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LITURGIE

,
ET , ,
REMISSION DES PECHES

EDIZIONI LITURGICHE - ROMA


BIBLIOTHECA « EPHEMERIDES LITURGICAE ,)
« SUBSIDIA ,)
COLLECTIO CURA A. PISTOIA, C. M., ET A. M. TRIACCA, S. D. B., RECTA

3
LITURGIE
ET
~ ~ ~

REMISSION DES PECHES


CONFÉRENCES SAINT-SERGE
xx- SEMAINE D'ÉTUDES LITURGIQUES

Paris, 2-5 juillet 1973

EDIZIONI LITURGICHE - 00192 ROMA


Via Pompeo Magno, 2\
1975
INDICE

pag.
Presentazione 5

C. ANDRONIKOF, La (1 Pré-Quarantaine» ou les Semaines


préparatoires au Carême 9
M. ARRANZ, La liturgie pénitentielle juive après la destruc-
tion du Temple . 39
B. BOTTE, Le pardon des péchés dans le Psautier . 57
E. COTHENET, Sainteté de l'Eglise et péchés des chré-
tiens: comment le Nouveau Testament envisage-t-il
leur pardon? 69
V. FIALA, Die Sündenvergebung und das lateinische Stun-
dengebet 97
P.-M. Gy, Les bases de la Pénitence moderne 115
P. KOVALEVSKY, Le sacrement de la Pénitence, chaînon
important dans la vie chrétienne 139
R. LEUENBERGER, La rémission des péchés dans le cadre
des « cultes politiques» . 153
A. NELIDOW, Caractère pénitentiel du rite des deuxièmes
noces 163
A. NOCENT, Les Apologies dans la célébration eucharistique 179
V. PALACHKOVSKY, La Pénitence dans le cycle diurne de
la Liturgie byzantine 197
A. RENaUX, Eucharistie et rémission des péchés dans les
Anaphores arméniennes 211
W. RORDoRF. La rémission des péchés selon la Didachè 225
A.M. TRIACCA, Le sacrement de la Pénitence, acte de culte.
Contribution à la spiritualité sacramentaire . 239
G. WAGNER, Bussdisziplin in der Tradition des Ostens 251
J.-N. WALTY, Rémission des péchés chez Luther . 265
G. WINKLER, L'aspect pénitentiel dans les Offices du soir
en Orient et en Occident 273
PRESENTAZIONE

La coscienza vira di tutte le generazjoni cristiane di daver


essere santi, corne Dio è Santo (dr. Lv 19,2; Mt 5,48), e nello
stesso tempo la sentita consapevolezza della propria indegnità e
peccamincsità sono tra i princiPali - anche se non esclusivi -
motivi dell'insistenza con la quale tutte le liturgie hanno conti-
nui e ripetuti accenni alla tematica della remissione dei peccati.
Cià 10 si puà constatare «de facto ,) dall'insieme delle re-
lazioni della XX SETTlMANA Dl STUDJ LITURGIel svoltasi presso
l'Istituto di Teologia Ortodossa di San Sergio, in Parigi, dal 2
al 5 di luglio dei 1973, il cui tema era «Liturgia e remissione dei
peccati ».
Con l'edizione integrale delle confelenze ivi tenute, le Edi-
zion; Liturgiche intendono rendere un servizio al mon do della
scienza e dei dialogo fra le diverse confessioni cristiane; dialogo
che deve sempre prendere l'avvio e radicarsi maggiormente su
cià che le unisce che su cià che le divide.
Questo primario scopo inteso dai fondatori e animatori delle
Settimane di San Sergio, come P. Cyprien KERN e P. Bernard
BOTTE O.S.B. (cfr. F. PETIT, Les Conférences Saint-Serge, in
EPhemerides Liturgicae 88 [1974J 124-130, specie 124), rimar-
rebbe monco se non ci fossero a disposizione gli Atti di tali con-
vegni, non come muta testimonianza storica, ma come eloquente
stimolo all'approfondimento dei punti di contatto fra tutti i
cristiani.
N ell'inserire questi Atti nella collana Subsidia della Biblio-
the ca «EPhemerides Liturgicae», si intende appunto poter for-
nire un valido e pratico aütio, presentando il quadro più ogget-
tivo possibile deI cielo di conferenze (che disponiamo in ordine
alfabetico per Autori) corne base di lancio per un più fru ttuoso
studio dei problemi e delle verità qui racchiuse. Per i cultori
della liturgia, per gli interlocutori dei vero dialogo ecumenico,
per tutti quelli che si interessano della teologia sacramentaria,
il materiale qui offerto avvantaggerà le loro ricerche e i loro ap-
profondimenti, per giungere ad una vitalizzazione proficua di
quanto le liturgie nel corso dei secoli hanno sempre intesC' che
si vivesse quotidianamente.
8 PRESENT AZIONE

D'altra parte, i presenti studi permettono di delineare una


panoramica sufficientemente ampia sull'argomento affrontato, ma
non hanno affatto la pretesa di csaurire la materia. Non poche
relazioni lasciano intendere di voler essere suscitatrici di un gra-
duale studio dei punti trattati e di voler stimolare altri frut-
tuosi incontri a livelli diversi fra i cristiani.
Si coglie infatti dall'insieme della XX Settimana Liturgica
di San Sergio che i punti nevlalgici, che vanno approfonditi per
comprendere le implicanze che vengono poste in rilievo « en pas-
sant» dai relatori, sono - oltre al concetto di peccato - le vi-
suali ecclesiologiche e cristologiche legate direttamente con quanto
è qui trattato. Non si pub perdere di vista tutto questo. Né si
dovrà trascurare, nell'ulteriore riflessione sui fondamenti teolo-
gici, un dia logo aperto « in Veritate» (cfr. Jo 14,6). nella Quale
siamo già «in radice» uniti dal giorno dell'evento salvifico bat-
tesimale.
Certo èche, nell'interesse per la realtà liturgica accentuata-
mente presente in quasi tutte le confessioni cristiane e che in
alenne di esse assume anzi il volta di un vero e proprio risveglio,
si rende sempre più necessario approfondire quanta è inteso a
ridonare la primitiva portata della realtà battesimale a chi ma-
lauguratamente J'avesse infranta e spezzata. Al di là, quindi,
delle forme celebrative assunte nel corso dei secoli per la remis-
sione dei peccati, al di là dei nllovi orientamenti teorici e pra-
tici che «( ortodossia» ed «( ortoprassi )} vanna collaudando, si vive
sempre più la consapevolezza che è nella liturgia - intesa anche
come realtà dell'incontro rinnovato con Cristo nella Chiesa, e
con la Chiesa in Cristo, per iniziativa deI Padre e in virtù dello
Spirito - che quotidianamente il cristiano si rinnova.

Roma, Solennità di Tutti i Santi, 1974

A. PISTOIA, C.M. - A.M. TRIAC CA, S.D.B.


LA « PRÉ-QUARANTAINE» OU LES SEMAINES
PRÉPARATOIRES AU CARilME

«Voyant la beauté d'où je suis tombé,


que je retourne reprendre en pleurs
ce que j'ai perdu! » (Dimanche de
l'abstinence des laitages ou de l'Ex-
pulsion d'A dam, 9-e ode du canon de
matines).

Le repentir et la rémission des péchés (et leur condamna-


tion) occupant certes une place assez importante dans l'exis-
tence chrétienne, on peut s'attendre à ce que la liturgie en traite
des points de vue tant de la doctrine que de la pédagogie pra-
tique et de la prière. Conduisant au centre même du mystère
chrétien, à savoir: Pâques, le Carême est naturellement le lieu
privilégié de cet aspect pénitentiel et salvifique de la Révéla-
tion qui conduit la vie de l'Eglise. Il constitue un long et lent
cheminement dans le temps pour aboutir à un transensus, sym-
bolisé par « l'illumination de la nuit pascale» qui ouvre sur «le
jour qui n'a pas de soir» et où les péchés sont non seulement
remis, mais oubliés. Liturgiquement, cela s'exprime aussi par la
combinaison du cycle fixe avec le cycle mobile de Pâques, lequel
finit par le remplacer complètement.
Ce cheminement est à la fois attente et retour: attente du
Second Avènement et du Jugement, retour vers le Royaume
du Père dans la joie et dans la gloire. Attente et retour ont ainsi
pour signification fondamentale la réalisation en devenir du salut,
c.à.d. de la rémission des péchés.
Il serait intéressant de voir d'après les textes comment la
tradition liturgique nous prépare à la Quadragésime et nous en
éclaire le sens. On sait que malgré la diversité des pratiques,
attestée encore par Socrate et Sozomène, la Quadragésime est
déjà traditionnelle au IV-e siècle, comme le signale le se canon
de Nicée; et Eusèbe la connaît, alors qu'en fait le jeûne s'étend
à huit semaines à Jérusalem (Ethérie), à six semaines dans l'Il-
Iyricum, l'Hellade et à Alexandrie (Socrate), à trois semaines
à Rome (Socrate), à sept semaines à Constantinople (Sozomène),
de même qu'à Chypre (Epiphane) et à Antioche (Jean Chrysos-
ID CONSTANTIN ANDRQNIKOF

tome), en incluant ou en excluant du comput, selon les régions,


la Semaine Sainte et les samedis et les dimanches; ce qui per-
mettait d'arriver quand même aux Quarante jours (Tessaracostè).
Mais nous ne sommes pas non plus sans savoir que ces questions
et ces calculs ont été l'objet de controverses innombrables et
que les disputes « se sont élevées jusqu'au ciel », comme l'a re-
marqué S. Jean Damascène (Ep. sur le Carême).
Nous savons aussi qu'au terme de la réforme liturgique du
Stoudion (dont nous vivons encore), deux semaines préliminaires
viennent s'ajouter à la synthèse byzantine; ou plutôt, deux di-
manches qui donnent le ton aux autres jours: le dimanche du
publicain et du Pharisien (mentionné au VlII-e s.) et celui du
Fils prodigue (IX-e s., par S. Théodore du Stoudion). Pro toû
asôto<' est porté dans des Evangéliaires du XI-e s.; pro tès apokreou,
dans des Evangéliaires des IX-X-es ss. Des additions hymno-
graphiques vont être faites jusqu'au XIV-e s., mais elles ne chan-
geront rien à l'économie générale de notre liturgie où le déve-
loppement du catéchuménat se trouve graduellement remplacé
par l'aspect pénitentiel, d'allure nettement monastique. La «pré-
paration» n'est plus tellement pour l'illumination du baptême
que pour une «bonne mort». Le premier thème ne disparait pas,
mais il n'émergera que de loin en loin dans un ensemble d'accent
pénitentiel. Le souci d'éducation est patent. Si S. Jean Chry-
sostome précise que « les Pères ont institué (la Quadragésime)
pour se préparer à l'eucharistie pascale l} (Contre tes Juifs, disco
III), Jean Cassien nous rapporte déjà que l'ermite égyptien Théo-
nas disait que la Quarantaine avait été établie par les évêques
pour des raisons pédagogiques, le peuple s'étant écarté de la
première rigueur apostolique (Collatio XXI, 30).
En bonne pédagogie, avant l'essentiel, on introduit le pré-
liminaire. C'est ainsi que les dimanches du Publicain et du Fils
prodigue sont accolés à la Quadragésime proprement dite et que
celle-ci va les rappeler à la 2" et à la 3" semaines. Puis, à un ou
deux siècles de distance, je ne saurais le dire, ce seront en fait
cinq semaines qui vont faire intégralement préface au Carême,
couronnées par leur dimanche: Zachée, Publicain et Pharisien,
Fils prodigue, Jugement Dernier ou Carnaval, du Pardon ou de
l'abstinence des laitages.
Le rite constantinopolitain est combiné avec celui de Jéru-
salem dans un mss. de 1122 du Monastère de la Sainte Croix:
Typikon pour le Carême et pour Pâques de l'Eglise de la Ré-
LA « PRÉ-QUARANTAI}rE ) Il

surrection à Jérusalem (publié par Papadopoulos-Kerameus à


Pétersbourg en 1894) et qui, d'après Baumstark, représente la
liturgie hiérosolymitaine du début du XI-e s. Le rite est com-
plètement fixé (sauf pour le Dimanche de Zachée) dans le Ty-
pikon du Monastère d'Evergetis à Constantinople à la fin du
XI-e s. (Codex 788 de la Bibl. de l'Univ. d'Athènes, publié par
Dmitrievsky, I) et dans le Typikon de Saint-Sabas de Palestine
(milieu du XI-e s.; Dmitrievsky, III; cf. Wellesz: A History of
Byzantine Music and HymnograPhy, Oxford, 1962, pp. 134-135).
Notre propos n'est pas d'en faire l'histoire, et cela d'autant
moins que le professeur Théodorou se propose d'exposer la for-
mation du Triode. Qu'il nous suffise de rappeler que, dans son
livre classique: Postnaia Triod' (Le Triode du Carême, St. Pét.,
1910), Karabinof fait état des difficultés auxquelles se heurte
l'historien pour établir la chronologie, dans l'impossibilité où il
est le plus souvent d'identifier les auteurs: la plupart des hymnes
sont anonymes, justement les plus anciennes; on retrouve cer-
tains noms dans les acrostiches des canons ou pour certains sti-
chères, notamment les Theotokia, parfois repris à la fin d'un
canon. Cela n'est vrai que pour les idiomèles, et encore: les noms
varient d'un manuscrit à l'autre; pour les plagiaires, l'incerti-
tude est plus grande encore. Ajoutons-y les erreurs des copistes
dans l'orthographe, parfois dues à des allitérations entre des
noms différents; et aussi les insertions tardives dans une série
d'hymnes d'un auteur donné. Enfin, quand il y a une indica-
tion, elle ne porte souvent que sur l'origine de l'hymnographe:
anatoliou, byzantiou, hagiopolitou, sinaïtikos ... Karabinof est ar-
rivé à ces conclusions après avoir analysé 48 mss. grecs (triodes,
stichéraires, hirmologues ... ) et Il mss. slavons (dont deux ty-
pika stoudites du XII-e s.), des origines les plus diverses: Sinaï,
Athos, Géorgie, Grottaferrata, Vatican ...
Nous voudrions simplement jeter un coup d'oeil sur les textes,
tels qu'ils ressortent de ce travail séculaire, pour essayer de voir
comment la liturgie prépare (1 le temps bienheureux du jeûne
qui se lève dans la lumière des rayons du repentir >, (mercredi
de l'abstinence des laitages, 3e ode du canon, cette-fois-ci heu-
reusement attribué à (1 Joseph », sans doute l'Hymnographe, né
à Syracuse, et que nous pouvons donc situer avant la fin du
IX-e s., puisqu'il est mort en 883). L'heure dont nous dispo-
sons ne nous permettra certainement pas d'analyser le contenu
de tous les textes de la (1 Pré-Quadragésime ».
12 CONS1 ANTIN ANDRONIKOF

Celle-ci nous présente quatre types de pécheurs: Zachée, qui


ne sait s'il a péché devant le Seigneur; le Publicain qui le sait;
le Pharisien qui est sûr de ne l'avoir pas fait; le Fils prodigue
qui fait l'expérience extrême du péché. Le fondement théma-
tique des offices correspondants est entièrement évangélique. D'où
la dénomination des dimanches-clefs. Enfin, le Prototype du pé-
cheur: Adam, l'auteur de notre exil, sera évoqué la cinquième
semaine préparatoire uniquement dans les hymnes liturgiques,
sans lecture scripturaire. L'une des dénominations du dimanche
correspondant, le "Dimanche du Pardon », provient néanmoins
de la leçon évangélique du jour: Mt. VI, 14-21: "Si vous par-
donnez ... le Père céleste vous pardonnera ... ».

I. Dimanche de Zachée (Le. XIX, 1-10)

C'était un (' chef des collecteurs d'impôts », donc un (, pé-


cheur» aux yeux de l'orthodoxie juive qui, pour une fois, ne
se montrait pas uniquement légaliste (car les fonctions du pu-
blicain n'avaient rien d'illégal). Zachée est aussi (, un homme
riche ». II veut (, voir» Jésus, pour savoir" qui II est, tis estin ».
II n'en avait pas la capacité physique, "à cause de la foule l),
car il était de (, petite taille ». Mais" il cherchait» à le voir quand
même, malgré ce handicap, et il recourt à un moyen physique:
il monte à un sycomore; il se grandit pour s'élever au-dessus
de la foule. Sa quête profonde le distingue des autres, de la foule
opaque qui empêche de voir la vérité. Toutefois, il n'est nulle-
ment dit que la foule ne pouvait pas la voir. II n'y a là aucune
"masse de perdition l) selon une optique augustinienne.
Parmi les leçons pratiques qui se dégagent de ce texte, l'on
en aperçoit déjà quelques unes: un moyen physique, comme le
jeûne, élève l'âme, aide à voir le Christ. En second lieu, plus im-
portant encore, la recherche de la vérité précède la conversion et
même la foi. En effet, en réponse à l'effort de la volonté requé-
rante de Zachée, Jésus le distingue aussitôt de la foule et II le
distingue personnellement en le voyant et en le reconnaissant
pour qui il est: II l'appelle par son nom: "Zachée! ». La quête
de Dieu a pour premier résultat l'identification du chercheur
aux yeux de Dieu, qui l'affirme en tant que personne. Puis, Dieu
commence à se révéler à cette personne, dans la mesure où celle-ci
continue son effort de recherche de la vérité, qui est d'abord le
bien et la justice, comme le montre le texte. Et Dieu ne force
LA {( PRÉ-QUARANTAINE t) 13

à aucun moment la conscience de Zachée ni quand celui-ci cher-


chait ni après qu'il eut trouvé. Autre leçon: la liberté de la per-
sonne humaine.
Curieusement, il semble au contraire que la recherche de
l'homme «force» Dieu à demeurer en lui: (, il me faut (j'ai be-
soin de) demeurer aujourd'hui dans ta maison, dei me meinai» (5).
Et cela, dès (, aujourd'hui », dès l'accomplissement de l'effort de
recherche. Et les fruits de celle-ci deviennent patents: l'affirma-
tion de Jésus comme Seigneur. Par là, face à son Maître, l'hom-
me s'affirme lui-même et il détermine son action, d'abord par
la bonté, par le don (, la moitié des biens, le quadruple» de l'of-
fense éventuelle, 8). en témoignage réel de ce qu'il est détaché
des biens matériels, tôn h"parchontôn, c.à.d. acquis par des mo-
yens qui n'ont pas été nécessairement justes. Cela éclaire la vertu
des «oeuvres )}, qui seront la matière jugée au Tribunal du Christ
à sa Parousie, comme la liturgie va y insister (surtout le Diman-
che du Jugement). Sa conscience étant devenue généreuse, Za-
chée déclare qu'il a pu être injuste et qu'il va donc le réparer;
il le déclare (, en se tenant debout, statheis, stans» devant Celui
qu'il reconnaît comme le Seigneur, en signe de respect et d'af-
firmation solennelle de soi-même et de la détermination de sa
conversion, comme à la liturgie le diacre invite les fidèles à se
(, tenir droit)} devant la Sagesse. (Pourquoi la TOB traduit-elle
«( s'avançant t)? Nous retrouverons des allusions à cette station
droite au Dimanche du Fils prodigue).
Un autre état, essentiel à l'homme qui «accueille» le Sei-
gneur, a précédé celui de la conversion: c'est la joie (6, chairôn).
En outre, si la quête de Dieu est au départ personnelle et
si à l'effort individuel d'élévation (, pour voir» répond la ren-
contre personnelle avec le Seigneur, une des conséquences en
est qu'une fois l'homme descendu de sa position singulière, du
lieu élevé de sa vision au-dessus de la foule, pour « accueillir»
le Seigneur, celui-ci vient demeurer dans « la maison, en to(i)
oikô(i)>> du voyant, c.à.d. parmi les familiers, les proches, dans
le cercle de celui-ci. Et c'est un embryon d'Eglise.
Ainsi et enfin, la dernière conséquence de cette quête réus-
sie et la dernière révélation qui en est le fruit, c.à.d. « le salut,
sôtèria» (9). sont apportées non seulement au croyant en cause,
mais encore à toute «( sa maison t). De cette façon, un homme
que la foule et la coutume des idées reçues (c.à.d. le monde) ju-
geaient impur et pécheur devient un centre de salut. Il ne cesse
14 CONSTANTIN ANDRONIKOF

pas pour autant d'être extérieurement lui-même par ses fonctions


sociales, c.à.d. un inspecteur du fisc, pécheur aux yeux de la
plupart et donc (' perdu " (10), mais, devenu croyant et décidé
à agir en tant que tel, il est sauvé avec ceux qui l'entourent.
(, En effet ", ajoute le Seigneur Lui-même, (' le Fils de l'homme
est venu chercher et sauver ce qui était perdu " (10). A la volonté
humaine de quête et d'affirmation dans le bien et la justice ré-
pond la volonté divine du Seigneur qui sauve, contrairement
à celle du diable qui « cherche qui dévorer» pour le perdre.
Si nous avons examiné en détails le passage de l'Evangile
lu ce Dimanche de Zachée, c'est qu'il éclaire à l'avance nombre
de thèmes qui vont être repris tout au long du Carême: celui
de la recherche, celui de la conversion, qui sont intimement liés
à celui du repentir en général et même de la pénitence. Mais c'est
aussi parce que ce Dimanche fait ressortir des éléments qui se-
ront moins nettement développés, encore qu'ils transparaîtront
de loin en loin: ce sont la joie de la rencontre, la coïncidence im-
médiate entre la recherche de Dieu par l'homme et la recher-
che de l'homme par Dieu, et aussi l'insistance sur « l'aujourd'hui,
sèmeron () de la demeure de Dieu chez nous et du salut (2 fois ré-
pété, versets 5 et 9). Ce qui ne veut pas dire que le Seigneur et
le salut demeurent mécaniquement à iamais dans cette maison
et chez cet homme (encore que, d'après la tradition rapportée
par la 3e Homélie Clémentine, Zachée fût devenu disciple de
S. Pierre et évêque de Césarée). C'est là où l'Eglise tout entière
prend pour ainsi dire la relève: (' Je suis avec vous jusqu'à la fin
du monde ". La suite des offices préparatoires au Carême rap-
pellera que pour que le salut s'ouvre au coeur pénitent, la con-
tinuation de l'ascèse et celle de la confession sont indispensables,
afin d'espérer le garder. (' L'aujourd'hui () possible ne signifie pas
un «( toujours» nécessairement acquis.
Enfin, notre insistance sur cette péricope est motivée, pa-
radoxalement peut-être, par le fait que les hymnes liturgiques
du jour n'en soufflent mot. :vrême dans la suite des semaines,
il n'en sera pas question. L'Octoèque n'a rien à y voir et le Triode
n'a pas encore été inauguré. Il n'en reste pas moins que dans
la pratique depuis six siècles au moins, ce Dimanche s'inscrit
dans le catalogue des dimanches désignés avant et pendant le
Carême par une commémoration empruntée aux Ménées: S. Thy-
ron, S. André de Crète, S. Jean Climaque, Ste. Marie l'Egyp-
tienne ... Enfin, l'on aperçoit toute la signification de cette intro-
LA (t PRÉ-QUARANTAINE » 15

duction à la Quadragésime pour la rémission des péchés «con-


scients et inconscients »),

II. Dimanche du Publicain et du Pharisien

Zachée était un pécheur publicain qui s'était élevé au-dessus


de la foule. Ce dimanche-ci va préciser la leçon ascétique et spi-
rituelle qu'il nous avait offerte en opposant deux autres types
de pécheurs selon l'intimité de leur coeur. Ils éclairent en effet
deux attitudes contraires: l'humilité personnelle devant Dieu et
la suffisance juridique devant les hommes. Le (, rien.> de l'un
fait contraste au «tout» de l'autre. C'est le procès de la réalité
vraie et de la réalité fausse, le grand conflit (1 dans le coeur de
l'homme» entre Dieu et le diable, où Dostoievsky voyait le sens
de toute l'histoire de l'humanité. C'est aussi la démonstration
de la vraie valeur, ou vertu, manifestée par l'aveu kénotique
du dépouillement par opposition à l'orgueil impotent, manifesté
par le complexe de supériorité morale. L'ontologie du coeur hu-
milié l'emporte sur la phénoménologie du droit triomphant. La
contrition est exaltée, l'observation canonique suffisante est con-
damnée.
Il est assez clair que le modèle du premier type est le Christ;
du second, Lucifer. En renonçant sa valeur propre, le Publicain
se couvre (1 de majesté» (kontakion), tandis qu'en affirmant sa
propre gloire, le Pharisien n'obtient rien que l'humiliation. L'hu-
milité, au contraire, est en elle-même un facteur de la rémis-
sion des péchés. Presque tous les textes du jour ne feront que
proclamer ce thème exemplaire, sans d'ailleurs le développer
d'aucune façon.
Si la liturgie ne décrit pas les deux cas plus que ne le fait
l'Evangile de la messe, elle en tire aussitôt une leçon morale.
Nous trouvons là l'essentiel de la coloration pénitentielle que
l'usage monastique a donnée à l'ensemble du Carême. Des hymnes
insistent d'ailleurs sur cet aspect de l'humilité et sur une de ses
conséquences: le secret dont on doit entourer ses sentiments et
sa dévotion particuliers (cf. l'Evangile des matines du Dimanche
de la Tyrophagie, Mt. VI, 1-13, qui commence par: (1 Gardez-
vous de pratiquer votre religion devant les hommes» [traduit
très bien la TOB) (1 pour attirer leurs regards ... » et qui se ter-
mine par le «Notre Père.».
A vêpres, lucernaire: (l ... Celui qui s'élève lui-même sera hu-
16 CONSTANTIN ANDRONIKOF

milié. Humilions-nous devant Dieu!» - « L'un, qui se glorifiait,


s'est privé lui-même des biens. Mais l'autre, qui ne proclamait
rien, s'est rendu digne des biens )}.
A matines commence le leit-motiv qui va passer par les
offices de toutes ces semaines: {< Ouvre-moi les portes du repen-
tir. .. car mon esprit se lève vers ton temple saint, mais il porte
le temple du corps tout souillé ».
y a-t-il là une trace de ce manichéisme esprit-corps que
l'Eglise a reproché si longtemps au monachisme? Cela paraît
en contradiction avec le thème de la parabole elle-même qui
donne tout son sens à ce Dimanche: la vertu du Publicain en
effet est spirituelle, aucune allusion n'est faite à des impuretés
corporelles (ni non plus pour le Pharisien). La dialectique de
la parabole est entièrement morale. C'est à cause de son humi-
lité et de son appel à la miséricorde de Dieu, attitude de l'esprit
et de l'âme, que le Publicain « descendit justifié» du Temple
chez lui, par contraste avec le Pharisien qui recourt à l'accom-
plissement de la ~e et qui ne se refère pas à Dieu.
D'ailleurs, tous les autres textes liturgiques vont aller dans
ce sens, dès le Théotokion qui suit immédiatement le trop aire
que nous venons de citer: « Conduis-moi sur le chemin du salut,
Mère de Dieu, car i' ai souillé mon âme par les péchés ... <>.
Le canon jouera de ce thème de l'humilité et de l'orgueil
sur un mode de sentences, un peu à la manière sémitique des
Proverbes ou de la Sagesse de Salomon, en balançant les deux
termes de cette dialectique:
- 1e ode: « Le Christ relève le Publicain de son abaisse-
ment et montre le Pharisien abaissé par la suffisance ... Par l'or-
gueil, tout se perd, mais par l'humilité tout mal est détruit ... ,>.
L'humilité en elle-même a la vertu de dissoudre le péché.
- 3e ode: « La vanité pille le trésor de la justice, mais
l'humilité disperse la multitude des passions ... ».
La 4e ode indique enfin l'analogue et le type: le Christ: « Il
nous a montré la voie excellente de l'élévation: l'humilité, le
Verbe qui s'est humilié jusqu'à l'aspect du serviteur. .. ». « Le
Sauveur qui nous élève toujours vers la montée divine ... a lavé
de ses mains les pieds de ses disciples ,> (cf. 6e ode, se trop.). Et
à la veille de la Passion et de la culmination du drame, le Jeudi
Saint, la liturgie représentera effectivement le lavement des pieds.
La se ode a un trop aire prudent: ne pas croire que tout est
bon chez le Publicain ni tout mauvais chez le Pharisien: « Effor-
LA « PRÉ-QUARANTAINE » 17

çons-nous d'imiter les vertus du Pharisien et de rechercher l'hu-


milité du Publicain, mais en détestant chez l'un comme chez l'autre
la déraison, l'extravagance et la souillure des fautes» (Touraille
traduit: (1 désordre, orgueil, to atopon, aponoian »; slavon: « bez-
mestnoié mnénié i pagoubou padénia).
La 6" ode marque le renversement des valeurs: ni le péché
ni, par conséquent, sa rémission ne sont ce qu'un vain peuple
pense: « Le Pharisien menait sa vie dans les vertus et le Publi-
cain, dans les fautes; mais l'un fut abaissé par la folie de l'or-
gueil, l'autre fut élevé en son humilité ». Notons au passage (et
nous aurions déjà eu l'occasion de le faire) que le péché est sy-
nonyme d'humiliation (d'abaissement) et le pardon, de gloire.
Le Théotokion suggère de nouveau que la chair est la mar-
que même du péché: «] e fus créé nu en simplicité, dans une vie
innocente, mais l'ennemi m'a revêtu de la pesanteur de la chair»
(il est remarquable qu'un tropaire de la Nativité utilise la même
expression pour le Christ).
Le 1er kontakion n'ajoute rien à la leçon morale, le 2" indi-
que pour la première fois le caractère sacramentel du repentir:
(1 Le Seigneur donne l'absolution à ceux qui se repentent », à

moins que ce ne soit forcer le sens en lui donnant une interpré-


tation suggérée par la pratique de l'Eglise; mais, tout compte
fait, c'est elle-même qui est aussi l'auteur de l'hymnographie.
L'ikos nous renvoie au (1 jugement éternel Il, auquel un autre
dimanche sera consacré.
Le «bref prologue Il du synaxaire nous apprend que les sy-
naxaires relatifs aux (1 fameuses fêtes du Triode» sont dus à Ni-
céphore Calliste Xanthopoulos et qu'ils expliquent celles-ci d'après
les Saints Pères, depuis ce Dimanche du Publicain et du Pha-
risien jusqu'à celui de Tous les Saints, c.à.d. le 1er après la Pen-
tecôte, couvrant ainsi le temps de la Quadragésime augmenté
des semaines préparatoires byzantines, et le temps de la Pente-
côte jusqu'à son «extrémité », le samedi veille de la Toussaint,
quand le cycle fixe reprend ses droits.
On pourrait y voir un trait de la conception monachale et
ascétique de toute cette période du temps de l'Eglise. Certes,
Pâques en est le couronnement; certes, la descente du Saint Es-
prit et la fondation de l'Eglise en sont l'aboutissement (1 natu-
rel ». Mais où les moines vont-ils placer (1 le Triomphe de l'Or-
thodoxie », dans ce cadre? Alors que la structure de la synthèse
liturgique byzantine est fixée à très peu de choses près au IX-e
18 CONSTANTIN ANDRONIKOF

siècle, à la suite de la réforme stoudite (l'ensemble de cette struc-


ture et non pas seulement le cycle quadragésimal, pascal et pen-
tecostal), la grande révolte de l'hérésie iconoclaste est vaincue
au milieu de ce siècle et l'orthodoxie rétablie est célébrée (le Il
mars 843) le dimanche de la 1ère semaine du Carême. Notons,
par exemple, que le Typikon de Patmos (Codex 266, publié par
Dmitrievsky: Opisanie litourgitcheskih roukoPiseï, l, pp. 1-152,
Kief, 1895), qui donne l'Ordo de Sainte-Sophie, place en ce 1er
Dimanche du Carême «la mémoire des saints prophètes, Moïse,
Aaron et Samuel,>; il nous indique donc que ce dimanche n'était
pas inoccupé et quel était l'état de cette liturgie avant la fin de
l'iconoclasme, donc avant 843.
N'y a-t-il là qu'une coïncidence historique, comme le sug-
gère Schmemann (Great Lent, St. Vladimir's Seminary Press,
1969, p. 82)? Il serait difficile d'imaginer une victoire ponctuelle
remportée dans le temps, à une date fixe, après une lutte d'un
siècle. Il n'y a quand même pas eu un armistice ou un traité de
paix comme on en signe entre belligérants au jour dit. D'autre
part, le fait que l'Eglise ait maintenu sa commémoration non
pas à une date fixe (celle, en l'occurrence, du Il mars), mais jus-
tement au 1er dimanche du Carême, est enCore plus significatif:
le Triomphe de l'Orthodoxie fait partie inhérente de la période
pénitentielle du Carême et nOn pas de la gloire pascale, où rien
de liturgique n'eût d'ailleurs empêché de l'inscrire, un peu comme
si cette longue hérésie s'inscrivait dans la suite des péchés his-
toriques de l'Eglise, à remettre.
Le reste des odes et les stichères des laudes n'ajoutent rien,
sinon pour rappeler l'effet des larmes du repentir. Cet ensemble
hymnographique surprend par sa médiocrité doctrinale et même
ascétique: la vertu d'humilité y est simplement opposée au péché
d'orgueil, la première étant salutaire, le second conduisant à
la perdition. En dehors de cette affirmation, aucune explica-
tion, aucun développement moral.

III. Le Dimanche du Fils prodigue


Celui-ci n'est pas que prodigue, il est bloudnyï, asôtos; ra-
cine sôs, bien portant, intact, entier, sûr; sôzô: sauver, garder
intact, rester sain et sauf (et même, au moyen, garder en mé-
moire, se souvenir); d'où sôtèr, sôtèria: sauveur, salut; sôPhrôn:
sage, qui garde la mesure de soi (sôs + Phrèn). L'asôtos est donc
LA «( PRÉ-QUARANTAINE 1) 19

le perdu, déréglé, débauché, dévoyé, dissolu; enfin seulement:


prodigue.
La parabole (Lc. XV, 11-32) est dans l'Evangile après 1) la
parabole de la brebis retrouvée et 2) celle de la drachme retrou-
vée, dont les finales sont les mêmes: la joie de Dieu devant les
retrouvailles: «il y aura de la joie dans le ciel »; et avant 3) la
parabole de l'économe malhonnête ou, plutôt, habile, dont la
conclusion est de «( se faire des amis 1) ••• qui «( vous accueilleront
dans les demeures éternelles» (XVI, 9).
Ce que le fils demande au père de lui donner en pleine et
seule propriété, c'est « la part de bien qui doit me revenir '>, c.à.d.
quelque chose qui lui appartient naturellement en partage et dont
il jouirait de toute façon quand il serait entré dans son héritage,
et que le péché va détruire; c'est l'état d'Adam avant la chute.
Les deux termes qui désignent ce « bien» sont révélateurs: ousia
(12,13) et bion (12), ce que la Vulgate traduit les trois fois par
substantia. Il s'agit bien de ce que le fils possède en puissance
comme héritier du Royaume: son être propre, ce qui fait qu'il
est lui-même de droit et qu'il deviendra de fait intégralement
dans la maison du Père.
Ho bios: ce qui fait vivre, la subsistance, les biens et les fa-
cultés, et aussi le genre de vie (et même la profession), ou enfin,
la vie au sens de biographie.
Hè ousia: l'avoir, les moyens d'existence, mais aussi la sub-
stance et l'être. Le Fils prodigue dissipe sa «substance» « en
vivant d'une manière désordonnée, sans sagesse» (13), il se dé-
pense lui-même par la débauche, il épuise son être, qui est le
seul bien dont il dispose, qui est un don de son père et qui n'est
pas renouvelé. Il le fait dans « un pays lointain », où il y a « une
famine », où le fils épuisé n'a d'autre activité que de « garder
les porcs 1) et où «( personne ne lui donne» même la nourriture
des porcs, gousses, siliques ou caroubes. Il aurait pourtant voulu
s'en « remplir le ventre '>, la partie physique de sa substance éva-
cuée. Voilà une hamartologie très profonde par ses indications
tant ontologiques que pratiques, quant à la personne du pé-
cheur aussi bien qu'à la nature du péché et à ses effets substantiels.
Sur le point de mourir d'inanition (17), il a dû éprouver
la peur physique de la mort, qui est un moteur puissant de con-
centration intime (cf. l'anamnésie de ceux qui croient mourir).
Il effectue alors quelque chose de remarquable du point de vue
anthropologique, psychologique et spirituel: « il rentra alors en
20 CONSTANTIN ANDRONIKOF

lui-même» (17). C'est plus qu'un examen de conscience, c'est


un retour de l'extérieur vers l'intérieur, du monde des porcs dans
le coeur de soi-même, heauton, dans sa propre personne, dans
le « en vous où est le Royaume l). Du « pays 1ointain )}, qui ne
nourrit pas la personne et qui la tue, le fils est déjà rentré dans
la maison du Père par le désir de se sauver soi-même, pour pas-
ser de l'état d'asôtos à celui de sôs ou de sôtèrios; il s'était perdu,
il va devenir sauvé. C'est une équivalence de la rémission des
péchés ou une conséquence immédiate de celle-ci. Plus précisé-
ment encore: c'est une sorte de résurrection, que le texte mar-
que par un double mouvement: kai anastas èlthen, et surgens venit
(ou plutôt iit, contrairement à la Vulgate): '1 se levant, il alla» (20)
(il n'est pas encore venu, arrivé).
Et nous allons voir que le repentir du pécheur, suivi par
le pardon de Dieu, sont présentés par la liturgie comme une es-
pèce de résurrection de l'âme. Toutefois, l'aspect sacramentel
(confession, absolution) n'y est jamais mentionné.
Cependant, avant la réalité du retour, du salut, il y a l'acte
de la volonté du pécheur, acte qui est aussi marqué par un mOU-
vement, lequel est en fait le même qu'au départ et qui est ef-
fectué à l'intérieur de la conscience: d'abord le retour dans soi-
même: eis heauton de elthôn (le même verbe qu'au verset 20, où
est indiquée la conversion dynamique; ici, elle est potentielle).
Il y a premièrement la constatation d'un fait; "ici, je meurs de
faim », alors que là-bas, dans la maison du père, "que d'ouvriers
ont du pain en abondance! », sans parler des fils. C'est la recon-
naissance du péché qui est d'être loin du ciel nourricier, d'en
être parti volontairement. Ensuite vient la détermination de la
conversion: « je veux rentrer dans ma patrie l): « m'étant levé,
je vais me mettre en route », parcourir la distance qui sépare
"le pays lointain» de la maison du Père et qui est la dimension
du péché. En effet, ce n'est pas ce "pays lointain », le monde,
qui est le péché, c'est le fait d'avoir quitté la maison pour vivre
par soi-même, pour soi-même, de sa propre substance jugée suf-
fisante, alors qu'elle est consumable et périssable en dehors du
Donneur de vie.
Le fils s'attend donc à une marche dont le parcours devrait
normalement être le même que celui qui l'avait conduit là, ag-
gravé pourtant par le fait qu'il n'a plus de vivres et que ses for-
ces sont épuisées par la faim. Le péché consiste en un épuise-
ment de la substance de l'homme, conduisant à la mort, dont
LA {( PRÉ-QU ARANT AINE 1) 21

le synonyme est la perdition: le fils, dit le texte, est ,< mort et


perdu, nekros kai apolôlôs)) (24). Cette philosophie du péché est
fixée par l'aveu du fils: «J'ai péché contre le ciel et envers Toi ))
(18 et 21) (contrairement aux traductions courantes, même à
la TOB). Cette reconnaissance du péché au for interne, confi-
teor, est suivie d'une véritable confession devant le Père; le fils
lui répète les paroles qu'il a prononcées dans son coeur, en lui-
même, en heautô(i).
Il est remarquable que cette confession contienne une dis-
tinction fine entre deux formes du péché: la faute générale, com-
mise à l'égard du Royaume, signifiée par ,< j'ai péché contre le
ciel, hèmarton eis ton ouranon, in coelu,m 1): c.à.d. la trahison par
abandon du ciel, où le fils avait sa place, son poste. Un vide est
resté dans la maison du Père, un fils est «perdu)). En second
lieu, le péché est une culpabilité personnelle envers le Père: ,< j'ai
péché envers Toi, enôPion sôu, coram te)) (18,21). Le premier
aspect est objectif: quitter le Royaume est en soi un péché et
les effets ne manquent pas de s'en faire sentir dès que l'héritage
de la personne humaine est dilapidé: il n'est pas renouvelé; le
don premier de l'ousia n'est pas ôté, mais il reste unique, pour
ainsi dire à fonds perdu; une fois le bios mangé, on meurt d'ina-
nition parmi les porcs qui se rassasient d'autre chose, de pro-
duits purement naturels, comme les ,< caroubes)); et même cette
nourriture animale {( n'est pas donnée») au fils qui {( s'est mis
au service d'un citoyen de cette région »). La renonciation au
droit de filiation entraîne l'asservissement à un ordre «politi-
que 1) de citoyenneté où il n'y a pas de don, où rien n'est gra-
tuit ni gracieux et où l'on ne mange que si l'on a de quoi acheter,
et où règne la disette. On songe aussitôt au sort d'Adam après
la chute, sous le coup de la malédiction qui le contraint à sub-
sister non des dons du Royaume, mais « à la sueur de son front )).
Or, dans la maison du Père, dans le Royaume, il n'y a pas
de «citoyens)): en dehors des fils, il y a des « ouvriers '>, misthoi,
c.à.d. ceux qui reçoivent un (\ salaire)} pour leur ceuvre et dont
la récompense est ,< surabondante 1) (17).
Le deuxième aspect du péché est subjectif: l'éloignement
du Père, le péché contre l'amour. Hors sa présence, l'homme
perd tout ce qu'il a et même ce qu'il est (ousia). Avec le Père,
l'homme possède tout ce qui est au Père: ,< Tout ce qui est à moi
est à toi)), c.à.d. le Royaume. Quand il est loin de lui, l'homme
perd même ses relations humaines, fondées sur les biens mon-
22 CONSTANTIN ANDRONIKOF

nayables, il finit par n'avoir plus commerce qu'avec des êtres


qui lui sont étrangers par nature, par nature physique et aussi
spirituelle.
Notons enfin les effets du repentir et de la confession des
fautes, tels que les indique la parabole: dès que le fils devient
conscient de son péché, qu'il amorce sa conversion et qu'il entre-
prend la pérégrination de son retour, le Père «le voit et il est
mû par la miséricorde ". La pénitence provoque le regard et la
pitié de Dieu. A contrario, l'état de péché consiste à se placer
en dehors du champ de vision divine, c.à.d. dans les ténèbres
extérieures au Royaume où la miséricorde ne s'exerce plus. La
déchéance de la condition de fils entraîne une occultation de
la grâce. En revanche, la miséricorde, la grâce du pardon, con-
stituent la réponse immédiate au mouvement du pécheur vers
le regard divin.
Et, ainsi que l'explique l'Ecriture, être «( vu» ou « connu »
de Dieu équivaut à vivre, ne pas être ,'vu " par Lui, c'est mou-
rir. Or, le souvenir que l'on garde de Dieu conduit à la conver-
sion vers Dieu, et celle-ci déclenche l'élan de Dieu vers le pé-
cheur: Dieu «accourt ", étreint son fils (<< se jette au cou ,,) et
marque sa communion avec lui par le baiser. Cette rémission
des péchés cons iste en une sortie de Dieu hors de sa maison vers
l'homme qui «est encore loin " (20), qui n'a pas encore «pénétré
dans les demeures éternelles " (XVI, 9), une sortie de Dieu qui
apporte à l'homme Sa présence et les bienfaits de Sa maison:
II lui rend la dignité de fils, II rétablit en lui le Royaume avant
même de le réinstaurer dans le Royaume. Voilà une justifica-
tion scripturaire d'un aspect sotériolog ique de la doctrine pa-
lamiste.
II est remarquable que cette rémission et que cette restaura-
tion royale ne s'accompagnent d'aucune absolution. La confes-
sion au Père suscite spontanément la miséricorde divine et la
manifestation de celle-ci aunule, anéantit le péché, motu proprio.
Le Père ne s'adresse même pas à son fils pour le lui dire: il montre
son pardon nOn point par quelque parole, mais par son étreinte
et par son baiser, c.à.d. par une communion physique. II les lui
donne avant même que son fils ne se confesse à Lui. La recon- l'
naissance intérieure du péché et la contrition provoquent par 1\
elles-mêmes la conversion dynamique, et cela suffit: les péchés
ne sont pas seulement remis, ils n'existent plus dans l'esprit du
LA « PRÉ-QU ARANT AINE 1) 23

Père. Dieu ne scrute-t-il pas «les reins et les coeurs»? Les textes
liturgiques le répéteront sans commentaire.
Du point de vue sacramentel, la confession reste pourtant
nécessaire, comme partie intégrante de la «conversion» qui est
le but du « repentir 1): même apr ès avoir été reçu avec miséri-
corde dans les br as du Père et avoir donc été en fait pardonné,
le fils pécheur de la parabole confesse son péché à son Père, com)Ile
il l'avait formulé en son for intérieur (18-19,21). Et il prononce
sur lui-même un jugement qui est un aveu· d'humilité: (1 Je ne
suis pas digne d'être appelé ton fils» (19). On sait comment la
liturgie eucharistique utilisera cette attitude pénitentielle, qui
rejoint exacte)Ilent celle du Publicain. Le fils prononce 1llême
dans son coeur contrit une sentence: « Fais de moi comme l'un
de tes salariés» (19). Ce comme répond à celui qui avait été souf-
flé dans l'Eden par le Tentateur. Néanmoins, ayant été pardonné,
embrassé et donc restauré par son Père, le fils ne lui suggère pas
ce verdict; il confesse si)Ilplement son double péché, objectif et
personnel, et son humilité, dans une totale soumission.
Un deuxième effet de la conversion du pécheur est la joie,
non seulement celle du Père, mais encore celle de toute la maison
de Dieu, que celui-ci invite (1 à festoyer et à se réjouir» (23,24,32).
Le péché avait été double dans le monde, l'allégresse l'est aussi
dans le Royaume. La rémission des péchés signifie la résurrec-
tion du pécheur. La conversion, ou retour au Royaume, est une
redécouverte par Dieu même d'une personne qu'il reconnaît com-
me celle d'un fils et à qui, aussitôt, les dons sont offerts en abon-
dance, dans la j oie personnelle de Dieu et la j oie générale de tous
les habitants du Royaume (sauf du fils aîné, qui ne veut même
plus y entrer; mais c'est une autre histoire; et les textes litur-
giques n'en parleront point).

Vêpres, z,.cernaire

Dès l'abord, le stichère du Triode est hautement hamarto-


logique et il vise l'absolution (aPhesis) expressément. Le texte
est un commentaire de la parabole: la maison du père est inter-
prétée comme «le vivant pays de l'innocence», l'Eden, le pays
sans péché et vital, qui entretient la vie, zôèra. Le fils prodigue,
c'est moi, comme les hymnes identifieront souvent la personne
des liturges avec le type évangélique (plus qu'au dimanche pré-
cédent). (1 J'avais été confié au pays de l'innocence, episteuthèn '>:
24 CONSTANTIN ANDRONIKOF

aoriste passif, que l'on peut comprendre aussi comme « investi »;


c.à.d. non seulement « confié à la garde du pays l), mais encore
« chargé» de ce pays. Ou est-ce forcer le texte?
Le « je », le fils prodigue, est représenté comme un mau-
vais semeur (parallèle avec le diable?) et comme un mauvais
moissonneur. L'image agricole est utilisée avec conséquence dans
tout ce stichère, tant pour l'homme que pour Dieu: « J'ai semé
le péché sur la terre »: ce n'est pas du monde que vient le péché,
c'est de moi; et, ayant récolté, « moissonné les épis de la négli-
gence l), de l'incurie, n'ayant pas pris garde à mes actes, « j'ai
rassemblé », lié en gerbes mes actes, je les ai mis en tas et, appa-
remment, ils n'ont servi à rien, ils ont dû pourrir, parce que « je
ne les ai pas étendus sur l'aire du repentir, tès metanoias », je
ne me suis pas converti en rentrant dans ma maison. Je suis resté
sur place par moi-même, sans soumettre mes actes à la venti-
lation du repentir.
D'où le recours à Dieu, appelé geôrgos: « Je te prie, notre
Dieu, qui es avant les siècles et qui cultives le monde» (Tou-
raille), pour que Dieu sépare la paille stérile du blé substantiel.
Le stichère assimile celui-ci à la rémission des péchés et alors le
pécheur pardonné devient lui-même un grain dans les réserves
du ciel. Les actes sont ce qui constitue la personne même, ils
sont en un certain senS son ousia et, une fois les péchés évacués
par le vannage, «( au vent de la miséricorde », je puis être sauvé,
c.à.d. réintégré dans le Royaume.
Le stichère suivant n'est plus pénitentiel: il fait ressortir
le mystère du retour et la ioie mystique. L'Eglise parle: la 1ère per-
sonne du singulier du 1er stichère est remplacée par la 1ère pere
sonne du pluriel: « Reconnaissons, frères, la puissance du mys-
tère J). Ce texte est d'ailleurs apocalyptique et il éclaire le sens
profond de l'immolation du veau gras qui, dans le texte de la
parabole, pouvait ne sembler qu'une forme rituelle de la fête
chez les Orientaux. Ici, le stichère identifie clairement le sujet
du sacrifice avec « la victime glorieuse, le Sauveur de nos âmes »,
et le sacrificateur avec «le Père philanthrope J). Il exhorte les
frères à « avoir une vie digne, axiôs, du Père sacrificateur et du
Sauveur immolé J). Cela s'accompagne non seulement de la (, joie
mystique de ceux qui sont en haut », mais aussi de la gloire. La
rémission des péchés signifie que (, les marques, les signes de la
gloire l) sont rendus à celui qui revient au Royaume, de la gloire
du Père, mais aussi de celle du Sauveur, et elle s'étend à l'homme,
LA « PRÉ-QUARANTAINE » 25

car elle est propre à « la maison du Père, la patrie, palin tès oikeias
doxès, charizetai, ta gnôrismata ».
C'est là une vision remarquable d'un sacrifice continué dans
le ciel, à la fois expression et source de la joie et de la gloire (il
semble que le texte moderne du Triode grec, Athènes, 1967, soit
légèrement abrégé par rapport à un original plus ancien et à
la version slavonne: l'adjectif « mystique» et l'expression: « ceux
qui sont en haut » manquent).
Le 3e stichère retombe dans le ton pénitentiel: il rappelle
la chute (la sortie hors du Royaume, nommément citée pour la
1ère fois) et il mentionne l'enfer: « 0, de quel Royaume j'ai chu,
misérable ... Hélas! pauvre âme, tu es dès lors condamnée au feu
éternel. Aussi, avant la fin, pro telous, appelle le Christ notre
Dieu! » « Comme le fils dissolu, reçois-moi, ô Dieu! ».
Il y a une précision technique sur la faute commise: « J'ai
dilapidé la richesse que j'avais reçue, j'ai transgressé le com-
mandement, entolèn >L C'est la seule (?) allusion à un précepte
divin sur le bon usage des dons du Royaume.
Conformément à la parabole, ces textes et ceux qui sui-
vent considèrent le salut, conséquence de la rémission des pé-
chés, comme un rétablissement dans la dignité originelle: le re-
pentir et la conversion, metanoia, sont bien un retour au Père
dans le Royaume. Le pécheur repentant et pardonné ne reçoit
pas quelque don nouveau: il est restauré dans la joie et la gloire
qui étaient son héritage dès le départ, ou plutôt avant celui-ci.
Les nombreux rappels liturgiques d'Adam vont dans le même sens.
L'apostiche à « Gloire » précise que la nourriture « des bêtes
sans raison. que j'enviais. ne me nourrissait pas )}. Et il consi-
dère le retour du fils prodigue comme accompli: « Je suis revenu
vers le Père miséricordieux ». La liturgie balance entre l'accom-
plissement de la metanoia et la continuation de l'appel. Ainsi,
à matines, la 1ère ode du canon: « Reçois-moi maintenant qui
me repens, reçois-moi qui reviens! )}. Ces offices sont Une con-
fession in actu.

Matines
L'aspect pénitentiel est renforcé par le chant du Ps. 137:
« Aux fleuves de Babylone », qui sera repris les deux autres di-
manches avant la Quadragésime: l'âme qui s'est exilée du Ro-
yaume est captive du monde. Les tropaires, le canon, les sti-
26 CONSTANTIN ANDRONIKOF

chères sont essentiellement des prières qui répètent le thème


du fils prodigue revenu, sans y ajouter de traits marquants, sauf
cette précision à la 3e et à la se odes: «J'étais tout entier sorti
de moi-même, exô halos hemautou (gegonôs Phrenoblabôs) l), confir-
mant la psychologie des profondeurs que nous avions notée à
propos de la parabole, Ces odes et le kontakion nous indiquent
que le fils est attiré par «ceux qui découvrent les passions l).
Cette attirance ou séduction équivaut à perdre la raison. La
déraison est un trait dominant de l'asôtos. Etre hors de soi en
répandant ses biens, ousia, d'une manière insensée dans le monde
extérieur, « parmi les porcs» (autre indication évangélique). c'est
sortir du Royaume qui est d'abord en soi-même.
Autre notation intéressante et caractéristique de la liturgie
et de la spiritualité « orientales l): la liaison entre le bien et le beau.
Il y a là, par allusion, une théologie esthétique de la sainteté
et du Royaume; exemple: Théotokion de la 3e ode: « Toute Pure,
belle entre les femmes, enrichis-moi par les formes de la beauté,
kalôn ideiais ». A contrario, le péché est le laid, le difforme.
Hirmos et katavasia de la 3e ode: « Mon esprit est stérile.
Dieu, Tu cultives la beauté, Tu plantes la bonté, donne-moi de
porter des fruits l). Les fruits spirituels sont le beau et le bon.
C'est la tradition même de la Philocalie, ainsi que l'avait dé-
montré Florensky.
Le péché consiste à dilapider ausd la beauté: « La richesse
des beautés que Tu m'avais donnée, Père céleste, je l'ai dépen-
sée dans le mal, asservi aux étrangers» (4 e ode). Un autre thème
évangélique transparaît ici: la servitude dans laquelle tombe la
personne sortie d'elle-même et de la demeure paternelle. L'hom-
me n'est libre qu'avec Dieu. Le 2e tropaire y insiste: «J'étais
asservi à tout mal, en m'étant soumis misérablement aux fau-
teurs des passions. J'étais sorti de moi-même dans ma distrac-
tion, ma négligence ». Etre en soi, c.à.d. mystérieusement situé
dans le Royaume, c'est être libre; être en dehors de soi, c.à.d.
étranger au Royaume, c'est être l'esclave du monde, «pays
lointain ).
Mais voilà aussi que deux fois déjà il est fait allusion à ceux
qui «découvrent les passions» (3 e ode). tais patMn ePheuretais,
ceux qui sont « les fauteurs des passions, tais patMn dèmiour-
gais» (4" et 7e odes) et qui sont des «étrangers, xenoi politai l)
(4 e, 5e odes). Ces citoyens du pays lointain qui n'est pas le Ro-
yaume sont assez évidemment les démons qui peuplent le monde.
LA {( PRÉ-QUARA~TAINE 1) 27

La parabole ne le précisait pas (sinon peut-être par allusion:


les porcs; mais le fils aîné, lui, parle avec mépris et dégoût de
son frère, (' lui qui a mangé ton avoir avec des filles, meta por-
nôn» (Le. XV, 30). indication de la passion la plus vulgaire, au
sens qu'elle est la plus répandue et la cause la plus commune
de dilapidation, appelée "démon de la chair »; mais il entend
des personnes incarnées et non des êtres immatériels). Cepen-
dant, les esprits mauvais sont désignés à l'exapostilaire: (' Dans
la ruse, devant les démons, j'ai dispersé la richesse que Tu m'a-
vais donnée )}; et à {( Gloire »: {( Je suis asservi aux démons du
mal )}.
Le monde extérieur au Royaume est ce "pays corrupteur
et plein de honte ,} (5 e ode) qui est peuplé de démons. Le péché
consiste à dissiper «( la puissance du mystère» des {( beautés )}
et des (' bontés », kalô" kai agatMn, en pure perte, au lieu d'exor-
ciser ces démons. La rémission consiste en un rétablissement de
ces dons inhérents à l'homme créé par Dieu.
L'attitude pénitentielle du pécheur, décrite dans ces hym-
nes, rappelle non seulement celle du Publicain, mais encore celle
d'Adam après la chute: "J'étais empli de toute honte, je n'osais
pas regarder vers la hauteur du ciel» (4 e et 5e odes). Et d'ail-
leurs, le Théotokion des apostiches vespéraux rappelait tradi-
tionnellement que du sein de la Vierge était venu Celui qui "a
délivré Adam de l'ancienne malédiction ».
Le synaxaire précise deux ou trois éléments intéressants
pour l'hamartologie et l'ascèse: ceux qui, d'une manière déme-
surée, déraisonnable, se croient doués et qui s'adonnent aux
impuretés, tombent dans le désespoir qui donne naissance à l'or-
gueil. Ce défaut-là est peut-être celui sur lequel les préceptes
ascétiques et particulièrement la Philoealie insistent le plus, car
l'orgueil a pour premier effet d'empêcher l'âme de recourir à
la contrition et à l'exercice des vertus, et de l'enfoncer ainsi da-
vantage dans les passions. {( dans des maux pires 1), {( Les saints
pères, continue le synaxaire, instituant cette parabole deuxième
dans le Triode, après la première, ont donc tenu à viser ces hom-
mes-là 1), saisis par l'orgueil.
D'autre part, le synaxaire rend tout à fait clairs les sym-
boles de la parabole, au retour du fils prodigue, dont seul (, le
veau gras» est pourtant repris dans les hymnes liturgiques: le
père donne au fils retrouvé "l'habit, c.à.d. le saint baptême,
le sceau» (que l'Evangile ne mentionne pas), (, l'anneau, c.à.d.
28 CONSTANTIN ANDRONIKOF

la grâce du Saint Esprit 1). L'exapostilaire, à {I Gloire 1), s'en était


servi: (( Purifie-moi qui suis souillé et rends-moi le premier vê-
tement de ton Royaume 1). La nouveauté unique du baptême
est aussi la marque de la restauration royale des fils d'Adam.
Le synaxaire poursuit: le Père fait apporter à son fils {I des san-
dales 1) pour que celui-ci reprenne les signes de sa dignité d'hom-
me libre, mais aussi, ajoute le synaxaire, « pour que ses pieds
ne subissent pas la morsure des serpents et des scorpions, mais
pour qu'ils leur écrasent la tête 1). Ce thème de l'exorcisme est
familier à la littérature ascétique comme à la liturgie.
Enfin, le « veau gras immolé dans une joie immense 1), c'est
{Ison Fils monogène 1), à la chair et au sang duquel le Père donne
à ses {I autres 1) fils de {I communier 1). Il s'agit donc bien, dans
l'esprit des Pères et des liturgistes, de l'eucharistie, comme cou-
ronnement du repentir et sanction normale de la rémission des
péchés.
Quant au {I fils aîné 1), le synaxaire le rapporte évidemment
aux JuHs: « Le philanthrope fait taire celui-ci et Il le guide par
de douces paroles: tu es toujours avec moi et il te convient de
te réjouir et de festoyer avec moL.. Cette parabole, conclut le
synaxaire, peut donc s'appliquer et aux Hébreux et à nous-
mêmes 1).
La 8e ode fait allusion à la kénose du Christ: {I Descendu
sur la terre pour sauver le monde, par la pauvreté volontaire ...
sauve-moi qui suis pauvre maintenant de toute oeuvre bonne )},
Il Y a aussi une image (anastas) reprise de la parabole et
qui a son importance psycho-somatique et ascético-sotériologi-
que; nous l'avions signalée dans notre analyse du texte évan-
gélique qui inspire cette liturgie: {I Mère de Dieu, seule tu nous
redresses, qui sommes renversés, relève-moi tout brisé, humilié
sous tant de fautes 1). A laudes, le 4e stichère proclamera: {I Re-
levé, je suis revenu et je T'appelle 1). Plusieurs passages décri-
vaient le pécheur « courbé sous le péché 1), attitude d'Adam, propre
à la servitude. L'état couché, le décubitus du grabataire, est
celui aussi du malade. La position, symbolique et réelle, du péché,
est d'être abattu, renversé, étendu à plat parmi les porcs que
l'on ne domine par conséquent pas. L'attitude du converti est
droite, qui reprend par la grâce la dignité saine du fils, vêtu et
botté pour le combat contre le mal et pour le dialogue face à
face avec Dieu.
LA «( PRÉ-QUARANTAINE ) 29

La g e ode revient sur la kénose: (, Comme le larron, je dis:


Souviens-Toi de moi. Comme le Publicain ... j'implore: Pardonne-
moi; comme le Fils prodigue, délivre-moi de tous mes maux ...
Roi de l'univers, que je puisse chanter Ton extrême descente
parmi nous» (répété à (' Gloire ,,) .... (' Tu as voulu T'appauvrir
pour moi... enrichis-moi de l'abondance des biens ... ".
L'humilité du Christ a pour objet la joie du retour au Père.
Laudes: ces stichères n'ajoutent à une récapitulation de ce
qui précède que l'assimilation des bras étendus du Père avec
ceux du Christ en croix: (, J'ai dispersé dans le désordre les cha-
rismes de l'âme, mais, relevé, je suis revenu et je T'appelle, Toi
qui as étendu Tes mains saintes sur la croix; fais de moi l'un de
Tes serviteurs, afin de m'enlever à la bête cruelle et de me couvrir
du premier vêtement ".

Samedi du Carnaval
D'emblée, il est fait allusion à la mort; on prie donc pour
le repos et pour une bonne réponse au Jugement. Le samedi est
en général le jour de la commémoration des morts dans l'Heb-
domade, en symbole du repos du 7e jour et en préparation du
se, jour de la Résurrection et du Jugement (encore qu'il ne soit
jamais mentionné le dimanche dans l'année, sauf celui qui va
suivre dans le Triode: celui précisément du Jugement Dernier,
à partir duquel on ne mange plus de viande: carnaval). Cette
vigile pour les défunts est le modèle de l'office funèbre. Elle est
reprise les 2e, 3e et 4 e samedis du Carême.
Au lucernaire, les stichères récapitulent « tous les hommes
qui, sous tant de formes, et par tant de voies, sont partis vers
Toi, Dieu ... tous ceux qui sont morts depuis l'origine des siècles ...
dans les déserts, dans les villes, sur la mer, sur la terre, en tout
lieu, les rois, les prêtres, les évêques, les moines, les époux ... de
tout âge et de toute race ... '" On voit qu'il n'y a aucune discri-
mination, pas même monacale.
A (' Gloire '" méditation sur la mort en tant que telle, qui
rend l'image de Dieu informe; elle est mystère de destruction.
La seule explication de ce mystère donnée par ces textes est que
Dieu l'a ainsi ordonné (?). (' Je me lamente ... quand je vois dans
le tombeau la beauté créée à l'image de Dieu ... sans forme, sans
gloire ... 0 miracle! Comment avons-nous été liés à la mort? Vrai-
30 CONSTANTIN ANDRONIKOF

ment, comme il est écrit, par l'ordre de Dieu qui donne le repos
à ceux qui partent ». La mort est destruction, mais elle est dé-
part pour le voyage du retour à Dieu, au cours duquel les jus-
tes connaissent le don du repos. Elle n'est pas un passage instan-
tané, elle a une durée mystérieuse que les textes liturgiques ne
décrivent pas. Toute leur théologie est résurrectionnelle plutôt
que thanatologique.

Apostiches: affirmation de l'homme comme créature de Dieu:


(, Tu as voulu faire de moi (par Ton ordre créateur) un vivant
de nature invisible et visible. Tu as fondé mon corps de terre.
Tu m'a donné une âme par ton souffle divin ». Cette anthropo-
logie, strictement fidèle à la Genèse, affirme le caractère théanthro-
pique de l'homme. Elle est malheureusement interrompue là par
une prière pour le repos, qui d'ailleurs en découle, car: « Sau-
veur, accorde à Tes serviteurs le repos dans le pays des vivants .,.
Une cosmologie suit à l'apolytikion: il s'agit du gouverne-
ment sophianique du monde par Dieu: « Seul Créateur qui, dans
la profondeur de la sagesse, en Ton amour de l'homme, diriges
l'univers et fournis à tous les êtres ce qui leur est bon ... » (ré-
pété à matines).

Matines: Psaumes caractéristiques de l'office des défunts


(110-118, 119 chanté), litanie, prière et stichères pour les morts
(sans doute du Damascène).
Le canon: toutes ses odes contiennent des indications inté-
ressantes sur le thème qui nous occupe. Naturellement, comme
il convient à ce jour (samedi), le canon traite des défunts, qu'il
récapitule même, avec des notations d'une haute poésie théo-
logique, encore que parfois plus funèbres que résurrectionnelles.
1ère ode: (' Tu as donné à notre vie ses limites. De tous ceux
qui s'éveillent de la nuit de l'existence... Seigneur, fais des fils
du jour sans déclin ». Les fautes sont ici rapportées à la chair:
« Remettant toutes les dettes de la chair. .. garde de la condamna-
tion ceux qui furent justifiés par Toi, le Créateur! ». Notons au
passage cette idée, fort peu répandue en théologie orthodoxe,
de la justification, mais de la justification par Dieu.
2ème ode: une des très rares fois de l'année où une deuxième
ode est chantée. Elle est eschatologique. L'hirmos et le 1er tro-
paire font parler Dieu à la 1ère personne: le Christ s'adresse dra-
matiquement, bibliquement, aux hommes: (' Voyez, voyez, je suis
LA "PRÉ-QUARANTAINE" 31

votre Dieu )}, avec une formule très nicéenne: « né du Père avant
les siècles et de la Vierge dans les derniers temps.. Le péché
à absoudre est celui (, d'Adam, l'ancêtre >,.
Si, (, par un juste jugement", (, je suis votre Dieu qui a donné
des limites à la vie >', j'ai aussi (' porté de la corruption à l'in-
corruptibilité tous ceux qui s'endormirent dans l'espérance de
la résurrection éternelle.. Cette mention est nettement opti-
miste: la rémission est assurée à ceux qui ont gardé foi en la doc-
trine centrale du christianisme. Les autres tmpaires prient pour
le repos et rappellent" Ton terrible second avènement, car c'est
par le Jugement que Tu ressusciteras toute créature •. Et la ré-
surrection est une Hypapante: "Donne d'aller à Ta rencontre
à ceux qui auront vécu pour Toi dans la foi •. Donc, le repos n'est
pas la résurrection, mais il est déjà l'incorruptibilité. La résur-
rection proprement dite (" dans la gloire >', annoncent d'autres
tropaires) est postérieure au Jugement.
3ème ode: La gloire est pourtant déjà éprouvée par ceux
"qui ont parcouru le chemin de l'existence >" c'est celle" de Ton
amour •. La fin demandée est décrite ensemble comme (, la cou-
ronne de la justice >', (' la jouissance des biens éternels " "le repos
quand Tu éprouveras l'univers dans le feu >', "la vie incorrup-
tible >', (, la gloire au dernier jour •. Et le don final demandé est
aussi "l'illumination de Ta vraie connaissance" (hirmos).
La 4ème ode assimile "la mémoire de Dieu >, (non pas la
nôtre, mais la sienne) à « la demeure des saints» et au « repos 1).
La 5ème proclame que nous faisons (, mémoire aujourd'hui
de chacun de ceux qui sont morts >, ... et prie pour que nous so-
yons aussi délivrés de (' la damnation éternelle >', détaillée tra-
ditionnellement: (, le feu, les ténèbres, le grincement des dents,
le ver impérissable >,. Nous avions vu tout à l'heure que la mort
relevait d'un (, ordre >, de Dieu; ici, elle est "permise" et expli-
quée par le fait que" Tu sais ce qui est bon à toutes les créatu-
res. Tu as permis qu'elles meurent en tant de malheurs contre
toute espérance )}, La seule espérance réelle, en l'occurrence, est
pourtant la justice providentielle ou la Providence juste, quant
au moment fixé et aux circonstances de la mort. Après celle-ci,
l'espérance est en la pitié de Dieu, car sa justice est redoutable,
étant absolue (v. infra).
La 6ème ode nomme le Christ (, prince de la vie.. Pour "les
fidèles que Tu reçois de ce siècle, le repos avec les saints », c'est
de "Te glorifier dans les siècles., une fois les péchés abolis. Le
32 CONSTANTIN ANDRONIKOF

kontakion est celui de l'office funèbre: (' Avec les saints, Christ,
donne le repos aux âmes de Tes serviteurs ... '). L'ikos rappelle
la malédiction de la Genèse: nous sommes faits de terre et nous
y retournerons. Mais, sur cette terre qui contient les tombeaux,
(, tous les mortels iront en chantant: Alléluia! ').
La 7ème récapitule les thèmes précédents et, comme l'avaient
fait plusieurs tropaires, le second précise comment sont morts
(' ceux qui moururent soudain (par la violence) dans Ton amour,
sous le fer, sous le bois, sous les pierres qui leur furent lancées '}.
L'allusion aux martyrs est claire.
La 8ème ode en appelle à la compassion du Juge: (, Fais
de tous ceux qui sont morts dans la foi des fils de Ta résurrec-
tion ,) (la pardon des péchés signifie en fait que nous sommes
faits participants à la résurrection du Fils). (, Ne condamne pas,
épargne tous les êtres, pardonne! '), en particulier {( ceux qui sont
morts d'un accident soudain, de la violence de la guerre et de
la vitesse de la route» (traduit hardiment Touraille; ce texte
n'a rien perdu de son actualité spécifique).
La 9ème ode assimile le repos à la {( joie dans la demeure
des saints ». Et elle récapitule encore les morts et les causes de
leur trépas: « vieux et jeunes, nouveaux-nés... mordus par les
serpents, foulés par les chevaux, pendus par l'ennemi ... ».
Laudes font réfléchir à la pourriture physique et spirituelle,
à la décomposition charnelle aussi bien qu'à l'orgueil; mais elles
ne manquent pas d'indiquer la fin: (, la gloire dans la joie ».
(' L'homme est nourriture des vers ... Où est la gloire? Où est
le beauté de la femme? Où est la langue éloquente? Tout est
poussière et ombre... boue ». Mais la théanthropie est à nou-
veau affirmée: « Hommes, si nous sommes de la boue, que ne
sommes-nous fondus à la terre? Et si nous sommes de la nature
du Christ, que n'allons-nous à Lui? Laissant toute la vie qui
s'écoule et qui meurt, suivons la vie incorruptible qui est le
Christ... Il est ressuscité, Il a délivré des liens Adam, la première
créature... Courage, tous les morts, la mort est abolie!... (Le
Christ) rend dignes de la gloire de la Résurrection dans la joie
tous ceux qui ont cru ardemment en Lui ». Ce texte balance,
après quelques autres que nous avions notés, entre tous les mor-
tels et les fidèles. Il est intéressant de constater d'autre part que
le thème du péché et de sa rémission n'est traité dans cet en-
semble que par allusion, voire pas du tout.
LA « PRÉ-QUARANTAINE » 33

Dimanche d" ]"gement dernier

Alors que l'Evangile du jour, qui lui donne son nom et qui
décrit le Jugement, a pour thème central l'amour du prochain,
les offices ne reprennent pas celui-ci directement et ne font al-
lusion qu'aux « oeuvres )}, sans les qualifier par une action ca-
ritative. Ce qui ne manque pas de surprendre.
Les stichères du lucernaire empruntent leurs images à l'Apo-
calypse pour parler du Jugement: (1 fleuve de feu, livres ouverts,
toute la vallée des larmes se fendra ... les trompettes, les tom-
beaux ouverts ... >}. A (1 Gloire >}, le texte établit une relation, im-
portante pour la rémission des péchés, entre le temps et le re-
pentir. Le Sauveur est nommé « Rois des siècles)} et l'oraison
finale du stichère le fait contraster avec la fin de l'histoire hu-
maine: « Sauveur, qui seul aimes l'homme .. , avant que vienne
la fin, fais-moi revenir par le repentir» (thème du retour ou du
fils prodigue).
Aussi, l'office va-t-il de nouveau insister sur les fautes (1 de
nous tous, hommes coupables >}, en rappelant les commande-
ments et la nécessité de les exécuter, (1 afin que Celui qui viendra
juger toute la tene nous dise: Venez, les bénis de mon Père! »,
le tout dans une paraphrase évangélique. Et les apostiches vont
accentuer psychologiquement l'état du pécheur qui n'a de sa-
lut que dans la miséricorde divine: (c Hélas! âme noire ... », Car
la mort enclenche déjà le processus du Jugement ou, plus exacte-
ment, la phase de la reconnaissance des fautes: (1 Que ne con-
sidères-tu l'heure terrible de la mort? Que ne trembles-tu de-
vant le trône redoutable du Sauveur? Où est ce qui te justifie,
où est ce qui te condamne? Tes oeuvres sont là qui t'accusent ».
Curieusement, seules les oeuvres seront désormais en cause dans
cet ensemble liturgique. Il faudra attendre les vêpres du lundi
de (1 la Semaine des laitages» pour qu'il s'agisse d'autre chose,
d'un état spirituel (malheureusement, ayant déjà dépassé le temps
et donc l'espace impartis à cette conférence, nous ne pourrons
continuer cette analyse jusqu'à la veille même de la Quadragé-
sime ni par conséquent suggérer une conclusion générale; elle
serait par trop inachevée).
La mort est présentée comme le moment de la contrition
et de la confession, et non comme celui du Jugement effectif:
(! 0 mon âme, le temps est venu, approche, appelle dans la foi:
j'ai péché, Seigneur, contre Toi ... ». Il s'agit cependant d'une
34 CONSTANTIN ANDRONIKOF

véritable comparution devant le tribunal divin. Cet événement


consécutif à la mort n'est plus distingué maintenant du Juge-
ment lui-même, qui n'interviendra pourtant qu'après le Second
Avènement. Pour les morts, le temps est déjà aboli, ils sont pour
ainsi dire entrés dans l'univers absolu de la vie même, sans pour~
tant y participer encore pleinement, puisqu'ils sont encore char-
gés de leurs actes, que le Jugement n'a pas encore eu lieu et que
leurs fautes ne sont pas encore remises.
Ces offices font contraste, psychologiquement et théologi-
quement, avec le caractère positif, voire optimiste, du Dimanche
précédent, celui du Fils prodigue, où le «retour" lui-même en-
traînait le pardon du Père. Dès que le fils s'était avancé vers
le père, celui-ci avait procédé vers lui; Dieu et l'homme étaient
déjà dans la joie et dans la fête. Ici, en ce Dimanche du Juge-
ment Dernier, le processus de la rémission n'est pas encore in-
tervenu: il est l'objet des prières. C'est peut-être d'une péda-
gogie efficace: d'abord la quasi-certitude du pardon; ensuite, la
peur du Jugement, la douche froide.
Inutile de dire que presque tous les Théotokia, au cours
de ces semaines, après avoir loué la Vierge et (, le prodige para-
doxal" de l'Incarnation, attribuent à la Mère de Dieu le pou-
voir de l'intercession et, plus encore, de la purification et de la
délivrance des fautes (mais il ne lui est naturellement pas de-
mandé de juger ni de remettre les fautes). Parfois, il lui est de-
mandé de «prier " pour que nous soyons sauvés et, fréquem-
ment, il est dit qu'elle (, sauve" directement nos âmes. Elle n'est
pas seulement Médiatrice, elle est Salvatrice.
Le canon reprend la méditation sur le Jugement Terrible
et il est une longue imploration du pardon, avec parfois des in-
dications nouvelles. Ainsi, à la 3ème ode, le Jugement est sym-
bolisé par la clôture de la chambre de l'Epoux et la vie sur terre
est comparée à une fête: (' Reviens, pauvre âme, implore avant
que prenne fin la fête de l'existence, avant que le Seigneur ferme
la porte de la demeure des noces ». Et la 6ème ode demandera:
(' Que je ne sois pas rejeté loin de la maison des noces ». La no-
tion des noces semble donc être à la fois immanente à la vie sur
terre et transcendante à celle-ci. Le thème de l'Epoux (et des
luminaires des vierges) ne sera plus repris, je crois, avant le fa-
meux stichère des vêpres des trois premiers jours de la Semaine
Sainte: «Voici l'Epoux qui vient au milieu de la nuit... ".
Un cathlsme place sur terre le lieu du Jugement: (' Dans
LA {( PRÉ-QUARANT~INE » 35

la vallée des larmes, dans le lieu où j'ai passé, quand Tu vien-


dIas opérer le Jugement ». Il y a dans ce même texte une indi-
cation intéressante sur un aspect de la rémission des péchés:
celui du secret, d'une affaire entre Dieu et la personne humaine,
secret considéré comme un bienfait demandé: {( Ne publie pas
mes secrets, ne me confonds pas devant les anges» (cf. Sème
ode: « Ne m'expose pas là-bas, devant les anges ... à la confu-
sion infinie ». Ceux-ci sont pris à témoins des oeuvres et de la
vraie valeur de la personne).
A la 6ème ode (2 e trop.), le pécheur est présenté dans sa
solitude devant le Jugement, au point que même l'intercession
éventuelle des proches ou des amis semble exclue (contraire-
ment à la parabole de {( l'économe malhonnête »): « Rien ne pour-
ra t'aider, ni zèle, ni art, ni gloire, ni amitié, sinon ta force qui
vient des oeuvres, mon âme! 'o. Il n'est même plus question de
la foi: ce n'est plus sola (ide, mais solis operibus.
Le 3e trop aire renchérit: {( Nul père ne donnera sa force,
nulle mère n'aidera, nul frère ne délivrera de la condamnation •.
Ce rigorisme semble écarter la vertu des prières d'autrui. Les
offices ne font point allusion à celles-ci. La rémission des péchés
ne se fonde que sur les actes personnels du pécheur. Ce qui est
assez étrange pour la liturgie en général et pour celle du Carême
et du Jugement en particulier.
Le synaxaire précise: {( Ce jour, nous faisons mémoire de
la seconde et intègre Parousie ». Et la 7e ode la décrit avec ses
conséquences. L'accent pénitentiel s'épaissit: {( Tremble, pauvre
âme, et prépare tes oeuvres pour l'exode ... L'enfer me terri-
fie ... 'o. Ou encore: {( J'ai péché comme n'a pas péché la prosti-
tuée. J'ai transgressé comme nul autre sur la terre ». C'est pres-
que de l'orgueil à l'envers, par excès d'humilité, non moins dan-
gereux que l'autre et dénoncé plus d'une fois par des maîtres
spirituels. Relevons pourtant une notation positive dans cette
ombre monacale: {( Seigneur, avant la fin, affermis-moi dans Ta
crainte! ». Le mysterium tremendum est source de fermeté et de
constance pour l'âme.
Dans la Sème ode, nous passons à la peur tout court, celle
du châtiment: « Quand Tu viendras juger, Christ, ô quelle ter-
reur alors! 'o. Le feu, le ver, la colère (à laquelle il est d'ailleurs
fait rarement allusion) activent l'épouvante. Un tropaire tranche
pourtant sur ce fond infernal par une claire sérénité (selon cette
36 CONSTANTIN ANDRONIKOF

méthode de pédagogie contrastée que nous avions déjà notée):


« Juge de l'univers, j'entendrai alors Ta voix désirée, je verrai
Ta grande lumière ... je contemplerai Ta gloire dans les siècles)).
La 9ème ode continue de rappeler tour à tour la peur et
l'espérance de l'amour de Dieu, don demandé: « Le feu est prêt,
le ver attend, mais aussi la gloire de l'allégresse, le repos, la lu-
mière sans déclin ... )}. Le recours conséquent des textes à ces
images alternées ne peut manquer de frapper le liturge.
Le plus saisissant, dans cette pédagogie liturgique, est peut-
être le rappel réitéré du fait que Dieu est non seulement misé-
ricordieux, mais aussi juste. Donc, « le Juge viendra rendre à
chacun ce que ses actions méritent )}. Voilà une raison de crainte
presque désespérée devant la situation inéluctable où nous nous
tIOuverons. A proprement parler, en effet, au Jugement, il s'agira
non pas d'une rémission des fautes par la pitié de Dieu, dont
nous savons qu'Il est bon, mais d'une évaluation des oeuvres
par la justice de Dieu, dont nous savons qu'il « ne fait pas ac-
ception de personne ". Aussi, « quand je pense à l'heure du J u-
gement terrible " (que le texte de cet exapostilaire fait coïnci-
der avec « le terrible Avènement du Maître)), l'épithète étant
délibérément la même), « je tremble, consterné)). Mais il y a l'au-
tre aspect du Maître: il est « philanthrope)). Et aussitôt, « je T'ap-
pelle, très juste Juste, mon Dieu d'amour; reçois-moi qui me
repens, par les prières de la Mère de Dieu ". Si le jugement est
inévitable et implacable, la rémission reste possible, en vertu
de la foi, de l'espérance et de l'amour, de par la nature même
de Dieu et avec l'aide puissante de Sa Mère.
Les stichères de Laudes le précisent en insistant sur le ca-
ractère salutaire du repentir, ce qui compense encore une fois,
du point de vue de la doctrine pénitentielle, l'aspect terrifiant
et rigoureusement justicier: « Ceux qui jamais ne se sont repen-
tis seront renvoyés, pleurant, dans le feu extérieur, et qui pourra
subsister devant Sa face? .. )), d'une part; au jour du Jugement,
les jeux sont faits, il n'y a plus de pardon puisqu'il n'y a plus
que la justice. Mais d'autre part, « avant que n'arrive la fin, hâte-
toi, mon âme, et appelle; Dieu, seul compatissant, fais-moi re-
venir et sauve-moi!)). Si au Jugement le sort de l'homme est
tranché, le repentir avant ce terme permet d'espérer « d'entrer
librement dans le Royaume)). Et ce retour est aussi un don, objet
des prières constantes des hymnes.
Ainsi préparée, toute la Quadragésime va viser ce but, phy-
LA (< PRÉ-QUARANTAINE ») 37

siquement, par le jeûne; mentalement, par l'intelligence de l'enjeu


et des voies qui conduisent à le gagner; spirituellement, par la
prière et la méditation quotidiennement rythmées et informées
par les lectures et par les chants.
La dernière semaine préParatoire, à partir de laquelle on
ne va plus manger de laitages, le précise en établissant nette-
ment la signification ascétique et spirituelle du Carême COmme
préparation à l'eucharistie, et à l'eucharistie pascale, laquelle
s'entend après la rémission des péchés et, ensemble, comme moyen
de les surmonter et aussi comme union mystique entre Dieu
et l'homme.
Voici l'apostiche du lucernaire du dimanche: "Revenons au
repentir, purifions les sens où la guerre est entrée, faisons du
jeûne une voie nouvelle, confirmons les coeurs par l'espérance
de la grâce, n'emportons pas les nourritures qui ne servirent
de rien à ceux qui partirent. L'agneau de Dieu nous nourrira
dans la sainte et lumineuse nuit où Il se relévera. La victime
immolée parmi nous s'unit aux disciples dans le soir du mys-
tère et dissipe les ténèbres de l'ignorance dans la lumière de Sa
résurrection IL
Avec une sorte d'allégresse, les textes suivants vont implo-
rer "la grâce du repentir », souvent liée à "l'illumination de l'in-
telligence », l'un des fruits du pardon des péchés.
C'est sur cette note de "gnostique» chrétienne et liturgique
que j'aurais aimé conclure cette ébauche d'étude, n'étaient les
vêpres de ce Dimanche, au nom si significatif: "le Dimanche
du Pardon» ou encore: "l'Expulsion d'Adam du Paradis », vê-
pres par lesquelles commence la Grande Quadragésime, en orne-
ments noirs, et qui s'achèvent par un rite qui met en scène une
phrase du Pater, capitale pour la rémission des péchés: "Par-
donne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui
nous ont offensés ,>: tous les participants se prosternent devant
le prêtre, puis devant les autres officiants, enfin les uns devant
les autres pour leur demander leur pardon, en tant que co-lit ur-
ges du mystère pénitentiel et que membres de la famille du Père,
avant d'entrer dans le Carême des Quarante jours qui les con-
duiront à la Fête des Fêtes.

Constantin ANDRONIKOF
LA LITURGm PÉNITENTIELLE JUIVE APRÈs LA
DESTRUCTION DU TEMPLE

Dans un travail lu à la XIX· Semaiue d'Etudes Liturgi-


ques de l'Institut de Théologie Orthodoxe Saint-Serge de Paris,
et consacré à la proclamation « Ta hagia tais hagiois - Les cho-
ses saintes aux saints )}1, qui dans toutes les liturgies orientales
précède la communion, nous avions envisagé cette possibilité,
notamment que cette phrase, si mystérieuse, n'aurait été qu'une
adaptation chrétienne de la proclamation du nom divin, par
laquelle le grand-prêtre juif assurait les israëlites du pardon total
des péchés le Jour de l'Expiation. Cela aurait signifié que dans
chaque eucharistie chrétienne, on aurait eu une préparation des
fidèles à la communion par une espèce d'absolution collective
de tout péché qui aurait pu empêcher celle-ci. Nous n'accep-
tions pas cette hypothèse.
En effet, une rapide analyse du contexte liturgique de cette
phrase dans les différentes liturgies nous amenait à constater
qu'il n'existait pas de rapport entre notre proclamation-invita-
tion « Ta hagia tais hagiois)} et la proclamation-absolution par'
le nom divin au temple, comme d'ailleurs il n'y avait pas de lien
direct entre les sacrifices du temple et le culte eucharistique chré-
tien; l'eucharistie chrétienne provenait de la liturgie de la table
de famille et était une liturgie essentiellement différente de celle
du temple, réservée au ministère des enfants d'Aaron; en outre,
nulle part dans les textes mêmes des anaphores, si proches des
thèmes de la prière de la table juive, n'apparaissait le thème
du sacrifice rituel d'expiation. Certains textes allant dans ce
sens et qui appartiennent aux traditions liturgiques copte et 1
syrienne nous avaient semblé être d'une époque plus récente.
Il était normal, nous le constations déjà, que selon l'épître
aux Hébreux, les chrétiens n'aient vu dans les sacrifices du temple
qu'une typologie dépassée du sacrifice du Christ, pénétrant une fois
pour toutes dans le sanctuaire des cieux. L'allusion sacrificielle la
plus explicite des anaphores restera la parole même du Seigneur

1 M. ARRANZ, Le (1 Sancta sanctis » dans la tradition liturgique des églises,


dans Al'chiv fü1' Liturgiewissenschatt XV (1973) 31-67.
40 MIGUEL ARRANZ

« Ceci est mon corps rompul - Ceci est m01t sang versé). L'exégèse de
ces paroles du Seigneur sort évidemment du but de ce travail.
Le sacrifice, sanglant ou non, était l'acte essentiel du culte
du temple. Nous connaissons l'institution des sacrifices surtout
par les chapitres 29 et 30 de l'Exode, par les sept premiers cha-
pitres du Lévitique et par les chapitres 28 et 29 des Nombres.
Nous sommes beaucoup moins renseignés sur l'application pra-
tique de cette législation dans le temple de Jérusalem. Ce sera
la Mishnah, qui nous offrira la description posthume complète
soit des sacrifices journaliers dans le traité Tamid, soit des sa-
crifices extraordinaires du Jour de l'Expiation dans le traité
Yomah.
Toute la liturgie pénitentielle juive se centrait sur les sa-
crifices d'expiation dont parlent les premiers chapitres du Lé-
vitique. Les péchés individuels étaient expiés par des sacrifices
individuels, différents selon les péchés eux-mêmes. Le Jour de
l'Expiation un double sacrifice, pour les péchés du grand-prêtre
et pour les péchés de la nation toute entière, rétablissait la paix
entre Dieu et la maison d'Israël. Nul péché n'échappait à cette
liturgie sanglante des sacrifices, qui cependant n'était pas une
pure liturgie formelle mais qui supposait aussi le regret et la
prière personnelle. Dans la spiritualité du Psautier, et surtout
dans celle des Prophètes, cette disposition intérieure de contri-
tion gagne petit à petit terrain sur la matérialité des sacrifices
eux-mêmes. La première destruction du temple (comportant aussi
la suspension des sacrifices) a dû hâter cette évolution de la théo-
logie sacrificielle vers une forme plus spiritualisée de pénitence.
Au moment de la seconde destruction du temple, l'année 70,
la célébration des sacrifices avait rejoint une splendeur peut-être
jamais atteinte dans le passé. La piété pharisienne attachait
une grande importance au culte du temple, et s'il y avait des
groupes spiritualistes - Qumrân par exemple - qui ne fré-
quentaient pas le temple, le petit peuple par contre assistait
volontiers aux sacrifices, surtout à celui de l'après-midi. Nous
verrons, bien après la Pentecôte, les apôtres Pierre et Jean as-
sister eux-mêmes à ce que les Actes appellent «la prière de la
neuvième heure ); celle-ci n'était que le sacrifice du soir, qui com-
mençait déjà bien avant le coucher du soleil (Act 3,1...).
La destruction du temple pal' les Romains a été une catas-
trophe nationale, mais elle a été surtout une catastrophe reli-
gieuse dans le plein sens du mot. Toute la religion d'Israël a paru
LA LITURGIE PÉNITENTIELLE JUIVE 41

succomber lorsqu'elle fut privée du support matériel du temple


et de ses sacrifices.
Des voix de désespoir se sont levées parmi les leaders spi-
rituels du temps. Les Abhoth de Rabbi Natan (Chp. IV) nous
rapportent la lamentation de Rabbi Yoshua' ben Hananya: "Mi-
sérables qtle nous sommes, maintenant qu'a été détruit le temPle
où les péchés d'Israël étaient exPiés ». Mais l'ancienne spiritua-
lité des Prophètes de l'Exil n'était pas éteinte et elle allait re-
trouver un terrain tout préparé dans la piété profonde des pha-
risiens. Ainsi répondait à Rabbi Yoshua' un des grands maîtres
rabbiniques, Rabbi Yol)anan ben Zaccay: "Ne désespère pas, mon
fils; il existe tlne atltre manière d'exPiation aussi importante que les
sacri fices, et c'est la charité envers le pa"vre et la prière trois lois par
i0tl"" Le Talmud Babylonien (Berakhoth 32 a) rapporte la sentence
de Rabbi Eléazar: "La prière est Plus grande q"e les sacrifices ».
Ainsi l'idée se fait jour, jusqu'à devenir opinion commune,
que les sacrifices peuvent être remplacés par la prière, si celle-ci
est faite aux moments où autrefois les sacrifices étaient offerts.
C'est encore le Talmud Babylonien (Berakhoth 26 b) qui nous
apporte ce témoignage.
L'organisation de la prière synagogale trois fois par jour
date de cette époque: elle sera l'oeuvre de l'école de Jamnia sous
la direction du grand Gamaliel.
La prière dite TePhiliah ou 'Amidah remplacera le sacrifice
du matin et de l'après-midi; elle sera doublée chaque fois: elle
sera dite une fois en privé par chaque fidèle et une seconde fois
à haute voix par le célébrant avec la participation de la com-
munauté. La TePhiliah du matin sera précédée par la récita-
tion du Shema' Israël et des bénédictions correspondantes.
Un troisième office sera celui du soir. Il ne comprendra en
principe que le Shema' Israël et ses bénédictions, sans la Te-
Phillah, car cet office ne remplace aucun sacrifice; avec le temps
cependant on ajoutera a cet office aussi la récitation de la Te-
Phillah, mais une seule fois et de façon moins solennelle.
Ainsi les trois offices synagogaux seront des offices com-
prenant des éléments provenant de la prière privée (le Shema')
et des sacrifices du temple (la TePhillah).
Un quatrième office, le Musai, se joindra à celui du matin
les jours de fête; cet office en plus de la TePhiliah comportera
aussi le récit de l'institution du sacrifice spécial du jour. D'autre
part l'office du matin de chaque jour comporte aussi une des-
42 MIGUEL ARRANZ

cription des sacrifices journaliers. Ces descriptions prolixes, ap-


pellées Qorbanoth, joueront un rôle très important, car à une
époque postérieure, leur récitation sera considérée essentielle,
ensemble avec la TePhillah, et il leur sera accordé la même va-
leur qu'avait le sacrifice qu'elles décrivent. Des passages du Tal-
mud Babylonien (Megillah 31 b, Menahoth 110 a) attribuent la
tradition des Qorbanoth à Abrabam: ,< APrès la destruction du
temPle - avait dit Dieu à Abraham - tes entants étudieront les
lois qui concernent les sacrifices, et moi ie vais considérer cela comme
si les sacrifices eux-mêmes m'étaient 0 tferts et ie vais pardonner
leurs péchés ».
La destruction du temple aura donc comme effet un chan-
gement qualitatif dans la spiritualité juive, et en particulier
dans la spiritualité pénitentielle. L'efficacité quasi matérielle, pour
ne pas dire sacramentelle, des sacrifices, en vue de la rémission
des péchés, s'estompera; on aura une transposition en substi-
tuant les sacrifices par la prière, mais celle-ci n'aura pas l'effet
direct et quasi immédiat qu'avaient les sacrifices: la prière ne
fera que solliciter le pardon de la part de Dieu.
Il faudra bien tenir compte de ce changement et de ce pas-
sage des sacrifices à la pure prière, lorsqu'on voudra étudier les
possibles rapports entre liturgie chrétienne et liturgie juive. La
liturgie des premiers chrétiens ne montre guère d'affinité avec
la liturgie du temple, mais bien avec la liturgie synagogale (et
domestique) d'avant et surtout d'après la destruction du temple.
Ce ne sera qu'au IVe siècle, que par un paradoxe, la liturgie so-
lennelle des basiliques sentira le besoin d'un retour anachro-
nique au culte décrit par les ordonnances de Moïse, et donc au
culte du tabernacle dans le désert plutôt qu'à celui du temple
de Jérusalem.
Mais revenons à nos prières pénitentielles juives, celles qui
ont assuré la pratique religieuse après la suppression des sacri-
fices. Il ne nous est pas possible de faire l'histoire de ces prières
pendant leur 19 siècles d'existence. En partant des prières telles
qu'elles nous sont conservées aujourd'hui, nous essayerons, de
façon hélas très sommaire, de faire leur présentation historique.
Pour l'ensemble de notre travail nous nous appuyerons sur
l'ouvrage de A.Z. IDELsoHN, Jewish Liturgie and fts Develop-
ment (New York 1960), nous permettant de ne pas citer les pages
de façon trop méthodique pour ne pas alourdir l'exposé. Selon
cet auteur (p. 31) nous pouvons partir du principe historique-
LA LITURGIE PÉNITENTIELLE JUIVE 43

ruent sûr qu'au temps de hl rédaction du Talmud babylonien


(vers le Ve siècle) la liturgie était complète dans ses parties prin-
cipales: c.à.d. dans les prières. Plus tard on n'ajoutera que de
la poésie, et cela à partir du VII-VIlle siècle.

I. PRIÈRES PÉNITENTIELLES ORDINAIRES

La prière pénitentielle ne sera pas réservée à des occasions


précises. Chaque Tephil/ah longue, c'est à dire des jours ordi-
naires (des 18 bénédictions », par opposition à la Tephil/ah de
sept bénédictions des jours de fête), comportera deux formules
pénitentielles, la cinquième et la sixième berakhah:
se: (> Ramène-nous, notre Père, à ta Torah,

et rapproche-nous, notre Roi, de ton service,


et fais-nous revenir, par une parfaite pénitence, devant toi.
Bénis sois-tu, Seigneur, qui agrées la pénitence (teshubhah)
6e : (, Pardonne-nous, notre Père, car nous aVOns péché;
absous-nous, notre Roi, car nous avons prévariqué:
car tu absous et pardonnes.
Bénis sois-tu, Seigneur, clément, qui abondes en pardon ».
Ces textes donc seront récités trois fois par jour, les jours
ordinaires.

II. PRIÈRES PÉNITENTIELLES SPÉCIALES

Les jours de jeûne cependant (les lundis et jeudis de chaque


semaine) en plus des dix jours de pénitence qui précèdent le Jour
de l'Expiation, d'autres prières pénitentielles suivront la TePhil-
lah. Cet ensemble de prières s'appelera TaIJanun; dans l'anti-
quité on ne prononçait pas de prière à cet endroit, mais on fai-
sait une prière silencieuse les fidèles étant prosternés par terre.
Autour de certains textes attribués aux Pi'utim (poètes) du
III-IVe s., se sont développées deux prières principales: la procla-
mation des treize attributs divins et la double confession ou Vid-
dui. Il n'y a pas de rubrique unique ni même pas de texte uni-
que pour les deux rituels juifs en usage: celui de l'Europe Cen-
trale ou ashkenazi et celui de l'Espagne, Afrique du Nord et Orient
ou sePharadi, pour ne pas parler du rite italien, des rites refor-
més et des rites I:lassidiques.
44 MIGUEL ARRANZ

a) La prière des Treize Attributs


Le texte de Exode 34,6-7, la manifestation de Dieu à Moïse,
est retenu efficace par la tradition rabbinique pour pardonner
les péchés; le voici dans la traduction du Rabbin Joseph BLOCH':
« L'Eternel passa devant sa face et il proclama:
L'Eternel est immuable, tout-p,lissant,
miséricordieux et clément;
longanime, plein de grâce et de vérité.
Il conserve sa faveur jusqu'à mille générations.
Il supporte l'oUense, le péché, la transgression,
et il les absout ».
Ce texte est précédé le plus souvent d'une prière qUI lui
donne un sens très précis; la voici:
(, Roi puissant, assis sur le trône de la miséricorde!
C'est avec clémence que tu gouvernes le monde;
tu pardonnes les Péchés de ton peuPle,
en les faisant disparaître l'un après l'autre;
tu prodigues ton pardon aux Pécheurs,
et ton indulgence aux violateurs de tes lois;
tu exerces la charité (tsedaqoth) envers tous les humains
et tu ne les traites pas selon le mal qu'ils font.
Dieu tout-puissant, tu nous as appris à t'invoquer
par les treize attributs de ton être.
Souviens-toi aujourd'hui en notre faveur
de ce pacte des treize attributs,
révélés jadis à l'humble proPhète (Moïse),
ainsi qu'il est écrit:
Enveloppé d'une nuée, l'Eternel descendit au rendez-vous
donné à Moïse, et le nom de l'Eternel y fut proclamé:
L'Eternel passa, etc. ».
La composition de cette prière date du III-IV· s. selon
Idelsohn (p. 43).
Les Treize Attributs seront récités quarante et une fois le
Jour de l'Expiation, au milieu des textes poétiques, beaux et
prolixes, qui accompagnent la prière de ce jour, et dont nous
allons nous occuper plus loin.

2 ERECH HATEPHILLOTH ou prières de toutes les grandes têtes à


l'usage des israélites du rite allemand, Paris 1958. Tome I, p. 81.
LA LITURGIE PÉNITENTIELLE JUIVE 45

b) La double confession ou Viddu;.


La confession collective ou énumération de tous les pos-
sibles péchés individuels est aussi un texte important; elle sera
dite neuf fois en entier et deux fois en partie le Jour de l'Expia-
tion; mais elle sera dite aussi les jours de jeûne ou de pénitence
pendant l'année, sans qu'il y ait uniformité de la praxis dans
les différents rites.
La première partie, la plus courte, commence par les pa-
roles: "Ashamnu, bagadnu ,). Elle est citée par le Talmud ba-
bylonien, dans le traité Yomah, et attribuée à Abba Areca et
à Samuel, personnages du Ille s. La voici dans la traduction
de Bloch (p. 15):
"Nous avons commis des fautes, des perfidies, des larcins;
nous avons calomnié;
nous avons perverti notre prochain et l'avons excité au mal;
nous avons été présomptueux et violents;
nous avons forgé des mensonges d conseillé le mal;
nous avons nié la vérité et proféré des iniures;
nous avons été rebelles envers toi,
blasphémateurs, sourds à ta volonté;
nous avons été pervers, iniques, oppresseurs et endurcis;
nous avons agi méchamment;
nous avons égaré notre prochain et exercé des abominations;
nous avons été dans l'erreur et nous y avons induit les autres.
Nous nous sommes écartés de tes commandements
et de tes lois salutaires, mais sans pro fit pour nous.
Toi, cependant, tu as été iuste dans tout ce q"i
nous est arrivé,
car tu as maintenu la vérité
tandis que nous avons persisté dans le mal.
Que pouvons-nous dire devant toi qui trônes dans les cieux,
que po"vons-nous t'apprendre,
à toi qui habites les régions suPérieures?
Ne connais-tu pas les choses les Pl"s cachées,
comme les Plus apparentes? )}

.~
La première partie de cette prière, cette impressionante
énumération d'actions mauvaises, est un acrostiche: chaque pa-
role commence par une lettre de l'alphabet; l'artifice poétique
tiraille un peu le sens de la prière, lui donnant tout de même
46 MIGUEL ARRANZ

la grâce du jeu de mots au dépens de la sévérité propre à une


auto-accusation si peu complaisante.
Suit une seconde prière, de la même époque et des mêmes
auteurs: {< Attah yode' a J):
Tu connais les mystères du monde
et les pensées les Plus secrètes de tout être vivant;
tu scrutes l'intérieur de l'homme,
tu sondes les reins et le coeur.
Rien ne te reste caché,
rien ne peut se dérober à tes regards.
Eternel, notre Dieu et Dieu de nos Pères,
daigne nouS pardonner toutes nos fautes,
noUS faire remise de toutes nos iniquités
et absoudre toutes nos transgressions.

Ces trois verbes (dont l'ordre est inverti dans la traduction):


«pardonne - absous - remets J) - (en hébreu {< sial;! - ml;!al
- kapper J)) - correspondent aux trois verbes grecs «anes -
aPhes - synchôrîson J) de la formule absolutoire à la fin de l'ana-
phore grecque de Jacques et de la plupart des anaphores syrien-
nes, et qui se trouve aussi à l'intérieur de l'actuel office des Ty-
pica de l'Horologe byzantin.
Les deux premiers verbes: «( pardonner - absoudre ) se trou-
vent aussi dans la 6" berakhah de la TePhiliah des 18 bénédic-
tions. Seul le troisième vel bec «remettre J} (<< kiPper J)) est propre
à cette formule; il faut remarquer qu'il appartient à la même
racine que KiPpur (qui se traduit improprement par exPiation).
A cette demande de pardon et d'absolution suivra une double
liste exhaustive de péchés: la première est alphabétique, en raison
de deux péchés par lettre de l'alphabet; elle comprend 44 espè-
ces de péchés; à deux reprises on interromp l'énumération des
péchés, pour revenir à la formule {< pardonne - absous - remets J).
Aucune faute n'échappe à cette liste; même si le souci de
trouver deux péchés commençant par chacune des lettres de
l'alphabet, nuit sans doute à l'ordre logique; la voici, toujours
dans la traduction de Bloch (p. 16):

a) A. Le Péché que nous avons commis forcément ou volontaire-


ment, et celui que nous avons commis par la dureté de
notre coeur.
LA LITURGIE PÉNITENTIELLE JUIVE 47

B. Le Péché que nous avons commis par ignorance, et celui


que nous avons co mmis par des paroles échaPPées de
nos lèvres.
G. Le péché que 'nous avons commis publiquement ou en
secret, et celui que nous avons commis par impudicité.
D. Le péché que nous avons commis par la parole, et celui
que nous avons commis par préméditation et malignité.
H. Le péché que nous avons commis par la pensée, et celui
que nous avons commis en trompant notre prochain.
W. Le Péché que nous avons commis par une confession
peu sincère, et celui que nous avons commis par des
liaisons déshonnêtes.
Z. Le péché que nous avonS commis de Plein gré ou par
mégarde, et celui que nous avons commis en outrageant
nos chefs et nos maîtres.
I;I. Le péché que nous avons commis par l'abus de la force,
et celui q"e nous avons commis par la profanation de
ton nom sacré.
T. Le Péché que nous avons commis par des discours insen-
sés, et celui que nous avons commis par des propos impurs.
Y. Le Péché que nous avons commis en nous abandonnant
à nos passions et celui qu,e nous avons commis sciem-
J

ment ou à noir e insu:


Seigneur, plein de miséricorde,
pardonne-les, absous-les et fais-no us-en remise.
K. Le Péché que nous avons commis par des présents cor-
rupteurs, et celui que nous avons commis par la déné-
gation et le mensonge.
L. Le péché que nous avons commis par médisance, et cel"i
g'ue nous avons commis par la raillerie.
M. Le Péché q'ue nous avons commis dans le commerce,
et celui que nous avons commis par la consommation
des mets défendus.
N. Le péché que nous avons commis par l'usure, et celui
que nous avons commis par la présomption.
S. Le péché que nous avons commis par des regards vo-
luptueux, et celui que nous avons commis par des pa-
roles légères.
Le Péché que nous avons commis par des regards orgueil-
leux, et celui que no'l~S avons commis par 'le.n maintien
cynique.
48 MIGUEL ARRANZ

- Seigneur, Plein de miséricorde,


pardonne-les, absous-les et fais-nous-en remise.
P. Le Péché q«e nOlis avons commis par l'indisciPline (re-
ligiellse), et ceilli qlle nOlis avons commis par des Juge-
ments téméraires.
Ts. Le Péché que nous avons commis en abusant de notre
prochain, et ceh,i que nous avons commis par l'envie.
Q. Le Péché que nous avons commis par notre légèreté,
et celui que nous avons commis par notre obstination.
R. Le Péché que nous avons commis en co'u,rant au mal,
et celui que nous avons commis par la délation.
Sh. Le Péché que nous avons commis par le parjure, et celui
qUle no'us avons commis par une haine gratuite.
T. Le Péché q'u,e nous avons co mmis comme dépositaires
infidèles et celui que nous avons commis dans l'égare-
ment de la passion.
Seigneur, plein de miséricorde,
pardonne-les, absotls-les et jais-notls-en remise.
Suit une seconde liste plus courte, où les péchés sont clas-
sifiés selon les sacrifices qu'on aurait dû offrir ou selon les peines
et punitions qu'ils auraient méritées selon la loi biblique ou rab-
binique:
b) Les Péchés pour lesquels n",'s aurions dû offrir un holoca"ste,
Les Péchés pOlir lesquels nous aMi ons dû 0 ffrir tin sacrifice
d'exPiation,
Les péchés pOlir lesqtlels nOtls aurions dû 0 ffrir tin sacrifice
proportionnel,
Les Péchés pour lesquels nous atlrions dû offrir lin sacrifice
de Péché certain et même de dOllte,
Les Péchés pour lesq"els no"s aurions dû subir la peine
de la rébellion,
Les Péchés pour lesquels nous aurions dû subir la flagellation,
Les péchés pour lesq"els nous aurions dû subir une mort
surnaturelle,
Les péchés pour lesquels nous a1lrions dû subir la peine
de l'extermination:
Seigneur, Plein de miséricorde,
pardonne-les, absous-les et lais-no'l~s-en remise.
Les Péchés potlr lesquels nous avons encouru l'un des quatre
supplices de la justice humaine (mosaïque), à savoir:
LA LITURGIE PÉNITENTIELLE JUIVE 49

d'être laPidés, brûlés, décapités ou étranglés;


soit po,," la violation d'un précepte positif ou négatif;
soit pour la violation d'un précepte qui exige
ou n'exige pas l'accomPlissement d'un acte;
pour un Péché qui nous est connu
o~,pou,r un péché que no~~s ignorons.
Ceux q'ui nous sont connus, nous venons de les confesser
et de t'en faire l'aveu;
et CM'X qu,e nous ignorons, te sont, à toi, dévoilés et connus;
comme il est dit:
Les choses inconnues appartiennent à l'Eternel, notre Dieu;
mais ce q~ti nous 6st connu à iamais, à nous et à nos enfants,
c'est qu'il est de notre devoir d'accomPlir
tous les préceptes de la loi divine (Torah).
Car dans tous les temps tu es indulgent po,," Israël
et clément pour les tribu·s de Yeshurun,
tt hormis toi il n'y a point de roi qui pardonne et absolve.
Suit une très belle formule de repentance, très concrète et
réaliste, plus proche de l'attrition que de la contrition, auraient
dit nos moralistes traditionnels:
Mon Die~t, avant que ie fus créé, fétais sans valeur,
et main,tenant q~te ie le S~tis, c'est comme si ie ne l'avais
iamais été.
Pendant ma vie ie ne s~,is que po~,ssière,
combien ph.. après ma mort!
Et maintena·nt, être couvert de honte et de confusion,
ie suis là devant toi, Eternel, mon Dieu et Dieu de mes Pères!
P'nissé-ie ne Plus su·ccomber a~, Péché
et p~tissent ceux q~te fai commis être effacés par ta
miséricorde sans bornes,
mais non par des châtiments doulO'l,rc1'x et des maladies cruelles.

Et finalement une dernière prière qui assure des bonnes


dispositions pour l'avenir:
Mon Dieu, préserve ma langue de la médisance
et mes lèvres de la fausseté.
Fais q~te 1non âme reste calme en face de CMtX qui m'outragent,
et q~" elle soit constamment h~tmble comme la pO'ltssière.
O~tvre mon coeur à ta loi,
et q~te mon âme s'attache avec ardeur à tes commandements.
Détrttis les desseins de ceu·x qui me veulent du mal
et fais échouer leurs proiets.
Fais-le pour la gloire de ton nom,
50 MIGUEL ARRANZ

de ta puissance, de ta sainteté et de ta loi.


Pour que tes bien-aimés s'en réjouissent,
puisse ta droite me protéger et réPondre à mes voeux.
Q,œ les paroles de ma bouc he
et les méditations de mon coeur te soient agréables,
Eternel, mon protecteur et sauveur.
Nous avons donné le texte à peu près complet de ces deux
prières: celle dite des Treize Attributs et la double confession
ou Viddui, selon le rituel allemand pour le Jour de l'Expiation,
mais il est bon de rappeler que ces deux prières, quoique dans
des formules un peu plus courtes, ne sont pas exclusivement
destinées au Jour de l'Expiation, mais qu'elles font partie de
l'office des jours de jeûne (au moins deux fois par semaine) et
d'autres jours de pénitence. Il nous faut cependant nous occuper,
ne fût-ce que rapidement de ce jour unique qui est le Jour de
l'Expiation ou Yom Kippur.

III. LE JOUR DE L'EXPIATION

Cette journée était déjà dans l'antiquité selon le témoignage


de Philon 3 une journée consacrée intégralement à la prière; elle
occupe aujourd'hui la première place parmi les fêtes du calen-
drier juif même avant la fête de la Pàque. Elle est appelée « Sab-
bat des Sabbats» car le repos y est observé avec la plus grande
rigueur ensemble avec un jeûne absolu de 25 heures.
Il ne s'agit plus évidemment de refaire les sacrifices expia-
toires dont l'exécution ne serait possible que dans le temple. Il
existe cependant une coutume populaire, déjà connue au Moyen
Age et témoignée par le M al}zor Vitry, de sacrifier un coq ou
une poule pour les propres péchés la veille de Kippur. Cette es-
pèce de sacrifice privé est appelé Kapparoth (même racine donc
que KiPpur: kiPper); il est accompagné par une formule assez
précise:
«Ceci est mon substitut et mon prix.
Ce coq doit mourir
pour q"e je puisse vivre "ne vie longue et pacifique ').

3 Cf. 1. ELBOGEN, Der iUdiscke Gottesdienst in seiner geschichtlichen Ent-


wicklung, Hildesheim 1962, p. 149.
LA LITURGIE PÉNITENTIELLE JUIVE 51

A la place de l'exécution de l'animal, on peut consacrer une


somme équivalente à des oeuvres de charité. Ce sacrifice privé
cependant n'est pas obligatoire ni même reconnu par tous.
La liturgie du JOUI de l'Expiation est toute centrée sur la
prière. La prière devrait en principe remplir toutes les heures
de la journée.
Aux trois offices habituels du soir (la veille), du matin et
de l'après-midi, on ajoute le quatrième office additionnel ou
Musaf. Un cinquième office, dit Ne'ilah ou de clôture, termine
la journée à la tombée de la nuit, mais avant l'office du soir du
jour suivant.
Ces cinq offices de la journée liturgique possèdent la même
structure fondamentale de tout office de la synagogue: la Te-
Phillah ou 'Amidah; aux offices du soir et du matin la TePhiliah
est précédée par le Shema' 1sr ad et ses bénédictions corres-
pondantes.
La TePhiliah du Jour de l'Expiation est une TePhiliah fes-
tive ne comptant que sept bénédictions. Les trois premières et
les trois dernières coïncident avec celles de la TePhiliah longue.
La bénédiction intermédiaire, la 4e, est tout entière consacrée
au thème de la fête et elle est plus une commémoraiscn de l'in-
stitution de la fête qu'une prière vraiment pénitentielle. Une
partie de cette prière semble provenir de la célébration de ce
Jour au temple avant sa destruction:
Notre Dieu et Dieu de nos pères,
pardonne nos Péchés en ce iour de KiPP,ur,
efface nos transgressions et nos fautes,
et fais-les disparaître de devant tes yeux,
ainsi qu'il est dit:
«(C'est moi ... qui veux effacer tes transgressions
pour moi-même ...
et ne Plus me rappeler de tes fautes ... » = Is 43,25
La note pénitentielle sera marquée par la récitation de la
double confession Viddui, deux fois à chaque office, même si
au dernier office de la Ne'ilah on n'en dira que la première partie.
Aux confessions feront suite, à chaque office, de nombreuses
strophes poétiques. Cette poésie n'est pas antérieure au VIlle
siècle. On l'appelle avec le nom générique de Selil;oth et il n'y
a pas d'ancien poète juif qui n'y ait apporté sa contribution.
Les différents rites, ou même traditions locales, possèdent des
52 MIGUEL ARRANZ

textes propres. Ces textes cependant entourent un texte COln-


mun: la prière des Treize Attributs, qui revient en guise de re-
frain plus de quarante fois, dans le rituel en usage en France,
tout au long des offices de la journée.
Une première constatation s'offre à nous: l'ensemble des
prières de ce jour exceptionnel est constitué par les prières de
tous les jours plus les appendices des jours de jeûne; le seul élé-
ment propre est précisément cette prolixe partie poétique qu'on
peut varier selon les traditions et à laquelle on n'attribue pas
un rôle essentiel, car elle n'est apparue que très tardivement.
Son vrai but est celui de remplir la journée pour que l'esprit ne
divague pas et l'on puisse rester en prière le plus longtemps pos-
sible; cette poésie est très écourtée lorsque les circonstances le
demandent, p.ex. dans les qttibutsim en Israël.
Trois élements semblent cependant être propres et caracté-
ristiques du Yam KiPpur: 10, la formule d'absolution Kal nidrei
chantée en araméen au début de l'office du soir, la veille du Jour
de l'Expiation, 2°, le récit des sacrifices du temple, à l'office de
Musa! et 3°, la sonnerie du cor, à l'office de la Ne'ilah, qui lui-
même est un office exceptionnel.

Le Kal nidrei

On attache aujourd'hui une très grande importance à cette


formule d'absolution judiciaire et légale. Avant de commencer
la célébration, l'officiant déclare tous les fidèles libres de tout
empêchement juridique pouvant les priver d'une participation
à la prière communautaire: voeux non accomplis, anathèmes,
interdictions, etc.
A cette formule on a attribué une valeur spéciale, aux épo-
ques où on a eu de conversions forcées au christianisme. Le cas
classique est celui des juifs espagnols qui sous la pression de l'In-
quisition abjuraient la Loi de Moïse: le Kal nidrei les absolvait
de l'anathème et les admettait à la pénitence et au retour à la
foi des Pères.
Curieusement, dans certaines traditions, celle p.ex. du ri-
tuel ashkenazi français, l'absolution a un caractère préventif; on
la prononce au futur: ses effets alors sont réduits aux seuls cas
d'erreur et d'imprudence. D'autres traditions, comme celle du
Midi de la France, prévoient la récitation privée de cette for-
LA LITURGIE PÉNITENTIELLE JUIVE 53

mule. Son origine extraliturgique est marquée par le fait qu'elle


est dite en araméen et non en hébreu.
Voici le texte dans la traduction de Bloch à partir du texte
de la rédaction ashkenazi (au futur):
Tous les voeux que nous pourrions faire
depuis ce iour de KiPpur iusqu'à celui de l'année prochaine,
toute interdiction ou sentence d'anathème que nMtS
prononcerions su,r no~t.s-mêmes,
toute privation Mt. renonciation
que par simPle parole, par voeu ou par serment
nous pO'ttrrions nous imposer,
nous les rétractons d'avance;
qu/ ils soient tous déclarés invalides, annulés} dissous}
nuls et comme non avenus;
q·,,'ils n'aient force ni valeur;
q~t.e nos voeu·x ne soient pas regardés comme des voeux,
ni nos serments comme des serments.
Qu'il soit pardonné à totlte la comm,,,,atlté des enjants d'Israël,
comme à l'étranger qui séjourne parmi eux,
car toute la communatlté a failli.

La 'Abhodah

N ous avons déj à souligné la valeur sacrificielle de la Te-


Phillah: c'est la prière qui accompagnait les anciens sacrifices
en leur donnant un sens précis. Une fois supprimés les sacrifices,
la prière seule était restée. Mais la prière n'était pas le seul élé-
ment oral qui accompagnait les sacrifices: il y avait la lecture
du texte biblique aussi, justifiant l'exécution du sacrifice en ques-
tion, surtout s'il s'agissait d'un sacrifice personnel. Ensemble avec
la TePhillah on a continué à réciter ces textes bibliques, en les
développant par des descriptions détaillées inspirées par le Tal-
mud. La description du sacrifice du matin, par exemple, con-
tient la formule des composants du parfum brûlé sur l'autel de
l'encens et même la description de la méthode employée pour
broyer et mélanger ces composants.
Dans le cas de l'office du Jour de l'Expiation, de longues
descriptions, parfois même en vers, variant dans les détails selon
les traditions, nous informent sur la préparation générale du
grand prêtre, sur les ablutions et précautions de pureté rituelle,
54 MIGUEL ARRANZ

sur la qualité des victimes et en outre sur les cérémonies elles-


mêmes.
Cette description de l'ancien rituel trouve sa place dans le
Musa! ou office supplémentaire que les jours de fête on ajoute
à J'office du matin. Elle appartient, comme nous l'avons déjà
dit, au genre des Qorbanath ou descriptions des anciens sacrifices.

La Ne' ilah et la sonnerie du cor

Ne'ilah veut dire clôture, fermeture. Quelques-uns lui at-


tribuent un sens mystique: c'est la fermeture des portes du ciel;
la journée de pardon étant terminée, il faudra attendre J'année
prochaine pour obtenir encore rémission. La sonnerie du cor si-
gnale ce moment décisif où les péchés ont été pardonnés.
L'explication historique est plus simple. Les portes du temple
étaient fermées tous les soirs à la tombée de la nuit; cette fer-
meture s'accompagnait d'une sonnerie du cor. Le Jour de J'Ex-
piation ce même signal signifiait la fin de la fête et aussi la fin
du jeûne de 25 heures. Par lui-même le son du cor n'a pas une
signification particulière quant à la rémission des péchés.
Nous savons qu'une grande importance était accordée par
contre à la prononciation du nom divin à J'intérieur du Sancta
Sanctorum; le chant plusieurs fois répété aujourd'hui de la for-
mule Adonai est Dieu à la fin de la Ne'ilah pourrait avoir un rap-
port direct avec la prononciation du Nom par le grand prêtre,
mais cet aspect n'est pas souligné par les commentateurs.
Il reste que J'office de la Ne'ilah lui-même n'est pas un of-
fice très solennel: il a même la TePhiUah longue des 18 bénédic-
tions, ce qui est un signe d'office ordinaire et non festif.
Aucun de ces trois éléments donc, ni le Kal nidre; ou for-
mule absolutoire du début de J'office du soir, ni la ' Abhodah ou
récit des anciennes cérémonies du temple, ni la sonnerie du cor
à la fin de la journée, n'ont un caractère décisif pour la rémis-
sion des péchés, comme le serait pour les chrétiens un rite sa-
cramentel.
Seule la prière comme telle est la cause première qui meut
Dieu au pardon total. Cela est tellement vrai, que le Jour de
J'Expiation lui-même, malgré son caractère décisif, n'est pas con-
sidéré comme une journée isolée. Il est précédé par neuf jours
de pénitence, les premiers de l'année, consacrés à la conversion.
LA LITURGIE PÉNITENTIELLE JUIVE 55

Et voici pour terminer quelques idées prises à l'introduction


au Yom KiPpur dans l'édition du Rabbin Joseph Bloch:
{( Jour de l'ExPiation ou du Pardon. Ainsi se nomme la so-
« lennité qui a lieu le dix du mois de Tisri, jour entièrement con-
{( sacré à la prière et à la pénitence et institué par le Très-Haut
« lui-même pour la rémission de nos péchés. « Car en ce iour, a
« dit l'Eternel, votre exPiation aura lieu, afin de vous purifier,
« afin que tous vos Péchés soient effacés devant l'Eternel »...
« D'après nos traditions, ce jour a été, dès l'origine du monde,
« prédestiné au pardon. Adam, le premier des mortels, après avoir
« succombé, consacra ce jour à la pénitence, et c'est à la faveur
{( de ce privilège qu'il put obtenir la commutation de la terrible
{( sentence. Désigné dès lors comme jour du iugement définitif,
{( ce jour fut réservé comme tel aux générations futures; il nous
« apporte le salut ou la mort, suprême et redoutable alternative
« qui dépend de nous-mêmes. Si pendant les dix jours consacrés
« spécialement à la pénitence et qui forment l'intervalle de Rosh
{( Hashanah (Nouvel An) au KiPpur inclusivement, si pendant
{( ce temps nous faisons la rigoureuse révision de nos fautes et
« en témoignons le repentir, si nous nous corrigeons et devenons
{( meilleurs, Dieu dans sa miséricorde infinie révoque la sentence
« fatale que le poids de nos péchés avait attirée sur nous, et la
{( vie devient notre partage. Heureux l'homme qui dans les dix
« jours de pénitence a su profiter de la clémence du Seigneur!
« Heureux qui a compris et réalisé les véritables conditions de
{( la pénitence, cette porte ouverte à la faiblesse humaine! Car,
« qu'on le sache bien, la pénitence ne consiste pas dans le sté-
{( rile regret des fautes. Ce regret doit être profond et sincère,
« et pour cela, disent nos docteurs, il doit être accompagné de
{( la reconnaissance formelle des fautes et de la ferme résolution
« de n'y plus retomber à l'avenir.
« Cette épreuve des dix jours est donc décisive. Elle pré-
« pare le sort des humains, que le jour du KiPpur vient sceller
{( d'une manière absolue et définitive. Jusque-là, le jugement est
« ajourné pour le pécheur, afin que par la pénitence il puisse adou-
« cir, désarmer la sévérité de la justice céleste et obtenir son
« pardon ».

Miguel ARRANz, S.J.


LE PARDON DES PÉcHÉs DANS LE PSAUTIER

La tradition a attribué la composition du Psautier au roi


David. Plus personne aujourd'hui ne prend cela au pied de la
lettre. Cependant la critique moderne reconnaît la haute anti-
quité du recueil. On en cherche l'origine dans la liturgie du pre-
mier Temple de Jérusalem et on essaie d'en replacer les pièces
dans leur milieu cultuel. Ce noyau s'est ensuite développé jus-
qu'aux approches de l'ère chrétienne, notamment à l'époque des
Macchabées. Cependant l'inspiration reste la même. Elle exprime
la même foi au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Le Psau-
tier dit au Dieu unique, créateur du ciel et de la terre, tout ce
que l'homme a jamais pu lui dire: son adoration et son amour,
ses joies et ses souffrances, ses désillusions et ses espoirs. Mais
le miracle, c'est qu'après tant de siècles - près de trois millé-
naires - la prière du Psautier est plus vivante que jamais. Le
Temple où elle a pris naissance n'est plus depuis longtemps que
cendre et poussière; mais aujourd'hui elle monte vers Dieu de
partout et dans toutes les langues.
Dès avant l'ère chrétienne, il y eut une traduction grecque
des Psaumes à l'usage des communautés juives dispersées dans
le monde hellénistique. C'est cette version qui fut adoptée par
le nouveau peuple de Dieu. Ce fut le livre de chant des commu-
nautés chrétiennes. Puis, à mesure que l'Eglise progressait, cette
version servit de base à des traductions en d'autres langues.
Quand on étudie l'histoire des anciennes versions de l'Ancien
Testament, on voit que le Psautier est toujours un des premiers
livres traduits, parce qu'il est nécessaire à la tenue des assem-
blées. Dans l'Eglise ancienne, le Psautier grec traduit en diver-
ses langues est devenu le livre de chant des différentes liturgies.
Ainsi dans la liturgie romaine, presque tous les chants de la messe
ont été empruntés au vieux Psautier latin. Et depuis que la li-
turgie peut être célébrée en langue vivante, les Psaumes peu-
vent aussi être chantés dans ces langues. Aucun livre de l'An-
cien Testament n'a imprégné la prière chrétienne autant que
le Psautier.
Que le pardon des péchés tienne une place dans cette prière,
cela n'a rien d'étonnant, parce que la conscience du péché est
un élément important de la religion d'Israël.
58 BERNARD BOTTE

Cette religion repose sur deux convictions. La première est


que la descendance d'Abraham a été choisie parmi les nations,
pour être gardien du culte du Dieu créateur du ciel et de la terre,
à l'exclusion de tout autre. Il s'est créé, entre le peuple élu et
Dieu, une alliance en vertu de laquelle Israël est l'héritier des
promesses. La seconde conviction est que ce Dieu qu'il faut aimer
de tout son coeur et de toute son âme, est aussi un Dieu redou-
table, dont l'homme ne peut soutenir la vue. «J'ai vu le Seigneur
face à face et j'ai la vie sauve", s'écrie Jacob (Gen 32,31). Ce-
pendant cette crainte de Dieu n'est pas inspirée uniquement
par sa transcendance. Elle vient aussi d'un autre sentiment: la
conscience du péché.
Le sentiment du péché est profondément enraciné dans la
conscience d'Israël. L'histoire de l'Ancien Testament est-elle autre
chose que celle du péché et de son châtiment? La désobéissance
de nos premiers parents, la corruption des hommes qui provoque
le déluge, la destruction de Sodome et Gomorrhe. Israël lui-même,
choisi par Dieu, a fait l'expérience du péché dès ses origines: il
s'est révolté contre le Seigneur dès son séjour au désert. La re-
ligion d'Israël n'est pas un culte purement extérieur. L'alliance
avec Dieu a toujours comporté des obligations morales. Et à
mesure que la révélation progresse, ces obligations se précisent.
Dès le VIlle siècle, les prophètes protestent contre les injus-
tices sociales et contre tous les abus d'une morale relâchée. Sans
rejeter le culte du Temple, ils réclament avant tout une reli-
gion intérieure. Il est donc tout à fait naturel que le livre de chant
contienne des prières pour le pardon des péchés.
Cependant, comme nous l'avons dit, le Psautier n'est pas
un recueil parfaitement homogène. Il contient des pièces qui
remontent probablement à la liturgie du Temple et d'autres qui
sont beaucoup plus tardives. D'autre part, une même pièce a
pu changer de sens au cours des siècles par suite d'un nouvel
emploi. Ainsi certaines pièces sont probablement à l'origine des
psaumes de malades ou de persécutés qui venaient se faire bénir
ou exorciser dans des cérémonies rituelles. Mais ils ont servi plus
tard à exprimer les sentiments de la communauté des déportés
en Babylonie ou des Juifs persécutés à l'époque des Macchabées.
Le sens ne sera plus exactement le même. A fortiori quand le
Psautier passera de l'Israël ancien à l'Israël nouveau, l'Eglise
chrétienne. Il y a en même temps continuité et adaptation.
La période la plus intéressante pour nous chrétiens est la
LE PARDON DES PÉCHÉS DANS LE PSAUTIER 59

dernière: comment a-t-on passé de l'interprétation juive du Psau-


tier à l'interprétation chrétienne? Il n'est pas nécessaire pour
cela de remonter aux origines mêmes des Psaumes dans le texte
hébreu. Ce que l'Eglise adoptera, ce sera la version grecque de
la Septante, déjà répandue dans le monde hellénistique, et qui
va servir de base aux versions anciennes. A la fin du IVe siècle,
saint Jérôme fera une traduction sur l'hébreu; mais c'est une
oeuvre purement scientifique sans influence sur la vie de l'Eglise.
Dans la liturgie latine, ce sont les vieilles versions calquées sur
le grec qui ont fourni le vocabulaire.
Le type du pécheur qui demande la rémission de ses pé-
chés, c'est le roi David. On connaît l'admirable scène de II Sa-
muel 12. Le prophète Nathan raconte au roi la parabole du riche
qui a volé la brebis du pauvre pour offrir un repas à son ami.
Et devant l'indignation de David, Nathan déclare: « Cet homme,
c'est toi ». Alors David avoue simplement: « J'ai péché contre
le Seigneur ». C'est à cette scène que la tradition a rapporté le
Psaume 50 '. Que cette attribution soit ou non exacte, peu im-
porte. Elle a au moins une valeur symbolique. Nous trouvons
dans ce Psaume une terminologie qui deviendra traditionnelle.
Tout d'abord pour la définition du péché. On trouve deux
mots, mis constamment en parallèle: &:I-'''p-r[" et &v0l-'[" (ou &v61-'1I1-''')'
Le mot &:I-'otp-r[ot appartient au langage commun. Il ne comporte
par lui-même aucune valeur religieuse ni même morale. Pour
qu'il ait une telle valeur, il faut que cela soit indiqué par le con-
texte: « J'ai péché envers toi seul et j'ai fait le mal (rcov1Ipov) de-
vant toi» (Ps 50,6). Le prophète Nathan a parlé au nom du Sei-
gneur et c'est aux yeux du Seigneur que David se sent coupable.
Le mot &V0l-'[ot a déjà au contraire une valeur morale: est qua-
lifié &v0l-'0ç celui qui refuse de se soumettre à la loi. Bien plus dans
les Tragiques, &V0l-'[ot est employé souvent dans le sens d'impiété.
Les deux mots &:I-'"p-r[ot et &V0l-'[ot se complètent donc et apparais-
sent dans les Psaumes comme des synonymes.
La première réaction de l'homme qui prend conscience d'avoir
commis une mauvaise action vis-à-vis de Dieu est de le recon-
naître: {( Voilà que je reconnais mon injustice et mon péché est
sans cesse sous mes yeux» (Ps 50,5). Il ne s'excuse pas, il n'in-

l La numérotation reprise ici pour les Psaumes est celle de la LXX, non

celle de l'hébreu.
60 BERNARD BOTTE

voque pas les bonnes actions qu'il a pu faire. Il sait d'avance


qu'il ne peut être justifié par lui-même: ,< Si tu tiens compte des
injustices, Seigneur, Seigneur, qui pourra le supporter? ,) (Ps 129,3);
ou bien: « N'entre pas en jugement avec ton serviteur, car per-
sonne ne sera justifié devant toi ,) (Ps 143,2).
Le péché est ressenti comme une souillure dont l'homme
ne peut se débarrasser lui-même. Seul Dieu peut laver le pé-
cheur: «Asperge-moi avec de l'hysope et je serai purifié. Tu me
laveras et je deviendrai plus blanc que neige ') (Ps 50,9). Il Y
a peut-être là une allusion à des purifications rituelles; mais tout
le contexte indique qu'il s'agit avant tout d'une purification
intérieure: « Crée en moi un coeu!" pur, ô Dieu, et inaugure en
mes entrailles un esprit droit,) (Ps 50,12). Le point de vue rituel
est dépassé: «Si tu avais voulu un sacrifice, je t'en aurais offert;
tu ne prends pas plaisir aux holocaustes. C'est un sacrifice pour
Dieu qu'un esprit affligé. Dieu ne méprise pas un coeur contrit
et humilié» (Ps 50,18-19).
Outre l'image du lavage, on trouve aussi pour le pardon
celle de l'effacement: «Efface toutes mes injustices» (Ps 50, Il).
Le mot employé est ~I;OÙ.d<pE'V, utilisé dans le langage courant
pour raturer un parchemin, par exemple.
Il y a un autre verbe qui revient fréquemment, mais qui
évoque des images moins précises. C'est le verbe ocqnévlXt, dont
proviendra la forme nominale I1.<pEmç. C'est un geste de renvoi:
re-mittere, di-mittere. Au figuré, il s'emploiera pour la remise
d'une peine ou d'une dette. On est sur la voie de l'image évan-
gélique: « Remets-nous nos dettes comme nous avons remis à
nos débiteurs ,) (Mt 6,12; cf Lc Il,4). L'homme a contracté des
dettes vis-à-vis de Dieu, mais il est incapable de s'en acquit-
ter. Il faut qu'elles lui soient remises gratuitement par Dieu,
en vertu de sa miséricorde.
Il y a encore une autre image du péché, celle de l'égare-
ment: «Heureux ceux qui marchent sans tache dans la voie du
Seigneur. Heureux ceux qui scrutent ses témoignages, qui le
recherchent de tout leur coeur. Car ceux qui commettent l'in-
justice ne marchent pas dans sa voie ,) (Ps II 8, 1-3). Mais de même
que l'homme ne peut par lui-même retrouver sa pureté ni s'acquit-
ter de ses dettes, il n'est pas capable non plus de revenir de son
égarement: «Je me suis égaré comme une brebis perdue; cher-
che ton serviteur, car j'ai oublié tes commandements» (Ps 118,
176). Le pécheur n'a d'autre recours que la miséricorde de Dieu.
LE PARDON DES PÉCHÉS DANS LE PSAUTIER 61

Telle est bien la piété du judaïsme au moment où le Mes-


sie va venir. Ce serait une erreur de généraliser et d'étendre à
tout le peuple juif les déviations que Jésus reproche aux phari-
siens. Il n'y a pas que les pharisiens. Les plus anciens écrits du
Nouveau Testament n'ont pas essayé de dissimuler les liens
qui rattachent la prédication de Jésus au mouvement suscité
par Jean-Baptiste. Au contraire, celui-ci est présenté comme le
précurseur. Avant d'inaugurer son ministère, Jésus va se faire
baptiser par Jean. C'est dans son entourage qu'il recrute ses
premiers disciples. Or nous SOlllmes en présence d'un mouve-
ment populaire qui attire les foules. Les gens viennent se faire
baptiser en confessant leurs péchés. Jean est le dernier des pro-
phètes et il représente la tradition la plus anthentique du pro-
phétisme. En se situant dans le sillage du Baptiste, Jésus se rat-
tache à toute la suite des prophètes qui ont fait l'éducation du
peuple de Dieu. Il sait qu'il est venu dans un monde pécheur.
On l'entendra dire plusieurs fois: (, Tes péchés te sont remis J)
(Mt 9,2 et parai!.; Lc 7,48). Il avait également conscience que
sa mission était toute de miséricorde. Ses ennemis lui reprochaient
de fréquenter les pécheurs et de manger avec eux. Au lieu de
s'en défendre, il renchérissait et il affirmait qu'il était venu sau-
ver ce qui était perdu. Les trois paraboles de Luc - la brebis
égarée, la drachme perdue et le fils prodigue (Lc 15,1-32) - il-
lustraient cet aspect de sa mission. Jésus faisait sienne (Mt 9,13
et 12,7) la parole du prophète Osée: (' C'est la miséricorde que
je veux et non le sacrifice, et la connaissance de Dieu plus que
les holocaustes') (Os 1,6). Il répondait bien aux aspirations pro-
fondes du peuple de Dieu qui attendait le pardon des péchés
de la miséricorde divine.
La prière du Psautier préparait sa mission; mais, d'autre
part, l'accomplissement de sa mission jetait une lumière nou-
velle sur les textes sacrés. Aussi, quand l'Eglise chrétienne re-
prit à son compte les chants de la liturgie juive, elle leur donna
un sens nouveau.
Avant la venue de Jésus, le pardon des péchés est une espé-
rance basée sur la miséricorde de Dieu. Avec sa venue, elle de-
vient une réalité présente. Le chrétien qui a passé par la caté-
chèse et vit de la vie de l'Eglise sait que ce qui était annoncé
dans l'Ancien Testament par des figures obscures s'est réalisé
d'une manière plus parfaite.
Le culte de l'Ancien Testament organisé par Moïse était
62 BERNARD BOTTE

adapté aux habitudes de l'ancien Orient et comprenait de nom-


breux rites sacrificiels. L'idée primitive était que les dieux se
plaisaient à ces sacrifices. Le récit babylonien du déluge nous
montre le8 dieux se rassemblant comme des mouches au-dessus
de l'autel érigé par Uta-napushtim pour humer la bonne odeur
du sacrifice. De telles conceptions sont incompatibles avec l'idée
du Dieu transcendant d'Israël, surtout après la prédication des
grands prophètes. Les rites n'avaient qu'une valeur symbolique.
Quand Jean-Baptiste présente Jésus comme (, l'Agneau de Dieu,
celui qui emporte le péché du monde " (Jn 1,29 et 36). il use du
vocabulaire sacrificiel, mais dans un sens métaphorique. L'Agneau
est la victime d'un sacrifice offert pour le pardon des péchés de
l'homme. Une telle manière de parler n'est pas étrangère à l'An-
cien Testament. Dans la seconde partie du livre d'Isaïe, on voit
dessiné le portrait d'un prophète qui donne sa vie pour ses frè-
res. Il se laisse conduire à l'immolation comme une brebis, sans
élever la voix, et il prend sur lui nos faiblesses et nos infirmités
(Is 52,13-53,12). Les chrétiens n'ont pas pu faire autrement que
de voir dans ce «Serviteur de Dieu» la personne de Jésus lui-
même (Ac 3,13; 8,32-35).
Cependant l'image s'est précisée dans la tradition. Tous les
anciens documents chrétiens ont mis en lumière le rapport entre
la passion de Jésus et la célébration de la Pâque. Ce n'est pas
là un hasard. Quand Jésus monte â Jérusalem pour y célébrer
sa dernière Pâque, il l'annonce à ses disciples. Il leur dit qu'il
a beaucoup désiré célébrer cette Pâque avec eux (Lc 22,15). A la
veille de sa passion, il institue un nouveau repas pascal où il se
donne lui-même en nourriture pour rappeler le sacrifice dans
lequel il va verser son sang pour la rémission des péchés (Mt 26,
26-28). Il inaugure la vraie Pâque. Celle qui a été instituée par
Moïse n'en est qu'une préfiguration. Le véritable Agneau de
Dieu, c'est Jésus lui-même. Il est la victime du seul sacrifice
qui puisse obtenir le pardon du péché des hommes.
L'Epître aux Hébreux (He 10,5-7) applique au Christ un
passage du Psaume 39: «Tu n'as voulu ni sacrifice ni oblation,
mais tu m'as donné des oreilles. Tu n'as réclamé ni holocauste
ni offrande pour le péché. Alors j'ai dit: Voici que je viens. En
tête du livre il est écrit à mon sujet que je fasse, ô Dieu, ta vo-
lonté " (Ps 39,7-9). L'Epître a une variante: corps au lieu de
oreilles, leçon plus facile. Dans le Psaume, il faut sans doute
conlprendre: tu m'as ouvert les oreilles, pour entendre la mis-
_____ .::L.::E:.._.:p.::A::R-:D':O::N~.::D:.::E::S:.._.:P..::É::C::H::E::'S",-"D::A:.:::N.::S~L.::E~P.::S:::A.::U:.:T:.::I.::E:.::R:..-_ _~(63-)
sion qui m'est confiée. Quoi qu'il en soit de cette variante, le
sens est clair. Les sacrifices de l'Ancien Testament sont abolis.
Ils n'ont qu'une valeur de symbole. Le seul sacrifice valable est
celui du Fils de Dieu qui accepte de donner librement sa vie pour
les péchés des hommes. Comme saint Paul l'a dit ailleurs, (, le
Christ s'est anéanti en se faisant obéissant jusqu'à la mort, et
jusqu'à la mort de la croix» (Ph 2,8). Ce n'est pas un animal
sans raison qui se laisse traîner à la boucherie. C'est un être rai-
sonnable qui accepte librement la mort. Il s'offre lui-même en
sacrifice. C'est pourquoi il est non seulement la victime du sa-
crifice unique, il est aussi le seul prêtre, d'un sacerdoce nouveau
qui n'est plus celui d'Aaron. Celui-ci n'en fournit que l'image.
L'auteur de l'Epître aux Hébreux part des rites de l'expiation.
Dans le rituel mosaïque, il est prévu que le grand-prêtre ne pé-
nètre qu'une fois par an dans le Saint des saints après avoir of-
fert un sacrifice. Le Fils de Dieu ne pénètre plus dans un sanctuaire
fait de main d'homme, mais dans le sanctuaire du ciel, et cela
une fois pour toutes. Il ne s'introduit pas avec le sang des ani-
maux, mais avec son propre sang, et il obtient une rédemption
éternelle (cf He 9,11-12).
L'Eglise chrétienne a adopté le Psautier juif, y compris les -
Psaumes pénitentiels, mais elle les interprète à la lumière du
Christ. Le chrétien a conscience d'avoir été baptisé dans la mort
du Christ: il a été enseveli avec lui et il est mort au péché, mais
il est ressuscité avec lui et il vit d'une vie nouvelle (cf Rm 6,3-4).
Quand il est invité dans la liturgie à invoquer la miséricorde
de Dieu pour les péchés, il sait qu'il ne s'agit pas uniquement
de ses péchés personnels. Il participe dans l'eucharistie au sa-
crifice unique de l'Agneau de Dieu. Or ce sacrifice a été offert
pour les péchés de tous les hommes, car l'Agneau de Dieu enlève
le péché du monde. L'Eglise tout entière, qui est le corps du
Christ, doit partager les sentiments de son chef (cf Ph 2,5) et
s'unir à sa prière pour tout le monde pécheur. D'autre part le
chrétien qui a reçu dans le baptême la rémission de ses péchés
sait qu'il n'est pas à l'abri de la tentation ni du péché. La para-
bole de l'ivraie laissait déjà entendre que le bon grain croîtrait
parmi les mauvaises herbes (cf Mt 13,24-30) et qu'il ne fallait
pas rêver d'une Eglise exempte de scandale.
Jésus a prévu que ses disciples ne seraient pas exempts de
fautes et il leur a appris à dire dans leur prière quotidienne: (, Re-
mets-nous nos dettes comme nous avons remis à nos débiteurs))
64 BERNARD BOTTE

(Mt 6,12; cf Le 11,4). Il a donné aussi à ses apôtres le pouvoir


de remettre les péchés (Jn 20,21-23). L'Eglise a donc fait l'expé-
rience du péché et elle a dû, à un certain moment, organiser la
manière de faire rentrer dans la communauté ceux qui, par leur
conduite, s'en étaient séparés. C'est toute l'histoire du sacre-
ment de pénitence. C'est une histoire longue et compliquée, dans
laquelle je n'ai pas à entrer ici. Au contraire, je voudrais m'ar-
rêter à une institution qui sera admise dans toutes les ancien-
nes Eglises: celle d'nne période liturgique orientée vers la ré-
mission des péchés, le carême.
L'institution ne remonte pas à la période apostolique. Elle
s'est constituée progressivement à partir de la veillée pascale.
On l'a fait précéder de quelques jours de préparation. Si finale-
ment on s'est mis d'accord sur quarante jours, c'est évidem-
ment sous l'influence du jeûne que Jésus observa avant de com-
mencer sa carrière messianique. Cette période devait servir aux
catéchumènes pour se préparer à recevoir dans la nuit pascale
la rémission de leurs péchés. Elle devait aussi servir aux pécheurs
publics qui attendaient la remise de leurs fautes. Mais cette double
préparation était assumée par toute la communauté. Toute la
liturgie - lectures et prières - était organisée vers cette pré-
paration. Un des thèmes essentiels de cette liturgie devait être
naturellement la rémission des péchés, et nous y retrouvons les
formules pénitentielles du Psautier.
Prenons comme exemple le vieux carême romain. A la cé-
rémonie de l'imposition des cendres, au début du carême, nous
trouvons une antienne empruntée au Psaume 68: « Exauce-nous,
Seigneur, car ta miséricorde est bienveillante. Selon la multi-
tude de tes actes de miséricorde, regarde-nous, Seigneur " (PS 68,
17). L'introït de la messe est emprunté au livre de la Sagesse:
(1 Tu as pitié de tous, Seigneur, et tu ne hais rien de ce que tu

as fait. Et tu détruiras les péchés des hommes à cause de leur


repentance. Et pardonne-leur, car tu es le Seigneur notre Dieu»
(Sg 11,24.25.27). Mais il se chante avec un verset du Psaume 56,
qui est repris dans le graduel: (1 Aie pitié de moi, Seigneur, car
mon âme a confiance en toi " (Ps 56,2). Puis vient le tractus,
emprunté à deux psaumes différents: (1 Seigneur, ne nous rends
pas selon les péchés que nous avons commis ni selon nos injus-
tices» (Ps 102,10). (1 Seigneur, ne te souviens pas de 110S ancien-
nes injustices. Que tes miséricordes nous préviennent bien vite,
parce que nous sommes devenus pauvres à l'excès. Aide-nous,
LE PARDON DES PÉCHÉS DANS LE PSAUTIER 65

Seigneur notre Sauveur, et délivre-nous pour la gloire de ton


nom, Seigneur; et sois indulgent pour nos péchés, à ca use de
ton nOm» (Ps 78,8-9).
On pourrait allonger la liste des citations; mais celles-ci
suffisent à donner le ton de la prière du carême: elle est inspirée
par les textes pénitentiels du Psautier. L'homme prend conscience
de sa condition de pécheur et fait appel à la miséricorde de Dieu
qui s'est manifestée dans le Christ; et il sc prépare ainsi à cé-
lébrer le sacrifice de l'Agneau de Dieu qui a enlevé le péché du
monde.
En rassemblant ces quelques notes, je me suis posé une ques-
tion: cette conception du carême est-elle encore comprise de nos
contemporains? Le doute m'est ve nu tout récemment, à l'oc-
casion d'un incident d'apparence minime. En l'an de grâce 1973,
le clergé paroissial de Lo uvain et des environs décida de célé-
brer le carême d'une manière orig inale. Les cinq premiers di-
manches devaient être consacr és au développement des thèmes
suivants: l'enseignement religieux, la pastorale de la jeunesse,
le problème du tiers monde, le mariage et la liturgie. Ces thè-
mes n'ont visiblement rien à voir avec les lectures bibliques pro-
posées par le lectionnaire; elles n'en ont pas davantage avec le
carême en général. On ne voit pas non plus quels liens ces thè-
mes ont entre eux: le choix semble être le résultat d'un tirage
au sort sans aucune justification rationnelle. Je ne doute pas
des bonnes intentions ni du zèle pastoral des auteurs de ce pro-
jet. Mais c'est un zèle mal éclairé. On ne peut imaginer plus com-
plète incompréhension de la réforme liturgique et des intentions
de Vatican II. Les organisateurs ne semblent pas avoir soup-
çonné que le carême lui-même est un thème de prédication et
que les lectures bibliques ont été soigneusement choisies pour
préparer la fête de Pâques. On semble tout aussi bien ignorer
l'insistance de Vatican II à revenir à une prédication biblique
en cOffilnentant les textes lus à l'assemblée. Pratiquement, on
a saboté la liturgie du carême pour lui substituer une organisa-
tion fantaisiste.
Je dois ajouter que ce beau projet n'a pu se réaliser par suite
d'un accident imprévu. Les organisateurs avaient l'intention de
fournir aux paroisses une documentation imprimée. Or un in-
cendie se déclara dans l'imprimerie et la documentation ne put
être fournie à temps. Je me garderai bien de présenter cet in-
cendie comme un jugement de la. Providence. !VIais on voudra
66 BERNARD BOTTE

bien croire que je ne suis persollllellement pour rien dans cet


accident.
Je ne voudrais pas tirer de conclusion d'un fait local. Mais
je m'inquiète de l'état d'esprit que cela trahit. Que des prêtres
zélés puissent se livrer à de pareilles fantaisies sans soulever de
protestation de la part des gens de bon sens est inquiétant. On
ne voit pas comment le peuple pourra comprendre ce qu'est le
carême si le clergé lui-même ne comprend plus.
On peut se demander si les formules du Psautier ne vont
pas à contre-courant de certaines tendances de la piété moderne.
Il semble qu'il y ait actuellement des mots qui provoquent une
réaction d'allergie. II y a une trentaine d'années, un jeune jé-
suite me disait qu'on ne parlait plus dans la prédication de la
miséricorde de Dieu, mais uniquement de son amour. De fait,
les traductions du missel français font une consommation exa-
gérée du mot amour. Quand on se reporte à l'original, on trouve
misericordia. Pourtant les deux mots ne sont pas synonymes.
La miséricorde est une forme de l'amour, mais elle connote tou-
jours dans son objet une idée de malheur ou d'indignité. Quand
nous invoquons la miséricorde de Dieu, nOliS confessons par le
fait même que nous n'avons aucun droit à la faveur que nous
demandons. On ne voi t pas de quel droit on supprimerait cette
nuance. Je défie n'importe qui de traduire l'Ancien et le Nou-
veau Testament sans employer le mot miséricorde. Il appartient
au vocabulaire chrétien. Quand il fallut traduire l'ordinaire de
la messe, la Commission de traduction s'arrêta à la formule:
(1 Seigneur, prends pitié J). Elle n'a pas fait l'unanimité. Qu'est-ce

qu'on lui reproche? C'est un Père jésuite qui me l'a expliqué,


en me citant le propos d'un brave homme auquel il donnait son
approbation: la pitié, c'est le sentiment qu'on éprouve pour le
dernier des misérables. Le brave homme ne voulait pas se pré-
senter devant Dieu comme le dernier des misérables, le Père
jésuite non plus. Je crois cependant qu'on peut prononcer cette
invocation sans hypocrisie, sans se croire le dernier des misé-
rables. II suffit de se reconnaître pécheur et d'avoir besoin de
la miséricorde de Dieu pour être pardonné. D'ailleurs, quand
il prononce cette invocation à la messe, le chrétien ne le fait pas
seulement en son propre nom: il participe au sacrifice du Christ
qui s'est offert pour tous les hommes. Cet appel à la pitié ou à
la miséricorde de Dieu, si fréquente dans les Psaumes, a été re-
prise par l'Eglise et elle est devenue l'invocation la plus popu-
LE PARDON DES PÉCHÉS DANS LE PSAUTIER 67

laire et la plus universelle: Kyrie eleïson. Elle s'est conservée en


grec dans tous les rites orientaux tout comme en Occident. En
voulant la traduire en français, on a créé un faux problème.
Il faut peut-être aussi songer à ceux qui trouvent à la li-
turgie un visage trop austère et l'accusent de professer un mépris
exagéré envers les réalités terrestres. Je ne crois pas que ce soit
exact. La liturgie ne s'exprime pas autrement que Jésus ou saint
Paul. Elle n'a jamais cessé de rendre grâces à Dieu pour toute
la création ni de prier pour la paix et la prospérité, pour le beau
temps et pour les moissons. Elle a créé d'innombrables béné-
dictions pour toutes les réalités humaines. Sans doute peut-on
relever quelques expressions qui sont équivoques. Il y a quel-
ques années, le Père Jungmann s'en est pris à la représentation
de notre planète comme une vallée de laI mes. Cela lui parais-
sait particulièrement déplacé à un moment où les progrès fan-
tastiques de la science et de la technique devaient soulever la
jeunesse d'enthousiasme dans l'espoir de changer la face du monde.
Je ne tiens pas spécialement à cette métaphore de la vallée de
larmes, dont l'origine est due probablement à une faute de tra-
duction de la Septante (Ps 83,7). J'y tiens d'autant moins qu'on
peut lui donner parfois des interprétations farfelues. Je me sou-
viens d'un cantique qu'on faisait chanter aux élèves d'un insti-
tut où je célébrais souvent la messe. Le refrain en était: « Il faut
rester, hélas, sur cette triste terre, mais si vous le voulez, vi-
vons à deux, Jésus >,. Dans la bouche de jeunes filles saines et
tout à fait normales, c'était du plus haut comique. Ce n'est pas
une raison pour aller à l'extrême opposé et pour croire que les
jeunes sont comblés par les sciences et vivent dans une douce
euphorie. Au moment où paraissait l'article du Père Jungmann,
il y avait une épidémie de suicides par le feu chez les adolescents.
Les exploits des astronautes n'avaient pu leur faire oublier les
images d'horreur du Vietnam, du Biafra et autres lieux, dont
on les avait saturés. Je ne crois pas que la situation est plus riante
aujourd'hui. Aux guerres, génocides et révolutions, on a ajouté
le spectre de la pollution. En tout cas, aux dernières nouvelles,
le pessimisme reste à la mode. On l'a bien vu, il n'y a pas deux
mois, au Festival de Cannes où « La grande bouffe >, de Marco
Ferreri a suscité quelque émotion avec l'histoire de ces quadra-
génaires qui ont trouvé un nouveau mode de suicide: s'empif-
frer et faire la noce jusqu'à en crever. Je ne suis pas critique de
cinéma et je ne vais pas discuter la question de savoir si cet exhi-
68 BERNARD BOTTE

bitionnisme était nécessaire pour nous faire comprendre que nouS


sommes des cochons. Le message est clair et on ne peut pas s'y
tromper. Je ne crois pas cependant que cela a grande impor-
tance. Je ne crois pas aux vertus curativES de ce genre de mes-
sage. Cela ne semble pas avoir eu d'effet immédiat sur les pre-
miers spectateurs car, au dire d'un télnoÎn oculaire, on a vu les
invités se ruer à l'assaut du buffet et se battre comme des chif-
fonniers pour mettre la main sur les petits fours. C'est de la lit-
térature et cela n'a rien à voir avec le message confié à l'Eglise.
Les maux dont on se plaint, ce n'est ni la faim, ni la ma-
ladie, ni les tremblements de terre. C'est l'égoïsme, la haine,
l'avarice, la luxure. En langage chrétien, cela s'appelle le péché.
La première condition pour que cela change, c'est que l'homme
se reconnaisse pécheur. La seconde condi tian, c'est de croire
que la délivrance du péché ne peut venir que de la miséricorde
de Dieu, qui s'est manifestée dans le Christ. C'est tout le mes-
sage de la révélation judéo-chrétienne. On ne peut pas le mu-
tiler sous prétexte de le rendre plus acceptable. L'attitude de
pénitence est essentielle au christianisme et elle doit s'expri-
mer dans la liturgie. Les invocations de nos Psaumes péniten-
tiels gardent toute leur actualité et il est à souhaiter qu'elles
ne disparaissent pas de nos liturgies actuelles.
Il y a un danger dans le catholicisme d'aujourd'hui. Les
lectionnaires proposent des chants psalmiques, mais on se trouve
devant une difficulté: la musique. Car il est pratiquement diffi-
cile de trouver des mélodies adaptées connues du peuple. Alors,
on remplace ces chants par n'importe quoi. Ce sont souvent des
cantiques modernes d'un sentimentalisme difficilement suppor-
table pour des adultes. On est sur la voie de la facilité. Certes,
le problème musical est ardu, mais ce n'est pas une raison pour
sacrifier les textes liturgiques. Des efforts louables ont été faits
dans certains pays, et il faut les encourager. Il serait regrettable
que les vieux chants bibliques, qui nous viennent du judaïsme
et ont été adoptés dans toutes les Eglises chrétiennes, devien-
nent lettre morte pour notre peuple chrétien.

Bernard BOTTE, O.S.B.


SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉcHÉs DES CHRÉTIENS:

COMMENT LE NOUVEAU TESTAMENT ENVISAGE-T-IL


LEUR PARDON?'

Dans le cadre de cette Semaine d'Etudes Liturgiques, il


serait présomptueux de vouloir présenter l'ensemble de la doc-
trine néotestamentaire sur la rémission des péchés. Je courrais
le risque soit de m'en tenir à des généralités sans intérêt, soit
de me lancer dans des hypothèses non contrôlées. De manière
plus modeste, cet exposé voudrait indiquer les deux pôles au-
tour desquels on peut regrouper les textes relatifs à 1'&'1'<"" "f'''P-
~LWV: d'une part sainteté de l'Eglise, avec la conséquence que
certains péchés de ses membres apparaissent irrémissibles, d'au-
tre part miséricorde du Christ à l'égard des pécheurs, avec l'in-
vitation à l'indulgence.
Sur un sujet de cette importance, on ne saurait établir d'em-
blée une synthèse des enseignements du Nouveau Testament.
Il importe de distinguer avec soin les moments de la pratique
et de la réflexion de l'Eglise, Et les diverses couches du Nouveau
Testament. La découverte de la complexité des choses devrait
aider à comprendre la lenteur de l'Eglise ancienne à prendre
conscience de l'étendue de son pouvoir en la matière et les va-
riations considérables dans l'histoire de la pénitence. De surcroît
une étude historique de ce genre ne peut-elle aider à découvrir
l'esprit dans lequel doit s'engager l'effort pastoral pour un re-
nouvellement de la pratique pénitentielle?
Le Père J. Murphy-O'Connor a déjà présenté un rapport
remarquable sur le sujet: Péché et Comm·unauté dans le Nouveau
Testament '. Pour ne pas faire double emploi, nous nous atta-

• Cette relation a été publiée aussi dans Nouv. Rev. Th., 106 (1974), 46555.
(N. d.l. R.).
Nous utilisons la traduction de la Bible de Jérusalem (B]) pour l'An_
cien Testament et celle de la Traduction Oecuménique de la Bible (TOB)
pour le Nouveau.
1 Revue biblique, t. 74 (1967), pp. 161-193. - On trouvera la biblio-
graphie générale du sujet dans l'excellent recueil de textes La Pénitence, ré-
digé par H. KARPP (coll. «( Traditio christiana fi), Delachaux et Nie'itlé, Neu-
châtel-Paris, 1970, pp. XXXIII-XXXIX. - Signalons en particulier les
articles: Péché. IV. Dans le Nouveau Testament, par S. LYONNET, dans DES,
t. 7, c. 486-509; Pénitence. V. Nouveau Testament, par J. GIBLET, dans DES,
t. 7, c. 671-687; «Théologie biblique du péché fi, par P. GRELOT, en son re-
cueil De la mort à la vie éternelle {f( Lectio divina >}, nO 67), Paris, 1971, pp. 13-
50. A propos de la thèse de H. THYEN, Studien zur SUndenvergebung im Neuen
70 EDOUARD GQTHENET

cherons davantage à des aspects qu'il a moins mis en lumière,


comme la transposition du Jubilé dans la prédication de Jésus,
l'enseignement de la première épître de Jean sur l'impeccabi-
lité du chrétien, le problème des péchés irrémissibles. Notre dette
à son égard n'en reste pas moins grande.
Pour cerner les contours de notre thème, un regard sur la
Concordance s'impose. Le mot &'PEO'LÇ figure 17 fois dans le N ou-
veau Testament; sur ces 17 cas, II comportent le complément
&fLocpnwv ce qui permet de conclure que l.i.'PEO'LÇ "fLocpnwv est une
expression technique, passée à ce titre dans le Credo apostolique.
Or elle n'apparaît fréquemment que dans les Synoptiques et
les Actes. Matthieu ne connaît qu'un seul emploi, à propos du
sang du Christ répandu pour la multitude (26,28); Marc nous
dit que Jean prêchait un baptême de conversion pour la rémis-
sion des péchés (1,4) et déclare que le péché contre l'Esprit Saint
est sans rémission (3,29). Dans Luc on relève 5 emplois de &'PEO'LÇ,
et autant dans les Actes: comme en Marc, Jean Baptiste prêche
un baptême de conversion pour la rémission des péchés (3,3).
Jésus proclame la rémission à Nazareth (4,18 bis), rémission qui
caractérise l'ère du salut (1,77). Le kérygme pascal comporte
l'annonce du pardon, lié au baptême, comme le fera le Credo
(Le 24,47; Ac 2,38; 5,31; 10,43; 13,38; 26,18). Par contre le terme
est très rare chez Paul: deux emplois seulement dans les épî-
tres de la Captivité (EP 1,7; Col 1,14) en parallèle avec rédemp-
tion (oc1toÀlhpwO'LÇ). En He 9,22 et 10,18, il est fait allusion au par-
don obtenu par les sacrifices de l'Ancien Testament.
Les observations que l'on peut faire sur les emplois du verbe
OC'P(1)fLL corroborent les précédentes. II est plus délicat d'établir
des statistiques, car le verbe est susceptible d'un très grand nom-
bre de sens. Ici ne peuvent entrer en ligne de compte que les
textes relatifs au pardon des péchés. Ils appartiennent aux Sy-
noptiques, au corpus johannique, non aux épitres de Paul '. Ces

Testament und seinen alttestamentlichen und jiidischen Voraussetzungen, coll.


Forsckungen z. Rel. u. Lit. des A. u. N.T., 96, Goettingue, 1970, on tiendra
compte des remarques critiques de J. MURPHy-O'CONNOR. dans Revue bibli-
que. 80 (1973), pp. 131 s.
2 Relevons les principaux emplois du verbe &!pE7Jj1.L avec (! péchés & pour
complément: Mt 6,12 (Pater, // Le). 14 et 15 (// Mc, Le); Mt 9,2.5,6 (le para-
Iytlquo. // Mc, Le); 12.31.32 (le blasphème remis ou non, // Mc, Le); 18,21
(pardonner au frère, Il Le), 27,32,35 (parabole de la remise des dettes); Le 7,
47,48.49 (la pécheresse pardonnée); Le 23,34 (Père, pardonne-leur); ln 20,
23; 1 ln 1,9: 2,12. On relève en ce sens un seul emploi chez Paul, en Rm 4,7
citan t Ps 32,1.
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 71

constatations de vocabulaire manifestent déjà que l'Apôtre a


développé le message primitif en élaborant une théologie de la
rédemption 3.
Malgré les risques que comporte une telle amputation, nous
laisserons de côté les textes de Paul, pour nous attacher aux
passages du Nouveau Testament qui emploient l'expression li'PE"'_
&:[L"'PT'C;;V. En réponse à l'attente du judaïsme, nous verrons com-
ment Jésus, puis les Apôtres proclament la Rémission. L'Eglise
se manifeste comme la sainte communauté des temps eschato-
logiques; comment ne serait-elle pas bouleversée par l'expérience
du péché en son propre sein? Le problème, à la fois pastoral et
théologique, qui naît de la contradiction entre la sainteté de
l'Eglise et la condition pécheresse de ses membres, nous l'éclai-
rerons par deux groupes de textes: la première épître de saint
Jean et les Synoptiques. Sans s'astreindre à un ordre chrono-
logique strict, ce plan voudrait manifester la perpétuelle actua-
lité des souvenirs évangéliques pour éclairer les problèmes con-
crets de la vie en Eglise.

1. L'ATTENTE DU PARDON DANS LE JUDAISME

Dans un article fort remarqué, J. Schmitt a montré jadis


comment le piétisme juif avait préparé la révélation du Nou-
veau Testament:
(1 Le judaïsme présente la justice individuelle et le règne

messianique comme les articles majeurs de son credo.


Fort de la réflexion prophétique et de l'expérience col-
lective, le mouvement piétiste, au contraire, professe
d'abord l'homme pécheur, puis reconsidère les dogmes
traditionnels à la lumière de ce thème en un sens nou-
veau. Puisque le "juste» même est comme abandonné
au Péché, sa justice n'est au mieux qu'un don à im-
plorer de Dieu. Du coup, le salut eschatologique prend
la valeur d'une purification radicale et universelle '} 4.

3 Excellente synthèse de S. LYONNET, « Conception paulinienne de 13


Rédemption », dans Lumière et Vie, nO 36 (1958). pp. 35-66. Voir aussi S. LYON-
NET, L. SABOURIN, Sin, Redemption and Sacrifice. A Biblical and Patrü;tic
Study, dans Analecta Biblica, nO 48, Rome, 1970.
4 J. SCHMITT, <t La révélation de l'homme pécheur dans le piétisme juif
et le Nouveau Testament &, dans Lumière et Vie, nO 21 (1955), p. 16 (13-34).
72 EDOUARD COTHENET

Deux textes, empruntés à la Règle de la Communauté de


Qumrân, nous introduiront dans cette atmosphère de lucidité
et d'espérance. Voici d'abord un fragment de la colonne IX:
« Et moi, je suis assimilé à l'homme d'impiété
et il l'assemblée charnelle de perversité.
Mes égarements, mes fautes, mon péché,
ainsi que la perversion de mon coeur,
m'assimilent à l'assemblée de la vermine
et de ceux qui marchent dans les ténèbres. ')
(I SQ, IX, 9-10; traduction P. Guilbert).
La période présente est caractérisée par le combat inces-
sant, au coeur même des justes, de l'Esprit de Vérité contre l'es-
prit d'iniquité. Avec quelle impatience on attend cette effusion
des eaux lustrales annoncée par EzéchieI! La finale de la Règle
des de1tx esprits en témoigne:
« Au temps de sa visite, Dieu détruira définitivement
(la perversité) et alors paraîtra pour toujours la fidé-
lité du monde... Alors Dieu purifiera par Sa fidélité
toutes les oeuvres de l'homme et Il rendra pur pour
Lui-même le corps de l'homme, en arrachant tout es-
prit de perversité des entrailles de sa chair, et en le
purifiant par l'esprit de sainteté de toutes les activités
impies. Il aspergera sur lui l'esprit de fidélité; comme
des eaux lustrales, pour ôter toutes les abominations
mensongères où il s'était vautré par l'esprit de souil-
lure ... ') (1 SQ IV, 19-22).
L'espérance dans la liquidation d'un trop lourd passé. et
la création d'un coeur nouveau n'est pas propre aux milieux
de Qumrân. C'est le bien commun du judaïsme qui attend la
réalisation des promesses des prophètes. Déjà Isaïe annonçait
qu'aux jours de l'Emmanuel on ne ferait plus de mal ni de ra-
vages sur toute la sainte montagne de Jérusalem, <, car le pays
est rempli de la connaissance de Yahvé, comme les eaux com-
blent la mer» ([s 11,9). De manière plus précise, Jérémie voit
dans le pardon des péchés l'acte inaugural de la nouvelle alliance:
<, Ils me connaîtront tous, des plus petits jusqu'aux plus grands,
- oracle de Yahvé, - parce que je vais pardonner leur crime
et ne plus me souvenir de leur péché» Ur 31,34).
Quelle que soit la forme sous laquelle on envisage les temps
du salut - et vous savez combien ces formes sont variées
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 73

on considère cet avenir comme une ère de sainteté, où la vo-


lonté de Dieu sera parfaitement observée par tous. Cet idéal,
on le trouve bien exprimé dans le Benedictus:
(, Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-
Haut, car tu marcheras par devant sous le regard du
Seigneur, pour préparer ses routes, pour donner à son
peuple la connaissance du salut par le pardon des péchés
(yvw,m a"'TIJP(OO; ... tv cl<pta", ''fL'''PT'WV ""hwv) 1) (Le 1,76 sv.).

II. LA PROCLAMATION DU JUBILÉ PAR JÉSUS

La prédication de Jean Baptiste dans le désert ne pouvait


que raviver l'espérance du salut eschatologique et son baptême
de conversion" pour la rémission des péchés» (Me 1,4 et Le 3,3)
faisait entrevoir comme tout proche le Jugement de Dieu '; il
s'agissait de se préparer à entrer dans le peuple messianique
par une conversion radicale.
C'est donc dans un climat d'attente très vive que Jésus
débute sa prédication. "Le temps est accompli et le Règne de
Dieu s'est approché: convertissez-vous et croyez à l'Evangile)
(Me 1,15). Contrairement à une présentation des choses fré-
quente chez les rabbins, Jésus ne fait pas dépendre l'intervention
de Dieu de la pénitence d'Israël', mais proclame comme un fait
l'irruption de la (3"""""", de Dieu en ce monde. A l'homme d'ac-
cueillir par la foi et la conversion l'offre de grâce qui vient
d'en-Haut.
A la place d'un bref sommaire comme celui de Marc, Luc
a voulu caractériser la première prédication de Jésus en nous
rapportant sa visite à Nazareth '. Scène charnière entre l'at-

:; Voir notre article Prophétisme dans le Nouveau Testament. II. Jean-


Baptiste, dans DBS, t. 8, c. 1233-1264.
6 J. BONSIRVEN cite ce propos de R. ELIÉZER: (! Si les Israélites font

pénitence, ils seront rachetés; sinon, ils ne seront pas rachetés» (art. Judaïsme,
dans DES. t. 4, c. 1238).
7 Bibliographie du sujet dans l'article de C. PERROT, (! Luc 4,16-30 et
la lecture biblique de l'ancienne Synagogue », dans Exégèse biblique et Ju-
daïsme, nO spécial de la Revue des Sciences Religieuses, 47 (1973), pp. 338-340.
74 EDOUARD COTHENET

tente de l'Ancien Testament et l'hodie de la prédication évan-


gélique. Jésus lit dans le rouleau d'Isaïe le passage suivant:
"L'Esprit du Seigneur est sur moi
parce qu'il m'a conféré l'onction
pour annoncer la bonne nouvelle aUx pauvres.
Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération
(ottXf'MWTOt, &<p€O"tv)
et aux aveugles le retour à la vue,
renvoyer les opprimés en liberté
(T€llp<xuO"f'évou, iv &<p.0""),
proclamer une année d'accueil par le Seigneur " (Le 4,18).

La traduction française n'attire pas notre attention comme


il le faudrait sur le mot &<poO"t,: pourtant il revient deux fois et
caractérise le passage. Dans la Septante, "<peO"t, s'emploie pour
l'affranchissement des esclaves en l'année du jubilé (Lv 25,10;
/r 34,8,15,17; Ez 46,17). Ce qui caractérise le jubilé, dans la lé-
gislation mosaïque, c'est son caractère de gratuité et d'univer-
salité; l'esclave est rendu libre, les terres reviennent à leur pre-
mier propriétaire, sans contrepartie. Tel est l'arrière-plan du
texte d'Isaïe que Jésus a choisi pour présenter son message '.
Pourtant, comme l'a justement remarqué J. Jeremias', Jésus
procède à une lecture sélective: s'il retient le caractère de gra-
tuité et de joie pour Israël, il passe sous silence la contrepartie
défavorable pour les nations: "jour de vengeance pour notre
Dieu! J) L'universalisme de l'Evangile pointe déjà, universalisme
que Jésus accentuera en évoquant la veuve de Sarepta au temps
d'Elie et Naaman le Syrien au temps d'Elisée. Si Dieu proclame

8 Le Livre des Jubilés est un bon exemple des spéculations qui s'atta-

chent cl l'esp~rance du grand Jubilé. Voir M. TESTUZ, Les idées religieuses


du Livre des Jubilés, Genève-Paris, 1960, pp. 138-140; A. JAUBERT, La no-
l,ion d'Alliance dans le Judaïsme aux abords de l'ère chrétienne, Paris, 1963.
pp. 89-115. - La publication d'un texte de Qumrân relatif à Melchisédech
annonciateur de l'année jubilaire d'Is 61,1-2 apporte un nouvel argument
à notre thèse {voir M. de ] ONGE et A.S. van der WOUDE, (l Il Q Melch. and
the New Testament 1), dans New Testament Studies, 12 (1965-66), pp. 301-
326 et J. CARMIGNAC, «Le document de Qumrân sur Melkisédeq~, dans Re-
VH' d. Qumrdn. 7 (1970), pp. 342-378.
Il Jésus et les païens, traduction française (Cahiers théologiques, nO 39),

Neuchâtel-Paris, 1956. pp. 39-41.


SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 7S

le grand pardon, c'est pour tous; accepter cette universalité de


la grâce, c'est la première condition pour en bénéficier.
Il nous fandrait analyser sous cet angle maintes scènes de
l'Evangile. Pensons aux efforts du père de famille pour décider
son aîné â entrer dans la salle du festin, ou aux reproches du
maître de la vigne aux ouvriers de la première heure: « Ton oeil
est-il mauvais parce que je suis bon? ,) (Mt 20,15).
Dans tout le ministère galiléen de Jésus résonne l' hodie de
la grâce et du pardon, sans qu'aucune autre condition n'appa-
raisse que la foi au message de salut apporté par Jésus. Même
dans l'épisode de la pécheresse pardonnée (Le 7,36-50), on ne sau-
rait dire que l'amour est condition de pardon. Malgré la diffi-
culté de la construction, la parabole des deux débiteurs impose
de traduire le verset 47 de la façon suivante: « Si je te déclare
que ses péchés si nombreux ont été pardonnés, c'est parce qu'elle
a montré beaucoup d'amour» (TOB). Comme le dit justement
E. Charpentier 10, «l'amour est la conséquence et le signe du
pardon ».
A partir de la confession de Pierre à Césarée se dessinent
de nouvelles perspectives. La dette du péché doit être acquit-
tée; librement le Fils de l'Homme donnera sa vie en rançon (M~­
pov) pour la multitude (Me 10,45). A la Cène, l'annonce devient
réalité; la coupe de la nouvelle alliance n'est autre que le sang
répandu pour la multitude, et, &'l'.,,,v &fL"'p~LWV, selon la préci-
sion apportée par Mattlùeu. Une comparaison avec le second
évangile s'impose; Marc n'avait pas craint de donner pour fina-
lité au baptême de Jean le « pardon des péchés ,). Théologien
soucieux de la précision des termes, Matthieu ne reprend pas
cette formule, mais il se borne à parler d'un baptême de con-
version. La rémission des péchés, en effet, n'est obtenue que-oC.
par le sang du Christ. Les perspectives de la rénovation de l'al-
liance du Sinaï se combinent ainsi avec celles de Jérémie 31 sur
le pardon des péchés et d'Isaïe 53 sur le sacrifice du Serviteur.

1(1 E. CHARPENTIER, (l Le Prophète ami des pécheurs (Le 7,36-8,3)),


dans Assemblées du Seigneur, N.S. nO 42 (1970), pp. 80-94 (citation de la p. 90).
- Sur le thème de la miséricorde de Dieu pour ses débiteurs, voir J. JERE-
MIAS, Les Paraboles de Jésus, traduction française, Le Puy-Lyon-Paris, 1966,
pp. 127-149.
76 EDOUARD COTHENET

III. L'ÉGLISE COMME LA SAINTE COMMUNAUTÉ


DU SALUT

L'invitation à la conversion pour obtenir le pardon des pé-


chés tient une place essentielle dans le kérygme pascal, comme
on peut le constater par les textes de saint Luc. Citons les der-
nières consignes que le Ressuscité donne aux Onze:
(, Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les
Ecritures et il leur dit: « C'est comme il a été écrit: le
Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième
jour, et on prêchera en son nom la conversion et le par-
don des péchés à toutes les nations, à commencer par
Jérusalem. C'est vous qui en êtes les témoins 1) (Lc 24,
45-48) ".
Luc utilise deux verbes différents dont il importe de pré-
ciser la nuance propre: ILE't'C(VOe'i:V, changer d'esprit, se repentir,
et è1tLcr't'?é~ELV, se tourner vers, se convertir 12. Il ne suffit pas
pour l'homme d'éprouver devant ses méfaits une tristesse psy-
chologique, ni même un repentir moral; il n'y a conversion que
si, dans la foi, le pécheur se tourne vers le Dieu Vivant. C'est
sur ce point que s'établit le lien entre message pascal et appel
à la conversion. La résurrection du Christ n'est-elle pas le grand
signe de l'intervention de Dieu dans le monde et l'annonce du
jugement? Il s'agit donc de se tourner vers Celui qui a établi
Jésus comme Seigneur et Christ (Ac 2,36), Prince et Sauveur
(Ac 5,31), et de recevoir en son Nom les fruits de l'Alliance (cf. Jr
31,34). La foi, comme condition pour la rémission des péchés,
est mise en un vif relief (Ac 10,43; 13,38; 26,18); elle s'exprime
liturgiquement dans le baptême auquel Pierre convie les pre-
miers convertis (Ac 2,38,41). Les discours missionnaires des Actes
n'insistent pas sur le rôle salvifique de la mort du Christ, à la
différence de l'antique confession de foi citée par Paul en 1 Co
15,3-4. Devant un auditoire juif en effet, la croix apparaît bien

Il Sur ce texte voir A. GEORGE, «Les récits d'apparition aux Onze à


partir de Luc 24,36-53 », dans La Résurrection du Christ et l'exégèse moderne
({t Lectio divina ), nO 50), Le Cerf, Paris, 1969, pp. 75-104, spécialement pp.
96 S., 100.
12 J. DUPONT, (t Repentir et Conversion d'après les Actes des Apôtres »,

dans Etudes sur les Actes {(t Lectio divina ), nO 45), Le Cerf, Paris, 1967.
pp. 421·457.
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 77

plutôt comme un « scandale» qu'il faut surmonter en recourant


à la {< nécessité >, des Ecritures. Le kérygme est donc centré sur
la résurrection comme inauguration de )' ère du salut définitif.
Dans ce climat, il ne saurait être question d'une paeniten-
tia secunda. La communauté primitive se fait une trop haute
idée de sa vocation à la sainteté pour envisager la défaillance
grave de ses membres. Comme l'a montré Mgr Cerfaux dans son
beau livre La théologie de l'Eglise suivant saint Paul, les textes
de l'Ancien Testament nourrissent la première réflexion ecclé-
siologique. Les chrétiens de Jérusalem forment la {< sainte as-
semblée du Seigneur >, (Dt 4,9-13; 9,10; 23,1-9; Ac 7,38). Une
différence capitale intervient: la première histoire s'était soldée
par un lourd échec, comme le constatera saint Paul dans le dé-
veloppement typologique de 1 Co 10,1-13. Mais maintenant l'E-
glise a reçu l'Esprit de Dieu, cet Esprit, marque des temps du
salut, qui doit permettre de marcher fidèlement dans les voies
du Seigneur (Ez 36,27).
L'exhortation «Soyez saints, parce que moi je suis saint"
constituerait, selon Selwyn 13, le leitmotiv du plus ancien caté-
chisme chrétien (cf. 1 P 1,16; 1 Th 4,3 sv.; Ac 15,29). Le titre
de saints que saint Paul donnera aux fidèles dans l'adresse de
ses lettres se rattache à cette conception de l'Eglise comme la
«sainte communauté" (LXX: xÀ"I)TIJ &YL"': Ex 12,16; Lv 23,2-44
[9 fois]; Nb 28,25).

La m<se à l'épreuve de l'Esprit Saint


Dans une communauté fervente et encore peu nombreuse,
la première expérience du péché grave ne pouvait que produire
une émotion durable. Nous la ressentons encore en lisant l'his-
toire d'Ananie et Saphire, dont Ph.-H. Menoud a fait ressortir
l'étrangeté:
{<L'épisode surpren d par sa dureté théologique: la mort
des deux coupables, foudroyés par la parole aposto-
lique, sans qu'une possibilité de repentir et de répara-
tion leur soit offerte. La question que Pierre pose à
Saphire, au verset 8, n'est pas la main tendue à un pé-
cheur pour le relever; c'est le piège du policier qui veut

13 E.G. SELWYN, The first Epistle of St. Peter, Londres, 1946, pp. 369-375.
78 EDOUARD CO THE NET

confondre le malfaiteur. En tout cas, Pierre n'agit pas


à la manière de Jésus (cf. Mt 18,15-17; Le 17,3), ni selon
la pratique habituelle de l'Eglise primitive, comme le
prouvent les parénèses des épîtres néotestamentaires'} 14.

Malgré certaines exagérations, J. Schmitt 15 a orienté l'exé-


gèse sur la bonne voie en relevant les parallèles d'Ac 5 avec plu-
sieurs textes de Qumrân, et en essayant de déceler le motif qui
commanda la transmission du récit. La phrase-clef est certaine-
ment la suivante: « Ananie, pourquoi Satan a-t-il rempli ton
coeur? Tu as menti à l'Esprit Saint)} (Ac 5,4). On la complè-
tera par les reproches adressés à Saphire: « Comment avez-vous
pu vous mettre d'accord pour provoquer l'Esprit du Seigneur? I)
(1tôtpcfO"oc, Tb 7tv<üfLOC Kup(ou) (Ac 5,9). Nous nous mouvons dans
le monde du dualisme moral, tel qu'i! apparaît dans la Règle des
deux esprits (1 QS III-lV-V). Il n'y a pas de position neutre;
l'homme vit sous la dépendance du Prince des ténèbres ou de
l'Esprit de vérité. La faute des deux époux n'est donc pas d'ordre
économique, puisque, à la différence de Qumrân, le partage des
biens restait facultatif dans la communauté de Jérusalem, elle
est d'ordre théologique. C'est de la part d'Ananie et Saphire
une provocation de Dieu, une mise à l'épreuve de l'Esprit pour
voir s'i! est présent ou non dans la communauté, et spéciale-
ment dans la personne de ses chefs. On pense au blasphème contre
l'Esprit Saint, le seul des péchés irrémissibles, comme nous le
préciserons par la suite.
La sentence de Pierre peut être comparée à l'attitude de
Paul face à l'incestueux de Corinthe:
« Pour moi, absent de corps mais présent d'esprit, j'ai
déjà jugé comme si j'étais présent celui qui a commis
une telle action: au nom du Seigneur Jésus, et avec

14 Ph.-H. MENOUD, «( La mort d'Ananias et de Saphira (Actes 5,1-11) »,


dans Aux sources de la Tradition chrétienne (Mélanges M. Gaguel), Delachaux
et Niestlé, Neuchâtel-Paris. 1950, pp. 146-154 (texte cité p. 147). Précisons
que nous ne prenons pas à notre compte les explications de Menoud sur la
genèse du récit.
15 J. SCH!lUTT, «( Contribution à l'étude de la discipline pénitentielle dans

l'Eglise primitive à la lumière des textes de Qumrân l), dans Les manuscrits
de la lIJer Morte (Colloque de Strasbourg, 1955), P.U.F., Paris, 1957, pp. 93-109,
spécialement 100-107.
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 79

son pouvoir, lors d'une assemblée où je serai spirituel-


lement parmi vous, qu'un tel homme soit livré à Satan
pour la destruction de sa chair, afin que l'esprit soit
sauvé au jour du Seigneur» (1 Co 5,3-5).

Dans sa rédaction à forme paradigmatique, le récit des Actes


ne se propose pas de nous renseigner sur le sort éternel des deux
époux, mais il nous donne une leçon analogue à celle que Paul
tire des événements de l'exode: "Ne tentons pas non plus le Sei-
gneur, comme le firent certains d'entre eux; des serpents les fi-
rent périr. .. I) (1 Co 10,9). En mentionnant à deux reprises la
crainte qui saisit toute l'Eglise (Ac 5,5, Il), saint Luc semble
faire allusion à ce passage du Deutéronome qui décrète la mort
de quiconque cherchera à détourner le peuple du culte du vrai
Dieu: «Toute l'assemblée, en apprenant le punition du pécheur,
sera saisie de crainte et cessera de faire ce qui Est mal aux yeux
de Yahvé» (Dt 13,12). Etre exclu de la communauté sainte, c'est
une véritable sentence de mort, car le pécheur se trouve livré
sans défense aux atteintes de Satan.
Malgré les efforts d'un B. Poschmann 16 pour atténuer la
portée des textes, on ne saurait nier l'existence d'un courant
rigoriste dans la communauté primitive. L'influence de Qumrân
a pu jouer latéralement, comme invite à le penser un texte de
Paul étonnamment proche du vocabulaire qumlânien (2 Co 6,
14-18) ". De façon plus directe, il faut rattacher cette rigueur
à la conviction que les temps du salut sont marqués par une sain-
teté sans défaillances, selon les promesses des prophètes. De
cette conception, nous allons trouver une autre illustration dans
la première Epître de Jean; en même temps s'y manifeste une
attention plus éveillée sur la fragilité de l'être chrétien.

16 B. POSCH:-'fANN, Pénitence et onction des malades, traduction fran-

çaise (coll. «( Histoire des dogmes ~), Le Cerf, Paris, 1966.


17 J.A. FITZr-.IYER, «Qum.rân and the interpolated paragraph in 2 Cor.

6,14-7,1», dans Catholic Biblical Quarterly, 23 (1961), pp. 271-280; J. GNILKA,


(12 I(or 6:14-7:1 im Lichte der Qumranschriften und der Zwolf-Patriarchen-
Testamente ), dans Neutestamentliche Aulsiitze (Fcstschrift J. Schmid), Re-
gensburg, 1963, pp. 86-99; J.-F. COLLANGE, Enigmes de la 2 e EpUre de Paul
aux Corinthiens. Etude exégétique de 2 Cor. 2,14-7,4 (Society for NTS. Mo-
nograph Series 18), Cambridge US, 1972, pp. 302-317.
80 EDOUARD COTHENET

IV. IMPECCABILITÉ DU CHRÉTIEN ET CONFESSION


DES PÉCHÉS D'APRÈS LA PREMIÈRE DE JEAN

Comment les lecteurs de 1 Jean ne seraient-ils pas dérou-


tés par une apparente contradiction? D'une part Jean proclame
que «quiconque est né de Dieu ne commet plus le péché, parce
que sa semence demeure en lui; il ne peut plus pécher parce qu'il
est né de Dieu J) (3,9). D'autre part l'apôtre s'en prend avec vi-
gueur à ceux qui se croient au-delà du bien et du mal: (l Si nous
disons: Nous n'avons pas de péché, nous nous égarons et la vé-
rité n'est pas en nous J) (1,8 sv.). En même temps Jean établit
une distinction assez subtile entre le péché (&:fl~pT[ot) et l'iniquité
(&vofl[ot) (3,4).
R. Schnackenburg 18 et I. de la Potterie 19 se sont attachés
à éclairer le langage johannique par les catégories du dualisme
moral, tel qu'il apparaît en particulier, mais non exclusivement,
à Qumrân. Dans le plein midi d'Orient, la couleur est mangée
par la lumière; il ne reste en présence que le blanc et le noir. Ainsi
dans le monde moral où, à la vérité éblouissante, s'oppose la
noirceur des ténèbres.
Tout autant que Paul, mais avec un autre langage, Jean
constate l'universalité du péché avant la venue du Christ: «Le
monde tout entier gît sous l'empire du Mauvais 1) (1 Jn 5,19).
Au pessimisme de cette formule qui semble faire du ,,6crfloÇ un
objet de malédiction s'oppose la confession de foi suivante:
« Il est, Lui, victime d'expiation (lÀotcrfl6ç) pour nos pé-
chés; et pas seulement pour les nôtres, mais encore
pour ceux du monde entier J) (2,2).
Pour les adversaires de Jean, le salut consiste dans la yvwcr<.r;,
la révélation. Pour un homme découvrir qu'il est né de Dieu,
qu'il porte une étincelle du 7tv."flot divin en lui-même, c'est l'as-
surance infaillible de son élection. Qu'importe alors le concret
de l'existence, la vérité de l'amour fraternel (1,6; 2, Il, etc.)?
Celui qui est né de Dieu est au-delà de la sphère du bien et du mal.

18 R. SCHNACKENBURG, Die J ohannesbriefe (Herders theologischer I{om-


mentar zum Neuen Testament), 2 e éd., 1963.
19 I. de la POTTE RIE, «Le péché, c'est l'iniquité (1 Jn 3,4) », dans La

vie selon l'Esprit, condition du chrétien (coll. (l Unam Sanctam 1), nO 35), Le
Cerf, Paris, 1965, pp. 65-83; et « L'impeccabilité du chrétien d'après 1 Jean
3.6-9,. ibid., pp. 197-216.
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 81

Pour les besoins de la controverse, Jean ne va pas au plus


court en niant purement et simplement l'impeccabilité du chré-
tien. Il la maintient, mais lui donne un autre contenu que les
faux docteurs. Dans la ligne de la théologie de l'alliance, Jean
enseigne que l'intervention de Dieu dans la vie du baptisé ap-
pelle une vigilance de tous les instants et une humilité profonde.
Une section, bien délimitée par deux formules qui consti-
tuent une inclusion (2,29 et 3,10: pratiquer la justice) 2., traite
de ce thème:
«( Puisque vous savez qu'il est juste, reconnaissez que
quiconque pratique lui aussi la justice est né de lui. ..
Quiconque commet le péché commet aussi l'iniquité; car
le péché, c'est l'iniquité.
Quiconque est né de Dieu ne commet plus le péché,
parce que sa semence (OïtÉpl-'-tX tXu"wü) demeure en lui;
et il ne peut plus pécher, parce qu'il est né de Dieu 1)
(2,29; 3,4,9).
Le contexte est celui de la lutte décisive entre le Diable,
pécheur dès l'origine (3,8) et Dieu, lutte qui atteint son paro-
xysme au moment de l'avènement du salut. A la différence du
péché (OqJ.<XpTt<x) qui peut désigner un acte isolé, Jean voit dans
l'iniquité (&vof'["') non la transgression quelconque d'un comman-
dement, mais «l'état d'hostilité eschatologique contre le royaume
messianique, contre le Christ 1) 21. L'apparition des faux prophè-
tes, dénoncés comme des antichrists, est le signe que la dernière
heure est venue (2,18). Eschatologie réalisée, tel est bien le terme
qui convient pour cette théologie de Jean. L'apôtre ne détourne
pas son regard du présent pour se soustraire aux difficultés actuel-
les en imaginant un futur merveilleux, mais il a une foi assez
vive pour saisir dans l'épaisseur du présent le reflet de la Lu-
mière éternelle. C'est ainsi que le chrétien qui, au baptême, s'est
prononcé pour Jésus le Juste échappe à la puissance de mort
et est inséré dans le circuit de la vie divine: «Quiconque est né
de Dieu ne commet plus le péché ». Pareille proclamation ne sau-
rait engendrer l'orgueil du croyant: tout à l'opposé du phari-

20 P. GALTIER, (1 Le chrétien impeccable 1>, dans Mélanges de sciences


religieuses, 4 (l947), pp. 143 s.; 1. de la POTTE RIE, (1 Le péché, c'est l'iniqui-
té )), art. cit., p. 74.
21 1. de la POTTERIE, (! Le péché, c'est l'iniquité 1>, art. cit., pp. 74-80.
82 EDOUARD COTHENET

sien qui cherche par ses multiples observances à gravir les éche-
lons de la sainteté, le disciple du Christ puise justice et sainteté
auprès du seul Juste et du seul Saint (1,9; cf. 5,18). Seul le (17ttpf'O<
divin, demeurant dans le croyant, assure sa préservation (3,9).
S'agit-il de l'Esprit Saint dont l'action est comparée par ail-
leurs à une onction pénétrante, ou de la Parole de Dieu? La com-
paraison avec la parabole synoptique du semeur et avec des textes
johanniques comme ln 6,45, favorise cette seconde explication ".
De toute façon, c'est une vue mystique de la foi qui sous-tend la
conception johannique de l'impeccabilité du chrétien. A chacun
de nous de reprendre conscience de sa dignité surnaturelle: « Vo-
yez de quel amour le Père nous a fait don, que nous soyons ap-
pelés enfants de Dieu; et nous le sommes!» (3,1). Il faut donc
demeurer dans l'alliance nouvelle de la grâce et de la réconci-
liation, se laisser guider et instruire par la Parole divine (ln 6,45).
Alors, mais alors seulement, le chrétien est préservé de l'ini-
quité (&vof'("')'
L'apôtre n'est pas inconscient des faiblesses inhérentes à
toute vie humaine. Face à la suffisance gnostique, il invite les
fidèles à reconnaître leurs manquements de chaque jour:
{( Si nous disons: 'Nous n'avons pas de péché', nous
nous égarons nous-mêmes et la vérité n'est pas en nous.
Si nous confessons (6f'OÀOYWf'EV) nos péchés, fidèle et juste
comme il est, il nous pardonnera nos péchés, et nous
purifiera de toute injustice» (1,8-9).
Une étude complète exigerait la comparaison avec les priè-
res juives de pénitence 23. Qu'il nous suffise de montrer com-
ment l'emploi du verbe 6f'oÀOYEi:v et de son composé ël;of'oÀQyii:v
s'explique par l'usage de la Septante. Classiquement of'oÀoy.Cv 24
signifie déclarer publiquement; il est donc très normal que le
verbe introduise des formules de confession de foi (1 ln 2,23;
4,2,3,15; 2 ln 7) 25. Par contre l'extension de la racine pour des

32 1. de la POTTERIE, « L'impeccabilité du chrétien ... tI, art. cit., pp. 209 s.


23 Analyse des principaux textes par L. LIGIER, Péché d'Adam et péché
du monde (coll. «Théologie », nO 48), Aubier, Paris, 1961, t. II, pp. 212-244
et par M. ARRANZ, «La liturgie pénitentielle juive après la destruction du
Temple 1), dans ce même volume, pp. 39-55.
24 Article olloÀoytw par O. MICHEL, dans Theologisches Warterbuck zum
Neuen Testament, t. V, pp. 199-220,
25 On notera la construction prégnante: « confesser le Christ» en Jn 9.
22; 12,42.
SAINTETÉ DE L'llGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 83

emplois aussi divers que « louer Dieu )}, « confesser ses péchés»
ne s'explique que par le substrat hébreu, le verbe yadah signi-
fiant au qal confesser (sa faute) et au hiphil louer (Dieu). Le
procédé des Septante, faisant correspondre à un même verbe
hébreu, quel que soit le sens, un même verbe grec, serait-il
totalement arbitraire? En réalité une étude attentive des em-
plois nous introduit à l'une des caractéristiques de la prière juive:
la confession des péchés est incorporée à la louange de Dieu, car
le pécheur qui reconnaît ses fautes proclame du même coup que
Dieu est juste ". A titre d'exemple, nous citerons la grande sup-
plication de Néhémie qui débute par la bénédiction du Dieu de
l'Alliance et se poursuit par une confession collective des fautes
de la nation:
{( Béni sois-tu, Yahvé notre Dieu,
d'éternité en éternité!
Et qu'on bénisse ton Nom de Gloire
qui excède toute bénédiction et louange!. ..
Mais nos pères s'enorgueillirent,
ils raidirent la nuque, ils n'obéirent pas à tes ordres ...
Et maintenant, ô notre Dieu,
toi le Dieu grand, puissant et redoutable,
qui maintiens l'alliance et la bonté,
ne tiens pas pour rien tout cet accablement ... »
(Ne 9,5,16,32).
Formée dans l'ambiance de la synagogue, la liturgie chré-
tienne a repris le style de ces formules; de là on peut conclure
que la confession des péchés ne représente pas un aveu indivi-
duel, mais une déclaration commune de pénitence. La motiva-
tion est changée par contre; les Juifs en appellent à l'Alliance
du Sinaï, les chrétiens se réclament d'un Intercesseur suprême,
le Christ:
(. Si quelqu'un vient à pécher, nous avons un paraclet
devant le Père, Jésus Christ, qui est juste; car il est,
lui, victime d'expiation ([À~"f'6ç) pour nos péchés; et
pas seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux
du monde entier» (1 Jn 2,1-2).

\l8 G. EORNKAMM, «Lobpreis, Bekenntnis und Opfer &. dans ApoPhoreta


(Festschrüt filr E. Haenchen), Berlin, 1964, pp. 46-63; R.]. LEDOGAR, Acknow-
ledgment, Praise-vcrbs in the carly Greek A naPhora, Rome, 1968.
84 EDOUARD COTHENET

La confiance donc domine, et l'action de grâces; non pas


confiance aveugle de celui qui se masque à lui même ses défail-
lances (cf. 1,8), mais confiance établie sur la fidélité de Dieu en
son Alliance, telle qu'elle nous est révélée en Jésus Christ. Ci-
tons ce beau développement:
« Mes petits enfants, n'aimons pas en paroles et de lan-
gue, mais en actes et dans la vérité; à cela nous recon-
naîtrons que nous sommes de la vérité, et devant lui
nous apaiserons notre coeur. Car, si notre coeur nous
accuse, Dieu est Plus grand q"e notre co."r et il discerne
tout)} (1 Jn 3,18-20).
Ce passage est très important pour montrer que saint Jean
ne se place pas dans la ligne psychologique de l'introspection
scrupuleuse, de la tristesse devant ses fautes, mais dans la ligne
théologique de la fidélité à l'Alliance. L'amour effectif des frères
est un signe que l'on vit sous la mouvance du Christ. Certes le
chrétien n'en tire pas motif de gloire; il se sait exposé à de mul-
tiples défaillances, mais il retrouve la paix dans l'assemblée li-
turgique où s'exerce souverainement l'intercession du Paraclet,
Jésus Christ le Juste.
Dans le même sens, un texte de Jacques souligne la valeur
communautaire de la pénitence et du pardon:
{( Confessez-vous donc vos péchés les uns aux autres et
priez les uns pour les autres afin d'être guéris. La re-
quête d'un juste agit avec beaucoup de force)} (]c 5,16) 27.
En plus de la prière liturgique, Jean prévoit l'intervention
individuelle d'un chrétien auprès de son frère:
« Si quelqu'un voit son frère commettre un péché, un
péché qui ne conduit pas à la mort, qu'il prie et Dieu
lui donnera la vie, si vraiment le péché commis ne con-
duit pas à la mort. Il existe un péché qui conduit à
la mort; ce n'est pas à propos de celui-là que je dis de
prier,) (1 Jn 5,16).
Unique dans le Nouveau Testament, l'expression « péché qui
conduit à la mort)} semble faire écho à la distinction établie par

27 Avec F. l\IussNER, Der Jakobusbriej (Herders theologischer Kommen-


tar zum Neuen Testament). 2e éd., 1967, on admettra que ce v. 16 n'est pas
rattaché directement aux vv. précédents traitant de l'onction des malades.
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 85

l'Ancien Testament entre les péchés commis par inadvertance


(par exemple Lv 4,2 sv.; Nb 15,22 sv.) et les péchés commis de
propos délibéré:
«Celui qui agit délibérément (mot-à-mot: à main éle-
vée), qu'il soit citoyen ou étranger, c'est Yahvé qu'il
outrage. Un tel individu sera retranché du milieu de
son peuple; il a méprisé la parole de Yahvé et enfreint
son commandement. Cet individu devra être supprimé,
sa faute fait corps avec lui» (Nb 15,30).

Bien que Jean n'explicite pas sa pensée sur le sujet, on peut


déduire du contexte d'ensemble que le péché contre la mort est
celui des faux docteurs qui détoument la communauté de la
«parole reçue dès le commencement ». Selon 1 Jn 2,18 sv., les
choses se sont clarifiées non par un verdict de la communauté,
mais par la décision des «antichrists» de sortir eux-mêmes de
l'Eglise:
«C'est de chez nous qu'ils sont sortis, mais ils n'étaient
pas des nôtres. S'ils avaient été des nôtres, ils seraient
demeurés chez nous. Mais il fallait que fût manifesté
que tous, tant qu'ils sont, ils ne sont pas des nôtres 1)
(1 Jn 2,19).
Dans ces conditions, ils échappent au pouv oir d'interces-
sion de l'Eglise, car ils sont sortis de la sphère de grâce et de par-
don. Inutile donc de prier pour eux!
Derrière cette situation se profile la sinistre silhouette de
Judas, telle que Jean l'a dépeinte. Judas, non pas tant le traître
qui cède à l'appât de l'argent, mais le croyant qui ne peut ac-
cepter la manière déroutante dont se révèle le Saint de Dieu.
N'est-ce pas le sens de cette finale du discours sur le pain de vie?
A l'éloignement des disciples, s'oppose la profession de foi de
Pierre, et pourtant le Maître ajoute:
«( N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze?
et cependant l'un de vous est un diable! 1) (ln 6,70).
Fils de perdition (17,12), Judas appartient au monde pour
lequel le Christ ne prie pas (17,9). L'universalité de la prière et
de la grâce ne rencontre d'autres limites que celles que le pé-
cheur établit lui-même, en se coupant délibérément de la source
du salut et en s'enfonçant dans les ténèbres diaboliques.
86 EDOUARD COTHENET

V. LA RELECTURE DES SOUVENIRS ÉVANGÉLIQUES

Bien avant la rédaction des Epîtres catholiques, l'Eglise


naissante avait cherché dans le trésor des souvenirs évangéliques
la lumière nécessaire pour orienter sa praxis vis-à-vis de ses mem-
bres pécheurs. En dépit de certaines exagérations, les études
menées d'abord selon l'optique de la Formgesehiehte, actuelle-
ment selon celle de la Redaktionsgesehiehte, contribuent à nous
faire saisir sur le vif ce lent travail de relecture et d'adaptation
de la tradition évangélique. Délibérément, nous nous bornerons
à relever quelques cas typiques pour notre sujet; ce sera l'invi-
tation à poursuivre l'enquête sur d'autres péricopes.

1) Le paralytique pardonné et guéri (Mt 9,1-8; Mc 2,1-12; Le 5,17-25)


Cette péricope où se mêlent un récit de miracle et une con-
troverse 28 a fait l'objet d'un grand nombre d'études. Pour notre
sujet, il suffit de remarquer la différence d'orientation entre le
texte actuel de Marc et celui de Matthieu. Le premier est centré
sur le pouvoir donné par Dieu au Fils de l'homme:
(, Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a auto-
rité pour pardonner les péchés sur la terre, il dit au
paralysé: 'Jete le dis, lève-toi, prends ton brancard
et va dans ta maison'» (Mc 2,10-11).
En finale, le choeur des assistants dégage la leçon du mi-
racle. Bouleversés, ils rendent gloire 't Dieu en disant: «Nous
n'avons jamais rien vu de pareil!)}
La pointe de Matthieu est différente. Alors que dans Marc
l'admiration porte sur le fait que, par anticipation, le Fils de
l'homme exerce sur terre le jugement en grâciant les coupables,
dans Matthieu le regard s'élargit: les foules rendent gloire à Dieu
«qui a donné une telle autorité aux hommes» (9,8). On ne sau-
rait attribuer à un lapsus ce pluriel; Matthieu emploie les mots
à bon escient. Dans sa narration, il veut manifester la conti-
nuation de l'activité salvifique du Christ dans son Eglise. J. Du-

28 Outre les commentaires, on consultera A. FEUILLET, «L' 'Eçoualoc du


Fils de l'Homme », dans Recherches de Science religieuse, 42 (1954). pp. 161-
192; J. DUPONT, (1 Le paralytique pardonné», dans Nouvelle Revue Théologi-
que, 82 (1960), pp. 940-958; J. MURPHV-O'CONNOR, (! Péché et Communauté ... 0 ,
dans Revue Biblique, 74 (1967), pp. 181-186.
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 87

pont a bien dégagé le sens de l'épisode, tel que Matthieu nous


le présente:
« Sa manière de décrire la réaction de la foule juive
veut suggérer à la communauté chrétienne l'action de
grâces qu'elle doit rendre à Dieu pour le pouvoir qui,
départi à Jésus en sa qualité de Fils de l'homme, reste
présent dans l'Eglise par les hommes auxquels Jésus
a communiqué ce pouvoir) 29.
A ce stade, nous ne saurions dire comment s'exerce concrè-
tement le pardon dans l'Eglise. Des auteurs ont commenté ce
texte en l'appliquant à l'institution pénitentielle. Dans l'optique
primitive, il s'agit d'abord de la rémission des péchés obtenue
par le baptême (cf. Ac 2,38).

2) Un Péché irrémissible: le blasPhème contre l'Esprit Saint


L'histoire de la Pénitence montre qu'il y eut des hésitations
sur l'étendue du pouvoir des clefs: certains péchés ne seraient-ils
pas irrémissibles? En réalité, les divers textes du Nouveau Tes-
tament qu'on peut alléguer en ce sens concernent le seul « blas-
phème contre l'Esprit Saint >>:
« Si quelqu'un blasphème contre l'Esprit Saint, il reste
sans pardon à jamais: il est coupable de péché pour
toujours)} (Mc 3,29).
Il est donc important, pour notre sujet, de voir quelle lu-
mière une exégèse, attentive à l'arrière-plan vétéro-testamentaire
et juif du texte, peut apporter sur une parole que saint Augus-
tin jugeait l'une des plus difficiles de l'Ecriture ".
Dans les Synoptiques, cette parole énigmatique a de so-
lides attaches avec une controverse Sur les exorcismes de Jésus.
Les scribes ne nient pas le fait lui-même, mais ils en donnent
une interprétation sinistre: « C'est par le chef des démons qu'il
chasse les démons >, (Mc 3,22). Comme l'a bien montré E. Lo-
vestam 31, les termes de la controverse rappellent l'opposition
entre les magiciens d'Egypte et Moïse. Vaincus, les premiers

29 J. DUPONT, art. cit., pp. 952 s.


30 (!Forte in omnibus sanctis Scripturis nulla major quae.stio, nulla diffi-
cilior inve.nitur!) (Sermo LXXI, 5).
31 E. LÔVESTAM, Spiritus Blasphe.mia. Eine Studie. zu Mk 3,28/ par. Mt
12,31/, Lk 12,10 (Scripta minora), Lund, 1968.
88 EDOUARD COTHENET

doivent avouer que (< le doigt de Dieu est là » (Ex 8,15; cf. Le
Il,20). Pharaon au contraire endurcit son coeur et refuse de
reconnaître J'intervention de Dieu en faveur de son peuple.
Dans ce même contexte de r exode reviennent les expres-
sions (< tenter Dieu », «contester >), «( contrister l'Esprit Saint)}
(Is 63,10). Toujours il s'agit de l'attitude des Israélites qui se
refusent à reconnaître l'action de Yahvé en leur faveur et exi-
gent de nouveaux signes. Incrédule, la génération de l'exode
mourra dans le désert, avant d'atteindre la Terre de la promesse.
Messager du salut eschatologique, Jésus voit se renouveler
sous ses yeux une situation analogue, aussi Iance-t-il à ses con-
tradicteurs un pathétique avertissement. Pourtant il commence
par une déclaration d'indulgence inouïe:
{< En vérité, je vous déclare que tout sera pardonné
aux fils des hommes, les péchés et les blasphèmes, aussi
nombreux qu'ils en auront proférés» (Mc 3,28).
Déclaration insolite, si J'on songe qu'en Israël le blasphème
est le péché le plus grave, sanctionné de la peine de mort. Or
Jésus annonce, même pour cette faute, le pardon du jubilé.
«Mais si quelqu'un blasphème contre l'Esprit Saint, il
reste sans pardon à jamais: il est coupable de péché
pour toujours» (Mc 3,29).
Quoi qu'on puisse penser à première lecture, il n'y a pas
de contradiction entre ces deux paroles. Selon le langage bibli-
que, l'Esprit est la Force de Dieu en action, l'intervention sou-
veraine en vue du salut. Qui se refuse à la reconnaître, comme
le fit la génération {< adultère et pécheresse» du désert, s'exclut
par là même du pardon et de la grâce. Le caractère irrémissible
de ce péché ne vient donc pas, selon Marc, de Dieu lui-même,
mais de l'homme.
La tradition synoptique nous a conservé d'autres v~rsions
de cette controverse (Mt 12,22-32; Le 11,14-23; 12,10)./ Nous
nous limiterons à l'étude de Le 12,10 où apparaît au 'Pieux la
réinterprétation que fait Luc pour adapter la parole du Seigneur
à la situation de l'Eglise de son temps. Ce chapitre 12 est centré
en effet sur la nécessité pour les chrétiens de confesser coura-
geusement leur foi et sur la promesse de l'Esprit Saint à l'heure
du témoignage:
« Je vous le dis: quiconque se déclarera pour moi de-
vant les hommes, le Fils de l'homme aussi se décla-
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIE~S 89

rera pour lui devant les anges de Dieu ... Le Saint Es-
prit vous enseignera à l'heure même ce qu'il faut dire»
(Lc 12,8.12).
Le critère du salut, c'est donc la prise de position envers
le Fils de l'homme, grâce à l'aide de l'Esprit de Dieu. Comment
comprendre alors le verset 10 qui semble établir une gradation
entre le Fils de l'homme et l'Esprit:
« Quiconque dira une parole contre le Fils de l'homme,
cela lui sera pardonné; mais celui qui aura blasphémé
contre le Saint Esprit, cela ne lui sera pas pardonné».
Ainsi que le note la T.O.B., on reconnaît en cette formu-
lation la distinction, fréquente chez Luc, entre le temps de Jésus
et le temps de l'Eglise. Durant le ministère voilé de Jésus, il y
avait des excuses à l'incrédulité et place pour le pardon (Lc 23,34;
Ac 3,17). Mais maintenant, c'est le temps de la glorification du
Christ, l'ère de l'Esprit où le salut est révélé. La T.O.B. explique
donc que « les apôtres inspirés par l'Esprit offrent à Israël la
dernière possibilité de la conversion» ". En raison du verset 9,
où les chrétiens sont avertis de la gravité du reniement de leur
Maître, ne faut-il pas plutôt penser que Luc s'adresse encore
à eux? Le blasphème contre l'Esprit Saint, c'est la faute d'Ana-
nie et de Saphire (Ac 5,1-11), c'est l'apostasie dénoncée en ter-
mes véhéments par l'auteur de l'épître aux Hébreux:
«Il est impossible, en effet, que des hommes qui un
jour ont reçu la lumière, ont goûté au don céleste, ont
eu part à l'Esprit Saint, ont savouré la parole excel-
lente de Dieu et les forces du monde à venir et qui pour-
tant sont retombés, - il est impossible qu'ils trouvent
une seconde fois le renouveau de la conversion, alols
que, pour leur compte, ils remettent sur la croix le Fils
de Dieu et l'exposent aux injures» (He 6,4-6) 33.

3) Le pouvoir de lier et de délier


Pour fonder l'institution de la Pénitence, la réflexion théo-
logique s'est principalement exercée sur trois textes évangéli-

33Voir la note f sur Le 12,10.


33Pour l'interprétation de ce passage, on tiendra compte de la visée
parénétique du passage (note l' de la TOB): le prédicateur manifeste le souci
de galvaniser l'énergie d'auditeurs sur le point de chanceler.
90 EDOUARD COTHENET

ques: la promesse faite à Pierre que ce qu'il liera ou déliera sur


terre sera lié ou délié dans les cieux (Mt 16,19), - la même pro-
messe étendue à l'Eglise en 11ft 18,18, - enfin de manière plus
explici te le pouvoir de pardonner les péchés transmis par le Christ
à ses apôtres selon Jn 20,23'4.
Malgré les différences dans la formulation et les destina-
taires, une parenté évidente relie ces textes et l'on comprend
que les critiques se soient interrogés sur la forme la plus primi-
tive et sur les circonstances dans lesquelles Jésus a transmis
ce pouvoir: est-ce avant Pâques comme l'indique Matthieu ou
après Pâques, selon la présentation de Jean?
Sans pouvoir entrer dans toutes ces questions", nous relè-
verons quelques types d'explication proposés sur Mt 18, puis
nous nOus efforcerons de dégager l'importance du passage pour
la pastorale de la pénitence.
G.D. Kilpatrick" doit être considéré comme un précurseur
de la Redaktionsgeschichte: il s'est interrogé sur le milieu d'ori-
gine de Matthieu et les problèmes concrets qui se posent dans
son « église ,}. Selon cet auteur, Matthieu s'adresse donc au cha-
pitre 18 aux responsables de la communauté et leur recommande
la clémence dans l'exercice de leur charge.
La publication des textes de Qumrân devait attirer l'at-
tention sur le passage relatif â la monition fraternelle (Mt 18,
15-17). Le Document de Damas comporte des prescriptions dé-
taillées à ce sujet:
(f Et quant à cette parole de l'Ecriture: 'Tu ne te ven-

geras pas et tu ne garderas pas rancune aux enfants


de ton peuple', quiconque parmi ceux qui sont entrés
dans l'Alliance porte contre son prochain une accusa-
tion sans l'avoir au préalable réprimandé devant té-
moins et la soutient avec une ardente colère ou la rap-
porte aux Anciens pour attirer sur lui le mépris, ma-

34 Voir C,H. Doon, Historical Tradition in the Fourth Gospel, Cambridge,

1963, pp. 347-349. Pour lui, Jean nous a conservé ici une variante de la tra-
dition orale commune, dont on trouve une autre forme en Mt 18,18.
M Voir J. MURPHV-O'CONNOR, «Péché et Communauté ... Il, pp. 179-192.
W.G. THOMSON, Mattkew's Advice to a Divided Community. Mt 17,22-18,35
(A nalecta Biblica, nO 44), Rome, 1970: il fait commencer la section en 17; 22
sans raison suffisante. Le ch. 18 forme un tout.
36 G.D. KILPATRICK, The Origins 01 the Gospel according to St. Matthew,
Oxford, 1946, p. 79.
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 9\

nifeste en cela qu'il se venge et garde rancune ... )}


(CD IX, 2-4).
Outre l'interdiction de la vengeance personnelle, on relèvera
la monition faite à l'intendant des camps (mebaqqer) d'agir avec
miséricorde:
«( Il sera compatissant envers eux comme un père pour
ses enfants et il r amènera tous les égarés COmme un
berger son troupeau. Il déliera toutes les chames qui
les attachaient en sorte qu'il n'y ait plus d'oppressé
ni d'opprimé dans sa Congrégation)} (CD XIII, 9-10).
En se basant sur ces textes, J. Schmitt 37 a proposé de voir
en Mt 18,15-17 le vestige d'un rituel pénitentiel, influencé par
la discipline qumrânienne, et il en oppose le rigorisme à la règle
du pardon, formulée en Le 17,3.
Sans citer le travail de J. Schmitt, W. Trilling 38 a repris
la comparaison de Mt 18 avec Qumrân. Dans la communauté
judéo-chrétienne de Matthieu, existe un ensemble de règles disci-
plinaires qu'on peut qualifier de halakhiques (Mt 5,22; 19, \2;
23,8-\0). La procédure envisagée ici se développe en trois temps:
monition individuelle, monition devant témoins, sentence de
l'Eglise. Le verset \8 apporte le fondement théologique. Malgré
le caractère assez lâche du lien qui unit les versets \9-20 à ce
qui précède, on y verra l'expression de la conscience ecclésiale
de Matthieu: « Le Père dans le ciel, qui accorde l'exaucement
de la prière, le Christ au milieu et en communion avec les cro-
yants, l'assemblée réunie par l'invocation de son Nom)} 39. C'est
ainsi que la sentence de l'Eglise, liant ou déliant, est ratifiée au
ciel. Malgré les critiques de R. Pesch 40 qui estime que le cha-
pitre 18 s'adresse à tous les disciples indistinctement, Trilling
maintient le rôle spécifique des chefs de la communauté.
Dans son article «Composition et signification historique de
Matthieu XVIII. Règle ecclésiastique ou éthique du Royau-

37 J. SCHMITT, «Contribution à l'étude de la discipline pénitentielle~,


(cité à la note 15), pp. 96-100.
38 W. TRILLING, Das wahre Israel. Studien zur Theologie des Matthaus-
Evangelium, 3e éd., Munich, 1964, pp. 113-121.
" Op. cit., p. 121.
40 P. PESCH, Matthiius der Seelsorger, Stuttgart, 1966.
92 EDOUARD CQTHENET

me? »41, P. Bonnard a eu le mérite de mettre en valeur les deux


paraboles du chapitre 18: brebis égarée et débiteur impitoyable.
Leur pointe rejoint l'attention donnée aux (' petits» dans le préam-
bule. Il apparaît alors que, loin de prôner le rigorisme, Matthieu
protesterait contre «( la sévérité du noviciat chrétien ou contre
les tendances esséniennes au sein de l'Eglise ». Nul ne saurait
prendre son parti de la perte d'un de ces « petits '); il faut tout
mettre en oeuvre pour que la communauté leur soit accueillante.
Solz<tion proposée. - Bien que l'allusion au « noviciat chré-
tien ,) ne trouve aucun appui dans le texte, Bonnard nous a enga-
gés sur la bonne voie en refusant d'isoler tel ou tel verset de Mt 18,
et en donnant tout leur poids aux deux paraboles du chapitre.
Ce qui importe, ce n'est pas tant d'établir la préhistoire du texte
pour isoler un rituel essénisant (Mt 18,15-17), que de découvrir
l'intention de l'évangéliste en composant son chapitre. De ce
point de vue la parabole de la brebis égarée joue un rôle décisif:
à la différence de Le 15,3-7 où Jésus raconte cette histoire pour
justifier sa manière de faire vis-à-vis des pécheurs (Le 15,1-2),
Mt 18,12-14 se situe dans le temps de l'Eglise: la brebis égarée
n'est plus le pécheur auquel Jésus apporte la Bonne Nouvelle,
mais le chrétien qui s'éloigne de la communauté et risque de
se perdre 42. L'accent est mis sur l'obligation pour le (, pasteur»
de rechercher l'égaré.
Dans ces conditions, le péché du verset 15 ne consiste pas
en une offense personnelle, comme l'onl. compris certains copis-
tes sous l'influence d'un texte parallèle (Le 17,3) ", mais il s'agit
d'un péché qui éloigne le frère de la communauté. L'objectif
n'est pas de se réconcilier comme en Le 17,3, mais de « gagner»
le frère. Concrètement, on pense au danger d'égarement que les
faux docteurs et les faux prophètes font courir aux chrétiens
(7,15 sv., 22 sv.; 24,10; cf. 13,41) 44. Si l'effort d'un seul n'abou-

41 Article publié dans l'ouvrage collectif De Jésus aux Evangiles. Tra-

dition et rédaction dans les Evangiles synoptiques (Mélanges J. Coppens, vol. II),
Gembloux-Paris, 1967, pp. 130-140.
42 J. DUPONT, «La parabole de la brebis perdue (Matthieu 18,12-14;
Luc 15,4-7)" dans Gregarianum, 49 (1968), pp. 265-287.
43 Voir la note y de la TOB sur Mt 18,15. - Contre J. Schmitt qui op~
pose la sévérité de la procédure de Mt à la miséricorde de Lc (art. cit., pp. 99 s.).
44 Voir notre article (! Les prophètes chrétiens dans l'évangile selon saint

Matthieu », dans L'Evangile selon Matthieu. Rédaction et théologie, Duculot,


Gembloux, 1972, pp. 281-308, spécialement 299-305.
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 93

tit pas, on peut espérer que l'intervention de plusieurs aura plus


de poids. Faut-il encore qu'elle se déroule dans l'esprit de la pa-
rabole de la brebis égarée, et non avec une raideur orgueilleuse
qui ne pourrait qu'enfoncer le coupable dans son obstination!
C'est seulement après ces tentatives persévérantes que peut in-
tervenir la constatation: « Qu'il soit pour toi comme le païen
et le publicain!» (18,17).
Le verset 18 nous semble élargir le sujet, tout en apportant
le fondement théologique aux indications précédentes:
(! En vérité, je vous le déclare: tout ce que vous lierez

sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez


sur la terre sera délié au ciel ».

A la suite de E. Martinez 45 et de ]. Murphy-O'Connor 4',


nous pensons que les disciples de Mt 18 représentent d'abord les
chefs de la communauté. Matthieu qui manifeste tant de véné-
ration pour les Apôtres ne conçoit certes pas l'i:J<J<À"ljcrl", (18,17)
comme une communauté dépourvue de ministères, mais il est
attentif aux relations étroites qui doivent exister entre ministres
et communauté.
En ce qui concerne le sens précis de 8ELV et de ÀOELV au ver-
set 18, beaucoup d'auteurs, à la suite de P. Billerbeck 47, y voient
une expression rabbinique signifiant: interdire et permettre, décla-
rer une chose interdite ou permise, au sens strict excommunier
et lever l'excommunication. Outre des difficultés d'ordre philo-
logique 48, cette interprétation ne permet pas de comprendre
comment s'est formée la tradition parallèle du logion Un 20,23:
remettre ou retenir les péchés, &:q:lLévGu, xpIXTd'J).

45 E. MARTINEZ, (! The interpretation of ol ILc&'Il'ra.( in Mt., XVIII~. dans

Catholie Biblieal Quarterly, 23 (1961), pp. 281-292.


46 J. MURPHy-O'CONNoR, (! Péché et Communauté ... l), pp. 186-188.

47 Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und. Midrasch, Mu-

nich, 1922, t. !, pp. 738-747.


48 Si le verbe sr' signifie souvent (1 lever l'excommunication 1>, son anto--

nyme '!?r n'est employé qu'une fois a.u sens de (! excommunier)). Les termes
grecs, employés par Mt, Bd", et MEL'" ne sont pas aptes par eux-mêmes à avoir
le sens communautaire de lier-délier comme dans le rabbinisme. Enfin la for-
mulation de Jn 20,23 ne s'explique pas à partir des verbes sr' - '!?r.
94 EDOUARD CQTHENET

La bonne solution nous semble celle qu'a proposée A. Diez


Macho ", le savant éditeur du Targum palestinien (codex Nea-
fiti). Il remarque que le verbé délier (serî) est souvent associé
à pardonner (S"baq) les péchés, et que lier ('sar) est associé à
retenir (netar) les péchés. Citons par exemple les reproches de
Dieu à Caïn selon le Targum palestinien:
«N'est-il pas vrai que si tu agis bien en ce monde, on
te remettra et on te pardonnera dans le monde à venir.
Mais si tu n'agis pas bien en ce monde, ton péché est
retenu pour le Jour du grand jugement, (Targum Nea-
fiti Gn 4,7; traduction de R. Le Déaut).

Il semble donc naturel d'entendre «lier et délier" de Mt 18,


18 au sens de retenir le péché ou de le remettre, comme dans
le logion de ln 20,23. L'éclairage théologique des deux passa-
ges diffère cependant: Jean rattache ce pouvoir à la communi-
cation de l'Esprit de sainteté, Matthieu à la présence du Christ
parmi les siens (18,20; cf. 28,20). Mais, dans un cas comme dans
l'autre, on assiste à une transmission d'un pouvoir que, avant
Pâques, le Christ exerçait seul souverainement.
En conclusion, on relèvera la complexité du processus pé-
nitentiel qu'évoque le chapitre 18 de Matthieu. Il est dominé
par la proclamation de la miséricorde de Dieu et de son amour
pour les «petits ". Par opposition au rigorisme qui se manifeste
dans son Eglise, Matthieu rappelle qu'à l'exemple de Jésus, le
Pasteur compatissant (9,36), tout doit être entrepris pour ra-
mener les fidèles qui s'égarent. Chacun a son rôle à jouer, le chré-
tien individuel qui discerne le péril encouru par un frère, comme
la communauté et ses responsables. La décision ne peut être
prise que dans un climat de prière unanime et instante, car l'ob-
jectif, c'est de « gagner" le frère. Ainsi le pouvoir des clefs appa-
raît-il beaucoup moins comme un pouvoir disciplinaire que comme
une institution de salut 50.

4g A. DIEz-MAcHO, (l Targum y Nuevo Testamento », dans Mélanges Tis·

serant, Rome, 1964, t. I, pp. 153-185 (1635.); «Le Targum palestinien., dans
Exégèse biblique et Judaïsme, Strasbourg, 1973. pp. 15-77.
50 J. JEREMIAS a rappelé que dans les cas de parallélisme antithétique
l'accent porte en général sur le second membre (Théologie du Nouveau Testa-
ment, traduction française, « Lectia divina », nO 76, Cerf, Paris, 1973. p. 26).
SAINTETÉ DE L'ÉGLISE ET PÉCHÉS DES CHRÉTIENS 95

CONCLUSION

En dépit de son caractère incomplet, puisque nous avons


laissé de côté les lettres de saint Paul, cet exposé aura montré
la complexité de l'enseignement du Nouveau Testament sur la
rémission des péchés commis après le baptême. Les indices que
nous avons recueillis paraîtront peut-être modestes, mais ne va-
lait-il pas mieux respecter la teneur précise des textes que de
leur imposer trop vite notre systématisation? En se pliant aux
impératifs de la méthode historique, on assiste aux tâtonnements
de l'Eglise apostolique dans l'exercice de sa mission et on dé-
couvre la motivation de sa praxis: n'est-ce pas un avantage im-
mense pour notre temps qui, lui aussi, doit adapter les institu-
tions pour faire face aux besoins nouveaux?
Le Nouveau Testament nous place tout d'abord devant le
mystère de l'Eglise, fruit de l'amour rédempteur du Christ et
manifestation des temps eschatologiques. La sainteté lui appar-
tient de droit, non en raison de ses membres, mais par le fait
du Christ (EP 5,27). Le péché des chrétiens est quelque chose
de contre nature, car né de Dieu le chrétien ne devrait plus fail-
lir (1 In 3,9). Tout en réprouvant le péché, l'Ancien Testament
prenait acte de sa réalité quotidienne; par la multiplicité des
sacrifices pour le péché et la récurrence annuelle du Grand Jour
des Expiations, il s'employait à en endiguer le flot. Le Nouveau
Testament, lui, est dominé par la foi en la victoire du Christ sur
le péché et la mort, par la certitude que l'Esprit de sainteté est
donné aux croyants. Avant même d'être une communication
individuelle qui risquerait d'isoler le chrétien dans sa vie reli-
gieuse, la venue de l'Esprit crée l'Eglise et en fait le Temple du
Dieu vivant. Il en découle que s'éloigner de l'Eglise, c'est se cou-
per des sources d'eau vive et que le retour vers Dieu ne peut
s'accomplir sans un retour vers l'Eglise.
Peuple de la nouvelle et éternelle Alliance, l'Eglise connaît
pourtant la tension redoutable entre le (, déjà» et le "pas en-
core ». La vigilance s'impose à chaque chrétien, accompagnée
de la prière (cf. Mt 26,41), pour triompher de la tentation. L'exem-
ple d'Ananie et Saphire montre assez combien il est redoutable
de mentir à l'Esprit Saint; sans se prononcer sur le caractère
irrémissible ex parte Ecclesiae du blasphème contre l'Esprit Saint,
le Nouveau Testament montre que, ex parte peccatoris, certaines
96 EDOUARD COTHENET

dispositions d'âme coupent radicalement du salut. Vis-à-vis des


défaillances mineures, le Nouveau Testament nous fait assister
à une prise de conscience progressive par l'Eglise de son pou-
voir d'intervention. Dans sa liturgie, elle invite chacun de ses
membres à l'humilité (1 Jn 1,8,9; Je 5,16) et stimule l'interces-
sion mutuelle ". Le commentaire de Mt 18 nous a mis en pré-
sence de dispositions complexes: la responsabilité de chacun des
membres de la communauté est engagée, et de façon plus plé-
nière, celle des ministres. Dans cette recherche pastorale do-
mine le souvenir de l'enseignement et de la conduite de Jésus,
comme le manifeste la parabole de la brebis égarée. N'est-ce
pas l'invitation à relire l'Evangile pour y trouver l'esprit dans
lequel, aujourd'hui encore, l'Eglise se doit d'apporter à tous {( la
connaissance du salut ... par le pardon des péchés >, (Le 1,77)?

Edouard COTHENET

51 A titre de confirmatur, rappelons la belle étude de P. GRELOT, (i L'in-


terprétation pénitentielle du lavement des pieds 1), dans L'homme devant Dieu
(Mélanges H. de Lubac). t. l, Aubier, Paris, 1963, pp. 75-91.
DIE SÜNDENVERGEBUNG UND DAS
LATEINISCHE STUNDENGEBET

Gatt erhort das Beten der Mensehen, wenn es aus einem


reinen, einem gereinigten Herzen kommt. Sa hangt Bekenntnis
der eigenen Sündhaftigkeit, Reue und Bitte um Vergebung auf
das Innigste zusammen mit jeglichem Gebet, sei es Lobpreis
Gattes, Dank oder Bittgebet. Das lehren die Aussagen und Ge-
bete des Alten Testaments 1. Zitiert sei nur Dan 9,18: (, Nicht
im Vertrauen auf unser gerechtes Tun bringen wir unser Flehen
var dieh, sondern im Hinbliek auf deine groJ3e Barmherzigkeit.
Herr hore, Herr vergib! 1) lm Neuen Testament ist dies var allem
festgehalten in der Episode des Gebetes des Pharisaers und Zoll-
ners im Tempel (Lk 18,9-14) und wieder aufgegriffen von 1 Jo
1,9: « Bekennen wir aber unsere Sünden, sa ist Er trcu und ge-
recht», und J ac 5,16: « Sa bekennt denn einander die Sünden
und betet füreinander, damit ihr das Hei! erlanget».
Das Stundengebet ist dem Ursprung und dem Prinzip naeh
gemeinsames Beten der christ lichen Gemeinde, übernommcn und
ausgeführt von kanonisehen oder klbsterliehen Gemeinsehaften.
Sa erfordert es aueh ein gemeinsames oder gegenseitiges Sün-
denbekenntnis. Die Art, wie dies es vollzogen wird, hangt ab
von dem allgemeincn Braueh der Kirche, wie in ihr im Lauf der
Zeit die Sündenvergebung vollzogen wird.
Seit dem Konzil von Trient im 16. J ahrhundert war das
Stundengebet der lateinisehen Kirche bis zur Liturgiereform des
20. J ahrhunderts, die mit Papst Pius X. einsetzte, eingefrorcn.
Diese Erstarrung kann man sogar bis in das hohe Mittelalter,
bis zum 13. Jahrhundert, zurüekverfolgen. In gleieher Weise ist
aueh die bis dahin ausgebildete BuJ3praxis, soweit sie mit dem
Stundengebet vcrbunden war, eingefroren. Die lebendige BuJ3pra-
xis Joste sieh iihnlieh wie die Volksfrommigkeit vom offiziellen
Beten der Kirehe. Das gilt freilieh nur von der lateinisehen, nieht
van den Kirehen des Ostens. Mit anderen Werten: durch die
Eingliederung in das offizielle Stundengebet haben sieh darin
BuJ3formen erhalten, die einst allgemcin in Gebraueh waren,
aber elwa von der Mitte des Mittelalters an durch andere, neue,

l Proverb 28,13; Jer 3,12-14. 21; 50,20; Mieh 7.19; Esd 9,6 ft.; Dan 9,4.
98 VIRGILE FIALA

abgelOst wurden. Diese sind selbstii.ndig geworden und gehen


neben dem Stundengebet einher. Ich denke hier besonders an
die sakramentale Beichte mit ihrer indikativen Lossprechungs-
formel. Sie fand keinen Platz mehr im Stundengebet und hat
keine Beziehung zu ihm.
In der alten Kirche wurde die BuBgesinnung ausgedrückt
durch eine besondere Psalruenauswahl, insbesondere den Psalru 50
(Septuaginta und Vulgata) bzw. 51 (Hebrii.ische Zii.hlung). Ebenso
wurde das Pater noster seit der Vii.terzeit ais Sünden tilgendes
Gebet angesehen und erhielt innerhalb des Offiziums diese Funk-
tion. Nicht zufrieden damit, wurde im frühen Mittelalter durch
Preces und Capitel!a ein besonderer BuBteil ausgebildet, deren
Kem Sündenbekenntnis und Lossprechung waren. Dieses Sün-
denbekenntnis war aligemein oder ais brüderliche bzw. schwester-
liche Beichte in das tii.gliche Officiuru divinuru eingebaut. Damit
ist die Gliederung des Artikels vorgezeichnet.

1. Die Verwendung des Ps 50 ais BuBpsalm in den lateinischen


Offizien.
Psalm 50 ist immer ais der BuBpsalm kat' exochen ange-
sehen worden. Er ist das Reuegebet Davids nach seiner graBen
Verfehlung gegen Urija, den er in den Tod sandte, um dessen
Weib Batseba zu heiraten. Gott hat die Reue Davids angenom-
men und ihn nicht verworfen. So wurde dieser Psalm ein Pa-
radigma für das Gebet des reuigen Sünders, der wie David vom
Herm Vergebung erwarten darf. Es ist nun ein eigenartiges Phii.-
nomen, daB dieser Psalm schon sehr früh ais Morgenpsalm be-
zeugt ist. Der hl. Basilius der GroBe (t 379) beschreibt in sei-
nem Brief an die Kleriker von N eocaesarea, die si ch gegen das
Psalmengebet wehrten, die Art und Weise, wie in Kappado-
zien das Morgengebet gehalten wird in einer gewissen Vielfii.l-
tigkeit und « sobald es schon hel! wird, singen aile gemeinsam,
wie aus einem Mund und einem Herzen dem Herm den Psalm des
Bekenntnisses (1:bv TIjç tçofLOÀOyljcr.CilÇ <jJ<XÀfLbv), indem j eder seine
eigenen Reueworte einfügt)} '. Aiso am SchluB des gemeinsamen

3 BASILIUS, Ep. 207 Ad clericos Neocaesarienses 3 (PG 32,763 E): Postea


rurSlls uni committentes, ut priar canat, reliqui succinunt; et sic posteaquam
in psalmodiae varietate noctem traduxere intermixtis precibus, die jam illu-
cescente, OIIUles simui velut ex uno ore et uno corde psalmum confessionis
Domino concinunt, propria sibi unusquisque verba poenitentiae facientes.
DIE SÜNDENVERGEBUNG UND DAS LATEINISCHE... 99

Morgengebetes steht der gemeinsam gebetete oder gesungene BuB-


psalm 50. Basilius fügt noch bei, daB die Kleriker von N eocae-
sarea, wenn sie diesem Offizium entfliehen wollten, auch fliehen
müBten aus Agypten, Libyen, der Thebais, aus Paliistina, Ara-
bien, Phi.inizien, Syrien und von der Gegend am Euphrat. In
diesem Hinweis auf die in ail dies en Liindern geübte Psalmodie
kann, aber muB nicht, Ps 50 eingeschlossen sein. Tatsiichlich
hat aber in fast allen M, rgenoffizien des Ostens und des Westens
Ps 50 seinen Platz. Er steht entweder am Ende der Vigilien oder
am Anfang einer eigenen Morgenhore, die von der Verbindung
mit den Laudatepsalmen 148-150 (, Laudes Matutinae >} genannt
werden.
Einem im Wortlaut dunklen und in der Deutung deshalb
umstrittenen Text bringt Johannes Cassian (t um 436) im 3.
Buch der Insti tu tionen 4 und 6 3. GemaB seiner revidierten In-
terpretation versteht J. Froger 4 den Bericht Cassians folgen-
dermaBen: In der Provence, für deren Monche Cassian seinen
Bericht schreibt, fo1gen auf die niichtlichen Vigilien, die zwi-
schen dem Hahnenschrei und dem Morgengrauen zu enden pfle-
gen, nach einer kleinen Pause die Psalmen 148-150 ais Morgen-
feier. lm Orient sind diese Psalmen dagegen gleich an die Vi-
gilien angeschlossen. Ais er j edoch vor etwa 40 J ahren in einem
Kloster in Palastina weil te, wurde eine neue Feier eingeführt,
die aus den Psalmen 50, 62 und 89 bestand. Cassian fügt dann
hinzu, daB in Italien zur Zeit, in der er schreibt (hodie), nach
den Morgenpsalmen in allen Kirchen der 50. Ps. gesungen werde.
Er zweifle nicht, daB dies auf orientalischen Brauch zurückgehe 5.

8 JOHANNES CASSIAN, De institutis coenobiorum 3,6 (ed. M. PETSCHE-


NIG CSEL 17,40 f.; PL 49,136): Etenim hymnos quos in hac regione ad ma.-
tutinam excepere sollemnitatem, in fine noctumarum vigiliarum, quas post
gallorum cantum ante a.llroTaID finire soIent, similiter hodieque decantant,
id est 148, cuius initium est Laudate dominum de caeUs, et reliquos qui se-
quuntur; quinquagesimum (50.) vero psalmum et sexagesimum secundum
(62.) et octogesimum nonum (89.) huic novellae sollemnitati fuisse depu-
tatas. Denique per Italiam hodieque consummatis matutinis hymnis quin-
quagesimus (50.) Psalmus in universis ecclesüs canitur, quod non aliunde
quam exinde tractum esse non dubito.
" J. FROGER, Note pour rectifier l'interprétation de Cassien, Imt. 3,4;
6 proposée dans Les origines de Prime [Bibliotheca Ephem. Liturg. 19 (1946)]
Archiv f. Liturgiewissenschaft 2 (1952) 96-102.
v Vgl. Text bei Anm. 3.
iOO VIRGILE FIALA

Halten wir fest, daB die etwas obskure "novella sollemni-


tas matutina ,) mit Ps 50 begann. Bei der graBen Wertschatzung,
die Cassian bei den Monchen des Abendlandes erhielt, ist es nicht
ausgeschlossen, daB dieser Bericht EinfluB gewonnen hat auf
die Gestaltung der Morgenhore. Wenn man den vier Entwick-
lungsphasen folgt, die Adalbert de Voguë in seiner Erkliirung
der Regel des hl. Benedikt 6 aufgesteUt hat, sa haben die Laudes
matutinae des vorklassischen romischen o ffiziums , der Regula
Magistri (um 520), des klassischen romischen Offiziums und der
Regula Benedicti gemeinsam, daB sie mit dem Ps 50 beginnen
und mit den Psalmen 148-150 enden. Dazwischen sind feste Psal-
men (62 und 66) und variable Psalmen und Cantica eingeschoben.
Fûr den gallisch-altspanischen Raum haben wir verschie-
dene Hinweise fûr den Gebrauch des Ps 50 in der Morgenhore.
An dieser nimmt au Ber dem Klerus auch das Volk teil und so
hatte auch eine Lesung und eventuell eine Predigt in ihr Platz.
Fûr diesen FaU verfügte Caesarius von Arles, daB Ps 50 und die
Laudatepsalmen frûher zu beten seien, damit die Hore pûnktlich
beschlossen und die Ârmeren und Handwerker nicht von ihrer
Arbeit abgehalten werden 7. Die normale Stellung des Ps 50
ware sonst am SchluB gewesen; Caesarius wollte also nicht, daB
die Gliiubigen ohne den BuBpsalm gebetet zu haben, ihr Ta-
gewerk beginnen.
Eine andere Reihenfolge berichtet Gregor von Tours '; Ps 50,
Benedictio (Dan 3), Allelujaticus (Ps 148-150) mit Capitellum.
Nach den aus dem Il. Jahrhundert stammenden mozarabischen

6 A. DE VOGÜÉ, La règle de Saint Benoit. Bd 5 (Sources chrétiennes 185)


1971 S. 487:
Romain préclassique Ps 50 62 66 148.149.150
Regula l\'Iagistri Ps 50 Canticum Canto 148.149.150
Romain classique Ps 50 PS.var. 62.66 Canto 148-150
Regula Benedicti Ps 50 Ps.var. PS.var. Canto 148-150
7 CAESARIUS ARELAT. Sermo 76,3 (ed. G. MORIN l, Corp. Christ. 103,303).

Cum tamell, ut pauperes homines vcl quosque artifices de suis non retarde-
mus operibus, quotiens serma futurus est, maturius faciamus psalmum quin-
quagesimum dici, ut non tardius sed semper hora consuetudinaria de eccle-
sia exeatur.
8 GREGORIUS TURONEN., Vitae patrum, cap. 7 (PL 71,1034): Adveniente

autem die tertia, quae erat Dominica die, quae civibus Arvernis immanem
intulit luctum, albescente jam coeIo, interrogat quid in ecclesia psallerent.
Dixerunt benedictionem eos psallere. At ille, psa1mo L et benedictione de-
cantata, et alleluiatico cum capitello expleto, cOllsummavit matutinos.
DIE SÜNDENVERGEBUNG UND DAS LATEINISCHE... 101

Liturgiebüchem 9 hat das festHigliche Offizium Ps 50 var dem


Benedicite (Dan 3), dagegen das sonntiigliche Offizium beginnt
mit den kanonischen Psalmen 3, 50 und 56, wobei lA. Jung-
mann darauf hinweist, daB Ps 50 und 56 zur gallischen BuBli-
turgie gehiiren 10. lm MaiHinder Stundengebet wird in der Mor-
genhore Ps 50 nur an Tagen der BuBe und Trauer anstelle des
Canticum Dan 3 gebetet; ihm gehen voraus das Benedictus (Lob-
gesang des Zacharias) und das Canticum des Mose (Ex 15); die
Laudatepsalmen lolgen.
Werfen wir noch eincn Blick aul den Osten. lm heutigen
byzantinischen Orthros steht Ps 50 nach den Psalterkathismen,
bzw. an Sonntagen na ch dem Evangelium mit Tropar und vor
dem Kanon der Oden bzw. Cantica H. lm armenischen Ritus
steht Ps 50 ebenfalls vor den Psalmen 148-150 "; im chaldiiischen
Ritus steht er nach den Laudatepsalmen und zwar nur an
Wochentagen.
So bewahrheitet sich durch den Befund der spateren Quel-
len, was der hl. Augustinus in seinem Traktat zum Ps. 50 schrei-
ben konnte: « in der Kirche wird er olt gelesen und gesungen 1) 13.
Cassiodor schreibt in seiner Erkliirung von Ps. 50: « in den Ge-
brauch der Kirchen ist der Ps. 50 aulgenommen worden. So olt
man um Vergebung bittet, wird dies durch diesen Psalm vom
Herm nicht ohne Erfolg erbeten ... Wenn er mit reinem Herzen
gebetet wird, liist er die Verfehlungen, vernichtet er unseren
Schuldbrief... 1) 14. Àhnlich drückt sich Caesarius von Arles aus:
« Günstig ist es für euch, daB wir wegen der stiindigen BuBreue

y M. FÉROTIN, Le liber mozarabicus sacramentorum, Paris 1912, S. LXIV-


LXV.
10 J.A. JUNGMANN, Die lateinischen BufJriien. Innsbruck 1932 S. 96 fi.;
Derselbe, Die vormonastische M orgenhore im gallisch-spanischen Raum des
6. jahrhunderts. Liturgisches Erbe und pastorale Gegenwart. Innsbruck 1960
S. 187.
11 F. MERCENIER, La Prière des églises de rite byzantin. l 1937 S. 114.

12 J. MATÉOS, L'office divin chez les Chaldéens. Lex orandi 35 S. 264.

13 AUGUSTINUS, Tract. in Ps L, 3 (ed. Corp. Christ. 38,600): (Psalmum


quinquagesimum) in ecc1esia saepe lectum et cantatum.
14. CASSIODOR, Expositio in Ps L, Conclusio psalmi (ed. M. ADRIAEN
Curp. Christ. 97, 469 und 471): Ecc1esiarum usu receptum est; ut quoties pec-
catomrn venia petitur, pel' istum (Ps L) magis Domino supplicetur non im-
merito ... Si corde puro dicatur, delicta dissoluit, chirographum nostrae obli-
gationis euacuat et nos a debitis delictorum tamquam remissionis annus,
praestante domino, reddit immunes.
102 VIRGILE FIALA

den 50. Psalm taglich singen J) 15. lm 9. J ahrhundert schreibt


Amalar in seinem Liber officialis, daJ3 für die kleinen Verfehlun-
gen das Pater noster, für die groJ3en der Ps. Miserere mei Deus
gebetet werden solle, der speziell für die BüJ3er passe ".

2. Das Pater noster aIs sündentilgendes Gebet innerhalb des


Offiziums.
Die zweite Miiglichkeit, Vergebung von den taglichen Sün-
den zu erlangen, ist mit dem Gebet des Herm, dem Vater unser
gegeben, insbesondere mit der 5. Bitte: Vergib uns unsere Schuld,
wie auch wir vergeben unseren Schuldigem. Besonders der hl.
Augustinus hat das Gebet des Herm aIs tagliche Sündenverge-
bung herausgestellt 17. Er scharfte seinen Katechumenen ein:
(1 Einmal werden wir abgewaschen durch die Taufe, taglich wer-

den wir abgewaschen durch das Gebet (des Herm) 1) lB. Augusti-
nus nennt das Herrengebet eine gleichsam tagliche Taufe 19. Für
ihn ist die Taufe das einmal gelegte und bleibende Fundament
der Emeuerung, auf dem das Gebaude des christlichen Lebens
errichtet wird. Dieses Gebaude wird durch die taglichen Sün-
den schadhaft und muJ3 immer wieder durch die BuJ3e ausgebes-
sert werden. Aber wenn durch das Herrengebet, insbesondere
die 5. Bitte diese Vergebung der taglichen Sünden erfolgt, dann
« reinigt sie der Erliiser durch das Taufbad im Wort J) 20.

Ils CAESARIUS ARELAT., Sermo 134,1 (ed. G. MORIN l, Corp. Christ. 103,
257): Opportune ergo propter adsiduam conpunctionem paenitentiae psal-
mum quinquagesimum vobis OIuni die cantamus.
18 AMALARIUS METEN., Liber officialis IV, 4 (ed. J.M. HANSSENS Éd. 2
Studi et Testi 139, S. 423-425): Quoniam sunt intra nostram ecclesiam qui
minima committunt, pro ms tamen necesse est praecedens oratio; sunt et
qui maiora, pro quibus necesse est addere psalmum Miserere mei, Deus, qui
proprie pertinet ad poenitentes. Allo modo. Oratia praecedens (Pater noster)
pro minimis peccatis, psalmus :fit pro maximis.
11 E. SAUSER. Baptismus - Baptismus cottidianus - 1md Silndenvergebung in

der Theologie des hl. Augustinus. Zeichen des Glaubens. Balthasar Fischer
zum 60. Geburtstag. 1972 S. 83 fl.
lB AUGUSTINUS, De Symbolo. Sermo ad catechumenos 7.15 (PL 40, 636D):
Peccata etiam immania dimittuntur in Baptismo; et venialia, in aratione
Dominica. ...Semel abluimur Baptismate, quatidie abluimur oratiane.
lit AUGUSTINUS. Sermo Guelf. l, 9,449 ed. G. MORIN: quasi cottidianus

baptismus.
IlII AUGUSTINUS, Ep. 187.28 (ed. A. GOLDBACHER. CSEL 57,105): Propter
quod nunc etiam renati ex aqua et spiritu omnibusque peccatis siue origi-
DIE SÜNDENVERGEBUNG UND DAS LATEINISCHE... 103

Augustinus hat wohl das tagliche Vater unser der Eucha-


ristiefeier vor Augen, wie aus dem Sermo 58,10 hervorgeht 21.
Wir wollen aber die Vergebung der Sünden durch das Herren-
gebet im Offizium besprechen. In der Regula Benedicti Cap. 13,
12-14 wird bestimmt: (1 Nie aber sollen die Morgen- und Abend-
feier beendet werden, ohue da13 am Schlu13, allen vernehmbar,
das Gebet des Herrn vom Oberen ganz gesprochen wird, wegen
der Dornen der Argernisse, die gewohnlich entstehen; damit sich
die Brüder, verpflichtet durch das Versprechen in diesem Gebet:
Vergib uns, wie auch wir vergeben, von einer solchen Schuld
reinigen. Bei den anderen Gebetsstunden aber spreche man nur
den Schlu13 dieses Gebetes laut, so da13 aile antworten: Sondern
erlose uns vom Bosen l) 22. Gegenüber dem romischen Brauch,
der nur ein leises Vater unser am Schlu13 der Vesper vorsieht,
hat hier Benedikt eine N euerung eingeführt". lm spanischen
Raum hingegen war dies schon üblich. Der Canon 10 des Kon-
zils von Gerona vom Jahr 517 bestimmte: (1 So gefallt es uns,
da13 an allen Tagen nach dem Morgen- und Abendoffizium das
Herrengebet vom Priester vorgetragen werde 24. Am 4. Konzil
von Toledo im Jahr 633 wird diese Bestimmung im cano 10 noch-
mals eingescharft, weil manche Priester das Herrengebet nur
am Sonntag und nicht jeden Tag laut vortrugen 25. Die Neuerung

nis ex Adam, in quo omnes peccauerunt, siue factorum, dictorum cogitatio-


numque nostrarum in illius lauacri mundatione deletis tamen, quia mansi-
mus in hac vita humana, quae temptatio est super terram, merito dicimus:
Dimitte nobis debita nostra, et hanc orationem uniuersa diGit ecclesia, quam
mundat saluator lauacra aquae in uerbo ...
21 AUGUSTINUS, Sermo 58,10 (PL 38,399).

" Regula Benedicti, 13,12-14 (ed. R. HANSLIK CSEL 75,621.): Plane


agenda matutina uel uespertina non transeat aliquando, nisi in ultimo per
ordinem oratio dominica omnibus audientibus dicatur a priore propter scan-
dalorum spinas, quae oriri soIent, ut conuenti per ipsius orationis sponsio-
nem, qua dicunt: dimitte nobis, sicut et nos dimittimus, purgent se ab huius-
modi uitio. Ceteris uera agendi ultima pars eius orationis dicatur, ut ab OInni-
bus respondeatur: Sed libera nos a malo.
23 A. DE VOGÜÉ, La règle de St. Benoit, Bd. 5 S. 493 mit Berufung auf
den den Ordo Lateranensis, ed. L. FISCHER, Bet'nhardi ordo officiorum eccle-
siae Lateranensis, München 1916 S. 1.
24 Concilium Gerundense (517), ca.n. 10 (ed. MANSI, Cone. ampl. coll.
8,550): !ta nobis plaeuit, ut omnibus diebus, post matutillas, et vespertinas,
oratio dominica a sacerdote proferatur.
25 H.Th. BRUNS, Canones Apostolorum Bd. 1 S. 225.
104 VIRGILE FIALA

Benedikts hatte also lhren Vorganger und war nicht reine Erfin-
dung, wahrscheinlich angeregt durch die sonntagliche Eucharistie-
feier, in der das laut gesprochene Vater unser des Priesters sei-
nen festen Platz hatte. lm übrigen war das Vater unser in
samtlichen Horen das AbschluJ3gebet.
lm byzantinischen Offizium st eh! das Vater unser in den
Eraffnungsgebeten jeder Hore, eingeleitet durch das Trishagion
und ein Gebet an die drei gattlichen Personen um Sündenver-
gebung. Sein ursprünglicher Platz ist am SchluJ3 der Vesper,
wo es nochmals wiederholt wird, gefolgt vom Troparion des Tages.
Das Trishagion mit dem Vater unser an dieser Stelle hat das
byzantinische Abendoffizium gemeinsam mit dem syrischen, dem
maronitischen, chaldâischen, koptischen und athiopischen Ritus.
Nur der armenische Ritus hat statt des Pater noster den Ps.
120 26 • Freilich wird das Vater unser im byzantinischen Stun-
dengebet leise gebetet, nur die Ekphonesis « Denn dein ist das
Reich usw. ,> wird laut gebetet, anders ais in der heiligen Litur-
gie, wo das ganze Volk mitsingt.

3. Die Ausbildung emes besonderen BuJ3teiles durch die Preces


oder Ca pitella.
Es besteht in der Liturgie cine gewisse Scheu, das Gebet
des Herm ohne eine Einleitung oder Vorbereitung zu beten.
Fast immer gehen ihm die Kyrie-eleison-Rufe voraus, oder wie
in der Regula Benedicti Cap. 13,11 und 17,8 bei Laudes und
Vesper eine regelrechte Litanei ". Die Form der Litaneianru-
fungen dürfte sich weithin decken mit der sogenannten Depre-
catio Gilasii ". Unter deren Bitten steh! gegen SchluJ3 folgende:
« Für die Reinigung unserer Seelen und Karper, um Vergebung
aller Sünden bitten wir den gütigen Herm-Kyrie eleison ». Diese
Litanei hat sich jedoch weder im monastischen Offizium, noch
in der Messe gehalten. Geblieben sind jeweils nur die Kyrie-Rufe.

26 vgl. A. RAES, I1ztroductio in liturgiam orientalem, Hom 1947, T. 14

S. 2041.
21 Regula Benedicti 13, Il und 17,8 (ed. R. HANSLIK CSEL 75, S. 62
und 67).
2B Deprecatio Gelasii, XIII (ed. PL 101,560 f.; kritische Ausgabe B.
CAPELLE, Le Kyrie de la messe et le pape Gélase, Rev. Bén. 46 (l934) 137: Fro
emundatione animarum corporumque nostrorum, et omnium venia pecca-
tOIum c1ementissimum Dominum supplicamus (kyrie eleison).
DIE SÜNDENVERGEBUNG UND DAS LATEINISCHE... 105

Von einer anderen Form berichtet Caesarius von Arles in


seiner Regel für die Monche, bald nach 502; danach endet die
Morgenhore mit einem Capitellum 29. Deutlicher drückt sich das
von Caesarius geleitete Konzil von Agde (506) in seinem Cano 30
aus: «Zum Abschlull der morgendlichen und abendlichen missae
werden capitella de psalmis gcbetet und das Volk nach der Ora-
tion vom Bischof mit Segen entlassen 1) 30. Diese gallikanischen
Capite11a ste11en eine Reihe von Psalmversen dar, die hier am
Schlull der Laudes und Vesper, spater zur Prim, zur Komplet
und zu anderen Horen gebetet wurden. In diese Capitella wur-
den dann das Schuldbekenntnis (Confiteor und Misereatur) und
der Ps. 50 eingebettet; der eigentliche Ausgangspunkt, das Vater
unser, war nur mehr ein Teil unter anderen 31, Neben dieser gal-
likanischen Form der Capitella oder Preces wird im Antiphonar
von Bangor (Ende des 7. Jahrhunderts) die keltische Form sicht-
bar ". Diese ist dadurch gekennzeichnet, daB zuerst die Perso-
nen oder Anliegen genannt werden, denen die Fürbitten gelten,
dann folgen die Psalmverse (Capitella) und schlieBlich eine kurze
abschlieBende Oration, z.E.: (1 Lallt uns beten für unsere Sün-
den und Nachlassigkeiten 1). Es folgen Ps-Verse 78,8.9; 69,1 und
das Gebet: «Eile, Herr, uns von allen unseren Sünden zu be-
freien »33. Auch hier bildet PS. 50 den AbschluB mit einer Ora-
tion. Wie sehr diese Pree es vom Bullcharakter geformt sind,
zeigt sich daran, dall sie in den BuBbüchern vor und nach der
Beichte und ebenso VOr der Krankenolung vorgesehen sind 34.
Schon im Lauf des Mittelalters wurden diese Capitella gekürzt
und ein Rest dieser Preces hatte sich bis zur Liturgiereform der
letzten J ahrzehnte in dem romischen und monastischen Offi-
zium erhalten.

20 CAESARIUS ARELAT., Regula ad monachos 21 (ed. G. MORIN, Bd. 2,


Corp. Christ. 104 S. 153; PL 167, 1102).
30 Concilium Agathense (506) can. 30 (ed. MANS!, Conc. ampl. coll. 8,

330): ... et in conclusione matutinarum vel vespertinarum missarum, post


hymnos capitella de psalmis dicantur, et plebs collecta oratione ad vespe-
ram ab episcopo cum benedictione dimittatur.
III vgl. die Liste solcher gallikanischer Capitella bei ] .B.L. TOLLHURST,
The monastic breviary of Hyde abbey, Bd. 6 (H. Brads. Soc. 80) 1942 S. 36.
" Antiphonary of Bangor. ed. F.E. WARREN (RBS) 10) 1895 S. 22.
sa TOLLHURST a.a.O. Bd. 6 S. 25.
34. ] .A. ]UNGMANN, Liturgisches Erbe und pastorale Gegenwart, S. 243;

dort verwiesen auf H.J. SCHMITZ, Die BufJbiicher und d·ie BufJdisziplin der
Kirche, Mainz 1883 S. 239f., 341, 271, 273.
106 VIRGILE FIALA

4. Das in das tiigliche Offizium fest eingefügte allgemeine oder


individuelle Sündenbekenntnis. Die brüderliche-schwesterliche
Beichte.

Wir haben bisher drei Formen des Bekenntnisses der tiigli-


chen Sünden innerhalb des Stundengcbetes dargestellt: den BuB-
psalm 50, das Vater unser und die Preces. Diesen drei Formen
liegt eine gemeinsame BuBpraxis der Kirche zugrunde. Fast ein
J ahrtausend lang war die kanonische Rekonziliation, die sakra-
mentale Lossprechung von den schweren Sünden, den crimina,
gebunden an den Vollzug der privaten oder 6ffentlichen BuBe.
Diese konnte jahrelang wiihren, war aber meist gebunden an
die Quadragesima. Am Gründonnerstag erfolgte die Rekonzilia-
tion mit einer eigenen liturgischen Feier 35. Das hat mit dem
Stundengebet nur insofern etwas zu tun, aIs in dieser Quadra-
gesima der BuBgeist verstiirkt in den Texten und Gesten, z.B.
Knien, aufscheint. Andererseits werden in der Osterzeit, der Pen-
tecoste, der BuBpsalm 50 durch einen anderen ersetzt und das
Knien ausgeschlossen 36. Da also eine sakramentale Beichte und
Lossprechung für die taglichen Sünden in der Kirche nicht üblich
war, trat die innere Zerknirschung vor Gott, angeregt und nach
auBen kundgetan im BuBpsalm und Vater unser an die Stelle.
Dazu kam noch das offene Bekenntnis der tiiglichen Verfehlun-
gen var wem immer.
über dieses brüderliche oder schwesterliche Sündenbekenntnis
ohne eigentliche priesterliche Lossprechung liegt eine Reihe von
Aussagen der Kirchenviiter vor. Augustinus sagt im Traktat in
J ohannem XII, 13: « Viele haben ihre Sünden geliebt, viele haben
ihre SÜllden bekannt; denn wer seine Sünden bekennt und seine
Sünden anklagt, tut dies schon mit Gott. Gott klagt deine Sün-

35 vgl. Sacramentarium Gelasianum ed. MOHLBERGfEIZENHOFERfSIFFRIN


(Rer. Ecc!. Doc. Ser. Maior 4) 1960 S. 58 fi. Nr. 364-374.
3U Ordo Cassinensis II (778-797), ed. T. LECCISOTTI, Corp. Cousnet. Ma-
nast. Bd. 1 1963 S. 122: A feria quarta in Albis usque in octaua Paschae sex
lectiones ad Nocturnos faciunt, et Evangelium semper legunt, et ad Matu-
tinum Dominus regnauit cantant, et ad nullum officium completum Mise-
rere mei Deus et caeteros psalmos cantant, sed neque genua fiectunt publiee
in orationem usque in octaua Pentecoslen; similiter in nataliciis sanctorum
et reliquis festiuitatibus.
DIE SÜNDENVERGEBUNG UND DAS LATEINISCHE... 107

den an; wenn du sie auch anklagst, vereinigst du dich mit Gott • ".
Basilius d.Gr. schreibt in seiner kleinen Regel c. 110 seinen Non-
nen vor, daB sie ihre Fehler durch Vermittlung «der Âlteren J)
<, dem Âlteren J) bekennen sollen SB. Johannes Cassian schreibt
in der Collatio 20,8: «Zuweilen erreicht man die Vergebung der
Sünden durch Fürbitte der Heiligen. Auch durch das Bekennt-
nis der Sünden wird ihre Tilgung erreicht J) " . Columban bestimmt
in seiner Regula coenobialis (Anfang des 7. Jahrhunderts): «Von
den heiligen Viitern ist bestimmt worden, daB wir vor dem Altar
das Bekenntnis ablcgen sollen oder vor dem Eintritt der Leser
und wann immer es sei J) 40. Diese Bestimmung hat Donatus
von Besançon in seine Regula pro virginibus (Mitte 7. J ahr-
hundert) cap. 23 41 übernommen, mit der Aullage, daB die
Schwestern ihre tiiglichen Sünden der geistlichen Mutter (mater
spiritualis) ablegen sollen. Die dafür vorgesehene Zeit ist nach
dem Ende des niichtlichen Stillschweigens: «In der Früh nach
der Secunda sollen sie an einem Ort um Vergebung bitten; die
einzelnen (Schwestern) sollen ihr Bekenntnis ablegen für ihre
lleischlichen Gedanken oder niichtlichen Vorstellungen, dann zu-
sammen beten: Dein Erbarmen, Herr, komme über uns (Ps. 32) J) 42.
C. Vogel hat aus den Heiligenleben des Frankenreiches jene
Stellen zusammengestellt, die von dieser Laienbeichte handeln 43.

37 AUGUSTINUS, Tract. in Johannem 12,13 (ed. R. WILLEMS, Corp. Christ.

36,128): Multi enim dilexerunt peccata sua, multi confessi sunt peccata sua;
quia qui confitetur peccata sua et accusat peccata sua, iam cum Deo facit.
Accusat Deus peccata tua; si et tu accusas, coniungeris Deo.
38 J. GRIBOMONT, Histoire du texte des Ascétiques de S. Basile, 1953 S. 225:

8~à. 'tije; Tt"PEO"(juTépcte; Tt"pàe; 't'O\l Tt"pEO(jÛ't'EpO\l.


1!9 JOHANNES CASSIAN, Collationes XX, 8 (ed. M. PETSCHENIG, CSEL

13,56): Interdum etiam intercessione sanctorum impetratur venia peccato-


rum. Nec non per criminum confessionem peccatorum abolitio conceditur.
30 COLUMBAN, Regula coenobialis fratrum (ed. G.S.M. WALKER, Script.

Lat. Rib. Bd. 2 S. 144): Statutum est, fratres carissimi, a sanctis patribus,
ut demus confessionem ante mensam sive ante lectorum introitum aut quan-
documque fuerit dare.
U DONATUS, Regula pro virginibus 23, PL 87,282 D.

<12 Ebenda cap. 19 (PL 87,281 C): Et idee exeuntes a completoriis nulla

sit licentia denuo loqui cuiquam aliquid, usque mane post Secundam cele-
bratam in conventu; quod in loco veniam petentes, ac singulae confessionem
dantes pro cogitationibus carnalibus atque turpibus, vel nocturnis visionibus
demum pariter orantes dicant: Fiat, Domine misericordia tua (Ps 32).
43 C. VOGEL, La disciPline pénitentielle en Gaule des origines au IX e
;iècle. Le Dossier hagiographique. Rev. Sciences rel. 30 (1956) 1-26.157-186.
108 VIRGILE FIALA

In der Vita der hl. Burgundofara des Jonas von Bobbio cap. 9
heiBt es: Es war Gewohnheit des Klosters und der Regel, daB
man dreimal am Tag durch das Bekenntnis den Sinn reinige ... >}44.
Das wird bestatigt dur ch die Regula cuiusdam Patris ad virgi-
nem des Abtes Waldebert von Luxeuil für das Frauenkloster
Faremoutier (Mitte des 7. Jahrhunderts) cap. 6: {( Bekennt ein-
ander die Verfehlungen ... nach der Secunda sind sie durch das
Bekenntnis zu heilen. Was aber im taglichen Tun, durch Schauen,
Haren, Gcdanken, durch Lauheit gefchlt wurde, soli nach Ende
der Non ... (und) ... var der Komplet bekannt werden >} 4'. Die
dreimalige Gelegenheit zum Bekenntnis der taglichen Sünden
bestand demnach nach der Secunda, die der Prim entspricht,
nach der Non und var der Komplet.
Bei ail diesen Zeugnissen muB man beachten, daB sie unter
dem EinfluB der keltisch-irischen BuBpraxis stehen, die von Co-
lumban auf das Festland mitgebracht worden ist. Darin sind
die BuBen für bestimmte Vergehen gleichsam tarifmaBig festge-
legt. Sa konnte der reuige Sünder si ch der festgesetzten BuBe
freiwillig unterwerfen und nach ihrer VerbüBung die GewiBheit
der Vergebung haben, soweit nicht die Schwere der Sünde die
priesterliche Lossprechung erforderte.
Charakteristisch für die gewandelte BuBpraxis ist die Exe-
gese, die Beda venerabilis (t 735) von Jac 5,16 gibt: {, Bekennet
einander eure Sünden. In diesem Satz muB jene Unterscheidung
walten, daB wir die taglichen und leichten Sünden, einer dem
anderen als Gleichgestellten bekennen und glauben, daB sie
durch das tiigliche Gebet geliist werden. Dagegen laBt uns gemaB
dem Gesetz die Unrcinheit schweres Aussatzes var dem Priester
ausbreiten und nach seinem Urteil, wie und in welcher Zeit er
es befiehlt, besorgt sein, sie zu reinigen >} 46. Hier wird am An-

44. JONAS BOBBIENSIS, Vita S. Burgondofare c. 9 (MGR 55 Rer. Merov.

IV, 139): Erat enim cünsuetudinis monasterii et regulae, ut ter in die per con-
fessionem magllaeque earum mentem purgaret, et qualerncumque rugam mens
fragilitate attraxisset. pia proditio ablueret.
45 Regula cuiusdam Patris ad virgines, cap. 6 (PL 88,1059 AID): Con-

fitemur invicem delicta... post Secundam per confessionem curandum est.


Quidquid vero diurno actu vel visu, auditu, cogitatu, tepcscel1do deliquit,
Nonae horae expleto cursn ... ante Completam confitendum est.
46 BEDA VEN., Expositio super Epistolas catholicas (PL 93, 39D/40D):
Confitemini alterutrum peccata vesua (Jac 5,16). In hac autem sententia,
illa debet esse discretio, ut quotidiana leviaque peccata altcrutrum coaequa-
DIE SÜNDENVERGEBUNG UND DAS LATEINISCHE... 109

fang des 8. J ahrhunderts deutlich die mitbrüderliche Beichte


der taglichen leichten Sünden von der sakramentalen Beichte
beim Priester unterschieden, der nach vollzogener BuLle die Los-
sprechung gibt. Diese Textinterpretation von Jac 5,16 durch
Beda wurde übernommen von dem Reformator des frankischen
Mbnchtums Benedikt von Aniane (t 821) in seiner Concordia
Regularum 47, von Smaragdus (t nach 825) 4', Rhabanus Mau-
rus (t 856) 49 und Jonas von Orleans (t 843) 50.
Dieses gegenseitige Bekenntnis wird ebenfalls bezeugt in
dem Brief des Abtes Theodemar von Monte Cassino (778-797)
an Theodoricus cap. 23: <, Zweimal am Tag, in der Früh und am
Abend, legen wir einander das Bekenntnis ab: in der Früh be-
kennen wir, wenn wir etwas in der N acht an Gedanken oder
Vorstellungen gefehlt haben, am Abend aber, wenn wir etwas
mit Worten, im Herzen oder im Handeln übertreten haben)} 51.
Das gil t für die taglichen Sünden, wahrend am Samstag vor
der Komplet beim Abt, wohl einem Pries ter, gebeichtet wird 52,
wie es die 5. Stufe der Demut der Regula Benedicti cap. 7,44
empfiehlt ". Dem kbnnte mit einigem Vorbehalt die Bestim-
mung des Ordo Romanus XVIII, 3 vom Ende des 8. Jahrhun-
derts entsprechen: <, J ene Prim wird gesungen, wo sie schlafen,
und ebendort beten sie füreinander, nachdem das Capitulum
vorgetragen ist» 54.

libus confiteamur eorurnque quotidiana credamus oratione salvari. Porro gra-


vioris leprae immunditiam iuxia legem sacerdoti pandamus atque ad eius
arbitrium qualiter et quanto tempore iusserit purificarc curemus.
41 BENEDIKT VON ANIANE, Concordia regularum c. 36,6 (PL 103, 1030 A).

411 SMARAGDUS ABBAS, Collectiones in Epistolas et Evant;elia. In Litania

maiori (PL 102,303C); Diadema Monachorum c. 16 (PL 102,613A).


411 RHABANUS MAURUS, Homilia 42 (PL 110,223A).

50 JONAS VON ORLEANS, De institutione laicali cap. 16 (PL 106,152D-

154B).
51 THEODOMARI ePistola ad Theodoricum, cap. 23 (ed. J. WINANDYjK.

HALLINGER, Corp. Consuet. Mona'it. Bd 1 S. 134): Bis in die, mane scilicet


et vesperi, confessionem ad invicem facimus: mane confitentes, si quid noctu
cogitatione vel illusione deliquimus, vesperi autem, si quid verbo, corde vel
opere excedimus.
52 Ebenda cap. 21 S. 134.
53 Regula Benedicti cap. 7,44 et!. R. HANSLIK CSEL 75 S. 48.
54 Ordo Romanus XVIII, 3 (cd. M. ANDRIEU, Les Ordines Romani du

haut moyen âge, Bd 3 S. 205): Ista Prima ibi cantatur, ubi dormiunt, et ibi-
dem pro invicem, capitula dicta orant.
110 VIRGILE FIALA

Benedikt von Aniane dürfte auf einer seiner Klosterreisen


die Klosterordnung vorgefunden hab en, die mit « Memoriale qua-
liter" beginnt". Er hat sie in die Capitula der Aachener Sy-
node vom Juli 817 eingefügt und damit bekannt gemacht. In
ihr sind Bestimmungen enthalten, die uns für das Ende des 8.
J ahrhundert genaue Angaben über die brüderliche Beichte Iie-
fern. In cap. IV 10 wird geraten: « Wegen unreiner und schIim-
mer Gedanken oder unschicklicher Reden magen sie ihre Zuflucht
zum Bekenntnis nehmen ,) 56. Dies geschieht an zwei SteIIen im
Tagesablauf beim Kapiteloffizium nach der Prim und vor der
Komplet: « \Viederum kommen sie zusammen zur Prim. Sobald
dieses Offizium beendet ist, geben sie vor dem Ps. 50 einander
ihr Bekenntnis und beten, rein geworden, mit demütigem Her-
zen füreinander ,) 57. « Nachdem sie das StilIschweigen aufgenom-
men haben, gehen sie mit Ehrfurcht zur Komplet, beten mit
guter Intention, geben einander ihr Bekenntnis und beginnen
die Komplet ,,58. Von dieser doppelten Maglichkeit, sich durch
ein gegenseitiges Bekenntnis der tiiglichen Sünden von diesen
zu lasen, ist die (< culpa ') zu unterscheiden. Hier klagt sich der
Miinch beim Abt oder seinem SteIIvertreter über jene materiel-
len Schiiden oder iiuBeren Verfehlungen an, die gegen die Regel
verstieBen 59.
lm Laufe des 9. Jahrhunderts bekommt das gegenseitige
Bekenntnis der tiiglichen Sünden in Prim und Komplet auch
ein liturgisches Gewand, ganz parallel zum Stufengebet vor der
Messe. In der 4. Rezension der Regel des Chrodegang von Metz
(Ende 9. J ahrhundert oder Anfang 10. J ahrhundert) heiBt es

55 Memoriale qualite1', ed. C. MORGAND, Corp. CODsuet. Manast. Bd. l


S. 229-289; dazu der Kommentar vom gleichen Verfasser in Rév. Bén. 72
(1962) 22-60.
56 Memoriale qualitcl', [IV] 10 a.a.O. S. 249: Pro immundis vero et no-

ciuis cogitationibus nel ineptis locutionibus semper ad confessionem recur-


rant: melius est enim ut diabolum accusemus quam nos, quia si semper ma-
nifestamus iniquam eius suggestionem, minus nos nocere poterit.
57 Ebenda [II] 5, a.a.O. S. 234: Iterum convenientes ad Primam, dum

percompletur ipsud officium, ante psalmum quinquagesimum douent con-


fessiones suas vicissim puriter supplici corde certatim pro se orantes.
68 Ebenda (VI) 17, a.a.O. S. 259: Recepto silentio eum reuerentia in-

trent ad Completam, orent cum intentione mentis, dent confessiones suas


alternatim, incipiant Completam.
611 Ebenda (II. De prima et officio capituli) 7, a.a.O. S. 237.
DIE SÜNDENVERGEBUNG UND DAS LATEINISCHE... III

im Cap. 18: " Die Kleriker kommen zusammen, um in der Kirche


die Prim zu singen. Ist das Offizium beendet, geben sie einander
vor dem 50. Psalm ihre Bekenntnisse mit den Worten: '1ch be-
kenne dem Herm und dir Bruder, da13 ich gesündigt habe in
Gedanken und im Reden und im Tun; deshalb bitte ich dich
für mich zu beten'. Der Bruder antwortet: 'Es erbarme si ch deiner
der allmiichtige Gott, er lasse dir aile deine Sünden nach; er be-
freie dich von allem Dbel, bewahre dich in allem Guten und führe
dich zum ewigen Leben'. Und jener sagt: 'Amen'. Mit demütig
bittendem Herzen bei sich betend tun sie si ch dies» 60. Die Form
der offenen Schuld (Confiteor) zeigt im Mittelalter eine gewisse
Variabilitiit, ebenso das Gebet dessen, vor dem das Schuldbe-
kenntnis abgelegt worden ist. Bei der Formulierung eines Ge-
betes an den allmiichtigen und barmherzigen Gott kann es von
einem Laienmitbruder oder einer Mitschwester des Poenitenten
genauso verwendet werden, wie von einem Priester, der kraft
seiner Weihe die Vollmacht der Sündenvergebung in der sakra-
mentalen Beichte hat. Tatsiichlich wurde diese deprekative Los-
sprechungsformel bis in das 13. J ahrhundert für die sakramen-
tale Beichte verwendet. Erst von da ab hat sich auf Grund der
Autoritiit des hl. Thomas von Aquin die indikative Form: Ego
te absolvo - '1ch spreche dich los' durchgesetzt ". Nach dem
liturgischen Gesetz der Juxtaposition des Neuen zum Alten ",
belie13 man bis heute die alten deprekativen Formeln und setzte
in der sakramentalen Beichte die indikative Form daneben.
Für den sich vollziehenden Wandel von der brüderlichen
zur sakramentalen Beichte sind die "Gewohnheiten der Bene-
diktinerabtei Eynsham in Oxfordshire l} aus dem 13. J ahrhun-

60 CHRODEGANGUS METEN., Regula 4. Recensio, c. 18 (PL 89,1067B):


Convenientes c1eri ad Primam canendam in ecc1esia completa officia ipso.
ante psalmum quinquagesimum donent confessiones suas vicissim dicentes:
Confiteor, Domine, et tibi frater, quod peccavi in cogitatione et locutione
et opere; propterea prccor te, Dra pro me. Et ille respondit: Misereatur tui
omnipotens Deus, et indulgeat tibi omnia peccata tua; liberet te ab amni
mala, coDseruet te in amui bona, et pcrducat te ad vitam eternam. Et ille
dicet: Amen. Supplici corde certatim pro se orantes hoc sibi faciunt.
61 THOMAS AQUIN., Summa III q. 84 art. 3.
oa V.E. FIALA, Das liturgische Gesetz der Juxtaposition des Neuen zum
Alten und seine Bedeutung fiit' die Liturgiet'efot'm. Archiv f. Liturgiewissen-
schalt 13 (1971) 30.
112 VIRGILE FIALA

dert eharakteristiseh". Getreu der Tradition wird ein Bekennt-


nis der tagliehen Sünden innerhalb der Prim (Nr. 77) und der
Komplet (Nr. 184) abgelegt und zwar « sagen sie zu zweit oder
dritt das Confiteor. Den Jüngeren sollen sieh Priester beimi-
schen ) 64. Das Misereatur wird hier, soweit cs ein Priester spricht,
ais sakramentale Lossprechung angesehen. lm 15. J ahrhundert
ist die Entwieklung vollendet. Nach den Consuetudines S. Mat-
thiae (1435) und St. Maximini (1436) in Trier, die von Johan-
nes Rode (à 1439) verfaBt sind, wird den Priestern na ch den
Laudes vor der Messe Gelegenheit zur sakramentalen Beichte
gegeben 65. Nach dem Confiteor folgen die deprekativen und indi-
kativen Absolutionsformeln. ,Vie Ps. 50 und das Pater noster
wird aueh das Confiteor und Misereatur ais ein zu persolvieren-
der Offiziumsteil angesehen. lm allgemeinen BewuBtsein hat er
nicht mehr die ursprünglich sündentilgende Kraft .

• • •
Wir haben den Formenwandel der remissio peccatorum, des
N aehlasses der taglichen Sünden, innerhalb des kirchlichen Stun-
dengebetes der Lateinischen Riten aufgezeigt. Eine solehe Rück-
besinnung auf einstige Übungen zeigt die vielfaltigen Miiglich-
keiten auf, wie die von Sehuldgefühlen bedrückten Menschen
zur seelischen Befreiung kommen kiinnen. lch denke hier beson-
ders an das, was ich brüderlich-sehwesterliche Beichte der tagli-
chen Sünden genannt habe. Die moderne Psychologie hat ja
die Ursaehen vieler seelischer Erkrankungen, der Neurosen insbe-
sondere, in den unbewaltigten seelischen Konflikten crkannt.

63 Customary of Eynsham. Oxfordshire, ] 3 s. Nr. 77 ed. A. GRANSDEN,


Corp. Cousuet. Mona~t. Bd. 2 1963 S. 68: Incipietur autem pulsari signum
a iuniore ad Primam quando psalmi familiares (pro rege, regina, benefacto-
ribus et amicis) non fiunt. Postquam dicitur Confiteor nisi dominica fuerit.
64 Ebenda Nr. 184 S. 111: De completorio. Dehinc facto ante et retro

ab omnibus ipso praesidente incipiente veniant omnes in chorum iunioribus


praeccdentibus et pulsato breviter signo quod prius ad col1aeionem pulsaba-
tur dabit prior signum et fiet oracio. Postmodum interius facto signo dicant
bini et bini vel terni Confiteor. Intermisceant se sacerdotes iunioribus. Dehine
incipiatur ab ebdomadario sacerdote Converte nos dcus etcetera.
65 Consuetudilles et observantiae Monasteriorum St. 1Iathiae et St. Ma-

ximini Trevercnsium ab Johanne Rode abbate conscriptac, cd. P. BECKER,


Corp. Consuet. Monast. Bd. 5 1968 NI. 25 S. 29.
DIE SÜNDENVERGEBUNG UND DAS LATEINISCHE... 113

Für den heutigen Menschen wurde vielfach so der Psychothera-


peut der Bruder, bei man ,< beichtet,) und von seiner seelischen
Last befreit zu werden hofft.
Auf die Parallelen im Officium divinum der ostlichen Kirche
beim Gebrauch des Ps. 50 und des Pater noster habe ich hin-
gewiesen. Bekannt ist die Herzenseroffnung gegenüber dem aner-
kannten Geistesmann, dem Starez, auch wenn er nicht Priester
ist, bis in die neueste Zeit. Dies scheint mir ein Relikt der brü-
derlichen Beichte zu sein. Einen festen Platz innerhalb des Offi-
ziums dürfte sie aber nicht gefunden haben. In den Kirchen
der Reformation des 16. J ahrhunderts ist die Ohrenbeichte all-
miihlich in Verfall geraten, obwohl sie Martin Luther selbst bis
zu seinem Tod geübt und nicht abgeschafft hat. Beibehalten
wurde die offene Schuld und aIlgemeine Lossprechung. Da aber
kein Offizium mehr geübt wurde, hatte sie ihren Platz nur im
sonntaglichen Gottesdienst. In der Communauté von Taizé wird
gemiiJ3 dem Kap. der Regel ,< Barmherzigkeit,) die Beichte bei
ein und demselben Bruder abgelegt, der zusammen mit dem
Prior ausgesucht ist ". Ob auch innerhalb des Stundengebetes
dem Sündenbekenntnis ein Platz eingeraumt ist, geht aus der
Regel nicht hervor. Die Marienschwestern in Darmstadt halten
offene Gewissenserforschung und bereinigen innere Zwistigkeiten,
wenn sie mer ken, daJ3 Gott ihnen bei einem Vorhaben Hinder-
nisse bercitet.
lm katholischen Raum werden neuerdings seit dem 2. Va-
tikanischen Konzil vermehrt BuJ3andachten abgehalten. Sie sol-
len den üiglichen, leichten Sünden gelten und den Beichtstuhl
entlasten. Diese BuJ3andachten sind eine legitime Form der Sün-
denvergebung, wenn mit ihnen die Aufrichtigkeit der Reue, emste
BuBgesinnung und Umkehr verbunden ist. Wenn wir zu l1nse-
rem Al1sgangspl1nkt zurückkehren, so soll das Stl1ndengebet, aIs
Gebet der Kirche, seine voile Kraft nicht nur dadurch erhal-
ten, daJ3 es aus vielfaltigem Mund im Heiligen Geist durch Jesus
Christus zum Vater geht, sondern auch aus gereinigtem, demü-
tigem Herzen kommt, und so v:>m Vater Aller in Güte ange-
nommen wird.
Virgile FIALA, O.s.E.

66 R. SCHUTZ, Die Regel von Taizé, franzos. und deutsch. Gütersloh


51969 S. 40: La confession se fait au seul et meme frère, choisi avec le prieur.
LES BASES DE LA PÉNITENCE MODERNE *

Plusieurs grandes questions se posent aujourd'hui de divers


côtés au sujet du sacrement de pénitence. La plus apparente
est sans doute: Que penser de la diminution de la fréquence des
confessions, massive dans un certain nombre de pays? Est-ce
un des aspects de la déchristianisation, ou un signe que la pra-
tique du sacrement de pénitence passe par une de ces transfor-
mations dont elle a connu plusieurs au cours des siècles? 1 En
même temps l'on s'interroge sur le fonctionnement du sacrement:
L'accusation des péchés est-elle nécessaire pour obtenir l'abso-
1ution? Ou même peut-on obtenir le pardon de Dieu sans re-
courir à un prêtre? Et les interrogations transparaissent dans
des recherches diverses sur le nom du sacrement ,< célébrer la
pénitence », sacrement du pardon, de la réconciliation, ou -
comme dit le nouveau Rituel romain puisant dans la tradition
ancienne - réconciliation des pénitents. Des changements de ce
genre sont beaucoup plus importants qu'ils ne paraissent à pre-
mière vue: dans la manière dont nous nommons une réalité,
une pratique religieuse, que nous en ayons conscience ou non,
est engagé notre rapport fondamental à celle-ci, ce qu'elle est
pour nous. Cela est vrai des noms employés par le prêtre dans
la prédication et la catéchèse (<< sacrement de pénitence ») et
de ceux qui sont employés par les fidèles dans la vie de tous les
jours (<< la confession »).
Les principales données actuellement en cause, à savoir d'une
part la manière d'agencer les composantes du sacrement (et
corrélativement le nom donné à celui-ci), et d'autre part la con-
fession régulière et fréquente sont les bases pratiques et doc-
trinales de la pénitence depuis environ huit siècles. On peut ré-
partir schématiquement l'histoire du sacrement de pénitence en

• Cette relation a été publiée aussi dans La Maison-Dieu, 117, 1974,


63-85 (N. d. 1. R.).
l Cf. «Problèmes de théologie sacramentaire &, LMD 110. 1972, 131-132.
116 P,-M. GY

trois reglmes successifs 2: celui de la pénitence antique, celui de


la pénitence « tarifée" (du 7" au l2 e s.). dans lequel à chaque
faute était attachée une pénitence fixe et rigoureuse; enfin, de-
puis le l2 e s., celui de la pénitence telle que nous la connaissons,
qu'on peut appeler la pénitence moderne. Or le passage de la
pénitence tarifée à la pénitence moderne est précisément con-
temporain de l'élaboration de la théologie du sacrement 3 qui
est demeurée classique jusqu'à nos jours et a été en partie ca-
nonisée par le concile de Trente.
Le but de ces pages est de retracer la genèse de la pénitence
moderne, de montrer à quelles questions elle répond. Ainsi peut-
être verra-t-on en quoi elle est susceptible de varier et en quoi
elle tient à l'essentiel même du sacrement.

1. LES COMPOSANTES DE LA PÉNITENCE

L'abandon de la Pénitence tarifée


Dans la première moitié du 12e s. le regJme de la pénitence
antérieure est encore en vigueur. Par rapport à la pratique mo-
derne du sacrement une importance beaucoup plus grande est
donnée, dans la confession, à la péniteuce que le prêtre impose
«( dare », {( indic are », {( iniungere paenitentiam ») 4, Les péniten-

Il Cf. C. VOGEL, Le Pécheur et la pénitence dans l'Eglise ancienne, Paris,

1966; Le pécheur et la pénitence au moyen dge, Paris, 1969.


Dans L'Eglise en prière j'ai distingué plus sommairement, à la suite
de Poschmann, deux régimes, mais il faut alors souligner que le passage' de
la pénitence ancienne à la pénitence moderne s'est accompli de façon pro~
gressive.
:1 Cf. P. ANCIAUX, La Théologie du sacrement de Pénitence au XIIe s.,

Louvain-Gembloux, 1949. Du point de vue adopté ici cet ouvrage, qui est
fondamental, a une limite: il met trop peu la théologie en rapport avec l'évo-
lution institutionnelle du sacrement.
4 Quelques références au hasard: ~ Dare »: S. CÉSAIRE, S. 62 et 63 (CC
103, 271, 273, 274). (C Indicare &: Concilium Germanicum (742), c. 2 (MANS!
XII, 366). ~ Iniungcre »: RATHIER DE VERONE, Synodica, PL 136, 562; Ro~
BERT DE FLAMBOROUGH, Liber poenitentialis, Toronto, 1971, IV 229, avec
la note de l'éditeuT, le P. FIRTH, p. 199: (l Flamborough, in harmony with
contemporary theology, considers that the official act of the priest in con-
fession is to authoritatively assign a penance: iniungere poenitentiam ».
(c Accipere »: S. CÉSAIRE, S. 60 (CC 103, 263). - ~ Suscipere »: RÉGINON DE
PRÜM, De eccl. disciplinis l, 241 (PL 132, 245).
LES BASES DE LA rÉNITENCE MODERNE 117

ces pour les diverses fautes sont réglées et « tarifées 1) par les
livres pénitentiels, comme on peut encore le voir lorsqu'au len-
demain de la bataille de Hastings (1066) le légat papal Ermen-
frid de Sion et les autres évêques édictent les pénitences pour
l'armée normande: un an de pénitence par homme tué; quarante
jours lorsqu'on ignore si celui qu'on a frappé est mort; un jour
par semaine toute la vie pour celui qui ignore combien d'hom-
mes il a tués 5. Mais au 12 e s. les pénitences tarifées commen-
cent à paraitre trop lourdes, et leur réglementation rigide ina-
daptée. Les évêques se mettent à multiplier les rémissions par-
tielles, par exemple pour les fidèles qui viennent assister à la
dédicace d'une église (ce qui sera à l'origine de la pratique des
indulgences)' et l'on insiste sur le principe que le prêtre peut
adapter lui-même dans chaque cas le tarif de la pénitence '. Du
coup les pénitentiels vont tomber en désuétude dans la deuxième
moitié du 12 e S.8 mais nous en avons encore un exemple, à Saint-
Victor de Paris au début du l3 e s., dans le pénitentiel de Ro-
bert de Flamborough.

A bélard et le rôle central de la contrition


C'est dans ce contexte que s'est constituée la théologie de
la pénitence qui a eu par contrecoup une influence profonde
sur l'équilibre interne de la pratique de la pénitence, le dépla-
cement d'accent de la pénitence-satisfaction et l'abandon de la
pénitence tarifée.
Dans le premier tiers du 12 e s., sur la montagne Sainte-
Geneviève, Pierre Abélard enseigne la théologie. Il est clerc,

5 L'ordonnance d'Ermenfrid, qui est beaucoup plus détaillée, est com-

mentée par H.E.]. COWDREY, (l Bishop Ermenfrid of Sion and the Penitential
Ordinance following the battle of Hastings *, Journal of Ecclesiastical History
20, 1969, 225-242.
6 Cf. B. POSCHMANN, Der Ablass im Licht der Bussgeschichte, Bonn, 1948.

7 Canon (l Mensuram autem temporis *, GRATIEN, c. 86, D. 1 de poen.

(FRIEDBERG l, 1183-1184) avec les remarques de J. LONGÈRE dans son édi-


tion d'ALAIN DE LILLE. Liber Poenitentialis, t. l, Louvain-Lille, 1965, 177
et 185. Cf. ANCIAUX, 31 et C. VOGEL, (l Composition légale et commutations
dans le système de la pénitence tarifée *, Revue de droit canonique 8, 1958,
289-318: 9, 1959, 1-38, 341-359.
B Le tournant a été décrit par PH. DELHAYE, (l Deux textes de Sena-

tus de Worcester sur la pénitence *, Recherches de théologie a1~t;ienne et mé-


diévale 19, 1952, 203-224.
118 P.-M. GY

mais très vraisemblablement pas prêtre. En bas de la monta-


gne, sur la rive de la Seine aux portes de la ville, se trouve la
grande communauté canoniale de Saint-Victor, qui est ou sera
bientôt le lieu où les étudiants vont se confesser: Jacques de
Vitry l'appellera la « piscine probatique où les étudiants vont
se purifier de leurs péchés >) g. Dans cette communauté enseigne
un autre grand théologien, grand spirituel aussi, Hugues de Saint-
Victor, qui va pendant des années dialoguer avec Abélard, tan-
tôt tenant compte de ses idées et tantôt lui résistant, jusqu'au
jour où il durcira son opposition, probablement sous l'influence
de S. Bernard 10. La discussion porte entre autres sur la péni-
tence. Abélard, un homme supérieurement intelligent, qui avait
un don extraordinaire pour poser des questions nouvelles de
manière aggressive et avec ce je ne sais quoi qui le mettait dans
les pires embarras, a perçu très fort le rôle de la conscience dans
l'existence chrétienne, de l'intention dans la valeur de nos actes.
Du point de vue où il se place, il attaque la pratique du système
des pénitences, met en question la transmission du pouvoir d'ab-
soudre par les apôtres à leurs successeurs et met presque le tout
de la pénitence dans la contrition. Avant lui, semble-t-il, on
appelait «vraie pénitence >} 11 celle à laquelle sa sincérité don-
nait sa pleine vérité chrétienne. Chez lui la vraie pénitence n'est
plus une pénitence qu'on accomplit «< agere paenitentiam »), c'est
la contrition du coeur et celle-ci monopolise le nom au point
qu'Abélard appelle satisfaction la pénitence que le prêtre donne
à faire. La contrition, regret de la faute par amour de Dieu, pro-
cure aussitôt le pardon du péché, même s'il faut ensuite confes-
ser celui-ci et accomplir la satisfaction 12. A considérer ainsi la
pénitence, Abélard en traite non à propos des sacrements mais
de la caritas: à un moment où la théologie cherche tout à la fois
à définir et à énumérer les sacrements au sens strict, il n'y inclut
pas la pénitence.

y Cf. F. BONNARD, Histoire de l'Abbaye royale et de l'Ordre des chanoines

réguliers de Saint-Victor de Paris, t. I, Paris, 1904. 193-199.


10 Ceci a été mis en lumière dans un très beau chapitre du livre de D.E.

LUSCOMBE, The Sckool of Peter Abelard, Cambridge, 1969.


11 AMBROSIASTER, In II Cor, 2, 7 (PL 17, 282): Il Haec est vera paeni-
tentia, cessare a peccato 1). Cf., au lIe S., l'écrit pseudo-augustinien De vera
et falsa poenitentia (PL 40. 1113-1130, surtout 1121).
13 Les textes sont cités par ANCIAUX, 178.
LES BASES DE LA PÉNITENCE MODERNE 119

Hugues de Saint-Victor discute chacune des thèses d'Abé-


lard. Tout en admettant qu'en cas d'impossibilité de se confes-
ser le pénitent sera pardonné, il affirme que c'est dans la con-
fession que s'exerce le pouvoir donné par le Christ de remettre
les péchés 13. Théologiquement on est dans une impasse, parce
qu'on n'arrive pas à tenir ensemble deux éléments qui sont jus-
tes tous les deux. Abélard va bientôt être condamné, au con-
cile de Sens, entre autres pour n'avoir pas vraiment reconnu
le pouvoir de remettre les péchés 14, et l'on rejettera sa doctrine
de la Rédemption 15 qui a un rapport assez étroit avec sa con-
ception de la contrition. Et pourtant, indépendamment du reste,
la prise de conscience par Abélard de la valeur de la contrition
est un véritable approfondissement chrétien en même temps
qu'elle prend place dans un contexte culturel de prise de con-
science de la personne 16 et dans l'évolution de l'institution pé-
nitentielle et de l'institution ecclésiale en général. Et lorsque,
dans les années qui suivront la mort d'Abélard et d'Hugues,
les théologiens vont parvenir à l'énumération complète des sept
sacrements, ils appelleront sacrement de la pénitence plutôt que
sacrement de la confession celui dans lequel les péchés sont re-
mis 17. Sous ce nom Pierre Lombard, dont le livre des Sentences
va être la base de l'enseignement théologique jusqu'au 16e s.,
énonce deux éléments, qui dans la suite deviendront plus cons-

" De sacramentis II, 14 (PL 176, 549-554).


14 DENZINGER-SCHONMETZER, 732.
15 Il n'est pas sltr que S. Bernard l'ait bien comprise. Cf. R.E. WEIN-
GART, The Logic of Divine Love. A Critical Analysis of the Soteriology of Peter
Abailard, Oxford, 1970.
16 Cf. C. MORRIS, The Discovery of the Individual1050-1200, Londres, 1972.

11 LANFRANC parlait du «sacramentum confessionis 0 (Liber de celanda

Confessione, PL 150, 625-628. - Cf. de même les textes cités par ANCIAUX,
376 sg.).
L'école de Laon, en avance ici sur Abélard, a l'expression «sacramen-
turn paenitentiae» (ANCIAUX, 139), mais on y trouve aussi pénitence et con-
fession énumérées avec le baptême et la communion comme (l sacramenta t
nécessaires au salut (ANCIAUX, 145). Pour l'adoption définitive de l'appella-
tion de (! paenitentia 0 au moment où se fixe le septénaire cf. E. DHANIS, (! An-
ciennes fonnules septénaires des sacrements 0, Revue d' histoire ecclésiastique
26, 1930, 574-608, 916-950; 27, 1931, 5-26.
En français, les prêtres parlent du (l sacrement de la pénitence» et des
« pénitents 0, les fidèles de la (1 confession!) et des «confesseurs •.
120 P.-M. GY

truits et organisés, à sa voir la distinction entre la pénitence com-


me vertu et la pénitence comme sacrement, et l'énumération
des «( parties» du sacrement.

La pénitence comme vertu

Pierre Lombard cherchait à faire droit à la fois à l'intui-


tion fondamentale d'Abélard sur la contrition et, au moins pour
l'essentiel, à la réaction d'Hugues de Saint-Victor sur la sacra-
mentalité de la rémission des péchés 18. La distinction qu'il pro-
pose entre la pénitence COlnme vertu et la pénitence comme
sacrement va dans ce sens. Mais il est conduit à se delnander
si la pénitence comme vertu existe seulement dans le sacrement.
De fait la notion néotestamentaire de « metanoia» que dès l'ori-
gine on a traduit par {< paenitentia » 19 est beaucoup plus large,
et il ne va pas de soi qu'elle puisse être monopolisée par un sa-
crement, et si elle devait l'être ce serait plutôt par le baptême.
La réponse de Pierre Lombard à cette question est importante 20
parce qu'elle récupère une donnée augustinienne et biblique fon-
damentale: la pénitence est une attitude de l'homme chrétien
qui est plus large que le sacrement, et coextensive à l'existence
chrétienne. Il y a la metanoia prérequise au baptême: un adulte,
pour être baptisé, doit se convertir, renoncer au péché et adhé-
rer à une existence selon l'Evangile. Il y a éventuellement la
pénitence de celui qui s'est écarté du baptême par un péché mor-

18 Cf. la remarque des éditeurs franciscains de Pierre Lombard qui qua-

lifient celui-ci d'« Abélard catholique rempli de l'esprit d'Hugues Il et les nuan-
ces qu'y apporte LUSCOMBE (cf. ci-dessus n. 10). 278-280.
19 Le néologisme sémantique (~paenitentiam agcre ~ apparaît, dès la
version latine de la 1ère Epître de Clément (2 e 5.) pour rendre le grec {! me-
tanoein &. Cf. CH. MOHRMANN, «( Les origines de la latinité chrétienne à Rome »,
dans ses Etudes sur le latin des chrétiens, t. III, Rome, 1965, 105. Les chré-
tiens ont pris le mot latin (! paenitentia », qui désignait le regret de quelque
chose qui a eu lieu, et lui ont donné une portée exclusivement morale en y
attachant - ce qui était nouveau - une note dynamique de conversion de
vie, sur laquelle la catéchèse chrétienne est revenue sans cesse,
20 S. Augustin propose cette division, sans rapporter au sacrement la

troisième sorte de pénitence, dans l'Epitre 265 (PL 33, 1088-1089) et les Ser-
mons 351 et 352. Elle est reprise par le Decret de Gratien dans le canon «( Tres
sunt autem », c, 81, D,Ide poen. (FRIEDBERG l, 1181), Pierre Lombard, IV
Sent" 16, 4.
LES BASES DE LA PÉNITENCE MODERNE 121

tel, filais pour les Pères ce n'est que la « paenitentia secunda »,


qui vient après la pénitence baptismale. Enfin il doit y avoir
de toute façon la pénitence de l'existence quotidienne, puisque
même le juste pèche chaque jour. C'est dans cette ampleur-là
que la pénitence dont parle la théologie est la même chose que
la metanoia de l'Evangile. Sous sa première forme elle se rat-
tache au baptême; sous sa deuxième forme elle est sacramenta-
lisée par le sacrement de pénitence; sous sa troisième forme elle
peut être vivifiée par le sacrement de pénitence mais elle n'est
pas liée de façon nécessaire à la fréquentation de celui-ci.
Notons ici que la division tripartite augustinienne est re-
prise par Pierre Lombard dans une situation de chrétienté, où
tous sont baptisés et où le baptême ne forme à peu près pas une
frontière entre les chrétiens et les autres. A cause de cela la con-
science baptismale joue autrement qu'elle ne le faisait du temps
de S. Augustin ou qu'elle ne le fait à nouveau aujourd'hui, et
tout le poids de la metanoia se trouve reporté sur le sacrement
de pénitence.

Les parties de la pénitence

Pierre Lombard cherche aussi à surmonter l'opposition entre


contrition et confession en regroupant dans l'accolade pénitence
les trois démarches successives du pénitent: contrition, confes-
sion, satisfaction ", que les théologiens appelleront ensuite les
parties de la pénitence ".
Des questions se posent à ce sujet, dont la principale est
celle du lien de ces parties entre elles et de la manière dont elles
se nouent avec l'absolution. Au fond Pierre Lombard et les pre-
miers théologiens après lui n'" exigent le propos de la confes-
sion dans le repentir >, que « parce que le pénitent, pour obtenir
le pardon de ses fautes, doit vouloir les expier» ". Un siècle plus

21 IV Sent., 16, 1. Cf. déjà la Summa Sententiarum, 6, 10 (PL 176, 146).


22 Cf. ALEXANDRE DE HAL ÈS, Classa in libYos Sententiarum, t. IV, Qua-
racchi, 1957, d. 16, 252. Les éditeurs franciscains indiquent en note le., théo-
logiens qui ont précédé Alexandre. La notion sera empruntée à S. Thomas
par le Décret aux Arméniens du Concile de Florence (DENZINGER-SCHON-
METZER, 1323), et reprise par le Concile de Trente (DENZINGER-SCHONMET-
ZER. 1673 sg.).
aB AN ClAUX, 490.
122 P.-M. GY

tard la théologie verra rlairement l'unité du tout que forment


ensemble les paroles du ministre remettant les péchés au nom
du Christ et toute la démarche du pénitent 24. On ne peut sépa-
rer l'un de l'autre le pardon que Dieu donne par le ministère
du prêtre et l'action de Dieu retournant le coeur de l'homme,
lentement ou comme d'un seul coup. Avec ses yeux d'homme
celui-ci peut dire: Je regrette mon péché, et je vais aller deman-
der le pardon de Dieu au ministre de Dieu. Puis, s'il essaye d'en-
trevoir comment Dieu voit les choses, il dira à peu près ceci:
Dieu, par le ministère du sacrement, retourne mon coeur et c'est
déjà la grâce du sacrement qui agit en moi au moment où je
me repens de mes péchés et où je décide d'aller demander le par-
don. Il y a un moment ponctuel de l'absolution mais l'action
du sacrement ne lui est pas liée: la grâce de l'absolution agit
dès que je regrette mon péché. Jésus qui retourne mon coeur
opère dans mon coeur et mobilise celui-ci dès le moment où je
vais aller demander pardon ".
D'autres questions se posent à nous aujourd'hui soit à par-
tir de la connaissance des différents régimes historiques de la
pénitence soit à partir de requêtes modernes: L'analyse des com-
posantes de la pénitence telle que les théologiens du moyen âge
l'ont pratiquée - non sans exigences intellectuelles et évangé-
liques, certes - ne souffre-t-elle pas de myopie et n'est-elle pas
trop proche de la pratique sacramentelle d'une époque donnée
pour pouvoir être appliquée à toutes les autres? Il n'est pas pos-
sible de traiter ici cette question sous tous ses aspects, mais on
peut au moins relever que l'histoire a connu des variations dans
l'ordre des parties de la pénitence (le report de l'absolution avant
l'accomplissement de la pénitence-satisfaction, 1'« agere paeniten-
tiam )}) et de grands changements dans l'importance acrordée
aux différentes composantes ". Il ne me semble pas prouvé pour
autant que la structure proposée par les théologiens du moyen
âge en soit invalidée.

24 Cf., à propos de S. Thomas, B. de VAUX ST-CYR, Revenir à Dieu. Pé-


ni tence, conversion, confession, Paris, 1967, 160 et 1 75.
25 Cf. S. THOMAS, In IV Sent., 22, 1. 2, 3m; 17, 3, 4. l.
28 Cf. mes remarques dans LMD 110, 1972, 137-138.
LES BASES DE LA PÉNITENCE MODERNE 123

II. LA FRÉQUENCE DE LA CONFESSION

Confesser les péchés mortels


Selon la doctrine catholique, recourir au sacrement de pé-
nitence est nécessaire lorsqu'on a commis un péché mortel. Cela
veut dire que la nécessité de la confession n'est pas la même
pour la vie d'un chrétien que celle du baptême, de la confirma-
tion ou de l'Eucharistie. Si je crois en Jésus Christ, je dois de-
mander le baptême. C'est comme cela que je lui signifie ma foi:
le sacrement fait corps avec la foi, et c'est dans le sacrement
que Jésus Christ me signifie et me donne le salut. Si je crois en
Jésus Christ je dois recevoir son Eucharistie, célébrer son Eu-
charistie. Mais la nécessité du sacrement de pénitence dépend
du péché mortel. Je ne dois pas commettre de péché mortel,
c'est-à-dire que si je suis chrétien fidèle, désireux de l'être, je
dois éviter la situation dans laquelle la confession me serait in-
dispensable, et que je ne devrais jamais avoir absolument besoin
du sacrement de pénitence. C'est ce que disait S. Augustin à
propos de la pénitence publique: " Frères bien-aimés, que per-
SOnne ne se dispose ni se prépare à ce genre de pénitence mais,
s'il y a lieu d'y venir, que personne ne désespère non plus J) 27.

Péché mortel et " fautes quotidiennes»


On peut dire, je crois, que selon l'expérience évangélique
la plus simple, la moins sophistiquée, la moins exprimée en théo-
rie, il y a des fautes pour lesquelles je sais qu'il faut aller me
confesser, des fautes qui sont des ruptures avec Dieu et d'autres
qui sont de vraies fautes mais qui n'établissent pas une rupture
entre le chrétien et Dieu 28. Mais cette distinction chrétienne

27 Sel'mo 352, 3, 8 (PL 39, 1558). Cf. la distinction que fait S. THOMAS

(Summa theolog., III", q. 84, a. 5) entre le baptême, nécessaire au salut de


manière absolue et la pénitence, nécessaire (l ex suppositione!).
28 Pour S. Thomas il n'y a de rupture et de réconciliation que pour le

péché mortel: «( par le péché véniel l'homme n'est séparé ni de Dieu ni des
sacrements de l'Eglise. Aussi n'a-t-il pas besoin que lui soit conféré une nou-
velle grâce pour enlever ce péché {ad eius dimissionem) ... ni besoin d'être
réconcilié à l'Eglise (neque indiget l'econciliatione ad Ecclesiam) ... !) In IV Sent.,
d. 17, q. 3, a. 3, qc 3 (Macs, n. 443). De ce point de vue, c'est seulement en
124 P.-M. GY

fondamentale peut s'exprimer dans des contextes spirituels et


théologiques assez différents ". Il peut y avoir pour un milieu
ou une génération des fautes qui apparaissent engager, qui de
fait engagent le rapport à Dieu et ainsi sont la traduction dans
une situation chrétienne donnée de la distinction entre péché
mortel et péché véniel, mais qui auraient besoin d'être vérifiées
avant qu'on les applique à d'autres temps et d'autres milieux.
Je ne formule pas une telle hypothèse sans hésiter, car il fau-
drait l'appuyer d'exemples incontestables.
Plus profondément, je crois déceler dans la mentalité de
certaines époques chrétiennes le sentiment que la plupart des
chrétiens commettent souvent des péchés mortels. Quelque chose
de ce genre se mêle-t-il à un sens magnifique de la conversion
dans les enseignements du roi S. Louis à son fils sur le péché
mortel et dans le dialogue, rapporté par Joinville, où celui-ci
répond au roi qu'il aimerait mieux avoir commis trente péchés
mortels que d'être lépreux? 30 Je ne sais. En tout cas ce sera la
conclusion pratique de Suarez lorsqu'il se posera la question,
sur laquelle on reviendra plus loin, de savoir si celui qui n'a pas
conscience d'un péché mortel, est tenu par le précepte de la con-
fession annuelle: De toute façon "on trouverait difficilement
quelqu'un qui s'abstienne toute l'année du péché mortel s'il ne
se confesse plus souvent) 31,
Quoi qu'il en soit des réflexions qui précèdent, l'histoire
constate que, parallèlement à la pénitence tarifée, s'est déve-
loppée peu à peu la pratique de la confession des fautes quoti-
diennes non mortelles. On en a les premiers signes lorsqu'appa-
raît sur le continent la pénitence tarifée ", et la pratique est

un sens affaibli qu'on peut attribuer à la confession des péchés véniels le nom
de réconciliation des pénitents et ce que la constitution Lumen ge.ntium dit
de l'effet ecclésial du sacrement.
29 L'élaboration de la distinction entre péché mortel et péché véniel

en technique théologique a été étudiée par A. LANDGRAF, Das Wesen dey liiss-
lichen Sünde in der Sckolastik bis Thomas von Aquin, Bamberg, 1923.
30 JEAN DE JOINVILLE, Mémoires, éd. F. MICHEL, 4e éd., Paris, 1880,
7-8, 236-237.
31 De poenitentia, disp. 36, 2, 8 (VIVÈS, t. XXII, 750).

32 Les exemples sont rassemblés, pour le Be s., par POSCHMANN, Die

abendliindische Kirchenbusse im friihen Mittelaltet'. Breslau, 1930, 170-171.


LES BASES DE LA PÉNITENCE MODERNE 125

tout à fait établie au 12"-13" s. 33. A mesure que la confession


des « fautes quotidiennes 1) se répand le rythme du recours au
sacrement est déterminé par autre chose que par les fautes mor-
telles. Il est déterminé par exemple par l'habitude qu'ont prê-
tres et fidèles de se confesser chaque fois qu'ils vont communier.

Confession et communion

Le lien entre les deux est bien marqué dans le dicton fran-
çais: « A telle personne on donnerait le Bon Dieu sans confes-
sion 1). Le « Bon Dieu» c'est le Corps du Christ qu'on célèbre à
la Fête-Dieu. Et l'on considère comme la règle normale et très
forte qu'on donne le Bon Dieu à quelqu'un qui s'est confessé,
et quelqu'un à qui ]' on donnerait le Bon Dieu sans confession
est supposé être d'une qualité chrétienne exceptic'nnelle.
Le dicton fait écho à une coutume de l'Eglise qui semble
déjà bien établie au 10" s.: La communion, qui est alors peu fré-
quente (en général trois fois par an, et elle se raréfiera encore,
jusqu'à la prescription de la communion annuelle par le IV"
concile du Latran), Est toujours précédée de la confession 34.
Comme il arrive assez souvent la réflexion théologique a plutôt
suivi que précédé la pratique, mais dans le cas elle n'a pas vrai-
ment cherché à la justifier, et le dossier d'histoire des doctrines
rassemblé par le P. Braeckmans pour la période qui va de Pierre
Lombard au concile de Trente est peu éclairant, d'autant plus
qu'il a minimisé le rapport de la théorie à la pratique et l'inter-

sa Elle se reflète déjà dans la première réflexion théologique du I2 e s.,


dans l'école de Laon. Cf. Sentences d'Anselme, n. 577: (! Comme, une fois la
rémission des péchés reçue par le baptême, la fragilité humaine revient sans
cesse au péché, a été institué le sacrement de pénitence par lequel sont re-
mises les fautes quotidiennes 1). Et Sententia, n. 533: «La pénitence est ap-
pelée le sacrement des sacrements, parce que toute faute commise dans les
autres, est effacé par celui-là (quia quicquid in al-iis delinquitu:y, pey istam de-
letur) 1) (ANCIAUX, 139).
M Un abondant dossier a été réuni par P. BROWE, «Die Kommunion-
vorbcreitung im Mittelalter 1), Zeitschrift fiir katholische Theologie 56, 1932,
375-415, et « Die Pflichtbeichte im Mittelaltcr», Ibid. 57, 1933, 335-383. Pour
la confession des prêtres avant de célébrer la messe, cf. ] .A. ]UNGMANN, 1I1is-
sarum Sollemnia, trad. française, t. II, Paris, 1952, 56-57.
126 P.-M. GY

férence entre l'obligation de se confesser pour communier et


l'obligation de la confession en général".
Après le moyen âge le développement de la communion
fréquente et quotidienne desserrera un peu le lien entre confes-
sion et communion en ce sens que ceux qui communieront chaque
jour se contenteront en règle générale d'une confession hebdo-
madaire, mais il ne semble pas que la doctrine théoriquement
tout à fait claire, selon laquelle, avant de communier, il n'était
pas nécessaire de se confesser pour des péchés seulement vé-
niels, ait eu une influence sur la pratique.
Dans une rubrique qui restera en vigueur de 1614 jusqu'au
20 e s. le Rituel romain considère qu'avant la communion la con-
fession va de soi:
{( Aussi [le curé] avertira souvent (saepius) le peuple
avec quelle préparation, quelle religion et piété, et même
quel respect extérieur il doit s'approcher d'un sacrement
si divin, afin que tous, après s'être confessés sacramen-
tellement ... » 36
Plus caractéristique encore, et pas nécessairement teinté de
jansénisme, est le conseil que donne le Rituel parisieD de Mgr
de Quélen:
{( Cclui qui sans témérité a confiance qu'il a vrai-
ment été réconcilié à Dieu par le sacrement de péni-
tence peut avancer sans reproche pour recevoir le Corps
du Christ. Bien que celui qui est seulement conscient
de péchés véniels ne communie pas pour autant indi-
gnement, le fruit de la communion en est cependant
diminué à quelque degré (aliquantum). Pour cette rai-
son, afin de se préparer à recevoir la communion plus
dignement, que l'homme efface plus souvent (saepius)
toutes les taches de son âme, autant qu'il est possible,
par la confession sacramentelle; et qu'il cherche à se
présenter à Dieu libre de toute faute, purifié de tout
vice, purifié enfin de toute affection désordonnée » " .

86 L. BRAECKMANS, Confession et communion au moyen tige et au concile


de Trente, Gembloux, 1971.
36 De Sanctissimo Eucharistiae Sacramento, « Praenotanda generalia fi,
37 Rituale Parisiense (1839), De Sacramento Eucharistiae, nn. 41, 124.

Ce rituel reprend celui du Cardinal de Noailles (1701).


LES BASES DE LA PÉNITENCE MODERNE 127

Se confesser souvent
Peu à peu s'est établie - et elle semble avoir tricmphé à
peu près à la fin de la période où s'est constituée la théologie
du sacrement de pénitence telle que nous la connaissons - une
pratique générale de la confession qui imprègne la conscience
collective. Le précepte de la confession annuelle, tel que la pra-
tique l'a interprété, en est un élément fondamental. Sur cette
base, en même temps que sur la confession préparatoire à la
communion fréquente prennent appui les différents degrés de
la confession fréquente. Non seulement on se confesse en de-
hors des cas de péchés mortels, mais plus on est chrétien et plus
on se confesse.

Le précepte de la confession annuelle


Le canon 21 du IVe concile de Latran, (,Omnis utriusque
sexus », qui formule le double précepte de la confession annuelle
et de la communion pascale, est capital pour l'histoire de la vie
sacramentelle en Occident. A vrai dire, au terme de la transfor-
mation de la pratique et de la théologie de la pénitence au cours
du 12 e s. ce canon constitue moins un événement nouveau que
l'aboutissement d'une manière de voir la vie sacramentelle. Les
commentaires contemporains des canonistes et des théologiens
(nous en avons d'immédiats et de très précis") ne relèvent pas
le précepte de la confession annuelle comme une innovation,
tant la confession était entrée dans les moeurs. Quant au pré-
cepte de la communion pascale c'était plutôt la réduction de
la règle antérieure qui portait sur trois communions par an. Chose
qui nous surprend un peu, le point qui a le plus frappé Jean le
Teutonique est que le canon refuse les funérailles religieuses à
ceux qui n'observent pas l'un ou l'autre précepte, refus qui est
contraire au vieux principe, énoncé par S. Léon: « celui avec le-
quel nous avons communié en son vivant, nous devons aussi
être en communion avec lui après sa mort)} 39.

SB Par exemple la Summa Aurea de GUILLAUME n'AUXERRE (1216-1221)


et la Glose de JEAN LE TEUTONIQUE sur les canons du concile (1215-1216).
Sur cette dernière cf. ST. KUTTNER, «Johannes Teutonicus, Das vierte Late-
rankonzil und die Compilatio quarta l'J, dans Miscellanea Giovanni Mercati,
t. V, Città deI Vaticano, 1946. 608-634.
39 «Cui communicamus vivo, communicare debemus et mortuo 1), cf.
128 P.-M. GY

IVlême si le canon «( Omnis utriusque sexus » n'est pas essen-


tiellement nouveau, c'est lui désormais qui servira de référence
à la théologie, à la catéchèse et à la discipline. Ses prescriptions
seront popularisées au 15 e s. dans le troisième et le quatrième
des commandements de l'Eglise 40:
(1 Tous tes péchés confesseras

à tout le moins une fois l'an ».


Et:
«( Ton Créateur recevras
au moins à Pâques humblement ,).

Dans la chrétienté médiévale et moderne, la fidélité au troi-


sième et au quatrième commandement de l'Eglise, ainsi qu'au
devoir dominical, délimite ce qu'on pourrait appeler le cercle
intérieur de l'appartenance ecclésiale, celui des pratiquants. Ceci
était encore accentué à l'origine par l'obligation de faire la con-
fession annuelle «à son propre curé» (<< proprio sacerdoti ,»). Aussi
S. Bonaventure, et à sa suite S. Thomas, indiquent-ils comme
un des trois motifs du précepte qu'il permet aux recteurs des
églises de connaître ceux qui dépendent d'eu", « afin que le loup
ne se cache pas dans le troupeau ,) 41. Il est possible que le con-
cile a aussi vu là un moyen indirect de détecter les hérétiques 42,
mais par ailleurs la coutume qu'avaient les confesseurs de faire

S. LÉON, Ep. 167, 8 (PL 54, 1205-1206). - Je compte revenir ailleurs sur
la. conception ancienne de la liturgie des funérailles, qui considère essentiel-
lement celle-ci comme une sorte de prolongement de la communion ecclé-
siale et sacramentelle.
40 Cf. A. VILLIEN, Histoire des commandements de l'Eglise, 3 e éd., Pa-

ris, 1936.
41 S. BONAVENTURE, In IV Sent., d. 17, p. 1, a. 2, q. l (443); S. THO-
MAS, In IV Sent., d. 17, q. 3, a. 1, qc. 3 (Moos, n. 371); S. ALBERT, De Sa-
cramentis, VI, 2, a, 12 (OHLMEYER, 105), qui renvoie à la glose d'Origène sur
Josué [PG 12. 86IB-862A. - Cf. Glossa ordo sur los. 7, IJ.
Le premier motif de S. Bonaventure et S. Thomas est de se reconnaître
pécheur; le deuxième (que le P. Braeckmans n'a pas relevé) de se préparer
à la communion.
42 Gabriel Le Bras a soutenu, mais sans donner de preuves, que le ca-

non conciliaire avait pour motif principal de détecter les hérétiques. Cf., en
sens contraire, ma Note: « Le précepte de la confession annuelle et la détec-
tion des hérétiques J), à paraître dans Revue des sciences philosophiques et théo-
logiques 58, 1974.
LES BASES DE LA PÉ NITENCE MODERNE 129

passer aux pénitents une sorte d'interrogatoire n'a pas été res-
sentie au moyen âge comme une emprise sur les âmes.
Deux aspects du précepte de la confession annuelle sont à
examiner pour eux-mêmes: la confession des péchés véniels et
la première confession des enfants.

Confession a1tnu,elle et Péchés véniels

Le canon du Latran prescrivait à tous les fidèles de confes-


ser tous leurs péchés une fois l'an. Les théologiens se demandè-
rent aussitôt si le précepte s'appliquait aux fidèles ayant con-
science de n'avoir commis que des péchés véniels. Guillaume
d'Auxerre ", Alexandre de Halès 44, S. Bonaventure pensent que
oui, S. Albert que non 45, S. Thomas commentant les Sentences
a sous les yeux le commentaire de S. Bonaventure et, comme
il lui arrive assez souv€nt, résume les arguments de celui-ci, mais
il y juxtapose, sans s'engager très onvertement, l'opinion de
S. Albert: « Ou bien l'on pent dire, selon certains, que ne sont
obligés par la décrétale susdite que ceux qui ont des péchés mor-
tels: ce qui est évident (quod patet) ». Toutefois, étant donné
qu'à cette époque la confession doit être faite (1 au propre prêtre )),
il faudra au moins se présenter à celui-ci, sans faire la confes-
sion 46.
Ce débat d'apparence purement technique est important.
Les uns et les autres sont d'accord sur deux points. Le premier
est que si je n'ai pas de péché, je ne puis recevoir l'absolution.
Et le deuxième est, que j'ai toujours des péchés. Si quelqu'un
allait trouver le prêtre et lui disait: (1 Je n'ai pas de péché », le
prêtre répondrait: « Alors je ne peux pas vous donner le par-
don des péchés ». Le pardon porte sur les péchés. Il faut au moins
que je dise: « Mon Père, je m'accuse d'avoir commis les péchés
qu'un chrétien commet teus les jours ". Pas de péché, pas de
pardon, puisque le pardon, c'est le pardon des péchés. Mais com-
me le dit S. Jean: (1 Si nous disons que nous n'avons pas de péché,

4.3 Summa Aurea, PIGOUCHET, CCLXXII ra.

44 Quaestiones disputatae antequam esset frater, q. 56, 3, 3 (entre 1229


et 1236) (t. II, 1088-1090).
45 A la référence indiquée ci-dessus, n. 40, ajouter: In IV Sent., d. 17,

a. 64 (BaRGNET, 758).
~a In IV Sent., d. 17, q. 3, a. L qc., ad 3m (Mo as, n. 375).
130 P.-M. GY

nous nous mentons à nous-mêmes" (1 J ni, 8), sauf la Vierge


Marie.
Mais, plus profondément, sont en jeu à la fois la concep-
tion de la loi dans l'Eglise et la place de la pénitence dans l'éco-
nomie sacramentaire. S. Albert et S. Thomas comprennent le
précepte comme concrétisant l'obligation inhérente au sacre-
ment, non comme ajoutant à celle-ci une nouvelle obligation,
même pùrtant sur un acte bon. Ils sont marqués par l'évangé-
lisme de S. Augustin selon lequel la loi nouvelle ne doit pas mul-
tiplier les préceptes. En même temps est en cause le type de
nécessité de la pénitence dans l'existence chrétienne, nécessité
qui n'est pas du même ordre que celle de l'Eucharistie, même
si le canon présente les deux sur le même plan.
En pratique S. Thomas proposait que celui qui n'avait pas
conscience de péché mortel se présente au prêtre pour lui dire
qu'il n'avait pas besoin de se confesser. Du point de vue théo-
rique sa solution est devenue commune avec le temps, mais on
peut se demander si ceux-là même qui y adhéraient en théorie
en ont fait état dans la catéchèse. A-t-on réellement réfléchi à
cette lumière sur les confessicns pascales? 47

La première confession des enfants


Le canon du Latran formulait le précepte pour tout fidèle
parvenu à l'âge de discrétion «< postquam ad annos discretionis

4.7 Ici le Rituel parisien de 1839 cède au rigorisme: «A ceux qui ont l'ha-

bitude de ne se confesser qu'à Pâques, le curé, à cette occasion. suggérera


d'avoir davantage soin de leur salut éternel. Il les avertira que rien n'est. plus
insensé que de courir ce risque d'une mort incertaine en accumulant les pé-
chés pendant toute une année (peccata peccatis per tatum annum cumulantes)
et sans avoir apaisé Dieu; mais que l'Eglise, cette tendre mère, a pour ses
enfants « confiance en des choses meilleures et plus proches du salut 1) (He
6, 9), à savoir une réception plus fréquente et digne des sacrements. Que les
fidèles ne soient pas écartés d'accéder plus souvent au tribunal de la péni-
tence, mais plutôt qu'on les incite à le fréquenter. Que les confesseurs ac-
cueillent tous les pénitents, même les plus frustes, et les écoutent avec pa-
tience. Alors qu'ils insufflent à ceux qui manquent de zèle du scrupule au
sujet de leur manque de soin à recevoir les sacrements (de Sacramentot"um
incuria scrupulum) avec une habileté propre à les amener à une confession
plus fréquente; ils pourront non seulement recommander celle-ci mais même,
avec prudence, l'imposer par mode de pénitence (Sed et, pro sua prudentia,
per modum poenitentiae iniungere poterunt)}. [De Sacramento Poenitentiae,
n. 102, 196-197].
LES BASES DE LA PÉNITENCE MODERNE 131

pervenerit .», mais sans préciser quand l'enfant atteint cet âge,
ni si c'est nécessairement le même pour la première confession
et la première communion. Dans l'histoire l'âge effectif a varié
entre sept et dix ans ou même davantage, jusqu'à ce que S. Pie X
le fixe vers sept ans 48.
A Y regarder de plus près plusieurs données se sont mêlées
au principe fondamental de la place de l'Eucharistie en toute
vie chrétienne, qu'a rappelé S. Pie X: le rigorisme de certaines
époques, contre lequel a réagi le décret «Quam Singulari '>, mais
aussi l'idée qu'on se faisait du développement de l'enfant, et
même les conceptions de l'éducation. Dans une étude très éclai-
rante le grand historien F. Gillmann a montré que les canonis-
tes du demi-siècle qui a précédé le concile de Latran, sans avoir
réfléchi directement sur l'âge convenable pour se confesser et
pour communier, ont toute une réflexion sur les « anni discre-
tionis » 49. Pour eux comme pour S. Augustin, dès les environs
de l'âge de sept ans l'enfant est capable de pécher, de mentir,
de voler, mais il ne parviendra à la « pleine discrétion» qu'avec
la puberté, vers 14 ans. Et ils font état de la pratique médié-
vale selon laquelle un enfant de sept ans peut être fiancé ou de-
venir oblat d'un monastère, mais ne pourra se marier ou s'enga-
ger dans la vie religieuse par la profession qu'à partir de l'âge
de la puberté. L'idée d'une psychologie propre à l'enfant et d'une
pédagogie adaptée à celle-ci ne semble pas avoir de place chez
eux. Comment ne pas rejoindre ici la constatation de Philippe
Ariès lorsque celui-ci écrit que la société ancienne (1 se représen-
tait mal l'enfant, et encore plus mal l'adolescent. La durée de
l'enfance était réduite à sa période la plus fragile, quand le petit
d'homme ne parvenait pas à se suffire; l'enfant alors, à peine
physiquement débrouillé, était au plus tôt mêlé aux adultes ...
De très petit enfant, il devenait tout de suite un homme jeune,
sans passer par les étapes de la jeunesse... qui sont devenues

48 Cf. J. ERNST, (! Die Zeit der ersten hl. Kommunion und die «Jahre
der Unterscheidung» seit dem IV. allgem. Konzil von Lateran 1>, Archiv far
katholisches Kirchenrecht 107, 1927, 433-497 et E. DIEBOLD, «Du concile de
Trente au décret Quam Singulari 1>, dans Communion solennelle et profession
de foi {coll. (1 Lex Orandi 1>, 14), Paris, 1952, 47-84.
49 (! Die "anni discretionis" im Kanon Omuis utriusque sexus» (co 21

cane. Lat. IV), Archiv für katholisches Kirchenrecht 108, 1928, 556-617. L'étude
est dirigée contre celle de J. Ernst citée à la note précédente.
132 P,-M. GY

des aspects essentiels des sociétés évoluées d'aujourd'hui) 5o,


Pour autant la question essentielle demeure de savoir à quel
âge l'enfant est capable de pécher, et donc a besoin du sacre-
ment de pénitence. Mais pas plus que l'adulte il n'est tenu de
confesser ses péchés véniels.

Les degrés de la confession fréq·uente

Aboutissement d'une transformation de la pénitence et point


de repère, avec la cOffilnunion pascale, du cercle intérieur de
l'appartenance ecclésiale, celui des pratiquants, auxquels on ré-
serve les funérailles à l'église, la confession annuelle prescrite
par le canon 21 du Latran donne immédiatement aux théolo-
giens l'occasion de dire qu'il y a trois degrés dans la pratique
de la confession: le degré minimum qui est celui de la confes-
sion annuelle; le degré des « perfectiores» qui se confessent trois
fois par an; enfin le degré des «perfectissimi» qui se confesse-
raient chaque jour.
Remarquons tout d'abord que les théologiens qui proposent
cette énumération à trois degrés sont précisément ceux qui esti-
ment que la confession annuelle oblige même ceux qui n'ont
pas conscience d'avoir commis un péché mortel S1 , Il faut noter
aussi qu'au moyen âge la confession est souvent plus fréquente
que la communion 52: seuls les deux premiers degrés correspon-
dent alors à des degrés réels de fréquence de la communion.
La confession trois fois par an est celle que prescrit en gé-
néral, à l'époque, la règle des mouvements de piété de 1'« Ordre
de la Pénitence)} qui se diversifiera ensuite en Tiers-Ordres 53,
Le nom même d' « Ordo de Poenitentia », si caractéristique, pro-

50 PH. ARIÈS, L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, 2e éd.,


Paris, 1973, I-II.
51 GUILLAUME D'AUXERRE, Summa Au·yea, (PIGOUCHET CCLXXI va);
ALEXANDRE DE HALÈS, Classa in Sententias, IV, d. 17, 9n (Quaracchi 287);
S. BONAVENTURE, In IV Sent., d. 17, p. 2, a. 2, q. 2 (Quaracchi, 444).
52 Nombreux exemples dans P. BROWE, Die hiiufige Kommunion im
Mittelalter, Münster, 1938. S. Louis, qui se confesse au moins une fois par
semaine (Acta Sanctorum, Aug., t. V, 547), ne communie guère plus que six
fois par an, mais assiste à deux messes chaque jour (BROWE, Die hiiufige ](om-
munion, 119).
59 Nombreux exemples dans G.G. MEERSSE:\lAN, Dossier de l'Ordre de
la Pénitence au XIIIe s., Fribourg, 1961.
LES BASES DE LA PÉNITENCE l.I:QDERNE 133

longe à sa manière la catégorie antique des pénitents, 1'(, Ordo


poenitentium », en faisant des chrétiens fervents pour ainsi dire
les professionnels de la metanoia.
La pratique de la confession quotidienne ou quasi-quoti-
dienne a existé. Au 14e s., une sainte Brigitte se confesse tous
les jours, mais c'est une princesse, qui a un ou deux confesseurs
à son service 54. Dès le 13 e s. le clergé a résisté aux personnes
pieuses qui voulaient se confesser plus d'une fois par semaine 55.
Plus tard après Trente, à mesure que la communion tendra à
devenir quotidienne, s'établira la coutume attestée et prescrite
par le code de 1917, de la confession hebdomadaire des sémina-
ristes, des religieux et religieuses et des clercs 56.

La confession fréquente et la sainteté

Le catéchisme du concile de Trente pour les curés fait, à


propos de la confession fréquente, une réflexion qui est moins
une parole de catéchèse qu'une sorte de confidence ou de cri
dans une situation dramatique pour l'Eglise: "Presque tous les
chrétiens fervents sont convaincus que tout ce qui, en ce temps,
a été conservé dans l'Eglise de sain teté, de piété et de religion,
doit être attribué pour une grande part à la confession >, ". Pa-
role sérieuse exprimant la conviction que non seulement le sa-
crement de pénitence réconcilie avec Dieu mais qu'il joue un
rôle décisif dans la metanoia de l'ensemble des baptisés.
Un peu moins de deux siècles plus tard, le futur Pape Be-
noît XIV, chargé à Rome des causes de béatification et de ca-
nonisation, a publié sur ce sujet un grand traité De Servomm

54 Acta Sanctorum, Oct., t. IV, 435 A. Elle ne communie qu'aux diman-

ches et fêtes.
Le règlement des novices dominicains de Paris à la fin du 13 e s. prévoit:
(l Que son maître lui apprenne la manière de confesser ses péchés quotidiens ...

De même que le novice n'attende pas pour se confesser au-delà du troisième


jour à partir de sa première confession, à moins qu'il n'ait un motif bon et
raisonnable; il pourra cependant se confesser quelquefois plus souvent)) [JEAN
DE MONTLHÉRY, Opera de vita regulari, éd. J.J. BERTENNA, Roma, 1889, t.
II. 529J.
55 Cf. les textes dominicains rassemblés par MEERSSE:il<IAN, Dossier, 118-122.
~6 Cf. C.LC., c. 595, 1367, 125, avec les sources alléguées en note.
1i7 Catech. Trid. II, 5, 37.
134 P.-M. GY

Dei Beatificatione et Beatorum Canonizatione", qui a fait auto-


rité dans la matière jusqu'à nos jours, et dont la valeur tient
notamment à ce qu'il s'appuie sur les dossiers historiques de
nombreux procès de canonisation. Lorsqu'il trace ce qu'on pour-
rait appeler le portrait-robot du saint à canoniser, il est amené
à parler à la fois des péchés compatibles avec la sainteté et de
la fréquentation par les saints du sacrement de pénitence. Pour
canoniser quelqu'un il faut qu'il ait ce qu'on appelle une vertu
héroïque, une vertu bien plus élevée que la moyenne des chré-
tiens. Point de repère: il faut qu'au moins pendant les dix der-
nières années de sa vie, il n'ait pas commis de péché mortel. Non
seulement cela, mais il ne faut pas qu'il ait eu de défauts ha-
bituels importants. Un saint canonisable est quelqu'un qui ne
commet de péchés que ceux que l'on fait par un premier mou-
vement et qu'on regrette aussitôt après 59. Majs en même temps
parmi les signes de sa vertu il yale recours aux sacrements.
Il faut que ce soit quelqu'un qui communie souvent et qui se
confesse souvent 60. Il Y a une sorte de paradoxe: le saint est
celui qui ne commet pratiquement aucun péché mais qui se con-
fesse plus que tous les autres. Mais, en réalité ce n'est pas un
paradoxe, c'est simplement, comme on a essayé de le dire à pro-
pos du concile de Trente et de S. Bonaventure, que le recours
fréquent au sacrement a un rôle en quelque sorte irradiant par
rapport à la vertu de pénitence. Ceci ne nous empêche pas de
reconnaître, en tout respect pour cette valeur très authentique,
que cette pratique du sacrement de pénitence, si bonne soit-elle,
ne découle pas nécessairement de l'essentiel.

III. PROBLÈMES NOUVEAUX

Les moyens de la metanoia quotidienne


Depuis la réforme liturgique l'acte pénitentiel de la messe
du dimanche est beaucoup plus valorisé qu'antérieurement. Dans
la conscience non théologique mais simple, spontanée, des gens,

58 4 vol. Bologne 1734-1738.

" III, 39. 8, p. 579 B.


B!I Le recours fréquent au sacrement de pénitence est un IJ maximum
sanctitatis argumentum» (III, 27, L p. 366 A).
LES BASES DE LA PÉNITENCE MODERNE 135

la manlere dont ils mettent leur coeur dans l'acte pénitentiel


du début de la messe, si la monition initiale est bien faite, est
vraiment plus profonde qu'avant: ils regrettent leurs péchés.
Ils ont raison.
Si je participe à une révision de vie, je regrette vraiment
ce qui dans ma vie a besoin d'être révisé. Je ne dis pas que cela
répare des ruptures graves avec Dieu, mais certainement cela
exerce en moi, cela actualise en moi et dans le groupe la meta-
noia, le regret du péché commis et le désir de ne plus le com-
mettre.
Nous avons là deux exemples, qui ne sont pas nécessaire-
ment les seuls, de ce qu'on pourrait appeler les moyens actuels
de la metanoia, ceux qui sont actuellement efficaces et en usage
pour exercer le repentir des péchés; peut être ont-ils en partie
changé, mais il en existe. Il faut ajouter toutefois que la clé de
voûte de ces moyens divers, qu'on pourrait appeler des sacra-
mentaux, est le sacrement de pénitence. La clé de voûte, c'est
ce qui tient la voûte, ce n'est pas la voûte entière. Mais si nous
enlevons la clé de voûte, la voûte tombe. Dans l'exercice ordi-
naire de la metanoia chrétienne le sacrement de pénitence ajou-
tait naguère à son rôle de clé de voûte un rôle beaucoup plus
vaste, et dans ce rôle-là il peut être remplacé par d'autres moyens
à certains égards plus adaptés. Il ne faut pas avoir mauvaisE
conscience de réadapter à une situation nouvelle des moyens
non essentiels. Pour beaucoup de gens la révision de vie peut
être chrétiennement plus adaptée que la confession hebdoma-
daire. Cela ne veut pas dire que le sacrement n'est plus le sa-
crement, mais que la manière dont la metanoia s'exerce dans
une situation nouvelle peut, et peut-être doit être différente.
A condition de maintenir clairement que pour les fautes qui
nous séparent vraiment de Dieu nous devons recourir au sa-
crement.

•••
Pour finir abordons brièvement deux questions qui appelle-
raient de grands développements. En Europe occidentale la pre-
mière est posée par des clercs, la deuxième par des fidèles. La
question des clercs est: Peut-on absoudre sans l'accusation in-
dividuelle? Celle des fidèles est: Est-il nécessaire d'accuser ses
péchés au prêtre, et la confession à Dieu ne suffit-elle pas?
136 P,-M. GY

L'absohtlion sans acc'ltsation indivùi~Mlle

Dans cette question là il Y a deux éléments vraiment au-


thentiques, et un élément qui l'est peut-être moins.
Il est vrai tout d'abord que dans un certain nombre de cas
il vaudrait mieux, si j'ose dire, donner pleine valeur à la COll-
tdtion, faire porter l'effort directement sur l'intensification de
la metanoia que de rechercher, avec une part d'artifice, quels
péchés aCcuser. Pour la confession, dite de dévotion, le recours
au sacrement de pénitence est motivé par l'intensification de
la metanoia plutôt que par les fautes à accuser, et l'on pourrait
bien concevoir que pour les fautes quotidiennes et ordinaires
l'absolution sans accusation soit officiellement reconnue comme
un moyen plus adapté que la confession individuelle. Rien ne
s'y oppose du point de vue de ce que le concile de Trente ap-
pelle le droit divin, et en pareil cas l'opportunité de l'accusa-
tion des péchés est, aux yeux du théologien, directement me-
surée par le bien spirituel des pénitents.
Le problème de l'absolution sans accusation a un autre as-
pect, assez délicat, qu'Abélard rejoignait à sa manière lorsqu'il
s'interrogeait sur les remises de pénitence. Le prêtre, qui est le
ministre du pardon de Dieu et en même temps le juge des si-
gnes de la contrition, ne doit pas l'être par mode de gouverne-
ment clérical des consciences. Les prêtres ne doivent pas craindre
d'être les ministres qui lient ou délient, mais ils doivent craindre
de faire servir, sans s'en rendre compte, à leur propre autorité
le fait qu'ils sont sacramentelle ment au service de l'action et
du pardon de Dieu.
Outre ces deux aspects il y en a un troisième, qu'on ne me-
sure pas toujours assez: il y a un lien profond, plus profond que
parfois nous ne le croyons, entre regretter ses péchés et vou-
loir les accuser. Les fidèles demandent vraiment pardon au Sei-
gneur. La manière dont on promeut l'absolution sans accusa-
tion est-elle toujours à ce niveau de sérieux et de profondeur?

PMtt-on se confesser directement à Dieu?

Là est peut-être, pour un certain nombre, la question véri-


table. La contrition se réfère-t-elle vraiment à une absolution?
Si telle est réellement l'interrogation, il importe d'expliquer com-
me le sacrement noue et sacramentalise l'un par rapport à l'autre
LES BASES DE LA PÉNITENCE MODERNE 137

et le retournement du coeur que le pénitent confesse en accu-


sant ses péchés, et le pardon de Dieu dont le prêtre est le mi-
nistre; et que c'est peut-être cette sorte de transparence entre
le pardon sacramentel et le retournement du coeur qui est la
réalité évangélique du sacrement de pénitence. Chaque fois que
cette transparence cesse d'être perçue, le sacrement paraît être
en deçà de l'Evangile et plutôt du côté de l'Ancien Testament
que du Nouveau. Peut-être le problème essentiel du sacrement
de pénitence aujourd'hui est-il là: Bien voir le rapport de la me-
tanoia à la rémission des péchés que Jésus Christ a établie dans
son Eglise.

Pierre-Marie Gy, O.P.


LE SACREMENT DE LA PÉNITENCE, CHAINON
IMPORTANT DANS LA VIE CHRÉTIENNE

Nous vivons à une époque où la nécessité de la pénitence


est mise en doute et le sacrement de la contrition, comme
nous l'appellerions, n'est plus uue étape indispensable de la vie
chrétienne, Cela vient sans aucun doute de la déchristianisa-
tion de la société contemporaine qui a pris des proportions vrai-
ment tragiques ces temps-ci. Elle s'attaque non plus au dogme
ou à la foi, mais aussi à la morale chrétienne, qui est non seu-
lement négligée, mais déclarée démodée.
D'autre part, et en liaison logique et inévitable avec cette
déchristianisation de la vie, il y a perte du sentiment du péché
et par conséquent du fondement même de la pénitence et de
la contrition.
Il est temps de tenter de rétablir la situation et de repla-
cer la contrition, c'est à dire la conscience du péché envers Dieu
et ses commandements, à leur place dans la vie du chrétien et
même de l'ho)llme tout court. Pour cela il est indispensable de
se rendre compte de la valeur et de l'importance de cette étape
dans la vie chrétienne.
L'Eglise Orthodoxe appelle le sacrement de la pénitence
« mystère de la contrition », en grec (, mysterion metameleias»
ou « mysterion metanoias ,). En slavon on dit « tainstvo pokaïa-
nia ». Il comporte non seulement la prise de conscience de la
faute commise envers Dieu, mais aussi la résolution de ne plus
la commettre, ainsi que 1e mystère du pardon. Comme la vi-
sion du péché, qui va à l'encontre du désir de l'homme de se dis-
culper, est également un don de Dieu, le sacrement, ou plutôt
le mystère, dont nous parlons, comporte trois moments: Dieu
nous ouvre les yeux sur nos fautes et nous accorde la vision de
nos péchés, l'homme ayant pris conscience de sa faute prend
volontairement la décision de ne pas la renouveler et Dieu lui
accorde le pardon, si cette décision est vraiment réelle.
Quels sont les fondements bibliques du mystère de la contrition:
1) Esdras X, II - « Et maintenant confessez votre faute
à Yahweh, le Dieu de vos pères ».
2) Jonas III, 5 - (, Les gens de Ninive crurent en Dieu
140 PIERRE KOVALEVSKY

et publièrent un jeûne et se revêtirent de cilices, tous grands


et petits; la chose étant parvenue au roi de Ninive, il se leva de
son trône, ôta son manteau, se couvrit de cilice et s'assis sur la
cendre. Et on cria par Ninive et on dit. .. que ni hommes, ni bêtes,
boeufs et brebis, ne goûtent rien et ne boivent pas d'eau, qu'ils
se couvrent de cilices ... qu'ils crient vers Dieu avec force et qu'ils
se convertissent chacun de sa conduite mauvaise et des violen-
ces qu'ils commettent. Qui sait, si Dieu ne viendra pas à se re-
pentir et qu'il ne reviendra pas de l'ardeur de sa colère, en sorte
que nous ne périssions pas. Dieu vit ce qu'ils faisaient, comment
ils se convertissaient de leur conduite mauvaise et Dieu se re-
pentit du mal qu'il avait parlé de leur faire et ne le fit pas >}.
Dans ce texte nous avons déjà les trois éléments essentiels
du mystère de la contrition: la conscience du péché commis,
le repentir et le pardon de Dieu. Le mot «chacun» souligne le
caractère individuel du mystère qui n'est pas seulement col-
lectif, mais doit atteindre la conscience de chaque individu. La
nécessité du jeûne préparatoire est également mise en avant.
3) Actes VIII, 22: paroles de l'apôtre Pierre à Simon le
magicien: «Repends-toi de ta malice et demande au Seigneur
de te pardonner, si possible, la pensée qui t'est venue à l'esprit.
Simon répondit: intercédez vous-mêmes pour moi auprès du
Seigneur, afin qu'il ne m'arrive rien de ce que vous avez dit )}.
4) Deuxième épître de Pierre: «Le Seigneur use de la
patience à votre endroit, voulant non que certains périssent,
mais que tous viennent à la repentance )}.
L'enseignement du Christ est basé, comme celui de Jean-
Baptiste, sur la repentance et cela dès le début de sa prédica-
tion: «Jésus commença sa prédication en disant: repentez-vous,
car le royaume des cieux est proche », Math. IV, 17, et: «Re-
pentez-vous et croyez au bon message (Evangile) », Marc l, 15.
Les dernières paroles du Sauveur aux apôtres sont: «Le repentir
doit être prêché à toutes les nations >}, Luc XXIV, 47, et dans
Marc VI, 12, à propos de la mission des apôtres: «Les apôtres
partirent et proclamèrent qu'il fallait se repentir ,}.
Quel doit être ce repentir exigé par le Sauveur et comment
savoir si notre contrition a été acceptée par Dieu? Je ne parle
pas ici de la déclaration au début de la messe latine « mea culpa >}
ou de la «confession des péchés >} dans le culte protestant qui
appartiennent à une autre catégorie spirituelle, mais de l'assu-
LA PÉNITENCE DANS LA VIE CHRÉTIENNE 141

rance du pardon. Nous en avons des exemples dans les Evan-


giles qui nous donnent des indications précises sur le pardon.
Dans la parabole du fils prodigue nous avons un exemple
de la plénitude de cette action divine: vision consciente du péché
commis envers le père, absence de tout orgueil ou du désir de
se disculper ou même d'expliquer sa conduite, confession ouver-
te de la faute, absolution par le père qui se réjouit de la
pénitence de son fils.
Dans la parabole du pharisien et du publicain (Luc XVIII, 3)
la pénitence a comme corollaire l'humilité. Plusieurs fois le Sei-
gneur parle du pardon des péchés commis, c'est à dire des péchés
du passé: "Confiance, mon fils, tes péchés te sont pardonnés l)
(au paralytique Math IX, 2) ou (, Ses nombreux péchés lui sont
pardonnés parce qu'elle a montré beaucoup d'amour >J (à propos
de la femme pécheresse (Luc VII, 48). mais il n'a qu'une seule
absolution définitive, parce que ceux qui sont mentionnés plus
haut ont pu pécher après. La seule absolution définitive qui est
un des fondements du mystère de la contrition-absolution est
celle du larron au Golgotha: (, L'autre malfaiteur prenant la pa-
role le reprit sévèrement. Tu n'as même pas la crainte de Dieu,
toi qui subis la même peine. Pour nous c'est justice, car nous
recevons ce que nous ont valu nos actes; mais lui, il n'a rien fait
de répréhensible (vision et conscience du péché). Et il dit: Jésus
souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton royaume (con-
fession publique du péché). Jésus lui dit: en vérité je te le dis,
aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis (absolution des
péchés) >J.
Chez l'autre larron il y a une absence absolue de la vision
du péché commis, tandis que la vraie contrition est impossible
sans vision du péché.
Deux conditions sont indispensables, d'après l'enseignement
de l'Eglise Orthodoxe, pour que s'accomplisse le mystère (sacre-
ment) de la confession-contrition-absolution. Il doit être indivi-
duel, comme les autres sacrements sauf l'Eucharistie, qui est
le mystère de l'Unité des chrétiens devant le calice et dans le
calice. Le baptême, la chrysmation (confirmation), le mariage,
l'onction des malades et l'ordre tout comme la confession ne
peuvent être communautaires dans le sens d'une action géné-
rale et non individualisée du Saint Esprit. Un sacrement ac-
compli « devant la communauté ) ou en communion avec la com-
munauté ne veut pas dire qu'il est communautaire parce que
142 PIERRE KOVALEVSKY

l'homme est devant Dieu « une individualité ». Nous examine-


rons ailleurs le cas des confessions publiques du père Jean de
Kronstadt qui tout en étant une exception à la règle ne font
que confirmer notre pensée.
Le sacrement-mystère doit non seulement être individuel,
mais individualisé en ce qui concerne les péchés. On ne doit pas,
on ne peut pas confesser ses péchés <, en général », ce qui ramè-
nerais la confession à une déclaration de culpabilité imprécise,
mais il faut confesser les péchés précis dans le temps et dans
leur catégorie, ce qui permettra de les éviter plus tard.
Pour bien voir la différence qui existe dans les textes de
la confession chez les catholiques, les protestants et les ortho-
doxes rappelons les textes les plus usités. Confession publique
des péchés dans la messe avant la dernière réforme: <,Je con-
fesse à Dieu, à la Sainte Vierge, à l'Archange Michel, à Saint
Jean Baptiste, aux apôtres Saints Pierre et Paul et à tous les
saints et à vous, mon père, que j'ai beaucoup péché par pensées,
par paroles et par actions. C'est ma faute, c'est ma faute, c'est
ma très grande faute ». <, Que le Dieu tout puissant ait pitié de
vous, vous pardonne vos péchés et vous conduise à la vie éternelle .).
Du point de vue orthodoxe on ne peut confesser ses péchés
qu'à Dieu seul ni les confesser en général d'une manière déclarative.
Le nouveau Missel contient dans son édition de 1969, trois
formules. La première rappelle l'ancienne, les deux autres ne
sont que de courtes prières, l'absolution n'étant qu'une formule
abstraite (Liturgie de la messe. Ed. Desclée, Tournai 1969).
Les textes officiels réformés sont contenus dans le recueil
<, Liturgie de l'Eglise Réformée de France» (Paris Berger Levrault
1963). Voici une d'elles: Le pasteur dit: « Mes frères, en présence
de Dieu Saint que chacun de nous confesse humblement son
péché ». Suit une longue prière récitée par le pasteur. L'assem-
blée chante <, Seigneur, aie pitié de nous ». Le pasteur lit la décla-
ration du pardon et dit à la fin: <,Vos péchés vous sont pardon-
nés à cause de Son nom )).
Comme j'ai déjà dit à propos de la confession du début de
la liturgie catholique, cette déclaration est, du point de vue or-
thodoxe, abstraite et trop générale. Il ne se trouvera d'autre
part aucun prêtre orthodoxe qui oserait déclarer que tous les
péchés des assistants sont pardonnés, Dieu seul étant juge de
la contrition des fidèles présents.
La liturgie orthodoxe ne comporte aucun élément de con-
LA PÉNITENCE DANS LA ViE CHRÉTIENNE 143

fession de péchés à son début et le sacrement de la pénitence


est d'un côté une préparation au Sacrement de la Communion
et de l'autre un acte de lutte contre le péché - seul mal réel sur
cette terre, d'après Saint Basile le Grand.
Avant de passer à cette seconde notion du sacrement de
la pénitence il faut dire que certaines actions « pénitentiaires J)
ne présentent pas de caractéristiques nécessaires pour être qua-
lifiées comme ,< mystère de la contrition-absolution .,.
Si les actes d'ascèse mènent vers la purification de l'âme,
ils doivent être considérés comme actions de pénitence, sinon
ils risqnent de faire perdre dans l'homme l'étincelle divine. On
doit toujours se souvenir de l'hymne de l'apôtre Paul en hon-
neur de la charité. Si elle manque à l'ascète tous ses efforts sont
vains (I Corinthiens XIII, 1-13).
La prière à Jésus n'est pas non plus une pénitence, mais
une purification de l'âme et une concentration de la pensée, dont
il ne faut pas abuser parce que la prière a trois échelons: la de-
mande, l'action de grâce et enfin la prière angélique, glorifica-
tion de Dieu.
La pénitence « politique., n'est pas non plus du point de
vue de l'Eglise orthodoxe une vraie pénitence, comme par exem-
ple celle de Canossa, parce qu'il n'y a pas eu de péché envers
Dieu, mais envers des hommes. Et il n'y a pas eu d'absolution,
mais un simple pardon du côté humain.
Comme l'a si bien exprimé dans son allocution remarquable
Charles Malik, anc. Président de ]' Assemblée Générale des N a-
tions Unies, notre monde actuel a perdu le vision du péché et
du Mal: « Il peut y avoir en ce monde plénitude de vie ou glis-
sement subtil, insensible vers le néant et la mort. Ces éventua-
lités sont différentes, totalement distinctes. Le vrai n'est pas
le faux, le bonheur n'est pas le malheur. Dans ces diverses alter-
natives le premier terme nous vient de Dieu, le second est l'oeuvre
du Malin. La confusion qui règne entre ces deux ordres est l'aber-
ration majeure de notre tf mps ».
A notre époque on a perdu la notion du Bien et du Mal com-
me suite de la perte du critère de l'absolu, sur lequel et d'après
lequel on peut juger de ce qui est mauvais ou de ce qui est bon.
Ces critères furent, durant p,ès de deux millénaires, la foi et
la morale chrétiennes.
Le sacrement de confession-absolution peut être considéré
comme une contribution au Bien sur cette terre en tant que lutte
144 PIERRE KOVALEVSKY

contre le péché, origine de tous les maux. Mais cette lutte pour
le Bien demande une préparation, une purification et avant de
venir aux exemples concrets de cette lutte pour le Bien dans
l'Orthodoxie, il faut dire quelques mots sur les liens qui exis-
tent entre la liturgie orthodoxe, dans le sens le plus large de ce
mot, et le mystère de la contrition-absolution, ainsi que des rap-
ports entre ce sacrement et le sacrement du baptême.
Je cite dès le début l'admirable prière de Saint Ephrem
le Syrien (t 373), originaire de Mésopotamie, qui vécut à Edesse.
Il faut souligner ici que la tradition liturgique et ascétique sy-
rienne (syriaque) a contribué puissamment à l'enrichissement
de la vie de l'Eglise Orthodoxe.
Cette prière est lue durant tout le grand carême et exprime
admirablement ce que l'Eglise propose pour la préparation à
la contrition-absolution pascale:
« Seigneur et Maître de ma vie, l'esprit d'oisiveté, de dé-
couragement, de domination et de parole facile, éloigne de moi.
L'esprit de pureté, d'humilité, de patience et de charité,
donne à Ton serviteur.
Oui, Seigneur et Roi, donne-moi de voir mes fautes et de
ne point juger mon frère, car Tu es béni dans les siècles des siècles.
Amen>}.
Il faut d'autre part souligner que dans l'Eglise Orthodoxe
le sacrement de contrition-absolution est intimement lié à l'Eu-
charistie. Si dans les Eglises grecques et balcaniques cette tra-
dition n'est pas strictement observée et la Communion n'est
pas précédée obligatoirement par la confession, en Russie, sauf
des cas exceptionnels, on n'approche pas du calice sans avoir
auparavant confessé ses péchés devant le prêtre. En Grèce cette
séparation entre les deux sacrements s'est tellement ancrée que
les prêtres de village ne confessent pas et que la confession est
reservée aux ecclésiastiques chargés de cette mission par les évê-
ques et qui visitent les paroisses.
Dans l'Eglise Orthodoxe il y a une période liturgique assez
longue, qui forme un cycle de préparation à la Sainte Cène du
Jeudi Saint et à Pâques. Les semaines qui précèdent le grand
carême sont liées aux récits évangéliques, dont nous avons parlé:
la première est celle où l'on lit l'Evangile de la visite du Christ
chez Zachée (Luc XIX, 1-10). La deuxième semaine de prépa-
ration est consacrée au récit évangélique du pharisien et du publi-
cain (Luc XVIII, 10-14). Elle nous introduit dans la vraie pé-
LA PÉNITENCE DA~S LA VIE CHRÉTIENNE 145

nitence qui exige l'humilité et la vision de son péché. La troi-


sième semaine est dite du fils prodigue (Luc XV, 11-32). La pa-
rabole nous donne l'image d'un repentir, d'une confession du
péché devant le père et du pardon paternel, qui forment la plé-
nitude du mystère.
Le dernier dimanche avant le carême est consacré au récit
du Jugement Dernier (Math. XXV, 31-46). C'est dans cette pé-
ricope que le Seigneur annonce que les hommes seront jugés
non en vertu de leur foi. mais d'après leurs actions et que ceux
qui ont fait du Mal ou n'ont pas fait de Bien seront condamnés
et ceux qui sur cette terre ont fait du Bien auront la vie éternelle.
Une cérémonie extrêmement touchante et en même temps
d'un symbolisme profond a lieu le soir du dernier dimanche avant
le grand carême. Après les vêpres on célèbre «Le pardon ". Les
prêtres les premiers, et après eux tous les assistants demandent
pardon en s'inclinant profondement, chacun individuellement, et
les fidèles passent devant les prêtres en leur demandant leur bé-
nédiction. On entre ainsi dans le «temps du carême " après s'être
réconcilié avec ses frères, amis et ennemis.
Dès le premier jour du carême on chante la strophe: « Ouvre-
moi les portes de la contrition, Toi, qui m'as donné la vie ».
La contrition doit être liée à des faits précis et ne pas être
imprécise. On se rappellera l'anecdote dans la vie d'un grand prélat
russe qui, à la déclaration d'une vieille communiante «j'ai péché
en tout. mon père ), répondit sévèrement: {< qUÎ as-tu assassiné? )
A la réponse angoissée «personne », le prélat répondit: «pourquoi
alors mens-tu à Dieu en disant que tu as péché en tout? ».
Le mystère (sacrement) de contrition-absolution est consi-
déré par l'Eglise Orthodoxe comme une guérison. Le prêtre dit
au pénitent: «Tu es venu là, ail l'on reçoit la guérison pour que
tu ne partes pas non guéri ).
Nous verrons que le sacrement de confession sera l'action
principale des «starets» et du père Jean de Kronstadt, mais
avant il nous faut parler des relations qui existent entre ce sa-
crement et celui du baptême. Le problème des rapports entre
le sacrement de confession (contrition-absolution) est lié à «J'exhor-
tation) que le rituel russe inclut dans le texte de la confession
et il a été étudié en détail dans un article de grande valeur, publié
récemment par le père Elie Mélia dans le N° du mois de Mai du
« Messager du Mouvement des Etudiants Chrétiens Russes» (Pa-
ris 1973).
146 PIERRE KOVALEVEKY

(' L'exhortation dit: Tu dois te garder désormais de tout cela


(sous-entendu des péchés commis et confessés) parce que tu es
baptisé pour la seconde fois dans ce sacrement ,). Cette affirma-
tion est surprenante et provient du parallélisme entre la rémis-
sion des péchés dans le baptême et celle dans la confession, qui
remonte, comme nouS le verrons, à une tradition qui n'était ap-
plicable que dans les premiers temps chrétiens. L'exhortation
n'est d'ailleurs jamais lue lors de la confession.
Dans l'article du père E. Mélia il y a une phrase qui semble
indiquer que ce dernier accepte le parallélisme entre les deux
sacrements. Dans le paragraphe intitulé "structure du sacrement
de la pénitence ,) il dit: "sanctionnée par le baptême, la péni-
tence en est aussi la continuation permanente. Le lien avec lui
n'est pas tant formel que théologique ,j, ce qui veut dire que ce
n'est pas un nouveau baptême comme l'affirme <d'exhortation »,
mais la continuation d'un seul et unique baptême.
On peut trouver une solution du problème dans le rapport
extrêmement intéressant fait par le professeur C. Vogel de la
Faculté Théologique Catholique de Strasbourg à la Semaine d'Etu-
des Liturgiques de 1973 à St Serge de Paris.
La pénitence était d'après lui unique durant les premiers
siècles et était liée au baptême. Elle était publique (générale)
et concernait ceux qui devaient entrer dans l'Eglise ou y reve-
naient après s'être égarés dans des hérésies. Elle ne pouvait pas
se répéter.
Puis vint la période de la pénitence individuelle qui fut suivie
par la valorisation, la classification et la tarification des péchés,
qui provoqua d'un côté la division des péchés en mortels et vé-
niels et de l'autre l'apparition des indulgences, basées sur le prin-
cipe des mérites. Les (, pénitentiaires)} (catalogues de péchés)
si nombreux au Moyen Age, amenèrent l'idée du rachat des pé-
chés non plus par des actes de piété, mais par de l'argent.
Pour la confession individuelle on discuta à propos du pro-
blème de la nécessité de celle-ci pour les péchés véniels. Tout
ce complexe de doctrines forma le fonds de l'enseignement de
l'Eglise Catholique sur le sacrement de la confession.
L'Eglise Orthodoxe n'a pas connu, ni la division des péchés
en mortels et véniels, parce que chaque péché dit véniel peut
devenir mortel, si on n'engage pas de lutte contre lui, et que
Dieu seul peut juger de l'importance de notre faute etlvers Lui.
L'Eglise Orthodoxe n'a pas eu de (, pénitentiaires ,j, ni d'indul-
LA PÉNITENCE DANS LA VIE CHRÉTIENNE 147

gences, fondées sur les mérites, et elle est restée en dehors du


mouvement doctrinal qui aboutit à l'enseignement de l'Eglise
Catholique sur le péché.
Nous venons maintenan t au problème du don de la vision
des péchés. Si le don de voir ses propres péchés est, d'après les
Pères de l'Eglise et les grands ascètes, une grâce divine, celui
de voir les péchés des autres non pour s'enorgueillir, mais pour
les guérir, est encore plus grand.
Les (' Starets 1) du monastère d'Optina, ainsi que le père Jean
de Kre,nstadt avaient non seulement le don ou la grâce de la
vision des péchés, mais voyaient en quoi les visiteurs avaient
enfreint les commandements de Dieu et quel était le meilleur
moyen de les mettre sur la bonne voie. C'étaient vraÎlnent des
guérisseurs d'âmes et la confession chez eux devenait un redres-
sement spirituel pour ceux qui se confiaient à eux.
Si les {' Starets 'J d'Optina firent un grand bien en Russie,
il ne faut pas oublier qu'ils reprenaient une tradition ancienne
et qu'ils avaient à leur époque un exemple édifiant dans la vie
et l'action spirituelle de Saint Séraphin de Sarov (1759-1833).
Le premier (, confesseur 1) de peuple russe fut St Abraham
de Smolensk (né vers 1150, t vers 1220). Il fut calomnié et per-
sécuté, mais justifié à la fin de sa vie. Quant à St Séraphin de
Sarov, sa vie est connue en Occident et son enseignement sur
l'acquisition du Saint Esprit, contenu dans ses entretiens avec
Motovilov, a été reproduit maintes fois dans les recueils de spi-
ritualité orientale depuis un demi-siècle. Je ne retiendrai par
conséquent que son action en tant que confesseur et conseiller
spirituel de tous ceux qui venaient chez lui. Cette période, la
dernière de sa vie, s'étend de 1825 à 1833. Il ouvrit les portes
de sa cellule pour y recevoir tous ceux qui voulaient le consul-
ter et se confesser. Ceux-ci accoururent de toutes les parties de
la Russie, depuis l'empereur Alexandre l jusqu'aux humbles
paysans et ouvriers et tous quittaient St Séraphin réconfortés
et régénérés, après avoir confessé leurs péchés et demandé au
« starets)} des conseils spirituels pour l'avenir.
L'installation des {( starets 'J confesseurs à Optina est intime-
ment liée à la crise spirituelle du {, siècle des lumières 'J, quand
tous les pays de l'Europe et particulièrement la Russie, enta-
mèrent des persécutions contre les monastères contemplatifs. Si
Marie Thérèse, Frédéric le Grand et Louis XV prirent des me-
sures surtout contre les contemplatifs et que la Commission du
148 PIERRE KOVALEVSKY

maréchal de Villars prépara les excès commis plus tard contre


les monastères sous la Révolution, les mesures antimonacales
de Catherine II furent beaucoup plus radicales. Elle ferma en
1764 tous les monastères, abbayes et couvents qui restaient en-
core après la laïcisation entreprise par Pierre le Grand au début
du siècle. Un nombre important de moines dut se réfugier en
Moldavie et Valachie. C'est de là que, grâce à l'initiative de l'abbé
Païssy Velitchkovsky et de ses élèves, que le monachisme re-
tourna en Russie dans les années 20 du XIXe siècle.
Optina Poustyn (ermitage d'Optina), célèbre monastère, dont
la fondation remonte au XIve siècle, fut fermé par Pierre le
Grand. C'est en 1829 que, sur l'initiative de l'archevêque Phi-
larète de Kalouga, ordinaire du diocèse, qu'il fut rouvert et qu'un
genre nouveau de vie monacale y fut introduit. Ce nouveau genre
de vie fut très mal accueilli par les autorités religieuses et ce n'est
que grâce à la protection de l'archevêque Philarète que le père
Léonide put fonder la lignée des « starets », confesseurs du peuple
et guérisseurs d'âmes.
Le père Léonide, avant son ordination, était marchand am-
bulant d'origine très modeste. Il avait parcouru le pays dans
tous les sens et connaissait toutes les classes de la population.
Il joignait à une profonde et vraie spiritualité des qualités in-
nées de psychologue. Il resta « starets ,) jusqu'à sa mort en 1841.
Les foules qui venaient à Optina étaient vraiment impression-
nantes, tant était grande la soif d'une direction spirituelle. Sa
confession était toujours suivie d'un redressement moral de
l'homme.
Le père Macaire lui succéda. Il ne lui ressemblait nullement.
Autant l'un était populaire et employait des mots simples qui
frappaient l'imagination des villageois et des ouvriers, autant
l'autre était fin lettré et attirait vers Optina les intellectuels,
les professeurs, les écrivains et les étudiants. Il fallait qu'eux-
aussi puissent profiter de son expérience spirituelle et puiser à
la source vivifiante à l'époque d'une crise religieuse très grave.
Avant sa mort en 1860, le père Macaire transmit la charge
de "starets» à Ambroise qui était d'origine ecclésiastique. Le
clergé étant pour la plupart marié en Russie, les fils de prêtres,
de diacres et de psalmistes formaient une caste fermée et pas-
saient presque toujours par les séminaires. Père Ambroise était
non seule men t un ancien sélninariste, mais professeur de sémi-
naire, avant d'entrer dans les ordres.
LA PÉNITENCE DANS LA VIE CHRÉTIEN~E 149

C'était un homme d'esprit très ouvert et tolérant envers


ceux qui venaient le consulter et se confesser. Il passait des heu-
res en prières et était comme tous les « starets) un orant. Le
matin il dictait des lettres, de 50 à 60 par jour, dans lesquelles
il donnait des conseils spirituels. L'après-midi était consacré à
ceux qui venaient souvent de très loin. Parmi les visiteurs du
monastère d'Optina, qui y venaient pour voir le père Macaire
et plus tard le père Ambroise, il y avait des membres du clergé
et même des évêques. Puisant à pleines mains dans le trésor,
laissé par les Pères de l'Eglise et les grands ascètes, qu'ils véné-
raient à cause de leur expérience spirituelle vécue, les « starets )
d'Optina entreprirent à partir de 1847 la traduction en russe
du grec et la publication d'oeuvres patristiques.
Père Ambroise, avant sa mort survenue en 1891, laissa comme
successeur le père Anatole, à qui succéda le dernier des «sta-
rets J), le père N eetaire. En 1923 le gouvernement communiste
procéda à la fermeture et puis à la destruction du monastère
et le dernier «starets J) mourut en 1928 chez les paysans d'un
village voisin où il fut accueilli lors de la liquidation de ce grand
centre de vie spirituelle.
L'influence d'Optina et de Saint Séraphin fut très grande
et leur confession suivie d'un redressement moral, pour des mil-
liers de croyants, un vrai changement de vie et une étape dé-
cisive. Mais cette guérison de l'âme et du corps était tournée
non vers le passé, ni vers le présent, mais vers l'avenir. Elle était
un apport au Bien et une lutte spirituelle contre le Mal sur cette
terre par la prière et par l'exemple vivant.
Il faut rappeler que Léon Tolstoï se dirigea avant sa mort
vers Optina et y passa deux jours sans voir les «starets J). Au
témoignage de ceux qui lui ont parlé, pendant ce temps il ne
visita pas les moines à cause de son orgueil démesuré, qui était
la grande plaie de sa vie. Il craignait d'entendre des reproches
à propos de ses idées religieuses. La première chose que deman-
daient les ,. starets J) à ceux qui venaient les consulter était l'hu-
milité.
Le dernier trait à souligner dans la confession des moines
d'Optina est le refus d'absolution. Celle-ci n'était nullement
acquise. Les {( starets) la refusaient, s'ils croyaient que la con-
trition et surtout la résolution de changer de vie n'étaient pas
sincères.
Toute autre était la confession du père Jean de Kronstadt
150 PIERRE KOVALEVSKY

(1829-1908). Je vous rappelle brièvement sa vie: il est né dans


une très pauvre famille de sacristain dans l'extrême nord de
la Russie près d'Arkhangelsk (Archangel), a fait ses études se-
condaires dans le séminaire de cette ville et, en tant que pre-
mier élève, fut envoyé à l'Académie de Théologie de Saint-Pe-
tersbourg. En 1855 il fut nommé curé de l'église Saint André
à Kronstadt, port maritime, renommé pour la dépravation et
le très bas niveau de vie de sa population. Celle-ci se compo-
sait de marins, de débardeurs et d'éléments peu recommandables.
Père Jean y resta 53 ans et transforma entièrement la ville et
sa population. Son action missionnaire et sociale fut très grande.
II fonda des maisons de travail, des hôpitaux et rechristianisa
la population. Son action s'étendait au loin et on le nommait
{( pasteur de toute la Russie >,. Son activité était en même temps
pastorale et prophétique. II fut un des premiers à restaurer la
communion fréquente, mais c'est dans la confession qu'il obtint
les résultats les plus profonds. Ce fut vraiment le seul cas d'une
confession en masse qui produisait un effet bienfaisant et ré-
novateur.
L'intensité de prière du père Jean était telle qu'elle se com-
muniquait à des milliers de personnes qui assistaient tous les
jours à ses offices dans la très grande église de Kronstadt. Avant
la liturgie le père Jean procédait toujours à la confession géné-
rale, parce qu'il n'avait pas les moyens de confesser tous indi-
viduellement. Ceux qui avaient de grands péchés sur la conscience
les proclamaient ouvertement et faisaient acte de repentance.
Cela pouvait se faire évidemment seulement dans une athmosphère
de tension spirituelle intense et comme une exception à la règle
commune des confessions. Le père Jean était très sévère. II y
avait de nombreux cas de refus de la communion à ceux qui ap-
prochaient du calice. Par un don prophétique il distinguait ceux
qui se repentaient vraiment et avaient pris la ferme résolution
de se régénérer, de ceux qui n'avaient fait qu'un acte de con-
trition de forme. II y avait des cas où il arrêtait ceux qui s'ap-
prochaient du calice parce qu'il considérait leur crime trop
grand et nécessitant une pénitence spéciale.
La renommée du père Jean ne fit que croître jusqu'à sa mort
et sa tombe, dans le monast ère dédié à Saint Jean de Ryla à
Saint Petersbourg, devint un lieu de pèlerinage jusqu'au jour
où il fut fermé par les autorités communistes. Le père Jean de
Kronstadt était un vrai guérisseur d'âmes et ses confessions fi-
LA rÉNITENCE DANS LA VIE CHRÉTIENNE 151

rent un grand bien à une époque où la déchristianisation de la


population ouvrière était très inquiètante.
Quelles sont les conclusions de ce qui a été exposé sur le
mystère de la confession? Parmi les sacrements il est le plus dé-
laissé dans les milieux orthodoxes. Dans les pays où il n'est pas
lié à l'eucharistie on le néglige parce qu'on peut approcher du
calice sans a voir confessé ses péchés. En Russie et dans la dis-
persion orthodoxe il a perdu beaucoup de son sens de régénéra-
tion, de renouveau de la vie chrétienne, et surtout de lutte spi-
rituelle pour le Bien contre le Mal et le péché en tant que Mal
intrinsèque.
Les confessions des « starets » d'Optina et de Saint Séraphin
nous montrent la grande valeur spirituelle de cette étape impor-
tante et je dirais même indispensable que représente dans la
vie du chrétien la confession, chaînon salutaire dans sa montée
vers la perfection.

Pierre KOVALEVSKY

Doyen de l'Institut Saint Denis.


Chargé de Conférences à Paris II 1.
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LA RÉMISSION DES PÉcHÉs DANS LE CADRE DES
« CULTES POLITIQUES»

Messieurs, chers collègues,


La (, liturgie ,), thème sur lequel j'aimerais vous parler, sort
du cadre de cette manifestation. Il ne s'agit pas en l'occurrence
d'un développement historique de la liturgie d'une Eglise déter-
minée, mais de la liturgie d'un mouvement religieux moderne.
A ce mouvement participent des jeunes de toutes confessions,
provenants notamment d'Allemagne fédérale, de Hollande, de
Suisse, d'Autriche, mais aussi d'Angleterre et des Etats-Unis.
Il s'agit du mouvement appelé (' nocturnes spirituels politiques».
Ces (, nocturnes spirituels politiques» sont étroitement liés au
nom de l'écrivain et théologien connue Dorothée Siille et à celui
de son mari, l'ex père bénédictin Fulbert Steffensky. Leur ori-
gine remonte à une journée ecclésiale catholique tenue à Essen,
mais par la suite leurs cultes ont surtout été célébrés dans une
église protestante de Cologne. Une grande partie de la jeunesse
de différentes Eglises peut aujourd'hui s'identifier avec les «noc-
turnes spirituels politiques ,) le plus souvent beaucoup mieux
qu'avec les cultes de leur propres Eglises. C'est pourquoi ils doi-
vent être pris en considération par un congrès comme le nôtre,
même si la foi qui s'exprime dans les formes étranges de cette
«( liturgie 1) soulève de nombreuses questions et objections, voire
même se heurte à un refus catégorique. Ils doivent être pris en
considération, entre autre, du fait qu'à travers eux s'exprime
une nouvelle conception du péché et de sa rémission: celle d'une
nouvelle génération.
Ne vous attendez donc pas, dans l'exposé qui va suivre,
à un enrichissement de vos connaissances historiques de la li-
turgie, mais à un exposé aussi objectif que possible sur un mou-
vement de notre jeunesse qui cherche sa propre foi chrétienne
et son propre langage.
Ce mouvement est né dans les années soixante. Les ques-
tions politiques non résolues de notre époque ont constitué un
ensemble de problèmes qui pèse sur la conscience du monde oc-
cidental: Vietnam, Grèce, Angola, la menace atomique, le Tiers-
Monde, les travailleurs étrangers, etc. Le signal pour la prise
154 R. LEUENBERGER

de position politique semble avoir été donné par un groupe de


jeunes qui ont pénétré, avec la participation de Rudi Dutschke,
le jour de Noël 1967 dans la {, Kaiser-Wilhelm-Gedachtnis-Kir-
che" à Berlin, pendant le culte de minuit et qui protestèrent
avec des pancartes et des transparents en particulier contre la
guerre au Vietnam. L'intention des manifestants n'était pas de
saboter le culte de Noël en tant que tel, mais d'attirer l'atten-
tion sur la relation étroite entre Noël et la paix dans le monde
et de lui donner ainsi un contenu politique. Les jeunes ont été,
il est vrai, expulsés de l'église par la foule indignée, mais ils avaient
réussi à introduire un nouvel élément dans le culte: la provoca-
tion. L'opinion publique même celle qui n'avait pas un grand
intérêt religieux fut alarmée, une brèche avait été faite dans
les murs de «l'Eglise-Ghetto ,}.
Mais les actions de provocation telles qu'elles se manifes-
tèrent dans d'autres villes d'Allemagne Fédérale ne furent qu'une
phase de puberté dans l'histoire des cultes politiques. Elle a vite
été dépassée. Le 1er octobre 1968 le premier {, nocturne spiri-
tuel politique» a été célébré à Cologne. Le cercle de Cologne,
autour de Dorothée Solle et Fulbert Steffensky, a le mérite d'avoir
donné aux cultes politiques une forme singulière et efficace. Les
{' nocturnes spirituels politiques» qui ont été publiés jusqu'à pré-
sent en deux petits volumes, sont des oeuvres magistralement
élaborées et présentées et qui appartiennent sans aucun doute
à la production de création théologique et littéraire de ces der-
nières années. Les résultats obtenus grâce à eux sont étonnants
à plus d'un égard. Rien que le succès extérieur, qui déborde de
loin la sphère ecclésiale, force l'attention. Ils ont en tout cas
le mérite d'avoir franchi des barrières qui pour les cultes con-
ventionnels paraissaient presque insurmontables. Ainsi les grou-
pes de travail ont réussi à réunir des {, communes" dans lesquel-
les tous les âges - en particulier naturellement des jeunes -
sont représentés et où, étudiants et apprentis, employés et gens
de différents cadres, femmes et hommes, se retrouvent. Ils ont
réussi aussi à intéresser dans une mesure exceptionnelle les laïcs,
car tous les cultes politiques réunissent, aussi bien dans leur
phase préparatoire que dans leur déroulement, des théologiens
et des non-théologiens. Par ailleurs les cultes politiques présen-
tent indiscutablement un profil théologique, sans pour autant
être dépendants d'une {, école, théologique dans le sens con-
ventionnel du mot.
RÉMISSION DES PÉCHÉS ET «( CULTES POLITIQUES 1) 155

Dans tous les cas les cultes politiques laissent une certaine
latitude pour différentes positions théologiques; et l'ensemble du
mouvement pourrait bien être caractérisé par le fait qu'une droite
et une gauche théologique très prononcées y convergent. Les
promoteurs en sont probablement bien conscients. Ils ne veu-
lent pas seulement faire une brèche dans les positions théolo-
giques actuelles, mais bien d'avantage dans les barrières entre
les confessions. Il y a peut-être une signification symbolique
dans le fait que le cercle de Cologne se soit regroupé autour du
couple Steffensky-Solle et qu'il ait travaillé depuis le début sur
une base oecuménique. Fulbert Steffensky n'hésite pas à parler
des nouvelles confessions des gens qui pensent de façon tradi-
tionnelle et de ceux qui pensent de façon progressive. En outre
il considère comme dépassée la frontière avec les non-chrétiens,
car alors l'absence de confession n'offre plus de rempart lors-
qu'un mouvement de foi politique est entré en action. Sans aucun
doute: nous avons affaire à une spiritualité moderne, ouverte
au monde, à un mouvement possédant un sens religieux indis-
cutablement authentique. Les répercussions sont conformes: les
cultes politiques placent les autorités ecclésiastiques, la presse
et au fond chaque participant devant une (, décision l). Celui qui
n'est pas pour eux est contre eux. Parmi les voix qui s'expri-
ment publiquement on ne trouve que des adversaires ou des
adeptes décidés et ce n'est en effet pas facile de rester neutre
face à ces {( nocturnes spirituels l) remplis d'une polémique ha-
bile et de proclamations de sentiments humains.
Le fait que dans le cas en question un engagement poli-
tique soit soutenu par un certain pathos religieux, que ce mou-
vement, malgré une opposition parfois virulente contre «l'es-
tablishment 1) clérical, soit quand même résolu à rester dans les
Eglises, ce fait oblige à considérer de plus près ce phénomène.
Il existe le danger que devant le choix pathétique de l'appel
à la pénitence on prenne trop vite position pour ou contre un
événement qui sans doute est une réalité dans l'Eglise et dans
la Société. Nous partirons de la forme de ces cultes. Ce faisant,
nous nous opposons à la thèse de Fulbert Steffensky qui sou-
tient que c'est le contenu et non la forme qui décide du carac-
tère de culte des {( nocturnes spirituels 1). Nous pensons qu'ici,
contenu et forme, théologie et langage se fondent en une unité
si parfaite, que toute analyse de la forme doit signifier une ana-
lyse du contenu et inversement.
156 R. LEUENBERGER

LA FORME DES CULTES POLITIQUES

Le fait que les «cultes politiques », dans notre situation,


ne puissent être considérés dans leur accomplissement, mais seu-
lement en tant que production littéraire est un désavantage.
En effet ils n'atteignent toute leur valeur que dans l'accomplis-
sement, et ceci d'autant plus du fait que, dans ces cultes, la com-
munauté n'est pas l'objet d'une proclamation mais qu'elle dé-
termine par sa participation active le déroulement de l'action.
D'autre part l'atmosphère qui y règne joue un rôle qui n'est cer-
tainement pas négligeable. Déjà le nom à lui seul de (, Politische
Nachtgebete)} (que l'on pourrait traduire par «nocturnes spiri-
tuels politiques ») que le cercle de Cologne a donné à son mouve-
ment et qui a une touche de romantisme (ou de mystique). signifie
que les initiateurs ne dissocient pas l'homme de ses émotions.
Chaque culte contient les quatre éléments: l'information, la
méditation, la discussion et l'action. Ce principe permet une li-
berté maximum pour la mise sur pied de chaque nouvelle ma-
nifestation. L'ordonnance liturgique fait place ici à l'efficacité et
à la mobilité d'un programme: car de même que le déroulement
liturgique d'un culte se répète dans une uniformité sacrale, ICI
c'est la thématique politique actuelle qui décide chaque fois du
contenu et du programme. Et pourtant il existe une ligne de
conduite, celle d'une logique intérieure qui est propre à l'enga-
gement politico-religieux. Elle consiste dans les trois phases psy-
chologiquement et pratiquement liées entre elles: la harangue,
la persuasion et l'action. Les moments rationnels et émotionnels
s'interpénètrent jusqu'à atteindre le raffinement d'un bon pro-
gramme de cabaret: par une information dirigée, on crée une
volonté politique et on fixe un but; lecture de la Bible, prières
et chants intensifient l'expérience commune et légitiment le but
du culte; l'action finalement mène à une décharge de l'émotion
provoquée et au (, changement» des conditions sociales. Le fait
d'intercaler une discussion publique doit être considéré comme
extrêmement significatif. Elle absorbe toutes les résistances in-
tellectuelles et émotionnelles contre le déroulement du culte.
Mais ce n'est pas tout: la discussion fait de la communauté un
partenaire responsable des «officiants ». Grâce à cela le culte
obtient une ouverture qui peut le préserver d'un raidissement:
un facteur d'instabilité qui a le pouvoir de fonctionner comme
correctif.
RÉMISSION DES PÉCHÉS .ET « CULTES POLITIQUES~) 157

Il existe des différences de niveau entre les différents exem-


ples. Mais dans l'ensemble le style d'un culte ne dépend pas des
différents auteurs. Il s'avère très difficile, même impossible de
retrouver un auteur déterminé à partir du style des textes. Nous
n'y trouvons ni un langage liturgiquement lié, ni un langage
individuel. Il s'agit bien plus d'un langage-type, c'est-à-dire d'un
langage forgé par un groupe. Beaucoup des choses rappellent
un certain style des Ordres missionnaires, mais aussi le style
des mouvements piétistes protestants qui vise la «( conversion ~)
ce qui signifie le (< changement ,. On peut considérer que la ca-
ractéristique du langage réside dans le fait qu'il unit un style
religieux très attaché à la tradition, à l'objectivité, un pathos
religieux à une transparence rationnelle.
«Nous croyons - en un Dieu qui veut le salut du monde;
qui a envoyé son fils dans le monde, afin que soit définitivement
révélé combien ce salut lui tient à coeur.
Nous espérons - que son règne vienne, celui qui a été fondé
ICI sur terre par la parole et les actes, la mort et la résurrection
de Jésus-Christ...
Nous aimons - Dieu dans notre prochain, et aujourd'hui
l'amour du prochain ne peut être nulle part aUSSI pnissant et
efficace que dans l'action politique.
Nous sommes donc tenns à nous engager dans la politique
si nous croyons, espérons et aimons comme des chrétiens 1).
Le langage est donc religieux-plérophorique et a un pou-
voir d'actualisation immédiate, il est à la fois sérieux et habi-
lement manipulé. Conformément à cela, on travaille autant avec
le vocabulaire de tradition liturgique qu'avec le répertoire des
discours politiques. On a affaire, et cela aussi rappelle les pré-
dications des Ordres, à une rhétorique renaissante, où les for-
mes stylistiques sont employées consciemment d'une façon psy-
chagogique et sont donc dirigées vers un (< changement» de l'au-
diteur. Un exemple typique pour l'art d'un conditionnement
rhétorique est celui de la méditation politique qui dans le noc-
turne spirituel politique (< Tchécoslovaquie - Saint-Domingue -
Vietnam» suit l'information. La méditation est basée sur des
antithèses qui se répètent plusieurs fois: «( Nous n'avons pas en-
tendu ... 1) «Nous avons appris ... 1 Nous n'avons pas appris ... »
- Ce que nous avons entendu et appris: « Nous avons entendu
que les Russes ont envahi en tant qu'occupants ... que la pro-
duction (il s'agit ici de l'ouest) continue et que les étudiants bû-
158 R. LEUENBERGER

chent ... que les Eglises prient et ne se mêlent de rien ... » etc. -
Ce que nous n'avons pas entendu et appris: (' Que les Améri-
cains ont envahi en tant qu'occupants ... que les Vietnamiens
veulent leur liberté ... de différencier soigneusement entre le com-
munisme et le stalinisme, entre la socialisation de la propriété
et la violence aveugle des chars armés ... que la foi cherche au-
jourd'hui une nouvelle dimension sociale ... Nous n'avons pas
été conscients de ce qui était important, que le Christ a besoin
de nous pour sa révolution ».
Ce qu'il y a de typique ici ce n'est pas seulement le raffi-
nement rhétorique de la répétition rythmique et l'intensifica-
tion progressive des antithèses, mais aussi l'art de détourner à
coup sûr les émotions suscitées: car il est clair que la tension
émotionnelle des auditeurs doit se décharger plus sur l'occu-
pant de l'ouest que sur celui de l'est. En fin de compte les évè-
nements de Tchécoslovaquie qui pourtant avaient donné l'im-
pulsion à ce {, nocturne spirituel» sont rentrés dans l'ombre, et
l'appel à la révolution sociale oriente la vague des sentiments
vers les problèmes de la société occidentale. Voilà la raison de
la conclusion: que le Christ a besoin de nous pour sa révolution.
Là-dessus, l'émotion portée à son paroxisme et conditionnée est
condensée dans un chant du cantique protestant: «Soleil de jus-
tice »... Les émotions politiques sont religieusement légitimées.
Le langage politique est sacralisé.

L'ACTION ET LE PROBLÈME DE LA RÉMISSION


DES PÉCHÉS ET DU SACREMENT

F. Steffensky explique ainsi les raisons qui poussent les


groupes de travail à faire déboucher chaque culte sur une action.
II dit que l'efficacité d'un culte dépend essentiellement du fait
qu'une possibilité d'action réelle est suggérée. Si au Cours d'un
culte on informe les participants sur la situation sociale, sans
qu'en même temps ceux-ci puissent entrevoir des possibilités
de changement, alors ils s'installent dans la résignation. Les
groupes de travail voient donc, comme nous l'avons dit plus
haut, dans la possibilité d'une action le critère déterminant pour
la réussite d'un culte.
Or la tension entre la parole et l'acte, entre le sacré et le
profane, ne date pas d'aujourd'hui, mais elle est inhérente au
RÉMISSION DES PÉCHÉS ET «CULTES POLITIQUES» 159

culte chrétien dès ses débuts. Mais il est intéressant de consta-


ter que les actions des {< nocturnes spirituels politiques '} ne sont
pas seulement en opposition avec la célébration sacramentelle
du culte eucharistique, mais qu'elles ont également un lien inté-
rieur essentiel avec celle-ci. Comme dans le culte, la possibilité
réelle d'action se trouve dans l'acte sacramentel et comme la
liturgie de l'eucharistie est axée fermement sur l'incarnation du
verbe dans le sacrifice et dans la communion, ainsi le culte po-
litique porte dans son ensemble un caractère d'action. Il est au-
tant caractérisé par l'action, que le culte eucharistique est ca-
ractérisé par le sacramentel. Ce n'est pas par hasard que la sug-
gestion d'une possibilité d'action ou l'action elle-même suivent
parfois immédiatement la prière. Dans l'exemple {< foi et poli-
tique », les propositions d'action suivent les paroles: {< délivre-
nous du mal - (car nous avons besoin de foi pour le règne) - q<<e
nous sommes et bâtissons 1). A ceci fait suite l'invitation aux actions,
comme dans la liturgie de la messe l'invitation à la communion
fait suite de la rémission des péchés. Un culte qui ne suggère
pas des possibilités de changement mène à la résignation, dit
F. Steffensky. La déception qu'éprouve un participant à une
messe, quand il ne peut pas accepter la rémission des péchés
et puis y communier, pourrait être semblable. La sacramenta-
lité signifie pourtant que la parole devient sensible. Mais tandis
que dans la célébration eucharistique la rémission des péchés
et l'expérience sacramentelle reste intégrée au culte, l'action po-
litique, elle, se dégage de celui-ci. Ceux qui communient transpo-
sent «l'avènement du salut» dans un lieu qui leur semble ap-
proprié: dans la société. Ainsi ils ne sont plus dans le rôle de celui
qui reçoit ni la rémission des péchés ni le sacrement, mais dans
le rôle de celui qui en faisant pénitence obtient la rémission des
péchés et qui donne le sacrement au monde. Alors que dans le
culte eucharistique les espèces sont changées par le verbe, ceux
qui communient au culte politique changent par leur action
la société.
A vrai dire, K. Marti, un pasteur suisse, collaborateur à ce
mouvement, admet que les actions ne sont pas seulement la par-
tie la plus nécessaire, mais aussi la partie la plus problématique
des cultes politiques. C'est dans l'immensité de l'effort qui est
nécessaire pour aboutir à des changements effectifs, dans un
cadre même très limité, qu'il voit la raison de l'insuffisance des
expériences faites jusqu'ici. C'est pourquoi il se demande fina-
160 R. LEUE~BERGER

lement s'il ne faudrait pas se limiter à des «actions plutôt sym-


boliques ,. Il pose par là une question qui touche à la théolo-
gie des cultes politiques dans son ensemble. La crise de (, l'ac-
tion » est la crise des cultes politiques. Dans la mesure où les
exemples en question permettent un jugement, le bilan de la
pratique actuelle dans ce sens est sans équivoques: très peu d'ac-
tions vont au-delà de la question angoissée: «que pouvons-nous
faire? ». Naturellement on peut organiser des collectes de se-
cours, pas autrement que dans le culte paroissial. On peut écrire
une lettre de solidarité à Don Mazzi, une lettre de protestation
à l'ambassade d'Indonésie. On distribue des listes d'action, qui
doivent en vérité surtout consoler les gens du manque de pos-
sibilités d'action. Pour pouvoir mieux se renseigner sur les problè-
mes des prisonniers on conseille aux participants une littérature
spécialisée. Bref: dans l'ensemble les possibilités d'actions po-
litiques proposées sont bien au-dessous du niveau de ce que les
cultes politiques peuvent offrir par ailleurs. A ce propos ce qui
est le plus convaincant c'est l'aveu qu'une action soigneusement
préparée dans les faubourgs de Cologne a échoué à cause du man-
que d'intérêt des habitants du quartier: (, Le groupe n'a pas été
capable d'opposer une résistance efficace, qui aurait pu chan-
ger les plans, parce qu'il n'a pas réussi à créer une solidarité entre
tous les habitants de l'endroit ».
La question de K. Marti est ainsi déjà tranchée: les actions
n'ont qu'un caractère symbolique. Les expériences qui ont été
faites jusqu'ici démontrent le contraire de ce qu'a affirmé F.
Steffensky: ceux qui participent à un culte arrivent à la rési-
gnation quand on leur promet des actions qui n'en sont pas.
Ceci est frappant. Les expériences qui ont été faites jusqu'ici
révèlent, sans aucun doute, une tension intérieure qui se trouve
à la base des nocturnes spirituels politiques: c'est-à-dire en fait
qu'ils manifestent leur impuissance exactement là où ils ten-
dent dès le début et vers quoi, pour ainsi dire, chaque phrase
est dirigée. On pourrait croire que cela obligerait les promoteurs
à une réflexion approfondie sur le rapport entre la parole et l'acte,
entre le culte et l'action politique. Mais les conclusions que le
cercle de Cologne tire de leur expérience sont d'autre nature.
Dans Son épilogue aux nocturnes spirituels politiques, D. Salle
suggère que le groupe même devrait d'abord se transformer en
une communauté. Il s'agirait d'essayer dans certains cas à vivre
en communauté: {( Nous ne SOll1mes qu'au début ). Cela ne peut
RÉMISSION DES PÉCHÉS ET « CULTES POLITIQUES) 161

que signifier que le groupe est décidé à trouver, à tout prix, le


moyen de passer de la parole à l'action! Il a seulement compris
qu'il ne peut pas changer le monde autrement qu'en se chan-
geant d'abors lui-même, Le mouvement prend une forme ecclé-
siale et est en train de se transformer en une espèce de commu-
nauté franciscaine-laïque, Le cercle de Cologne n'en est peut-être
vraiment qu'à ses débuts, c'est-à-dire un mouvement de péni-
tence politico-religieux qui cherche à vivre, devant le monde,
la réalité d'une nouvelle société et qui cherche à rendre digne
de foi sa prédication par le sacrifice de sa liberté individuelle.
On ne rendra sûrement justice au cercle de Cologne que
si l'on considère leur nocturnes spirituels politiques comme un
mouvement de pénitence. Le fond religieux est constitué par
la souffrance pour la culpabilité des peuples riches et parvenus.
Leur but est de réveiller ces gens nantis de leur sommeil de jnste
et de leur rappeler que, dans un monde qui est régi par la science
et la technique, des conditions justes peuvent être établies et
que c'est une faute que de rester indifférent à la souffrance d'au-
tres peuples ou d'autres classes sociales. C'est en tenant compte
de cela, qu'il faut comprendre le « légalisme » qui est volontiers
reproché à ce mouven1ent du côté théologique - et ceci sûre-
ment à juste titre. Le pathétique de leurs accusations et l'amer-
tume de leur polémique sont dès lors aussi compréhensibles. Les
mouvements de pénitence ont toujours cu une tendance au lé-
galisme et le langage des prédicateurs qui exhortent à la péni-
tence a toujours été courroucé, polémique et violent. Ceux de
Cologne portent, au figuré, la haire de J can Baptiste. Celui qui
leur reproche un légalisme devrait, au moins, ne pas les igno-
rer. La discussion avec eux doit cornlnencer sur la seule ques-
tion que l'on peut leur contester, à savoir: si eux effectivement
transforment le monde par leur prédication et que peuvent-ils
en vérité changer? Précisément celui pour lequel la différencia-
tion entre loi et Evangile est importante doit se pencher sur cette
question. Ce faisant il ne faudrait pas schématiser à l'excès la
discussion avec eux, en dressant par exemple trop rapidement
un front contre leur tendance politique. Il est certain qu'il y
a ici un problème théologique. Mais en leur mettant l'étiquette
de partisans de la nouvelle gauche on est injuste envers eux.
Leur engagement pour la justice, la paix et pour des nouvel-
les formes d'amour vécu, est tellement radical, qu'il pourrait
très bien se tourner contre une gauche établie d'une façon ou
162 R. LEUENBERGER

d'une autre, ou devenue inhumaine. Nous pensons que là réside


aussi la raison pour laquelle ils veulent rester dans l'Eglise. La
fermeté avec laquelle ils se refusent de célébrer les cultes poli-
tiques dans un autre endroit que dans une église, en dit plus
que le fait qu'ils ne veuillent pas laisser l'Eglise aux mains de
(< la classe dominante » (D. Solle). Cette même fermeté signifie
que le cercle de Cologne ne veut céder à aucun prix la cause de
la justice, de la paix et de l'amour à un groupe de puissance po-
litique, mais qu'il veut - si le mot est permis - lui conserver
un caractère sacré. Seul celui qui est prêt à leur reconnaître cet
esprit est en droit de leur poser des questions et de soulever des
objections.

Prof. Dr. R. LEUENBERGER


CARACTÈRE PÉNITENTIEL
DU RITE DES DEUXIÈMES NOCES

Mes Révérends Pères, Mesdames, Messieurs.


C'est la première fois que m'échoit l'honneur de prendre
la parole devant votre docte assemblée.
Aussi je tiens à exprimer en débutant et ma grande émo-
tion qui confine au trac, et ma profonde reconnaissance au Père
Recteur de l'Institut Saint Serge pour son invitation.
Je ne résiste pas, d'autre part, à l'incitation de vous faire
une confidence: je ne suis ni théologien, ni orateur. Cela vous
vous en apercevrez facilement. Aussi ai-je pour habitude d'écrire
mes propos; et cela depuis l'époque où je préparais la deuxième
session du baccalauréat ayant échoué à la première: pour ce faire
mes parents m'avaient mis chez les Pères Jésuites à Saint Louis
de Gonzague et le Père Massin qui nous dispensait la rhétorique,
comme on l'appelait alors, ne cessait de nous répéter à mes ca-
marades et à moi: (, Rédigez, et faites des citations, beaucoup
de citations; cela prouve d'abord que vous avez lu, et ensuite
c'est toujours cela de bien écrit dans votre copie >,.
Vous ne vous étonnerez pas en conséquence, des nombreux
passages empruntés à des auteurs différents et variés.
Ce préambule étant, passons à notre sujet.
Avant même que d'aborder l'étude du caractère péniten-
tiel du rite des deuxièmes noces dans l'Eglise Orthodoxe, il con-
viendrait peut-être de rappeler auparavant:
- la position de l'Eglise Orthodoxe quant au sacrement
du mariage;
- la pratique de ce sacrement pendant les premiers siècles;
- les modifications survenues dans son administration.
Il ne peut évidemment pas être question d'approfondir d'une
manière exhaustive ces trois aspects.
Notre examen ne pourra donc être qu'un survol des problè-
mes et ne donner que des explications raisonnables n'ayant pas
la valeur d'une démonstration.
Voyons la position de l'Eglise quant au sacrement du mariage.
J'emprunte à un article du Père Elie MELIA les passages
suivants qui me paraissent illustrer convenablement ce point.
164 ALEXANDRE NELIDOW

Je cite:
"Avant d'aborder la théologie du mariage, avant mêm
d'ouvrir le dossier biblique, il n'est pas inutile de jeter un tE
gard sur l'évolution historique de la doctrine chrétienne du ma
riage, tant nous sommes conditionnés par un certain nom br
de présupposés, constitués sous l'influence de facteurs non-théo
logiques et non-bibliques.
, Comme l'a écrit fort justement le regretté Paul EVDOKIMO'
dans son livre (1 le Sacrement de l'Amour <>, (1 Le christianisme ,
élevé l'union conjugale à la dignité de sacrement. Mais cettE
promotion butte contre une tendance profondément ancrée dans
la mentalité universelle l).
"Les progrès réalisés par les sciences humaines, ont per-
mis de préciser bien des aspects que les anciens n'étaient pas
en mesure de formuler, par suite de l'imprécision du langage.
Ainsi il n'est pas erroné de dire que la procréation est la fin pre-
mière des rapports physiques entre les conjoints mariés, d'où
l'affirmation théologique adéquate, mais cela n'est pas évident
pour la totalité de ce que représente le mariage chrétien. La ca-
téchèse et la théologie chrétienne doivent être au niveau du dé-
veloppement de la connaissance objective de la réalité sexuelle
comme de la sociologie en général, sans rien oublier cependant
du souci essentiel de la fidélité à l'Ecriture Sainte.
"Très tôt il s'introduisit dans l'Eglise une certaine méfiance
envers la sexualité en général et, dans la foulée, envers le ma-
riage .... Sans nier qu'il put exister des motivations moins jus-
tifiées comme celle qui identifiait le mal avec toute manifesta-
tion sexuelle, on peut déceler chez ces réformistes un mouve-
ment libérateur devant un laxisme légalisé: polygamie, divorce
par simple lettre de répudiation, etc ...
(1 Chez Saint Paul, l'attente eschatologique, particulièrement

forte dans ses premiers écrits, explique son attitude restrictive


par rapport au mariage. Mais le même apôtre est l'auteur de
l'épître aux Ephésiens qui situe le mariage "en Christ" au ni-
veau de l'union du Christ et de l'Eglise l).
La vogue du monachisme et de l'ascétisme dans le chris-
tianisme naissant aboutit à une exaltation du célibat consacré,
ce qui était parfaitement légitime en soi, mais par contre-coup
semblait définir le mariage comme un état de vie d'un niveau
moins élevé, pour ne pas dire inférieur. Bien sûr on n'allait pas
CARACTÈRE PÉNITENTIEL DES DEUXIÈMES NOCES 165

jusqu'au refus du mariage, mais celui-ci était pour ainsi dire dé-
précié aux yeux de l'élite.
Quoiqu'il en soit, certains Pères prônèrent hautement le
point de vue ascétique, d'autres prirent la défense du mariage,
lui donnant toutefois une certaine teinte de pis-aller.
Saint Denys, évêque de Corinthe, s'en tenait à une position
moralisante. Dans une lettre à PrNYTOS, son frère dans l'épis-
copat à Cnossos en Crète, il l'exhorte " à ne pas imposer aux fi-
dèles le lourd fardeau de la continence obligatoire, mais à tenir
compte de la faiblesse du grand nombre)}.
L'attaque portée par les gnostiques valentiniens et par TA-
TIEN à l'encontre du mariage, provoque chez Clément d'Alexan-
drie, qui mourut au début du 3ème siècle, une vigoureuse ri-
poste à sa défense: « Certains disent, écrit-il en effet, dans le troi-
sième livre de ses "Stromates" entièrement consacré à ce sujet,
que le mariage est fornication et a été communiqué par le diable,
et qu'ils imitent le Seigneur qui ne s'est pas marié. Ils ignorent
la raison de cela. D'abord Il avait Sa propre Epouse, l'Eglise;
ensuite, Il n'était pas un homme ordinaire qui eut besoin d'une
aide selon la chair; Il ne Lui était pas nécessaire d'avoir des en-
fants, demeurant éternellement, étant Fils de Dieu ».
Plus tard, à la fin du 4ème siècle, Saint Jean Chrysostome
aura des expressions fort convaincantes pour exalter la valeur
positive du mariage.
On doit d'autre part constater que ces divers aspects et
tendances ne trouvaient pas un écho uniforme parmi les fidè-
les. Nombreux étaient ceux qui se mariaient sans tenir compte
des positions de la hiérarchie et des théologiens. Il était donc
nécéssaire que l'Eglise définit clairement sa théologie et son en-
seignement.
Celui-ci s'appuie sur l'Ecriture et principalement sur l'Evan-
gile. C'est Saint Matthieu qui sert de base: il nous rapporte qu'en
parlant du mariage, à l'occasion de l'interrogation spécieuse au
sujet du divorce, le Seigneur répondit: «N'avez-vous pas lu?
Dès le commencement, Celui qui a tout fait les a faits homme
et femme, et Il a dit: C'est pourquoi l'homme quittera son père
et sa mère pour s'attacher à sa femme et ils seront deux en une
seule chair ». Clément d'Alexandrie commente: " Le Fils n'a fait
que confirmer ce que le Père a institué 1).
166 ALEXANDRE NELIDOW

"N'avez-vous pas lu?)} a dit le Seigneur. Eh bien prenons


le texte de la Genèse et lisons:
Au Chapitre l verset 26: Dieu dit: Faisons l'homme (ha
adam, au singulier, c'est un collectif, un nom générique) à notre
image, et qu'ils dominent (au pluriel) ... sur toute la terre;
au verset 27: Dieu créa l'homme (toujours au singulier
et collectif) à son image et Il les créa (au pluriel) masculin et
féminin.
Au Chapitre V verset I: Le jour où Dieu créa l'homme, Il
le fit à la ressemblance de Dieu; Il les créa masculin et féminin,
Il les bénit et Il leur donna le nom d'Adam ce qui signifie Homme,
le jour où ils furent crées.
Et le Chapitre II donne le détail de cette création:
verset 7: L'Eternel-Dieu modela l'homme (adam) avec la
glaise du sol (adam vient de adama, sol);
verset 18: L'Eternel-Dieu dit: Il n'est pas bon que l'hom-
me soit seul. Il faut que Je lui fasse une aide qui lui soit assor-
tie (littéralement un vis à vis, un refiet);
versets 21 à 23: L'Etern el-Dieu fit tomber un profond
sommeil (le texte grec dit extase) sur l'homme qui s'endormit.
Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis de
la côte qu'II avait tirée de l'homme Il façonna une femme et
l'amena à l'homme. Alors celui-ci s'écria: Voici cette fois c'est
l'os de mes os et la chair de ma chair! Elle sera appelée Ishsha-
femme, car de Ish-homme elle fut tirée (le latin traduit ce jeu
de mots par virago et vir);
verset 24: C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa
mère et s'attache à sa femme (adhère, dit le texte latin) et ils
deviennent une seule chair.
Résumons: Basés sur les textes bibliques que je viens de
citer, les Pères Clément d'Alexandrie, Jean Chrysostome, d'au-
tres encore affirment tous: le sacrement du mariage a été insti-
tué dès le Paradis selon la Genèse et le Christ n'a fait que con-
firmer ce fait par Sa présence à Cana, sans rien instituer de nouveau.
Le mariage replace pour ainsi dire le couple dans quelque
chose de l'état conjugal d'avant la chute, "ce qui était resté sur
terre du paradis.) dit l'évêque Innokentiy.
Un autre point de vue à considérer c'est le mariage en tant
que foyer. Clément d'Alexandrie toujours, appelle le foyer chré-
tien (, la Maison de Dieu .) puisque, dit-il, le Christ a dit: "quand
CARACTÈRE PÉNITENTIEL DES DEUXIÈMES NOCES 167

deux ou trois sont réunis en Mon nom Je suis au milieu d'eux ).


Or les Pères ont dit: « Là où est le Christ, là est l'Eglise ». D'où
la nature écclésiale d'un ménage chrétien, d'une communauté
conjugale. Saint Paul parle aux Romains de « l'église domes-
tique ». Saint Jean Chrysostome de "la petite église.) dans son
homélie sur l'épître aux Ephésiens, et dans celle sur l'épître aux
Colossiens il dit: « Si l'union conjugale est une icône vivante de
Dieu c'est parce que, avant tout, c'est une icône mystérieuse de
l'Eglise ».
Les textes de l'Eglise Orthodoxe, que ce soit le N omoca-
non, le Prochiros N omos, les Basiliques, les commentaires de
Balsamon, le Syntagma de Blastarès, l'Hexabiblos d'Harmeno-
poulos, le Pidalion ou la Confession Orthodoxe de Pierre Mo-
ghila, tous sont unanimes à placer le but de la vie conjugale dans
les époux eux-mêmes. Le Métropolite Macaire donne cette défi-
nition: « Le mariage est un rite sacré: les époux se promettent
fidélité réciproque devant l'Eglise, la grâce divine leur est con-
férée par la bénédiction du prêtre. Elle sanctifie leur union et
offre la suprême dignité de représenter l'union mystique du Christ
et de l'Eglise '). Claire et explicite elle ne dit rien de la procréation.
Au 4ème siècle Saint Jean Chrysostome note dans son discours
sur le mariage: "Il Y a deux raisons pour lesquelles le mariage
a été institué ... pour amener l'homme à se contenter d'une seule
femme et pour lui donner des enfants, mais c'est la première
qui est la principale ... Quant à la procréation, le mariage ne l'en-
traîne pas absolument... la preuve en est dans les nombreux
mariages qui ne peuvent avoir d'enfants. C'est pourquoi la pre-
mière raison du mariage c'est de règler la vie sexuelle, mainte-
nant surtout que le genre humain a rempli toute la terre •.
Saint Jean Chrysostome vient de dire: « pour amener l'hom-
me à se contenter d'une seule femme ». La doctrine orthodoxe
affirme en effet l'unicité absolue du mariage: les croyants pieux,
hommes ou femmes, ne peuvent être mariés qu'une seule fois.
L'apologète du 2ème siècle, Athénagore, précise dans son Léga-
tion 34: « Parmi nous chacun demeure comme il est né; on ne
se marie qu'une fois .). Le Père MELIA, dans l'article que j'ai déjà
mentionné, cite un exemple qui illustre remarquablement l'at-
tachement de la conscience ecclésiale à la monogamie absolue.
Sainte Macrine, soeur de Saint Grégoire de Nysse, avait perdu
son fiancé. Saint Grégoire rapporte que, répondant à ceux qui
lui conseillaient de se marier après le décès de son promis, Sainte
168 ALEXANDRE NELIDOW

Macrine eut ces paroles remarquables: «( Le mariage est par na-


ture unique, de mêlnc qu'il n'y a qu'une naissance et une seule
mort. Mon fiancé vit dans l'espérance de la résurrection et il
ne convient pas de ne pas lui conserver la fidélité l).
Donc le mariage est unique absolument. Et tout remariage
est un accOInodement avec la réalité du monde.
Du temps même des apôtres l'Eglise a usé de condescen-
dance pastorale, d'économie «( pour le bien des âmes », et consi-
déré avec bonté les difficultés de la vie courante.
Quels furent les bénéficiaires de ces accomodements?
Tout d'abord les veufs et les veuves.
Saint Paul ne parle que de ces dernières: aux Romains il
explique: {{ C'est ainsi que la femme mariée se trouve liée par
la loi au mari tant qu'il est vivant; mais si l'homme meurt, elle
se trouve dégagée de la loi du mari. C'est donc du vivant de son
mari qu'elle portera le nom d'adultère si elle devient la femme
d'un autre; mais en cas de mort du mari, elle est si bien affran-
cllie de la loi qu'elle n'est pas adultère en devenant la femme
d'un autre ». Aux Corinthiens il précise: « La femme demeure
liée à son mari aussi longtemps qu'il vit; mais si le mari meurt
elle est libre d'épouser qui elle veut, dans le Seigneur seulement ».
Mais il ajoute aussitôt: « Pourtant elle sera plus heureuse, à mon
sens, si elle reste comme elle est. Et je pense bien, moi aussi,
avoir l'Esprit de Dieu ».
Ensuite les personnes séparées.
C'est Saint Paul encore qui précise aux Corinthiens: (1 Si un
frère a une femme non-croyante qui consente à cohabiter avec
lui, qu'il ne la renvoie pas. Une femme a-t-elle un mari non-
croyant qui consente à cohabiter avec elle, qu'elle ne renvoie
pas son mari ... Mais si la partie non-croyante veut se séparer,
qu'elle se sépare: en pareil cas le frère et la soeur ne sont pas liés 1).
Notons que l'Eglise a dans la suite étendu ce droit de sépa-
ration à ceux dont l'époux ou l'épouse renonçait notoirement
à la religion chrétienne, c'est à dire aux apostats.
Celui qui reste ainsi seul, pour ainsi dire abandonné, reçoit
la permission de se remarier.
Ainsi selon une apparente contradiction avec sa doctrine
qui est celle de la monogamie absolue, s'est-il établi une possi-
bilité de deuxième mariage avec le consentement même de l'Eglise
qui jusque là n'admettait de marier qu'une seule fois une per-
sonne quelconque.
CARACTÈRE PÉNITENTIEL DES DE UXIÈMES NOCES 169

•••
Après cette longue digression qui semble nous avoir éloigné
de notre sujet, voyons maintenant la pratique de l'administra-
tion du sacrement du mariage pendant les premiers siècles.
Nous savons que ce n'est qu'à partir du 9ème siècle que
la célébration du mariage est devenue rituellement obligatoire,
même si l'on admet que le rituel du mariage s'est établi dès le
4ème siècle environ.
Comment procèdait-on avant?
L'auteur de la lettre à Diognète (début du 3ème siècle) déclare
que (1 les chrétiens se marient comme tout le monde l'. Il constate
un état de fait, car les rites païens du mariage selon la loi ro-
maine n'avaient qu'un caractère civil et juridique, et l'Eglise
n'avait aucune raison religieuse de les refuser. Quels étaient les
usages propres surtout au bassin méditteranéen de l'empire?
Ils comprenaient deux parties bien distinctes: les fiançailles et
le mariage proprement dit.
Les fiançailles, c'était surtout l'échange de promesses, l'en-
gagement de fidélité: en latin Spondesne? Spondeo! Promets-tu?
Je promets! d'où sponsalia qui a donné épousailles.
Le mariage, lui, comprenait trois parties:
- la vêture de la mariée, avec l'imposition du voile, signe
distinctif des femmes mariées. Cette imposition du voile avait
tellement d'importance à Rome même, que nu ber e, c'est à
dire voiler, deviendra synonyme de se marier;
- ensuite, les consentements échangés, on consultait les
aruspices et après avis favorable, on remettait l'épouse à l'époux
par la jonction de leurs mains droites. L'épouse prenait alors
le nom de l'époux selon la formule: (1 Ubi tu Gaïus, ego Gaïa,
là où tu es Gaius, je serai Gaïa ,,;
- enfin le repas de noces, très important, à l'issue duquel
avait lieu le soir le cortège nuptial avec musique et danses, con-
duisant les époux couronnés de fleurs à la maison du mari, le
tout accompagné de chants licencieux. Ce sont ces couronnes
qui prendront de l'importance et un sens symbolique en Orient,
où, comme à Rome pour le voile, cou r 0 n n e r deviendra sy-
nonyme de se marier.
Mais très tôt l'Eglise va intervenir et préciser ses exigences.
Déjà en 107, Ignace d'Antioche déclare: (1 Il convient aux hom-
mes et aux femmes qui se marient de contracter leur union avec
170 ALEXANDRE NELIDQW

l'avis de l'évêque, afin que leur mariage se fasse selon le Seigneur


et non selon la passion». C'était aussi pour s'assurer qu'aucun
obstacle de parenté ou de situation canonique ne s'opposait à
l'union. L'Eglise conservait 'en gros' les usages établis mais en
les christianisant. Aux promesses des fiançailles s'ajoute la re-
mise des anneaux avec son symbolisme, et, si la vêture de la
mariée reste une phase civile, le couronnement des époux est
célébré pendant la liturgie dominicale, les époux communient
ensemble, la remise de l'épouse à l'époux se fait en présence de
l'évêque ou du prêtre, et le cortège nuptial quitte l'église en pré-
sence de toute la communauté accompagné de chants religieux.
Celui qui a présidé l'Eucharistie assiste au repas nuptial.
Cette célébration en présence de "toute l'Eglise », c'est à
dire de la communauté chrétienne locale assemblée, et pas seu-
lement des parents et amis, était comme un témoignage du mys-
tère qui s'accomplissait. Le Père Jean MEYENDORFF note dans
un de ses écrits: "Le lien interne entre le mariage et l'Eucharis-
tie s'est conservé indirectement même dans la théologie ortho-
doxe scolaire qui a gardé la conception selon laquelle le "célé-
brant" du sacrement du mariage ne peut être que l'évêque ou
le prêtre, c'est à dire le célébrant de l'Eucharistie qui liturgi-
quement représente toute l'Eglise ».

* * *
C'est au cours des siècles suivants que les modifications
vont apparaître, dont la principale est la constitution d'un rite
spécial du mariage, séparé de l'Eucharistie.
Sous quelles influences?
Il me semble que l'on peut sans crainte de se tromper avan-
cer les remarques suivantes.
Depuis Constantin le Grand, l'Eglise dans les pays ortho-
doxes était investie de la responsabilité exclusive de l'état-civil.
Il en découle que l'Eglise de par sa situation vis-à-vis de l'Etat
devait tenir compte de la législation civile.
Dans le cas qui nous occupe un mariage pour être valable
devait être célébré publiquement à l'église. Cette publicité exi-
geait une cérémonie distincte de l'Eucharistie dominicale ha-
bituelle.
L'Etat d'autre part légiférait de plus en plus en ce qui con-
cernait les mariages. Le Professeur EVDOKIMOV remarque qu'il
CARACTÈRE PÉNITENTIEL DES DEUXIÈMES NOCES 171

faut de ce fait ,< prendre en considération la législation civile:


les N ovelles de Justinien; la codification des empereurs des 8ème
et 9ème siècles; l'Ecloga de Léon III et de son fils Constantin;
le Prochiros Nomos de Basile 1er (879); l'Epanogogè (879-886);
les Basiliques (888-890) sous Léon VI le philosophe; les Novel-
les du même et d'Alexis Comnène .).
Conséquence: obligation pour l'Eglise de constituer de Son
côté un droit canonique ecclésiastique concernant en particulier
le mariage. Le professeur EVDOKIMOV note que ,< pour la légis-
lation matrimoniale sont importants les décrets du Concile de
Chalcédoine (canon 14 et 16), du Concile «in Trullo », du Con-
cile de Nicée (787), de ceux de Photius (861 et 879) et du Con-
cile de Constantinople (920).
Nous ne rechercherons pas les différentes lois et canons re-
latifs au mariage; nous considérerons simplement ce qu'il en
découle par rapport au remariage.
Nous constaterons d'emblée le fait que la discipline péni-
tentielle de l'Eglise ancienne n'a jamais reconnu tous les ma-
riages conclus par ses membres comme étant également ,< d'égli-
se »; il existe des degrés d'ecclésialité de mariage déterminés par
rapport à l'unique mariage vraiement sacramentel. L'attitude
de l'Eglise à cet égard tant de ce point de vue, que de celui de
la législation canonique, est fidèle au principe énoncé par Saint
Paul que les secondes noces sont une dérogation à la norme chré-
tienne de l'unicité du mariage: «Je dis aux célibataires et aux
veuves qu'il leur est bon de demeurer comme moi. Mais si ils
ne peuvent se contenir, qu'ils se marient: mieux vaut se marier
que de brûler », écrivait-il aux Corinthiens. Aussi l'Eglise a-t-
elle toujours manifesté un sentiment de réserve pour ne pas dire
de méfiance à l'égard des secondes noces. Saint Grégoire de Na-
zianze proclame: «Un premier mariage se fait en plein accord
avec la loi de l'Eglise, un second est toléré par indulgence, un
troisième est néfaste. Un mariage ultérieur tient du comporte-
ment des pourceaux ». Saint Basile le Grand précise dans sa règle 4
que le second mariage, après veuvage ou divorce, n'étant toléré
qu'en raison de la faiblesse humaine, est passible de ce fait d'une
,< pénitence », c'est à dire d'une interdiction de communier, d'un
an ou deux; pour un troisième mariage il n'y a pas de règle: il
faut dans chaque cas une dispense de l'autorité religieuse. Dans
la règle 50, le même Saint Basile déclare: «Nous considérons
ces affaires comme des impuretés dans l'Eglise: mais nous ne
172 ALEXANDRE NELIDOW

les soumettons pas à une condamnation publique comme pré-


férables à une vie dissolue ». Comme conséquence les trigames
étaient frappés d'excommunication pour trois, souvent quatre
et parfois cinq ans. « Une telle union nous ne l'appelons pas ma-
riage mais polygamie, ou plus exactement fornication qui exige
châtiment. Aussi avons nous pris l'habitude, non de la règle mais
à l'imitation de nos prédécesseurs, d'excommunier les trigames
pour 5 ans 1).
Remarquons en passant qu'un quatrième mariage est abso-
lument interdit par l'Eglise, le Synode de Constantinople de
920 déclarant même qu'un tel mariage est nul.
De ce que nous venons de voir il apparaît clairement que
l'Eglise a toujours cherché à observer strictement et scrupu-
leusement l'idéal du mariage unique: c'est ce principe positif qui
est exprimé dans les canons et dans les rites et non un principe
juridique et négatif d'indissolubilité; qu'il suive un veuvage ou
un divorce, le second mariage n'est que toléré: il constitue tou-
jours une dérogation à l'idéal; on ne peut le considérer que com-
me une indulgence envers la faiblesse humaine ou bien comme
une possibilité de redresser une faute ou de racheter un péché.
Par ailleurs, si l'on considère que le mariage, au moment
de la formation du rituel au temps de Saint Basile, avait lieu
au cours de la liturgie, on doit en conclure que la pénitence de
ceux qui se mariaient pour la deuxième fois, et l'excommuni-
cation des trigames, entraînaient la conclusion d'un mariage civil
seulement, autrement dit un état de concubinage légal. Ce n'est
qu'après la période de pénitence ou de levée de l'excommuni-
cation que les (< pénitents concubins» pouvaient être de nouveau
admis, par la confession et l'absolution de leurs péchés, à la com-
munion eucharistique avec les autres fidèles. Le mariage reli-
gieux qui suivait reprenait alors son sens ecclésial.
Le Père Jean MEYE:<InoRFF dans une étude sur le "Ma-
riage et l'Eucharistie» note, et je vais le citer par deux fois lon-
guement:
"Cette conception des deuxièmes noces décrite par Saint
Basile (c'est celle que j'ai citée il y a peu) fut celle de l'Eglise
au moins jusqu'au 9ème siècle. Saint Théodore le Studite (759-
826) et Saint Nicéphore, patriarche de Constantinople (806-816)
l'attestent clairement: « Celui qui se marie pour la seconde fois
n'est pas couronné et n'est pas admis à la communion des très
purs Mystères durant deux années; celui qui se marie pour la
CARACTÈRE PÉNITENTIEL DES DEUXIÈMES NOCES 173

troisième fois est exclu pour cinq ans» (règle 2 de St Nicéphore).


Dans cette règle il est important de noter non pas la rigueur de
la pratique de pénitence en tant que telle - dans l'Eglise pri-
mitive d'ailleurs l'exclusion des sacrements était pratiquée beau-
coup plus largement que de nos jours - mais le désir évident
de préserver le mariage unique comme norme de la vie chré~
tienne. Cette préoccupation restera vivante dans l'Eglise, même
lorsque les coutumes de l'Eglise changeront. Ainsi lorsqu'on aura
établi un rite nuptial indépendant de l'Eucharistie, on commen-
cera à y admettre les mariés en secondes noces ),
Il faut noter également que comme conséquence des dis-
positions légales nouvelles, tant civiles que canoniques, qui lui
étaient imposées, l'Eglise se trouva concernée par la régulari-
sation juridique des affaires matrimoniales. Autrement dit que
tout mariage qui n'aurait pas reçu la bénédiction de l'Eglise
« ne s'appelerait pas mariage mais concubinage illégitime» (8g e
novelle de Léon VI). Par exemple, en ce qui concerne notre pro-
pos, jusqu'à Léon VI, celui qui se mariait en secondes noces pou-
vait le faire d'une manière absolument légale: l'Eglise le soumet-
tait bien à une période de pénitence, mais l'Etat ne le privait
pas de ses droits juridiques. Après la loi de Léon VI la bénédic-
tion de l'Eglise devenait indispensable à la régularisation juri-
dique du mariage, de tous les mariages, même de ceux qui s'op-
posaient à la norme ecclésiastique. C'est ainsi qu'apparut le rite
des secondes noces, rite où, paradoxalement, l'Eglise bénit une
union qu'elle n'approuve pas.
Nous avons là une deuxième explication de la création d'un
rite spécial du mariage, distinct de l'Eucharistie.
Je vais citer à nouveau le Père Jean MEYENDORFF: (, Une
conséquence de la nouvelle situation fut la nécessité pour l'Eglise,
non seulement de bénir les mariages douteux, mais aussi par-
fois de les dissoudre, c'est à dire d'autoriser les divorces. L'Eglise
paya cher la responsabilité civile et sociale dont elle fut char-
gée: elle dut séculariser sa mission pastorale et renoncer à l'an-
cienne discipline pénitentielle, inapplicable à la majorité des ci-
toyens de l'empire. Si le sacrement du mariage donné par l'Eglise
prit un caractère d'obligation juridique, l'Eglise, elle, fut placée
devant la nécessité d'accepter tous les compromis et tous les ac-
comodements possibles, ce qui ébranla fortement dans la con-
science des fidèles la véritable signification du mariage chrétien
en tant qu'union éternelle à l'image du Christ et de l'Eglise. L'em-
174 ALEXANDRE NELIDOW

pereur Léon VI, lui-même, obligea l'Eglise à le marier lui-même


en 4èmes noces à Zoé Carbonopsine en 903 ».
Nous arrivons au terme de notre examen.
Il ne nous reste plus qu'à comparer, à faire un parallèle entre
le rite des premières noces et celui des secondes.
D'abord celui des premières noces: deux parties: les fian-
çailles et le couronnement.
Les fiançailles: Après l'invocation initiale: « Béni soit notre
Dieu en tout temps maintenant et toujours et aux siècles des
siècles ,> le diacre dit la litanie habituelle du début des offices
en y ajoutant des demandes pour les fiancés, pour leur vie dans
l'amour et l'union etc ... A l'issue le prêtre prononce une prière
qui dit en substance: (' Dieu Eternel qui rassemble dans l'unité
ce qui est dispersé et rends indestructible le lien de l'amour: Tu
as béni Isaac et Rebecca et les a désignés comme héritiers de
Ta promesse. Bénis aussi Toi-même Tes serviteurs que voici les
dirigeant en toute bonne action ». Puis vient une deuxième prière
qui dit: « Seigneur notre Dieu, parmi les nations Tu T'es choisi
pour fiancée la pure vierge qu'est l'Eglise. Bénis ces fiançailles,
unis et garde Tes serviteurs que voici dans la paix et la concor-
de ». Cela est suivi de l'échange des anneaux que le prêtre a bénis.
Et enfin une troisième prière: « Seigneur notre Dieu qui as ac-
compagné en Mésopotamie le serviteur d'Abraham le Patriarche,
lorsqu'il envoya chercher une épouse pour son maître Isaac ... »;
la suite de la prière insiste sur le symbolisme de l'anneau citant
l'anneau de Joseph, celui de Daniel, celui de Thamar, celui re-
mis au fils prodigue. Pour terminer, une litanie de supplication
pour les fiancés et le congé.
On passe alors immédiatement au couronnement. Tandis-
qu'on chante le psaume 127, le prêtre au rite slave demande le
consentement des époux. Puis il profère l'exclamation: « Béni
est le règne du Père, du Fils et du Saint Esprit ,> comme au début
de la liturgie. C'est l'un des vestiges de l'ancien rite.
Grande litanie ensuite avec demandes spéciales pour les nou-
veaux fiancés suivie de trois prières du prêtre: dans la première
on donne aux mariés l'exemple de Abraham et de Sara; d'Isaac
et Rebecca; de Jacob et de Rachel; de Joseph et Aseneth; de
Zacharie et d'Elisabeth. La seconde dans le même style parle
de la couronne des martyrs; la troisième de la bénédiction du ciel.
La lecture de l'épître de St Paul aux Corinthiens et celle
de l'Evangile de Jean sur les noces de Cana sitôt après l'impo-
CARACTÈRE PÉNITENTIEL DES DEUXIÈMES NOCES 175

sition des couronnes faite avec l'épic1èse: (1 Seigneur notre Dieu,


couronne-les de gloire et d'houneur ». insiste sur l'essentiel: la
nature eucharistique de l'amour conjugal; c'est ce que symbo-
lise de nos jours la coupe commune à laquelle boivent les époux.
La ronde autour du lutrin conduite par le prêtre qui tient les
mains jointes des mariés rappelle le cortège dansant de l'épo-
que païenne et symbolise la marche des époux dans la vie sous
la conduite de l'Eglise. On termine par une prière pour la dé-
position des couronnes. jadis lue au huitième jour du mariage.
et le congé.
Voyons maintenant en quoi l'office des deuxièmes noces dif-
fère de ce schéma.
Tout d'abord aux fiançailles on ne lit pas la prière: (, Sei-
gneur notre Dieu qui as accompagné en Mésopotamie le servi-
teur d·Abraham ... ». celle du symbolisme de l'anneau. ni la li-
tanie qui suit. on ne donne pas le congé à la fin des fiançailles.
on omet le psaume 127. on n'interroge pas les époux sur leur
consentement et l'on ne fait pas l'exclamation « Béni soit le règne
du Père. du Fils et du Saint Esprit » qui rattache la cérémonie
à la liturgie; enfin on ne dit pas la grande litanie. ni les trois priè-
res du prêtre.
A leur place. tout de suite après l'échange des anneaux. le
prêtre lit les trois prières suivantes: je vous les donne in-extenso:
«Maître. Seigneur notre Dieu. qui épargne tout et qui pré-
vois tout. Toi qui connais les secrets des hommes et qui as con-
naissance de tout. purifie-uous de nos péchés et pardonne les
iniquités de Tes serviteurs les appelant à la pénitence. leur ac-
cordant le pardon de leurs transgressions. l'expiation de leurs
péchés. la rémission de leurs iniquités volontaires et involontaires;
Toi qui connais la faiblesse de la nature humaine. Toi qui nous
as façonnés et qui nous as créés: Toi qui as pardonné à Rahab
la courtisane. qui as accepté la pénitence du publicain. ne Te
souviens pas des fautes de notre ignorance depuis notre j eu-
nesse: car si Tu épies les iniquités, Seigneur, Seigneur, qui subsis-
tera devant Toi? Et quelle est la chair qui sera justifiée devant
Toi? Car Toi seul es juste. sans péché. saint. très miséricordieux.
plein de bonté et pardonnant aux vilenies des hommes. Toi. Maî-
tre. qui fais cohabiter Tes serviteurs N ... et N .... unis-les l'un
à l'autre par l'amour: donne-leur la conversion du publicain.
les larmes de la courtisane, la confession du larron, pour que,
faisant pénitence de tout leur coeur, accomplissant Tes com-
176 ALEXANDRE NELl DOW

mandements dans l'accord et la paix ils soient rendus dignes


de Ton royaume céleste. Car Tu es l'économe de toute chose
et nous Te rendons gloire, Père, Fils et Saint Esprit, mainte-
nant et toujours et aux siècles des siècles ).
Voici la seconde:
(l Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, qui as été élevé sur la

précieuse et vivifiante Croix, et qui as déchiré la condamnation


qui pesait sur nous et nous as délivrés de la domination diabo-
lique, purifie les iniquités de Tes serviteurs: car n'ayant pas la
force de supporter la chaleur excessive et la pesanteur du jour
et les ardeurs de la chair, ils en viennent à s'unir dans un second
lien matrimonial selon que Tu l'as établi par Ton vase d'élec-
tion, l'apôtre Paul, qui a dit à cause de notre faiblesse: "Mieux
vaut se marier dans le Seigneur que de brûler". Toi-même, com-
me Tu es bon et ami des hommes, aie pitié, pardonne, purifie,
remets-nous nos offenses puisque Tu as chargé nos misères sur
Tes épaules: personne en effet, n'est sans péché, même si sa vie
n'est que d'un jour; pas un n'est sans flétrissure, sinon Toi qui
as porté une chair sans péché et qui dans l'éternité nous as ac-
cordé l'impassibilité. Car Tu es, ô Dieu, le Dieu des pénitents
et nous Te rendons gloire, Père, Fils et Saint Esprit, mainte-
nant et toujours et aux siècles des siècles.
La troisième prière est identique à celle des premières noces:
(l Dieu Saint, Tu as façonné l'homme avec du limon, Tu as

formé la femme d'une de ses côtes et Tu la lui as jointe comme


aide car il plaisait à Ta majesté que l'homme ne fut pas seul sur
la terre. Toi-même à présent, Seigneur, étends Ta main du haut
de Ta sainte demeure et unis Ton serviteur et Ta servante que
voici, car c'est par Toi que la femme est unie à l'homme; joins-les
dans la concorde, couronne-les dans l'amour, unis-les en une
seule chair, accorde-leur une progéniture, qu'ils jouissent d'en-
fants nombreux et que leur conduite soit irréprochable. Car à
Toi appartient la force, à Toi le règne, la puissance et la gloire,
Père, Fils et Saint Esprit, maintenant et toujours et aux siècles
des siècles l).
Le prêtre couronne alors immédiatement les mariés et la
suite de la cérémonie se déroule comme aux premières noces.
Voilà, vous avez entendu ces prières d'un caractère qui ap-
porte comme un écho de celles qui sont dites avant la confes-
sion au Sacrement de pénitence.
CARACTÈRE PÉNITENTIEL DES DEUXIÈMES NOCES 177

•••
Qu'advient-il dans la pratique?
Les commentateurs du rituel, et en particulier l'Archiprêtre
Constantin NIKOLSKY dans son ouvrage bien connu, signalent:
si le marié est veuf ou divorcé d'un premier ou d'un second ma-
riage et la mariée veuve ou divorcée également, on célèbre le
rituel des deuxièmes noces. Dans les réponses canoniques de
Nicétas, Métropolite d'Héraclée (l3ème siècle) à l'évêque Constan-
tin il est dit: (l Strictement parlant, il ne convient pas de cou-
ronner les mariés en deuxièmes noces, mais l'usage de la Grande
Eglise (Constantinople) est de ne pas se montrer si rigoureux
et d'admettre pour eux les couronnes nuptiales ". C'est pour-
quoi, comme nous l'avons vu, l'imposition des couronnes est
prévue au rituel.
Mais si le marié est célibataire et la mariée veuve ou in-
versement, alors on célèbre habituellement l'office des premiè-
res noces.
Que dirons-nous en conclusion?
Nous avons vu l'historique de la formation et de la mise
en place du rituel et des motifs de son établissement.
Doit-on aujourd'hui être rigoureux, sévère et s'en tenir stric-
tement aux règles canoniques. Peut-on au contraire montrer plus
d'indulgence?
Je ne puis y répondre. II appartient à la hiérarchie d'y
pourVOlr.

Alexandre NELIDOW
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LES APOLOGŒS DANS LA CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE

Les limites de cette communication m'imposent de m'en


tenir aux seules liturgies latines et aux seules "Apologiae sacer-
dotis ». A première vue, ces prières ne présentent pas un intérêt
majeur et l'on pourrait considérer cet exposé comme une sorte
de luxe que, seules, des réunions comme celles-ci peuvent se payer.
D'ailleurs, le problème des apologies dans son ensemble n'a guère
été traité, au moins si l'on s'en tient aux travaux imprimés, de-
puis l'article de F. CABRaL, en 1907, dans le Dictionnaire d'Ar-
chéologie chrétienne et de liturgie '. Certains articles de recher-
ches particulières comme, par exemple, celui de V. LEROQUAIS
sur les apologies dans l'Ordinaire de la Messe du sacramentaire
d'Amiens au IX- siècle 2, ou encore celui de F. BORELLA sur les
apologies dans les anciens missels ambrosiens 3 ne constituent
qu'une bibliographie assez courte. Le sujet a paru tellement insi-
gnifiant au point de vue de la théologie en général et de la Pé-
nitence en particulier que la plus récente édition du Lexicon für
Theologie und Kirche a supprimé les quelques lignes qu'il avait
daigné y consacrer dans les précédentes éditions ...
F. CABRaL souhaitait qu'un classement et un travail appro-
fondi fassent mieux connaître ces textes assez disparates mais
dont il avait saisi l'intérêt pour l'étude de plusieurs points de
vue théologico-liturgiques. Il avait raison, comme j'espère pou-
voir le montrer. En étudiant le problème et sans avoir pu le trai-
ter à fond, comme je voudrais le faire plus tard, je puis dire qu'il
y aurait lieu de classer les quelques 250 à 300 formulaires re-
levés dans les Ordinaires de la Messe selon divers aspects: Un
classement par siècle - un classement par région - un clas-
sement par familles de textes - un classement selon le moment
d'emploi dans l'Ordinaire de la Messe - un classement selon
le genre littéraire - un classement selon le contenu théologique.
Mais comment justifier l'utilité d'un travail aussi long pour
une prière qui, en fait, se limite toujours à une sorte de confes-

1 «Apologiae DACL I, 2591-2601.


1),

Il V. L'Ordo Missae du sacramentaire d'Amiens, Epheme-


LEROQUAIS,
rides Liturgicae 41, 1927, 435-445.
8 P. BORELLA, Le «Apologiae sacerdotiSl> negli antichi messali ambrosiani,
Ephemerides Liturgicae 63. 1949. 27-41.
180 ADRIEN NOCENT

sion et d'accusation faites par le prêtre au moment où il va cé-


lébrer les mystères ou durant leur célébration elle-même?
En lisant ces prières et sans avoir eu la possibilité d'opérer
pour le Inoment ces divers classements, je Ille suis persuadé,
non pas tant de l'importance qu'elles ont en elles-mêmes que
de l'éclaircissement ou au moins du co"/irmat·"r qu'elles peuvent
donner à l'histoire et à la théologie, et ceci sous divers aspects
qui dépassent celui de la Pénitence.
Avant d'entrer dans certains détails, il est indispensable
de souligner le phénomène étrange que constituent ces prières
au point de vue de l'histoire. Elles apparaissent très discrète-
ment d'abord au VIIe siècle, mais dans de rares exemplaires,
commencent à se multiplier au IXe siècle, pour prendre un dé-
veloppement important au Xe et une certaine exhubérance au
XIe. Ensuite, et d'une manière assez brusque, elles tendent à
diminuer fortement pour ne plus subsister qu'en nombre res-
treint dans les Ordinaires de la Messe. Cette apparition et cette
disparition assez circonscrites à des époques précises, font évi-
demment soupçonner un lien étroit entre ces prières et une si-
tuation théologique et disciplinaire. Ceci nous amènerait à étu-
dier divers problèmes qui se posent à leur propos. Il faudrait
étudier leur phénomène, celui de leur apparition et de leur dis-
parition en liaison avec une certaine théologie de l'Eglise, avec
une insistance sur la christologie, avec une certaine manière de
concevoir la signification de l'eucharistie, avec l'évolution de la
théologie et de la pratique de la Pénitence et la manière de con-
cevoir les rapports entre Pénitence et eucharistie, avec une évo-
lution de la liturgie et une certaine revanche inconsciente de
la créativité au moment d'une tendance à une fixation absolue.

I. LE POINT DE DÉPART DES APOLOGIES DANS


LES LITURGIES LATINES

En histoire de la liturgie, la liturgie dite ,< gallicane » a sou-


vent servi de refuge, comme la discipline de l'arcane, au mo-
ment où les problèmes d'origine se font obscurs. On peut se de-
mander si l'origine des apologies est vraiment gallicane dans
les liturgies latines, comme on l'a souvent affirmé. En fait, le
J11issale GothiC"tn nous donne le texte d'une apologie qui sem-
ble bien être un tout premier témoin.
LES APOLOGIES DANS LA CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE 181

Au jour de Pâques, sous le titre: Missa prima die sanct"m


Pasehae, après un formulaire désigné par les mots: Post praeeem,
on trouve un paragraphe intitulé: Apologia sacerdotis. Il s'agit
d'une prière qui exprime le repentir du célébrant au moment
de célébrer les mystères. Le texte est assez long; il occupe une
vingtaine de lignes de l'édition MOHLBERG. Nous donnons ici
son incipit: Ante t"ae immensitatis conspectum et ante inetJabili-
tatis oeulos, a maiestas mirabilis ... et son desinit: Et nunc, pater
miserieors, "nieum miserieordiae tuae port"m, Christo tavente, peta,
ut quod per me viliseit, per iU"m aeeeph!m terre digneris, qui in
Trinitate vivit et regnat 4.
Cette apologie est considérée comme la source de nombren-
ses autres et nous la retrouvons dans un bon nombre de livres
liturgiques avec d'importantes variantes. Non seulement la l\fissa
IUyriea la contient, mais encore de nombreux manuscrits galli-
cans, hispaniqnes et irlandais la reprennent, et cela à divers en-
droits de l'Ordinaire de la Messe.
On pourrait se demander si l'origine gallicane de cette prière
est vraiment certaine; car on pourrait peut-être audacieusement
remettre en question l'attribution du Missale Gothicum qui la
contient à la liturgie d'Autun 5. A première vue il semblerait
que l'on possède des arguments définitifs pour affirmer cette ori-
gine. En effet, une liturgie stationale présente, à l'occasion des
Rogations, une célébration dans des églises respectivement dé-
diées à la Vierge, à saint Paul, à saint Etienne, à saint Martin.
On trouve trace de tous ces sanctuaires à Autun. Toutefois, et
ceci est peut-être plus important qu'il paraisse, il y a aussi une
station à une église dédiée à saint Grégoire-le-Grand. Le for-
mulaire de cette célébration est caractéristique ct il semble bien
que l'on y ait attaché une importance particulière. Or, on ne
trouve à Autun que des traces vraiment très conjecturales d'une
église dédicacée à saint Grégoire-le-Grand.
Cette situation intriguait G. MORIN qui, en 1941, écrivit
un article dans lequel il proposait une nouvelle localisa tian à
l'utilisation du Gothi""", '. Il est étrange que l'on n'ait pas cru

4 L.C. MÜHLBERG, Missale Gothicum, Rerum Ecclesiasticarum Docu-


menta, Series Maior, Roma, Herder 1961, p. 70, n. 275.
5 G. MORIN, Sur la provenance du (l Missale Gothicum!'l, Revue d'His-
toire Ecclésiastique 37. 1941, 24-30.
6 Ibidem.
182 ADRIEN NOCENT

devoir relever les réflexions pertinentes de cet article qui mé-


ritait au moins la contradiction si pas l'assentiment. Les argu-
ments proposés par dom M ORIN ne manquent pas de valeur.
En effet, on trouve partout en France et dans une même ville
des églises dédiées à la Vierge, à saint Paul, à saint Martin. Quan-
tité de cités françaises peuvent alligner des sanctuaires dédica-
cés à la Vierge et aux saints traditionnellement honorés. Par
ailleurs, on trouve rarement une église consacrée à saint Gré-
goire-le-Grand. A Autun, l'existence d'une église de ce genre
est seulement hypothétique. Au VIle siècle, fait remarquer dom
MORIN, la mémoire du pape Grégoire, par suite d'une réaction
anti-monacale, est assez peu en honneur, même à Rome. C'est
surtout dans les milieux anglo-saxons, évangélisés par ses disci-
ples, que son culte apparaît florissant. Quand on lit les formu-
laires assignés par le Missale Gothicum à la station « in sancto
Gregorio >', on constate qu'elles sortent de la banalité. Elles té-
moignent d'une telle vénération pour saint Grégoire qu'il serait
possible de songer à une communauté consacrée au pape Gré-
goire vers la fin du VIle siècle. Or, il y avait, dès avant le mi-
lieu du VIle siècle, une communauté formée d'abord d'ermi-
tes celtiques, située non loin de la ville actuelle de Münster, en
Alsace. Cette communauté eut par la suite une influence con-
sidérable sous le nom, encore existant actuellement, de Grego-
rienmünster. Cette communauté qui a fourni du VIle au IXe
siècle toute une série d'évêques à l'Eglise de Strasbourg, se con-
sidérait comme un groupe de disciples du pape Grégoire'. Dom
MORIN en conclut qu'il serait peut-être plus exact d'attribuer
le Gothicum à ce milieu. Dom MORIN en res te là. On peut se de,
mander, s'il lui était arrivé de scruter le texte de l'Apologia sa-
cerdotis du Gothicum, ce qu'il en aurait fait pour appuyer sa thèse.
En effet, le Book of Cerne, livre de dévotion privée, d'ori-
gine celtique, contient cett e même apologie parmi des prières
de dévotion. Chacun sait que c'est en Irlande que nous devons
situer le point de départ d'une évolution de la discipline péni-
tentielle et que le monachisme irlandais est loin d'être étranger
à ce tournant disciplinaire dans la pratique de la Pénitence. Il
n'est donc pas étonnant que le Book of Cerne nous présente une

? Cette prétention est évidemment de particulière importance et est

affirmée par G. MORIN dans l'article cité.


LES APOLOGIES DANS LA CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE 183

sene de prières pénitentielles dans un recueil dévotionnel. Très


certainement il n'y a pas coïncidence exacte d'époque entre les
deux livres. Cependant, le Book ot Cerne pourrait représenter
un usage beaucoup plus ancien.
L'Editeur du Book ot Cerne, A.B. KUYPERS, n'a pas été
sans s'apercevoir de la parenté entre les deux textes et il les met
en parallèle dans son édition '. Si le Book ot Cerne contient en
substance la même apologie que le Gothiwm, son texte est ce-
pendant littérairement différent. Sobre, parfaitement ordonné,
bref et assez sèchement sévère, il fait contraste avec le Missale
Gothic·um dont le formulaire est prolixe, le double de celui du
Book ot Cerne, il recherche les images et un certain lyrisme. On
pourrait se demander s'il ne s'agit pas d'une prière celtique re-
touchée à la manière gallicane.
Pour s'engager dans une affirmation, il faudrait évidemment
instituer une revision et du Book ot Cerne et du Missale Gothi-
cum. Il y aurait lieu également d'interroger la liturgie hispa-
nique. Car On connait, peut-être encore trop peu, les liens qui
unissent les liturgies celtique et hispanique. C'est ainsi qu'une
apologie considérée comme l'une des plus anciennes, après celle
du Missale Gothicum, appelée fréquemment Oralio sancti Ambro-
sii et dont l'incipit est le suivant: Ante conspectum divinae maiesla-
tis tuae, se retrouve dans la liturgie celtique mais aussi dans la
liturgie hispanique, au Liber Ordinum, à la place d'une collecte
dans une messe '. Les autres liturgies adopteront d'ailleurs cette
apologie 10.

* * *
Quoiqu'il en soit de l'origine gallicane de la première Apo-
logia sacerdotis, on doit cependant reconnaître que c'est dans
la liturgie gallicane que se développent les apologies dans la messe,
à partir du IX· siècle.
V. LEROQUAIS a donné l'édition de l'Ordo Missae du sacra-

8 A.B. KUYPERS, The Pyayer Book 01 Aedeluald the Bishop, commonly


cal/ed the Book of Cerne, Cambridge 1902. XXV-XXVI,
9 FÉROTIN, Liber Ordinum, 249, Note.

10 Voir plusieurs exemples dans E. MARTÈNE, De antiquis Ecclesiae yi-


tibus l,IV, c. 34 et l, l, c. XXX, 4, art. 4, 12, Ordo V, VI, VII, IX, XIII, XIV,
XV, XVI.
184 ADRIEN NOCENT

ment aire d'Amiens au IX e siècle 11. Il semble que ce livre soit


le premier témoin important de l'entrée des apologies dans l'Or-
dinaire de la Messe. En effet, dans les premiers sacramentaires
rencontrés en France, on ne trouve que de timides essais d'entrée
de ces prières. Par exemple, dans les gélasiens du VIIIe siècle,
Gellone et Angoulême, l'apologie n'entre pas dans l'Ordo Mis-
sae proprement dit 12. Les premiers Grégoriens remaniés en France
n'en contiennent guère; il faudra attendre le xe siècle pour que
la présence des apologies dans l'Ordinaire de la Messe soit chose
normale. On en a un bel exemple dans un sacramentaire gré-
gorien utilisé à Paris, l'Otiobonianus 313 qui contient une apo-
logie durant le chant du Sanctus: dum canitur sanctus, sacerdos
dicit 13.
Dans le sacramentaire d'Amiens, les apologies contenues dans
l'Ordinaire de la Messe sont nombreuses: comme préparation à
la Messe, au début de la célébration, durant l'offertoire, durant
le chant du sanctus, avant et après la communion, en général,
là où l'on s'attend à ce que s'exprime la dévotion personnelle
du célébrant. En fait, le sacramentaires d'Amiens est vraiment
le livre-type, gallican, qui nous donne une idée des diverses apo-
logies parsemées dans l'Ordinaire de la Messe. Pratiquement,
nous en lisons environ une vingtaine, sans compter celles qui
sont proposées au célébrant sous la rubrique alia. Elles ne pré-
sentent pas de caractéristiques à ce point originales qui les dis-
tingueraient des autres apologies que nous rencontrons dans les
autres livres liturgiques.
II suffit d'ouvrir un catalogue comme celui de V. LERo-
gUAIS pour déceler dans les divers livres destinés au cuIte de
très nombreuses prières de ce genre; ce qu'il faut souligner c'est
leur fréquence progressive aux Xe et XIe siècles et leur dispa-
rition dans la suite. L'Italie connaîtra d'ailleurs le même phé-
nomène. A. ESNER, dans son lter ltalicum, donne les référen-

11 V. LEROQUAIS, art. cit.


12 P. CAGIN. Le sacramentaire d'Angoulême 964, CXLVIII, InciPit ac-
cusatio sacerdotis quomodo se ante altare accusarB dcbet. Haec tuae clementis-
sime Christe, inpenetrabiti maiestate... Christe, Salvator mundi, rex regum 1'8-
gnans in unitate cum Patre et Spiritu Sancta in saecula saeculorum.
13 J. DESHUSSES, Le sacramentaire grégorien, ne signale pa!' la variante
de l'Ottobonianus 313; WILSON, dans son édition (HBS) ne la signale pas
davantage. Elle aurait eu l'avantage de signaler cette apologie.
LES APOLOGIES DANS LA CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE 185

ces de plusieurs manuscrits où nous pouvons lire des apologies.


Citons au hasard un Missel de la Vallicelliana qui, tardivement,
au XIIe siècle, mais à titre exceptionnel, en contiendra encore
plus d'une dizaine 14. Pour l'Allemagne, la célèbre messe Illy-
rica, messe pontificale pOUl l'Eglise 'de Mindene, en Westphalie,
et composée vers 1030, est littéralement truffée d'apologies 15.
Un simple relevé des indications données par V. LEROQUAIS
pour les manuscrits conservés dans les bibliothèques de France
pourra donner une idée de l'importance de l'introduction de
ces prières.

VIle-VIlle siècles:
Missale Gothicum 16 1 apologie.
Sacramentaire de Gellone 17 1 apologie.
Sacramentaire d'A ngoulême 18 1 apologie.

IXe siècle:
Sacramentaire d'Amiens 19 38 apologies.
Sacramontaire du Mans 20 9 apologies.
Sacramentaire de Noyon 21 21 apologies.
Sacramentaire de Corbie 22 7 apologies.
Sacramentaire de Saint-Amand 23
Sacramentaire d'Arles 24 3 apologies.

14 Rome, Bibliothèque Vallicelliana, Codex B 23 - A. EBNER, Mis-


sale Romanum, lier Italicum. Quellen und Forschungen. Freiburg ire R" Her-
der 1896. - Graz, Photomechanister Nachdruck der Akademischen Druk,
1957, 194-195; 336-338; 373.
15 C. VOGEL, Histoire du Culte, Spoleto, Centra ltaliano di Studi sull'Alto
Medioevo. Biblioteca di Studi Medievali, I, 136; voir note 72 de la même page.
16 Vat. Regin. Lat. 317; L.C. :i\1:0HLBERG, Missale Gothicum, op. cit.
l? Paris, B.N. ms. lat. 12048.

lB Paris, B.N. ms. lat. 816. P. CA GIN, Le sacramentaire d'Angoulême,

Angoulême, 1919.
19 Paris, B.N. ms. lat. 9432. V. LEROQUAIS, voir ncote 2.
20 Le Mans, Bibl. munie .. ms. 77.

U Reims, Bibl. munie., ms. 213 (E 320).

22 Paris, B.N. ms. lat. 12050.

lia Paris, B.N. ms. lat. 2291. Il ne m'a pas été possible de voir Je ma-

nuscrit; il doit contenir un nombre assez restreint d'apologies.


24 Paris, B.N. ms. lat. 2812.
186 ADRIEN NOGENT

Xe siècle:
Sacramentaire de Corbie 25 1 apologie.
Sacramentaire de Saint-A ubain d'Angers 26 4 apologies.
Sacramentaire de Saint-Pierre de Chartres 27 6 apologies.
Sacramentaire de Saint-Thierry" 22 apologies.

XIe siècle:
Sacramentaire de Moissac 29 43 apologies.
Sacramentaire de Saint-Meen 30 5 apologies.
Sacramentaire d'Epternach 31 13 apologies.
Pontifical de Troyes 32 72 apologies.
Sacramentaire de Lyon 33 19 apologies.
Sacramentaire de Besançon 34 25 apologies.
Sacramentaire de Saint-Denis 35 75 apologies.
Sacramentaire de Limoges 36 16 apologies.
Missel de Soisson S7 20 apologies.
Fragment d'un sacramentaire d'Arras 3B 27 apologies.
Sacramentaire de Saint-Etienne de Caen 39 Il apologies.

Il est aisé de constater le développement que prennent ces


prières dès le Xe siècle pour devenir envahissantes au XIe.

Z5 Paris, B.N. ms. lat. 12051.


26 Angers, Bibl. munie., ms. 91 (anciennement 83).
2? Chartres, Bibl. munie., ms. 577 (anciennement 4).

29 Reims, Bibl. munie., ms. 214 (F 418).

29 Paris, B.N. ms. lat. 2293.

30 Paris, B.N. ms. lat. 11589.

31 Pari'3, B.N. ms. lat. 9433.

32 Paris, B.N. ms. lat. 818.

33 Lyon, Bibl. munie., ms. 537 (anciennement 457).

u Paris, B,N. ms. lat. 10500.


35 Paris, B.N. ms. lat. 9436.

36 Paris, B.N. ms. lat. 821.

s? Laon, Bibl. munie., ms. 237.


sa Arras, Bibl. mu,ic., ms. lat. 721 (anciennement 721).
89 Montpellier, Faculté de Médecine, ms. 314. Je veux exprimer ici ma

gratitude au P. S. AMATO, licencié de l'Institut Pont. de liturgie, qui a con-


trôlé ces références.
LES APOLOGIES DANS LA CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE 187

II. LES PROBLÈMES THÉOLOGIQUES


ET LES APOLOGIES

§ 1. Une certaine théologie de l'Eglise exprimée dans ses célébrations


Le phénomène liturgique des apologies permet de découvrir
aisément une certaine atrophle de la théologie de l'Eglise, atro-
phle qui se vérifiera cruellement au concile de Trente, quand
il s'agira de traiter des sacrements, trop envisagés en eux-mêmes
sous l'angle de leur propre mécanisme et sans un lien suffisam-
ment souligné avec l'Eglise.
Il faudra, en effet, attendre les XIIe et XIIIe siècles pour
voir apparaître des prières pour la rémission des péchés des fi-
dèles dans la célébration eucharistique. Jusque là, à de rares
exceptions près, l'apologie ne concerne que le célébrant et par-
fois aussi ses ministres.
Le caractère privé des apologies est nettement accentué dans
leur formulation: elles sont rédigées, sauf dans les documents
les plus anciens, à la première personne du singulier. Le mo-
ment de la célébration auquel elles sont utilisées est caractéris-
tique d'une mentalité. Le célébrant se sépare de l'assemblée;
le sacrifice de la Messe est, de plus en plus, le sien. Ce n'est que
plus tard, vers la fin du moyen âge, que ce groupe de prières qui
contient souvent des psaumes, et notamment les psaumes 83
Quam diltcta, 84 Benedixisti, 85 Inclina, des versets du psaume
84 Deus, tu conversus, Ostende nobis, Domine, 101,2 Domine, exaudi,
112 Ne intres, liS Credidi, 129 De profundis, etc., formera une
prière communautaire sous forme d'office, tel que nous le trou-
verons vers l'an 1000 dans le groupe de Séez 40. Le Confiteor,
tel que nous le trouvons sous différentes formes au début de la
Messe, à l'office de Prime et à Complies, en est une trace.
Mis en liaison avec d'autres expressions d'une séparation
du célébrant avec l'ensemble de l'assemblée au moment de la
célébration eucharistique, le phénomène de la multiplication des
apologies, au moment où le peuple tout entier chante, par exem-
ple, durant le chant du Gloria ou du Sanctus, indique une sclé-
rose dans la compréhension de ce que signifie le sacrifice de toute
l'Eglise et le sens même de l'Eglise comme peuple de Dieu. Ce

4(1 ]. ]UNGMANN. Missayum Sollemnia. 1. 126-129.


188 ADRIEN NOCE~T

n'est qu'à la faveur d'une théologie déjà abâtardie de l'Eglise


que la multiplication des apalagiae sacerdatis, et à des moments
qui auraient dû concerner l'action liturgique de tout le peuple
de Dieu a pu rencontrer un tel succès. La liturgie est décidément
affaire des clercs.

§ 2. Une insistance christalagique: la divinité du Christ. Une théo-


logie soucieuse du dogme trinitaire
On a fait remarquer, à juste titre, que les apologies mon-
trent une insistance toute particulière sur la divinité du Christ 41.
Ceci se traduit de diverses manières. D'une part, plusieurs de
ces prières commencent par une invocation à Dieu, Deus qui ... ,
mais, d'une façon étrange, elles se terminent, non pas avec la
conclusion normale de l'intercession du Christ Per Daminum na-
strum Ies"m Christ"m, mais bien plutôt par Qui vivis et regnas.
'" Inconséquence nettement voulue pour souligner la divinité du
Christ. Peut-être avons-nous ici un héritage des liturgies orien-
tales qui manifestent souvent leur volonté d'éviter tout ce qui
pourrait insinuer une certaine infériorité du Christ par rapport
au Père. Un simple coup d'oeil sur les livres liturgiques suffit
à donner une idée de ce passage d'un titre d'oraison adressée
au Père à la conclusion Qui vivis et regnas. Sans doute, le sacra-
mentaire d'Amiens ne présente aucune prière de ce genre, il se
situe au début de l'intensification du phénomène des apologies,
mais la Missa Illyrica en contient 12 qui débutent par le DM"
qui ... et se terminent par Qui vivis 42. Un sacramentaire de Saint-
Denis en contient 3 43 , un manuscrit du monastère de Saint-Thierry
de Reims en contient 2 44 • Ce passage indu entre le titre de l'orai-
son adressé au Père et la conclusion qui concerne le Fils qui vit
et règne avec lui est le signe d'une volonté bien déterminée. Nous
trouvons d'ailleurs des oppositions à cette manière de faire. Be-
noît le Diacre 45 et Bernold de Constance 46, lequel se réfère au

On notera ici une influence orientale sur laquelle nous reviendrons.


41

E. MARTÈNE, De antiquis Ecclesiae ritibus, l, c. IV, art. XII, Ordo


42
IV, 490.
~ Ibidem, Ordo V, 518.
44 Ibidem, Ordo IX, 541.

45 PL 97.850.
46 PL 151,980.
LES APOLOGIES DANS LA CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE 189

Concile de Carthage, rappellent les règles de composition des


oraisons. Car plusieurs apologies s'adressent au Christ lui-même,
ce qui, comme on le sait, ne se rencontre guère dans la liturgie
romaine. Le sacramentaire d'Amiens contient deux oraisons de
ce genre, la Missa Illyrica 16, un sacramentaire de Saint-Denis 3,
le Pontifical de Prudence de Troyes 5, un Pontifical de Tours 4,
etc. 47. Citons encore une formule bien significative: De!!s ... Sal-
vator mundi, dans un Ordo missae du monastère de Saint-Thierry
de Reims 48.
A ce même moment encore apparaissent les très nombreu-
ses oraisons adressées à la Trinité. C'est une nouveauté dans la
liturgie latine; mais il nous faut noter qu'il s'agit toujours de
prières dites à voix basse. On y insiste sur la consubstantialité
des Trois Personnes divines. D'ailleurs, on tend à adopter le
nombre de trois dans les invocations et à les interpréter d'une
manière trinitaire. La triple invocation du Kyrie est comprise
dans ce sens par Amalaire", et le Gloria, dans de nombreux
tropes du X· siècle, est transposé en hymne à la Trinité. On sait
que le dernier verset de l'un d'eux lesu Christe cum Sancto Spi-
rito in gloria Dei Patris a influencé la finale de notre chant du
Gloria in excelsis 50.
Le sacramentaire d'Amiens au IX- siècle compte 5 orai-
sons SusciPe Sancta Trinitas, la Missa Illyrica en contient 15,
le sacramentaire de Saint-Denis 6, le Pontifical de Prudence de
Troyes 5, etc. Les apologies marquent donc une réaction au moins
dévotionnelle qui veut souligner la divinité du Christ et la con-
substantialité des Trois Personnes divines.

§ 3. Une conception du Sacrifice de la Messe


Les apologies centrent la célébration eucharistique sur la
fonction du célébrant et celle-ci est comprise dans la perspec-
tive de la présence réelle. Nous sommes à une époque où nous
assistons à une régression de l'insertion de la communauté dans

41 E. MARTÈNE, op. cit., l, c. IV, art. XII, Ordo VI, 528 - Ordo VII, 534.
48 Ibidem, Ordo IX, 541.
49 AMALAIRE de METl., Liber Officialis, III, c. 6 - ] .M. HANSSENS. Ama-
larii ePiscoPi opera liturgica omnia, Sturli e Testi 139, vol. 2, 282.
50 Ce trope figure souvent dans les manuscrits à partir du Xe siècle. Voir:

BLUME-BANNISTER, Tropen des Missde im Mittelalter. I-Tropen zum Ordina-


rium Missae, Leipzig, Analecta hymnica 47, 1905, 282.
190 ADRIEN NOCENT

le sacrifice du Christ. Cette même époque, très soucieuse de la


présence réelle, transforme inconsciemment la célébration eucha-
ristique en mystère de la descente de Dieu sur l'autel. Il s'agit
surtout du don de Dieu dans la consécration, d'une descente
du Seigneur parmi nous. Dans ces conditions, la célébration de
la messe comme action de grâces s'estompe et il s'agit bien plu-
tôt d'adorer la présence majestueuse de Dieu qui daigne descendre
parmi nous. On est attentif surtout à cette fonction extraordi-
naire du célébrant qui réalise la présence eucharistique par son
ministère. Cette présence eucharistique est l'objet de recherches
théologiques plus précises. C'est le temps de la querelle entre
Ratramme et Paschase Radbert, le premier soutenant que le
Corps du Christ est présent en toute réalité mais seulement quant
à sa substance. Le fait de la présence réelle accapare tellement
l'attention que s'estompent dans les esprits les liens entre le Corps
sacramentel du Christ et son Corps qui est l'Eglise. On s'attarde
moins à la valeur d'action de grâces rendue par toute l'Eglise
avec le Christ et tout se concentre sur le mystère grandiose de
la descente de Dieu. On comprend qu'à ce moment le célébrant,
et lui seul, puisque les fidèles sont réduits à adorer, lui qui a pour
rôle de provoquer cette descente de Dieu, s'y prépare d'une ma-
nière toute particulière. Isidore de Séville eut une grande in-
fluence à cet égard. L'expositio antiquae liturgiae gallicanae Ger-
mano Parisiensi ascripta en témoigne 51. Par ailleurs, le De eccle-
siasticis ofliciis d'Isidore était une sorte de livre de chevet des
chanoines 52.

§ 4. Evoluti01! d'une théologie et de la disciPline de la Pénitence


Mais c'est surtout en rapport avec une évolution de la théo-
logie et de la pratique de la Pénitence et de ses rapports avec
l'eucharistie que les apologies sont intéressantes à étudier dans
leur phénomène d'ensemble. Les courbes de l'histoire de la Pé-
nitence dans l'Eglise d'Occident sont impressionnantes, à tel
point qu'il n'est presque pas légitime de parler d'évolution mais
plutôt de prises de position successives, sans que l'on puisse
facilement déterminer un lien entre les diverses étal'es qu'il nous

51 PL 72,89-98. - J. QUASTEN, Ope'f'a et Te~tu5, Series lit., Miinster, 1934.


52 Monumenta Germaniae Historica l, 235.
LES APOLOGIES DANS LA CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE 191

est donné de constater ". L'apparition progressive et discrète


des apologies au IXe siècle, leur prolifération aux Xe et XIe siècles
et leur disparition assez brusque dans la suite correspondent à
différentes étapes de la théologie et de la discipline de la Péni-
tencc. Les premiers temps de l'Eglise ont connu l'exomologèse,
et jusqu'au VIle siècle n'a été autorisée que la pénitence publi-
que avec l'absolution publique, accordée seulement une fois dans
la vie. Dans la suite, on absout en privé et on réitère l'absolu-
tion, mais la satisfaction imposée, dont maints manuscrits nous
conservent le tarif, reste très lourde. On passe à une discipline
qui prévoit la Pénitence publique pour les péchés publics, la
Pénitence privée pour les péchés privés. Mais surtout on voit
apparaître l'usage de la commutation. Celle-ci est double: d'une
part un autre que le pécheur lui-même peut accomplir la sa-
tisfaction; d'autre part, la satisfaction elle-même peut être com-
muée et, par exemple, un jeûne prolongé ou un pèlerinage peu-
vent trouver leur suppléance dans la célébration de messes. Dans
ces pratiques différentes la théologie reste assez floue et il n'est
pas aisé d'en saisir les contours. Une étude approfondie des di-
vers formulaires des apologies pourrait aider à mieux saISIr cer-
tains aspects historiques de cette théologie difficile et restée
obscure.
Beaucoup d'apologies semblent coïncider avec ces étapes.
Plusieurs sont priées par le célébrant en faveur de vivants ou
de morts et le célébrant demande pardon à leur place. Déjà le
sacramentaire d'Amiens manifeste cette attitude qui ne fera que
s'amplifier dans la suite. La demande de rémission des péchés
des fidèles qui offrent se retrouve au moment où l'on présente
les offrandes pour l'empereur, pour tout le peuple chrétien, pour
les défunts, etc. Durant le chant du Sanctus l'apologie s'exprime
clairement. Nous y trouvons l'attitude tremblante du célébrant
qui doit provoquer la descente redoutable de Dieu, en même
temps se développe une intercession pour les fidèles pécheurs:
Deus q"i nou mortem, sed penitentiam desideras peccato-
rum, me miserumque Iragilem peccatorem a tua non re-

53 Il faut se référer ici aux divers travaux sur la Pénitence dûs au Pro-

fesseur C. VOGEL. Au cours d'un échange de vue public, à la fin de cette com-
munication, ce dernier a fait remarquer que, sans nous être concertés, nous
sommes arrivés aux mêmes résultats en partant de points de vue différents
ei constatant les mêmes césures, sans que l'on puisse parler d'évolution.
192 ADRIEN NOCENT

pellas pietate, neque asPicias ad peccata et scelera mea


et ad immundas turpesque cogitationes meas quibus fle-
biliter a tua disiu,ngor voluntate; sed ad miser-icordias tuas
et ad fidem devotionemque eon,m qui per me peccatorem
tuam expetunt misericordiam; et q~~ia me indigntfdn inter
te et populum tuum fieri voluisti, tac me talem ut digne
possim tuam exorare misericordiam pro me et pro eodem
pOpl<lo tl<O, et adil<nge voces nostras vocibl<s sanctorl<m
angelorl<m tl<orl<m, I<t si illi te laudant incessabiliter et
in/aticabiliter in aetema beatitl<dine, ita nos q,wql<e eo-
rl<m interventl< te mereaml<r la"dare incl<IPabiliter in hac
peregrinatione 54.

Le texte réunit plusieurs des attitudes qui ont été soulignées


plus haut. On a l'impression que, malgré les facilités plus gran-
des accordées au pécheur pour la pénitence, la discipline est en-
core trop sévère; on cherche des substituts; ou encore, les ayant
trouvés, on ne se sent pas très pacifié par un système qui, instin-
ctivement, répugne quelque peu à la conscience de celui qui
voudrait sa conversion.
Plus tard, au XIIIe siècle, avec le Pontifical de Guillaume
Durand, on pourra se demander si l'apologie du début de la Messe
à laquelle assiste un évêque ne constituait pas un sacrement.
Quand l'évêque assiste solennellement à la Messe célébrée par
un simple prêtre, il se tient à la droite de ce dernier durant les
prières au bas de l'autel. Après le Confiteor et lorsque l'évêque
a prononçé l'Indl<lgentiam, le célébrant s'adresse à lui en disant:
h,dicil<m pro peccatis meis. Suit une rubrique: Et Ponti/ex iniun-
git illi Pater 'wster vel Ave Maria vel aliud, et sacerdos idiPsum
vel aliud pontifici 50. Ce genre d'absolution a-t-elle été considérée
comme un substitut du sacrement? Malgré l'emploi de la for-
mule Indulgentianl" reconnue comme formulaire sacramentel an-
cien, on n'est pas d'accord là-dessus. Saint Thomas considère
cette prière d'absolution comme remettant seulement les péchés
non graves; elle est pour lui un sacramental".

64 V. LEROQUAIS, op. cit.


55M. ANDRIEU, Le Pontifical romain au moyen âge, Studi e Testi 88,
vol. 3, Le Pontifical de Guillaume DURAND, 643.
56 S. THOMAS n'AQUIN, De forma absolutionis, c. 2. Voir à ce sujet: B.
POSCHMANN, Die Abendliindische Kirchenbusse in frühen Mittelalter, Breslau,
1930, p. 22.
LES APOLOGIES DANS LA CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE 193

•• *
Les apologies posent aussi le problème d'une théologie de
cette époque pour ce qui regarde l'eucharistie et la rémission
des péchés. Le sacramentaire d'Amiens et le plus grand nombre
des livres liturgiques dans la suite contiennent une ou plusieurs
apologies avant la communion. Notre Messe romaine actuelle en
a conservé l'une ou l'autre. Il serait intéressant d'étudier quelle
est la théologie sous-jacente à ces apologies et quelle était la
pensée précise de cette époque sur l'eucharistie comme rémis-
sion des péchés.
Avant le concile de Trente, le catalogue des péchés qui doi-
vent être soumis à l'absolution n'est guère très précis; il est le
plus souvent limité aux grands péchés sociaux, au moins pour
ce qui regarde la pénitence publique. Le concile de Trente ouvrira
une discussion pour sa voir si la confession des péchés graves
avant la participation à l'eucharistie est de droit divin. Après
de longues discussions la réponse sera négative et on considè-
rera comme une coutume de l'Eglise (mas Ecclesiae) l'obliga-
tion de recevoir l'absolution des péchés graves avant la parti-
cipation à l'eucharistie. Le concile dressera un catalogue des
péchés qui doivent être considérés comme graves. Mais, aux xe
et XIe siècles la situation théologico-disciplinaire est floue et il
est possible que ces apologies que nous utilisons maintenant en
sachant bien que l'Eglise ne leur confère pas une valeur sacra-
mentelle étaient considérées autrement à cette époque et avaient
par conséquent une autre importance par rapport à l'eucharistie.
En fait, on peut constater dans l'Eglise latine du moyen
âge une double tendance.
La première pourrait être exprimée comme suit: la péni-
tence privée n'est pas toujours requise pour toutes les fautes
graves avant l'accès à l'eucharistie. En ce cas, les apologies sou-
lignent que l'Eglise considère le pardon des péchés comme fruit
et effet d'une participation plénière à l'eucharistie. De fait, les
textes des apologies emploient un vocabulaire qui, pour ne pas
être de l'illusionisme, doit bien signifier ce qu'il veut dire: abso-
luiio, venia, indulgeniia, purgatio, exPiaiio, saiis/aciio ... ab omni
c'ltlpa, otfensae, delicata, scelera, crimina, etc. Cette terminologie
s'applique normalement aux fautes graves et son emploi pour-
rait au moins suggérer que l'Eglise d'alors voyait dans ces for-
mulaires d'absolution plus qu'un simple souhait de pardon et
194 ADRIEN NOCENT

une attention assez nette au pouvoir de l'eucharistie de remet-


tre les péchés 57.
D'autre part, il y a des textes assez anciens qui exigent la
confession comme préparation à la réception de l'eucharistie.
On a signalé des textes du VIlle siècle qui enseignent cette disci-
pline. Si ces textes sont loin d'être nombreux, c'est cependant
cette discipline qui va s'imposer et se généraliser ".

III. LES FORMES LITURGIQUES ET LES APOLOGIES

Nous ne traiterons qu'en quelques lignes ce problème qui


ne manquerait pas d'intérêt pour une recherche approfondie en
relation avec l'histoire de l'évolution des formes liturgiques.
Les apologies présentent une forme liturgique assez parti-
culière. Non seulement l'emploi de la première personne, déjà
souligné plus haut, non seulement l'adresse des oraisons au Christ,
à la Trinité, constituent une originalité dans la liturgie romaine,
mais la composition elle-même des apologies est un phénomène
intéressant à étudier. Il serait difficile de réduire leur genre lit-
téraire à un commun dénominateur. Disant toutes la même chose,
elles le disent de manières extrêmement diverses.
Comment apprécier ce fait facilement contrôlable? On se
trouve en face de ce que nous appellerions maintenant des for-
mes de "liturgie sauvage ». Peut-être assistons-nous ici à une
sorte de revanche de la créativité, au moment où la liturgie de
l'Ordinaire de la Messe se fige. Sans toucher aux formulaires
essentiels, on introduit dans l'Ordinaire et même dans le Ca-
non des formulaires d'origine privée qui tendent à exprimer d'une
façon plus instinctive les sentiments de contrition. Le contraste
entre les textes d'origine romaine et ces prières est aisément
décelable. On reçoit de Rome une liturgie qui veut s'imposer,
mais on ne l'accepte pas purement et simplement comme telle.
L'introduction de ces apologies, prières personnelles, est une sorte
de revanche de créativité, au moment où la liturgie tend de plus

67 P. BROWE, Die Kommunionvorbereitung im Mittelalter, ZKT 56, 1932,


375-415. - D.A. TANGHE, L'eucharistie pour la rémis:,ion des péchés, Iréni-
kon 34, 1961, 165-181.
MI PIRMINUS, Abbas, De singulis l-ibris canonicis Scarapsus, PL 89.1043.
LES APOLOGIES DANS LA CÉlÉBRATION EUCHARISTIQUE 195

en plus à s'uniformiser dans l'univers et d'une manière assez


brutale et sans nuance, signe d'une baisse évidente de niveau
dans la compréhension de ce qu'elle est comme porteuse de vie.

* * *
Sans aucun doute, il aurait fallu parler aussi des apologies
des fidèles, très nombreuses, elles aussi. L'espace réservé à cette
communication ne le permet pas. Disons seulement ce qui inté-
resse sans doute l'histoire de la Pénitence. Au moment où
tendent à disparaître les apologiae sacerdotis, on voit appa-
raître, dès la fin du XIe siècle, et cela après l'homélie, un acte
pénitentiel communautaire avec absolution. Dès le Xe siècle, on
avait permis aux fidèles rassemblés, le Jeudi Saint, de partici-
per à la réconciliation des penitents. Dès le milieu du XIe siècle,
on commence à multiplier ces sortes d'absolutions générales. Le
P. JUKGMANN, dans son ouvrage sur la Messe et dans un article
consacré à l'acte pénitentiel, en renvoyant à un ouvrage de E.
STEINMEYER, cite un certain nombre d'exemples pour l'Alle-
magne ". A la fin de la prédication, les fidèles lèvent la main
et confessent leurs fautes et le prêtre prononce ainsi sur ceux
qui se sont reconnus coupables une formule d'absolution proche
de l'lndulgentiam 60. Un sermonaire allemand du XIIe siècle se
contente de donner cette absolution les jours de communion:
si sit {estivitas quod ad corpus Domini aliqui accedere velint 61.
Sans doute, on n'acceptait pas généralement que cette absolu-
tion soit vraiment sacramentelle 62, mais cependant on en re-
trouve l'usage encore à la fin du XVIe siècle et à Rome même 63.

69 E. von STEIN MEYER, Die kleineren althochdeutschen Sprackdenmiilet',

Berlin, 1916, 309·364.


60 J. ]UNG7I-tANN, Die lateinischen Bussriten. 275 et suivantes.
61 G. LINSENMAYER, Gesckichte der Predigt in Deutschland von Karl der
Gross bus zum Ausgang ds 14 lh., Munich 1886. - J. jUNGMANN, Missarum
Solletnnia, p. 269.
62 HONORIUS d'AUTUN, SPeculum Ecclesiae, PL 172,326. - J. ]UNGMANN,
op. cit., p. 269. note 1.
63 Dans un Sacerdotale employé à Rome en 1555 et dans un autre de

1585, après l'homélie vient le Confitem'" avec la liste des prchés, puis l'impo-
sition de la pénitence, le Misereatur et l'Indulgentiam.
196 ADRIEN NOCENT

Mais ceci nous entrainerait trop loin; nous en savons déjà


assez pour pouvoir constater comInent ces usages s'inscrivent
dans tille préoccupation qui ne trouve pas son apaisement dans
les prescriptions disciplinaires. Celles-ci restent d'ailleurs encore
assez vagues avant le Concile de Trente. L'habitude d'emplo-
yer des formulaires liturgiques et de se livrer à des célébrations
qui ne réalisent pas ce qu'elles signifient entretiendra une atti-
tude formaliste, très certainement préjudiciable à l'attitude fon-
damentale de la pénitence: la conversion, et entrainera à recher-
cher davantage l'absolution que la véritable conversion.

Adrien NOCENT, O.S.B.


LA PÉNITENCE DANS LE CYCLE DIURNE
DE LA LITURGIE BYZANTINÈ

Avant d'examiner la place qu'occupe la pénitence dans


la liturgie byzantine, dans l'office choral comme dans l'office
monastique, arrêtons-nous d'abord sur les éléments communs à
ces deux grandes traditions: les litanies. Toutes les litanies, sauf
celle des demandes, ont comme acclamation du peuple, ou plu-
tôt celle du choeur qui le fait au nom du peuple, l'acclamation
pénitentielle: Kyrie éléison, soit simple, soit triple. La grande
litanie et les petites ont l'acclamation simple, tandis que l'ecté-
nie a l'acclamation triple. Notons que l'ecténie commence par
une triple demande: Aie pitié, tandis que les litanies ont avant
leur fin une demande: Aie pitié de nous.
Passons maintenant à l'office choral. La moitié des prières
sacerdotales des vêpres de cet office et la presque totalité de cel-
les des matines du même office font partie de l'office actuel, mal-
gré son origine monastique. Parmi ces prières nous pouvons con-
sidérer comme ayant un caractère pénitentiel les prières sui-
vantes des vêpres: la 3ème: "Seigneur notre Dieu, aie pitié de
nous, serviteurs coupables, qui invoqu ons ton saint Nom, ne
nous confond pas dans notre attente de ta pitié, mais fais nous
grâce, Seigneur, de tout ce que nous demandons pour notre sa-
lut... », et celle de la 1ère petite antiphone, qui est de S. Basile:
<,Tu es béni, Seigneur, Maître tout puissant qui illumine le jour de
l'éclat du soleil et éclaire la nuit de la clarté de la lune. Toi qui
nous as accordé de traverser la durée de ce jour et de nous ap-
procher du début de la nuit, écoute notre prière et celle de tout
ton peuple. Pardonne-nous à tous nos fautes volontaires et in-
volontaires ... ». Cette dernière n'est utilisée actuellement que com-
me deuxième prière de la première série des prières des deuxiè-
me vêpres de la Pentecôte. En outre elle est imprimée dans l'hô-
rologion à la suite des vêpres comme prière ad libitum. Nous
n'avons cité de ces prières que le début et les passages qui nous
intéressent, c'est à dire ceux qui contiennent des éléments pé-
nitentiels. Nous allons nous tenir à ce principe.
Parmi les prières des matines nous pouvons considérer com-
me pénitentielles les prières: 7ème - "Dieu et Père de notre
Seigneur Jésus-Christ, ... nous te demandons: si, jusqu'à l'heure
présente, nous avons commis quelque péché en parole, en oeuvre
198 VSEVOLOD PALACHKOVSKY

ou en pensée, volontairement ou involontairement, affranchis-


nous-en, remets-lc-nous, pardonne-Ie-nous. Car si Tu épies nos
iniquités, Seigneur, Seigneur, qui le supportera, puisque c'est
près de Toi qu'est la rédemption? .. }J; la lOème qui est celle du
psaume 50: « Seigneur notre Dieu, qui, par la pénitence, as ac-
cordé aux hommes la rémission de leurs péchés, et qui comme
type de reconnaissance et d'aveu de nos péchés, nous as mon-
tré la pénitence que fit le prophète David pour obtenir son par-
don. Toi, ô Maître, selon ta grande pitié, aie pitié de nous qui
sommes tombés dans de nombreuses et grandes fautes et, selon
la multitude de tes sentiments de compassion, efface nos ini-
quités. Car c'est contre Toi que nous avons péché, Seigneur, Toi
qui connais les replis invisibles et cachés du coeur des hom-
mes et qui seul a le pouvoir de remettre les péchés ... Par la pitié,
la compassion et l'amour des hommes de ton Fils unique, avec
lequel tu es béni, Toi et ton Saint, bon et vivifiant Esprit, main-
tenant, et toujours et dans les siècles des siècles. Amen }J, et la
prière d'inclination des têtes: (l Seigneur saint, qui habite les
plus hauts des cieux ... si nous avons péché en quoi que se soit
volontairement ou involontairement, comme tu es un Dieu bon
et ami des hommes, pardonne-le nous ... }).
Quant au psautier de l'office choral il se divise en antipho-
nes impaires, qui sont alléluiatiques, et antiphones paires qui
ont des répons (hypacoès). Parmi ceux-ci nous pouvons consi-
dérer comme pénitentiels les répons: Ob<TEip"II,,6v fLE, KOP'E
è),É:1J0'6\1 fLE, KOpLe:
tÀcXcr&"IJ,r( fLOt, Kûpte:
0'000'0\1 ~fLocÇ, Kûpt&
auxquels nous pouvons encore ajouter celui des psaumes fixes:
3, 50, 62, 148-150 - ""'T6plt",,,ov. Parmi les tropaires intercalés
entre les versets du psaume 140 nous trouvons la terminaison:
"o,,,6v fLE et ""'3'ijv"" T<U; <jIuxècç ~fLo,V 4 fois dans la première semaine
et "o,,,6v fLE et &M"II"oV ~fLiiç 1 fois chaque dans la deuxième se-
maine, ce qui, avec la répétition le vendredi du tropaire de la
première semaine, donne 7 tropaires du psaume 140 sur 14.
Aux matines parmi les tropaires du psaume 50 tous ceux
de la première semaine se terminent par &À<"II,,6v fLE ou ~fLiiç. Ceux
de la deuxième semaine sont ou pénitentiels par leur contenu
ou bien se terminent par &À<"II,,6v fLE ou ~fLiiç. De cette étude de
l'office choral nous pouvons conclure:
1) que tous les tropaires du psaume 50 sont pénitentiels,
LA PÉNITENCE DANS LE CYCLE DIURNE BYZANTIN 199

cc qui cst logique, puisque nous avons devant nous un psaume


pénitentiel par excellence;
2) seulement la moitié des trop aires du psaume 140 sont
pénitentiels;
3) seulement 4 répons du psautier sur 10 sont péniten-
tiels, tandis que dans les odes c'est l'inverse: 6 odes sur ID ont
des répons pénitentiels:
la 4ème d'Isaïe,
la Sème de Jonas,
la 6ème d'Anne,
la 7ème - le Magnificat,
la 8ème - d'Ezechias,
la 9è.me - de Manassé, ont des répons pénitentiels: 01,,-
't'Eî:p"1J0'6v !-LE, KoptE pour les deux premiers, tÀé"1JO'ov !LE, KOpLE pour
les deux suivants, enfin 1Xlltcr1h)'tL [L0', Kopce pour les deux derniers.
4) les prières à caractère pénitentiel ne représentent que
la minorité de la totalité des prières.
Ces conclusions ne doivent pas nous étonner, car l'office cho-
ral était surtout un office de louange, ce qui ne l'empêchait pas
d'avoir, en plus des répons et tropaires pénitentiels que nous
venons de mentionner, le trisagion, qui se termine par: {(aie pitié
de nous» et cela en qualité de répons de la 3ème petite antiphone.
Le trisagion commence dans l'office monastique byzantin,
qui est l'office orthodoxe actuel, la série des prières qui précède
avant la fin des heures l'oraison dominicale. Nous ne mention-
nons pas les prières «initiales l), car elles n'appartiennent pas
au corps même de l'heure, mais sont des ajouts. Dans la même
série nous trouvons une prière pénitentielle par excellence, puis-
que c'est celle qu'on récite avant les réfections non prévues par
le typicon, c'est: (, Trinité toute sainte, aie pitié de nous. Sei-
gneur, agrée l'expiation de nos péchés. Maître, pardonne-nous
nos iniquités. Saint, visite et guéris nos infirmités, à cause de
ton Nom ,). Cette prière est suivie d'un triple Kyrie éléison. Nous
en rencontrons d'autres Kyrie éléison dans les offices, groupés
par 3, 12 ou 40. L'oraison dominicale contient la demande: (' Re-
met-nous nos dettes, comme nous-mêmes avons remis à nos dé-
biteurs 1).
Les offices à caractère pé nitent iel se reconnaissent à la bé-
nédiction: « Que Dieu nous soit compatissant et nous bénisse,
qu'il fasse luire sa face sur nous et qu'il ait pitié de nous l). En
effet ce verset remplace en Carême une autre bénédiction: (' Par
200 VSEVOLQD PALACHKOVSKY

les prières de nos SS. Pères, Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu,


aie pitié de nous ). En vertu de cela seraient pénitentiels: le me-
sonycticon, prime, none et les grandes complies qui ont le ver-
set: « Que Dieu nous soit compatissant ... 1). Cependant prime n'a
pas d'autre élément pénitentiel que les prières que nous ren-
controns dans toutes les heures.
Nous allons maintenant passer à l'étude des éléments par-
ticuliers aux offices en commençant par les vêpres.
Dans ceux-ci nous trouvons les éléments pénitentiels sui-
vants: les psaumes 141 et 129; le verset du lundi des vêpres al-
léluiatiques, c'est à dire des temps de jeûne: {( Ne m'accuse pas
dans ta colère et ne me châtie pas dans ta fureur >,; le verset 3
du psaume férial 122: {( Aie pitié de nous, Seigneur, aie pitié de
nous ... >,; l'apolytikion de S. Jean Baptiste des vêpres alIéluia-
tiques: {( Toi qui as baptisé le Christ, souviens-toi de nous tous
pour que nous soyons délivrés de nos iniquités ... >,; la prière de
S. Ephrem des mêmes vêpres qui se termine par la demande:
« Oui, Seigneur Roi, accorde-moi de voir mes péchés et de ne
point juger mon frère, car Tu es béni dans les siècles. Amen ».
Notons que cette prière est récitée à toutes les heures des offi-
ces alIéluiatiques. Enfin la prière ad libitum de S. Basile dont
nous avons déjà parlé.
La litie, quoique officiée aux grandes vêpres vigiliaires, a
des éléments pénitentiels: à toutes les demandes, à la prière fi-
nale et à la prière super populum qui remplace le renvoi de la litie.
1ère demande: (, Sauve ton peuple, Seigneur, et bénis ton
héritage, dans ta compassion, visite le monde... Nous te sup-
plions, pécheurs que nous sommes, et qui Te prions, et aie pitié
de nous ». Le choeur répond par 40 Kyrie éléison.
2ème demande: (, Nous te prions encore ... pour toute âme
chrétienne, accablée et abattue par la peine et qui implore pitié
de Dieu ... Pour le repos, le soulagement, la bienheureuse mé-
moire et le pardon des péchés de tous nos pères et frères ortho-
doxes décédés ... ».
3ème demande: (1 Nous Te prions encore ... Pour que nous
soit propice, bienveillant et facile â fléchir, notre Dieu bon et
ami des hommes, pour que soit détournée toute colère dirigée
contre nous et pour que nous soyons délivrés des justes mena-
ces qui sont sur nous et qu'il ait pitié de nous Il.
4ème demande (que nous citons intégralement): « Prions en-
LA PÉNITENCE DANS LE CYCLE DIURNE BYZANTIN 201

core que le Seigneur entende la voix de la prière des pécheurs


que nous sommes et qu'il ait pitié de nous l}.
Prière finale: « Exauce-nous, Dieu notre Sauveur, ... sois pro-
pice, sois propice, Maître, pour nos péchés et aie pitié de nous ... ».
Prière super populum: « Seigneur, riche en pitié... accorde-
nous la rémission de nos péchés ... aie pitié de nous et du monde
qui est tien et sauve nos âmes, car Tu es bon et ami des hommes l).
Cette abondance d'éléments pénitentiels dans la litie ne doit
pas nous étonner, car elle est officiée aux narthex, c'est à dire
pour les pénitents qui devraient s'y tenir, d'abord les catéchu-
mènes qui se préparent au baptême, ensuite les différentes ca-
tégories de pénitents, exclus de l'Eglise pour des péchés graves.
Les petites complies n'ont de pénitentiel que le psaume 50,
que nous retrouverons aux matines et à tierce, et la prière à la
Ste Vierge attribuée à Paul d'Ammorhium: « Vierge sans tache,
... n'éprouve pas de dégoût pour moi, pécheur, le maudit, qui
me suis tout entier corrompu par des pensées, des paroles et des
actions honteuses... sois émue d'humaine miséricorde sur moi,
le pécheur et le prodigue, et reçois ma prière, bien qu'elle soit
proférée de lèvres souillées ... adoucis les regards de ton Fils, notre
Seigneur et Maître, de façon qu'Il m'ouvre, même à moi, les cha-
ritables entrailles de sa bonté, et que, sans voir mes innombra-
bles fautes, il me convertisse à la pénitence ... ». Dans l'ordo stu-
dite les petites complies étaient remplacées par les moyennes
complies qui représentent les grandes complies privées de l'hé-
xapsalme du début. A partir du cantique d'Isaïe leur ordo suit
celui des grandes complies. Nous croyons que les grandes com-
plies et leur abrégé, les moyennes complies, représentent le texte
initial des complies. Les petites complies actuelles n'en seraient
qu'un extrait. Nous y retrouvons le psaume 50 de la deuxième
partie des grandes complies, le Credo de la première, le reste
étant en grande partie pris à la troisième partie. Notons que
dans le rite mozarabe les complies se subdivisent en 3 offices:
ante conpletam, ad conpletam et post conpletam. Les grandes
complies, qui sont officiées uniquement pendant les périodes de
jeûne, ont les éléments pénitentiels:
1) dans la première partie les psaumes suivants de l'hé-
xapsalme: 6, 12, 24 et 30; la litanie de type occidental qui com-
mence par l'invocation: (1 Très Sainte Souveraine, Mère de Dieu,
prie pour nous pécheurs» (3 fois) et qui contient des invoca-
202 VSEVQLOD PALACHKüVSKY

tions aux Puissances célestes, à S. Jean-Baptiste, aux SS. Apô-


tres, prophètes et martyrs, aux SS. Evêques. Toutes ces invo-
cations se terminent par: « prie» ou «( priez pour nous pécheurs 1).
La litanie termine par un invocation à la Ste Croix: « Ne nous
abandonne pas, pécheurs» et à Dieu: (' sois-nous propice à nous
pécheurs et aie pitié de nous )}.
2) Dans la deuxième partie nous trouvons le psaume pé-
nitentiel par excellence, c'est à dire le Miserere, suivi du psaume
\0 1 et de la prière de Manassé. Ces prières sont suivies après
le Notre Père des principaux tropaires pénitentiels: « Aie pitié
de nous, Seigneur, aie pitié de nous, car manquant de tout moyen
de défense, nous t'offrons cette prière comme les pécheurs à leur
Seigneur: Aie pitié de nous.
Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit.
Seigneur, aie pitié de nous, car nous avons confiance en Toi,
ne sois pas trop irrité contre nous, et ne Te souviens pas de nos
iniquités, mais jette les yeux sur nous dans ta miséricorde ... ».
Cette partie se termine par la prière de S. Mardaire: « Dieu,
notre Maitre, Père tout-puissant, Seigneur Fils unique, Jésus-
Christ et Saint-Esprit, unique Divinité, unique puissance, aie
pitié de moi, pécheur, et sauve-moi ton indigne serviteur ... P.
3) La troisième partie a un tropairepénitentiel intercalé
entre les versets du psaume 150: (, Seigneur des puissances, sois
avec nous, car nous n'avons personne en dehors de Toi qui nous
aide dans nos tribulations. Seigneur des puissances, aie pitié
de nous ». Ce psaume est suivi d'un tropaire pénitentiel: (, Sei-
gneur. .. pardonne à nos âmes », et de théotokia: (' Grand e.t le
nombre de mes prévarications, ô Mère de Dieu ... intercède auprès
de ton Fils et notre Dieu, pour qu'il nous accorde le pardon du
mal que nous avons fait, Toi qui seule est bénie »; et: « Très sainte
Mère de Dieu, ne m'abandonne pas... et aie pitié de moi )}. La
bénédiction sacerdotale qui précède la prière de S. Ephrem est
pénitentielle: (, Que Dieu nous soit compatissant... », tandis que
la bénédiction placée au même endroit aux petites complies est
habituelle: (, Par les prières de nos SS. Pères ... )}. Sont aussi pé-
nitentielles la prière attribuée à Paul d'Ammorhium, que nous
avons déjà rencontrée aux petites complies, et la prière finale
qui remplace le renvoi et qui est aussi pénitentielle. Nous l'avons
déjà rencontrée à la fin de la litie.
Le mésonycticon a comme éléments pénitentiels le psaume 50,
LA PÉNITENCE DANS LE CYCLE DIURNE BYZANTIN 203

le tropaire du Fiancé: «Voici que le Fiancé arrive au milieu de


la nuit ... Vois donc, ô mon âme, à ne pas te laisser appesantir
par le sommei1... mais recouvre tes sens en t'écriant: Saint, saint,
saint, es-Tu, ô Dieu! Par la Théotokos, aie pitié de nous », la bé-
nédiction pénitentielle: « Que Dieu nous soit compatissant ... »; les
deux premières prières finales de la première partie du méso-
nycticon, qui sont celle de S. Mardaire, que nous avons déjà ren-
contrée aux grandes complies, et la première de S. Basile, qui
ne sont lues qu'en hiver: «Seigneur tout puissant ... Remets-nous
les fautes que nous avons commises, en actes, en paroles, en pen-
sées, avec conscience ou inconsciemment et purifie-nous toute
souillure de notre chair et de notre esprit ... l).
La deuxième partie du mésonycticon férial, comme d'ail-
leurs aussi celui du samedi, est un office des morts et il n'a pas
d'éléments pénitentiels, si ce n'est à l'Athos et dans le typikon
grec moderne où nous retrouvons les trop aires pénitentiels que
nous avons rencontrés à la deuxième partie des grandes complies.
Le mésonycticon du samedi, c'est à dire de la nuit du ven-
dredi au samedi, a dans sa première partie des tropaires péni-
tentiels par excellence, puisque ce sont les triadica du 2ème
ton des matines alléluiatiques, c'est à dire du temps de jeûne.
Voici ces triadica: «Nature incréée, Artisan de toutes choses,
ouvre nos lèvres pour que nous annoncions ta louange en nous
écriant: Saint, Saint, Saint es-Tu, ô Dieu, par la Théotokos, aie
pitié de nous.
Gloire au Père ...
Imitant les puissances célestes, nous les habitants de la terre,
nous t'offrons, Dieu bon, l'hymne de victoire: Saint, Saint, Saint
es-Tu, ô Dieu, par la Théotokos, aie pitié de nous.
Et maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen.
Tu me fais lever de ma couche et de mon sommeil, Seigneur;
illumine mon intelligence et mon coeur, ouvre mes lèvres pour
te louer, Trinité sainte: Saint, Saint, Saint es-Tu, ô Dieu, par
la Théotokos, aie pitié de nous l).
La bénédiction est pénitentielle: «Que Dieu nous soit com-
patissant ... l>. De même la prière de S. Eustrate qui suit celle
de S. Mardaire: «Jete magnifie, Seigneur. .. Et maintenant, Sei-
gneur, que ta main me protège et que vienne sur moi ta pitié ...
Aie pitié, Seigneur, de mon àme souillée par les passions de la
VIe et rends-la pure par la pénitence et la confession ... ).
Si le mésonycticon du dimanche, c'est à dire de la nuit de
204 VSEVOLOD PALACHKÜVSKY

samedi à dimanche, est dans son ensemble laudatif, cependant


sa prière finale, attribuée à S. Marc, évêque d'Idrée, est péni-
tentielle: (1 Sainte Trinité toute puissante... Tout ce que nous
avons péché en actions ou en pensées remets et pardonne ... »
(suit toute une énumération des différentes possibilités de pécher
qui se termine par: (1 pardonne-le noUs et remets-le nous »).
La première partie des matines, celle qui correspond aux
vigiles occidentales a, à l'hexapsalme, les psaumes à contenu pé-
nitentiel: 37, 87 et 142. Les matines alIéluiatiques, c'est à dire
celles des temps de jeûne, ont des triadica qui, tous sauf ceux
du mercredi et du vendredi, se terminent par: (1 aie pitié de nous l).
Voici un exemple: 1er ton, triadicon du lundi: (f Amenés à une con-
ception spirituelle et immatérielle par les formes corporelles des
Puissances immatérielles et par la mélodie du trisagion, ayant
reçu la lumière révélatrice d'une Divinité en trois hypostases,
nous nous écrions avec les chérubins: Saint, Saint, Saint es-Tu, ô
Dieu, par le patronage de tes esprits incorporels, aie pitié de nous.
Gloire au Père ...
Avec toutes les puissances célestes, nous crions COllIne les
chérubins modulant le chant du trisagion: Saint, Saint, Saint
es-Tu, ô Dieu, par les prières de tes saints, aie pitié de nous.
Et maintenant ...
Sortis du sommeil, nous nous prosternons devant Toi, qui
es bon, et nous crions l'hymne des anges, à Toi qui es puissant:
Saint, Saint, Saint, es-Tu, ô Dieu, par les prières de la Théoto-
kos, aie pitié de nous l).
Nous avons déjà rencontré le triadicon du 2ème ton au mé-
sonycticon du samedi avec la terminaison uniforme: «( pa:r;- les
prières de la Théotokos ... l).
Toutes les matines ont le psaume 50, que nous avons déjà
rencontré aux matines chorales. Le dimanche il est suivi de:
«( Gloire au Père ...
Par l'intercession des apôtres, ô Toi qui es plein de pitié,
efface la multitude de nos péchés.
Et maintenant ...
Par l'intercession de la Théotokos, ô Toi qui es plein de pitié,
efface la multitude de nos péchés l).
Puis le verset 3 du psaume 50, qui est le premier verset
du texte.
La deuxième partie des matines correspondante au matu-
tinum occidental est consacrée au mémorial de la résurrection
LA PÉNITENCE DANS LE CYCLE DIURNE BYZANTIN 205

du Christ. Dans celle-ci l'élément pénitentiel est fort atténué.


Cependant elle commence par la première demande de la litie.
En outre nous trouvons dans le Gloria in excelsis les deman-
des suivantes: « Seigneur Dieu, Agneau de Dieu, Fils du Père,
qui ôtes les péchés du monde, aie pitié de nous. Toi qui ôtes les
péchés du monde, reçois notre prière. Toi qui es assis à la droite
du Père, aie pitié de nous ", et dans les versets qui les suivent
(, Moi, j'ai dit: Seigneur, aie pitié de moi, guéris mon â.me, car
j'ai péché contre Toi ". Cette série de versets se termine par le
trisagion.
Prime, ainsi que nous l'avons déjà dit, n'a de pénitentiel que
la bénédiction: « Que Dieu nous soit compatissant ... ", si nous
ne nous arrêtons pas aux éléments communs comme le trisagion
ou le Kyrie éléison.
En revanche son mésorion comporte les tropaires péniten-
tiels que nous avons déjà rencontrés aux grandes complies dans
leur deuxième partie: «Aie pitié de nous, Seigneur ... ", (, Seigneur,
aie pitié de nous).
Dans tierce, a un caractère pénitentiel le psaume 24, auquel
nous aurions pu ajouter le psaume 50, s'il n'était pas plutôt choisi
à notre avis à cause de la triple mention du S. Esprit dans ce
psaume qui malheureusement n'est pas rendue par les traduc-
tions modernes. Cette mention du S. Esprit est reprise par les
versets du premier tropaire de l'heure:
1er verset: « Crée en moi un coeur pur, ô Dieu, et ranime
dans mes entrailles un Esprit de droiture» (notre traduction).
2ème verset: « Ne me rejette point loin de ta face et ne
me retire point ton Esprit-Saint 'l.
Le théotokion de ce tropaire est aussi pénitentiel: (' Mère
de Dieu, Tu es la vraie vigne qui a produit le fruit de la vie.
Nous te prions, notre Souveraine. intercède avec les apôtres pour
qu'il soit fait pitié à nos â.mes ". Cette heure se termine par la
prière de S. Mardaire, que nous avons déjà rencontrée aux gran-
des complies et au mésonycticon. Son mésorion, quoique offi-
cié en dehors des périodes festivales, n'a pas d'éléments pénitentiels.
Le théotokion de sexte est pénitentiel: (, Comme nous n'avons
pas le pouvoir de parler à cause de nos nombreux péchés, insiste
auprès de celui, que Tu as mis au monde, Mère de Dieu et Vierge ...
Ne méprise pas les supplications des pécheurs, ô toute vénérable,
car Il a faculté d'avoir pitié et de sauver. .. ". Le texte qui le suit
206 VSEVOLOD PALACHKOVSKY

est aussi pénitentiel, car il se ternline par la demande: « Seigneur,


tire-nous du danger et fais nous grâce pour nos péchés à cause
de ton nom». Le 2ème tropaire de la 2ème série, qui est l'apo-
lytikion de la Ste Face, l'est aussi: (1 Nous adorons ta lumineuse
image, ô Dieu bon, Christ Dieu, en demandant le pardon de nos
fautes ... ». De même le théotokion: (, Toi qui es source de mi-
séricorde, juge nous dignes de ta compassion, Mère de Dieu, jette
les yeux sur le peuple qui a péché ... ,.
Les deux premiers psaumes (55 et 56) du mésorion de sexte
sont pénitentiels: ils commencent tous les deux par: (, Aie pitié
de moi, ô Dieu ... ". De même est pénitentiel le dernier tropaire:
(, Par l'intercession, Seigneur, de tous tes saints et de la Théo-
tokos, donne-nous ta paix et aie pitié de nous ".
Le troisième psaume de none, le 85, est pénitentiel. Dans
l'office choral c'était le psaume initial du lucernaire. La béné-
diction est pénitentielle: (1 Que Dieu nous soit compatissant...».
De même la prière finale, qui est de S. Basile: (, Maître et Sei-
gneur Jésus-Christ, notre Dieu, qui t'es montré longanime pour
nos fautes ... aie aussi pitié de nous, pécheurs tes indignes servi-
teurs ... Nous avons péché ct nous avons violé tes préceptes. Nous
ne sommes pas dignes de lever les yeux et de regarder les hau-
teurs du ciel; c'est pourquoi nous avons abandonné la voie de
la justice ... Epargne-nous, Seigneur, selon la grandeur de ta pitié
et sauve-nous... Arrache-nous de la main de notre ennemi, re-
mets-nous nos péchés ... ».
Le mésorion de none a son premier tropaire qui est péni-
tentiel: (,Toi qui as illuminé la terre par ta croix et qui as appelé
les pécheurs à la pénitence, ne m'écarte pas de ton troupeau,
ô bon pasteur, mais mets-Toi à la recherche de l'égaré que je
suis, Maître, compte-moi dans ton saint troupeau, Toi seul qui
es plein de pitié et ami des hommes».
Passons maintenant à la liturgie eucharistique. Notons d'abord
que le prêtre lit avant d'entrer au sanctuaire les trop aires pé-
nitentiels que nous avons déjà rencontrés à la 2ème partie des
grandes complies et au mésorion de prime: (1 Aie pitié de nous,
Seigneur..., Seigneur, aie pitié de nous ... ».
Finissant la prothèse, il demande à Dieu: (, Souviens-Toi,
aussi, Seigneur, de mon indignité et pardonne-moi toute faute
volontaire ou involontaire». Couvrant les dons de l'aër, il de-
mande: « Seigneur, aie pitié de nous et de ton cosmos et sauve
nos âmes, Toi qui es bon et ami des hommes ". Pendant l'encen-
LA PÉNITENCE DANS LE CYCLE DIURNE BYZANTIN 207

sement qui suit, le diacre ou, en son absence, le prêtre récite le


psaume 50. La prière dite par le prêtre avant le chant du tri-
sagion contient les passages suivants: {( Dieu saint ... qui ne dé-
daignes pas le pécheur, mais qui pour son salut as établi la pé-
nitence ... pardonne-nous toute faute volontaire et involontaire ... >l.
La prière pendant la litanie des catéchumènes contient une de-
mande de pardon de leurs péchés, comme d'ailleurs la litanie
elle-même: Prière: « Seigneur, Seigneur notre Dieu ... Jette les
yeux sur tes serviteurs les catéchumènes qui inclinent leurs têtes
devant Toi, juge-les dignes, le moment venu, du bain de la re-
naissance, de la rémission de leurs péchés ... ». Demande litanique:
« Fidèles, prions pour les catéchumènes, pour que le Seigneur
en ait pitié ... l).
L'apologie a un caractère pénitentiel, ce qui est d'ailleurs
normal: (, Aucun de ceux qui sont liés par des désirs Ou des pas-
sions charnelles n'est digne de s'avancer vers Toi, de s'appro-
cher de Toi et surtout de célébrer la liturgie en ton honneur,
Roi de gloire ... C'est donc Toi que j'implore, le seul bon et prêt
à nous entendre. Jette les yeux s ur moi pécheur et ton inutile
serviteur, purifie mon âme et mon coeur de toute mauvaise con-
science ... C'est Toi que je prie tête inclinée: je te demande de
ne pas détourner ta face de moi et de ne pas me retrancher de
tes serviteurs, mais condescends à ce que ces dons soient présen-
tés par moi pécheur et indigne serviteur... ». Pendant l'encen-
sement le psaume 50 est récité de nouveau.
La prière de l'offertoire indique que les dons sont présentés
en propitiation pour nos péchés: (, Seigneur Dieu tout puissant ...
reçois notre prière à nous, pécheurs, et fais la présenter à ton
saint autel; rends-nous capables de T'offrir nos dons et sacri-
fices spirituels pour nos péchés et les ignorances du peuple, juge-
nous dignes de trouver grâce devant Toi ... ».
L'un des buts de la conversion des dons et de la commu-
nion qui en découle est d'après le canon eucharistique d'obte-
nir la remission des péchés pour ceux qui y participent. En effet
après la conversion des dons le prêtre continue: (( De façon à ce
qu'il deviennent pour ceux qui y participent purification de leur
âme, rémission de leurs péchés, communion du Saint-Esprit, plé-
nitude du royaume des cieux, confiance devant Toi, et non ju-
gement et condamnation ». Cette demande est conforme à la
discipline de l'Eglise primitive d'après laquelle le sacrement de
la pénitence servait à la réintégration dans l'Eglise de ceux qui
208 VSEVOLOD PALACHKOVSKY

en étaient exclus, tandis que la rémission des péchés habituels


était obtenue par la communion.
La prière qui précède l'oraison dominicale répète les mê-
mes demandes: « Nous te confions toute notre vie et tout notre
espoir, Seigneur, ami des hommes... Daigne nous faire partici-
per aux mystères célestes et redoutables de cette table sacrée
et spirituelle avec une conscience pure, pour la rémission de nos
péchés, le pardon de uos fautes, la communion du Saint-Esprit,
l'héritage du royaume céleste, la confiance devant Toi, et non
le jugement et la condamnation ».
Dans les prières qui précèdent la communion le prêtre dit:
(, Je crois, Seigneur, et je confesse que Tu es vraiment le Christ,
le Fils du Dieu vivant qui es venu dans le monde sauver les pé-
cheurs dont je suis le premier ... Jete prie donc, aie pitié de moi
et pardonne-moi mes fautes volontaires et involontaires, com-
mises en paroles et en actes, sciemment ou par inadvertance et
juge-moi digne de participer sans condamnation à tes imma-
culés mystères pour la rémission des péchés et la vie éternelle.
Amen ... Que la communion à tes saints mystères ne tourne
pas à mon jugement ni à ma condamnation, mais à la santé de
mon âme et de mon corps >,. Ces prières sont ensuite répétées par
le célébrant au nom des fidèles avant leur communion. En com-
muniant le prêtre dit: « Le précieux et saint Corps de notre Sei-
gneur, Dieu et Sauveur Jésus-Christ, m'est donné à moi... prêtre
pour la rémission des péchés et la vie éternelle >,. De même pour
le calice. Le prêtre ajoute le verset d'Isaïe, VI, 7: « Ceci a touché
mes lèvres, enlève mes iniquités et me purifie de mes péchés ».
De même il dit en communiant les fidèles: « Le serviteur de Dieu
reçoit le précieux et très saint corps et le sang de notre Seigneur,
Dieu et Sauveur Jésus-Christ, pour la rémission des péchés et la
vie éternelle. Amen >,.
Le prêtre en mettant dans le calice les parcelles des vivants
et des morts dit: (' Par ton précieux sang, Seigneur, et grâce aux
prières de tes saints, lave de leurs péchés ceux dont il a été fait
mémoire ici IL Ainsi donc, grâce à la liturgie, non seulement la
rémission des péchés est accordée aux communiants, mais aussi
à ceux dont il a été fait mention à la prothèse. Nous pouvons
dire que d'une façon générale l'élément laudatif et d'action de
grâces est dominant dans la liturgie eucharistique. A ces éléments
vient s'ajouter. ainsi que nous l'avons vu, la rémission des péchés.
Nous pouvons donc dire que si la pénitence joue un grand rôle
LA PÉNITENCE DANS LE CYCLE DIURNE BYZANTIN 209

dans l'office, la rémission des péchés qui y a été demandée est


obtenue pendant la liturgie eucharistique par la communion.
Avant de terminer examinons un instant les éléments inter-
changeables de l'office férial. Il est constitué par des stichères,
des cathismes poétiques et des canons. Ces éléments dans le cycle
de l'octoèque sont consacrés chaque jour à un ou deux mémo-
rials: le lundi les SS. Anges, le mardi S. Jean Baptiste, le mer-
credi et le vendredi la Croix et la Ste Vierge; le samedi les trois
ordres de saints: les SS. martyrs, les SS. évêques, les SS. moines
et les morts et au canon aussi celui de la dédicace de l'église.
Les jours où il n'y a qu'un seul mémorial, c'est à dire les lundis
et mardis, son office est précédé d'un office pénitentiel, qui ap-
paraît par conséquent comme étant l'office fondamental de l'oc-
toèque.
Voici, à titre d'exemple, deux stichères dont un martyri-
con que nous empruntons à l'octoèque aux apostiches des vêpres
du lundi soir du 1er ton: «Comme l'océan de mes prévarications
est immense, et que je suis terriblement enfoncé par mes négli-
gences, donne-moi la main pour me sauver, comme à Pierre, et
aie pitié de moi >}.
Martyricon: (1 Par l'intercession de tous les saints et de la
Mère de Dieu, donne-nous ta paix, et aie pitié de nous, car seul
Tu es compatissant l),
Nous pouvons donc considérer que l'un des éléments fon-
damentanx de l'office monastique byzantin, c'est à dire de l'of-
fice orthodoxe actuel, est la pénitence et que la rémission des
péchés est donnée par la communion.

Vsévolod PALACHKOVSKY

14
EUCHARISTIE ET RÉMISSION DES PÉcHÉs
DANS LES ANAPHORES ARMÉNffiNNÈS

Les textes liturgiques anciens font très souvent allusion à


la valeur médicinale de l'eucharistie, et la célébration de la messe
apparaît, à travers de nombreuses formules de divers rites, comme
un moment de choix pour demander et obtenir le pardon des
péchés. Depuis quelques années, cette question a retenu l'at-
tention de plusieurs historiens et théologiens '. Les textes des
liturgies latines, syriennes, coptes et byzantines qu'ils ont étu-
diés montrent que, dans la tradition ancienne, l'eucharistie est
regardée comme ayant un rôle pénitentiel important. Le but de ces
quelques pages n'est pas d'apporter de nouveaux développements
théologiques à ce qui a déjà été écrit à ce sujet, mais seulement
d'élargir les enquêtes déjà faites en examinant les anaphores
arméniennes. Que disent ces textes? Comment situer leurs affir-
mations par rapport au rite du sacrement de la pénitence?

LE PARDON DES PÉCHÉS


DANS LES ANAPHORES ARMÉNIENNES
Il existe une dizaine d'anaphores dans la tradition armé-
nienne 2. Les premières attestations de l'existence de la plus
ancienne d'entre elles, celle qui est mise sous le nom de Grégoire
l'Illuminateur, remontent au début du V· siècle'. Toutes n'ont

1 D. TANGHE, L'Eucharistie pout' la rémission des Péchés, dans Irénikon,


34 (1961), pp. 165-181; ].-M.-R. TILLARD, L'Eucharistie, purification de l'Eglise
Pérégrinante, dans Nouvelle Revue Théologique, 84 (1962), pp. 449-475; L. L,-
GIER, Pénitence et Eucharistie en Orient. Théologie sur une interférence de priè-
res et de rites, dans O'ientalia Christiana P8yiodica, 29 (1963), pp. 5-78; Le
sacrement de pénitence selon la tradition arien/ale, dans Nouvelle Revue Théo-
logique, 89 (1967), pp. 940-967; Dimension personnelle et dimension commu-
nautaire de la pénitence en Orient, dans La Maison-Dieu, 90 (1967), pp. 154-187.
Il Elles ont été éditées par CATERGIAN-DASHIAN, Die Lituygien bei den
Aymeniern. Fünjzehn Te:rte und Untersuchungen, Wien, 1897.
3 L'écrivain Fauste de Byzance tra.nscrit en effet plusieurs textes de

l'anaphore dite de Grégoire l'Illuminateur. Voir la traduction de celle-ci et


des textes de Fauste de Byzance dans Eucha,.isties d'O,.ient et d'Occident (Lex
O,.andi, vol. 47), Paris 1970, pp. 83-108. Nous nous permettons de renvoyer
aussi à une présentation que nous avons faite des problèmes- posés par l'en-
semble des anaphores, dans Bulletin du Comité des Etudes, nO 44, (1963), pp.
263-267.
212 ATHANASE RENaUX

pas certes la même antiquité; il faut vraisemblablement placer


au XIIIe siècle la traduction d'une anaphore complète dite de
Jean Chrysostome, modelée sur son analogue grecque 4. C'est dans
l'intervalle de ces huit siècles que s'opèrent la création, la tra-
duction et l'adaptation d'autres anaphores - d'Athanase, des
Présanctifiés, de Grégoire de Nazianze, de Sahak, de Cyrille d'Ale-
xandrie, de Jacques, d'Ignace d'Antioche, de Basile - qui con-
tiennent de nombreuses pièces provenant ou s'inspirant de leurs
modèles grecs ou syriaques S Le rite arménien actuel ne fait
appel qu'à une seule anaphore, celle dite d'Athanase, mais il
y a de bons arguments qui prouvent que les autres furent aussi
en usage autrefois dans cette Eglise 6. Ces textes, reflets ou adap-
tations d'anaphores utilisées dans les Eglises de langue grecque
ou syriaque, et de leur enseignement, contiennent une théologie
de la rémission des péchés qu'il est intéressant de relever.

1. L'EuCHARISTIE, GUÉRISON DU PÉCHÉ


Avant d'en venir à des termes caractéristiques, signalons
quelques formules qui expriment l'action de l'eucharistie vis-à-
vis du péché. Les saints mystères, le corps et le sang du Seigneur,
ou encore la communion enlèvent le péché (Basile, prière avant
la communion), dissipent les ténèbres du Péché (Athanase et Jean
Chrysostome, prière avant la communion) en écartant le mal'.

4 J. MATEOS, Evolution historique de la liturgie de saint Jean Chrysos-


tome, dans Proche-Orient Chrétien. 15 (1965). pp. 333-351, [338l
li Voir les introductions aux traductions latines de ces anaphores, d'après

l'édition Catergian-Dashian, daus Oriens Christianus, N.S. 1 (1911), pp.- 204-


214; N.S. 3 (1913), pp. 16-31; N.S. 7-B (191B), pp. 1·32; 35 1 (1927), pp. 143-
157; 3S 5 (1930), pp. 56-79.
6 Depui.. les études de J.-M. HANSSENS, Institutiones Liturgicae de ri-
tibus orientalibus, t. II et III, Rome 1930-1932, pour qui le petit nombre de
manuscrits arméniens -3- contenant les dix anaphores signifie que celles-ci
ne furent pas toutes utilisées et étaient des pièces d'archives, la publication
de nombreux catalogues de manuscrits arméniens laisse voir qu'une édition
des anaphores annéniennes pourrait être entreprise sur une base manuscrite
plus large. Les travaux de V. HAc'mn, Pataragamatoyc' est ararolut'ean Ha-
yastaneayc' Ekelec'woy, Venise, 1936, avaient déjà mQntré, à l'aide du Com-
mentaire des Prières du Sacrifice de Xosrow d'Anjewac'i (xe s.) (Venise, 1869},
et d'une brève nlbrique liturgique de l'un des trois manuscrits, que l'on fit
appel autrefois à d'autres anaphores que celle d'Athanase.
7 Nous n'avons pas donné les références de ces formules qui reviennent

constamment dans toutes les anaphores.


LA PÉNITE~CE DANS LES A}l"APHORES ARMÉNIENNES 213

L'Eucharistie neUoie nos Péchés et transgressions (Présanctifiés,


Jacques, prière avant la fraction); elle purifie, elle lave de toute
so1tillure les âmes et les corps. Elle les gu.érit (Basile, après la com-
munion). en leur accordant la grâce d .. pardon (Cyrille et Jean
Chrysostome, après la communion). Toutes ces formulations, et
bien d'autres, ne sont jamais assorties de précisions ou de res-
trictions qui limiteraient, en fonction de la situation de tel in-
dividu ou de tel péché, la valeur et la portée du sacrement reçu.

2. L'EXPIATION ET LA RÉMISSION DES PÉCHÉS

Face à ces expressions secondaires, une formulation revient


constamment: l'eucharistie, les saints mystères, la communion
sont « exPiation et rémission des Péchés ;), i k' awut'iwn ew i t' olu-
t'iwn melac'.
Des deux mots arméniens, le premier k'awHt'iwn, l'lÀIXup.6c;
grec, exPiatio, propitiatio latin, emprunté à la Première EPître
de Jean', applique à l'eucharistie la signification du kiPper hé-
breu: la réception de l'eucharistie est, à l'égal du sacrifice, un
rite purificateur et réparateur; elle brise la domination du péché
et rétablit l'union avec Dieu '.
Le deuxième terme arménien par lequel est fréquemment
exprimé l'effet de la communion au corps et au sang du Christ,
c'est le mot t'olut'iwn, &~EcrLC;, remissio, en grec et en latin. Avec
ce terme, l'allusion au récit de la cène selon M atthie" 26,28 est
évidente. Dans toutes les anaphores, et non seulement au mo-
ment du récit de l'institution, les termes mêmes du premier évan-
gile sont ainsi repris chaque fois qu'il s'agit de la rémission des
Péchés 10. La réception de l'eucharistie est donc source de par-
don; elle arrache l'homme au péché, c'est-à-dire, enlève, abolit,
remet les péchés de ceux qui la reçoivent.
L'examen de ces deux mots, que l'on trouve continuelle-
ment dans les anaphores, montre bien la portée que ces textes
attribuent à la réception de l'eucharistie. Il faut les voir main-
tenant dans les divers contextes où ils sont employés. Nous ne

8 1 Jean 2,2 et 1 Jean 4,10.


" Cf. L. SABOURIN, Rédemption sacrificielle. Une enquête exégétique (Studia.
Recherches de PhilosoPhie et de Théologie publiées pa1' les Facultés 5.J. de Mon-
tréal, II). 1961, pp. 182-184.
10 i t'o:tut'iwn melac',
214 ATHANASE RENOUX

nous arrêterons pas au récit de l'institution où, dans toutes les


anaphores, sauf dans celle de Basile, de Chrysostome et d'Igna-
ce 11, l'association des deux expressions (1 en exPiation et en ré-
mission des Péchés» termine toujours chacune des formules du
récit de l'institution (1 Prenez, man gez.o. ), « prenez, buvez 12, .. l).
Ces textes n'ont pas d'intérêt pour notre propos; ils reprennent
en effet, en les modifiant et en l'amplifiant, le récit évangélique ".

Expiation et rémission des Péchés


Cette allusion à «l'exPiation et à la remtssion des Péchés»
revient plusieurs fois en dehors du récit de l'institution, dans
des prières qui ne sont pas de simples décalques des textes évan-
géliques. Signalons brièvement sa présence:
dans la litanie des catéchumènes qui précède l'ana-
phore de Basile et d'Athanase: demandons au Seigneur
l'expiation et la rémission de nos transgressions 14;
dans la prière de la paix de l'anaphore de Grégoire
de Nazianze: accorde-nous (de recevoir) ceci (les mys-
tères) pour l'exPiation et la rémission des Péchés;
dans la même prière de l'anaphore de Sahak: accorde
aussi, Seigneur, l'expiation de mes transgressions et la
rémission des fautes d'ignorance de ce peuPle 15.
C'est de l'épiclèse à la dernière prière des anaphores, donc
dans le cycle des prières orientées vers la participation au corps
et au sang du Christ, que sont formulées le plus abondamment
les demandes de pardon. Dans les épicIèses que nous citerons,

11 CATERGIAN-DASHIAN, Die Liturgien bei den A1'meniern, pp. 203-204,


373 et 374. Pour l'anaphore de saint Jacques. les paroles sur la coupe disent
seulement: (! ceci est mon sang ... pour la rémission des péchés 1) (id. p. 441).
HI Cette formule se lit aussi dans plusieurs anaphores syrieIUles: voir
P. CAGIN. L'eucharistia. Canon primitif de la messe ou formulaire essentiel et
premier de toutes les liturgies (Scriptorium Solesmense II, L'Euchologie latine
étudiée dans la tradition de ses formules et de ses formulaires, 2), Paris, 1912,
pp. 235·244.
13 Voir les études de CAGIN et de F. HAMM, Die liturgischen Einsetzungsbe-

richte im Sinne vergleichender Liturgie-Forschung untersucht (Liturgiegeschicht-


liche Quel/en und Forschungen, 23), Mlinster in West. 1928.
li!. CATERGIAN-DASHIAN, Die Liturgien bei den Armeniern, pp. 197 et 662.

" Id., pp. 244-245 et 222.


LA PÉNITENCE DANS LES ANAPHORES ARMÉNIENNES 215

J'intervention de l'Esprit est sollicitée pour que la réception du


corps et du sang du Christ serve à la rémission des péchés. Le
pardon est ainsi présenté, conformément à la théologie épiclé-
tique, comme un fruit de la communion. La deuxième prière
dans laquelle reviennent avec insistance les demandes d'indul-
gence est celle que nous appellerons « prière d'intercession ,). A
l'issue des mémoires et avant le cycle de la communion, cette
oraison est la plus évocatrice des effets pénitentiels de J'eucha-
ristie. Nous mentionnerons aussi la {( prière d'inclinaison ), orai-
son pour J'inclinaison des têtes qui suit le Pater. Cette prière,
qui est une véritable bénédiction, est orientée vers la commu-
nion au saints mystères:
dans J'épiclèse de la liturgie d' Athanase: Que de ce
pain et de ce vin tu fasses véritablement le Corps et le
Sang de notre Seigneur ... afin que ceci (le Corps et le
Sang) soit non à condamnation 16, (mais) po"r l'exPia-
tion et la rémission des péchés 17;
dans la prière d'intercession de J'anaphore de Jean
Chrysostome: rends-nous dignes de communier à ton re-
doutable et céleste mystère, à cette table sacerdotale et sPi-
rituelle, avec une conscience sincère, pour la rémission
des péchés, et l'expiation des transgressions et la com-
munion à ton Esprit Saint lB;
dans les prières avant la communion des anaphores
de Basile, de Jean Chrysostome et d'Athanase: le Corps,
dispensateur de vie et immortel, nous est distribué pour
l'exPiation et la rémission de nos péchés 19;
dans la même prière de l'anaphore de Cyrille d'Ale-
xandrie, le texte est plus évocateur encore: nous com-
munions 20 saintement au saint corps et au sang de notre
Seigneur et Sauveur, Jésus Christ qui, descendu du ciel,
nous est distribué; (il est) vie et résurrection, expiation
et rémission des Péchés 21.

HI Cf. 1 Cor. 11,27-29.


17 CATERGIAN-DASHIAN, op. cit., p. 686.
lB Id., p. 377 .
.. Id., pp. 213, 380 et 713.
20 Litt.: nous goûtons.

21 CATERGIAN-DASHIAN. op. cit., p. 266.


216 ATHANASE RENOUX

L'expiation des Péchés


L'effet pénitentiel de l'eucharistie est aussi présenté fré-
quemment sous le seul thème de l'expiation (k'awut'iwn):
dans la prière sur les dons de l'anaphore de Jacques:
ceci est la victime divine qui exPiera et puri fiera les pé-
chés de tous ceux qui les 1eco nnaissent sincèrement 22;
dans la prière après la communion de l'anaphore de
Grégoire de Nazianze: Que la communion au corps et
au sang de ton Fils unique ... ne soit pas à condamna-
tion en raison de mes péchés, mais pour l'exPiation de
mes transgressions 23;
dans la prière (, au milieu de l'église., 24 de l'anaphore
d'Ignace: A ceux qui ont communié à ton Corps et à ton
Sang très saints, pardonne (litt.: exPie) leurs Péchés 25.

La rémission des Péchés


De même la demande de la rémission des Péchés (t' olut' iwn)
est fréquemment formulée seule:
dans la prière d'oblation de la liturgie d'Athanase: Toi,
Seigneur, à qui nous offrons 26 ce sacrifice, reçois de
nous cette oblation et parfais-la en sacrement du Corps
et du Sang de ton Fils unique. Donne ce pain et cette
coupe comme remède pour la rémission des Péchés 27;
dans les épiclèses des anaphores d'Ignace, de Jean
Chrysostome et de Sahak:
anaphore d'Ignace: Fais de ce pain le corps saint, le
corps dispensateur d'incorruptibilité, le corps sanctifica-
teur et purificateur, le corps de notre Seigneur, Dieu et

" Id., p. 437.


'" Id., pp. 253-254.
:,H. C'est ainsi qu'est appelée la dernière prière de l'anaphore.

25 CATERGIAN-DASHIAN, op. cit., p. 410.


26 Litt.: nous immolons.

27 CATERGIAN-DASHIAN, op. cit., p. 674. L'évêque arménien Xosrow


d'Aujewac'i (t 965) écrit à propos de ce texte dans son Commentaire des p1'iè-
t'es de la liturgie: « Je t'en supplie, dit-il (le prêtre), que ton sang précieux qui
a purifié l'univers nous sanctifie nous aussi, et que l'Esprit Saint vienne sur
nous, pour que. nous aussi, nous soyons participants de ces dons divins, et
que purifiés du péché et remplis de l'Esprit Saint, nous te rendions de dignes
actions de grâces pour tes bienfaits» (Meknut' iwn Motie' pataragin', Venise
1853, p. 6).
LA PÉNITENCE DANS LES ANAPHOlcES ARMÉ~IENNES 217

Sauveur, J és"s Christ, pour la rémission des Péchés et


pour la vie éternelle de ceux qui s'en approchent avec foi
(même formulation pour la coupe) 28;
anaphore de Jeau Chrysostome: Envoie ton Esprit Saint
sur nous et sur ces dons ici-présents et lais de ce pain
le corps précieux de ton Christ .. , afin que ceci soit pour
ceux qui y particiPent purification des âmes, rémission
des Péchés, communion à ton Esprit Saint ... 29 ;
anaphore de Sahak: .. .q'," manger et boire cela ne soit
pas pour le iugement et la condamnation, mais pour le
salut des âmes et des corps et la rémission de (nos) tran;-
gressions, afin que nous trouvions miséricorde au four
de la manifestation ";
dans la première mémoire de l'anaphore d'Ignace d'An-
tioche et dans la prière d'intercession de l'anaphore
de Cyrille d'Alexandrie: Et maintenant nous te deman-
dons la rémission des Péchés et la sain.teté de nos corps 31;
dans la prière d'inclinaison de l'anaphore de Basile:
et rends-nous dignes, sans être condamnés, de particiPer
à ce mystère sans tache et vivifiant pour la rémission
des Péchés 32;
dans la prière après la communion de l'anaphore de
Grégoire l'Illuminateur: que cela (le corps et le sang
de ton Christ) soit pour la restauration des âmes et des
corps, pour la rémission des péchés, pour la réception
de ton Esprit Saint 33;
anaphore de Sahak: Avec foi, ie communie au corps
du Christ, dispensateur de vie et de salut, pour la ré-
mission de mes Péchés 34;
anaphore de Cyrille d'Alexandrie: nous te prions et nous
te demandons, Seigneur, d'accorder que cela (soit) non
pour notre condamnation, (mais) pour la rémission des

" Id., pp. 397-398.


" Id., pp. 373-374.
'" Id., p. 231.
" Id., pp. 265 et 398.
MId., p. 212.
" Id., p. 156.
" Id., p. 237.
'" là., p. 267.
218 ATHANASE RENaux

péchés, la délivrance des maladies et de la mort pré-


maturée 35,
Il apparaît donc, à la lecture de ce premier groupe de tex-
tes, que l'expiation et la rémission des péchés sont constamment
demandées et attendues de la réception de l'eucharistie. Une
condition pour participer à ce repas est formulée dans l'un de
ces textes: elle exige de celui qui communie, non pas d'être pur
de tout péché, mais de reconnaître son péché.

3. LES PÉCHÉS REMIS

Il faut se demander maintenant quels sont les péchés visés


par ces formulations des anaphores arméniennes. Remarquons
d'abord que le pardon sollicité n'est pas réservé à l'une ou l'autre
catégorie de péché; il est demandé pour tous les péchés. Les for-
mules de caractère universel, avec l'adjectif indéterminé ame-
nayn (= tout), reviennent fréquemment dans les anaphores de
Grégoire l'Illuminateur, de Basile, de Jacques et surtout de Jean
Chrysostome et d'Athanase:
purifie-nous de toute souillure de l'âme
(Grégoire l'Illuminateur, avant le Pater) 36;
pardonne-moi toutes mes transgressions,
purifie-nous de toute souillure de l'âme et du corps
(Basile, prière d'intercession) ";
purifie-nous de tout Péché, afin que nous soyons dignes
de communier... (Jacques, avant la communion) 38;
pardonne toutes mes transgressions
(Jean Chrysostome, prière du trisagion et prière
d'intercession) ";
purifie nos âmes et nos corps de toute souillure,
(id., prière des dons) 40;
purifie-moi de toutes mes oeuvres mortes
(id., avant la communion) 41.

" Id., p. 152.


" Id., pp. 209, et 211.
" Id., p. 447 .
.. Id., pp. 362, 376.
40 Id., p. 367.

oU Id., p. 303. Les mêmes textes se retrouvent dans la liturgie d'Athanase.


LA PÉNITENCE DANS LES ANAPHORES ARMÉNIENNES 219

Vocabulaire du péché
Les termes employés pour désigner les péchés sont multiples.
II y a d'abord le mot peu fréquent, sxalanank', la taute, l'erre-
ment, le manquement" dont on ne peut dire qu'il vise un cas
de faiblesse ou d'irréflexion, puisqu'il est utilisé, nous le ver-
rons, en des circonstances où la responsabilité est pleinement
engagée. Les termes les plus fréquemment employés sont les
suivants:
melk (un pluriel): le péché, &f'OCp-rljf'OCTOC, peccatum;
anawrënut' iwn: l'iniquité, &\lO(LLrt:, iniquitas, le mépris
de la loi;
- yanc' ank': la transgression, 7tOCp.i~oc",ç;
plcut'iwn, altelut'iwn: la souillure, l'effet du péché, ter-
mes toujours employés pour désigner les {( souillures
de l'âme et du corps »;
mereloti: les oeuvres mortes, terme repris des Hébreux'"
(VEXpWV lpy6.1v).
II ne s'agit pas, on le voit, de vocables qui viseraient des
fautes de légèreté ou de faiblesse. Ces termes, classiques dans
la Bible pour parIer du péché formel, peuvent certes les désigner,
mais ils font penser aussi à de véritables actes humains.

Les tautes graves


Une dernière étape de notre lecture des textes des anapho-
res arméniennes nous montrera précisément la nature du péché
que recouvrent ces termes. Toutes les appellations que nous ve-
nons d'énumérer sont jointes, en effet, à deux qualifications qui
déterminent les aspects subjectifs de la faute. Voici les textes:
Anaphore de Jean Chrysostome: prière du trisagion:
Toi, Seigneur, reçois de la bouche de pécheurs, l' hymne
du trisagion et conserve-nous en raison de ta bonté. Par-
donne-nous toutes nos transgressions volontaires et invo-
lontaires (kamay ew akamay). Sanctifie nos âmes et nos
corps ......

Id., p. 404, prières d'intercession de l'anaphore d'Ignace .


.:il

.. Hébr. 6,1; 9,14.


'" CATERGIAN-DASHIAN, op. cit., p. 362.
220 ATHANASE RENOUX

Le texte de l'anaphore byzantine de Chrysostome qui a


servi de modèle au texte arménien est identique:
cruyxo,P'1crov ~fLLV 7tOCV 7tÀ'1fLfLéÀÀ'1fL'"
e:xoucnôv 'TE xcd &:xoucnov ... 45.
Anaphore d'Athanase, prière du trisagion (même texte) ".
Anaphore de Grégoire l'Illuminateur, mémoire:
Souviens-toi aussi de moi, Seigneur, (qui suis) indigne
et pécheur, aie Pitié, bénis et remets-moi mes Péchés vo-
lontaires et involontaires (kamayn ew akamayn) , et, à
cause de mes péchés, n'écarte pas la grâce de ton Esprit
Saint de l'offrande présente ".
Anaphore de Basile, mémoire:
Souviens-toi, Seigneu.r, en ta grande miséricorde, de '11wn
indignité et pardonne-moi toutes mes transgressions volon-
taires et involontaires (kamay ew akamay) , et n'éloigne
pas de ces dons, à cause de mon indignité, la grâce de ton
Esprit Saint 4'.
Ces deux textes s'inspirent évidemment de l'ana-
phore byzantine de Basile, aux diverses étapes
de son histoire".
Anaphore de Jean Chrysostome, mémoire: (même texte) 50.
Anaphore d'Ignace d'Antioche, prière d'intercession:
Dieu, accorde le repos, exPie, remets nos Péchés et nos
fautes ainsi que les leurs 51, (celles qui sont) volontaires
et involontaires (kamay ew akamay) (commises) sciem-
ment et dans l'ignorance, (gitut'ean' ew angitut'ean) 52.

45 F.E. BRIGHTMAN, Liturgies eastel'n and western, Oxford, 1896, p. 313.


46 CATERGIAN-DASHIAN, op. cit., p. 654.
" Id., p. 146.
" Id., p. 209.
-ID H. ENGBERDING, Das anaPhorische Fiirbittgebet der iilteren arJnenischen
Basiliusliturgie, dans Oriens Ckristianus 51 (1967), pp. 29-50.
60 CATERGIAN-DASHIAN, op. cit., p. 376.
51 Celles des fidèles.

62 CATERGIAN-DASHIAN, op. cit., p. 404. Le texte de l'anaphore syriaque


de saint Ignace débute de la même façon, mais E. RENAUDOT, Liturgiarum
orientalium Collectio, t. 2, Paris 1716, p. 223, n'en donne que les deux: pre-
miers mots.
LA PÉNITENCE DANS LES ANAPHORES ARMÉNIENNES 221

Anaphore de Jacques, prière d'intercession:


Rends-nous tm~s dignes de nous réiouir en ton royaume
avec Abraham, Isaac et Jacob, et remets-nous nos jautes
volontaires et involontaires (kamay ew akamay), (commi-
ses) sciemment et dans l'ignorance (gih,t'ean ew angit,<t'ean),
en paroles et en actes, en pensées et en esprit, et remets
tous nos Péchés 53,
La première partie de ce texte, jusqu'à la men-
tion incluse des fautes commises sciemment et
dans l'ignorance, se lit dans l'anaphore grecque
et syriaque de Jacques 54,
Anaphore de Sahak, prière d'inclinaison ",
Nous bénissons ta ven~e, sainte et vivifiante, Fils unique
de Dieu, notre Seigneur et Jésus Christ, et nous te prions:
là où nous avons péché, volontairement et involontairement,
(kamaw in,,' ew akamay), sois indulgent et pardonne-nous
par l'intercession et la grâce de ton saint corps et de ton
sang 56.
Dans ces trois dernières catégories de prières - pnere du
trisagion, prière d'intercession et prière de l'inclinaison - les
péchés dont on demande le pardon sont qualifiés de péchés vo-
lontaires et involontaires, commis sciemment et dans l'ignorance.
Ces distinctions qui ont leur origine dans le Lévitique et les N om-
bres" sont bien connues de la tradition ancienne, puisqu'elles
apparaissent dès Clément de Rome, Clément d'Alexandrie et Ori-

63 CATERGIAN-DASHIAN, op. cit .. p. 446. Dans toutes les anaphores ar-

méniennes, sauf celle de Grégoire de Nazianze et de Sahak, cette prière avant


le Pater est une demande de. rémission des péchés. Nous n'avons traduit que
les plus caractéristiques.
t.4 B.-Ch. MERCIER, La liturgie de saint Jacques (Patrologia Ot'ientalis,
t. 26, fasc. 2) Paris 1950, p. 222; O. HEl MING, Anaphot'a syt'iaca sancti lacobi
fralt'is Domini (Anaphorae Syriacae, vol. 2, fasc. 2, Roma 1953, pp. 168-169).
55 Xonarhman alawt'k',

66 CATERGIAN-DASHIAN, op. cit., p. 236. On ne cannait aucune anaphore,

grecque ou syriaque, ressemblant à cene de Sahak, mais Catergian" cite de


nombreux textes de Grégoire de Nazianze, proches des textes de l'anaphore
ou de sa théologie.
~7 Liu. 4.2-27; Nb. 15,20-31.
222 ATHANASE RENOUX

gène, comme l'a étudié le Père Ligier dans une vaste enquête 58.
A une époque où la pénitence publique était en vigueur pour
des fautes spéciales, cette demande de pardon en faveur de pé-
chés volontaires et commis sciemment permettait, semble-t-iI, l'ac-
cès de la table eucharistique à des fidèles qui pouvaient être cou-
pables de péchés graves, différents toutefois de ceux qui faisaient
entrer dans la catégorie des pénitents.

4. EUCHARISTIE ET SACREMENT DE PÉNITENCE

Les textes des anaphores arméniennes, traductions et adap-


tations de textes grecs et syriaques plus anciens, enseignent donc
que l'eucharistie possède une valeur pénitentielle. Elle remet
d'une part les fautes d'inadvertance et de jragilité, et d'autre
part des transgressions et des péchés volontaires et conscients,
ceux que nous appelons graves.
Ces affirmations sur la portée pénitentielle de l'eucharistie
n'ont, bien entendu, jamais rendu inutile, ou fait disparaître le
sacrement de pénitence dans l'Eglise arménienne. II existe, dans
les rituels imprimés, actuels ou anciens, un rite de la confession
privée" où l'on pense déceler des influences syriennes et la-
tines 60. Une lettre du patriarche Jacobite Jean X au catholicos
arménien Grégoire II (1065-1105) fait allusion à l'existence de
ce rituel ", mais le Pénitentiel de David de Ganjak (t 1139/1140)
suppose encore certaines formes de la pénitence publique 62.
Au Xe siècle, l'évêque Xosrow (t 965), commentant la for-
mule de renvoi des catéchumènes précédant l'anaphore, écrit
dans Son Commentaire des prières de la Liturgie: (1 C'est une in-
jonction de sortir, adressée aux catéchumènes, s'il s'en trouvait,
à ceux dOnt la foi chancelle ou qui n'auraient pas encore accom-

MI Voir l'enquête de L. LIGIER. Le sacrement de pénitence selon la tra-


dition orientale, pp. 943-944.
6\1 H. DENZINGER. Ritus orientalium Coptarum Syrorum et Armenorum
in administrandis sacramentis, Graz, 1961 (réimpression anastatique). pp.
471-474.
60 A. RAES, Les rites de la pénitence chez les Al'méniens, dans OrientaUa

Christiana Periodica 13 (1947), pp. 648-655.


" Id .• p. 652.
82 The Penitential of David of Ganjak. edited and translated by C.] .F.
DOWSETT (Corpus Scriptorum ChristianOt'um Orientalium. vol. 216-217) Lou-
vain, 1961.
LA PÉNITENCE DANS LES ANAPHORES ARMÉNIENNES 223

pli la pénitence de leurs péchés. Car lorsque les oblations du pain


et du calice viennent sur l'autel sacré, les cieux s'entr'ouvrent ...
Voilà pourquoi l'on congédie par cette proclamation ceuX qui
n'ont pas été sanctifiés par le baptême ou purifiés par la péni-
tence, ainsi que ceux qui ne sont pas affermis dans la foi. 63.
Plusieurs manuscrits ont un texte de Xosrow un peu différent
et parlent du renvoi des catéchumènes, des pénitents et des im-
purs '4. La pénitence publique était donc alors encore en vigueur
(xe siècle). et c'est par elle que ces catégories de chrétiens étaient
préparées à la réception de l'eucharistie, si l'on en croit ce texte.
Comment étaient remises alors les fautes qui ne relevaient pas
de cette pénitence publique?
Au VIlle siècle, les écrits du catholicos Jean d'Awjun (650-
729) et particulièrement les canons du concile de Dwin en 719,
premier essai sans doute d'une collection canonique arménien-
ne ", témoignent aussi de l'existence d'une pénitence publique
pour certains péchés 66. La Bibliothèque des Pères Mékhitaristes
de Venise conserve un manuscrit arménien du IXe siècle, le nO 457,
qui possède un rituel de cette pénitence publique ". Enfin des
recherches récentes font apercevoir l'existence d'ordines péniten-
tiels particuliers, plus anciens encore (VIle s.), ayant pour but
d'introduire des hérétiques dans la catégorie des pénitents publics ".
L'existence très ancienne, en Arménie, d'une pénitence publi-
que pour certaines catégories de péchés - apostasie, homicide,
adultère, péchés contre nature - ne peut être mise en doute.
Existait-il, en plus de ce rite, une confession privée pour toutes
les autres fautes? Ce n'est pas impossible, mais il est difficile

63 Xosrow d'Alljewac'i episcoposi, Meknut'iwn alot'ic' Pataragin. Venise,

1869, pp. 12-13 .


.. Id., p. 13.
65 J. LEBON, Sur un concile de Césarée. dans Le Muséon 51, (1938), pp.
89-132; J. MÉCÉRIAN, Bulletin Arménologiq·ue (Premier Cahier). dans Mé-
langes de l'Un;versité Saint JosePh, 27 (1947-1948), pp. 197-198.
66 Jean d'Awjun, Matenagrut'iwnnk', Venise, 1953, pp. 35 et 38. canons

2. 3. 16. Le canon 16 fait allusion à la discipline canonique concernant les


adultères.
67 Le texte de ce rite pénitentiel a été traduit par F.-C. CoNYBEARE.
Rituale Armenorum for the Administration of the Sacraments, Oxford, 1905,
pp. 190-220.
611 M.F. LAGES, The most ancient Penitential Text of the Armenit.m Li-
turgy, dans Didaskalia 1 (1971), pp. 43-64.
224 ATHANASE RENOUX

de le préciser, puisque ce n'est qu'à partir du XIe siècle, semble-


t-il, qu'apparaissent quelques témoignages concernant cette pra-
tique.
Quels qu'aient été d'ailleurs les usages en vigueur, on ne
peut pas ne pas s'interroger sur les prières que nous venons de
lire, lorsqu'elles demandent la rémission de péchés conscients et
volontaires, non soumis à la discipline de la pénitence publique
en vigueur à l'époque oÙ ces anaphores furent créées. Ces tex-
tes, reflets pour la plupart des liturgies grecques et syriaques
qui se constituèrent aux IVe et Ve siècles, enseignent que l'on
pouvait obtenir l'absolution de fautes, même graves, à l'inté-
rieur de la célébration de l'eucharistie. Ces affirmations n'ont
rien d'hétérodoxe. En rappelant la valeur propitiatoire de la
messe, elles la situent dans la ligne de la Cène telle que la pré-
sente l'évangile de Matthieu: (l ceci est mon sang, le sang de l'Al-
liance qui va être réPandu pour une multitude, en rémission des
Péchés. 69 • Les conditions de la réception de ce pardon sont aussi
rappelées aux fidèles qui communient; en reconnaissant leurs fau-
tes, ils font preuve d'une véritable contrition. Le contenu théo-
logique des anaphores arméniennes est donc en accord avec celui
des textes des autres Eglises d'Orient.

En Calcat. Ch. Athanase RENOUX

II~ Mattk. 26,28.


LA RÉMISSION DES PÉcHÉs SELON LA DIDACHÈ"

A premlere vue, l'écrit que j'ai choisi pour mon étude, la


Didachè, ne semble guère nous fournir de renseignements sur
la rémission des péchés.
Expressis verbis, la rémission des péchés n'est mentionnée
que trois fois dans la Didachè:
a) Dans l'enseignement des « Deux Voies », qui remonte
à un modèle juif, dit-on, en rapport avec l'aumône: « Si tu pos-
sèdes (quelque chose) par (le travail de) tes mains, donne-le en
rémission de tes péchés ') (4,6) 1. L'idée d'un rachat des péchés
par la bienfaisance est courante dans la tradition juive 2; elle
reparaît dans les textes chrétiens'. L'inconvénient de cette éthi-
que selon le schéma do ut des, est décrit en Did. 1,5: celui dont
le bilan des bonnes oeuvres se solde par un déficit, sera jeté en
" prison» d'où il ne sortira pas jusqu'à ce qu'il ait rendu le der-
nier centime 4.
b) En Did. 8,2, le Notre Père est cité. Il contient la de-
mande pour la rémission des péchés sous une forme particulière:
{< Remets-nous notre dette, comme nous remettons aussi la leur

à nos débiteurs» '. Et l'on demande aux chrétiens de prier trois


fois par jour le Notre Père (8,3). C'est une indication nette que
le Notre Père a remplacé la prière quotidienne juive '.

* Cette relation a été publiée aussi dans l'Yénikon, 46 (1973) 283-297.


(N. d. 1. R.).
1 Ainsi la version du manuscrit découvert par Brycnnios (cf. Cano apost.

13); Barn. 19.10 (cf. Epitome des Cano Apost.; Const. Apost. VII, 12.2) lit:
po'ur le rachat de tes péchés. Docty. apost. 4.6 rattache le verset à la suite: si
habes per manus tuas redemptionem peccatorum, non dubitabis daye.o.
2 Cf. Provo 10,12; 16,6; Tob. 12,9.

3 1 Pierre 4,8; II CZém. 16,4; POLYCARPE, Phil. 10,2.

4. Il serait intéressant d'écrire l'histoire de l'exégèse de Matth. 5,26, par.

Pour TERTULLIEN, De anima 35; 58; De orat. 7, la «prison» signifie le purga-


toire, et les dettes signifient les péchés. Pour le gnostique Carpocrate, les det-
tes sont, au contraire, les péchés qu'on n'a pas commisl (cf. IRÉNÉE, Adv.
haey. I, 25,4).
1) Elle a. été adoptée dans la traduction oecuménique allemande du Notre

Père.
6 Cf. J. JEREMIAS, «La prière quotidienne dans la vie du Seigneur et
dans l'Église primitive f), dans la Prière des heures (Lex Qrandi, 35), Paris,
1963, pp. 43-58.
226 WILL Y RORDORF

c) Enfin. nous rencontrons le terme de « rémission des


péchés ') dans un passage à propos des prophètes, en Did. 11,7:
(, Par ailleurs vous n'éprouverez aucun prophète qui parle sous
(l'inspiration de) l'esprit et vous ne le jugerez pas non plus. Car
tout péché sera remis, mais ce péché-là ne le sera pas '}. Helmut
Kaster 7 a déjà constaté que la version de la parole sur le péché
irrémissible, que nous trouvons dans la Didachè, semble être plus
ancienne que celles contenues dans les évangiles synoptiques,
car c'est une tradition juive de considérer la critique de l'esprit
prophétique comme un blasphème. Si cette constatation était
exacte, nous pourrions conclure du fait que la Didachè récuse
le « discernement)} de l'esprit prophétique, que ce texte est très
ancien 8,
Ce sont les trois seuls passages de la Didachè qui mention-
nent explicitement la rémission des péchés. C'est d'autant plus
étonnant que le chapitre 7 parle du baptême. La Didachè n'au-
rait-elle pas compris le baptême comme baptême pour la ré-
mission des péchés? Mais ce serait trop s'appuyer sur l'argu-
mentum e silentiD. Le sacrement de l'initiation chrétienne a son
Origine dans le baptême de Jean-Baptiste et en a hérité le ca-
ractère: la rémission des péchés '. L'administration du baptême
dans la Didachè doit avoir le même sens. Nous avons même deux
allusions dans le texte que tel est bien le cas: 1) A la fin de la
(, Voie de la mort )} qui était enseignée aux catéchumènes, d'après
Did. 7,1, on dit: (, Puissiez-vous '0, enfants, être délivrés de tout
cela (c.-à-d. de tous les péchés énumérés)} (5,2). Cela semble

7 H. KaSTER, Synoptische Uebe1'lieferung bei den Apostolischen Viitern


(Texte u. Untersuchungen, 65), Berlin, 1957. p. 21585.
8 Le critère du jugement du prophète est uniquement d'ordre moral,

comme en Matth. 7,1555. Sur le prophétisme dans le christianisme primitif,


voir É. COTHENET, art. (! Le prophétisme dans le Nouveau Testament ), dans
Supplément au Dictionnaire de la Bible, VIII, Paris, 1971. col. 1222~1337.
Il Ne mentionnons, à ce propos, que les travaux récents de G. KRETSCH-
MAR, Die Geschichte des Taufgottesdienstes in der alten Kirche (Leiturgia, V),
Kassel, 1970; A. HAMMAN, Baptême et Confirmation, Paris, 1969; A. BENOîT,
{ILe baptême. Sa célébration et sa signification dans l'Église ancienne», dans
A. BENOîT-B. BOBRINSKOY-F. COUDREAU, Baptême. Sacrement d'Unité, Tours,
1971.
10 J.-P. AUDET. La Didachè. Instruction des Apôtres (Études Bibliques)
Paris, 1958, p. 232, a voulu corriger cet optatif aoriste; cf. la critique justi-
fiée de B. BOTTE, dans Bull. de théol. anc. et méd. VIII (1958), p. 168.
LA RÉMISSION DES PÉCHÉS SELON LA DIDACHÈ 227

être dit en vue du baptême qui est la promesse de cette délivrance.


2) Les candidats au baptême sont tenus de jeûner un ou deux
jours, avant le baptême (DU. 7,4). Ce jeûne avait la significa-
tion d'une préparation, dans la prière, à la rémission des pé-
chés accordée par le baptême ".
Apparemment, la Didachè ne contient donc pas beaucoup
de renseignements sur la rémission des péchés. Mais ce n'est
qn'une impression. Dès que nous élargissons quelque peu le champ
d'investigation et que nous étudions aussi ce que la Didachè nous
dit sur la confession des péchés, la pénitence et la réconcilia-
tion des frères, notre texte se révèle être assez riche; il est à même
de jeter une nouvelle lumière sur le sens profond de la rémis-
sion des péchés commis après le baptême.

1. CONFESSION DES PÉCHÉS,


PÉNITENCE ET RÉCONCILIATION DES FRÈRES

Nous avons à étudier pour ce sujet, trois passages de la Di-


dachè qui sont parallèles, et qui s'expliquent mutuellement:
Did. 4,14: (, Dans l'assemblée 12, tu confesseras tes fautes,
et tu n'iras pas prier avec mauvaise conscience)}.
Did. 10,6: (' Que la grâce l' vienne et que ce monde passe!
Hosanna au Dieu 14 de David! Si quelqu'un est saint, qu'il vien-
ne! Si quelqu'un ne l'est pas, qu'il fasse pénitence! Maranatha!
Amen l),

11 Cf. JUSTIN MARTYR, Apologie l, 61,2: «Alors nous leur apprenons


(c.-à-d. aux catéchumènes) à prier et à demander à Dieu, dans le jeûne, la
rémission de leurs péchés, et nous-mêmes, nous prions et nous jeûnons avec eux »,
1l! A la différence des textes parallèles (Barn. 19,12; Cano apost. [version

courte, 11J; Ganst. apost. VII, 14.3; 17,1), la Didachè ajoute ev €xxÀ1JO(if et rap-
proche par là ce passage du chap. 14; cf. S. GIET, dans Rev. droit cano 17 (1967)
pp. 26 sc;. De toutes façons le verset semble être une addition au ~ Chemin
de la Vie ».
la La version copte lit ~ Seigneur)) au lieu de ~ grâce 1).
14. La version copte lit « maison!) au lieu de «Dieu »; Les Canst. apost.

(VII, 26,5) lisent « Fils» au lieu de (1 Dieu », en suivant Matth. 21,9. La ver-
sion copte semble avoir conservé le souvenir de la signification primitive de
Hosanna: ~ Viens donc au secours! ); cf. aussi M. DIBELIUS, Botschaft ~nd
Geschichte. Gesammelte Aufsatze, II, Tubingue, 1956, p. 126; et J.P. AUDET,
op. cit. (p. 138, n. 10). pp. 6255.
228 WILLY RORDORF

Did. 14,1-2: « Le jour dominical du Seigneur, rassemblez-


vous pour rompre le paiD et rendre grâce, après avoir en outre 15
confessé vos péchés pour que votre sacrifice soit pur. Mais tout
homme qui a un différend avec son compagnon ne se joindra
pas à vous avant de s'être réconcilié, de peur que votre sacri-
fice ne soit profané).

Ces textes nous apprennent deux choses:


1. Au cours de l'assemblée eucharistique, le dimanche, on
faisait une confession des péchés publique et communautaire.
On ne nous dit pas à quel moment du déroulement de la litur-
gie cette confession avait lieu; le participe de l'aoriste 7tpOO"EÇO!,-O-
ÀOY~O"&!,-EVOL indique seulement qu'on la faisait avant la commu-
nion, ce qui va de soi. On ne nous dit pas non plus en quoi elle
consistait. Une seule chose est certaine: il ne s'agissait pas d'une
prière individuelle et détaillée de pénitence, mais d'une prière
de la communauté 16. Mais ce n'était pas le Notre Père, puis-
qu'on le récitait trois fois par jour, comme nous l'avons vu. Or,
la Prima Clementis nous a conservé une prière communautaire
de la confession des péchés qui peut nous donner une idée de
ce qu'était la prière de la Didachè: « ... (Dieu) miséricordieux et
compatissant, pardonne-nous nos iniquités et nos injustices, nos
fautes et négligences. Ne tiens compte d'aucun péché de tes ser-
viteurs et de tes servantes, mais purifie-nous de la purification
de ta vérité, et dirige nos pas afin que nous marchions dans la
sainteté du coeur et que nous fassions ce qui est bon et agréable
à tes yeux) 17.
2. IVIais la confession des péchés, même sincère, n'était
pas toujours une préparation suffisante à la communion. Un
membre de la conlIDunauté pouvait ne pas se sentir assez digne
pour participer au repas eucharistique. Did. 10,6 nous le fait

15Il n'est pas nécessaire de changer 1tpoad~o[J.oÀoYllO'&[.Le\lOL en 1tpoeçoj.Lo-


comme v. Gebhardt-Harnack l'ont proposé; ils ont été suivis
ÀOYllO'&:j.LE\lm,
par la plupart des éditeurs de la Didachè.
16 Cf. B. POSCHMANN, Paeniteni"ia secunda (Theophaneia, 1) Bonn, 1940
(réimpr. 1964), pp. 895S.; C. VOGEL, Le pécheur et la pénitence dans l'Église
anc·ienne, Paris, 1966, p. 15.
17 Chap. 60,1-2; traduction d'A. JAUBERT, dans Sources chrétiennes, 167,
1971, p. 199.
LA RÉMISSION DES PÉCHÉS SELO::-:r LA DIDACHÈ 229

penser: « Si quelqu'un est saint, qu'il vienne! Si quelqu'un ne


l'est pas, qu'il fasse pénitence!) La « sainteté)) exigée ici pour
ceux qui veulent communier n'est pas le baptême lB. De tou-
tes façons, les non-baptisés sont exclus de l'eucharistie, précise
Did. 9,5. Le verbe l-'eT<xvoiLv doit donc ici s'entendre non de la
conversion qui mène au baptême, mais de la pénitence qui peut
rendre au chrétien baptisé la sainteté perdue.
Pourquoi la participation à l'eucharistie exige-t-elle du chré-
tien une sainteté individuelle? La Didachè nous donne deux ré-
ponses: d'une part, puisque le Dieu saint est présent parmi les
siens quand ils sont assemblés pour prendre part au repas eucha-
ristique, il faut qu'ils soient conscients de cette présence; d'autre
part, puisque l'eucharistie est le sacrifice de la communauté, il
ne faut pas qu'il soit profané par le péché d'un membre. Voyons
ces deux affirmations de plus près:
alLe conseil donné en Did. 10,6, à celui qui ne serait
pas saint de ne pas prendre part à la communion est encadré
par cette prière: "Que la grâce vienne et que ce monde passe!
Hosanna au Dieu de David! 1) et par l'acclamation: (1 Marana-
tha! ". On n'aurait pas tort d'affirmer que les deux prières sont
entièrement eschatologiques, tournées vers l'accomplissement final
de toutes choses 19. Mais il me semble que la version copte de
la Didachè n'a pas trahi le sens profond de ce passage, en le ren-
dant ainsi: (1 Que vienne le Seigneur, et que passe ce monde! ... Le
Seigneur est venu ) 20. L'acclamation maranatha serait donc l'exau-
cement de la prière du début: Le Seigneur est maintenant pré-
sent lors de l'eucharistie. Et pour cette raison, il faut s'appro-

18 Contre A. HARNACK, Die Lehre det' zwolf AposteZ (Texte u. Untet's., 2),
Leipzig, 1884, p. 36, qui a été suivi par beaucoup d'autres; aussi par J.P. Au-
DET, op. cit. (p. 138, n. 10), pp. 41355.
ID Cf. par ex. G. RAUSCHEN, Eucharistie und Bussakrament in den ersten

sechs jahrhunderten der Kirche, Frciburg im Breisgau, 2 e éd. 1910, p. 98, note 2;
et récemment B. BOTTE, «Maranatha », dans Noe"l, Épiphanie, Retout' du Christ
(Lex Grandi, 40) Paris, 1967, pp. 25-42 (mais le P. Botte n'exclut pas pour
autant la traduction: (t Le Seigneur est venu »).
aD Chacun sait que maranatha peut aussi être traduit de cette manière.
Sur l'ensemble du problème de cette prière araméenne, cf. par ex. K.G. KUHN,
dans ThWbNT IV, pp. 470-475; Ferd. HAHN, Christologische Hoheitstitel. Ihre
Geschichte im IrUhen Christentum (Forsch. z. ReZ. u. Lit. d. AT u. NT, 88),
Goettingue, 2 e éd., 1964, pp. 100 ss.
230 WILL Y RORDORF

cher saintement de la table sainte 21, Nous retrouvons ici la pen-


sée paulinienne exprimée en 1 Cor 11,27 ss.: « C'est pourquoi,
quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indigne-
ment aura à répondre du corps et du sang du Seigneur. Que cha-
cun donc s'éprouve soi-même, et qu'il mange alors de ce pain
et boive de cette coupe; car celui qui mange et boit, mange et
boit sa propre condamnation, s'il n'y discerne le Corps)). La même
idée reparaîtra dans l'avertissement donné avant la communion:
'ra &Y'" 'ror, &:ylm, que nous trouvons pour la première fois, dans
les Constitutions apostoliques (VIII, 13,13) ".
b) En Did. 14,1.2, l'eucharistie est appelée &u"l<>.. N'en-
trons pas maintenant dans la discussion relative à la significa-
tion de ce «( sacrifice » 23. Ce qui importe pour nous, dans ce con-
texte, c'est que le sacrifice peut être profané. Déjà dans le pas-
sage du prophète Malachie qui est cité en Did. 14,3, la profa-
nation du sacrifice vient moins des offrandes mal choisies, que
des mauvais sentiments qui animent ceux qui offrent le sacri-
fice. Ce n'est pas étonnant dès lors que les auteurs chrétiens,
à partir de saint Irénée, sc soient référés encore à un autre exem-
ple biblique: à savoir au sacrifice d'Abel et de Caïn; l'un fut reçu
par Dieu grâce aux bons sentiments de son auteur, l'autre ne
le fut pas à cause de la jalousie et de la haine de Caïn ".
La Didachè elle-même confirme entièrement cette interpré-
tation, en continuant, en 14,2: « Tout homme qui a un diffé-
rend avec son compagnon ne se joindra pas à vous avant de s'être
réconcilié, de peur que votre sacrifice ne soit profané)). (Ce pas-
sage est supprimé en Const. apost. VII, 30,21). L'attitude pé-
nitentielle n'a donc pas seulement une dimension verticale, la

21 Cf. aussi C.F.D. MOULE, fJ A Reconsideration of the Context of Ma-


.anatha '. New Test. Stuà. 6 (1960), pp. 307-310.
aa D'ailleurs aussi en rapport avec le Benedicfus; et on précise, comme
le fait la version copte de la Didachè: (! Le Seigneur Dieu nous est apparu ».
Cf. la paraphrase du texte de la Didachè, en Const. apost. VII, 26,5.
Z3 Cf. J. DE WATTEVILLE, Le Sacrifice dans les Textes eucharistiques des

premiers siècles (Bibliothèque théologique), Neuchâtel-Paris, 1966, pp. 23 ss.;


W. RORDORF, (l Le sacrifice eucharistique) dans Theol. Zeitschr. 25 (1969).
pp. 335-353; M.R. TILLARD, « La qualité sacerdotale du ministère chrétien»
dans Nouv. Rev. théol. 95 (1973), pp. 50255.
2.4. Cf. IRÉNÉE, Adv. haer. IV, 18,3; CYPRIEN, De orat. dom. 24. Cet exem-

ple a passé dans le Canon romain: cf. déjà AMBROISE, De Sacram. IV, 27.
LA RÉMISSION DES PÉCHÉS SELON LA DIDACHÈ 231

confession sincère des péchés en face du Dieu saint, mais aussi


une dimension horizontale, la réconciliation entre les frères. Il
faut même dire davantage: le vrai empêchement qui exclut un
chrétien de la communion avec Dieu, n'est pas le fait d'être pé-
cheur (il le restera toujours!), mais le fait de ne pas être capable
de régler un différend qui le sépare de son frère. Aussi longtemps
que la réconciliation n'est pas faite, on n'est pas assez «saint ,)
et « pur) pour communier; on doit s'abstenir temporairement
de prendre part à l'eucharistie.
Did. 14,2 reprend directement la parole de Jésus en Mt 5,
23 s.: ,'Quand tu vas présenter ton offrande à l'autel, si là tu
te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là
ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec
ton frère; viens alors présenter ton offrande '). Mt 5,23 s. se si-
tue encore dans le cadre du Temple de Jérusalem 25; Did. 14,2
nous montre qu'on a vite adapté cette parole à la nouvelle si-
tuation du culte chrétien. On peut aussi citer llfarc Il,25, dans
ce contexte: «Et quand vous êtes debout en prière, si vous avez
quelque chose contre quelqu'un, pardonnez, pour que votre Père
qui est aux cieux, vous pardonne aussi vos fautes» (cf. Mt 6,
14 s.; 1 Tm 2,8). Ce texte confirme le fait que la réconciliation
entre frères était considérée comme une condition préalable au
pardon de Dieu ". En fait, nous savons que les chrétiens se don-
naient le baiser de paix, en signe de pardon mutuel, avant la
communion 27. Notre texte n'est pas sans rappeler la situation
de 1 Cor II,27 ss.: communier "dignement ,) veut dire commu-
nier avec respect pour ses frères, qui forment aussi le Corps du
Christ 28.

25 Cf. par ex. R. BULTMANN, Die Geschickte der. synoptischen Tradition


(Forsch. z. Rel. u. Lit. d. AT u. NT, 29) Goettingue, 7' éd., 1967, p. 140; P.
BONNARD, L'Évangile selon saint ll([atthieu, Neuchâtel-Paris, 1963, p. 64.
26 Cf. IRÉNÉE, Adv. kaer. IV, 18,1 et TERTULLIEN, De orat. 11; De pat.
12, qui citent tous les deux J.l1atth. 5,23 ss.
27 Cf. par ex. JUSTIN MARTYR, Apol. l, 65. A propos de ce problème,
cf. W. RORDORF, «La célébration dominicale de la sainte Cène dans l'Église
ancienne fi, Rev. théol. phil. 99 (1966) pp. 25-37.
28 Cf. H. LmTzMANN, dans Handb. z. NT, ad loc.~ H. CONZELMANN, dans
Krit.-exeg. Komm. NT, ad loe.
232 WJLLY RORDORF

II. DISCIPLINE COMMUNAUTAIRE

Jusqu'à présent, nous avons vu le côté individuel de la disci-


pline: si quelqu'un sait qu'il ne devrait pas communier, n'étant
pas en règle avec un frère, il est invité à en tirer lui-même la con-
séquence et à s'imposer l'abstention de l'eucharistie jusqu'à la
réconciliation. Car par son audace il ne mépriserait pas seule-
ment les (1 choses saintes ), mais aussi la communion des «per-
sonnes saintes ), de ses frères et soeurs en Christ, dont le sacri-
fice serait profané.
Mais il est clair que la discipline a forcément aussi un aspect
communautaire, déjà du fait qu'un frère qui s'abstient de l'eu-
charistie ne peut pas ne pas se faire remarquer. Bien que la Di-
dachè ne le dise pas explicitement, nous pouvons supposer qu'un
frère qui s'excommuniait lui-même, pour un temps, était spé-
cialement entouré de l'affection et de la prière de la communauté 29.
Or, il pouvait arriver qu'un frère coupable ne voulût pas
reconnaître sa faute, et que la communauté fût amenée, par
conséquent, à exercer une discipline communautaire à son égard.
Deux passages de la Didachè nous parlent de ce problème '":
Did. 4,3: «Tu ne créeras pas de dissension, mais tu récon-
cilieras ceux qui se combattent; tu jugeras avec justice et tu
ne feras pas acception de la personne pour corriger les fautes ».
Did. 15,3: (l Reprenez-vous les uns les autres, non dans la
colère, mais dans la paix, comme vous l'avez dans l'évangile;
et que personne ne parle à celui qui offense autrui, qu'il n'en-
tende pas un mot de vous avant qu'il n'ait fait pénitence ".
i. Le premier passage fait partie des D"ae Viae; il s'adresse
donc au catéchumène, à la deuxième personne du singulier. Il
s'agit, par conséquent, d'une discipline qui s'exerce dans un
cadre restreint, pour ainsi dire d'homme à homme ". Il est im-

29 Cf. Jacques 5,16; II Clém. 17,2.


30 Nous pouvons laisser de côté, d'une part les chap. 11-13 de la Di-
dachè qui parlent des chrétiens qui ne sont pas encore établis dans la com-
munauté locale, d'autre part Did. 2,7 qui n'a pas en vue la relation entre frè-
res, mais entre chrétiens et non-chrétiens (cf. A. HARNACK, op. cit. [p. 141,
n. 18J, p. 10). C'est la version des Const. apost. (VII, 5,3) qui a induit en er-
reur plusieurs commentateurs de la Didachè. On ne peut donc pas citer Jude
22 s., l Jean 5,16, Jacqrtes 5,20, etc. comme «parallèles» de Did. 2,7.
31 Ainsi, à juste titre, J.P. AUDET, op. cit. (p. 138, 11. 10), pp. 328 s.
LA RÉMISSION DES PÉCHÉS SELON LA DIDACHÈ 233

portant de se le rappeler, car on a voulu y reconnaître le « ju-


gement) des autorités ecclésiastiques, exerçant leur pouvoir des
clefs 32. En vérité nous sommes ici placés en face de la situa-
tion pour ainsi dire quotidienne où un chrétien est témoin du
différend qui sépare deux de ses frères. Il mettra tout en oeuvre
pour les réconcilier, se souvenant des conséquences que leur dif-
férend pourrait entraîner, à savoir l'exclusion de la communion
eucharistique. Il (< jugera, alors avec justice, c'est-à-dire qu'il
se fera une idée aussi objective que possible du cas, et s'il y a
faute évidente, il le dira ouvertement, sans faire acception de
personnes ". Il me semble que la version des «Deus Voies l) con-
tenue dans la Vie arabe de l'abbé Cheno1<te rend assez fidèlement
l'idée générale de notre passage quand elle dit 34: {< Mon fils, ne
participe pas à des querelles et des disputes entre frères, mais
essaie de rétablir la paix entre les querelleurs; juge ensuite avec
justice et n'aie pas peur de blâmer le coupable à cause de sa faute,
et le pécheur à cause de son péché ,. Chaque membre de la com-
munauté a le devoir d'intervenir quand il voit qu'un différend
commence à séparer des frères. S'il réussit, sa récompense sera
belle, comme le formule l'Épitre de Jacq,œs (5,19-20): {< Mes frè-
res, si quelqu'un parmi vous s'égare loin de la vérité et qu'un
autre l'y ramène, qu'il le sache: celui qui ramène un pécheur
de ses égarements sauvera son âme de la mort et couvrira une
multitude de péchés, 35.

32 Citons B. POSCHMANN, op. cit. (p. 140, n. 16), pp. 955.: « Zurechtwei-

sen und Strafen des Sünders erscheint grundsatzlich aIs Pflicht aller Glau-
bigen. Indes ergibt es sich aus der Natur der Sache und ist auch aus der Form
der Anweisung selbst unschwer zu ersehen, dass letzten Endes das "Richten"
doch bei einer Autoritat unter den Brüdern liegt. Die Mahnllng, "gerecht
zu richten" und bei der Zllrechtweisllng der Sünder "kein Ansehen der Per-
san" gelten zu lassen (Di 4,3; Barn 19.4) zielt offensichtlich zunachst aui Auto-
ritatspersonen. AIs solche werden Di 15,1 die "Bischofe und Diakone" ge-
nannt, und wenn von diesen gefordert wird, dass sie "mild, nicht geldgierig,
wahrheitsliebend" seien, sa sind das Eigenschaften, die sie gerade auch für
die richterliche Funktion brauchen ). Pmchmann lit Did 4,3 à la lumière de
POLYCARPE, Phil. 6,1!
as Cf. aussi 1 Thess. 5,13 s.
54 L.E. ISELIN, Eine bisher unbekannte Version des ersten Teiles der
(1 Apostellehre» (Texte u. Unters., 13) Leipzig, 1895, p. 7. (J'ai traduit de l'al-
lemand). Ici, il s'agit évidemment d'une communauté de moines.
35 J.P. AUDET, op. cU. (p. 138, n. 10), pp. 329 s., a voulu rattacher Did.
4,4 à 4,3; cf. la critique pertinente de P. PRIGENT-R.A. KRAFT, Épître de Bar-
nabé (Sources chrét., 172), Paris, 1971, pp. 201 s.
234 WILLY RORDORF

Le terme crx[<1fLO:, en Did. 4,3, a une portée très limitée. Il


s'agit d'une dissension, d'une discorde entre frères qui peut me-
ner à une division 36, mais il n'est nullement question ici d'une
scission de la communauté en plusieurs partis. Dans toute la
Didachè, nous ne trouvons pas la moindre allusion à une « secte »
ou à une «hérésie» particulière. En cela, elle se distingue pro-
fondément des écrits à peu près contemporains qui visent les
difficultés des Églises de Corinthe et d'Asie-Mineure 3? La Di-
dachè nous décrit une communauté parfaitement unie. S'il y a
des problèmes d'entente, c'est une question de personnes et non
de factions os.
2. Dans la règle, un membre de la communauté peut «cor-
rigel » son frère sans faire appel à la communauté. Mais il y a
des cas plus graves où un seul n'arrive pas à convaincre son ou
ses frères de leur péché; ils concerneront alors toute la commu-
nauté. C'est la situation dont parle Did. 15,3. Le début: «Re-
prenez-vous les uns les autres, non dans la colère, mais dans la
paix» ne nous apprend rien de nouveau, par rapport à Did. 4,3,
sinon le fait que cet ordre se trouve « dans l'évangile ». Il est
extrêmement difficile de dire avec exactitude ce que le terme
EOo:yyi:ÀLO" signifie ici. La Didachè l'emploie quatre fois (8,2; Il,3;
15,3.4). Tandis qu'il s'agit, en Did. 8,2, et éventuellement en
Did. Il,3, d'une tradition évangélique qui n'est pas forcément
fixée par écrit, l'expression «( comme vous l'avez dans l'évan-
gile », en Did. 15, 3 et 4 doit s'entendre d'une source écrite ".
Mais cet «( évangile) n'est pas encore un de nos livres canoni-
ques. On a l'impression, d'après la manière dont cet « évangile
du Seigneur» est cité dans la Didachè, qu'il contenait unique-

" Cf. Jean 7,43; 9,16; 10,19.


37 Je pense aux Épîtres de Paul et de Clément de Rome adressées aux
Corinthiens, et aux lettres de l'Apocalypse de Jean (chap. 2-3) et d'Ignace
d'Antioche adressées à certaines Églises d'Asie Mineure.
38 QpTAT, Contra Parm. Don. l, 21, CSEL 26, p. 23, 1. 11 S., semble voir
la chose d'une manière différente quand il dit: denique inter cetera praeeepta
etiam haec tria iussio divina prohibuit: non oecides, non ibis post deos alienos,
et in caPitibus mandatorum: non facies scisma. (Doctr. apost. lit: non facies
dissensiones) .
59 C'est l'un des arguments de J.P. AUDET, op. cit. (p. 138, n. 10), pp.
112 S.; pp. 197 S., pour distinguer deux couches de rédaction à l'intérieur de
la Didachè: 1,1-11,2 (~ DI) et Il,3-16.B (~ D 2).
LA RÉMISSION DES PÉCHÉS SELON LA DIDACHÈ 235

ment des logia sur le comportement des chrétiens dans les si-
tuations concrètes de la vie 400, Nous savons aujourd'hui que ce
type d'évangile a aussi existé 41.
La suite: « Et que personne ne parle à celui qui offense autrui,
qu'il n'entende pas un mot de vous 4' avant qu'il n'ait fait pé-
nitence» va beaucoup plus loin 403. Nous voyons ici intervenir
la communauté tout entière contre un pécheur récalcitrant. En
rompant le contact avec lui, en l'entourant de silence comme
s'il était mort, on veut faire pression sur lui pour qu'il fasse pé-
nitence 44. Mais qu' a-t-il donc fait? Le verbe &.cr't'oxûv, construit
étrangement avec "OtT" et le génitif, ne nous donne guère le ren-
seignement désiré. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que la
faute se situe aussi sur le plan des relations entre frères, dont
parlent Did. 14,2 et 4,3. Nous ne sommes pas en mesure de dire
que la faute est particulièrement grave; on a plutôt l'impres-
sion qu'il s'agit d'un membre de la communauté qui ne veut
pas faire pénitence, malgré la réprimande, peut-être réitérée, de
la part d'un ou de plusieurs de ses frères.
Nous aurions donc ici un certain parallèle à Mt 18,15 ss.:
<, Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul
à seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. S'il ne t'écoute
pas, prends encore avec toi un ou deux autres ... Que s'il refuse
de les écouter, dis-le à la communauté. Et s'il refuse d'écouter
même la communauté, qu'il soit pour toi comme le païen et le
publicain ,). En effet, nous pouvons supposer que Did. 4,3 était
en quelque sorte étape intermédiaire entre Did. 15,3a et 3b: d'abord
on reprenait seul à seul son frère (15,3a); s'il n'écoutait pas, un
troisième faisait fonction de témoin et arbitre (4,3); s'il n'écou-
tait toujours pas, la communauté entière prenait des mesures

40 Cf. H. KaSTER, op. cit. (p. 138, n. 7), p. 10 s. Les autres passages
(lévangéliques" de la Didackè (1,3-6; 9,5; 11,7; 16) faisaient-ils aussi partie
de cet (l évangile»?
41 Cf. J.M. ROBINSON-H. K6sTER, Entwicklungslinien durch d'ie Welt
des frühen Christentums, Tubingue, 1972, en part. pp. 70ss.; 10755.; 147 ss.
42 Le changement du sujet est dur, mais on ne peut pas traduire avec

S. GIET, L'énigme de la Didachè, Paris 1970, pp. 244: «ni de votre part ne lui
prête l'oreille *, puisque (iKoue:~\I ne se construit pas avec le datif.
43 Les Const. apost. (VII, 31,3) laissent tomber ce passage.

« Quelque chose de semblable se trouve chez IGNACE, Smyrn. 7,2: (l Il


convient de vous tenir à l'écart de ces gens-là, et de ne parler d'eux ni en privé
ni en public li.
236 WILLY RORDORF

contre lui (15,3b). Jusque là, i! Y a correspondance entre le té-


moignage de la Didachè et l'Évangile de M atthiw. Mais notons
aussi la différence: tandis que, en Mt 18,17, l'exclusion du pé-
cheur récalcitrant semble être définitive, elle ne l'est pas, en
Did. 15,3b, où l'on espère qu'i! fera un jour pénitence. A cet égard,
le Manuel de disciPline qumranien, qui semble d'ailleurs être le
modèle de Mt 18,15-18 45 , me paraît être plus proche de la Di-
dachè que l'Évangile de Matthieu, puisque l'exclusion de la com-
munauté du frère coupable y est presque toujours limitée dans
le temps 4'. En outre, nous trouvons, dans le Mam<el de disci-
Pline, un frappant parallèle à Did. l5,3a, à savoir qu'i! faut re-
prendre son frère (1 non dans la colère, mais dans la paix 1) 47.
Serait-ce le signe d'une influence qumranienne sur la Didachè 48 ?
Le traité du pseudo-Cyprien Advers"s aleatores qui date pro-
bablement de la fin du IIIe siècle 49 cite, au chap. 4, la Didachè
de la manière suivante: In doctrinis apostolorum: (1 si quis trater
delinquit in ecclesia et non paret legi, hic nec colligatur, donec poe-
nitentiam agat, et non recipiatur, ne inquinetur et impediatur ora-
tio uestra >l. C'est un mélange assez curieux de Did. 4,14; 14,2
et 15,3 50 , qui confirme le processus disciplinaire que nous avons
essayé de retracer: un frère coupable qui ne se soumet pas au
jugement de la communauté 51, doit être retranché de la com-
munauté des frères et excommunié de l'eucharistie jusqu a ce
qu'i! ait fait pénitence. On peut même se demander si le traité

41> Cf. H. BRAUN, Qumran und das Neue Testament, l, Tubingue, 1966,
pp. 3855. Voir aussi la mise au point critique par E. COTHENET dans ce volu-
me, pp. 69-96.
" Cf. 1 QS VI, 24-VII, 25.
47 1 QS V, 25: ( Ils se réprimanderont l'un l'autre dans la vérité et l'hu-

milité et la charité affectueuse à l'égard de chacun. Que l'on ne parle point


à son frère avec colère ou en grondant ».
48 Sur l'ensemble du problème des rapports entre Qumran et la Dida-

chi, cf. H. BRAUN. op. cit. (note 45), II, Tubingue, 1966, pp. 184-211.
49 Cf. J. QUASTEN, Initiation aux Pères de t'~glise, II, Paris, 1958, p. 436.
A. HARNACK, qui avait d'abord prétendu qu'il s'agissait d'un écrit du pape
Victor, à la fin du Ile siècle (cf. Texte u. Unters., 5, Leipzig, 1888), s'est rallié
plus tard à ses critiques (cf. Geschichte der altchristlichen Literatur bis Euse-
bius, II, 2, Leipzig, réimpr. de la 2 e éd. 1958, pp. 37088.).
50 Si quis trater delinquit in ecclesia {cf. Did. 4,14) .... hic nec colligatur

(cf. Did. 14,2), donee poenitentiam agat (cf. Did. 15,3), et non recipiatur, ne
inquinetur (cf. Did. 14.2) et impediatur aralia uestra (cf. Did. 4,14).
51 C'est probablement ainsi qu'il faut interpréter non paret legi.
LA RÉMISSION DES PÉCHÉS SELON LA DIDACHÈ 237

Adv. aleatores n'a pas conservé un fragment de la version latine


de la Didachè qui n'est pas contenu dans la Doctrina aposto-
lorum 52.

* * *
En guise de conclusion, j'aimerais résumer ce que nous ve-
nons de voir.
La Didachè connaît le problème de la rémission des péchés
commis après le baptême. Elle le situe dans le cadre de l'eucha-
ristie: puisque le Dieu saint est présent lors de l'assemblée eu-
charistique, il faut que les fidèles qui y prennent part soient
(, saints» à leur tour, c'est-à-dire qu'ils confessent à Dieu leurs
péchés et qu'ils soient en parfaite entente entre eux 53.
Si l'entente entre deux frères est troublée par quelque faute,
la confession de leurs péchés devant Dieu ne suffit pas, il faut
alors qu'ils fassent tous les deux pénitence. Cette pénitence a
un double aspect, selon le point de vue: de celui du pénitent,
elle signifie qu'il s'abstient de prendre part à l'eucharistie jus-
qu'à la réconciliation avec son frère; de celui de la communauté,
elle signifie la correction et en même temps le soutien du péni-
tent par la discipline. Celle-ci s'exerce d'abord par un entretien
privé entre deux frères, ensuite, si cette démarche n'aboutit pas,
par un entretien en présence d'une tierce personne qui fait fonction
de « juge ), et en dernier ressort, par la communauté entière. Le
but de la discipline est la récupération du pénitent, et, par là,
le rétablissement de l'unité et de l'intégrité du Corps du Christ.
Avec la Didachè, nous sommes encore au début de l'évo-
lution de la pénitence en tant que rémission des péchés. La pé-
nitence n'est pas encore une institution, le rôle des ministres
dans le don de l'absolution n'est pas encore précisé, nous som-
mes encore loin d'un (< sacrement) de la pénitence. La Didachè
reflète la situation d'une petite communauté qui peut prendre
les décisions d'un cas à l'autre.

52 Il est cependant vrai que le titre est au pluriel: Doctrinae apostolo-

1'mn. - J.P. AUDET, op. cit. (p. 138, fi. 10), pp. 80ss., a d'ailleurs raison de
citer comme parallèle TERTULLIEN, Apologeticum 39,4: Summum luturi iudi-
cii praeiudicium est, si quis ita deliquerit ut a communicatione orationis et co-
nuentus et omnis sancN commercii releget'Ur.
53 Cf. le double commandement de l'amour rappelé au début de la Di-

dachè (1,2).
238 WILL Y RORDORF

Néanmoins le besoin de la pénitence se fait sentir, parce


qu'elle est en relation intrinsèque avec la vie sacramentelle de
la communauté. In ""ce, nous trouvons dans la Didaehè l'évo-
lution ultérieure. La prosexomologèse de Did. 14,1 va devenir
bientôt l'exomologèse, comme institution de pénitence publique,
et l'on comprend que le rôle de « juge» dans l'excommunica-
tion et la réadmission à la communion eucharistique va incom-
ber de plus en plus aux ministres établis de l'Église 54.
Il me semble que la Didaehè peut encore nous apprendre
quelque chose: Au cours de l'histoire de l'Église, la pénitence
s'est progressivement «individualisée ,); elle est devenue une af-
faire privée entre Dieu et l'homme pécheur 55. Certes, l'aspect
communautaire de la pénitence qui vise au rétablissement de la
sainteté du Corps du Christ, n'a pas complètement disparu, mais
il a été relégué à l'arrière-plan. La Didaehè peut nous rouvrir
les yeux sur le fait que l'aspect communautaire de la pénitence
est de première importance.

Willy RORDORF

54 Sur l'évolution de la pénitence aux premiers siècles. voir B. POSCH-


MANN, op. cit. (p. 140, n. 16); C. VOGEL, op. cit. (ibid.); H. KARPP, La Péni-
tence, Textes et Commentaires des origines de l'ordre pénitentiel de l'Église An-
cienne (Traditio Christiana, I), Neuchâtel-Paris, 1970.
/;:; Cf. C. VOGEL, (1 De la pénitence à la confession privée des fautes dans
l'Église d'Occident ~ (manuscrit, chez l'Auteur).
LE SACREMENT DE LA PÉNITENCE, ACTE DE CULTE
(CONTRIBUTION À LA SPIRITUALITÉ SACRAMENTAIRE)

Pour démontrer notre thèse, il suffirait sans doute d'allé-


guer les arguments qui servent à prouver que les sacrements
sont des actes du culte. Les arguments qui valent pour tous les
autres sacrements valent aussi pour le sacrement de la pénitence '.
Pourtant, le but de notre communication est de présenter
à votre attention et de soumettre à votre critique un certa;n
nombre d'observations qui concernent plus directement le sacre-
ment de la pénitence. Ces réflexions, qui demanderaient à être
davantage approfondies, devraient mettre en lUmière, par le fait
même, l'importance d'une authentique célébration de ce sacre-
ment dans la vie spirituelle du chrétien.

1. Le sacrement de la Pénitence est un acte de culte en tant qu'il


est une célébration du mystère pascal.
Le Christ Jésus, qui s'est fait semblable à nous en toute
chose excepté le péché', a finalement rendu à Dieu le Père, par
sa passion, sa mort, sa résurrection et sa glorification 3, dans
la puissance de l'Esprit Saint, le suprême acte de culte que l'hu-
manité pouvait célébrer. En passant de ce monde au Père 4,
l'amour divin du Christ pour les hommes et l'amour humain du
Christ pour Dieu' font que toute la réalité humaine acquiert un
destin d'éternité '. Et dans cette réalité humaine est comprise
également la fragilité humaine assumée par le Christ? Lui, qui
est l'innocence même', devient le péché en personne', et en lui
l'humanité misérable et déchue peut finalement arriver au Père".

l CfL M. SCHMAUS, Dogmatica cattolica IV/l. l sacramenti [trad. de l'ail.]


(Torino 1966) 41-44.
, Cfr. Hebr 4.15; 2X 5,21; Phil 2,6-11; 2 Pt 2,22; Jo 8,46; ...
, CfL Jo 3,14-15; 8,28; 12,31-33 .
• Cfr. Jo 13,l.
[; Cfr. E. SCHILLEBEECKX, Cristo sacramento dell'incontro con D-io [trad.
de l'holl.] (Roma 1962) 73-122.
, Cfr. Eph 1.10.
, Cfr. Col 1,22; Rom 1,3; 9,5; 2Cor 5,16; ...
8 Cfr. I-lebr 7,26.

, Cir. Cal 3,13; R 8.3; Phil 2.7.


10 Cfr. Rom 5,2; Eph 2,18; 3,12; Jo 14,5; Hebr 7,25.
240 ACHILLE M. TRJACCA

C'est dans l'événement historique, unique et non réitérable,


dans l'epaPhax 1l du mystère pascal, que se trouve la source d'une
réalité qui demeure à jamais et qui, pour cette raison, transcend
le temps et l'espace ".
Dans l'événement salvifique célébré par le Christ sont con-
tenus et ramassés le don de l'Esprit à l'humanité 13 et la tota-
lité du culte que, en d'autres temps et en d'autres lieux, les chré-
tiens célébreraient pour vivre leur participation à la victoire
du Seigneur sur le péché 14.
Ainsi, chaque fois que le sacrement de la pénitence est cé-
lébré en référence à la mort et à la résurrection du Seigneur, se
réalise la rencontre de l'humanité avec Dieu et en Dieu par le
moyen du passage du Christ à son Père dans la puissance de
l'Esprit 15; c'est la réalisation, dans l'histoire de l'humanité, d'une
présence de l'intervention amoureuse de Dieu qui ne cesse d'in-
terpeller chacun de nous. De cette manière, à la libre et salvi-
fique intervention de Dieu, chacun de nous peut donner une
réponse libre et responsable, dans une attitude d'action de grâ-
ces pour la réalisation progressive de la victoire du Seigneur ".
Cette victoire se rapproche de son achèvement eschatologique

11 Cir. Hebr 9,12.


12 Pour les questions relatives à la theologie de la présence mystérique
cfr. la bibliographie publiée à ce sujet dans: M. Scm,IAus, a.c., 765-766; T.
FILTHAUT, Die Kontroverse über die Mysterienlehre (Warendorf 1947); O. SAN-
TAGADA, Dom Odo CaseZ, in: Archiv für Liturgiewissenschalt XII (l967) 7-77.
" Cfr. Jo 16,7; 14,16.26; 1 Jo 2,1; ...
" Cfr. Jo 16.33; R 8,37; 1 Jo 5,4; Apoc 3,21; 5,5; ...
lS Cfr. Secreta-Dominica IX post pentecosten, dans: _lvlissale Romanum

(Pius V) ({ quia, quoties huius hostiae commemoratio celebratur, opus nostrae


redernptionis exercetur fi (maintenant = Oratia super oblata - Feria V Heb-
domadae Sanctae; Dominica II per annum, dans: Missale Romanum ex De-
creto Sacrosancti Oecumenici Concilii Vaticani Il instauratum, auctor'itate Pau,li
pp. VI promulgatum). Ce qui est affirmé pour l'Eucharistie s'applique, quant
à l'exten~ion et à la participation, à toute action sacramentelle.
16 Ces concepts, communs aux Pères de l'Eglise, mettent en relief com-

ment est donnée à chacun la possibilité d'entrer dans le plan miséricordieux


de Dieu. Nous citerons seulement: CLEMENS ROMANUS, Epistula l, VII, 2-5;
IBIDEM, XLVIII, 1; IGNATIUS ANTIOCHENUS, Ad PhiladelPhenos VIII, 1;
IDEM, Ad Smyrnaeos VI, 2; IX,!. On trouve l'édition critique des textes dans:
K. BIHLMEYER, Die apostolischen Viiter (Tübingen 1924 21956). Traduction
française par: A. SCHNEIDER-W. RORDORF-P. BARTHEL, dans: H. KARPP
(ed.) La Pénitence. Textes et commentaires des origines de l'ordre pénitentiel
de l'Eglise ancienne (Neuchâtel 1970).
LA PÉNITENCE, ACTE DE CULTE 241

chaque fois que se célèbre le sacrement de la pénitence, événe-


ment salvifique ayant une dimension ou une portée sémantique
spécifique 17.
Ce sacrement est donc signe de la Pâque du Christ au moins
à un triple titre.
Il est signe qui rappelle la Pâque du Christ en tant que celle-ci
est l'acceptation de la croix comme manifestation suprême de
l'amour et de l'obéissance de l'homme-Christ à l'égard de Dieu 18.
Le pécheur repentant, qui en célébrant ce sacrement prend con-
science d'entrer personnellement dans la dynamique du Christ
opérant le salut de l'homme, comprend et expérimente com-
ment le sacrement est signe de l'amour de Dieu pour les hom-
mes ct de la nécessaire reconnaissance de l'homme à l'égard de
Dieu 19. De même que dans la Pâque du Seigneur est rétabli
l'équilibre des rapports entre l'homme et Dieu, de même dans
la célébration sacramentelle la réorientation, la «( metanoia)} ou
conversion radicale et décisive de l'homme vers Dieu et vers
les autres détruit la situation de péché et rétablit l'homme dans
sa véritable relation à Dieu 20. En effet, ce sacrement est un mé-

11 Pour une considération syntetique sur la dimension sémantique du

sacrament, voir ]. RAMOS-REGIDOR, Il sa,;;ramento della penitenza (Torino-


Lcumann 1970) 55-64 et la bibliographie citée à la page 57. Des suggestions
que nous fairons, sont des adaptations de cet ouvrage-ici.
'" Phil 2.8; Hebr 5,8; (Jo 10,17).
19 A plusieurs reprises, les Pères ont traité le thème de la Donté de Dieu

en relation avec la- rémission des péchés. Cfr. par exemple:


JUSTINUS MARTYR, Dialogus cum TrYPhone Judaeo XXXXVII, 5; IBI-
DEM, CXXXXI, 2; cfr. L'édition critique dans: E. GOOD5PEED, Die iiltesten
Apologeten (Gëttingen 1914).
CLEMENS ALEXANDRINUS, Stronzateis II, (12-15) 57,1; IBIDEM, II (16)
73,1-3; Cfr. Édition critique par: O. ST AHLIN, dans: Die griechischen christli-
chen Schrijtsteller, nr. 15 (Leipzig 31936); renouvée par L. FRUECHTEL tou-
J

jours dans: CCS, nr. 52 (1960). Pour la pensée de Clement d'Alexandrie con-
cernant la pénitence cfr. la bibliograPhie citée par: ]. QUASTEN Patrologia, 1
J

(Torino 1967) 31!.


CYPRIANUS, Epistula XVI, 2; Epistula LV, 19; cfr. Édition critique par:
W. HARTEL, dans: Corpus Scriptum Ecclesiasticorum Latinorum 3,2 (\Vien 1871).
IDEM, De lapsis, XXVIII; IDEM, De opere et eleemosinis, II. Cfr. Édition cri-
tique par: G. HARTEL, dans: CSEL 3,1 (Wicn 1868).
20 Cfr. par exemple: TERTULLIANUS, De poenitentia 9; cfr. édition cri-

tique par: ].W. Ph. BORLEFFS, dans: CCL 1 (1954) 319-340, ripresa in: CSEL
76 (\Vien 1957). Pour la bibliographie cfr. ]. QUASTEN, o.c., 541.
AUGUSTINUS, Sermo XX, 2; Sermo CCCLI, 5,12; pour les éditions cri-
242 ACHILLE M. TRIAceA

marial de la Pâque du Christ en tant que celle-ci est la réconci-


liation gratuite des hommes pécheurs avec Dieu et entre eux,
la manifestation suprême et efficace de l'amour miséricordieux
et fidèle de Dieu, qui dans la mort et la résurrection de son Fils
incarné scelle son Alliance nouvelle et éternelle et réconcilie les
hommes avec lui et entre eux 21,
La dimension cultuelle impliquée dans cette nouvelle Al-
liance, et rendue présente par le sacrement de la pénitence, fait
que celui-ci est également signe démonstratif de la Pâque du Christ,
en tant que cette acceptation de la croix, qui l'emporte sur le
{( non» opposé par les hommes au dessein de Dieu 22, se réalise
dans la célébration sacramentelle.
Dans l'attitude du chrétien repentant qui accepte la péni-
tence et travaille â sa conversion, dans le fait même que l'Eglise
sainte doive pourtant se sanctifier sans cesse, se manifeste le
signe d'amour, d'obéissance et de sincère conversion à l'égard
de Dieu et des hommes comme acceptation de la croix; accepter
la croix, c'est alors se détacher non sans peine de cet égoïsme
qui ferme le chrétien aux exigences de l'amour de Dieu et des
autres, qui le rend incapable de rendre un culte à Dieu et donc
l'empêche de prendre part à la mission de l'Eglise comme com-
munauté de ceux qui adorent en esprit et en vérité ".

tiques des sennones d'Augustine cfr.: E. DEKKERS, Clavis Patf'um Latino-


rum = Sacris El'udiri 3 (11961) nr, 284.
at Parmi les nombreux textes patristiques à l'appui de ces assertions,
nous citons:
APHRAATES SYRUS, Demonstrationes 23,61; cfr. M.J. ROUE:T DE JOUR-
NEL, (ed.) Enchiridion Patristicum (Friburgi B.-Barcinone 1953) nr. 701. .
ATHANASIUS, Adversus Arianos orationes IV, 3,6; cfr. M.J. ROUËT DE
]OURNEL, D.C., nr. 769.
GREGORIUS NAZIANZENUS, Dratio 45,22; cir. M.]. ROUE:T DE ]OURNEL,
a.c., nr. 1016.
LEO 1 MAGNUS, Epistula 124,3; pour l'édition critique cfr. E. DEKKERS,
a.c., nr. 1656.
On peut citér aussi: HILARIUS, De Trinitate 9,3; AUGUSTINUS, Enarra-
tia in Ps. 29,2,1; IDEM, Serma 47,12,21; IDEM, Confessione 10,43,68; IDEM,
De civitate Dei, 11,2; IDEM, In Joannis evangelium tractatus 82,4; LED 1 MA-
GNUS, Sermo 68,3; ecc ....
n Cfr. par exemple HILARIUS, Tyactatus supe'Y Psalmas 53,13; IBIDEM,
68,23; cfr. pour l'édition critique E. DEKKERS, a.c., nr. 428.
Cfr. aussi GREGORIUS ILLIBERITANUS, Tractatus Origenis 2: EPIPHA-
NIUS, Adversus haereses Panarium 69,52; etc. , ..
'" Cfr. Jo 4,23-24.
LA PÉNITENCE, ACTE DE CULTE 243

Ce qu'on appelle «les actes du pénitent)} devient alors l'ex-


pression visible, à la fois ecclésiale et cultuelle, de l'acceptation
du rétablissement des relations filiales vis à vis de Dieu et de la
solidarité fraternelle avec les autres; et cette acceptation est
liée à tout l'effort pénitentiel du croyant et de l'Eglise entière,
qui collabore activement à sa conversion et à sa guérison. Ainsi,
toute la célébration de la Parole et du message de réconcilia-
tion, la célébration de la charité avec laquelle l'Eglise aide, re-
prend et réconcilie ses membres pécheurs, devient visible dans
le sacrement. La prière même de l'Eglise demandant le pardon
des péchés se traduit particulièrement dans l'absolution, parole
efficace du pardon et de la réconciliation, étroitement liée à toute
l'activité pénitente et réconciliatrice de la charité ecclésiale.
Enfin, mentionnons que le sacrement de la pénitence est
un signe qui annonce la dimension eschatologique inhérente au
mystère pascal", en tant que celui-ci est l'anticipation réelle,
encore qu'incomplète et provisoire, de la victoire définitive et
complète sur le péché, de la pleine conversion eschatologique
des pécheurs repentis et de leur totale réconciliation avec Dieu
et entre eux.
Cela signifie que, dans la célébration du sacrement de la
penitence, le pécheur repenti et toute l'Eglise, libérés du péché
et réconciliés avec Dieu et avec les autres par cette nouvelle in-
sertion dans le mystère pascal, doivent s'efforcer de réaliser la
conversion et la réconciliation eschatologique, qui se construit
au jour le jour.
La célébration de cet événement de salut devient une cé-
lébration cultuelle, dans laquelle la lutte contre le péché, en nous-
mêmes, chez les autres et dans les structures de l'Eglise et du
monde, est l'expression d'une action de grâces rendue à Dieu
par le Christ dans l'Esprit pour le progrès de l'amour et de la
réconciliation des hommes avec Dieu.

114 Les Pères insistent sur le fait que c'est le sang du Christ versé pour

nous qui nous a racheté. La rédemption est toujours en acte, pour nous
permettre d'arriver à la perfection.
Cfr. CLEMENS ROMANUS, EpistuZa VII, 4-5. pour l'édition critique cfr.
note 16.
CVPRIANUS, De opere et eleemosinis, II; pour l'édition critique cfr. G.
HARTEL, dans: CSEL 3,1 (Wien 1868).
244 ACHILLE M. TRIACCA

Ainsi, par son caractère christologique et pascal, le sacre-


ment de la pénitence est rendu contemporain de l'événement
de la Pâque du Seigneur, qui nous a tous réconciliés avec le Père
tandis que le Christ lui rendait la plus haute gloire. La rencontre
avec Dieu qui accorde son pardon au pécheur a lieu dans l'Eglise
et grâce à l'Eglise; disons même que la célébration du sacrement
ne rend visible l'événement pascal que parce qu'elle a lieu «in
Ecclesia, cum Ecclesia, pro Ecclesia 1). Le sacrement comporte
par ailleurs, à côté de sa dimension ecclesiale, une dimension
personnelle, puisque l'intervention de Dieu requiert du pécheur
l'effort d'une conversion profonde.
De ces deux dernièrs aspects (ecclésial et personnel), nous
voudrions indiquer maintenant les implications cultuelles.

2. Le sacrement de la pénitence est un acte de wlte dans lequel,


grâce att sacerdoce comml,t,n des fidèles, le sacerdoce mill.istériel
exercé dans l'Eglise, communauté de croyants, rend gloire à Dieu
en déliant le Pécheur.

Dans la célébration du sacrement de la pénitence, l'Eglise


exerce une double médiation: d'une part elle remplit une fonction
médiatrice descendante en offrant le don de la (, charis 1) et de
l'amour de Dieu aux hommes; d'autre part elle exerce une fonction
médiatrice ascendante parce qu'en réconciliant le pécheur avec
elle-même elle le rétablit dans une juste relation avec Dieu et
avec les autres., en sorte que la célébration devient une acte du
culte sanctifiant de l'Eglise. Par ailleurs, la réconciliation avec
Dieu dans le sacrement de la pénitence signifie que le pécheur
es t à nouveau admis dans son amitié, moyelll1ant le don gra-
tuit cie l'Esprit qui accorcle le parclon au pécheur, le soutient
clans son effort cie conversion et le réintrocluit clans l'orelre
c1u salut.
La réconciliation d" chrétien Péche"r avec l'Eglise signifie l'abo-
lition cie la rupture avec l'Eglise qu'implique le péché mortel.
De fait, le péché grave est un refus cie l'Amour, cie l'Esprit qui
anime l'Eglise, et c10nc il sépare aussi le chrétien cie l'Eglise: non
clans le sens c1'une séparation visible et totale, puisqu'en vertu
c1u caractère baptismal le chrétien pécheur continue â apparte-
nir réellement à l'Eglise, mais clans le sens c1'une séparation inté-
rieure et invisible c1'avec la charité salvifique ecclésiale qui est
le c10n cie l'Esprit à l'Eglise.
LA PÉNITENCE, ACTE DE CULTE 245

Dans la célébration du sacrement, le pénitent accomplit


donc une véritable liturgie dans laquelle il met d'abord en oeuvre
le sacerdoce commun à tous les fidèles. Le chrétien exerce son
sacerdoce non seulement du fait qu'il « reçoit)} le sacrement,
mais plutôt du fait qu'il joue une rôle actif pour en poser le signe.
Toutes les démarches pénitentielles, inspirées et soutenues par
la grâce de Dieu qui appelle le pénitent et le pousse à la con-
version, sont l'expression et l'exercice de son caractère baptis-
mal et de son appartenance à l'Eglise. Les actes du pénitent
font partie intégrante et constitutive de l'action cultuelle qu'est
le sacrement de la pénitence. Le pénitent, parce qu'il est un bap-
tisé repentant, coopère à la célébration du sacrement. C'est dans
ce pécheur repentant que l'Eglise agit au nom du Christ et cé-
lè bre ses mystères.
Plus encore, c'est le sacerdoce commun de toute l'Eglise
qui est mis en cause, car c'est toute la communauté ecclésiale
qui exerce son sacerdoce commun en coopérant activement, dans
la liturgie pénitentielle, à la conversion et à la réconciliation
du pécheur repentant. Toute la communauté ecclésiale entoure
le pécheur de son bon exemple mais aussi et surtout de sa prière
inspirée par la charité et donc par l'Esprit de Dieu 25. Sa prière
est une prière efficace en tant qu'elle est l'expression visible et
historique de la prière du Christ, qui prie aussi pour ceux qui
ne savent pas ce qu'ils font ".
C'est dans ce mouvement que vient s'insérer l'exercice du
sacerdoce ministériel, non seulement comme réalisation de la vo-
lonté explicite du Seigneur de confier la déclaration du pardon
à ceux qui ont reçu le ministère sacerdotal, mais plutôt comme
expression d'une fonction qui est au service du sacerdoce com-
mun des fidèles. C'est de cette manière que le sacerdoce minis-

25 Il faut insérer ici toute la documentation qui traite de l'Eglise qui

prie pour la rémission des péchés. Cfr. par exemple:


CLEME)jS RO:";IANUS, Epistula II, 3; IDEM, EPistula LVIII, 1; pour l'édi-
tion critique cfr. note 19.
POLYCARPUS SMYRNAEUS, EPistula ad Philippenses VI; pour l'édition
critique cfr. K. BIHLMEYER, citée dans la note 16.
PSEUDO-CLEMENS, Epistula quae dieitut' II, XVI, 4; pour l'édition cri-
tique cfr. K. BIHLMEYER, citée dans la note 16.
CYPRIAN US, De lapsis XXVIII; IDE;",l, De dominiea oratione XII; pour
l'édition critique cfr. la note 19.
26 Cfr. Le 23,34.
246 ACHILLE M. TRIACCA

tériel atteint avec une efficacité objective le but cultuel et sal-


vifique auquel est ordonné le sacerdoce commun. Il faut en effet
se souvenir que le sacrement n'est pas seulement un acte de la
hiérarchie, mais un acte de l'Eglise entière, rendu possible grâce
au sacerdoce hiérarchique. La nuance est d'importance. Dans
cette perspective, en effet, nous voyons mieux que le sacerdoce
ministériel est complètement au service de la communauté des
fidèles, et d'autre part nous comprenons comment le sacerdoce
baptismal commun à tous les fidèles s'exerce dans la célébra-
tion de ce sacrement et des autres sacrements, et comment sans
cet exercice il n'y a pas de célébration accomplie « en verité».
Ainsi, la réconciliation sacramentelle du chrétien pécheur
est un acte de culte célébré par l'Eglise toute entière, et pas seu-
lement un acte institutionnel ou hiérarchique. L'intervention du
ministre est absolument nécessaire pour que le chrétien pécheur
sache qu'il a vraiment rencontré l'amour miséricordieux de Dieu
en rencontrant l'amour de l'Eglise qui le confie à Dieu comme
une créature nouvelle pour qu'il rend grâces à Dieu d'une ma-
nière renouvelée et approfondie, et qu'en se sanctifiant lui-même
il sanctifie aussi l'Eglise.
Remarquons que, dans cet acte de culte, le ministre ne fait
pas quelque chose d'absolument différent de ce que fait la com-
munauté, mais accomplit un véritable service cultuel qui élève
l'acte de la communauté au niveau d'une action proprement
sacramentelle, c'est-à-dire au niveau d'efficacité propre aux sept
sacrements, aux sacrements par excellence.
On peut donc dire que, de même qu'au baptême c'est toute
l'Eglise comme peuple de Dieu qui engendre à la foi, de même
dans le sacrement de la pénitence c'est toute l'Eglise qui pro-
cure le pardon.
Il semble pourtant nécessaire de se placer à ce point de vue
général de la médiation de l'Eglise dans une action cultuelle
pour expliquer le rôle spécifique et le rapport mutuel du sacer-
doce commun et du sacerdoce ministériel dans la célébration du
sacrement de la pénitence. Le sacerdoce ministériel a la fonction
spécifique de réprésenter une présence spéciale du Christ et de
son Esprit, mais au service de l'efficacité de la fonction média-
trice de la communauté dans son ensemble, en sorte que cette
communauté, grâce au sacerdoce ministériel, puisse rendre gloire
à Dieu en posant les actes constitutifs du sacrement de la pé-
nitence et de la conversion.
LA PÉNITENCE, ACTE DE CUL TE 247

De fait, la célébration de ce sacrement comprend une troi-


sième série de réalités qui mettent en lumière sa dimension
cultuelle.

3. Le sacrement de la pénitence est un acte de culte par lequel, dans


le Christ et en vertu de l'Esprit, le chrétien repenti et sa"ctifié
par le don de la vie divine rend gloire à Dieu.
Pour comprendre l'aspect cultuel du sacrement de la pé-
nitence que nous voulons mettre en relief dans cette troisième
partie, il faut se souvenir que la rencontre du pécheur repen-
tant avec Dieu est une rencontre dans la foi 27.
Le don de l'Esprit qui accompagne l'appel divin qui rend
possible la réponse du pécheur a justement pour but que cette
réponse soit une réponse de foi 2B. La foi est indispensable pour
que dans le sacrement se réalise vraiment la rencontre person-
nelle avec Dieu.
Le sacrement de la pénitence exprime la foi de l'individu
et celle de l'Eglise. La foi de l'individu est requise, car c'est seu-
lemente dans la foi que celui-ci peut arriver à glorifier Dieu et
à participer à sa gloire. Le pécheur n'est sauvé qu'à cette con-
dition. Le Christ nous a sauvés en rendant au Père la gloire qui
lui revenait et que les hommes lui avaient refusée ". Or c'est
seulement par la foi que le chrétien converti peut se rattacher
à ce plan de salut, et que sa vie devient en Jesus-Christ la ma-
nifestation visible de la miséricorde et de la gloire de Dieu.
Le sacrement de la pénitence exprime aussi la foi de l'Eglise
qui par sa prière et ses rites a la conviction de fournir une mé-
diation objective et efficace pour la rencontre de l' homme avec

117 Les Pères retournent, à plusieurs reprises, sur le concept de la foi re-
quise dans le repentir; bien plus le repentir lui-même est un acte de foi.
Cfr. CLEMENS ALEXANDRINUS, Stromateis II, {6} 27,1; IBIDEM, II (12-15)
56,1; 57,1; IBIDEM, IV (6) 27,3; IBIDEM, VI (14) 109,1.3; et aussi pour l'édi-
tion critique cfr. la note 19.
IGNATIUS ANTIOCHENUS, Epistula XIV, 2; pour l'édition critique cfL
note 16.
28 Cfr. PSEUDO-CLEMENS, Epistula quae dicitur II, XVI, 1; l'édition cri-

tique par K. BIHLMEYER citée dans la note 16.


AUGUSTINUS, Epistula CXCIV, 3,9; pour l'édition critique cfr. E. DEK-
KERS. O.C. nr. 262. Cfr. aussi IDEM, De correptione et gratia, cp. 7,11.
FULGENTIUS, De fide, ad Petrum, Prol. nr. 1. ...
.. Cfr. Jo 5,19-47.
248 ACHILLE M. TRIACCA

Dieu par le Christ dans l'Esprit 30. En chaque cas, l'Eglise agit
au titre de la foi qui donne à son ac tian le pouvoir de consacrer
choses et paroles au Père et de concrétiser ainsi le don qu'elle
fait d'elle-même. C'est d'ailleurs un don de l'Esprit qu'elle puisse
symboliser de cette manière sa propre offrande au Père dans
le Christ. Ainsi, le geste sacramentel est accompagné du don de
la foi, et sans ce don l'Eglise ne pourrait poser ce geste de foi,
pas plus que l'homme ne pourrait prononcer sa réponse de foi.
En même temps qu'il reçoit le don de la foi, le chrétien re-
pentant qui célèbre le sacrement de la pénitence s'ouvre à une
double attitude typiquement cultuelle: d'une part se produit chez
lui une ré-orientation vers Dieu, et en même temps il proclame
le dessein de salut qui se réalise en lui. Et l'Eglise, elle aussi,
chante les mirabilia Dei qui s'accomplissent en ce chrétien re-
venu vers Dieu 31,
Le pécheur qui se convertit montre ainsi à l'Eglise et au
monde qu'il est uni au Christ dans sa lutte continuelle contre
le péché sous toutes ses formes. Dès lors que les actes du péni-
tent font partie intégrante du ri te sacramentel, la lutte contre
le péché se réalise grâce à ce sacrement qui est l'annonce de la
conversion et de la réconciliation rendues possibles par la Pâque
du Christ célébrée à nouveau dans l'action sacramentelle. Parce
que le chrétien a recouvré la vie divine. parce qu'il a retrouvé
en lui-même l'ordre et la paix, l'Esprit peut dire librement Abba
Père 32 et peut rétablir l'ordre dans le cosmos.

30 Il vaudrait la pei ne de montrer comment la profession de foi primi-

tive de l'Eglise inclut également, comme acte de foi ecclésiale, la rémission


des péchés.
Cfr. H. DENZINGER-A. SCHON:\1ETZER, Enckiridion Symbolorum definitio-
num et declarationum de rcbus fidei et morum. Editio XXXII (Barcinone-Fri-
burgi B.-Romae-Neo Eboraci 1953) nr. 1; 12; 13; 14; 15; 16; 17; ecc ...
31 Avec la rémission des péchés nous devenom. voix de Dieu pour louer

le même Dieu.
BARNABAS, EPistula XVI. 8-9; cfr. l'édition critique par K. BIHLMEYER,
o.c. dans la note 16. La même rémission des péchés est au service d'un sa-
crifice pur. Cfr. DmAcH"~ IV. 14; et aussi XIV, 1-2; cfT. Édition critique par
J.P. AUDET, La Didaché. Instructions des Apotns (Paris 1958).
CLEMENS ROMANUS, Epistula quae dicitur II, IX, 7-10; Epistula ab ec-
clesiis Viennensi Lugdunensique ad jratr8s Asiae et Phrygiae data [cfr. EUSE-
BIUS, Historia ecclesiastica V, 1,48]; cfr. Édition critique par E. SCHWARTZ.
dans: GCS 9 (Leipzig 1903/9).
32 Cfr. Gal 4,6; R 8,15.
LA PÉNITENCE, ACTE DE CUL_T_E_ _ _ _ _ _-"2--"'49

On découvre alors comment tout le sacrement est une an-


nonce de la Parole de Dieu et un acte de Dieu qui pardonne.
Là s'opère le passage d'une conscience spontanée du bien et du
mal, qui entraîne un sentiment de culpabilité, à une conscience
chrétienne du péché, caractérisée par une nouvelle manière de
vivre la relation personelle avec Dieu, dans un climat de con-
fiance qui ne peut venir que d'une motion de l'Esprit.
Sous-jacent à la transgression de la loi qui matérialise le
péché, il y a donc en filigrane un acte contre la foi (au sens bibli-
que de confiance et d'abandon à Dieu).
Le sacrement nous incite à fonder notre vie sur la grâce
de Dieu et à confesser sa bonté. Le rappel de ses exigences pour
nous est bien autre chose qu'une simple accusation comprise
comme une énumération plus ou moins détaillée de fautes. Aussi
l'examen de conscience doit-il être axé sur les attitudes et les
valeurs proprement chrétiennes. Les exigences évangéliques de
la révision de vie doivent être considérées comme des exigences
d'amour, et dans cette lumière c'est la rupture avec Dieu, plus
que la transgression de la loi, qui nous fait comprendre que si
notre coeur nous condamne, Dieu est plus grand que notre coeur 33,
et que la loi n'est rien d'autre que l'expression de la volonté amou-
reuse de Dieu et le code de notre alliance avec lui. Dans cette
attitude cultuelle, il sera alors possible de centrer le sacrement
de la pénitence sur la foi qui fait confiance à Dieu au-delà de
nos infidélités, et de le fonder sur la grandeur de notre vrai rap-
port avec Dieu, animé lui-même par cet acte de foi intime qui
est déjà le contraire du péché.
Et si en outre on observe comment dans ce sacrement le
mystère du péché 34 est vaincu définitivement par la miséricorde

sa Cfr. 1 Jo 3,20; cfr. note 19 citée par CLEMENS Alexandrinus.


;w Les Pères considèrent le péché comme quelque chose dirigé contre
Dieu: comme un délit ùe lèse-majesté. Comme dans Hébr 6.6, il est mis en
rapport avec la crucifixion du Christ. Cfr. par exemple:
IRENAEUS, Adversus haereses, IV, 27,2; l'édition critique par A. Rous-
SEAU, dans: Sources Chrétiennes, 100 (Paris 1965).
CYPRIANUS, EpistuZa IV 4; IDEM, EpistuZa XV, 2; IDEM, EpistuZa XVI,
2; LV, 18.19.20.22.27 ... ; IDEM, EpistuZa LIX, 1l; pour l'édition critique cfr.
note 19. IDEM, De Zapsis, XVII; pour l'édition critique cfr. G. HARTEL, dans:
CSEL 3,1 (Wien 1868),
250 ACHILLE M. TRIACCA

de Dieu, on constate que la victoire sur le péché comporte une


autre valeur cultuelle présente dans le sacrement de la pénitence.
Il y a vraiment un « mystère» du péché parce que l'on ne
peut jamais exprimer complètement, en termes rationnels, la
libre réponse de l'homme à l'appel de Dieu. Il n'est possible de
parler du péché qu'en référence au mystère de la relation de l'hom-
me avec Dieu dans le Christ. On comprend alors comment dans
la mort du Christ le péché apparaît comme l'opposition radi-
cale de toute l'humanité au dessein de Dieu, opposition causée
par le (, prince de ce monde »; et comment dans la résurrection
du Christ le péché est vaincu de telle sorte qu'à travers le temps
et l'espace les pécheurs se voient offrir la justification surabon-
dante liée à la représentation du mystère pascal. Le (, non» qui
provient du péché répandu dans le monde est alors assumé et
englobé dans la toute-puissance du (, oui» qui émane du mys-
tère pascal et témoigne de la fidélité miséricordieuse de Dieu.
Ainsi, au moment même où est détruit ce refus de Dieu
qu'est le péché, le pécheur converti manifeste (, coram Ecclesia»
l'acceptation de l'amour de Dieu et proclame les merveilles que
le Tout-Puissant accomplit avec fidelité au-delà de toute in-
fidélité.

Achille M. TRIAC CA, S.D.B.


BUSSDISZIPLIN IN DER TRADITION DES OSTENS

Das Sakrament der Busse hat bekanntlieh seine aussere


Erscheinungsform im Verlauf der Kirehengeschichte mehrfach
gewandelt. In den folgenden Ausführungen versuehen wir, diese
historischen Wandlungen des Bussinstitutes anhand der Tradi-
tion des orthodoxen Ostens - und besonders seiner kirehen-
reehtlichen Tradition - zu verfolgen. Innerhalb dieser Tradi-
tion konnen wir deutlieh drei versehiedene Schiehten unterschei-
den, die auf drei verschiedene Perioden in der gesehichtlichen
Entwicklung des Bussinstitutes zurüekgehen. Diese Perioden las-
sen sieh folgendermassen kennzeiehnen:
1. eine Periode der sozusagen {( klassischen" Bussdisziplm,
wie sie in den Kanones der ait en Konzilien und Kirehenvater
zumal des 4. J ahrhunderts gefordert ist,
2. eine Periode der Vorherrsehaft besonderer Buss-Bücher,
der sogenannten Buss-Nomokanones, die im 6. bis 7. Jahrhun-
dert einsetzt, und schliesslieh
3. eine Periode der neuzeitlichen Entwicklung, nachdem
die soeben genannten Buss-Nomokanones ihre Vorherrschaft prak-
tisch fast überall verloren haben.
Meine Darlegungen mochten zunachst einmal die Verschie-
dengestaltigkeit des Bussinstitutes in diesen drei Perioden zei-
gen, zugleich aber aueh die inneren Zusammenhange aufweisen,
die wir zwischen den einzelnen Perioden feststellen konnen.

1. DIE PERIODE DER « KLASSISCHEN l) BUSSDISZIPLIN


Unsere Quellen für die Kenntnis di eser Periode bilden zahl-
reiche Kanones der Konzilien und Kire henvater. Wei taus die
Mehrzahl dieser Quellen gehiirt dem 4. J ahrhundert an. Jedoeh
geht die in dies en Quellen gesehilderte Bussdisziplin in ihren we-
sentlichen Zügen auf eine Tradition zurüek, die entsehieden alter
ist aIs das 4. Jahrhundert. Ausdrüeklicher Zeuge dafür ist etwa
der hl. Bischof Gregor der Wundertater von N eocasarea aus
dem 3. Jahrhundert mit den sehr detaillierten Vorschriften für
die Bussdisziplin, die sich in seinem {( kanonisehen Brief l) fin-
den '. AIs offizieller Abschluss dieser Periode darf wohl der 102 .

• PG 10,1019 fi.
252 GEORG WAGNER

Kanon des trullanischen Konzils von 692 gelten '. Dieser Kanon
bestiitigt das aIte Prinzip, dass die strengcn Bussregeln in der
Praxis gemildert werden kannen. lm Grunde aber bedeutet er
wohl die Anerkennung eines in der Praxis bereits erfolgten Um-
bruches in der Geschichte des Bussinstitutes.
Die Bussdisziplin wiihrend dieser Epoche tritt immer dann
in Kraft, wenn der Kirche ein schweres Ârgernis, eine schwere
Verfehlung eines ihrer Glieder, bekannt geworden ist. Die kirch-
liche Gemeinschaft reagiert auf dieses oder jenes konkrete Âr-
gernis, indem sie eine konkrete Massnahme ergreift. lm Prinzip
umfasst das Bussinstitut stets drei Momente:
1. den Ausschluss - die zeitweilige excommunicatio -
des schweren Sünders aus der kirchIichen Gemeinschaft, danach
2. die eigentliche Busszeit, die Zeit der brmfLt" für den
Ausgeschlossenen, die sich gewahnlich auf eine grassere oder
kleinere ZahI von Jahren - je nach der Schwere der Verfeh-
lung - erstreckt, und schliesslich
3. die Wiederaufnahme in die kirchIiche Gemeinschaft, die
Wiederversahnung - reconciliatio - des Sünders mit der Kirche.
Das dritte Moment innerhalb des Bussinstitutes - die re-
conciliatio - war zu Beginn unserer Epoche, im 3. und noch
im 4. Jahrhundert, heftig umstritten. Christus hat seiner Kirche
die Macht zu binden und zu lasen, die Vollmacht ZUT excom-
municatio und ZUT reconciliatio gegeben. Aber eine starke rigo-
ristische Bewegung in Gestalt des Montanismus und des nova-
tianischen Schismas such!e diese Vollmacht der Kirche einzig
und allein auf die Macht zu binden, auf die Bevollmiichtigung
zur exkommunicatio, einzuengen. ({ Potest ecclesia donare delic-
tum, sed non faciam, ne et alii delinquant J), liisst sich der ange-
bliche Paraklet der Montanisten bei Tertullian vernehnem. «Die
Kirche kann zwar Sünden nachlassen, aber ich will es nicht tun,
damit nicht no ch andere zur Sünde verleitet werden J) 3. N ach
dem byzantinischen Kirchenhistoriker Sokrates (t nach 439)
erkliirte der Novatianerbischof Akesios vor Kaiser Konstantin
auf dem Konzil von Niziia die «Akribie des strengen Kanons J)
(-rllv &xp[~EL"V TOÙ "ÛcrT1jPOÙ x"v6voç) seiner Gemeinschaft wie folgt:

3 MANSI 11,988.
3 TERTULLIAN, De Pudicitia 21 (PL 2,1024B).
BUSSDISZIPLIN IN DER TRADITION DES OSTENS 253

,< Man darf diejenigen, die nach der Taufe eine Sünde began-
gen haben, welche die gattlichen Schriften aIs Todsünde bezeich-
nen, nicht der Kommunion der gattlichen Mysterien würdigen,
zur Busse jedoch soll man sie antreiben; die Hoffnung auf Ver-
gebung aber hab en sie nicht auf die Priester, sondern (allein)
auf Gott zu richten (È:À7tLOCC oÈ Tfiç occpéaEwç !L'~ 7tccpœ 't"WV tEpÉCtlV,
&ÀÀtt "o:ptt TOi) !tEai) &,,3<):.cr&O:L), der die Macht und Gewalt hat,
Sünden zu verge ben ,,4. Die Busse und die Hoffnung auf die gatt-
liche Vergebung steht also auch für den nach der Taufe gefalle-
nen Christ en offen, aber die Kirche hat nach der Taufe kein Gna-
denmittel mehr, mit dem sie ihm zu Hilfe kommen kannte. So
muss der büssende Christ ausserhalb der kirchlichen Gemein-
schait leben und stcrben. Die Kirche hat ihm gegenüber nur
die Vollmacht und die Pllicht der excommunicatio, ohue die
Maglichkeit einer spateren reconciliatio.
Gegenüber diesem rigoristischen Standpunkt hat das Kon-
zil von Nizaa zwei grundsatzlich wichtige Entscheidungen ge-
fallt: In scinem 8. Kanon verlangt das Konzil von Novatianern,
die sich der Kirche anschliessen wollen, eine schriftliche Erkla-
rung, «dass sie in allem den Lehren der katholischen und aposto-
lischen Kirche zustimmen und folgen werden, dass heisst, auch
mit denen, die in einer zweiten Ehe leben, Gemeinschaft haben
und auch mit denen, die wahrend der Verfolgungszeit gefallen
sind, für welche sowohl die Busszeit bestimmt aIs auch ein be-
stimmter Zeitpunkt (gcmeint ist offenbar: aIs Endpunkt der Buss-
zeit) festgesetzt ist)} (xcâ ~kya.!Lote;; XOLV(ÙVÛV xcct 't'oie;; È:-J 't'~ OLCtlYILii>
7tapa7tE7t't'Oxocrt, È:cp' cilv xcd Xpovoç TÉ:'t'axt"aL xat xocLpàç &pLO"'t"CtL).5 In
seinem 13. Kanon aber bestatigt das Konzil nachdrücklich «die
alte kanonische Regel)} (a '7taÀocLàe;; xcd xocvovLxàe;; VOIL0t; OLOCcpUÀOCX.&~­
crETotL "ot, vi)v) , dass keinem Büsser in der Sterbestunde die ,<1etzte
und notwendigste \Vegzehrung '" namlich die eucharistische Kom-
muni on, verweigert werden dürfe '. In der Sterbestunde findet
die Busszeit ihr natür1iches Ende. Sollte der Kranke wider Er-
warten überleben, hat er die unterbrochene Busszeit unter er-
leichterten Bedingungen fortzusetzen. \Vir kannen wohl mit Be-
stimmtheit sagen, dass sich das KOIlZil von Nizaa mit diesem

4 SOKRATES, Historia ecclesiastica l,ID (PG 67,lOlA).


li MANS! 2,672.
6 MANS! 2,673.
254 GEORG WAGNER

Kanon nicht nur gegen den schismatischen Rigorismus der No-


vatianer wendet. Der Ausschluss von der Kommunion selbst in
der Sterbestunde war eine Kirchenstrafe, die damaIs im Abend-
land auch innerhalb der katholischen Kirche eine gewisse Ver-
breitung fand: Wir fin den diese Strafe ganz zu Anfang des 4.
J ahrhunderts in Spanien, in den Kanones des Konzils von El-
vira 7; ja, selbst noch nach Niziia verhiingt das Konzil von Sar-
di ka (343/4) in seinem zweiten Kanon dieselbe Strafe über einen
Bischof, der sich mit Hilfe von Intrigen in den Besitz eines
einkommlicheren Bischofsstuhles zu bringen sucht '. Der Autor
des Kanons von Sardika ist der Spanier Hosius von Korduba ...
Das zweite - und in gewissem Sinne zentrale - Moment
der alten Bussdisziplin, die Busszeit, die Zeit der tmn!ÛIX, ist
wesentlich eine Zeit des Ausgeschlossenseins von der eucharisti-
schen Gemeinschalt. Dieser Zustand des Ausgeschlossenseins von
der Eucharistie verleiht der Busszeit ihre ganze Schwere. Christ-
sein heisst ganz wesentlich: an der eueharistischen Versammlung
Teilnehmen Dürfen. An der eucharistischen Versammlung Teil-
nehmen aber heisst vor allem: die Kommunion Empfangen. Es
kann für einen Christ en im Grunde keine schlimmere Strafe ge-
ben aIs den Aussehluss vom Tiseh des Herrn. Das ist es, was
etwa Johannes Chrysostomus in der 3. Homilie über den Epheser-
brief seinen Horern deutlieh zu machen sueht '.
Hier erhebt sich die Frage, was eigentlich der positive Sinn
einer solchen, sich über Jahre erstreckenden Kirehenstrafe ge-
wesen sein mag. Die orthodoxen Autoren zumal der neueren
Zeit heben einstimmig den therapeutisehen Aspekt der Kirehen-
strafen hervor. Die t?tm"tIX ist nicht Sühnestrafe, sondern Heil-
mittel - &EpIX7tdoc. Eine solche Deutung kann sich auf das aus-
drüekliehe Zeugnis der Quellen berufen - etwa auf das Zeugnis
des hl. Gregor von Nyssa (in seinem sog. 1. Kanon) 10 und den
Text des 102. Kanons des trullanisehen Konzils. Der therapeu-
tisehe Aspekt dari jedoch meines Eraehtens nieht isoliert von
einem andern Gesiehtspunkt gesehen werden, auf den Walter
Elert in seinem 1954 ersehienenen Bueh (' Abendmahl und Kir-

7 z. B. in l{anon l und 2 (MANSI 2.109; 119).


8 MANSI 3.8B/C.
o JOH. CHRYSOSTOMUS, In EPh. homo 3,4 (PG 62,28-30).
10 GREGOR v. NYSSA, Ep. canonica ad Letoium (PG 45.224A).
BUSSDISZIPLIN IN DER TRADITION DES OSTENS 255

chengemeinschaft in der Alten Kirche >, hingewiesen hat: Buss-


zeit ist nicht eine Zeit sühnenden Strafleidens, wohl aber eine
Zeit der Bewiihrung (80",f'-"'0"("'), wahrend derer der gefallene
Christ den Ernst und die Glaubwürdigkeit seines Willens zur
Umkehr unter Beweis zu stellen hat ".
Von diesem Moment der 80",f'-"'0"('" her wird der erstaunliche
Parallelismus verstandlich, der im christlichen Altertum zwischen
dem Institut der Busse und dem Institut des Taufkatechume-
nates bestand. Der Katechumenat war nicht nur eine Zeit der
Belehrung, sondern zugleich auch eine Probezeit für den Tauf-
kandidaten. Und die Busszeit ist als Probezeit beinahe ein er-
neuter Katechumenat. Nach verschiedenen kirchenrechtlichen und
liturgischen Zeuguissen vollzog sich der Katechumenat in einem
langsamen Aufstieg auf drei Stufen: Die erste Stufe war die der
&"p06>f'-EVO', der «Harenden », denen es lediglich gestattet war,
die Lesungen aus der Heiligen Schrift und die Predigt am An-
fang der gottesdienstlichen Versammlung der Christen zu «ha-
ren ». Die zweite Stufe war die der eigentlichen Katechumenen,
die bereits besonderer Gebete der Kirche und des bischaflichen
Segens gewürdigt wurden. Die letzte Stufe war die der 'PwT,~6f'-EVO'
der sich auf die Erleuchtung durch die Taufe Vorbereitenden,
der unmittelbaren Taufkandidaten in den letzten Wochen un-
mittelbar vor dem Tauftermin. Eine ganz ahnliche Stufenfolge
des allmahlichen Aufstieges finden wir nun etwa bei Gregor
von Neodisarea, in den Kanones von Nizaa 12 und den Kanones
des Basilius 13 auch für die Bussdisziplin bezeugt. Es ist in
seiner vollen Ausbildung ein Aufstieg über vier Stufen: zu
allerunterst die Stufe der 7tp6"",,"'uO"<Ç, des {, Weinens» an der
Kirchentür, für die vollkommen von der kirchlichen Gemein-
schatt Ausgeschlossenen; an zweiter Stelle die Stufe der &xp6<XO"<Ç,
der Teilnahme am (' Haren >, von Schriftlesungen und Predigt,
entsprechend der untersten Stufe des Katechumenates; drittens
die Stufe der (m67tTwO"'Ç, des (, Niederfallens >', auf der die Büs-
senden - ahnlich wie die Katechumenen der zweiten Stufe -
des besonderen Gebetes der Kirche und des bischaflichen Segens

11 \V. ELERT, Abendmahl und Kirchengemeinschalt in de't' Alten Ki1'c%e


hauptsiichlich des Ostens, Berlin 1954, S. 79.
12 Kanon 11-13 (MANSI 2,673).
" Kanon 22 (PG 32,724A).
256 GEORG WAGNER

gewürdigt werden; schliesslich die vierte und hëchste Stufe der


cruO"t'arnç, des «( gemeinsamen Stehens i} mit den GHiubigen - eine
Stufe, auf der die Büssenden bereits an den allgemeinen Ge-
beten der Kirche - jedoch no ch nicht an dem Eucharistiegebet
und der Kommunion - teilnehmen dürfen. Und ahnIich wie
der Katechumenat zur vollen Aufnahme in die Kirche führt, so
führt auch die Bussdisziplin schliesslich zur vollen Wiederaussëh-
nung mit ihr. Auch der jahrliche Termin, an dem die Kirche
die Taufe der Katechumenen und die Wiederaussëhnung der Büs-
ser begeht, ist derselbe: das Osterfest.
Woher weiss aber die alte Kirche eigentlich, welche ihrer
Glieder sie der Bussdisziplin zu unterwerfen hat? Gerade an
dieser Frage wird der fundamentale Unterschied zwischen der
aIten Bussdisziplin und unserer heutigen Praxis deutlich. Die
aIte Kirche kannte keine Institution einer Beichtpflicht für alle
Glieder der Kirche. Die christlichen Gemeinden lebten ursprüng-
Iich weithin in einer so engen Gemeinsamkeit, dass schwere Ver-
fehlungen ihrer Glieder kaum verborgen bleiben konnten. Da-
rüber hinaus vertraute die alte Kirche hier auf die mach tige Ge-
genwart des Heiligen Pneuma. Der Geist ist es, der immer wie-
der das Finstere aufdeckt und ans Licht bringt. Ein charakte-
ristisches Zeugnis für diese HaItung gibt uns Johannes Chrysosto-
mus. In seiner 82. Homilie über das Matthiiusevangelium warnt
dieser Kirchenvater die Diener des Ait ars, die Kommunion an
Unwürdige auszuteiIen, und setzt sich dabei mit der Frage aus-
einander, woher die Kleriker eigentIich das Leben dieses oder
jenes Kommunikanten kennen sollen. In einer Grosstadtgemeinde
seiner Zeit war eine solche Frage nur allzu natürlich. Die Ant-
wort des Chrysostomus lautet: (, Ich spreche nicht von den Unbe-
kannten, sondern von den Bekannten... Denn wenn man trotz
aller Vorsicht einen Übeltater nicht kennt, trifft einen keine
Schuld. Ich spreche vielmehr von den offenbaren (ÜbeItatern).
Denn wenn wir diese zurechtweisen, dann wird uns Gatt au ch
die unbekannten bald offenbar machen. vVenn wir aber die offen-
baren Übeltater gewahren lassen, wozu sollte uns daIm Gatt
no ch die unbekannten offenbar machen? ,'4
Grundsatzlich gab es damaIs wie heute zwei Wege, auf de-
nen die Verfehlung eines Gliedes der Kirche offenbar werden

14 JOH. CHRYSOSTO:\WS, In Mat. homo 82,6 (PG 58,745;6).


BUSSDISZIPLIN IN DER TRADITION DES OSTENS 257

konnte: Entweder der Sünder wurde auf die eine oder andele
Weise durch andere « übcrführt) oder er offcnbarte sich, von
seinem Gewissen getrieben, freiwillig einem Diener der Kirche.
Es gab ais a zwei verschiedene Anlasse, in den Stand der Busse
einzutreten: entweder die "Ûberführung 1) von aussen, die Auf-
deckung einer Schuld durch andere (Ii.ÀEYXOÇ), oder das freiwil-
lige Bekeruünis der eigenen Verfehlung (È~ol-'oÀ6ncr,ç). Die Die-
ner der Kirche nahmen naturgemass auf den damit gegebenen
Unterschied zwisehen zwei Arten von Büssern vielfach bei der
genaueren Bestimmung des "Strafmasses 1) Rüeksieht, unterwa-
fen j edoch den einen wie den andern Büsser grundsatzlieh der
glciehen Bussdisziplin. Das christliche Altertum kannte keinen
grundsatzlichcn Unterschied zwischen einem forum extemum
und internum, zwischen einem kirchlichen Gericht und einer
Bussdisziplin, die der Christ freiwillig auf Grund einer Beichte
var dem Diener der Kirche auf sich nimmt.
Es dürfte verstandlich sein, dass ein solches Bussinstitut
in den GroBstadtgemeinden der konstantinischen Zeit sich auf
die Dauer ais wenig funktionsfahig enveisen musste. Der Umstand,
dass die Mehrzahl unserer Quellen dem 4. Jahrhundert entstammt,
darf uns nicht über die Tatsache hinwegtauschen, dass die "klas-
sische)) Bussdisziplin auf vorkonstantinischem Boden erwachsen
war und sich bereits am Ende des 4. J ahrhunderts in einer schwe-
ren Krisc befand. In Konstantinopel scheint es unter Bischof
N ektarius (381-397) sogar zu einer einstweiligen starken Einschran-
kung, wenn nicht gar viilligen Abschaffung der Bussdisziplin ge-
kommen zu sein. Wie uns wieder der Kirchenhistoriker Sokrates
berichtet 15, bildete den Anlass die Beichte einer Frau, die sich
beschuldigt hatte, gemeinsam mit einem Diakon gesündigt zu
haben. Die Beichte hatte eine administrative Folge: namlich die
Amtsenthebung des mitschuldigen Diakons. Da eine scharfe Un-
terscheidung zwischen forum externum und forum internum noch
fehlte, wurde sa der Inhalt einer Beichte durch die Amtscnthe-
bung des Mitschuldigen zum Gegenstand allgemeinen Argernis-
ses. Der Bischof N ektarius fand schliesslich keinen besseren Aus-
weg, ais einfach das Amt des Buss-Presbyters, der die Beichten
entgegenzunehmen hatte, abzuschaffen und «einem jeden zu ge-
statten, nach seinem eigenen Gewissen am Sakrament (der Eucha-

15 SOKRATES, Historia ecclesiastica V, 19 (PG 67,613-620).

17
258 GEORG WAGNER

ristie) teilzunehmen ». Wie bereits Brightman 16 bemerkt hat,


muss man dies en Bericht wohl mit der seltsamen Tatsache in
Verbindung bringen, dass sich in der konstantinopolitallischen
Liturgie keine besonderen Gebete für einen Stand der Büssen-
den erhalten haben.
Von der Unmoglichkeit, die alte Bussdisziplin unter den
veranderten Verhaltnissen aufrecht zu erhalten, scheint im übri-
gen auch der hl. Johannes Chrysostomus überzeugt gewesen zu
sein. Charakteristisch sind seine Âusserungen in der Homilie
De beato Philogonio - noch aus seiner antiochenischen Zeit.
Chrysostomus dringt hier auf die Bekehrung des Sünders und
betont, dass Gott, sofern wir uns nur ernstlich bekehren, keiner-
lei Hingere Bussfristen von uns verlangt. « Es genügt dir der Ter-
min dieser fünf Tage (bis zum bevorstehenden Fest der Gcburt
des Herrn), wenn du nüchtern bist und betest und wachst, um
die Fülle deiner Sünden hinwegzuschneiden... Dazu bedarf es
keiner Tage und keiner vielen J ahre, sondern allein der Entschlos-
senheit, und es wird in einem Tag vollbracht. Wende dich ab
von der Bosheit; bemühe dich um das, was recht ist; lass ab vom
Bosen und versprich, es nicht mehr zu tun; und das genügt zu
deiner Rechtfertigung. Ich bezeuge und verbürge mich dafür,
dass von einem jeden von uns, die wir gesündigt haben, wenn
wir uns von unserer früheren Bosheit abwenden und Gott aufrich-
tig versprechen, nicht mehr zu ihr zUfÜckzukehren, Gott nichts
anderes mehr aIs weitere Rechtfertigung verlangt » 17. Der Rela-
tivismus gegenüber den Formen einer kanonisch geregelten Buss-
disziplin, der sich hier anzukünden scheint, wirkt weniger erstaun-
lich, wenn wir uns daran erinnern, dass die Bussdisziplin selber
nicht Selbstzweck, sondern Mittel zur Bewahrung des Bùsswil-
lens ist.
Gleichzeitig mit der Krise der alten Bussdisziplin, die wir
gegen Ende des 4. J ahrhunderts in den GroBstadtgemeinden
beobachten, bilden sich aber neue Formen, die für die weitere
Entwicklung wegweisend werden, namentlich in jener Gestalt
der personlichen Beichte, die in den Kreisen des Monchtums

16 F.E. BRIGHTMAN, Liturgies Eastern and Western, Oxford 1896. S. 532,


Anm. 7.
17 JOH. CHRYSOSTOMUS, Hom. de beato Philogonio (Contra Anomoeos 6),
4 (PG 48.754).
BUSSDISZIPLIN IN DER TRADITION DES OSTENS 259

üblich wird. In diesem Zusammenhang dürften zumal die Monchs-


regeln des hl. Basilius von grosser Bedeutung gewesen sein 18.
Ganz der Tradition verhaftet, aber zugleich doch auch in
die Zukunft weisend wirken die Ausführungen über die Buss-
disziplin, die wir in der 16. katechetischen Homilie des Theo-
dor von Mopsueste finden. Wahrend der Bischof Nektarius von
Konstantinopel nach dem Bericht des Sokra tes es dem person-
lichen Gewissensentscheid der Glaubigen überlassen woUte, ob
sie am Sakrament der Eucharistie durch die Kommunion teil-
nehmen oder sich davon enthalten, hebt Theodor die seelsorger-
liche Aufgabe der Bischofe hervor. Er mahnt seine Horer, sich
nicht nach eigenem Gutdünken von der Kommunion fernzuhal-
ten, wenn sie sich durch schwere Verfehlung des Sakramentes
unwürdig wissen, sondern sich vertrauensvoU den BischOfen zu
offenbaren. Wie Ârzte für die Kranken seien die Bischofe dazu
eingesetzt, den Sündern die rechten Heilmittel der Busse zu
verordnen. AIs echte Vater seien sie dabei zu diskretem StiUschwei-
gen über das ihnen von ihren Sohnen Geoffenbarte, soweit es
nicht zur Veroffentlichung bestimmt ist, verpfiichtet 19.
Die Zukunft des Bussinstitutes wird in der Tat auf den We-
gen einer immer weiteren Verbreitung der personlichen, freiwil-
ligen Beichte und damit zugleich einer immer konsequenteren
Durchführung des Prinzipes des Beichtgeheimnisses liegen.

2. DIE PERIODE DER VORHERRSCHAFT DER SOG.


BUSS-NOMOKANONES

Der entscheidende Versuch, die alten Bussvorschriften, den


veranderten Verhaltnissen anzupassen, wird von der Tradition
gewohnlich dem Patriarchen Johannes IV. von Konstantinopel,
Johannes dem Faster (582-595), zugeschrieben. Johannes gilt aIs
der Autor einer Sammlung von Anweisungen für den Beichtva-
ter, die aIs «Kanonikon Johannes des Fasters ,) weite Verbrei-
tung gefunden hat. Die Autorschaft Johannes des Fasters ist

18 Vgl. BASILIUS, Regulae lusius t'l'actatae, resp. 26 (PG 31.985-988).


19 R. TONNEAU et R. DEVREESSE, Les Homélies Catéchétiques de Théo-

dore de Mopsueste (Studi e Tcstî 145), Città deI Vaticano 1949 (1951), S. 603.
260 GEORG WAGNER

allerdings nicht unbestrittcn. Ohne auf die Problematik hier


naher einzugehen und ohne mir ein letztes Urteil anzumassen.
mbchte ich drei Gründc nennen, die dafür sprechen dürften, das
Wcrk zumindest ungefahr in die Zeit unscres Patriarchen zu
datieren:
1. Das Kanonikon Johannes des Fas ters ist wohl das 0.1-
teste unter den byzantinischen Buss-Büchern, den sog. Buss-
N omokanones, die eine Parallelerscheinung zu den etwa gleich-
zeitig anftanchenden abendHindischen Iibri poenitentiales bilden.
2. Das 6. Jahrhnndert, das Zeitalter eines Justinian und
eines Johannes Scholastikus, war überhaupt cine Zeit der Samm-
lung und Sichtung der byzantinischen kirchenrechtlichen Über-
Iieferung. In diesen Zusammenhang dürfte der Versuch einer
systematischen Durchsicht der alten Busskanones auf ihre Ver-
wendbarkeit in der Gegenwart hin gut passen.
3. AIs Haupteinwand gegen die Authentizitat des Werkes
gilt der Hinweis auf die Tatsache, dass das trullanische Kon-
zil vom J ahre 692 seiner mit keiner Zeile ausdrücklich gedenkt.
J edoch ist es recht wahrscheinlich, dass der bereits wiederholt
erwahnte 102. Kanon des Konzils, der die Mbglichkeit einer
Verkürzung der traditionellen Busszeiten bestatigt, sich unmit-
telbar auf die durch das Werk Johannes des Fasters aufgewor-
fene Problematik bezieht.

Noch das 1818 erschienene Buss-Buch des hl. Nikodemos


des Hagioriten, sein 'E~OI-'OÀ0Y"'lT"pLOV, gründet sich auf das Werk
Johannes des Fasters, das nach Nikodcmos für die Bestimmung
der btLTLI-'Loc massgebend sein solI. Allerdings hat man in Byzanz
zuweilen an der relativen Milde Johannes des Fasters Anstoss
genommen. {( Dieses Kanonikon hat wegen seiner grossen Nach-
sichtigkeit viele ins Verderben geführt ", sagt um die Wende
vom 1 \. zum 12. J ahrhundert der Konstantinopler Patriarch
Nikolaos III. Grammatikos 20. lm Zuge dieser Rcaktion gegen die
relative Milde Johannes des Fasters entsteht dann im 14. oder
15. Jahrhundert ein Buss-Nomokanon mit strengeren Fordcrun-
gen, der spater dem slawischen (1 Trebnik" (Ritua1buch) beige-
fügt wire!.

20 ALEVIZATOS, Ot kpol xa.v6ve:ç, 2. Aufi., Athen 1949, S. 483.


BUSSDISZIPLIN IN DER TRADITION DES OSTENS 261

Die" Buss-N omokanones » wollen Handbücher für den Beicht-


vater sein. Sie setzen die Institution der privat en Beichte vor-
aus. Vorbild bei der Bestimmung der btmfll", bleiben dabei die
alten kanonischen Vorschriften, die eigentlich für die ganz an-
dcrsartige Institution der alten Bussdisziplin bestimmt waren.
Doch wird eine weitgehende Adaption der alten Regeln an die
neuen Verhaltnisse vorgenommen. In dieser Adaption besteht
das wcsentlich Neue, das Johannes der Faster (oder der grosse
Unbekannte unter seinem N amen) in die Geschichte des Buss-
wescns hineingetragen hat. Wir kannen hier zweierlei beobachten:
1. Die Zeit, die der Sünder vom Empfang der Kommu-
nion ausgeschlossen bleibt, ist gegenübcr den Forderungen der
alten Ranones wesentlich verkürzt, wenn sie sich auch immer
noch vielfach auf mehrere Jahre erstreckt. Die neue Praxis konnte
si ch hier auf den alten Grundsatz berufcn, dass ein Sünder, der
sein Vergehen freiwillig beichtet, milder zu behandeln sei, aIs
einer, dessen Vergehen zufallig offenbar geworden ist.
2. Da das alte Strafmass im wesentlichen dennoch aIs em
unverrückbarcs Ideal gilt, muss das Fehlende irgcndwie auf an-
dere Weise ersetzt werden. Die Stren ge der alten Vorschriften
kann nur dadurch umgangen werden, dass der Büsser auf an-
dere Weise, namlich durch besondere Werke der Fr6mmigkeit,
Wle Verbeugungen, Fasten u. dgl., Ersatz schafft.

Der Autor des Kanonikons hat diese neuen Prinzipien deut-


lich ausgesprochen: ,< Bei den alten Vatern », sagt er, ,< und bei
Basilius dem Grossen finden wir weder Fasten, noch Nachtwa-
chen, no ch eine bestimmte Anzalù von Kniebeugen angeordnet,
sondern festgesetzt ist lediglich der Ausschluss von der hl. Kom-
munion. Wir aber halten es für recht, bei dcnjenigen, die wirk-
lich Busse tun und den aufrichtigen Willen aussern, ihr Fleisch
durch eine strenge Lebensweise zu demütigen, dem Mass der
Enthaltsamkeit entsprechend auch die Zeit der Busse zu ver-
kürzen. Zum Beispiel, wenn jemand an bestimmten Tagen kei-
nen Wein trinken will, kann man ihm ein J ahr von der Zeit der
durch die Kanones festgesetzten ~mnfll", erlassen. Gleichfalls,
wenn jemand si ch freiwillig des Fleischgenusses enthalten will,
halten wir es für recht, ihm no ch ein J abr zu erlassen; ebenso,
wenn sich jemand von Kase, Eiern, Fisch oder 01 enthalten
will, kann man ihm für die Entbaltung von einer jeden der ge-
262 GEORG WAGNER

nannten Speisen jeweils ein J ahr der Busse erlassen. Das gIeiche
gilt auch für haufige Kniebeugen und die Verteilung von AI-
mosen ) 21.
Ganz im Sinne dieser Ausführungen Johannes des Fasters
Iautet eine Rubrik, die sich bis zum heutigen Tage im slawi-
schen Ritualbuch (, Trebnik ") erhalten hat, allerdings in der
Praxis wohl kaum noch Beachtung fi ndet. lm Anschluss an den
Ritus des Bussakramentes finden wir hier unter anderen Rubri-
ken au ch die folgende: (, Wenn sich ein frommer Mann findet,
der taglich eine Reihe von Verbeugungen nach seiner Kraft voll-
ziehen will, so erlasse ihm ein J ahr von dem Mass des Kanons
der Enthaltung von der Kommunion. Wenn er aber Almosen
verteilen will nach dem Mass seiner Moglichkeiten, so erlasse
ihm auch ein zweites Jahr. Wenn er aber am Mittwoch und Frei-
tag den hl. Kanones entsprechend fastet, so erlasse ihm noch
ein weiteres J ahr. Und wenn er auch am Montag sich des Fleischge-
nusses enthalten will, erlasse ihm wieder noch ein Jahr; und
wenn des Genusses von Kase und Eiern, - noch ein weiteres
J ahr. Ebenso, wenn er eine andere Tugend vollbringt, erlasse
ihm ein weiteres Jahr. Wenn er aber jünger als dreissig Jahre
ist, - wieder ein weiteres J ahr. Und wenn er jünger aIs zwan-
zig ist, muss das Mass seiner Busse no ch mehr verringert wer-
den. Wenn aber jemand das hier Vorgeschlagene nicht tun will,
hat er die vorgeschriebenen J ahre vollstandig zu vollbringen.
Beachte auch foIgendes: Wenn jemand, nachdem er in eine Sünde
gefallen ist, Monch werden will, so erfülle er zwei DritteI (seiner
Busszeit), den dritten Teil aber sollst du ihm erlassen. Und wenn
er in ein zonobitisches Kloster gehen will, so erlasse ihm noch
ein weiteres J ahr. Wenn er aber nach dem Eintritt in den Monchs-
stand fallt, muss er die ganze festgesetzte Busszeit erfüllen ".
Zweifellos stehen wir hier vor einer Problematik, die derje-
nigen überaus ahnlich ist, aus der im Abendland schliesslich
die Institution der lndulgenzien erwachsen ist. Grundsatzlich
dürfte die seelsorgerische A ufgabe des Beichtvaters hier sehr
stark von juristischen Motiven überdeckt werden. Die Proble-
matik der Buss-Nomokanones dürfte darin bestehen, dass sie
den grundsiitzlichen Unterschied zwischen der altkirchlichen Buss-

21 Zitiert nach I.S. BERDNIKOV. Kratkij kurs cerkovnago prava. Kasan'


1903, S. 90-91; vgl. NIKODEMOS HAGIOlUTES, Exomologetarion. Tel II, 1.
BUSSDISZIPLIN IN DER TRADITION DES OSTENS 263

disziplin und der privat en Beichte, wie sie sich zumal unter dem
Einfluss des Monchtums verbreitet hat, nicht genügend beachten.
Die Vorschriften der alten Bussdisziplin werden trotz allem aIs
etwas im Grunde absolut Unveranderliches betrachtet, dem au!
irgendeine Weise durch schwierige Ersatzleistungen Genüge ge-
tan werden muss, wahrend doch bereits am Ende des 4. J ahr-
hunderts der hl. Johannes Chrysostomus die Relativitat dieser
Vorschriften deutlich erkannt hatte. Zugleich wird der Beicht-
vater zu einem nahezu apellationslosen Richter, der anhand des
Buss-Nomokanons mit ziemlicher Freiheit - trotz allem lang-
\vierige und schwere - Stra!en über seine Beichtkinder verhan-
gen kann. Bei dem mehr oder weniger offentlichen Charakter
der alten Bussdisziplin, die zudem au! Grund des 5. Kanons
von Nizaa 22 eine Apellation an das Bischofskonzil der jeweili-
gen Provinz zuliess, waren Willkürentscheidungen viel weitge-
hender ausgeschlossen. Alle diese Gründe mussten dazu beitra-
gen, die Buss-Nomokanones schliesslich !rüher oder spater weithin
ausser Kraft zu setzen.

3. DIE NEUZEIT

In Russland setzt die offizielle Kritik an den byzantinischen


Buss-Nomokanones mit dem « Geistlichen Reglament ,) Peters des
1. vom Jahre 1721 ein. Insbesondere wird dem Priester hier das
Recht, seine Beichtkinder au! lange Zeit von der Kommunion
auszuschliessen, gleichsam auf Befehl der weltlichen Regierung
ein!ach für die Zukunft aberkannt: « Eigentlich und namentlich
jene im alten Brauch üblich gewesene Epitimia, jemanden au!
lange Zeit von der Kommunion auszuschliessen, ... ist von nun
an abzuschaffen und fürderhin nicht mehr anzuwenden» 23. Man
hat zuweilen den Eindruck, aIs wolle die N euzeit auf dem Ge-
biet des Busswesens in den umgekehrten Fehler wie einst die
Novatianer verfallen. Wollten jene die Vollmacht der Kirche
au! diesem Gebiet au! die Macht zur excommunicatio begren-
zen, so will die Neuzeit vielfach die Rolle des Priesters bei der
Busse einseitig au! die blosse Vollmacht, die Absolution zu spen-
den, begrenzen. Doch hat die Kirche - auch in der petrinischen

22 MANSI 2,669.
23 S.B. BULGAKOV, Nastol'nafa Kniga, Charkov 1900, S. 996.
264 GEORG WAGNER
------------------
Zeit in Russland - jedenfalls immer auf der Ptlicht des Priesters
bestanden, den unbussfertigen Sündern die Absolution zu ver-
weigern, {I solange bis sie 5ich vollstandig bessern und würdige
Früchte der Busse zeigen »), wie es in einem Beichtformular heisst,
das seit dem 18. Jahrhundert von der Pertcrsburger Heiligen
Synode ais Anleitung für die Priester herausgegeben wurde ".
50 darf man letztlich in der Abkehr von clen mittelalterlichen
Buss-Nomokanones für die Kirche die positive Moglichkeit einer
freien Hinwenclung zu clen rein seelsorgerlichen Aufgaben cles
Beichtvaters erblicken.
Diese kurzen Ancleutungen hinsichtlich cler neuzeitlichen Ent-
wicklung in Russland düdten in dem einen oder andern Masse
auch für die Entwicklung in andern orthodoxen Liinclern stehen.
Trotz der grossen Wancllungen, die clas Bussinstitut im Laufe
cler Jahrhunderte clurchgemacht hat, bleibt clie Bussclisziplin ihrem
Wesen nach eine absolute Notwendigkeit für das Leben der Kir-
che. In cler Bussdisziplin kommt jene Funktion der (! Krisis ",
des Gerichtes, zum Ausclruck, die der Kirche stets zueigen sein
muss ais cler Stiitte der Gegenwart und cles Wirkens des Geistes
und ais cler Stiitte der Vorwegnahme der eschatologischen Wirk-
lichkeit. Lebten die Christen früherer Zeiten in einer 50 engen
Konfrontation mit dieser Realitiit, class es einer formellen Beicht-
ptlicht nicht beclurfte, so ruft die Kirche die Christen cler Ge-
genwart, sich clurch clas Mittel cler Beichte eben jener Wirklich-
keit zu stellen. (, Denn », nach clen Worten Simeons von Thessa-
lonich aus dem 15. J ahrhunclert, (, aile bedürfen cler Busse: Laien
und Manche, Kleriker, Priester und BischOfe .... "Niemand soli
auf sich selbst vertrauen " 25. Niemand solI sich selbst für be-
wiihrt erkliiren ...

Georg \VAGNER,
Bischof von Eudokias

2-1 Ebda.
25 SalEON V. THESSALONICH, De poenitentia, cap. 252 u. 264 (PG 155,
472.488).
RÉMISSION DES PÉcHÉs CHEZ LUTHER

Le sujet de cette communication 1 a été déterminé en har-


monie avec le thème choisi pour le Congrès liturgique de 1973,
à savoir la réflexion sur l'affirmation du Symbole: [Credo] remis-
sionem pecmtoru.m. De prime abord il semblait intéressant de
connaître la pensée de Luther à cet égard et de la comparer avec
celle d'autrui, même si l'on n'était pas sûr que Luther ait traité
la question qui nous intéresse avec la même ampleur que d'au-
tres thèmes qui lui tenaient davantage à coeur.
Si Luther parle de la rémission des péchés il en parle comme
d'un axiome indiscutable, supposé connu, sinon admis par tous.
On le trouve partout dans son oeuvre, il affleure à chaque mo-
ment, comparable à un fond sonore diffus toujours présent. C'est
pourquoi il est si difficile de trouver un texte où il le traite de
façon explicite.
Nous en avons une double preuve. On constate, d'une part,
que les commentateurs les plus connus (W. Elert, E. Schlink,
H. Asmussen) ne lui consacrent pas un chapitre spécial lorsqu'ils
exposent la théologie de Luther ou celle des écrits confession-
nels, puisque cette notion' est sous-jacente à l'oeuvre toute entière.
Nous avons, d'autre part, l'affirmation péremptoire de la pre-
mière des 95 Thèses de 1517:
Dominus et magister nos ter Jesus Christus dicendo: « Poe-
nitentiam agite » etc. (lift 4,17), omnem vitam fidelium
poenitentiam esse voluit.
On aura remarqué le « esse voluit ». Il s'agit d'un état de
vie permanent, ininterrompu, et non pas d'un acte isolé et pas-
sager, qu'on pourrait à la rigueur, en cas de nécessité, répéter.
Ce qui est confirmé par la thèse suivante qui rejette expressis
verbis le sacrement de pénitence traditionnel:
Quod verbum de poenitentia sacramentali (id est con-
fessionis et satisfactionis, quae sacerdotum ministerio ce-
lebratur) non potest intelligi.

1 En reportant cette conférence, on a volontairement gardé le style

parl6 de l'exposé, ce qui explique la mention de certains termes allemands


et l'absence d'un appareil comprenant des renvois, des références ou des ci-
tations (N.d.l.R.).
266 ]EA~-NICOLAS WALTY

Nous reviendrons sur le problème de la confession auriculaire


(Ohrenbeichte), recommandée et pratiquée par Luther, sans être
reconnue comme troisième sacrement.
Notons, pour l'instant, le fait qu'il ne s'agit pas, lorsqu'il
est question de la rémission des péchés, d'un événement occa-
sionnel, (1 ponctuel» (2< thèse), mais d'une donnée permanente,
(1 existentielle» (l'" thèse). L'expression (1 existentielle» pourrait
nOus surprendre, aujourd'hui. Nous la trouvons cependant, dans
ce même contexte, chez W. Elert, en 1931 déjà, lorsqu'il parle
de l'angoisse de Luther (Luther-Angst) qui a été falsifiée (ver-
Hilscht) par ses successeurs qui l'ont transformée en une pure
affaire de sentiment (reine Gefühlssache) en la coupant de ses
bases épistémologiques existentielles (existentielle Erkenntnisgrund-
lagen). Cf. W. ELERT, MorPhologie des Luthertums 1931 (réimpr.
1952), t. I, p. 39.
Mais revenons au problème initial. Du point de vue chro-
nologique nous nous trouvons en pleine querelle des Indulgences.
L'affrontement avec le dominicain Tetzel a fourni à Luther l'oc-
casion de s'expliquer et, par là, de se rendre compte de l'enjeu
de ce que l'on pourrait appeler «le pardon à bon marché », pour
employer la formule de D. Bonhoeffer (die billige Gnade). On
n'oubliera pas non plus, dans ce contexte, l'obscure préhistoire
qui culmine dans" l'événement de la tour» dont on ne sait même
pas la da te exacte.
Pour saisir la perspective dans laquelle se situe la doctrine
de Luther concernant la rémission des péchés, il nous paraît
utile de résumer très brièvement la première section du volu-
me l de W. Elert, intitulé Der evangelische Ansatz, avec ses deux
chapitres: 1) Sous la colère de Dieu; 2) De l'Evangile.
Nous ne retenons de ces deux chapitres, très touffus et ri-
chement documentés, que trois notions qui éclairent bien notre
sujet. Nous nous limiterons à ce que Elert dit de Luther lui-même
(et non pas du luthéranisme postérieur) en commençant par la
dernière notion, celle de la (1 Justification» (p. 64 sv.), pour re-
monter à celle de " Péché» (p. 25 sv.) - qui inclut" Loi et co-
lère de Dieu» (p. 31 sv.) - en terminant par l'" Urerlebnis»
(p. 15 sv.).
Disons tout de suite que, faute de temps, nous ne faisons
que mentionner le "Urerlebnis» en signalant que dans ce para-
graphe il est surtout question de la (1 distance infinie» entre Créa-
RÉMISSION DES PÉCHÉS CHEZ LUTHER 267

teur et créature. Si nous faisons cette démarche: Justification


Péché - «( Urerlebnis) en sens inverse, c'est, d'une part,
pour dégager le terme «( remissio peccatorum) de l'étroit carcan
où J'on a coutume de l'enfermer, le sacrement de pénitence étant
considéré comme un événement parmi tant d'autres qui jalon-
nent notre existence.
D'autre part nous voudrions souligner ainsi l'intime connec-
tion entre Rémission des péchés et Justification par la foi, telle
qu'elle s'exprime dans le célèbre article IV de la Confession d'Augs-
bourg (citée: CA).
De justificatione. Item docent [les protestants] quod ho-
mines non possint j ustificari coram Deo propriis viri-
bus, meritis aut operibus, sed gratis iustificentur prop-
ter Christum per fidem, cum credunt se in gratiam re-
cipi et peccata remitti propter Christum, qui sua morte
pro nostris peccatis satisfecit. Hanc fidem imputat Deus
pro iustitia coram ipso. Rom. 3 et 4.
Dans son ouvrage (Warum noch lutherische Kirche?, 1949)
H. Asmussen a pu dire (p. 66), en commentant ce texte, que
la CA identifie Rémission des péchés et Justification. L'auteur
signale ce fait presque en passant, sans s'y attarder. De plus,
fidèle à son point de départ (, Warum noch lutherische Kirche? »,
il pose la question au sujet de la conformité de la doctrine lu-
thérienne avec le donné biblique en constatant que le terme
« justification» (dikaiosyne) est employé par le Nouveau Testa-
ment de différentes façons - il n'a pas un sens univoque.
W, Elert, lui aussi, considère J'article IV de la CA comme
point culminant et décisif de toute la Réforme luthérienne (das
für die gesamte lutherische Reformation Entscheidende), un ré-
sumé doctrinal d'une clarté et d'une brièveté magistrales. En
effet, la combinaison des deux textes, latin et allemand, donne
(, justificari» égale « recevoir (Empfang) la rémission des péchés
et la justice devant Dieu », de sorte qu'il faut comprendre (, la
rémission des péchés comme le contenu propre ou essentiel (der
eigentliche lnhalt) de la justice» (W. ELERT, op. cit., p. 85).
Dans son A pologia Mélanchthon a renforcé les lignes de la
CA. Pour lui il existe une identité totale entre « justification»
et « rémission des péchés '>, de manière qu'il ne reste aucune objec-
tion contre le caractère purement passif de la foi-imputation.
W. Elert cite (p. 85) ce passage révélateur:
268 JEAN-NICOLAS WALTY

Fides est illa res, quam Deus pronuntiat esse justitiam


et addit (Rom. 4,5) gratis imputari.
Plus tard, les dogmaticiens luthériens ont voulu distinguer
dans la justification, deux moments séparables et successifs, la
«( remÎssio peccatorum) d'une part, et 1'«( imputatio justitiae
Christi)} d'autre part (ELERT, p. 93); mais les écrits confession-
nels, y compris la (< Formula Concordiae », n'en savent rien.
n reste donc que, de facto, la notion de "rémission des pé-
chés)} constitue une périphrase (Umschreibung) du concept lu-
thérien de la «justitia Dei l}, dans la mesure où Luther lui-même
l'entend comme la justice dont Dieu a gratifié l'homme (ELERT,
p. 94). - La conclusion s'impose: il n'y a pas seulement iden-
tité entre rémission des péchés et justification, il y a aussi iden-
tité entre foi et rémission des péchés. Cette équivalence (ELERT,
p. 73) ne contredit aucunement l'affirmation bien connue et tant
de fois répétée de Luther selon laquelle la foi consiste en ceci:
croire que j'ai reçu la rémission de mes péchés. Car le proces-
sus de la justification est lié tout entier à la personne et à l'oeuvre
du Christ dont il est dit que tout a été fait «pro me l}.
Dans sa Theologie der h,therischen Bekenntnisschriften (1948)
E. Schlink s'exprime, au sujet de l'article IV de la CA, dans des
termes analogues:
Lorsque Dieu pardonne au pécheur son péché, il le jus-
tifie. Lorsque le pécheur obtient «la rémission du pé-
ché l}, il obtient "la justice devant Dieu l}. Pardon des
péchés et justification ne sont pas seulement toujours
nommés ensemble, mais ces termes sont employés pro-
miscue l'un pour l'autre (E. SCHLINK, op. cit., p. 136).
Passant à Mélanchthon et à son Apologia, E. Schlink re-
marque:
La rémission des péchés n'est pas seulement nécessaire
en premier lieu dans la justification, mais ohtenir la
rémission des péchés est être justifié (Ap. IV, 75 sv.).
De même pardon et justification sont fondés exclusive-
ment dans la mort obéissante de Jésus Christ (op. cit.,
p. 137).
En note (p. 136) Schlink parle, à propos de Mélanchthon, de
l'équation qui revient sans cesse entre justification et rémission
des péchés.
RÉMISSION DES PÉCHÉS CHEZ LUTHER 269

Après avoir entendu la voix des commentateurs autorisés


de la CA il faudrait maintenant étudier à part le terme même
de péché, deuxième point de notre triple di,marche signalée
plus haut.
Pour être bref nous nous limiterons à une rapide juxta-
position de la notion de péché selon Luther et de celle de la théo-
logie morale de l'époque marquée par le déclin du moyen àge.
Le contraste entre ces deux visions permettra de mieux saisir
la pensée originale et novatrice de Luther.
Le dogme du péché originel signifie, pour Luther, que l'hom-
me est radicalement pécheur, c'est-à-dire qu'i! est pécheur à
partir des racines de son être (ce que Elert exprime par le (, Ich »
transcendental, par opposition au «Ich» empirique dont nous
avons conscience et connaissance). Vu sous cet angle on peut
dire du sujet pécheur (, que je n'ai pas seulement commis telle
ou telle faute, donc que j'ai fait le péché, mais que je suis pé-
cheur» (W. ELERT, p. 34).
Cela veut dire: Dieu porte son regard, et son jugement, sur
l'ensemble, sur la totalité de ma vie, et non sur un ou des actes
pris isolément au cours de mon existence. Il le peut puisqu'il
se tient au delà (ou en dehors = jenseits der Grcnzen unseres
Lebens) de notre vie, ce qui rend possible une vue englobante,
tandis que nous ne voyons que les faits singuliers au long de notre
histoire. Or, nous devrions, dit Luther, considérer notre vie avec
les yeux de Dieu pour saisir la gravité de notre cas.
Tout cela est accentué par la Loi (interprétée, on s'en sou-
vient, par S. Paul dans l'épître aux Romains) qui montre à l'hom-
me (, quid debeat, non quid possit l) (ELERT, p. 33), ce qui per-
met à Luther de dire (WA 40, l, 256, 15): (, Non implesti, nec
potes, et tamen debes ». Faut-il insister sur le désespoir que pro-
voque une telle situation?
Par opposition à cette radicalité et totalité du péché se place
le système pénitentiel traditionnel que Luther attaque avec vé-
hémence (cf. la 2e thèse de 1517). Pourquoi? La pastorale cou-
rante, telle qu'elle s'exerçait dans le sacrement de la pénitence,
s'intéressait aux péchés (au pluriel!) en tant que faits isolés,
énumérables, qualifiables (distinction entre péchés graves ou mor-
tels et péchés véniels). Une telle pratique est condamnée par
la première thèse sur les Indulgences (<< toute la vie du chrétien
est pénitence »). Par ailleurs, Luther a soin d'indiquer, lorsqu'il
parle de la confession (Beichte) évangélique, dans quel sens il
270 JEAN-NICOLAS WALTY

faut l'entendre. Cette pratique salutaire a pour but, entre autre,


la consolation que procure la rémission des péchés aux conscien-
ces troublées, ce qui ne signifie évidemment pas de les tranquil-
liser ou de les «( sécuriser» à bon compte, comme cela se prati-
quait couramment à l'époque (cf. le trafic des Indulgences).
Pour Elert (p. 73). l'oeuvre réformatrice de Luther a com-
mencé avec l'échec (Zusammenbruch) du système scholastique et
médiéval-ecclésiastique de l'assurance ainsi comprise. En durcis-
sant quelque peu les traits Elert nous en donne la description
que voici, suivie de la réaction de Luther:
Toute l'éthique de l'Eglise médiévale, surtout sa doc-
trine pénitentielle (Busslehre) se mouvait dans la pen-
sée d'un équilibre raisonnable (Gedanken des vernünf-
tigen Ausgleichs). C'est pourquoi - c'est Luther qui
parle - ses représentants sont devenus des disciples
du païen, mort et damné, Aristote (WA 10, I, 1,472,10).
Cette doctrine a eu l'audace de traiter avec Dieu d'égal
à égal, comme si Dieu et notre nature seraient deve-
nus des bons camarades (,< gutte freund miteynander »,
ib., 473,19). ,< De sorte qu'on est arrivé à ne plus re-
connaître la cruelle colère de Dieu au dessus de nous,
à ne plus s'en lanlcnter ni pleurer J).

* ••
Il nous reste une dernière question à traiter brièvement:
Comment obtient-on la rémission des péchés?
La réponse en est simple: par l'Evangile. Pour être précis
il faudrait dire: par la promesse contenue dans l'Evangile et
annoncée de vive voix aux hommes par la prédication.
E. Schlink résume en quelques lignes le processus salvifique
de la rémission des péchés:
On n'a pas l'Evangile, mais on l'entend; on ne le con-
naît pas comme on connaît les données d'une science,
mais on le reçoit toujours à nouveau, exprimé par une
voix humaine qui annonce la grâce de Dieu, et par la-
quelle la voix même de Dieu se fait entendre du haut
du ciel, aujourd'hui, parmi nous. L'Evangile au sem
propre est la parole de l'absolution (E. SCHLINK, op.
eit., p. 35).
RÉMISSION DES PÉCHÉS CHEZ LUTHER 271

De façon générale on peut dire, toujours d'après les écrits


confessionels (par exemple l'Apologia), que le contenu de toute
l'Ecriture c'est la Loi et l'Evangile, ou même l'Evangile tout
court, en tant que parole justificatrice du pardon. Aussi E. Schlink
peut-il dire (p. 40) que la doctrina {idei, ou la somme de l'Ecri-
ture sainte, n'est autre chose que la doctrine de la justification.
Quelques pages plus loin (p. 56) nous trouvons l'axiome suivant:

La norme de tout travail dogmatique est, selon l'Ecri-


ture, l'Evangile, c'est-à-dire la promesse de la rémis-
sion des péchés à cause de Jésus Christ.

On pourrait multiplier les citations qui mettent en évidence,


malgré une certaine absence de cohérence systématique (cf. E.
SCHLINK, op. cit., p. 93), la simultanéité de la prédication de
l'Evangile et de la rémission des péchés. Signalons, à ce sujet,
un passage significatif de l'A pologia (XII, 29):

La somme de la prédication de l'Evangile c'est accuser


les péchés et offrir le pardon des péchés et la justice
à cause du Christ.

Presque sous forme de corollaire apparaît le pouvoir des


clefs (SCHLINK, op. cit., p. 196) - un double pouvoir comme
on sait (le pouvoir d'absoudre et celui de retenir). Mais
le pouvoir propre (die eigentliche Gewalt) des clefs c'est
l'absolution. L'accent est tellement mis sur ce fait que
l'office (Amt) des clefs et l'office de l'Evangile sont la
même et unique chose (suit la citation de l'Apologia
XI, 2: (< La voix propre de l'Evangile c'est l'absolu-
tion >,) (ib.).
C'est dans ce contexte que se situe le rôle attribué à la con-
fession sacramentelle ou auriculaire. Elle est recommandée (par
exemple dans les deux Catéchismes de Luther et dans les ar-
ticles XI et XXV de la CA) - mais pas obligatoire - parce que
l'absolution, conférée par l'Evangile proclamé, est appliquée à
l'individu lui-même, il se sent personnellement concerné. A ce
sujet une dernière question se pose: Pourquoi Luther n'a-t-il
pas retenu la confession des péchés et l'absolution comme sa-
crement, malgré le grand estime qu'il leur porte? La réponse
de Schlink (p. 254) nous semble convaincante. C'est le manque
272 JEAN-NICOLAS WALTY

d'un signe extérieur ordonné par Dieu qui empêche que l'an-
nonce de la rémission par l'absolution ne devienne un «( verbum
visibile », donc un sacrement proprement dit.
Le sort qu'a subi la confession des péchés et l'absolution,
devenues un rite facultatif, est symptomatique de l'évolution gé-
nérale qu'a subie la doctrine de la rémission des péchés dans
le luthéranisme. Cependant, elle reste le pivot de la théologie
issue de Luther, eIle en constitue même la base de sorte
qu'on n'a jamais éprouvé le besoin d'en faire un chapitre, un
« Lehrstück" à part.

Jean-Nicolas WALTY, a.p.


L'ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES OFFICES
DU SOIR EN ORIENT ET EN OCCIDENT *

Au début la metanoia dans le NT eût un sens eschatologique,


qui envisageait un changement total, qui ne se faisait qu'une
seule fois. Mais assez tôt on peut constater une évolution de cette
paenitentia sewnda dans une ePitemia à répétition, qui aboutit
finalement à l'exomologèse monastique.
Il y avait donc un long parcours de la pénitence originale
à la pénitence ecclésiastique, qui comprenait la confession, la
justice, la punition et la rémission.
A côté de cette pénitence publique et fréquente sous forme
de plusieurs degrés, qui avait pris un développement assez pro-
blématique, naissaient très tôt dans les églises orientales des
rites pénitentiaux communs, surtout en Syrie et à Alexandrie.
Comme Ligier l'a justement déterminé, {( la richesse des tra-
ditions pénitentielles orientales est trop grande pour qu'on puis-
se en faire un exposé complet. La seule voie permise est de dé-
gager les orientations capitales et d'en montrer la complémen-
tarité )} l,
Alors, ce que j'ai choisi comme thème ce sont les rites de
pénitence communautaires, et dans quelle mesure les offices ves-
péraux comprennent un rite pénitentiel. Il faut donc d'abord
analyser brièvement les sources historiques des offices du soir,
leurs structures et leurs portées diverses.

Préliminaire: L'idée fondamentale d'une expiation dans les


sacrifices du soir chez les juifs.

Le culte quotidien du soir et du matin se trouve déjà dans


la législation de Moïse. Dans l'Exode, chap. 29, 38 f et 30, 8 il
s'agit uniquement d'une référence temporelle quand l'oblatio agni

* Pour plus de renseignements sur les recherches concernant les offi-


ces du soir en Orient et en Occident cf. G. \VINKLER, « Über die Kathedral-
vesper in den verschicdenen Riten des Ostens und Westens », Archiv fiir Li-
turgiewissenschal! (1974).
l Cf. L. LIGlER, Dimension personnelle et dimension communautaire de
la pénitence en Orient, La JVfaison-Dieu 90 (1967), 155.
274 GABRIELE WINKLER

et incensi doit être offerte. Mais dans les Nombres, chap. 28, 3-6,
il est montré, que le tamïd quotidien du matin signifie le renou-
vellement du sacrifice sur le Sinaï. Analogiquement le tamïd du
soir devient dans les indications du Deutéronome, chap. 16, 3-6
une anamnèse de l'expiation, de la réconciliation et de la ré-
demption. Ainsi l'heure du soir et du matin sont interprétées
ici comme représentations du salut offert par Yahvé '. Si je cite
au début de mon exposé le culte du temple au lieu de celui de
la synagogue c'est pour démontrer que déjà dans le monde an-
tique le culte du soir est lié nettement avec l'idée essentielle
d'une expiation dès le commencement.

PREMIÈRE PARTIE:
LA STRUCTURE DES v:ËPRES EN ORIENT 3

I. L'ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES VÊPRES ORIENTALES DU 4e


AU 7 e SIÊCLE

1. En Syrie occidentale

(Reconstruit par les Constitutions Apostoli-


ques', les homélies de Jean Chrysostome',
le Testamentum Domini '; et les indications
de Théodoret 7 sont probablement à ajouter).

Commençons avec l'exposition du ps 140 par Jean Chry-


sostome. Il nous fait connaître, premièrement, que le psaume
140 est chanté à Antioche dans l'office du soir quotidien, et deu-

2 Cf. A. ARENS, Die Psalmen im Gottesdienst des Allen Bundes. Eine Un-
tersuchung zur Vorgeschichte des christlichen Psalmengesangs (= Trier. Theo1.
Stud. Il, Trier 1968).
:1 Cf. J. MATEOS, Quelques anciens documents sur l'office du soir, Or. Chr.

Pero 35 (1969), 347-374 .


• Cf. lib. II, 59,2; VIII, 35-37 (éd. Funk, 171, 544-6); pour lib. II cf.
MATEOS, Amiens documents, 352 s.
li Cf. PG 55,182,427; A. WENGER, Jean Chrysostome, huit catéchèses bap-

tismales, 8,18 (= Sources Chrét. 50), 257; PG 62,530.


6 Liber II, 24 (éd. I.E. Rahmani, Moguntiae 1899).

7 Cf. PG 80,284.
ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES OFFICES DU SOIR 275

xièmement il nous donne la raison pourquoi le ps 140 fut (, pres-


crit par les pères ", comme il dit:
Il a été prescrit comme un médicament salutaire et une
purification des péchés, afin que tout ce qui nous a
souillé au long de la journée ... nous nous en dépouil-
lions le soir venu au moyen de ce chant spirituel. Il
est en effet un médicament capable d'enlever tout cela '.

On voit donc, que la pensée des pères et de Jean Chrysos-


tome lui même s'appuie sur le caractère pénitentiel des vêpres,
exprimé dans le ps 140. La raison pour laquelle ce psaume a été
universellement adopté apparaît nettement dès la récitation des
versets initiaux:
Yahvé, je t'appelle, accours vers moi,
écoute mon appel quand je crie vers toi.
Que ma prière devant toi s'élève comme un encens,
mes mains comme l'offrande du soir!
Etablis, Yahvé, une garde à ma bouche
et veille sur la porte de mes lèvres.
N'incline pas mon coeur à des oeuvres de mal,
à faire oeuvre d'impiété avec les malfaisants.

Dans les Constitutions Apostoliques (lib. II, 35, 2) le ps 140


est déterminé comme tmÀoxvLoÇ <jJ<XÀf'6ç et le Testamentum Do-
mini nous fait savoir que l'office du soir introduit la journée li-
turgique comme chez les juifs et, en outre, que les vêpres sont
un symbole de notre résurrection 9. Ainsi Jean Chrysostome et
le Testamentum Domini prolongent le thème de la rédemption,
exprimé déj à dans le sacrifice de l'Ancien Testament.
Une approche nouvelle nous apportent probablement les in-
dications de Théodoret, en mentionnant l'offrande de l'encens
et de la lumière dans ses Quaestiones in Exodum 10. La thurifica-
tion comme image de notre pénitence et de notre réconcilia-
tion avec Dieu se manifeste pour la première fois chez les chré-
tiens en Syrie dans les écrits d' Ephrème ". Mais déjà chez les

, Cf. PG 55,427 .
• Cf. 6.
10 Cf. 7.
Il Carmina Nisibena 27 (éd. E. Beek, ISeO, script. syri 92,46); cf. MA-
TEOS, Amiens documents, 371. Les documents nous fournissent plusieurs sens
276 GABRIELE WINKLER

juifs le rite de l'encens est considéré comme un rituel sacré d'ex-


piation, qui procure la réconciliation avec Yahvé. Voici le pas-
sage dans l'Ancien Testament (Nombres, chap. 17, 6-15):
Moïse dit à Aaron: Prends l'encensoir. .. et hâte-toi d'aI-
ler près de la communauté pour faire sur elle le rite
de l'expiation, car la colère de Dieu est sortie devant
Yahvé, et la plaie a commencé. Aaron ... mit l'encens
et fit le rite d'expiation sur le peuple, puis il se tint
entre les morts et les vivants et la plaie s'arrêta.

Au sujet de la structure des vêpres en Syrie occidentale je


m'appuie sur les résultats des recherches accomplies par Ma-
teos 12, Gemayej1' et sur mes propres études publiées dans l'Ar-
chiv für Liturgi&wissMtschaft 14.

A partir des écrits de Jean Chrysostome et des Constitu-


tions Apostoliques, on ne peut pas déduire obligatoirement que
les lampes furent allumées rituellement.
La structure des vêpres à Antioche est donc assez simple
à la fin du 4' siècle: on chante le ps 140 et des prières litaniques
y sont ajoutées.
Un peu plus tard, vers les 5e et 6' siècles, il semble qu'il y
eut en Syrie un allumage rituel de la lampe, comme il est at-
testé par Théodoret. On peut ajouter une preuve ultérieure,
quand on analyse les vêpres de la liturgie des Présanctifiés. En sim-
plifiant grossièrement le rituel entier, on obtiendra deux parties
essentielles, c.à.d. une vêpre et un rite de communion. Mais déjà
Janeras a constaté qu'il s'agit, au sujet de l'office du soir, d'une

de l'encens: 1. comme parfum, utilisé pour les rites funéraires; 2. pour l'exor-
cisme; 3. la signification honorifique, et 4. comme rite d'expiation; cf. E.G.
C.F. ATCHLEY, A History 01 the Use of Incense in Divine Worship (= Alcuin
Club Coll. 13, London 1909); H. LIETZMANN, Messe und Herrenmahl, cine
Studie zur Geschichte der Liturgie (= Arbeiten z. Kirchengesch. 8, Bonn
1956'). 86.
lE Cf. M_'\TEos, Anciens documents, 351-359. J. MATEOS, De officio matu-

tino et vespertino in ritibus orientalibus (Pont. Jnst. Lit. Anselmianum, Rome


1968/69), 60-69.
13 Cf. P.E. GEMAYEL, La structure des vfpres maronites, L'Or. Syr. 9 (1964),
105-134.
14 G. \VINKLER, Ober die Kathedralvesper in den vC1'schiedenen Riten des
OStMtS und Westens, Archiv liir Liturgiewiss. (1974).
ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES OFFICES DU SOIR 277

juxtaposition des deux vêpres 15. Les dernières vêpres contien-


nent un rite de la lampe, le psaume responsorial 140 et les in-
tercessions conclusives. Dans une recherche ultérieure je ch.er-
chais à démontrer que le dernier office du soir n'est que l'office
du soir d'Antioche 16. La Syrie occidentale connaissait donc aux
se et 6e siècles le rite de la lampe avant la récitation du ps 140.

2. L'office du soir à Jérusalem à la fin du. 4< siècle 17


Egérie mentionne dans son itinéraire surtout l'effet de la
lumière. Rien n'est expressément dit sur le thème de pénitence
dans ses descriptions des offices du soir 18 . .Mais nous avons des
renseignements assez clairs, qui permettent de reconstruire les
vêpres. Voici la structure essentielle d'après Egérie:
a) u.n rituel de la lumière (la lumière, qui brille éternelle-
ment dans la spelunca, est prise du sanctuaire pour allumer les
lampes de l'anastasis);
b) plusieurs psaumes appellés psalmi lucernares; il n'y a
donc pas uniquement un seul psaume, comme à Antioche (et
Constantinople avant la réorganisation de ses offices);
c) les intercessions pour les catéchumènes et les fidèles 19.

3. La Syrie orientale a"x 6<-7< siècles

Le témoin le plus ancien connu aujourd'hui c'est le com-


mentaire de Gabriel Qatraya du 6e ou 7e siècle, découvert et
analysé par Jammo 20. Les vêpres cathédrales sont divisées ainsi:
a) un alli.mage rituel de la lampe avec une prière au Christ,
le symbole de la lumière du monde;

15 Cf. S. JANERAS, La partie vesPérale de la liturgie byzantine des Pré-


sanctifiés, Or. ChY. Per. 30 (1964). 193-222.
16 Cf. G. vVINKLER, Der geschichtliche Hintergrund der Priisanktifikaten-

vesper, Oriens Chr. 56 (1972), 184-206.


11 Cf. MATEOS, Anciens documents, 359-371.
18 Cf. éd. H. PÉTRÉ, Ethérie, iournal de voyage (= Sources chrét. 21,

Paris 1948).
19 Ibid., 190-192.

20 Cf. S.H. ]AMMO, Gabriel Qatraya et son commentaire sur la liturgie chal-
déenne, Or. Chr. Pero 32 (1966), 39-52. Ibid., 40-42; IDEM, L'office du, soir chal-
déen au temps de Gabriel Qatraya, L'Or. Syr. ]2 (1967), 187-210.
278 GABRIELE WINKLER

b) l'encensement avec une prière et le chant du lakü marii;


c) plusieurs psaumes vesPéraux (pss 140,141, 118'05 -112 , 116);
d) les intercessions (kiiriizwiitii) 21.

Les éléments strictement pénitentiels sont l'encens, qui est


interprété comme symbole de l'amour du Christ d'après le com-
mentaire de Gabriel Qatraya ", et les psaumes vespéraux.
Quant au ps 140 nous avons déjà constaté le sens expia-
toire intrinsèque. Mais aussi le ps 141 exprime bien l'idée péni-
tentielle sur laquelle les offices du soir syriens sont fondés.
Le ps 118 '05 -112 invite à la réconciliation avec Dieu. Ces
versets, qui constituent la strophe nun, sont ainsi conçus:
Une lampe sur mes pas, ta parole, une lumière sur ma
route. J'ai juré d'observer, et je tiendrai, tes justes
jugements. Je suis au fond de la misère, Yahvé, vivifie-
moi selon ta parole. Agrée l'offrande de ma bouche,
Yahvé, apprends-moi tes jugements. Mon âme à tout
moment entre tes mains, je n'oublie pas ta loi. Que les
impies me tendent un piège, je ne dévie pas de tes pré-
ceptes. Ton témoignage est à jamais mon héritage, lui,
la joie de mon coeur. J'infléchis mon coeur à faire tes
volontés, récompense pour toujours.

Le ps 116 n'est qu'une doxologie finale. Bien que l'aspect


pénitentiel soit souligné dans tous les offices du soir syriens,
on s'aperçoit d'autre part que les vêpres primitives montrent
un certain équilibre entre le thème de la lumière, exprimé dans
le rituel de la lampe, et les indications expiatoires.

II. LA TRANSPOSITION DES VÊPRES EN UN OFFICE NETTEMENT


ET EXCLUSIVEMENT PÉNITENTIEL

Jusqu'à maintenant nous avons pu observer que seuls les


psaumes vespéraux et l'encensement ont indiqué le sens péniten-
tiel dans les offices du soir syriens.

!U Ibid.
22 Ibid.
ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES OFFICES DU SOIR 279

En examinant à fond les vêpres orientales récentes, il est


évident qu'un approfondissement considérable de l'aspect expia-
toire a eu lieu dans le contenu des offices du soir au cours des
siècles. Par exemple:

1. Les vêPres des Maronites"


Chez les Syriens occidentaux, ce sont surtout les rites d'en-
cens, en particulier chez les Maronites, qui soulignent la por-
tée expiatrice.
L'office cathédral commence par le ps 50, le psaume péni-
tentiel par excellence. Après ce psaume suivait, au moins dès
le 13" siècle, une récitation des psaumes selon un ordre numé-
rique, c'est évidemment un indice pour l'influence des monas-
tères sur la structure des synaxes cathédrales. Cette psalmodie
monastique est disparue des livres liturgiques actuels 24.
Passons maintenant au chant des psaumes du soir, qui com-
prennent le pss 140, 141, 118105-112 , et 116. Avec les psaumes
140 et 141 l'encensement est prescrit. En outre il y a plusieurs
strophes intercalées; et souvent la première strophe demande à
Dieu d'agréer l'encens pour l'absolution des péchés, de nous être
propice, de nous conduire à Lui par la conversion.
Après la récitation de cette unité psalmique suit à part
un petit office de l'encens, qui est appellé Ipussaya. Ce terme si-
gnifie apaisement, expiation, purification, absolution et pardon.
Probablement la dénomination syriaque correspond à l'hébraïque
kiPpur, c.à.d. pardon, expiation.
Cet office de purification ou réconciliation se compose de
quatres éléments:
a) le proemion ou doxologie introductoire avec l'imposi-
tion de l'encens;
b) le sedro ou prière d'imposition de l'encens; (ici je ren-
voie les lecteurs aux excellentes études historiques de Mateos,
publiés dans Orientalia Christiana Periodica, num. 28, 33 et 34);
c) le qolo ou chant d'acceptation de l'encens pendant la
thurification du peuple;
d) le 'etro ou prière d'acceptation de l'encens.

23 Cf. 12 et 13.
24. Ibid.
25 Ibid.
280 GABRIELE WINKLER

A l'origine le proemion a été un simple Gloria Patri, deve-


loppé ensuite en une doxologie plus étendue 26. Le sedro, jadis
directement lié à l'encens, est devenu plus tard une certaine ca-
téchèse correspondant à la fête 27. Pour donner une impression
de la portée expiatrice je cite p.ex. le sedro du lundi, dont le
début est typiquement pénitentiel:
Jésus Christ, notre Seigneur, toi qui ne veut pas la mort
du pécheur, mais, selon l'Ecriture, qu'il se convertisse
de sa voie mauvaise et qu'il vive, tu es l'espérance de
ceux qui sont sans espoir. .. Voici que nous t'implorons,
submergés que nous sommes dans une mer de manque-
ments et de fautes, coupables d'iniquités et de péchés
graves. . .. C'est volontairement que nous avons excité
ta colère et nous ne savons que te dire, à toi qui re-
mets les manquements et les péchés. C'est pourquoi à
la manière du publicain nous crions en disant: Seigneur,
aie pitié de nous, tes serviteurs coupables. Expie notre
faute, pardonne nos péchés, Dieu clément, sois miséri-
cordieux à notre genre humain misérable qui est déchu
par sa faute et qui est tombé dans l'abîme du péché.
Etends vers nous ta main, arrache-nous de la fosse des
manquements et des péchés .... Seigneur, si tu le veux,
tu peux nous purifier... Rends-nous dignes de recevoir
auparavant le pardon de nos fautes, la rémission de
nos péchés. Et au jour grand et redoutable de ta se-
conde manifestation céleste, puissions-nous entrer avec
toi dans la demeure de lumière et te rendre gloire 28.

Dans plusieurs sedre on retrouve la formule de l'anaphore


de saint Jacques: «Remets, acquitte et pardonne') et, comme
dans le rite de pénitence personelle, la prière continue très sou-
vent en demandant pardon pour les péchés commis sciemment
et dans l'igno:-ance, volontairement et involontairement 29.
Le qolo: on peut le déterminer comme poésie ecclésiale, où
l'on fait des allusions à l'encensement de l'Ancien Testament.

211 Cf. J. MATEOS, Sedre et prières connexes da1~s quelques anciennes col-
lections, Or. CM. Pero 28 (l962), 239-287; IDEM, De officio, 65.
27 Ibid.; cf. GEMAYEL, Vêpres maronites, 199 ss.
28 Cf. LIGIER, Dimension, 175-6.
2U Ibid.
ASPECT PÉNITE~TIEL DANS LES OFFICES DU SOIR 281

Et le 'etro est u~e prière assez courte pour l'acceptation de l'en-


cens 30.
Le rituel de la récitation du Ipt<ssiiyii est donc un véritable
rite de demande de pardon. Les fidèles se tiennent debout, le
corps incliné, et ils se signent quand le diacre passe avec l'encen-
soir et les Indiens de rite syrien se prosternent la face contre terre.

2. L'office dt< soir des Jacobites 31

Les vêpres chez les Jacobites se distinguent de celles des


Maronites dans très peu de particularités. Chez les Maronites la
psalmodie numérique fut exclue récemment, au contraire dans
les livres liturgiques jacobites on trouve encore cette récita-
tion des psaumes selon l'ordre numérique. Mais tous les deux,
les Jacobites comme les Maronites, ont dévéloppé un office d'en-
cens, qui a, par son caractère strictement pénitentiel, éliminé
- ou mis dans l'ombre - au cours des siècles les autres éléments,
c.à.d. le rite de la lampe et les intercessions. Les intercessions
finales se trouvent encore chez les Jacobites, mais dans les vê-
pres maronites elles ont disparu.

3. Le rite d'exPiation copte dans l'office de l'encens 32

Non seulement les rites syriens occidentaux soulignent cet


aspect propitiatoire, mais aussi les cérémonies de type alexandrien.
Ici nous nous sommes posée la question de tracer les céré-
monies d'expiation dans les vêpres cathédrales et non monas-
tiques. C'est pourquoi nous laissons de côté l'ensemble de l'Ho-
rologion. L'office cathédral copte de jadis est caché dans l'of-
fice de l'encens, qui est célébré le soir et le matin avant chaque
célébration d'une liturgie eucharistique.
Le noyau de l'office du soir est, comme le dit déjà la dé-
nomination, l'offrande de l'encens, qui a, comme chez les syriens,
un caractère pénitentiel, et les Coptes se confessent pendant l'en-
censement.

30 Cf. 26 et 27.
31 Cf. A. BAUMSTARK, Festbrevier und Kirchenfahr der syrischen Jako-
biten (= Stud. z. Geseh. u. Kultur d. Altertums 3, Paderborn 1910), 106-121;
J. PUYADE, Les heures Canoniales Syriennes et leur composit-ion, L'Or. Syr. 3
(1958), 402-410.
32 Cf. H. QUECKE, Untersuchungen zum koptiscken Stundengebet (= Pu-
blications de l'Institut Orientaliste de Louvain 3, Louvain 1970), 26 sS., 47.
282 GABRIELE WINKLER

Ici on se demande si ces offices ont eu uniquement un sens


expiatoire en général, ou si ces prières, ces psaumes et le rite
d'encens contiennent aussi une signification sacramentale pour
eux. Les indications que le métropolite copte Michel (Be siècle)
nous fournit à propos de ce rituel sont assez significatives. Il
écrit: (l Le prêtre offre l'encens à l'autel, à l'instar d'Aaron, de
Zacharie et des autres prêtres, et il le porte tout autour au
peuple, afin que chacun, sur cet encens, pense à ses péchés et
s'en repente. Ensuite le prêtre doit ramener l'encens à l'autel
de Dieu et solliciter la rémission pour le peuple 1). Et Abul-Ba-
rakat reprend lui même cette signification sacramentale quand
il dit: (l La coutume s'est implantée en Egypte ... que personne
ne confesse ses péchés au prêtre, mais sur l'encensoir lorsque
le célébrant le porte tout autour de l'église ,,33.
Au cours des siècles jusqu'au Moyen Age à peu près, plu-
sieurs églises orientales ont donc developpé des rites péniten-
tiaux communs d'une valeur indéniablement sacramentale, outre
la confession individuelle. Mais de l'autre côté beaucoup de com-
munautés orientales reflètaient une certaine tendance à un rap-
prochement regrettable vers d'autres usages, en acceptant leurs
théologoumena et pratiques, et cela a abouti progressivement
à un désaveu déplorable et parfois même à une suppression de
leurs propres traditions légitimes 34.

4. La particularité du rite arménien


En analysant les vêpres des Arméniens on peut constater
la structure essentielle suivante:
- 2 psaumes d'introduction: les pss 5417. " et 85;
- puis les pss vespéraux: 139, 140, 141;
a) le rite de la lampe avec une prière de bénédiction
des chandeliers, une hymne et une action de grâce sur la lumière;
b) enfin le ""'T<U&UVlH)TOl, c.à.d. le deuxième verset du
ps 140;
c) et les intercessions finales 35.

83 Cit. dans G. KHOURI~SARKISJ Le sedro dans l'Eglise Syl'ienne d'An-

tioche, L'Or. Syr. 1 (1956). 946.


34 Cf. LIGIER, Dimension, 178 s.
35 Cf. Bl'cviarium Armen. (Venise 1908), 210-238; F.C. CONYBEARE, Ri-
t«ale Armenorum (Oxford 1905). 477-482.
ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES OFFICES DU SOIR 283

De ce noyau vespéral on peut déduire l'équilibre primitif


entre le rituel de la lampe et les éléments pénitentiels, comme
les pss d'introduction, en plus les pss 139, 140, 141 et le X"TEU-
&UV&~TW. Aucune psalmodie en ordre numérique au début de
l'office, comme nous l'avons vue dans tous les autres rites orientaux.
En éliminant la première partie, c.à.d. les psaumes d'intro-
duction, ainsi que les pss 139, 140, 141, nous nous trouvons sur-
pris devant la structure primitive des vêpres aux 4e et se siècles:
a) un rituel de la lampe;
b) le psaume universel du soir 140, réduit maintenant au
deuxième verset;
c) les intercessions.
Le psaume 140 se retrouve donc deux fois dans les vêpres
arméniennes: une fois lié avec les pss 139 et 141 à la première par-
tie de l'office du soir, et la deuxième fois - bien que sous une
forme réduite - entre le rite de la lampe et les intercessions.
En parcourant dans les livres liturgiques le contexte de ce deu-
xième verset du ps 140, on y trouve très souvent ajouté le terme
messedi. Le messedi est probablement un mot emprunté au grec
!,-Ea(a)laLO" et le terme arménien correspond au responsorium la-
tin, et le synonyme byzantin est le prokeimenon. C'est pourquoi
je présume que ce deuxième verset du ps 140, cité dans les li-
vres liturgiques, n'est que le refrain du ps 140, qui fut récité autre-
fois tout entier.
Passons maintenant au ps 140 lié avec les pss 139 et 141.
Avec assez de probabilité il fut inséré à l'office du soir sous l'in-
fluence byzantine, en un temps où le psaume propre du soir était
déjà réduit à un verset. Le fondement de cette hypothèse s'ap-
puie sur les deux psaumes d'introduction 54 et 85, qui par leur
contenu se ressemblent SB. C'est pourquoi je présume ici Un re-
doublement du psaume invitatoire. Mais en plus un commen-
taire du début du 8 e siècle par le Catholicos Jean d'Odzun nous
fournit l'indice remarquable, que le ps 85 fut in t r 0 d u i t par

36 Ps 54 11 - 18 : pour moi, vers Dieu j'appelle et Yahvé me sauve; le soir

et le matin et à midi je me plains et frémis: il entendra mon cri. Ps 85: Tends


l'oreille, Yahvé, réponds-moi, pauvre et malbeureux que je suis; garde mon
âme, car je suis ton ami, sauve ton serviteur qui se fie en toi ...
284 GABRIELE WINKLER

Nerses 37 , un des catholicoi antérieurs au 7 e siècle 38. Ce psaume


n'appartient donc pas aux vêpres annéniennes; cependant à Con-
stantinople il a introduit de tous temps l'office du soir. Pcur
cette raiscn je suppose que ce ps 85 des vêpres de Constantinople
fut introduit dans l'office arménien sous l'influence byzantine.
Peut-être que les Arméniens en plus du ps 85 ont pris aussi le
ps 140 de Constantinople, qu'ils ont amplifié à une triade: 139,
140, 141. La constitution d'un groupe supplémentaire de trois
psaumes s'est également produite dans l'office du matin chez
les Arméniens 39.
Plusieurs faits prouvent que le ps 54 constituait jadis l'invi-
tatoire unique des vêpres arméniennes et que le redoublement du
ps 140 ne fut seulement réalisé que sous l'influence de Constan-
tinople; mais ce ps 140 a été successivement élargi indépendem-
ment par les Arméniens en une triade harm0nieuse. Les vêpres
arméniennes sont donc constituées d'une juxtaposition de dem,
vêpres cathédrales:
a) l'office du soir, hérité de Constantinople:
- ps 85;
- ps 140 (plus tard élargi par les pss 139 et 141 par
les Arméniens);

b) les vêpres originaires arméniennes:


- l'invitatoire: ps 54;
- un rite de la lumière (comprenant une prière, une
hymne et une action de grâce);
- le psaume du soir universel 140;
- les intercessions.

Comme ce fut déjà developpé brièvement, les vêpres armé-


niennes sont déterminées par l'équilibre primitif entre le rituel
de la lumière et les éléments expiatoires relatifs à l'invitatoire,
en plus des pss 139, 140 et 141.

37 CONYHEARE, Rituale Armen., 497.


Cf.
38Il s'agit du Catholicos Nerses du 6 e siècle ou du Catholicos Nerses,
qui regnait de 641-661, c. à d, immédiatement avant Jean d'Odzun.
39 Cf. J. MATEOS, Quelques problèmes de l'orthros byzantin, Proche-Orient
Chrét. 11 (1961). 17-35, 207-220.
ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES OFFICES DU SOIR 285

5. Les offices d" soir byzantins


Ces vêpres sont plus connues, donc je puis parcourir rapi-
dement leur structure. Nous avons déjà fait allusion aux vêpres
des Présanctifiés, reste à signaler un rite de pénitence annuel
aux vêpres de la Pentecôte. La prière à genoux, interdite pen-
dant toute la durée du temps pascal, est reprise au moment des
trois prières expiatrices; et ces prières sont Ïnsérées dans la cé-
lébration de l'avènement de l'Esprit-Saint. La pensée est donc
manifeste ici, que c'est l'Esprit efficace de Dieu qui agit sur la
purification des manquements 40. La première prière p.ex. se pour-
suit aInSI:
Nous avons péché ... Ne te souviens pas des péchés de
notre jeunesse et de nos fautes d'ignorance. Purifie-
nous de nos péchés secrets. Ne nous écarte pas au temps
de notre vieillesse .... Avant que nous retournions à la
terre, fais que nous nous convertissions à toi. Surpasse-
nous en bienveillance et en grâce. I\1esure nos iniqui-
tés à tes miséricordes et oppose l'abîme de tes tendres-
ses au comble de nos fautes ... Rassemble-nous tous en
ton royaume, accorde le pardon à ceux qui espèrent en
toi. Remets, à eux et à nous, nos péchés. Purifie-nous
par la vertu de ton Esprit-Saint et déjoue les entrepri-
ses de notre adversaire contre nous (cf. Mercenier, 385).

DEUXIÈME PARTIE:
LES OFFICES DU SOIR EN OCCIDENT

1. L'office d" soir en Espagne


Au lieu de parler de la liturgie mozarabe ou visigothique
il serait mieux de distinguer chacune des deux dénominations,
car elles ont une corrélation spécifique à une époque déterminée.
L'époque visigothique embrasse les années 450 jusqu'à 711,
le moment de la décadence de l'empire gothique; le temps mo-
zarabe commence par l'invasion des Arabes en 711 et est ter-
miné à peu près vers le Il e siècle 41.

40Cf. LIGIER, op. cit.


41Cf. L. BROU, Etudes sur le Missel et le Bréviaire (~mozarabes l) impri-
més, Hisp. Sac·ra 11 (1958), 350-1; ].M. MARTIN PATINO, El Breviarium mo-
zarabe de Ortiz, su valay documental para la historia del oficio catedrd,lico hispci-
nico, Miscel. Comillas 40 (1963), 295-7.
286 GABRIELE WINKLER

Au 7° siècle les vêpres visigothiques comprennent les élé-


Inents essentiels suivants 42:
a) un rituel de la lumière, appelé oblatio luminis: la lu-
mière est élevée avec ces paroles: In nomine Domini nostri Jesu
Christi, lumen cum pace! Après quoi le peuple répond: Deo gratias;
b) des chants, déterminés comme soni et antiphonae du
vespertin'Ulm;
c) des prières litaniques, appelées caPiteila ou capitula.
La elevatio IH",inis rappelle la liturgie byzantine des Pré-
sanctifiés. Aussi chez les Byzantins le diacre (plus tard le prêtre)
se tourne vers le peuple, la lumière à la main, et élève le cierge
allumé en disant: cp&c; XpLCf't'OU cpoct\le:L 7tiicn 43.
Passons maintenant au ps 140. En ayant constitué le ps 140
comme noyau et point de départ de l'idée d'une expiation des
péchés, on cherchera donc d'abord ce ps 140 aussi dans les
rites du soir occidentaux. Mais il faut signaler tout de suite l'ab-
sence totale de ce psaume du soir dans tous les livres liturgi-
ques. C'est pourquoi Hanssens et d'autres liturgistes renommés
sont parvenus à cette conclusion: comme le rite romain, le rite
ambrosien et le rite mozarabe sont totalement privés des
psaumes luccrnaux 44, Mais en examinant à fond les manuscrits
de l'antiPhonaire de Léon et l'orationale de Verona, les documents
les plus antiques, j'ai découvert au début du carême et aussi
aux grandes fêtes l'incipit, et même le second verset tout entier
du ps 140·'. Alors, puisque c'est une loi répandue que le carême
et les grandes fêtes ont presque toujours conservé les usages
primitifs, il est donc légitime de présumer que l'incipit, ou res-
pectivement le deuxième verset du ps 140 sont l'indice de la
récitation du ps 140 tout entier, dont le second verset figurait
universellement comme refrain. Alors comme l'Antiphonaire en

42 Cf. L'Orationale de Verona (éd. J. VIVES, J. CLAVERAS [= Monum.


Hisp. Sacra, ser. lit. l, Barcelona 1946]); W.C. PORTER, Studies in the Moza-
rabic Office, The Jou·ynal of Theol. Stud. 35 (1934), 281) et L'Antiphonaire
de Léon (éd. L. BROU, J. VIVES [= Monum. Hisp. Sacra, ser. lit. V, 1 Bar-
celona 1959, 2 Madrid 1953]).
43 Cf. 16.

44 Cf. M. HANSSENS, Aux origines de la prière liturgique. Nature et genèse

de l'office des matines (= Analect. Gregor. 57, Rome 1952). 43.


4ft Cf. L'Antiphonaire, fol. 105 , 196 , 198 ,203 (éd. BROU, 148, 325,
329, 337).
ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES OFFICES DU SOIR 287

question rend les usages cathédraux du 7" siècle 46, on peut dé-
duire qu'en ce temps le ps 140 ne se récitait plus qu'aux gran-
des fêtes et au carême. Selon mon avis, le procédé d'une élimi-
nation progressive du ps 140 se laisse même reconstruire:
Première phase: Le ps 140 fut récité avec son refrain, le deu-
xième verset: xO':t"ê:u&U\l.a.~'t'{ll ~ 7tPOcrEUX:i) ~ou etc.
Les dernières traces du ps 140 se sont mainte-
nues au 7" siècle dans le carême et les gran-
des fêtes.
Deuxième phase: Probablement assez tôt on chantait avec le
ps 140 aussi d'autres refrains. Et il semble que
ces interpolations nouvelles - très souvent sous
forme de versets psalmiques différents, et aussi
de prophéties - furent liées à une unité, qui
supprimait progressivement l'élément le plus es-
sentiel, c.à.d. le ps 140. Cette unité nouvelle
fut appelée sonus et antiphona.
Troisième phase (l'époque mozarabe après le 7" siècle): Le
ps 140, attesté universellement, a disparu des
livres liturgiques, seulement le contenu des priè-
res sporadiques prouvent la présence originaire
du ps 140. Ainsi p.ex. la prière du ms de To-
ledo 35.4 (fol. 137v), qui a accompagné très
probablement le ps 140:
Deus, qui per Aaron, sacerdotem tuum, quotidianum
tabernaculo tuo lumen altaris tui voluisti: descendat
quesumus, domine, benedictionis tuae claritas in oblatio-
nem visibilem adque invisibilem incensi .. .ipse consu-
mas velut indeficiens ignis altaris tui inlato munere sa-
crificii vespertini totius populi tui ad te dirigatur oratio 4'.

Et voici un autre exemple:


Deus, cuius nomen a salis ortu usque ad occasum lau-
dabile est: sicut incensum in conspectu tua nostra diri-

40 Cf. 42.
4.7 Cit. de J,M. PINELL, Vestigis dellucernari a occident, Liturgica. l (Mon-
serrat 1956), 128.
288 GABRIELE WINKLER

gatur aratia; tibiq1te elevatio manU1tm nostrartMn, sacriji-


cù-t,m vespertin-um, implcat solemnitatem 48.

Jusqu'ici nous avons cherché à épuiser la question concer-


nant le ps 140. Maintenant nous voulons approfondir la rela-
tion entre le rite de la lumière, c'est à dire le lucernarùtm, et le
noyau du vespertinum, le ps 140, en cherchant la raison de la
suppression de l'élément pénitentiel, concentré au ps 140.
Si on analyse le thème des soni et des antiphonae, on est
frappé par l'unité du contenu, le thème de la lumière ". Il sem-
ble, que cette oblation de la lumière a occupé au cours du temps
un tel espace, qu'on a recueilli et compilé tous les passages dis-
ponibles de l'A.T., en particulier ceux des psaumes et des pro-
phéties, qui parlaient du symbole de la lumière, en une unité
déterminée comme soni et antiphonae, couronnée par le chant
de l'alléluia.
Selon mon avis, les soni et antiphonae en question ont été
formés originairement pour interrompre le chant du ps 140, c.à.d.
comme strophes intercalées à la récitation dn psaume vespéral,
mais plus tard ces soni et antiphonae ont supprimé le ps 140,
le noyau primitif pénitentiel des vêpres.

2. Les vêPres ambrosiennes


Comme chez les Espagnols, le ps 140 a disparu des livres
liturgiques ambrosiens. Généralement l'office du soir est divisé
en des unités pl us ou ll10ins indépendantes 50;
a) le lucernarium (le noyau se trouve dans le thème de
la lumière, comme il est déjà exprimé dans la dénomination);
b) une psalmodia (avec une structure flexible:
aa. aux fêtes 1 psaume propre, puis les pss 133 et 116;
bb. pendant la semaine et aussi les dimanches 5 psaumes);
c) une statia .

.. Cf. PL 86,186.
'" Cf. éd. BROU. 33. 47, 55. 87, 98. 103. 113, 124, 128. 140, 147. 158 etc.;
PORTER, Studies, 273.
/iD Cf. M. MAGISTRETTI, La liturgia della Chiesa Milmuse net sec. IV (Mi-
an 1899); IDEM, Manuale ambrosianum ... (= Monumenta veteris lit. ambr.
II, III). vol. 1 (Milan 1905). vol. II (1904).
ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES OFFICES DU SOIR 289

Ces éléments n'appartiennent pas tous à l'office primitif.


Ambroise, l'évêque de Milan, appelle les vêpres hara incensi et
aussi sacrificium vespertinum, sans développer la structure en
détail". Cette dénomination hara incensi peut être interprétée
de deux manières: ou bien cela signifie l'allumage de la lampe,
ou bien l'offrande de l'encens. Magistretti et Mainardi sont dis-
posés à interpréter le terme comme une oblation de l'encens 52.
La deuxième détermination, le sacrificium vespertinum, s'ensuit,
selon mon avis, directement du ps 140, verset deux: Dirigatt<r
oratio mea sicut incensum in conspectu t'u.o, elevatio man'Hum mea-
rt<m sac rit ici t< m v e s p e r tin t< m. Cette dénomination est
peut-être un indice que le ps 140 fut récité autrefois également
à Milan, d'où proviendrait cette appellation de l'office du soir.
Il y a un long silence de presque huit siècles avant de trouver
d'autres témoignages de ces vêpres.
Chez Beroldus (12 e siècle) et d'autres mss des 12 e et 13 e
siècles, édités par Magistretti 53, résulte une organisation des vê-
pres très semblable à la structure récente. Dans les écrits de
Beroldus il y a une indication d'une portée décisive, car plu-
sieurs versets du ps 140 y sont prescrits, une preuve de l'exis-
tence originaire du ps 140 54 • En outre pendant le carême la psal-
modie fut éliminée ". Selon les données de l'évêque Ambroise
et l'Ordo de Beroldus, les vêpres à Milan étaient originairement
constituées par les éléments essentiels suivants:
a) une oblation solennelle de la lumière et de l'encens;
b) la récitation du ps 140 (au 126 siècle uniquement con-
servée en carême);
c) les intercessions (au 12e siècle seulement conservées en
carême, mais réduites à 12 Kyrie eleyson).
Aux grandes fêtes suivait une statia au baptistaire.
En laissant de côté cette liturgie stationale, reste alors la

" De virgin. III, c. IV, 18-20 (éd. BALL IV, 228); In p,olm. 118, Serm.
VIII, 48 (éd. BALL II, 560).
52 Cf. MAGISTRETTI, La liturgia, 154; L. MAINARDI, Uno sguardo gene-
raIe al vespro ambrosiano, Ambrosius 9 (1933), 302.
53 Cf. éd. M. MAGISTRETTI (Milan 1894); Manuale Ambras. (vol. 1 et II).

64. Cf. BEROLDUS (éd. Magistretti), 90.


55 Ibid, 89-90.

19
290 GABRIELE WINKLER

question: d'où provient la partie psalmodique? Comme nous avons


vu, il y a deux types essentiels ":
a) généralement (y compris les dimanches) 5 psaumes sont
prescrits selon un ordre numérique;
b) aux grandes fêtes il y a un psaume propre, suivi par
les pss 133 et 116.
a) Les 5 psaumes sont de provenance monastique et pro-
bablement empruntés au cursus romain 57,
b) Ici la crux interpretationis est située dans le ps 133. Voici
le texte de ce bref psaume:
Allons! bénissez Yahvé, tous les serviteurs de Yahvé,
officiant dans la maison de Yahvé, dans les parvis
[de 1a maison de notre Dieu!
Levez vos mains vers le sanctuaire, bénissez Yahvé
[dans les nuits!

Une donnée assez étrange quand on se représente que les


vêpres furent célébrées dans toutes les communautés chrétien-
nes au début de la tombée de la nuit. Mais ici il est question des
celebrations nocturnes! Ainsi nous rencontrons ce psaume 133 dans
tous les rites orientaux comme invitatoire au mesonyktikon pri-
mitif" (plus tard réuni à l'office du matin) ".
C'est très significatif de trouver ce ps 133 à Milan juste-
ment prescrit pour les fêtes. Ici il ne s'agit donc probablement
pas d'une partie originale des vêpres, mais d'un départ pour
les nocturnes monastiques, en enchaînant l'office de mînuit aux
vêpres. En effet, de telles conjonctions n'étaient pas rares. La
même fusion était effectuée chez les Byzantins, quoique cela ne
se voie pas du premier coup 60. Il semble au premier instant

.56Cf. E. CATTANEO, Il breviario ambrosiano (Milan 1943), 22455.; P. Bo-


RELLA, Il rito ambrosiano (Brescia 1964), 259.
57 Cf. CATTANEO, Breviario, 228.
58 Ainsi p. ex. chez les Syriens, les Maronites, l'offices de Tikrit, les By-

zantins, les Coptes; cf. J. MATEOS, L'office de minuit et office du matin chez Atha-
nase, Or. CM. Pero 28 (1962), 176-177.
59 Cf. MATEOS, Quelques problèmes; IDEM, Lelya-Sapra. Essai d'interpé·
tation des matines chaldéen-.;es (= Or. Chr. Analecta 156, Rome 1959); IDEM,
Les matines chaldéennes, maronües et syriennes, Or. Chr. Pero 26 (1960); IDEM,
Un office de minuit chez les chaldéens?, Or. Chf'. Pero 25 (1959). 101·113.
60 Ibid.
ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES OFFICES DU SOIR 291

qu'aux grandes fêtes les vêpres étaient liées avec l'office du ma-
tin, le orthros. Mais le soi-disant orthros d'aujourd'hui se com-
pose de trois éléments: le mesonyktikon ancien, la vigile cathé-
drale, et l'office du matin proprement dit 61. Les vêpres sont
donc en parlant précisément liées à l'office du minuit comme
à Milan.
En conclusion on peut dire que dans les vêpres occiden-
tales jusqu'ici analysées a donc très tôt commencé, au sens étroit
du mot, une prépondérance du thème de la lumière sur le noyau
primitif, le ps 140, et au sens large, mais néanmoins encore plus
décisif, il y a eu un changement totale de la structure originale,
car les éléments cathédraux (comme p.ex. le ps 140 et les in-
tercessions) furent supprimés presque totalement sous l'influence
des monastères et de la centralisation romaine.
Aucune allusion, qui fournirait la signification d'un rite pé-
nitentiel commlll1 comme chez les orientaux.
Cela nous porte à Rome, comme dernière étape de notre
exposé.

3. Les vêPres roma~1tes

Selon le Breviaire Romain l'office du SOIr se compose des


éléluents suivants:
l'invitatoire: ps 69;
une psalmodia wrrens (c.à.d. 5 psaumes d'après l'ordre nu-
mérique);
une lecture;
un hymne;
le Dirigatur oratio mea (c'est le deuxième verset du ps 140,
prescrit tous les jours sauf le samedi);
le Magnificat.
La structure essentielle a, par ces 5 psaumes successifs, déjà
un caractère monastique. Alors ici se pose la question de l'of-
fice cathédral. Schuster et Batiffol supposent que les vêpres dans
les églises séculières ne se célébraient pas en public avant le 7e
siècle 62. Mais déjà Callewaert a prouvé le contraire 53. Bien qu'il

111 Ibid.
6a Cf. 1. SCHUSTER, Liber sacramentorum (vol. 15), 10; P. BATIFFOL,
Histoire du Bréviail'e Romain (Paris 1911). 5758.
113 Cf. C. CALLEWAERT. Sacris erudiri (Steenbrügge 1940). 98-]04.

19'
292 GABRIELE WINKLER

n'y ait pas de témoin direct, on ne peut pas en faire un argu-


ment venant du silence. Le fait que l'office cathédral du soir
est unanimement manifeste dans toute la région méditerranéenne,
en partant de la Cappadocie, Syro-Paléstine, jusqu'en Afrique,
Espagne, Gaule, Italie septentrionale et Italie méridionale, rend
invraisemblable que justement la capitale de l'empire et de l'Eglise
universelle n'ait pas connu les offices du soir. En plus le témoi-
gnage indirect, les décrets des conciles du 6e siècle ", les écrits
de ]erôme 65 et surtout les écrits d'Amalaire (l2 e siècle) 66 ap-
puient l'hypothèse qu'à Rome les vêpres cathédrales eurent la
structure approximative suivante:
a) l'allumage des lampes (sans précision ultérieure, c.à.d.
nous ignorons si cela se faisait rituellement);
h) le ps 140 avec l'encensement (et pas avec le Magnificat
comme récemment);
c) des prières litaniques.
Mais très tôt l'office cathédral était supprimé tout entier
sous l'influence des monastères urbains, fondés près des gran-
des basiliques de Rome vers le 5e siècle. Callewaert a prouvé
qu'il y avait dans ces églises un cursus monastique avec toutes
les heures canoniques 67. Par conséquent les églises les plus im-
portantes de Rome célébraient un office d'une structure essen-
tiellement monastique, c.à.d. le noyau n'était plus composé d'un
psaume fixe, choisi en correspondance avec l'heure du jour, mais
d'une méditation sur plnsieurs psaumes dans un ordre numérique.

CONCLUSION

Avec une certaine prudence on peut dire que le point de


départ dans toutes les vêpres est constitué par une intention
de repentance et de metanoia.

84. P. ex. les conciles d'Agde (506), de Vaison (529); cf. CALLEWAERT.
Sacris erudiri, 101 s.
" Cf. ep. ad Laetam 107,9 (CSEL 55) et ep. 130,15; ep. 22.37.
6G Cf. éd. M. HANSSENS, AmaZarii ePiscopi opera liturgica omnia, vol. II
(Vatican 1950), 435.
67 Op. cit., 62, 67-89. 102; P. SALMON. L'office divin {= Lex orandi 27,
Paris 1959}, 7J 55, 935.; BATIFFOL, Bréviaire Romain, 4755.
ASPECT PÉNITENTIEL DANS LES OFFICES DU SOIR 293

Dans le développement des offices du soir il y a très tôt une


évolution de la signification des vêpres en réalisant l'approfon-
dissement théologique de l'allumage nécessaire de la lampe à
la tombée de la nuit, emprunté très probablement aux juifs.
Vers la fin du 4" siècle et jusqu'au 5" siècle cette réflexion théo-
logique sur le symbole de la lumière a abouti à une fusion entre
l'action de grâce sur la lumière et le psaume du soir universel.
Cet équilibre entre les deux éléments capitaux est montré dans
l'office de Jérusalem, plus encore aux vêpres des Présanctifiés
et dans les vêpres arméniennes.
Successivement dans l'office du soir certaines parties fu-
rent accentuées. soit pour souligner plus encore le caractère
pénitentiel, comme en Syrie et chez les Coptes, en faisant res-
sortir l'encensement comme image d'une expiation sacramentale,
soit pour provoquer un changement remarquable de la pensée
originaire, ainsi surtout en Occident, où commençait très tôt un
envahissement des éléments surtout monastiques, ou comme dans
les anciennes vêpres espagnoles et ambrosiennes une prépondé-
rance du thème de la lumière, en éliminant peu à peu le noyau
expiatoire.
En Occident on ne peut plus parler d'un rite commun de
vraie signification pénitentielle comme chez les orientaux.

Gabriele WINKLER
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editionem novi ac magni operis:

ENZO LODI

ENCHIRIDION EUCHOLOGICUM FONTIUM LlTURGICORUM

1. FINIS HUI US OPERIS.

Praesens opus supplere intendit multiplicem sericm «Enchiridion t\ sive


fontium sivc textuum typis Herder editam, in qua duo volumina P. RAno'
rationibus anthologicis eiusdem seriei haud respondent.
Intcgrum opus unico volumine constat.

2. RATIONES QUIBUS OPUS REGITUR.

In priore voluminis parte oolliguntur tantummodo textlls orationum


ct formularum quae peT sedecim saecula evolvuntur. Fontes, qui indirecti
nuncupantur, in alteram partern recipiuntur.
Collectio incipit ab epocha praechristiana, quosdam praebens textus qui
illud liturgicum orandi genus sapiunt quod apud graecos vellatinos aucto-
res invenitur, et ad epocham Relormationis terminatur (cfr. textus Cenae
Reformatorum in proprias linguas ad verbum transcriptos).
Pro unaquaque epocha ratio habita est singulorum rituum sive occiden-
talium sive orientalium.

a) Inter rationes -quibus opus regitur, illa primum locum obtinet quae
historico-evolut-iva dicitur, qua scilicet singuli textus iuxta saeculorum suc-
cessionem disponuntur; tempus autem uniuscuiusque textus, quantum fieri
potest, definitur. Sacramentaria et Antiphonaria romana post saec. VII 10-
cum inveniunt; post saee. VIII ponitur sive sectio rituum occidentalium,
qui a ritu romano differunt, sive altera sectio rituum orientalium. Curo tex-
tus transeribantur, cuiusvis epochae condiciones, quae certae vel verisimiles
haberi possunt, historicae fidei reddere quaeritur; quandoque etiam veros
temptatur detegere auctores. Ad Sacramentaria praescrtim quod attinet,
coniecturae tenentur quae a BOURQUE, CHAVASSE, LANG et VOGEL propo-
sitae sunt.

b) Quoad rationem theologicam, ii textus collecti sunt qui pro historia


evolutionis rituum sacramentalium vere significantes habentur. Structura
cuiusque epochae prae oeulis habita, textus ita dividuntur et transcribun-
tur ut evolutio historiea precis liturgicae - vel saltem spiritui liturgico ac-
commodatae - clare pateat.
c) Ad oecumenismi. rationem quod attinct, ii textus delecti sunt qui,
iuxta opiniones A. BAUMsTARK et L. BROU, in omnibus liturgiis pares esse
videntur. Quoad ritus praesertim orientales, praeter praecipuas anaphoras,
textus seliguntllr rituum sacramentalium illius tripertitae liturgiae quae ma-
xima gaudet auctoritate quaeque antiochena, nestoriana et alexandrino-
capta singillatim nuncupatur. Quoad Officium byzantinuffi, sclectio prae-
betur praecipuorum textuum qui ad singula festa anni liturgici pertinent
(cfr. Mellologion, Triodion et Pentecostarion); quae autem selectio indoli
anthologicae indolem quoque theologicam coniungit.

3. PROPOSITIO TEXTUUM ET APPENDICUM.

Singuli auctares singulaeque sectiones tum expositione historica tum pro-


batione er-itiea rationum, quibus selectio efIecta est, ornantur. eum prae-
sens opus lectoribus totius orbis destinetur, sive expositio sive probatio
latina lingua exarantur.
Haud paucae sectiones quasdam tabulas comparativas, docendi vel
inquirendi causa apparatas, uti appendices praebent.
Singuli textus numeris progredientibus omantur, quibus litterae ex industria
constitutae (= sigla), in capite voluminis positae, proxime nectuntur.
eum eiusmodi litterae italicis typis aliquando imprimantur, lectori hoc
modo significatur de operibus agi quae ipse inspicere debet. Litterae vero
quae usitato modo signantur ad fontem primigenium directe remittunt.
Appendicis instar, index analytieus praebetur, cuius copiosissimae
voces iuxta ordinem historicum distribuuntur.
In textibus transcribendis duae linguae adhibentur, graeea nempe et
latina, ea tamen ratione ut textibus sive graecis sive ceterarum orienta-
lium linguarum latina versio semper apponatur.

Ex iis quae supra describuntur clare patet ffiomentum ac utilitas huius


operis pro iis omnibus qui liturgiam colunt. Maximae autem utilitatis esse
huiusmodi opus videtur illis in regionibus ubi praesto non sunt fontes ac tex-
tus quos directe inspicere opus sit.

Qua de re leetores nos tri ad subseriptiones iam nune eonstituendas huma-


nissime invitantur. Etsi ob praesentem mutabilitatem rerum oeeanomiearum
impossibile est quodvis pretium eerto praestituere, praevidetur ta.men pretium
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1) Oltre al presente volume (Lit'''gie et ,·émission des péchés),
è già uscito il seguente:
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2) Sono in preparazione:
le comunicazioni della XXI Settimana di studi liturgici
delle " Conférences St-Serge » di Parigi relative all'anno
1974: La maladie et la mort du chrétien dans la liturgie;
- le corn unicazioni delle medesime " Conférences» relative
agli anni:
a) 1969: Le Saint-Esprit dans la liturgie;
h) 1970: L'économie du sal1<t dans la liturgie;
c) 1971: Liturgie et ministère.
A. CUVA, S.D.B., Lit<wgia delle Ore. Note teologiche e ,pi-
rit'uali.

NIHIL QBSTAT QUOMINUS IMPRIMATUR: CAIETANUS BRAGHIERI, C. M., REV.


DELEGATUS: DIE 19 OCT. 1974 - IMPRIMI POTEST: GEORGIUS MISCIA, C. M., VI-
SITATOR PROV.: DIE 20 OCT. 1974 - E VICARIATU URBIS: DIE 3 FEBR. 1975.

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