la Passion (p. 144), citation de Pascal:
(( Jésus est seul dans la terre, non seulement qui ressenle et
partage sa peine, mais qui la sache. Le ciel et lui sont seuls dans
cette connaissance. Jésus au milieu de ce délaissement universel
et de ses amis choisis pour veiller avec lui, les trouvant endormis
s'en fâche à cause du péril où ils exposent non lui, mais eux-
mêmes ... Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde: il ne
faut pas dormir pendant ce temps-là)}.

Il serait très intéressant de voir dans les psaumes, mis en


vers par Clément Marot, Théodore de Bèze, actualisé par Roger
Chapal et d'autres, les appellations christologiques de l'Ancien
Testament: Messie, Fils de David, Melchisédek, Rois des Rois,
prince de la paix, berger d'Israël ... On compte, par exemple, six
psaumes d'Avent, cinq de Passion, cinq pour les Rameaux, six
pour Pâques-Pentecôte, quatre pour le retour du Christ; le psaume
24 pour l'Ascension, 21 pour la Sainte-Cène, bref une très bonne
répartition de.ns les tables pour une utilisation cultuelle adéquate
à conseiller aux pasteurs et animateurs de célébrations. Les
préoccupations qui ont guidé la reformulation de ces psaumes
(conseils exégétiques du professeur W. Vischer) sont les suivan-
tes: suivre le mouvement du psaume, tout en supprimant les
longueurs et les répétitions du texte original; tenir compte des
traductions récentes et de l'exégèse contemporaine; utiliser le
plus possible le langage concret de la vie quotidienne tout en
restant proche du vocabulaire biblique et de sa richesse poétique.
342 GASTON \VESTPHAL

Exemple, Psaume 118 str. 5:


« Pour moi tu as ouvert la porte
Et jusqu'à toi j'avancerai.
Vois le seul don que je t'apporte:
L'amour d'un cœur purifié.
La pierre autrefois méprisée
Par la folie des bâtisseurs,
A l'angle est maintenant posée:
C'est un miracle du Seigneur».

En fin de recueil signalons des textes pour le culte public


et le culte quotidien avec confessions de foi, antiennes, chants
bibliques (Magnificat etc.) montrant un réel approfondissement
liturgique.
L'apport des chorals luthériens, dans ce nouveau recueil, est
très important: on se souvient que les cantates de Bach se fon-
dent presque toujours sur l'Evangile du Dimanche et son canti-
que du jour, et sont attachées ainsi à un dimanche précis de
l'année liturgique luthérienne. Ce sont essentiellement des chants
qui confessent la foi chrétienne sous ses divers aspects. Ils s'of-
frent d'emblée à une utilisation précise et peut aider l'organiste
à trouver l'interlude d'orgue approprié après la prédication.
Les cantiques spirituels sont ceux de nos chants qui appa-
raissent après la grande éclosion du choral luthérien et qui expri-
ment, sous l'influence du piétisme, plus spécialement la réponse
de la foi, les divers aspects de la vie chrétienne, l'expérience
personnelle et la supplication individuelle. Ce chant a connu, par
la suite au XIx'me siècle, une éclosion considérable, surtout dans
les mouvements de Réveil; dans de nombreux recueils d'Eglise, il
a même fait passer à l'arrière-plan le chant traditionnel. Notre
nouveau recueil ne les a adopté que partiellement; il a procédé
à un tri dans une production immense et de qualité souvent discu-
table et qui a rempli tout un temps les colonnes de nos journaux
religieux. Des negro's spirituals, des chants charismatiques, en
marge des chants revivalistes ou contemporains comme ceux de
John Littleton ou autres peuvent toujours être ajoutés sur fiche
mobile et contenter tout le monde, comme proposé dans l'intro-
duction.
Tout en respectant l'inspiration et la spontanéité des parois-
siens, le Iiturge se doit de remettre chaque forme de chant à sa
juste place dans la célébration cultuelle: les psaumes dans leur
•. _._ _ _ _---'3:.4 3
LE CHRIST DANS LA LITUR_G_'_E_R_O_M_A_N_DE-=
2

fonction de graduel et d'introït, le choral de l'évangile du diman·


che (rappelons que nous avons les mêmes lectures bibliques,
catholiques et protestants de France le dimanche, année A. B. C.),
le troisième cantique, dépendant de la prédication, le cantique
de Sainte-Cène selon le temps liturgique etc.
En conclusion, il nous semble que ces deux ouvrages: Litur-
gie des temps de Fête, à l'usage des Eglises réformées de la
Suisse romande et Nos cœurs te chantent, recueil à l'usage des
Eglises de la Fédération protestante de France, tous les deux
édités en 1979, sont véritablement christocentriques et contri-
buent à unir l'Eglise terrestre à l'Eglise céleste qui glorifie le
Seigneur.

Gaston WESTPHAL
,
LES FETES DU CHRIST DANS L'ANNÉE LITURGIQUE
DES ÉGLISES REFORMÉES DE SUISSE ALÉMANIQUE

Au début de cet expose, Je citerai quelques textes des pre-


miers temps de la Réforme. Ces textes sous-tendent aujourd'hui
encore la conception réformée des fêtes christologiques qui
jalonnent l'année ecclésiastique. Pour les paroissiens et certains
théologiens, ces textes ne sont plus vivants. Et pourtant la se-
mence qui a été répandue à travers eux porte ses fruits au~
jourd 'hui encore. Dans une seconde partie, je montrerai comment
cette conception réformée des fêtes christologiques se reflète
dans les prières des jours de fête de la liturgie réformée aléma-
nique.

l - LA CONCEPTION DES FË.TES CHRISTOLOGIQUES AU


DÉBUT DE LA RÉFORME

1. Au 25" article de ses Commentaires des 67 thèses, datés de


1523, Ulrich Zwingli écrit ce qui suit:
«Le temps et les lieux sont assujettis au chrétien, et non
l'inverse; il s'ensuit que ceux qui font peser sur l'homme des rè-
glements privent les chrétiens de leur liberté» l,

Voici comment Zwingli commente cet article dans la per-


spective des jours de fête:
«Le chrétien est maître des jours de fête. Et il vaudrait
beaucoup mieux, lors de la plupart des jours de fête, retourner au
travail après avoir entendu la Parole de Dieu, goûté au corps et
au sang du Seigneur et célébré le mémorial de la Cène avec Dieu.
Ce serait assez de repos si on se reposait le dimanche et qu'on
travaille les autres jours de fète après le service religieux du
matin, excepté à Noël et à la Saint-Etienne, où l'on adresserait sa
louange à tous ceux qui ont souffert pour l'amour de Dieu, le
jour de l'Annonciation, où on pourrait proclamer la louange de la

1 ZWINGLI, Hauptschriften, Zurich 1952, vol. 4, p. 13.


346 EBERHARD ZELL WEGER
~~----------~~ --------------------
pure servante, ainsi que le jour de Jean-Baptiste, où on parlerait
longuement de la foi des Pères et des prophètes, à l'exception aussi
du jour de Saint-Pierre et Paul, où on pourrait se souvenir de tous
les apôtres et éventuellement des évangélistes. A part cela, les jeux
et festivités que nous célébrons en mangeant et buvant, en nous
adonnant au jeu, aux mensonges et aux vains bavardages au soleil
sont davantage un pêché qu'un service divin. Je ne vois nulle part
que l'oisiveté soit un service divin. Si on allait même aux champs
Je dimanche, après s'être mis en ordre avec Dieu (au culte), qu'on
fauche, qu'on taille, qu'on fane ou qu'on fasse n'importe quel
lravail saisonnier, je sais bien que cela serait plus agréable à Dieu
que l'oisiveté licencieuse. Car le croyant est au-dessus du sabbat)} 2.

Pour Zwingli, l'essentiel, dans les fêtes christologiques, est


la prédication. Elle permet de rappeler à la communauté l'im-
portance et la signification particulières de la fête christologique.
En outre, une fête christologique se distingue d'un dimanche
ordinaire en ceci qu'on y célèbre la Cène. Quant à la liturgie de
ces fêtes, nous manquons malheureusement d'informations à
ce sujet. Leur cadre extérieur est mis à l'arrière-plan par les
réformateurs. Zwingli connaissait aussi les usages populaires
médiévaux destinés à divertir et à amuser le petit peuple de
l'Eglise. Il rapporte l'incident suivant, survenu à l'église lorsqu'il
était enfant: la statue en bois du Christ ressuscité avait été
tirée vers le haut de l'église par un orifice percé dans la voûte
de celle-ci; ensuite, une pluie de fruits et de friandises avait
été déversée d'en haut sur les fidèles ... '. Ces excès de la piété
populaire médiévale ont été supprimés par les réformateurs.
La prédication devait suffire à faire comprendre la signification
d'une fête christologique. Dans sa prédication des jours de fête,
Zwingli ne s'est pas tenu non plus à l'ordre classique des péri-
capes. Il ne voulait pas prêcher J'Evangile dominical" par petits
morceaux ». Il a donc refusé de découper les Evangiles en tran-
ches distribuées selon les moments de l'année ecclésiastique. On
sait que le Réformateur commença le dimanche 2 janvier 1529
une exégèse suivie de l'Evangile de Matthieu '. Il n'interrompait
pas cette exégèse suivie lors des jours de fête. En outre, Zwingli
a supprimé le chant pendant le culte. Les fêtes christologiques
vivaient entièrement des prières et de la prédication. Il y avait
là sans doute une lacune; mais les gens de cette époque n'ont

~ Leiturgia, Kassel 1954, vol. 1. p. 499.


lOskar FARNER, Der Reformateur Ulrich Zwingli, Zurich 1949, p. 6 s.
1 Leiturgia, p. 501.
FETES DU CHRIST EN SUISSE ALEMANIQUE 347

certainement pas ressenti l'absence de chant comme un manque.


La prédication offrait de nouvelles possibilités, des possibilités
vivantes de faire comprendre aux paroissiens le sens profond des
fêtes christo logiques. On est frappé, chez Zwingli comme chez
Luther, de voir le poids que revêt le travail professionnel. Il va
de soi que les fidèles peuvent retourner aux champs après le
culte: l'ambiance de fête conduit facilement à l'oisiveté, et celle-ci
dégénère en vice. Zwingli était issu d'un milieu simple. Il dit de
lui-même, dans ses lettres: «Je suis un paysan jusqu'à la moel-
le» '. Il a passé sa prime jeunesse dans le haut Toggenbourg,
dans la vallée de Wildhaus. Il savait d'expérience ce que c'est
que de gagner sa vie en effectuant un travail très dur dans un
climat rude et dans une région inhospitalière. Le temps était
précieux. On n'avait pas de temps à perdre en festivités et en
longues fêtes. Dans un autre passage des Commentaires des 67
thèses, le Réformateur écrit:
« Le paysan peut prier à sa charrue, lorsqu'il fait son travail
patiemment au nom de Dieu, qu'il lui demande de faire croître sa
semence et qu'il se souvient souvent que notre vie terrestre n'est
que peine et misère, mais que dans l'au-delà le Bien éternel nous
donne repos, paix et joie» 6_

Pour Zwingli, le culte et le travail ne sont pas distincts:


le travail est devenu une partie du culte.

2. Calvin manifeste aussi une retenue surprenante à propos


des jours de fête de l'année ecclésiastique. Dans son exégèse sur
le sabbat, il se borne à écrire ceci:
« Je ne condamnerai point les Eglises qui auraient d'autres
jours solennels pour s'assembler, moyennant qu'il n'y ait nulle
superstition; comme il n'yen a nulle, quand on regarde seulement
à entretenir la discipline et bon ordre» 7.

A son arrivée à Genève, Calvin avait trouvé une ordonnance


des jours de fête. Il ne l'a pas modifiée. Les fêtes qui n'étaient
pas en contradiction avec sa doctrine sont demeurées inchangées;
mais grâce à l'explication de l'Ecriture sainte, elles ont pris un
sens nouveau.

S FARNER, op. cit., p. 1.


6 Ibid., p. 52.
7 Leitw-gia, p. 512 s.
348 EBERHARD ZELL WEGER
-------

3. La Confession helvétique postérieure écrit ce qui suit:


« Outreplus, nous approuvons bien volontiers que les Eglises
célèbrent religieusement et avec crainte de Dieu et révérence la
mémoire de la nativité du Seigneur, de la circoncision, passion et
résurrection d'icelui, item, de l'ascension ct de l'envoi du Saint-
Esprit aux apôtres. Mais nous n'approuvons nullement les fêtes
instituées à l'honneur des hommes ou des saints» a.

Dans la Confession helvétique postérieure, les prescriptions


concernant les fêtes christologiques sont étonnamment souples.
Leur célébration est approuvée. Les fêtes en l'honneur des
homnles et des saints ne sont pas autorisées. Pour l'organisation
de ces fêtes, on se réfère à la liberté chrétienne et on laisse aux
paroisses toute latitude.
4. L'Ordonnance ecclésiastique du Palatinat électoral, texte
datant de 1563 et dont la partie la plus connue est le Catéchisme
de Heidelberg, est plus détaillée à cet égard:
'1 Les jours de fête doivent être observés comme le dimanche.

Doivent être observés: tous les dimanches, le jour de Noël et le


jour suivant, le Nouvel An, le jour de Pâques et le jour suivant,
l'Ascension, le juur de Pentecôte et le lundi qui suit. Le jour de
Noël et le jour qui suit, on doit expliquer, à propos de la naissance
du Christ, le fondement de notre félicité, à savoir les deux natures
en Christ et le bénéfice que nous en retirons, ainsi que cela est
contenu à la fin de la première partie et au début de la seconde
partie du catéchisme; le dimanche "in\'ocavit", les serviteurs de
l'Eglise doivent aussi, dans les lieux où il y a une église, commencer
à expliquer l'histoire de la Passion, et poursuivre ainsi jusqu'à
Pâques. Le jour de Pâques et le lundi de Pâques, on doit prêcher
la résurrection du Christ, afin que la communauté chrétienne reçoive
une relation bonne et détaillée, à partir de la sainte Ecriture divine,
des deux articles principaux de notre foi chrétienne, à savoir que
Christ est ressuscité des morts le troisième jour et que nous aussi
nous ressusciterons des morts. A la fête de l'Ascension, on expli-
quera l'Ascension du Christ telle qu'elle est décrite au premier
chapitre des Actes des apôtres et ailleurs, et en relation avec cet
événement on enseignera et on prêchera les articles de foi où
nous confessons que Christ est monté au ciel, qu'il est assis à la
droite de Dieu et qu'il viendra de là pour juger les vivants et les
morts)) 9.

~ Confession helvétique postérieure, chap. XXIV.


9 \Vilhelm NLESEL, Bekenntnissc1uiflen und Kirchenordl'Hlngel1, Zollikon 21938,
p. 205.
FETES DU CHRIST EN SUISSE ALEMANIQUE 349

Cette ordonnance ecclésiastique contient une énumération


des fêtes christologiques. Contrairement à la Confession helvé-
tique postérieure, elle ne laisse pas aux prédicateurs la liberté de
donner à ces fêtes le contenu qu'ils jugent bon. Les péricopes
bibliques correspondant aux fêtes christologiques sont presque
toujours indiquées. Les prédicateurs ne doivent pas se borner à
en faire l'exégèse au cours du culte: ils doivent également dis-
penser les enseignements du Catéchisme de Heidelberg qui se
rapportent aux fêtes en question. Une chose est frappante: pour
le Catéchisme de Heidelberg, l'application pratique de l'exégèse
biblique ne consiste pas en impératifs éthiques et moraux. La
prédication, lors des fêtes christologiques, doit apporter aux
croyants aide et consolation. Le caractère profondément humain
du Catéchisme de Heidelberg transparaît dans ces prescriptions.
La théologie qui lui sert de base est une théologie qui veut
apporter la consolation. Dans son ouvrage Die christliche Lehre
nach dem H eide/berger Katechismus - « La doctrine chrétienne
d'après le Catéchisme de Heidelberg" - Karl Barth écrit ceci:
« Là où l'Evangile est bien compris et bien prêché, il est prêché
volontiers, et là où il est bien entendu, on aime l'entendre. Car
la grande nouveauté qu'il apporte dans la vie de l'homme, c'est
la joie, c'est le secours, c'est la consolation. Allez-vous en, esprits
de deuil, car Christ vient, le seigneur de la joie" '0. N'est-ce pas
cette consolation qui a sauvegardé la vitalité des fêtes christolo-
giques dans les Eglises de la Réforme? N'est-ce pas cette consola-
tion qui a donné aux fêtes christologiques, à travers les siècles,
un contenu vivifiant en même temps qu'une chaleur humaine qui
fait sentir son effet aujourd'hui encore?
5, Les innovations des réformateurs contenaient toutefois
un danger pour la communauté chrétienne: on peut se demander
si, dans la conscience des participants au culte, la christologie
était suffisamment structurée. Les fêtes christologiques de l'année
ecclésiastique couraient le risque de disparaître. Les Eglises
réformées de Suisse n'ont pas succombé à ce danger. Le chant
des psaumes et des cantiques a probablement donné une nouvelle
vie aux fêtes christologiques après la Réformation. A Genève,
Calvin a établi un ordre des psaumes à chanter au culte. L'édition
du psautier genevois de 1565, dont Claude Goudimel a composé

ln Karl BARTH, Die christliche Lehre nach dem Heidelberger Kalechismtls,


Zollikon-Zurich, 1948, p. 12.
350 EBERHARD ZELL\VEGER

la musique à quatre voix, contient des tableaux indiquant com-


ment utiliser les psaumes au culte ". Ces tableaux indiquent aussi
les dimanches où la sainte Cène est célébrée: Pâques, Pentecôte,
le premier dimanche de septembre et le dimanche le plus proche
de Noël. Les jours de fête ne sont mentionnés qu'en passant dans
ces tableaux, à propos du cantique sur le Décalogue et du canti-
que de Siméon: il est prescrit de chanter ces deux cantiques aux
fêtes correspondantes, pour la sainte Cène. Le cantique de
Siméon avait sa place entre la prière d'action de grâces et la
bénédiction 12. Il ressort de ces tableaux que Calvin ne fêtait même
pas Noël: la sainte Cène de Noël est déplacée au dimanche le
plus proche de Noël. Il faut dire que Calvin a accordé une
attention tout à fait secondaire aux fêtes christologiques.
L'étude exégétique et systématique de l'Ecriture sainte a absorbé
l'essentiel de ses forces. Il s'est intéressé davantage à la christo-
logie elle-même qu'aux fêtes christologiques. Rappelons en outre
que le chant a été parfois contesté en Suisse dans la Réforme.
Comme nous l'avons dit plus haut, Ulrich Zwingli a supprimé le
chant d'église. Partout où la Réforme s'est implantée sur le
modèle de Zurich, le chant a été abandonné 1'. En prenant ces
mesures très dures, Zwingli ne tenait pas assez compte des besoins
et des désirs des simples fidèles; et le peuple regretta vivement
ses cantiques. On rapporte que l'organiste de Berne pleura à
chaudes larmes quand son instrument fut démoli 1<. Le premier
recueil de cantiques réformé édité en terre alémanique a été
l'œuvre d'un instituteur et prédicateur saint-gallois, Dominikus
zm. Probablement imprimé en 1532, ce recueil contenait un Ma-
gnificat, un Benedictus et un Nunc dimittis. Ces trois morceaux
avaient été repris de Strasbourg 1'. Ils étaient suivis d'un chant
pour le temps de Noël, un pour le temps de la Passion, un pour
le temps de Pâques et un pour le temps de Pentecôte. L'éditeur
ou une autre personnalité saint-galloise avaient ajouté trois nou·
velles strophes au cantique « Christ ist erstanden von der MarIer
aile» - Christ est en vie: Que chacun le crie 16. Le choix des

11 Leiturgia, vol. IV, p. 640.


U Ibid., p. 640.
Il Karl NEF, Collegia musica in der delllschen reformiertell SchwelZ, D - 6229

Walluf bel Wiesbaden 1973, p. 2.


!j NEF, op. cit., p. 2, note 4.
15 Theodor Wilhelm BATSCHER, Kirchen- und Schulgeschichte der Stadt St.
Gallen, Saint-Gall, 1964, p. 249.
Jo Markus JEXNY, Geschichte des deutschschweizerÏ5chen evangelischen Ge-
sangbuches lm 16. lahrhundert, Bâle 1962, p. 160.
FETES DU CHRIST EN SUISSE ALEMANIQUE 351

chants pour les jours de fête était pauvre. Il n'y avait pratique·
ment qu'un chant pour chaque fête christologique ". Mais cette
pauvreté avait un avantage: les paroissiens savaient très vite
ces quelques cantiques par cœur. Grâce aux chants, par lesquels
l'assemblée des fidèles répondait à la prédication, les fêtes christo·
logiques devaient redevenir vivantes. Le recueil de cantiques de
Constance, édité en 1540, joua un rôle important. Pendant
soixante·dix ans, il fut le recueil commun de toutes les corn·
munautés réformées de Suisse alémanique '". Il contenait 150
chants ". On y trouve notamment de nombreux chants pour les
fêtes de Noël jusqu'à Pâques. Ce recueil reprenait aussi des can-
tiques de Martin Luther; beaucoup de chants étaient nouveaux,
d'autres, antérieurs à la Réforme, avaient été remaniés 20. Ce
recueil de psaumes et cantiques était en fait un recueil œcumé-
nique. On trouve les sources des œuvres qu'il contient dans toutes
les confessions chrétiennes alors connues. Les chants destinés
aux fêtes christologiques ne portent pas d'empreinte confession-
nelle. C'est ainsi que les cantiques chantés au culte ont maintenu
vivants les jours de fête dans les régions réformées. En même
temps, ils donnaient à ces fêtes un contenu qui dépassait les
frontières confessionnelles. Cette caractéristique est d'ailleurs
demeurée jusqu'à nos jours. Nos recueils de cantiques sont
beaucoup plus œcuméniques que nos prédications et nos confes-
sions de foi. Je ne sais pas si on a assez considéré cet « œcunlé-
nisme chanté» comme un signe de l'unité réalisée en Christ. En
outre, aujourd'hui encore, ce sont les cantiques qui font vivre
les fêtes christologiques dans les paroisses. Depuis la Réforme,
le nombre des cantiques pour les jours de fête s'est fortement
accru. Certaines strophes en sont aussi familières à bien des
fidèles que les péricopes correspondantes de l'Ecriture sainte.

II - LES FETES CHRISTOLOGIQUES DANS LA LITURGIE


DES ÉGLISES RÉFORMÉES DE SUISSE ALÉMANIQUE

l. Avent - Dans les différentes confessions chrétiennes,


l'Avent est lié à la venue du Seigneur: Christ est venu, il vient,

11 Ibid., p. 162.
IiiIbid., p. 9.
19 Ibid., p. 78.
10 Ibid., p. 92 s.
352 EBERHARD ZELLVVEGER

il viendra ". Dans le cadre de la commission liturgique de Suisse


alémanique, on a souligné combien le temps de l'Avent est chargé
pour les pasteurs de paroisse. Le calme, la paix et l'atmosphère
de recueillement ne sont guère pour eux: ils sont pris dans un
tourbillon d'activités et de tâches multiples.
La liturgie de l'Avent a pris en compte de nouvelles préoc-
cupations: l'Avent dans le monde - on peut trouver dans les
prières l'espoir eschatologique pour le monde - et la mission
et sa vocation pour le monde ". Nous devons la prière qui suit
à la Mission de Bâle; elle reflète ces nouvelles préoccupations du
temps de l'Avent.
«Notre Père qui es aux cieux, nous te louons de ce que tu as
donné l'Avent au monde entier. Nous te rendons grâces d'avoir
vaincu les forces des ténèbres par la venue de ton Fils, et de nous
conduire vers le grand jour où la terre sera pleine de ta gloire.
Seigneur, tu sais que beaucoup de gens vivent en dehors du
pardon, de la victoire et de l'espérance. Tu vois aussi combien ton
Eglise est faible, combien elle reflète peu ta lumière et ta force.
Viens toi-même à nous et éclaire ceux qui sont dans l'obscurité,
guéris ceux qui sont abbattus et manifeste-toi comme le sauveur
du monde.

Nous te prions pour la mission de ton Eglise, qui est chargée


d'annoncer ta Parole au monde entier. Sois avec ses envoyés. Ras-
semble tes fidèles de toutes les nations. Préserve-les de succomber
aux forces de la tentation et de la haine. Appelle à toi ceux qui te
rejettent, et fais que nous marchions vers ton Jour tous ensemble,
un seul peuple de Dieu guidé par un seul berger. Nous te rendons
grâces de ce que le salut du monde entier repose dans tes mains,
Amen »23.

Cette prière permet de discerner les caractéristiques de la


conception de l'Avent dans les Eglises réformées alémaniques.
Elle parle d'une espérance concrète, une espérance eschatologique
pour le monde entier. Les forces des ténèbres sont évoquées,
mais elles sont présentées comme des forces vaincues, car le
Fils de Dieu est venu. L'intercession des fidèles en fm'eur de la
mission dans le temps de l'Avent est une innovation. Elle résulte

Pt'r. G. RADE, Litllrgiekùmll1ission der ev.-ret. Kirchen in der deulschsprachi-


li

gen Schl.-veiz, Protokoll 1965, p. 442.


12 Ibid., p. 443.

2l Liturgie der evangelischen-reformierten Kirchen in der detllSchsprachigell


Schweiz, vol. II, Berne 1974, p. 33.
FETES DU CHRIST EN SUISSE ALEMANIQUE 353

d'une évolution au sein de l'Eglise. Au 19' siècle, la mission - et


particulièrement la Mission de Bâle - était l'œuvre d'un cercle
d'amis. Elle n'était guère soutenue par les Eglises ". Aujourd'hui,
les Eglises suisses ont presque partout conscience que la mission
repose sur elles. Elles se sentent fortement concernés par la
mission, et le souci missionnaire est très présent dans la réflexion
chrétienne ". Mais cette prière fait ressortir que la tâche princi-
pale de la mission réside dans la prédication de la Parole de
Dieu et non dans l'aide au développement ou dans une certaine
ligne politique.
2. Noël - Pour les prières de Noël, la commission liturgique
s'est généralement laissé guider par les considérations qui suivent
- et que nous tirons d'un exposé introductif du pasteur Th.
Rüsch: la chrétienté primitive ne s'est pas préoccupée de la
date de la naissance de Jésus. Ce qui importait pour elle, c'était
la certitude que le Sauveur était là. On a fêté pour la première fois
le 25 décembre à Rome en 353. La cause n'en est pas très claire.
Voulait-on combattre le culte de Mithra? ou voulait-on célébrer
le "sol justitire» contre le "sol invictus »? Le passage clé de
Noël se trouve dans Jean 1: 14. Il témoigne du caractère historique
et unique de la Révélation. La venue du Christ apporte le salut
au monde entier; elle est universelle. La communauté chrétienne
demeure dans le monde, mais elle reçoit de nouvelles forces, de
nouvelles racines. Elle ne peut donc que se réjouir et espérer ".
Le pasteur Kurt Marti est l'auteur d'une des prières de Noël.
Kurt Marti, de Berne, est aussi un poète connu. Dans ses publi-
cations et ses poèmes, il cherche à représenter l'Eglise et la
société de notre temps telles qu'elles sont en vérité. Voici le
texte de sa prière de Noël:
« Seigneur Jésus, autrefois, à Bethléem, les bergers t'ont offert
leur adoration et les mages d'Orient leurs présents. Nous aussi,
aujourd'hui, nous voulons te louer et te célébrer comme eux, toi
qui sièges maintenant à la droite du Père et qui règnes sur le ciel
et la terre.
Seigneur, aie pitié de notre terre, qui résonne du chant des
cloches et des cris de guerre, qui est remplie d'allégresse et de haine.

1~ Hans DÜRR in Gerhard BRENNECKE, Weltmission in oekumenischer Zeit, Stutt·


gart 1963, p. 185.
1; Hermann WITSCHI, Geschichte der Basler Mission, vol. 5, Bâle 1970, p. 8.
26 Pfr. Dr Th. RUSCH in Protokoll 1965, p. 450 ss.
354 EBERHARD ZELL WEGER

C'est ta terre, celle sur laquelle tu as joué dans ton enfance et


vécu ta vie d'homme. C'est ton monde, pour lequel tu es mort et
ressuscité.
Ne permets pas que nous demeurions à l'écart quand tu nous
appelles à devenir témoins de ta miséricorde et de ta puissance.
Dis-nous ce que nous devons faire. Arme-nous aussi de ton Esprit,
pour que nous œuvrions dans la joie et l'attente du jour de fête où
tu viendras faire toutes choses nouvelles, pour l'honneur de ton
Père qui est dans le ciel. Amen» 27.

3. Temps de Noël, Epiphanie - Dans la Liturgie alémanique,


le changement d'année ne peut pas être compté au nombre des
fêtes christologiques. Les prières de ce moment de l'année ne
mentionnent ni la circoncision ni la désignation du nom de
Jésus. L'Epiphanie n'a pas été laissée de côté; on la trouve sous
la rubrique" temps de Noël ". Il y a des raisons à cela. Dans le
cadre de la commission liturgique, le pasteur Werner Tanner
disait notamment ceci: "L'Eglise luthérienne a laissé tomber
cette fête. Les réformés ne l'ont jamais célébrée non plus. En
revanche, la liturgie du Jura bernois l'a introduite récemment.
Pourquoi ne devrions-nous pas avoir la possibilité de fêter une
"nouvelle" Epiphanie, une Epiphanie renouvelée, et accepter
que l'Eglise fasse cette proposition à notre Eglise, en lui laissant
toute liberté? L'Epiphanie pourrait nous aider dans notre lutte
contre la perte du sens de Noël, et nous permettre de continuer
à annoncer la bonne nouvelle de la venue du Sauveur. Si le sens
de l'Epiphanie, c'est la volonté de Dieu de sauver l'humanité
entière, on peut voir tout le cosmos englobé dans cette volonté» 28,
Dans son émouvant simplicité, l'hymne qui suit, qui a été reprise
du Nouvel Office de Taizé, exprime clairement le message de
l'Epiphanie:

{{ Dieu a dit: Que du sein des ténèbres brille la lumière!


Voici qu'il a fait briller sa lumière en nos cœurs,
Pour qu'y resplendisse la connaissance de la gloire,
Qui est sur la face du Christ,
Que Dieu illumine les yeux de notre cœur,
Pour nous faire voir quelle espérance nous ouvre son appel.
Amen») 29,

!7 Liturgie, voL II, p. 56.


~JProtokoll 1967, p. 573 s.
!9 Liturgie, \'oL II, p. 92.
FETES DU CHRIST EN SUISSE ALE~._A_N_I~Q~U~·E~________~3~5~5

Ce texte correspond à la tendance liturgique contemplative


de la Communauté de Taizé. Un bref passage de Max Thurian
exprime la même vision de Christ et de son effet sur nous: «Il
fallait qu'un être sans péché vînt apporter il l'homme la force
qui le libère des liens de sa révolte et de son péché et qui le
réconcilie avec Dieu. Seule sa pureté pouvait laisser passer tous
les rayons de la grâce divine» JO.

4. La semaine de prière pour l'unité - La semaine de prière


pour l'unité a trouvé sa place dans la Liturgie alémanique. Au
travers de ses prières, cette semaine est en même temps un
témoin du mouvement œcuménique. Elle est le fruit des efforts
de Spencer Jones, un anglican, et de Paul Watson, membre de
l'Eglise épiscopale américaine. Par la suite, Paul Watson a passé
au catholicisme. On sait que cette semaine de prière a lieu entre
le 18 et le 25 janvier. Le grand promoteur en a été l'abbé Paul
Couturier. Né à Lyon le 29 juillet 1881, il est entré en 1906, après
son ordination, dans la communauté de Saint-Irénée, connu
aussi sous le nom de {c Chartreux ». C'est la rencontre avec
l'Eglise orthodoxe qui a été à l'origine de sa vocation profonde:
en s'occupant des quelques 10.000 réfugiés russes arrivés à Lyon
après la Première Guerre mondiale, il découvrit la liturgie très
riche et les valeurs théologiques et spirituelles de l'Eglise ortho-
doxe. En 1933, il participa à une grande rencontre de trois jours
en faveur de la réunification des Eglises. Depuis lors, cette octave
de prière a connu un succès croissant. Elle s'est rapidement
étendue à d'autres grandes villes de France, et plus tard dans
de nombreuses parties du monde. La devise de Couturier était:
«Que Dieu veuille donner à son Eglise l'unité visible, comme
il la veut et par les moyens qu'il voudra ». Le 24 mars 1953,
Paul Couturier ferma les yeux pour toujours après 18 mois de
maladie ". Parmi les prières pour l'unité, on trouve dans la
Liturgie alémanique -- sous une forme légèrement modifiée --
les phrases priées à l'Assemblée œcuménique de New Delhi le
mardi 5 décembre 1961, après une prière d'intercession du

JO Max THURIAN, L'essentiel de la foi, Presses de Taizé, p. 74 S.


JI Geoffrey CURTIS in Günter GLOEDE, Oekumenische Profile, vol. I, Stuttgart
1961, p. 347 SS.
356 EBERHARD ZELLWEGER

Dr. Moses". Voici le texte de cette prière tel qu'il se trouve dans
la liturgie alémanique:
« Nous répondons à l'appel nous invitant à rendre
notre unité visible en Christ.
Nous prenons l'engagement
de nous servir les uns les autres dans l'amour,
non seulement en paroles, mais aussi en actes.
Nous voulons engager nos forces au service de
l'action, de la prière et du culte communs.
Viens, Saint-Esprit,
aide-nous dans l'accomplissement de cette tâche. Amen l) 3.'3.

Cette dernière phrase montre combien est importante, pour


cette semaine de prière, l'unité en Christ. En Suisse alémanique,
de nombreux services religieux ont lieu pendant cette semaine,
réunissant différentes confessions qui cherchent ainsi à surmon-
ter leurs divisions.
5. Temps de la Passion - Il est important de remarquer à
ce propos que les péricopes de l'Eglise ancienne pour le temps
du Carên1e ne contiennent aucun texte évangélique de la Passion.
Les textes de ce temps de l'année étaient choisis en fonction des
candidats au baptême. Martin Luther prend l'habitude de prêcher
sur des textes de la Passion lors de cultes spéciaux et de cultes
en semaine. Peu à peu, les textes d'enseignelnent tirés du récit
de la Passion deviennent des textes de prédication. C'est ainsi
que, pour finir, tout le récit de la Passion est prêché en quatre
ans à raison de sept dimanches par an. Cet usage institué par
Luther s'implante aussi chez nous au 18" et au 19' siècle. La
Passion et Pâques ne peuvent pas être dissociées. Critère de
qualité pour les prières de la Passion: «spirant resurrectionem» 3~.
Les réflexions qui précèdent sont tirées d'un exposé tenu devant
la commission liturgique de Suisse alémanique. Elles ont présidé
au choix des prières du temps de la Passion. La prière qui suit
est un exemple de prière où la Passion et Pâques sont envisagées
ensemble:
« Seigneur notre Dieu, tu nous invites à aller à Christ. Tu nous
appelles à participer à sa souffrance et à sa mort. Envoie-nous
l'humilité qui nous fera discerner ce que tu veux pour nous.

J, W.A. V1SSER'T HOOFT, Neu Dehli, 1961, Stuttgart 1962, p. 59.


JJ Liturgie, vol. Il. p. 114.
-" Protokoll 1966, p. 501 s.
FETES DU CHRIST EN SUISSE ALEMANIQUE 357
-----=~=-~

Enseigne à ton peuple un chant nouveau, afin que notre louange


s'élève des abîmes jusqu'à ton trône. Tu nous appelles à aller à
Christ. Tu nous appelles à partager sa présence pascale. Remplis-
nous de ta paix. Transforme nos plaintes en cris de joie à cause de
ta victoire. La nuit est avancée, ton jour est proche. Fais que nous
renoncions aux œuvres des ténèbres pour prendre les armes de la
lumière. Sanctifie et renouvelle nos cœurs au service de l'amour
de nos frères méprisés et oubliés, pour dresser un signe d'espérance.
Amen» 35.

Cette prière a été composée par un pasteur qui a été plus


tard professeur à Berne. Il a perdu son fils unique dans un
accident d'auto. Cette prière ne constitue-t-elle pas une réponse
bouleversante?
6. Vendredi-Saint - Dans le protestantisme, Vendredi-Saint
est devenu la fête la plus importante de l'année ecclésiastique.
Ce jour-là, les membres de la paroisse viennent nombreux à
l'église. On voit à la Sainte Cène des hommes qui s'en abstiennent
tout le reste de l'année. Et pourtant, l'importance de Vendredi-
Saint a été reconnue relativement tard en Suisse. Ce n'est qu'en
1862 que ce jour a été déclaré jour férié général. A l'époque, le
canton de Glaris hésitait encore. On craignait que Vendredi-
Saint ne porte préjudice à Pâques ". La raison de cette valo-
risation de Vendredi-Saint est sans doute à chercher dans la
théologie même. Lors de la Dispute de Heidelberg, Luther parlait
de la « theologia crucis ». Cette théologie de la croix a fortement
marqué la pensée protestante 37 • Elle est d'ailleurs devenue une
caractéristique de la prédication réformée. La prière qui suit
en est un vivant exemple:
« Notre Père qui es aux cieux, fais-nous voir par ton Esprit
notre Seigneur Jésus-Christ comme s'il était crucifié au milieu de
nous. Tu as laissé ton Fils boire jusqu'à la lie la coupe que nous
aurions mérité de boire, nous qui sommes rcbelles. Tu ne lui as pas
épargné les tourments de la mort ni l'horreur d'être abandonné
de Dieu. Fais pénétrer profondément dans nos cœurs la certitude
qu'il est mort pour nous et à notre place. Nous te rendons grâces
pour ton incommensurable miséricorde et nous t'en prions, fais
que nous ayons cn tout temps part à la mort du Seigneur, afin
que sa vie aussi nOliS soit révélée. Amen» 38.

II Liwrgie, \'01. II, p. 127.


36 Cf. note 34.
\7 Evangelise/leS Kirchelllexikon, Gottingen 1959, III, 365.
:l3 Liturgie, vol. II, p. 148.
358 EBERHARD ZELL WEGER

Cette prière provient du recueil Der Chrislusweg - « Le che-


min de Christ ». Il contient des «prières d'une Eglise dans la
détresse» ". On y trouve rassemblées des prières de l'Eglise con-
fessante sous le Troisième Reich. En Allemagne, au temps du
national-socialisme, la théologie de la croix est devenue une
théologie sous la croix. La Passion et Vendredi-Saint avaient
une nouvelle signification.
7. Pâques - Au sein de la commission liturgique, on a fait
les remarques suivantes à propos de Pâques: chaque culte est
par essence un culte de Pâques. Toutes les grandes fêtes de
l'Eglise ancienne étaient non pas des fêtes annuelles, mais des
fêtes hebdomadaires (P. Holl). A l'origine, ce n'est donc pas
d'année ecclésiastique qu'il aurait fallu parler, mais de semaine
ecclésiastique. L'année ecclésiastique, qui a été instituée plus
tard, est une extension du jour de Pâques. Cela est surtout
valable pour les dimanches de Pâques à Pentecôte. Pentecôte
marquait à l'origine la fin du temps de Pâques. L'Ascension
aussi n'a été fêtée comme telle que plus tard (à partir du 4" siècle,
le 40· jour). Les croyants ont été obligés à un moment donné
de démarquer clairement les apparitions du Ressuscité d'autres
visions ultérieures du Christ '". Depuis la Réforme, la fête de
Pâques n'est pas riche en caractéristiques particulières. La
solennité de cette fête ne s'exprime guère dans les formes exté-
rieures. A Pâques, les coutumes populaires sont beaucoup plus
originales que la liturgie réformée. La nuit de Pâques n'est
célébrée qu'exceptionnellement. La seule contribution importante
et originale des Eglises protestantes à la fête de Pâques réside
dans une quantité de cantiques souvent très expressifs. Les can-
tiques pascaux sont un exemple frappant de la très grande im-
portance du chant dans l'année ecclésiastique et notamment
dans les fêtes christologiques. Pour les jours de fête, la Liturgie
alémanique propose diverses hymnes qui peuvent être soit dites
comme prières soit lues en lieu et place de lectures bibliques.
On trouve parmi elles un chant figurant dans le recueil de
cantiques:
Christ est en vie:
Que chacun le crie!

J9 Anonyme: Der Christusweg, Zollikon-Zurich, 1948 (sans numérotation de


pages).
~o Cf. note 34.
FETES DU CHRIST EN SUISSE ALEMANIQUE 359

La mort a cru le prendre,


Elle a dû le rendre. Alleluia!
Si la mort règne,
Notre foi est vaine.
Mais Christ est l'assurance
De la délivrance. Alleluia!
Alleluia! Alleluia!
Alleluia! Alleluia!
La mort a cru le prendre,
Elle a dû le rendre. Alleluia! 41

Ce texte est sans doute celui du plus ancien cantique alle-


mand. Il est apparu vers le milieu du 12" siècle. Il a poursuivi
sa carrière au 13" siècle comme chant populaire. A l'origine, il
était chanté en plein air par le peuple, ou dans les châteaux au
début des repas par les nobles qui craignaient Dieu. Il a bientôt
pris place dans les services religieux à côté des chants en latin.
Il figure aussi dans le premier recueil de cantiques réformé
édité en Suisse aJémanique (cf. p. 350). On le trouve également
dans le recueil de Klug de 1529" - un recueil sorti des ateliers de
Joseph Klug, de Wittenberg, et auquel Luther a travaillé. Ce
chant de Pâques, comme d'autres, ne connaît pas de barrières
confessionnelles.
8. Ascension - Le pasteur Th. Rüsch a fait aux membres de
la commission liturgique de Suisse alémanique un exposé intro-
ductif sur l'Ascension. Les prières de notre temps doivent répon-
dre à un certain nombre de critères: à l'Ascension, elles doivent
d'abord refléter la joie des croyants - joie de savoir leur Seigneur
glorifié et en même temps présent au milieu d'eux dans un monde
qui ne le connaît plus ou pas encore. Il faut veiller aussi à ce que
la forme d'expression de ces prières n'utilise pas aveuglément
et sans autocritique les images du monde antique. Nous ne
pouvons plus nous permettre de présenter le message de l'Ascen-
sion sous une forme naïve; les prières doivent exprimer claire-
ment que l'Ascension n'est pas un événement explicable sur le
plan physico-astronomique, et que le message biblique n'avait
aucune prétention d'ordre scientifique; il s'est simplement servi

~1 Liturgie, vol. II, p. 165.


<l Anonyme: Gott ist meil'l Lied, Zurich 1942, p. 31.
360,________________~E=B=E=R~H=A=RD~~Z=E=L=L~'~V~E~G=E=R~____________________

des images et des formes d'expression du monde d'alors ".


L'hymne qui suit répond à ces critères:

« Poussez des cris de joie, puissances célestes, et adorez le Seigneur:


Christ a été fait roi, il a été élevé à la droite du Père;
lui seul est digne d'avoir force et richesse,
sagesse et puissance, honneur et louange.
Louez-le, armées célestes.
Louez-le, martyrs et croyants;
Jésus règne dans les cieux.
Tremblez, puissances infernales, et adorez le Seigneur:
Jésus a été fait roi.
Il a vaincu la mort et les forces du mal.
Il a chassé Satan loin de la vue de Dieu,
Satan qui nous poursuivait jour et nuit.
Désormais les portes de l'enfer n'ont plus de pouvoir sur son Eglise.
Rendez-lui, hommage, enfants de Dieu sur la terre, et adorez le
[Seigneur:
Jésus a été fait roi, il règne sur les siens.
Il nous a ouvert la porte du ciel et personne ne peut la fermer.

Il est le chef de l'Eglise et ses membres sont un en lui.


Attendez son grand jour,
le jour où son Royaume éclatera à la vue du monde entier.
PIiez le genou devant lui,
vous qui êtes au ciel, sur la terre et sous la terre:
Jésus est roi pour l'éternité. Amen» 44.

Cette pnere est aussi tirée du Christusweg ". Elle a été


écrite en prison sous Hitler. Elle prend une autre signification si
nous nous rappelons quelles puissances funestes menaçaient
l'Eglise d'Allemagne lorsqu'elle fut priée pour la première fois.
La seigneurie du Christ était alors la seule espérance possible.
A côté d'allusions à la Bible, l'hymne a des résonances de Te
Deum de l'Eglise ancienne. Par ailleurs, elle fait penser au
célèbre poème de Dietrich Bonhoeffer:
« Fidèlement environné de forces bienveillantes,
Maintenu dans une joie surnaturelle ... ».

H Prot.Jkoll 1968, p. 654 s .


•• Liturgie, vol. Il, p. 196 .
• 5 Cf. note 39.
FETES DU CHRIST EN SUISSE ALEMANIQUE 361

L'homme d'aujourd'hui, à l'époque des voyages interplané-


taires, peut encore prier avec de tels mots. Car comme les cro-
yants des siècles derniers, il a besoin de l'espérance que seule
la victoire de Christ et de ses « forces bienveillantes" peut nous
donner. C'est aussi le sens du « chemin du Christ" - du « Chri·
stusweg ". Il commence dans l'éternité et s'achève dans l'éternité,
mais il s'achève de telle manière que nous pouvons dès au-
jourd'hui, par la prière, avoir part à la gloire éternelle. Tel est le
message des fêtes christologiques.

Eberhard ZELLWEGER
CHRISTOLOGIE ET SOTÉRIOLOGIQUE
DE LA PRIÈRE DE L'HYMNE DES CHÉRUBINS

DONNÉES HISTORIQUES

Bien qu'il y ait quelques points en commun entre la pnerc


Où8dç Ii~,oç (Nul ... n'est digne), appelée couramment" prière
de l'hymne des Chérubins », et l'hymne des Chérubins lui-même,
il n'y a pas entre eux de relation essentielle '. La prière se récite
même quand l'hymne est différent: le jeudi saint, quand on
chante Tou ôe:L7tvou crau TOU f-LUcrTLXOU, et le samedi saint, jour où
l'hymne des Chérubins est remplacé par L'Y'l",hw "iicr", crocpç.
Son appellation courante de " prière de l'hymne des Chérubins»
vient d'une juxtaposition matérielle avec l'hymne, ce qui est
illustré entre autres par les manuscrits. Par exemple, le plus
important d'entre eux, le Barberini Gr. 336 (Basile), intitule la
prière de cette façon: "Prière que dit le prêtre pour lui-même
quand on chante (l'hymne) des Chérubins» '.
Nous savons par des indices certains que cette prière est
({ une adjonction tardive à un formulaire déjà complet» 3. Ces
indices sont: l'absence de la prière dans quelques sources an-
ciennes, quelques incertitudes des rubriques sur le lieu de son
insertion dans la liturgie et des signes internes, dont certains
indiquent déjà un peu la théologie de cette prière. C'est pourquoi
il convient de les mentionner tout de suite. La prière est adressée

, Dans les deux textes nous trouvons l'expression « Roi de gloire »; il y a


un parallélisme conceptuel entre «Nul de ceux qui sont liés par des désirs
charnels n'est digne» etc. de la prière et «déposons tout souci du monde» de
l'hymne: de plus, dans les deux textes on mentionne les Chérubins.
2 Eôx~ ~\I 7t'OLe:t 0 te:pe:ùç- u7d:p E:ctu't"Oü 't'OOV Xe:pOU~LX&\I Àe:yOi1.ÉVôlV. Pour ccs
données historiques et pour d'autres, cfr. R. F. TAFT, S.J., The Great El1tral1ce;
a History of the Transfer of the Gifls and ot1ler PreallQforal Rites of the Liturgy
of St. 10h11 Chrysostom, in Oriel1talia Christiana Analecta (= OCA) 200, Roma
1975, pp. 120-121; cfr. en général, tout le chapitre sur la prière «Nul n'est
digne », ibid. pp. 119-148.
J R. F. TAFT, op. cit., p. 126.
364 _ _ _ __ ROMAN ZUZEK

non au Père mais au Christ', elle contient beaucoup de phrases


de l'Ecriture citées plus ou moins littéralement et elle est l"édigée
à la première personne, ce qui lui confère un certain caractère
clérical: le célébrant prie pour lui-même et non pas au nom
de l'assemblée liturgique '.
L'histoire de "Nul ... n'est digne» dans les manuscrits est
assez mouvementée. La prière apparaît à l'origine seulement
dans le formulaire de la Liturgie de S. Basile. Cela ne signifie
pas pourtant qu'on ne la disait pas au cours de la célébration de
la Liturgie de S. Jean Chrysostome: d'ordinaire l'eucharistie
était célébrée selon le formulaire de S. Basile, et les euchologes
plus anciens, dans ceux où Basile précède Chrysostome, mettent
dans les formulaires de la Liturgie de Chrysostome seulement
les prières qui diffèrent de celles de Basile '. Le plus ancien
code connu de Chrysostome qui contient la prière est le Crot-
taferrata Cb V Il (folios Sv-6r), du 10' siècle. Par contre elle
se trouve dans tous les codes constantinopolitains de Basile
que nous connaissons. Comment la prière est-elle passée de
Basile à Chrysostome? De ce passage R. F. TAFT nous présente
le schéma suivant:
1) Dans les codes les plus anciens où BAS précède CHR, la
prière se trouve en BAS sans être mentionnée en CHR.
2) Plus tard, même si BAS continue à précéder CHR dans
les euchologes, on voit apparaître dans ce dernier, c'est-à-dire
dans CHR, l'incipit de la prière; toutefois quelques manuscrits
donnent le texte complet.
3) Finalement, dans la nouvelle recension de l'euchologe,
CHR passe avant BAS et, logiquement, pour que soit complet le
premier formulaire de l'euchologe, celui de CHR contient désor-
mais le texte complet de "Nul ... n'est digne» '.
L'origine de la prière n'est pas entièrement certaine. De
cette origine se sont occupés entre autres A. JACOB a, E. LANNE 9

~ Seules quatre prières de la Liturgie byzantine sont adressées au Christ: la


prière de la troisième antienne, la prière avant l'évangile, «Nul ... n'est digne)'
ct la prière de l'élévation.
5 Cfr. R. F. TAFT, op. cit., pp. 121-127.

o Cfr. ib., p. 127.

J Cfr. ib., p. 129.

~ La concélélJralion de l'anaphore à Byzance d'après le témoignage de Léon


Toscan, dans Orie11lalia Cllristiana Periodica (= OCP) 35,1969, p. 251, n. 2.
9 La prière de la Grande Entrée, dans Miscellanea Litw'gica in o/wre di S.E.
i! Cardinale G. Lercaro, Roma 1967, II, pp. 309 sqq.
________________~C=H~R~"=S~T~O=L=O~G=="E ET SOT~=E=R~"O=L=0=G="=E~___________~3=6==5

et dernièrement R. F. TAFT. Il semble plus logique de suivre


l'opinion de ce dernier, selon laquelle la prière est apparue
d'abord à Constantinople, dans la liturgie de BAS; de plus, en
raison de sa longueur et de son style, il s'agit d'une" adjonction
dévotionnelle d'origine monastique, éventuellement acceptée dans
la Grande Eglise» 10.
Le texte actuel de la prière se trouve verbatim déjà dans
deux codes du 11' siècle: le Paris Grec 391 (folios 12v-15v) et le
Parma Gr. 121712. Dans ces manuscrits on trouve un grand
nombre de variantes, mais une seule est d'importance. Il s'agit
des quatre participes de la conclusion:
({ ... car c'est toi qui offres et qui es offert, qui reçois et qui es
distribué, ô Christ notre Dieu ... }~ (aù yap el 0 r.pocrr.pÉpCùv, xctt 1tpOQ"
cpe:p6!-le:\lQÇ', XlXl rrpoa8e:x6fLe:VOr;, xcd 8tIXB~~l6l-Le:voç', Xp~cJd: 0 0e:6ç 1J!-'-WIJ) 11.

Avant tout il convient de rappeler ici que ces quatre partici-


pes se trouvent déjà dans une homélie de S. Théophile d'Alexan-
drie, prononcée en l'an 400, le jeudi saint ". Voici ces participes,
laissés dans le contexte immédiat de l'homélie:
« ••• Buvons son précieux sang pour la rémission de nos péchés
et pour participer à son immortalité, croyant ensemble qu'il conti-
nue à être le prêtre et l'hostie, celui qui offre et qui est offert, qui
reçoit et qui est distribué;) (1t'LO''n:UOv-re:ç OCfLct, o"t"me:p .,_ IXU't'OÇ ô 1't'poa-
q>spwv, Y..cd n:pocrtpe:pOfJ.e:\lO', xlXL 8e:zofJ.e:\loç XlXt 8~rX8La6!-,-e:\loç) 13.

Pour le filament nous ne pouvons pas déterminer avec


précision quand et COll1ment ces quatre participes que nous
trouvons dans l'homélie de S. Théophile d'Alexandrie sont arrivés
à faire partie de la prière {( Nul ... n'est digne ». Conlme les deux
premiers participes (7tpoacpépwv, xcx.t 7tpom.pEp6[.LE:\loç) forment un bi-

10 The Great Etltrance ... , p. 134: cfr. pp. 130·134.


11 Cfr. ib., p. 134.
I~ L'homélie a été généralement attribuée à S. Cyrille d'Alexanùrie. C'est
ainsi Qu'elle figure également dans PC 77, 1016·1029. M. RrcHARP, Une homélie
de Théophile d'Alexandrie mr l'instilUtion de l'Euchal'istie, ùans Revue d'Histoire
Ecclésiastique XXXIII {1937) 46-56, a montré qu'elle est de S. Théophile d'Alexan-
cil-ie et qu'ellc fut prononcée le jeudi saint ùe l'an 400 (cfr. ib., p. 54).
Nicétas KHONIATES (ThesatlYl/s Ortl/Odoxae fidei 1,24: Svnodus Crrec:;e Eccle-
sire de dogmale cîrca illa verba « Tu es qui offers ... », PC' 140,165,168,172,173,184)
cite plusieurs Pères qui se servent de npoa8e:xo!l-e:vo, pour soutenir que le Christ
est celui qui reçoit le sacrifice.
Il ln 1n)'slicam camam, PC 77, 1029 B,
366 ROMAN ZUZEK

nome assez comn1un dans la littérature patristique, nous trouvons


plausible la proposition de E. LANNE de les considérer comme le
texte original, qui par parallélisme a attiré à lui le second binome
(7tpocrSEX6fLEVOÇ "cd S,,,S,SOfLEVOÇ) de l'homélie de S. Théophile H. En
admettant cette possibilité, R. F. TAFT, après analyse des ma-
nuscrits, nous offre cette image de l'évolution du texte au sujet
des quatre participes:
1) Les plus anciennes sources des deux traditions de manus-
crits de CHR (celle de Constantinople et l'italienne) ont seule-
ment les participes 1-2.
2) La formule avec les participes 1-2-3 apparaît à Constanti-
nople au moins au 9" siècle.
3) A partir du li" siècle les 4 participes apparaissent aussi
bien dans la tradition manuscrite italienne que dans celle de
Constantinople.
4) Cependant, quelques manuscrits des 12"-13" siècles des
deux traditions ommettent le participe 3, "'pocrSEX6fLEVOÇ 15.
Cette omission s'explique très bien du fait de certains pro·
blèmes théologiques surgis à Constantinople en relation avec le
"'pocrSEX6fLEVOÇ; pour mettre fin à ces problèmes il ne fallut pas
moins de deux synodes. Cela se passait au milieu du 12" siècle.
Par la suite nous en parlerons plus en détail, en traitant de la
sotériologie de OùSdç &~,"ç.

CHRISTOLOGIE

La christologie de la prière OùSdç &I;,"ç apparaît surtout


dans les titres qu'elle donne à Jésus Christ. Ce sont des titres
divins et humains. Parce qu'ils se réfèrent à Jésus Christ, le
Sauveur, tous impliquent au moins quelque aspect sotériologique.
L'aspect sotériologique est mis en relief surtout dans les quatre
participes de la conclusion, et l'un d'eux, "'pocrk,(6fLEVOÇ (<< celui
qui reçoit ,,), sera l'objet de notre particulière attention.
Voyons maintenant ces titres.

I~ Cfr. op. cil., p. 308.


15 Cfr. The Great Enlral1ce ... , pp. 139-140.
CHRISTOLOGIE ET SOTERIOLOGIE 367

Titres humains
Nous trouvons trois titres appliqués à Jésus Christ en tant
qu'homme. L'un est biblique: "Tu es devenu notre Grand Prê-
tre ». Ce titre a son origine dans Hb 5,4-6, où il est dit que nul
ne s'arroge la dignité de Grand Prêtre sans y être appelé par Dieu,
absolument comme Aaron; et encore: «De même, ce n'est pas
le Christ qui s'est attribué à soi-même la gloire de devenir grand
prêtre, mais il l'a reçue de celui qui lui a dit: Tu es mon fils,
moi, aujourd'hui, je t'ai engendré; comme il dit encore ailleurs:
Tu es prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech»
(vv. 5-6).
Les deux autres titres humains sont dogmatiques. Le pre-
mier est contenu dans cette phrase:
({ Dans ton ineffable et incommensurable amour envers nous,
tu t'es fait homme sans subir de changement)l, &"t"pbt""t"c..lç Ko:t tXVo:ÀÀOL-
w"t"wç.

Le premier de ces deux synonymes, (hpé7t~w:;:, est un des


quatre adverbes avec lesquels le concile de Chalcédoine (451)
décrit apophatiquement le mode de l'union des deux natures en
Jésus Christ et indique qu'elles ne subirent pas de mutation 16.
Le second titre dogmatique est contenu dans les deux pre·
miers participes de la conclusion:
:Eù ydp d a 7tpoarpépc..l'J, K0:1 7tpoacpEpOj.1.EVOÇ, « c'est toi qui offres et
qui es offert ».

Il ne semble pas toutefois qu'il s'agisse d'une évidence


immédiate, mais du fruit d'une réflexion: le Christ s'offre et
est offert en tant qu'homme. Cela apparaîtra plus clairement
quand nous parlerons tout à l'heure de Jésus Christ comme celui
qui reçoit le sacrifice.
Si l'humanité de Jésus Christ est présente dans les titres,
combien plus sa divinité, qui est fortement soulignée. On y
perçoit nettement la réaction antiarienne qui a été déterminante
dans la formulation des prières liturgiques, à partir du 4' siècle ".

16 "Evet K0:1 "t"ov etÔTOV Xp~a't"ov utàv KUpLOV j.1.0VOyEVYj EV Mo cpuaeaLv &:auYXu-
':'c..lC;, &.pmc..lr;, à.8Lcnpe:"t"c..lr;, &Xc..lp(a't"c..lt;. xv?p~t:6j.1.i:vOV ••. (H.. DENZINGER - A. SeHON-
METZER, Enchiridion Symbolol"tll1"l defmllWJ"lUI11 et declaratlOnum de rebi/s fidei
et morunt, Barcclona 1965, No 302).
Il CfT. J. Jl..'NGMANN:, The place of Christ in Liturgical Prayer, 2e éd., 1965,
pp. 172-238.
368 ROMAN tUZEK

Je prends ici en considération seulement les titres bibliques


où nous constantans une coïncidence littérale ou quasi littérale
avec l'Ecriture sainte 10.
Le titre de " Roi de gloire" (0 ~"'''LÀEÛÇ TijÇ M~1)ç) se trouve
appliqué à Yahvé dans le psaume 23,7-10. Ce psaume exprime les
sentiments de la liturgie d'entrée au Temple, et ses versets 7-10
peuvent bien se référer au transfert de l'arche sous David ". Le
verset 8 est explicite à outrance dans l'application du titre à
Yahvé: "Qui est ce roi de gloire? Yahvé, le fort, le vaillant, Yahvé
le vaillant des combats ». Le titre est répété en forme de refrain
dans les quatre versets de la péricope. En l'appliquant à Jésus
Christ, la prière Où3dç &I;LO, souligne sa divinité. On peut dire
la même chose des autres titres que nous mentionnons par la
suite.
Le deuxième titre, ({ Souverain» ou « Maître de l'univers»
(il.w1!6''Ijç -rwv &:mivTW'J), est appliqué à Yahvé par Job (5,8) dans
son malheur. Il s'adresse à Dieu en ces termes: "J'en appellerai
au Seigneur et Maître de l'univers» (KUpLO'J ùÈ: -rà'J 7tcX.VTWV
ÙEO'11'O-r-t)V Èmxrû-É:aof,Lcu). La même idée de seigneurie universelle est
contenue dans une autre coïncidence littérale, plus bas, avec le
premier livre des Chroniques 29,11: "Tu domines sur tout ce qui
est au ciel et sur la terre» (crù ncXVTt'llV TWV f.v Tij) oupO':v0 xcd Ènl
TIjç y~ç 8EcrTC6~ELÇ.)

Le titre de «Roi d'Israël» (~OLO'LÀ"ÛÇ TOU 'I"p"'~À) se trouve


répété littéralement dans Sophonie 3,15 en Jean 1,49. Sophonie
exprime ainsi sa joie pour la présence miséricordieuse de Yahvé
au milieu de son peuple. Jean 1,49 par la bouche de Nathanaël
l'applique directement à Jésus: «Rabbi, tu es le Fils de Dieu,
tu es le Roi d'Israël ». C'est une vraie profession de foi dans la
divinité de Jésus.
En appliquant à Jésus Christ les paroles d'Isaïe 57,15, par
lesquelles Yahvé, le Très-Haut, le Sublime, se présente à lui-
même comme celui qui, trouvant son repos dans une demeure
{( élevée et sainte », est aussi avec l'esprit humilié et abattu, la
prière, insistant sur la divinité de Jésus, du fait qu'elle lui appli-

lS La coïncidence est avec le texte des LXX. Je cite ces coïncidences selon
b numération de A. RAlILFS, Sepluaginta, id est Velus Testamenltlm gr;ece huta
LXX illterpretes, Stuttgart 1935.
1~ Cfr. 2 Samuel 6, 12-15.
CHRISTOLOGIE ET SOTERIOLOGIE 369

que ce que Yahvé dit de lui-même, le suppose en même temp'


comme proche de l'homme.
La divinité de Jésus est affirmée d'une manière plus ou
moins explicite aussi dans d'autres expressions bibliques conte-
nues dans la prière. En l'appelant le " seul bon ", elle lui donne
un titre que Jésus Christ a réservé à Dieu seul: " ... un seul est
le Bon" (Mt 19,22). Quand le prêtre demande au Christ de le
rendre capable de se présenter devant la table sainte avec le
même mot (tX&VOlcrOV) avec lequel la deuxième épître aux Corin-
thiens 3,66 dit que Dieu a rendu Paul capable d'être ministre de
la nouvelle Alliance, cela indique que Jésus est égal au Père,
c'est-à-dire à Dieu, puisqu'il peut concéder ce qui est prérogative
exclusive de Dieu. Cela est corroboré par Hb 5,4-6, texte auquel
se réfère clairement notre prière (" Tu es devenu notre Grand
Prêtre ,,) et qui spécifie que le fait d'instituer quelqu'un dans le
sacerdoce est une prérogative de Dieu. De plus, la divinité de
Jésus est soulignée par le seul fait qu'on lui adresse des demandes
coïncidant littéralement avec celles que l'Ancien Testament
adresse à Yahvé: le psaume 142,7 (" ne cache pas loin de moi
ta face,,) et Sagesse 9,4 (" ne me rejette pas du nombre de tes
servi teurs »).
Il y a un autre titre divin, le participe 1tpocrSEX6f.LEVOÇ (celui qui
reçoit), qui pour le rôle important qu'il a dû jouer dans l'histoire
et pour son importance sotériologique mérite une plus grande
attention. Je lui consacre le sous-titre suivant, celui de la soté-
riologie.

SOTÉRIOLOGIE

Lorsqu'au milieu du 12' siècle le diacre Sotérikhos Panteu-


genès commença à propager quelques opinions erronées sur le
sacrifice eucharistique, et en conséquence sur celui de la croix
- puisqu'entre les deux il y a identité numérique, - le participe
1tpocrSEX6f.LEVOÇ (celui qui reçoit) se trouva au centre de la lutte
sotériologique. La question a été résolue dans deux synodes consé-
cutifs. Le premier eut lieu le 26 janvier 1156, sous le patriarche
Lucas Krysobergès. Le second fut célébré vers le 12 mai 1157.
Il semble que dans ce dernier Sotérikhos se soumit, mais seule-
ment pour rétracter sa soumission peu après, refusant de se
présenter à Wle troisième session. Pour cela il fut condamné par
370 ROMAN ZUZEK
----------- ------

contumace et on lui refusa l'ordination épiscopale: car il avait


été élu patriarche d'Antioche '"_
Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des événements
très animés, avec discussion sur la place publique, interventions
de l'empereur Emmanuel Comnène, écrits polémiques de part
et d'autre. L'adversaire principal du groupe de Sotérikhos a
été l'évêque de Méthoni, Nicolas_ Il ne nous est pas davantage
possible d'analyser ici en détail le développement progressif des
doctrines respectives, chose qu'on peut trouver en substance dans
la chronique de Nicétas Akominatès (ou Khoniatès) ". Ce qui
nous intéresse le plus, ce sont les décisions des deux conciles
mentionnés et les quatre anathèmes prononcés par le concile de
1157 22 • Ces anathèmes ont été incorporés dans le Synodikon du
dimanche de l'Orthodoxie et furent proclamés en Russie jusqu'en
1766, année où le Synodikon fut abrégé; en Grèce on les conserva
plus longtemps, puisque nous les trouvons par exemple dans le
Triode publié à Venise en 1856"_
L'essentiel de la pensée et de la décision du concile de 1156
se trouve dans les paroles d'un de ses plus fameux participants,
le métropolite de Kiev Constantin:
{{ Ni au début, quand il fut accompli par le Christ Sauveur,
ni ensuite ct jusqu'à ce jour, le sacrifice vivifiant a été ou est offert
au seul Père éternel non engendré, mais aussi au Verbe incarné
lui-même; l'Esprit saint, lui non plus, n'est pas absent de cette
participation à la divine oblation, de sorte que cette offrande des
mystères a été faite dans le passé, comme elle est faite encore
aujourd'hui, à la Divinité, dont nous savons qu'elle est une et unique
dans la trinité des personnes ( ... ), et par la puissance de la Trinité
elle est accomplie dans tous les temps» 24.

Unanimement le synode se déclara d'accord avec ces paroles


du métropolite de Kiev". La même doctrine fut précisée ensuite

:10 Pour ce sujet, les sources fondamentales sont: Nicétas KHUNIATES, «Thesau-
rus Orthodoxœ fidei I,24: Synodus Crœcœ Ecclesiœ de dogmate circa illa verba
~< Tu es qui olfers ... " (= ThesaUrtlS ... ), PC 140, 137·202, et l'apologie qu'a
écrite Sotérikhos, dr. dans L SAKKEI.IOX, IIa:·q.MCl't"7JK~ B~~À~oe1jK'"f}, Athènes 1890,
pp. 328-331. A la bibliographie qu'offre R. F. TAFT, op. cil., p. 135, notes 55 ct 56,
ajoutel" P. A. CEREML;KHTN, KOl1stUlltillopol'skij sobor 1156 goda i Nikolaj, episkop
MefoflSkij, dans Bogoslovskie Trudy 1 (1959/60), 85-109.
!I Cfr. note précédente.

~~ Cfr. P. A. CERE~WKITTN, KOllstmainopol'skij sobor 1156 goda . .. , p. 94 .


.') CfL ibid .. pp. 94-95.
!~ Voir dans Nicétas KnoNIATEs, Thesaurus ... , PC 140, 149D-152A.
"Ch. ihid .. 152-153.
-------
CHRTSTOLOGIE ET SOTERIOLOGIE 371

avec plus de détails par le synode de 1157. Nous en trouvons le


résumé dans ce texte:

(C il est claire que le Seigneur Jésus Christ s'est offert lui-


•••

même comme victime, mais il s'est offert selon son humanité, et


que lui-même il agréa la victime en tant que Dieu, uni au Père et à
l'Esprit (... ) Le Verbe, Dieu ct homme, au temps de sa Passion,
offrit d'abord la Victime salvifique au Père, puis à lui-même en tant
que Dieu et à l'Esprit, par lesquels l'homme a été appelé du néant
à l'existence et que l'homme a offensés, en transgressant le com-
mandement, avec lesquels enfin il a été réconcilié grâce à la Passion
du Christ. De la même façon maintenant aussi les sacrifices non
sanglants sont offerts à la Trinité qui est toute-parfaite et qui parfait
toutes choses, et c'est elle qui les reçoit» 26.

Cette fois, comme nous l'avons dit, Sotérikhos Pantcugenès


se soumit au concile 27.
Des quatre anathèmes je laisserai de côté le troisième, puis-
qu'il établit simplement l'identité numérique entre le sacrifice
de la croix et le sacrifice eucharistique, contre l'opinion de
Sotérikhos.
Le premier anathème est formulé ainsi:
« A ceux qui disent que Notre Seigneur Jésus Christ a offert au
temps de sa Passion C••. ) le sacrifice de son précieux corps et
sang C••• ) à Dieu le Père, mais que ni le Fils Unique ni l'Esprit saint
ne l'ont reçu avec le Père, les excluant ainsi de l'égalité de l'honneur
divin dù aussi au Verbe de Dieu et à 1'Esprit Paraclet qui partage
sa gloire et lui est consubstantiel, anathème! » 28.

Le deuxième anathème est ainsi formulé:


« A ceux qui n'acceptent pas que le sacrifice offert chaque jour
par ceux qui ont reçu de Jésus Christ la célébration des saints
mystères est offert à la sainte Trinité C.•• ), anathème! » 29.

26 Ibid., 185 AB.


21 Cfr. ibid., 185-189. Généralement on admet que Sotérikhos s'est soumis au
cours de la deuxième session. Je crois cependant que cela est !iûr seulement pour
l'identité numérique entre le sacrifice de la croix et l'eucharistie. En effet, la
rétractation [onnc!le, selon le chroniqueur, disait «littéralement »: {( Je donne
mon assentiment à cc concile saint ct sacré, pour autant que le sacrifice, celui
C]ui est offert maintenant et celui qui l'a été jadis par le Verbe incarné, a été
offert jadis et l'est encore à présent comme un ct identique" (cff. ibid., 189 Be).
En vérité, le con tex Le immédiat permet de penser davantage, mais sans que cela
soit évident (cfr. ibid., 188 D - 189 AB).
~ Ibid., 176 B.
11 Ibid., 176 C.
372 ROMAN zUtEK

Enfin le quatrième anathématise une curieuse théorie de


Sotérikhos sur le salut en deux temps consécutifs:
«A ceux qui inventent et introduisent des distinctions de temps
dans la réconciliation de la nature humaine avec la nature divine
et bienheureuse de la vivifiante et immortelle Trinité; et qui en
déduisent que nous avons été réconciliés en premier lieu avec le
Verbe Monogène en vertu de la nature humaine assumée par lui et
ensuite avec Dieu le Père grâce à la Passion salvifique du Seigneur
Jésus; et qui divisent ce qui est indivisible, malgré l'enseignement
contraire des Pères saints et bienheureux selon lequel le Fils unique
nous a réconciliés avec lui-même grâce à tout le mystère de l'écono-
mie, grâce à lui et en lui avec Dieu le Père et par conséquent avec
le très-saint et vivifiant Esprit, en tant qu'inventeurs de doctrines
nouvelles et étrangères, anathème! »30.

Ainsi, comme résultat de la lutte au sujet de Sotérikhos, il


fut souligné, grâce aux conciles constantinopolitains des années
1156 et 1157, que Jésus Christ, dans l'eucharistie, et, partant,
sur la croix (en vertu de l'identité numérique) s'est offert à Dieu
en tant qu'homme et que, en tant que Dieu, il reçoit ce sacrifice,
en union avec le Père et l'Esprit. Quant aux principes théologiques
fondamentaux qui ont inspiré ceux qui promurent et définirent
la doctrine et les anathèmes de ces conciles, nous les trouvons
chez l'adversaire principal de Sotérikhos, l'évêque Nicolas de
Méthoni. Il y en a deux: 1) le nature non hypostasiée ne peut
agir par elle-même, et ainsi il n'y a pas de nature entièrement
anhypostatique; 2) il n'est pas possible d'opposer la nature à
l'hypostase, ni celle-ci à celle-là, mais une nature à une autre,
comme en Christ, et une hypostase à une autre, comme dans
la Divinité tri-personnelle ".
Avec les conciles de 1156 et 1157 l'Eglise de Constantinople
a résolu admirablement un problème strictement dogmatique
d'une façon digne des solutions christologiques et trinitaires
des temps de l'Eglise indivise. En plus de sa valeur christolo-
gique, les clarifications doctrinales de ces conciles, peut-être
sans le vouloir explicitement, ont résolu de fait au moins par-

.lll Ibid., 177 AB.


II Cfr. dans P. A. CEREMUKHlN, Uéenie
0 dornastroitel'stve spasenija v vizan·
tijskom bogoslovii (episkop Nikolaj Mefonskij, mitropolit Nikolaj Kavasila i Ni·
kita Akorninat), dans Bogoslovskie Trudy 3 (1964) 145·185, ici 156.
CHRISTOLOGIE ET SOTERIOLOGIE 373

tiellement une image psychologiquement scandaleuse qui a eu


constamment des répercussions sur la sotériologie: celle d'un
Père monstrueux qui exige la mort de son Fils. Selon les deux
conciles mentionnés de Constantinople, le Fils, qui s'offre selon
sa nature humaine, est aussi celui qui, avec le Père et l'Esprit,
reçoit ce sacrifice, selon sa nature divine. Il est vrai qu'avec cela
le problème se tourne vers la divinité. Cependant, l'image scan-
daleuse reste diluée et le problème est posé en d'autres termes.
En parler n'est pas le but de ces lignes: il s'agit en effet d'un
problème trop important pour le brièveté de notre exposé et
qui a mérité le travail de toute une école théologique russe
connue sous le nom de « nouvelle sotériologie russe)} 32.
Les deux conciles sotériologiques de Constantinople des an-
nées 1156 et 1157, sans être totalement inconnus à la littérature
théologique contemporaine, ont été cependant bien oubliés. Le
mérite de les avoir redécouverts pour la théologie en général et
pour la sotériologie en particulier appartient au hiéromoine
P. A. CEREMUKHIN avec ses deux articles sotériologiques publiés
dans Bogoslovskie Trudy". Il se peut que P. V. GNEDIC ne soit
pas étranger à ce mérite: dans sa dissertation pour obtenir le
titre de « maître» en théologie présentée à l'Académie ecclésiasti-
que de Moscou pour la première fois en 1952 et, vu le résultat
négatif, de nouveau en 1962", il se plaint de ce que "aucun
essai des théologiens russes sur le dogme de la rédemption ne

~l Sur cette nouvelle orientation qui s'affirme dans la littérature théologique


russe à partir de la fin du 19" siècle, cfr. N. N. GLUBOKOVSKIJ, Russkaja bo w

goslovskaja nat/ka v eja istoriceskom razvitii i novejsem sostojanii, Varsovie


1928, pp. 7-9; B. SCHULTZE, La nuova soteriologia russa, dans Orientalia Christiana
Periodica IX (1943) 406430; XI (1945) J65-215; XII (1946) 130-176. Récemment J'évê-
que Pitirim NE(:AEV met la sotériologie parmi les thèmes les plus importants de
la problématique russe moderne, cfr. son Osnovnye prùblemy sovremennogo
bogoslovskogo issledovanija v ich razvitii s konca XIX veka, dans Bogoslovskie
Trudy 5 (1970) pp. 217-220. C'est bien dommage que jusqu'à présent on n'ait pas
encore publié la dissertation défendue à l'Académie Ecclésiastique de Moscou
par P. V. GNEDIC pour l'obtention du titre de «maître» en théologie qui porte
le titre suivant: Russkaja bogoslovskaja literatura 0 dogmate iskuplenija v
period s 1893 po 1944 god. Sur cette dissertation, cfr. :l.urnal Moskovskoj Pa-
triarchii 8, 1962, p. 68-72. Il serait très intéressant de publier au moins la biblio-
graphie. puisque l'auteur dit que jusqu'en 1918 elle est exhaustive (p. 2 de l'exem-
plaire dactylographié qui m'a été envoyé gentiment par le Département des
Relations Extérieures de l'Eglise, du Patriarcat de Moscou: je profite ici de
l'occasion pour exprimer ma gratitude).
3l Cfr. notes 1 et 12.
l-I Cfr. K. KOMAROV, Magisterskij disput v Moskovskoj Duchovnoj Akademii,
dans :l.urnal Moskovskoj Patriarchii 8 (1962) p. 12.
374 ROMAN ZUt.EK
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mentionne le concile de Constantinople de 1156, qui a rédigé une
définition dogmatique relative au dogme de la rédemption" ".
Tout en reconnaissant ce mérite fondamental de P. A. CERE-
MUKHIN, il faut lui faire quelques observations au nom de la
mutuelle compréhension œcuménique. Il affirme que les théories
de Sotérikhos sont latinisantes, sans en donner aucune preuve
convaincante 36. A ce qui paraît, la raison la plus sérieuse serait
la présomption qu'il existe une grande ressemblance entre les
théories de Sotérikhos et la sotériologie occidentale ". Eh bien,
cette supposition est fausse, comme on le verra par la suite.
Selon P. A. CEREMUKHIN, le concile de Trente a dogmatisé "la
doctrine de l' obla tion des deux sacrifices (celui de la croix et
celui de l'eucharistie - N.d.T.) au seul Dieu le Père, ce qui ressem-
ble aux opinions réfutées par le concile de 1157" 38. Cela est
faux: dans les textes du concile tridentin, justement cités en
la tin par P. A. CEREMUKHIN, le mot {( seul» il' existe pas 39. On ne
comprend pas pourquoi il introduit ce mot (tol'ko), dans sa
paraphrase en langue russe, à la même page.
C'est ici le cas de noter que S. Anselme lui-même - et ce
n'est pas peu dire - soutient exactement, et explicitement, la

'.i RlIsskaia bogoslovskaja literatura 0 dogmate iskuplenija v period s 1893


pD 1944 god, p. 474. Cité selon l'exemplaire mentionné dans la note 32.
3Il Cfr. p.:lr exemple KOl1stanlillopol'skii sabor 1156 goda i Nikolaj, episkop
/vlefonskij, dans Bogoslovskie Trudy 1 (1959/60), pp. 60, 92, 96-99, 108-109.
1; Cfr. son Ucenie 0 domostroitel'stve spasenija v vizanlijskom bogoslovii, dans
Bogoslovskie Trudy 3 (1964) p. 156: «On peut penser que Sotérikhos, Basilakis
et leurs adeptes faisaient partie des latinisants ou oeeidentalistes; d'autre part
son schéma de la rédemption, anathématisé par le concile, ressemble étroitement
à la conception occidentale de l'offrande des dcux sacrifices (euchalistie ct
croix - N. d. T.) au seul Dieu Je Père. En effet, la doctrine sur l'offrande des
deux sacrifices au seul Dieu le Père, dogmatisée par le concile de Trente, y
apparaît clairement; non moins claire est la thèse de notre réconciliation avec
le Père grftce au sacrifice du Golgotha. Pour une ressemblance complète il man-
que seulement les concepts de « satisfaction sanglante de la justice divine ", « mé-
rites rédempteurs ", etc. Soit dit en passant, on trouve des tentatives de for-
mation de ces concepts dans les raisonnements de Sotérikhos".
J! Konstantinopol'skij sobor 1157 goda i Nikolaj, episkop Mefonskij, dans
B<Jgoslovskie Trudy l (1959/60) p. 97. Cfr. aussi la note précédente.
l~ Ibid. Il s'agit des textes suivants: «Dominus nos ter Jesus Christus ...
Sua sanctissima passione in ligna crucis nobis justificationem meruit et pro
nobis Deo Patri satisfecit (Sessio IV, cap. 7) », DS 1529: «Is igitur Deus et
Dominus noster, etsi semel sc ipsum in ara crucis, morte interccdente, Deo
Patri ob!atus erat, ut œternam illis redemptionem operaretur .. », DS 1740:
« ... Corpus et sanguin cm Suum sub speciebus panis et vini Deo Patri obtulit
(Sessia XXII, cap. 1, 17 sept. 1562) », DS ibid.
Cette même interprétation du Concile tridentin, nous la trouvons, encore
plus marquée, dans le deuxième article de P. A. CEREMUKHIN, à la page citée
dans la note 37.
CHRISTOLOGIE ET SOTERIOLOGIE 375

doctrine des deux synodes constantinopolitains de 1156 et 1157.


Voyons ce texte du Cur Deus homo:
« Cet honneur appartient sûrement à loute la Trinité. Ainsi,
puisque lui-même il est Dieu, le Fils de Dieu s'est offert à lui-même
en son propre honneur, comme il s'cst offert au Père et au saint
Esprit; c'est-à-dire, il a offert sa propre humanité à sa propre
divinité, qui est unique et commune aux trois personnes )} 40.

De plus, la question de savoir à qui est offert le sacrifice


eucharistique et à qui a été offert celui de la croix est aussi
ancienne en Occident qu'en Orient. Déjà dans l'œuvre antiarienne
Adversus Varimadum, écrite probablement au 4' siècle par
l'évêque Itacius Clams d'Qssonuba ", nous trouvons un chapitre,
le SIe, contre la thèse arienne suivante: {( quia soli Patri sacrifi-
cium immolatur ,,". Le bref chapitre conclut son argumentation
par ces mots: «de cette manière, le sacrifice offert par les
chrétiens sur les autels, selon la dévotion commune, est offert
non seulement au Père, mais aussi au Fils, puisqu'il n'est pas
consacré par le Père sans le Fils ni par le Fils sans le Père" ".
Parler du sacrifice du Christ d'une manière moins dévelop-
pée que celle que nous trouvons dans les conciles constantino-
poli tains des années 1156 et 1157, comme l'a fait le Tridentin,
ne créait de difficulté ni à S. Jean Damascène ni, par exemple,
au métropolite Nikodim ROTOV qui le cite:
« Christ meurt, souffre la mort pour nous et s'offre au Père
comme victime pour nous (S. JEA!\l DAMASCÎ!NE, Tocnoe izlozenie
pravoslavnoj very, Saint-Pétersbourg 1894, pp. 195-196)) 44.

Les doctrines qui ont un plus grand degré de développe-


ment (en ce cas les synodes constantinopolitains de 1156 et 1157)

lŒ« Honor utique ille totius est Trinitatis. Quare quoniam idem ipse est
Deus, Filius Dei, ad honorem suum se ipsum sibi sicut Patri et Spiritui Sancto
obtulit, id est humanilatem suam divinitati sure, quce una eademque trium per-
sonaru:n est >~ (Pourquoi Dieu s'est fait homme, dans Sources Chrétiennes
91, Paris 1963, livre II, fin du chap. 18).
~I Cfr. G. BARDY, dans DT/lC XV, 3OQ6.
II PL 62, 586-587.

;; «Sacrificium itaque quod a Christianis sacris altaribus admovetur, non


solum Deo Patl"i, sed etiam Filio communi devotione offertur, quoniam nec
PatTi sine Filio, neque a Filio sine Pat ri sanciri Il (Ibid., 387). A ce sujet, cfr.
aussi J. A. JUNG:\UNN, Pas/oral Liturgy, New York 1962, p. 29.
II Krest i Voskresenie v Pravoslavl1om Bogosillzenii, dans lurnal Moskovskoj

Patriarchii 5 (1954) 56 A.
376 ROMAN tUtEK

ne sont pas opposées à celles qui sont moins développées (en ce


cas le Tridentin), mais les explicitent et les perfectionnent.
Maintenant nous pouvons conclure cette présentation de la
christologie et de la sotériologie contenues dans la prière « Nul ...
n'est digne ». On peut les résumer en deux points.
D'abord, nous y trouvons une riche christologie, qui s'ex·
prime surtout dans les différents titres donnés au Christ. Elle
marque très fortement la divinité du Christ, Grand Prêtre, au
nom duquel le célébrant se sent très indigne d'officier. C'est
pour cela que le célébrant adresse au Christ cette prière, qui,
en tant que genre littéraire liturgique, appartient aux «apolo·
gies» (apologie de l'indignité personnelle du célébrant).
Le second aspect à mettre en lumière, c'est la sotériologie,
contenue surtout dans les quatre participes de la conclusion.
Cette sotériologie antique, que l'on retrouve dans les écrits des
Pères, a été clarifiée par les conciles tenus à Constantinople, en
1156 et 1157 contre Sotérikhos, qui ont précisé la doctrine du
sacrifice du Christ. Selon cette doctrine le sacrifice de Jésus
Christ - celui de la croix et de l'eucharistie - s'il est offert
par Lui en tant qu'homme, est aussi reçu par lui - avec le Père
et l'Esprit - en tant que Dieu. Cette christologie et cette sotério-
logie, loin de diviser l'Orient et l'Occident, les trouvent parfaite-
ment unis.

Roman ZUtEK

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