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L'ÉGLISE

DANS LA LITURGIE
CONFÉRENCES SAINT-SERGE
XXVI" SEMAINE D'ÉTUDES LITURGIQUES

Paris, 26-29 Juin 1979

éditées par A.M. TRIACCA et A. PISTOIA

ANDRONIKOF C. - ARRANZ M. - BRANISTE E. - COTHENET E. - DALMAIS L-R.


DUBARLE A.-M. - HRUBY K. - KNIAZEFF A. - KOULOMZINE N. - LANNE E.
MELIA E. - OZOLINE N. - ROSE A. - THEODOROU E. - TRIACCA A.M.
WALTER C. - WEBB D. - ZELLWEGER E.

c.L.V. - EDIZIONI LITURGICHE - 00192 ROMA


Via Pompeo Magna, 21
1980
BIBLIOTHECA "EPHEMERIDES LITURGICAE»
"SUBSIDIA»

COLLECTIO CURA A. PISTOIA, C.M., ET A. M. TRIACCA, S.D.B., RECTA

--------------------18--------------------
TABLE DES MATIÈRES

Page
Présentation (TRIACCA A.M.) VII
ANDRONIKOF c., Le ciel et la terre 1
ARRANZ M., Christologie et ecclésologie des prières
pour les malades de l'Euchologe slave du Sinaï . 19
BRANISTE E., Eglise et liturgie dans la "Mystagogie» de
Saint Maxime le Confesseur 67
COTHENET E., L'Eglise, épouse du Christ (Eph 5; Apoc
19 et 21) 81
DALMAIS L-H., L'Eglise icône du " Mystère »: la" Mystago-
gie» de S. Maxime le Confesseur, une ecclésiologie
liturgique 107
Dl1BARLE A.-M., L'Eglise de l'Ancienne Alliance dans
la liturgie de l'Ancien Testament . 119
HRUBY KH., Le peuple de Dieu dans la liturgie juive 129
KNIAZEFF A., L'Eglise de l'Ancienne Alliance et la liturgie
byzantine 143
KOl1LOMZINE N., L'Eglise - Temple de l'Esprit Saint. 167
LANNE E., L'intercession pour l'Eglise dans la Prière Eucha-
ristique . 183
MELIA E., Les Diptyques liturgiques et leur signification
ecclésiologique . 209
OZOLINE N., Quelques images relatives à la célébration pri-
mitive de la Cinquantaine Pascale 231
ROSE A., Les Psaumes de l'Eglise dans la liturgie . 255
THEoDoRou E., La phénoménologie des relations entre
l'Eglise et la Liturgie . 275
VI TABLE DES MATIÈRES
~--------------~~~ -------~---------------

\
Page
TRIACCA A.l\r1., ({ Ecclesia Mater omnium vivt;tium »: litur-
gie ambrosienne et ecclésiologie universelle 295
WALTER C., L'Eglise dans les programmes monumentaux
de l'art byzantin 325
WEBB D., La doctrine de l'Eglise dans les hymnes de
l'Eglise . 335
ZELLWEGER E., La vision de l'Eglise qui se dégage de la
liturgie des Eglises Réformées de Suisse Alémanique 363

Appendice:
THEODOROU E., L'unité et le pluralisme liturgique 377
PRÉSENTATION

De même que la liturgie est à la fois profession de foi dans


l'épiclèse de l'Esprit et son épiclèse "priée-célébrée" en tant
qu'épic/èse vécue parce que célébrée', elle est également épipha-
nie de l'Eglise animée par l'Esprit du Christ Ressuscité. Il était
donc normal que dans le déroulement logique des semaines
d'études liturgiques de Saint Serge, l'ensemble que nous avons
nommé "admirable trilogie,,' où furent affrontés des sujets
connexes entre la liturgie et la vie et la réalité de l'Eglise, fasse
suite à la relation sur" Le Saint Esprit dans la liturgie". Ainsi,
vu qu'il n'est pas possible de "voir" la liturgie de l'Eglise uni-
verselle, puisque chaque liturgie est l'expression d'une Eglise
particulière, l'on crut utile d'offrir une première contribution
dans le but de saisir la signification spécifique et le ton expressif
auxquels les diverses liturgies ont donné le jour au sein des
Eglises locales '.
L'on s'attacha donc à souligner davantage comment la liturgie
de l'Eglise particulière s'incarne et se donne à voir dans l'assem-
blée liturgique, laquelle est signe de l'" Ecc/esia ". La multiplicité
des cc incarnations» et des cc épiphanies» de l'Unique cc Ecclesia »,
dans les diverses assemblées se présenta comme un terrain fertile
pour étudier la réalité de l'" Ecc1esia ,,'. Dans l'articulation
ordonnée de toutes les fonctions de l'Assemblée liturgique resplen-
dit la nature unique de l'" Ecclesia", corps réuni par l'Esprit,
articulé en divers charismes qui débouchent dans la célébration.

1 Cfr A.M. TRIACCA _ A. PISTOIA, Presentazione, à: Le Saint-Esprit dans la


Liturgie. Confé.rences Saint-Serge, x"V/ e Semaine d'Etudes Liturgiques (Roma
1977) Il.
2 Cfr A.M. TRIAceA, Presentazione, à: Gestes et paroles dans les diverses
familles liturgiques. Conférences Saint-Serge, XXIV e Semaine d'Etudes Litur-
giques (Roma 1978) 8·9.
3 Ch Liturgie de l'Eglise particulière et liturgie de l'Eglise universelle (Roma
1976) 410 pp.
4 Cfr L'assemblée liturgique et les différents rôles dans l'assemblée (Roma
1977) 349 pp.
VIn A. M. TRIACCA

De plus la célébration liturgique devient épiphanie du principe


d'identification et d'unification des diverses fOllctions qui s'expri-
ment en gestes et en paroles spécifiques '.
A la fin, il apparaissait plus que clair qu'il s'agissait quasi
de "photographier" la réalité de l'" Ecclesia" telle qu'elle appa-
rait d'après les diverses liturgies.
En effet, comme l'écrivait Don Bernard Botte, "on a déjà
parlé de l'Eglise sous divers aspects les années précédentes, mais
il reste encore beaucoup de choses à étudier» 6. C'est ainsi que
les présentes relations ont vu le jour rassemblées sous le titre
" L'Eglise dans la liturgie ".

Pour la seconde fois 7, à la vingt-sixième semaine d'Etudes


liturgiques qui eurent lieu du 26 au 29 juin 1979, était absent
Don Bernard Botte, moine bénédictin de l'Abbaye du Mont César
à Louvain.
Le vieux cofondateur et animateur des semaines liturgiques
de Saint Serge aurait dû parler de: "L'Ecciesia Mater". Crois-
sance d'un thème de la théologie paulinienne.
Mais la maladie le retenait loin de nous!
Et au moment où nous rédigeons ces lignes, nous apprenons
qu'il nous a quitté pour rejoindre la "Paix du Seigneur" le
4 mars 1980 '.
Les Amis de Saint Serge prient pour lui. Nous pensons sans
aucun doute à ses enseignem.ents. Personnellement je n'oublierai
jamais les rencontres qui, depuis le 2 juillet 1973, ont vu croître
une estime réciproque que notre commun amour pour ces se-

5 CCI' Gestes el paroles dans les diverses familles liturgiques (Roma 1978)
352 pp.
6 D.B. BOITE, Le vingt-cinquième anniversaire des Conférences Sain.t Serge
de Paris (27-30 juin 1978). La liturgie expression de la foi, dans: QuestiullS
Liturgiques 60 (1979) 221-226. L'expression à la p. 225.
7 La première fois remonte à la XXII" Semainc d'Etudes Liturgiqucs, Paris
30 juin·3 juillet 1975. Voir A.M. TRIACCA, Presel1laziol1e, à: Liturgie de ['Eglise
particulière et liturgie de l'Eglise universelle (Roma 1976) 9-10.
B Cfr P.-M. Gy, Dom Bernard Botte (1893-1980), dans: Notitiae nr. 164, 16
(1980) 123·124.
PRÉSENT ATlON IX

maines d'études a fait éclore dans une amitié toute particulière.


Et nous pensons volontiers qu'il en doit être de même pour
chaque ami de Saint Serge.
Bien plus, si chacun pouvait écrire ses propres souvenirs,
nous aurions un florilège aussi édifiant que significatif, témoin
d'un grand coeur et plus encore d'une intelligence brillante et
d'une vaste culture. Il nous laisserait encore découvrir un tempé-
rament riche, ouvert aux dimensions vraÏ1nent oecuméniques
et curieux de multiples choses.
Dès à présent c'est un merci fervent que nous formulons
au Seigneur de nous avoir ainsi donné l'inoubliable Père Bernard
Botte, moine bénédictin '.

* * *

Les relations de la 26' Semaine constituent certainement


un (c unicum ». Elles serviront tantôt à approfondir des questions
spéciales et propres aux liturgies d'Orient et d'Occident; tantôt
elles seront une base pour connaître la nature et la vitalité de
l'Eglise qui croît et se purifie à travers son action liturgique.
Il est inutile de tenter un résumé des relations. Il vaut bien
Inieux les lire et les rencontrer directement.
Nous regrettons de ne pouvoir les présenter toutes: deux
en effct ne nous sont pas parvenues ID, C'est pourquoi nous avons
cru bon d'accueillir une relation qui ne fut pas lue mais qui sera
en un sens un bon c01nplément à l'argument abordé 11.
Il nous est apparu de même opportun d'ajouter en appendice
du présent volume la relation du pmf. Theodorou: faite l'an
passé, elle ne nous était pas parvenue à temps pour l'édition

9 A. NOCEXT, Dom Bernard Bolle, Moille Bénédictin (1893-1980), dans: Notitiae


nr. 165. 16 (1980) 198-202.
10 Il s'agit des relations suivantes:
- P.M. GY, L'Eglise comme Epouse du Christ dans la liturgie latine;
- J. P.-\R.-\J\fELLE, L'Eglise dans la celebration liturgique selon la « Mystagogie"
de Saint Maxime le Confesseur.
Les amis de Saint Serge s'excusent auprès des lecteurs des Actes de Saint
Serge pour l'absence de ces relations précitées.
11 C'est-à-dire le rapport du prof. Walter CHIUSTOPHORE.
X ______________________A_._~
__._T_R_I_A_C_C_A__________________

des actes de la 25' Semaine ". Nous le faisons volontiers et pour


rendre le service dû à la science et à la vérité et également pour
rencontrer l'attente des amis et abonnés aux Actes de Saint Serge.
Les Actes, malgré les charges financières, sont édités en
hommage aux efforts oecuméniques que les diverses commu-
nautés chrétiennes mues par l'Esprit consentent pour la recherche
de la vérité.

* * *

L'oecuménisme se construit dans la charité et la vérité.


Una ({ parcelle» de vérité est présente en ces écrits qui
pourront susciter un approfondissement de l'ecclésiologie litur-
gique à condition de tenir compte de ce qui suit.
1" Entre l'action liturgique (dimension divine-humaine) célé-
brée par la communauté-assemblée (dimension divine-humaine)
localement circonscrite et bien circonstanciée et l'« Ecclesia »
Universelle (dimension divine-humaine) existe un principe de
compénétration indissociable.
La valeur d'une action liturgique particulière est universelle
en raison du fait que la communauté-assemblée qui célèbre,
devient l'Eglise locale visible laquelle à son tour, par la force
de l'unique Sacerdoce du Christ, incarne l'Unicité et la Catholicité
de /,,, Ecc/esia" Universel/e.
2" Entre l'action liturgique d'une communauté-assemblée qut
célèbre et concrétise le plan de salut préparé par le Père, dans
le Fils et en vertu de l'Esprit pour que tout soit ramené au
Père par le Fils et dans l'Esprit, et l'" Ecclesia" Universelle,
existe un principe d'inter-relation irremplaçable.
La réalité de chaque communauté liturgique particulière est
vitale en raison du fait que la célébration devient, dans le hic et
nunc de cette célébration, dans l'Hodie liturgique, l'actualisation
et la perpétuation du plan salvifique trinitaire, par lequel dans
la célébration liturgique de l'Eglise locale s'incarne la Vitalité
de l' cc Ecclesia}) Universelle.

IZ Cfr A.M. TRIACCA, Présentation, à: La liturgie expressiun de la foi (Roma


1979) 7-11 à la note 1 (pp. 7-8).
PRÉSENTATION XI

3' Entre l'assemblée liturgique qui célèbre et l'" Ecclesia"


Universelle, existe un principe de contemporanéité explicatIve.
L'explicitation cultuelle du Sacerdoce ministériel et du
Sacerdoce commun par lesquels simultanément dans la Liturgie
in Ecclesia se perpétue l'unique Sacerdoce transcendant, celui
du Christ, rend l'assemblée-communauté liturgique manifestation
éclatante de la présence du Sacerdoce parfait du Christ. Et c'est
cette présence qui donne sa perfection à la Liturgie d'une Eglise
locale et valeur de complétude "in signo efficaci" à la sacra-
mentalité de l'" Eglise Catholique" qui célèbre la Liturgie dans
une Eglise locale.
Sacerdoce qui accompagne toute expression liturgique, aussi
celle de l'Eglise Ambrosienne, et toute manifestation ecclésiale
provenant de la totalité du Sacerdoce du Christ présent.
4" Entre "Liturgie et Eglise locale" et "Liturgie et Eglise
Universelle ", existe un principe de complémentarité existentielle.
En effet, il ne peut plus y avoir entre elles ni contraste ni anti-
thèse, ni exclusivisme, ni intolérance. La liturgie locale participe
à l'Universalité de l'Eglise (cfr ri. L'Eglise locale vit de la Litur-
gie universelle (cfr 3"). Donc, universalité de l'Eglise locale el
pérennité de la Liturgie (cfr Z') sont telles que l'Eglise locale
dépasse la dimension de l'Espace pour rejoindre la Catholicité
(= universalité de l'Espace) et la Liturgie locale dépasse la di-
mension du temps de l'action de la célébration pour rejoindre
l'Unicité (= pérennité dans le Temps) propre au Sacerdoce du
Christ qui s'y incarne.

* * *

Dans l'" Ecclesia ", tout reçoit force et grâce de l'action litur-
gique et tout est orienté vers la Sainte Liturgie. Celle-ci est le
point de départ, la force génératrice, la source d'énergie vitale,
et simultanément le point d'arrivée vers lequel tend toute activité
de l' (c Ecclesia ).
L'on peut comprendre ainsi comment entre la liturgie locale
et ['« Ecclesia universalis », il y ait un rapport intime.
L'Eglise est le signe concret de l'action salvifique du Christ,
elle est le lieu où l'on peut constater l'oeuvre rénovatrice d~
XII A. M. TRIACCA

Dieu, elle est c{ initium et plenitudo » de la nouvelle création dans


le Christ.
L'on redécouvre ainsi que le but fondamental du culte
chrétien est que le Corps Mystique du Christ prenne forme
réelle dans l'assemblée liturgique qui rend visible l'" Ecc/esia " ".
Celle-ci étant le « nzysteriUln» de notre union au Christ,
prévue et voulue par le bienveillance du Père, en vertu de l'Esprit,
ne peut être décrite qu'au moyen d'une multitude de formules
analogiques diverses et complémentaires, car le mystère de
l'" Ecclesia" est une réalité si riche de significations, qu'il ne
peut être énoncé au moyen d'une seule formule.
n serait en effet nécessaire que cette formule puisse exprimer
en même temps la fonction du Christ pour l'" Ecc/esia " et dans
l'" Ecc/esia ", et la fonction de l'Esprit. Ces fonctions s'expli-
quent concrètement et sont visibles dans l'assemblée liturgique
qui se révèle comme signe efficace de l'" alliance" qui s'y réalise
toujours, et comme actualisation de la convocation active d'une
communauté qui se perpétue dans le temps et dans l'espace. L'on
comprend ainsi à juste titre que l'étude de la nature d'une
liturgie locale est un approfondissement de la nature intime de
l'" Ecclesia" et inversément. D'autre part, la multiplicité des
cc incarnations» et des « épiphanies» de runique cc Ecclesia » dans
les liturgies particulières des assemblées locales nous amène à
constater que l'assemblée liturgique, comme la liturgie locale,
est en pratique une « convocation» opérée par la Sainte Trinité,
pour CD11.stituer aujourd'hui l't{ Ecclesia », « peuple de « Dieu-
comn1unauté cultuelle » 14.

Nous appuyant ainsi sur les témoignages liturgiques d'un rite


particulier, dans notre cas le rite mnbrosien, on renwrque que le
but du culte chrétien se révèle dans la ligne originaire comme
" édification" de la communauté. L'ecclésiologie liturgique am-
brosienne met une fois de plus en évidence le fait que les fidèles
sont convoqués par le Père, dans l'Esprit du Christ glorifié par
le l1'loyen des c( pasteurs» qui doivent être la voix concrète de
l'Esprit.

13 Cfr O. CUU,MAKN, La fui et le culte de l'Eglise primitive (Neuchâtel


1963) 120.
1-\. Cfr S. LYONNET, La nature du Culte dans le Nouveau Testament, dans:
AA.VV., La liturgie après Vatican II. Bilan, Etudes, Prospective (Paris 1967)
357-384.
PRÉSENTATION XIII
--------------------- ----------------~

Une fois convoquée, l'assemblée liturgique évoquant les mer-


veilles de Dieu pour elle, invoque en louant, remerciant, sup-
pliant la bonté du Père, débordant d'Amour dans le Fils.
Après avoir évoqué la grandeur du plan de salut, l'assemblée
liturgique se redécouvre comme la continuation et la perpétua-
tion de l'assemblée liturgique de tous les temps et y retrouve,
par la force de l'Esprit, l'énergie pour susciter les profonds
dynamismes de la première conllnunauté chrétienne, concentrés
dans l'assiduité aux enseignel11.ents des Apôtres, à la communion
fraternelle, à la « fraction du pain» et à la prière. De la sorte,
l'assemblée liturgique prend conscience toujours davantage de
rendre visible, dans le temps et l'espace, l'unité profonde de
ceux qui, parmi le genre humain, sont appelés par le Père, par
la force de l'Esprit, dans le Christ Grand Prêtre éternel.

Université Pontificale Salésienne


Faculté de Théologie,
Institut Liturgique « E.M. Vismara»

Rome, le 6 Avril 1980

Pâques du Seigneur

Achille M. TRIACCA
LE CIEL ET LA TERRE

Si la liturgie est une « épiphanie de l'Eglise», ainsi que le


prof. Theodorou nous l'a rappelé', et même une épiphanie
«complète », c'est l'Eglise complète elle-aussi qui s'y manifeste.
D'ailleurs, la nécessité interne de notre congrès sur «l'Eglise
dans la liturgie» nous conduit à la considérer non seulement
sous l'aspect Mater, Sponsa, Universalis ... , comme l'ont fait
les conférenciers précédents, mais encore dans son être catholi-
que, c'est-à-dire dans sa composition intégrale. Et j'y suis incité
par l'une des prières que beaucoup d'entre nous ont dû réciter
ce matin même comme à l'accoutumée: {( Levés du sommeil,
nous nous prosternons devant toi, ô Bon, et nous t'élevons
l'hymne angélique: Tu es saint, saint, saint! ».
Quel est le fondement de l'Eglise intégrale et, donc, de sa
complète épiphanie liturgique? Ce sont la création elle-même et
toute l'oeuvre du Verbe. «Au commencement, Dieu créa le ciel
et la terre» (Gen. 1,1). Et à la fin, «je vis un ciel nouveau et
une terre nouvelle» (Ap. XX,l). Entre ces deux termes, d'une
éternité à l'autre, l'histoire du monde se déroule, depuis la
chute, grâce à la dynamique de l'Alliance, de l'Incarnation, de
la Pâque, de la descente de l'Esprit Saint. Tout cet immense
mouvement, Saint Irénée le résume ainsi: «Il y a un genre hu-
main dans lequel les mystères de Dieu s'accomplissent ... Et
la volonté du Père ... c'est que le Verbe descende dans la créa-
ture ... et que la créature, se saisissant du Verbe, monte vers
Dieu» (Adv. Haer. V,36,3).
Cette créature qui se ({ verbifie », qui se « christifie )} (S. Cy~
rille de Jérusalem), c"est l'Eglise qui, par sa liturgie orante et

l Voir dans cc même volume, pp. 275-293.


2 CONSTANTIN ANDRONiKOF

sacramentelle, substitue son kairos de vie au chronos des morts


successives, qui remplace l'histoire linéaire ou cyclique de l'huma-
nité par l'économie du salut, opérée par le Christ et par son
Esprit selon la volonté du Père. Ce processus va durer" jusqu'à
ce que nous parvenions tous à l'unité de la foi ." à la mesure
de la taille du plérôme du Christ» (Eph. IV,13).
Cette mesure, quelle est-elle? C'est l'unité du créé. Saint
Paul, dans des messages célèbres, nous livre le principe christi-
que de la création, de la récapitulation totale et, par là même,
de la contemplation liturgique et de l'oeuvre sacramentaire. " En
lui (en Christ), tout (ta panta) a été créé dans les cieux et sur
la terre, le visible et l'invisible (ta horata kai ta aorata): que ce
soient les Trônes, les Souverainetés, les Principautés, les Puis-
sances; tout est créé par lui et pour lui. Et il est, lui, avant tout
et tout tient ensemble en lui (synestèken). Et il est la tête du
corps, de l'Eglise. Il est le commencement ... il a plu (à Dieu)
que tout le plérôme habite en lui et que, par lui, tout (ta panta)
soit réconcilié pour lui, et ce qui (est) sur la terre et ce qui (est)
dans les cieux» (Col. 1,16-19). Tel est" le mystère de sa vo-
lonté », comme Saint Irénée le faisait ressortir: c'est, « pour
l'économie de la plénitude des temps », " de récapituler tout (ta
pan ta) dans le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur
la terre» (Eph. 1,9-10).
Il est clair que l'Eglise, ainsi conçue, comprend les anges.
Je n'ai pas à préciser ici, en sortant hors de notre sujet, les
différences de nature dans les relations du Christ à son Eglise
sous l'angle de l'angélologie et de l'anthropologie, car il n'y
a pas lieu de réserver la notion d'Eglise au plérôme corporel seu-
lement, pour ce qui nous occupe ici. Au demeurant, "tout le
plérôme» est en Lui, il est l'alpha et l'oméga, du ciel comme
de la terre.
Or, une fonction ecclésiale essentielle des anges est la louan-
ge. Qu'en est-il des hommes, à cet égard? " En lui, nous avons
aussi été élus, étant prévus selon le projet de celui qui effectue
tout (ta panta energountos, qui dynamise tout) selon sa volonté,
pour que nous soyons à la louange de sa gloire ». L'expression est
très forte: "eis to einai hèmas eis epainon doxès autou » (Eph l,
11-12). Autrement dit, l'être même des hommes doit devenir louan-
ge, comme l'est déjà celui des anges. Cette louange étant une fina-
lité du plérôme, les hommes se joignent aux anges pour l'accom-
LE CIEL ET LA TERRE 3

plir. C'est ainsi, par exemple, qu'ils expriment leur joie com-
mune à célébrer la Mère de Dieu: «A ton sujet, tout le créé se
réjouit, le choeur angélique et le genre humain" (Lit. de S. Ba-
sile, après la consécration).
Inutile de rappeler les très nombreux passages doxologiques,
repris par des versets, prokimènes ou antiennes des liturgies an-
tiochienne, byzantine etc., sur le modèle de: «Le ciel et la terre
sont remplis de ta gloire" (Ps 8,113,148; Is. 6) ou encore: « (Dieu)
a fait le ciel et la terre. Le ciel est à Dieu, et la terre, il l'a donnée
aux fils d'homme» (Ps. 113,23-24; 115,15-16), mais «la terre est
illuminée par la gloire" (Ez. 43,2) que l'ange irradie (Ap. 18,1).
Ainsi, les anges et les hommes concourent par la louange à « l'éco-
nomie de la plénitude des temps, kairôn" (Eph. I,IO).
Cette liturgie commune, angélanthropique, est couronnée au
triomphe de l'Agneau: {( Toute créature au ciel. sur terre, sous
terre et sur mer, tous les êtres qui s'y trouvent, je les entendis
proclamer: A celui qui siège sur le trône et à l'Agneau, louange,
honneur, gloire et pouvoir pour les siècles des siècles!" (Ap.
V,13). Et encore: {( Louez notre Dieu, vous tous, ses serviteurs,
vous qui le craignez, petits et grands! ". Et comme Jean le Vi-
sionnaire veut adorer l'ange, celui-ci lui dit: «Garde-toi de le
faire! Je suis ton compagnon de service, syndoulos, de toi et de
tes frères qui gardent le témoignage de Jésus" (Ap. XIX,5,1O).
Ici apparaît une autre fonction essentielle où les anges et les
hommes se rejoignent: celle de service.
Mais voyons comment nos textes liturgiques traitent des an-
ges. Sans pouvoir en faire ici un catalogue systématique, nous
allons procéder à quelques sondages pour en dégager les thèmes
les plus significatifs. Ils sont fêtés le 8 novembre, le 6 septembre
(S. Michel), le 26 mars et le 13 juillet (S. Gabriel) et le 11 juin
(fête spéciale à l'Athos). Dans le cycle hebdomadaire, le lundi
est consacré aux anges (au congé de ce jour, l'Eglise prie spé-
cialement pour ({ l'intercession des vénérables et célestes puis·
sances immatérielles ,,). Rappelons à ce propos que si le concile
de Laodicée a condamné (canon 35) le culte de lâtrie, rendu aux
anges, c'est-à-dire l'idolâtrie, il ne l'a pas fait de la «dulie ".
Il convient donc de parler proprement de vénération et non de
culte, Enfin, l'icône des anges est légitime, puisqu'ils ont été
vus par des hommes: cette opinion des Pères a été consignée
au VIIO concile (2° de Nicée, en 787).
4 CONSTANTIN ANDRONIKOF

Prenons d'abord la « Synaxe du Saint Archistratège Michel


et des autres puissances non charnelles» (8 nov.). Deux stichè-
res du lucernaire (aux petites vêpres) contiennent des défini-
tions ontologiques et une première description de leurs fonc-
tions. « Anges sans chair, debout devant le trône de Dieu, et qui
êtes baignés de ses rayons et qui êtes toujours rayonnants de
lumière, et qui êtes des lumières secondes, priez le Christ ... ».
« Anges immortels, ayant une vie vraiment impérissable, bienheu-
reux qui l'avez reçue de la vie première, de la gloire éternelle,
et qui êtes les visionnaires saints de l'éternelle sagesse, remplis
de lumière ... ». Ces créatures sont conçues comme des reflets
ou plutôt des miroirs de la Lumière et de la Gloire, dont l'imma-
térialité et l'immortalité sont comme à l'image de la Sagesse de
Dieu, qu'ils sont à même de contempler directement. C'est donc
à leur action illumina tri ce que nous recourons d'abord, en nous
adressant au «chef des choeurs angéliques »: «Abondamment
irradié par les éclats divins qui émanent sans cesse d'en-haut
(ou de là-bas), à nous aussi, qui sommes sur la terre et qui
chantons le Trisagion avec joie, épargne-nous les ténèbres des
passions et rends-nous clairs par l'illumination ». Selon un terme
qui remonte à Ezéchiel, le chant du Trisagion est une fonction
primordiale de certaines catégories d'anges, à laquelle la liturgie
humaine participe.
La contemplation et la louange du Trois Fois Saint condui-
sent tout naturellement à une autre fonction capitale: la sancti-
fication, la lutte contre les forces des «ténèbres» (dans le sti-
chère précédent, il ne s'agissait encore que des passions hu-
maines; nous verrons d'autres textes qui vont approfondir le
sens de cette lutte).
Aux grandes vêpres, les hymnes du lucernaire précisent ces
données. «Ton aspect est de flamme, ta beauté, merveilleuse,
Michel, premier des anges; tu dépasses les limites par ton es-
sence immatérielle, en accomplissant les décrets du Créateur de
toutes choses (ta panta), qui est connu dans son pouvoir par ta
puissance, toi qui fais de ton temple une source de guérison et
qui es vénéré par ton appellation sainte ». Comme reflet de la
Divinité, l'ange ne peut être que beau. Son aspect igné est attesté
par de nombreux témoins. A la non-temporalité (l'immortalité)
notée précédemment, ce stichère ajoute une certaine ubiquité ou
la non-spatialité ({ tu dépasses les limites », sous-entendu: du
LE CIEL ET LA TERRE 5

monde matériel). Et cela est lié à l'accomplissement des volontés


divines, dont l'ange est l'agent. Un aspect primordial de son mi-
nistère est en effet le service (celui de Dieu et celui de ses
créatures), En conséquence, il fait connaître Dieu par ses éner-
gies. En particulier, sa puissance thérapeutique s'exerce à partir
du lieu où nous le vénérons, en invoquant sa désignation (com-
me nous le faisons souvent à l'égard des saints de la terre:
{( thaumaturge», « martyr», « apôtre}) un tel),
Le stichère suivant fait ressortir la nature spirituelle des
anges, leur ministère diaconique et liturgique: «Seigneur, qui
as créé esprits tes anges, comme il est écrit, et (qui les as faits)
flamme ardente pour te servir, ô Verbe, tu as institué l'Archistra-
tège Michel comme chef de tes ordres archangéliques, qui obéis-
sent à ton injonction (geste, signe), et qui chantent avec crainte
le Trisagion à ta gloire ».
Si les anges sont des témoins et des révélateurs des mystè-
res divins par rapport à l'homme, il est naturel que la liturgie
privilégie aussi celui qui lui annonça le mystère le plus indicible
et constituant la racine de tout le christianisme: «Intelligence
suréternelle, tu as composé une lumière seconde, Gabriel, qui
illumine tout l'univers par sa communion avec les choses divi-
nes, et qui nous révèle dès l'origine le mystère véritablement di-
vin et grand de celui qui est incorporel et qui s'est incarné dans
le sein virginal, et qui est devenu homn1e pour sauver l'homme »,
Le Verbe, en effet, donne à un membre éminent du choeur des
anges, dont il n'a pas pris la nature, d'annoncer au genre des
hommes qu'il va assumer la leur.
A l'inverse, les hommes vont se référer au témoignage des
anges, jusqu'à s'identifier avec eux, en un certain sens, au mo-
ment où ils deviennent en réalité « participants de la nature di-
vine »: en nous préparant à l'anaphore, en effet, nous faisons
pour ainsi dire l'office des anges, « nous, qui figurons en mystère
les Chérubins, ta cheroubim mystikôs eikonizontes, et qui chan-
tons le Trisagion »,
Si une telle identification mystique a lieu lors de l'opéra-
tion du mystère suprème de l'eucharistie, le compagnonnage litur-
gique des anges et des hommes se produit, somme toute, à cha-
que assemblée de prière où, SUr ce modèle, le Nom Trois Fois
Saint est invoqué. Sans doute l'Eglise le marque-t-elle spéciale-
ment les jours où elle s'adresse directement au monde céleste.
6 CONSTANTIN ANDRONIKOF

C'est ce qu'indiquent, par exemple, ces deux stichères de la


litie: «Michel ... tu nous as assemblés aujourd'hui pour la cé-
lébration, toi qui marches toujours avec nous et qui nous gar-
des de toute adversité du diable. Venez donc, ceux qui aiment
la fête et le Christ, prenant les fleurs des vertus, vénérons l'as-
semblée des anges ... car elle se tient sans cesse devant Dieu
et, chantant le Trisagion, elle prie pour le salut de nos âmes» '.
«Les ordres angéliques apportent à ta divinité inaccessible un
chant ininterrompu de leurs lèvres incorporelles et de leur
bouche noétique ... ils nous instituent aujourd'hui, en nous
enjoignant de chanter le cantique des cantiques à ta gloire inacces-
sible, ô Philanthrope, par lequel ils ne cessent de prier pour nos
âmes» (d'Anatole de Thessalonique, IX' s.).
En fait, l'assemblée des anges constitue l'archétype de l'Eglise
en prière. Liturgie céleste et liturgie terrestre se fondent par leur
fonction, qui est de glorifier la Trinité. Notons aussi que le chant
angélique et humain du Trisagion n'est pas que louange: il est
aussi prière pour le salut des hommes et il est exorcisme.
Les textes insistent naturellement maintes fois sur cette ac-
tion majeure des puissances célestes: la lutte contre les forces
mauvaises (<< le combat invisible », dont la stratégie sera pour
ainsi dire codifiée par Nicodème l'Hagiorite), tant sous l'aspect
personnel des membres de l'Eglise que sous celui des attaques
malignes contre l'ensemble de celle-ci, en particulier les disputes
et hérésies qui la déchirent. Un rôle capital, dans ce combat, est
traditionnellement dévolu à l'Archange Saint Michel: «Terrasse
la férocité agarienne» (métaphore sans doute empruntée à la
faune des marais, figurant les démons), « qui attaque souvent ton
troupeau» (comme les parasites du bétail); «apaise les dissen-
sions de l'Eglise, calme les tempêtes des tentations extrêmes,
sauve des malheurs et des adversités ceux qui te vénèrent avec
amour ... ».
Ce thème est spécifié, par exemple, dans ce stichère des lau-
des (à Gloire ... ): «La force du diable sera chassée du lieu que
ta grâce obombre, ô Archange, car Lucifer déchu ne souffre pas
de voir ta lumière. Aussi te prions-nous, archistratège, éteins par
ton intercession les flèches enflammées qu'il dirige contre nous,
en nous délivrant de ses tentations ... }).

2 La Ménée indique que cette hymne est d'Arsène. Est-ce le Studite (IX e
siècle) ou celui de Grottaferrata (XI-XII~)?
LE CIEL ET LA TERRE 7

Mais c'est surtout à l'allégresse commune, provoquée par la


liturgie du ciel et de la terre, que les hymnes reviennent sans
relâche. «Partagez notre joie, tous les ordres angéliques, car
votre chef et notre intercesseur, le grand Archistratège, aujour-
d'hui sanctifie son temple vénérable où il se manifeste glorieu-
sement ... " (grandes vêpres, lucernaire, à Gloire ... , de Byzan-
tios). En effet, «les ordres incorporels prient toujours avec
nous" pour notre salut et, en particulier, quand la pénitence
nous en approche, « ils se réjouissent avec nous de notre contri-
tion» (matines, canon II, 1ère ode; les deux canons des incor-
porels, composés par saint Jean Damascène, sont encore en usage
dans la liturgie byzantine).
En effet, ce n'est pas seulement la doxologie qui est l'affaire
des anges, ils se préoccupent aussi de l'oeuvre pénitentielle des
hommes. Aussi, « Jean le moine}) (ainsi que les inscriptions des
textes liturgiques désignent le Damascène), s'exclame-toi!: «So-
yons des zélateurs de l'existence angélique et plongeons nos pen-
sées dans les hauteurs, et avec eux chantons immatériellement
le Seigneur ... " (canon l, 8" ode). De tradition, la prise de l'habit
monastique est celle de « l'ordre angélique ». «L'existence angé-
lique », faite de pureté et de service, est l'idéal du moine. « L'Egli-
se terrestre reflète par son organisation empirique ce qui existe
authentiquement dans sa sphère céleste. L'existence ecclésiale
manifeste phénoménologiquement ce qui vit véritablement dans
l'être spirituel », disait le P. Cyprien Kern dans son discours
académique à l'Institut Saint-Serge '. Et l'archimandrite Cyprien
faisait ressortir que l'analogie de l'ange et du moine devait être
réalisée non seulement par la purification ascétique et la prière,
mais aussi par le service de la Sagesse et de la Théognose. Sur
le modèle des anges, «qui sont les miroirs de la Sagesse di-
vine ". les moines portent et doivent porter cette lumière»
reflétée et en éclairer le monde'.
D'ailleurs, tout orant, tout liturge exerce une certaine fonc-
tion angélique. «Célébrant dans le monde sur le mode angéli-
que, élevons le chant à Dieu qui siège sur le trône de la gloi-
re ... » (apostiches). ({ Avec les incorporels ... les hommes se
réjouissent en apportant leur chant à la Trinité ».

3 P. Cyprien KERN, Angely, inotchestvo, tchelovetchestva (= Les anges, le


monacat, l'humanité), Paris 1942.
4 Ibid., p. 8.
8 CONSTANTIN ANDRONIKOF

A cet égard, la Mère de Dieu détient un rôle primordial, en


tant que Mère aussi bien que protectrice et qu'orante: « Parta-
gez notre joie, tous les témoins du miracle virginal, car notre
médiatrice ... aujourd'hui, dans son temple vénérable et divin,
console les affligés ... » (Gloire ... et maintenant ... , lucernaire
des grandes vêpres). «Salut, Vierge Théotokos, nous te cla-
mons d'une même voix avec Gabriel: Toi qui as reçu d'en-haut
la joie première, emplis-nous tous de joie» (théotokion, aposti-
ches des petites vêpres). Souvent, les hymnes lui demandent sa
protection avec des termes parallèles à ceux qu'elles adressent
aux anges: «Protège-nous par le couvert de tes ailes ... » (à
Saint Michel l'Archange), «couvre-nous de ta divine interces-
sion» (à la Mère de Dieu).
Cependant, elle est «plus vénérable que les Chérubins et
plus glorieuse que les Séraphins », ainsi que nous le chantons
au congé de vêpres, à la 9" ode de beaucoup de canons à ma-
tines etc. « Ayant conçu dans ton sein, à la voix de l'archange, le
Verbe sans commencement avec le Père et l'Esprit, tu es devenue
plus élevée que les Chérubins, que les Séraphins et que les Trô-
nes» (théotokion du cathisme après la l'" stichologie de mati-
nes, fête des Incorporels). Son action auprès de Dieu dépasse
celle des anges. Aussi le Père Serge Boulgakov a-t-il été conduit
à penser que, contrairement au cas de tous les humains, la Mère
de Dieu n'avait pas d'ange. Sa relation à Dieu est directe '.
Notons encore que le monde angélique est le révélateur de
l'unité initiale et eschatologique de l'Eglise: «Hommes, soyons
aujourd'hui dans l'allégresse avec les anges, dans la joie spiri-
tuelle, car Gabriel annonce maintenant encore la réunion des
Eglises et la chute de toute hérésie adverse» (canon II, 1'" ode).
Et c'est la liturgie angélanthropique qui vise à réaliser cette
unité ecclésiale: "Etant le prince des forces divines d'en-haut,
il (S. Michel) convoque aujourd'hui les choeurs des hommes,
pour constituer une fête unique et radieuse avec les anges, celle
de leur assemblée divine, et pour élever ensemble vers Dieu le
Trisagion» (laudes). Remarquons en passant le terme de «choeurs»
appliqué à l'union ecclésiale des hommes, alors qu'il désigne tra-
ditionnellement l'ensemble des anges.

5 Voir Lestvitsa /akova (= L'échelle de Jaco},), Paris 1929, le traité d'angé-


lologie le plus complet de la théologie orthodoxe, malheureusement pas encore
traduit.
LE CIEL ET LA TERRE 9

Relevons enfin l'insistance de ces textes sur la lumière et


sur la gloire, qui sont comme des conditions et des fonctions
des anges. Nous en avons déjà vu des exemples, en voici d'autres.
« Vous, archistratèges, qui présidez à l'être immatériel des puis-
sances noétiques et qui donnez la lumière à l'univers par les
éclats de la gloire du Triple Soleil ... » (apostiche). « Archistra-
tège ... libère de tout besoin ... ceux qui te chantent et te
prient avec foi: manifeste(-nous) l'immatériel que tu vois, étant
immatériel et illuminé par la lumière inaccessible de la gloire
seigneuriale» (ib., à Gloire ... et maintenat ...). « ... Protégez-
nous par vos prières, nous sauvegardant par le couvert des ailes
de votre gloire immatérielle» (apolytikion) '. Outre la fonction
illuminatrice, classiquement reconnue aux anges, cette idée de
leur protection par la gloire est remarquable.
Des références scripturaires ne s'imposent-elles pas aussi-
tôt? Ainsi: « (Dieu) vous a appelés par notre Evangile à atteindre
à la gloire de notre Seigneur Jésus Christ» (II Th. II,14); et
ceci, peut-être encore plus immédiat: «J'exhorte les presbytres ...
moi, témoin des souffrances du Christ et participant, koinônos,
de la gloire qui va être révélée» (I Pi. V ,1). «Anges lumineux
de Dieu, qui vous tenez devant le trône divin de la grâce, humi-
lité vraie et illumination authentique, que vous recevez de la lu-
mière divine, veillez sur nous avec les célestes philanthropes, nous
qui sommes dans la détresse de la tempête cruelle du maître
du monde et qui dormons dans les ténèbres: venez, archanges,
à notre secours, et délivrez-nous des rets de l'ennemi malfai-
sant ... » (ib., cathisme après le polyéléos).
Que ce soit en la personne d'un archange ou en celle de
deux ou de plusieurs anges, comme l'Ecriture nous l'apprend, les
puissances incorporelles prennent part à la vie du Christ et con-
tribuent à en révéler les mystères. L'hymnographie ne manque
certes pas de mettre en relief le rôle qu'elles y tiennent, comme
témoin ou comme agent, de l'Annonciation au cycle pascal. Très
souvent, elle attire notre attention sur la liturgie commune qui
s'établit alors entre le ciel et la terre, et qui, parfois, dépasse
l'ensemble angélanthropique pour devenir cosmique. Rappelons

6 Ces trois textes se trouvent dans la «Ménée commune», Obtchaia Mi-


neia, ch_ IV; il est intéressant de voir ce que cette anthologie slavonne a
retenu de l'hymnographie, comme éléments essentiels de la liturgie et typiques
pour la fête.
10 CONSTANTIN ANDRONIKOF

par exemple le magnifique stichère d'Anatole de Thessalonique


aux vêpres de la Nativité: {{ ... Chacune des créatures qui sont
de Toi T'apporte un don de gratitude (eucharistie): les anges,
leur chant; le ciel, son astre; les mages, leurs présents; les ber-
gers, leur étonnement; la terre, sa grotte; le désert, sa créche. Et
nous, nous T'apportons la Vierge Mère ... ". Ou, à la vigile pascale:
"Ta Résurrection, les anges la chantent au ciel; et nous, sur
terre, rends-nous dignes de Te glorifier d'un coeur pur". Et à
l'Ascension, cette liturgie prend immanquablement un tour escha-
tologique: "Avec les puissances d'en-haut, célébrons sans cesse
Toi qui viens à nouveau de là-bas avec la chair, comme juge de
l'univers ... " (matines, automèle après le Ps. LILI, Gloire ... et
maintenant ...). C'est que le Christ lui-même réalise l'union du
ciel et de la terre, en sa propre personne et, donc, entre celles
qui le suivent et qui le servent: "Ayant accompli pour nous
l'économie et ayant uni aux cieux ce qui est sur la terre, tu t'es
élevé dans la gloire ... " (kontakion du 2' canon des matines de
l'Ascension, de Joseph de Thessalonique). En vertu de quoi, nous
sommes à même de dire: « Nous qui sommes dans le monde,
célébrons avec les anges Dieu porté sur le trône de la gloire ...
(ib., laudes).
Des hymnes de l'Ascension nous fournissent aussi une donnée
intéressante sur une annonce du mystère faite non plus par le
ciel à la terre, comme lors de la Nativité ou de la Résurrection,
mais à l'intérieur du monde céleste, d'une catégorie d'anges à
une autre, hiérarchiquement, mais non pas de haut en bas de
l'échelle de Jacob, mais de bas en haut: "Voici que le Christ est
venu ... disaient les puissances d'en-bas (katoterai) à celles d'en-
haut (anôterai) ... ". Il ne s'agit pas d'une révélation que les
esprits infernaux auraient faite aux esprits célestes (une idée qui
n'aurait pas été dénuée d'intérêt ni de tout fondement, puisque
le Christ est descendu au séjour des morts, sans pour autant
avoir visité exactement « l'enfer », puisque l'existence de celui-
ci ne commence, à proprement parler, qu'après le Jugement). En
effet, le terme que les hymnographes réservent ici aux démons
est katachthonioi (cf. un stichère de la litie: "les anges célestes
[ouranioiJ s'émurent et les anges infernaux tremblèrent ,,). Il
s'agit d'une sorte de montée de la révélation, sur le modèle de
l'analèpsis, de bas en haut des degrés hiérarchiques: "Les puis-
sances angéliques disaient aux ordres d'en-haut: Levez les por-
LE CIEL ET LA TERRE 11

tes! " (canon l, 4' ode; cf. le lendemain, aux apostiches des ma-
tines du vendredi: «Les ordres des anges et des incorporels di-
saient aux puissances d'en-haut ... »). Mais nous n'avons pas à
approfondir ici ce sujet: en dehors de ces mentions, nos textes
ne font qu'énumérer les catégories angéliques, sans toujours
suivre le même ordre, d'ailleurs.
Marquons une fois encore la fonction de rassemblement
ecclésial, que nos textes attribuent aux anges et que remplit
la Mère de Dieu, synthèse créée du ciel et de la terre, mais « plus
glorieuse que les Séraphins »: « Mère de Dieu, source de vie ...
réunis ceux qui te célèbrent, affermis leur assemblée spirituel-
le ... " (canon II, 3' ode, hirmos, lequel, fait rare, est un théoto-
kion). Contempler l'Ascension conduit aussi le ciel et la terre à
vénérer en retour celle qui donna sa chair humaine au Verbe:
« Que tout être né de la terre et portant la lumière" (nouvelle
allusion à ce qui entre dans l'idéal du moine comme dans celui
de tout chrétien), « exulte en esprit, et que la nature des intelli-
gences (noes) immatérielles célèbre en honorant la sainte fête
de la Mère de Dieu ".
Mais au-dessus même des anges et de la Mère de Dieu, qui
vient d'être appelée « source de vie» (une expression basilienne
pour décrire l'Esprit Saint), c'est bien Lui qui est la « cause"
de l'unité liturgique sur la terre comme au ciel, ainsi que le fait
ressortir en particulier l'office des complies du lundi de Pente-
côte: «Paraclet, toi qui donnes aux puissances célestes la grâce
de ton souffle saint, ayant nettoyé les maux de ma raison, étant
bon, emplis-la de ta sainteté" (canon, 1'" ode, de Théophane).
C'est lui, en effet, «co-créateur, en tant que Dieu, des célestes
êtres hypercosmiques », qui « enseigne à clamer sans cesse:
Seigneur, tu es saintl ». L'Esprit Saint, en vertu de sa sainteté
absolue, est l'inspirateur des deux mondes en prière commune.
C'est lui qui est le moteur de la liturgie angélanthropique du
Trisagion et qui nous permet de dire: «Glorifions d'une même
voix avec les choeurs incorporels, en clamant: Seigneur, tu es
saint! " (ib., 3' ode). «Comment les anges diraient-ils "gloire à
Dieu dans les hauteurs" », se demandait Saint Basile, s'ils n'en (c

avaient reçu le pouvoir de l'Esprit?» 7.

7 Traité du Saint Esprit, n. 38; PG XXXII, 137 B; trad. Pruche, p. 178.


12 CONSTANTIN ANDRONIKOF

Essayons maintenant, pour conclure, de résumer l'enseigne-


ment que l'on peut tirer de ces textes liturgiques, à la lumière,
comme il se doit, de l'Ecriture.
L'ensemble du créé, ta pan ta, comprend deux catégories:
l'incorporelle et la corporelle, unies dans la Sagesse de Dieu,
dans laquelle tout est créé. Entre ce tout et le Créateur, des
relations s'établissent par l'intermédiaire de personnes (du côté
de Dieu, le Verbe et l'Esprit Saint; du côté des créatures, des
anges et des hommes). Ceux-ci composent une liturgie angélan-
thropique par leur glorification, leur reconnaissance des mys-
tères révélés, leur témoignage d'unanimité et d'unité organique,
leur offrande. Chacun représente son monde par sa liturgie per-
sonnifiée, céleste et terrestre.
Les anges ne sont connus que d'après leur fonction, auprès
de Dieu et envers les hommes. Ils sont les agents de la volonté
divine, comme annonciateurs de grands événements (des « cho-
ses nouvelles "), véhicules de l'esprit de prophétie, moyens épi-
phaniques de la Manifestation. Ils sont gardiens des personnes,
des peuples; ils sont comme les gouverneurs de l'économie di-
vine pour la rédemption de l'univers et de ces ensembles ani-
més et inanimés (des églises, conformément à l'Apocalypse; des
astres et des constellations, cf. Ps.). De l'homme à Dieu, ils sont
intercesseurs, prieurs, représentants de ses vertus, de ses « mé-
rites ».
D'où l'aspiration de certains hommes à devenir « comme les
anges ", dans la sphère de la béatitude, tel Jean Baptiste (cf. son
iconographie). Par la louange et la prière, et aussi par le service
du monde, par l'oeuvre caritative, Spirituelle et aussi intellec-
tuelle, le liturge s'assimile à l'ange, qui est avant tout « diacre
liturgique" (cf. Héb. 1,14: «[Les anges] sont tous des esprits
fonctionnaires, leitourgika pneumata, envoyés en service, eis dia-
konian apostellomena, à ceux qui ont à hériter le salut ,,).
Illuminateurs et véhicules de la lumière, «luciferi" (Aréo-
pagite), lumières secondes, miroirs pour Dieu, hérauts du Nom,
ils sont des conducteurs des énergies divines (Palamas), mais
«ils sont créés pour l'homme" (PG 151,449 D). Suivant une idée
aréopagitique, un proverbe populaire russe, que rapporte le P.
Kern (I.e.), déclare: «Pour les laïcs, la lumière, ce sont les moi-
nes; pour les moines, ce sont les anges ". Et de l'homme à l'ange,
LE CIEL ET LA TERRE 13

il y a vénération (et non pas culte), comme pour les saints, qui
revêtent dès ici-bas un aspect angélique.
En raison de ce qui précède, on peut considérer les anges
comme des sortes d'archétypes des transcendantaux: beauté, paix,
harmonie, sagesse '. Ce sont les idées ou les paradigmes du créé
selon la Sagesse divine, et de chaque être humain (hormis la
Vierge), selon Boulgakov. «Le monde angélique contient l'ana-
logue idéique de l'univers créé dans toutes ses parties: la totalité
des idées ou des thèmes créateurs de ce monde existent dans
celui des anges et ne se réalisent que parce qu'il existe. Il est bien
médiateur entre Dieu et le monde, l'échelle qui va de la terre
jusqu'au ciel, sans laquelle notre monde n'aurait pu supporter la
proximité immédiate de Dieu» \). Il y aurait certes eu avantage
à exposer plus complètement la pensée du grand théologien. Con-
tentons-nous de ceci qui nous conduit directement à la liturgie:
« Le monde angélique n'est pas la fin de la création, il en est
le commencement. Il occupe une place intermédiaire entre Dieu
et le monde, en tant que médiation vivante ... Dieu crée les
anges en tant, précisément, qu'anges, c'est-à-dire avec le dessein
d'une création ultérieure, qu'ils vont servir, à savoir: le monde
de l'homme ... En revanche, ce monde-ci n'est pas créé pour
quelque autre monde, il l'est pour soi et en soi, bien qu'il se
tourne vers le monde angélique comme vers son miroir céleste,
et il le suppose» 10.
Le fait est que, de près ou de loin, tous les incorporels sont
des anges, même les Archanges (Gabriel envers Daniel, Zacha-
rie, à l'Annonciation; l'archistratège de Josué, Michel dans l'his-
toire d'Israël, Raphaël envers Tobie ...), même les Séraphins
(la braise dans la bouche d'Isaïe). Et l'Eglise le professe: elle
prie pour ({ l'intercession des vénérables et célestes puissances
non charnelles », comme nous l'avons vu au congé du lundi, au
canon de leur fête; ils sont litl1rgiquement associés à la Mère
de Dieu et à tous les saints (ainsi, un apostiche des vêpres de la
Mi-Pentecôte: « Tes martyrs ... ont reçu les couronnes et, avec
les incorporels, ils prient pour nos âmes», outre les exemples

8 Voir contlibution du Cardo DANJÉLOU au colloque SUl" les «anges, démons


et êtres intermédiaires », dans Alliance mondiale des religions, éd. Laberge-
rie, 1969.
9 Op. cit., p. 52.
10 Ibid., p. 51.
14 CONSTANTIN ANDRONIKOF

dèjà cités, auxquels on pourrait ajouter une très grande quan-


tité d'autres témoignages, comme les evloghitaria du Samedi de
Lazare, à l'orthros ... ).
Que dans la fonction liturgique, le monde céleste constitue
le "paradigme» du monde terrestre, cette idée est exprimée
exactement par la prière byzantine de consécration, à la dédi-
cace d'une église: "Seigneur du ciel et de la terre, qui, dans ta
sagesse ineffable, as fondé ta sainte Eglise et qui as établi sur
terre l'ordre du sacerdoce comme une image du mystère opéré
au ciel par les anges ... ». Aussi Boulgakov écrivait-il à juste
titre: "Le service du prêtre dans l'acte sacramentel est celui de
l'ange qui se tient devant le trône de Dieu» ". Saint Jean Chry-
sostome le disait déjà avec évidence de l'eucharistie: "Ceux qui
communient à ce sang se tiennent avec les anges ... ils sont re-
vêtus de la robe royale du Christ et ils portent les armes spiri-
tuelles »". Rappelons enfin qu'aux fêtes des anges, une parcelle
de la prosphore est prélevée pour eux, à la prothèse, conformé-
ment à un usage ancien plus général encore.
Tout cela est un aspect de la récapitulation annoncée par
Saint Paul, à laquelle je m'étais référé au début de cet exposé, de
la récapitulation en devenir qui est l'entreprise même de la litur-
gie angélanthropique. C'est l'aspect de "la récapitulation de ce
qui est sur la terre dans le céleste, anakephalaiôsin tôn epi tès
gès pros ta ourania », ainsi que le révèle spécialement le mystère
pascal, durant le laetissimum spatium ". Mais les citations per-
tinentes nous prendraient des heures. Je me limite à celle-ci:
"La Pâque, c'est la panégyrie commune de tous les êtres, tôn
holôn, ... la solennité sacrée du ciel et de la terre, ouranou kai
gès hiera teletè ... » 14,
Il est clair que de tels textes, avec notre hymnographie,
établissent une corrélation ontologique entre les deux mondes,
qui commande leur coopération liturgique. Cela est particuliè-

Il Pravoslavie, L'Orthodoxie, Paris, s.d., p. 12l.


12 Horn. sur ln 46,4; PG LIX. 262.
13 Hom. anatolienne sur la Pâque, éd. NADTlN, Sources Chrétiennes 48, Paris
1957, p. 141. Cf. GRÉGOIRE DE NYSSE: « Les anges se réjouissent du rappel des
hommes que le Christ a rappelés à la grâce originelle »; Contra Eunomium 4;
PG XLV, 636 A: en maints passages, ce Père indique ce concours {syndrôme) de
l'angélique et de l'humain, du ciel ct de la terre: voir Contra Eunomium 12;
In Ps. I,9; In Canto 7, et al.
14 Hom. pascale 3,3,éd. NAUTIN, Sources Chrétiennes 27, Paris 1950, p. 121, 123.
LE CIEL ET LA TERRE 15

rement vrai de la relation entre l'homme et son ange gardien,


dont l'existence personnelle est si fermement confessée par la
tradition ecclésiale et mentionnée, notamment dans l'anaphore
de Saint Basile: Dieu nous a envoyé «les prophètes, les mi-
racles opérés par les saints, la loi pour nous aider et aggelous
phylakas »". Et nous savons, ne serait-ce que par l'Apocalypse,
que des anges sont spécialement préposés à chaque Eglise ". Il
est naturel de penser qu'auprès de l'orant, du liturge, l'ange gar-
dien non seulement assiste à sa prière, comme témoin, mais
encore qu'il y prend part, comme véhicule de l'énergie divine.
Quand même la tradition patristique, d'Origène, des Cappa-
dociens et de l'Aréopagite jusqu'à Grégoire le Grand et au-delà,
ainsi que l'hymnographie orientale, n'appelleraient pas les anges
autrement qu'asômatoi, que noerai kai logikai ousiai, leur com-
munauté ontologique avec les hommes est réelle, tant en raison
de leur origine (<< au commencement Dieu créa le ciel et la terre »)
que de certaines de leurs fonctions (liturgiques et servicielles)
et de leur destination (<< le plérôme du Christ »). Et c'est à cause
de cette communauté (et de leur proximité envers le trône de
gloire) que les anges sont intermédiaires, intercesseurs, que les
hommes les prient et qu'ils prient pour les hommes, notamment
en les assistant dans leur combat spirituel et en se joignant à
eux dans leur culte".
D'ailleurs, l'Apocalypse nous indique qu'il y a tout au moins
une mesure commune aux anges et aux hommes (à défaut d'une
certaine corporéité, aliquo modo ou leptôs, que tendaient à
leur attribuer des Docteurs comme Justin, Irénée, Augustin et
des théologiens grecs postérieurs, surtout en raison des princi-
pes d'individuation et de localisation; mais outre que l'argu-
ment paraît spécieux et « scolastique» avant ou après la lettre,
il n'entre point dans notre sujet). L'Apocalypse précise que le
mur de la Jérusalem céleste a «une mesure d'homme, qui est

15 Cf. Grandes Règles U,3; PG XXXI, 913 C: «aggelous epestèken eis phylakèn
kai epimeleian, il nous a envoyé des anges pour nous garder et veiller sur nous »;
et Hom. V sur Hexaaem., PG XXIX, 108 C: 0: tèn phylakèn tôn aggelôn ».
10 Cf. Testamentum Domini l,XXII: «Priez aux heures nocturnes (sans doute
canoniales), car les anges visitent alors l'Eglise ».
17 Cf. cette prière de l'eucologe du prêtre: «A vous, protecteurs et gardiens
de ma vie, moi, indigne, je recours en vous priant »; et cette proposition de
Saint Ambroise: «Obsecrandi sunt angeli pro nobis, qui nobis ad praesidium
dati sunt» (De viduis, IX, 15; PL XVI, 251).
16 .__________C_O_N_S_T_A_N_'T_'_N'--CAccN"D:..:R"'O"N.:.:':..:K:..:O:.:..-F

mesure d'ange, metran anthr6pou, hos estin aggelou » (XXI, 17) ".
Boulgakov, pour sa part, y voit J'indication d'une sorte de sy-
nanthropie des anges et de synangélie de l'homme. En tout état
de cause, noS hymnes posent sans doute possible que «l'Eglise
dans la liturgie» se conçoit nettement eIJe-même comme angé-
lanthropique.
Une autre fonction ecclésiale essentieIJe que remplissent en-
semble le ciel et la terre est la lutte contre les démons. Les an-
ges y prennent une part prédominante, mais tout baptisé, et sur-
tout les moines, y concourent. Le prototype en est le combat
de «Michel et de ses anges» contre « le dragon et ses anges».
Et la sainte Ecriture indique que ceux-ci sont vaincus «par le
sang de l'Agneau et par la parole dont ils ont rendu témoigna-
ge» (Ap. XII,?,! 1). C'est dire que cette guerre est menée par la
puissance des mystères de la révélation et de l'économie du sa-
lut, auxquels correspondent les sacrements du baptême (exor-
cismes, initiation), de l'eucharistie, de la prédication par «le
glaive de la parole », les sacrements de l'ordre et du mariage
(tous deux, notamment, par le service de la justice et le mar-
tyre), du monacat (la prise de « l'ordre angélique »), qui consti-
tuent le coeur même de « l'Eglise dans la liturgie ». Par exceIJen-
ce ainsi, le ciel et la terre concourent à l'économie du Règne.
Après sa chute sur la terre, «il fut donné (au «dragon ») de
faire la guerre aux saints », c'est-à-dire à tous les fidèles; «c'est
ici la persévérance et la foi des saints» (Ap. XIII,?lO), ce qu'un
ange proclame (XIV,12). Les chrétiens sur la terre mènent le
même combat que les anges au ciel. Leurs ministères ici, comme
dans la prière et la glorification, sont parfaitement analogues et
ils sont l'affaire de l'Eglise, tant visible qu'invisible.
Il nous serait difficile d'aIJer au-delà de ces quelques no-
tions que suggère un examen même rapide de cet aspect angé-
lanthropique de « l'Eglise dans la liturgie », car ce qui se passe
au-delà reste maintenant caché dans les profondeurs de Dieu:
« Anthropois men esti kryphion, Theô(i) de monô(i) gnôston» ".

18 Ce que la TOB traduit par: «une mesure humaine que l'ange utilisait »,
cc qui me paraît réduire la portée du texte; cela n'empêche pas cet acribique
ouvrage de noter à propos de la description de la Jérusalem céleste que son
« imagerie Il «comporte aussi quelques applications à la réalité de la commu-
nauté chrétienne» (p. 80B, note g au v. 11).
19 ATHANASE DE PAROS, Epitomè eile syllogè tôn theiôn lès pisleôs dogmatôn,
Leipzig 1806, S. 221.
LE CIEL ET LA TERRE 17

Nos textes hymnographiques, somme toute, développent ICI,


comme toujours, l'enseignement de l'Ecriture et des Pères, no-
tamment quant à l'être même et à la vie de l'Eglise. S'il est im-
possible, dans l'espace qui nous est réservé, de dresser l'inven-
taire des passages pertinents, ceux qui ont été cités et des pa-
roles de Jésus lui-même, comme: « Leurs anges aux cieux (de ces
petits) voient sans cesse la face (ou la personne, to prosôpon)
de mon Père qui est aux cieux» (Mt. XVIII,lO; cf. Lc. XV,lO: "Il
y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui
se convertit )) :20, nous incitent assez à. prendre pleinement con-
science de cette vérité traditionnelle de la foi: entre le ciel et
la terre, la sphère angélique et l'univers humain, il y a une
liaison immédiate et organique qui remonte hiérarchiquement
jusqu'à Dieu, par l'échelle de Jacob. C'est l'un des aspects onto-
logiques de la cohésion de l'Eglise. Et celle-ci ne manque pas
de l'exprimer dans sa liturgie, en se décrivant ainsi elle-même.
Du surcroît, la consistance du choeur ou de ['ordre des an-
ges figure ou typifie dans le ciel l'unité spirituelle du genre hu-
main et de sa multiplicité. Cette unité est potentielle et en de-
venir pour l'ensemble de l'humanité, elle est actuelle dans l'una-
nimité de l'Eglise. Idéalisée par l'assemblée des puissances cé-
lestes, elle est réalisée par la liturgie angélanthropique. L'Eglise
est une sur la terre comme au ciel, celui-ci étant le paradigme de
celle-ci dans l'économie du plérôme.
Par conséquent, quand les membres de l'Eglise prient, ils
exercent une fonction à la fois humaine (le sacerdoce) et angé-
lique. La participation à la liturgie céleste est une dimension né-
cessaire de la liturgie terrestre. Celle-ci, dans sa vérité, est une
concélébration de la gloire du Trois Fois Saint. Lorsqu'à la litur-
gie des présanctifiés, le Roi de gloire entre dans le sanctuaire
et que son corps et son sang sont déposés sur l'autel «mysti-
que », le prêtre prie que « par eux, nous devenions fils de la lu-

20 Est-il possible d'avancer, a contrario, que les anges des hommes mau-
vais seraient éloignés de Dieu? Si la pureté et la prière rapprochent l'homme
de son ange et celui-ci, de Dieu, le péché creuse leurs distances réciproques.
Rappelons à cet égard que des Pères avaient même été conduits à supposer
que chaque homme est accompagné d'un ange bon et d'un ange mauvais (tels
Hermas: Mand. VI,2,1; PG II,928; Grégoire de Nvsse: Vie de Moïse, PG
XLIV,337,340; Cassien, Coll. VIII,17; PL XLIX,750; cf. la théorie du «démon
gardien» chez ORIGÈNE, Peri Arc11. 111.2.4). «Placé entre ces deux compagnons »,
il dépend de l'homme «de faire triompher l'un ou l'autre» (GRÉGOIRE DE NYSSE,
I.e.). Il y a aussi une liturgie infernale. L'histoire en connaît des cas.
18 CONSTANTIN ANDRONIKOF

mière et du jour », et il professe qu'ils sont « invisiblement por-


tés en triomphe par la multitude de l'armée céleste»; et le choeur
des fidèles va chanter: «Maintenant, les puissances des cieux
officient invisiblement avec nous . .. aprochons avec foi et amour,
afin de devenir participants de la vie éternelle ». A la limite, litur-
gie angélique et liturgie humaine coïncident, elles constituent la
liturgie ecclésiale de l'Epouse dans le Royaume, où Dieu lui-
même est le temple (Ap. XXI ,22) .
En particulier, la corrélation et l'interaction des deux sphè-
res, de la céleste et de la terrestre, se manifeste indissolublement
lors du Jugement dernier: «Le Fils de l'homme va venir avec
ses anges ... et il rendra à chacun selon sa conduite» (Mt. XVI, 27);
« quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, accompagné
de tous les anges» (XXV, 31). Ceux-ci assistent ou participent au
jugement. Cependant, « les saints jugeront le monde ... ne savez-
vous que nous jugeront les anges? » (I Cor. VI,2,3), non pas né-
cessairement les anges déchus seulement 21. Si les anges sont
témoins au Jugement, c'est qu'ils sont saints et, en ce sens, les
saints de la terre sont des anges. Ceux-ci ont à témoigner de
la justice et de la sainteté des hommes dont ils avaient la charge.
Réciproquement, les saint auraient-ils à juger la manière dont les
anges ont rempli leur mission? En dehors de cette mention de
l'apôtre, il semble que l'Ecriture reste muette et l'Eglise n'en
souffle mot. Nous en revenons alors à la formule d'Athanase de
Paros, qui commande le silence.
Une conclusion, qui vaut tant pour cette esquisse que pour
l'ensemble de nos « Semaines Liturgiques de Saint-Serge », s'im-
pose d'elle-même: c'est ce tropaire de la fête des Incorporels,
déjà cité: «Toi, Christ, qui as indiciblement réuni ceux de la
terre à ceux du ciel et qui as fait l'Eglise unique des anges et
des hommes, nous Te magnifions}).

Constantin ANDRONIKOF

21 Comme le voudrait la TOB, ad loc., n° 0, p. 502.


CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE DES PRIÈRES
POUR LES MALADES DE L'EUCHOLOGE SLAVE DU SI NAY

L'Euchologe Slave du Sinaï (E.S.S.) est un des plus mysté·


rieux et attachants documents liturgiques de toute la tradition
byzantino-slave.
On ne conserve que 106 feuillets (ou 109 si on leur ajoute
les 3 « feuillets du Sinaï ») du codex primitif; mais par la numé-
ration des pages restantes on sait que les 152 feuillets du début
ont été perdus; on ignore combien l'ont été à la fin du livre.
L'exemplaire de l'E.S.S. qu'on possède actuellement date
du X' siècle; l'original pourrait bien être du IX'.
Cet euchologe n'est pas seulement un témoignage liturgique
exceptionnel de l'époque, mais de l'avis des très nombreux sla-
vistes qui se sont penchés sur lui, il est aussi un chef-d'oeuvre
de la littérature paléo-slave. Les opinions de ces mêmes slavistes,
résumées et vulgarisées par F. Dvornik (Byzantine Missions among
the Slavs) , et A. Dostal (1'Euchologe Slave du Sinaï) " concordent
pour attribuer la paternité de l'ouvrage aux saints apôtres des
Slaves, Constantin-Cyrille et Méthode, ou à quelqu'un de leurs
proches disciples.
Il serait hors de notre sujet de traiter ici la question de
l'origine de la liturgie slave, c'est à dire: quelle liturgie a été
pratiquée chez les Slaves des Balkans et de l'Europe Centrale
avant et après l'arrivée des missionnaires byzantins, puisqu'il
paraît qu'un clergé bavarois et même des moines irlandais avaient
déjà opéré dans ces régions, et que Cyrille et Méthode eux-mê-
mes avaient été, à un certain moment et dans une certaine me-
sure, des biritualistes. Pour toute cette question nous renvoyons

1 F. DVOR1\UK, Byzantine Missions among the Slavs, Rutgers University Press


1970, pp. 108, 109, 114-115, 116.
2 A. DOSTAL, L'Euchologe Slave du Sinaï, dans Byzantion, 36 (1966), pp. 41-50.
20 l\.lIGUEL ARRANZ

encore une fois à F. Dvornik et spécialement à un second travail


d'A. Dostâl (The Origins of the Slavonie Liturgy) '; s'ils ne sont
pas toujours convaincants, ils ont le grand mérite, surtout A.
Dostâl, d'exposer les nombreuses opinions existant parmi les
historiens et les slavistes.
Nous al10ns modestement entrer dans ce vénérable docu·
ment par la porte de service, qui est, sans vouloir faire de jeu
de mots, la porte de la liturgie. Encouragés à cela par A. Dostâl
lui·même, qui reconnaît que seule l'analyse détaillée de l'E.S.S.,
réalisée par les linguistes et par les liturgistes, permettra de voir
clair dans la complexe question historique de la christianisation
des peuples slaves.
Notre euchologe, qui est écrit en caractères glagolithiques,
a déjà été publié trois fois, ce qui indique J'intérêt qu'il mérite.
La première fois par Lavoslav Geitler, en 1882 '. Il avait dû
travailler dans de très mauvaises conditions et son édition, quoi-
que très utilisée par des générations de slavistes, n'était point
satisfaisante. La deuxième édition est cel1e de J. Frcek, publiée
en deux parties, en 1933 et en 1943, par la Patrologia Orientalis
de Graffin '. L'auteur révise le texte de Geitler et au texte pa-
léo-slave (en caractères cyrilliques) il ajoute une assez bonne
traduction française. En outre il identifie les textes grecs, et
même vieux-al1emands, correspondant à une bonne partie des
prières slaves.
La troisième édition paraît encore en Yugoslavie, à Ljubliana
entre 1941-1942 '. Rajko Nahtigal publie la photographie de tout
le codex (en glagolithique naturel1ement), suivie d'une transcrip-
tion diplomatique en caractères cyrilliques; le tout accompagné
d'un impressionnant appareil critique.
Dans notre travail nous al10ns suivre J'édition et la traduc-
tion française de Frcek, en nous permettant quelquefois de la

3 A. DOSTAJ., The Origil1.s of the Slavonie Liturgy, dans Dumbarton Oaks Pa-
pers, Washington 1966, pp. 67-87.
4 L. GEITLER, Euchologium. Glagolski Spomenik Manastira Sinai Brda, Za-
greb 1882.
5 J. FRCEK, El/chologiwn SinaitÎcum. Texte slave avec sources grecques et
traduction française (= R. GR..\FFIN-F. NAü, Patrologia Orientalis, XXIV, 605-
802; XXV, 487-617), Paris 1933 et 1943.
6 R. NAHTlGAI., Euchalogium Sinaiticllm. Starocerkvenoslovenski Glagolski
Spomenik, t. 1: Fotografski Posnetck; t. II: Tekst s Komcntarjem: Ljubliana
1941, 1942. Cf. du même: Razprave, II, Ljubliana 1925, 221-288.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 21

critiquer et de la corriger', car, malgré tous ses mérites, elle


laisse percer parfois que son auteur n'était pas un liturgiste.
F. Dvornik et surtout A. Dostal donnent l'impression que
l'E.S.S. est une compilation composite et même hétérogène. Nous
pouvons dire avec eux qu'en effet notre euchologe présente trois
sources, ou même plus que simples sources, trois couches aquifè-
res: une latine, une grecque et une originale slave.
La couche latine est caractérisée en premier lieu par un
étrange ordre pénitentiel, identifié par Ivan Grafenauer' comme
un pénitentiel franc, et plus précisément d'origine carolingien-
ne. Il est étrange que ni Dvornik ni Dostal ne se fassent les
échos de cette étonnante découverte.
La couche byzantine est la plus riche; elle est bien affir-
mée par de nombreuses prières venant des euchologes patriar-
caux (type Barberini 336 et Crottaferrata C.b.l) et d'autres.
Parmi ces éléments byzantins nous voudrions attirer l'atten-
tion sur un office dont nous nous sommes occupés dernière M

ment: celui de la Génuflexion aux Vêpres de la Pentecôte '. Cet


office qui, au VIII' siècle (Barberini 336), ne présentait encore
qu'une forme très embryonnaire, et qui, au XI' (Coislin 213) ",
apparaissait déjà complet, et même en plusieurs versions, - ce
qui semblait fort criticable au scribe de l'euchologe Coislin, -
dans l'E.S.S. a encore une forme plus proche de Barberini que
de Coislin; il lui manque notamment l'actuelle II' prière et la
seconde partie de la l'et de la nI" (qui ne sont autres que les
prières" IX» et "X» de l'ancien Asmatik6s Hesperin6s). Mais
l'ensemble de l'office de la Génuflexion fait partie des Vêpres de
type monastique (Horologion) et non de celles de type cathédral
(ancien Euchologion).
Quelques-unes des prières des malades dont nous allons
nous occuper dans le présent travail, sept en tout, se trouvent
aussi dans les sources grecques; mais la plupart des prières ne se

7 Cf. aussi S. SLONSKI, Index Verborum do Euchologium Sinaiticum, Warsza-


wa 1934.
81. GRAFE:XAUER, Karolinska Katehe'l.a ter Izvor Briiinskih Spomenikov in
Cina nad' IspovedajaStiim' se, Ljubliana 1936. Cf. Euchologium Sinaiticum (ff.
66-71') pp. 84-129.
9 M. ARRANZ, L'office de ['Asmatik6s Hesperin6s (<< vêpres cltantées,,) de
['ancien Euchologe byzantin, dans Or. Chr. Pero 44 (1978), p. 413.
10 A. DMITRIEVSKII, Opisanie liturgicheskikh rûkopisei ... , II, EUCHOLOGIA,
Kiev 1901, p. 999.
22 MIGUEL ARRANZ

trouvent qu'en paléo-slave. Nous allons les analyser, unique-


ment du point de vue de leur contenu théologique et liturgique,
laissant aux linguistes slaves le soin de faire des hypothèses
dans leur domaine, qui en principe ne devrait pas être un ter-
rain étranger pour la liturgie.
Des prières des malades en général s'était déjà occupé le
grand liturgiste russe A. Almazov li. Certaines de nos prières se
retrouvent en effet dans les trébniki slaves d'époque postérieure.
Mais cette question n'entre pas dans le thème de notre étude;
et nous n'utiliserons donc pas Almazov.
Comme nous l'avons déjà annoncé, notre travail sera de par-
courir une à une les prières des malades de l'E.S.S. en relevant
les points qui intéressent notre semaine liturgique: la notion de
l'Eglise, que nous prenons dans un sens large et non stricte-
ment d'école.
Nous nous servons de la traduction revue par Frcek, mais
nous citons aussi l'édition de Nahtigal. En appendice, nous trans-
crivons en entier le texte de toutes les prières dans la traduction
intégrale de Frcek, selon le vol. XXIV de la Patrologia Orientalis.

Les prières des malades de l'euchologe slave du Sinaï

Une collection de 50 prières pour les malades en un seul et


même euchologe est un fait absolument exceptionnel, du moins
dans la tradition byzantine.
L'ancien Euchologe patriarcal ne contenait pas une vraie
akolouthia ou office des malades, comme par contre c'est le cas
aujourd'hui. Aussi bien le codex Barberini 336 (VIII-IX' s.) que le
Grottaferrata G.b.I. (XI-XII' s.), mais aussi l'euchologe presby-
téral Leningrad 226 (IX-X' s.) (ainsi que les plus anciens eucholo-
ges rapportés par Dmitrievskii [Note 10]: Sinaï 957 [IX-X·s.;
p. 5], 958 [X's.; p. 35], 959 [XI's.; p. 56], 972 [Xlrs.; p. 71], 961
[XI-Xlrs.; p. 82]) ne contiennent que quelques prières isolées
destinées aux malades et une ou deux pour l'huile des malades.
Elles ne sont pas nombreuses: d'une à trois généralement, parmi
lesquelles, deux prières reviennent presque chaque fois:
1. Père Saint, médecin des âmes et des corps ... et
2. Seigneur, qui guéris par la pitié et tes miséricordes ...

11 A. ALMAZOV, Vrachewil'll)'ia molitvy, Odessa 1900.


CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 23

La prenlière se trouve dans une version plus longue que


celle en usage aujourd'hui, mais sans toutefois la liste des saints
et surtout sans aucune n,brique qui la destine à l'onction du
malade. La seconde par contre, apparaît toujours sous la rubri-
que: «prière pour l'huile des malades ».
Le premier office complet ou akolouthia d'onction apparaît
dans l'euchologe presbytéral, - reproduisant en partie et complé-
tant le texte de l'Euchologe patriarcal, - Coislin 213 (a.D. 1027;
DMITRIEVSKII, p. 1017). Dans cet euchologe la prière de l'huile se
dit pendant l'office de prothèse de la Messe, tandis que l'onction
se fait après la communion, avec la prière Père Saint. Cet office
se célèbre sept jours de suite dans la chapelle de la maison
du malade, ce qui suppose un office réservé à une certaine caté-
gorie sociale. Plus complexe est le rite prévu par Sinaï 973 (a.D.
1153; DMITRIEVSKII, p. 101): on célèbre sept jours de suite les
Vêpres, la Pannychis, les Matines et la Messe. La bénédiction de
l'huile et l'onction ont lieu, comme dans Coislin 213, respective-
ment avant la Messe et après la COllllTIUnion.
Le rite actuel est beaucoup plus court. Il ne prévoit que
l'office de la Pannychis en racourci, suivi d'un beau kanôn
poétique, et d'une série de sept épîtres, évangiles et versets psal-
miques respectifs, reste probable des sept messes qui accom-
pagnaient autrefois le rite de l'onction. La prière de l'huile se dit
une seule fois, tandis que la prière Père Saint se répète sept fois,
c.à.d., après chaque évangile. Chaque fois un prêtre différeRt
fait l'onction du malade en disant cette prière. Mais chaque fois,
avant l'onction et la prière Père Saint, on récite l'une des sept
longues prières pour le malade. A la fin on impose le livre des
Evangiles sur la tête de celui-ci et l'on récite une dernière prière
fort suggestive.
Il suffit de feuilleter l'ouvrage de Dmitrievskii pour se rendre
compte combien le rite de l'onction a été pratiqué de façons
différentes et comment les sept prières qui accompagnent la
prière Père Saint sont peu constantes.
Les cinquante prières de l'E.S.S. sont un vrai casse-tête pour
le liturgiste. Quelques-unes, sept en tout, ont une correspon-
dance grecque, quoique, vu l'âge des manuscrits grecs, plus ré-
cents que l'E.S.S., on pourrait aussi bien dire que, à l'exception
des deux prières déjà indiquées, et qui sont certainement con-
stantinopolitaines, les cinq autres dépendent probablement du
24 MIGUEL ARRANZ

texte slave. Quelques~unes des prières n'en sont pas au vrai sens
du mot, mais plutôt des imprécations contre la fièvre ou le dé-
mon, voire simplement des rubriques. Nous avons numéroté
l'ensemble des textes de 1 à 50.
Nous proposons cette classification des cinquante textes:
1. Prières adressées à Dieu: nn. 2, 8 (prière de l'huile), 31 (priè-
re non presbytérale), 44, (50);
II. Prières au Père: nn. 1 (Père Saint), 3, 4, 6, 19, 30 (prière
privée), 38 (prière double);
III. Prières à Jésus-Christ: nn. 5, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18,20,21,22,23,24,25,26,27,28,34,35,36,37,39,40,41,
42,43;
IV. Imprécations contre la fièvre: nn. 45, 46, 47, 48, 49, 50;
V. Imprécation contre Satan: n. 29 (prière privée);
VI. Rubriques: nn. 32, 33.
Nous allons maintenant tâcher de faire une analyse des
principaux textes de ces prières en dégageant la conception théo-
logique ou plutôt la mentalité ecclésiologique qu'elles supposent
ou qu'elles contiennent plus ou moins explicitement.
Il ne faudra pas sans doute s'attendre à des élucubrations
abstraites, mais à une ecclésiologie réaliste qui suppose le Christ
de l'Evangile toujours agissant en faveur de ses fidèles et cela
par l'intermédiaire du ministre célébrant, sans que toutefois ce-
lui-ci prenne la part du Christ. La plupart des textes supposent
que la prière se fait au milieu de l'assemblée de l'Eglise ou en
tout cas à l'intérieur du temple.
Le titre de certaines prières (nn. 1, 32, 33 et 34) parle du
prêtre (pop) comme de celui qui dit la prière. Quelques prières
sont dites à la première personne du singulier (nn. 26, 28, 29 et 30),
ou du pluriel (n. 31), mai la plupart d'entr'elles semblent être
des prières presbytérales; leur forme aussi les rapproche du
reste des prières de l'Euchologe byzantin. A quelle occasion et
avec quel rite étaient dites ces prières des malades? L'E.5.5.
nous donne lui-même la réponse aux nn. 32 et 33. Il prescrit
un schéma très simple d'Office des malades, avec un prêtre re-
vêtu de la « chasuble" et priant devant l'autel. Mais on ne parle
pas d'onction à cette occasion:

(32) Quand quelqu'un est malade et qu'il veut recevoir la prière


d'un prêtre, qu'il attende sept jours de maladie si la maladie est
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 25

légère; trois jours si elle est grave; un jour si elle est très grave;
jusqu'à l'heure du dîner ou jusqu'à midi si elle est très violente.
Et si son corps retrouve son calme et qu'il recouvre l'esprit,
alors qu'il reçoive du prêtre la prière et qu'il se repente de ses
péchés.

(33) Prières sur ceux qui sont malades de différentes maladies. Le


prêtre revêt l'ourar (orarion ou l'actuel epitrachîlion) et le felon
(poenula), il place devant l'altar (sanctuaire) le malade tenant
un cierge et incliné, il entre à l'altar et prie Dieu pour qu'il
oublie ses péchés:
Père Saint (Cf. prière n. 1).
Pour un moine: (n. 2),
Pour un prêtre séculier: (n. 3),
Sur celui qui souffre de la tête: (n. Il),
Sur un malade et un enfant couchés: (n. 15).

D'autre part, le fait que ces rubriques se trouvent seule-


ment après le n. 31, et non tout au début et qu'elles citent
seulement cinq prières déjà rapportées, - et cela avec un titre
nouveau, - nous fait soupçonner que les nn. 32 et 33 ont été
ajoutés après coup. Précédé par les nn. 26, 28, 29, 30 et 31, qui
sont des prières dites pour soi~même. et non précisément pour
une maladie vraie et réelle, tout le groupe 26-33 (car la prière
n. 27 présente elle aussi des anomalies) pourrait n'être qu'une
ajoute. En effet tout ce bloc de prières et de rubriques inter-
rompt la série des prières à sujet évangélique, adressées au
Christ, pour des maladies très précises.
En tout cas le n. 34 a le même début que le n. 1: «le
prêtre dit", comme pour marquer, semblerait-il, qu'on recom-
mence la série interrompue au n. 25, ou bien encore, que les
nn. 34 et suivants ont été, eux aussi, ajoutés après coup.
Nous allons dorénavant omettre cette question, qui reste na-
turellement ouverte, et nous consacrer à la simple analyse du
contenu théologique des prières. Pour ce faire nous allons sé-
parer les prières adressées au Père de celles adressées au Christ.
Les prières au Père nous les classifierons en deux sous-groupes:
1° prières conservées en grec et en paléo~slave; 2° prières dont
on ne connaît pas l'équivalent grec. Les prières au Fils, dont une
seule possède aussi le texte grec, nous les diviserons en deux
groupes selon d'autres critères: P prières pour des malades en
général; 2° prières pour des maladies ou infirmités précises.
26 MIGUEL ARRANZ

Nous ne considérerons pas les prières-imprécations contre


la fièvre. De l'imprécation adressée au diable nous parlerons
en passant.

1. LES PRIÈRES ADRESSÉES À DIEU OU AU PÈRE

Ces prières, moins nombreuses que celles adressées au Christ,


ont un style plus proche des prières de l'Euchologe grec, où
presque toutes les prières, en tout cas les plus anciennes, sont
adressées à Dieu ou au Père. La mention du Christ ou de l'Eglise
peut se trouver dans le texte de ces prières, mais toujours en
dépendance de l'action du Père. Nous avons déjà remarqué, à
propos des prières des Vêpres et des Matines, que les prières
de l'Euchologe byzantin semblent posséder une certaine réti-
cence christologique. Nous l'avons encore dernièrement constaté
dans une conférence tem'e à l'Académie Bessarion de Rome, sur
la christologie dans la Liturgie de Saint Jean Chrysostome.
Des prières adressées à Dieu le Père, les nn. 1, 2, 3, 4 et 6 se
trouvent aussi dans des euchologes grecs, comme nous allons
le voir plus loin; elles portent comme rubrique la mention géné-
rale {( pour un malade ». Le n. 8, qui existe aussi en grec, est la
prière pour la bénédiction de l'huile. Le reste des prières adres-
sées au Père n'existe pas dans des euchologes grecs connus et
elles ont toutes des rubriques précises: n. 19: prière sur le ma-
lade des yeux; n. 26: prière pour la délivrance d'un gros man-
geur; n. 30: prière privée avant d'aller se coucher; n. 31: prière
commune à la même occasion; n. 38: prière double pour toute
maladie.

A) Les p r i ère s gré c a - s 1 a v es.


N. 1: c'est la prière Père Saint de laquelle nOus avons déjà
parlé et qui, en général, se trouve dans tous les euchologes. Cette
prière se présente en trois versions:
version 1): la plus ancienne, commune aux euchologes pa-
triarcaux Batb. 336 et Grott. G.b.I., aux plus anciens sinaïtiques
(cf. texte: DMlTRIEVSKII, II, 5) et aussi à l'E.S.S. Elle n'est pas
rapportée par Goar" (cf. notre ApPENDICE, p. 49).

12 J. GoAR, EUCHOLQGION sive Rituale Graecorum ... , 2e ed., Venise 1730;


Frcek 708, Nahtigal 55; dorénavant: F. et N.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 27

version Il): entre la prière et la doxologie de la version l


on ajoute l'intercession de la Mère de Dieu et de tous les Saints.
Cf. Goar parmi les VARIAE LECTIONES (p. 678). On ne la rencontre
pas souvent dans les manuscrits.
version III): texte remanié des versions l et II en suppri·
mant la dernière phrase de la prière, en ajoutant une longue
liste de Saints, - surtout de saints thaumaturges (mais cette
liste varie d'euchologe à euchologe) - et en substituant l'ancien·
ne doxologie. C'est une rédaction de cette version qui est aujor-
d'hui en usage (cf. GOAR, p. 338).
Dans les anciens manuscrits on n'a pas d'indication à pro-
pos de l'onction qui accompagne aujourd'hui cette prière. Dans
Coislin 213 (a.D. 1027; DMITRIEVSKII, p. 1019) l'onction se fait
pendant la doxologie Car à Toi est la puissance ... (version I).
D'autres euchologes proposent d'autres solutions: Sinaï 980 (a.D.
1475; DMITRIEVSKII, p. 433) par ex.: onction avec les paroles Notre
aide dans le nom du Seigneur; suit la prière.
Le texte de la prière n. 1 est christologique dans sa pre·
mière partie, dans l'évocation de la mission du Christ, mais la
guérison reste du domaine du Père, même s'Il ne la réalise que
par la grâce du Christ:
(1) Père Saint, médecin des âmes et des corps,
qui as envoyé ton Fils unique, ... Jésus Christ,
guérissant de toute maladie et délivrant de la mort,
guéris ton serviteur N. ici présent
de toute infirmité corporelle qui l'accable,
par la grâce de ton Christ...

(cf. texte complet des prières dans l'ApPENDICE, p. 49).


N. 2:" (texte grec: Paris B. N. 349, XV· s.) et N. 3" (Sinaï
959, XI' s.; DMITR., 45): ils ne contiennent aucune mention du
Christ, même si Frcek fait l'effort de traduire SLOVO par « Ver-
be" plutôt que par «parole", qui semblerait plus raisonnable
d'après le contexte.
N. 4:" (Barb. 336; GOAR, 679): c'est un texte magnifique
très dense de théologie: la guérison accompagne le pardon des
péchés; on les reçoit par l'invocation du nom du Christ, mais

13 F. 708, N. 56.
14 F. 710, N. 57.
15 F. 710, N. 58.
28 MIGUEL ARRANZ

c'est le Père qui les accorde. De la guérison l'Eglise tout en-


tière tire profit:
(5) Dieu puissant et miséricordieux
qui ordonnes tout pour le salut de notre espèce,
(N.B.: Barb. et B.S.S.: {( notre »; text gr. de Frcek: «des hommes »)
visite ton serviteur qui invoque le nom de ton Christ,
et guéris-le de toute infirmité du corps et de l'esprit,
remets-lui les péchés et la souffrance due aux péchés ...
fais-le se lever de son lit de péché,
(N.B.: text. gr.: « de son lit de maladie »)
rétablis-le dans ta sainte Eglise, sain d'âme ct de corps,
louant avec tout ton peuple le nom de ton Christ,
(sic Barb. et E.S.S.; text. gr. de Frcek: «tOI1 très saint nOm)l)
notre espérance ...

N_ 6: 16 (Sinaï 959, XI' s., et 982, XIII' s.; DMITRIEVSKII, 45 et


243); cette prière fait aussi allusion à l'Eglise, temple matériel
et troupeau spirituel; elle est dite pour plusieurs malades, bien
que le titre slave n'en prévoie qu'un seul. Le texte grec est
au singulier, et la rubrique réserve la prière à un ascète malade.
(6) Seigneur, Dieu des puissances, visite nos frères ...
libère-les de toute maladie ct souffrance ...
en les conduisant à ton saint temple de prière,
et en les incorporant à tun saint troupeau spirituel,
en Jésus Christ notre Seigneur ...

N. 8:" c'est une prière universelle, toujours et partout


destinée à la bénédiction de l'huile. Elle est adressée à Dieu.
Elle ne contient aucune mention ni du Christ ni de l'Eglise.

B) Les p r i ère s s 1 a v es.


A la différence des sept prières présentées, communes à la
tradition grecque et à l'E.S.S., et qui étaient des prières de ca-
ractère général, applicables it toutes sortes de malades, les
prières slaves, aussi bien celles adressées au Père que celles
adressées au Christ, sont des prières spéciales, pour ne pas dire
spécialisées, chaque prière étant destinée à une maladie ou infir-
mité différente.

16 F. 712, N. 60.
17 F. 714, N. 62.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSTOLOGIE 29

Qu'elles s'adressent au Père ou au Fils, les pneres slaves,


qui sont plus longues et prolixes que les prières gréco-slaves,
aiment s'attarder sur les différents miracles ou actions extraor-
dinaires opérées par Jésus pour le bien des hommes. Après cette
protase historique, suivra une apodose, où l'on demandera au
Seigneur d'agir de même envers le malade présent qui souffre
d'une maladie analogue. Bien que le procédé puisse courir le
risque de tomber dans le naïf, voire dans la dévotion facile, ce
n'est pas le cas pour nos prières, comme nous allons le voir,
parce qu'en elles, à côté de la fraîcheur évangélique, se con·
serve un sens théologique bien solide et éloigné du mièvre et
du faux. Puisque l'on ne connaît pas de source grecque pro-
bable à ces prières et puisque les slavistes sont d'accord pour
attribuer l'E.S.S. au X· s., il faudra bien penser que les auteurs
des prières sont les saints apôtres des Slaves, Cyrille et Méthode,
ou quelqu'un de leurs disciples, en tout cas des personnes, dou-
ées d'une culture religieuse et d'une vie spirituelle profondes, ainsi
que d'un réel sens pastoral et d'esprit de compréhension des
peuplades auxquelles la nouvelle liturgie était déstinée, peupla-
des toutes fraîches et bien disposées envers la foi chrétienne,
mais attachées encore, très probablement, aux vieilles pratiques
et superstitions païennes.
Voici donc ces prières; d'abord celles qui sont adressées au
Père et qui ne sont pas très nombreuses:

N. 19: «prière Sur le malade des yeux» ":


(19) Tu consoles de toute affliction celui qui a recours à toi,
.. . par ton Fils unique ... Lumière qui ne s'éteint pas,
que tu as accordée à ceux qui sont dans l'obscurité
pour les éclairer des ténèbres de perdition
.. . jette les regards sur ton serviteur ici présent ...
Console-le par ta consolation qui est ... Jésus-Christ,
Lumière qui ne s'éteint pas;
ordonne qu'il conserve sans aucun dommage
la lumière de son obscurité
grâce à l'obscurité de ta lumière
(poveli sokhraniti svet I1lraka eg6 bez vsidkago vredti mrtikom
s1'éta tvoeg6)
et guéris-le de la maladie qui le tient,
pour que, vivant dans la lumière,
il t'adresse des louanges ...

18 F 724, N. 73.
30 MIGUEL ARRANZ

Cette prière, qui apparemment n'a rien à voir avec l'Eglise


et bien peu avec le Christ, nous semble le meilleur exemple de
la haute qualité théologique et biblique de ces prières slaves, si
lointaines du dévotionisme moyenâgeux qui sévira plus tard en
Occident.
Le Christ apparaît comme lumière, évidemment spirituelle,
et comme consolation de Dieu. La phrase « qu'il conserve sans
aucun dommage la lumière de son obscurité grâce à l'obscurité
de ta lumière» est, sans aucun doute, très obscure, à moins
qu'on ne la prenne dans son sens direct: on ne demanderait pas
la guérison du malade, aveugle ou en train de le devenir, mais
bien son profit et son illumination spirituelle s'il devait rester
aveugle. S'il est difficile à l'homme d'accepter de la main de
Dieu n'importe quelle maladie, combien plus difficile sera-t-il de
rester serein lorsqu'on commence à perdre la vue. La grâce
que la prière demande est celle de l'acceptation de la cécité de la
part du malade. Il est vrai qu'on n'exclut pas non plus la gué-
rison. Acte suprême d'acceptation de la volonté de Dieu: le
malade, vivant dans la lumière (spirituelle ou matérielle) adres-
sera à Dieu des louanges.
N. 30: prière pour être dite à la première personne du sin·
gulier lorsqu'on va se coucher ". Elle a le mérite d'être trinitaire,
avec une théologie des trois divines personnes toute dynami-
que et digne du N.T. De plus, elle considère les difficultés de la
chasteté comme des difficultés de santé que seul Dieu peut gué-
rir. Elle fait suite à une imprécation contre Satan ", qui mérite
une certaine attention justement parce que, placée avant la
prière, elle semble répéter le schéma pré·baptismal de la renon·
ciation au diable et de l'attachement à Jésus-Christ:
(29) Va-t'en Satan .. . , ici il n'y a pas de place
ni de part pour toi ...
ici je veux, après avoir fait mon adoration,
me coucher au nom du Père et du Saint-Esprit ... (sic.).

(30) Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ,


envoie en moi ton Saint-Esprit,
et mets dans mon coeur la sagesse de ton Esprit Saint,
protégeant mon âme et mon corps,
et tous les membres de mon corps

19 F. 735, N. 86.
2.0 F. 734, N. 85.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 31

et toute la vie de mon organisme


de tout méfait et de tout piège du diable
et de toutes les tentations du péché;
apprends-moi à te rendre louange, Père ...

Cette prière si réaliste et sereine envers la concupiscence


vue comme faiblesse ou infirmité, est suivie d'une autre prière
(n. 31) ", celle·ci au pluriel, beaucoup plus nerveuse et pathé.
tique. A deux reprises on parle de l'office des Matines qui va
suivre. Très probablement est elle destinée à des moines ou à
des clercs.
Les nn. 32 et 33", dont nous avons parlé plus haut, sont
de simples rubriques indiquant une ébauche d'office des mala·
des, ce qui prouve que l'akolouthia aujourd'hui en usage, et déjà
en formation au XI" siècle (Coislin 213), n'existait pas encore au
moment de la christianisation des Slaves, et que l'E.S.S. est bien
de cette époque·là.

N. 38: «prière sur ceux qui souffrent de différentes mala-


dies)) 2l.
C'est une bien curieuse pnere double, où le prêtre ne de-
mande pas directement la guérison de la part de Dieu, mais plu-
tôt la force de l'Esprit Saint pour pouvoir la réaliser lui-même.
Le rapport entre les trois divines personnes est aussi fondé sur
le N.T.:

(38a) Guérisseur des malades, toi qui exauces toute prière ...
toi qui nous donnes ton nom
pour traiter toute maladie et toute souffrance,
pour guérir et pour purifier,
toi qui as envoyé ton Fils unique ... Jésus-Christ...
je te prie, Seigneur, oublie mes péchés ...
fais de moi la demeure de ton Saint-Esprit,
qui a guéri tout homme de toute maladie ...

(38b) Au nom de ton Fils unique... Jésus-Christ,


fais descendre en moi ton Saint-Esprit ...
et donne-lui tous tes pouvoirs de commander la guérison,
dont tu as déjà donné des exemples sur la terre
par ton Christ notre Dieu;

21 F. 735, N. 86.
"F. 736, N. 88.
2:1 F. 741, N. 95.
30 MIGUEL ARRANZ

Cette prière, qui apparemment n'a rien à voir avec l'Eglise


et bien peu avec le Christ, nous semble le meilleur exemple de
la haute qualité théologique et biblique de ces prières slaves, si
lointaines du dévotionisme moyenâgeux qui sévira plus tard en
Occident.
Le Christ apparaît comme lumière, évidemment spirituelle,
et comme consolation de Dieu. La phrase «qu'il conserve sans
aucun dommage la lumière de son obscurité grâce à l'obscurité
de ta lumière» est, sans aucun doute, très obscure, à moins
qu'on ne la prenne dans son sens direct: on ne demanderait pas
la guérison du malade, aveugle ou en train de le devenir, mais
bien son profit et son illumination spirituelle s'il devait rester
aveugle. S'il est difficile à l'homme d'accepter de la main de
Dieu n'importe quelle maladie, combien plus difficile sera-t·il de
rester serein lorsqu'on commence à perdre la vue. La grâce
que la prière demande est celle de l'acceptation de la cécité de la
part du malade. Il est vrai qu'on n'exclut pas non plus la gué·
rison. Acte suprême d'acceptation de la volonté de Dieu: le
malade, vivant dans la lumière (spirituelle ou matérielle) adres·
sera à Dieu des louanges.
N. 30: prière pour être dite à la première personne du sin-
gulier lorsqu'on va se coucher ". Elle a le mérite d'être trinitaire,
avec une théologie des trois divines personnes toute dynami·
que et digne du N.T. De plus, elle considère les difficultés de la
chasteté comme des difficultés de santé que seul Dieu peut gué-
rir. Elle fait suite à une imprécation contre Satan 20, qui mérite
une certaine attention justement parce que, placée avant la
prière, elle semble répéter le schéma pré-baptismal de la renon·
ciation au diable et de l'attachement à Jésus·Christ:
(29) Va-t'en Satan ... , ici il n'y a pas de place
ni de part pour toi ...
ici je veux, après avoir fait mon adoration,
me coucher au nom du Père et du Saint-Esprit ... (sic.).

(30) Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ,


envoie en moi ton Saint-Esprit.
et mets dans mon coeur la sagesse de ton Esprit Saint,
protégeant mon âme et mon corps,
et tous les membres de mon corps

19 F. 735, N. 86.
20 F. 734, N. 85.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 31

et toute la vie de mon organisme


de tout méfait et de tout piège du diable
et de toutes les tentations du péché;
apprends-moi à te rendre louange, Père ...

Cette prière si réaliste et sereine envers la concupiscence


vue comme faiblesse ou infirmité, est suivie d'une autre prière
(n. 31) 21, celle-ci au pluriel, beaucoup plus nerveuse et pathé-
tique. A deux reprises on parle de l'office des Matines qui va
suivre. Très probablement est elle destinée à des moines ou à
des clercs.
Les nn. 32 et 33 ", dont nous avons parlé plus haut, sont
de simples rubriques indiquant une ébauche d'office des mala-
des, ce qui prouve que l'akolouthia aujourd'hui en usage, et déjà
en formation au XI' siècle (Coislin 213), n'existait pas encore au
moment de la christianisation des Slaves, et que l'E.S.S. est bien
de cette époque-là.

N. 38: «prière sur ceux qui souffrent de différentes mala-


dies ))21.

C'est une bien curieuse pnere double, où le prêtre ne de-


mande pas directement la guérison de la part de Dieu, mais plu-
tôt la force de l'Esprit Saint pour pouvoir la réaliser lui-même.
Le rapport entre les trois divines personnes est aussi fondé sur
le N.T.:

(3Sa) Guérisseur des malades, toi qui exauces toute prière ...
toi qui nous donnes ton nom
pour traiter toute maladie et toute souffrance,
pour guérir et pour purifier,
toi qui as envoyé ton Fils unique ... Jésus-Christ...
je te prie, Seigneur, oublie mes péchés ...
fais de moi la demeure de ton Saint-Esprit,
qui a guéri tout homme de toute maladie ...

(38b) Au nom de ton Fils unique ... Jésus-Christ,


fais descendre en moi ton Saint-Esprit...
et donne-lui tous tes pouvoirs de commander la guérison,
dont tu as déjà donné des exemples sur la terre
par ton Christ notre Dieu;

21 F. 735, N. 86.
" F. 736, N. 88.
23 F. 741, N. 95.
32 MIGUEL ARRANZ

car je suis ta demeure:


que, sortant de ma porte,
ton Saint-Esprit envoyé par toi, et ta puissance
guérissent ton serviteur ici présent ...
qu'il te glorifie ...

N. 44: «prière sur de nombreux malades et sur celui qui est


secoué par une fièvre qui fait claquer les dents» ".
C'est le premier de sept textes pour différents cas de fièvre.
Les autres textes (nn. 45-50) ne sont pas de vraies prières puisque
par elles on s'adresse directement à la fièvre, en rappelant le
moment de la passion de Jésus correspondant à l'heure dans la-
quelle la fièvre frappe. Cette prière 44 fait une longue descrip-
tion des phénomènes naturels qui ont agité la nature au Sinaï
lors de la manifestation de Dieu à Moïse. On arrive à décrire
les effets de la fièvre, comparée à un démon, qui produit sur
l'homme des phénomènes semblables à ceux ressentis au SinaÏ.
Cette longue prière semble ignorer l'existence du Fils et de
l'Esprit ainsi que celle de l'Eglise. La seule mention de l'église-
temple se trouve dans la rubrique qui suit le titre, où après
avoir indiqué la diète sévère qui doit être suivie par le malade,
on ordonne à celui-ci d'allumer trois cierges dans l'église et de faire
l'aumône à l'église ou aux pauvres, dès qu'il sera guéri (cf. Ap-
PENDICE).

II. LES PRIÈRES ADRESSÉES AU CHRIST

Les 30 prières adressées au Christ constituent certainement


quelque chose de nouveau par rapport à l'Euchologe classique
où toutes les prières étaient, en général, adressées à Dieu le
Père. Elles forment aussi un ensemble homogène de textes plus
ou moins identiques de facture et de style; on pourrait même soup-
çonner un seul et même auteur pour toutes les 30 prières. Nous
allons encore essayer de faire une rapide analyse des textes les
plus importants pour tenter finalement quelques conclusions
d'ensemble.
Comme idée d'introduction, nous pouvons dès maintenant
signaler le sens de la continuité établi partout entre le Christ

24 F. 747, N. 104.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 33

de l'Evangile et le Christ assis à la droite de Dieu et présent


à l'Eglise. Chaque malade entre pour ainsi dire dans les pages
de l'Evangile et il se joint aux malades que le Christ à guéris
pendant sa vie mortelle. On n'oublie pas pour autant l'apparte-
nance du malade à l'assemblée des croyants, au milieu de la-
quelle le miracle doit se réaliser.
Seules trois prières n'ont pas de destination précise. Les
27 autres par contre semblent faire partie du « manuel du par-
fai t guérisseur»; nous les appellerons ({ les prières spéciales».

A) Les p r i ère s g é n é rai es.

N. 7: «prière pour ceux qui sont couchés depuis de longues


années )) ~.
C'est la seule prière adressée au Christ qui se trouve aussi
dans un euchologe grec (Sinaï 966; DMITRIEVSKII, p. 198) du
XIII' siècle:
(7) 0 Roi, guensseur de ceux qui souffrent, Jésus-Christ,
devant toi tremblent les démons,
et sur ton ordre toute maladie s'en va;
toi qui rends la vigueur au.x corps brisés,
qui chasses la mort, qui fais lever en un instant
les corps couchés depuis les siècles,
donne la santé à ton serviteur ici présent
et délivre-le de cette maladie.

Suit une doxologie adressée au Père, qui ne doit pas être


originale à cette place.
Le Christ apparaît plutôt comme le Ressuscité, mais on
n'exclut pas la vie terrestre de Jésus. Cette continuité entre le
Christ d'avant et d'après la Résurrection est constante dans toute
cette série de prières. Le rapport entre résurrection des morts
et guérison des malades est un thème habituel de la prière juive;
cf. par exemple la 2' berakha du Shmoné-esré.
Les 29 autres prières au Christ sont purement slaves.
N. 5 ": c'est une prière pour un malade quelconque. Elle
est assez longue, comme la plupart des prières du groupe, des-

25 F. 714, N. 61.
26 F. 712, N. 59.
34 MIGUEL ARRANZ

quelles on ne peut pas dire cependant qu'elles soient prolixes


ou qu'elles s'alourdissent d'épithètes inutiles ou de répétitions.
On y reconnaît toujours la main d'un bon théologien, rompu à
l'art de la meilleure rhétorique grecque, qui perce en filigrane
à travers un paléo-slave jeune et souple:

(5) Médecin des âmes et des corps, a Dieu


qui par l'Esprit ineffable
as porté toutes les maladies de l'humanité
et qui ôtes les maladies de l'humanité,
toi qui par ta parole
((( par ton Verbe 11: Frcek)
as chassé toutes les maladies
tourne-toi vers le désir de tes serviteurs
et guéris ce malade, Seigneur;
tends-lui une main charitable et relève-le
en guérissant le mal déclaré
et en corrigeant celui qui ne l'est pas,
afin qu'il guérisse dans son corps
et qu'il soit sauvé dans son âme
et qu'il proclame par de bonnes oeuvres ta miséricorde ...
Avec lui guéris aussi nos maux ...

L'allusion au pardon des péchés accordé par Jésus au pa-


ralytique porté sur le grabat, avant de le guérir de son mal,
ainsi que la proclamation du bien reçu, nous reconduisent à
l'Evangile. L'assemblée intervient pour solliciter la grâce et pour
bénéficier aussi de la guérison des maux de tous, après que le
malade aura été guéri. Pour opérer la guérison on demande à
Jésus d'imposer la main sur le malade comme Il le faisait dans
l'Evangile.

N. 9: «prière pour un malade ecclésiastique (tserk6vny dans


les sens général de pratiquant, non dans celui de clerc)
et croyant)) 27.

Le rapport supposé comme existant entre péché et maladie


fait que l'assemblée ecclésiale demande avec force la guérison
du malade pour éviter le scandale des non-croyants. Le rappel
du fait évangélique n'est pas trop pertinent, mais il est certai-
nement expressif. On peut remarquer aussi la forme un peu raide

2~ F. 716, N. 62.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 35

du début, sans les titres divins au vocatif si habituels aux prières


de l'Euchologe byzantin:
(9) En te couvrant de la pierre du tombeau,
tu as couvert tous les péchés de ceux qui honorent
sincèrement la sainteté de l'Eglise
(sviatynia tserk6vnaia = hagiosynî tis ekklisias?)
de ceux qui en elle ... confessent la foi orthodoxe en toi.
Notre intercesseur et ... guide vers ton Père ... ,
nous te prions pour nous tous ... ;
maintenant nous élevons plus fort notre voix
pour ton serviteur ici présent:
... ne le condamne pas ... et ne nous châtie pas
oublie ses péchés et guéris-le de la maladie ...

On remarque l'intérêt que la communauté prend à la gué-


rison d'un de ses membres. Sans doute est-elle consciente que,
si un membre est malade, tout le corps est malade.
A partir de la prière suivante, commence la série des priè-
res pour les différentes maladies qui peuvent avoir un parallèle
évangélique.

B) Les p r i ère s s p é c i ale s .

N. 10: « prière sur celui qui a un mal dans la bouche ou dans


les oreilles. Quand on veut la faire on crache sur le mal" ".

(10) Seigneur Jésus·Christ


qui n'as pas repoussé un seul de ceux qui,
affligés d'une maladie, t'étaient amenés,
et qui n'as laissé partir aucun de ceux
qui t'étaient amenés sans lui donner la guérison;
quand on t'a amené le sourd-muet
tu as craché sur sa langue
et as détruit l'infirmité de sa langue.
Nous te prions, Seigneur, qui as donné le modèle
de guérison de toute maladie humaine,
porte ton regard sur nous et sur ton serviteur
ici présent, qui t'a été amené dans la maison de ton Père,
... et sur moi pécheur qui reproduis le modèle
de ta salive qui guérit;
nettoie sa bouche .. ,

"F. 716, N. 64.


36 MIGüEL ARRANZ

Les idées du rédacteur sont très claires. Le malade est amené


au Christ en personne, puisqu'on vient dans la maison de son
Père. Le miracle accompli autrefois par Jésus n'était pas un
fait isolé; par lui Jésus instituait une espèce de sacrement dont
l'effet était garanti. Le ministre applique la salive du Christ en
refaisant l'action de celui-ci. Une telle foi dans le don de gué-
rison ne se retrouve de nos jours que chez les charismatiques.
Un semblable charisme de guérison nous l'avions trouvé dans
le Testamentum Domini (cf. Conférences Saint-Serge 1976, p. 70),
mais encore comme charisme éventuel et non habituel.
N. 11: «prière sur qui souffre de la tête» ".
Pas de miracle évangélique ayant comme objet une tête
malade. Qu'à cela ne tiene. Notre rédacteur trouvera quand même
un point de départ sur lequel bâtir le texte de la prière:
(11) Toi qui as incliné la tête pour le crucifiement,
tu as fait incliner devant toi toutes les choses ...
tu as broyé la tête de toute maladie
tu as relevé beaucoup de têtes courbées sous les péchés ...
Toi ... daigne maintenant jeter les regards sur ton serviteur ...
qui a incliné sa tête devant toi,
brise la tête de la maladie qui tient sa tête ...
relève-lui la tête et guéris-le ...
car tu es notre tête et ta tête est notre santé ..

On pourra sourire des trouvailles rhétoriques de notre au-


teur. On pourrait jurer que nous avons à faire à un grec. Cela
n'empêche qu'il serait difficile de dire plus de choses à propos
de la tête et de les dire si bien en si peu d'espace. Le colophon
est merveilleux: le Christ tête de l'humanité et de l'Eglise.
N. 12: «prière pour toute douleur piquante et lancinante» '".
Ici le Christ n'apparaît plus comme le guérisseur direct d'une
maladie ni même comme le vainqueur absolu du mal, mais
plutôt comme la victime qui souffre du mal dont on veut obtenir
la guérison:
(12) Toi, qui as reçu le coup de lance dans ton flanc,
tu as brisé toutes les armes des violents et leur force ...
daigne maintenant briser les armes et la force de cette maladie ...
vaincs-la dans un combat invisible et foule-la aux pieds ...

Z9 F. 718, N. 65.
30 F. 719, N. 66.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 37

Le motif du coup de lance cède le pas à celui de la victoire


du Christ sur la mort et sur la maladie, prélude de la mort.
N. 13: «prière sur une plaie saignante au flanc» ".
Même façon de développer le thème que la prière antérieure:
(13) Toi qui as versé le sang par la plaie de ton flanc ...
tu as tari toutes les sources du diable et des maladies
et tu as vaincu toute puissance hostile;
... daigne arrêter maintenant la source de ce sang ...

N. 14: «prière sur un malade hydropique»".


Le Christ n'a pas versé que du sang de son flanc. Il y eut
aussi de l'eau. Mais, de l'eau physique, la prière passe tout na-
turellement aux flots mystiques dans lesquels le Christ a vaincu
J'ennemi:
(14) Toi qui as versé de l'eau par la plaie de ton flanc ...
tu as noyé toutes les forces hostiles,
et tu as vaincu tout esprit assoiffé d'eau
et toute maladie qui boit de l'eau;
... maintenant ... chasse de (ton serviteur)
tout esprit qui provoque la soif,
toute maladie qui brûle son corps et ses entrailles
rafraichis-Ie de ta fraîcheur,
désaltère-le à la source de ta bonté ...

L'eau était considérée comme un élément dangereux chez


les anciens. La soif de la maladie apparaît ici comme provoquée
par les esprits mauvais; mais ils ont été attaqués par le Christ
sur leur propre terrain, dans l'eau (sans doute, au Baptême) et
ils ont été vaincus. Le malade sera guéri de sa soif et ce sera le
Seigneur lui-même (allusion au Ps 22 ou à la conversation avec
la Samaritaine) qui lui donnera une eau spirituelle.
N_ 15: «prière sur un malade couché et sur un enfant» ".
On ne voit pas très bien quel rapport pourrait exister entre
le malade couché et le petit enfant (detishche); le texte de la
prière ne fait plus allusion à l'enfant, et même l'exclut, car on
demande tout d'abord le pardon de péchés qui sont la cause de
la maladie. Pas de rapport non plus entre l'épisode évangélique
évoqué et la maladie elle-même. C'est vrai qu'on ne parle pas

31 F. 720, N. 67.
"F. 721, N. 68.
33 F. 721, N. 69.
38 l\lIGUEL ARRANZ

de maladie preCIse, mais plutôt d'un état de dépression ou des


effets d'une maladie non identifiée:
(15) Toi qui as rendu ton très saint esprit sur ta ... croix,
tu as détruit la mort et tu as tué toute maladie .. .
. .. remets-lui tous ses péchés,
les siens et ceux de ses parents,
enlève cette plaie de son corps ...
à cause de ton incarnation ... résurrection ... ascension .. ,
et de la place que tu as prise à la droite du Père.
Car tu es celui qui vit avec le Père dans les demeures célestes,
tu es toujours avec ceux qui te prient sur la terre;
sois maintenant avec nous en accordant la guérison ...

Le Christ est non seulement le vainqueur définitif du mal,


Il est aussi présent à ceux qui prient, sans abandonner pour au-
tant les demeures célestes. C'est bien le fondement de la vie de
l'Eglise.
N. 16: «prière pour les déchirures des mains»".
Même procédé: par le mal reçu, le Christ a vaincu l'ennemi
et par là Il peut nous venir en aide dans des cas semblables:
(16) Toi qui as étendu tes mains sur la croix,
par tes paumes clouées tu as cloué toutes les mains
des impies et des démons , ..
par ta souffrance tu as vaincu toutes leurs puissances
daigne maintenant clouer les mains de ces déchirures
entrées dans ces mains-ci qui se tendent maintenant vers toi ...
réjouis ton serviteur ici présent
et guéris ses mains ... pour qu'il se réjouisse dans la joie
en recevant avec elles ton très saint corps ...

C'est une prière compliquée; il n'est pas aisé de suivre tous


les méandres du raisonnement de l'auteur. Seul le sens général
est clair et net: la toute-puissance du Christ. On nous offre un
renseignement inattendu de pratique liturgique: la communion
dans la main semble avoir encore été pratiquée à cette époque,
même chez les Slaves.

N. 17: «prière sur qui est malade d'un flux d'eau» ".
Après six prières (11-16) qui s'inspiraient de la passion de
Jésus, on revient au thème des guérisons opérées par le Seigneur,

34 F. 723, N. 71.
35 F. 724, N. 72.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 39

comme c'était le cas pour le n. 10. La prière 17 développe le


thème de l'assemblée ecclésiale festive:

(17) Toi qui es entré dans la maison d'un chef des Pharisiens ...
qui as dit à ceux qui t'observaient
qu'il est sage et digne de pratiquer le bien (la grâce)
spécialement les jours de fête,
qui a pris le malade souffrant d'hydropisie et l'as guéri:
nous te prions . .. entre maintenant dans ta sainte église
et dans ton serviteur ici présent
qui accomplit ta prescription
(N.B.: le ministre?)
et prends ton serviteur ici présent qui souffre d'un flux,
guéris-le ...

N. 18: «prière sur un sourd (cf. la pro 10 qui était pour un


sourd-muet). Quand on veut faire la prière sur lui, lui mettre les
doigts dans l'oreille" ".
Le malade a été apporté à l'église; le ministre opère par di-
sposition de Jésus. Résultat premier de la guérison: le sourd
sera capable d'entendre la lecture de l'Evangile et les autres pa-
roles du Seigneur:
(18) Toi qui as reçu le sourd qui t'était amené,
tu lui as mis les doigts dans les oreilles
en soupirant et en levant les yeux au ciel
et en disant: « Que ton oreille s'ouvre» ...
jette maintenant les yeux ... sur ton serviteur
qui a été amené devant ta face ...
et sur moi. .. qui exécute tes ordres,
dis ta parole ... et ouvre ses oreilles,
accorde-lui d'entendre ton ... évangile
et les paroles que tu as établies parmi les hommes.
N'humilie pas celui qui espère en toi
devant les fils des hommes ...

N. 20: «prière sur un aveugle de naissance et sur qui est


devenu aveugle}) 31.
C'est une longue pnere où l'on parcourt un peu tout le 9'
chapitre de St Jean, en s'attardant sur le thème de la cécité et

"F. 724. N. 73.


'" F. 726, N. 75.
40 MIGUEL ARRANZ

de la lumière spirituelle. Nous ne relevons que la partie ecclésiale


de la prière:
(20) ... maintenant nous prions le Dieu ... qui t'a envoyé,
et toi qui vis avec lui dans les cieux,
qui vis toujours sur terre avec ceux qui te prient ...
toi qui leur accordes ce qu'ils demandent,
sois avec nous ... et accorde-nous nos demandes,
ouvre les yeux ... donne-lui la vue,
à celui qui est venu par ton appel...

N. 21: " prière sur qui est devenu aveugle. Au moment de fai-
re la prière sur lui, passer le doigt sur ses yeux» "".
Cette prière part de la guérison des deux aveugles; cette fois-
ci c'étaient eux qui appelaient Jésus. Présent aussi le motif de
l'action du ministre qui exécute le commandement du Seigneur.
Le malade, une fois guéri, se mettra à la suite de Jésus, comme
les aveugles de l'Evangile (Mt 9,27 ... ).

N. 22: «prière sur celui qu'un éclair prive de la vue ou dont


les yeux se voilent. Il doit jeûner» ".
La prière développe le thème de la conversion de Paul et
son jeûne prolongé jusqu'à l'arrivée d'Ananias, ainsi que le rôle
joué par celui-ci dans la guérison spirituelle et physique de Paul:
(22) ... daigne jeter du ciel ... ton regard
sur ton serviteur ici présent qui a perdu la vue ...
qui est venu trouver celui qui croit en toi

N. 23: "prière contre toute maladie qui s'accroit en tout


temps et sans cesse )) 4D.
Le figuier stérile que le Christ fait sécher est l'exemple de
la maladie croissante que le Christ doit arrêter et empêcher de
porter du fruit:
(23) ... que ta parole dessèche sa racine,
et donne la santé à ton serviteur ici présent
et fais qu'il te serve, toi et non la maladie:
fais grandir en lui la santé
comme tu as fait grandir en tes disciples la foi

SB F. 728, N. 77.
39 F. 728, N. 78.
40 F. 730, N. 79.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 41

N. 24: « prière contre toute souffrance de maladie n H.

Une bien courte prière, où la rhétorique des contrapositions


est très marquée:
(24) Toi qui as étendu sur la croix tous tes membres
tu as fait plier tout ce qui ne se plie pas et toute maladie,
et tu les as mis sous tes pieds;
donne la santé à ton serviteur ici présent.

N. 25: «prière contre toute douleur aiguë et lancinante dans


les jambes JJ 42.
Encore une fois, la faiblesse de la croix est mise en lumière
comme force du Christ. La prière fait un petit cours d'anatomie
en décrivant la marche de la douleur à travers la chair, les mus-
cles et les os. Il doit s'agir de rhumatismes:
(25) Seigneur ... qui as étendus tes jambes sur la croix,
tu as coupé tous les chemins des impies,
de tous les démons, de toutes les maladies . ..
en ayant tes pieds cloués, tu as cloué le coeur de tout mal . ..
daigne maintenant clouer le coeur de ce mal
qui réside dans ses jambes ...
interdis au mal toutes les voies qui sont dans le corps ...
et accorde la guérison à ton serviteur . ..

Les nn. 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32 et 33 qui suivent, forment
un bloc peu homogène qui interrompt la ligne des prières inspi-
rées de l'Evangile.
N. 26: «prière pour la délivrance d'un homme gros mangeur.
Pour le pardon d'avoir pris un repas abondant et affaiblissant, et
pour qu'un moine puisse s'en relever par le Saint~Esprit n .J.
La prière n. 26 est une prière de caractère privé, dite à la
première personne; son titre, fort obscur d'ailleurs dans sa ré-
daction, peut produire l'hilarité mais le contenu de la prière
est attendrissant. L'homme spirituel se sent esclave de son ven-
tre et demande à Dieu la grâce de la guérison de son mal. Nous
pensons que cette prière possède une note ecclésiale digne d'être
remarquée:
(26) ... moi qui suis entré dans la demeure de ton temple,
moi qui me suis attaché au sceptre de la foi,

41 F. 730, N. 80.
"F. 731, N. 81.
43 F. 732, N. 82.
42 MIGUEL ARRANZ

en toi qui m'as donné de ta droite ton pain


et ta parole de vérité,
préserve-moi de la vie d'infirmité,
et enseigne-moi a marcher dans tous tes commandements,
guide-moi dans le juste chemin
et conduis-moi à ton Père très haut.

N. 27: «prière pour délivrer quelqu'un de la goutte» ".


Dans cette prière nous entrons dans une étrange conception
de la maladie en question:
(27) Seigneur aie pitié de cet homme
J

à qui la goutte aux 150 griffes fait pousser des cris;


qu'elle ne lui cause pas de dommage .. .
mais qu'elle s'enroule et se loge dans un seul lieu.
Très sainte Mère de Dieu, aie pitié
et sauve ce serviteur de Dieu, maintenant et toujours

Il est exceptionnel que la doxologie trinitaire soit remplacée


par une invocation à la Mère de Dieu.

N. 28: «prière pour se délivrer de la luxure ... »".


Cette prière, à laquelle nous avons déjà fait allusion, n'est
pas tout à fait déplacée ici. Elle considère la concupiscence com-
me une infirmité de plus. Le motif évangélique qui, cette fois,
justifie la demande de guérison est sans doute apocryphe.
(28) Seigneur ... qui par un don de ton Père
as préservé tes apôtres de la luxure,
des feux de la luxure, des pensées de luxure
et des regards des péchéresses,
préserve-moi de même de tout ce qui vient d'être dit,
au moment de tes mystères (sviatynia) ...
ct de ceci libère-moi ... afin que sans tache
je te rende grâces .. .

La traduction de Frcek est très confuse. Nous pensons que


la prière est destinée à un prêtre avant de célébrer la messe.
Nous avons omis la rubrique qui précède la prière, car elle ne
semble pas s'accorder avec cette prière. Mais, c'est cette rubri-
que qui justifie précisément le fait que cette prière, d'un cara-
ctère plutôt pénitentiel, se trouve parmi les prières des malades .

.. F. 733, N. 83.
4S F. 733, N. 84.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 43

N. 34: «prière pour tout malade apporté à l'église. Le prêtre


prie à voix basse» 46.
L'accent est mis sur le fait que le ministre qui dit la prière
se sente pécheur et craint ainsi que sa prière puisse ne pas avoir
un résultat favorable. Puisque la rubrique prévoit une récitation
en silence, il se peut bien que la prière n. 34 ne soit que l'intro-
duction à la prière n. 35" qui est, elle aussi, destinée à un malade
apporté à l'église. Il est vrai que cette prière porte, avant la
doxologie trinitaire, la mention « à haute voix », ce qui suppose
que cette prière aussi a été dite à voix basse:

(34) Toi qui as reçu le linceul ... la couverture de ton corps


tu as couvert tous les péchés
de tes serviteurs qui pèchent sans te renier.
... daigne couvrir maintenant mes péchés
et accueillir les paroles de ma bouche de pécheur
que je dis pour ton serviteur malade N.
apporté su une civière devant ta face ...
accorde-lui ... la guérison selon sa foi
et sans me dédaigner, moi qui pose ma main sur lui en ton nom,
car tu nous as donné ton nom pour guérir
et par ton sang tu nous as rachetés de la malédiction.

(35) Toi qui es monté sur une civière pour arriver au tombeau
d'où tu es monté aux cieux et t'es assis à la droite du Père,
nous donnant l'exemple de porter aussi sur une civière
les infirmes devant ta face dans ta sainte église,
et de demander ta grâce ...
... fais luire la lumière de ta face sur ton serviteur...
lève maintenant aussi de son lit notre frère malade,
daigne faire qu'il reçoive la santé
et qu'il sorte (en marchant) de ta sainte église ...

N. 36: cc prière sur un homme courbé}) .':

(36) Seigneur ... qui as appelé dans la synagogue


la femme courbée, et posant tes mains sur elle
jette maintenant aussi tes regards
sur ton serviteur ici présent
qui est venu à ton appel

46 F. 737. N. 90.
47 F. 738, N. 92.
48 F. 739, N. 93.
44 MIGUEL ARRANZ

dans la glorieuse assemblée, dans ta sainte église,


et sur moi ... qui impose ma main sur lui;
envoie ta parole de guérison ...
redresse-le de sa flexion diabolique
et glorifie ceux qui te glorifient,
toi et ta sainte Eglise,
et nomme-le fils d'Abraham ...

Le malade ne vient pas de son initiative pour demander la


guérison, mais c'est Dieu qui l'appelle; il s'agit certainement
d'une allusion au devoir d'assister aux offices. Assemblée est la
traduction de SOBOR, qui correspond au grec SYNAXIS, mais qui
veut dire aussi: église principale ou cathédrale.
La maladie elle-même est appelée: lien diabolique et flexion
diabolique. On aura remarqué à propos des prières qui évo-
quaient la souffrance du Christ sur la croix, que le résultat pre-
mier de cette souffrance était la victoire sur le mal et sur le
démon; de là le Christ pouvait vaincre aussi la maladie, vue cha-
que fois sous l'angle de correspondance à la souffrance de Jésus.

N. 37: cc prière sur qui a une main desséchée )) ~~.


Cette prière est assez semblable à la prière 36. Certains
termes en sont identiques. Parallèle entre la Synagogue et l'Egli-
se, par exemple:
(37) Seigneur ... qui as ordonné à l'homme
qui avait une main desséchée
de se lever au milieu de la synagogue
en attendant ta parole, et tu as prononcé la parole
jette les regards sur ton serviteur que voici
qui, par (ton) ordre, s'est levé au milieu
de la glorieuse assemblée, dans ta sainte église,
et qui reçoit la parole (de guérison)
par l'intennédiaire de ton serviteur que voici;
envoie ta parole de santé et de guérison
qui réalise ta volonté;
commande-lui d'étendre sa main, et rends-la forte.

Ici le ministre opère par la parole que le Seigneur a déjà


prononcée dans la synagogue et que l'on désire qu'Il répète main-
tenant.

49 F. 740, N. 94.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 45

N. 39: «prière pour toute maladie qui chemine à travers le


corps de quelqu'un»':
(39) Toi qui as étendu ton corps, Christ ...
tu as barré le chemin à toute malignité
qui chemine sur la terre,
et à toute maladie qui chemine par le corps
daigne maintenant barrer tous chemins à cette maladie-ci,
ne lui laisse pas ravager le corps ni les membres
ni les muscles, ni approcher de son âme;
fais qu'elle s'endorme sur ton ordre,
dans son gîte; ferme sur elle la porte ...

N. 40: «prière sur quelqu'un qui est malade de boire des


boissons fermentées)) 51.
Comme la gourmandise et la luxure, l'ivrognerie est consi·
dérée comme une maladie qui rentre dans les possibilités de
guérir que possède l'Eglise. On pourra rester sceptique aujour·
d'hui devant le résultat de guérison des vices par la seule prière.
C'est bien ce manque de foi qui empêchait les disciples du Christ
de réaliser les prodiges qu'on attendait d'eux et qui a mérité les
remontrances de Jésus:
(40) Sur la croix, tu as goûté au vinaigre de l'éponge,
et tu as enivré tous ceux qui te haïssaient,
tout esprit malin et tout mal de boisson ...
daigne maintenant jeter tes regards sur ton serviteur ...
et chasse de lui tout démon de la soif
et tout mal de boisson, et donne-lui la santé,
désaltère-le à la source de ta grâce ...

Le rédacteur de nos prières trouve toujours le moyen de


transformer le mal physique ou moral en un bien spirituel cor-
respondant.

N. 41: «prière sur toute personne qui a perdu l'usage de la


parole; sur un malade qui a une extinction de voix, et sur l'esprit
du bégaiement» 52:
(41) Par ton silence quand Lu étais cloué sur la croix
tu as vaincu toutes les paroles des démons,
tout esprit muet ct tout mal muet
qui fait taire la parole ..

'" F. 743, N. 99.


51 F. 744, N. 100.
:>2 F. 745, N. 101.
46 MIGUEL ARRANz

N. 42: « prlere pour le même objet)) ~J.


Au silence par lequel le Christ est vainqueur dans la prière
précédente, le cri du même Christ à la même occasion et avec le
même résultat:
(42) Toi qui d'un grand cri, quand tu étais sur la croix,
as crié vers ton Père céleste ...
qui nous donnais l'exemple
de te glorifier d'un grand cri dans la douleur .. .
nous te prions ... et nous crions vers toi ...
délivre ton serviteur ici présent,
accorde-lui ton grand cri pour crier vers toi
et te glorifier ...

N. 43: cc prière sur qui a les mains desséchées)) 54.

Par cette prière, malgré le titre, on a à faire avec des jambes


desséchées. C'est la dernière de la série des prières adressées au
Christ. En elle se développe l'idée du pouvoir reçu par les apôtres
et transmis à leurs "successeurs" (pos/éduiushchim) , qui ici,
semblent être les ministres des guérisons. Si le mot "prêtre"
(pop), comme nous l'avons déjà indiqué, apparaît dans quelques
rubriques, le texte lui· même des prières ne contient pas la men-
tion du prêtre ni de l'évêque. Tout le problème sera d'établir
qui a été dans l'antiquité, et aussi dans l'antiquité byzantine, le
ministre de l'onction des malades. Ce problème dépendra de la
lecture de Jacques S, 14, si PRESBYTEROI doit être traduit par
« prêtres» ou par « anciens}):
(43) Jésus-Christ, Fils unique de Dieu,
qui as été proclamé Fils du Père,
qui as appelé à toi les douze disciples
et leur as donné la domination
et le pouvoir sur tous les démons
et de guérir toutes les maladies des malades et des infirmes,
qui as accordé à ton apôtre Pierre
de faire lever l'impotent en ton nom
et de rendre fermes ses jambes ...
nous te prions, Jésus-Christ, accorde-nous,
à nous qui sommes les « successeurs» de tes ss. apôtres
de faire lever en ton nom ce malade-ci,
ton serviteur, notre frère;
fais descendre sur lui ta grâce ...
Ne nous couvre pas de honte,
nous qui nous glorifions de toi,
qui faisons en ton nom des dons inestimables .. '

"F. 745, N. 101.


,. F. 746, N. 103.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 47

Ce qui étonne dans toutes ces prières est la confiance avec


laquelle on s'adresse à Dieu et l'on espère obtenir de Lui non pas
une guérison quelconque et encore moins une guérison pure-
ment spirituelle, mais bien une guérison totale et définitive d'un
mal précis et défini.

CONCLUSIONS

L'ensemble des 50 textes de prières et de rites pour les ma-


lades constitue un phénomène unique dans le monde des eucho-
loges. Nulle part ailleurs on ne trouve rien de semblable.
En les analysant, même rapidement et du seul point de vue
de leur structure et de leur contenu (nous ne sommes pas com-
pétents dans les questions linguistiques), nous avos cru décou-
vrir certaines fissures dans le bloc, à première vue homogène,
des 50 textes. Nous nous trouvons devant un conglomérat hété-
rogène.
Le groupe le plus important est celui des prières adressées au
Christ, qui le plus souvent commencent, sans aucun des titres
(Seigneur, Maître, Notre Dieu, etc.) habituels dans l'Euchologe
grec, par l'évocation d'un miracle accompli par Jésus ou par un
détail particulier de sa crucifixion. Dans ce groupe nous place-
rions les nn. 10-18, 20-25, 34-37 et 39-43: 24 prières en tout.
Les prières de caractère général adressées au Christ étaient
moins nombreuses: les nn. 5, 7 et 9. Nous rappelons que le n. 7
possède un correspondant en grec.
Les trois prières un peu spéciales, adressées elles aussi au
Christ, étaient les nn. 26 (gourmandise), 27 (goutte) et 28 (lexure).
On pourrait y joindre le n. 40 qui est une prière pour la maladie
due à la boisson, plutôt que contre le vice de la boisson.
Les prières adressées à Dieu ou au Père ayant un correspon-
dant en grec sont les nn. 1-4, 6 et 8. Toutes de caractère général.
Adressée au Père, sans correspondant grec, de caractère gé-
néral: seul le double n. 38. Pour des maladies spéciales: nn. 19
et 44.
Autres prières adressées au Père avant le sommeil: nn. 30
et 31.
Imprécations contre la fièvre: nn. 45-50. Contre le démon:
n.29.
48 MIGUEL ARRANZ

Finalement, des rubriques: nn. 32 et 33. Dans le n. 33 on


trouve le début des prières: nn. 1, 2, 3, 11 et 15; on destine cu-
rieusement le n. 2 à un moine malade et le n. 3 à un prêtre
séculier.
L'origine des prières dont on n'a que le texte paléo-slave
reste mystérieuse. Dvornik croit pouvoir en attribuer la pater-
nité aux apôtres des Slaves. Les linguistes qui ont publié et
analysé l'E.S.S. sont d'accord pour le situer à cette époque-là.
Les liturgistes, d'une part seraient bien tentés de fixer à ces
prières des malades une date plus récente d'après leur contenu
qui rappelle un peu la « devotio moderna » de l'Occident; d'autre
part, prenant en considération que la structure même du rite
est vraiment archaïque, pour ne pas dire rudimentaire ou presque
inexistante, ils ne peuvent que tomber d'accord, et bien volon-
tiers d'ailleurs, avec les linguistes. L'évidence est pour le IX-X'
siècle.
On peut être étonné dès lors de découvrir le haut degré de
la qualité théologique véhiculée par ces prières destinées, somme
toute, à des peuplades dépourvues d'une grande tradition écrite.
A la réflexion il n'y a aucune raison de s'en étonner. Il faudrait
plutôt s'étonner du contraire, c.à.d., que l'on croie pouvoir jeter
les fondements de l'Eglise parmi les non-croyants, surtout dans
le tiers-monde, de n'importe quelque manière. On pense que la
bonne volonté peut suppléer à la préparation intellectuelle. C'est
une grave erreur. La mission, et les missions, mériteraient bien
plus d'attention qu'on ne leur en donne.
Une seconde cause d'étonnement serait le degré de liberté
créative dont les auteurs de nos prières ont fait preuve, puisque
l'Eglise-mère de Constantinople ne semble pas avoir possédé un
tel trésor euchologique et que les missionnaires en terre slave
ont dû tout créer. De cette liberté témoignait déjà l'adaptation
de rites d'origine étrangère à l'Eglise byzantine, comme les pé-
nitentiels carolingiens.
Troisième et dernière cause d'étonnement: l'importance ac-
cordée par l'E.S.S. au soin des malades: 32 feuillets d'un eucho-
loge, qui semble en avoir eu de 200 à 300. Encore une fois, ce
n'est pas l'exagération de la part de l'E.S.S. qui devrait nous
étonner, mais bien plutôt la négligence avec laquelle les livres
liturgiques classiques d'Orient et d'Occident traitent le mini-
s tère des malades.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 49

Pour les églises traditionnelles, le sacrement des malades


est bien le dernier des sacrements. On s'est contenté un peu par-
tout du texte de Jacques 5 étroitement interprété. Et pour-
tant la guérison des malades est un élément primordial de la
mission de Jésus; voici les dernières paroles que le Seigneur
adresse aux apôtres selon l'Evangile de Marc au chapitre 16,
vv. 15 et ss.:
(( Allez par tout le monde et préchez l'Evangile à toute la création ...
(( Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ...
(1 Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru:
Il en mon nom ils chasseront les démons;

(1 ils parleront de nouvelles langues;


(( ils prendront les serpents,
<1 et s'ils boivent quelque breuvage mortel ..

I{ ils imposeront les mains aux malades et seront guéris ~).


Après leur avoir parlé, le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel
et s'assit à la droite de Dieu.
Et eux s'en allèrent prêcher partout,
le Seigneur travaillant avec eux confirmant leur parole
par les miracles qui l'accompagnaient.
(Fin de l'Evangile de Marc).

C'est un grand mérite des apôtres des Slaves que d'avoir


cru à ces paroles du Seigneur, et d'avoir joint à la prédication
de la parole la pratique charitable et apologétique de la guérison
des malades.

APPENDICE
(GRAFFIN-NAU, Patrologia Orientalis, v. XXIV, pp. 708-749 [159])

1
PRIÈRE SUR UN MALADE

Le prêtre prie:
Père saint, médecin des âmes et des corps, qui as envoyé ton Fils uni-
que, notre Seigneur et notre Dieu Jésus-Christ, guérissant de toute maladie
et délivrant de la mort, guéris ton serviteur ici présent - dire son nom -
du mal physique qui <l'> accable, par la grâce de ton Christ, et fais-le
50 MIGUEL ARRANZ

vivre pour qu'il te rende selon qu'il t'est agréable par de bonnes œuvres
l'action de grâce qui t'est due.
A haute voix: Car tu as la puissance.

2
DEUXlÈME PRIÈRE POUR LE MÊME OBJET

Toi qui es bon, qui aimes les hommes, Seigneur miséricordieux et très
clément, qui guéris de toute maladie et de toute souffrance, guéris ton
serviteur ici présent et fais-le se lever du lit de souffrance, visite (-le) de
ta grâce et de tes miséricordes. Écarte de lui toute maladie et souffrance,
pour qu'une fois levé grâce à ton bras puissant il te serve avec toute rc-
connaissance, en louant avec nous ton saint nom, Père, Fils et Saint-Esprit,
maintenant, etc.

3
TROISIÈME PRIÈRE POUR LE MÊME OBJET

Dieu qui as le pouvoir de remettre les péchés, de sauver les âmes et de


guérir les corps par ta grâce, manifeste maintenant <aussi> ta miséricorde
sur ton serviteur ici présent qui souffre d'une maladie, guéris-le par ton
Verbe immortel, fais-le passer de la maladie à la force, de la défaillance à
la consolation. Car tu es notre Dieu qui châtie <et puis guérit, qui
frappe et> ne tue pas et qui fait tout pour notre bien et pour notre vie.
Car c'est à toi qu'appartiennent la miséricorde et le salut, Seigneur
notre Dieu, et nous t'adressons la gloire.

4
QUATRIÈME PRIÈRE POUR LE MÊME OBJET

Dieu puissant et miséricordieux, qui disposes tout pour le salut de


notre espèce, visite ton serviteur qui invoque le nom de ton Christ, et
guéris-le de toute maladie du corps et de l'esprit, accorde-lui la rémission
de ses péchés et de sa souffrance, dont la cause est dans les péchés. Écarte
loin de ton serviteur ici présent toute épreuve et tout assaut du Malin,
fais-le se lever de son lit de péché, rétablis-le dans ta sainte Église sain
d'âme et de corps, célébrant avec tout ton peuple, par de bonnes œuvres
et de belles paroles, le nom de ton Christ, notre espérance, avec qui tu
possèdes la gloire, Père, Fils et Saint-Esprit.

5
CINQUIÈME PRIÈRE POUR LE MÊME OBJET

Médecin des âmes et des corps, le Dieu qui par son Esprit ineffable
a porté toutes les maladies de l'humanité ct qui ôte les péchés du monde,
toi qui as chassé toutes les maladies par ton Verbe et qui as fait dispa-
raître par ta volonté, comme des nuages, toute action des ennemis,
tourne-toi vers le désir de tes serviteurs et guéris ce malade, Seigneur;
tends-lui une main charitable et relève-le des accidents de la maladie en
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 51

guérissant le mal déclaré ct en corrigeant celui qui ne l'est pas, afin qu'il
guérisse dans son corps et qu'il soit sauvé dans son âme, et qu'il proclame
par de bOlUles œuvres ta miséricorde, en prenant par le repentir le droit
chemin qui mène à ton royaume. Avec lui, guéris aussi nos maux, toi
qui t'es fait homme à cause de nous, dont la nature est inaccessible à la
souffrance et qui es le Dieu qui aime les hommes.
Car tu es le guérisseur de nos âmes et de nos corps, et nous t'adressons
la gloire, au Père, au Fils et <au Saint-Esprit>.

6
STXltME PRIÈRE SUR UN MALADE

Seigneur, Dieu des Puissances, visite nos frères avec ta pitié et tes
miséricordes, aie pitié et accorde-leur la guérison qui vient de toi et la
santé, libère-les de toute souffrance et maladie de l'âme et du corps, en
<les> levant de leur lit impur, en <les> conduisant à ton saint temple
de la prière, en <les> incorporant à ion saint troupeau spirituel, en
Jésus-Christ notre Seigneur, avec qui tu as la gloire et la louange avec le
Père et ton Esprit Saint, maintenant et toujours, etc.

7
PRIÈRE SUR CELUI QUI EST COUCHÉ DE LONGUES ANNÉES

Souverain, guérisseur de ceux qui souffrent, Jésus-Christ, devant toi


tremblent les démons et sur ton ordre toute maladie s'en va. Toi qui
rends la vigueur aux corps brisés, qui chasses la mort et qui fais lever en
W1 instant les corps couchés depuis des siècles, dOlUle la santé à ton
serviteur ici présent et délivre-le de cette maladie.
A haute voix: Par la grâce et les miséricordes de <ton Fils> uni-
que, etc.

8
PRIÈRE SUR L'HUILE POUR OINDRE LE MALADE

Seigneur qui guéris par ta pitié et tes miséricordes les afflictions de


nos âmes et de nos corps, toi-méme, Maître, bénis cette huile pour qu'elle
apporte à ceux qui s'en oindront la guérison et la délivrance de toute
douleur et maladie corporelle, de la souillure de la chair et de l'esprit et
de tout <mal>, pour qu'en ceci <aussi> ton nom très saint soit glorifié.
Car tu es celui qui accorde la miséricorde et le salut, Seigneur notre
Dieu, et nous t'adressons la gloire, au Père, au Fils et au Saint-<Esprit>.

9
PRIÈRE SUR UN MALADE ECCLÉSIASTIQUE OU CROYANT

Et te couvrant de la pierre du tombeau, tu as couvert tous les péchés


de ceux qui honorent honnêtement la sainteté de l'Église, de ceux qui,
en elle ct en tous lieux, confessent leur juste foi en toi. Notre intercesseur
et notre guide vers ton Père Céleste, nous te prions pour nous tous, tes
52 MIGUEL ARRANZ

serviteurs indignes; maintenant nous élevons plus fort notre voix pour
notre frère, ton serviteur ici présent: ne l'abandonne pas, Seigneur, aux
injures des insensés, ne (le) condamne pas dans ta fureur et ne nouS
châtie pas dans ta colère, oublie ses péchés et guéris-le de la maladie qui
(le) tient, afin qu'il ne soit pas couvert de honte, lui qui a pris ton nom
pour signe et se glorifie de toi; car tu es notre Dieu miséricordieux, qui
remet les péchés, qui chasse les maladies, les infirmités et les souffrances,
et qui délivre de la mort.
A haute voix: Car ton nom est glorifié, Père, Fils et Saint-<Esprit>.

10
PRIÈRE SUR CELUI QUI A UN i\lAL DANS LA BOUCHE OU DANS LES OREILLES

Quand on veut la faire, on crache sur le mal.


Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, guérisseur irréprochable, qui n'as pas
repoussé un seul de ceux qui, affligés d'une maladie, t'étaient amenés, et
qui n'as laissé partir aucun de ceux qui t'étaient amenés sans lui donner la
guérison, quand on t'a amené le sourd qui parlait diffidlement tu as
craché sur sa langue et as détruit l'infirmité de sa langue. Nous te prions,
Seigneur, qui as donné le modèle de la façon de guérir les hommes de
toute maladie: porte tes regards sur nous et sur ton serviteur ici présent
qui t'a été amené dans la maison de ton Père, et qui a un mal douloureux
dans la bouche, et sur moi, pécheur, qui reproduis le modèle de la guérison
par ta salive; nettoie sa bouche, fais-en partir le mal qui s'y trouve, et
relève <-le> des maladies qui (le) tiennent et de ses afflictions, afin que,
guéri par toi, il rende grâce au Père, au Fils et au Saint-<Esprit>.

11
PRIÈRE SUR QUI SOUFFRE DE LA TÊTE

Toi qui as incliné ta tête pour le crucifiement, tu as fait incliner


devant toi toutes les choses visibles, tu as brisé leurs têtes et leurs forces,
tu as broyé la tête de toute maladie et tu as anéanti sa force, tu as
relevé beaucoup de têtes courbées sous les péchés et les maladies. Toi,
Maître, Seigneur, daigne maintenant jeter les regards sur ton serviteur
ici présent qui a.incliné sa tête devant toi, brise la tête et guéris-le de la
maladie qui (le) tient, car tu es notre tête et ta tête est notre santé, et
nous t'adressons la gloire, au Père, <au Fils et au Saint-Esprit>.

12
PRIÈRE POUR TOUTE DOULEUR PIQUANTE ET LANCINANTE

Toi qui as reçu le coup de lance dans ton flanc, tu as brisé toutes les
armes des violents et leur force, tu 2.S détruit et foulé aux pieds tout
démon et toute maladie, Christ notre Dieu; daigne maintenant briser les
armes et la force de cette maladie, celui qui est en elle s'inclinant sous
ton joug - nommer la douleur lancinante - ; vaincs <-la> dans un combat
invisible et foule <-la> aux pieds, et donne la santé à ton serviteur ici
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 53

présent, pour que, vivant dans la santé, il te glorifie avec le Père et le


Saint-Esprit.

13
PRIÈRE SUR UNE PLAIE SAIGNANTE AU FLANC

Toi qui as versé du sang par la plaie de ton flanc, Christ notre Dieu,
tu as tari toutes les sources du diable et des maladies, et tu as vaincu
toute puissance hostile; toi, Maître, daigne arrêter maintenant la source
de ce sang, et donne à ton serviteur la santé, par la volonté et la grâce
de ton Père céleste qui t'a glorifié.
A haute voix: Car ton nom très saint a été glorifié, Père, Fils et
Saint-Esprit.

14
PRIÈRE SUR UN MALADE HYDROPIQUE

Toi qui as versé de l'eau par la plaie de ton flanc, Christ notre Dieu,
tu as noyé toutes les forces hostiles et tu as vaincu tout esprit assoiffé
d'eau et toute maladie qui boit l'eau; daigne maintenant aussi jeter les
regards sur ton serviteur ici présent, et chasse de lui tout esprit qui
provoque la soif, toute maladie qui brûle son corps et ses entrailles, qui
dessèche ses lèvres, qui enflamme son gosier, rafraîchis <-le> de ta
fraîcheur, désaltère-le à la source de ta bonté, loge la santé dans son corps.
A haute voix: Car ton nom est glorifié, Père, Fils et Saint-Esprit,
maintenant, etc.

15
PRIÈRE SUR UN MALADE COUCHÉ ET SUR UN ENFANT

Toi qui as rendu ton très saint esprit sur ta très sainte croix, tu as
détruit la mort et tu as tué toute maladie et toute puissance du diable,
et tu as relevé la mlÙtitude des hommes tombés à cause des péches <de>
leur nature; tu as oublié tous leurs péchés par le fait d'être envoyé par ton
Père céleste, par l'incarnation du Fils unique de Dieu, Christ notre Dieu,
sur l'ordre de ton Père, le Dieu de vérité. Daigne maintenant jeter tes
regards sur ton serviteur ici présent qui est tombé par suite de ses
péchés, qui a été frappé par la maladie, par un coup dont il n'a pas pu
se défendre. Nous te prions, Seigneur, souviens-toi de ta parole qui remet
les péchés sur la terre, remets-lui tous les péchés, les siens et ceux de ses
parents, enlève cette plaie de son corps, remplis-le de santé et revêts-le
de joie à cause de ton incarnation, de ta résurrection, de ton ascension
au Ciel et de la place que tu as prise à la droite du Père. Car tu es celui
qui vit avec le Père dans les demeures célestes, tu es toujours avec tous
ceux qui te prient sur la terre; sois maintenant avec nous en accordant
la guérison à ton serviteur notre frère ici présent, <et> lève-le de son
lit de souffrance.
A haute voix: Car ton très saint nom est glorifié, Père, Fils et
Saint-Esprit.
54 MIGUEL ARRANZ

16
PRIÈRE POUR LES DÉCHIRURES DES MAINS

Toi qui as étendu tes mains sur la croix, par tes paumes clouées tu as
cloué toutes les mains des impies et de tous les démons, par l'arrachement
de tes muscles tu as arraché tous leurs muscles, et par ta souffrance tu as
vaincu toutes leurs puissances. Fils unique de Dieu, Christ notre Dieu,
daigne maintenant clouer les mains de ces déchirures entrées dans ces
mains-ci qui se tendent maintenant vers toi, en déchirant leurs puissances
à elles qui creusent les muscles de ces mains; réjouis ton serviteur ici
présent et guéris ses mains de la maladie qui (les) tient, pour qu'il se
réjouisse dans la joie en recevant avec elles ton très saint corps, et qu'il te
rende la gloire, à toi, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, etc.

17
PRIÈRE SUR QUI EST MALADE D'UN FLUX D'EAU

Toi qui es entré dans la maison d'un chef des Pharisiens, Christ notre
Dieu, qui as fait à ceux qui t'observaient une prescription sage, <qu'il
convient> de faire toute bonne œuvre tous les jours de fête, qui as pris
le malade souffrant d'hydropisie et l'as guéri; nous te prions, Seigneur,
entre maintenant dans ta sainte église et dans ton serviteur ici présent
qui accomplit ta prescription, et prends ton serviteur ici présent qui
souffre d'un flux, guéris-le de la maladie corporelle qui (le) tient et tire-le
de ce flux comme de la chute <dans le puits>. Car tu es celui qui relève
de la chute celui qui te prie, qui as glorifié ton Père qui t'a envoyé. Que,
relevé par toi, il te rende grâces, au Père, au Fils, etc.

18
PRIÈRE SUR UN SOURD

Quand on veut faire la prière sur lui, lui mettre les doigts dans l'oreille.
Toi qui as reçu le sourd qui t'était amené, tu lui as mis les doigts dans
les oreilles en soupirant et en levant les yeux au ciel, et en disant: «Que
ton oreille s'ouvre », et en lui ouvrant l'oreille; nous te prions, Christ notre
Dieu, jette maintenant les yeux du haut de ton Ciel sur ton serviteur ici
présent qui a été amené devant ta face (et) qui demande ta grâce, et
sur moi, pécheur, ton serviteur, qui accomplis tes commandements, dis ta
parole condescendante ct ouvre ses oreilles, accorde-lui d'entendre ton très
saint évangile et les paroles que tu as établies parmi les hommes. N'hu-
mile pas, Seigneur, celui qui espère en toi devant les fils des hommes, car
c'est toi qui donnes à tous la guérison, et nous t'adressons la gloire, au
Père, au Fils, etc.

19
PRIÈRE SUR LE MALADE DES 'l'EUX

Tu consoles de toute affliction celui qui a recours à toi, Seigneur qui


es le Dieu de vérité, par ton Fils unique, notre Seigneur Jésus-Christ,
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 55

lumière qui ne s'éteint pas, que tu as accordée à ceux qui sont dans
l'obscurité pour les éclairer (en les faisant sortir) des ténèbres de la
perdition (et) de toute possession du mal; nous te prions, Seigneur, jette
les regards sur ton serviteur ici présent qui a recours à toi et qui est
affligé du mal d'obscurité, plongé dans l'ombre épaisse. Console-le par ta
consolation, notre Seigneur Jésus-Christ, lumière qui ne s'éteint pas, or-
donne qu'il sonserve sans aucun dommage la lumière de son obscurité
grâce à l'obscurité de ta lumière, <et> guéris-le de la maladie qui (le)
tient, pour que, vivant dans la lumière, il t'adresse des actions de grâces,
au Père, au Fils, etc.

20
PRIÈRE SUR UN AVEUGLE DE NAISSANCE ET SUR QUI EST DEVENU AVEUGLE

Seigneur notre Dieu, qui as révélé à tes disciples que l'aveugle de


naissance ne l'était pas parce qu'il avait péché, ni ses parents, mais à cause
des œuvres de Dieu et à cause de toi que (Dieu) a envoyé sur terre parmi
les hommes, lumière qui ne s'obscurcit pas, pour éclairer ceux qui étaient
obscurcis par les péchés comme par des ténèbres sans lumière; toi qui as
craché à terre, qui as oint de salive et de boue <les yeux> de l'aveugle
de naissance, qui l'as envoyé se laver et as ouvert ses yeux par le lavage,
et qui lui as donné de parler sagement de toi; maintenant nous prions le
Dieu tout-puissant qui t'a envoyé, et <toi> qui vis avec lui dans les Cieux,
qui vis toujours sur terre avec tous ceux qui te prient; toi qui leur accordes
ce qu'ils demandent, sois avec nous, envoyé par ton Père, et accorde-nous
nos demandes, ouvre les yeux de ton serviteur ici présent, donne-lui la
vision <comme> à celui qui est venu par ta vocation, change ton visage
comme (tu l'as fait) pour celui que tu as envoyé à cause de son obéissance,
sors-le de la cécité comme de l'obscurité de l'ignorance, accorde-lui la
guérison aussi bien que ta lumière qui ne s'obscurcit pas, souviens-toi en
sa faveur de ta parole que toi-même as dite: « Celui qui me suit ne
marchera pas dans l'obscurité, mais il recevra la lumière de la vie ~~.
Accorde-lui, de même que la sagesse, la guérison, pour qu'éclairé par toi
il se glorifie de toi en te rendant grâces, au Père, au RIs et au Saint
<-Esprit>_

21
PRIÈRE SUR QUI EST DEVENU AVEUGLE

Au moment de faire la prière sur lui, passer le doigt sur ses yeux.
Toi qui as accueilli l'appel des deux aveugles et l'adoration de ceux qui
t'appelaient: « Jésus, Fils de David, aie pitié de nous ~~, et qui, selon leur
foi, leur as ouvert les yeux à tous les deux et les as fait marcher à ta suite;
nous te prions, Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu, reçois la prière et l'ado-
ration de ton serviteur ici présent et de moi, pécheur, qui exécute tes com-
56
~~~~~ .. _ - _ . -
MIGUEL ARRANZ

mandements et qui passe mon doigt sur ses yeux, et ouvre ses yeux selon
sa foi, accorde-lui la vue, et fais qu'il marche à ta suite et qu'il te glorifie.
A haute voix: Car ton mon est glorifié, Père et Saint-<Esprit>.

22
PRIÈRE SUR CELUI QU'UN ÉCLAIR PRIVE DE LA VUE OU DONT LES YEUX SE VOILENT

Il doit jeûner.
Toi qui du ciel as éclairé, d'une grande lumière sur la route, au milieu
des ses compagnons, ton apôtre Paul qui n'était pas ton apôtre, mais
(l'envoyé) des grands-prêtres et qui te haïssait, toi et tes apôtres et tous
ceux qui croyaient en toi; qui, par ta lumière éclatante, l'as privé de la vue
et as voilé ses yeux au milieu de ses frères; qui lui parlais de ta voix très
sainte et lui enseignais comment devenir désormais ton apôtre et où recou-
vrer la vue grâce à Ananias, chez qui il arriva, conduit <par la main>, le
troisième jour à Ramas, restant sans boire et sans manger; et comme il
accueillait les prières de ton serviteur Ananias, et quand il l'eut regardé, tu
fis tomber comme des écailles de ses yeux et tu lui donnas la vue et la
science spirituelle et d'<être>savémt en toi, et depuis lors tu as fait de lui
ton apôtre; toi, Maitre, daigne maintenant jeter du Ciel, de tes saintes
demeures, ton regard sur ton serviteur ici présent qui a perdu la vue, dont
les yeux sont voilés, qui est venu trouver celui qui croit en toi; ôte le voile
de ses yeux et donne-lui la vue par ta miséricorde, Seigneur, et ta vérité.
Car tu vis dans les Cieux et tu es assis à la droite de Dieu le Père qui
a créé le ciel et la terre; avec lui et à égalité avec lui nous te glorifions,
Père, Fils et Saint-Espôt, maintenant, etc.

23
PRIÈRE CONTRE TOUTE MALADIE QUI S'ACCROÎT E~ TOUT TEMPS ET SANS CESSE

Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, qui as fait un miracle devant tes


disciples, qui as blâmé le figuier stérile qui ne t'avait pas donné le fruit
dont tu avais besoin, en lui disant: «Que jamais tu n'aies de fruit », et ta
parole l'a fait sécher; nous te prions, Seigneur, daigne maintenant t'ap-
procher de ton serviteur ici présent qui s'est incliné sous ton nom, et
commande à cette maladie qui croît en lui de ne pas porter de fruit et de
ne plus jamais grandir; puisqu'elle ne lui laisse pas la santé, que ta parole
dessèche sa racine, et donne la santé à ton serviteur ici présent et fais
qu'il te serve, toi et non la maladie, fais grandir en lui la santé comme
tu as fait grandir en tes disciples la foi.
Car ton nom est glorifié, Père, Fils et Saint-<Esprit>.

24
PRIÈRE CONTRE TOUTE SOUfFRANCE DE MALADIE

Toi qui as étendu sur la croix tous tes membres, Christ notre Dieu, tu
as fait plier tous ceux qui ne plient pas et toute souffrance, et tu l'as mise
sous tes pieds; donne la santé à ton serviteur ici présent.
Car ton nom est glorifié, Père, Fils et Saint-<Esprit>.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE
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57

25
PRIÈRE CONTRE TOUTE DOULEUR PIQUANTE ET LANCINANTE DANS LES JAl\I1BES

Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, qui as étendu tes jambes sur la croix,
tu as coupé tous les chemins des impies, de tous les démons, de toutes les
maladies et de toutes les souffrances: en ayant tes pieds cloués, tu as cloué
le cœur de tout mal, par la déchirure de tes muscles tu as tué les puissances
de toute mal qui ronge les muscles, et par ta souffrance tu as condamné
toute souffrance. Daigne maintenant clouer le cœur de ce mal qui réside
dans ces jambes, et condamner cette souffrance qui tient ces jambes que
voici debout devant toi; interdis au (mal) toutes les voies qui sont dans
le corps, à travers la chair, dans les muscles et dans les os, ferme sur lui
la porte de son gîte, et accorde la guérison à ton serviteur, pour que, se
glorifiant de toi, il t'adresse la gloire, au Père, au Fils et au Saint-Esprit,
maintenant, etc.

26
PRIÈRE POUR LA DÉLIVRANCE D'UN HOMME GROS MANGEUR, POUR FAIRE PARDONNER ET
AGRÉER LE REPAS ABONDANT QUI <PEUT AGITER>, ET POUR QU'UN MOINE SE
RELÈVE DE CES (FA1BLESSES) AVEC L'AIDE DE L'ESPRIT SAINT

Pour tes grâces et tes miséricordes je dis tes louanges, Seigneur notre
Dieu. Moi qui suis entré dans la demeure de ton temple, moi qui me suis
attaché au sceptre de la foi en toi qui m'as donné de ta main droite ton pain
et ta parole de vérité, préserve-moi de la vie d'infirmité et enseigne-moi
(le chemin) de tous tes commandements pour que j'y marche, guide-moi
sur ta voie juste et conduis-moi à ton Père très haut.
Car ton nom est glorifié Père, Fils et Saint-Esprit.

27
PRIÈRE POUR DÉLIVRER QUELQU'UN DE LA GOUTTE

Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, aie pitié de cet homme à qui la goutte
aux 150 griffes fait pousser des cris; qu'elle ne lui cause de dommage ni
aux bras ni aux jambes ni à tout le corps, mais qu'elle s'enroule (sur elle-
même) ct se loge dans un seul lieu.
Très sainte Mère de Dieu, aie pitié et sauve ce serviteur de Dieu, main·
tenant et toujours et dans les siècles, etc.

28
PRIÈRE POUR SE DÉLIVRER DE LA LUXURE ET POUR ÉTOUFFER LA CHAIR, POUR SE
PRÉSEVER DE TOUTE PERSONNE DE LUXURE ET POUR RECEVOlR TOUT COMPAGNON
DE SALUT

Quand un membre de ['homme se tourne vers la luxure, ou qu'un


<désir> charnel s'allume en lui, ou que, jetant les regards sur quelque
personne qui est dans ce cas, il se met à penser à la luxure ou médite
de se joindre à elle, alors, s'il élève vers Dieu les regards de son cœur et
s'il dit à ce moment la prière qui suit, il sera préservé.
58 MIGUEL ARRANZ

Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, Fils unique de Dieu, qui par un don
de ton Père as préservé tes apôtres de la luxure, des feux de la luxure, des
pensées de luxure et des regards des fornicatrices, préserve-moi de même,
à l'heure de ton saint Office, de tout ce qui vient d'être dit, pour aider au
salut de mon âme et de mon corps, et de celui-ci libère-moi, qui suis ICI
présent - dire le nom - afin que sans souillure je te rende grâces, au
Père, au Fils et au Saint-<Esprit>.

29
PRIÈRE À DIRE QUAND ON SE COUCHE

Va-t'en, Satan, de cette porte et de ces quatre angles, ici il n'y a pas
de place ni de part pour toi, ici il y a Pierre, ici Paul, ici le saint évangile;
ici je velLX, après avoir fait mon adoration, me coucher au nom du Père et
du Saint-Esprit, maintenant, etc.

30
DEUXIÈME PRIÈRE POUR LE MÊME OBJET

Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, envoie en moi ton Saint-Esprit,


et mets dans mon cœur la sagesse de ton Saint-Esprit protégeant mon âme
et mon corps et tous les membres de mon corps et toute la vic de mon
organisme de tout méfait et de tout piège du diable ct de toutes les tenta-
tions du péché; apprends-moi à te rendre grâces, au Père, au Fils et au
Saint-Esprit.

31
TROISIÈME PRIÈRE POUR LE !>,..lÊME OBJET

Donne-nous, Maître, à nous qui allons dormir, le repos du corps,


préserve-nous des sombres ténèbres du péché, soustrais-nous à toute
souillure du corps et de l'esprit, accorde-nous d'entendre ton saint Office
dans la crainte de toi, libère-nous de toute <imagination> ténébreuse et
de la sensualité nocturne, fais cesser les désirs de la passion, éteins les
ardeurs du corps, écarte les désirs de la vie charnelle, et donne-nous,
quand notre esprit ne veille pas, des pensées chastes; qu'un sommeil
pesant ne s'empare pas de nous, mais fais-nous lever la nuit pour les
matines, accorde-nous de chanter tes louanges pendant toute la nuit pour
glorifier ton nom magnifique, Père, Fils et Saint-<Esprit>.

32
OFFICE l'OUR LES !l.1ALADES

Quand quelqu'un est malade et qu'il veut recevoir la prière d'un


prêtre, qu'il attende sept jours de maladie si la maladie est légère, trois
jours si elle est grave, un jour si elle est très grave, ju!qu'à l'heure du
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 59

dîner OLt jusqu'à midi si elle est très violente. Et si Son corps retroLtve son
calme et qu'il recouvre l'esprit, alors qu'il 1'eçoive du prêtre la prière et
qu'il se repente de ses péchés.

33
PRIÈRES SUR CEUX QUI SONT MALADES DE DIFFÉRENTES l\lALADIES

Le prêtre met l'étole et la chasuble, il place devant l'autel le malade


tenant des cierges et incliné, il monte à l'autel el prie Dieu pour qu'il
oublie ses péchés.
Père saint, médecin des âmes et des corps, etc.
Sur un moine: Toi qui cs bon, qui aimes les hommes, etc.
Sur un prêtre séculier: Dieu qui as la puissance, etc.
Sur celui qui souffre de la tête: Toi qui as incliné la tête pour <le cruci·
fiement>, etc.
Sur un malade et un enfant couchés: Toi qui as rendu ton très saint
Esprit, etc.

34
PRIÈRE SUR TOUT MALADE APPORTÉ i\ L'ÉGLISE

Le prêtre (prie) à voix basse:


Toi qui as reçu le linceul des mains de l'homme, la couverture de ton
corps dc ton serviteur Joseph, tu as couvert tous les péchés de tes serviteurs
qui pèchent sans te renier. Toi, Seigneur Maîtrc, daigne couvrir maintenant
mes péchés et accueillir les paroles de ma bouche de pécheur que je dis
pour ton serviteur malade - dire le nom - apporté sur une civière devant
ta face, qui te demande la guérison; accorde-lui, Seigneur, la guérison
selon sa foi, sans te souvenir de mes péchés et sans me dédaigner, moi
qui pose ma main sur lui en ton nom. Car tu nous as donné ton nom
pour (nous) guérir et par ton sang tu nous as rachetés de la malédiction,
A haute voix: Car tu cs le guérisseur des malades et le sauveur de
ceux qui croient en toi, et nous t'<adressons> la gloire, etc.

35
PRIÈRE SUR UN MALADE APPORTÉ SUR UNE CIVIÈRE

Toi qui as monté sur une civière pour arriver au tombeau d'où tu as
monté aux Cieux et t'es assis à la droite du Père, nous donnant l'exemple
de porter aussi sur une civière les infirmes devant ta face dans ta sainte
église, et de demander ta grâce, à toi qui as mortifié la mort, qui as montré
la lumière à ceux qui étaient plongés dans l'obscurité, qui as tiré des
ténèbres et de l'ombre de la morte ceux qui y séjournaient; nous te prions,
toi qui aimes les hommes, fais luire la lumière de ta face sur ton serviteur
ici présent, souviens-toi de lui dans l'abondance de tes miséricordes qui
guérissent tout homme et par lesquelles tu as levé une foule d'hommes
du lit des infirmes; lève maintenant aussi de son lit notre frère malade,
60 MIGUEL ARRANZ

daigne faire qu'il reçoive la santé et qu'il sorte (en marchant) de ta sainte
église, donne la gloire à ton saint nom.
A haute voix: Car ton saint nom est glorifié, Père, Fils, etc.

36
PRIÈRE SL'R UN HOMME COURBÉ

Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, qui es le guérisseur des malades, qui


as appelé dans la synagogue la femme courbée et, posant tes mains sur elle,
lui as dit: « Sois délivrée de toute maladie ), nOliS te prions, Maître, de
tes saintes demeures, toi qui es assis à la droite du Père notre Dieu, jette
maintenant aussi tes regards sur ton serviteur ici présent qui est venu
sur ton appel dans la glorieuse assemblée, dans ta sainte église, et <toi
qui as> guéri les malades, sur moi pécheur, ton serviteur, qui impose ma
main sur lui; envoie ta parole de guérison, daigne lui dire: « Sois délivré
de cette maladie », et délie-le de ce lien diabolique, redresse-le de sa flexion
diabolique, et glorifie ceux qui te glorifient, toi et ta sainte f.glise, et
nomme-le fils d'Abraham, afin que, guéri par toi, il t'adresse la gloire, au
Père, au Fils et au Saint-<Esprit>.

37
PRIÈRE SVR QUI A UNE MAIN DESSÉCHÉE

Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, qui as ordonné à l'homme qui avait


une main desséchée de se lever au milieu de la synagogue en attendant ta
parole, et tu as prononcé la parole, toi qui lui as ordonné d'étendre sa
main et qui l'as rendue aussi forte que la (main) saine, jette les regards
sur ton serviteur que voici qui, par ordre, s'est levé au milieu de la glorieuse
assemblée, dans ta sainte église, et qui reçoit ta parole par l'intermédiaire
de ton serviteur que voici; envoie ta parole de santé et de guérison qui
réalise ta volonté, commande-lui d'étendre sa main, et rends-la forte.
Car tu es notre force et <nous> te rcnd<ons> la gloire, au Père, etc.

38a
PRIÈRE SUR CEUX QUI SOUFFRE~T DE DIFFÉRENTES .à:lALADlES

Guérisseur des malades, toi qui exauces toute prière de ceux qui te
prient, toi qui nous donnes ton nom pour traiter toute maladie et toute
souffrance, pour guérir et pour purifier, toi qui as envoyé ton Fils unique,
notre Seigneur Jésus-Christ, pour nous conduire sur le droit chemin de
t'adorer toi seul, de te glorifier, d'accomplir pour toi seul les actions qui
te plaisent; je te prie, Seigneur, oublie mes péchés, purifie-moi et lave-
moi par ton nom, fais de moi la demeure de ton Saint-Esprit qui a guéri
tout homme de toute maladie, penche ton oreille et entends la voix de ma
prière: jette tes regards sur ton serviteur ici présent qui a recouru à ton
nom, qui s'est incliné sous ta droite sainte, qui te demande la guérison, la
santé et la vie.
Car tu es notre guérison, et ta volonté est notre santé, et ta miséricorde
notre vic; et nous t'adressons la gloire, au Père, etc.
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 61

38b
Le malade, toujours incliné, se tient debout, et le prêtre recommence à
prier en invoquant le Saint-Esprit qui guérit de toute souffrance, de
toute blessure et de toute lésion:
Au nom de ton Fils unique, notre Seigneur Jésus-Christ, je te prie et
supplie, Seigneur Dieu de vérité: fais descendre en moi ton Saint-Esprit
qui guérit tout homme de toute chose, de toute lésion et blessure, de toute
maladie, de toute lèpre, de tout mal et de toute souffrance, et donne-lui
tous tes pouvoirs de commander la guérison dont tu as déjà donné des
exemples sur la terre par ton Christ notre Dieu; car je suis ta demeure:
que, sortant par ma porte, ton Saint-Esprit, envoyé par toi, et ta puissance
guérissent ton serviteur ici présent qui incline sa nuque devant toi, qu'il
te glorifie, toi et ton Fils qui a été sur la terre, et qu'il soit lui-même
glorifié par ton nom.
A haute voix: Car tu es celui qui vit dans les Cieux, et parmi les
Dominations tu ne mépriseras pas l'homme qui te prie et qui t'<adresse>
la gloire, etc.
Il encense l'autel et dit la prière: Nous apportons l'encens devant toi,
Seigneur, etc.

39
PRIÈRE POUR TOUTE MALADIE QUI CHEMINE À TRAVERS (LE CaRPS DE) QUELQU'UN

Toi qui as étendu ton corps. Christ notre Dieu, tu as barré le chemin
à toute malignité qui chemine sur la terre, et à toute maladie qui chemine
par le corps, à travers la chair, dans l'intérieur des muscles. Maître, daigne
maintenant barrer tous chemins à cette maladie-ci - nommer par son nom
la souffrance qui en ce moment chemine par le corps du malade présenté
et par ses membres -; maintenant qu'elle se tient devant toi, interdis-lui
tous les chemins et tous les sentiers, ne lui laisse pas ravager le corps ni
les membres ni les muscles, ni s'approcher de son âme (= du malade), fais
qu'elle s'endorme, sur ton ordre, dans son gîte, ferme sur elle la porte de
son gîte, et accorde à ton serviteur ici présent la santé pour de longues
années; afin que, vivant en bonne santé, il te rendre grâces, au Père, au Fils
et au Saint-Esprit.

40
PRIÈRE SUR QUELOU'UN QUI TIST MALADE DE BOIRE DES BOISSONS FERMENTÉES

Sur la croix, tu as goûté au vinaigre de l'éponge, et tu as enivré tous


ceux qui te haïssaient, toute esprit malin et tout mal de boisson, d'une
boisson non complètement fermentée(?), celle de la perdition. Christ notre
Dieu, daigne maintenant jeter tes regards sur ton serviteur ici présent qui
a incliné sa tête devant toi, et chasse de lui tout démon de la soif et tout
mal de boisson, et donne-lui la santé, désaltère-le à ta source de grâce; car,
par amour de ton nom, il a incliné sa tête devant toi en t'adressant la
gloire, au Père, au Fils, etc.
62 MIGUEL ARRANZ

41
PRIÈRE SUR TOUTE PERSONNE QUI A PERDU L'USAGE DE LA PAROLE, SUR UN MALADE
QUI A UNE EXTINCTION DE VOIX, ET SUR L'ESPRIT DU B~GA1EMENT

Par ton silence quand tu étais cloué sur la croix, Christ notre Dieu, tu
as vaincu toutes les paroles des démons, tout esprit muet et tout mal muet
qui fait taire la parole, et tout esprit du bégaiement. Maître, daigne main-
tenant jeter tes regards sur ton serviteur ici présent, chasser de lui ...
(nommer ce dont il s'agit) et le vaincre, et accorde-lui la santé en lui donnant
une voix claire.
Car ton très saint nom est glorifié, Père, Fils <et> Saint-Esprit.

42
DEUXIÈME PRIÈRE POUR LE MÊME OBJET

Toi qui d'un grand cri, quand tu étais sur la croix, as crié vers ton Père
céleste, le Très Haut, le cri: « Dieu, Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?)},
qui nous donnais l'exemple de te glorifier d'un grand cri dans la douleur et
dans la souffrance et d'invoquer ton très saint nom, Père, Fils et Saint-
Esprit, nous te prions, Seigneur, et nous crions vers toi: délivre du <mal>
ton serviteur ici présent, et des liens du diable; accorde-lui ton grand cri
pour crier vers toi et pour te glorifier avec le Père et le Saint-Esprit,
maintenant et toujours, etc.

43
PRIÈRE SUR Qur A LES <JAMBES> DESSÉCHÉES

Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, qui t'es nommé le Fils <du> Père,
qui as appelé à toi tes douze disciples et leur as donné la domination et le
pouvoir sur tous les démons et de guérir toutes les maladies des malades
et des infirmes, qui as accordé à ton apôtre Pierre de faire lever l'impotent
en ton nom et de rendre fermes ses jambes, à lui qui était impotent dès le
ventre de sa mère et qui n'avait jamais marché; nous te prions, Jésus-Christ
notre Dieu, accorde-nous, à nous qui sommes les successeurs de tes saints
apôtres, de faire lever en ton nom <ce malade-ci>, ton serviteur, notre
frère; fais descendre sur lui ta grâce, et rends fermes ses jambes. Ne nous
couvre pas de honte, nous qui nous glorifions de toi, qui faisons en ton nom
des dons inestimables, car rien n'est plus précieux que cette vie; en sorte
que, guéri par toi, il te rende grâces, Père, Fils et Saint-<Esprit>.

44
PRIÈRE SUR DE NOMBREUX MALADES ET SUR CELUI QUI EST SECOUÉ PAR
UNE FIÈVRE QUI FAIT CLAQUER DES DENTS

Que celui qui est atteint de la fièvre prenne vers le soir un peu de
bouillie de gruau, et de l'eau le troisième jour, mais très peu, qu'il ne
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 63

prenlle pas d'aliments cOllsistants. Et dès que la fièvre l'aura quitté, qu'il
allume trois cierges à l'église, et s'il est aisé qu'il donne à l'église ou aux
pauvres au nom du Seigneur.
Dieu créateur, qui as parlé dans le nuage à Moïse ton prophète, dans
l'agitation de l'orage, pendant la tempête, tandis que les hommes souffraient
d'un grand froid, que la terre tremblait, que le <Sinal"> tressaillait, toi qui
as multiplié le bruit des pierres et la fumée, qui touches les montagnes et
les fais fumer, qui chasses de ton peuple toute impiété et places en lui
toute foi juste; Maître, Seigneur, fais descendre maintenant ta parole et
chasse de ton serviteur que voici cette fièvre qui ressemble à un démon,
qui saisit par moments comme un démon, qui ravit l'eau, qui produit
une secousse de tempête dans son corps, qui glace sa chair, qui secoue tous
ses membres, qui fait claquer ses dents; à elle qui afflige son âme,
<interdis> tous les instants (des fièvres) qui saisissent furtivement,
toutes les heures et tous les temps, défends-lui toutes le voies d'accès,
ferme-lui toutes les voies d'accès, taris la source d'où elle sort, interdis-lui
toute prise d'où elle prend sa force, et établis la santé dans le (malade).
A haute voix: Car ton nom est glorifié, Père, Fils, etc.

45
PRIÈRE SUR TOUTE PERSONNE AGITÉE PAR LA FIÈVRE

<Je> te conjure par le nom du Seigneur, fièvre, la dernière des mala·


dies, qui es méprisée, la plus faible de toutes les maladies: toi-même et
toutes tes fièvres, ne craignez-vous pas toutes les sagesses des sages de la
terre et les vigueurs des vigoureux, la virilité des virils et la féminité des
femmes, la <docilité> des dociles, enfin la folie des fous? Vous saisissez
les indociles, les faibles d'esprit et de corps, c'est à eux que vous faites
du mal selon les phases de la lune, vous cheminez à travers eux comme
à travers toute autre chose molle et (comme) à travers ceux qui font
votre volonté. Toi-même et toutes tes fièvres, ne craignez-vous pas les
obstacles qui vous sont opposés et toutes les menaces des hommes
qui vous menacent? Fuyez en criat el retirez-vous. Maintenant c'est toi-
même, fièvre, que je conjure: crais le nom du Seigneur et la foi de ceux
qui croient en lui, devant qui tremblent le visible et l'invisible, les anges
et les archanges, les Trônes et les Dominations, les Principautés, les
Puissances et les Vertus, les Chérubins <aux yeux> multiples; devant qui
tremblent les Cieux, la terre et la mer et tout ce qui s'y trouve. Toi qui
trembles plus que tous, enfuis-toi de ce serviteur du Seigneur qui a foi
dans le nom du Seigneur, sauve-toi de lui et ne garde pas souvenance de
lui, ne fais pas mention de lui, qu'il n'y ait pas dorénavant en lui ton
nom, ni toi-même, ni tes fièvres. Car le Seigneur t'interdit tous les
instants et toutes les heures, ct toutes les époques (des fièvres) inter-
mittentes, il t'interdit tous les chemins et lous les sentiers d'accès, et
toute porte d'accès t'est fermée; il établit la santé dans le malade, et il
donne la gloire à <son> nom.
A haute voix: Car ton nom est glorifié, Père, Fils et Saint-Esprit.
64 MIGUEL ARRANZ

46
PRIÈRE SUR QUI EST AGITÉ PAR LA FIÈVRE LE SOIR

Qu'il mange un peu après avoir aperçu une étoile.


Le Seigneur te conjure, fièvre qui es entrée dans cet homme déraison-
nable et indocile; celui qui a dit à ses disciples: «Allez chez un tel et
dites-lui: Le Maître te dit: Mon temps est proche, c'est chez toi que je
veLLX célébrer <au soir> la Pâque avec mes disciples »; qui s'est assis
pour le repas avec ses douze disciples; qui a pvis pendant le repas du pain,
a rendu grâces à Dieu, et il l'a rompu et en a donné à ses disciples en
disant: «Prenez, mangez, ceci est mon corps qui sera rompu pour vous
pour la rémission des péchés »; et après le repas, prenant une coupe, il a
rendu grâces à Dieu, il l'a tendue à ses disciples en disant: «Buvez-en
tous, ceci est mon sang, la nouvelle alliance, qui sera répandu pour vous
pour la rémission des péchés; faites ceci en mémoire de moi ); qui s'est
levé du repas, s'est enveloppé d'un linge, a lavé les pieds de ses disciples,
a rendu grâces à Dieu et, allant au Mont des Oliviers, a prié le soir trois
fois avant d'être trahi; qui a dit à ses disciples: « Asseye:z...vous ici jusqu'à
ce que moi j'aie prié, car maintenant mon àme est triste jusqu'à la
mort )); et, s'étant prosterné contre terre, il a prié son Père céleste en
disant: « Père, si c'est possible, que cette coupe soit détournée de moi;
mais pourtant qu'il ne soit pas fait ce que je veux, mais ce que tu veux,
Père)); qui a trouvé ses disciples endormis, qui a dit à ses disciples:
« Comment ne pouvez-vous pas veiller une heure avec moi pour ne pas
tomber dans la tentation? Car l'esprit est prompt, mais la chair est faible »;
qui est parti de nouveau, qui a prié et a dit: « Si cette coupe ne peut pas
être détournée de moi sans que j'y goute, que ta volonté soit faite )); qui
a prié pour la troisième fois en disant les mêmes paroles; qui a répandu
sa sueur sur la terre comme du sang; à qui un ange est apparu du Ciel
pour réconforter son cœur: lui, notre Seigneur, Fils unique de Dieu,
qui a transformé le soir cette trahison qu'il a subie en guérison incompa-
rable, en santé, en purification et en participation au royaume céleste, il te
chasse de lui (= du malade), et il lui donne la santé.
A haute voix: Car ton nom est glorifié, Père, Fils et Saint-<Esprit>,
maintenant, etc.

47
PRIÈRE SUR QUI EST AGITÉ PAR LA FIÈVRE LA NUIT

Qu'il mange un peu de nourriture à trois heures, mais ensuite qu'il


ne prenne rien.
Le Seigneur te conjure et te chasse, fièvre, toi qui dérobes en cachette
sa force (=du malade), qui te protèges de ténèbres comme un voleur, toi
qui infliges ton ignominie à l'homme bien portant. Redoute le Seigneur qui
te conjure et qui te chasse; lui pour qui son disciple a reçu trente pièces
d'argent; contre qui est venu son disciple Judas Iscariote, et il1'a embrassé
par perfidie; contre qui sont venus les envoyés des grands-prêtres avec des
torches, des épées et des bâtons; qu'ils ont saisi, qu'ils ont frappé à la
CHRISTOLOGIE ET ECCLÉSIOLOGIE 65

joue, et qu'ils ont emmené dans la cour de Caïphe, devant Caïphe; que
ses disciples ont fui; contre qui les grands-prêtres ont cherché un grief
de mort, un faux témoin pour dire: ({ <Cct homme a dit: > Je détruirai
le temple de Dieu et le rebâtirai en trois jours }); que <le> grand-prêtre
adjurait par le Dieu vivant, en lui disant: « Est-ce toi le Fils de Dieu? »;
qui a répondu: « Tu l'as dit; mais moi je dIS que vous verrez le Fils de
l'homme allant au Ciel sur les nuées ct assis à la droite de la puissance »;
auquel les Juifs ont craché au visage, et il l'ont violenté et l'ont frappé à
la joue en disant: « Apprends-nous, Christ, qui est celui qui t'a frappé »;
qui est resté debout au tribunal, brutalisé et interrogé pendant toute la
nuit froide dans la cour de Caïphe; que Pierre a vu violenter, se tenant
lui-même près du feue?), et dans tous les lieux il (le) renia trois fois cette
nuit-là avant le chant du coq; qui a agréé le repentir, après le chant du
coq, de son disciple saint Pierre. Lui qui s'est tenu debout pendant
toute la nuit, servant son Père céleste, le Dieu tout-puissant qui crée la
puissance, il est le vainqueur de tout démon de la nuit, il est le vainqueur
de toute souffrance nocturne, il est le vainqueur de toutes tes (fièvres) et
de toi-même qui cs entrée maintenant dans le corps que voici, fièvre,
maladie méprisée par la grâce du Dieu immortel. Il te commande de sortir
de son serviteur que voici, agréant son repentir comme (il a agréé) le
repentir de Pierre. Sors de lui avec toutes tes (fièvres) et avec tous tes
désirs, et sans retour vers lui. Car il te refuse les voies de passage et tous
les sentiers, il te ferme toute porte d'accès, il établit la santé, il donne
la gloire à <son> saint nom, avec le Père et le Fils, maintenant et
toujours, etc.

48
PRIÈRE SUR QUT EST AGITÉ PAR LA FIÈVRE AU MATIN

Le Seigneur te chasse, fièvre du matin, la dernière des maladies, dérai·


sonnable ct sans force, qui agites les hommes déraisonnables et de peu de
foi: celui sur qui, au matin, les chefs et les prêtres des Juifs et les anciens
des Juifs ont tenu conseil; qui a été lié par les grands-prêtres et les anciens
des Juifs dans le conseil du matin, et a été livré à Ponce-Pilate. Crains-le
et sors: souviens-toi de Judas Iscariote qui a eu peur, qui a rendu l'argent
et qui s'est pendu; souviens-toi des scribes qui n'ont pas osé accepter
l'argent de son prix; de celui qui s'est tenu devant Pilate, et il a été calomnié
par les scribes et les anciens; de celui qui a étonné grandement Pilate;
souviens-toi de la (femme) de Pilate qui a eu peur de Jésus le Juste, et
sois frappée de terreur; souviens-toi de Pilate qui a eu peur et qui a dit:
«( Je suis innocent du sang de cc Juste )}. Tremble, fuis, le Seigneur te

chasse, lui qui a été chargé de liens dans le conseil du matin, ct il donne
la santé à son serviteur que voici.
Car il est glorifié par le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours
et dans <les siècles des siècles. Amen>.
66 MIGUEL ARRANZ

49
PRIÈRE SUR QUI EST AGITÉ PAR LA FIÈVRE À TROIS HEURES

Le Seigneur te frappe, fièvre qlÜ attaques à heure fixe, qui saisis le


malade que voici à trois heures en le frappant sans excuse. Dieu t'interdit
le temps du lever et celui de l'attente, lui qui a été frappé par Pilate et a
été livré pour être crucifié; qui a été conduit par les soldats de Pilate au
prétoire; autour de qui ils se sont assemblés au prétoire; à qui ils ont ôté
les vêtements et qu'ils ont revêtu d'un manteau d'écarlate et, tressant une
couronne d'épines, ils la lui ont posée sur la tête, et ils lui ont mis dans la
main droite un roseau; devant qui les Juifs se soni inclinés cn le raillant
et en disant: « Salut, roi des Juifs »; à qui les Juifs ont craché dans les
yeux, et ils l'ont frappé à la tête avcc un roseau; de qui les Juifs se sont
moqués, ils lui oni retiré le manteau et, lui remettant ses vêtements, ils
l'ont emmené pour le crucifier; dont ils ont fait porter la croix par l'hom-
me de Cyrène; qu'ils ont mené au Lieu du Crâne, et ils lui ont donné à
boire le vinaigre qu'ils avaient mélangé avec le fiel; qui, en ayant goûté,
n'a pas voulu en boire; que les Juifs ont déshabillé, et ils l'ont cloué sur
la croix à neuf heures, ils se sont partagé ses vêtements, et ils ont tiré
au sort ses vêtements; avec qui on été crucifiés les deux larrons, l'un à
sa droite et l'autre à sa gauche. C'est ce Seigneur qui te frappe et te
mortifie, lui qui a été crucifié sur la croix à la troisième heure, et il
donne une santé sans défaut à son serviteur que VOICI.
Car le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit est glorifié.

50
PRIÈRE SUR QUI EST AGITÉ PAR LA FIi!VRE À MIDI

Seigneur, je rends grâces, je pose ma main sur ton serviteur que voici,
et je te conjure, fièvre de midi, par le nom du Seigneur: crains-le, lui
à qui on disait: « Si tu es le Fils de Dieu, lève-toi maintenant de cette
croix, et nous croyons en toi». Fièvre qui es en cet homme, crains le
Seigneur, et mortifie-toi; lui que le larron a craint, et il a dit: « Souviens-
toi de moi, Seigneur, dans ton royaume»; quand il était sur la croix, le
soleil a obscurci son éclat; lui qui sur la croix a jeté un cri vers Dieu, qui
a été humecté du vinaigre de l'éponge, qui a été percé sur la croix par la
lance et qui a répandu par sa blessure de l'eau et du sang, qui a dit:
« Dieu, garde mon esprit », qui a incliné la tête sur la croix; au moment
où il a rendu l'âme, la terre a tremblé, les pierres se sont fendues, le
voile du temple s'est déchiré, les tombeaux se SOilt ouverts, les corps des
morts se sont apprêtés; devant qui le centenier s'est effrayé ainsi que
tous ceux qui étaient avec lui, à qui ils ont dit: «Celui-ci est en vérité le
Fils de Dieu». Et toi, fièvre, plus que quiconque, crains le Seigneur,
tremble, enfuis-toi de ce serviteur du Seigneur, et va-t'en de lui.
A haute voix: Car lc nom du Père, du Fils <et du Saint-Esprit> est
glorifié.
FIN DES PRIÈRES DES MALADES !JE L'EUCHOLOGE SLAVE DU SINAÏ

Miguel ARRANZ
ÉGLISE ET LITURGIE
DANS LA " MYSTAGOGIE» DE SAINT MAXIME LE CONFESSEUR

Saint Maxime le Confesseur (t 662) est, avant Saint Jean


Damascène, le dernier grand théologien de l'Eglise grecque '.
Moine et ascète, formé dans la tradition de l'Eglise par la
lecture des Pères du IV' siècle, parmi lesquels les saints Grégoire
de Nazianze et Grégoire de Nysse étaient ses maîtres préférés,
grand admirateur du célèbre Origène et d'Evagrius le Pontique,
lecteur assidu et commentateur des écrits de Pseudo-Denys l'Aréo-
pagite, vénérable défenseur de l'orthodoxie contre le monophy-
sisme et le monothélisme, penseur profond abondamment inspiré
par l'idéalisme platonicien mais suffisamment initié aussi dans
la psychologie et les principaux écrivains mystiques de l'Orient '.
Parmi ses nombreux écrits, très variés (exégétiques, dogmati-
ques et polémiques, moraux et ascétiques, disciplinaires et litur-

l J. TlXERONT, Précis de Patrologie, 13 e éd., Paris 1942, p. 394.


Z F. CAYRÉ, Précis de Patrologie, t. II, Paris-Tournai-Rome 1930, p. 302 - Sur
la vie et l'oeuvre de Saint Maxime en général, voir encore: V. GRUMEL, Maxime
de Chrysopolis (Saint), dans «Diet. de Théo!. Cath. », t. X., 1 (1928), col. 448459;
R. DEVREESSE, La vie de St. Maxime le Confesseur et ses recensions, dans «Ana-
lecta Bolland.» (Bruxelles), t. 46 (1928), pp. 5-49; S.-L. EPIFANOWITCH, Essai sur
la vie et les écrits de Maxime le Confesseur (en russe), Kiev 1917; Hans Urs VON
BALTHASAR, Kosmische Liturgie. Maximus der Bekenner: Hohe und Krise des
griechischen Weltbilds, Freiburg im Br. 1941 (II~ éd.: Kosmische Liturgie. Das
Weltbild Maximus des Bekenners, Einsiedeln 1961); éd. fr.: Liturgie. cosmique.
Maxime le Confesseur, trad. de l'allemand par L. Lhaumet et H.-A. Prentout,
Paris 1947; I.M. GARRIG"L"ES, Maxime le Confesseur. La charité avenir divin de
l'homme. Préface de M.I. Le Gouillou, Paris 1976 (( Théologie historique », 38);
IDE.'-'I:, Le martyre de St. Maxime le Confesseur, dans « Revue Thomiste », LXXXIV,
3 (1976), pp. 410-452; Alain RIOU, Le monde et l'Eglise selon Maxime le Confes-
seur, Paris 1973 (<< Théologie historique », 22); W. VOLKER, Maximus Con/essor als
Meister des geistlichel1 Lebens, Wiesbaden 1965; J. HAlisHERR, dans l'El1ciclope-
àia catlolica, t. VlII (1952), col. 307 ss.; S. BROCK, An early Syriac Lite of Maxi-
mus Confessor, dans « Analecta Bolland. », t. 90 (1978), pp. 299-346.
68 ENE BRANISTE

giques, lettres, etc.)', la Mystagogie (c'est-à-dire: Initiation aux


mystères du culte liturgique) est caractéristique pour la pensée
de l'auteur' et pour le thème de notre conférence. Oeuvre de la
jeunesse du Confesseur, elle a été probablement écrite vers 628-
630, en Afrique, avant l'engagement plus profond de l'auteur
dans les discussions sur le monothélisme. Dans son oeuvre Saint
Maxime veut montrer le symbole de ce qui s'accomplit dans la
sainte église pendant la liturgie '. C'est, de toutes les interpréta-
tions qui nous ont été conservées, la plus ancienne de la liturgie
byzantine.
L'oeuvre est divisée en 24 chapitres inégaux, précédés d'une
introduction sous forme de lettre à un vénérable Père auquel
il s'adresse '. Utilisant un artifice littéraire de son temps, Saint
Maxime prétend reproduire par écrit ce qu'il avait lui-même
entendu dire jadis, sur la sainte église et sur la sainte liturgie
qui s'y accomplit, par un vieil érudit dans les choses divines,
«qui avait l'esprit éclairé par les lueurs divines », philosophe
et maître en tout enseignement par la richesse de la vertu et le
labeur constant dans l'approfondissement des choses divines, de
sorte qu'il s'était « libéré des chaînes de la matière ». Il nous dit

3 Texte grec dans J.P. MIGNE, P.G., t. XC-XCI (1860); - Commentaires sur les
oeuvres du Pseudo-Denys l'Aréopagite: ibid., t. IV, col. 15-432, 527-576; Le Com-
put ecclés., ibid., t. XIX, col. 1217-1280 (parmi les oeuvres d'Eusèbe de Césa-
rée). - Etudes: F. CAYRÉ, op. cit., p. 302-309; V. GRUMEL, op. cU.; Hans Urs VON
BALTHASAR, op. cit.; P. SHERWOOD, a.S.B., An annotated date - liste of the Works
0/ Maximus C0I1tessor, Roma 1952 (« Studia Anselmiana», fase. XXX); B. ALTA-
NER, ZU den Schriften und zur Lehre des heiligen Maximus Confessor, dans «Theo-
logische Revue» (Münster), 41 (1942), nr. 3-4, p. 49-54: Gr. MATHIEU, Travaux
préparatoires à une éditian critique des oeuvres de St. Maxime le Confesseur
(Dissert.), Louvain 1957.
4 Texte grec J.P. MIGNE, P.G., t. XCI, col. 657-718. - Trad. française par Mme
LOT-BoRODINE, dans «Irénikon », t. XIII, XIV, XV (1936-1938): - Trad. roumaine
par Pro Prof. D. STANILOAE, dans «Revista Teologiea D (Sibiu), an. 1944, nr. 3-4,
7-8, sous le titre Le Cosmos et ['âme images de l'Eglise. - Trad. en grec moderne
par Tgnalios SAl\ALlS: La Mystagogie de Saint Maxime le Confesseur, avec intro-
duction - commentaire par Prof. D. STANILOAE, Athènes 1973. - Trad. allemande
par Hans Urs VON BALTHASAR, Kosmische Liturgie. Das Weltbild Maximus des
Bekenners, Zweite Auf!., Einsiedeln 196t, p. 366-407. - Trad. italienne par R. CAN'
HRELLA, San Massimo Confessore. La Mistagogia ed altri scritti, Firenze 1931
(Coll. «Testi Cristiani »).
5 Pour la notion de liturgie (messe), Saint Maxime utilise toujours le terme
i'j ay~1X O'U'JC(~tç = La sainte assemblée (de l'Eglise).
6 Le nom de celui·ci n'est pas indiqué dans le texte de P.G., mais il se trouve
dans certains manuscrits de la Mystagogie (P.G., t. XC, col. 26 et R. BORNERT,
Les commentaires byzantins de la divine liturgie du VIle au XVQ siècle. Paris
1966, p. 86, n. 3). Il pourrait être identifié avec (( l'illustre seigneur Théochari-
!>lOS» mentionné dans l'EpUre 44 de Saint Maxime (P.G., t. XCI, col. 644 D),
qui inlervenait en faveur de Saint Maxime, lorsqu'il se trouvait en exil.
EGLISE ET LITURGIE D'APRÈS S. l\.1AXIME 69

qu'il ne va pas répéter ce qui a déjà été écrit dans la « Hiérarchie


ecclésiastique» par Pseudo-Denys l'Aréopagite, «le très saint et
le vrai révélateur des choses divines», qui « grâce à sa haute
compréhension, a expliqué les symboles de ce qui s'accomplit
pendant la sainte liturgie, dans leur sens spirituel» et que,
même s'il aura à s'occuper parfois des mêmes choses, il ne
saura jamais les dire si poliment et si profondément que
celui-là '.
L'objet proprement dit de la Mystagogie est l'explication
mystique du service de la Liturgie qui ne commence qu'à partir
du chapitre VIII. Cependant, ce qui nous intéresse ici, ce sont
surtout les sept premiers chapitres de l'ouvrage. Ces chapitres
contiennent l'exposition de la conception cosmique et ecclésiolo-
gique de Saint Maxime sur la nature (l'univers) et sur l'âme
humaine qui sont considérées comme une église, destinée à
comprendre et à mener aussi bien l'homme que toute la nature
inanimée (le cosmos ou l'univers) à l'union et à l'unité ultime
avec Dieu, par une purification et sanctification progressive.
Par la suite, nous allons exposer très brièvement ce que
Saint Maxime nous dit lui-même, suivant de près les idées des
sept premiers chapitres de la Mystagogie, pour conclure par
quelques sommaires considérations critiques sur l'origine de ces
idées et sur leur valeur dans la théologie de la vie spirituelle
chrétienne d'Orient.

• * •

L'Eglise, en tant qu'institution ou société (communauté)


des croyants aussi bien que lieu de leur réunion et prière, est,
dans une première acception spirituelle, image et icône de Dieu,
déployant la même action déifiante que Lui, par imitation. Dieu
étant la cause, le principe et le créateur de tout l'univers, est
au-dessus de toute chose, mais en même temps Il est le tout
en toute chose et unifie tout avec Soi, par la relation naturelle
entre le Créateur et la création, entre le tout et la partie. Il est
le centre de l'Univers, le terme final de l'histoire et en même

7 Saint Maxime considérait authentiques les écrits qu'il allait commenter et


il a contribué beaucoup à leur autorité et célébrité dans l'Eglise.
70 ENE BRANISTE

temps le but ultime de la naissance et du développement de


toute chose et c'est pourquoi Il sera vu seulement par ceux qui
ont « le coeur pur », par ceux qui sont parfaits dans la compré-
hension, lorsque l'esprit, par la contemplation des choses, abou-
tira à Dieu lui-même.
L'Eglise est l'image de Dieu, elle imite son modèle. Elle
réunit les hommes de différentes races, nations, caractères,
âges, professions et niveaux, moeurs, etc. dans l'unité, par leur
relation avec le Christ, par la croyance, par la grâce unique, par
l'unité de coeur et d'âme (Act. IV, 32), par l'unité du Chef auquel
nous nous intégrons comme les membres dans le corps et où « il
n'y a plus ni Juif, ni Grec, ni Barbare, ni Scythe, ni esclave ou
libre, ni hOlllme, ni femme, ni circoncision ou non-circoncision,
mais Lui sera tout et en toute chose il y aura Lui» (Gal. III, 28
et Col. III, Il). En Lui la diversité des membres devient unité
organique et corps; Il assemble tout autour de Lui comme l'un
qui est cause et puissance unique et simple, ne laissant rien périr
dans l'inexistence par la séparation de Lui. L'Eglise est donc
l'image de Dieu puisqu'elle accomplit ce qu'Il accomplit, effectuant
l'union entre les croyants, unifiant leurs différences de temps, de
lieu, d'espèce et de dons propres, les amenant tous à s'identifier
à Lui, qui est cause, commencement et but de tous 3,
Selon un autre sens spirituel, la sainte Eglise de Dieu est
expression et image du cosmos entier, composé d'êtres visibles
et invisibles. En tant que sainte demeure elle est divisée, par
exemple, en lEp"',E'ov (sanctuaire) pour les officiants (le clergé)
et la nef ('I",àç) pour les fidèles (laïcs), mais elle est une selon
l'hypostase; la nef est un lEp''''",ov en devenir, initié et sanctifié
par les saints mystères, alors que le sanctuaire est une nef actua·
lisée, menée jusqu'au bout de l'action d'initiation et de sancti-
fication.
Le cosmos est aussi divisé en deux: d'une part, le monde
de l'intelligible - c.à.d. des êtres spirituels et incorporels (la
Jérusalem céleste dont il est question dans Hébr. XII, 22) - et,
d'autre part, le monde du sensible et du corporel, de natures
et formes diverses. Dans sa totalité, le cosmos est comme une
«église de Dieu, non édifiée par des lllains)}, à l'encontre de
celle de ce monde visible, faite par les mains de l'homme. Le

r. C. I., P.G., t. XCI, col. 664 D - 668 C.


EGLISE ET LITURGIE D'APRÈS S. MAXIME 71

sanctuaire de celle-là est le monde supérieur des anges et des


saints et sa nef est le monde des êtres corporels, liés aux sens.
Ces deux "églises» forment cependant une unité indivisible et
indestructible, se rapportant l'une à l'autre comme les parties
d'un tout et s'accomplissant dans ce tout, l'une par l'autre. Elles
s'interpénètrent: les êtres sensibles sont compris dans les intelli-
gibles par les sens, les deux « églises » étant révélées à ceux qui
peuvent voir avec l'esprit éclairé par la grâce divine; les êtres
intelligibles, à leur tour, sont compris dans les sensibles par
des images ou symboles (" Les choses invisibles, de Dieu, sont
vues depuis la création du monde étant comprises par l'aspect
des créatures »: Rom. I, 20).
Par ce qui est vu on contemple ce qui est invisible, et ce qui
se voit est compris par l'invisible, grâce à la contemplation
spirituelle: "La contemplation spirituelle des choses intelligibles
par ce qui est visible est science et compréhension spirituelle
de ce qui est visible par ce qui est invisible» '.
Mais l'église visible (le lieu du culte) est l'image du monde
sensible (du cosmos visible), ayant le ciel pour sanctuaire et la
beauté de la terre comme nef. Et inversement: le monde aussi est
une église dont le sanctuaire est le ciel, et dont la nef est la
beauté de la terre !~. -c::-=--
Selon un autre sens spirituel, la sainte église de Dieu (celle
qui est visible) symbolise l'homme: son âme est l'hiérateion, son
esprit est le sanctuaire, son corps est la nef: "Ainsi elle (l'église
visible) est l'image et la similitude de l'homme d'après l'image
et la ressemblance de Dieu ». Mais inversement aussi: l'homme
est comme une église mystérieuse: par son corps il accomplit
les commandements (divins) comme par une nef; par son âme,
comme par l' hiérateion (sanctuaire), il apporte à Dieu les sens
déduits de choses par la raison, et par son esprit, comme par
un autel (eU("""'T~pWV) il monte jusqu'à Dieu, s'unissant à lui par
la connaissance des mystères divins, dans la mesure où il est
permis à l'homme 11.
La sainte église de Dieu peut être considérée non seulement
comme l'image de l'homme en son entier (corps et âme), mais
aussi comme l'image de l'âme humaine, qui peut être comparée

9 C. Il, coL 668 C - 668 D.


10 C. III, col. 672 A.
11 C. IV, col. 672.
72 ENE BRANISTE

à une église; car elle est constituée soit par la faculté intel-
lectuelle, qui se meut librement par la volonté, soit par la
faculté vitale, qui se déploie selon la nature.
La dimension contemplative et pratique dépend de la faculté
intellectuelle et s'appelle intelligence ou pensée (voGç), qui consti-
tue le sanctuaire de l'âme; la dimension vitale, qui représente la
nef de l'âme, s'appelle raison (Myoç). La première s'appelle égale-
ment sagesse (cr0'l'["<)' lorsqu'elle est orientée vers Dieu seulement;
l'autre s'appelle aussi prudence ('l'p6v'Ij,,,ç), lorsqu'elle s'oriente
selon l'esprit. La pensée ou sagesse, par la pratique de la
contemplation (6E(Ùp[~), du silence et de la connaissance des
mystères, s'élève vers la vérité ("À~6E'~), son but final, atteignant
une connaissance illimitée et inoubliable (yv;;;",,). Mais la raison
ou prudence, c'est par la pratique du bien (1tp,*~,ç), par la vertu
et par la foi, qu'atteint son but final, le bien (Tb "yot&6v). La vérité
et le bien sont attributs de Dieu. L'âme, se déployant progressi-
vement vers ces entités; s'unit à Dieu par la fortification et
l'établissement (l'habitude) du bien, fondé sur le libre arbitre, car
Dieu est la Vérité infinie et impénétrable autant que le Bien,
dans lequel toute la force de la raison trouve son terme final.
Tout ce qui tient de l'intelligence et en sort progressivement,
l'église visible l'indique par hiérateion (sanctuaire) et tout ce qui
tient de la raison et en sort, par déploiement, elle l'illustre par
la nef. Elle rassemble tout dans le mystère qui s'accomplit sur
l'autel divin (6Ucr,~crT~pLOV) et celui qui le comprend fait de son
âme une véritable église à Dieu. " Car c'est pour l'âme que nous
a été donnée, peut-être, pour son orientation vers les choses d'en
haut, l'église construite par les mains, qui lui est aussi modèle
(prototype, TÙ1tOÇ) par ses différents symboles divins» ".
Dans les chapitres VI et VII de la Mystagogie (col. 684 ss.)
Saint Maxime le Confesseur élargit son interprétation spirituelle
aux Saintes Ecritures; mais sur cette interprétation nous n'insi-
stons pas.
Prenant toujours l'homme comme terme de comparaison,
Saint Maxime affirme que l'univers (le cosmos) tout entier,
formé de choses visibles et de choses invisibles, peut être com-
paré à l'homme, ainsi que l'homme, constitué de corps et d'âme,
peut être appelé un cosmos; et comme dans l'homme l'âme im·
mortelle demeure dans le corps périssable, pareillement il existe
un cosmos intelligible (spirituel), vu avec les yeux de l'intelligence,

12 c. V, col. 672 D - 684 A.


EGLISE ET LITURGIE D'APRÈS S. MAXIME 73

dans le cosmos sensible (perceptible avec les yeux corporels).


Lorsque la fin du monde, que nous espérons, viendra, le monde
des choses visibles périra, comme le corps de l'homme, et res-
suscitera sous la forme d'un monde nouveau, régénéré du monde
vieilli; le corps ne disparaîtra pas dans le néant, mais deviendra
pareil à l'âme (c'est-à-dire spirituel). La spiritualisation, la puri-
fication et la sanctification progressives de l'âme s'effectuent
par l'intégration de l'homme dans l'Ecc/esia et par sa participa·
tion à la liturgie officiée dans l'église visible, le lieu d'assemblée
et de prière des fidèles. C'est de là que découle le devoir du vrai
chrétien à fréquenter la sainte église de Dieu, et à ne jamais
s'écarter de la sainte synaxe, qui s'accomplit en elle. Et cela tout
d'abord à cause des saints anges qui y sont présents et notent
chaque fois ceux qui entrent et se présentent à Dieu, en faisant
pour eux des supplications; ensuite, à cause de la grâce du
Saint-Esprit, grâce toujours invisiblement présente, surtout d'une
manière spéciale pendant le temps de la sainte synaxe; c'est à
cette grâce de changer et transformer chacun de ceux qui s'y
trouvent, « le modelant vraiment selon ce qu'il y a de plus divin
en lui, et le conduisant vers ce qui est préfiguré par les mystères
qui s'accomplissent ... » 13.

* * *

Comme on le voit, selon Saint Maxhne, l'unité avec Dieu


et la démarche vers Lui sont les deux coordonnées de toute la
réali té créée. Il existe une unité primordiale du monde et de
l'homme, mais cette unité se développe comme un mouvement
vers Dieu et s'accomplit comme unité en Lui. Elle est le résultat
de l'action de Dieu et de l'action de l'Eglise dans le monde; c'est
cette action coordonnée qui promeut la communion des fidèles.
Dans l'Eglise et par elle se manifeste la présence efficiente de
Dieu dans le monde; c'est en elle que s'exerce Sa force unificatrice
et le mouvement du monde vers Lui. Elle a reçu de Dieu la mission
de pénétrer dans le monde entier et de le conduire à une plus
étroite union avec Dieu, laquelle représente en fait la restauration

13 c. XXIV, col. 701 D - 704 A.


74 ENE BRANISTE

de l'union primordiale affaiblie par le péché. L'Eglise est dans


le monde et le monde est dans l'EglIse, en partie comme réalité,
en partie comme possibilité ou force dynamique, transformatrice.
La grâce divine et la liberté de l'homme sont « les deux ailes"
qui coopèrent par une véritable symbiose-synurgie et qui élèvent
l'humain jusqu'à la SÉwmç; xCl"'t'à Xcfp~\I, c'est-à-dire la divinisatIon
par la grâce ". Car l'Eglise n'est pas une réalité statique, elle
est une réalité dynamique; même dans son sens de lieu de culte,
elle porte en elle-même l'idée et la force de croissance qui pousse
vers l'unité, transformant la nef (l'espace des fidèles) en lEP"'Tdov
(l'espace du clergé) en devenir, car c'est d'ici que va commencer
l'acte de sanctification.
L'église visible reproduit la division binaire ou bipartite de
l'univers et de l'Ecriture: la nef, orientée vers le sanctuaire, est
l'image du monde visible, qui reflète le monde invisible, et en
même temps est l'image du corps humain qui exprime l'âme;
dans l'Ecriture, la nef est l'image de l'Ancien Testament,
parachevé dans le Nouveau. « Il y a chez Saint Maxime un entier
réseau de relations entre la création, l'Ecriture, l'homme et
l'Eglise dans laquelle la liturgie est officiée. Par leur apparence vi-
sible, ces quatre éléments convergent vers un mystère invisible}) 1",
La Liturgie (le culte de l'Eglise) n'est que le mouvement d'éléva-
tion de l'Eglise vers Dieu et la marche vers l'accomplissement de
son unité avec Lui. C'est pour cela que l'Eglise ne peut être conçue
ni comprise sans Liturgie; mais la Liturgie non plus ne peut
être conçue sans son cadre spatial et cornmunautaire, c'est-à-dire
l'église visible dans laquelle elle s'accomplit. Par suite, l'Eglise
est comprise dans la Liturgie et la Liturgie dans l'Eglise. Voici
brièvement exprimée l'étroite dépendance qui existe entre l'Eglise
et la Liturgie: «L'Eglise terrestre, mue par les hiérarchies
descendantes, se manifeste ici-bas comme l'image ou icône de
l'Eglise céleste officiant sans voiles. Superposées l'une à l'autre
comme la réalité idéale et son pur reflet, elles figurent le Cosmos
composé d'invisibilia et de visibilia. Ainsi le monde créé forme
une échelle des créatures où passe et se transmet, de haut en
bas, l'influx vital des énergies sanctifiantes» Saint Maxime
16,

14 Mme LoT-BoRODlNE, Introduction à la traduction française de la M}'stag(JgÎe,


dans « Irénikon », t. XIII (1936), nr. 4, p. 468.
15 R. BORNERT, op. cit., p. 95.
Mme LOT-BORODINE, op. cil. supra, p. 467. _
16 Cp. Enne BRANTSTE, up. cit.
à la note 21, p. 11-13.
EGLISE ET LITURGIE D'APRÈS S. MAXIME 75

donne à l'Eglise une interprétation universelle, coslnique, et en


même temps eschatologique. Le destin positif de l'humanité ne
peut se réaliser intégralement en dehors de la Liturgie; dans ce
sens, le monde entier est destiné à constituer une Liturgie - « la
liturgie cosmique» - et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas
s'intégrer en elle compromettent la réalisation intégrale de leur
destinée.
La Liturgie découvre ainsi le sens eschatologique du monde
entier et pousse la marche de l'histoire universelle vers sa fin
en Dieu; maintenant, chez les fidèles, elle éveille la conscience
de cette tendance. Les trois catégories de membres de l'Eglise,
telles qu'elles sont divisées par Saint Maxime conformément à
la division que nous trouvons également chez Origène et chez
Evagre: les fidèles simples (al meITol), les pratiquants de vertus
(al ,"pa"""xol) et les contemplatifs (al BEWp"l)~"'Ol) ou gnostiques
(al yvwcrnxal) 11, sont toutes entraînées dans ce mouvement vers
Dieu. Mais au bout du chemin les hommes ne trouvent pas
tous Dieu, parce qu'ils n'ont pas tous eu la conscience de la
direction de ce chemin et ne seront pas préparés à leur rencontre
avec Dieu 18. C'est pour cela que dans la Liturgie «la descente
de l'évêque de son trône et le renvoi des catéchumènes indique
en général la parousie du ciel de notre grand Dieu et Sauveur
Jésus Christ et la séparation des pécheurs d'avec les saints» ".
Avec le chap. VIII de sa Mystagogie Saint Maxime com-
mence l'interprétation symbolique et mystique de la liturgie
de son temps; il développe l'idée de la transformation progressive
de l'âme par l'influence purificatrice, sanctifiante et déifiante
exercée sur elle par l'office de la divine synaxe. Nous n'avons
pas le temps nécessaire pour présenter ici cette interprétation
tout entière. Nous rappelons seulement son idée fondamentale:
le culte sacramentel de l'Eglise est le symbole efficace de la
liturgie transcendante, universelle, cosmique ;on. L'initiation au
mystère liturgique est opérée par la contemplation (BEWploc),
c'est-à-dire par l'effort permanent de la pensée et du coeur

17 Mystagogie, c. XXIV, col. 708.


lB Prof. Pro D. STANlLOAE, Introduction à la traduction grecque moderne, citée
à la note 4, p. 74 ss.
19 C. XXIV, col. 708 B. - Cp. la traduction française de Mme LOT-BoRODINE, dans
~ Irénikon », t. XV (1938), nr. 3, p. 278.
20 Hans Urs VON BALTHASAR, Liturgie cosmique. Maxime le Confesseur, trad.
de l'allemand par L. LHAUMET et H.-A. PREKTour, Paris 1947, p. 246.
76 ENE BRANISTE

vers la découverte du sens spirituel de l'Eglise et de la liturgie


et vers la pénétration du symbolisme des rites.

* * *

On sait bien que Saint Maxime le Confesseur est l'un des


plus subtils théoriciens orien taux en ce qui concerne la direction
de la mystique liturgique, cultuelle ou christocentrique; il voit
la possibilité de l'union plénière (~'1W("ç) avec Dieu - limite
suprême de la vie spirituelle que l'on peut atteindre dans les
conditions de la vie terrestre - par la voie de notre intégration
dans l'Eglise et par la participation aux saints mystères. A cet
égard, il suit les traces de son grand prédécesseur Pseudo-Denys
l'Aréopagite, qui est le premier à exposer une telle vision ecclé-
siale du monde et de l'homme, dans son ouvrage Sur la hiérarchie
ecclésiastique, et le système de la mystique liturgique, que
portera plus tard à la perfection le grand théologien de Thessalo-
nique Nicolas Cabasilas (XIV' s.)", surtout dans son célèbre
ouvrage Sur la vie en Jésus Christ ". C'est le mérite de ces grands
théologiens et particulièrement de Saint Maxime d'avoir ramené
la mystique à la source du mystère du Christ; car celui-ci est
« la suprême synthèse entre Dieu et le monde» et c'est lui seul
qui « a pu combler l'abime infini entre Dieu et l'être créé, sans
mélanger les natures}) ~_1. Saint Maxime impose ainsi le sceau
liturgique aux traditions ascétique et mystique, venues de la
solitude du désert. Il propose tant aux religieux, comme aussi
aux laïques, le culte extérieur de la liturgie comme fondement
valable de l'ascension mystiquc. «La Mystagogie réalise ainsi
la synthèse entre l'hésichasme évagrien et le sacramentalisme
dyonisien » 21.
Certaines idées de la Mystagogie sont également développées,
ou au moins ébauchées, dans d·autres écrits de Saint Maxime,
par exemple dans les Réponses à Talassius et dans les Ambigua ";
mais c'est dans la Mystagogie qu'elles apparaissent systématique-

21 Ene BRANISTE, L'explication de la Sainte Liturgie selon NicJlas Cabasilas


(en roumain), Bucarest 1943, p. 115 55.
22 P.G., t. CL, col. 493-726. - Traduction française par S. BROl;SSALEl;X, Nicolas
Cabasilas, La vie en Jésus-Christ, Prieuré d'Amay-sur-Meuse 1933.
23 Hans Urs VON BALTHASAR, Liltirgie cosmique, p. 25, 28.
2~ P. BORNERT, op. cit., p. 85-86.
25 P.G., t. XC, col. 243-786: t. XCI, coL 1031-1060.
EGLISE ET LITURGIE D'APRÈS S. MAXIME 77

ment réunies, comme dans une sorte de préface ou introduction


à l'édifice entier de sa conception sur le monde et l'Eglise. Son
point de départ est l'église visible, Saint Maxime ayant en vue
les églises orientales bâties après Justinien (= le style byzantin),
dans lesquelles se voit clairement la séparation de l'espace inté-
rieur en sanctuaire (tEpOCTELOV) et nef (v<xbç), qui mette en relief la
distinction entre le clergé et le peuple (les fidèles laïques) ". Dans
son double aspect, c.à.d. comme lieu de culte et comme commu-
nauté des fidèles, l'église est le lieu ou le milieu dans lequel
Dieu descend pour rencontrer l'homme et où, en même temps,
l'homme, par son effort personnel et par l'aide de la grâce
divine, s'élève pour trouver Dieu. Présence de Dieu parmi les
hommes, continuation de la création, prolongement de l'incar-
nation, réalité annoncée par l'Ecriture, l'Eglise résume ainsi les
différentes phases de l'histoire du salut ". Elle est soumise à la
loi universelle: son aspect visible est destiné à disparaître
à la fin du monde, et le culte temporel officié dans elle (la liturgie)
sera absorbé par le culte éternel et spirituel (la liturgie céleste)
après la fin des siècles.
Parmi ses devanciers, Saint Maxime fait particulièrement
usage d'Evagre le Pantique ", d'Origène et du Pseuda'Denys
l'Aréopagite. A ce dernier Saint Maxime se rapporte deux fois
dans la Mystagogie" et une fois expressément à l'ouvrage « Sur
la hiérarchie ecclésiastique ». Cette influence ressort non seule-
ment du courant d'idées, mais aussi de la forme littéraire, où
l'on observe des emprunts de termes et d'expressions communes.
La manière dont Saint Maxime décrit la perfection spirituelle à
laquelle était arrivé le « vieillard» duquel il prétend avoir reçu
la gnose de la Mystagogie liturgique, laisse ressentir le processus
dyonisien - gnoséologique et en même temps de divinisation -

26 Hans Urs vox BALTHASAR, Kosmische Liturgie, II~ éd., p. 363·364.


27 Cf. R. BORNERT, op. cil., p. 21.
28 L'influence de celui-ci est visible surtout dans les Capita de caritate.
Voir M. VILLER, .4ux sources de la spiritualité de Saint Maxime. Les oeuvres
d'Evagre le POl1tique, dans «Revue d'Ascétique et de Mystique », XI (1930), p.
156-184, 239-268, 331-336. Cp. aussi H.-I. D.-\LMAIS, L'héritage évagrien dans la
synthèse de Saint Maxime le Confesseur, dans "Studia Patristica n, vol. VIII,
Berlin 1966, p. 356-362.
29 Mystagogie, Introd. et C. XXIII, XXIV, col. 660-661, 701 C. - Voir aussi
W. VOLKER, Der Einfluss des Pseudo-Dionysius Areopagita aui Maximus Con-
fessor, dans "Studien zum Neuen Testament und zur Patristik n, 1961 (Fests-
chrift E. Klostermann, Texte und Untersuchungen, 77), p. 331-350.
78 ENE BRANISTE

de la purification et de J'illumination dont le résultat final est


l'union avec Dieu.
De même, la représentation de la création universelle comme
un vaste cercle dont le centre est Dieu lui-même. Cette « vision
fascinante du monde ", avec son rythme sacré et liturgique, de
même que l'existence entière envisagée comme acte liturgique,
comme adoration, culte solennel, « danse sacrée» - et qui
constitue "la couche la plus profonde de la pensée du Con-
fesseur ,,' - , c'est une idée du Pseudo-Denys. D'ailleurs, le
thème du monde en tant qu'église (temple) était un lieu commun
dans la philosophie hellénique, repris par les écrivains chrétiens:
« L'univers entier est un temple de Dieu », disait par exemple
Origène JI,
Pareillement, J'idée de J'esprit comme figure de J'Eglise se
retrouve chez Origène, chez Méthode d'Olympie'" et chez d'autres
encore.
Tous ces emprunts d'idées, de termes et d'expressions por-
tent cependant J'empreinte du génie personnel de Saint Maxime
et ne nuisent nullement à J'originalité de son oeuvre. "Il est
indéniable qu'il a puisé largement dans Evagre et dans Denys;
mais sa conception aristotélicienne de la nature et du mouve-
ment, sa doctrine christologique de la distinction des natures
lui fournissaient le moyen de construire à partir de ces éléments
d'emprunt une synthèse neuve et personnelle» ll.
Etant la première interprétation mystagogique de la liturgie
byzantine, la Mystagogie a contribué à l'inauguration de ce genre
littéraire dans la littérature religieuse de Byzance et a diffusé
une manière de comprendre et de vivre la liturgie qui, dans ses
grandes lignes, deviendra traditionnelle ".
Son influence a atteint aussi l'Occident par la traduction
en latin d'extraits faite par Anastase le Bibliothécaire à la fin
du IX' siècle et envoyée à Charles II le Chauve et, plus tard
(XVI' et XVII' ss.), par l'édition du texte original et par la

30Hans Urs VON BALTHASAR, Liturgie cosmique, p. 14, 16.


31 Contra Celsum, 7, 44, dans ({ Griechischen christlichen Schriftsteller 1>,
II, 195.
32 Le Banquet, III, 3, P.G., t. XVIII, col. 73 D.
33 Hans Urs VON BALTHASAR, Liturgie cosmique, }J. 33.
34 R. RORNERT, op. cit., p. 123-124. _ Voir aussi H.-I. DALMAIS, Place de la My-
stagogie de Saint Maxime le Confesseur dans la théologie liturgique byzantine,
dans « Studia Patristica", V, Berlin 1962, }J. 277-283.
EGLISE ET LITURGIE D'APRÈS S. MAXIME 79

traduction intégrale, en latin, De nos jours elle jouit d'une grande


attention de la part des théologiens occidentaux, comme il ressort
clairement de nombreuses traductions" et études, dont quelques-
unes déjà citées dans la conférence présente",
Expression de la mentalité théologique et liturgique de
l'Eglise byzantine, la Mystagogie est, par conséquent, l'une des
nombreuses oeuvres célèbres de la théologie patristique qui ont
véhiculé en Occident des idées théologiques grecques et byzan-
tines, des courants de pensée, des valeurs et des expériences de
la vie spirituelle orientale, facilitant par là le rapprochement,
la connaissance réciproque et la compréhension entre l'Orient
et l'Occident,
Ene BRANISTE

35 Voir note 4.
38 Voir note 5. - Voir aussi: H.-I. DALMAIS, L'anthropologie spirituelle de
Saint Maxime le Confesseur, dans « Recherches et Débats », 36 (1961), p. 202-211;
IDEM, Le mystère liturgique et la déification dans la « Mystagogie» de St. Maxime
le Confesseur, dans «Epektasis ». Mélanges patristiques offerts au cardinal Jean
Daniélou, Paris 1972, p. 55-62; IDEM, Théologie de l'Eglise et mystère liturgique
dans la Mystagogie de St. Maxime le Confesseur, Paris 1973; Hans Urs VON BAL-
THASAR, Die «Gnostische Centurien» des Maximus Confessor, Freiburg im Br.
1941; L. THUNBERG, Microcosmos and Mediator. The Theological Antrop.Jlogie of
Maximus the Confessor, Lund 1965; MAXIME LE CONFESSEUR, Le Mystère du salut.
Textes traduits et présentés par A. ARGYRION, Introd. par H.-I. DALMAIS, Coll.
« Les écrits des saints », Namur 1964.
L'ÉGLISE, ÉPOUSE DU CHRIST

(Éph 5; Apoc 19 et 21)

Pour cette 26" semaine d'Etudes Liturgiques, consacrée au


thème de l'Eglise dans la liturgie, la figure de l'Eglise comme
épouse ou comme mère a retenu l'attention de plusieurs confé-
renciers. Il s'agit d'une conception familière aux Pères de l'Eglise,
mais, avouons-le, bien passée de mode. Autour de nous, qui parle
encore de Notre Mère la Sainte Eglise? Le mode d'approche
historique, et plus encore sociologique, s'impose à l'attention:
on considère l'Eglise comme une société entre les autres, régie
par des lois analogues à celles de toute communauté religieuse,
tiraillée par des courants opposés. Ce qui intéresse les chercheurs,
et plus encore les journalistes, c'est le jeu difficile de l'autorité
face aux contre-courants qui affirment de plus en plus leur
autonomie. Que reste-t-il du prestige sacral qui entourait l'institu-
tion de l'Eglise? Sans nier le moins du monde que le journaliste
et le sociologue aient eux aussi leur mot à dire, il convient sans
doute de revenir aux sources, dans un esprit de foi, et de nous
demander quelle vision de l'Eglise nous offre le Nouveau Testa-
ment.
La Bible ne nous donne ni une définition de ce qu'est l'Eglise
ni une Loi fondamentale; elle se borne à évoquer le mystère
de l'Eglise sous forme d'images variées. A la suite du Concile
Vatican II (Lumen Gentium, ch. I, n. 6 et 7), rappelons-en quel-
ques-unes: unique troupeau du Christ, champ de Dieu, construc-
tion bâtie sur le fondement des apôtres et prophètes, temple
saint habité par l'Esprit de Dieu, Corps du Christ, Epouse de
82 ÉDOVARD COTHENET

l'Agneau ... La multiplicité même de ces inlages nous avertit


qu'aucune institution humaine ne peut pleinenlent exprimer la
réalité de l'Eglise. Il faut multiplier les prises de vue et ne
jamais en isoler une des autres. A Ile parler que de peuple de
Dieu, on risque d'oublier que le Christ lui-même fait grandir
son Corps; à développer trop exclusivement le thème du Corps
mystique, on pourrait perdre de vue que l'Eglise est composée
de membres pécheurs. L'image de l'Epouse apporte une note de
responsabilité personnelle et de tendresse, bousculant la con-
ception trop juridique ou fonctionnelle de l'Eglise '. Image
importante donc à développer de nos jours où la vision socio-
logique prend le dessus, mais difficile à expliquer, car la modi-
fication si importante du statut de la femme dans la société
donne lm air vieillot, souvent même inacceptable pour des jeunes,
aux textes relatifs à l'Eglise-Epouse. Quels sont aujourd'hui les
fiancés qui choisissent pour leur messe de mariage le texte
d'Ephes. 5 sur lequel nous allons réfléchir: «Femmes, soyez
soumises à vos maris, comme l'Eglise est soumise au Christ»?
(traduction de la TOB). Une sérieuse herméneutique s'impose,
si l'on veut que le texte soit reçu!
Un traitement complet du sujet exigerait au préalable une
enquête sur la symbolique du mariage dans l'Ancien Testament '.
Osée en est l'initiateur, dans les circonstances dramatiques que
l'on sait: «Va, prends une femme se livrant à la prostitution
et des enfants de prostitution, car le pays ne fait que se prosti-
tuer en se détournant du Seigneur» (Os 1,2). Si Jérémie fait
retour sur la ferveur printanière des fiançailles (II, 2), il n'en
dénonce pas moins les infidélités des deux soeurs, Israël l'Apo-
stasie et Juda la Perfide (III, 6-10). Ezéchiel reprend l'accusation
avec plus de véhémence encore et nous aurons à relire quelques

l Relevons ces réflexions de G. DEJAIFVE: «Jusqu'à ces dernières années l'ee-


clésiologie ne s'est guère distinguée de la christologie ... L'insistance même
sur l'expression "Corps du Christ" a contribué à cette équivoque: interprété
trop souvent dans un sens quasi biologique », elle fait voir en l'Eglise «comme
un prolongement organique du Christ, sans révéler suffisamment sa distinc-
tion d'avec lui et son caractère personnel ~) (Nouv. Rev. Théol. 97 [1965], p. 961·
963, cité par A. FEL"ILLF.T, Le Christ Sagesse de Dieu [Etudes Bibliques], Paris
1966, p. 220). Depuis le Concile, l'attention est polarisée sur la diversité de
fonctions dans l'Eglise conçue comme peuple de Dieu. Il importe de ne pas
perdre de vue l'unité de ce peuple!
2 Bonne vue d'ensemble dans P. GRELOT, Le couple humain selon l'Ecriture
(Lectia divina nO 31), Palis 1%2.
L'ÉGLISE, ÉPOliSE DU CHRfST 83

versets de ce chap. XVI où il oppose avec tant de verdeur la


bonté de Dieu à la débauche de l'enfant trouvée. Au temps de
l'exil l'annonce du pardon de l'infidèle, déjà présente chez Osée,
l'emporte définitivement. Dans la 2de et la 3e partie d'Isaïe, la
promesse du retour en Palestine et celle des temps eschatologiques
se mêlent sous le symbolisme du retour en grâce de l'infidèle.
Les enfants de l'épouse délaissée seront plus nombreux que ceux
de l'épousée (ls UV), et Jérusalem personnifiée COmme une
mère se réjouira à la vue de fils innombrables (ls LX, 4). Dans
ces visions d'avenir, le rôle du Messie n'apparaît pas distincte-
ment. Il faudra attendre le Nouveau Testament pour que le
Messie se manifeste comme l'Epoux.
Nous n'avons pas l'intention de dresser l'inventaire complet
des textes du Nouveau Testament où le symbolisme du mariage
exprime la joie de la rencontre du Messie avec son peuple.
Evoquons seulement la figure de Jean Baptiste dans son rôle
d'ami de l'époux (shoshbîn): "Celui qui a l'épouse est l'époux;
quant à l'ami de l'époux, il sc tient là, il l'écoute; et la voix de
l'époux le comble de joie. Telle est ma joie, elle est parfaite»
(Jn III, 29)'. Comment pourrait-on jeûner en cette période où
les invités participent à la joie des noces (Mc II, 19 et Il)? Mais
tous sont-ils prêts à répondre à l'appel? C'est le thème de para-
boles, sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir à propos
de l'Apocalypse.
Ces quelques indications, glanées dans les Synoptiques et
le IV' Evangile, nous permettent déjà de dire que l'application
messianique du thème nuptial appartient à la catéchèse com-
mune. S. Paul d'ailleurs pourra se contenter d'une brève allusion
dans la 2de aux Corinthiens: "Je vous ai fiancés à un époux
unique, pour vous présenter au Christ, comme une vierge pure ... })
(XI, 2). Il faut attendre pourtant l'épître aux Ephésiens et l'Apo-
calypse pour une présentation détaillée du thème. C'est donc
à ces deux textes que nous nous attacherons, avec le souci de
bien marquer leur enracinement dans l'Ancien Testament et de
déterminer la raison d'être du symbolisme. Ce sera une invitation
à en rechercher la portée pour aujourd'hui.

3 M.-E. BOISMARD, «L'ami de l'époux» (In III, 29), dans A la rencontre de


Dieu (Mémorial A. Gelin), Le Puy·Lyon 1961, p. 289·295.
84 ÉDOUARD COTI-IENET

1 - LE PRIX DE L'AMOUR CONJUGAL (Eph V, 21-33)'

Avec l'épître aux Colossiens, l'épître aux Ephésiens se pro-


pose d'illustrer l'absolue primauté du Christ, dans l'ordre cosmi-
que comme dans la destinée humaine. Mais tandis que Col
s'attache davantage à la personne même du Christ, Premier-né
de toute créature et Premier-né d'entre les morts, Eph fait
davantage l'application de la doctrine à l'Eglise, présentée comme
le Plérôme de Celui que Dieu remplit lui-même totalement
(Eph l, 23). Aux élucubrations de faux docteurs qui rêvent d'une
relation entre ciel et terre par l'entremise de Puissances et de
Principautés, Eph oppose la vision du Christ comme récapitula-
teur universel. Le mystère de la volonté divine consiste à « réunir
l'univers entier sous un seul chef, le Christ» (anakephalaiôsasthai
ta panta en tà Christô) (l, 10). Les perspectives cosmiques ne
reçoivent pas le même relief que dans le texte parallèle de Col,
par contre le rôle de l'Eglise est mieux mis en relief. C'est par
l'Eglise que se révèle la sagesse multiforme de Dieu (III, 10) et
c'est en elle que monte la gloire vers le Père (III, 21). Un point
préoccupe particulièrement l'auteur d'Eph, celui de la réconci-
liation entre les deux peuples rivaux, les Juifs et les Gentils.
A ceux qui jusqu'ici se voyaient exclus des promesses, l'appel au
salut a été lancé; dressée comme un mur de séparation, la Loi
est tombée au moment où le Christ a versé son sang sur la croix.
Ainsi donc le Christ « a voulu, à partir du Juif et du païen, créer
en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les
réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen
de la croix» (II, 16).

4 Outre les commcntaiœs, nous avons utilisé principalement les études sui-
vantes: J,A. ROBTLLIARD, «Le symbolisme du mariage selon S. Paul », RSPT 21
(1932), p. 242-247; - P. ANDRIESSEN, «La nouvelle Eve, corps du nouvel Adam",
dans Aux origines de l'Eglise (Rech. Bibl. VII), DDB 1965, p. 87·109: - J. CAMBIER,
« Le grand mystère concernant le Christ et son Eglise. Ephésiens 5,22·33 », dans
Bibl. 47 (1966), p. 43-90; 223-242; - J.P. S.-\MPLEY, And the two shall become one
Flesh (Soc. for New Test. Studies, Monograph Series n. 16), Cambridge 1971.
Nous n'avons pas à traiter ici de l'auteur d'Eph. Qu'il s'agisse d'un secré-
taire écrivant sur les instructions de l'Apôtre ou d'un disciple soucieux de
conserver l'héritage paulinien, l'arrière-plan paulinien est indéniable. Nous nous
efforcerons d'ailleurs d'expliquer avant tout Eph 5,21 sv d'après le contexte
général d'Ephésiens.
L'ÉGLISE, ÉPOUSE DU CHRIST 85

Le thème de l'unité est donc central dans l'épître aux


Ephésiens. Il se retrouve dans le développement sur l'amour du
Christ pour son épouse que nous devons commenter:
ii Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise et

s'est livré pour elle; il a voulu ainsi la rendre sainte en la purifiant


avec l'eau qui lave et cela par la Parole; il a voulu se la présenter à
lui-même splendide, sans tache ni ride, ni aucun défaut; il a voulu
son Eglise sainte et irréprochable» (Eph V, 25-27. Traduction de
la TOB).

Ce passage est inséré dans la Table des devoirs domestiques


(Haustafeln), qui envisage tour à tour les relations entre époux,
entre enfants et parents, esclaves et maîtres. Avec la TOB, il
est important de faire débuter cet ensemble par l'invitation à
la soumission mutuelle « Vous qui craignez le Christ, soumettez"
vous les uns aux autres» (V, 21) 5. La relation marquée par le
verbe hypotassein que, faute de mieux, nous traduisons par
« soumettre)} ne s'exerce pas à sens unique dans la communauté
chrétienne. S'il y a un ordre voulu par Dieu dans les relations
familiales et sociales, il ne se confond pas avec un ordre pure-
ment légal. Membres du Corps du Christ (V, 30), nous constituons
tous une même communauté et de ce fait nous devons chercher
à en maintenir la cohésion par « le lien de la charité» (Col III, 14).
Pour un lecteur moderne, le passage est choquant parce
qu'il ne prévoit pas une véritable égalité entre l'homme et la
femme. Si le mari est invité à aimer son épouse, celle-ci doit
respecter son mari '. La traduction habituelle de Eph V, 22 durcit
encore le texte: « Femmes, soyez soumises à vos maris, comme

5 L'édition V.B.S. (The Greek New Testament) adopte une autre coupure,
faisant de ces mots la fin de la section précédente (marcher comme des enfants
de lumière, V, 6 à 21). L'inclusion entre en phobô Christau (v. 21) et hina pho-
bètai ton andra (v. 33) constitue un argument très fort pour la coupure adoptée
par la TOB.
6 W. SCHRAGE a mis en valeur la différence d'optique entre la morale familiale
païenne et la morale chrétienne (Ztlr Ethik der neutestamentlichen Haustafell1,
dans NTS 21 [1974/75J, p. 1-22, spécialement p. 125.). Au couple commander
(krateiH) - se soumettre (hypotassein) de la morale traditionnelle, s'appose le
couple aimer (agapall) . se soumettre. Qu'il soit demandé au mari d'aimer et
non de commander transforme du dedans le contenu des relations entre époux!
Pour être équitable dans la comparaison, il faut lire jusqu'au bout la citation
de Plutarque faite par W. Schrage: le mari doit exercer l'autorité comme l'âme
du corps, partageant les mêmes sentiments ct lié par la bienveillance. (Praecepta
Conjugalia nO 23, dans Scripta MoraUa, éd. Firmin Didot, t. L p. 163-173).
86 ÉDOUARD COTHENET

au Seigneur» CTOB). Cette interprétation est illogique: si au


v. 21 le participe hypotassomel1oi est considéré conlille un moyen
et est traduit légitimement par « soumettez-VOllS les uns aux
autres », aux vv. 22 et 24 il faut garder la même nuance: Femmes,
soumettez-vous, comme l'Eglise se soumet au Christ. Il ne
s'agit donc pas d'une soumission subie comme une humiliation,
mais de l'effort généreux et aimant pour construire son foyer,
comme l'Eglise par son attachement au Christ cherche à mani-
fester toutes les richesses de Sa grâce.
Cet effort de précision dans la traduction ne suffit pas à
éliminer toute difficulté. Paul lui-même le reconnaît, quand il
présente le Christ comme " Sauveur de son corps» CV, 23). Il
est bien évident qu'aucun époux ne peut être sauveur de sa
femme, comme le Christ l'est de l'Eglise. Ce que Paul veut
mettre en relief, c'est la nature véritable de l'amour chrétien,
agapè qui se donne, et non erôs qui cherche la jouissance. Si
telle est la pointe du texte, il reste à chaque époque, à chaque
culture de déterminer le style à promouvoir dans la vie conjugale.
A l'intérieur de cette exhortation à l'unité et à la paix,
l'Apôtre introduit un couplet christologique qui a valeur par
lui-même et peut être compris sans référence plus précise à la vie
familiale. Tel est l'avis de J. Cambier dans un article auquel
nous devons beaucoup '. Il importe pourtant de remarquer que
la citation de la Genèse" C'est pourquoi l'homme quittera son
père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne seront
qu'une seule chair» n'est pas rattachée artificiellement au déve-
loppement christo logique. Si le Christ sauve son Corps, c'est
qu'il veut ne former avec l'Eglise qu'une seule chair. "C'est
pourquoi ce mystère est grand: je déclare qu'il concerne le
Christ et l'Eglise» Cv. 32).
Après avoir situé les vv. 25-2ï par rapport aux préoccupa-
tions de Paul dans l'épître aux Ephésiens et relativisé les préven-
tions contre le passage, il nous convient maintenant d'en analyser
de près les termes, pour mieux dégager l'enseignement sur
l'Eglise qu'il contient.

7 J. CAMIHER: "Le propos principal dc l'auteur a été ce que nous avons


appelé l'étage profond: la description de l'amour du Christ pour son Eglise"
(art. cit., p. 84).
L'ÉGLISE, ÉPOUSE DU CHRLST 87

Un amour qui se livre (v. 27)

Pour présenter le rôle du Christ par rapport à l'Eglise,


S. Paul utilise tour à tour les titres de Tête (képhalè), Sauveur
(Sâtèr) et l'image de l'Epoux. Selon la démonstration concluante
du Père Benoit', l'appellation de Tête apparaît d'abord dans les
épîtres de la Captivité pour exprimer la suprématie et l'autorité
du Christ sur les Puissances (Col II, 10). Le terme est étendu
ensuite pour marquer la domination du Christ sur l'Eglise:
" Dieu a tout mis sous ses pieds, et il l'a donné, au sommet de
tout, pour tête à l'Eglise qui est son corps" (Eph I, 22 s.). De ce
fait l'image se trouve combinée avec l'allégorie des membres du
corps, comme on la trouvait dans l Cor XII et Rm XII. Alors
que dans les grandes épîtres l'Eglise constituait tout le corps,
dans Eph et Col clle forme le tronc par opposition à la tête;
l'idée de complémentarité entre les membres reste à l'arrière·
plan, comme on le voit en Eph V, 30. A l'idée d'autorité qui est
primaire dans la métaphore de la tète, s'ajoute celle de l'influx
vital, la tête étant pour les médecins hellénistiques (Hippocrate
et Galène) la source de l'influx nerveux qui dirige tous les
membres.
Le titre de Sâtèr décerné au Christ caractérise les écrits plus
tardifs du Nouveau Testament, spécialement les Pastorales. On
s'accorde à y voir une réplique au culte impérial, qui présentait
l'empereur comme un Sauveur divin. En même temps recon~
naissons que, comme en beaucoup d'autres cas, application est
faite au Christ des attributs de Yahvé dans l'A. Testament. Ce
transfert est d'autant plus naturel ici que le Christ prend le rôle
de l'Epoux divin, dans l'établissement de l'alliance avec un peuple
indigne de tant de faveurs.
L'intervention du Christ est présentée comme le don de soi
le plus radical: heauton paredâken, et n'a d'autre motif que
l'amour: ègapèsen tèn ekklèsian. Les deux verbes sont à l'aoriste,
nous renvoyant à un moment du temps précis, celui de la mort
du Christ sur la croix (cf. Eph II, 14-16). L'emploi du verbe
paradidonai' caractérise les formules de foi les plus archaïques,

B P. BENOîT, «Corps, Tête et Plérôme dans les Epîtres de la Captivité », dans


RB 63 (1956), p. 5-44, reproduit dans Exégèse et Tlléalogie, t. II, p. 107-153 (spé-
cialement p. 128-135).
9 Entre autres, citons W. POPKES, Christus traditus. Eine Unter.mchung zum
Begriff der Dahil1gabe im NeueJl Testament (Zurich-Stuttgart 1967).
88 ÉDOUARD COTHENET

comme on le constate dans les annonces de la Passion chez les


Synoptiques (Le Fils de l'homme va être livré), le récit de la
Cène (1 Cor XI, 23: la nuit où il fut livré) et des formules reprises
par Paul (par ex. Rm IV, 25; Gal 1,4 avec le verbe simple didonai;
Tite II, 14). On reconnaît dans cette formulation l'influence d'Is
LIlI, 12; «C'est pourquoi je lui attribuerai des foules ... , parce
qu'il s'est livré lui-même à la mort" (Traduction de la B.J.; LXX:
7to:pE86~~ Et, ~&.VO:TO'l ~ '~ux.~ ,<inou). Selon les cas, c'est le Père
lui-même qui livre son Fils, ou le Fils qui se donne comme une
rançon pour la multitude (Mc X, 45).
Le mystère d'anéantissement sur la croix est mystère
d'amour, comme Paul l'a souligné avec une force spéciale lIJ.
Lui-même en a fait l'application à son propre cas: «Je vis, mais
ce n'est plus moi, c'est Christ qui ,oit en moi. Car ma vie présente
dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé
et s'est livré pour moi (agapèsantos me kai paradontos heauton
hyper emou) " (Gal II, 20). Ici, c'est toute l'Eglise qui est l'objet
de l'amour gratuit et rédempteur. Rien n'est dit sur un premier
élan de la fiancée vers son époux. Comme la suite du texte le
laisse deviner, la future épouse se trouve dans un triste état.
Comment ne pas rappeler ici le passage d'Osée: «Va encore, aime
une femme aimée par un autre et se livrant à l'adultère (agapèson
gunaika agapôsan ponèra): car tel est l'amour du Seigneur pour
les fils d'Israël (kathôs agapa ho theos tous huious Israèl) ... "
(Os III, 1). En guise de dot (mohar), Osée versera quinze sicles
d'argent et une mesure et demie d'orge; pour l'Eglise il ne peut
s'agir d'une dot en argent. Seul l'amour sauve, seul l'amour fait
circuler un influx vital qui peut transformer en épouse fidèle la
prostituée d'hier.
L'importance de l'amour ressort d'autant mieux qu'on tient
compte de toute l'épître. Ne veut-elle pas répondre à cette aspi-
ration vers l'unité qui caractérise le ll10nde de son temps? Sur
le plan politique, l'Empire prétendait bien réunir sous une même
autorité tous les peuples civilisés. Au plan philosophique, le
stoïcisme voyait dans le Pneuma divin la force de cohésion de
toutes les parties du monde et faisait un devoir à l'homme de
s'insérer par sa raison dans l'ordre universel. Vision grandiose,

10 K. ROM.\NIlJK, L'amour du Père el du Fils dans la sotériologie de S. Paul


(Analecta Biblica 15), Rome 1961, p. 28-95.
L'ÉGLISE, ÉPOl.lSr.: DU CHRIST 89

par certains côtés, mais conduisant à une dépersonnalisation,


dans la mesure où Dieu se confond avec l'ordre cosmique, et où
l'homme n'a pas d'autre espérance que de se perdre dans le
pneuma universel u. A l'unité dépersonnalisante du grand Tout (à
noter la répétition incessante de ta panla dans Eph) ", s'oppose
l'unité d'amour voulue par un Dieu personnel qui se communique
totalement à son Fils bien aimé (l, 6) et qui fait de l'agapè la
structure du monde racheté. S'il y a un seul Corps (IV, 4), c'est
qu'un amour sans limites suscite la dignité responsable de
l'Epouse qui sera capable de répondre par un amour de choix.
Trois propositions finales, en cascade, viennent exprimer
le but de l'amour rédempteur du Christ:
{( Le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle,
afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d'eau accom-
pagné de la parole,
afin de se présenter à lui-même l'Eglise comme glorieuse, n'ayant
ni tache, ni ride ni rien de semblable,
afin qu'elle soit sainte et immaculée ».

Les nombreuses surcharges de la phrase ne se prêtent pas,


dans une conférence, à un cOlnmentaire qui suive le mot à mot.
Nous regrouperons nos remarques sous trois thèmes:
la purification de toute l'Eglise par le baptême de la croix;
l'alliance conjugale du Christ avec son Eglise;
les conséquences qui en découlent.

La purification de toute l'Eglise


En évoquant la purification de l'Eglise par le bain d'eau
accompagné d'une parole, Paul évoque un rite très important
dans le monde grec, celui du bain nuptial ". L'usage se retrouve
certes chez de nombreux peuples, mais en Grèce il s'est chargé

11 Tel est le point de vue le plus habituel dans le Stoïcisme, bien qu'il y
ait des penseurs du Portique admettant une survie limitée dans le temps du
Pneuma personnel. Voir à ce sujet R. HOVEN, Stoïcisme et Stoïciens face au
problème de l'u.u-delà, Paris 1971.
12 La formule ta pan ta, comme refldant une préoccupation de l'ordre cosmi-
que, caractérise Ephésicns: 1,10;11 et 23; III,9: IV,6 (trois fois sans l'article), 10,15.
13 Outre l'art. de Robilliard (cité à la n. 4). voir l'étude fondamentale de R.
GINOUVÈS, Balaneutikè. Recherches sur le bain dans l'Antiquité grecque, Paris
1962, p. 121,265, 421 s. (citation de la p. 422).
90 ÉDOUARD COTHENET

d'un sens spécifique, comme en témoignent de nombreux vases


peints (loutrophores). Pour le bain de la fiancée, on n'utilisait
pas n'importe queUe eau, mais celle du fleuve protecteur de la
contrée ou de la fontaine sacrée, à Athènes par exemple la source
de Callirhoé. Le fiancé offrait, comme premier cadeau, le vase
spécial utilisé pour le grand jour. Tantôt un parent se chargeait
de puiser l'eau, tantôt la fiancée se rendait elle-même à la source.
Plus que d'un rite de toilette, il s'agissait à l'origine d'un rite de
fécondité. Puisée au fleuve, maître et père de la contrée, ou à la
fontaine dont dépend la vie de la cité, l'eau « donnera à l'épouse
le fertilité, en rendant moins dangereuse la transformation de la
vierge en femme» (R. Ginouvès).
Si l'eau du bain au v. 26 évoque un rite nuptial, elle se charge
pourtant d'un sens plus précis comme le prouve l'arrière-plan
scripturaire. Paul s'inspire en effet d'Ez XVI, l'allégorie de l'enfant
trouvée dont Yahvé fera son épouse 14, SaVaIllment construit, le
texte veut évoquer toutes les étapes de l'histoire d'Israël depuis
les origines jusqu'au châtiment imminent de l'exil. Ezéchiel com-
mence par rappeler les tristes origines de l'enfant Israël: "Par
tes origines et par ta naissance, tu es de la terre de Canaan; ton
père était l'Amorite et ta mère une Hittite» (v. 3). Abandonnée
au jour même de sa naissance, l'enfant n'a pas été lavée dans
l'eau pour être purifiée. Passant par là, Yahvé lui dit de vivre et
prend soin d'elle. Plus tard, - et l'allégorie vise ici le temps
de Moïse, - « en passant près de toi, je t'ai vue (cf Ex III, 7:
J'ai vu la misère de mon peuple); or tu étais à l'âge des amours.
J'ai étendu sur toi le pan de mon habit et couvert ta nudité; je
t'ai fait un serment et suis entré en alliance avec toi - oracle
du Seigneur Dieu. Alors tu fus à moi. Je t'ai lavée dans l'eau
(elousa se en hudati) , j'ai nettoyé le sang qui te couvrait, puis
je t'ai parfumée d'huile ». Suit la description de toutes les parures
que Yahvé octroie à son épouse: bijoux, bracelets, collier, vête-
ments de luxe, nourriture de choix. ({ Alors tu es devenue extrê~
mement belle. Tu es parvenue à la royauté. Alors le renom de ta
beauté s'est répandu parmi les nations ... ». A la multitude des
bienfaits ne correspond qu'ingcatitude la plus noire, car Israël
se fiant à sa beauté prodigue ses débauches à tout passant (v. 15).

14 R. BLOCH, «Ez XVI: exemple parfait du procédé midrashique dans la


Bible », dans Cahiers Sioniens 1955, p. 193-223; - P. BelS, «Ecriture et Prédica-
tion. Ezêchicl 16 », dans Etudes Théologiques et Religieuses 53 {1978), p. 502-507.
L'ÉGLISE, ÉPOUSE DU CHRIST 91

Ce que Yahvé a fait pour Israël, le Christ l'a accompli pour


son Eglise. Pas plus qu'Ezéchiel, Paul ne cache les tristes origi-
nes de l'épouse. Il suffit de relire Eph II pour s'en convaincre.
Comme dans Rm l, 18-III, 20, Paul évoque l'état lamentable de
l'humanité sans le Christ: plongés dans leurs péchés, les païens
suivaient le dieu de ce monde. Malgré la Loi, les Juifs accomplis-
saient les désirs de la chair, eux aussi par nature fils de la colère
(telcna physei orgès, Eph II, 3). Ce tableau très sombre forme
l'arrière-plan de l'exhortation aux baptisés de IV, 22: «Renon-
çant à votre existence passée, il faut vous dépouiller du vieil
homme qui se corrompt sous l'effet des convoitises trompeuses ...
et revêtir l'homme nouveau ». Ainsi de par ses origines, tant dans
le monde juif que dans le monde païen, l'Eglise ne vaut pas mieux
que l'enfant Israël et ne peut vivre que sous l'effet d'un Amour
rédempteur. Déjà les Pères de l'Eglise avaient rapproché Eph
V d'Ez XVI 15 •
Si l'eau du bain rappelle ce passage d'Ezéchiel, elle évoque
de manière plus précise le baptême, considéré ailleurs comme
le bain de la régénération (loutron paliggenésias, Tite III, 5). Ce
sont les deux seuls emplois du substantif loutron dans le Nouveau
Testament. Le verbe simple louâ évoque, au moins à l'arrière-plan,
le baptême en Jn XIII, 10 et Rb X, 22; le verbe composé apolouâ,
dans ses deux seuls emplois, désigne la purification baptismale
(Ac XXII, 16 et l Cor VI, Il). Le second de ces textes mérite d'être
rapproché d'Eph V, 26 à cause de l'association apolouein-
hagiazein: «Vous avez été lavés (apelousasthé), vous avez été
sanctifiés (hègiasthèté) , vous avez été justifiés au nom du Sei-
gneur Jésus Christ et par l'Esprit de notre Dieu".
En Eph V, 26, un complément exerce la sagacité des com-
mentateurs: en rhè111ati. Peu fréquent dans le corpus paulinien,
le mot rhèma désigne la Parole de Dieu en Eph VI, 17: «Recevez
enfin le casque du salut et le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la
Parole de Dieu ". Aussi J. Cambier comprend-il que le baptême
produit son effet grâce à la Parole de Dieu accueillie avec foi ".
Du point de vue théologique, une telle explication est bien sa-
tisfaisante, mais elle suppose une construction difficile, en rat-
tachant en rhèmati à Icatharisas par delà le membre de phrase

15 H. DE LUBAC, Catholicisme, p. 148·151.


19 J. CAl\1BIER, art. cit., p. 77.
92 ÉDOUARD COTHENET
---------------- -------------

tô loutrô tou hudatos. Mieux vaut maintenir la jonction de


rhèma avec le bain d'eau qui précède. La préposition en peut
n'avoir en effet qu'un sens faible, marquant l'accompagnement,
comme en Eph VI, 2 (entôlè prôtè en epaggelia, le premier com-
mandement accompagné d'une promesse). Se joignant au bain
d'eau, rhèma signifie que le rite produit son effet grâce à la
Parole. Il s'agit soit de la profession de foi du baptisé (cf Rm
X, 9-10; Ac VIII, 37, texte « occidental "), soit de l'invocation du
Nom divin (cf l Cor VI, 11).
Ces allusions au rite baptismal et à sun effet purificateur
ne doivent pas faire perdre de vue la pointe spécifique de notre
texte. C'est le seul passage du Nouveau Testament, où l'Eglise
tout entière est l'objet du bain nuptial, comme signe de purifica-
tion et de sanctification. L'observation prend tout sun sens si
l'on se rappelle les proclamations d'unité qui caractérisent Eph:
« Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême" (IV, 5). Au
cours des siècles, la formule a permis de reconnaître la validité
du baptême des hérétiques et de refuser la réitération du sacre-
ment; nous en savons l'importance pour le mouvement oecumé-
nique. Pourtant telle n'est pas la pointe exacte de notre texte.
Plutôt que de considérer la célébration individuelle du baptême,
Paul a en vue le baptême originaire que le Christ, sur la croix, a
accordé à son Eglise pour pouvoir l'épouser. Déjà en l Cor X, 2,
le baptême apparaissait comme le passage collectif à travers la
mer Rouge, faisant d'un peuple asservi aux puissances de ténè-
bres un peuple libre, transféré dans le royaume du Fils bien-aimé
(Col 1,13). Il est important, me semble-toi!, de retrouver celte
dimension profondément ecclésiale du baptême; l'agrégation à
l'Eglise n'est pas un effet secondaire, isolable de l'incorporation
au Christ. Pour Paul l'adhésion au Christ dans la foi, la confor-
mité par le rite baptismal à son mystère de mort et de résurrection
(Rm VI, 3-5) comportent par le fait même le revêtement du Christ
total, en qui il n'est plus de Juif ni de Grec, d'esclave ni d'homme
libre, d'homme ni de femme (Gal III, 28), car tous nous ne
sommes qu'un en Jésus Christ. Dans Eph, cette perspective com-
munautaire se trouve donc exprimée avec plus de force encore:
il y a comme une préexistence de l'Eglise sur les chrétiens qui
la composent. C'est pourquoi Hermas peut décrire l'Eglise com-
me une femme âgée, créée avant tout le reste: {( c'est pour elle
que le monde a été formé" (Vis. II, 4,1). Il y aurait lieu aussi de
L'ÉGLISE, ÉPOl/SE DV CHRJST 93

comparer l'enseignement d'Eph sur l'Eglise, lavée par l'amour


jailli de la croix, avec la vision de Jean qui évoque la présence
de la communauté fidèle, au pied de la croix, sous la figure de
Marie, la Femme par excellence, et qui montre comment les
sacrements jaillissent de la plaie du Coeur transpercé (Jn XIX,
25-37).

L'alliance conjugale du Christ avec son Eglise


Le but de ce bain purificateur est exprimé au v. 27 en des
termes qui semblent eux aussi faire allusion à l'un des rites
du mariage, la présentation de la fiancée au futur époux:
{{ Il a voulu se la présenter à lui-même, splendide, sans tache ni
ride, ni aucun défaut».

Dans le cérémonial juif des noces, le garçon d'honneur


(shoshbîn) jouait un rôle important; il lui incombait que tout se
passe selon les convenances. Evoquant l'histoire d'Eve, les com-
mentateurs juifs font tenir à Dieu le rôle du shoshbîn: Dieu a
paré Eve comme une mariée et l'a présentée ainsi à Adam 17. Dans
Eph le Christ cumule tous les rôles: non seulement il purifie la
future épousée, mais il se la présente comme un alter ego, capa-
ble de répondre dans la docilité de la foi et l'ouverture de coeur
à ses avances.
La sollicitude du Christ pour son Eglise est exprimée par
des termes qui évoquent les rapports conjugaux: «Jamais person-
ne n'a pris sa propre chair en aversion; au contraire, on la
nourrit, on l'entoure d'attention comme le Christ fait pour son
Eglise ». Que l'Eglise soit la propre chair du Christ (cf II Clem.
XIV, 2) ", c'est ce que prouvera la citation de Gen II, 24 faite au
v. 31. Les verbes ektrephein et thalpein évoquent les clauses

17 Selon certains rabbins, c'est Dieu lui-même qui a joué le rôle de garçon
d'honneur (shoshbîn); pour d'autres, il délégua Michel et Gabriel. Le verbe de
la Genèse banah (Dieu bâtit la côte en femme) évoquait les tresses (banyata),
aussi nous décrit-on la belle coiffure dont Dieu pare la jeune mariée, pour
qu'elle soit présentable (Voir STR.~CK·BILLERBECK, t. l, p. 503 5.; - L. GINSBERG, The
Legends of the Jews, 1909-1947, t. l, p. 58 et t. V, p. 20; . A.-M. DUBhRLE, ({ Paul
ct l'antiféminisme », dans RSPT 60 [1976J, p. 261·280, spécialement p. 276-280).
Paul s'est inspiré de ces traditions en l Cor XI, 2-10.
18 Sur ce texte, voir J. DANIÉLOL", Théologie du Judéo·christianisme, Desc1ée
1958, p. 326 sv. - Nous laissons de côté tous les développements que le gnosti-
cisme a brodés sur le thème de la syzv<Tie Christ-Eglise. Voir H. SCHLlER, Der
Brief an. die Eplœser, 5~ éd., Dusseldorf °1965, p. 264-276, et les mises au point
de J. GKILKA, Der Epheserbrief (Herder 1971), p. 290-294.
94 ÉDOUARD COTHENET

d'un contrat de mariage (thalpein kai trephein kai himatizein


autèn) 19. Peut-on donner à ces verbes une portée allégorique?
L'accent mis tout au long d'Eph sur la connaissance suggère
d'abord la nourriture spirituelle par la foi. Comme le dit Paul, il
s'agit «de connaître l'amour du Christ qui surpasse toute con-
naissance, afin d'être comblé jusqu'à recevoir toute la plénitude
de Dieu (Eph III, 19). A cause de la référence précédente au
baptême, les Pères de l'Eglise ont pensé que le verbe nourrir
visait l'Eucharistie. Prolongement légitime, mais semblant bien
dépasser la lettre du texte.
Le but de ces interventions du Christ en faveur de son
Eglise, c'est qu'elle soit glorieuse et sainte. Ce thème de la sainteté
reçoit un particulier relief, comme le marque la correspondance
entre la première proposition finale (pour la sanctifier) et la
troisième (pour qu'elle soit sainte et sans tache). Même si elle
est assurée par l'efficacité du don sans limite da la croix, la sainteté
ne se réalise pas dans l'Eglise d'un seul coup: il subsiste des
rides et des taches à supprimer! On pourrait définir les étapes
de la vie ecclésiale par l'expression « de la sainteté à la sainteté ".
de la sainteté principielle du baptême à la sainteté consommée
dans la rencontre céleste (cf Eph l, 4: «Il nous a choisis en lui
avant la fondation du monde pour que nous soyons saints et
irréprochables sous son regard, dans l'amour ,,). L'emploi de
l'adjectif amômos, sans tache, en finale de tout le développement,
pourrait faire allusion à l'exclamation de l'Epoux dans le Canti-
que: « Tu es toute-belle, Ina Bien-aimée, et sans tache aucune»
(IV, 7) 20. Quant à la gloire de l'Epouse (endoxos) , ce n'est que
le reflet de la gloire du ressuscité, l'achèvement de ce dynamisme
par lequel le Christ réordonne tout le cosmos à la louange du
Père et fait éclater dans tout l'univers les perfections divines.

Conséquence: la vie de l'Eglise, comme sownission aimante


Parce qu'elle est sponsa Christi, l'Eglise doit lui appartenir
tout entière, sans aucune compromission avec les êtres intermé·

19 PREISIGKE-KIESSLING, Worlerbuch deI" griechischen Papyrusurkunden, t. l,


p. 665.
211 M. CAMBE, «L'influence du Cantique des Cantiques sur le Nouveau Testa-
ment », dans Rev. Thom. 1962, p. 5-26, spécialement p. 22-24, qui fait remarquer
que Cant IV,? et Eph V,2? sont les seuls textes de la tradition conjugale à
affirmer par un terme quasi identique l'intégrité parfaite de l'Epouse.
________________~L~'~É~G~L~IS~E~,~É~PO~U~S~E~D~U~C=I~IR~IS=T~________.______~95

diaires, de quelque nom qu'on veuille les appeler (Autorité,


Pouvoir, Puissance ou Souveraineté, Eph l, 21). Au cours de
son histoire, l'Eglise l'a bien souvent oublié, en cherchant du
côté du pouvoir séculier un appui compromettant ou en calquant
son organisation sur celle des divisions administratives. Tout
doit être mis en oeuvre pour qu'apparaisse en pleine lumière
l'unique médiation du Christ.
Vis-à-vis du Christ, l'Eglise est invitée à se soumettre (v. 24),
comme une épouse le fait à son mari. Le verbe hypotassein ne
connote pas une dépendance humiliante, en de tels contextes:
le Fils ne se soumet-il pas lui aussi au Père (1 Cor XV, 28)? L'idée
d'ordre prédomine ": à chacun de trouver sa juste place! La
dépendance signifiée par le préfixe hypo- se vit donc dans l'ordre
de la fidélité et de la reconnaissance; nous sommes aux antipodes
de la dialectique hégelienne du maître et de l'esclave! Ce qui
est attendu de l'Eglise, -- et de tout chrétien --, c'est l'obéissance
de la foi (Rm l, 5: hypakoè pisteàs, cf XVI, 26; l Pt l, 2,14,22), qui
n'est pas une humiliation aveugle de la raison, mais l'ouverture
à un mystère d'amour qui exige en retour la vérité de l'engage-
ment humain: faire la vérité dans la charité (alètheuoHtes eH
agapè) selon la formule magnifique d'Eph IV, 15 (à comparer
à Jn III, 21).
Déjà Paul rappelait aux Corinthiens qu'il les avait fiancés
au Christ comme une vierge pure: il redoutait de les voir
succomber au charme du Tentateur, ainsi qu'il arriva à Eve
(II Cor XI, 2-3). Paul avait en vue la pureté de la foi, compromise
par les «super-apôtres» qui, en masquant la folie de la croix,
prêchaient pratiquement un autre Jésus (II Cor XI, 4). Pour les
Ephésiens, le danger est analogue. On comprend donc l'insistance
sur l'amour rédempteur du Christ d'une part et sur l'obéissance de
la foi d'autre part. A première lecture, le thème de l'Eglise Epouse
évoque une idée de tendresse et d'intimité; cette note n'est ce-
pendant pas prédominante. L'exigence de fidélité est première, et
pour Paul la fidélité relève de l'ordre de la foi, d'une foi qui
ne s'oppose certes pas à l'agapè (cf Gal V, 6: pistis di'agapès
energownéHè) , mais qui se définit d'abord par l'adhésion à
l'unique Seigneur: « Un seul Seigneur, une seule foi, un seul

21 Voir l'art. tass ô ... , hYPo.t~ssô du Theologisches Worterbuch ZWl1 Neuen


Testament, t. VIII. p. 2749, specIalement 41-46 (G. DELLI:'IlG).
96 ÉDOUARD COTHENET

baptême» (Eph IV, 5). En notre temps où l'éclatement des cul-


tures met souvent en péril l'unité de la foi, il est sans doute bon
de rappeler à la suite de Paul ces exigences.
Une dernière remarque s'in1pose pour nuancer les con.
c1usions trop abruptes qu'on pourrait tirer de la lecture d'Eph
V. 25sv. A prendre le texte en lui-même, il n'existe de commu-
nauté rachetée qu'au moment où le Christ se penche dans un
acte d'amour vers la femme perdue. A l'échec de l'Ancien Testa-
ment répond la victoire de l'amour sauveur. Ni les Juifs, ni les
païens n'étaient préparés à entrer de plein droit dans le Temple
spirituel que le Christ voulait élever à la gloire du Père (cf II,
14-22). De la croix jaillit la nouveauté (II, 15). Pourtant, comme
le rappelle la citation de Gen II, 24 en Eph V, 31, il y avait une
préfiguration du mystère d'unité que Dieu voulait accomplir par
les noces du Christ avec son Eglise. Même vécue avec les
pesanteurs de la chair, l'union conjugale était déjà un signe de
cette volonté de Dieu d'établir la paix et de réunir le monde
divisé, en son Fils (cf Eph I, 10). Ainsi l'Eglise est-elle préfigurée
chaque fois que l'amour de don, l'amour de fidélité l'emporte sur
le pur instinct sexuel ou l'amour possessif. Si Dieu veut récapi-
tuler toutes choses dans le Christ, les temps anciens n'étaient
pas vides de toute grâce.

II - LES NOCES DE LA JÉRUSALEM CÉLESTE (Apoc XIX


et XXI)

En présentant l'Eglise comme l'Epouse du Christ, l'auteur


d'Ephésiens avait surtout en vue le mystère de l'origine. L'Apo-
calypse par contre est tournée vers l'achèvement du plan de Dieu
et oppose à la détresse présente la joie des noces éternelles:
"Réjouissons-nous, soyons dans l'allégresse et rendons gloire
à Dieu, car voici les noces de l'agneau. Son épouse s'est préparée,
il lui a été donné de se vêtir d'un lin resplendissant et pur, car
le lin, ce sont les oeuvres justes des saints» (Ap XIX, 7s). L'Epouse
est décrite plus loin comme la Jérusalem nouvelle: "Je la vis
qui descendait du ciel, d'auprès de Dieu, prête comme une
épouse qui s'est parée pour son époux» (XXI, 2).
Avant de commenter ces textes que la liturgie nous a rendus
familiers, il convient de rappeler les circonstances dans lesquelles
L'ÉGLISE, ÉPOUSE Dl! CHRIST 97

Jean, à Patnlos, a reçu et composé ses visions. Alors que rien


dans Eph ne laissait entrevoir un dur affrontement entre l'Eglise
et l'Empire, l'Apocalypse est écrite au plus fort de la persécution
de Domitien. Imbu de ses prérogatives divines, il exige de se faire
appeler dominus ac deus ". En Asie Mineure en particulier, le
culte impérial prend des proportions inouïes. Se refuser à y
prendre part, c'est se mettre au ban de la société et s'exposer
à la mort (Ap XIII, 17). Dans ces circonstances, on ne s'étonnera
pas que des docteurs ou des prophètes minimisent la portée
des gestes requis: quel mal à brûler un peu d'encens devant la
statue impériale ou de manger des viandes immolées aux dieux
de l'empire (cf Ap II, 14,20)! Avec une virulence prophétique,
Jean dénonce de tels agissements comme une prostitution aussi
grave que celle d'Israël au Baal Peor (Ap II, 14 avec combinaison
de Nb XXV, 1-2; XXXI, 16). En d'autres termes, l'Eglise se
conduira-t-elle comme Israël, l'épouse adultère dénoncée par
Osée, Jérémie, Ezéchiel, ou demeurera-t-elle fidèle à sa vocation
d'Epouse sainte?

L'ecclésiologie de l'Apocalypse
J. Comb lin a mis en valeur l'importance du témoignage
christologique de l'Apocalypse ": dans un style allégorique,
difficile à saisir pour le lecteur moderne, c'est un des livres du
Nouveau Testament les plus riches sur le mystère de l'Agneau.
L'enseignement sur l'Eglise n'est pas moins important. De grandes
visions permettent de découvrir la nature et la mission de
l'Eglise. Qu'il nous suffise d'en évoquer quelques-unes: consti-
tuée par le reste élu des douze tribus d'Israël, l'Eglise ne se
recrute pas moins dans tous les peuples; une foule innombrable
célèbre dans le ciel la fête des Tentes, en acclamant l'Agneau
vainqueur. La vision des deux témoins au ch. XI signifie la
mission de l'Eglise ": il ne s'agit pas en effet de prophètes indi-

22 SUÉTO~E, Vie de Domitien, XIII,4. _ Sur le culte impérial voir P. PRIGEXT, « Au


temps de l'Apocalypse. 1 Domitien: II Le culte impérial au 1er .siècle en Asie
Mineure: III Pourquoi les persecutions?", dans Revue d'Histoire et de Philosophie
Religieuses, 1974, p. 455-483: 1975, p. 215-235: 341-363.
23 J. Cm..-1BI.1N, Le Christ dans l'Apocalypse, Tournai 1965.
24 Voir notre art. «Prophétismc dans le Nouveau Testament", DES, t. 8,
col. 1329-1331 et «L'Apocalypse". dans Le ministère el les ministères selon le
N. Testament, Paris 1974, p. 264-277.
98 ÉDOUARD COTHENET

viduels, mais leur figure représente le témoignage que l'Eglise


doit rendre en la grande Cité à son Seigneur: transmission à la
fois d'un message, et participation au mystère pascal de mort el
de vie. Réduite en apparence à l'impuissance, l'Eglise obtient
par le sacrifice de ses fils la conversion des survivants aux pre-
miers fléaux envoyés par le justice de Dieu (XI, 13). La vision
de la femme et du dragon exprime en termes dramatiques les
dimensions d'une lutte qui intéresse et le ciel et la terre ": sous
le symbole de la Femme vêtue du soleil, mais poursuivie par le
Dragon, s'unissent les significations les plus opposées. On décou-
vre à la fois la gloire céleste de la communauté messianique qui
donne naissance à l'Enfant mâle et la détresse de la Mère qui
doit s'enfuir au désert et qui pourtant y est rejointe par l'antique
serpent: "Dans sa fureur contre la femme, le dragon porta le
combat contre le reste de sa descendance, ceux qui observent
les commandements de Dieu et gardent le témoignage de Jésus"
(XII, 17). Nouvelle Eve, l'Eglise apparaît ainsi comme mère
d'une descendance nombreuse: pourra-t-elle résister aux attaques
de la Bête de la Mer assistée de la Bête de la terre?
A l'opposition entre l'Eglise et le Dragon correspond une
autre opposition, entre deux femmes cette fois: la grande Prosti-
tuée et l'Epouse de l'Agneau. L'annonce de la ruine de Babylone
la grande, mère des prostituées, ivre du sang des saints et des
témoins de Jésus (XVII, 5-6), se développe en longues strophes
où éclate le ressentiment des opprimés contre l'Empire de
proie. Nourries de l'Ancien Testament, ces pages expriment la
même joie sauvage que les oracles contre les nations; mais le
point de vue nationaliste a disparu; c'est la cause de Dieu et de
l'Agneau qui est en jeu:

« Alleluia! Le salut, la gloire et la puissance sont à notre Dieu.


Car ses jugements sont pleins de vérité et de justice.
Il a jugé la grande prostituée qui corrompait la terre de sa
prostitution,
et il a vengé sur elle le sang de ses serviteurs» (XIX,l-2).

2j A. FEUILLET, «Le chapitre XII de l'Apocalypse. Son caractère synthétique


et sa richesse doctrinale », dans Esprit et Vie n. 49 (7 déc. 1978), p. 674-683.
L'ÉGLISE, ÉPOUSE DU CHRIST 99

Les noces de l'Agneau et de l'Eglise


Le thème proprement dit des noces de l'Agneau et de l'Eglise
est développé à deux reprises au cours des chap. XIX à XXI de
l'Apocalypse. Sans vouloir résoudre le problème littéraire de
ces doublets ", notons la différence de perspectives. Le premier
texte insiste sur la parure de l'Epouse (XIX, 7-8), le second sur
son identification avec la Jérusalem céleste (XXI, 2). Entre les
deux est évoqué le règne du Christ sur terre pendant mille ans
(XX, 1-6). N'est-ce pas le signe qu'il ne faut pas chercher une
suite chronologique dans ces visions, mais qu'elles manifestent
chacune l'un des aspects de la vie de l'Eglise, à la fois terrestre
et céleste "? Faute de temps, nous insisterons avant tout sur la
première vision de l'Epouse.

L'Epouse est prête (XIX, 6-8)

L'annonce de la chute de Babylone provoque le déroulement


d'une liturgie céleste ", à laquelle participent les vingt-quatre
anciens et les quatre Vivants, puis la foule immense des élus:

« Ils disaient: Alleluia!


Car le Seigneur, notre Dieu Tout-Puissant, a manifesté son règne
(ebasileusen).
Réjouissons-nous, soyons dans l'allégresse et rendons-lui gloire,
car voici les noces de l'agneau.
Son épouse s'est préparée,
il lui a été donné (edothè) de sc vêtir d'un lin resplendissant
et pur,
car le lin, ce sont les oeuvres justes (dikaiômata) des saints»
(XIX,6-8).

Le début du chant commence à la manière de ces Psaumes du


Règne qui célèbrent à la fois la royauté cosmique de Yahvé
et son intervention eschatologique (Ps XLVII, 9; XCVI, 10; XCVII,
1; XCVIII, 1), sans que le rôle du Messie soit mentionné. Il en
va de même ici, puisqu'il faut attendre les vv. 11-16 pour qu'entre

26 M.-E. BOISMARD, «Notes sur l'Apocalypse », dans RB 59 (1952), p. 161-181


(spécialement 172-178).
27 L. CERFAUX, «L'Eglise dans l'Apocalypse », dans Aux origines de l'Eglise
(cité à la n. 4), p. 111-124.
28 Voir notre contribution «Liturgie terrestre et liturgie céleste d'après
l'Apocalypse », dans L'assemblée liturgique et les différents rôles dans l'assemblée
(St-Serge 1976), Rome 1977, p. 143·166.
100 ÉDOUARD COTHENET

en scène le Cavalier Fidèle et Véritable. Victorieux, il porte un


vêtement trempé de sang, le sien propre 2~, et se nomme le Verbe
de Dieu (ho Logos tau Theou). A cette vision triomphale cor-
respond l'évocation du règne de mille ans (XX, 4), durant lequel
les martyrs reviennent en vie avec le Christ Roi. Sous des
symboles variés, on retrouve cette même idée que les fidèles
sont pleinement associés à leur Maître; les noces de l'Eglise
commencent déjà mystérieusement.
Insistons sur le caractère spécifiquement chrétien de cette
représentation. Comme nous l'avons déjà dit, les prophètes
célèbrent les épousailles de Yahvé avec son peuple. Selon J'in-
terprétation juive traditionnelle ", le Ps XLV concerne l'épitha-
lame du Roi Messie. Il faut pourtant attendre les paraboles
de J'Evangile pour que le thème soit largement développé. Là où
Luc se contente de parler d'invités discourtois (Le XIV, 15-24),
Mt met en scène un roi qui fait un festin de noces pour son fils
(Mt XXII, 1-10) et ajoute à la parabole primitive J'allégorie de
la robe nuptiale (11-14). Vierges sages et vierges folles attendent
l'Epoux qui tarde; la pointe du récit, c'est qu'il faut être prêt à
toute heure du jour et de la nuit! Avec confiance, Jean nous
assure que l'Eglise sera prête, quand retentira l'invitation. En
sera-t-il de même pour tous les chrétiens? Les ch. XIX à XXII
contiennent plusieurs sentences d'exclusion contre les lâches,
les infidèles, les dépravés ... (XXI, 8, 27; XXII, 15). Comme l'a
montré P. Prigent ", on pense à une liturgie eucharistique
avec l'invitation à prendre part au festin des noces (XIX, 9) et
l'exclusion des indignes: Sancta sanctis!

La parure de /' épouse


D'une manière générale, la symbolique du vêtement tient
une grande place dans l'Apocalypse. Ainsi le Vainqueur reçoit-il
la promesse de vêtements blancs et l'assurance que son nom

29 A. FEUILLET, «La moisson et la vendange de l'Apocalypse (14,14-20). La


signification chrétienne de la révélation johannique », dans NRT 94 (1972), p. 113-
132; 225-250 (spécialement 227-232).
30 En faveur d'une signification messianique originelle, R. TOURNAY, «Le Ps
XLV et le Cantique des Cantiques", dans COl1gress Volu.me, Bonn 1962 (Suppl. to
VT), Leyde 1963, p. 168-212.
31 P. PRIGENT, «Une trace de liturgie judéo-chrétienne dans le chapitre XXI
de l'Apocalypse de Jean", dans RSR 60 (1972), p. 165-172.
L'ÉGLISE, ÉPOUSE DU CHRIST 101

ne sera pas effacé du livre de vie (III, 5). Aux martyrs qui trou-
vent le temps long sous l'autel de Dieu, il est demandé de patienter
un peu, mais comme compensation ils reçoivent déjà la robe
blanche des élus (VI, Il). La foule immense qui célèbre la fête
des Tabernacles porte des robes blanchies dans le sang de
l'Agneau (VII, 14 cf XXII, 14).
Pour comprendre ce symbolisme, il faut se rappeler que
dans le monde antique le vêtement ne protège pas seulement
contre les intempéries; il est signe d'intégration sociale "'. L'in-
vestiture joue un grand rôle tant dans le domaine politique que
religieux. L'apocalyptique juive se plait donc à décrire les vê-
tements célestes qui sont gardés en réserve pour les élus ".
En ce qui concerne Apoc XIX, 7-8, la source directe de la
représentation est à chercher dans les Poèmes de Jérusalem,
insérés dans la 3' partie d'Isaïe. On y retrouve la même fusion
de l'image de la Cité avec celle de la Femme, Epouse ou Mère.
Citons quelques textes significatifs:
« Mon âme exulte à cause de mon Dieu, car il m'a revêtue de
l'habit du salut, il m'a drapée dans le manteau de la justice, tel
un fiancé qui, comme lm prêtre, porte diadème, telle une promise
qui se pare de ses atours» (ls LX1,1O).

« On ne te dira plus l'Abandonnée, on ne dira plus à ta terre:


"La Désolée", mais on t'appellera "Celle en qui je prends plaisir",
et ta terre "l'Epousée", car le Seigneur mettra son plaisir en toi
et ta terre sera épousée ... » (Is LXII,4).

Ce que nous relevons dans l'Apocalypse, c'est le point de


vue synergique. Le beau vêtement de lin est donné par Dieu,
- edothè devant s'entendre d'un passif divin, - et en même
temps, le lin provient des oeuvres justes (dikaiômata) des saints.

32 E. HAULOTTE, Symbolique du vêtement selon la Bible, Paris 1965. Voir en


particulier ce qui concerne la robe nuptiale (p. 278-319).
33 Citons Hénoch LXII,14-16: « Le Seigneur des esprits demeurera avec eux,
et avec ce Fils de l'homme ils mangeront, ils se lèveront et se coucheront
pour les siècles des siècles ... Ils revêtiront des vêtements de gloire. Et tels
seront vos vêtements, des vêtements de vie de la part (ou: auprès) du Seigneur
des esprits, et vos vêtements ne vieilliront pas ... » (Trad. F. Martin). - Lors de
son ascension, Isaïe reçoit le vêtement qui l'assimile aux anges et yoit les
vêtements en réserve pour les élus (VIII,14). D'où l'exhortation: « Veillez dans
l'Esprit Saint pour recevoir vos vêtements, les trônes et les couronnes de
glaire qui sont disposées dans le septième ciel» (XI,40. Trad. E. Tisserant: les
textes cités appartiennent à la partie chretienne de l'oeuvre).
102 ÉDOUARD COTHENET

La grâce est donc première. comme le rappelle l'ouverture


de l'Apocalypse:
« A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés
par son sang, qui a fait de nous un royaume, des prêtres pour Dieu
son Père, à lui gloire eL pouvoir pour les siècles. Amen» (I,5) ,

Jean n'insiste donc pas moins que Paul sur la priorité de


l'amour rédempteur (cf Eph V, 25). Pourtant il est plus soucieux
que lui de marquer la part prise par l'Eglise à sa propre parure.
Le Christ aime assez son Eglise pour lui demander de travailler
à la préparation des noces. On ne trouve pas dans l'Apocalypse
l'écho de la critique contre les «oeuvres »; le danger ne vient
plus de ce côté-là! Il faut davantage galvaniser les volontés à
l'heure de la tribulation qui menace toute la terre. Le Voyant de
Patmos, principalement dans les lettres aux sept églises, énumère
donc les oeuvres qu'il faut accomplir, non pour la gloriole d'une
perfection individuelle, mais pour la splendeur de l'Eglise. «Je
sais tes oeuvres (ta erga sou), ton labeur et ta persévérance ... Tu
as de la persévérance, tu as souffert à cause de mon nom et tu
n'as pas perdu courage ... Repens-toi et accomplis les oeuvres
d'autrefois (ta prôta erga) », lisons-nous dans le message à Ephèse
(Ap II, 2-5). Concrètement, ce que le Christ attend avant tout
de son Epouse, c'est l'hypomonè, faite d'endurance dans l'épreuve
et de confiance malgré le retard de l'Epoux, - c'est l'amour fra-
ternel et l'esprit de service (Ap II, 19). La parure de l'Eglise se
constitue ainsi au long de l'histoire avec les dikaiômata des saints,
ces actes de justice qui concernent tout autant le Seigneur de
l'Alliance que les frères humains. Vu les circonstances, l'Apo-
calypse insiste davantage sur le premier point; on ne saurait
oublier que pour la la Joannis le test de l'Amour de Dieu, c'est
l'amour concret pour le frère qui souffre (I Jn IV, 20s.).

La nouvelle Jérusalem (Ap XXI).


A l'annonce des noces de l'Agneau répond la description de
la nouvelle Jérusalem, qui descend du ciel parée comme une
épouse pour son époux (XXI, 2). L'apocalyptique juive fournit
de nombreux parallèles "'; à Qumrân on a découvert des fragments

34 P. VOI.Z, Die Eschatologie. der jüdischen Gemeinde, 2e éd., Tübingen 1934,


p. 409s.
L'ÉGLISE, ÉPOUSE DU CHRIST 103

de la « Description de la Jérusalem nouvelle» (SQ1S); le Rouleau


du Temple, récemment publié, évoque le nouveau Temple que
Dieu créera au Jour de la Bénédiction 35. Parce qu'elle descend
du ciel, Jérusalem apparaît comme l'antithèse de Babel, la cité
que les hommes veulent construire pour atteindre le ciel par
leurs propres forces. A l'orgueil titanesque s'oppose la plénitude
de la grâce. Cette cité, destinée à accueillir les hommes de toute
provenance (XXI, 24-26), ne ressemble en rien aux froides méga-
lopoles modernes, où triomphe l'anonymat. Elle se présente à
nous comme l'Epouse de l'Agneau parée comme au jour de ses
noces.
Dans ce chap. XXI, la symbolique de la cité l'emporte de
beaucoup sur celle de ]' épouse. Pour caractériser la nouvelle
Jérusalem, la voix céleste déclare:
« Voici la demuere (skènè, ce qui évoque Shekhinah, cf. Jn 1,14)
de Dieu avec les hommes.
Il demeurera (skènôsei) avec eux.
Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux)
(Ap XXI,3).

On retrouve dans cette dernière phrase la formule même de


l'Alliance, avec une originalité notable: au lieu du singulier
attendu laos, nous avons le pluriel laoi. Dans cette juxtaposition
Epouse et Peuples, il faut sans doute découvrir une intention
profonde: celle de l'unité de l'Eglise et de sa diversité. Destinée
à tous les peuples, elle n'en constitue pas moins par la charité
l'unique Epouse, qui ne doit aspirer qu'à la rencontre définitive
avec son Bien-Aimé.

Jj De petits fragments de cette « Description de la Jérusalem nouvelle II


(SQ15) montrent que l'attente de la réalisation des prophéties d'Is LX"LXII et
d'Ez XL-XLVIII restait très vive. - Le Rouleau du Temple, publié par Y. YADIN,
donne des détails intéressants sur le nouveau Temple: il comprend trois cours
carrées concentriques. La cour intérieure possède quatre portes orientées vers
les quatre coins cardinaux; les deux autres en possèdent douze nommées d'après
les douze fils de Jacob (à comparer avec Ap XXI, 12-14: les portes portent le:'.
noms des douze patriarches et des douze apôtres de l'Agneau). Ce Temple,
que les Israélites doivent construire sur le modèle du temple salomonien, est
à distinguer du Temple des derniers jours: «Je consacrerai mon Temple par
ma Gloire, le Temple sur lequel je ferai demeurer ma Gloire, jusqu'au Jour de
la Bénédictian, quand je créerai Mon Temple et l'établirai pour Moi-même à
tout jamais" (Y. YADIN, "Le Rouleau du Temple", dans Qumrâll. Sa piété,
sa théologie et son milieu, Paris-Gembloux-Louvain 1978, p. 114-119 (citation de
la p. 117).
104 ÉDOUARD COTHENET

Tel est le sens de l'ultime dialogue liturgique:


{( L'Esprit et l'Epouse disent: Viens!
Que celui qui entend dise: Viens!
Que celui qui a soif vienne! ....
Celui qui atteste cela dit: Oui, je viens bientôt.
Amen, viens Seigneur Jésus) (XXII,17-20).

L'Esprit est donc celui qui soulève la prière, et permet à


l'épouse de ne point défaillir dans une attente qui se prolonge.
On songe à cette recherche angoissée de la bien-aimée du Ct:
"Dans les rues et sur les places, je chercherai celui que mon
coeur aime ... Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé! Les
gardes m'ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville:
"Avez-vous vu celui que mon coeur aime?"" (Ct III, 2). Plus
heureuse que la Sulamite, l'Eglise a déjà rencontré son Epoux,
et pourtant il reste loin de son étreinte. Dans son aspiration à
l'union définitive, elle n'est pas seule. L'Esprit Saint guide la
prière en des gémissements ineffables et permet déjà de rencon-
trer, dans l'élan de la prière et les signes sacramentels, le Bien-
Aimé.

CONCLUSION

De cette lecture d'Ephésiens V et d'Apoc XIX et XXI ressor-


tent quelques conclusions. Pour Paul comme pour Jean la source
essentielle d'inspiration se trouve dans l'Ancien Testament: là
où les prophètes évoquent l'alliance matrimoniale entre Yahvé
et le peuple d'Israël, les apôtres découvrent le mystère de
l'union entre le Christ et l'Eglise. Les accusations portées jadis
contre Israël, l'épouse infidèle, font comprendre d'où vient
l'Eglise: sa gloire et sa sainteté ne proviennent pas de ses pro-
pres mérites, mais de l'amour rédempteur qui l'a fait naître.
Convaincus de vivre à l'heure décisive de la grâce, Paul et Jean
sont assurés que les promesses eschatologiques de Dieu s'ac-
complissent maintenanl. Le texte d'Eph V concerne davantage
le mystère de l'origine, lisant déjà dans la création d'Adam et
Eve la préfiguration de l'union du Christ et de l'Eglise; l'Apoca-
lypse se tourne davantage vers l'avenir, mais nous avons vu que
la gloire de la Jérusalem céleste se reflète déjà dans l'Eglise
L'ÉGLISE, ÉPOUSE DU CHRIST 105

actuelle. Si Paul s'est principalement inspiré d'Ez XVI, Jean a relu


les chapitres UV, LXI, LXII d'Isaïe et y a puisé l'assimilation
de l'Eglise-Epouse avec la Jérusalem céleste. C'est dans le Christ
et son Eglise que Dieu prononce le Oui définitif aux promesses
de l'Alliance.
L'utilisation de la symbolique de l'Epouse souligne en
premier lieu l'unité de l'Eglise et s'accorde tout naturellement
à l'image de l'Eglise mère (cf Ap XII, 17). Dans le judaïsme,
l'attente du retour des dispersés et de la reconstitution du peuple
aux douze tribus restait très vive. Le message chrétien en prend
le relais, avec une transformation profonde. L'unité ne vient
pas d'un rassemblement des dispersés, mais d'une recréation à
partir du Christ mort et ressuscité. Paul surtout développera ces
vues: «Dieu a voulu, à partir du Juif et du païen, créer dans le
Christ un seul homme nouveau» (II, 15). Jean nous présente
l'Eglise comme une réalité à la fois céleste et terrestre: sa nature
véritable n'apparaît qu'en vision, c'est-à-dire qu'elle n'est accessi-
ble que dans la foi, et pourtant cette Eglise n'en vit pas moins
sur terre, composée d'hommes de toute provenance, de toute
langue et de toute race. Pour ètre vraiment Epouse, l'Eglise doit
donc surpasser toutes les divisions naturelles et devenir l'Unique,
la Bien-aimée.
Plus explicitement que la figure du Corps du Christ, l'image
de l'Epouse souligne la personnalité et la responsabilité propre
de l'Eglise. Si elle tire ses origines du Christ, comme Eve du corps
d'Adam, elle n'est pas moins pleinement distincte de son Epoux,
si bien qu'une expression conlnle «( l'Eglise n'est autre que Jésus-
Christ continué» appelle de sérieux correctifs. Paul et Jean
s'accordent, comme nous l'avons vu, sur les traits essentiels de
la figure, Paul insistant davantage sur l'oeuvre du Christ, qui
purifie son Eglise et la rend belle et glorieuse, Jean insistant
sur les oeuvres de fidélité qui s'imposent aux chrétiens. Les
deux points de vue se complètent harmonieusement. Notons aussi
que, dans ce contexte, le Voyant de Patmos est le seul à mettre
en évidence le rôle de l'Esprit: «L'Esprit et l'Epouse disent:
Viens! ».
Le mystère de l'Eglise, fiancée virginale de l'Agneau et Mère
des fidèles, permet d'éclairer le sens du mariage et de la virginité.
Souvent les Pères de l'Eglise ont vu dans la cellule familiale
l'ecclesiola, l'image de base de l'Eglise en sa totalité. C'est la
106 ÉDOUARD COTHENET

mission des époux chrétiens que de se donner l'un à l'autre, et à


leurs enfants, le signe de l'amour prévenant et sanctificateur du
Christ pour son Eglise.
Les vierges n'ont pas un rôle moins important à tenir. Evo-
quant les 144.000 vierges sur le Mont Sion qui suivent l'Agneau
partout où il va, l'Apocalypse donne d'abord une image de toute
l'Eglise qui doit se préserver des souillures du culte impérial. La
vision n'en suppose pas moins l'existence des ascètes, dont le
Oui d'attachement exclusif signifie que l'Eglise n'appartient qu'à
son divin Epoux. L'engagement de la virginité ne saurait être
valable s'il répondait à un seul souci de perfection individuelle;
il doit se vivre en Eglise. Loin de se détacher d'une communauté
dont les rides et les taches apparaissent au grand jour, le vrai
consacré saura l'aimer telle qu'elle est, et reconnaître par delà
les déficiences du moment le Visage aimant du Sauveur qui s'est
uni de façon indissoluble à son Epouse.

Edouard COTHENET
L'ÉGLISE ICÔNE DU « MYSTÈRE »:
LA « MYSTAGOGIE» DE S. MAXIME LE CONFESSEUR,
UNE ECCLÉSIOLOGIE LITURGIQUE

Les oeuvres de S. Maxime le Confesseur, grand théologien


contemplatif - champion inébranlable de la foi au Christ, Dieu
et Homme sans altération, confusion ou amoindrissement des
natures divine et humaine en aucune de leurs opérations - , ne
sont jamais d'un abord facile. L'extrème rigueur de la pensée,
mal servie par la complexité rugueuse de l'expression qui met
en jeu des vocabulaires et des traditions culturelles d'origines
diverses, exigent du lecteur un effort qui n'est pas mince; mais,
certes, il s'avère largement payant.
Cette remarque vaut tout particulièrment pour la Mysta-
gogie, oeuvre singulièrement complexe et à bien des égards
déconcertante l On pourrait, à bien des titres, y reconnaître la
synthèse la plus complète de la longue maturation qui, après des
errements souvent difficiles à préciser, put porter ses fruits dans
les quelques années d'une retraite monastique retrouvée à Car-
thage sous la houlette du maître aimé et admiré, S. Sophrone
le Philosophe, avant que la défense de la christologie orthodoxe
ne jette Maxime dans des controverses qui, à partir de 634,
requerront toutes les forces de son intelligence. On ne trouve
pas trace de telles préoccupations dans la Mystagogie, mais la
maîtrise de la pensée, la rigueur du vocabulaire technique, invi-
tent à situer la rédaction de cette oeuvre à la même époque que
celle des Ambigua sur les textes difficiles de S. Grégoire le Théo-
logien, c'est à dire peu avant cette année charnière de 634. Je
serais, pour ma part, porté à reconnaître dans l'énigmatique

1 L'édition critique, encore provisoire, que vient de procurer Charalampos


G. SOTIROPOULOS (Athènes 1978, polygraphié, 278 p.) sur la base de 24 Mss., amé-
liore sensiblement le texte de COMBEFIS (1975), replis avec quelques fautes
de transcription par Migne, PG 91, col. 657-712.
108 iRÉNÉE-HENRI DALMAIS

vieillard dont Maxime dit transmettre l'enseignement, son maître


et ami Sophrone. Or, c'est au printemps de 633 que celui-ci
quitte Carthage pour un voyage à Constantinople et Alexandrie,
bientôt suivi de son élection au patriarcat de Jérusalem. C'est
vers la même époque, ainsi qu'en témoigne l'Ambiguum 5 à
Thomas - tiré de l'épître dionysienne à Gaius - que Maxime
marque ses distances à l'égard du pseudo-aréopagite. Or, la
Mystagogie marque aussi - avec la révérence qui convient -
que Maxime opte pour une contemplation du « mystère» fort
différente de l'interprétation théurgique comme de toute com-
plaisance pour des opérations théandriques. Attentif à se garder
de tout ce qui pourrait comporter quelque risque de confusion,
il met l'accent sur la distinction. D'où la mise en jeu, de plus en
plus affinée, du couple logos-tropos, reçu de la tradition cappa-
docienne, transposé et enrichi d'harmoniques nouvelles, sans
doute - comme l'ont insinué naguère A. Riou et Chr. von
Schonborn - sous l'influence de la tradition monastique et de
la spiritualité macarienne interprétées au contact de Sophrone.
Le titre du premier chapitre - qu'il soit ou non de Maxime
lui-même - exprime la visée de Maxime en des termes techni-
ques auxquels il convient de prêter attention: «Comment et
par quel mode (tropos) l'Eglise est icône et empreinte de Dieu ».
Icône est, depuis Clément, un terme privilégié de la pensée
chrétienne alexandrine; il suggère le thème d'un reflet par lequel
une réalité, trop lumineuse pour notre regard, est rendue pré-
sente, mais COlnme tamisée. Préféré dans la tradition syrienne,
typos est à la fois le cachet et l'empreinte qu'il laisse sur l'argile;
la distinction est encore mieux D1arquée, comme la consistance
propre de chacun des éléments.
Tout ce chapitre inaugural développe le thème fondamental
avec une telle densité qu'il importe de le lire, si ardu qu'il puisse
paraître en sa technicité. Sous le couvert du «bienheureux
vieillard» dont il assure transmettre l'enseignement, Maxime,
d'entrée de jeu, pose la thèse qui soutient sa contemplation:
« La sainte Eglise porte le type et l'icône de Dieu en tant qu'elle
a même énergie que Lui par imitation et par empreinte (typos) ».
Un premier développement considère la présence causale de
Dieu en la création sous l'aspect constitutif du logos, le principe
fondateur dans la pensée divine, quelque soit le mode (tropos)
sous lequel il sera effectivement posé dans l'existence. Telle est
bien en effet la distinction fondamentale et singulièrement ori-
L'ÉGLISE ICÔNE DU « MYSTÈRE » 109

ginale selon laquelle Maxime, à l'encontre de tout essentialisme


et plus spécialement de l'origénisme platonicisant, pense la struc-
ture existentielle du réel:
« Dieu, qui a fait et amené toutes choses à l'existence par une
puissance infinie, les contient, les conduit, les circonscrit et les
attache ensemble les unes aux autres et à lui-même, selon sa Pro-
vidence (Pronoia), les intelligibles et les sensibles. Maîtrisant et
maintenant autour de lui-même, en tant qu'il est cause, principe
et fin, tous les êtres qui - par nature - sont distants les uns
des autres, il les fait converger les uns vers les autres par la seule
puissance de leur relation (schésis) envers Lui, leur principe. Par
cette puissance, il les conduit à une identité sans corruption ni
confusion de mouvement et d'existence, aucun des êtres n'étant
en principe (proègoumenos, regrettablement omis par certains tra-
ducteurs, à commencer par Combefis) en révolte contre aucun
autre ni séparé de lui par une différence de nature ou de mouve-
ment, tous ayant surgi ensemble avec tous - sans mélange - dans
la seule relation indissoluble et la garde du seul principe et de la
seule cause. C'est clle qui réprime et recouvre toutes les relations
particulières qu'on peut considérer dans la nature de chacun
des êtres, non en les corrompant, les supprimant ou fai·
sant qu'elles n'existent pas, mais parce qu'elle en est victorieuse
et brille au dessus d'elles comme le tout au dessus des parties, ou
encore comme est manifestée la cause au dessus de cette totalité.
Selon cette cause la totalité elle-même et les parties de la totalité
ont naturellement l'apparaître et l'être en tant que possédant tout en-
tière leur cause qui brille au dessus d'elles. Comme le soleil surpasse
en éclat la nature et la puissance des étoiles, ainsi la cause cache
leur existence en tant qu'elles sont causées. Car, comme les par-
ties sortent de la totalité, c'est aussi à partir de la cause que les
choses causées ont leur être propre et peuvent être connues; leur
propriété demeure en latence, alors que, comprises par rapport
à la cause, elles sont entièrement faites selon la seule puissance,
comme il a été dit, de leur relation à elle. Car, étant tout en tous,
Dieu, qui est dans une mesure infinie au dessus de tout, sera vu
seulement par ceux qui sont purs d'esprit, alors que l'intellect - re-
cueillant dans la contemplation les logoi des êtres - se reposera en
Dieu même comme cause, principe et fin de la production et de la
venue à l'existance de tout l'univers et comme fondement inébran-
lable de son développement)) (PG 90. 664 D - 665 C).

Mais comment allait se réaliser eftectivement cette projec-


tion - dans un univers d'êtres multiples et différenciés de ma-
nière irréductible par la diversité de leur principe constitutif
(logos) - de la puissance unifiante de leur cause divine? Maxime
a souvent médité, à partir des textes scripturaires, sur la visée
110 IRÉNÉE-HENRI DALMAIS

(scopos) qui va en permettre la réalisation. Elle fait l'objet de


ce "Grand Conseil divin» dont le secret (mysterion) nous est
révélé, à partir des textes pauliniens de Colossiens et d'Ephé-
siens, dans la réponse bien connue à la Question 60 de Thalassius
interrogeant Maxime sur la signification de la phrase: ,," Comme
d'un Agneau sans reproche et sans tache, le Christ, d'une part
préconnu avant la fondation du monde, d'autre part manifesté
dans les derniers temps à cause de vous" (I Pierre 1,20). Par
qui a-t-il été préconnu?» (PG 90,620 BC). C'est l'occasion, pour
notre théologien contemplatif, de développer, sous une forme
plus explicite qu'il ne le fera par ailleurs, son interprétation de
ce thème central du "mystère» qui trouve dans le Christ sa
pleine manifestation:

« Il convenait Que le Créateur de toules choses. devenu selon


l'Economie ce qu'il n'était pas selon sa nature, conservât sans
altération sa propre nature en même temps que la nature qu'il
avait revêtu selon l'Economie. Il est impossible en effet de conce-
voir une mutation quelconque en Dieu en qui on ne saurait jamais
admettre aucun mouvement; car seul qui se meut est susceptible
de changement. Voilà le grand mystère caché; voilà la fin bienheu-
reuse par laquelle toutes les choses ont consistance. Voilà la visée
divine préconçue avant le commencement des êtres et que nous
définissons comme la fin préconçue, à causc de laquelle sont toutes
choses et qui n'est elle-même à cause de rien (cf. Ambig. 7, PC 91,
1072 C). Fixant les yeux SUT cette fin, Dieu a produit les essences
des êtres. Voilà proprement le terme de la Providence et des choses
prévues, terme selon lequel en Dieu est la récapitulation de toutes
choses créées par Lui. Voilà ce qui circonscrit tous les âges, le
Mystère manifestant le Grand Conseil de Dieu, superinfini et préexi-
stant de façon infinie aux âges (Eph_ 1,10-11), Conseil dont le Logos
lui-même, Dieu selon l'essence, est devenu le Messager (Angelos)
en devenant homme, lui-même ayant rendu visible, s'il est possible
de parler ainsi, le fond le plus intime de la bonté du Père et ayant
montré en Lui la fin par laquelle les créatures, comme il est évi-
dent, ont reçu commencement dans l"existence. En effet, par le
Christ - c'est à dire le mystère selon le Christ - tous le âges et
tout ce qui est dans les âges ont pris en Christ commencement et
fin de l'exister. En effet, il a été préconçu avant les âges par une
tmion de la limite et du sans-limite, de la mesure et du sans-
mesure, du terme et du sans-terme, du Créateur et de la création,
de la stabilité et du mouvement. Cette union est advenue en Christ
dans les derniers temps; donnant en elle-même plénitude au projet
préconnu de Dieu, en sorte qu'autour de ce qui est totalement
immobile par essence se tiennent les choses mues par nature - ayant
totalement dépassé le mouvement vcrs elles-mêmes et vers les au-
L'ÉGLISE ICÔNE DU « MYSTÈRE )} 111

tres - en sorte qu'elles prennent par cette expérience la connais-


sance réelle (kat' energeian) de Celui en qui elles sont jugées dignes
de trouver leur stabilité; connaissance sans altération ni change-
ment qui leur procure la jouissance de Celui qui est connu»
(PG 90,621),

L'Eglise est le lieu et l'instrument de la présence effective


et agissante de ce mystère du Christ aux dimensions du monde
et de l'histoire, Elle est ce mode (tropos) unificateur dans lequel
et par lequel Dieu et le monde s'articulent, non plus - comme
pourraient le suggérer certaines expressions rencontrées dans
les premières phrases de la Mystagogie - par la mainmise sur
le monde d'une causalité toute-puissante qui lui resterait exté-
rieure, mais de l'intérieur même de ce monde et de l'humanité
qui a fonction, de par sa constitution même - ainsi que Maxime
se plaît à le rappeler - , d'exercer ce ministère unificateur.
C'est ce que va expliciter la seconde partie de ce premier
chapitre de la Mystagogie:

«C'est aussi selon le même mode, comme on le montrera, que


la sainte Eglise de Dieu opère pour nous les mêmes choses que
Dieu, comme l'icône à l'égard de l'archétype. Car nombreux et
presqu'infinis en nombre sont les hommes, les femmes, les en-
fants, séparés et grandement différents les uns des autres par le
genre et l'aspect, par la race et la langue, par les genres de vie,
par l'âge, par les penchants de la volonté, par les arts, par les
modes de vie, les moeurs et les habitudes, par les connaissances
surtout et les dignités honorifiques, par les fortunes, les carac-
tères et les comportements. Venant dans l'Eglise ils renaissent par
elle et sont recréés dans l'Esprit. A tous, de manière égale, elle
donne et offre, comme une grâce, une unique forme (morphè) et
appellation divine, celle d'êLre du Christ et de porter son nom.
Elle leur donne l'unique relation (schésis) de la foi, simple, sans
parties ni divisions; (relation) qui ne permet plus qu'on ait égard
aux différences innombrables et impossibles à exprimer qu'il y a
entre chacun, ni même à l'existcllce de ces différences; et cela en
reprenant de toute manière (katholikè) et réunissant tout en elle.
Ainsi, absolument personne n'est séparé de la communauté, puisque
tous sont rassemblés et réunis les uns avec les autres par la seule
grâce et puissance indivisiblc de la foi. Car, comme il est dit:
uniqlle était le coeur et ['âme de tous (Act 4,32). Ainsi, il n'y a, et
on ne voit, à partir de membres différents qu'un seul corps, et cela
est véritablement dignc de notre véritable tête, le Christ lui-même.
En Lui, dit le divin Apôtre, il n'y a ni mâle ni femelle, ni juif n1
grec, ni czrCOllC1swn Hl inincirconcision, ni barbare ni scythe, ni
esclave ni homme libre, mais lui-même est lOllt en tous (Gal. 3,28
112 IRÉNÉE-HENRI DALMAIS

et Col. 3,11). C'est Lui qui renferme en Lui toutes choses par
l'unique puissance simple et infiniment sage de sa bonté, comme
le centre pour les lignes droites qui cn émanent; seule cause et
puissance simple et unique, il ne permet pas que les principes
(logoi) des êtres se disjoignent de la périphérie, il circonscrit en un
cercle leur éclatement (ecstasis), il ramène à Lui les distinctions
des êtres créés par Lui, afin que ne soient pas totalement étran-
gères et ennemies les unes des autres les créatures et les oeuvres
du Dieu unique qui n'ont pas de raison ni de but par lesquels
elles montreraient l'une envers l'autre amitié, paix et identité
et qui sont en danger que leur être même tombe dans le nOD-
être en se séparant de Dieu.
Ainsi donc, la sainte Eglise est une icône de Dieu pour autant
qu'elle accomplit entre les croyants la même union que Dieu. Si
différents qu'ils soient par leurs propriétés, leurs différences de
lieux et de modes de vie, les êtres se trouvent unifiés en elle par
la foi. Cette union, Dieu l'accomplit naturellement Lui-même en-
vers les essences des êtres, sans les confondre en atténuant et en
unifiant cc qu'il y a de différent entre elles, ainsi qu'on l'a montré,
par leur rapport et leur union à Lui, cause, principe et fin» (PG
90,665 C - 668 C).

Maxime fixe d'abord sa contemplation sur l'édifice qui est


à la fois l'expression visible de l'Eglise et le lieu où s'accomplit
de manière privilégiée ce mystère d'unification, notamment dans
les actions liturgiques et tout d'abord dans celle qui porte tra-
ditionnellement le nom de « synaxe » et dont il va bientôt suivre
le déroulement.
Dans la structure de cet édifice il voit une icône de cet
univers constitué d'êtres divers par leur essence et par leurs
fonctions, mais qui pourtant forme un ensemble unifié. Se
plaçant toujours sous le couvert du « saint vieillard» dont il dit
transmettre les enseignements, il poursuit donc dans le second
chapitre:

« Selon une seconde forme de considération, la sainte Eglise


de Dieu est, disait-il, type et icône du monde constitué d'essences
visibles et invisibles, puisqu'elle présente la même union et la
même diversité que lui. D'une part elle forme une seule bâtisse
en sa construction, mais elle admet une certaine diversité dans
la disposition de son plan: clle est divisée en un certain endroit
séparé, réservé aux seuls prêtres et officiants - nous l'appelons
sanctuaire, et en un endroit accessible à tout le peuple fidèle - nous
l'appelons nef. Mais elle est une selon l'hypostase, sans être divisée
selon ses parties du fait de la diversité des parties l'une par rap-
port à l'autre; mais, par le rapport à l'unité, elle libère ces par-
L'ÉGLISE ICÔNE DU « MYSTÈRE» 113

ties de la différence qui tient à leur dénomination; elle montre


qu'elles sont toutes deux identiques l'une à l'autre et elle mani-
feste que l'une est pour l'autre, en raison de la cohésion, ce que
chacune est pour elle-même: la nef est en puissance le sanctuaire
puisqu'elle est, au terme, sanctifiée pour l'accomplissement de la
mystagogie; et, d'autre part, le sanctuaire est la nef en acte puisqu'il
est principe de la mystagogie proprement dite. L'Eglise demeure
donc une en ses deux parties. C'est de la même manière que le
monde entier des êtres qui vient de Dieu par son origine est
divisé en un monde intelligible (noéton) rempli des essences intelli-
gibles et incorporelles et en un monde sensible et corporel qui est
comme tissé magnifiquement de nombreuses natures et formes;
c'est comme une autre église non faite de main d'homme: elle a
comme sanctuaire le monde supérieur qui est attribué aux Puis-
sances d'en-haut, et comme nef celui d'en bas, réservé aux êtres
qui ont en partage la vie sensible» (PG 90, 668 C - 669 Bl.

Maxime ne s'attarde pas pourtant à ces perspectives cosmo-


logiques; quelques lignes seulement, qui forment le chapitre III,
pour suggérer de voir dans le sanctuaire une représentation du
ciel et dans la nef, remplie d'images et d'ornements divers,
celle de la terre avec la variété des êtres qui l'occupent. Il con-
sacre par contre quatre chapitres (IV-VII) à développer le
symbolisme anthropologique, non seulement de l'édifice cultuel
mais encore de l'Ecriture et du monde lui-même, selon le thème
commun du microcosme et du macrocosme. En effet, comme il
le dit au chapitre VI, selon une considération anagogique" l'Egli-
se est un homme spirituel et l'homme une Eglise mystique»
(ibid., 684 A).
On retrouve dans ces pages, sous une forme plus concise
mais que leur densité même rend parfois obscures, les considé-
rations et les perspectives souvent reprises en d'autres oeuvres
et notamment dans les Ambigua. Il est évident que Maxime
entend faire dans la Mystagogie une synthèse ecclésiale. D'où
l'importance du long ch. V: De quelle manière la sainte Eglise
de Dieu est icône et type de l'âme, pensée en elle-même (ibid.,
672 D - 684 A). On y voit confluer, organisés selon la perspective
particulière de l'ouvrage, les courants divers qui ont alimenté la
réflexion de Maxime. Mais là n'est pas l'intérêt de ces pages:
elles tendent à introduire à cette connaissance de Dieu « réelle ».
c'est à dire expérimentée, dont il est abondamment traité tant
dans Quaest. Thalass. 60 (PG 90, 621 CD) que dans le long
Ambiguum 10 sur la Transfiguration du Christ (PG 91, 1165 A
114 IRÉNÉE-HENRI DALMAIS

- 1169 A) '. Ce thème se trouve repris dans la Mystagogie au


terme de longues analyses classifiant et ordonnant en couples
les puissances de l'âme et leurs opérations.
Selon l'enseignement du «saint vieillard », la vérité et le
bien révèlent Dieu:
« Mais la vérité le fait lorsque le divin semble se manifester
dans son essence, car la vérité est chose simple, unique, une, iden-
tique à elle-même, indivisible, immuable, impassible en même temps
que sans éclipse et parfaitement continue. Le bien au contraire
(révèle le divin) à partir de son activité. Car le bien est actif, pro-
vidence et protecteur de tout ce qui provient de lui» (PC 90, 673 D).

L'attention va donc se concentrer sur ces deux modes de


la connaissance de Dieu:
« Mue par eux de progrès en progrès, l'âme s'unit au Dieu de
toutes choses, imitant ce qu'il y a d'immuable et de bienfaisant dans
son essence et dans son agir (energeia) par sa fermeté dans le bien
et l'immutabilité de ses désirs (ibid. 676 A).
1)

Les couples ainsi formés, à partir des cinq puissances de


l'âme et de leurs opérations, résonnent de manière harmonique
comme les dix cordes du psaltérion à la louange de Dieu. Mais
ce ne sont là qu'images imparfaites, Maxime ne le sait que trop:
« Celui qui a été capable d'en avoir connaissance, c'est en le
pâtissant qu'il apprendra ce que nous venons de dire, lorsqu'il aura
déjà totalement pris, par expérience, connaissance de sa propre di-
gnité: comment doit être rendu à l'icône ce qui est selon l'icône,
comment doit être honoré l'archétype, quelle est la puissance du
mystère de notre salut et pour qui le Christ est mort, comment
nous pouvons de nouveau demeurer en Lui et Lui en nous, ainsi
qu'il l'a dit (Jean 15,4) et comment la Parole du Seigneur est
droite et toutes ses oeuvres fidèles (Ps. 32,4) Il (ibid., 676 C).

Après avoir rappelé le processus de l'intégration en l'unité


divine de toutes les puissances de l'âme et de leurs opérations,
il en montre l'ultime accomplissement dans le Bien:
« où cessant son mouvement, le logos trouve son repos ... Comment
et sous quel mode chacune de ces puissances est-elle ordonnée et
mise en activité? et qu'est-ce qui s'oppose ou s'apparente à cha-
cune d'elles, et dans quelle mesure? il n'est pas du présent sujet
de le distinguer et de le dire. Si ce n'est ceci: connaître que toute

:< Texte traduit et commenté dans: Alain RIOU, Le monde et l'Eglise selon
Maxime le C.:mfesseur (Théologie Historique 22, Paris 1973. p. 105-118).
L'ÉGLISE ICÔNE DU « MYSTÈRE » 115

âme, par la grâce du Saint-Esprit, son propre amour du labeur et


son zèle, peut unir et tisser ensemble ces choses les unes avec les
autres» (ibid., 677 CD).

Non sans hésitation et toujours se couvrant de l'autorité


du " saint vieillard", Maxime tente de balbutier quelque chose
de cc mystère de la divinisation, fin à laquelle s'ordonne l'ascèse
et qui est la raison d'être de la communauté ecclésiale comme
de chacun de ceux qui la composent:
«Ainsi l'âme parfaitement unifiée (énoeidè) est-elle réunie à
elle-même et à Dieu; il n'y aura plus de raison de la diviser par la
pensée en de nombreuses parties, elle qui porte sur la tête comme
couronne le premier, seul et unique Lcgos de Dieu. En Lui, l'artisan
et le créateur des êtres, dans une unique et incompréhensible sim-
plicité, sous une forme unique (blOeidôs), tous les fogoi des êtres ont
l'être et la subsistance. Fixant son regard sur Lui qui n'est pas en
dehors d'elle mais tout entier en elle tout entière, elle comprendra,
elle aussi, par un simple élan, les logoi et les causes des êtres à
travers lesquels, peut-être, avant d'être épousée par Dieu le Logos,
elle s'en est allée par des voies de division: à travers eux elle est
portée de manière salvatrice et harmonieuse vers Lui qui contient
et crée tout logos ct cause» (ibid., 681 B).

Il fallait s'attarder quelque peu à ces perspectives, apparem-


ment étrangères à l'objet propre de la Mystagogie mais par les-
quelles cet ouvrage s'intègre aux autres écrits, sans doute à peu
près contemporains, qui constituent la part la plus large, sinon
la plus originale, de l'oeuvre de Maxime avant qu'il ne soit
entièrement engagé dans la défense de l'intégrité de la foi au
Christ. Elles représentent, sous une forme déjà scolastique,
l'aboutissement de la méditation menée depuis Origène et les
Cappadociens, poursuivie dans des milieux monastiques encore
mai identifiés, sur le mystère de l'homme et de sa vocation.
Mais ce qu'il y a d'original dans cet écrit et qui, à notre con-
naissance, ne se trouve nulle part antérieurement, est que cette
anthropologie spirituelle s'élargit en une ecclésiologie et y trouve
le lieu normal de son exercice. Le lien est fait par quelques
brèves réflexions, inspirées d'Origène, sur l'Ecriture corps du
Logos et, à ce titre, objet d'une anthropologie Spirituelle (ch. VI).
Cet ensemble de considérations qui prend son départ de l'église-
édifice, symbole et lieu d'unité dans la diversité, débouche sur
una perspective eschatologique. Sans transition, quatorze très
brefs chapitres (VIII-XXI) suivent les grandes étapes du déroule-
ment de l'action liturgique qui est la principale raison d'être de
116 IRÉNÉE-HENRI DALMAIS

l'édifice. Maxime, Don sans raison, la désigne comme ({ synaxe » et


semploie à mettre en lumière comment elle exprime et réalise le
dessein de Dieu de tout ramener en Lui à l'unité par le Christ
dont l'entrée de l'évêque dans le sanctuaire (petite entrée) sym-
bolise le premier avènement. Les lectures scripturaires, notam-
ment celle de l'Evangile, le chant des cantiques et des psaumes,
les salutations de paix sont, explique-t-on, autant d'invites pres-
santes à progresser dans la voie de la pacification unifiante de
l'homme intérieur. Les chapitres XIV-XXI reprennent de manière
un peu moins succinte les moments de la liturgie des fidèles
qui paraissent les plus expressifs et auxquels l'assemblée tout
entière se trouve associée, ce qui fait passer sous silence le
déploiement de la prière eucharistique (anaphore), sans doute
déjà silencieux et caché par les voiles. Maxime y voit un symbole
et comme une anticipation de l'ultime consommation que signifie
l'acclamation: "Un seul Saint ... » avant de participer à la
communion eucharistique.
Le bref ch. XXII énonce l'intention de proposer une " con-
templation plus élevée, de considérer et de comprendre comment
les divins préceptes de la sainte Eglise conduisent l'âme, par
la gnose véritable et active, vers sa propre perfection» (ibid.,
697 B). Les deux longs chapitres XXIII-XXIX constituent en effet
un véritable traité de vie spirituelle qui rejoint, dans une pers-
pective ecclésiologique, les thèmes fondamentaux du Discours
ascétique (PG 90, 912-956) après avoir esquissé, en se référant aux
commentaires aréopagitiques, une interprétation plus «gnostique»
(701 BC). Maxime lui préfère, pour sa part, à la suite du " saint
vieillard », une participation effective à la liturgie ecclésiale:

« Et cela tout d'abord à cause des saints anges qui y sont pré-
sents et notent chaque fois ceux qui entrent et se présentent de-
vant Dieu, faisant pour eux des supplications, et surtout à cause de
la grâce du Saint-Esprit toujours invisiblement présente et sur-
tout d'une manière spéciale au temps de la sainte synaxe, grâce
qui change et transforme chacun de ceux qui y prennent part, le
modelant véritablement selon ce qu'il y a de plus divin en lui et
le conduisant vers ce qui est préfiguré par les mystères qui s'accom-
plissent, même si lui-même ne le sent pas et se trouve encore parmi
ceux qui sont enfants dans le Christ, ne pouvant voir ni la profon-
deur de ce qui s'accomplit, ni la grâce elle-même du salut qui opère
en lui et qui se manifeste par chacun des divins symbo1es qui
s'accomplissent, procédant selon l'ordre et la suite des choses qui
sont plus proches jusqu'à l'achèvement ultime» (ibid., 701 D - 704 A).
L'ÉGLISE ICÔNE nU {( MYSTÈRE » 117

On peut se demander, avec R. Bornert', si la nouvelle


reprise du déroulement de la célébration qui apparaît ici n'a
pas été introduite postérieurement car l'exhortation reprend
ensuite pour inviter à faire passer dans notre vie, par la pratique
des vertus, cette unification de tout notre être en Dieu. Mais
c'est pour l'élargir au domaine des relations avec autrui:
« La preuve claire de la grâce de participer au sort des saints
dans la lumière (cf. Col. 1,9-12) est la disposition volontaire de bien-
veillance envers notre semblable. Son oeuvre est que l'homme qui,
en quelque manière, a besoin de notre aide nous devienne en
puissance familier comme si c'était Dieu." En effet, si le Logos a
montré que celui qui a besoin de bienfaisance est Dieu - car, dit-il,
ce que vous avez: fait à l'un des plus petits, c'est à moi que vous
l'avez: fait (Mt. 25,41) - Dieu qui a dit cela montrera d'autant plus
qu'est vraiment Dieu par grâce et participation celui qui pouvant
faire le bien l'aura fait parce qu'il a pris par une bonne imitation
l'agir et la propriété de sa propre bienfaisance. Et, si le pauvre est
Dieu à cause de la condescendance du Dieu qui s'est fait pauvre pour
nous, qui a pris sur lui-même par sympathie les souffrances de cha-
cun et qui jusqu'à la consommation des âges, en proportion de la
souffrance de chacun, souffre toujours mystérieusement par bonté,
sera Dieu avec d'autant plus de raison et de vraisemblance celui
qui - à l'imitation de Dieu et par phi,Janthropie - guérit lui-même,
comme il convient à Dieu, les souffrances de ceux qui souffrent. Il
montre ainsi qu'il a, proportionnellement et par disposition, la même
puissance de providence salvatrice que Dieu» (ibid., 713 AB).

Tel est bien en effet le témoignage d'une" manière d'exis-


ter" (tropos tès hyparxéôs) conforme à cette existence filiale
en laquelle nous introduit la synaxe ecclésiale ainsi qu'il est
dit à propos de la communion aux mystères eucharistiques:
(( Fils sont ceux qui, ni par crainte des menaces ni par désir
de ce qui est promis, mais par le mode de vie, le comportement
de l'inclination et de la disposition intime de l'âme vers le bien,
ne se séparent jamais de Dieu, comme ce fils auquel il a été dit:
Mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi
est à toi (Lc. 15,31), par la disposition de la grâce, cela même
que Dieu est et est cru être selon la nature et la cause" (ibid.,
712 A).
Irénée-Henri DALMAIS

3 René BoRNERT, Les commentaires byzantins de la Divine Liturgie du V 1I~


au XV" siècle (Archives de l'Orient Chrétien 9, Paris 1966, p. 87).
L'ÉGLISE DE L'ANCIENNE ALLIANCE DANS LA LITURGIE
DE L'ANCIEN TESTAMENT

L'exposé qui m'a été proposé par les organisateurs de ces


journées doit envisager l'Eglise de l'ancienne alliance dans la
liturgie de l'A. T. Il ne s'agit donc pas de l'Eglise du N. T. à
laquelle nous pensons spontanément, quand nous parlons de
l'Eglise sans précision. Cette Eglise a été quelque peu entrevue
dans des textes liturgiques de l'A. T. et on pourrait glaner dans
les Psaumes et ailleurs de ci, de là quelques anticipations.
Il ne s'agit pas non plus de la manière dont la liturgie chré-
tienne considère les saints ou les institutions de l'A. T. Le père
Kniazeff doit vous en parler bientôt d'après la liturgie byzan-
tine, plus riche en ce domaine que la liturgie romaine, à ce que
je crois.
Je n'ai pas directement à exploiter la prédication prophé-
tique sur l'élection d'Israël, ou les réquisitoires violents qu'elle
a lancés contre les infidélités de la nation choisie. Je me limite
en principe aux textes liturgiques, mais il peut arriver que les
livres prophétiques en aient incorporé quelques-uns ou qu'ils
fassent allusion à des pratiques liturgiques.
L'espèce de prologue que je dois fournir à vos communica-
tions n'a pas seulement l'intérêt d'offrir une matière à compa-
raison: si l'Eglise chrétienne peut être considérée dans le miroir
de sa liturgie, on peut chercher à en faire autant pour l'Eglise
de l'ancienne alliance dans le miroir de sa liturgie. Mais,
seconde raison d'attirer votre attention, il ne s'agit pas de deux
manifestations indépendantes d'une même activité cultuelle, de
12~0________________~A~N~D~RÉ~.-~"=AR=='=E~D~U=B~A=R=L=E~ ___________________

deux espèces d'un même genre. Il y a un lien génétique entre la


liturgie d'Israël et la liturgie chrétienne '.
Quelques indications de vocabulaire sont utiles pour com-
mencer. Dans la version des Septante le mot ekklèsia, dont le
français église dérive à travers le latin, traduit à une ou deux
expressions près le mot hébreu qahal. L'assonance a joué sans
doute un rôle dans le choix de cette correspondance. Le mot
synagôgè traduit également qahal et plusieurs autres mots hé·
breux. Dans notre langage chrétien nous distinguons Église
(communauté chrétienne) et Synagogue (communauté juive).
Dans les Septante cette distinction n'existe pas, cela va de soi.
Les deux mots sont équivalents, quand ils se rapportent à l'as·
semblée du peuple de Dieu; mais synagôgè peut se rapporter à
des assemblées perverses ou étrangères, tandis que ekklèsia se
rapporte exclusivement à Israël fidèle. Les deux mots désignent
une assemblée concrète et non pas comme notre langage fran-
çais soit l'édifice où a lieu l'assemblée, soit le peuple de Dieu
indépendamment d'un rassemblement effectif. En hébreu il y a
deux mots dont la signification se recouvre approximativement:
qahal et 'édah; ils peuvent désigner des assemblées ou troupes
profanes, surtout s'il s'agit de 'édah, qui se rapporte même
parfois à une bande d'animaux. L'Eglise de l'ancienne alliance,
en tant que communauté religieuse considérée indépendamment
des assemblées où elle se réunit, est appelée peuple (de Yahweh),
Israël, Jacob, etc.
L'Eglise de l'Ancienne Alliance prenait conscience d'elle-
même principalement dans sa liturgie. Il y avait bien, sans doute,
d'autres occasions, notamment les guerres à soutenir contre
l'ennemi du dehors. Mais ces guerres étaient, en principe, des
guerres saintes et comportaient un accompagnement liturgique.
Le Deutéronome prévoit qu'avant le combat un prêtre exhortera
le peuple à ne pas craindre, " car Yahweh est avec toi, lui qui
t'a fait monter du pays d'Egypte" (Dt 20, 1). Ce bref rappel des
hauts-faits divins dans le passé pouvait être développé plus
longuement et il y en a plusieurs exemples tardifs, qui se rat·

l Ce lien a été plus d'une fois mis en lumière par L. BOUYER, La Bible et
l'Evangile (Lectio divina. nO 8), 1951, voir Appendice III, pp. 255-268: «La prière
dans l'Esprit », dans Communia, II, 5 {sept. 1977), pp. 9-20; «De la liturgie juive
à la liturgie chrétienne », dans Communio, III, 6 (novembre 1978), pp. 45-57. On
peut voir également J.P. AUDET, «Esquisse historique du genre littéraire de la
"Bénédiction" juive et de l'Eucharistie chrétienne », dans Rev. Biblique, 65
(1958), pp. 371·399.
L'ÉGLISE DE L'ANCIENNE ALLIANCE 121

tachent au genre littéraire de la bénédiction (2 Ch 20, 6-8; 1 M 4,


8-11; 30-33; 7, 41-42; 2 M 8, 18-20; 15, 8-16.22-24). De nombreuses
prières de combattants implorant le secours de Dieu dans la
bataille se rattachent moins nettement à la liturgie, acte collectif
se déroulant selon des règles fixes.
Dans des compositions liturgiques variées, psaumes, can-
tiques insérés dans les livres narratifs, prières prononcées dans
de grandes assemblées religieuses, s'exprime la conscience
qu'Israël avait de son caractère comme peuple choisi par Dieu
et assisté par lui. L'exposé qui suit laissera de côté les discours
prophétiques, qui n'auraient pas un caractère liturgique, les
pourparlers diplomatiques avec les étrangers, les récits histo-
riques eux-mêmes.
La communauté d'Israël apparaît dans sa liturgie comme
fondée par la libération d'Egypte et le don de la Loi, plus loin-
tainement même par l'appel adressé à Abraham. Elle est main-
tenant centrée autour de Jérusalem et de son temple, où Dieu
habite parmi les hommes. Elle est assistée indéfectiblement par
Yahweh dans ses guerres et les calamités qui l'affligent: séche-
resse, famine, invasion de sauterelles, exil. Elle est ouverte dans
une certaine mesure à l'étranger, qui viendrait prier dans le
Temple ou observerait la Loi. Si tous les peuples peuvent déjà
louer Dieu pour ses bienfaits, notamment la prospérité agricole
qu'il leur donne (Ps 65, 6-14; 67, 2-8), néanmoins Israël con-
serve le privilège d'avoir reçu la parole de Dieu; «pas un peuple
qu'il ait ainsi traité; pas un qui ait connu ses jugements»
(Ps 147, 20).
Le temps limité de cette conférence ne permet pas de con-
sidérer en détail tous les textes exprimant les motifs rapidement
résumés ci-dessus, mais il est possible de s'arrêter à un motif
assez fréquent dans l'A. T., et qui n'a pas son équivalent dans
la liturgie chrétienne, autant que je peux en juger, ce qui ne
veut pas dire qu'il n'ait aucun rôle à jouer dans les églises chré-
tiennes et dans leurs rapports mutuels. Il s'agit de la confes-
sion des péchés collectifs.
Il y a dans le Psautier et en dehors de nombreuses formu-
les de pénitence individuelle, où un pécheur reconnaît ses fautes
et demande son pardon. Il est probable que de telles formules
étaient récitées à l'occasion des sacrifices individuels pour le
péché qui sont codifiés par le rituel dans le Lévitique et les
122 ANDRÉ-.I\IARIE DUBARLE

Nombres. La plus célèbre est le Miserere ou Ps 51, attribué à


David par la tradition, mais ce n'est pas la seule. Il y a dans le
rituel des sacrifices prescrits pour les péchés d'inadvertance
commis par la communauté entière (Lév 4, 13·21; Nb 15, 24·26).
Tel était sans doute le sacrifice prévu pour le jour des Expia.
tians ou Kippour, et complété par le rite du bouc émissaire,
chargé de tous les péchés du peuple et envoyé dans le désert
(Lév 16, 15·22).
Plus grave que ces péchés d'inadvertance, dont on pouvait
prévoir la répétition presque fatale et l'expiation périodique.
ment nécessaire, il y avait l'apostasie quasi totale, l'oubli pro·
longé des exigences de Yahweh, le culte rendu à des dieux
étrangers; tout cela équivalait à peu près à une rupture de l'al·
liance conclue autrefois avec Yahweh. En reconnaissant sa cul·
pabilité le peuple repentant implorait, plus ou moins explici.
tement suivant les cas, Yahweh de restaurer l'alliance violée '.
Certaines de ces confessions sont placées dans le cadre d'une
célébration liturgique publique. Le cas le plus net est celui du
grand poème de Néh 9, 5·37, prononcé au cours d'une céré·
manie de lecture de la Loi. On bénit Yahweh pour tous ses bien·
faits depuis la création et le choix d'Abraham; on reconnaît les
fautes commises pendant le séjour au désert, puis au temps des
juges, enfin avant l'exil. Une lamentation douloureuse termine
ce retour sur le passé, sans prière explicite de délivrance. La
prière mise sur les lèvres d'Esdras, quand il est informé des
mariages avec des femmes étrangères qui menacent la pureté
du peuple saint (Esd 9, 6·14), est une prière individuelle, mais
le contexte historique large est le même que dans Néh 9.
Le cantique de Moïse dans Dt 32 doit être enseigné au peu·
pie. Moïse va mourir et il prescrit que la Loi sera lue publique.
ment lors d'une grande assemblée revenant tous les sept ans
(Dt 31, 10). Le cantique prévoyant les infidélités futures et la
délivrance finale du peuple asservi par ses ennemis, est destiné
à faire prendre conscience des violations de la Loi et à faire
espérer la possibilité d'un pardon. Le Ps 106 retrace les fautes

2 E. LIPINSKl, La liturgie pénite/1tie.lle dans la Bible (Lectio divina, n" 52),


1969, a étudié ce genre de la confession nationale des péchés, avec les gestes
extérieurs qui l'accompagnaient: pleurs, vêtements déchirés, cendre sur la tête,
puis silence prostré (pp. 28·35). Aux huit exemples de confe~sion qu'il étudie
(six de la Bible. deux de Qurnrân, pp. 35-41) on peut ajouter Dt 32' Ps 78: ls
63,7 - 64. ' ,
L'ÉGLISE DE L'ANCIENNE ALLIANCE 123

commises pendant l'exode et le séjour au désert, puis à l'époque


des juges et des rois; il se termine sur la perspective d'un
rassemblement du peuple après l'exil. Le début et la fin de ce
Ps 106, faisant suite à Ps lOS, 1-15 et Ps 96, sont cités dans 1 Ch
16, 34-36, comme conclusion des chants qui doivent être exécutés
par les lévites devant l'arche sur l'ordre de David. Il s'agit donc
d'une pièce entrée dans la liturgie.
Le Ps 78 énumère toutes les infidélités racontées dans
j'Exode et les Nombres, puis au temps des Juges jusqu'à la
destruction du sanctuaire de Silo. Mais Yahweh n'abandonne
pas son peuple pour autant: il fait choix de Sion et de David.
Un renouveau est entrevu.
Dans le livret tardif de Baruch est prévue une cérémonie
expiatoire. Les rescapés restés en Juda lors de la déportation
par Nabuchodonosor devront lire une longue confession des
péchés commis par tout le peuple et se réconforter à la pensée
qu'une alliance éternelle a été promise par Dieu dans les mêmes
oracles prophétiques annonçant les châtiments qui devaient
fondre sur les pécheurs. Cette prière utilise et développe une
supplication contenue dans le livre de Daniel et censée pro-
noncée à la fin de l'exil de Babylone (Dn 9, 4-19). Ce genre litté-
raire de la confession des péchés collectifs était donc en hon-
neur. Une autre prière analogue est celle d'Azarias dans la four-
naise où il a été jeté sur l'ordre de Nabuchodonosor (Dn 3, 26-
45). Enfin dans Is 63, 7 - 64,11, une longue effusion lyrique
célèbre les miséricordes divines, auxquelles a répondu l'infidé-
lité généralisée, et implore une intervention de salut pour le
Temple et le peuple.
Ces textes au nombre de neuf n'étaient nullement tombés
en oubli; ils forment une assez longue chaîne. Les plus tardifs
ont été suivis presque immédiatement par des prières analogues
retrouvées dans les manuscrits de Qumrân. Dans la grotte 4 les
" Paroles des Luminaires" contiennent le rappel des châtiments
et des pardons de Dieu, l'aveu des fautes et la supplication pour
obtenir la conversion .J. Enfin, la règle de la communauté de
Qumrân donne le cérémonial de la réception des nouveaux
membres. Les prêtres relatent les hauts-faits de Dieu, puis les

3 Ce texte, signalé par E. Lipinski (p. 36), a été édité par M. BAILLET, «Un
recueil liturgique de Qumrân, grotte 4: "Les paroles des luminaires" ", dans
Rev. Biblique 68 (1961), pp. 195-250; voir surtout pp. 199-210.
124 ANDRÉ-MARIE DUBARLE

lévites racontent les iniquités d'Israël et ceux qui entrent dans


l'alliance confessent qu'ils ont péché, eux et leurs pères avant
eux, en ne marchant pas selon la vérité (lQS I, 24-26).
De telles confessions collectives des péchés appelaient à
une rénovation de l'alliance. Le peuple, ou une très large majo-
rité, avait rompu l'alliance ou l'avait oubliée pratiquement. Mais
Yahweh, lui, se souvient de son alliance malgré toutes les
infidélités de son partenaire. Il châtie les pécheurs, mais ne
rompt pas définitivement avec eux (Lév 26, 42.44; Dt 4, 31; cf. Ez
16, 60). Il était donc normal qu'après l'expression de la culpa-
bilité et du repentir soit renouvelé l'engagement d'être désor-
mais fidèles aux prescriptions de l'alliance.
Le Dt 31, 9 prévoit seulement la lecture de la Loi réitérée
tous les sept ans lors d'une fête régulière. Il se peut qu'à l'ori-
gine cette lecture ait été accompagnée d'une rénovation de l'al-
liance', un peu à la manière dont, dans la vigile pascale restaurée
depuis 1951 dans la liturgie romaine, s'insère une rénovation
des promesses du baptême faite par toute l'assistance après le
baptême des nouveaux membres de la communauté chrétienne.
Une telle rénovation de l'alliance intervenant à date fixe n'a pas
laissé de trace dans les récits historiques. En revanche, pendant
la période royale, des réformes religieuses comportant une extir-
pation vigoureuse des contaminations païennes culminent dans
une cérémonie solennelle de renouvellement de l'alliance. Ainsi
sous le règne d'Asa, le trosième successeur de Salomon, vers l'an
900 (2 Ch 15, 12). L'avènement de Joas, après l'usurpation illé-
gitime d'Athalie, est marqué par une alliance (2 R Il, 17). Ezé-
chias annonce l'intention de conclure une alliance avec Yahweh
en exhortant le clergé à ne plus se montrer négligent (2 Ch 29,
10). La plus importante de ces alliances renouvelées est celle
qui suivit la découverte du rouleau de la Loi sous le règne de
Josias, vers l'an 620. En entendant la lecture le roi avait pris
conscience de la gravité des violations de la Loi commises sous
les règnes précédents et de la nécessité d'apaiser la colère divine.
Il conclut donc une alliance qui obligeait à observer les comman-
dements de Yahweh; tout le peuple adhéra à cet acte (2 R 23, 3).

4 R. de VAüX, Les institutions de l'Ancien Testament, l, 1958; II, 1960, a


rapproché les faits bibliques et extra-bibliques pouvant rendre vraisemblable
la liaison de la lecture périodique de la loi et d'un renouvellement de l'alliance:
voir l, p. 229 et II, p. l17. Mais il n'est pas établi que ce renouvellement de
l'alliance ait été joint régulièrement à la fête des Tentes; voir II, p. 407.
L'ÉGLISE DE L'ANCIENNE ALLIANCE 125

Sous le gouvernement de Néhémie, après l'exil, la grande


assemblée où fut prononcée une longue confession des péchés
comporta un engagement ferme d'observer à l'avenir les lois
du sabbat et des redevances pour le culte du Temple, comme
de s'abstenir des mariages avec les étrangers (Néh 10, 1-40). Le
mot consacré d'alliance, berith, manque dans le texte. Il n'y
avait pas eu exactement rupture d'alliance, car le peuple n'avait
pas abandonné Yahweh par l'idolatrie, mais avait été gravement
négligent dans la pratique de la Loi. Ainsi l'aveu du pééhé doit
s'accompagner d'une résolution de l'éviter désormais.
Une remarque est utile maintenant. Si l'on parle de rupture
de l'alliance au cours de l'histoire d'Israël, cette expression ne
doit pas être entendue en toute rigueur et dans sa généralité la
plus ample. Au prophète Elie, qui, malgré la victoire sur Baal
remportée au Carmel, se plaint amèrement de l'abandon de
l'alliance par Israël, Yahweh répond qu'il reste sept mille hom-
mes qui n'ont pas plié le genou devant Baal (J R 19, 18; cf. Rom
Il, 4-5). Semblablement le prophète Ezéchiel dans une vision
entend Yahweh, qui se prépare à quitter un Temple souillé par
J'idolatrie, donner l'ordre de marquer d'un Tau sauveur tous
ceux qui gémissent des crimes de Jérusalem (Ez 9, 4). L'Eglise
de l'Ancienne Alliance, même quand elle reconnaît le plus claire-
ment les fautes commises, n'a jamais été universellement infi-
dèle. Les aveux de la culpabilité commune sont souvent pro-
noncés par des individus, dont le texte a souligné la fidélité par-
faite et même héroïque: Azarias, Daniel, Esdras, Tobie (3, 3-5).
La portée de ces confessions collectives et des renouvelle-
ments de l'alliance qui les accompagnaient est très grande. Elles
ont constitué le point de départ de la notion prophétique de
"nouvelle alliance », que Jésus lui-même et s. Paul ont reprise
pour caractériser l'état meilleur auquel accède désormais le
peuple de Dieu, purifié par un sacrifice parfait '. Si je dépasse
alors les témoignages proprement liturgiques des anciennes écri-
tures, c'est provoqué par eux, parce que les idées qu'ils expriment
ont amené à un seuil supérieur.
Jérémie a débuté dans son ministère prophétique dans la
treizième année du roi Josias (lér 25, 3), cinq ans avant la grande

5 Luc 22, 20; 1 Cor 11, 25; 2 Cor 3, 6; Héb 8, 8.13; 9, 15. Dans Mat 26, 28
et Mc 14, 24 le contenu de la coupe est appelé seulement {{ mon sang de
l'alliance ». Mais le verset suivant parle d'un vin nouveau à boire dans le
Royaume.
126 ANDRÉ-MARIE DUBARLE

réforme déclanchée par la découverte du livre de la Loi. Il est


possible qu'il ait participé à la propagande faite en faveur du
renouvellement de l'alliance décidé par le roi (lér 11, 1-12). Il a
dû assister à la cérémonie liturgique de renouvellement de l'al-
liance (.2 R 23, 3). Dans cet événement il a trouvé l'impulsion
pour une conception d'une ampleur spirituelle incomparable-
ment plus grande. A la place de l'alliance conclue à la sortie
d'Egypte et rompue par le peuple, Yahweh projette une alliance
nouvelle, qui ne serait pas seulement une répétition, un exem-
plaire de rechange à la place d'un exemplaire usé et endommagé.
Les conditions de la vie religieuse seront profondément modi·
fiées. Yahweh lui-même écrira sa Loi sur les coeurs. Il réalisera
ce que les maîtres de sagesse invitaient leurs disciples à faire:
écrire leurs enseignements sur les tablettes de leur coeur (Pr 3,
3; 7, 3). Il fera plus que graver un souvenir indestructible dans
la mémoire. Il se fera connaître directement de chacun, c'est à
dire selon la force du terme en hébreu (cf. lér 22, 16), que le
coeur sera transformé, n'aura pas seulement une connaissance
théorique de Dieu et de sa loi, mais deviendra docile, sponta-
nément incliné à exécuter la volonté divine, sans avoir besoin
d'y être contraint par une autorité sociale extérieure sous la
menace de peines (lér 31, 31-34), La nouveauté est radicale,
tout en gardant la continuité avec l'économie antérieure.
En quelques occasions l'Eglise de l'Ancien Testament appa-
raît donc comnle une église consciente de ses fautes, écrasée
par le sentiment de son infidélité, mais aussi comptant sur la
miséricorde divine pour la purifier. Il y a là un certain contraste
avec la profession de foi contenue dans les symboles récités
soit à l'occasion du baptême, soit dans des célébrations régulières
comme la messe des dimanches et fêtes. Le symbole des apôtres
proclame: "Je crois au Saint-Esprit, la sainte Eglise catholi-
que ». Le symbole plus développé de Nicée-Constantinople: "Je
crois en une seule Eglise, sainte, catholique et apostolique ».
L'Eglise du Nouveau Testament se proclame sainte et sans
tache (Eph 5, 27). L'Eglise de l'Ancien Testament se proclame
pécheresse, dans un retour humilié sur le passé, au milieu de
cérémonies solennelles de pénitence.
Le contraste est-il fondamental? ou ne serait-il qu'apparent?
Les formules que la liturgie chrétienne fait répéter aux fidèles,
empruntées aux Psaumes et à des compositions similaires, ne
contiennent-elles pas un avertissement? Rien dans l'Ancien Tes-
L'ÉGLISE DE L'ANCIENNE ALUANCE 127

tament, dans la Loi et les prophètes, n'est définitivement périmé


jusqu'à ce que passent le ciel et la terre (Mat 5, 18). C'est seule-
ment quand seront créés des cieux nouveaux et une terre nou~
velle qu'apparaîtra la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, descen-
dant du ciel (Ap 21, 2). Jusque là l'Eglise est sainte et elle est
pécheresse '. Non seulement les individus sont pécheurs, infé-
rieurs et infidèles à leur vocation baptismale; mais l'Eglise,
prise en corps, a pu, dans de larges couches, autoriser ou tolérer
des pratiques contraires à l'Evangile. L'Eglise est sainte, parce
qu'ellc conserve les moyens de sanctification que Dieu lui a
donnés, l'Ecriture inspirée, les sacrements; et il y a toujours en
elle des saints, des chrétiens fidèles jusqu'à l'héroïsme aux com-
mandements du Christ. Mais il peut y avoir en elle des infidé·
lités collectives, inconscientes ou conscientes, mais insuffisam-
ment dénoncées et réprimées. Cela ne va pas jusqu'à l'apostasie
de tous sans exception. Mais saint Paul rappelle à ses corres-
pondants de Corinthe, diverses fautes commises par le peuple
de l'ancienne alliance et sévèrement châtiées par Dieu, pour
les mettre en garde contre un danger de tomber dans les mêmes
crimes (J Cor 10, 1-13; cf. Héb 3,7 - 4,11).
Les prières liturgiques de l'Ancien Testament rappelées il y
a un instant peuvent donc être pour l'Eglise et pour ses chefs
hiérarchiques un avertissement les autorisant à reconnaître pu~
bliquement les fautes collectives du passé, celles qui englobent
une large portion des chrétiens et dépassent la mesure de défail-
lances individuelles. De telles confessions ne pourraient entrer
dans le formulaire de la liturgie régulière, dans les schèmes et
les prières destinées à une répétition fréquente, mais elles ne
sont pas pour autant inexistantes. On peut en citer des exemples,
d'un intérêt oecuménique évident, dont le rappel est tout à fait
à sa place dans ces journées d'études liturgiques, qui ont tou-
jours été d'une ouverture oecuménique.
Le pape Adrien VI (1522-1523), dans des instructions données
au nonce Chieregati pour la diète de Nuremberg, où on devait
chercher les moyens d'enrayer la propagation des idées luthé-
riennes, lui recommanda de reconnaître ouvertement les fautes

6 D'un point de vue plus largement patristique et théologique que spécifique·


ment biblique on peut lire l'article de Y. CONGAR, "Sainteté et péché dans l'Egli-
se )), dans La Vie Intellectuelle, 15 (1947), nO 11, pp. 6-40. On y trouvera (pp. 12-
13) les deux textes d'Adrien VI et du cardinal Réginald Pole, résumés ici un
peu plus loin.
128 ANDRÉ-MARIE DUBARLE
~~----------~~

des prélats et les abominations commises à la cour de Rome 7.


Vingt quatre ans plus tard, au début de la deuxième session
du concile de Trente (7 janvier 1546), le cardinal Réginald Pole
s'adressait ainsi aux évêques rassemblés: « Celui qui n'a pas
pris soin du champ qu'il aurait dû cultiver, celui qui n'a pas
semé les mauvaises herbes de l'hérésie, mais ne s'est pas préoc-
cupé d'arracher lui-même les mauvaises herbes qui pullulaient,
ne doit pas être considéré comme étant moins la cause de leur
développement que s'il les avait semées, car tout cela tire son
origine et sa croissance de la négligence du cultivateur» '.
Tout récemment le second concile du Vatican a reconnu
que la conduite de l'Eglise n'a pas toujours été conforme aux
principes qu'il proclamait. La déclaration sur la liberté reli-
gieuse contient cet aveu: "Dans la vie du Peuple de Dieu,
accomplissant son pélerinage à travers les vicissitudes de l'his-
toire humaine, a existé parfois une manière d'agir peu conforme
à l'esprit évangélique, ou même contraire; toutefois c'est tou-
jours resté la doctrine de l'Eglise que personne ne doit être
contraint à (professer) la foi» (§ 12, 1).
Et la Constitution pastorale sur l'Eglise dans le monde
contemporain a fait la remarque suivante: "Il est donc per-
mis de déplorer certaines attitudes d'esprit qui se sont mani-
festées parfois parmi les chrétiens eux-mêmes, parce que l'on
n'a pas assez tenu compte de la légitime autonomie de la
science. Elles ont provoqué des conflits et des controverses qui
ont amené de nombreux esprits à regarder la foi et la science
comme opposés» (§ 36, 2). Une note renvoyait alors au cas de
Galilée (condamné en 1633).
Il était bon que ces choses-là soient dites une fois et qu'elles
restent consignées dans les actes d'un concile. Mais naturelle-
ment à la grand'messe il ne faudrait pas substituer la lecture
de ces paragraphes au chant: «Je crois en l'Eglise une et sain-
te », profession de foi en une réalité qui n'est pas encore plei-
nement effective et manifeste et qu'il nous appartient de rendre
chaque jour plus réelle et apparente.

André-Marie DUBARLE

7 Dans L. PASTOR, Geschichte der Pdpste, 1. IV, 2, p. 93; trad. fr. t. IX, p. 103.
8Concilium Tridentinum (édition de la Gorresgesellschaft), t. IV, 1 (1914),
pp. 550-551.
LE PEUPLE DE DIEU DANS LA LITURGIE JUIVE

Comme entrée en matière, nous voudrions citer deux textes


de la liturgie synagogale qui figurent dans l'office de Kippûr.
Voici le premier 1:

« Car nous sommes ton peuple et tu es notre Dieu.


Nous sommes tes enfants et tu es notre Père.
Nous sommes tes serviteurs et tu es notre Maître.
Nous sommes ton troupeau et tu es notre pasteur.
Nous sommes ta vigne et tu es notre gardien.
Nous sommes ton héritage et tu es notre patrimoine.
Nous mettons notre confiance en toi et tu nous protèges.
Nous sommes ton oeuvre et tu es notre Créateur.
Nous sommes tes élus et tu es notre appui.
Nous Sommes ton peuple et tu es notre Roi.
Nous sommes tes bien-aimés et tu es notre ami.
Nous chantons ta gloire et toi, tu es glorieux )),

Et le second texte':

« En Israël règne sa foi, c'est Israël qu'il bénit.


Sur Israël plane sa majesté, c'est Israël qui est l'objet de ses
entretiens.
En Israël rayonne sa splendeur, c'est Israël qui est (son lieu
de) résidence.
C'est d'Israël dont il se souvient, c'est à Israël qu'il prodigue
sa miséricorde.
Sur Israël (plane) sa pureté, c'est en Israël (qu'il manifeste) sa
droiture.
Israël est sa plantation, Israël est sa nation.

l Ki anû améklta. Rituel de prières de Yom Kippour, tome l, Paris, sans année,
p. 336/38.
Z 'Al Yisraël émûnato. Gebete für den. Versohnungstag, Rüdelheim, 1888, p. 126.
130 KURT HRUBY

En Israël (se manifeste) son Royaume, c'est Israël qui lui est
agréable.
Israël est sa propriété, Israël sa communauté.
Israël est son oeuvre, en Israël (se manifeste) sa bienfaisance.
Sur Israël (repose) sa sainteté, c'est en Israël qu'il est exalté.
Sur Israël (plane) sa Shekhil1ah, en Israël (se manifeste) sa
majesté ».

La liturgie juive, expression authentique de la foi de la


communauté, prend à son compte et développe constamment les
idées en même temps bibliques et traditionnelles concernant
l'élection d'Israël par Dieu, le don de la Torah qui est comme
la ratification solennelle de ce choix, la vie du peuple confor-
mément aux commandements de la Torah et leur interprétation
permanente par les maîtres de l'enseignement traditionnel, ainsi
que la signification exemplaire de cette existence sous le regard
de Dieu au niveau du plan du salut et de la destinée de l'huma-
nité. Tous ces éléments sont comme résumés dans le Qiddûsh, la
prière de sanctification qui inaugure les fêtes de l'année juive 3:
({ Sois béni, Seigneur, notre Dieu, Roi de l'univers, qui nous as
élus entre tous les peuples, nous as élevés au-dessus de toutes les
nations et nous as sanctifiés par tes commandements. Dans ton
amour (pour nous), Seigneur, notre Dieu, tu nous as donné les
fêtes pour notre joie, les solennités et les époques (sacrées) pour
l'allégresse, cette fête ... , sainte convocation, mémorial de la sortie
d'Egypte. Car c'est nous que tu as élus, nous que tu as sanctifiés
parmi tous les peuples, et c'est à nous que tu as donné en héritage tes
fêtes sacrées pour la joie et l'allégresse. Sois béni, Seigneur, qui
sanctifies Israël et les époques (sacrées)).

La même idée, mise en rapport plus particulièrement avec


la Torah, est exprimée dans les bénédictions qui entourent la
lecture de la Torah dans le cadre de l'office synagogal 4 :

« Sois béni, Seigneur, notre Dieu, Roi de l'univers, qui nous as


élus parmi toutes les nations, et qui nous as donné la Torah. Sois
loué, Seigneur, qui donnes la Torah».
«Sois béni, Seigneur, notre Dieu, Roi de l'univers, qui nous
as donné la Torah de vérité, et qui (par elle) as implanté la vic
éternelle parmi nous. Sois loué, Seigneur, qui donnes la Torah».

3 Séder 'Avvdat Yisraël. Nouvelle édition. Schockcn, Berlin, 1937, p. 360.


4 lb., p. 123.
LE PEUPLE DE DIEU DANS LA LITURGIE JUIVE 131

La liturgie synagogale met très fortement en relief l'état


de grâce et de sanctification qui est celui du peuple juif en sa
qualité de peuple de Dieu par excellence. Cela ressort très claire-
ment des deux prières de Kippûr que nous avons citées en guise
d'introduction d'une part et, d'autre part, de l'une des plus
anciennes prières de l'office, la bénédiction qui, matin et soir,
précède la récitation du Shem'a Yisraël', bénédiction dont nous
reproduisons ici la forme qu'elle revêt dans la prière du matin ':
« D'un grand amour tu nous as aimés, Seigneur, noire Dieu,
ayani eu pitié de nous dans ta grande miséricorde. Notre Père,
notre Roi, en faveur de nos pères, qui ont eu confiance en toi et à
qui tu as enseigné les lois de vie, sois-nous favorable et prodigue-
nous ton enseignement. Notre Père, Père miséricordieux et compatis-
sant, aie pitié de nous, donne à notre cocur (la faculté) de discer-
ner et de comprendre, d'entendre, d'apprendre et d'enseigner, d'obser·
ver, de pratiquer et d'accomplir toutes les paroles (qui ressortent) de
l'étude de la Torah avec amour. Eclaire nos yeux grâce à ta Torah,
attache notre coeur à tes commandements, et disposc·le à aimer et
à révérer ton Nom. Puissions·nous n'avoir jamais à rougir, car nous
mettons notre confiance dans ton Nom saint, grand et redoutable,
nous jubilerons et nous réjouirons en ton secours. Ramène-nous en
paix des quatre coins dc la terre et conduis·nous, la tête haute, dans
notre pays; car tu es un Dieu qui opères le salut, et tu nous as choisis
parmi tous les peuples ct toutes les langues, et nous as rapprochés
de ton saint Nom, Sélah! en vérité, pour te rendre grâces et pour
proclamer ton unité avec amour. Sois loué, Seigneur, qui choisis ton
peuple Israël avec amour)).

Par la formule liturgique devenue presque stéréotypée:


« Notre Dieu et Dieu de nos pères », la communauté, dans sa
prière, proclame sa solidarité inébranlable avec le passé loin-
tain qui commence par l'épopée des patriarches, avec les étapes
de la démarche du peuple à travers l'histoire sous la conduite
de Dieu et, par là même, sa conviction et sa foi profonde dans
l'aboutissement de cette démarche, à l'avenir, par l'accomplis-
sement des promesses divines. Nous choisissons, comme exem-
ple de cette attitude, la première des Dix-Huit bénédictions':
« Sois béni, Seigneur, notre Dieu et Dieu de nos pères, Dieu d'Abra-
ham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob, le Dieu grand, fort et redoutable,
Dieu suprême, qui dispenses des grâces précieuses, Créateur de toutes

5Dt 6:4-9: 11:13-21: Nb 15:37-41.


6 lb., p. 80/81.
, lb., p. 87/88.
132 KURT HRUBY

choses; tu te souviens des vertus des pères, tu amèneras un libérateur


aux enfants de leurs enfants en faveur de ton Nom, avec amour».

Pour qu'Israël soit capable de faire face aux exigences que


lui impose sa qualité de peuple de Dieu et donc sa démarche
de témoin du Dieu unique et de sa Révélation auprès des autres
nations, il a besoin en permanence d'une bénédiction particu-
lière de la part de Dieu, bénédiction sollicitée dans la dernière
partie des Dix-Huit bénédictions ':
{( Donne la paix, le bonheur et la bénédiction, la faveur, l'amour et
la miséricorde à nous tous et à tout le peuple Israël. Bénis-nous, notre
Père, tous ensemble par la lumière de ta face. Car c'est à la lumière
de ta face que tu nous as donné, Seigneur, notre Dieu, la Torah de vie,
l'amour de la vertu, la justice, la bénédiction, la miséricorde, la vie
et la paix. Qu'il soit bon à tes yeux de bénir ton peuple Israël, en tout
temps et à toute heure par la paix. Sois loué, Seigneur, qui bénis ton
peuple Israël par la paix n,

Par toutes ces expressions liturgiques, la communauté réu~


nie dans la prière affirme constamment les données de la tra-
dition rabbinique concernant la situation d'Israël comme peuple
de Dieu. Voici, à titre d'illustration, un texte midrashique ':
« Parle aux enfants d'Israël et dis~leur: Quand l'un de vous pré~
sentera une offrande au Seigneur .. , n (Lv 1: 2). C'est ce qui est écrit
(Jér 31:20): « Ephraïm est~il donc pour moi un fils si cher... ». Dix
choses sont appelées « précieuses» (par l'Ecriture), à savoir: L La
Torah; 2. les Prophètes; 3. la raison; 4.la connaissance; S.la stupidité;
6. la richesse; 7. les hommes vertueux; 8. la mort des pieux; 9. la grâce
et 10. IsraëL La Torah, comme il est dit (Prv 3: IS): «( Elle est précieuse
plus que les perles n ... Israël, comme il est dit (Jér 31:20): (( Ephraïm
est-il donc pour moi un fils si cher... ». Israël m'est particulièrement
précieux. Ordinairement, mille personnes se rendent (à la maison
d'étude) pour étudier la Torah, et seulement cent en sortent (ayant
tiré bénéfice de leur étude); cent personnes étudient la Mishna,
et seulement dix le font avec profit; dix personnes étudient le
Talmud, el un seul en tire bénéfice. C'est ce qui est écrit (Eccl 7:
28): « Un homme sur mille, je l'aperçois bien .. , ", « Ephraïm est-il
donc pour moi un fils si cher ... n. Partout où, (dans l'Ecriture),
figure le mot li (pour moi), il ne disparaît jamais du monde, ni
dans ce monde-ci, ni dans le monde à venir... (Or) il est dit au
sujet des enfants d'Israël (Lv 25: 55): «Car c'est dc moi (li) que
les enfants d'Israël sont les serviteurs n.

'lb., p. 103;04.
9 Midrash Rabbah ... me·et Mosheh Aryeh Mirkil1, Wa·yiqra Rabbah, 2ème
édition, Yabneh, Tel·Aviv, 1973, p. 22/23. .
LE PEUPLE DE DIEU DANS LA LITURGIE JUIVE 133

La mission d'Israël comme peuple de Dieu implique égale-


ment l'idée de sa perennité en fonction des liens indissolubles
qui le rattachent à Dieu. Un ancien Midrash l'exprime dans un
passage qui revêt presque un caractère liturgique 10:
«Yah est ma force et mon chant, à lui je dois ma délivrance»
(Ex 15:2). Les Israélites dirent (Dt 6:4): «Ecoute, Israël, le Sei·
gneur, notre Dieu, est l'unique Seigneur!}} et l'Esprit Saint procla-
ma et dit (1 Ch 17: 21): « y a·t-il comme ton peuple Israël un
peuple unique sur terre?». Les Israélites dirent (Dt 4:7): «(Qui
est) comme le Seigneur, notre Dieu, chaque fois que nous l'invo-
quons?» et l'Esprit Saint proclame et dit (ib.): « Quelle est en effet
la grande nation de qui Dieu est proche?». Les Israélites dirent
(Ps 89: 18): «L'éclat de leur puissance, c'est toi », et l'Esprit Saint
proclama et dit (1s 49:3): « (Tu es mon serviteur), Israël, en qui
je me glorifierai».

Tout en exaltant la dignité et la sainteté d'Israël, la litur-


gie n'oublie pas pour autant que, tout au long de l'histoire du
peuple, ses relations avec Dieu étaient et sont perturbées pério-
diquement par son infidélité aux impératifs de la Torah. C'est
cette infidélité qui est aussi la cause profonde de la vie anormale
qu'Israël est obligé de mener en exil. Cet état de fait et ses
conséquences sont exprimés dans une prière qui revient dans
la prière supplémentaire (Mûssaf) de toutes les fêtes. En même
temps, cette prière exprime cependant le ferme espoir qu'un
jour, Dieu aura de nouveau pitié de son peuple et le rétablira
dans son ancienne dignité Il:

«Mais en raison de nos péchés, nous avons été exilés de notre


pays, éloignés de notre territoire, et nous ne pouvons monter
(à Jérusalem), nous présenter et nous prosterner devant toi et
accomplir nos devoirs dans la Maison de ta prédilection, dans la
Maison grande et sainte sur laquelle ton Nom fut invoqué, à
cause du bras qui fut brandi contre ton Sanctuaire. Que ta volonté
soit, Seigneur, notre Dieu et Dieu de nos pères, Roi miséricordieux,
de nous prendre à nouveau en pitié, (nous) et ton Sanctuaire, dans
ta grande compassion; reconstruis-le bientôt et rends grande sa
gloire. Notre Père, notre Roi, dévoile bientôt sur nOlis la gloire
de ton règne, apparais et élève-toi au-dessus de nous, aux yeux
de tout vivant. Rapproche nos dispersés de parmi les nations, et
nos exilés, rassemble-les de extrêmités de la terre. Conduis-nous

10 Mekhilta d'Exade, be-shalla~1 (Ha-Shirah), chap. 3, Edit. Horovitz-Rabin,


p. 126.
11 Séder 'Avodat Yisraël, p. 352/53.
134 KURT HRùBY

à Sion, ta Cité, avec des chants ct à Jérusalem, la demeure de ton


Sanctuaire, dans une joie éternelle. Là nous préparerons devant
toi nos sacrifices obligatoires ... ct nous te les offrirons, avec amour
et selon l'expression de ta volonté, comme tu nous l'as prescrit
dans ta Torah, par l'entremise de Moïse, ton serviteur, sur ton
ordre glorieux ... ».

Il est normal que le sentiment de cette culpabilité du peuple


se traduise par des accents particulièrement poignants dans la
liturgie de Kippûr, comme par ex. dans cette poésie religieuse
des prières pénitentielles (Selihot) insérées alors dans l'office du
matin J2:

Ana ha-Shem l1a-nikhbad we-ha-nora - {( Dieu grand et re-


doutable, pardonne les fautes de ce peuple que tu as élu pour
chanter tes louanges. En faveur de ton Nom glorieux, daigne ac-
cueillir avec grâce nos prières et exaucer nos supplications. En
ce jour je me présente devant toi pour célébrer ta gloire et te
confesser mes péchés. Tu me vois prosterné dans ton sanctuaire.
Puisses-tu abaisser sur moi tes regards bienveillants! Seigneur,
je tremble devant toi, car mes fautes sont graves ct mes iniquités
considérables. Les paroles que tu as autrefois enseignées à ton
prophète Moïse, je les prononce en cc lieu; écoute-les dans ta sainte
résidence! Ne rejette pas mes plaintes et ne repousse pas le plus
humble de tes serviteurs. Ton peuple implore ta bienveillance.
Seigneur, affermis son coeur et accepte ses prières! N'es-tu pas
un Dieu de bonté, un Père indulgent pour tes enfants? Pour toi
nous nous imposons aujourd'hui des privations; daigne les agréer
comme jadis les sacrifices et nous envoyer le salut. Fais grâce à
ceux qui reconnaissent leur méchanceté et purifies-les de toute
souillure. Accueille leurs gémissements et ne les couvre pas de
confusion. Oh! pardonne-nous et plonge dans les profondeurs de
l'abîme les preuves de nos iniquités. Autrefois, tu as été attentif
aux invocations de ton serviteur Daniel. Tu ne resteras pas sourd
à nos plaintes; ta bienveillance triomphera de ton courroux et
nous assurera le pardon. Toute la terre reconnaîtra que tu es un
Dieu indulgent ct un juge miséricordieux lorsque tu auras accueilli
avec faveur ta race privilégiée et couvert les infortunés de ta
protection. Seigneur, aie pitié de Sion et rends à Jérusalem son
ancien éclat; ne refuse pas ton appui à ton troupeau dispersé. De
ta propre main tu as planté une vigne; ne la laisse pas dépérir. Tu
rassembleras nos exilés et tu relèveras notre puissance, non pas
à cause de notre mérite mais pour toi-même, Seigneur. Ecoute nos
prières, aie pitié de nous. Rétablis ton trône dans la sainte cité
qui brille de l'éclat de ton Nom l'.

12 Rituel de prière pour Yom Kippour, p. 304/06.


LE PEUPLE DE DIEU DANS LA LITURGIE JUIVE 135

Et cette autre prière figurant dans le même contexte 13:

Omnam Elohei 'olam - «En effet, Dieu de l'univers, nous


avons été infidèles à tes commandements, en public et dans l'in-
timité. Maintenant, nous nous présentons comme des mendiants
devant les portes de ton palais. Exauce-nous, ô Dieu très-haut, et
ne nous laisse pas revenir courbés et pleins de honte. Laisse-toi
fléchir par cetL'L qui t'implorent pour que tous sachent que
personne n'est comme Dieu, qu'il n'existe point de sauveur et de
rédempteur hormis toi qui as pitié et pardonnes dans ta grande
bonté à la maison d'Israël. Notre bouche ne peut point formuler
(des paroles) de défense qui nous justifieraient devant ton tribunal.
Nous savons que la honte est notre part et que le droit est auprès
de toi. Dieu plein de miséricorde! Regarde l'impuissance et l'humi-
liation de notre époque où nous sommes dispersés sans que per-
sonne ne prenne soin de nous. Nous sommes comme des vases
inutiles, étant descendus plus bas que toutes les autres générations.
Agis à cause de ton Nom glorieux et n'abandonne pas cette géné-
ration. Nous avons péché contre ton saint Nom, avons raidi la
nuque et nous sommes montrés rebelles. Nous avons abandonné
le droit chemin, avons emprunté des sentiers tortueux et sommes
devenus apostats. Maintenant, dans notre misère, nous t'invoquons,
sans oser lever la face, car nous n'avons pas d'oeuvres à faire
valoir et sommes dépourvus de tout mérite. Daigne te tourner vers
les supplications du peuple pauvre et méprisé qui, à peine libéré
de l'embüche s'empêtre immédiatement dans une autre. Exauce
leurs prières et accorde-leur le pardon total comme tu l'as promis
jadis au messager fidèle (Moïse) lorsqu'il priait (Nb 14: 19): "Par-
donne donc la faute de ce peuple!" )).

Encore une autre prière de Kippûr traduit la même inspi-


ration 14:

( Seigneur écoute, Seigneur pardonne! Seigneur sois attentif


et ne tarde pas! A cause de toi, ô Dieu, car ton Nom est invoqué
sur ta ville et sur ton peuple! n.

Et le texte continue 15:


{{ Souviens-toi de ta tendresse, Signeur, et de ton amour, car
ils sont de toujours (Ps 25: 6). Souviens-toi de nous, Seigneur, par
amour de ton peuple, visite-nous par ton salut (ib. 106:4). Rappelle-
toi ton peuple que tu as acquis dès l'origine, que tu rachetas, tribu
de ton héritage, et ce mont Sion, où tu fis ta demeure (ib. 74: 2).

13 Gebete für den Versdlmungslag ... , p. 206.


141b., p. 458.
15 lb., p. 460/62.
136 Kl'RT HRUBY
~~------------~~ ---------------------
Souviens-toi de ta tendresse pour Jérusalem, n'oublie pas à jamais
l'amour de Sion. Souviens-toi, Seigneur, contre les fils d'Edam, du
jour de Jérusalem quand ils disaient: A bas! Rasez-la jusqu'aux
assises! (ib. 137:7). Souviens-toi d'Abraham, d'Isaac et d'Israël,
tes sen'iteurs, à qui tu as déclaré, en jurant par toi-même: Je
rendrai votre postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel, et
tout ce pays dont j'ai parlé, je le donnerai à vos descendants, et
il sera à jamais leur héritage (Ex 32: 13). Souviens-toi de tes
serviteurs, Abraham, Isaac et Jacob, ct ne fais pas attention à
l'indocilité de ce peuple. à sa perversité et à son péché (Dt 9: 27).
Ne nous impute pas le péché que nous avons commis dans notre
démence. Nous avons péché, ô notre Rocher, pardonne-nous, ô
notre Créateur! ».

c'est toujours en invoquant les expenences du passé et les


hauts faits opérés par Dieu en faveur du peuple qu'Israël implore
le secours et la protection de Dieu dans sa situation actuelle ":
({ Comme tu es venu en aide à l'(élu) de Dieu (Israël) lorsqu'
il sortit de Lûd (Egypte) - ainsi viens à notre aide!
Comme tu es venu en aide au peuple et à son guide (Moïse)
qui espéraient le salut de Dieu - ainsi viens à notre aide!

Comme tu es venu en aide aux foules innombrables, (lors de


l'Exode), accompagnés d'anges (faisant partie) des armées (cé-
lestes) - ainsi viens à notre aide!
Comme tu es venu en aide aux purs (sortant) de la maison
d'esclavage, ô (Dieu) clement, les libérant (de la main) de leurs
oppresseurs ainsi viens à notre aide!

Comme tu es venu en aide (à ton peuple) lorsque l'arche


(d'alliance) fut dérobée, châtiant les Philistins avec colère et
sauvant les Israélites - ainsi viens à notre aide!
Comme tu es venu en aide aux communautés que tu as
envoyées à Babylone (au moment de l'Exil), y allant avec eux, ô
(Dieu) miséricordieux - ainsi viens à notre aide!
Comme tu es venu en aide jadis aux exilés des tribus de Jacob,
tu vas (un jour) ramener (également) les exilés sous les tentes de
Jacob - ainsi viens à notre aide!
Comme tu es venu en aide jadis à ceux qui gardaient tes
commandements et qui espéraient en ton salut, ô Dieu du salut:
o Seigneur, viens à notre aide!
16 Hosha'not pour les jours de demi-fête de Sûkkot. Gebetbuc1t tür das
Laubhüttellfest, Rodelheim, sans année, p. 193/94.
LE PEUPLE DE DIEU DANS LA LITURGIE JUIVE
----
137

Sauve ton peuple, bénis ton héritage, conduis-les, porte-les à


jamais (Ps 28: 9). Puissent ces paroles que j'ai dites en suppliant
devant le Seigneur rester présentes jour et nuit au Seigneur, notre
Dieu, pour qu'il rende justice à son serviteur et justice à son peuple
Israël, selon les besoins de chaque jour (I R 8: 59). Tous les peuples
de la terre sauront alors que le Seigneur est le seul Dieu, et qu'il
n'yen a point d'autre (ib. 60) )J.

A l'image de l'ensemble de la tradition biblique et rabbini-


que, la liturgie synagogale souligne à son tour dans de nom-
breuses prières que l'objectif dernier de la fonction d'Israël
comme peuple de Dieu est de promouvoir la reconnaissance de
la domination souveraine de Dieu par l'humanité entière. On
pourrait citer dans ce contexte plus particulièrement nombre
de passages de l'office de Rosh ha-Shanah, comme par ex. la
prière de 'Alénû et les Malkhûyot, la proclamation solennelle de
la royauté de Dieu. Nous reproduisons ici à ce titre une courte
poésie religieuse qui développe certaines idées contenues dans le
'Alénû 17:
(jAlors tous viendront pour te serviT et pour bénir ton Nom
glorieux. Sur les îles lointaines, ils proclameront ta justice. Des
peuples qui ne t'ont jamais connu te chercheront. Aux extrêmités
de la terre on te glorifiera en disant: Grand est le Seigneur! Ils
t'offriront leurs sacrifices, abandonnant leurs idoles, auront honte
de leurs images taillées et s'inclineront unanimement pour te
servir. Alors te vénéreront tant que dure le soleil ceux qui cher-
chent ta face, ils reconnaîtront la puissance de ton Royaume et
enseigneront la connaissance à ceux qui sont dans l'erreur. Ils
proclameront ta puissance et t'exalteront, toi qui es élevé au-dessus
de tout. Ils se présenteront devant toi avec respect afin de te
tresser un diadème précieux. Les montagnes éclateront en jubila-
tion et les îles se réjouiront de ton règne. Tous accepteront le
joug de ton Royaume et te glorifieront dans l'assemblée du peuple
Des nations lointaines l'entendront et afflueront afin de t'offrir
la couronne royale )).

La prière commul1ll1Jtaire comnœ fonction et devoir du


peuple de Dieu

L'expérience d'Israël étant avant tout celle d'un peuple, et


donc d'une collectivité, il n'est que normal que la prière publi-
que, liturgique réflète elle aussi, telle qu'elle se présente au

17 Gebete tür das Neujal1rsfesl, Rodelheim, 1897, p. 213.


138.________ .____________~K~u~R~T~H~I~,u~-=B~y________________________

terme de toute une évolution historique dont nous ne pouvons


pas retracer ici les etapes, très fortelnent ce caractère. Cette
constatation n'infirme nullement le fait que la plupart des priè-
res de l'office synagogal -- c'est-à-dire le fond ancien de ces
prières -- remontent certes à des formulations d'abord person-
nelles et individuelles qui, au fur et à mesure, ont trouvé leur
place dans la liturgie.
Il y a également lieu de rappeler à cet égard que, tout le
domaine de la prière ayant été considéré pendant très longtemps
comme relevant exclusivement de la tradition orale, la rédac-
tion définitive des formules de prières telles qu'elles se présen-
tent dans les différents rituels est, dans le judaïsme, un phéno-
mène relativement récent. Le pren1ier rituel de prières à pro-
prement parler, le Séder Rav 'Amram Caon, ne date en effet
que du 9ème siècle. Et il n'est pas sûr que, dans sa forme pri-
mitive, il ne se soit pas agi d'un simple recueil de « rubriques»
et donc d'indications pour le déroulement correct de l'office
selon les normes traditionnelles, et que les formules de prières
qui y figurent n'y aient été insérées encore plus tard.
Le caractère essentiellen1ent communautaire de la prière
juive se traduit par le fait qu'elle s'exprime presque toujours au
pluriel: elle est d'abord un devoir de communauté. Certes,
celui qui n'a pas la possibilité de prier avec la communauté est
obligé de s'acquitter individuellement du devoir de faire la
prière à des moments précis de la journée, déterminés par la
tradition, mais il le fait néanmoins avec les accents empruntés
à la prière communautaire, la solidarité entre les individus et
donc leur corresponsabilité subsistant méme là où il n'y a pas
de réunion ou de rassemblement de fidèles. « Tous les Israélites
sont responsables les uns des autres" (Shevû'ot 39b) s'énonce
une maxime qui revient dans presque tous les documents de la
tradition rabbinique ancienne, responsabilité et solidarité qui,
d'après cette même tradition, se rattachent au fait que tout le
peuple était rassemblé au moment de la Révélation du Sinaï
(Ex 19: 17), que tout le peuple comme un seul homme a accepté
alors de sc soumettre aux commandements de la Torah (ib.
24: 3), ct que les engagements qui en découlent sont valables
pour toutes les générations (Dt 29: 13,14).
La prière que la comn1w.13uté d'Israël présente à Dieu comme
un devoir de louange et d'action de grâces lui incombant collec-
tivement en fonction même de sa qualité de peuple de Dieu, se
LE PEUPLE DE DIEU DANS LA LITURGIE JUIVE 139

déroule dans le cadre de l'assemblée. C'est là le sens premier


du terme knesset, utilisé pour former Beit ha-Knesset, "syna-
gogue ». Le lieu, voir le bâtiment, - bien que la tradition rabbi-
nique le valorise à son tour, lui attribuant un certain degré de
sainteté, - reste toujours absolument secondaire par rapport
au rassemblement, à la réunion des fidèles, qui peut d'ailleurs
avoir lieu en tout endroit décent.
Pour souligner et, en même temps, pour sauvegarder cet
aspect essentiellement communautaire de la prière, la tradition
rabbinique a établi un certain nombre de règles, exigeant la pré-
sence d'au moins dix hommes adultes'" pour les parties les plus
importantes de l'office. La Mishna donne dans ce domaine les
précisÎons sUÎvantes 19:

On ne développe pas le Shem'a 20, on ne passe pas devant


l'arche 11, ou n'élève pas les mains (pour la bénédiction des Aaro-
nides), on ne lit ni dans la Torah ni dans un (livre) prophétique,
on ne se lève ni ne s'assied (pendant le cortège funèbre pour faire
un court éloge du défunt), on ne dit pas la bénédiction pour les
personnes en deuil ni ne leur présente les condoléances, on ne
récite pas la bénédiction sur les jeunes mariés ni ne lance l'invi-
tation (aux grâces après le repas) en y faisant mention du nom de
Dieu à moins de dix (hommes adultes).

En ce qui concerne ce quorum de dix personnes, d'ailleurs


nécessaire également pour la validité de certains actes juridi-
ques, il figure déjà dans l'Ecriture Sainte comme la plus petite
unité de responsables, établis par Moïse sur le conseil de son
beau-père Jétbro (Ex 18: 21): "Choisis-toi, parmi tout le peuple,
des hommes capables, craignant Dieu, des hommes sûrs, incor-
ruptibles, et fais-en les chefs du peuple: chefs de milliers, chefs
de centaines, chef de cinquantaines, chefs de dizaines. »
Le Talmud explique de différentes manières ce nombre de
dix 22 comme celui de la plus petite unité de la communauté. C'est

18 C'est-à·dire ayant au moins treize ans et un jour.


19 Meguillah IV,3.
20 Cf. note 5. On ne le dit pas en alternant avec l'officiant.
21 Devant l'arche sainte où sont conservés les rouleaux de la Torah, en
qualité d'officiant, pour reprendre à haute voix les Dix-Huit bénédictions réci-
tées d'abord à voix basse par l'assemblée.
22 Le quoru.m liturgique porte d'ailleurs en hébreu le nom de minyan, ce
qui signifie précisément «nombre ».
140 KURT HRUBY
--
ainsi que, dans Bérakhot 21a, il est rattaché à l'histoire des
explorateurs envoyés par Moïse dans le pays de Canaan:

« R. Hûna disait: Quiconque entre à la synagogue et (y) trouve


la communauté en prière: s'il peut commencer et terminer (les
Dix-Huit bénédictions) avant que l'officiant arrive à « Nous te
rendons grâces» (la 17ème bénédiction), il doit le faire; sinon, qu'il
ne les dise pas. R. Yehoshû'a b. Lévi disait: S'il peut commencer
et terminer (les Dix-Huit bénédictions) avant que l'officiant arrive
à la Qeditshah (qui se situe après la deuxième bénédiction), qu'il
dise (les Dix-Huit bénédictions); sinon, qu'il ne les dise pas. - En
quoi consiste le différend (entre ces deux maîtres)? L'un est d'avis
qu'un particulier doit dire "Saint, saint, saint" (dans la Qedûshah) ,
l'autre est d'avis qu'il ne doit pas le dire. Ainsi disait R. Ada bar
Ahavah: D'où (savons-nous) qu'un particulier nc doit pas dire "Saint,
saint, saint"? Il est écrit (en effet, Lv 22: 32): "Afin que je sois sancti-
fié au milieu des enfants d'Israël": tout acte qui doit être accompli
en sainteté (exige) qu'il y ait au moins dix (personnes). D'où (le
savons-nous)? Rabbanaï, le frère de R. Hiyya bar Abba, a enseigné
que cela ressort de (l'emploi du terme) "au mieliu". Dans ce (contexte),
il est dit: "Afin que je sois sanctifié au milieu des enfants d'Israël",
et dans un autre (contexte, Nb 16: 21), il est dit: "Séparez-vous de
cette communauté Cédah) ... ". De même que là (dans le second
contexte), il s'agit de dix (personnes), il s'agit (également dans le
premier contexte) de dix (personnes) ... ».

Dans Kelûbbot 7b, en revanche, ce nombre de dix est mis


en rapport avec l'histoire de Booz et Ruth:

{( R. NaJ:1man disait: R. Hùna b. Nathan m'a présenté l'enseigne-


ment que voici: D'où (savons-nous) que (la récitation de) la béné-
diction nuptiale exige (la présence de) dix (personnes)? Il est dit
(Ruth 4:2): "Booz choisit dix hommes parmi les anciens de la ville.
Asseyez-vous ici, leur dit-il, et ils s'assirent". R. Abbahû le déduit
de ce qui suit (Ps 68:27): "Dans les assemblées, bénissez le Seigneur,
la source d'Israël". Comment R. Na9man utilise-t-ille verset (cité par)
R. Abbahû? Il l'utilise pour l'enseignement suivant: R. Meïr disait:
D'où (savons-nous) qu'à la Mer (Rouge, lors de l'Exode; cf. Ex
4:22ss.), même les embryons dans les entrailles de leurs mères
entonnèrent un cantique? Il est dit: "Dans les assemblées, bénissez
le Seigneur, la source d'Israël" ... .Il faudrait plutôt dire: "à partir
des entrailles", mais (l'Ecriture) dit (cependant): "à partir de la
source", c'est-à-dire en ce qui concerne le source (la procréation).
Comment R. Abbahû utilise-t-il le verset cité par R. Na9man? (Ce
verset est nécessaire) en vue de l'interprétation (de Dt 23: 4:
"L'Ammonite et le Moabite ne seront pas admis dans l'assemblée
du Seigneur"): "L'Ammonite" mais non pas la (femme) ammonite,
LE PEUPLE DE DIEU DANS LA LITURGIE JUIV_E_ _ __ 141

"le Moabite" mais non pas la (femme) moabite H. S'il on veut dire
ainsi, devait-il s'agir d'anciens à cause de la bénédiction (nuptiale)? ..
Etait-il nécessaire, en fonction de cette exégèse, qu'il s'agît de dix
(personnes)? Bien sûr, pour que la chose soit connue ... ».

Certains auteurs considèrent comme base scripturaire du


quorum de dix personnes l'intercession d'Abraham en faveur
des habitants de Sodome (Gn 18: 16ss.) où Dieu promet au pa-
triarche en dernier lieu d'épargner la ville à condition d'y trou-
ver un minimum de dix justes (ib. 32).
Dans la tradition rabbinique ancienne, il existe de nombreux
passages qui mettent très fortement l'accent sur la valeur de
la prière communautaire. Historiquement parlant, ces passages
font certes partie d'un ensemble de mesures prises et de recom-
mandations faites par les maîtres pour valoriser l'institution
synagogale après la destruction du Temple, en 70 apr.J.C., lors-
que la synagogue devint désormais le seul et unique lieu de
culte. Mais au-delà de cet aspect, ces maximes s'insèrent par-
faitement dans une préoccupation plus vaste, qui est précisé-
ment de souligner vigoureusement la valeur et la fonction de la
prière publique, communautaire comme devoir par excellence
d'Israël en sa qualité de peuple de Dieu. Voici, à titre d'exemple,
un de ces passages 24:
«On enseigne (dans une Baraïta): Abba Binyamîn dit: La prière
d'un homme n'est exaucée qu'à la synagogue, car il est dit (1 R 8:28):
"Pour écouter le chant et la prière": Il faut faire la prière à l'endroit
du chant.
Rabin b. Rab Ada disait au nom de Rab YitsJ:taq: D'où (savons-
nous) que le Saint, béni soit-il, est présent à la synagogue? Il est
écrit (ps 82: 1): "Dieu se tient dans l'assemblée de Dieu". Et d'où
(savons-nous) que la Shekhinah est présent là où dix (hommes sont
réunis) pour prier? Il est écrit (même citation) ... ».

Kurt HRUBY

23 Booz, voulant se marier avec Ruth la Moabite, a eu l'intention d'expliquer


aux anciens que c'était permis.
24 Berakhot 6a.
L'ÉGLISE DE L'ANCIENNE ALLIANCE
ET LA LITURGIE BYZANTINE

L'une des composantes du thème de l'Eglise dans la liturgie


est certainement celle qui concerne la présence dans la liturgie
chrétienne de l'Eglise de l'Ancien Testament. Certains aspects
de cette présence sont connus depuis longtemps et ont déjà
été l'objet de nombreuses études. Il en est ainsi de l'usage en
liturgie des livres saints de l'Ancienne Alliance (lectures, emploi
de psaumes, des versets, d'acclamations, d'images etc.). Il en est
de même de l'influence de l'Ancien Testament ou du culte
synagogal sur les structures ou le contenu des offices chrétiens.
Or, un autre aspect de cette présence jusqu'ici a été peu remar-
qué et étudié, du moins chez les orthodoxes: c'est celui qui tient
à la place que la liturgie chrétienne fait dans sa prière au Peuple
de Dieu de l'Ancienne Alliance représenté par ses grandes figures,
par ses hommes et ses femmes, par ceux qui ont été reconnus
comme des saints ou par ceux qui ne l'ont pas été. C'est de cet
aspect de la présence de l'Ancien Testament dans la liturgie de
l'Eglise chrétienne que traitera le présent exposé.
Le sujet, ainsi défini, présente un triple intérêt: 1) comme
on vient de le dire, il permet d'approcher un côté encore peu
étudié d'un thème déjà bien exploré par ailleurs: celui de l'uti-
lisation de l'Ancien Testament dans la liturgie du Nouveau
Testament; 2) il nous fait revenir au culte des saints, un sujet
et un thème théologique quelque peu oubliés aujourd'hui tant
par les spécialistes de la liturgie que par le peuple chrétien. Un
tel oubli qui ne va pas sans dommage pour la piété chrétienne
d'aujourd'hui, car une religion qui se détourne de l'exemple de
ceux qui ont réussi dans la sainteté est menacée de devenir
simple apologétique ou activisme sur un plan uniquement ter-
restre, tandis que la théologie qui ne se reSQurce pas auprès de
la sainteté tourne au type intellectuel abstrait ou émotionnel;
144 ALEXIS KNIAZEFF

3) ce sujet, enfin, amène à préciser la place qui doit revenir à


l'Ancien Testament dans la prédication chrétienne d'aujourd'hui.
Même limité à son côté hagiographique, le thème de la
présence de J'Ancien Testament dans la liturgie de J'Eglise de·
meure très vaste. Aussi bornerons-nous son étude à la seule
liturgie byzantine, qui nous est la plus familière et qui, n'ayant
pas connu de réformes récentes, permet mieux d'approcher la
longue tradition priante de l'Eglise. Or, même si nous nous
bornons à étudier notre sujet dans le cadre de la seule liturgie
byzantine, il demeure encore très vaste, ne serait-ce par les
recherches historiques qu'il nécessite sur un grand nombre de
points. Aussi, comme il a été peu étudié par les orthodoxes,
nous nous tiendrons à une étude de caractère préliminaire et
qui tendra surtout à établir une vue d'ensemble. Elle portera sur
les deux points précis suivants:
I. Les justes de J'Ancien Testament dans les prières byzan-
tines;
II. Les justes de J'Ancien Testament dans l'hymnographie
byzantine.
Commençons par le premier point.

I. LES JUSTES DE L'ANCIEN TESTAMENT


DANS LES PRIÈRES

Nous ne retiendrons que les prières utilisées dans la célé-


bration des sacrements: celles de J'Eucharistie, d'abord, puis
celles du mariage, particulièrement caractéristiques dans la li-
turgie byzantine.

§ 1) DANS LES PRIÈRES DE L'EuCHARISTIE

Nous commencerons par celles de l'avant messe byzantine, la


proskomidie. Ce rite, relativement récent, car il commence à se
former à partir du XI' siècle et qui est certainement influencé
par le rituel de la Sainte Montagne', prévoit une longue com-
mémoraison de saints. Le prêtre, en effet, après avoir déposé

1 Ceci apparaît du fait de la mention parmi les noms de saints moines de


celui de saint Athanase l'Athonite.
L'ÉGLISE DE L'A.T. ET LA LITURGIE BYZANTINE 145

sur la patène la parcelle principale, l'Agneau, qui représente le


Christ, y dépose ensuite les parcelles de la Mère de Dieu et des
saints, avant de déposer celles qui représenteront les vivants et
les morts. Autour du Christ se trouve ainsi réunie sur la patène
toute son Eglise, triomphante au ciel, militante ou souffrante sur
terre ou dans l'outre-tombe. La deuxième parcelle des saints
(sur neuf, nombre de catégorie de saints selon le titre liturgique
que leur donne le Ménologe), représente les justes de l'Ancien
Testament. Chez les Slaves, en déposant cette deuxième parcelle,
le prêtre mentionne «les saints et glorieux prophètes Moïse,
Aaron, David et Jessé, les Trois Jeunes Gens, Daniel le prophète
et tous les saints prophètes ". Chez les Grecs, le prêtre mentionne
les mêmes et saint Jean Baptiste '. De plus, dans l'Euchologe
grec, au lieu de « David et Jessé» on lit ({ David, fils de Jessé », ce
qui est la leçon originale 3.
Si la liturgie eucharistique est célébrée un jour où le ca-
lendrier indique la mémoire d'un saint de l'Ancienne Alliance,
le prêtre commémorera son nom en détachant la huitième par-
celle, en même temps qu'il comnlémorera « les saints ct justes
ancêtres de Dieu Joachim et Anne, le saint titulaire de l'église
ou du monastère, et tous les saints, par les prières desquels, Dieu
veuille nous visiter». Nous pouvons ajouter ici que le nom de
ce saint de l'Ancienne Alliance est aussi mentionné à la fin de
l'office dans la formule du congé liturgique, ainsi qu'il en est de
tous les saints du Ménologe 4. On voit ainsi que dans ces prières
aucune différence n'est faite entre les justes de l'Ancien Testa-
ment et ceux du Nouveau Testament: pour l'Eglise ils sont
tous des saints que l'on vénère et à qui on demande de prier
pour les vivants. Mais passons aux prières de l'Anaphore elle-
même.
a) Dans la liturgie byzantine de sain! Jacques, plus précisé-
ment dans la prière du prêtre, dite au début de la liturgie des
fidèles immédiatement après les litanies diaconales, il est de-
mandé que les dons offerts soient agréés comme l'ont été les
sacrifices d'Abel, de Noé, d'Aaron et de Samuel. C'est le motif

2 Chez les Grecs la première parcelle représente les anges; chez les Slaves
elle est déposée à la mémoire de saint Jean le Précurseur.
:1 L'article 'rOÜ a été lu par les traducteurs slaves à la place de utoü génitif de
u{6ç. La leçon grecque est certainement la leçon originale.
~ Le nom du saint du jour est également mentionné au cours de l'anaphore
ellc·même, plus précisément dans les prières d'intercession qui suivent l'épiclèse.
146 ALEXIS KNIAZEFF

que l'on trouve déjà dans la prière eucharistique du VIII' chapitre


des Constitutions Apostoliques.
b) Dans la liturgie de saint Basile le Grand ce même motif
reparaît dans la prière de l'offertoire: «Jette un regard sur nous,
ô Dieu; vois notre adoration et agrée-la, comme tu as agréé les
offrandes d'Abel, les victimes de Noé, les holocaustes d'Abraham,
les oblations sacerdotales de Moïse et d'Aaron, les sacrifices de
paix de Samuel ». Rappelons ici que le rôle qu'ont tenu dans
l'histoire de l'économie du salut la Loi et les Prophètes est men-
tionné à deux reprises par la même liturgie dans la prière après
le Sanctus.
c) Nous ne trouvons pas toutes ces mentions dans l'anaphore
de saint Jean Chrysostome, sans doute à cause de la brièveté
voulue de cette dernière. Par contre, dans ses prières d'interces-
sion, tout comme dans celles de saint Basile, nous trouvons
mentionnés les Ancêtres, les Pères, les Patriarches, les Prophètes,
mentionnés en même temps que les Apôtres, les Prédicateurs, les
Evangélistes, les Martyrs, les Confesseurs, les Docteurs et tout
esprit juste décédé dans la foi. Et, à la fin de la liturgie de
Chrysostome le prêtre dit la prière suivante pour la consomma-
tion des saintes espèces: « Christ notre Dieu, qui es toi-mêmE.
la plénitude des lois et des Prophètes et qui as accompli la mis-
sion reçue du Père, remplis nos coeurs de joie et d'allégresse
en tout temps et à jamais ... ».
On peut donc conclure que dans leurs prières les anaphores
byzantines ont voulu mettre en évidence l'importance du rôle
que telle ou telle catégorie de justes de l'Ancien Testament a
tenu dans la préparation du salut ct a spécialement mentionné
ceux qui se sont rendus agréables à Dieu par leurs sacrifices,
lesquels ont préfiguré le sacrifice du Christ '. En même temps
elles ont souligné que les justes de l'Ancienne Alliance sont
saints devant Dieu au même titre que ceux de la Nouvelle Alliance
et que, tout comme ces derniers, ils ont été rachetés par le
sacrifice du Christ, glorifiés au ciel et intercédent pour l'Eglise
des vivants, évidemment à l'intérieur de l'intercession du Fils de
Dieu qui s'est fait homme.

S A la différence de la liturgie romaine les anaphores byzantines en aucune


façon ne mentionnent Me1chisédek, pourtant célèbre tant par son offrande du
pain et du vin que par le mystérieux sacerdoce dont il était revêtu (Gen. 14).
L'ÉGLISE DE L'A,T, ET LA LITlJRGIE BYZANTINE 147

§ 2) DANS LES PRIÈRES DU SACREMENT DU MARIAGE

Ces prières rappellent la création du premier couple, l'insti-


tution du mariage au Paradis terrestre et citent avec profusion
les noms de ceux qui, sous l'économie ancienne, ont été particu~
lièrement bénis par Dieu dans leur mariage. Elles demandent la
même grâce pour les futurs époux.
Il en est déjà ainsi dans l'office des fiançailles, où la longue
prière dite après l'échange des anneaux vient rappeler la mission
du serviteur d'Abraham, parti en Mésopotamie pour trouver
une fiancée pour Isaac et cite, ensuite, les noms de ceux qui
ont été glorifiés par l'anneau, signe de l'authenticité: Joseph,
Daniel, Thamar, de même que le fils prodigue revenu à son
père. Rappelant ensuite que la droite du Seigneur a fait camper
Moïse dans la Mer Rouge et que par le Verbe de vérité les
cieux ont été affermis, la prière demande que soit bénie d'une
céleste bénédiction la droite de ceux qui contractent les fian-
çailles que l'on célèbre et qui se sont mutuellement donné parole,
ce que symbolise l'échange d'anneaux qui vient d'avoir lieu.
Les mêmes thèmes, avec d'autres thèmes et noms vétéro~
testamentaires, sont repris et dcveloppés dans l'office du couron-
nement. La première prière, après avoir évoqué l'institution du
mariage au paradis, précédée de la création de la femme (Gen. 2),
énumère les couples fameux de l'Ancienne Alliance ainsi que la
postérité qui leur fut donnée par Dieu: Abraham et Sara, dont
naîtra une multitude de nations, Joseph et Aseneth, dont naîtront
Ephrem et Manassé. Elle ajoute à cette liste Zacharie et Elisa-
beth, à qui Dieu donna d'enfanter le Précurseur. Elle mentionne
aussi la Toujours Vierge, dont elle dit avoir germé selon la
chair de la racine de Jessé, alors que selon l'évangile de Luc,
étant donné sa parenté avec Zacharie et Elisabeth, descendante
d'Aaron (Luc 1,5), la Mère de Jésus serait plutôt de famille
sacerdotale. Cette prière demande pour les futurs époux posté-
rité et bonheur conjugal symbolisé par l'abondance des biens
terrestres et cela conformément à l'optique traditionnelle sous
l'Ancienne Alliance.
Nous trouvons la même chose dans la seconde prière, plus
longue que la première. Elle aussi COmll1enCe par l'évocation du
récit de Gen. 2 sur la création de la femme et l'institution du
mariage pour demander, ensuite, que les futurs époux soient
148 ALEXIS KNIAZEFF

bénis comme Abraham et Sara, comme Isaac et Rébecca, Jacob


et tous les patriarches, Joseph et Aseneth, Moïse et Séphora,
Joachim et Anne, Zacharie et Elisabeth. Et la prière continue:
«garde-les, comme tu as gardé Noé dans l'arche, ... Jonas dans
le ventre de la baleine, ... comme tu as gardé du feu les trois
saints Jeunes Gens, en leur envoyant la rosée du ciel; souviens-toi
d'eux, Seigneur notre Dieu, comme tu t'es souvenu d'Enoch,
de Sem, d'Elie ... exalte-les comme les cèdres du Liban, comme
une vigne aux vigoureux sarments; donne-leur d'abondantes
moissons ... etc. ». Ensuite, les noms des justes de l'Ancien Testa-
ment bénis de Dieu dans leur mariage reparaissent, d'abord,
dans le premier tropaire chanté au moment où les nouveaux
époux font trois fois le tour de l'analogion:
({ Isaïe, tressaille de joie: la Vierge a eu dans son sein et a mis
au monde un Fils: Emmanuel, le Dieu et Homme; Orient est son
nom. En le magnifiant, béatifions la Vierge »,

puis dans les prières de la déposition des couronnes. La première


prière demande pour l'époux: «Sois magnifié, comme Abraham;
sois béni, comme Isaac et multiplie-toi comme Jacob, en marchant
dans la paix et en accomplissant dans la justice les commande-
ments de Dieu ». La seconde prière est dite pour l'épouse: «Soi>
magnifiée comme Sara, réjouis-toi comme Rébecca et multiplie-toi
comme Rachel, heureuse dans ton époux et gardant les prescrip-
tions de la loi, car c'est ce qui a plu à Dieu ». Remarquons, en
passant, que tous ces noms de saints de l'Ancienne Alliance sont
pris uniquement dans les livres canoniques. Aucun nom n'est
pris dans les écrits deutérocanoniques. Les noms de Joachim
et d'Anne viennent de l'apocryphe connu sous le titre de Protoé-
vangile de Jacques 6.
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que ces noms et les
réminiscences bibliques qui leur sont attachées nous introduisent
parfaitement dans tout ce climat de bénédictions et de grâces

6 Tout cela dénote le peu d'influence qu'ont eue sur la pensée religieuse
byzantine et, par là, sur la liturgie byzantine les livres dits deutérocanoniques.
Les références à ces écrits n'apparaissent dans les livres liturgiques orthodoxes
qu'après le XVIe siècle, sans doute par le fait du métropolite de Kiev Pierre
Moghila et de son école. Ainsi J'office pour les voyageurs, que contient la « Kniga
molebnykh pienij » en usage dans l'Eglise russe, se réfère à plusieurs reprises
au livre de Tobie et à la protection dont le héros du livre a été l'objet de la
part de l'ange Raphaël.
L'ÉGLISE DE L'A.T. ET LA LITURGIE BYZANTINE 149

dont Dieu sous l'Ancienne Alliance a gratifié le mariage de ses


élus, en particulier de ceux qui ont fidèlement accompli leurs
obligations familiales. La liturgie byzantine du mariage en évo-
quant cet aspect de la vie de l'Eglise de l'Ancienne Alliance a
sans doute, eu en vue un triple but: 1) attester que le mariag~
est bien chose honorable et que tout ce qui dans l'homme relève
de l'image de Dieu demeure bon, malgré la chute et l'état de
péché qui en est résulté; 2) que dans le mariage, devenu sacre-
ment sous l'économie nouvelle, les mêmes bénédictions et les
mêmes grâces sont promises dans ce sacrement à tous ceux qui
acceptent d'y recourir; 3) que la foi des saints de l'Ancien
Testament est un exemple à suivre par tous ceux qui, sous la
Nouvelle Alliance, entendent marcher devant Dieu en suivant le
Christ et, tout particulièrement, par les époux chrétiens. Les
justes de l'A.T. sont donc bien des saints canonisés.

II. LES JUSTES DE L'ANCIEN TESTAMENT


DANS L'HYMNOGRAPHIE

L'hymnographie que nous examinerons ici est celle des


diverses mémoires d'événements et de saints qui composent
l'année liturgique byzantine. Cette dernière, comme on le sait,
comprend deux cycles: un cycle mobile, qui est lié à Pâques et
que l'on appelle cycle du Triode, et un cycle des fêtes fixes, qui
relève du Ménologe et qui est dit cycle des Ménées. Commençons
par le Triode.

§ 1) LE CYCLE DU TRIODE

En ce qui concerne ce livre et ce cycle, l'Ancien Testament


avec ses saints, comme avec ceux qui ne le sont pas, est évoqué
seulement dans les offices de la Sainte Quarantaine et ceux de la
Semaine de la Passion. Il ne l'est pas dans le Penticostaire. Il
l'est soit dans les offices composés à la mémoire de saints
de l'Ancienne Alliance, soit dans certains offices particuliers de
Pré-Carême, de Carême et de la Semaine de la Passion.
a) Offices à la mémoire de justes de l'Ancien Testament.
A vrai dire, de tels offices n'existent plus dans le Triode actuel.
Mais ils y ont eu place autrefois, ce qui est attesté par des
vestiges que l'on trouve dans quelques offices actuels.
ISO ALEXIS KNIAZEPF

Il en est ainsi du Premier Dimanche du Carême. Les livres


liturgiqucs actuels consacrent ce jour à la célébration de la fête
de l'Orthodoxie. Cette fête, à la fois historique et apologétique,
a été introduite par le patriarche Méthode en 843. Avant son
introduction on célebrait ce jour la mémoire des saints Pro-
phètes. Ainsi, d'après le Pat1nos, ce dimanche «on proclame
(x.I')?ùGcrE:,a;~) a.insi: nous faisons mémoire des saints prophètes
Moïse, Aaron et Samuel. Nous nous rassemblons dans la très
sainte grande église». Nous n'avons pas à faire ici l'historique
du processus qui a conduit au remplacement de la fête des
Prophètes par l'office actuel. Notons seulement ce qui, de la fête
ancicnne, a subsisté dans le Triode jusqu'à nos jours. c'est,
d'abord, l'épître à la liturgie: Hébr. Il, 23 et ss. La péricope
débute par le rappel de l'exploit dans la foi accompli par Moïse
et, ensuite, énumère les exploits des autres héros de la foi qui
ont vécu sous l'Ancienne Alliance. c'est aussi l'évangile de la
liturgie: Jean 1, 43-59, autrement dit le récit de la présentation
à Jésus de Nathanaël par Philippe. Dans ce récit on trouve, en
effet, ces paroles: «Nous avons trouvé celui de qui Moïse a
écrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé, Jésus de Naza·
reth, fils de Joseph» (v. 45). Le même passage de Jean atteste
que c'est en Jésus qu'a trouvé son accomplissement la vision
nocturne de Jacob (Gen. 28): «En vérité, en vérité, vous verrez
désormais le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre
sur le Fils de l'homme» (v. 51). Mais quelques éléments de la
fête ancienne figurent également parmi les stichères de ce
Premier Dimanche du Carême. Ainsi, les deux premières hymnes
de ton 6 chantées au lucernaire des grandes vêpres glorifient les
prophètes en général, hérauts de la venue du Christ et de sa
Passion. Le second stichère demande aux prophètes de prier
pour ceux qui s'efforcent de passer dignement le temps du
jeûne. On trouve les mêmes idées dans le dernier stichère des
matines, encore un vestige de l'ancienne fête:
« Moïse par le temps de J'abstinence reçut la loi et fit partir le
peuple, Elie jeûna et ferma les cieux, par le jeûne les trois enfants
d'Abraham vainquirent le tyran inique; par lui rends nous dignes ùe
connaître la résurrection ».

Ainsi, d'après ces quelques éléments qui restent de la fète


ancienne on peut conclure que cette dernière célébrait la réalisa-
tion en Jésus-Christ des prophéties de l'Ancienne Alliance tout
L'ÉGLISE DE L'A.T. ET LA LITURGIE BYZANTINE 151

en présententant les prophètes comme les exemples vivants


des grandes choses que les croyants peuvent accomplir à leur
tour grâce au jeûne.
Le Triode a également contenu une autre mémoire célébrant
un personnage de l'Ancien Testament. Elle apparaît en filigrane
de l'office du Grand et Saint Lundi et chante la gloire de Joseph,
fils de Jacob, le héros des chapitres 37 à 50 de la Genèse. Joseph
est magnifié comme figure du Christ souffrant et triomphant,
vendu comme lui et élevé dans la gloire. C'cst ce qui dit, entr'au-
tres, le kontakion des matines:

«Jacob pleurait la perte de Joseph, mais celui~ci, coeur noble,


montait sur un char, honoré come lin roi. Ne s'étant pas asservi
aux plaisirs de l'Egypte, il fut, en retour, couvert de gloire par celui
qui scrute le coeur des hommes et distribue d'incorruptibles cou-
ronnes )J.

D'autres stichères de ce jour, camille celui qui est chanté


à (( Gloire ". et maintenant ... » aux matines et aux vêpres,
exaltent la chasteté de Joseph, dont ce dernier fit preuve en ne
cédant pas aux avances de l'Egyptienne, seconde Eve suscitée
par le Serpent. Dans la personne de Joseph l'office du Grand
Lundi glorifie donc tous les justes souffrants de l'Ancienne Al-
liance qui sont demeurés fidèles dans les tourments qu'ils ont
subis et qui ont préfiguré le Christ dans sa fidélité jusqu'à la
mort sur la Croix 7.
Des figures vétérotestamentaires ont été aussi retenues par
le Triode pour des offices à caractère strictement pénitentiel.
Il en est ainsi de la figure d'Adam dans le dernier dimanche
de la pédiode de Pré-Carême, dit le Dimanche de la Tyrophagie.
b) L'Office du Dimanche de la Tyrophagie. Cet office rap-
pelle la chute originelle de nos premiers parents et leur expulsion
du Paradis. Adam y occupe la place centrale. Son personnage,
sa faute et son sort, constamment évoqués dans toute l'hymno-
graphie de l'office, servent à dépeindre la dure condition de

7 Le Iectionnaire byzantin de la Semaine Sainte a surtout retenu la figure


de Job comme type du juste souffrant pn.~figurant la passion du Christ. Voir
notre étude La Ti1éoclicée de Job dans les offices byzantins de la Semaine Sainte
(dans Théologia 1. XXVI, p. 107 et 55., Athènes 1955).
152 ALEXIS KNIAZEFF

l'humanité devenue pécheresse. Voici, à titre d'exemple, ce que


dit aux matines le kathisme:
{{ Adam a été chassé loin des délices du Paradis parce que, ayant
goûté la nourriture amère et ayant fait preuve de non-abstinence. il
n'a pas gardé le commandement divin. Il a été condamné a travailler
la terre, de laquelle il a été pris lui-même, et à manger son pain à
la grande sueur (de son front). Aussi, aimons l'abstinence, afin de
ne pas pleurer, comme lui, hors du paradis, mais pour y entrer ».

Mais l'office nous montre aussi Adam pleurant amèrement


sa faute et le propose comme un modèle de la pénitence. C'est ce
que montrent d'une manière saisissante les strophes qui suivent
le kontakion aux matines:

{{ Adam alors s'assit et pleura devant les délices du paradis, se


frappant des mains le visage et disant: ô Miséricordieux, prends
pitié du déchu que je suis)l.
«A la vue de l'ange qui l'a expulsé et qui a fermé la porte du
jardin divin, soupirant fortement Adam parla: ô Miséricordieux,
prends pitié du déchu que je suis ».
cc Compatis, ô paradis, à celui qui voulant s'enrichir est devenu
pauvre et par Je bruissement de ton feuillage supplie le Créateur
de ne pas te fermer: ô Miséricordieux, prends pitié du déchu que
je suis ».
«Paradis de toute vertu, très saint et rempli de toute richesse,
planté à cause d'Adam et fermé à cause d'Eve, supplie Dieu pour
celui qui est déchu: ô Miséricordieux, prends pitié du déchu que
je suis ll.

Ainsi Adam est présenté non seulement comme l'ancêtre


de l'humanité pécheresse et déchue, mais comme la figure de
cette même humanité qui prend conscience de sa faute et pleure
la perte de sa patrie celeste. Mais le grand canon de saint André
de Crête et les stichères pénitentiels du même auteur permettent
au Triode de chercher des exemples de repentir dans tout l'Ancien
Testament. C'est ce que l'on trouve dans les offices de la première
semaine et dans celui du jeudi de la cinquième semaine du
Carême.
c) Le canon et les stichères de saint André de Crête. Le
grand canon est l'une des compositions hymnographiques les
plus célèbres de saint André de Crête. Divisé en quatre sections,
il est chanté et lu aux complies des quatre premiers jours de la
L'ÉGLISE DE L'A.T. ET LA LITURGIE BYZANTINE 153

première semaine de la Sainte Quarantaine, à raison d'une section


par jour. La cinquième semaine on le chante et on le lit tout
entier en une seule fois aux matines du jeudi. Dans cette com-
position, l'auteur, tout en pleurant ses péchés, converse avec
son âme et évoque, pris dans l'Ecriture Sainte tout entière,
des exemples de bonne et de mauvaise conduite devant Dieu.
Il constate avec tristesse qu'il a suivi les mauvais exemples bien
plus souvent que les bons. Dans les huit premières odes les
exemples cités sont pris principalement dans l'Ancien Testament;
dans la neuvième et dernière ode saint André se réfère au Nou-
veau Testament. Pour ce qui est de l'Ancien Testament, il en
recherche surtout le sens moral, en recourant parfois à une
allégorie assez forcée et à l'accommodation. Dans le 8' tropaire
de la 8' ode saint André précise le but de cette exégèse poétique,
qu'il poursuit à travers les 250 strophes que renferme cette
oeuvre immense:

« De l'Ancient Testament je t'ai tout cité pour exemple, ô mon


âme: imite les actions des justes, InSpIrees par l'amour de Dieu
et détourne-toi des péchés des méchants ».

Les 32 stichères pénitentiels du méme saint ont le même


contenu que le canon. Ils sont chantés au lucernaire des vêpres.
Les matines de ce 5' jeudi du Carême, en plus du canon, contien-
nent encore, toujours de saint André de Crête, des tropaires que
l'on chante avec les Béatitudes entre la 6' et la T odes du canon.
Dans ces trop aires saint André se réfère aux exemples pris dans
les livres de Josué, des Juges et de l Samuel. Là aussi, comme
dans le canon et les stichères, les actes des divers personnages
qui apparaissent dans ces livres sont interprétés allégoriquement,
et cela de façon parfois très arbitraire. Mais toute cette oeuvre,
canon, stichères et tropaires de Béatitudes, prise dans son
ensemble, est une affirmation très nette de la valeur normative
de l'Ancien Testament dans le domaine de l'éthique chrétienne.
Saint André rappelle solennellement que tous ceux qui ont
représenté l'Eglise de l'Ancienne Alliance, tous ceux qui ont agi
ou parlé devant Dieu sous l'économie ancienne, continuent à
être des témoins de Dieu et que l'Ecriture Sainte, même après
le Christ, propose leurs actes et leurs paroles comme objets de
méditation à tous ceux qui veulent vivre en étant agréables à
Dieu.
154 ALEXIS KNIAZEFF

Mais, pour être complets, il faut également mentionner la


manière dure dont le Triode présente l'Eglise de l'Ancienne Alli-
ance contemporaine du Christ. Nous la trouvons principalement
dans les offices de la Semaine de la Passion.
d) L'Israël du temps du Christ dans les offices de la Semaine
de la Passion. On peut parler là d'un véritable acte d'accusation.
Cet acte commence à être dressé aux apostiches des vêpres du
Dimanche des Palmes:

«( Assemblée maligne et adultère, qui n'a pas gardé la foi à


son Epoux, pourquoi détiens-tu l'Alliance dont tu ne t'es pas
rendue l'héritière, pourquoi te glorifies-tu du Père après t'être
détournée du Fils? Tu n'as pas reçu les Prophètes qui ont annoncé
le Fils. Aie honte, au moins, de tes enfants, qui chantent: hosanna
au Fils de David, béni est celui qui vient au nom du Seigneur! l),

Tous ces chefs d'accusation sont repris et longuement dé-


veloppés dans une partie importante de l'hymnographie du
Grand Jeudi, du Grand Vendredi et du Grand Samedi, hymno-
graphie où grande part est également faite au thème de la trahison
de Judas. Il faut humblement reconnaître que ces accusations
sont non seulement choquantes pour la sensibilité moderne,
surtout si l'office que l'on écoute est célébré en langue vulgaire,
mais qu'en réduisant le drame du Golgotha à une simple question
de responsabilité occasionnelle elles laissent de côte toute la
problématique et, par là, toute la théologie de la Rédemption ".
Heureusement que cette carence théologique dont fait ainsi
preuve l'hymnographie des trois derniers jours de la Semaine
Sainte byzantine est largement compensée par la grande richesse
du message religieux des lectures bibliques choisies pour ces
mêmes offices 9. Mais pour revenir au Triode pris dans son
ensemble et à la manière dont il s'efforce de présenter les justes
et les saints ainsi que les autres héros de l'Ancienne Alliance,
on peut conclure qu'en général il suit l'exégèse traditionnelle en
essayant de montrer ce qu'ils ont réellement été devant Dieu:
pour le Triode, ce sont toujours des exemples bons ou mauvais

8 On trouve les mêmes accusations chez certains Pères. notamment chez


55. Méthode de Patare. Jean Chrysostome etc.
9 Voir La Théodicée de Job, op. cil.
L'ÉGLISE DE L'A.T. ET LA LITURGIE BYZANTINE 155

que Dieu propose à ceux qui veulent marcher dans ses voies ou
des témoins du Christ, qui annoncent sa venue soit en prophé-
tisant, soit en préfigurant sa vie et sa mort par leurs actes ou
même par toute leur biographie.
Que trouvons-nous il ce propos dans le cycle des Ménées?

§ 2) LE CYCLE DES MÉNÉES

C'est dans ce cycle que figurent les offices des saints qui
possédent une fête fixe dans le calendrier liturgique. Il s'agit
donc là d'offices bien personnalisés. Dans quelle mesure le sont
les offices des Ménées composés à la mémoire des justes de
l'Ancien Testament? Commençons par indiquer quelles mémoires
de saints de l'Ancienne Alliance ont leur propre office dans les
Ménées.
a) Les mémoires. On trouve dans les Ménées, tout d'abord,
pour les justes de l'Ancien Testament un assez grand nombre
de fêtes individuelles. En voici la liste, qui suit l'ordre et la clas-
sification des livres saints de la Septante retenue par les Byzan-
tins comme Bible liturgique:
Dans le Pentateuque le cycle des Ménées n'a retenu que les
noms de Moïse, fêté le 4 septembre, et de sa soeur Marianne,
fêteé le 9 juin.
Comme noms retenus des livres dits historiques on trouve
ceux de
Josué fils de Navi, fêté le 1'" septembre;
le prophète Samuel, fêté le 20 août;
le prophète Elie, fêté le 20 juillet;
le prophèté Elisée, fêté le 14 juin;
les sept frères martyrs Machabées, leur mère Salomonie et
leur maître Eléazar, fêtés le 1'" août en même temps que la
Procession de la Sainte, Vénérable et Vivifiante Croix.
Si nous passons aux livres appelés traditionnellement di-
dactiques et qui aujourd'hui sont appelés sapientiaux, noUS ne
trouvons pour ces livres au calendrier des fêtes fixes qu'un seul
nom, celui de Job, dont l'office se place au 6 mai.
156 ALEXIS KNIAZEFF

Pour ce qui est des livres prophétiques, nous constatons que


tous ceux que la Tradition considère COllIne les auteurs de ces
livres ont chacun leur propre office dans les Ménées:
Les Grands prophètes d'abord:
Isaïe, fêté le 9 mai avec le saint martyr Christophe et, dans
les Eglises slaves, avec la Translation des reliques de saint
Nicolas le Thaumaturge de Myre en Lycie à Bari;
Jérémie, le 1er mai;
Ezéchiel, le 23 juillet;
Daniel, fêté avec les Trois Jeunes Gens Ananie, Azarie et
Misaël, le 17 décembre.
Chacun des douze Petits prophètes a, lui aussi, sa propre
fête avec son office:
Osée, le 17 octobre;
Joël, le 19 septembre;
Amos, le 15 juin;
Abdias, le 19 novembre;
Jonas, le 22 septembre;
Michée, le 14 août;
Nahum, le 1" décembre;
Habacuc, le 2 décembre;
Sophonie, le 3 décembre;
Haggée, le 16 décembre;
Zacharie, le 8 février;
Malachie, le 3 janvier.
A cela on peut ajouter la mémoire de Baruch, célebrée le
28 septembre.
Il serait intéressant de connaître les causes qui ont déter-
miné le choix des dates pour ces mémoires. Il se pourrait que
certaines de ces dates avaient été liées aux dédicaces d'églises
érigées en l'honneur de saints héros de l'Ancienne Alliance, en
particulier des prophètes ". Il est à remarquer aussi que beau-
coup de mémoires de prophètes ont lieu en décembre, où notam-
ment, entre le 1er et le 3 du mois, on voit se suivre les mémoires
de Nahum, d'Habacuc et de Sophonie. Cette concentration au

10 Tel est probablement le cas de la fête du prophète Elie. Son office, en


effet, fait souvent allusion aux miracles qui se produisent dans l'église dédiée
à ce saint personnage de l'Ancienne Alliance (voir, par ex., le second kathisme
aux matines).
L'ÉGLISE DE L'A.T. ET LA LITURGIE BYZANTINE 157
-----"=----'-=

mois de décembre de mémoires de prophètes est très probable-


ment en rapport avec la temps de préparation des solennités de
Noël. Mais il faut remarquer également, après avoir passé en
revue ces mémoires et leurs dates, qu'un grand nombre de
personnages illustres, héros de l'histoire sainte de l'Ancienne
Alliance, n'ont pas reçu de fête particulière dans le calendrier
liturgique byzantin: c'est le cas d'Abel, d'Hénoch, de Noé,
d'Abraham, de Melchisédec, d'Isaac, de Jacob, de Joseph, du roi
David et des autres rois justes ainsi que de toutes les saintes
femmes, hormis Marianne, la soeur de Moïse. Mais cette carence
est rachetée par l'existence dans le cycle de Noël de fêtes consa-
crées à tout l'Ancien Testament pris dans son ensemble.
En effet, le second dimanche qui précède Noël, est appelé le
Dimanche des Ancêtres. L'office célèbre ce jour les ancêtres du
Christ, les Patriarches, et aussi tous ceux qui ont annoncé ou
préfiguré le Christ. Il nomme, tout en évoquant les faits qui les
ont rendus illustres, Adam, Abel, Seth, Enos, Hénoch, Melchisé-
dech, Abraham l'ami de Dieu, Isaac le fils de la Promesse, Jacob
et les douze Patriarches et aussi Moïse, Aaron, Josué, Barak,
Jephté, Samson, Samuel, David, Salomon, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel,
Daniel et les trois Jeunes Gens, les Douze Prophètes, Elie, Elisée,
Job, Eléazar, Zacharie, le père de Jean Baptiste et, enfin, Jean
Baptiste lui-même comme Précurseur du Messie attendu.
Le premier dimanche avant Noël, dit Dimanche des Pères,
bien qu'en partie consacré au thème de la préparation de la
Nativité du Christ, reprend aussi largement les thèmes du Di-
manche des Ancêtres. Il associe à la joie de la venue dans la chair
du Fils de Dieu les Patriarches d'avant et d'après le déluge Adam,
Abel, Seth, Enos, Hénoch, Noé, Sem, Japhet, Abraham, Isaac,
Jacob, Juda, Joseph, Lévi n de même que Daniel et les Trois
Jeunes Gens 1', toute la Maison d'Ephrata" ainsi que les saintes
femmes Sara, Rébecca, Rachel, Anne et Marianne ". Le tropaire

Il Voir tout particulièrement le kathisme que l'on chante aux matines


lorsque le Dimanche des Pères tombe un 24 décembre.
12. En particulier, le tropaire de la fête.
13 C'est par ces mots que commence le célèbre stichère automèle que l'on
chante aux apostiches des vêpres lorsque le Dimanche des Pères tombe un 24
décembre.
14 Une mention particulière des saintes femmes de l'Ancienne Alliance se
trouve aux matines, dans le 3~ stichèrc des laudes.
158 ALEXIS KNIAZEFF

chanté à « Gloire ... }) à la fin de la 3 e ode du canon va jusqu'à


déclarer que tous ces justes se sont élevés dans la foi au dessus
de la loi et qu'ils ont annoncé le mystère de la venue du Christ
à ceux qui sont dans le Shéol.
Le cycle de Noël connaît un troisième dimanche qui possède
un office à la gloire de justes de l'Ancienne Alliance: c'est le
Dimanche qui suit immédiatement la fête de Noël. L'office glorifie
tout particulièremente la famille humaine de Jésus Christ: le roi
David, ancêtre du Christ par la chair, Joseph l'époux de Marie,
par lequel Jésus est entré légalement dans la descendance de
David, et Jacques le Frère du Seigneur, premier évêque de Jérusa-
lem, que depuis saint Epiphane de Chypre la tradition orientale
considère comme le fils aîné de Joseph, né de son premier ma-
riage, et qui, d'après le Protoévangile de Jacques, aurait accom-
pagné la Sainte Famille lors de la fuite en Egypte ".
Nous sommes donc amenés à constater que, grâce aux
nOlllbreuses mémoires particulières et aux offices des deux Di-
manches qui précèdent Noël et de celui qui le suit, l'Eglise de
l'Ancienne Alliance est grandement représentée dans le Ménologe
byzantin par des fêtes qui glorifient ceux qui ont fait son histoire
et celle de la sainteté d'avant le Christ. Quel est le degré de
festivité de ces solennités?
bl Leur degré de festivité. Pour ce qui est de leur degré
de festivité, les mémoires des saints de l'Ancienne Alliance se
présentent dans le cycle des Ménées de la façon suivante:
1" Saints à vigiles: la mémoire du prophète Elie (20 juillet)
est la seule à faire partie d'offices qui ont ce haut degré de
festivité. L'office de la fête comprend les petites vêpres, les
grandes vêpres avec lectures et litie, les matines avec polyéléos,
évangile, stichère aux laudes, etc.
2" Fêtes de la catégorie des b:lcr'fJfJ-o, Éop~,â (naroCitye svjatyel:
le Dimanche des Ancêtres;
le Dimanche des Pères;
le Dimanche après Noël.

15 L'office du Dimanche après Noël possède aux laudes un stichère célèbre


qui applique au mystère de l'incarnation la prophétie de Joël sur j'effusion du
Saint-Esprit, prophétie qui y reçoit une interprétation allégorique tout à fait
inattendue.
L'ÉGLISE DE L'A.T. ET LA LITURGIE BYZANTINE 159

Leurs offices possèdent les grandes vêpres, les lectures bibli.


ques (pour le Dimanche des Pères) litie, polyéléos etc. Il faut,
cependant, préciser que ces offices sont chantés en deuxième
place, la première étant tenue par l'office dominical du ton
occurrent de l'Octoèque.
3" Les saints à doxologie, avec stichères aux laudes. Ne fait
partie de cette catégorie de festivités que la mémoire des saints
martyrs Machabées (lee août), mais là aussi il faut rappeler que
leur office est chanté à la deuxième place, la première revenant
à la Procession de la Sainte, Vénérable et Vivifiante Croix.
4" Les saints 110n fêtés: c'est dans cette catégorie de mémoires,
dont le degré de festivité est le moins élevé, que se trouvent tous
les autres offices des saints de l'Ancienne Alliance contenus dans
les Ménées. Ces offices comprennent trois (rarement six) stichères
au lucernaire, aux vêpres, quelquefois un doxasticon au lucernaire
ou aux apostiches, et, aux matines, un canon. Et il arrive parfois
que ces offices sont chantés en 2" place ou, même, en 3" place,
comme c'est le cas pour le prophète Zacharie (8 février), dont
l'office se place après ceux de l'après-fêle de la Présentation du
Christ au Temple et du saint mégalomartyr Théodore le Stratilate.
Le phophète Isaïe a son office en le,' place le 9 mai, avant celui du
saint martyr Christophe, mais dans les Eglises slaves il se trouve
à cette date évincé par la fête de la Translation des rcliques de
saint Nicolas, qui est une fête à vigile. On peut donc conclure
que, la fête du prophète et les Dimanches des Ancêtres et des
Pères ainsi que le Dimanche après Noël exceptés, les Ménées
ont très peu mis en évidence les mémoires des saints de l'An-
cienne Alliance en les classant presque toutes parmi les offices
dépourvus de tout caractère festif. Ont-elles fait davantage quant
au contenu des offices?
c) Leur contenu exégétique et théologique. A ce point de
vue on peut distinguer dans les textes la manifestation de trois
grandes tendances:
0
1 Une première tendance consiste à considérer les justes de
l'Ancien Testament comme des serviteurs de Jésus Christ lui-
même et, par là, à les assimiler aux saints néotestamentaires et
à les traiter comme tels. Cette tendance trouve sa pleine mani-
festation dans l'office, célebré le 1ee août, des Sept Frères martyrs
machabéens, de leur mère Salomonie et de leur maître Eléazar.
160 ALEXIS KNIAZEFF
~----------~==~------------

Ces justes, qui ont souffert le martyre vers 164 av. J.C. sous
Antiochus Epiphane (II Mac 6 et 7) pour leur fidélité à la Loi
juive, sont présentés dans leur office comme des martyrs chré-
tiens. En effet, l'hymnographie de la fêle, tout en rappelant qu'ils
ont été des zélateurs de la Loi de Moïse (canon, 1è," ode) et que
c'est pour cette Lu; qu'ils ont <ouffert (canon, 4' ode, 1" tro-
paire, etc.), affirme également qu'ils sont les souffrants volon-
taires pour le Christ (canon, 3e ode, le,' tropaire) et que c'est du
Christ qu'ils tiennent leurs couronnes (canon, Y ode, 1" tropaire).
Cette assimilation des martyrs machabéens aux martyrs chré-
tiens tient sans doute au fait qu'il s'agit de martyrs. Elle est aussi
liée au fait que le culte des Sept Frères Machabées se répandit
dans l'Eglise jusqu'en Occident, où plusieurs églises leur furent
dédiées. Les grands orateurs chrétiens prononçaient leurs pané-
giriques. Et toute cette vénération n'est pas sans rapport avec
l'élaboration littéraire de II Mac. 7, qui s'est traduite par des
discours de profession de foi mis dans la bouche des protago-
nistes. Le récit appelé " Passion des saints Machabées" eut une
large diffusion et servit de modèle à des Actes de Martyrs. L'écho
de ces discours se retrouve dans l'office du 1er août, comme nous
le voyons dans le doxasticon du lucernaire aux vêpres.
2" La deuxième tendance est celle qui pourrait être qualifiée
de traditionnelle. Elle caractérise l'approche de l'Ancien Testa-
ment chez la plupart des Pères. Elle ressort également de l'uti-
lisation des livres sacrés de l'Ancienne Alliance par la liturgie
de l'Eglise chrétienne. Elle tient compte du sens littéral et de
la réalité historique, mais en même temps elle relève tout ce
qui y annonce ou préfigure le Christ. Dans les Ménées cette
tendance consiste à rapporter les actes ou les paroles des justes
de l'ancien Israël et de présenter ces derniers, lorsque ces actes
ou ces paroles s'y prêtent, comme des hérauts du Christ et de son
Royaume.
Cette tendance est celle qui domine les offices des Diman-
ches des Ancêtres et des Pères, offices qui ont été composés à
dessein pour glorifier les saints Ancêtres du Christ, les Patriarches
et aussi tous ceux qui à divers titres ont annoncé ou préfiguré
le Christ. Ils soulignent la continuité de l'économie divine et
témoignent que Jésus n'est pas venu pour abolir la Loi et les
Prophètes, mais pour racheter l'humanité entière depuis Adam,
pour réaliser la promesse faite à Abraham, pour changer la loi
L'ÉGLISE DE L'A.T. ET LA LITURGIE BYZANTINE 161

de la crainte de Dieu en loi d'amour et donner la résurrection à


tous les hommes. Ils nous placent à merveille dans le sentiment
d'attente et d'espérance de la venue du Christ parmi nous.
Cette deuxième tendance domine aussi tout l'office du pro·
phète Elie (20 juillet). Dès les petites vêpres et à travers toute
la vigile l'office rappelle les événements de la vie du prophète,
tels qu'ils sont rapportés par les livres des Rois, ses gestes, ses
miracles: lutte contre l'injustice et le paganisme, la sécheresse,
le séjour chez la veuve et dans le désert, le voyage sur l'Horeb,
l'épisode de la vigne de Naboth, la traversée du Jourdain avec
Elisée, l'ascension au ciel sur un char de feu. En même temps
l'office présente constamment Elie comme celui qui a annoncé
le Christ, comme un Précurseur du Christ, comme celui qui in-
tercède auprès de lui pour les fidèles, qui a reçu de lui l'im-
mortalité et qui accomplit des miracles pour tous ceux qui
viennent prier dans son église, miracles auxquels l'hymnographie
de la fête associe également Elisée. Tout cela se trouve, en quelque
sorte, résumé dans le tropaire de la fête:
«Ange dans la chair, fondement des prophètes,
second précurseur de la venue du Christ,
qui as transmis à Elisée la grâce de guérir les malades,
de purifier les lépreux,
prie pour le salut de nos âmes ».

L'office n'oublie pas non plus la théophanie manifestée au


prophète alors qu'il était sur l'Horeb: le souffle de la brise
légère qu'il ressentit après le vent, la tempête, le tremblement
de terre. La 7' ode du canon dans son 1" tropaire interprète
cette brise légère comme une annonce de la tendresse de Jésus
Christ et de sa grâce.
Dans le même esprit sont composés les offices de Daniel
et des Trois Jeunes Gens (17 décembre) et du prophète Isaïe
(9 mai). Ce dernier office mentionne la vision inaugurale par la-
quelle le prophète fut appelé à son ministère (lucernaire), la
prophétie de l'Emmanuel (théotokion de la 6" ode du canon),
d'autres faits de la vie du prophète ainsi que d'autres éléments
de son message religieux, mais, chose curieuse, l'office dans son
hymnographie n'a retenu que la première partie du livre d'Isaïe,
autrement dit Is 1-39. Il ne se réfère en aucune façon au contenu
de la seconde partie du livre et, notamment, au Serviteur souf-
162 ALEXIS KNIAZEFF

frant et à ses chants. Pour le prophète Joël (19 octobre), l'office,


tout en retenant l'essentiel de son message, - appel au jeûne
et à la pénitence (Y ode, 1'" tropaire), J'effusion du Saint-Esprit
(lucernaire aux vêpres), l'annonce des derniers temps (kathisme
aux matines après la 3' ode), la source qui jaillira de la maison
du Seigneur, - ne dit rien de l'invasion des sauterelles à l'oc-
casion de laquelle le prophète lança son appel à la repentance et
au retour à Dieu.
Les limites auxquelles doit se conformer la présente contri-
bution ne nous permettent pas de nous arrêter sur les autres
offices relevant de cette deuxième tendance. Signalons toutefois
pour le prophète Osée (17 octobre) que son office, tout en rap-
pelant son message de miséricorde (5' ode du canon, 1" tropaire)
et sa parole en Os. 11,1 interprétée par Mat. 2,15 comme an-
nonçant la venue du Christ comme revenant d'Egypte (théotokion
de la 1'" ode), spiritualise à l'extrême le mariage d'Osée avec
Gomer et le présente comme se rapportant à l'union dans la
personne du Christ de l'humanité pécheresse à sa divinité. Ici
nous quittons la typologie pour entrer dans la voie de l'inter-
prétation allégorique. D'autres offices de prophètes s'écartent
également de la réalité historique en présentant le charisme
prophétique comme capacité de voir l'avenir comme le présent,
alors qu'en fait pour l'Ancien Testament le prophète n'est pas
celui qui prédit l'avenir, mais avant tout celui à qui la Parole
divine a été adressée et qui, de ce fait, parle au peuple de l'Al-
liance au nom de son Dieu. Mais ceci nous amène à parler de la
troisième tendance.
3" Cette troisième tendance, que l'on trouve dans certains
offices de prophètes, se traduit par l'abandon de toute réalité
historique et par la transformation de ces derniers en véritables
ascètes, dont l'exploit spirituel a été le combat contre les pas-
sions lllauvaises, combat qui a été couronné par la victoire sur
ces passions. Cette façon de considérer les prophètes d'Israël
comme des ascètes, parents spirituels des saints moines chrétiens,
peut être justifiée à l'égard d'un homme comme Elie, l'homme
du désert, en qui la tradition a vu l'un des précurseurs du
monachisme anachorétique. Mais elle ne se justifie guère pour
Abdias, l'homme de la vindicte divine contre Edom. Son office
(19 novembre) ne dit rien de son message, que la Bible intitule
« Vision sur Edam », mais le qualifie comme celui qui a vaincu
L'ÉGLISE DE L'A.T. ET LA LITURGTE BYZANTINE 163

les passions, qui a purifié son âme et ainsi a pu recevoir le


charisme prophétique et monter dans la glorification de la
puissance divine (4' ode, tropaire 1). Et le 3e tropaire de la 4e ode
pousse l'exégèse allégorique du v. 17 du livre du prophète
jusqu'à affirmer que ce dernier annonce le Sauveur venant
de Sion.
Parfois dans les offices des Ménées cette troisième tendance
se trouve associée à la seconde. Il en est ainsi dans l'office du
prophète Ezéchiel (21 juillet). Cet office rappelle le sacerdoce
du prophète (g e ode, tropaire 2), la vision du char et des chérubins
(lucernaire), la vision du rouleau (lucernaire et 4 e ode, tropaire
3). Il rappelle le caractère étrange de ses maladies et de ses
actes symboliques (ode 8, 2e tropaire), le fait pour lui de tomber
la face contre la terre (4' ode, 2' tropaire) et de sentir sur lui
la main du Seigneur (ibid., 1" tropaire). L'office va même
jusqu'à utiliser dans les théotokia diverses images prises dans
le livre du prophète, images qui apparaissent surtout dans les
vision d'Ezéchiel, et cela pour mettre en évidence les principaux
aspects du mystère de la maternité divine de la Théotokos: char
et trône porté par les chérubins, porte du Temple demeurée
fermée, etc. Le kontakion dit qu'Ezéchiei a prévu l'immolation de
l'Agneau. Le 1" tropaire de la se ode fait sans doute allusion
au ministère pastoral du prophète (<< qui instruisait ceux qui
péchaient »). Mais certains textes font du prophète un lutteur
victorieux contre les tentations et les passions. Il en est ainsi
du 3e tropaire de la l 'ce ode et du 1'" tropaire de la 3' ode. Ce
dernier texte précise que c'est par la victoire sur les passions
que le prophète a pu prévoir la résurrection des morts, allusion
au chap. 37 et à la vision des ossements.
Nous pouvons relever le même mélange des deux dernières
tendances dans l'office du prophète Zacharie (8 février), qualifié
dans le Ménologe Byzantin de Voyant de la faucille (d'après la
traduction donnée par la Septante au mot qui dans Zach. 5,1 en
hébreu signifie rou/eau ou livre). L'office rappelle l'angélologie
du livre de Zacharie (lucernaire, 1" tropaire de la 6' ode), la
prophétie annonçant la venue du Roi humble et pauvre (2'
tropaire de la 5" ode), la joie future de Jérusalem (1" tropaire de
la 8e ode). Mais il est loin d'utiliser toute la richesse messianique
du livre et du prophète Zacharie et lui aussi représente Zacharie
comme un ascète, qui a laissé la conten1plation des choses sensi-
164 ALEXIS KNIAZEFF

bIes et qui s'est tourné vers ce qui est divin et pur pour intercéder
pour le monde (1" tropaire de la 9" ode).

CONCLUSION

Avec cette troisième tendance, et compte tenu de la manière


dont les Ménées, le Triode et l'Euchologe byzantin présentent les
divers héros et autres personnages de l'Ancien Testament, on
peut conclure que si la liturgie byzantine a su mettre en valeur
l'Ancien Testament sur le plan religieux, si elle a vu sa place
dans l'économie divine, si elle s'est efforcée de cerner le message
de ceux qui ont été les témoins de Dieu sous l'Ancienne Alliance,
elle n'a pas toujours pleinement senti toute la personnalité reli-
gieuse de ces témoins de Dieu. Elle a été amenée par là à
laisser dans l'ombre tel ou tel aspect de leur message, car très
souvent le message était en relation étroite avec la personnalité
de celui qui le portait et allait souvent, comme c'était le cas
pour Osée et Jérémie, jusqu'à s'incorporer à la biographie même
du prophète. Quelles peuvent être les raisons d'un tel état de
choses?
Une première raison pourrait tenir au fait que les Pères,
les hymnographes et, en général, toute l'exégèse byzantine, ne se
sont vraiment intéressés à l'histoire sainte de l'Ancienne Alliance
que dans la mesure où cette histoire annonçait le Christ ou le
préfigurait. Et cela peut résulter du fait que le grand problème,
le problème qui a dominé toute la théologie byzantine, a été
celui de la Personne du Christ, le Verbe divin qui s'était fait
chair 16, autrement dit le problème christologique. C'est cette
circonstance qui parait expliquer le mieux ce fait que les hymno-
graphes byzantins, même en recourant à une saine méthode
typologique d'interpretation, n'ont cherché dans l'Ancien Testa-
ment que ce qui pouvait directement ou indirectement s'y rap-
porter au Christ. Ils n'ont même pas cherché à percer les raisons
intérieures de la possibilité d'une telle interprétation. Et cela
a nécessairement eu des conséquences sur le plan théologique.
Ainsi, la pensée religieuse byzantine a parfaitement vu, à la

16 V. Jean MEYENOORFF, Initiation à la Théologie byZantine, le Cerf, Paris 1975,


pp. 45 et suiv.
________~L~'É~G~L~I~S~E~D~E~L~'~A~.l~·.~E~T~L~A~L~IT~U~R~G=I=E~B~Y~Z~A~N~T~I~N~E~______-c165

suite de Héb., que les sacrifices légaux préfiguraient le sacrifice


du Christ, mais elle n'a pas réfléchi sur la portée religieuse de
ces sacrifices. Elle s'est demandé qui recevait le sacrifice eucha-
ristique (comme elle s'est parfois demandé à qui était offert
le sacrifice du Christ). Mais il faut bien constater que l'hymno-
graphie byzantine n'a pas donné dans les offices de la Semaine
Sainte une véritable théologie de la Rédemption, qu'elle a souvent
remplacée par des diatribes sans valeur religieuse contre la Syna-
gogue. Elle a ainsi glissé vers l'allégorisme, parfois vers un mo-
ralisme abstrait ou vers un schématisme tendant à la généra-
lisation souvent très arbitraire. De là viendraient les côtés faibles
des offices des prophètes qui justement devraient être à la
gloire de ceux que Dieu chargeait de traduire dans la parole
humaine sa Révélation qu'il manifestait par les événements de
l'histoire.
On pourrait encore avancer une deuxième raison qui expli-
querait, notamment, que l'hymnographie byzantine a essayé
d'assimiler les saints de l'Ancienne Alliance soit à des martyrs,
soit à des ascètes. Il s'agirait, là aussi, d'une raison d'ordre
historique. C'est un fait que les premiers saints canonisés par
l'Eglise chrétienne ont été d'abord les martyrs, puis les confes-
seurs qui étaient souvent des ascètes. De là viendrait la tendance
à découvrir à tout prix les traits essentiels de l'une ou de l'autre
de ces formes de sainteté dans toute sainteté ", y compris la
sainteté vétérotestamentaire.
Cela nous amène à rappeler les formes dans lesquelles la
liturgie byzantine et, en général, toute liturgie ont pris l'habitude
de présenter ceux qui représentent l'Eglise céleste, autrement
dit les saints, tous les saints glorifiés dans l'Eglise terrestre. Les
offices des saints sont composés en termes laudatifs et constituent
souvent des panégyriques. Il est vrai que dans ces offices l'Eglise
cherche avant tout à rendre gloire à Dieu qui a agi et qui continue
d'agir dans les saints. Mais il faut aussi reconnaître que ces
panégyriques ne nourrissent plus guère spirituellement ceux qui
entendent de tels offices. Cela démontre que la théologie de la
sainteté est encore à faire, tout comme l'hagiologie liturgique.

17 Ainsi, dans les stichères martyrika que l'on chante aux apostiches pen-
dant la Sainte Quarantaine et qui assimilent aux martyrs tous les saints en
générai. Il en est de même dans le tropaire du Dimanche de tous les saints
(le 1er dimanche après la Pentecôte).
166 ALEXIS KNIAZEFF

Certes, cette théologie et cette hagiologie doivent prendre en


considération la christologie, la théologie de la Rédemption, tout
comme celle de l'Eglise. Mais l'on peut se demander aussi si la
découverte de la théologie de la sainteté ne passe pas également
par une étude approfondie de la sainteté vétérotestomentaire,
d'autant plus que cette dernière a été l'objet d'un témoignage
inspiré dans ce qui est Ecriture Sainte, c'est à dire Parole de
Dieu, et que l'Ancien Testament, en tant que réalité religieuse,
après avoir été une étape nécessaire dans la marche devant Dieu
de l'humanité prise dans son ensemble, demeure cette étape dans
ce qui est la vie et la croissance dans le Christ des individus,
des communautés, ou des Eglises particulières à certaines époques
de leur histoire religieuse. Or nous touchons-là un thème plus
général, celui de la présence de l'Eglise triomphante dans la
liturgie de l'Eglise terrestre. Et là nous abordons un nouveau
propos.

Alexis KNIAZEFF
L'ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT SAINT

Le texte biblique central pour notre thème est celui de la


première aux Corinthiens, dans laquelle l'apôtre Paul, s'adres-
sant" à l'Eglise de Dieu qui est à Corinthe» (Tjj ,b'''Àl)O"t'i' TOÜ
0e:oü, T{j o{)cr-n Èv Kop[v&<p), c'est-à-dire aux membres d'une église
locale, leur dit: vaoç GEaü Écr-rÈ:, xcd 't'à 7tve:üp.C( TOi) 8e:où EV Ù!l-rV
ot,,",» 1 (Vous êtes le Temple de Dieu et l'Esprit de Dieu habite
en vous). Ce texte nous apprend que, dans la conscience chrétien-
ne, il y eut, comme on dit, ({ une spiritualisation» de la notion
paléotestamentaire de Temple. Ceci veut dire, comme l'a précisé
J. Daniélou dans une brochure qu'il composa encore tout jeune
prêtre, que " dans la Loi ancienne, la présence de Dieu est rat-
tachée à l'édifice de pierre; dans la Loi nouvelle elle est attachée
à la communauté spirituelle» '. Actuellement, à propos des écrits
de la Mer Morte, on reparle d'une spiritualisation de l'idée de
Temple par les Esséniens, qui, en opposition au clergé officel du
Temple de Jérusalem, se sont constitués Temple au désert de
Qumrân. Telle est, en particulier, la thèse de B. Gartner '. A son
tour, Oscar Cullmann crut découvrir à l'intérieur du judaïsme
encore d'autres courants hostiles au Temple de Jérusalem, cou-
rants qu'il rapprocha des "hellénistes» du livre des Actes et
aussi des cercles johanniques plus tardifs '.

Il Cor. 3,16.
2 Jean DANIÉLOU, Le signe du Temple ou de la présence de Dieu, Paris 1942.
3 Bertil GARTNER, The Temple and the commtmity in Qumrân and the New
Testament, Cambridge 1965.
4 Oscar CULLMA~N, .L'oppo.sition contre le Temple de Jérusalem, motif com-
mun de la tl1éologze Johannique et du monde ambiant dans New Testament
Studies, V, 1958-59, p. 157-173. J
166 ALEXIS KNIAZEFF

Certes, cette théologie et cette hagiologie doivent prendre en


considération la christologie, la théologie de la Rédemption, tout
comme celle de J'Eglise. Mais J'on peut se demander aussi si la
découverte de la théologie de la sainteté ne passe pas également
par une étude approfondie de la sainteté vétérotestomentaire,
d'autant plus que cette dernière a été l'objet d'un témoignage
inspiré dans ce qui est Ecriture Sainte, c'est à dire Parole de
Dieu, et que l'Ancien Testament, en tant que réalité religieuse,
après avoir été une étape nécessaire dans la marche devant Dieu
de J'humanité prise dans son ensemble, demeure cette étape dans
ce qui est la vie et la croissance dans le Christ des individus,
des communautés, ou des Eglises particulières à certaines époques
de leur histoire religieuse. Or nous touchons-là un thème plus
général, celui de la présence de l'Eglise triomphante dans la
liturgie de l'Eglise terrestre. Et là nous abordons un nouveau
propos.

Alexis KNIAZEFF
L'ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT SAINT

Le texte biblique central pour notre thème est celui de la


première aux Corinthiens, dans laquelle l'apôtre Paul, s'adres·
sant « à l'Eglise de Dieu qui est à Corinthe» (-r7î ÊX}(.À"tJO'[~ 't"oü
0EOÜ, -rYl oücrn EV KOPl\J{tcp), c'est-à-dire aux membres d'une église
locale, leur dit: v:xàç 0EOU Êcr-rè, XCI.:L "à 1t'lEÜtLOC 'TOU 0EOU é:v u!J.i:'v
ob«;:)) , (Vous êtes le Temple de Dieu et l'Esprit de Dieu habite
en vous). Ce texte nous apprend que, dans la conscience chrétien·
ne, il y eut, comme on dit, « une spiritualisation)} de la notion
paléotestamentaire de Temple. Ceci veut dire, comme l'a précisé
J. Daniélou dans une brochure qu'il composa encore tout jeune
prêtre, que « dans la Loi ancienne, la présence de Dieu est rat·
tachée à l'édifice de pierre; dans la Loi nouvelle elle est attachée
à la communauté spirituelle" '. Actuellement, à propos des écrits
de la Mer Morte, on reparle d'une spiritualisation de l'idée de
Temple par les Esséniens, qui, en opposition au clergé officel du
Temple de Jérusalem, se sont constitués Temple au désert de
Qumrân. Telle est, en particulier, la thèse de B. Gartner '. A son
tour, Oscar Cullmann crut découvrir à l'intérieur du judaïsme
encore d'autres courants hostiles au Temple de Jérusalem, cou·
rants qu'il rapprocha des «hellénistes" du livre des Actes et
aussi des cercles johanniques plus tardifs'.

1 1 Cor. 3,16.
2 Jean DANIÉLOU, Le signe du Temple ou de la présence de Dieu, Paris 1942.
3 Bertil GiiRTNER, The Temple and the community in Qumrân and the New
Testament, Cambridge 1965.
4 Oscar CŒ;LMA~N, .L'oppo.sition contre le Temple de Jérusalem, motif com-
mun de la theologle Johan11lque et dtl monde ambiant, dans New Testament
Studies, V, 1958-59, p. 157-173.
168 NICOLAS KOULOMZINE

L'ANCIEN TESTAMENT

En réalité, si nous tournons nos regards vers les textes


de l'Ancien Testament, nous constatons qu'une certaine « op-
position contre le Temple de Jérusalem» (pour employer l'ex-
pression de Cullmann) est attestée dès l'époque de David, quand
ce dernier n'eut encore que l'idée de construire un Temple. En
effet, comme autrefois Samuel qui commença par s'opposer à
la demande de ses fils et de tout le peuple de leur établir un roi
comme il en existait chez les nations', le prophète Nathan',
à son tour, ne voit pas d'un bon oeil l'idée de David de bâtir
une maison à Yahwé: David ne pourra pas bâtir une maison
(un Temple) à Yahwé, mais c'est Yahwé qui assurera une maison,
c'est-à·dire une dynastie à David. Telle est la signification générale
de la prophétie de Nathan dans laquelle transparaît assez net-
tement une opposition de principe du prophète à l'édification
à Jérusalem d'un Temple fixe: «Je n'ai jamais habité de maison,
dit Yahwé par la bouche de Nathan, depuis le jour où j'ai fait
monter d'Egypte les Israëlites jusqu'aujourd'hui, mais j'étais
en camp volant sous une tente (",,~v!J) et en abri, Pendant tout
le temps où j'ai voyagé avec tous les Israëlites, ai-je dit à un
seul des juges d'Israël: ... Pourquoi ne me bâtissez-vous pas
une maison de cèdre?»'. Le verset 13 de cette prophétie où il
est promis que le fils de David, c'est-à-dire Salomon, bâtira le
Temple, est en contradiction évidente avec l'ensemble de la
prophétie et ne peut être qu'une addition insérée après la
construction du Temple. Il est digne d'intérêt que malgré cette
retouche postérieure la mention de l'opposition de principe de
Nathan n'ait pas disparu du texte.
Il semble bien que, de tous temps, une constante domine
la conscience religieuse d'Israël à travers la diversité des situa-
tions historiques que connut le peuple de Dieu: c'est la conscience
bien nette de la présence de Yahwé au milieu du peuple, présence
non nécessairement liée à un lieu concret déterminé: « Je vivrai
(ou: je cheminerai) au milieu de vous, dit Yahwé; je serai
votre Dieu et vous serez mon peuple» fi.

5 1 Sam. 8.
6 II Sam. 7, 1-17.
7 II Sam. 7, 6-7.
B Lév. 26, 12: «je vivrai» est une traduction d'un mot hébreu qui signifie
marcher de-ci, de-là. Ce terme désigne une présence active de Dieu au milieu
du peuple, plutôt que sa pérégrination avec le peuple.
L'ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT SAINT 169
c=c'-=----_ _ _~2:.:

Après la construction du Temple par Salomon, cette cons-


cience de la présence d'un Dieu transcendant au milieu de son
peuple restait vivante en Israël grâce au souvenir qu'on conservait
de la pérégrination d'Israël dans le désert, quand cette présence
ne cessa de se manifester avec éclat. A l'époque des rois les
premières ébauches déjà écrites du Pentateuque, yahwiste et
élohiste, pouvaient se lire; on se remémorait ce temps «quand
Israël était jeune»', époque des premiers amours de Yahwé et
de son peuple, époque quand le Temple, considéré plus tard
comme la demeure par excellence du Nom de Dieu, n'existait
pas encore, mais quand, néanmoins, Dieu rnanifestait une constan-
te sollicitude à l'égard du peuple, son fils. Une des manifestations
sensibles de la présence divine était la nuée de gloire (v<'I'<)'"'I).
Toutes les sources anciennes du Pentateuque la mentionnent,
ce qui constitue une preuve de l'ancienneté de sa tradition. La
tradition yahwiste, réputée de rédaction plus ancienne, souligne
la permanence de la présence de Dieu: «La colonne de nuée
ne se retirait pas le jour devant le peuple, ni la colonne de feu
la nuit» ". La tradition élohiste, elle, met l'accent sur l'obscurité
de la nuée: «Le peuple se tint à distance et Moïse s'approcha
de la nuée obscure où était Dieu» ". Le père Congar, dans un
ouvrage remarquable sur notre thème, note très justement que la
nuée obscure «dans laquelle Dieu s'approche des siens et se
manifeste est aussi l'enveloppe de sa transcendance»".
A l'époque des rois, l'unicité du culte à Jérusalem s'affirma
avec toujours plus de force, surtout au temps du roi Josias
(640-609), mais l'insistance avec laquelle on parlait de la présence
divine comme nécessairement liée à un lieu, le Temple, risquait
d'appauvrir aux yeux de certains la notion fondamentale dans
tout l'Ancien Testament de la présence de Dieu au milieu du
peuple. C'est pourquoi les prophètes ont reproché aux Juifs leur
trop naïve confiance en une présence de Dieu au Temple com-
prise comme une sorte d'assurance automatiquement garantie;
ainsi Jérémie ne veut plus que les habitants de Jérusalem répè-
tent: «Ici le Temple,,,. ici le Temple ... »13 sans essayer d'amélio-

9 Os. 11,1.
10 Ex. 13,22 et autres.
Il Ex. 20,2I.
12 CONGAR (le père Yves, M.-J.), Le mystère du Temple, Cerf, Paris 1958, p. 24.
13 lér. 7,4.
168 NICOLAS KOULOMZINE

L'ANCIEN TESTAMENT

En réalité si nous tournons nos regards vers les textes


1

de l'Ancien Testament, nous constatons qu'une certaine "op-


position contre le Temple de Jérusalem» (pour employer l'ex-
pression de Cullmann) est attestée dès l'époque de David, quand
ce dernier n'eut encore que l'idée de construire un Temple. En
effet, comme autrefois Samuel qui commença par s'opposer à
la demande de ses fils et de tout le peuple de leur établir un roi
comme il en existait chez les nations', le prophète Nathan',
à son tour, ne voit pas d'un bon oeil l'idée de David de bâtir
une maison à Yahwé: David ne pourra pas bâtir une maison
(un Temple) à Yahwé, mais c'est Yahwé qui assurera une maison,
c'est-à-dire une dynastie à David. Telle est la signification générale
de la prophétie de Nathan dans laquelle transparaît assez net-
tement une opposition de principe du prophète à l'édification
à Jérusalem d'un Temple fixe: "Je n'ai jamais habité de maison,
dit Yahwé par la bouche de Nathan, depuis le jour où j'ai fait
monter d'Egypte les Israëlites jusqu'aujourd'hui, mais j'étais
en camp volant sous une tente (",,~v!J) et en abri, Pendant tout
le temps où j'ai voyagé avec tous les Israëlites, ai-je dit à un
seul des juges d'Israël: ... Pourquoi ne me bâtissez-vous pas
une maison de cèdre? » '. Le verset 13 de cette prophétie où il
est promis que le fils de David, c'est-à-dire Salomon, bâtira le
Temple, est en contradiction évidente avec l'ensemble de la
prophétie et ne peut être qu'une addition insérée après la
construction du Temple. Il est digne d'intérêt que malgré cette
retouche postérieure la mention de l'opposition de principe de
Nathan n'ait pas disparu du texte.
Il semble bien que, de tous temps, une constante domine
la conscience religieuse d'Israël à travers la diversité des situa-
tions historiques que connut le peuple de Dieu: c'est la conscience
bien nette de la présence de Yahwé au milieu du peuple, présence
non nécessairement liée à un lieu concret déterminé: «Je vivrai
(ou: je cheminerai) au milieu de vous, dit Yahwé; je serai
votre Dieu et vous serez mon peuple» R.

SI Sam. 8.
fi II Sam. 7, 1-17.
7 Il Sam. 7, 6-7.
B Lév. 26, 12: «je vivrai» est une traduction d'un mot hébreu qui signifie
marcher de-ci, de-là. Ce terme désigne une présence active de Dieu au milieu
du peuple, plutôt que sa pérégrination avec le peuple.
L'ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT SAINT 169

Après la construction du Temple par Salomon, cette cons-


cience de la présence d'un Dieu transcendant au milieu de son
peuple restait vivante en Israël grâce au souvenir qu'on conservait
de la pérégrination d'Israël dans le désert, quand cette présence
ne cessa de se manifester avec éclat. A l'époque des rois les
premières ébauches déjà écrites du Pentateuque, yahwiste et
élohiste, pouvaient se lire; on se remémorait ce temps «quand
Israël était jeune»", époque des premiers amours de Yahwé et
de son peuple, époque quand le Temple, considéré plus tard
comme la demeure par excellence du Nom de Dieu, n'existait
pas encore, mais quand, néanmoins, Dieu rnanifestait une constan-
te sollicitude à l'égard du peuple, son fils. Une des manifestations
sensibles de la présence divine était la nuée de gloire (VE'f'ÉÀl)).
Toutes les sources anciennes du Pentateuque la mentionnent,
ce qui constitue une preuve de l'ancienneté de sa tradition. La
tradition yahwiste, réputée de rédaction plus ancienne, souligne
la permanence de la présence de Dieu: «La colonne de nuée
ne se retirait pas le jour devant le peuple, ni la colonne de feu
la nuit» JO. La tradition élohiste, elle, met l'accent sur l'obscurité
de la nuée: «Le peuple se tint à distance et Moïse s'approcha
de la nuée obscure où était Dieu»". Le père Congar, dans un
ouvrage remarquable sur notre thème, note très justement que la
nuée obscure «dans laquelle Dieu s'approche des siens et se
manifeste est aussi l'enveloppe de sa transcendance»".
A l'époque des rois, l'unicité du culte à Jérusalem s'affirma
avec toujours plus de force, surtout au temps du roi Josias
(640-609), mais l'insistance avec laquelle on parlait de la présence
divine comme nécessairement liée à un lieu, le Temple, risquait
d'appauvrir aux yeux de certains la notion fondamentale dans
tout l'Ancien Testament de la présence de Dieu au milieu du
peuple. C'est pourquoi les prophètes ont reproché aux Juifs leur
trop naïve confiance en une présence de Dieu au Temple com-
prise comme une sorte d'assurance automatiquement garantie;
ainsi Jérémie ne veut plus que les habitants de Jérusalem répè-
tent: «Ici le Temple, ... ici le Temple ... » 13 sans essayer d'amélio-

9 Os. 11,l.
10 Ex. 13,22 et autres.
11 Ex. 20,2l.
12 CONGAR (le père Yves, M.·J.), Le mystère du Temple, Cerf, Paris 1958, p. 24.
13 Jér. 7,4.
170 NICOLAS KQULOMZINE

rer leurs vies, leurs oeuvres. (De nos jours, d'ailleurs, n'est pas
absent non plus le danger de confondre présence sacramentelle
avec présence magique).
Au temps de l'épreuve, le prophète Ezéchiel, qui mit tout son
espoir dans la reconstruction du Temple détruit, voit, avant la
destruction de ce dernier, la nuée de gloire, celle-là même qui
avait rempli le Temple après son érection ", quitter ce Temple"
et s'éloigner de Jérusalem vers l'orient le, pour n'y revenir qu'après
sa reconstruction 17. Entre temps, Dieu n'abandonne pas pour
autant son peuple emmené en déportation et privé du Temple:
par la bouche du prophète, Dieu s'exclame: «Oui, je les ai
éloignés parmi les nations; je les ai dispersés dans les pays
étrangers et j'ai été pour eux UN SANCTUAIRE (,xy[~ol-'a) quelque
temps, dans le pays où ils sont venus» 18.
Après la reconstruction du Temple, toute la vie cultuelle
des Juifs se concentra autour du nouveau Temple. On ne man-
quait néanmoins pas de repenser, relire et rédiger à nouveau
l'histoire de la pérégrination des Israëlites dans le désert, quand
Dieu se manifestait dans la nuée de gloire, au-dessus de l'Arche
et dans le Tabernacle, dont le Pries ter Codex nous donne une
description déjà nettement influencée par l'expérience de la vie
cultuelle du Temple ". A son tour le Chroniste repense l'histoire
des rois lui aussi dans un esprit sacerdotal'".

LE JUDArSME TARDIF - QUMRAN

Le culte dans le Temple de Jérusalem ne fut aucunement


entravé jusqu'à l'avènement d'Antiochus IV Epiphane (175-164),
lequel, en 175, se permet de destituer le grand-prêtre en exercice
Onias II. Or un grand-prêtre avait droit à sa charge sa vie durant.
Dorénavant les grands-prêtres qui se succèdent en Israël ne sont
plus légitimes au sens strict du terme ". En 152, les Asmonéens

14 1 Rois 8, 10-13.
15 Ez. 10,18.
16 Ez. 11,22-23.
17 Ez. 43,4.
18 Ez. 11,16.
19 Ex. 25-31.
20 En particulier 1 Chr. 28.
21 Voir Joachim JEREMIA.S, Jérusalem au temps de JéStlS, Cerf, Paris 1967,
p. 250-271.
L'ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT SAINT 171

s'emparent du souverain pontificat n'étant que des prêtres du


commun. Après la prise de Jérusalem par les Romains en 37
avant J.c., Hérode nomme ou destitue les grands-prêtres selon
son bon plaisir 22. La situation anarchique ainsi créée se prolonge
jusqu'à la destruction de Jérusalem en 70, ce qui ne manqua
pas de poser maints problèmes douloureux à la conscience reli-
gieuse des Juifs.
Lorsque Onias II fut mis à mort, en 172, son propre fils
Onias III, s'estimant prétendant légitime au souverain pontificat,
osa ériger un temple à Léontopolis, en terre étrangère.
A l'intérieur du judaïsme la persécution d'Antiochus Epipha-
ne, malgré l'héroïsme des Maccabées, inaugure une longue période
de crises qui ont pour effet de dégrader la sainteté et la pureté
du culte hiérosolymitain.
Dès l'époque d'Antiochus Epiphane se constitue le groupe
des Hasidim; ce sont les «Saints du Très-Haut" auxquels est
promise dans le livre de Daniel" une royauté éternelle; mais ces
héros, hélas, se trouvent très tôt impliqués, comme le seront un
peu plus tard les Pharisiens, dans des intrigues complexes de
politique intérieure 24.
Les Pharisiens, dont on fait remonter l'origine aux Hasidim,
se montrent d'abord des défenseurs fervents de la sainteté du
culte. L'Asmonéen Hyrcan l (134-104), qui, selon Josèphe, est
« mal vu des Pharisiens" 25, et, après lui, son fils Alexandre Jannée
(103-76), s'entendent refuser publiquement la légitimité de leur
souverain pontificat sous le prétexte que leur aïeule fut prison-
nière des Séleucides ". Alexandre réagit avec la dernière violence,
mais sa femme Alexandra qui lui succède, s'attire volontairement
les faveurs des Pharisiens, dont le zèle se trouvera dorénavant
plus ou moins neutralisé.
Tout autre apparaît l'attitude religieuse des Esséniens ",
dont certains rattachent l'origine aux mêmes Hasidim sans

22 Ibid., p. 261.
23 Dan. 7,27.
24 C'est ainsi qu'il se joignent à Alcime, grand-prêtre illégitime, quoique
Sadoqite, et se situent, par ce fait même, dans l'opposition au premier Asmcr
néen Judas Maccabée: 1 Mac. 7, 11-13.
25 Ant. XIII, X, 5, 288.
26 Ant. XIII, X, S, 292 et Anf. XIII, XIII, S, 372.
27 En supposant que les textes de Qumrân appartiennent aux Esséniens.
172 NICOLAS KOULOMZINE

posséder d'ailleurs pour cela de preuves suffisantes. Particuliè-


rement intransigeante et sans compromission possible fut leur
attitude envers le clergé du Temple de Jérusalem, accusé par
eux de tous les crimes et méfaits. Certains chercheurs identifient
leur fondateur, le Maître de Justice, avec ce « Judas l'Essénien»
mentionné par Josèphe, qui le décrit comme un prophète, un
docteur enseignant, entouré de disciples à l'intérieur de l'enceinte
du Temple". La scène décrite par Josèphe est datée par lui du
règne d'Aristobule I (104-103), et Judas est déjà un vieillard.
On peut en déduire que dans un premier temps les Esséniens
n'avaient pas encore définitivement quitté Jérusalem et n'avaient
pas encore rompu avec le Temple.
Les écrits esséniens ne manquent pas de poser quantité de
problèmes quant à leur datation et à la précision des événements
historiques auxquels ils font allusion. Sait-on quel a été le sort
définitif du Maître de Justice "? L'on se demande également si
la secte, en quittant Jérusalem, s'est d'abord rendue à Damas, ou
si le nom même du pays de Damas ne serait qu'une manière
symbolique de désigner Qumrân JO. Il semble cependant acquis
qu'à un filoment donné, au début du 1er siècle avant notre ère,
la secte se trouva installée dans le désert de Qumrân, loin de
Jérusalem, en rupture avec le clergé du Temple.
Bertil Gartner, dans l'ouvrage que nous avons cité au début,
s'efforce de montrer que dans la conscience des Esséniens s'est
opérée une sorte de spiritualisation de la notion de Temple:
la communauté du désert se serait considérée elle-même comme
constituant le Temple. Nous voudrions noter cependant que nulle
part dans les écrits esséniens nous n'avons découvert de formule
aussi nette que ceIle de Paul, qui dit aux Corinthiens: «Vous
êtes le Temple de Dieu,,".
La communauté de Qumrân était assez nettement départagée
en deux groupes distincts, le clergé et les laïques: «This division
of the community, dit Gartner, into two groups, Aaron and

28 Guerre I, III, S, 78-80, voir aussi «Les textes de Qurnràn» traduits et


annotés par J. CARMIGNAC, P. GUILBERT, E. COTl-IENET ... , Letouzey, Paris 1961-63,
2 tomes - tome J, p. 15.
Nous citerons: cc Textes de Qurnrân» éd. Carmignac.
29 Comparer par exemple les traductions de Dupont-Sommer, ct celles de
l'édition de Carmignac.
30 Mlle A. JAUBERT, Le pays de Damas, in R.B. 1958, p. 214-248.
:Ill Car. 3, 16.
L'ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT SAINT 173
--------'==='-
Israel, is commonly seen in those texts which deal with the
organisation and rules of the community " ".
A cette division de la communauté en deux groupes cor-
respond la mention des deux Messies, d'Aaron et d'Israël, dont
le second, d'ailleurs, est très nettement subordonné au premier.
Cette division n'est pas sans rappeler la structure du Temple
de Jérusalem où le parvis des gentils était nettement séparé de
celui des prêtres, à cette différence près, ce?endant, qu'au
milieu du parvis des prêtres se situait le Saint des Saints du
Temple, alors que cette dernière dénomination était réservée, à
Qurnrân, « au conseil des prêtres» 33 et non, semble-t-il, à la
communauté tout entière, comme le prétend Gartner 34.
Pour appuyer sa thèse, Gartner se livre à une analyse plus
détaillée de quelques textes; il étudie en particulier un texte
du Document de Damas" où l'auteur de ce document cite, en
le modifiant d'une manière significative, un verset du livre
d'Ezéchiel. Dans Ezéchiel nous lisons: «Quant aux prêtres·
lévites, fils de Sadoq, qui ont rempli mon office dans le Sanc·
tuaire, quand les Israëlites s'égaraient loin de moi, ce sont eux
qui s'approcheront de moi pour me servir» 36, Dans le texte
d'Ezéchiel il s'agit, ici, du clergé resté fidèle avant l'exil au
culte du Temple de Jérusalem et présumé de descendance
sadoqite; l'auteur du Document de Damas, lui, introduit dans
ce texte d'Ezéchiel, qu'il cite, des conjonctions: «Les prêtres (et)
les lévites (et) les fils de Sadoq ... ,,". Il transpose ainsi, comme
le remarque le père E. Cothenet, « dans le texte la situation de
son temps où l'on distinguait la lignée sadoqite (dans laquelle se
recrutaient les grands.prêtres), les autres familles sacerdotales
et enfin les lévites" sa. La suite du Document de Damas semble
préciser que les prêtres sont ceux qui formèrent le noyau le plus
ancien de la communauté, les lévites - ceux qui se sont joints
à eux; quant aux fils de Sadoq, ce sont les « hommes de renom"

32 Gi\RTNER, op. cit .. p. 23 qui cite une série de textes à l'appui.


33 Dans la Règle de la Communauté nous lisons: ... la maison de sainteté
pour Israël et le conseil du Saint des Saints pour Aaron seront ." »: l QS
VIII, 5; camp. VIII, 8 et IX, 6.
34 GARTNER, op. cil., p. 15.
35 Document de Damas (CD) III, 21 - IV, 6.
36 Ez. 44, 15.
37 CD III, 21.
38« Les textes de Qurnrân ", éd. de J. Carmignac, tome II, p. 159, note 2.
174 NICOLAS KOULOMZINE

dont le texte primitif du document semble avoir mentionné les


généalogies, qu'un copiste tardif aurait négligé de recopier. Qui
sont ces fils de Sadoq? Cette dénomination ne couvre probable-
ment pas la totalité de la communauté" mais un petit groupe
qui, avec les prêtres et les lévites, constituerait le groupe sacer-
dotal de la communauté à l'image de l'organisation du Temple 40.
Mais n'y a-t-il pas une certaine exagération de la part du savant
suédois quand il affirme que "the Dead Sea texts daim that
the community constituted a new Temple» "? Quand la Règle de
la Communauté parle d'obtenir" le pardon à tous les volontaires
pour la sainteté d'Aaron et pour la maison de fidélité en Israël» 42,
y a-t-il dans cette formule, ou dans d'autres semblables ", une
raison suffisante pour affirmer que la communauté, une fois
installée à Qumrân, avait une nette conscience de constituer le
Temple "? Gartner étudie encore le texte essénien connu sous
la désignation de 4 Q Florilège, où il est question d'un" sanctuaire
d'homme ». Il suffit de se rapporter au texte pour se rendre
compte que cette dénomination ne vise pas nécessairement la
communauté essénienne ... Il nous est évidemment impossible
de passer en revue tous les textes esséniens cités par Gartner.
Par ailleurs, Gartner souligne le caractère sacré de la com-
munauté. Pour cela, il analyse les différentes conditions de pu-
reté lévitique, les conditions d'aptitude physique, enfin les
conditions d'âge, imposées à Qumrân à tous les prosélytes, con-
ditions qui, dans le judaïsme contemporain, n'étaient imposées
qu'aux seuls prêtres: "This is not to say that the entire com-
munity was made up of priests but certain aspects of the priest
ideal of sanctification were e1evated into general conditions of
membership »". C'est là, sans doute, de la part de Gartner, une
intéressante suggestion.
Gartner n'a pas pu avoir entre les mains un texte important
pour notre thème, intitulé" le Rouleau du Temple », qui n'a vu
le jour que très récemment. En français nous en possédons une

39 S. SCHECHTER, Fragments of a Zadokite work, Cambridge, 1910.


40 Voir plus haut.
41 GARTNER, op. cil., p. 15.
42 Règle de la Communauté 1 QS V, 5.
43 Ibid., VIII, 5-6.
44 Gi\RTNER, op. cit., p. 22.
45 Ibid., p. 22.
L'ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT SAINT 175

traduction avec introduction et notes, d'André Caquot ". Ce texte


contient une réglementation du culte du Temple, mais comme
le précise Caquot « la distinction est faite bien nettement entre
le temps pour lequel sont valables les ordonnances du Rouleau
du Temple et l'ère post-historique dans laquelle Dieu viendra
lui-même substituer au Temple bâti de main d'homme un édifice
acheiropoiète (non fait de main d'homme) »".
Or, d'après Caquot (ses arguments semblent bien fondés),
le manuscrit daterait de la fin du second siècle '". Il s'ensuit que
ce temple non fait de main d'homme ne peut pas désigner la
communauté de Qumrân puisque sa rupture avec le Temple de
Jérusalem n'était pas encore consonlmée. Les espérances dans
l'avènement d'un Temple eschatologique non de main d'homme
étaient, par ailleurs, communément répandues dans le judaïsme
tardif ".
Ceci dit, la thèse de Gartner n'en reste pas moins digne
d'intérêt. Si même ses conclusions sont souvent quelque peu
forcées, ses réflexions n'en sont pas moins très suggestives et
méritent une plus grande attention. Il n'est pas, en fin de compte,
exclu que devant les scandales et les désordres qui se perpé-
tuaient à Jérusalem dans le Temple, les Esséniens étaient sur
une bonne voie pour se considérer comme constituant le Temple
en tant que communauté eschatologique.
Mais il revient à l'apôtre Paul de l'avoir finalement formulé.

ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT

La première communauté judéo-chrétienne de Jérusalem


n'avait pas rompu, du moins au début, avec le judaïsme et en
particulier avec le culte du Temple, comme le souligne le livre des
Actes; les apôtres, y lisons-nous, se rendaient au Temple aux
heures prescrites pour la prière" et les fidèles « jour après jour,
d'un seul coeur fréquentaient assidûment le temple ... »".

48 André CAQUOT, Le rouleau du Temple de Qumrân. Introduction, traduction


et notes, dans Etudes théologiques et religieuses 1978, nO 4, p. 443-500.
47 Ibid., p. 447.
48 Ibid., p. 445.
49 Hénoch XC, 28, sq; et aussi très nettement exprimé dans Ap Bar
XXXII, 1-7.
50 Act. 3,1.
51 Act. 2,46.
176 NICOJAS KOULOMZINE

Mais, après un temps, l'apparition du groupe des " hellénis-


tes ", parmi lesquels Etienne fit figure de leader, semble avoir
marqué une nouvelle étape dans l'évolution des idées religieuses
des chrétiens. Etienne est accusé devant le Sanhédrin de tenir
des propos contre" le Saint Lieu (c'est-à-dire contre le Temple)
et la Loi" 52. Dans le discours qu'il prononce pour sa défense,
Etienne fit une déclaration qui suscita l'irritation: "Le Très Haut
n'habite pas dans des demeures faites de main d'homme; ainsi
le dit le prophète: Le ciel est mon trône et la terre l'escabeau de
mes pieds: quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, et
quel sera le lieu de mon repos? N'est-ce pas ma main qui a fait
cela? ,,"'. Cette attitude d'Etienne envers le Temple fut la cause
de sa condamnation et de la persécution des chrétiens hellénistes
qui s'ensuivit. Ceux-ci, comme le raconte le livre des Actes, quit-
tant Jérusalem, prêchent en Samarie ", en Phénicie, vont à Chypre,
pour aboutir à Antioche ". C'est à ce groupe que Paul, converti
entre temps, se joint 56, ce qui a incité certains historiens à
penser que le discours d'Etienne et ses propos sur le Temple
ont pu influencer le futur apôtre dès avant sa conversion.
Délégué par Antioche pour ses voyages missionnaires, Paul,
chacun le sait, voulut dès le début libérer les nouveaux chrétiens
d'origine païenne d'une quelconque soumission à la Loi juive; en
même temps s'opéra dans sa conscience religieuse la véritable
spiritualisation de la notion juive de Temple.
Parmi les images qu'utilisa Paul pour désigner le mystère
de l'Eglise, il y a celle de l'Eglise-Edifice reposant sur le fonde-
ment de Christ, pierre angulaire. Ici Paul reprend l'imagerie
propre à l'ancien et au nouveau Testaments. Aux Corinthiens il
dit: "VOUS êtes l'édifice de Dieu" ", ce qui dans le contexte
signifie que le bâtisseur de l'édifice bâti sur Christ est Dieu. Sous
la plume de Paul cette image prend tout son sens lorsqu'il ajoute
immédiatement après: «Vous êtes le Temple de Dieu" ". Doré-
navant dans la pensée paulinienne le Temple de Dieu est la
communauté chrétienne. Et Paul immédiatement de préciser sa

52 Act. 6,13.
53 Act. 7, 48-50.
54 Act. 8,1.
"s Act. 11,19.
56 Act. Il, 25-26.
57 1 Cor. 3,9.
58 1 Cor. 3,16.
L'ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT SAINT 177

pensée: «L'Esprit de Dieu habite en vous» 59. Ceci veut dire


que si chacun dans l'Eglise est porteur de l'Esprit, l'Eglise dans
son ensemble l'est aussi.
Pour un juif ou un païen un temple était le symbole de la
présence d'un Dieu. Les hommes de la nouvelle Alliance savent
que Dieu est présent dans l'Eglise par son Esprit qui demeure
en eux. Les auteurs de la Bible nous ont laissé de cette présence
divine la description des signes sensibles qui la manifestaient,
en particulier de la nuée de gloire. Il n'est pas sans intérêt de
noter que les Pères de l'Eglise, en particulier les plus anciens,
ont perçu à travers ce signe sensible l'intervention de l'Esprit
hypostatique. Ils lisaient les textes anciens à la lumière de la
révélation nouvelle. C'est ainsi que Grégoire de Nysse se référant
aux Pères qui l'ont précédé dit bien: "La nuée qui désigne le
guide a été interprétée à juste titre ... de la grâce du Saint
Esprit» GO. Le même Esprit qui autrefois fut le guide d'Israël,
celui-là même devient le guide de l'Eglise et c'est pourquoi l'Eglise
est le Temple, c'est-à-dire la demeure de l'Esprit, le lieu de la
présence de Dieu.
La conscience d'être et de vivre dans l'Esprit était chez
Paul le fait de sa propre expérience spirituelle. Avant même son
baptême n'a-t-i1 pas reçu ses dons ", n'a-t-i1 pas dit que" nul ne
peut dire: Jésus est le Seigneur que sous l'action de l'Esprit
Saint» 62? N'était-il pas conscient que les membres du Corps
ecclésial du Christ sont les charismatiques "? N'a-t-il pas dit que
l'Esprit guide le chrétien se joignant à son esprit pour attester
qu'il est enfant de Dieu 64?
Dans la Prima Petri qui, d'une manière générale, reprend
bien des thèmes pauliniens, nous lisons: "Approchez-vous de
lui (du Christ), la pierre vivante, rejetée par les hommes, mais
choisie, précieuse auprès de Dieu. Vous-mêlnes comme des pierres
vivantes, prêtez-vous à l'édification d'un édifice spirituel, pour

59 1 Cor. 3,16.
60 COl1templation su,. la vie de Moïse TI,I21. PG 44 361 B; voir allssi ORlGÈNE,
Homélies sur l'Exode V, 1: PC 12 326 B et Bi\SII.E LE GR!\ND, Traité du Saint
Esprit XIV, 31. PG 32 124 B.
61 Act. 9,17.
62 1 Cor. 12,3.
631 Cor. 12.
64 Rm 8, 16.
178 NICOLAS KOULQMZINE

un sacerdoce saint, en vue d'offrir des sacrifices spirituels, agréa-


bles à Dieu par Jésus-Christ» ".
Ici, dans l'épître pétrinienne, l'expression « Temple de Dieu»
ou «Temple de l'Esprit» manque et se trouve remplacée par
une expression équivalente, celle d'" Edifice spirituel". C'est là
encore l'image d'un Temple non fait de main d'homme, unifié
dans l'Esprit et composé de membres formant un " saint sacer-
doce », afin d'offrir des sacrifices spirituels. Il y a là allusion
aux sacrements de l'Eglise et, d'une manière plus générale, à la
vie liturgique de cette Eglise, Temple de l'Esprit.

CHRIST - TEMPLE, DANS LA THEOLOGIE JOHANNIQUE

Il nous reste à examiner les textes évangéliques qui relatent


l'attitude de Jésus lui-même face au Temple de Jérusalem. L'étude
de ces textes, surtout de ceux de ln, conduisent à un approfon-
dissement des théologies paulinienne et pétrinienne.
Un premier texte qui se présente à nous est celui de l'ex-
pulsion des vendeurs du Temple relatée dans tous les quatre
évangiles. Xavier Léon-Dufour, dont nous nous inspirons par-
tiellement. nous a donné une courte, mais très intéressante
analyse comparative des quatre récits ".
L'attitude de Jésus telle qu'elle ressort du récit des synopti-
ques est à mettre en parallèle avec les gestes des anciens pro-
phètes d'Israël qui fustigeaient leurs contemporains. Jésus reprend
à son compte certaines paroles de ces prophètes, paroles d'espoir,
liées à la présence en Israël du Temple: "Ma maison sera
appelée maison de prière pour toutes les nations}) 6 7 , mais aussi
paroles de reproche à l'adresse de ceux qui profanaient le
Temple: «Mais vous en faites un repaire de voleurs» 60.
Dans les synoptiques le récit de l'expulsion est associé aussi
à d'autres gestes ou paroles de Jésus annonçant la fin prochaine
du Temple (geste symbolique et prophétique de la malédiction du

65 1 Piero 2,4-5.
66 Xavier LtON-DuFOUR, Le signe du Temple selo/1 Saint Jean, dans Recherches
de Science religieuse (Mélange Jules Lcbreton) 1951-52, p. 155-175.
67 Mc. IL 17 et par., ct Is. 56, 7.
68 Mc 11, 17 et par., et lér. 7, 11.
L'ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT SAINT 179

figuier figurant l'abandon d'Israël par Dieu "; lamentation sur


le sort de Jérusalem m).
Tout autre est la portée du récit johannique plus tardif ".
La place de ce récit dans ln au début du ministère de Jésus pose
un premier problème aux historiens. Certains, dont Léon-Dufour,
ont cependant remarqué que, dans le plan de ln ce récit de
l'expulsion des vendeurs suit d'assez près le récit de l'avènement
et de l'activité du Précurseur et ont cru voir dans l'association de
ces deux récits une allusion voulue à la prophétie bien connue
du livre de Malachie où on lit: "Voici que je vais envoyer mon
messager, pour qu'il déblaie un chemin devant ma face. Et
soudain il entrera dans son sanctuaire le Seigneur que vous
cherchez» 72, et, plus loin: « Voici que je vais vous envoyer Elie,
le prophète, avant que n'arrive mon jour grand et redoutable" ".
Or au niveau de l'interprétation néotestamentaire Elie est la
figure de Jean-Baptiste.
Si cette allusion à Malachie peut être admise comme réel-
lement voulue par l'auteur du IV· Evangile, il s'ensuivrait que
l'apparition même de Jésus au Temple constituerait dans ln
comme un signe de l'inauguration du jour grand et redoutable
de Yahwé.
D'autre part il n'est pas fait mention dans les paroles de
Jésus, rapportées par ln, des voleurs (par référence à la prophétie
de Jérémie), mais de maison de commerce: "Ne faites pas de
la maison de mon Père une maison de commerce}) 74. Il est assez
évident qu'il y a là une allusion à la prophétie eschatologique de
Zacharie: «Et il n'y aura plus de marchands dans la maison
de Yahwé Sabaot, en ce jour-là" 75. Cette remarque confirme
que dans ln l'ère nouvelle eschatologique est d'ores et déjà
inaugurée par la venue du Christ.
Après l'expulsion des marchands un dialogue s'engage entre
Jésus et les Juifs. Ces derniers pensent que Jésus ne leur parle
que de la destruction et de la reconstruction du Temple; en
réalité le Christ leur parle du Temple de son Corps. Pour les

69 Mc. 11, 12-14; Mt. 21, 8-19.


70 Luc. 19, 41-44.
71 ln. 2, 13-22.
72 MaI. 3, 1.
73 Mal. 3, 23.
74 ln. 2, 16.
75 Zach. 14, 21.
180 NICOLAS KOULOMZINE

Juifs de ce temps la destruction du Temple matériel, nous l'avons


dit, est le prélude de l'avènement d'un Temple non bâti de main
d'homme, dans un monde rénové; Jésus, comme le comprennent
plus tard les disciples, annonçait sa passion et sa résurrection
en tant que l'inauguration du monde nouveau.
Un autre texte de ln peut attirer notre attention. C'est le
début du grand discours que Jésus prononça dans le Temple le
dernier jour de la fête des Tabernacles: «Le dernier jour de la
Fête, le grand jour, Jésus, debout, s'écria:

« Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi,


et qu'il boive, celui qui croit en moi.
Selon une parole de l'Ecriture:
De son sein couleront des fleuves d'eau vive» 76.

Et l'évangéliste de préciser: "Il parlait de l'Esprit que de-


vaient recevoir ceux qui avaient cru en lui; car, il n'y avait pas
encore d'Esprit, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié»".
Ce texte bien connu pose devant l'exégète un problème:
du sein de qui devront couler les fleuves d'eau vive? Si l'on
accepte la ponctuation du texte pour laquelle nous optons, il
paraît probable que l'eau vive ne coule pas du sein de celui qui
croit. Il nous paraît alors probable que, à travers cette citation
d'un texte d'Ecriture, que l'on n'a pas trouvé, Jésus voulut se
désigner lui-même.
Or, bien que la citation soit, textuellement parlant, d'origine
inconnue, elle peut, néanmoins, être considérée comme une
allusion assez probable au chapitre 47 du livre d'Ezéchiel. Nous
trouvons là une longue description: "De dessous le seuil du
Temple" '" coule un filet d'eau, qui devient un cours d'eau de
plus en plus large: ce cours d'eau aboutit à la Mer Morte dont
il rend saines les eaux, et où peuvent vivre les poissons. Sur le
passage du cours d'eau la terre aride est rendue fertile et les
arbres donnent de beaux fruits. Toute la contrée devient floris-
sante. Cette eau vive, répétons-le, sort de dessous le seuil du
Temple.

;6 ln. 7, 37-38.
17Jn. 7, 39.
78 Ez. 47, 1 sq.
L'ÉGLISE - TEMPLE DE L'ESPRIT SAINT 181

Ce second texte de ln nous montre encore une fois que là


où dans la pensée juive il était question du Temple de Jérusalem,
Jésus substitue au Temple sa Personne.
Un troisième texte johannique est encore plus parlant: nous
lisons dans le prologue que «le Logos est Dieu" et, plus bas,
on nous dit de ce Logos-Dieu: «xcd à )..6yoç crd.p~ EyÉVE't"O xcxl
È:crx~vWcrEV EV ~l-'-!V». Ceci signifie que le Logos s'est fait homme,
qu'il a établi sa tente (Ècrx~VWcrE'I de ",,~v1j) parmi nous; là encore
nous voyons une allusion au Tabernacle (crx'~v1j) et donc au
Temple auquel le Christ substitue sa Personne. La suite du verset
confirme notre exégèse: « et nous avons vu sa gloire ». On ne
peut s'empêcher de penser à cette nuée de gloire qui guidait
Israël, qui couvrit l'arche et le tabernacle, qui descendit sur le
Temple. Dans la conception johannique cette gloire reposa sur
Jésus.
D'autres textes évangéliques devraient être analysés ici,
mais la place nous manque.
Dans la perspective johannique, la glorification de Jésus
conditionne la venue de l'Esprit Paraclet. Cette promesse johan-
nique du Paraclet nous ramène à la théologie paulinienne. Puisque
le Christ s'est substitué au Temple, dorénavant voué à l'oubli
et à la destruction, l'Eglise du Christ, à son tour, devient Temple
par les dons de l'Esprit, devient demeure de l'Esprit à jamais.

***

Pour conclure, jetons un regard sur la vIsion de la Jéru-


salem nouvelle, telle qu'elle nous est décrite dans l'Apocalypse
de Jean ". Remarquons d'abord que nous retrouvons toutes les
images de l'Eglise communes à l'ancien et au nouveau Testaments.
Quelques passages concernent notre thème. Nous entendons
une voix qui dit: «Voici la demeure (",,~v1j) de Dieu avec les
hommes. Il aura sa demeure (OXl)\lWcrE:L) avec eux; ils seront son
peuple et Dieu lui-même sera avec eux et il essuiera toute lar-
me ... )} 80. Dans cette simple phrase nous retrouvons les échos
des descriptions du Pentateuque. Nous retrouvons la base théo-

79 Ap. 21-22.
"Ap. 21, 34.
182 NICOLAS KOULOMZINE

logique fondamentale que domine l'idée du Temple en tant que


signe de la présence de Dieu au mili~u des hommes. «Les
nations marcheront à sa lumière et les rois de la terre viendront
lui porter leurs trésors,,"'. C'est là le langage des prophètes
d'Israël.
Un dernier passage, peut-être le plus important de cette
description pour notre thème, nous replace dans la théologie
johannique telle que nous l'avons comprise: «De Temple je
n'en vis point en elle, c'est que le Seigneur, le Dieu Maître de
tout, est son Temple ainsi que l'Agneau" ".

Nicolas KOULOMZINE

01 Ap. 21, 24.


82 Ap. 21, 22.
L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE DANS LA PRIÈRE EUCHARISTIQUE

Dans les différentes traditions chrétiennes, au coeur de la


célébration eucharistique on trouve une intercession pour l'Eglise.
Cette intercession revêt des formes variées, qu'apparentent
pourtant des traits communs. Dans cette variété on voudrait
essayer ici de dégager quelques fils conducteurs qui permettront,
peut-être, de cerner certaines visées fondamentales de la men-
tion de l'Eglise dans la prière eucharistique l
Disons tout de suite que le matériel qu'offrent les anaphores
eucharistiques des diverses traditions chrétiennes, de l'Orient
et de l'Occident, est beaucoup trop vaste pour permettre, au
cours de cet exposé, un examen systématique de l'ensemble '.

1 J'ai déjà eu l'occasion d'aborder la question de l'intercession pour l'Eglise


àans la pl"ière eucharistique dans la partie du mémoire sur «l'Eglise une» que
j'ai présenté à la Consultation entre l'Eglise catholique et l'Eglise copte ortho-
doxe, tenue à Vienne en août 1976: L'Eglise une dans la prière eucharistique,
publiée dans lrénikon 50 (1977), pp. 326-344 et 511-519. J'y renvoie le lecteur pour
certaines observations que je n'ai pas cru devoir reprendre dans cet exposé
où plus de liberté était laissée à la recherche.
2 H. ENGBERDING s'est efforcé de débrouiller patiemment les problèmes po-
sés par les intercessions dans les anaphores eucharistiques et l'on ne peut
traiter de l'intercession pour l'Eglise sans se référer à ses travaux dont on
mentionnera ici les plus importants pour le sujet qui nous occupe: Zum anapho-
rischen Fürbittgebet der ostsyrischen Liturgie der Apostel Addaj und Mar(j),
m: OC 41 (1957), pp. 102-124; Das Verhiiltnis der syrischen Timotheusanaphora
zur koptischen Cyrillusliturgie, ibid. 42 (1958), pp. 55-67, et Zum Papyrus 465 der
John Rylands Library zu Manchester, pp. 68·76; Das anaphorische Fürbittgebet
der byzantinischen Chrysostomosliturgie, ibid. 45 (1961), pp. 20·29, 46 (1962), pp. 33·
60; Das anaph. Filrbittgebet der Basiliuslit., ibid., 47 (1963), pp. 16-52, 49 (1965),
pp. 18-37; Das anaph. Fürb. der syrischen Basiliuslit., ibid., 50 (1966), pp. 13-
18; Das anaph. Fürb. der iilteren armenischen Basiliuslit., ibid., 51 (1967), pp. 29-
50; Das anaph. Fiirb. der griechischen Markuslit., in: OCP 30 (1964), pp. 398-446.
Pour les intercessions de la liturgie de S. Jean Chrysostome, voir aussi: F. VAN
DE PAVERD, Zur Geschichte der Messliturgie in Antiocheia und Konstantinopel
gegen Ende des vierlen Jal1rhunderts. Analyse der Quellen bei Johannes Chry·
::iostomos (OCA 187), Rome 1970, en particulier pp. 198·221, 344-360, 460464, 501-
524: G. WINKLER, Die Incerzessionen der Chrysostomusanaphora in ihrer ge-
schichtlichen Entwicklung, in: OCP 36 (1970), pp. 301-336 et 37 (1971) pp. 333·
383: G. WAGNER, Der Urspnmg der Chrysostomusliturgie (Lit. Ou. u. F. 59), Mün-
ster 1973, pp. 121-122.
184 EMMANUEL LANNE

Si la tradition orthodoxe byzantine ne connaît que deux


- ou au mieux trois - anaphores: celle de saint Jean Chrysos-
tome et celle de saint Basile, auxquelles on peut joindre légiti-
mement celle de saint Jacques;
si la tradition égyptienne est elle aussi assez sobre, tout
au moins dans son usage moderne, avec les anaphores de saint
Marc, de saint Basile (alexandrine) et de saint Grégoire;
si, enfin, le Canon romain en est venu à dominer pres-
que exclusivement l'Occident chrétien jusqu'à la Réforme du
XVI' siècle, puis, chez les catholiques, jusqu'à ce que le Pape
Paul VI lui adjoigne les trois autres prières eucharistiques
actuellement en usage,
il n'en est pas de même dans la tradition liturgique qui
se rattache à Antioche, conservée chez les diverses Eglises syrien-
nes, ni dans la tradition de l'Eglise d'Ethiopie, ni non plus pour
les prières eucharistiques des traditions gallicanes et hispani-
ques qui sont parvenues jusqu'à nous. Ces familles liturgiques
connaissent des anaphores nombreuses dont plusieurs sont plei-
nes d'intérêt, mais qu'il ne peut être question d'examiner ici
en détail.
En nous en tenant pourtant aux textes mentionnés plus
haut et dont l'usage aujourd'hui est le plus large et le plus
commun, on peut avoir quelque assurance de ne rien laisser
échapper d'essentiel concernant le sujet qui nous occupe: la
signification de la prière pour l'Eglise dans l'anaphore eucha-
ristique.

* * *

Le texte dont l'emploi est le plus habituel dans la tradition


liturgique byzantine n'est pas celui qui présente l'interprétation
la plus aisée. L'anaphore de la liturgie de saint Jean Chrysostome
situe, en effet, l'intercession pour l'Eglise dans une prière
d'offrande (TCpocr'l'ÉpofLoV) où s'insère l'épiclèse, puis l'oblation
pour les saints (~'n 'Tt'pocrcp€po!1.EV O'o~ TI)v ÀOyLX.1Jv -rau'Ojv Àa-rpE:!ocv
imÈp ... ) au sens qu'a brillamment exposé, il y a quelques années,
Mgr Georges Wagner 3; ensuite la mémoire des défunts, puis celle

3 Dans son étude sur La Commémoraison des saints dans la prière eucharisti-
que, in: Irénikon 45 (1972), pp. 447-456.
L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE 185

de l'épiscopat, du presbyterium, du diaconat, de tout l'ordre


sacerdotal. Et le texte reprend alors la formule d'oblation:

«Nous t'offrons encore ce culte spirituel pour la terre habitée,


pour l'Eglise sainte, catholique et apostolique, pour ceux qui vivent
dans la chasteté et la sainteté, pour nos rois très fidèles et amis du
Christ, pour tout leur palais et toute leur armée. Donne-leur, Sei-
gneur, un règne paisible, pour que nous aussi, jouissant de leur
tranquillité, nous menions une vie calme et tranquille en toute
piété et sainteté» 4.

Avec la commémoraison de l'évêque canonique, le texte


actuel poursuit en faisant mémoire de la ville, de toute ville
et contrée, puis de leurs fidèles.

L'anaphore byzantine de saint Basile, de son côté, contient


une double intercession pour l'Eglise. Ou plutôt, les fruits de la
communion qui sont demandés, en conclusion de l'épiclèse, pour
chacun des participants, comme dans l'anaphore de la liturgie
de saint Jean Chrysostome, reçoivent dans l'anaphore byzantine
de saint Basile une coloration plus immédiatement ecclésiale,
en sorte que l'on peut parler ici d'une première intercession
pour l'Eglise, en tant que communauté locale. On trouve déjà
amorcée une telle intercession dans l'anaphore de saint Basile
de la tradition alexandrine, dont on reparlera. Voici comment
le texte byzantin enchaîne après l'épiclèse:

«Quant à nous qui participons de l'unique pain et de l'unique


calice, unis-nous les uns aux autres par la communion de l'unique
Esprit Saint et fais qu'aucun de nous ne particÎlpe pour son juge-
ment ou sa condamnation à ce saint corps et sang de ton Christ,
mais que ce soit pour trouver miséricorde et grâce avec tous les
saints qui t'ont été agréables depuis toujours, les premiers pères,
les patriarches, les prophètes, les apôtres, les prédicateurs, les
évangélistes, les martyrs, les confesseurs, les docteurs et tout esprit
juste accompli dans la foi)}.

Suit alors la mention de la Mère de Dieu, des autres saints


et des défunts, mais très brièvenlent, pour reprendre immédia-

4 Texte dans A. HiiNGGl-I. PAUL, op. cil., p. 228. Cf. aussi G. W!\GNER, Der
Ursprung ... , supra cil., p. 121.
186 EMMANUEL LANNE

tement avec la seconde intercession pour l'Eglise (ou plutôt


avec ce qui est proprement l'intercession pour l'Eglise):
« Nous te demandons encore: souviens-toi, Seigneur, de ton
Eglise sainte, catholique et apostolique d'une extrémité à l'autre
de la terre habitée; donne-lui la paix, à elle que tu as acquise par
le sang précieux de ton Christ, et affermis cette sainte maison
jusqu'à la consommation des siècles» ~.

Dans la famille byzantine il faut faire état d'un troisième


texte, occasionnellement en usage, la liturgie de saint Jacques.
On sait qu'elle est liée à l'Eglise de Jérusalem, que les Syriens
l'ont aussi conservée et que les Arméniens ont fait usage d'une
version de son texte.
Comme l'anaphore byzantine de saint Basile, elle rattache
très étroitement une double intercession pour l'Eglise à l'épi-
clèse, à telle enseigne que c'est justement la formulation de la
première intercession pour l'Eglise telle qu'on la trouve dans
la liturgie de saint Jacques, tant grecque que syriaque, qui nous
autorise à parler de première intercession pour l'Eglise dans
l'anaphore byzantine de saint Basile et déjà dans l'anaphore
alexandrine qui porte son nom, comme aussi dans celle, alexan-
drine, de saint Grégoire de Nazianze.
Voici comment se relie à l'épiclèse cette double interces-
sion dans la liturgie de saint Jacques:
La prière demande l'envoi du Saint-Esprit pour que ce pain
devienne le saint corps du Christ et ce calice son précieux sang

« afin que pour tous ceux qui y participent ils soient pardqn des
péchés et vie éternelle, sanctification des âmes et des corps,
fructification d'œuvres bonnes, affermissement de ton Eglise sainte,
catholique et apostolique que tu as fondée sur le roc de la foi,
afin que les portes de l'Enfer ne prévalent pas contre elle, la libérant
de toute hérésie, des scandales des ouvriers d'iniquité et des ennemis
qui se sont levés contre elle ou qui se lèvent contre elle, jusqu'à la
consommation du siècle ».

Le clergé répond «Amen", puis le célébrant continue:


« Nous t'offrons aussi, ô Maître, pour tes lieux saints que tu as
glorifiés par la théophanie de ton Christ et par la descente sur eux
de ton très saint Esprit, principalement pour la sainte et glorieuse

5 HANGGI-PAHL, op. cit., p. 238.


L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE 187

Sion, la Mère de toutes les Eglises, et pour ton Eglise sainte,


catholique et apostolique à travers toute la terre habitée; et
maintenant comble-la des dons de ton très saint Esprit» 6.

Suit alors la mémoire des évêques de l'univers entier.

* * *
La famille alexandrine fait usage actuellement de trois ana-
phores '; celle de saint Marc, qui présente des archaïsmes, dont
les fragments sur papyrus remontant au IV' ou V' siècle (le
papyrus de Strasbourg gr. 254) viennent souligner l'authenti-
cité; celle de saint Basile, dont on s'accorde à penser qu'elle
représente dans son ensemble une rédaction plus ancienne que
son homonyme byzantine, et celle de saint Grégoire de Nazianze.
L'anaphore de saint Marc est construite sur le schéma égyp-
tien. Elle situe donc l'intercession pour l'Eglise vers le début
de l'anaphore et la rattache à la louange pour la création. Peut-
êt,.e même, si l'on se fonde sur le témoignage d'un fragment
d'anaphore portant le nom de saint Athanase et récemment dé-
couvert en Nubie à Q'asr lbrim', dans les textes égyptiens les

6 Ibid., p. 250. Voir la traduction latine du texte syriaque, pratiquement


identique, p. 272.
7 On sait qu'elle en a compté bien davantage Jusqu'en plein moyen âge
Cf. dom Emmanuel L..\NNE, Le grand euchologe du Monastère blanc, in: P.O.
XXVIII, 2, 1958.
8 Le fragment est édité par W.H.C. PREND et I.A. MUIRHEAD, The Greek Ma-
nuscripts from the Cathedral of Q'asr Ibrim, in: Le Muséon 89 (1976), pp. 47-49.
Voici un essai de traduction française du fragment (dont malheureusement la
photographie n'a pas été publiée): «Anaphore de saint Athanase, l'archevêque:
Seigneur Dieu tout-puissant, (Père) de notre Seigneur Jésus-Christ, nous te
prions et te supplions pour la paix d'en haut de ton Eglise sainte, unique,
apostolique et catholique ... ». Après le mot «paix », il y a les leUres 1tp1X,
forme normale de l'accusatif 'TC'ct.'t'ÉplX, mais ici hors de propos. Les éditeurs
paraissent y voir un vocatif «ô Père », comme en grec démotique. Telle est
du moins l'interprétation que nous donnons de leur traduction. On remarquera,
par ailleurs, que le vocatif «Père» a été restitué après «tout-puissant ». y
a-t-il eu un déplacement? En toute hypothèse le papyrus mériterait un examen
ultérieur. Les anaphores arménienne et éthiopienne qui portent le nom de
saint Athanase ont une autre structure. Dans l'arménienne les intercessions se
trouvent après l'anamnèse et l'épiclèse, comme dans la famille antiochienne
(HANGGI-PAHL, pp. 324 ss.). Dans l'éthiopienne, elles se trouvent placées après le
« sanctus », au milieu du second praecol1ium (HAKCGI-PAITI., p. 181: S. EURINGER,
Die dthiopische Anaphora des Ill. Athanasius, in: OC 3. S., 2, 1 {1927), p. 272-
273). On pourrait aussi penser qu'il ne s'agit pas, dans ce fragment de papyrus,
du commencement de l'anaphore proprement dite, mais d'une prière de baiser
de paix pour l'introduire. On trouve des débuts assez semblables, en effet, tant
dans la prière du baiser de paix de la liturgie alexandrine de saint Marc CE.
RENAUDOT, Liturgiarum ol"ientalium collectio l, 18472 , p. 129), que dans divers
formulaires syriaques (par ex., ibid. II, pp. 134, 260).
188 El\.1MANUEL LANNE

plus anciens l'intercession pour l'Eglise intervenait-elle encore


davantage au début de l'anaphore qu'elle ne le fait dans celle
de saint Marc et dans les documents de cette famille qui nous
sont connus '. Quoi qu'il en soit, l'anaphore de saint Marc dans
le papyrus de Strasbourg présente de la façon suivante l'inter-
cession pour l'Eglise.
Après la louange du Dieu Créateur - lacunaire en son
début dans le papyrus, mais que l'on peut compléter par le texte
reçu, dont un nouveau manuscrit grec-arabe a été découvert il
y a environ deux ans, le Codex Kacmarcik 10 - le texte continue:

« Et tu as créé toutes choses par ta sagesse, la lumière véritable,


ton Fils, notre Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ, par lequel, avec
lui et le Saint-Esprit, en te rendant grâces, nous t'offrons ce sacrifice
raisonnable, ce culte non sanglant, que t'offrent toutes les nations, du
levant du soleil à son couchant, du nord au midi, parce que grand
est ton nom parmi toutes les nations, et en tout lieu on offre
l'encens à ton saint Nom, sacrifice pur, sacrifice d'encens et oblation.
Nous te prions et te supplions: souviens-toi de ton Eglise sainte et

9 A supposer qu'il s'agisse bien du début de l'anaphore proprement dite (cf.


la fin de la note précédente), on relèvera, en tout cas, que situer l'intercession
à l'ouverture de la prière eucharistique, comme parait le faire le fragment trouvé
à Q'asr Ibrim, pose un autre problème: celui des orationcs majores de la prière
universelle qui suit la proclamation de l'Evangile. On sait, en effet, que le rite
alexandrin fait suivre les lectures et l'Evangile par une double série d'interces-
sions interrompues par la «prière du voile ». Les premières, qui sont vraiment
les prières universelles, intercèdent pour une mise à profit de l'Evangile qui
vient d'être lu, pour les infirmes, les absents, les produits de la terre, les
églises ct monastères, le roi, les défunts, les offrants, les captifs, ceux qui
souffrent et, finalement, les catéchumènes. (Pour le texte grec de cette prière
universelle dans la tradition copte, voir W.F. MAcoMBER, The Greek Texi of the
Captie Mass of tl1e Anaphoras of Basil and Gregory aecording to the Kacmar-
cik Codex, in: OCP 43 [1977], pp. 320-321, qui donne une recension assez diffé-
rente d'où sont absentes les monitions diaconales). Après la prière du voile,
les orationes majores, qui correspondent à l'aratio fidelium proprement dite,
comportent les trois intercessions solennelles pour la paix de l'Eglise, pour
les pères, pour l'assemblée (cf. RENA1:DOT, op. cil., l, pp. 9-11, 59-60: BRIGHTMAN,
Liturgies, pp. 119-122; 158-161; ou, mieux, Picôm 'nte Pieuchologion ethouab, Le
Caire 1959, p. CN6 (254) sS., qui donne toutes les monitions en grec). Si l'inter-
cession se trouve à l'ouverture même de l'anaphore, comment ne fait-elle pas
double emploi avec la prière universelle et les oraliones majores? Il est vrai
que la question du redoublement se posait déjà à l'époque où ont été rédigées
les Constitutions apostoliques, c'est-à-dü'e à la fin du IVe siècle (voir plus bas).
Dans son étude de l'anaphore de saint Marc, R. COOIJJN a laissé de côté les
intercessions, car il estime que ( ces fonnules, en effet, rompent brutalement
le développement de l'anaphore proprement dite" (L'anaphore. alexandrine de.
5aint Marc, in: Le Muséon 82 [1969], p. 313). Pour ces formules d'intercession,
voir l'art. d'ENGBERDING, supra cit., n. 1, in: OCP 30 (1964). pp. 398-446.
10 Le texte vient d'en être publié par W.F. MACOMBER, The Anaphora of saitll
Mark according tu the Kacmarcik Codex, in: OCP 45 (1979), pp. 75-98.
L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE 189

unique, catholique, de tous tes peuples et de tous tes troupeaux.


La paix qui vient des cieux, accorde-la à nos coeurs à nous tous,
mais donne-nous aussi la paix de cette vie-ci)} 11.

L'intercession continue avec la mention de l'empereur en


vue de la paix des chrétiens.
La prière pour l'Eglise est donc rattachée à une citation de
Malachie I, 11, dont nous savons par la Didachè (ch. 14), par
saint Justin (Dialogue 32, 3; 29, 1; 41,2-3; 117) et par saint Irénée
(Adv. Haer. IV, 17-19) que son interprétation eucharistique était
un des lieux communs de l'exégèse primitive ".
On a cité l'intercession pour l'Eglise de l'anaphore de saint
Basile dans la tradition byzantine; voici maintenant son homo-
nyme de la tradition égyptienne. Elle se situe au même endroit,
enchaînée à l'épiclèse, et elle présente une stnlcture identique,
à ceci près que la double demande distinguée dans l'anaphore
byzantine de saint Basile - les fruits de la communion pour
l'assemblée locale et l'intercession pour l'Eglise universelle -
est plus homogène:
«Accorde-nous (à tous) de recevoir tes saints [mystères] pour
la sanctification de l'âme et du corps [et de l'esprit], afin que nous
ne soyons qu'un seul corps et un seul esprit, et que nous trouvions
part [et sort] avec tous les saints qui t'ont été agréables, dès les
origines. Souviens-toi (aussi), Seigneur, de ton Eglise sainte, une
(!J.6v7)ç), catholique (et apostolique) et donne-lui la paix, à elle que
tu as acquise par le sang précieux de ton Christ. et (de tous les
évêques orthodoxes qui sont en elle) » 13.

Il reste donc à citer l'intercession pour l'Eglise de l'ana-


phore de saint Grégoire le Théologien 14. D'une structure de type

11 Le texte édité par M. ANDRIEU et P. COLLOMP (Fragment sur papyrus d.e


l'anaphore de saint Marc, in: Rev. Sc. Rel. 8 [1928], pp. 489-515) est reprodUIt
dans HANGGT-PAID., op. cit., pp. 116-119, avec une version latine.
12 Cf. E. LAN~E, Le Nom de Jésus-Christ et son invocation chez saim Jr,h"lée
de J.}'Of1, in: Jrénikon 48 (1976), pp. 35 ss.
13 Texte dans J. DORESSE et dom E. LAKNE, Un témoin archaïque de la litur-
gie copte de S. Basile (Bibl. ùu !vluséon 47), Louvain 1960, pp. 20-22, et apparat,
pp. 35-36. J'ai mis entre crochets les ajouts du textc reçu, entre parenthèses
ce qui dans le ms. de Louvain peut appartenir à une couche rédactionnelle
postérieure.
14 Sur l'intercession dans l'anaphore copte de saint Grégoire, voir les ta-
bleaux comparatifs ùonnés par E. HU. .I1\fERSCHl\l1IJT dans son ouvrage Die kopti-
sche Gregoriosanaphora. Syrische und gricchîschc Einflüsse auf eine agyptische
Liturgie (Berliner Byz. Arh. 8), Berlin 1957, pp. 139-142. Di30ns ici que nous
n'avons jamais compris pourquoi l'auteur considérait cette anaphore comme
190 EMMANUEL LANNE

antiochien, cette anaphore enchaîne l'intercession à l'épiclèse


à la manière des anaphores de saint Basile et de celle de saint
Jacques. On y reconnaît même les deux parties de j'intercession
pour l'Eglise qui caractérisent ces anaphores ".
Après avoir demandé dans l'épiclèse que le Saint-Esprit
transforme le pain en corps du Christ et le calice en sang du
Christ «pour la rémission des péchés et pour la vie éternelle
de ceux qui en COlTIlTIUnieront », l'anaphore continue:
«Nous t'en supplions, ô Christ, notre Dieu: affermis la base de
ton Eglise; enracine en nous la concorde de l'amour; augmente la
vérité de la foi; trace-nous la droite voie de la piété envers toi;
fortifie les pasteurs; place en lieu sûr ceux qu'ils paissent; donne
au clergé de se bien conduire; aux moines la continence; à ceux qui
vivent dans la virginité la chasteté; à ceux qu'unissent un saint
mariage une vie vertueuse; à ceux qui font pénitence la miséricorde;
aux riches la bonté; aux indigents l'assistance 16; aux pauvres le
secours; donne la force aux vieillards; rends chastes les jeunes;
convertis les infidèles; fais cesser les schismes de l'Eglise; dissipe
l'arrogance des hérésies; réunis-nous tous dans la concorde de la
piété envers toi »,

Après chacune de ces demandes le peuple a répondu:


{( Kyrie eleison », Puis le prêtre poursuit:
{{ Souviens-toi, Seigneur, de la paix de ton Eglise sainte, unique,
catholique et apostolique, d'une extrémité à l'autre de la terre
habitée, et des évêques orthodoxes qui, en elle, dispensent correcte-
ment la parole de la vérité ».

Au milieu de cette commémoraison de l'Eglise, que l'on


vient de citer, dans la version copte intervient une monition
diaconale en grec qui répète la même intention: "Priez pour la

({ égyptienne n, sinon parce qu'elle est en usage en Egypte et qu'elle porte des
traits secondaires qui ont été ajoutés en Egypte. Mais il est indiscutable qu'elle
appartient à la famille syro-antiochienne et, en outre, qu'elle a été écrite en
grec. E. Hammerschmidt distingue dans les intercessions de cette anaphore
deux couches, l'une primitive (ce sont les deux «litanies »), l'autre subsé-
quente. La première contient deux séries de demandes avec la réponse ({ Kyrie
eleison n: tout d'abord pour la hiérarchie, les fidèles et les égarés; puis pour
toutes les catégories de malheureux. Ces deux séries sont séparées par des
ensembles de demandes ct de commémoraisons dont certaines sont propres à
cette liturgie et appartiennent à la seconde couche rédactionnelle (cf. pp. 144-147).
15 En distinguant ces deux intercessions pour l'Eglise, étroitement reliées
l'une à l'autre, nous ne suivons pas exactement l'analyse de Hammerschmidt,
signalée à la note precédente.
16 A la place de cette demande, le texte copte lit: «à ceux qui sont dans
les honneurs l'équité n.
L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE 191

paix de l'Eglise orthodoxe de Dieu, sainte, unique, catholique


et apostolique », et à laquelle répond un « Kyrie eleison »,
Puis le prêtre continue en faisant mémoire du patriarche,
des évêques, des prêtres, des diacres, des sous-diacres, des lec-
teurs, des chantres, des exorcistes, de ceux qui mènent la vie
monastique, de ceux qui sont voués à la virginité, des conti-
nents, des veuves, des orphelins, des laïques et du «plérôme»
tout entier des fidèles de la sainte Eglise de Dieu 17.

* * *
Tels sont les principaux textes orientaux en usage aujour-
d'hui. Ceux, forts nombreux, que nous sommes obligés de passer
sous silence, n'apporteraient pas grand'chose de neuf dans la
question qui nous occupe. On regrettera, peut-être, de ne pouvoir
faire état de la famille syrienne orientale, mais les questions con-
cernant la plus célèbre de ses anaphores sont encore contro-
versées de façon si contradictoire, que toute considération sur
la place qu'occupe l'intercession pour l'Eglise dans la structure
de l'anaphore, et la forme qu'elle revêtait primitivement, risque
de s'aventurer dans le domaine des hypothèses insuffisamment
étayées 17bis ,
Par ailleurs, nous pensons que la famille antiochienne est
assez bien représentée par les anaphores que nous avons citées:
saint Jean Chrysostome, les deux qui portent le nom de saint Basile
et celles de saint Jacques et de saint Grégoire de Nazianze, pour
que l'on n'ait rien laissé échapper d'essentiel de ce que ce type
de prière eucharistique peut nous enseigner à propos de la place
et de la figure de l'Eglise dans l'anaphore. Lorsque nous revien-
drons sur ces textes, nous aurons l'occasion de mentionner quel.
ques documents complémentaires qui permettent de les éclairer.

* * *
Durant des siècles, le Canon romain a régné presque seul
sur l'ensemble de l'Occident chrétien. Les générations qui se

17 Lc tcxte copte porte quelques additions ou variantes qui ne chan-


gent rien à la substance de cette commémoraison (voir Picôm .. " supra cir.,
p. yQZ [497] et HAMMERSCHMIDT, op. cif., p. 46).
17bis Voir pourtant infra pour l'anaphore de Nestorius et les formulaires
apparentés.
192 EMMANUEL LANNE
~----------~~~~~--------------

succédaient trouvaient la chose tellement normale qu'il parais-


sait presque sacrilège, jusqu'à un temps fort récent, d'imaginer
qu'il eût pu en être autrement. Il aura fallu la célébration en
langues modernes adoptée depuis Vatican II pour que l'on
prenne immédiatement conscience des heurts de sa composi-
tion et que l'on en vienne à proposer de nouvelles anaphores qui
sont en voie de supplanter le canon ancien dans la pratique
habituelle de l'Eglise catholique: les trois prières eucharistiques
promulguées par le pape Paul VI.
On sait que dans le Canon romain l'intercession pour l'Eglise
se trouve après le «Sanctus », selon un schéma qui n'est pas
sans analogie avec celui du rite égyptien dont nous avons cité
la formule de la liturgie de saint Marc. Voici une traduction de
ce texte si connu:

« Toi donc, Père très clément, nous te prions humblement et


nous te demandons par Jésus-Christ, ton Fils, notre Seigneur,
d'accepter et de bénir ces dons, ces présents, ces saintes offrandes
sans tache que nous t'offrons tout d'abord pour ta sainte Eglise
catholique: daigne lui donner la paix, la protéger, la rassembler
dans l'unité et la gouverner par tout l'orbe de la terre; et (nous
te les offrons) aussi pour ton serviteur, notre pape ... )J.

A la différence du Canon romain dont on vient de dire


que, sur ce point, il se rapproche du schéma égyptien, les trois
nouvelles prières eucharistiques de Paul VI rattachent l'inter-
cession pour l'Eglise à l'épiclèse, ou à ce qui en tient lieu, après
le récit de l'institution et l'anamnèse.
Dans la II" prière eucharistique, la demande se présente
suivant une formulation inspirée de la Tradition Apostolique de
saint Hippolyte, mais qui est proche du schéma de la double
intercession rencontré dans l'anaphore alexandrine de saint
Basile:

(c Humblement, nous te demandons qu'en ayant part au corps


et au sang du Christ nous soyons rassemblés par l'Esprit Saint en
un seul corps. Souviens-toi, Seigneur, de ton Eglise répandue à
travers le monde: fais-la grandir dans ta charité avec le pape
N ... , notre évêque N ... , et tous ceux qui ont la charge de ton peup1e»,

La III" prière eucharistique place l'intercession pour l'Eglise


apres la commémoraison de la Vierge Marie et des saints, sui-
L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE 193

vant un schéma qui sur ce point s'apparente à l'anaphore de saint


Jean Chrysostome:
« Et maintenant, nous te supplions, Seigneur: par le sacrifice
qui nous réconcilie avec toi. étends au monde entier le salut et la
paix. Affermis la foi et la charité de ton Eglise au long de son
chemin sur la terre; veille sur ton serviteur, le pape N .... et notre
évêque N ... , l'ensemble des évêques. les prêtres, les diacres et tout
le peuple des rachetés ».

On sait que la IV" prière eucharistique s'inspire de l'ana-


phore - ou des anaphores - de saint Basile. C'est en effet à
l'anaphore alexandrine que se rattache plutôt l'intercession pour
l'Eglise de cette prière eucharistique, comme déjà celle de la
seconde prière eucharistique.
« ... Nous t'offrons son corps et son sang, le sacrifice qui est
digne de toi et qui sauve le monde. Regarde, Seigneur, cette offrande
que tu as donnée toi-même à ton Eglise; accorde à tous ceux qui
vont partager ce pain et boire à cette coupe d'être rassemblés par
l'Esprit Saint en un seul corps pour qu'ils soient eux-mêmes dans
le Christ une vivante offrande à la louange de ta gloire. Et mainte-
nant, Seigneur, rappelle-toi tous ceux pour qui nous offrons le
sacrifice: le pape N"" notre évêque N ... , et tous les évêques, les
prêtres et ceux qui les assistent, les fidèles qui présentent cette
offrande, les membres de notre assemblée, le peuple qui t'appartient
et tous les hommes qui te cherchent avec droiture ».

* * *

Tel est donc le matériel qui nous est proposé pour orienter
notre prière pour l'Eglise dans les célébrations eucharistiques
de l'Orient et de l'Occident.
Il est opportun de faire quelques remarques après une pre-
mière lecture de ces textes:
l. L'intercession pour l'Eglise est dans toutes les liturgies
un élément central de la célébration eucharistique.
2. La place où se trouve cette intercession peut varier. Elle
se rencontre à la suite, plus ou moins immédiate, de l'épiclèse
dans les anaphores qui suivent le schéma dit antiochien, comme
dans les nouvelles prières eucharistiques romaines. Elle est vers
le début de l'anaphore dans la tradition alexandrine pure, et
192~________________~E~"~"~A~N~U~E~L~L~A~N~N~E~______________________

succédaient trouvaient la chose tellement normale qu'il parais M

sait presque sacrilège, jusqu'à un temps fort récent, d'imaginer


qu'il eût pu en être autrement. Il aura fallu la célébration en
langues modernes adoptée depuis Vatican II pour que l'on
prenne immédiatement conscience des heurts de sa composi-
tion et que l'on en vienne à proposer de nouvelles anaphores qui
sont en voie de supplanter le canon ancien dans la pratique
habituelle de l'Eglise catholique: les trois prières eucharistiques
promulguées par le pape Paul VI.
On sait que dans le Canon romain l'intercession pour l'Eglise
se trouve après le « Sanctus », selon un schéma qui n'est pas
sans analogie avec celui du rite égyptien dont nous avons cité
la formule de la liturgie de saint Marc. Voici une traduction de
ce texte si connu:

«( Toi donc, Père très clément, nous te prions humblement et

nous te demandons par Jésus-Christ, ton Fils, notre Seigneur,


d'accepter et de bénir ces dons, ces présents, ces saintes offrandes
sans tache que nous t'offrons tout d'abord pour ta sainte Eglise
catholique: daigne lui donner la paix, la protéger, la rassembler
dans l'unité et la gouverner par tout l'orbe de la terre; et (nous
te les offrons) aussi pour ton serviteur, notre pape ... ».

A la différence du Canon romain dont on vient de dire


que, sur ce point, il se rapproche du schéma égyptien, les trois
nouvelles prières eucharistiques de Paul VI rattachent l'inter-
cession pour l'Eglise à l'épiclèse, ou à ce qui en tient lieu, après
le récit de l'institution et l'anamnèse.
Dans la II' prière eucharistique, la demande se présente
suivant une formulation inspirée de la Tradition Apostolique de
saint Hippolyte, mais qui est proche du schéma de la double
intercession rencontré dans l'anaphore alexandrine de saint
Basile:

<. Humblement, nous te demandons qu'en ayant part au corps


ct au sang du Christ nous soyons rassemblés par l'Esprit Saint en
un seul corps. Souviens-toi, Seigneur, de ton Eglise répandue à
travers le monde: fais-la grandir dans ta charité avec le pape
N ... , notre évêque N ... , et tous ceux qui ont la charge de ton peuple }}.

La IIr prière eucharistique place l'intercession pour l'Eglise


apres la commémoraison de la Vierge Marie et des saints, sui-
L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE 193

vant un schéma qui sur ce point s'apparente à l'anaphore de saint


Jean Chrysostome:
« Et maintenant, nous te supplions, Seigneur: par le sacrifice
qui nous réconcilie avec Loi, étends au monde entier le salut et la
paix. Affermis la foi et la charité de ton Eglise au long de son
chemin sur la terre: veille sur ton serviteur, Je pape N ... , et notre
évêque N ... , l'ensemble des évêques, les prêtres, les diacres et tout
le peuple des rachetés ».

On sait que la IV' prière eucharistique s'inspire de l'ana-


phore - ou des anaphores - de saint Basile. C'est en effet à
l'anaphore alexandrine que se rattache plutôt l'intercession pour
l'Eglise de cette prière eucharistique, comme déjà celle de la
seconde prière eucharistique.
{( ... Nous t'offrons son corps et son sang, le sacrifice qui est
digne de toi et qui sauve le monde. Regarde, Seigneur, cette offrande
que tu as donnée toi-même à ton Eglise; accorde à tous ceux qui
vont partager ce pain eL boire à cette coupe d'être rassemblés par
l'Esprit Saint en un seul corps pour qu'ils soient eux-mêmes dans
le Christ une vivante offrande à la louange de ta gloire. Et mainte-
nant, Seigneur, rappelle-toi tous ceux pour qui nous offrons le
sacrifice: le pape N ... , notre évêque N ... , et tous les évêques, les
prêtres et ceux qui les assistent, les fidèles qui présentent cette
offrande, les membres de notre assemblée, le peuple qui t'appartient
et tous les hommes qui te cherchent avec droiture ».

* * *

Tel est donc le matériel qui nous est proposé pour orienter
notre prière pour l'Eglise dans les célébrations eucharistiques
de l'Orient et de l'Occident.
Il est opportun de faire quelques remarques après une pre-
mière lecture de ces textes:
l. L'intercession pour l'Eglise est dans toutes les liturgies
un élément central de la célébration eucharistique.
2. La place où se trouve cette intercession peut varier. Elle
se rencontre à la suite, plus ou moins immédiate, de l'épiclèse
dans les anaphores qui suivent le schéma dit antiochien, comme
dans les nouvelles prières eucharistiques romaines. Elle est vers
le début de l'anaphore dans la tradition alexandrine pure, et
194 EMMANUEL LANNE

entre le « Sanctus» et le récit de l'institution dans le Canon


romain.
3. La formulation, elle aussi, peut varier et donner ainsi à
cette intercession - ou à ces intercessions - des colorations
théologiques assez différentes. C'est ce que nous allons essayer
de préciser à l'aide de quelques points de comparaison.

* * *
Quand on mentionne la prière pour l'Eglise dans la célé-
bration eucharistique, le premier témoignage qui vienne à l'es-
prit est celui de la Didachè. Et ceci pour plusieurs motifs. En
effet:
1. Quoi que l'on pense de la nature proprement eucharisti-
que des prières de la Didachè (M. Rordorf, dans sa très belle
édition de la collection «Sources Chrétiennes", les considère
comme telles 18), ces prières donnent par deux fois une inter-
cession pour l'Eglise, aux ch. IX et X. Elles sont fort célèbres.
2. Elles ont influencé les formulations euchologiques posté-
rieures, au moins dans la tradition liturgique alexandrine, comme
en témoignent, chacune à sa manière, les anaphores de Sérapion
et de Dêr Balizeh, dans leur intercession pour l'Eglise. Il est
probable aussi que la tradition antiochienne ne les a pas igno-
rées, puisque les Constitutions Apostoliques les exploitent au
Livre VII".
3. Elles se rattachent assez directement à la tradition juive,
comme le note aussi M. Rordorf à la suite des travaux de divers
savants.
Voici comment M. Rordorf résume le contenu ecclésiologi-
que de ces intercessions de la Didachè pour l'Eglise:
" L'ecclésiologie des prières eucharistiques de la Didachè
est également très caractéristique. Pour elles, J'Eglise, c'est-à-
dire le peuple des élus de Dieu, est essentiellement fondée sur
la vocation messianique d'Israël. Elle est la 'vigne de David'
(9,2), le temple vivant de Dieu (10,2), le lieu du salut où l'on

lB W. RORDORF et A. TUlLIER, Introduction à La Doctrine des douze apôtres


(Didachè), SChr. 248, Paris 1978, pp. 38 SS.
19 On lira avec intérêt l'étude d'E. MAZZ.o\., La «gratiarum actio mystica" dei
libro VII delle Costituzioni Apostaliche: una tappa nella storia della ana/ora
eucaristica, in: Eph. Lit. XCIII (1979), pp. 123.137.
________________~L~'~'~N~T~E~R~C~E=S=S='O=N~P~O~U=R~L_'É_G~L'=s=E~____________~195

trouve 'vie, connaissance, foi et immortalité' d'une part (9,3 et


10,2), 'nourriture et boisson spirituelle' d'autre part (10,3). C...)
"Le pain que l'on mange est le symbole de l'unité de
l'Eglise, qui apparaît effective dans la synaxe de la communauté
locale; mais on est également persuadé que cette unité présente
une dimension universelle dont on attend l'avènement (9,4) »".
En un sens, ces prières se rapprochent beaucoup des deman-
des de l'euchologie juive pour le rassemblement d'Israël et la
reconstruction du Temple et de la sainte cité de Sion, même si
la portée en est transfigurée par la perspective chrétienne".

Un autre texte archaïque doit être mentionné ici à côté de


la Didachè, car lui aussi a inspiré l'euchologie eucharistique
alexandrine: c'est l'EpUre de Clément de Rome, dans la longue
prière qui l'achève. Elle débute par une demande où l'Eglise
n'est pas explicitement nommée, mais qui n'est pas sans inté-
rêt pour notre propos:
({ ... Nous demanderons avec prières et supplications assidues
que le Créateur de l'univers garde intact le nombre compté de ses
élus dans le monde entier, à cause de son enfant bien-aimé, Jésus-
Christ, notre Seigneur, par lequel il nous a appelés des ténèbres à
la lumière, de l'ignorance à la connaissance de la gloire de son
Nom ... " (l Clem. LIX, 2).

Ce texte met en avant la dimension universelle de l'Eglise,


en des termes voisins des prières de la Didachè et c'est une
perspective assez semblable que l'on retrouve dans un texte plus
tardif, mais antérieur pourtant à notre première documentation
sur les anaphores eucharistiques: le Martyre de Polycarpe, où
le martyr, au moment de son arrestation, passe deux heures en
prière « faisant mention de tous ceux qu'il avait jamais connus,
petits et grands, nobles ou sans gloire, et de toute l'Eglise catho-
lique à travers la terre habitée: "'<crI)Ç TIjç XQ(T<X Tljv otxouiJ.év1jv
xQ(8oÀ,x'ijç <xxÀ1jcr[Q(ç (M. Pol. VIII, 1).
Voilà donc des formules qui chacune apportent quelque
éclairage aux textes postérieurs que nous examinons.
Il est cependant un formulaire dont le P. Bernard Botte a
montré le rôle exceptionnel qu'il a joué en raison de J'autorité dont

20 Op. supra cit., pp. 4446.


21 Cf. K. HRUBY, La «Birkat Ha-Mazo/'/. », la prière d'action de grâce après
le repas, in: Mélanges liturgiques offerts au R.P. Dom Bernard Botte, Louvain
1972, p. 213 et pp. 216 S5.
196 EMMANUEL LANNE

il se prétendait revêtu: c'est la Tradition Apostolique de saint


Hippolyte ". Son anaphore, dont s'est inspirée la seconde prière
eucharistique romaine actuellement en usage, comporte plusieurs
particularités et des difficul tés pour lesquelles le P. Botte a
apporté de précieux éléments de solution ".
Quand on compare cette anaphore à certaines autres ana-
phores orientales, on est frappé par plusieurs traits communs,
en particulier pour la question qui nous occupe. On peut en
effet confronter utilement, par exemple, les deux anaphores de
saint Basile au texte de la Tradition Apostolique. On relèvera
une certaine cOlnmunauté de structure, que l'on chercherait en
vain dans le Canon romain ou dans le schéma de l'eucharistie
alexandrine. Cette communauté apparaît notamment dans le
passage qui a trait à l'intercession pour les fruits communautai-
res de l'épiclèse.
{{ Et nous te demandons d'envoyer ton Esprit Saint sur l'oblation
de la sainte Eglise, (pour que) les rassemblant dans l'unité tu don-
nes à tous ceux qui participeront aux choses saintes la plénitude du
Saint-Esprit pour que leur foi soit confirmée dans la vérité, afin
que nous te louions et te glorifiions par ton enfant Jésus-Christ, par
lequel à toi (sont) la gloire et l'honneur avec le Saint-Esprit dans la
sainte Eglise, et maintenant et pour les siècles des siècles ».

Le rassemblement dans l'unité pour les communiants, la


participation aux «choses saintes », les sancta ou &yux que les
rédactions postérieures de l'anaphore alexandrine de Basile pré-
ciseront en "saints mystères" ", la plénitude du Saint-Esprit,
autant d'éléments qui sont fort proches des passages déjà cités
des deux anaphores de saint Basile et de celle de saint Jacques.
Dans cette dernière, en particulier, on trouve une demande
qui n'est pas aussi présente dans les passages correspondants
des deux anaphores basiliennes, mais qui se retrouve dans d'au-
tres formulaires: l'affermissement de la foi de l'Eglise comme
fruit de la communion.

22 Dom Bernard BOITE, Le.s plus anciennes collections canoniques, in: L'Orient
Syrien V, n'O 19 (1960), pp. 331-350.
23 Dom Bernard BOITE, La Tradition apostolique de saint Hippolyte. Essai
de reconstitution (LQF 39), MUnster 1963 (1972 4 ). Notre passage aux pp. 16-17.
24 Voir l'apparat critique que j'ai donné dans J. DORESSE-E. LANNE, Un témoin
archaïque ... , supra ci!., p. 35, ad fol. IV l". 2, pour le Paris. Grace. 325, auquel il
faut ajouter vraisemblablement désormais le Codex Kacmarcik (cf. W.F. MA-
COMBEH-, The Greek Tex! of the Coptie Mass and of the Alzaphoras of Basil and
Crqwry, supra cil., pp. 329-330).
L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE 197

Il reste pourtant que les anaphores de Basile et ceIle de saint


Jacques explicitent une intercession pour l'Eglise universeIle
que l'on ne trouve pas dans le texte hippolytien, alors qu'eIle
apparaît dans tous les autres documents eucharistiques que nous
avons recensés. L'anaphore de saint Jacques - on l'aura remar-
qué dans le passage cité plus haut - marque très fort le fait
qu'eIle est rédigée pour l'Eglise locale de Jérusalem. Mais, mise
à part cette singularité émouvante - la prière pour la sainte
Sion, la Mère de toutes les Eglises - , on a le sentiment d'une
rédaction qui dépend ici des formulaires basiliens et nous pré-
sente un état postérieur de l'évolution. Ainsi pourrait-on des-
siner prudemment « l'arbre généalogique» suivant: les ana-
phores de saint Jacques et de saint Basile byzantine dépendent
de l'anaphore alexandrine de Basile, qui eIle-même dépendrait
de ceIle de la Tradition Apostolique".
On retrouve d'ailleurs un schéma semblable dans la XVI"
Catéchèse mystagogique de Théodore de Mopsueste. La prière
pour l'unité de la communauté locale en un seul corps du Christ,
comme fruit de la communion, s'y rencontre aussi après l'épi-

25 L'anaphore de saint Jacques, pour la partie qui fait l'objet de cette étude
(voir le texte plus haut, p. 186s.), parait la plus récente de cet ensemble d'ana-
phores pour les raisons suivantes: lu Elle double l'intercession pour l'Eglise:
demandant son affermissement, parmi les fruits de la communion, puis la
mentionnant à nouveau à la suite de Sion, mère de toutes les Eglises; 2a l'obla-
tion pour les lieux saints suppose une réflexion déjà très élaborée sur leur
portée théologique que l'on ne trouve pas encore dans les Catéchèses de saint
Cyrille de Jérusalem; 3° le titre de «mère de toutes les Eglises» donné à la
« sainte et glorieuse Sion» apparaît pour la première fois chez THÉODORET (Hist.
Eccl. V, 9, 17). Il est encore ignoré par EPIPHANE (De pond. et mens. 14; P.G.
XLIII, 260-261). Voir, toutefois, les indications que j'ai données sur Jérusalem
comme Eglise mère, dans Eglises - soeurs. Implications ecclésiologtques du
Tomas Agapis, in: Istina XX (1975), pp. 57 ss. et la note 30. - 4° Cette partie de
l'anaphore de saint Jacques explicite, enfin, une théologie du Saint-Esprit posté-
rieure aux controverses pneumatomaques ct au Concile de Constantinople (381).
On notera, en particulier, les attributs du Saint-Esprit dans l'épiclèse: «Seigneur
et vivificateur, siégeant sur un même trône avec toi, le Dieu et Père et avec
ton Fils Monogène, corégnant, consubstantiel et coéternel... »; et cela tant dam
le texte grec que dans la version syriaque. On a nettement l'impression que
le rédacteur de l'anaphore a voulu développer une théologie du Saint-Esprit en
relation avec l'épiclèse, d'une part, et avec les lieux saints, de l'autre, qui onL
vu la «théophanie» du Christ au Jourdain et la «visite» du Saint-Esprit à la
Pentecôte, sur la premère Eglise. Sur la théologie de l'anaphore de S. Jacques,
voir A. TARBY, La prière eucharistique de l'Eglise de Jérusalem (Théol. hist. 17),
Paris 1972, pp. 90 ss. et 160 ss. Pour la partie que nous étudions, nous ne
pensons donc pas, à l'encontre d'A. Tarby, que l'anaphore de S. Basile dépende
de celle de S. Jacques (cf. op. cit., pp. 6 ss.). L'intercession pour l'Egti-;e, en
effet, y suppose, d'une part, la théologie du Saint-Esprit que développe J'épiclese,
et, de l'autre, une eccléslologie du type de celle de l'anaphore alexandrine de
S. Basile.
198.__________.________~E=~~~1=A=N~u~E=L~L=A=N=N~E~__. ___________________

c1èse. Elle est très fortement accentuée, car Théodore veut en


inculquer la signification à ses catéchisés. Elle est suivie de
l'intercession pour l'Eglise universelle. Théodore n'indique pas
aussi clairement la formulation de cette dernière, mais les termes
qu'il emploie montrent bien qu'il s'agit d'une prière pour les
membres de l'Eglise qui sont en communion effective et « cano-
nique », comme nous dirions aujourd'hui. Voici son texte:
(Après l'épiclèse du Saint-Esprit sur le pain et le calice), {{ le
prêtre demande aussi que sur tous ceux qui sont rassemblés vienne
la grâce de l'Esprit Saint, afin que, comme par la nouvelle naissan-
ce ils ont été rendus un seul corps, ils soient maintenant aussi af-
fermis comme en un seul corps par la communion au corps de no-
tre Seigneur, et que dans la concorde, la paix et l'application au
bien, ils en viennent à ne faire qu'un; afin que nous tous, regardant
ainsi vers Dieu d'un coeur pur, ce ne soit pas pour (notre) châti-
ment que nous recevions la participation à l'Esprit-Saint, étant
divisés en nos manières de voir et inclinés à des discussions, à des
disputes, à l'envie, à la jalousie, méprisant les bonnes moeurs;
mais que nous nous montrions dignes de (le) recevoir, parce que c'est
dans la concorde, la paix et l'application au bien, et avec un coeur
pur que l'œil de notre âme regarde vers Dieu. Et ainsi nous unirons-
nous dans la communion aux saints mystères, et, par celle-ci, serons-
nous conjoints à notre tête, le Christ, notre Seigneur, dont, nous le
croyons, nous sommes le corps et par qui nous obtenons commu-
nion à la nature divine.
« Ainsi le prêtre achève-toi! la liturgie divine en présentant une
supplication pour tous ceux dont ce nous est une règle de faire en
tout temps mémoire à l'église. Et ensuite il passe à la mémoire
des défunts » 26.

Ce texte nous permet donc bien de dater le schéma des


anaphores de Basile, de celle de saint Jacques et de celles qui
lui sont apparentées et de les localiser 2Ob".
Aux fruits de la communion demandés après l'épiclèse
s'ajoute la demande pour l'Eglise universelle.

26 Ile Homélie sur la messe (Hom. XVI), éd. TONXEAL"-DEVRESSE, (Studi e Testi
145), Vatican 1949, p. 555.
26bis A. BAüMSTARK (Die Chrysostomosliturgie und die syrische Liturgie des
Nestorios, in XPYCOCTOMIKA, Studi e ricerche intomo a S. Giovanlli Crisostomo,
Rome 1908, pp. 821 ss.) a établi un parallélisme entre la demande des fruits
de l'épiclèsc dans l'anaphore syrienne orientale de Nestorius et la même
demande dans l'anaphore byzantine de saint Basile. Le rapprochement est encore
plus manifeste entre la formulation de l'anaphore de Nestorius et celle de
l'anaphore alexandrine de saint Basile. Il y en aurait, d'ailleurs, d'autres à rele·
ver entre ces deux textes et nous espérons y revenir dans une étude ultérieure.
Quoi qu'il en soit, la structure de l'épiclèse de l'anaphore de Nestorius pose
L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE 199

Pour connaître la teneur primitive de cette dernière, il faut


nouS tourner vers un document dont il n'a pas été fait état
jusqu'ici. Il est probablement un peu postérieur à saint Basile,
contemporain de Théodore de Mopsueste, dans la rédaction qui
nous est parvenue, mais contient des textes archaïques qui
ont pu être refaçonnés à différentes époques: je veux dire les
trop célèbres COl1stitutiol1s Apostoliques.
On sait, en effet, que les COl1stitutiol1s Apostoliques, au Livre
VIII, nous donnent un remaniement fort libre et largement
amplifié de la Tradition Apostolique de saint Hippolyte de Rome.
Pourtant, de manière assez surprenante, la très longue anaphore
eucharistique qui s'y trouve n'a fait que peu d'emprunts au texte
hippolytien. Pour la question qui nous occupe, on remarquera
que les Constitutions Apostoliques contiennent une intercession
pour l'Eglise après l'épiclèse et la demande des fruits de la
communion. Elle dit ceci:
{( Nous te prions encore, Seigneur, pour ta sainte Eglise qui
(s'étend) d'une extrémité à l'autre de la terre, elle que tu as acquise
par le sang précieux de ton Christ, afin que tu la gardes inébran-
lable et immuable jusqu'à la fin" 27.

Suivent les intercessions pour l'épiscopat et les divers de-


grés du clergé.
On reconnaît ici plusieurs des éléments déjà rencontrés:
l'expression "L'Eglise qui s'étend d'une extrémité à l'autre de
la terre" se trouve dans l'anaphore byzantine de saint Basile.
L'anaphore de Nestorius conservée par les Syriens orientaux
utilise aussi cette formule 18, et on la trouve dans une homélie
de saint Jean Chrysostome ". Elle est donc bien antiochienne '".

trop de questions pour qu'on retienne autre chose de cette observation que le
fait d'un parallélisme qui se rencontrait déjà dans l'Homélie de Théodore de
Mopsueste et prouverait, tout au plus, que nos textes «basiliens Il étaient déjà
connus de Théodore de Mopsueste ct des rédacteurs de l'anaphore de Nestorius.
27 Const. Ap. VIII, XII, 40, éd. FUNK, p. 510, Il. 18-23; HANGGI-PAHL, op. cit., p. 92.
2.8 Voici l'intercession pour l'Eglise de l'anaphore de Nestorius (cf. RENAUDOT,
op. cil., II, p. 624, repris par HANGGI-PAHL, p. 392): « Nous t'offrons ce sacrifice
vivant C... ) pour toute créature, et pour la sainte Eglise. apostolique ct catholi-
que Qui (s'étend) d'une extrémité à l'autre de la terre, pour que tu la conserves
sans trouble, indemne de tout scandale, sans tache, souillure ni ride ni rien
de semblable. Tu as dit, en effet, par ton Fils unique notre Seigneur Jésus-
Christ, que les portes de l'Enfer ne prévaudraient pas contre ellc. Et pour tous
les évêques de partout qui annoncent correctement la parole de la vraie foi".
29 III s. Eustathiwn 3, P.G. 50, 602; cf. F. v..%.:-< DE PAVERD, op. cit., pp. 345 5S.,
et mon étude L'Eglise tl/le dans la prière eucharistique, supra cit., pp. 333 s.
30 Pour une comparaison avec l'intercession des Constitutions Apostoliques,
voir VAN DF. PAVERD, op. cit., pp. 356 S5.
200 EMMANUEL LANNE

Plus curieusement, on la rencontre presque littéralement


chez un auteur africain à peu près contemporain de saint Basile,
saint Optat de Milève, dans son écrit contre le schisme des
donatistes. Invectivant l'évêque donatiste Parménien de Car-
thage, il lui dit notamment:
" Vous dites que vous faites l'oblation à Dieu 'pour l'Eglise
qui est une '. Voilà une partie de votre mensonge: tu l'appelles
'une', alors que tu en fais deux. Et vous dites que vous offrez
à Dieu 'pour l'Eglise une qui est répandue par tout l'orbe de
la terre' (pro una Ecclesia quae sit in toto terrarum orbe diffusa).
Qu'en serait-il si Dieu disait à chacun de vous: pourquoi offres-
tu pour l'Eglise tout entière, toi qui n'es pas dans cette Eglise
tout entière?}) 31.
Un examen attentif de l'argumentation utilisée par Optat de
Milève nous laisse percevoir que la formule africaine qu'il cite
est plus proche de l'anaphore byzantine de Basile (" souviens-toi,
Seigneur, de ton Eglise (... ) d'une extrémité à l'autre de la terre
habitée "), de l'anaphore de saint Jacques (" nous t'offrons aussi
( ... ) pour ton Eglise (... ) à travers toute la terre habitée,,), et
des Constitutions Apostoliques (" pour ta sainte Eglise qui
(s'étend) d'une extrémité à l'autre de la terre") que de la for-
mule du Canon romain aux assonances verbales pourtant voi-
sines: "pro Ecclesia tua sancta catho/ica quam pacificare (...)
digneris toto orbe terrarun'l}} 31 bls .
La pointe de la demande du Canon romain porte sur la
paix pour la sainte Eglise (secondairement les autres biens), non
pas localement, mais dans le monde entier. Les textes orientaux,
eux, ainsi qu'Optat contre Parménien, visent d'abord le fait que
malgré sa diffusion à travers toute la terre l'Eglise est une.
C'est la demande pour la paix qui est la plus solidement
attestée pour l'état primitif du Canon romain, grâce aux témoi-
gnages convergents de textes parallèles: les Grationes Sol/em-

31 De schismate donatislarum II, XI-XIII; P,L. 11, 964 B - 966 A; j'ai cité
plus longuement et commenté ce passage dans L'Eglise Ulle ... , supra cil.} pp. 515 55.
31bis Ni les anaphores de saint Basile byzantine et de saint Jacques, ni le
canon romain ne mentionnent que l'Eglise est «une", à la différence des ana-
phOl'es, en usage en Egypte, de saint Marc, de saint Basile alexandrine et de
saint Grégoire de Nazianze. Cf. mon étude, supra cil., L'Eglise une ... , pp. 335 55.,
et déjà p. 55.
L'INTERCESSION POliR L'ÉGLISE 201

nes;>2 et deux formulaires hispaniques 33, Il y a là rencontre


avec la prière eucharistique égyptienne de l'anaphore de saint
Marc, que l'on a citée comme un document très anciennement
attesté, et avec les deux anaphores qui portent le nom de saint
Basile.
Par ailleurs, on relèvera encore une confirmation de la
parenté de l'anaphore des Constitutions Apostoliques avec celles
de saint Basile; c'est l'incise: «l'Eglise (... ) que tu as acquise
par le sang précieux de ton Christ ». On a là l'un des indices
les plus clairs d'une origine commune 34.

* * *

On a dit plus haut que l'anaphore de saint Grégoire de


Nazianze se rattache au type antiochien, alors qu'elle se trouve
actuellement en usage dans la liturgie égyptienne 35. On a relevé
aussi la structure assez particulière de son intercession sous
forme de litanie. On sait, par ailleurs, que cette anaphore pré-
sente la singularité assez notable d'être adressée au Christ - et
non au Père 36 - et d'être écrite dans une prose rythmée fort

32. Les orationes sollemnes du rite romain ne connaissent que les trois verbes
pacificare, adtmare, cLlstodire, dans la monition. Cette monition construit, com-
me le canon romain: « ... et custodire dignetur toto orbe terrarum ». La prière,
qui suit (et qui ne connaît que le verbe custodire), demande: «cLlstodi opera
misericordiae tuae; ut Ecclesia tua, toto orbe diffusa, stabili fide in confessione
tui nominis perseveret» (cf. L.C. MOHLBERG, Liber sacramentorum romanae
ecclesiae ordil1is anni circuli, Rome 1960, p. 65, nos 400-401). On rapprochera la
demande de cette prière de celle de l'intercession pour l'Eglise de la Tradition
Apostolique et des anaphores dc saint Basile byzantine et de saint Jacqucs.
33 Je pense donc que parmi les quatre verbes de l'intercession pour l'Eglise
dans le canon romain, c'est pacificare qui est primitif. On le retrouve seul,
en effet, dans les dcux témoins hispaniques {cf. L'Eglise une ... , supra cit., pp. 513
S5.). Adunare attesté dans la lettre d'Hormisdas à Justin, en janvier 519, puis
adtmare, regere, custodire attestés dans celle de Vigile à Justinien, le 17 sep-
tembre 540, nous paraît venir d'une autre tradition euchologique, qui dépend
probablement de saint Cyprien (cf. J. GRlBOMONT, Ecclesiam adunare. Un écho
de l'eucharistie africaine et de la Didachè, in: RTAM 27 [1960], pp. 20-28).
34 Cf. Act. 20,28; Col. 1,20; Heb. 9,12; Apoc. 12,11.
35 Sur cette anaphore, encore peu étudiée, on lira avec intérêt: H. ENGBERDING,
Die Kunstprosa des eucharistischen Hochgebets in der griechischen Gregoriosli-
turgie, in: Mullus. Festschrift Tlœodor Klauser, hrsg. von A. ST'(;TBF.R - A. HE!U\;lANN
(JAC, Erganzungsband 1), Münster 1964, pp. 100-110.
36 Faut-il y voir pour autant un Formulaire «monophysite» relati"cment
tardif (cf. TARBY, supra cil., p. 96, à la suite de J.A. JUXGMANN)? Contre cette
assertion on fera valoir le passage qui parle de l'Incarnation: «Toi qui es le
Dieu incompréhensible, tu ne t'es pas prévalu de ton égalité avec Dieu, mais
tu t'es abaissé toi-même, prenant la forme d'esclave (cf. Phil. 2,6-7); tu as béni
202 EMMANUEL LANNE

travaillée 37, Ces observations doivent être présentes à l'esprit


quand on exan1ine l'articulation si singulière de son intercession
pour l'Eglise.
Sans entrer dans le détail de son contenu, on peut faire à
son sujet les remarques suivantes:
0
1 Bien que sous une forme beaucoup plus développée, cette
anaphore comporte une double intercession pour l'Eglise, comme
dans le schéma relevé pour les anaphores de saint Basile et celle
de saint Jacques. Cette double intercession suit immédiatement
l'épiclèse, sans être directement liée cependant aux fruits de
l'épiclèse et de la communion. En cela elle est plus proche du
formulaire des Constitutions Apostoliques. Ces dernières, toute-
fois, ne connaissent pas la double intercession pour l'Eglise,
c'est à dire pour la communauté locale, immédiatement après
l'épiclèse, puis pour l'Eglise universelle. Or, dans l'anaphore
de Grégoire la première intercession pour l'Eglise semble viser
d'abord la communauté locale dans une perspective très proche
des deux textes basiliens et de l'anaphore de saint Jacques. On
relèvera, en effet, que cette première intercession qui suit l'épi-
clèse demande l'affermissement du fondement de l'Eglise, puis
que nous soyons enracinés dans la concorde de l'amour »; et
c{

qu'elle reprend à la fin: «réunis-nous tous dans la concorde de


la piété envers toi », c'est-à-dire dans la foi orthodoxe.
2° Aussi, même si on ne trouve pas dans cette intercession
qui suit l'épiclèse une théologie de l'Eglise corps du Christ,
fondée sur la participation au corps eucharistique, comme dans
les deux anaphores de Basile, l'idée sous-jacente est pourtant

en toi ma propre nature (~v Èj.Ll)v Ëv Got !!pUO"LV lIuMY'I]O'Œo;;)J. On sc souviendra


aussi que plusieurs des poèmes de Grégoire de Nazianze sont des prières adressées
au Christ. La dépendance de la formulation de l'épiclèse dans l'anaphore de
Grégoire par rapport à celle de saint Jacques (cf. Dom B. BOTTE, L'épiclèse dans
les liturgies syriennes orientales, in: Sacris Erudiri VI [1954], pp. 48·72) ne prouve
pas non plus le caractère secondaire et tardif de l'anaphore de Grégoire, pas
plus que de celle de saint Basile. Aussi, tout compte fait, ne voyons-nous pas
que l'on ait avancé jusqu'ici un argument de poids contre son authenticité
«grégorienne". Le seul que l'on puisse faire valoir est qu'elle est inconnue
des commentateurs et mystagogues byzantins, ce qui est surprenant quand on
pense au prestigc dont jouissaient les écrits du Théologien. Ajoutons, enfin, que
les arguments donnés par HAMMERSCHMlDT (op. supra cit., pp. 178-179) sur l'ori-
gine et la date de cette anaphore sont extrêmement faibles. Il refuse toutefois
avec raison d'y voir un texte monophysite et la situe entre 350 et 400 ...
37 C'est l'objet du travail d'ENGBERDING, Die Ktll1stprosa ... , stlpra cil., qui pen-
che plutôt contre l'authenticité «grégorienne" (p. 110, n. 28), sans toutefois
apporter d'argument nouveau.
______________~L~'~IN~T~E~R~C~E~-S~S~I~O~N~P~O~U~R~L~'É=G=L=I~S~E~__________~203

bien la même et appartient au même monde de pensée et de


préoccupations.
3° Dans la formule d'intercession pour l'Eglise universelle,
on notera la demande de paix -- qui rattache sa formulation
tant aux anaphores basiliennes qu'à l'euchologie alexandrine 38.
On en conclura que, malgré sa profonde originalité, l'ana-
phore de saint Grégoire de Nazianze explicite bien la même
perspective ecclésiologique que les anaphores basiliennes et se
rattache à la famille antiochienne.

* * *

On achèvera cette revue des anaphores orientales par celle


avec laquelle on avait commencé parce qu'elle est de loin celle
dont l'usage est le plus répandu: l'anaphore de saint Jean Chry-
sostome. Elle présente, en effet, des difficultés plus considéra-
bles que les textes examinés précédemment.
Relevons ses caractéristiques:
1° Elle mentionne «la terre habitée", l'oikouménê, avant
l'Eglise. Ce trait se trouve dans l'anaphore syriaque des XII
Apôtres, n° 1. et dans l'anaphore de Nestorius, l'une et l'autre
étroitement apparentées à celle de Chrysostome JO. Cette singu-
larité prend tout son relief quand on se souvient que la visée
de l'intercession eucharistique est d'abord ecclésiale: on inter-
cède pour l'Eglise dans le monde. L'intercession pour « la terre
habitée» (ou pour «tous les hommes», ou pour « toutes les

38 Ce dernier trait n'est donc pas décisif pour indiquer l'origine - cappa-
docienne ou plutôt alexandrine - de la formule. Toutefois la demande de paix
pour l'Eglise elle-même ({( la paix de l'Eglise sainte ... ») fait pencher finale-
ment pour une parenté «basilienne ».
39 L'anaphore syriaque des XII Apôtres, nO l, enchaîne après la demande
des fruits de la communion qui suit l'épicIèse: «Nous t'offrons donc, Seigneur
tout-puissant, cc culte spirituel pour tOtiS les hommes, pour ton Eglise uni-
verselle, pour les évêques ... » (cf. HANGGl·PAHL, p. 267). Celle de Nestorius dit:
«Et nous t'offrons ce sacrifice vivant, saint, acceptable ( ... ) pour toutes les
créatures. Et pour l'Eglise sainte, apostolique et catholique, (répandue) d'une
extrémité à l'autre de la terre ... » (ibid., p. 392). Voir, pour l'anaphore des XII
Apôtres, ENGBERDI:\:G, art. cit., OC 45 (1961), p. 25 et les notes; pour celle de
Nestorius, A. BAUMSTARK, supra cit., p. 830. Relevons à cette occasion que les
anaphores arméniennes, celle de saint Athanase (la seule actuellement en usage
chez les Annéniens) ct celle de Sahak, demandent «la paix pour le monde
entier et pour l'Eglise» (H;iNCCI-PAHL, pp. 324 ct 336).
204 EMMANUEL LANNE

créatures ») a davantage sa place dans la pnere universelle 40.


Et cependant tant saint Cyrille de Jérusalem que saint Jean
Chrysostome lui-même mentionnent l'intercession pour « la
terre habitée" dans l'anaphore et le second en fait même
un trait spécial de la prière sacerdotale 4Ob l'. Dans l'anaphore
chrysostomienne et dans les deux anaphores syriaques qui lui
sont apparentées on a donc un renversement des perspectives
par rapport aux formulaires qui nous sont coutumiers. Il semble
bien que Jean Chrysostome était personnellement conscient de
cette dimension de l'eucharistie. A la différence de la perspec-
tive strictemente ecclésiale qu'indique clairement la prière eu-
charistique de la Tradition Apostolique d'Hippolyte, on re]om-
drait ainsi la visée beaucoup plus universaliste de saint Irénée
dans Adv. Haereses IV, 17-18.
2" L'intercession de l'anaphore chrysostomienne est articu-
lée sur la triple répétition de la formule" Nous t'offrons encore
ce culte spirituel... ". La tournure se trouve déjà tant chez saint
Cyrille de Jérusalem que dans l'intercession de l'anaphore des
Constitutions Apostoliques ". On la rencontre dans l'anaphore
de saint Jacques et dans les anaphores des XII Apôtres (I) et de

40 Dans la liturgie des CAp. VIII, X. 3 (FUNK, p. 488; BRIGHTMAN, p. 9, 1. 30),


on a comme première demande de l'oratia fideliwn une pétition «pour la
paix et la prospérité du monde et des saintes Eglises ». De même la seconde
demande des eirénika de la liturgie byzantine (cf. BRIGHTMAN, p. 362, 11. 35 5.)
prie «pour la paix du monde entier, la prospérité des saintes Eglises de Dieu
et l'union de tous ». Au coeur de l'anaphore les Catéchèses de saint Cyrille de
Jérusalem disent que fi le sacrifice spirituel, ce culte non sanglant, ayant été accom-
pli, en présence de cc sacrifice de propitiation nous invoquons Dieu pour la paix
commune des Eglises, pour la prospérité du monde, pour les empereurs ... » (Cal.
XXIII, 7; HANGGI-PAHL, p. 208) On a ici un vocabulaire très proche de l'anaphore
chrysostomienne, mais l'intercession pour le monde vient après ceIle de l'Eglü;e.
40bis Au vrai, Cyrille (cf. note précédente) mentionne le «monde» et non
« l'oikouménê ». Pour saint Jean Chrysostome, voir De Sacerdolio VI, 4 (PC
XLVIII, 680-681) qui dans ce passage mentionne équivalcmment l'oikouménê et
le monde. Nous pensons que l'interprétation de VAN DE PAVERD (op. cit., p. 350)
contre celle d'ENGBERDI:-.iG (OC 45 [1961], p. 25; rectifier la référence donnée
par van de Paverd) est la seule possible. Voir aussi pour l'importance que saint
Jean Chrysostome attribue à l'intercession pour l'oikouménê au coeur de l'ana-
phore III ep. 1 ad Cor. Hom. 41, 4-5 (PG LXI, 361) et le commentaire de V.-\.:'-<
DE PAVERD, pp. 348 ss.
41 Pour CYRILLE, voir la Cat. XXIlI, supra cit. Les CAp. VIII, XII, 43, 44 et
48 utilisent trois fois la formule f;'n 1tPOO'qlÉpofJ.év aOL (pour les saints, pour le
peuple présent et pour le climat), à côté de «nous te prions" (pour l'Eglise),
fi nous t'implorons '>, «nous te supplions ». On remarquera, en particulier, le pa-

rallélisme entre les Constitutions Apostoliques et l'anaphore chrysostomienne


dans l'emploi des trois «nous t'offrons encore,,; mais alors que l'anaphore
chrysostomienne l'utilise pour l'Eglise universelle, les Constitutions l'appliquent
à la communauté locale célébrante (44): «Nous t'offrons encore pour ce peuple
L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE 205

Nestorius. Sa répétition est même bien attestée déjà dans le


formulaire clémentin ". L'anaphore chrysostomienne, cependant,
utilise une première fois la tournure à une place étrange et
inexpliquée, juste après l'oblation proprement dite qui suit
l'anamnèse, et cela pour introduire l'épiclèse. Ceci a pour effet,
probablement voulu, de relier plus étroitement et l'oblation pour
les défunts et surtout celle pour l'Eglise au coeur de l'anaphore.
3' Si l'on compare l'ensemble de l'intercession de cette ana-
phore avec celle que le P. Van de Paverd a reconstituée à partir
des œuvres de Chrysostome datant de la période antiochienne ",
on est frappé à la fois par le parallélisme, que seule peut expli-
quer l'identité d'une même tradition liturgique, et par le fait que
l'anaphore est plus concise que ce qu'indique Chrysostome, en
sorte que l'on croirait volontiers qu'elle reflète un état de la
célébration antérieur à l'époque où il écrit le De Sacerdotio,
l'homélie sur S. Eustathe d'Antioche et le commentaire de la l'''e
aux Corinthiens 44. Il a donc trouvé avant lui dans l'ordonnance
de l'anaphore la mention de l'oblation pour «la terre habitée"
(ou de ses équivalents) avant celle de l'Eglise.
En conclusion, nous sommes là en présence d'une perspec-
tive assez différente de celle des anaphores qui portent le nom
de saint Basile, comme aussi de celle de saint Jacques et de
celle de saint Grégoire de Nazianze. A cela s'ajoute le fait que
dans la demande des fruits de la communion qui suit l'épi-
clèse il n'y a pas d'intercession pour la communauté célébrante,
à la différence des anaphores du groupe que l'on vient de men-
tionner. La perspective est plus universaliste, puisqu'elle dé-
passe d'emblée l'Eglise catholique, et elle ne met pas d'accent
sur l'Eglise locale. Cette même perspective a été reprise par la
III' prière eucharistique du rite romain dont on a cité plus haut
le passage sur l'Eglise.

afin que tu en fasses pour la louange de ton Christ un sacerdoce royal, un


peuple saint; pour ceux qui vivent dans la virginité et la pureté, pour les veuves
de l'Eglise, pour ceux qui usent saintement du mariage et de la procréation, pour
les petits enfants de ton peuple, en sor le que tu ne rejettes aucun de nous".
42 Cf. la note précédente.
43 Le P. van de Paverd propose sa reconstitution avec beaucoup de prudence,
mais elle nous paraît solidement fondée (ap. cit., pp. 359 s.).
44 La remarquable étude de Mlle G. WINKLER sur l'histoire de l'évolution des
intercessions dans les manuscrits de l'anaphore chrysostomienne montre que
l'état primitif de ces intercessions était fort proche de la reconstitution du
P. van de Paverd (cr. art. supm cil., OCP 37 [1971], pp. 380-382).
206 EMMANUEL LANNE

* * *
Cet examen trop rapide de l'immense matériel offert par les
anaphores eucharistiques permet de s'orienter vers quelques
conclusions que devrait préciser et confirmer une recherche ul-
térieure: l'étude de la prière pour l'Eglise au sein de l'anaphore
fait apparaître des visées ecclésiologiques qui peuvent varier
assez considérablement d'un texte à l'autre.
1. On retiendra en premier lieu que l'intercession pour
l'Eglise est une des parties les plus anciennement attestées de
la prière eucharistique. La Didachè en fait foi. Cette intercession
a, d'abord, une dimension unÎverselle dans l'espace comme dans
le temps, comme viennent le corroborer les citations de la
1" Clementis et du Martyre de Polycarpe mentionnées en passant.
Ainsi l'anaphore de la Tradition Apostolique d'Hippolyte se
trouve-t-elle isolée, au moins dans l'état présent de notre docu-
mentation, quand nous constatons qu'elle ne contient pas d'in-
tercession explicite pour l'Eglise universelle.
2. L'anaphore de la Tradition Apostolique semble pourtant
avoir eu une influence considérable sur la rédaction de plusieurs
formulaires de la mouvance d'Antioche: les deux anaphores
basiliennes, celle des Constitutions Apostoliques, celle de saint
Jacques, celle de saint Grégoire de Nazianze du rite égyptien.
Toutes ces anaphores, néanmoins, associent à la demande pour
l'unité de la communauté locale, héritée d'Hippolyte, une inter-
cession explicite pour l'Eglise universelle. En outre, bien qu'in-
fluencée par l'anaphore d'Hippolyte dont elle s'inspire, l'anaphore
des Constitutions Apostoliques n'a pas retenu un trait que celles
de Basile, de Jacques, de Grégoire ont en commun avec la Tra-
dition Apostolique: le lien entre l'épiclèse et l'intercession pour
la communauté célébrante. Ce trait a été repris par la seconde
des nouvelles Prières eucharistiques du rite romain, dont on sait
qu'elle s'inspire d'Hippolyte, et par la quatrième, qui doit beau-
coup aux anaphores basiliennes.
3. Dans une visée ecclésiologique toute différente, l'oblation
pour l'Eglise, dans l'anaphore de saint Jean Chrysostome et dans
celles qui s'y rattachent, non seulement est d'abord de portée
universaliste, mais elle intervient même après la mention de
l'univers entier. De la sorte l'eucharistie est mise d'abord en
relation avec l'ensemble de la création, dont l'homme est le
L'INTERCESSION POUR L'ÉGLISE 207

centre, et l'Eglise apparaît davantage comme les prémices de


cette créature nouvelle, comme l'anticipation de la création
transfigurée. Dès lors la perspective est inversée: au lieu de
partir de la communauté locale qui implore l'effusion de l'Esprit
et participe à l'unique Corps du Christ, on commence par les
défunts et les saints, on poursuit avec la hiérarchie ecclésias-
tique, marquant ainsi la continuité historique de la communion
des saints, puis, en un second temps, on passe à l'extension uni-
verselle de la création et de l'Eglise. Comme on l'a relevé, il ne
s'agit pas ici d'un accident rédactionnel de l'anaphore, mais la
visée englobante de l'oikouménê et de l'Eglise est bien attestée
dans les écrits de saint Jean Chrysostome lui-même et on est
en droit de penser qu'il l'a trouvée telle à Antioche. C'est bien
ce qui ressort de ce qu'il dit de saint Eustathe d'Antioche:
« Il avait été bien instruit par la grâce de l'Esprit de ce
que le chef d'une Eglise ne doit pas seulement prendre soin de
celle qui lui a été confiée par l'Esprit, mais qu'il doit encore
étendre sa sollicitude à l'Eglise tout entière répandue à travers
la terre habitée. Et cela, il l'avait appris aussi des saintes priè-
res. Car, disait-il, s'il faut faire les prières pour l'Eglise catho-
lique qui (s'étend) d'une extrémité à l'autre de la terre habitée,
à plus forte raison faut-il montrer de la prévoyance pour cette
Eglise tout entière et, en même temps, prendre soin de toutes les
Eglises et se soucier de toutes» 45.
4. Pour terminer, il faut toucher un dernier point. Pour
l'Eglise universelle, les anaphores de Basile demandent qu'ellc
soit pacifiée. La demande de la paix se trouve aussi dans l'ana-
phore égyptienne de saint Marc, dans celle de saint Grégoire à
Alexandrie, dans le Canon romain, mais encore chez saint Cyrille
de Jérusalem. On a, dès lors, le sentiment que cette demande est
attestée de façon équivalente dans les diverses traditions litur-
giques tant d'Antioche que d'Alexandrie et de Rome. Elle est
pourtant en concurrence avec la demande de foi et de charité
pour la communauté locale qui célèbre, demande qui s'enracine
dans la prière eucharistique de la Tradition Apostolique d'Hip-
polyte, mais que les Constitutions Apostoliques transposent sur
l'Eglise universelle. Aussi verrait-on volontiers l'origine de cette
demande de paix dans la tradition alexandrine représentée par

-45 In s. Etlstathium A»tiochenum 3; PC L, 602; cf. VAN DE PAVERD, Op. cit,


pp. 345 SS.
208 EMMANUEL LANNE

l'anaphore de saint Marc. Au IV· siècle elle aurait été comprise


de la paix à l'intérieur de l'Eglise, ou plus exactement de la paix
des Eglises, comme l'attestent tant les lettres de saint Basile que
la catéchèse de saint Cyrille de Jérusalem. Cette évolution serait
parallèle à celle de l'intercession pour la communauté locale, après
l'épiclèse, demandant son unité, comme Corps du Christ, dans
la foi et dans la charité, selon le témoignage des anaphores
alexandrine et byzantine de saint Basile, de l'anaphore de saint
Jacques et de celle de saint Grégoire en Egypte. Dans l'ensemble
il y a donc eu un glissement de la visée eschatologique primitive
verS une formulation qui tînt compte davantage de la situa-
tion de détresse du monde chrétien au milieu du IV· siècle.

Emmanuel LANNE
LES DIPTYQUES LITURGIQUES
ET LEUR SIGNIFICATION ECCLÉSIOLOGIQUE

l - DÉFINITION DES DIPTYQUES LITURGIQUES

Les diptyques en général ont été étudiés dans les divers dic-
tionnaires, glossaires et thesauri l surtout d'un point de vue
archéologique et historique. L'étude liturgique en a été faite
principalement par extension, dans la foulée du développement
historique. Un état de la question a été établi dans le Diction-
naire d'Archéologie Chrétienne et de Liturgie au mot "Dipty-
que », dans deux articles datant de 1920, de dom Cabrol pour la
partie historique et liturgique, et de dom Leclercq pour la
partie proprement archéologique.
Conformément au thème proposé cette année pour notre
congrès international de liturgie, je me suis limité à une appro-
che liturgico-ecclésiologique, et cela d'un point de vue pastoral
qui corresponde au domaine de mon enseignement.
Depuis l'antiquité, les sociétés évoluées ont eu le souci
d'établir des registres, ou listes des noms, des détenteurs de
l'autorité politique, administrative ou religieuse dans le but
d'en marquer la succession continue, quelles qu'en puissent
être les péripéties. On a toujours tenu aussi les registres des
membres des dites sociétés en vue de recouvrement des cotisa-
tions, où, à l'échelle de l'Etat, des impôts, sans oublier les listes
électorales. L'Eglise a voulu, quant à elle, intégrer dans sa prière

l DAREMBERG ct SAGLIO, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines;


GORI, Thesaurus velenlm diptychorum: Du C.4.l\':GE, Glussarium Mediae et Infilnae
Latinitatis, au mot «diptychum l>.
210 ELIE MELIA

liturgique, en en récitant les noms, les fondateurs d'églises, les


bienfaiteurs, « tous ceux qui offrent dans les saintes et vénérées
églises» ceux aussj qui sont empêchés de se rendre au cuIte
1

public pour cause de maladie ou de privation de liberté, et en


général tous les fidèles présents à l'assemblée liturgique ainsi
que leurs proches vivants ou défunts.
Le terminus technicus qui s'est imposé dans les rubriques
des anaphores et des euchologes est 817tTUXOV, diptychum dans
les sacramantaires. Dans les prières liturgiques et dans les an-
ciens commentaires, ainsi que dans les décrets de la hiérarchie
ecclésiastique ou des conciles, on rencontre les synonymes: ta-
bulae, tabel/ae, album, liber viventium, liber mortuorum ou en-
core commemoratio et son verbe (dont commendare est un sy-
nonyme): memento.
Les correspondants grecs sont: ~L~À(O',1, ÈxxÀEm:xcr'.-txol x:X"C'&.ÀOyOL,
tEpcd ou f1.ua-rLXo:t OÉ:À,.OL, fJ.\l~!1-1j, I-Lv"t)l-Loau'Vov. Il faut mentionner à
part le terme liber vitae = ~'~À(ov TIjç ~Ol~Ç, qui a une connota-
tion eschatologique marquée et qu'on rencontre avec ce sens
dans l'Ecriture Sainte, à savoir dans l'A.T.: Ex. 32,32-33 (inter-
cession de Moïse au Sinaï après que le peuple eût adoré le veau
d'or) et les Pss 39,8; 68,29; 138,16, et dans le N.T.: Philipp. 4,3 (les
collaborateurs de Paul) et surtout Apoc. 13,8; 17,8; 20,15; 21,27.
Dans l'Apocalypse il s'agit du livre de vie de l'Agneau: il est écrit
dès l'origine du monde; ceux qui n'y sont pas inscrits seront
jetés dans l'étang de feu tandis que les inscrits entreront dans
la Jérusalem éternelle.
Il apparaît nettement que cette expression avec son coéffi-
cient eschatologique se rencontre fréquemment dans les sacra-
mentaires occidentaux et guère dans les euchologes orientaux.
Les divers synonymes de diptychum servent à préciser l'in-
tention qui a présidé à l'établissement des nomenclatures res-
pectives. Ce qui est spécifique dans tous les cas est l'inscription
ou la récitation des noms à fin d'intégration dans la prière de
l'Eglise, au cours de différents offices liturgiques, principale-
ment à la messe.
Les noms furent d'abord inscrits sur des feuilles de par-
chemin: on en a trouvé reliées dans des sacramentaires; ou bien
transcrits dans la marge. Par la suite, à cause de l'accumulation
croissante des noms, on eut recours à des livrets et même des
livres, tels les obituaria.
211

II - LES DIFFERENTES CATEGORIES DE DIPTYQUES LI-


TURGIQUES

Du Cange dans son Glassarium distingue plusieurs classes


de diptyques:

1) LES DIPTYQUES DES BAPTISÉS, Ecc/esiae matricula, ekklesiasti-


kai katalagai.
Il en est fait mention chez S. Cyrille de Jérusalem dans sa
Pracatéchèse 14,13 et Catéchèse 3,2; chez S. Grégoire de Nysse,
De baptisma (PG 46, 417); Concile d'Arles 314, cano 13; Peregri-
natia Aetheriae; S. Ambroise, In Lucam IV, 76 (PL 15, 1719). Ces
livres sont liés à l'institution du catéchuménat. On sait que les
fidèles priaient et jeûnaient avec les catéchumènes (Justin, Apa-
lagia !, 61; d'autre part un contrôle permettait de raccourcir
ou d'allonger le temps de préparation au baptême et, au besoin,
de rayer le candidat du registre. L'usage d'inscrire les catéchu-
mènes s'est perdu avec la généralisation du paidobaptisme. On
sait qu'une inscription des naissances, donc, en fait, des baptêmes,
a été instituée par l'empereur Léon III en 733, en vue de l'impôt
de capitation qu'il établissait sur les thèmes de Sicile et de Cala-
bre (Théophane a. 6224): l'idée a fait son chemin ...

2) LES DIPTYQUES DES VIVANTS = diptycha ou libri viventium.

Ils concernent les bienfaiteurs de l'Eglise locale, les digni-


taires ecclésiastiques ou de l'Etat: patriarches, évêques, autres
ecclésiastiques, empereurs, magistrats; les gens du peuple aussi
furent admis dans cette bonne compagnie.
Pour la mention des laïcs en général on peut citer S. Cyprien
de Carthage (t martyr 258):

({ eum in minoribus peccatis agant peccatores poenitentiam,


iusto tempore et secundum disciplinae ordinem ad exomologesim
veniant et per manus impositionem episcopi et deri ius commu-
nicationis accipiunt; nunc crudo tempore, persecutione adhuc perse-
verante, nondum restituta Ecclesiae ipsius pace, ad communicatio-
nem admittuntur et offertur nornel1. eorum; et nondum poenitentia
acta, nondum exomologesi facta, nondum manu eis ab episcopo et
clero imposita, eucharistia illis datur (Ep. 28; PL, 331).
212 ELIE MELl!\

L'origine des diptyques des vivants est liée à l'offertoire. Les


diacres, qui avaient à charge la préparation, bien plus effective
que de nos jours, de la messe et son ordonnance, devaient signa-
ler à la fois les dons et les donateurs à l'évêque, sans doute aussi
à l'attention de la communauté. D'autre part, on a dû procéder
à l'inscription des dons et des donateurs en vue de la réparti-
tion des offrandes en parts déterminées. Les Constitutions Apos-
toliques, livre VII, chap. XXXI, stipulent:
« Que les eulogies, restes des oblations mystiques, soient, par
les soins des diacres, distribuées au clergé suivant la volonté de
l'évêque et des presbytres: à l'évêque, 4 parts; aux presbytres, 3;
aux diacres, 2; aux sous-diacres, lecteurs, chantres et diaconesses,
une seule part».

La tenue de registres dans la communauté chrétienne primitive


est attestée par S. Paul pour les veuves que l'Eglise devait entre-
tenir: 1 Tim. 5,9.
S. Jerôme fut amené à protester contre des abus:
« Le diacre rend gloire publiquement dans l'Eglise à tous ceux
qui offrent: celle-là a offert autant, celui-ci promet autant, et ils
se complaisent dans les applaudissements des fidèles» (Comment.
in Ezech. XIII: l'écrit est de 411).

S. Jerôme revenait à la charge en 420 dans son Commentaire


sur Jérémie:
« Et maintenant on récite les noms des offrants, transformant
en gloriole l'expiation des péchés ».

C'est peut-être de là que vient l'usage, dans l'ancienne liturgie


romaine, de faire réciter les noms par le célébrant et en silence,
mentalement.

3) LES DIPTYQUES DES MORTS.

Les diptyques des morts ont acquis une importance parti-


culière, sans qu'on puisse déterminer avec quelqu'exactitude leur
origine première. La relation liturgie eucharistique-prière pour
les morts est très ancienne. Les premiers témoignages historiques
formels sont du début du III' siècle, mais la prière pour les
morts est évidemment plus ancienne. La pratique en était entrée
dans les moeurs déjà dans l'ancien Israël: cfr le deutérocanoni-
LES DIPTYQUES LITURGIQUES 213

que 2 Macch. 12,43-46: après la bataille, on avait trouvé sur les


guerriers tués des objets consacrés aux idoles, et Juda ordonna
une collecte dont il envoya le montant, environ 2000 drachmes,
au Temple de Jérusalem en vue d'un « sacrifice expiatoire pour
les morts, afin qu'ils fussent délivrés de leur péché ».
Ainsi, ce qu'on pourrait appeler un donné immédiate de la
conscience religieuse avait fini par prévaloir sur l'ancienne ré-
serve concernant la destinée des défunts avant la résurrection
finale. Cette réserve s'expliquait par le souci d'écarter la fausse
espérance d'un refuge démobilisateur dans l'au-delà où, ce qui
n'est qu'un échappatoire tout aussi pernicieux, dans la me-
tempsycose. Il n'y a, en effet, qu'une seule vie pour l'homme,
comme il n'y a qu'une seule mort, et notre vie est déterminée
par son parcours terrestre. D'autre part, la Bible récuse tout
empiètement sur la souveraineté de Dieu par une intrusion des
vivants dans le domaine de la mort, soit par le moyen d'une
prétendue gnose soit par la nécromancie ou toute autre magie.
Lév. 19,31; 20,6.27; Deut. 18,9 sq. portent des condamnations
sévères contre les nécromants et les devins en général. Le Christ
a suivi la même ligne dans sa prédication publique: parabole
du mauvais riche et du pauvre Lazare. Cependant l'Incarnation
apportait un changement radical: les hommes, frères et amis
du Christ, reçoivent désormais des pouvoirs quasi divins comme
celui de remettre ou retenir les péchés; les cieux, en effet, sont
désormais ouverts. La doctrine de la descente du Christ dans le
séjour des morts après la résurrection - 1 Piero 3,19 (comp.
Matth. 27,52 sq.; Hébr. 11,39-40) - témoigne de ce changement.
Le lien de la réalité sacramentelle avec le souci pour les morts
est attesté par S. Paul, qui tire argument de l'usage des fidèles
de son temps consistant à se faire baptiser pour les morts:
1 Cor. 15,29.
Au début du III' siècle Tertullien, dans deux de ses écrits,
fait état de la difficulté liturgique soulevée par la digamie ou
remariage après la mort du conjoint. Dans le De exhortatione
castitatis, qui est d'avant 207, Tertullien interpelle le veuf qui
veut se remarier:
« Etiam repete apud Deum pro cuius spiritu postules, pro qua
oblationes annuas reddas. Stabis ergo ad Dominum cum tot uxo-
ribus quot in oratione commemores, et offeres pro duabus et com-
mendabis iIlas duas per sacerdotem» (cap. XI).
214 ELIE MELIA

Dans le De H1011ogmnia, écrit en 217, c'est la veuve qui est


n1ise dans l'embarras:
« Pro anima eius (Le. mariti nempe defuncti) oret; et refrige-
rium interirn adpostulet ei, in prima resurrectione consortium; et
offerat annuis diebus dormitionis» (cap. X).

Il faut noter que Tertullien parle des ob/aliones annuae


comme d'une tradition établie dont il peut tirer argument.
D'ailleurs, pour les anniversaires de la mort, on a un témoignage
du II" siècle: les fidèles de l'Eglise de Smyrne, faisant part du
martyre de leur évêque Polycarpe aux frères de Philomelium
en Phrygie, peu après 156, écrivaient:
{( Ainsi nous pûmes plus tard recuellir ses ossements plus
précieux que des pierres de grand prix, plus précieux que l'or,
pour les déposer en lieu convenable. C'est là, autant que possible,
que le Seigneur nous donnera de nous réunir dans l'allégresse et la
joie, pour célébrer l'anniversaire de son martyre, de sa naissance l>
(18,2).

Chez S. Cyprien de Carthage nous trouvons une précision


supplémentaire qu'il nous appartient de retenir, à savoir la
prière nominative pour les morts au cours de la célébration
liturgique:
« Episcopi antecessores nos tri ... censuerunt ne quis frater (epi-
scopus) excedens ad tutelam vel curam clericum nominaret: ac si
hoc fecisset, non offertur pro eo, nec sacrificium pro dormitione
eius celebratur, neque enim apud altare Dei rneretur nominari in
saeerdotum preee» (Ep. 56; PL 4, 411).

Par ailleurs, on n'a pas attendu le XVI" siècle pour contes-


ter la prière pour les morts. S. Cyrille de Jérusalem dans sa
V' Catéchèse Mystagogique, qui traite de la liturgie eucharisti-
que, avertissait les \lE:ocpoo"ncr'To~:
«J'en connais plusieurs qui demandent: quel profit tirer des
prières faites dans la commémoration des morts?»

Et il répond:
«En offrant ces prières de la liturgie, nous offrons le Christ
qui a été sacrifié pour nos péchés et nous rendons ainsi Dieu pro-
pice aux morts aussi bien qu'à nous-mêmes» (10; PG 33, 1116).
LES DIPTYQUES LITURGIQUES 215

S. Epiphane, le redoutable pourfendeur des hérésies qu'il


se complaisait à découvrir et à cataloguer, répond à un certain
Aérius originaire du Pont, qui posait la question suivante:
« Pourquoi après la mort nommez-vous les noms des défunts?
Si la prière des uns sert à ceux-là, ce n'est pas la peine de vivre
pieusement et de faire le bien: il suffit de se faire des amis qui
prieront Dieu pour nous et qui obtiendront que nous ne souffrions
aucun mal après la mort et que nous n'ayons pas à payer la peine
de nos forfaits ».

La réponse du fougueux polémiste est, cette fois, sage et


pondérée:
« Les membres défunts de l'Eglise sont vivants en Christ; prier
pour eux c'est comme prier pour des amis en voyage; telle est, en-
fin, la règle de l'Eglise» (Panarion LXXV, 2,7; PL 42, 504).

Il est à noter que l'oblation pour les défunts ne se faisait


pas le dimanche: cfr les Canons d'Hippolyte (qui remontent,
selon le P. B. Botte, aux années entre 347-360, sûrement avant
le règne de Théodose 1):
« Si fit anamnesis pro iis qui defuncti sunt, primum antequam
consideant mysteria sumant, ne que tamen die prima ».

Discuter de la valeur proprement propitiatoire de la prière


pour les morts, au sens où l'entendaient les polémistes de la
Réforme protestante et de la Contre-Réforme catholique, ne ren-
tre pas dans le cadre de notre exposé, pas plus que dans le cadre
général du thème proposé à notre congrès. Comme c'est souvent
le cas, la polémique a non seulement durci les positions respecti-
ves, mai elle a, de plus, faussé la juste perspective et perturbé
l'équilibre doctrinal. La pointe de la prière liturgique pour les
morts n'était pas, chez les anciens, le souci de se libérer des
peines encourues pour les péchés commis durant la vie terrestre,
mais bien celui de rester intégrés dans l'Eglise, de ne pas se
trouver en dehors de l'universelle intercession du peuple de
Dieu. Au surplus, l'Eglise était en ce temps un lieu de commu-
nion sociale répondant à un besoin psychologique puissant. Où
serait, enfin, la victoire du Christ sur la mort, un des thèmes
dominant de la catéchèse, si l'intercession mutuelle des croyants
était effectivement interrompue par la mort, si celle-ci demeu-
216 ELIE MELIA

rait une barrière au lieu de devenir un passage, dans une pers-


pective pascale?
Les diptyques pour les morts ont une importance essentielle
pour la compréhension de l'Eglise, de sa nature et de sa mission
dans le monde: l'universalité et la communion de l'Eglise dans
le temps, la catholicité clans le temps, sont aussi importantes
que son universalité géographique ou sociale.

4) LES DIPTYQUES ÉPISCOPAUX.

Ils ne sont pas restés les moins importants comme bien on


le pense. On peut mentionner comme curiosité archéologique
un diptyque portant une liste de 69 évêques de la ville de Novare,
actuellement au Museo Civico de Bologne. On pense immédia-
tement à la doctrine de la succession apostolique des évêques
chez S. Irénée de Lyon, telle que celui-ci la développe dans son
Adversus haereses, composé dans les deux dernières décades du
II" siècle. Pour S. Irénée la succession des évêques à partir des
Apôtres pouvait être vérifiée, du moins dans les grandes Eglises,
ce qui suppose qu'on y conservait des listes à cet effet. Lui-même
présente une liste des évêques de Rome (III, 3). Avant S. Irénée
encore, au dire d'Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique (IV,
22, 1-3), un certain Hégésippe, auteur de Mémoi,-es (Û7tofJ."·~fJ."'T"')
du Seigneur, avait cherché à vérifier l'immutabilité de la doctrine
chrétienne en enquêtant auprès des évêques au cours de ses
voyages. Il se rendit à Rome sous Anicet Cv. 154 - v. 166) pour
établir la aw.aoZ~ des évêques de la ville impériale, capitale du
monde de son temps.
L'Eglise ancienne était extrêmement sensible à la commé-
moration liturgique des évêques: qui inscrire et qui proscrire
dans les diptyques? Nous avons cité S. Cyprien (cfr supra).
Quand Théodose l, dans son édit confirmant le concile oecu-
ménique II" (Constantinople 381), indiquait pour chaque province
l'évêque avec lequel on était tenu d'être en communion, cela
ne pouvait recevoir sa pleine et concrète sanction, après la
destitution de l'évêque déclaré hérétique, que dans la procla-
mation liturgique régulière de l'évêque fidèle, dans la succession
précisée.
La question du maintien ou du rejet des diptyques du nom
de S. Jean Chrysostome, qui subit les martyre du fait de l'Etat
LES DlPTYQUES LITURGIQUES 217

chrétien en 407, agita l'Eglise universelle et causa des schismes.


Innocent l de Rome (t 417) écrivait à l'empereur Arcadius:
«Arsacium, quem pro magna Ioanne, in thronum episcopalem
produxistis, etiam post obitum exoneramus una cum omnibus qui
consulta cum eo communicarunt episcopis, cuius etiam nomen
sacro episcoporwn albo non inscribatur».

En 484 Acace de Constantinople et Félix de Rome se rayè·


rent réciproquement des diptyques; le schisme entre leurs deux
Eglises dura 35 ans. Jean II de Constantinople écrivit à Hormis·
das de Rome que le concile de Constantinople 519 ayant excom·
munié les opposants à Chalcédoine, avait décidé de rétablir le
nom de l'évêque de Rome dans les diptyques; il demandait l'en·
voi d'une délégation qui confirmerait solennellement la chose,
ce qui fut fait par une concélébration à S. Sophie, le jour de
Pâques. Rappelons qu'à cette occasion Hormisdas de Rome fit
preuve d'une autorité drastique et montra un excès d'in transi·
gence canonique. Il exigea que tous les évêques orientaux signas·
sent son décret anathématisant non seulement Dioscore et les
patriarches monophysites d'Alexandrie, non seulement Acace de
Constantinople, auteur de l'hénotikon (compromis doctrinal),
mais toute la série de ses successeurs sur le siège constantino-
politain du seul fait pour deux d'entre eux, qu'ils n'avaient pas
rayé Acace des diptyques. Or ceux·ci, Euphymius et Macédonius,
avaient courageusement tenu tête à l'empereur monophysite
Anastase qui les avait démis et exilés, et à Byzance ils étaient
considérés comme des confesseurs de la foi. Les évêques s'enga·
geaient, selon les termes du décret d'Hormisdas, à
( ne pas mentionner, en célébrant les mystères, les noms de ceux
qui ont été séparés de la communion de l'Eglise catholique, de
ceux qui ne sont pas en accord avec le siège apostolique ».

Les évêques furent contraints par le gouvernement de Justin l


de signer, sans pouvoir émettre la moindre réserve. Le gouver·
nement impérial avait programmé le grand projet de restaura-
tion de l'ancien empire romain; on allait donc déplacer l'axe de
la politique impériale d'Orient en Occident, alors occupé par les
Barbares depuis près de deux siècles et l'appui de l'évêque de
Rome était absolument indispensable. L'humiliation fut forte-
ment ressentie: il y eut une émeute à Thessalonique, des troubles
ailleurs.
218 ELIE MELIA

Dans le cadre de la fameuse affaire des Trois Têtes (Chapi-


tres) Justinien l allait faire payer à l'évêque de Rome, en la
personne de Vigile, le prix que le gouvernement impérial exigeait
en contre-partie des honneurs qu'il avait concédés. Mais d'abord,
en Orient même, Justinien fit effectuer une enquête dans la loin-
taine Mopsueste, pour faire apparaître selon ses vues que le nom
de Théodore, gloire de l'école Antiochéenne et bête noire des
monophysites, ne figurait pas dans les diptyques de l'Eglise
locale: cfr le concile de Mopsueste 550. On avait, en effet, eu
l'audace d'objecter à l'empereur théologien que Théodore était
mort dans la paix de l'Eglise avant que les conciles oecuméni·
ques d'Ephèse et de Chalcédoine n'eussent eu à définir le dogme
christologique. Le V' concile oecuménique de Constantinople
553 voua Théodore à l'anathème en compagnie de Théodoret de
Cyr et d'Ibas d'Edesse. A ce même concile Justinien obtint qu'on
rayât des diptyques le nom de Vigile, sans rompre cependant
avec l'Eglise de Rome.
Si grand que fût l'importance des diptyques épiscopaux
dans les archives des chancelleries, à la base même de ce fait
se trouve l'importance majeure accordée à la commémoration
liturgique de l'évêque du lieu dans chaque Eglise. La proclama.
tion solennelle de l'évêque à la liturgie était, et reste toujours,
le signe essentiel de sa légitimité reconnue dans l'Eglise locale
ainsi qu'auprès des autres Eglises. Deux critères se sont im-
posés à cet effet, à savoir régularité canonique de l'élection et
du sacre, et l'orthodoxie de l'enseignement. Au niveau de l'Eglise
locale, où les diptyques épiscopaux étaient établis et conservés,
cette pratique liturgique illustrait la formule ecclésiologique
de S. Cyprien " Ecclesia in episcopo et episcopus in Ecclesia",
en accord avec la vision exprimée dans les lettres de S. Ignace
d'Antioche à l'aurore du II' siècle avec une clarté quasi exhaus-
tive.

5) DIPTYQUES DES SAINTS.


Des énunlérations de Saints, dans un ordre déterminé d'ail-
leurs, se rencontrent dans divers offices liturgiques: messe (en
plusieurs endroits), vêpres solennelles, matines. A plus d'une
reprise on observe à la messe la suite: liste de Saints, diptyques
des vivants et des défunts. La patène préparée à la proscomédie
ou avant-messe byzantine les rassemble tous, figurés par des
LES DIPTYQUES LITURGIQUES 219

parcelles de pains disposés autour de l'Agneau symboliquement


immolé en vue de la consécration eucharistique: icône du Corps
du Christ, de la communion des Saints.
Se référant à des considérations de Du Cange au mot diptycha
(episcoporum) et au mot canonizare, notamment au fait que les
diptyques étaient lus au canon de la messe, dom Cabrol voit là
l'origine des martyrologes ou catalogues des Saints. J'avoue ne
pas être convaincu. Certes, les Eglises conservaient pieusement
des listes de fondateurs, de bienfaiteurs, évêques et notables
civils dont les noms étaient régulièrement lus à l'offertoire et au
canon de la messe. Mais quand et de par quelle autorité aurait-
on décidé qu'au lieu de prier pour eux on allait les prier eux-
mêmes? A mon humble avis, ce n'est qu'une fois la pratique de
la canonisation des Saints établie, que certaines Eglises se sont
cru autorisées d'inclure leurs listes diptycales à leur sanctoral.
Il existe, en effet, des cas où des suites d'évêques et de princes
ont été portées dans le calendrier ecclésiastique sans interruption
chronologique. Mais c'est là une pratique de facilité qui ne cons-
titue certainement pas le sommet du genre. Là où Du Cange doit
avoir raison dans sa très grande érudition, c'est quant à l'origine
du terme canonizare, mais « alia est ratio rei, alia ratio verbi».
Dans l'intention des créateurs de l'office divin, et en cela leur
intuition me semble atteindre la vérité liturgique essentielle, la
commémoration des défunts rejoint la commémoraison des Saints.
L'hymnographie byzantine classique attribue les hymnes du sa-
medi à tous les Saints et aux défunts; la même intention apparaît
dans la fête de la Toussaint, le dimanche qui suit la Pentecôte.
L'invocation des Saints à la messe a, en tout cas, en commun
avec les diptyques la forme euchologique qui est celle de l'énumé-
ration nominative.

III - LE GENRE LITTÉRAIRE DES DIPTYQUES

Les diptyques constituent un genre particulier de la prière


liturgique. Dom Cabrol assimile les diptyques au genre de la lita-
nie, prière d'intercession catégorielle pour certaines classes de
personnes; il distingue ce genre de la prière eucharistique ou
d'action de grâces: illation, anaphore, préface, canon comme aussi
de la prière collective dans laquelle le célébrant exprime les
voeux et les prières de tous: collectio ou collecta. Je n'aimerais
220 ELIE MELIA

pas pour ma part opposer prière catégorielle et prière collective,


car la prière liturgique est toujours, de par l'essence même de
la liturgie, collective et universelle, même quand elle mentionne
telle ou telle catégorie de gens. Ce qui me paraît essentiel dans
les diptyques, considérés du point de vue des formes de la prière,
c'est qu'il s'agit d'une prière nominative, c'est la récitation des
noms. Et ceci est, je crois, plus important qu'il ne paraît car
cette pratique conditionne la personnalisation de la prière litur·
gique, son assimilation par un chacun dans la communauté ecclé·
siale. Assurement les prières catégoriales sont légitimes et de
même les prières circonstancielles adaptées à la diversité de la
vie en ce monde, tout cela qu'on appelle en Occident les inten·
tians; mais ces prières doivent être reprises par chacun dans
une visée personnelle; or la personne est désignée par le nom,
qui, seul, permet sa saisie à la fois globalisante et individuante.
Le diacre ou le prêtre proposent dans les litanies des inten·
tians catégorielles: pour les voyageurs, les malades, les forçats
(concentrationnaires, dirions-nous aujourd'hui), les prisionniers
.. " pour la salubrité de l'air (écologie!), la fertilité des champs ... ,
sans oublier le bon ordre dans les Eglises de Dieu; mais ces pro·
positions doivent être valorisées par le Kyrie eleison d'un chacun,
qui les reprend pour soi ou en pensant à iel ou tel nommément.
Quand on propose, pour rendre un autre exemple, de prier pour
la multiplication des vocations sacerdotales ou pastorales, on ris·
que de rester au niveau du slogan, si les fidèles ne s'interrogent
personnellement ou pour des proches et amis qui, directement
ou non, dans la mesure connue du Seigneur, sont dans le champ
de notre action personnelle ou de notre influence.
La prière nominative est d'ailleurs un élément de toute prière.
C'est même notre première manière de prier, celle des tout petits
enfants: pour maman et papa, pour mon frère, pour ma soeur
. .. J'oserais dire que dans la prière nominative pour autrui se
fait l'apprentissage de sa propre personnalité: celle·ci se forme
d'abord sous la protection de la famille, puis à l'école et autres
lieux de rencontre avec autrui, c'est-à-dire à la fois avec la société
et avec l'étranger ... On pourrait développer toute une philoso·
phie du nom, en commençant par le récit de la création dans le
livre de la Genèse, mais ce serait déborder du cadre de cette
étude.
LES DIPTYQUES LITURGIQUES 221

IV PLACE DES DIPTYQUES DANS LA CÉLÉBRATION LITUR-


GIQUE: DANS LES OFFICES DIVINS, DANS LA MESSE

1) DANS L'OFFICE DIVIN.

Les diptyques des vivants tirent leur ongme de l'offertoire,


on l'a dit. Les diptyques des défunts proviennent probablement
des annuaria, dont les registres ont constitué les obituaria occi-
dentaux; c'est du moins ce qu'attestent les premiers témoignages
historiques: martyre de Polycarpe (II' siècle) et écrits de Tertul-
lien (début III' siècle). Si les annuaria sont passés des agapes à
l'offertoire de la messe, c'était chose faite du temps de Tertullien.
Mais l'accumulation des noms, surtout pour les défunts, a
été telle qu'il a fallu déborder du cadre étroit de l'offertoire pré-
anaphoral et même de celui de la messe. Répartir les diptyques
entre différents offices était une solution. En Occident, selon Du
Cange dans son Glossarium, au mot Rotulus (rouleau mortuaire),
dans les monastères et les chapitres on lisait les diptyques mor-
tuaires chaque matin à l'office de Prime ou de Tierce. En Orient
on les répartit, dans le cadre même de la liturgie eucharistique,
en avant-messe, dans une sorte d'office autonome, la proscomédie
ou rite de la prothèse, comportant une finale semblable à celle
des offices. Ce rite n'a pu se constituer qu'après la disparition du
catéchuménat car les catéchumènes n'étaient pas habilités à faire
des offrandes pour l'eucharistie, à laquelle, d'ailleurs, ils ne pou-
vaient pas assister; on ne leur en dévoilait, au surplus, le sens
qu'après le baptême (mystagogie). Ainsi, le Testament de N.S.J.C.
CV' siècle) dit: "Qu'on ne reçoive pas de pain offert par un caté-
chumène avant son baptême, même s'il a un fils et une épouse
croyants et voudrait faire une offrande pour eux ». De même les
chrétiens sous le coup d'une sanction les privant de la commu-
nion ne pouvaient offrir à l'eucharistie; eux aussi étaient ren~
voyés en mêlue temps que les catéchumènes: «Qu'on ne reçoive
pas les offrandes des frères exclus ni dans le sacrarium ni dans
le gazophylacium », donc on refusait d'eux, même les dons en nu-
méraire (Conc. de Carthage IV, cano 93).
Tous les manuscrits anciens, y compris le Barberinus, ont
ce transfert du rite de l'offertoire anaphoral à la proscomédie
actuelle (Archimandrite Cyprien KERN, L'Eucharistie, Paris 1947).
Qu'il n'en fut pas ainsi à l'origine on en a la preuve dans la litur-
gie épiscopale qui, historiquement comme de droit, est la norme
222 ELIE MELIA

liturgique: la proscomédie, commencée en avant-messe par un


des prêtres célébrants, est achevée par l'évêque juste avant la
grande-entrée.
Le transfert des diptyques en avant-messe s'explique: l'af-
lux des listes présentées par les fidèles est tel que le déroulement
de la liturgie peut s'en trouver perturbé, même avec le transfert
signalé: certaines de ces listes portent, en effet, des dizaines et
parfois des centaines de noms. D'autre part, on n'ose pas se
débarasser de ces diptyques individuels et ils s'accumulent dans
des fichiers.
En Orient, les diptyques liturgiques pour les défunts n'ont
pas, à proprement parler, débordé en dehors de la messe. Mais
il existe des prières publiques non-eucharistiques pour les morts.
On lit les diptyques pour les morts aux Vêpres et aux Matines des
samedis du Carême (2',3' et 4' semaines), du samedi qui précède
le dimanche carné et du samedi avant la Pentecôte. En outre, il y
a des services autonomes composés par des extraits des matines
pour les vivants: paraclèse; et pour les morts: mnèmosynon.
On sait que la republique monastique du Mont Athos a été
agitée longtemps: du milieu du XVIII' siècle, jusqu'au début du
XIX', par la querelle des colyves, plats de blé ou de riz sucrés
offerts par les fidèles, en accompagnement de leurs diptyques,
lorsqu'ils commandent un mnèmosynon. Le problème soulevé était
de savoir s'il était permis de célébrer des mnèmosyna les di-
manches afin de décharger les samedis. Il faut dire que les
moines du skite S. Anne collectant des dons pour leur nouvelle
église avaient vu s'accumuler 12.000 noms! '.
L'affaire venait des liturgistes de l'époque qui se bat-
taient en même temps pour la communion fréquente, pour
la célébration de la liturgie des Presanctifiés le soir et non le
matin et, semble-t-il, aussi pour la lecture à voix haute des prières
anaphorales. Saisis de l'affaire, à diverses reprises, par les moi-
nes des deux bords, qui n'hésitaient pas à monter à Constanti-
nople, les patriarches rendirent en concile une résolution pru-
dentielle en ce qui concernait les mnèmosyna: on ne condamnait
personne, les uns et les autres avaient des raisons honorables;
chaque moine et chaque skite devaient s'en tenir à l'usage des

2 C. PAPOULlDlS, Nicodème l'Hagiorite, Athènes 1967, en français, extrait de la


revue The.ologia.
LES DIPTYQUES LITURGIQUES 223

monastères principaux dont ils relevaient: les moines de S. Anne


dépendaient de la Grande Laure qui célébrait les mnèmosyna
le samedi, et de ce fait ils se trouvaient en position délicate. En
ce qui concerne la communion fréquente, après des revirements,
le patriarche Grégoire V en synode (août 1819) reconnut comme
norme la communion à chaque liturgie.
La question des mnèmosyna n'a pas perdu toute actualité
car, aujourd'hui encore, on a coutume dans nos paroisses de
célébrer des services funèbres le dimanche, à la suite de la
messe; c'est pourquoi je me permets de m'y arrêter un moment.
L'Eglise ancienne interdisait la commémoration des morts le
dimanche: cfr les Canons d'Hippolyte (supra) en accord avec
l'interdiction de la génuflexion ce même jour: cano 20 de Nicée;
Pierre d'Alexandrie, cano 15; S. Basile, cano 91; VI' conc. oecum.,
cano 90. Les colyvistes - c'est-à-dire ceux qui s'en tenaient aux
mnèmosyna le samedi, d'où le sobriquet de sabbatéens' - se
référaient à une tradition canonique constante: cfr Const. Apost.
V, 20 et VII, 20; Laodicée, cano 51; Syntagma alphabétique de
Matthieu Blastaire. Ils avançaient aussi des arguments liturgico-
théologiques: analogie avec le repos du Christ au tombeau le
Samedi Saint; le fait que le samedi avait été créé par Dieu pour
le repos et qu'en hébreu sabbat signifie repos. Or à l'office des
morts l'Eglise prie pour le repos des trépassés.
Leurs adversaires répliquaient que de toute manière on
commémorait les défunts à la proscomédie même le dimanche
et aux plus grandes fêtes. Les sabbatéens-colyvistes se défen-
daient en distinguant le caractère différent des commémoraisons
à la proscomédie des commémoraisons dans les mnèmosyna,
lesquels introduisaient le deuil dans la fête. On s'en tenait donc
surtout à des arguments sentimentaux ou à des analogies litur-
gico-rituelles. En fait, la différence spécifique me paraît se
situer pour la liturgie festive dans le caractère solennisé, ma-

3 L'argument n'était pas innocent: l'affaire colyviste avait été décIanchée


par le diacre Néophyte le Péloponnésien, professeur de l'école athonite dont le
directeur était, quant à lui, un libéral modéré, le célèbre prêtre Eugène Boul-
garis: il termina sa vic comme évêque en Russie, après que son école eût
été incendiée par des moines intégristes. Or Néophyte était d'originc juive. On
a un écrit signalé par Mr Papoulidis (op. cil., p. 37): "Pubblications des inno-
vations de Néophyte le Péloponnésien de souche juive, apparu rebelle à l'Eglise
durant l'année 1750 et qui troubla la piété sur la Sainte Montagne »: il y a de
ces titres de livres qui vous tuent votre homme ... ct qui vous dispensent de
lire l'ouvrage. Néophyte enseigna ensuite dans diverses écoles grecques: il
finit ses jours en Roumanie à la fin du siècle.
224 ELIE MELIA

nifes tant pour l'ensemble de la communauté convoquée à cet


effet, l'Eglise dans la gloire eschatologique et la joie pascale.
L'intercession pour les morts ne cesse jamais dans l'Eglise,
de même que la pénitence n'est pas interrompue pendant les
fêtes car on ne peut célébrer Pâques sans célébrer, en même
temps, la Croix; mais il appartient à l'Eglise d'éduquer aussi
par une catéchèse du temps, au moyen du calendrier héortolo-
gique. Or le dimanche est essentiellement un signe temporel de
la gloire eschatologique et de la joie pascale, et l'Eglise a pris à
cet effet une disposition motivée, qui s'impose comme une
leçon de choses. D'autre part, il n'est pas bon de bloquer toute
la vie liturgique du peuple croyant sur le seul dimanche comme
si c'était le seul jour consacré à la prière commune et, en géné~
rai, à la foi. C'est donner une motivation assez forte aux gens,
pour qu'ils se rendent à l'église en semaine aussi, que d'interdire
les services funèbres particuliers les dimanches et fêtes. L'inci-
tation est particulièrement ressentie pour les 3"
9' et 40' jours
et pour les anniversaires (cfr Const. Apost., livre VIII, chap.
XLII); on connaissait aussi en Occident le 7' et 30' jours: S.
Ambroise, De obitu Theodosii: "alii tertium diem et tricesimum,
alii septimum et quadragesimum observare consueverunt ». En-
fin, on ne devrait pas ajouter quelque service religieux que ce
soi! à une liturgie eucharistique, même en semaine, sous peine
de lui enlever le sens de plénitude qui lui est propre '.

2) LES DIPTyQUES AU COURS DE LA LITURGIE EUCHARISTIQUE.

La messe orthodoxe, telle qu'elle est célébrée actueliement,


est composée de parties assez autonomes. On sait qu'historique-
ment elle est le produit de couches successives: il y a eu des
transferts et des dédoublements dans un sens et inversement.
Le choc en retour semble patent à Rome avec la prescription
d'Innocent l (t 417) à Decentius, évêque d'Eugubium, de ne pas
lire les noms avant la prière du prêtre: il faut d'abord recom-
mander les offrandes, puis énoncer les noms de ceux qui ont
offert, de telle sorte que ces noms soient récités au cours du
mystère et non avant. En Orient les diptyques sont aussi pré-

4 Curieusement. dans notre pratique actuelle on observe partout rigoureu-


l.ement la rubrique suspendant à la messe dominicale la litanie des défunts avant
le renvoi des catéchumènes et, en même temps, on célèbre en toute innocence
les mnèmosyna après la messe festive.
LES DIPTYQUES LITURGIQUES 225

sents à l'anaphore, maïs le mouvement principal a été le trans~


fert en avant~messe. En fait cependant, ces mouvements, dans
un sens comme dans l'autre, témoignent de l'homogénéité fon-
cière de la liturgie: d'un bout à l'autre, c'est la même inspira-
tion et la même intentionnalité.
Se basant sur les études de deux liturgistes anglicans, Ed-
mond Bishop et H. Connolly, dom Leclercq, dans son article du
Dictionnaire d'Archéologie Chrétienne et de Liturgie, croyait pou-
voir affirmer qu'en Occident la récitation des noms des vivants
paraît l'affaire importante tandis qu'en Orient on attache plus
d'importance à la liste des morts. Le savant auteur donnait com-
me explication le fait qu'en Occident c'est le peuple qui offrait
le pain et le vin du sacrifice, alors qu'en Orient cette coutume
était, à ce qu'il dit, tombé de bonne heure en désuétude (col.
1060). J'avoue mon étonnement car l'usage d'offrir le pain
comme le vin et l'huile, mais le pain surtout, est pratiqué de
nos jours encore dans les pays orthodoxes, alors qu'en Occi-
dent il a disparu vers le X'-XI' siècle (ibid., col. 1059) par suite,
on le sait, de l'obligation alors imposée d'employer le pain
azyme comme matière de l'eucharistie. Au surplus, encore aujour~
d'hui, dans l'orthodoxie les rubriques font lire les diptyques des
vivants aussi bien que des défunts, tant à la proscomédie qu'à
l'anaphore. Très honnêtement, d'ailleurs, le savant liturgiste
mentionne des témoignages qui semblent bien infirmer sa thèse:
pour la Syrie orientale la liturgie d'Addaï et Mari mentionne
le «livre des vivants et des morts» dont la lecture était faite
après le baiser de paix; la liturgie de Narsaï fait lire les deux
séries de noms, celle des vivants et celle des défunts, à la même
place, après le baiser de paix. Il est vrai que la liturgie décrite
par le pseudo-Denys ne connaît que la lecture des noms des
défunts, et de même S. Maxime de Constantinople, mais ce der-
nier se contente de gloser le premier et du pseudo-Denys on ne
connaît qu'une chose de certain: il n'était pas constantinopoli~
tain, encore que la liturgie de Constantinople se fût imposée
après S. Jean Chrysostome bien au-delà de la Nouvelle Rome.
Il n'est pas certes sans intérêt de noter qu'à Rome
s'était établi l'usage de faire lire les diptyques par le prêtre et
mentalement, alors qu'ailleurs en Occident: en Gaule, en Espa-
gne, en Grande-Bretagne on les lisait à l'offertoire, à haute voix,
même le dimanche. Charlemagne, maître et unificateur de J'Occi-
dent chrétien, a imposé en cette affaire aussi le modèle romain
226 ELIE MELIA

par son ordonnance de 789 (concile de Worms?), cano 54: "on


ne doit pas réciter publiquement les noms des vivants avant
la prière du prêtre» (cfr supra la lettre d'Innocent 1 à Decentius
d'Eugubium); la même disposition fut reprise au concile de
Francfort 794, cano 51: "Que les noms ne soient pas lus avant
l'offrande» (in HEFELE-LECLERCQ, Cancil., t. III, pp. 1031 et 1060).
Actuellement la situation des diptyques dans la liturgie or-
thodoxe est la suivante:
a) La proscomédie qui est commune à la liturgie de S. Ba-
sile et à celle de S. Jean Chrysostome, est constituée par la pré-
paration du pain et du vin en vue de la consécration, ainsi que
par la lecture des diptyques des Saints, des vivants et des défunts,
lecture accompagnée de l'extraction de parcelles de pain corres-
pondant à ces noms et disposées autour de l'Agneau, pain sym-
boliquement immolé et destiné à la communion. Panagiotis
Trembellas a édité les trois liturgies toujours en usage dans
l'Eglise orthodoxe, dans deux codices: N' 662 de la Bibliothè-
que Nationale d'Athènes, qui est du XII' ou XIII' siècle, et
N' 6277-770 du monastère Pantéléimon du XIV' siècle, ce dernier
composé par les soins de Philothée d'Héraclée, lorsqu'il était
hégoumène de la Grande Laure (At 't'pdç )..eLToupY[CCL XCCTeX TOÜÇ Èv
'A&~v"", "wa",,,,,, Athènes 1935). Dans le codex du XIV' siècle le
diacre joue un rôle assez important à la proscomédie: il lit les
diptyques et enlève lui-même les parcelles qu'il dispose sur la
patène; le prêtre le fait après lui, sans doute en conclusion.
Quoqu'il en soit, les fidèles apportent aujourd'hui encore des
pains: petits en Russie, grands chez les Grecs, et de l'argent,
accompagnant leur offrande d'une liste de noms des vivants et
des défunts pour lesquels des parcelles sont extraites et placées
sur la patène. Normativement le célébrant extrait et dépose sur
la patène des parcelles pour les autorités ecclésiastiques et
civiles.
h) A la liturgie des catéchumènes ou, si on préfère, de la
parole, après le chant du trisaghion (introduit à la messe à la
fin du V' siècle) on a une proclamation solennelle des noms de
l'évêque ou, si c'est l'évêque qui célèbre, du patriarche, ainsi que
de l'empereur ou du roi. La proclamation de leurs noms, avec
tous les titres qui s'y rattachent, est suivie de l'acclamation sous
forme de polychronion. Encore dans cette partie de la liturgie,
au cas où on fait mémoire des défunts - les dimanches et
LES DIPTYQUES LITURGIQUES 227

fêtes étant exclus - on place une litanie, une prière et un


ecphonèse pour les défunts nommément désignés: cet ensemble
s'insère avant la litanie et la prière pour les catéchumènes et
leur renvoi. C'est là un premier moment où les laïcs, même ceux
du rang, ont droit à une commémoration solennelle.
c) A la liturgie des fidèles, le rite de l'offertoire est intro-
duit par le très solennel transfert des dons, de la prothèse à
la table d'autel. La solennité de cette grande-entrée est actuel-
lement focalisée par le chant des chérubins, mais cette hymne
n'a été introduite qu'au VI' siècle: l'essentiel est bien la procla-
mation des diptyques de l'évêque (du patriarche d'abord, si
l'évêque célèbre), du chef de l'Etat, des fondateurs (xTm;'pEç)
et des bienfaiteurs (EOEP1'e.E'Ç), de l'église où on célèbre, ainsi
que d'autres noms ad libitum du supérieur.
d) Les diptyques des vivants et des défunts sont lus par le
prêtre à la suite de l'épiclèse, dans la grande prière d'interces-
sion, où ils sont intégrés après l'invocation secrète des catégo-
ries de Saints, l'invocation solennelle de la Théotokos et celle,
secrète de nouveau, du Précurseur, des Apôtres et du Saint du
jour. A la fin de la prière d'intercession on reprend la procla-
mation solennelle de l'évêque du lieu et, globalement, de tout
l'épiscopat orthodoxe. La liturgie de S. Basile place, à la suite,
une nouvelle lecture des diptyques des vivants.

v - FONCTION ECCLÉSIALE DES DIPTYQUES

La récitation des diptyques, c'est-à-dire la prière litanique


0
nominative, remplit une double fonction dans la liturgie: 1 elle
permet une prière personnalisée et interpersonnelle dans la
communion des saints; ce sens à la fois personnel et commu-
nautaire, est une expression authentique de la nature de l'Eglise;
0
2 la deuxième fonction consiste en un témoignage d'orthodoxie.
On l'a vu, l'Eglise ancienne n'admettait pas à l'eucharistie, et
déjà à l'offertoire, non seulement les hérétiques, mais égale-
ment les catéchumènes et ceux de ses membres qui se trou-
vaient sous le coup d'une privation de la communion.
On peut prier chez soi ou à part soi, à titre individuel, pour
qui on veut. Les pères spirituels ont prié pour les bêtes, nos
frères mineurs. Mais lorsque le célébrant lit les diptyques, c'est
228 ELIE MELIA

l'Eglise tout entière qui est signifiée. En même temps que d'une
mutuel1e intercession, il s'agit d'un prise de conscience par
l'Eglise de son identité et de sa vocation spécifique. La prière
de l'Eglise, convoquée par le Seigneur, rassemblée par l'Esprit,
à la liturgie, est celle de tous les frères qui, ensemble, prient
pour " ceux qui ne sont pas encore de cette bergerie, afin qu'il
n'y ait qu'un seul troupeau et un seul pasteur» (Jo 10, 16). Il y a
là deux mouvements principaux d'une même symphonie. En
manquant le premier mouvement on mutile l'Eglise, on diminue
l'énergie des frères qui participent à la liturgie; en manquant
le deuxième, on rend l'Eglise stérile. C'est vrai aussi pour l'oecu-
ménisme: il faut se méfier d'une tolérance tout extérieure qui
consiste surtout à outrepasser les canons et les rubriques, com-
me s'ils étaient non les suites mais les causes des ruptures.
Une prière « oecuménique» est possible, même à la liturgie
eucharistique, mais il convient d'établir des modalités qui ne
détruisent pas certaines équilibres et ne portent pas atteinte à
une certaine intégrité (horresco referensJ). S. Paul avait toutes
les audaces de la vraie charité, mais jamais au détriment de la
vérité; il voulait être damné pour ses frères de race (Rom 9,3),
mais il n'édulcorait pas, à cet effet, son message essentiel. On
peut donc intégrer dans les diptyques, dans les "intentions »,
avec audace et confiance, les frères chrétiens et tous les frères
humains, car tous ont un même Père, tous ont vocation de deve-
nir enfants de Dieu: la limite me paraît être la proclamation
solennelle des noms à la liturgie. L'élément de "publicité », si
on ose employer ce mot galvaudé, ne doit pas être considéré
d'un point de vue purement prudentieI, ce que le langage de la
théologie morale catholique appelait scandale, mais d'un point
de VUe objectif et sacramentaire 5.
Je me permets une dernière observation qui est ponctuelle
et intéresse sans doute les seuls orthodoxes: elle concerne la

5 Le décret de la Congrégation de la Doctrine de la foi du 9 juin 1976. publié


le 16 septembre, allie les deux points de vue. Ayant admis la possibilité de
déroger au cano 1241 qui interdit les messes publiques pour ceux qui sont
décédés hors de la pleine communion avec l'Eglise catholique, à condition que
ces messes, maintenant autorisées, soient" explicitement demandées ... pour un
motif authentiquement religieux» et "que, au jugement de l'ordinaire, il n'y
ait pas de scandale pour les fidèles"; «on peut, dans ces cas, célébrer la
messe publique, à condition toutefois que le nom du défunt ne soit pas men-
tionné dans la prière eucharistique, cette mention supposant une pleine com-
munion avec l'Eglise catholique". Cfr revue Unité des Chrétiens, nO 25. janvier
1977, Paris.
LES DIPTYQUES LITURGIQUES 229

proclamation liturgique de l'autorité ecclésiastique. L'observance


de la rigueur liturgique est, ici comme souvent, un bon garde-
fou: elle consiste à faire proclamer par le prêtre le seul nom
de l'évêque dont il a reçu délégation en recevant l'antimension;
c'est à l'évêque qu'il appartient de proclamer le nom du pa-
triarche dont il relève selon la délimitation territoriale, seule
normative, des Eglises locales. Des dérogations ne devraient être
accordées, ici, par l'évêque compétent qu'exceptionnellement,
selon le principe de l'économie car il n'est utile pour personne
d'éparpiller les centres de décision et de prendre le risque d'in-
troduire le désordre.

Elie MELIA
QUELQUES IMAGES RELATIVES À LA CÉLÉBRATION
PRIMITIVE DE LA CINQUANTAINE PASCALE

Il paraît normal de se pencher sur l'histoire de l'iconographie


de la Pentecôte dans le cadre du thème général de notre congrès.
En effet, les icônes des Fêtes sont, selon un théologien orthodoxe
contemporain, « l'expression picturale de la Tradition sacrée de
l'Eglise, vivant dans la Sainte Ecriture et dans les textes litur·
giques » 1. L'Eglise dans la liturgie» signifie donc aussi, pour
c(

les orthodoxes, «l'Eglise dans la tradition iconographique", et


ceci est particulièrement vrai de l'icône de la Descente du Saint·
Esprit sur les Apôtres, image de la naissance de l'Eglise.
La première représentation connue ayant comme unique
sujet la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres se trouve sur
une icône généralement datée du VII' siècle' et conservée au
Monastère Sainte·Catherine du Mont Sinaï. Toutes les autres
représentations connues de ce que deviendra très vite l'icône
canonique de la Pentecôte, datent de l'époque post·iconoclaste.
Puisque j'ai déjà esquissé l'étude de l'origine et de la signification
de cette iconographie ailleurs, permettez-moi de vous parler
aujourd'hui d'une autre et plus ancienne façon de figurer la
7tEVTI)<o,:n~. On pourrait appeler cette iconographie paléochré·
tienne, et ceci moins de par la datation des monuments parvenus
jusqu'à nous, que de par les pratiques liturgiques qu'elles reflè·
tent. Il s'agit, comme souvent à l'époque envisagée, d'une ico·
nographie tâtonnante, combinée ou même simplement greffée

1 L. OUSPENSKY, «Quelques considérations au sujet de l'iconographie de la


Pentecôte n, in Messager de l'Exarcat du Patriarche russe en Europe Occidentale
nO 33-34, janvier-juillet 1960, p. 61.
2 L'attribution de cette icône à la seconde moitié du IXc, voir début xe siècle,
proposée récemment par Kurt Weitzmann dans «The Monastery of St. Cathe-
rine at Mount Sinaï, vol. One: The Jcons, Icon 45, pp. 73-76. ne nous paraît
pas entièrement convaincante.
232 NICOLAS OZOLINE

sur d'autres thèmes. Elle devint d'ailleurs caduque dès que la


célébration séparée de l'Ascension quarante jours après Pâques
et de l'effusion du Saint-Esprit le cinquantième jour, commença
à se généraliser - donc dès la fin du IV· siècle.
Autrement dit, je tâcherai de montrer qu'avant même la
création de J'image de la Descente du Saint-Esprit sur les Apô-
tres, qui fut sans aucun doute un pas décisif dans l'approfon-
dissement et l'expression du mystère de l'économie de la troisième
Hypostase Divine, il y avait eu une autre iconographie qui consti-
tuait comme un résumé du contenu de la célébration primitive
de la cinquantaine pascale en tant que « nlagna dominica» et
"laetissimum spatium », et qui reflétait l'unité intérieure de
cette célébration. Son intérêt consiste précisément dans ce fait.

* * *

Commençons donc par un bref rappel du contenu de cette


célébration primitive de la cinquantaine pascale.
On sait que les premières générations chrétiennes ne con-
naissaient pas d'autre solennité que celle du {( Huitième Jour »,
du "Jour du Seigneur ». Or, au cours du III" siècle nous par-
viennent des principales églises du monde chrétien les échos
d'une célébration annuelle débutant par un jeûne rigoureux
suivi d'une Eucharistie solennelle, qui, elle, inaugurait une perIO'
de festive de sept semaines, le "laetissimum spatium» de la
cinquantaine pascale '.
Voici par exemple ce que dit, au début du III' siècle, Hip-
polyte de Rome, en parlant des périodes de l'année qui renvoient
conlme à un ll10dèle au Sauveur lui-même: {( à Pâques, afin
qu'Il se montre comme celui qui doit être inl1llo1é à la manière
d'un agneau .. ' à la Pentecôte, afin d'annoncer le royaume des
cieux, montant Lui-même le premier aux cieux et offrant l'homme
en présent à Dieu» 4 •

3 Comme introduction à la problématique de la pentecôte primitive, voir


l'excellent article du Chanoine A. ROSE, « Aspects de la Pentecôte» dans «Les
Questions liturgiques et paroissiales », Louvain, 1958, nO 2.
4 Fragment conservé par Théodoret de C:vr, a: Elç "t"ov "EÀxlXvlXv XlXt e:lç
"t"~v "AvvOtvlI 4, ed. G. BoxwETscn-A. ACHELTS (GCSr, 2) 1897, p. 122. Cité par
R. Cabié (voir note suivante), p. 53.
ICONOGRAPHIE DE LA CINQUANTAINE PASCALE 233

Comme le remarque le père Robert Cabié, qui a étudié en


détails l'évolution de la cinquantaine pascale au cours des cinq
premiers siècles, ici « la Pâque n'évoque nullement le mystère
de la Résurrection du Seigneur, mais celui de son immolation,
selon le texte de la Première Epître aux Corinthiens (V, 7).
C'est la ite:VTYjX.O(jt"~ qui exprime son exaltation et ce genre d'op-
position suffit, semble-t-i1, à écarter l'interprétation qui com-
prendrait ce terme comme désignant le dernier jour du Temps
pascal. On peut être surpris que l'ascension apparaisse ici comme
le thème essentiel de la célébration de la Cinquantaine. C'est,
au fond, l'exaltation du Kyrios à laquelle la célébration nous fait
participer, qui constitue le noeud autour duquel s'ordonnent tous
les éléments exprimant la richesse du mystère rédempteur. Le
contenu de la fête n'était donc pas seulement la résurrection
du Seigneur, mais aussi toutes ses manifestations: apparition
aux disciples, ascension, envoi du Paraclet, retour du Sei-
gneur, etc ... » 5.
Cette période des cinquante jours après Pâques était alors
célébrée comme un ensemble, comnle l'unique jour de la « magna
dominica ,,'. Au III' siècle c'est la seule solennité de l'année
liturgique. Elle célèbre, tout comme chaque dimanche, le mystère
du Salut en Christ dans sa totalité, dans le sens de l'hymne
christologique de Philippiens II, 6-11, où la kénose et l'obéissance
jusqu'à la Croix sont, dans un sens très johannique, incorporées
dans le mouvement de la montée rédemptrice vers le Père qui
culmine dans la confession universelle de Jésus comme Kyrios
à la gloire de Dieu le Père.

5 R. CABIÉ, La Pentecôte. L'évolution de la cinquantaine pascale au cours


des cinq premiers siècles, Tournai 1965, pp. 53 et 55.
6 Notons ici que cette unité foncière de la cinquantaine pascale est préser-
vée dans une large mesure dans la pratique liturgique actuelle de l'Eglise Ortho·
doxe. Il y a d'abord le [ait du 7t"e:V"n'lKOO""t"&p~ov lui-même, ce livre qui contient
tous les textes liturgiques de cette période «en commençant par le matin du
saint et grand Dimanche de Pâques et jusqu'au Dimanche de tous les Saints D
(octave de la Pentecôte), comme il l'est écrit tout au début.
Puis, il y a la lecture des Actes et de l'Evangile selon Saint Jean, reflet
de l'antique coutume de la « lectio continua D. Il y a la Fête de la Mi-Pentecôte,
la I!-LEOO7t"e:V't'1'jKOcnljXl, avec sa mystagogie johannique et son iconographie parti·
culière: cette fête, dont il faudrait accentuer le rayonnement dans la vie litur-
gique de nos paroisses.
Il y a la prière debout pendant toute la cinquantaine jusqu'aux vêpres du
dimanche de la Pentecôte avec la cérémonie d<l ta YOVUx).LOLOC, la génuflexion.
Tous ces éléments, pour ne nommer que les plus marquants, maintien-
nent l'unité intérieure de cette période qui, malgré les célébrations supplé-
mentaires, est ressentie comme une entité bien distincte par les fidèles.
234 NICOLAS QZQLTNE

Arrêtons nous ICI un instant. Imaginons que quelqu'un


aurait voulu illustrer cet hymne christologique. Son attention
aurait été sans aucun doute retenue par les deux faits fonda-
mentaux du texte. D'une part, la kénose de la condition humaine
qui va jusqu'à la mort sur la croix, et d'autre part l'exaltation
au plus haut des cieux de Jésus Christ, Seigneur glorifié. Réunir
ces deux extrêmes dans une même image, semble impossible,
et pourtant les artistes paléochrétiens l'ont réussi en créant ce
que Friedrich Gerke appelait naguère «die grossen Gedanken-
bilder »7 et André Grabar avec plus de précision «la représen-
tation des dogmes par image juxtaposées» '. Selon ce procédé,
telle ou telle vérité de la foi chrétienne n'est pas représentée par
une scène historique, « mais à l'aide de deux ou plusieurs images,
qui sont juxtaposées et groupées d'une manière spécifique et
qui doivent être comprises en fonction de cette relation» 9.
Pour réunir en une seule image les deux thèmes indiqués
plus haut, il faudrait donc recourir à une composition à deux
registres avec d'une part une figuration typologique de l'incar-
nation ou plus simplement de la croix, et d'autre part, l'exaltation
céleste du Christ en gloire selon la formule iconographique
orientale de l'apothéose du xocrl1-oxprhop ".
Permettez-moi de vous montrer deux images qui ont été
composées exactement suivant ce procédé. Les deux images se
trouvent sur les fameuses ampoules de Terre Sainte, qui datent
toutes du VI' siècle, conservées dans les trésors de l'ancienne
Abbatiale Saint Colomban de Bobbio, et de la Collégiale Saint
Jean de Monza.
Voici comment Monsieur Grabar, qui a étudié ces ampoules
dans une publication célèbre ", décrit la première de ces images:

7 Spi:ltantike und frühes Christenlum, p. 140.


BA. GR-\B:\R, Christian Iconography, chap. VI.
9 Ibid., p. 132. Voir aussi p. 144: «iconography rises herc to the level of
theological commentarv. For this task .. . new matcrial procedures were em'olved:
physical juxtaposition- of the images which were to be cOffipared: rcpetition
of the same dimensions, proportions and arrangement for thesc juxtaposed
images, and use of meaningful delaîls to augment thc resemblance )l.

HI Soit dans le "cosmic clipeus)} soit sur le "hcavenly throne chariot»


êtudiê par H. P. L'ORAXGE dans Studies on lhe /cJlwgraphy of Cosmic Kingship
in the allcient world, Oslo 1953, chap. 11 et 15 a.
11 A. GRo\..B:\R, Les Ampoules de Terre SabHe - Monza, BJbbio, C. KIinck-
sieck, Paris 1958, pp. 33-34.
ICONOGRAPHIE DE LA CINQUANTAINE PASCALE ?35

«Christ en Majesté. Adoration de la croix. Apôtres. Dans un


cadre circulaire bordé de "perles", Christ trônant dans une
mandorle-bouclier, porté par des anges volants. Le Christ a
une barbe, de longs cheveux, un nimbe crucifère; il bénit et tient
un livre fermé, marqué d'une croix. Le siège n'est pas représenté,
sauf le suppedaneum. Etoiles sur le bouclier-auréole autour du
Christ. Sous cette figure, croix adorée par deux anges symé-
triques, debout, qui tendent vers elle leurs mains couvertes
d'un pan de leur manteau. La croix est faite de troncs de pal-
miers; elle porte en haut une double barrette transversale et
fixée en bas à l'aide de quatre coins au sommet d'un tertre
arrondi. Je crois reconnaître deval1t ce petit monticule J'indica-
tion de sources dont les eaux se répandent des deux côtés.
Autour de cette scène centrale, frise annulaire avec douze
médaillons qui renferment les bustes des douze apôtres ".
Peut-on ne pas penser à l'hymne christologique de Philip-
piens II en regardant cette image?
Voici maintenant la deuxième image ". Il s'agit de nouveau
d'une composition à images juxtaposées, dont le registre su-
périeur reproduit celui de l'image précédente. Dans le bas, la
Mère de Dieu en orante vient remplacer la croix de l'image
précédente. Au dessus de la Mère de Dieu nous voyons une
immense étoile qui est flanquée des personnifications du soleil
et de la lune, en buste, qui portent des torches allumées. La
Mère de Dieu se trouve placée entre deux personnages accom-
pagné chacun par un ange. Celui de droite (qui se trouve donc
à la gauche du spectateur) est Saint Jean Baptiste. Il fait le
geste de l'allocution. Ce qu'il dit est écrit sur le phylactère qu'il
tient dans sa main gauche: «Voici l'Agneau de Dieu qui ôte
les péchés du monde" (Jean l, 29). En face, se trouve un person-
nage barbu aux cheveux longs, facilement identifiable comme
un prêtre vétérotestamentaire grâce au vêtement sacerdotal
retenu par une fibule ronde sur la poitrine et à l'encensoir qu'il
agite de sa main droite ". Chaque groupe latéral du registre

12.Bobbio nO 20 selon la numération de A. Grabar: ibid., planche LIlI.


13 Selon Monsieur Grabar, il s'agit de Zacharie, père du Précurseur, mais,
selon les données iconographiques, il pourrait s'agir également d'Aaron ou de
Melchisédech (voir les représentations d'Aaron et de Zacharie à Daphni et de
Melchisédech à Santa Maria Maggiore et à Saint Vitale à Ravenne). C'est cette
image du choeur de Saint Vitale, où Melchisédech est représenté en liturgc près
236 NICOLAS OZOLINE

inférieur (c'est-à-dire le Baptiste et l'ange qui l'accompagne,


puis le prêtre et l'ange derrière lui) est comme relié à la man-
dorle du Christ par cinq rayons ".
On pourrait, d'après Monsieur Grabar, désigner la signifi-
cation de cette image « par le terme théologique de la Rédemp-
tian» ". Selon lui, «le groupe qui comprend la Vierge orante
sous l'étoile, et celle-ci dominée par le Christ en gloire au ciel,
représente symboliquement le mystère de l'Incarnation. Les
paroles de Saint Jean reproduites sur le phylactère qu'il tient
le confirment, tout en insistant sur l'oeuvre de Rédemption qui
s'accomplit par cette incarnation du Logos» 16,
Cette interprétation rejoint parfaitement ce que nous avons
dit plus haut sur une composition à deux registres montrant
dans la partie inférieure soit la croix soit une figuration du
thème de l'incarnation. Nous pouvons donc conclure que dans
les deux cas il s'agit d'une composition qui résume la rédemption
en Christ, et qui se trouve complétée dans le cas de la première
image par le thème de l'Eglise grâce aux médaillons des douze
apôtres.
En tenant compte de tout ce qui a été dit plus haut, et
en l'appliquant littéralement aux deux images que nous venons
de voir, on pourrait dire qu'elles reflètent clairement le contenu
de la célébration primitive de la «magna dominica» avec son
leitmotiv de la contemplation du Christ Seigneur dans la gloire
du Père. Dans ce sens bien délimité, elles pourraient donc déjà
être considérées comme des inlages «pentecostales»,

d'un autel en face d'Abel qui lèYe l'agneau du sacrifice vers le ciel d'où bénit
la main divine, Qui permet peut-être de voir dans le prêtre non pas Zacharie,
dont la signification typologique est relativement modeste, mais Melchisédech.
Cette interprétation pourrait s'appuyer en Qutre sur la théologie de l'Epîtrc
aux Hébreux où le thème du Christ «prêtre pour l'éternité selon l'ordre de
Melchisédech» est largement développé. Ccci s'accorde particulièrement bien
avec l'exaltation céleste du Christ, que représente la mandorle portée par des
anges, puisqu'il y est question du Christ grand prêtre « élevé plus haut que
les cieux 1> (VII,26) et «assis à la droite du trône de la Majesté dans les
cieux» (VIII,!).
14 Ces rayons sc terminent près des têtes par des [ormes qui font penser
aux «langues de feu» de la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres. Serait-cc
déjà une évocation de l'effusion de l'Esprit S;.lÎnt? Une réponse affirmative à
cette question supposerait que le registre supérieur avait déjà été utilisé dans
d'autres compositions où le registre inférieur était occupé par deux groupes
d'apôtres comme dans les Ascensions-Pentecôtes (voir infra).
15 A. GRABAH, Ampoules ... , p. 44.
16 Ibid., p. 61.
__________I_C~O~N~OG~R=A~P~I~{I~E~D=E~L=A~C~I_N~Q~U_A_N_T_A_I_N_E__P_A_S_C_A_L_E________-=237

Ceci dit, je me hâte de préciser que je préfère leur refuser


cette qualification pour la simple raison gue, bien que le thème
de l'Eglise soit clairement évoqué, il n'y a pas d'allusion assez 17
explicite à l'effusion du Saint-Esprit. Or, cet événement est in-
dissolublement lié à la célébration de la Pentecôte et devient
même, comme on sait, dès le début du V· siècle, son sujet prin-
cipal.
Fermons donc définitivement les parenthèses sur ces deux
compositions trop exclusivement christologiques pour pouvoir
prétendre à une signification « pentecostale» au sens plein
du mot.

Comme le dit clairement Saint Pierre le jour même de la


Descente du Saint-Esprit (Actes II), le Père n'a pas seulement
ressuscité et élevé Jésus par sa droite 18, Inais il l'a mis encore
en possession de l'Esprit Saint, que Jesus ainsi glorifié a répandu.
Autrement dit, l'élan de la montée de Jésus vers son Père, qui
commence avec la Passion, ne s'arrête pas avec l'Ascension,
mais entraîne selon la promesse même du Père l'effusion du
Saint-Esprit. Sur ce point Actes II et Jean XX et toute la tradition
ultérieure sont unanimes.
Comme Monseigneur Cassien l'avait souligné avec force:
« Saint Pierre dans son discours de la Pentecôte fait dépendre
la venue de l'Esprit de la glorification de Jésus (Actes II, 33). Il
fut élevé au ciel par la droite de Dieu après avoir été attaché
sur la croix, mis à mort et ressuscité. Or, dit Monseigneur
Cassien, nous avons vu que le verbe &1tt),BOl (que je m'en aille)
dans les discours après la Cène (Jean XVI, 7) devait être inter-
prété dans le sens de l'anabase de Jésus qui s'accomplissait
dans sa mort, sa résurection et son ascension, et qui était la
condition de la venue du Paraclet. Nous avons cité aussi le
commentaire de l'Evangéliste dans Jean VII, 39. Dans ee com-
mentaire l'Esprit n'était pas encore venu "parce que Jésus n'avait

17 Même si nous admettons l'interprétation des rayon:,; comme «langues de


feu» dans Bobbio 20 (voir note 1. p. 9), l'évidence interne de l'image laisse à
désirer.
18 Le aÔrrEpuY!IJO'EVl) de Philippiens II, fait penser au a-rij aEI;L~ 't'oü .&EOÜ
&jJ!IJ.&etO;'J des Acles II,33.
238 NICOLAS OZOLINE

pas encore été glorifié". Cette note anticipant sur la doctrine


des discours après la Cène fait dépendre, de même que l'allocu-
tion de Saint Pierre, la venue de l'Esprit de la glorification
de Jésus. La coïncidence entre les paroles de Saint Pierre et
l'enseignement du quatrième Evangile est parfaite» 19.
Ainsi, nous voyons que la célébration primitive de la Pente-
côte trouve son fondement dans les écrits néotestamentaires,
et n'en est au fond qu'une transposition liturgique. Cette célé-
bration introduit la communauté dans la gloire acquise par
son Chef, parce qu'elle reçoit de Lui le don de l'Esprit.
« Dans la 1t'E')TfJXOO"'t"~ primitive aucun jour, semble-t-il, n'était
privilégié. Mais il était normal qu'on vînt rapidement à solenniser
la clôture de ce temps de fête. Cela était d'autant plus facile que
la fin du "laetissimum spatium" coïncidait partout avec un
dimanche ... Toutefois, ce n'est pas d'une manière uniforme et
toute semblable que les diverses Eglises ont mis en relief le
dernier jour de la Cinquantaine}) 20,
Au cours du IV' siècle à Constantinople et à Rome, le cino
quantième jour clôt explicitement la 7tEVTI}XOcrT'~ par la venue de
l'Esprit. « IIE')T1jxoO'TIJv Éop't"&.~0I-LE'I xcd ïtVE";!-LtY..'WÇ È:7t~a"fj!.ûoclJ », s' excla-
me Grégoire de Naziance en 379 à Constantinople ".
Par contre, en Palestine, selon Eusèbe, et à Edesse en Syrie
selon la « Doctrine Addaï» 22, le cinquantième jour «vient scel-
ler », comme dit Eusèbe, la 7tEVTI)"OcrT+, par la célébration solen-
nelle de l'Ascension du Christ 23.
" Il faut donc admettre, conclut le Père Cabié, que la fête
de clôture du temps pascal n'est autre que celle qui commémore

19 Archimandrite CASSIEN, La Pentecôte Johanniqtle, Valence sur Rhône, 1939,


pp. 35·36.
op. cil., p. 117.
20 C.-\BIÉ,
21 P.C. 36, c. 436. Pour la célèbre miniature de la Descente du Saint-Esprit
sur les Apôtres avec la première représentation des y).waa:~ et qn).,a:( qui ac-
compagne cette homélie dans le Par. Grec. 510, voir notre remarque dans
«L'icône, analogie et complémentarité de l'image par rapport au geste ct à la
parole liturgique », dans «Gestes et paroles dans les diverses familles liturgi-
ques », C.L.V. - Edizioni Liturgiche, Roma 1978, pp. 186-187.
22 W. Cl:RETON, Ancient Syriac documents relative ta the earliest establishment
of C/lristial1ity in Edessa ~nd the neÎgl1bouring cOlmtries from the year after
our Lord's Ascension to the beginnil1g of the fourth cent ury, London 1864, p. 27:
canon 9 - "De plus, les apôtres établirent qu'à l'accomplissement des cinquante
jours après sa Résurrection, on ferait la commémoration de son Ascension
\'ers son Père glorieux », cité par CABIÉ, op. cit., p. 131.
23 De Solemnitate Paschali, 3, P.C. 24, c. 700; (-riJ'II lt'oc'lléop't"o'll 1jflépoc\l 't"liç-
XpLa60ù &\locÀ1j~E'(!lç É1t~C'qJpo:y(t:E't'OC~J.
_ _ _ _-.::ICONOGRAPHIE DE LA CINQUANTAINE_P_A..::S--=C~A=L=E,---_ _ _-=2:::3:-9

la montée au ciel de notre Seigneur, sans exclure d'ailleurs la


mémoire de J'effusion de J'Esprit. Ou plus exactement, c'est
toujours l'ensemble de la "Pentecôte" qui célèbre ces mystères,
mais le dimanche qui la termine prend un relief particulier: il
vient comme résumer, "condenser", si l'on peut dire, en une
journée la signification mystique des cinquante jours. C'est ce
qu'évoque l'image de la crrppay(ç qui, comme une signature au bas
d'un document, ratifie, confirme, scelle toute la période pascale.
Si l'Ascension y est particulièrement évoquée, c'est qu'elle sem-
ble exprimer l'idée dominante de la 7tEVTI)"OcrT~: glorification et
exaltation du Sauveur auxquelles toute l'Eglise participe" ".
Comme cela vient d'être dit, cette dominante n'exclut nullement
la commémoration de l'effusion du Saint-Esprit ".
Il me semble que c'est très précisément cette pratique
syro-palestinienne d'une célébration commune de la montée au
ciel du Seigneur et de l'effusion du Saint-Esprit, comme elle
est attestée par Eusèbe et la "Doctrina AddaÏ", puis décrite
avec quelques modifications'" au début du V· siècle, par Ethérie
dans son" Journal de Voyage" 27 qui a engendré une iconographie
propre à ce mode local de célébration.
En l'absence d'un terme consacré, j'appellerai cette représen-
tation une ({ Ascension-Pentecôte », puisqu'elle réunit les deux
événements dans une seule inlage.
Mais avant d'envisager l'ascension-penteoôte proprement
dite, jettons un coup d'oeil sur ce qu'on appelle d'habitude" la
scène historique de l'Ascension ". Les ampoules de Monza et de
Bobbio en comportent justement les premiers exemples connus
et en attestent du même coup J'origine palestinienne.
Voici le revers de l'amopule Monza 1'". Remarquons tout
de suite que le principe de composition est strictement le même

24 CABIÉ, op. cit., p. 130.


25 Selon Emmanuel Pataq Siman, théologien de tradition syriaque, cette
célébration commune de l'Ascension et de la Descente du Saint-Esprit sur les
Apôtres «pourrait puiser sa source dans le texte des Ephésiens IV,7-12 ~'. Re-
marquons qu'une fois de plus le don de l'Esprit qui réalise l'unité ecclésiale
dans la diversité des vocations est présenté «comme le fruit immédiat de
l'exaltation du Sauveur à la droite de la Divinité ». El11.manuel PAnQ STMAN:
L'expérience de l'Esprit par ['Eglise d'après la Tradition Syrienne d'Antioche,
Beauehesne, Paris 1971, p. 39.
2e Les modifications indiquent déjà nettement la direction que prendra
l'évolution ultérieure de la célébration.
27 ETHÉRIE, Journal de v.Jyage, Sources Chétiennes 21, Paris 1948, pp. 249 et 251.
211 A. GRAB!\R, Ampoules, ibid., planche III.
240 NICOLAS QZOLINE

que dans les images précédentes. Dans le registre supeneur, le


Christ trône entouré d'une mandorle portée par quatre anges.
Dans le registre inférieur la place de la croix vénéreé par les
anges de la première image, est de nouveau occupée par la
Mère de Dieu entourée cette fois de douze apôtres, donc SI Jose
dire «l'instrument" et les témoins les plus directe de l'Incar-
nation.
A ce sujet il est important de rappeler trois fresques absidales
coptes provenant des célèbres chapelles de Bawit qu'on date
généralement du VIr siècle. Elles montrent des variantes signi-
ficatives dans le registre inférieur des théophanies-ascensions 29.
Les variantes qui nous intéressent en ce filoment concernent
la représentation de la Mère de Dieu au milieu des apôtres, et
elles viennent toutes confirmer que, outre sa présence historique
probable 30 lors de l'Ascension, la Vierge se voit attribuer cette
place de par son rôle décisif dans le mystère de l'Incarnation"
et non COlllme « figure », « allégorie» ou « symbole» de l'Eglise
comme cela a été trop souvent dit.
Voici l'abside de la chapelle 46 de Bawit ". Il s'agit du type
le plus événementiel et vraisemblablement le plus ancien de
l'Ascension 33. La Vierge ne regarde pas droit devant elle, mais
lève la tête vers le ciel et fixe d'un regard presque extatique
l'immense figure de son Fils en gloire. L'accent est donc mis
sur le fait historique qu'elle est témoin de l'événement.

29 Nous en avons indiqué plus haut d'autres variantes plus abstraites, comme
Bobbio 2 et 20 qui, chronologiquement, les ont précédées.
30 Il faut noter que cette présence n'est pas signalée par les sources ca-
noniques.
:ll A. GrabaT" insiste avec raison sur le lien de ces représentations absidales
avec la célébration eucharistique: «It is understandable, too, why this kind of
composition was usually placed in the apse of a church or chapcl; it is because
the idea of the Incarnation was closely tied to the sacrament of communion,
celebrated before the apse. The communion presupposes Incarnation and ex-
plains the frequency of the image of Mary in the apse. In sorne of the absidal
paintings in Bawit, the idea of communion is rendered especially emphatic,
as for example, in chapel 51, where the chief apostles, plaecd above the others,
are shawn holding the chalke and Eucharistie bread: here the allusion to
communion is direct and evident. But in fact, the presence of the Mother of
God with the Child (or as Orant) said the same thing: Incarnation and Com-
munion, the second bcing a function of the first »: Christian Iconography,
ib., p. 134.
32 A. GRAB.\R, Chrislian lconography, image nO 325.
33 On trouve ce type aussi sur quelques ampoules de Terre Sainte (Monza,
14 rcv. et 16 rev.; Bobbio 13 et 19) et sur une icône du Sinaï (WEITZ.r..·IAK, ibid.,
p. 31, kon. BIO, plates XIII, LV-LVI), avec la différence que là, elle ne lève
pas seulement la tête, mais elle est tournée cntièrement vers la droite et se
trouve ainsi représentée tout en profil, comme absorbée par sa vision.
ICONOGRAPHIE DE LA CINQU.4NTAINE PASCALE 241

Regardons maintenant la chapelle 17 M. Cette belle fresque


montre une Vierge Orante de face, qui tout comme les apôtres,
alignés à ses côtés, regarde droit devant elle. Notons que nous
voyons pour la première fois les «deux hommes vêtus de
blanc" de Actes l, 10 35. En ce qui concerne le registre inférieur,
il s'agit donc ici d'un des premiers exemples du schéma classique
de l'Ascension.
Et voici la fresque de la chapelle 42 "". Non seulement la
Mère de Dieu ne regarde pas le ciel, mais encore elle est assise
sur un trône, tient son Fils dans ses bras 37 et - comble de
réalisme symbolique! - l'allaite. Peut-on aller plus loin dans
l'évocation de la réalité de l'économie dans la chair du Verbe?
En revenant à l'ampoule Monza l, je voudrais ajouter que,
sans vouloir en rien diminuer le caractère historique de la
représentation de l'Ascension comme telle, il me paraît certain
qu'à la base de l'articulation picturale de cette composition se
trouvait, pour ainsi dire comme « l11atière première », le vocable
iconographique courant" de la théophanie avec figuration des
témoins qui l'acclament. Il faut noter à cet égard «les deux
apôtres qui montrent la vision et tournent la tête vers leur
voisin, ainsi que le mouvement de l'apôtre, qui, vu de profil, tend
les deux bras vers le Christ; un apôtre lève la main droite
et en même temps, avec l'autre main, protège ses yeux de la
lumière intense de la vision divine» 39.
Mais il y a plus encore! Nous avons tellement l'habitude
des cc douze apôtres» que nous ne réagissons même plus quand
nous les voyons là où ils ne pouvaient être que onze 40, c'est à

34 A. GRABAR, Christian Icollography, image nO 323.


35 Celui à la droite de la Vicrge tient une grande clef dans sa main gauche
et présente par ailleurs les traits typiques de Saint Pierre. Les deux tiennent
un livre. L'artiste n'a-t·il pas suivi des modèles plus anciens, où les «deux
hommes en blanc» ne figuraient pas, en vêtant tout simplement de blanc les
deux apôtres du milieu sans les modifier autrement et en ajoutant deux apôtres
à chaque extrémité des deux rangées?
3~ A. GH:\ll.-\R, Christian lcanography, image nO 324.
37 Celui-ci se trouve ainsi représenté une deuxième fois dans la même com-
position.
38 Sur la notion de (( vocable iconographique» voir A. GR . \BAR, Christian lco-
l1ography, pp. XLI-L, et notre article cité plus loin, note 67.
39 A. GR.-\"BAR, Ampoules ... , ibid., p. 17.
40 Il est curieux de noter que sur l'ampoule Bobbio 18, on ne compte que
onze petites figures dans le registre inférieur de l'Ascension, sans que celle
du milieu soit une Orante. Pour autant que je sache, il s'agit là d'un hapax,
dû sans dout~ au manque de place et à l"exécution grossière de l'image.
-::c'4-'-2=-___________.:cN"I::::-COLAS OZ"LIN_E_ _ _
------

dire au moment de l'Ascension du Christ avant l'élection de


Matthias (Actes I, 15-26). Or, nous voyons ici le nombre histo-
riquement incorrect de douze apôtres. De plus, celui qui y figure
comme douzième ne pouvait aucunement être présent ce jour-là,
puisqu'il s'agit de Saint Paul. Dans notre image, nous le voyons
à sa place habituelle en face de Saint Pierre, à la gauche de la
Mère de Dieu. Il tient un codex, signe dc son abondante activité
épistolaire.
Sa présence ici ne saurait être un hasard, ne serait-ce que
parce que nous retrouvons Saint Paul dans la quasi totalité des
images et icônes de l'Ascension. La signification de cette présence
paraît d'ailleurs parfaitement claire. Dans le registre inférieur
de cette théophanie, l'artiste n'a pas seulement voulu représenter
les témoins oculaires et historiques de l'évenement (notons que
les" deux hommes vêtus de blanc" [Actes I, 10] ne figurent pas
ici), mais il a élargi la portée de l'image par une évocation de
la plénitude apostolique et, par là, ecclésiale. En ajoutant Saint
Paul comme douzième apôtre, l'artiste anticipe sur la réalité
ecclésiale, inaugurée par la Pentecôte, jusqu'à la conversion du
chemin de Damas, et bien au delà. Par le « typos" des douze il
évoque l'Eglise que le Christ va fonder par l'envoi du Paraclet
évoquant donc aussi tous ceux avec lesquels le Seigneur sera
« tous les jours, jusqu'à la fin du monde» 'H,

Ajoutons à cela que, selon Monsieur Grabar, " c'est bien le


Christ souverain de la seconde venue qu'on a figuré dans cette
scène en pensant à Actes I, 11, selon lequel les apôtres avaient
vu le Christ monter au ciel tel qu'Il reviendra à la fin des
temps» 42.
Force nous est donc de constater la signification élargie et,
pourrait-on dire, « metahistorique }) 43 de cette image.
Soulignons encore une fois la signification des deux com-
posantes du registre inférieur. La Théotokos y figure comme
signe de l'Incarnation, dont Elle s'est faite volontairement
l'instrument et non pas comme une mystérieuse c( Vierge-Ec-
clesia », ou toute autre « figure» de l'Eglise. Par contre, la pléni-
tude ecclésiale est clairement évoquée par la représentation de

41 Mt XXVIII, 20.
42 A. GRABAR, Les Ampoules "', ibid.
43 Non pas dans le sens d'une négation de l'histoire, mais dans le sens
ct 'un raccourci hardi de celle-ci.
ICONOGRAPHIE DE LA CINQUANTAINE PASCALE 243

douze apôtres, dont le chiffre, institué par le Seigneur lui-même,


est un des signes messianiques de cette plénitude. En ce sens,
J'introduction de Saint Paul qui permet de maintenir le chiffre
douze, apparaît comme l'ultime amplification du thème « Eglise»
dans l'image de l'Ascension.
Tout à l'heure nous disions que le contenu de la fête de
la cinquantaine était l'ensemble des manifestations du Christ
ressuscité - apparition en gloire aux disciples, ascension, pro-
messe et envoi du Paraclet et même retour du Seigneur - et
que si l'Ascension était évoquée plus souvent que les autres
événements, c'est qu'elle exprimait, telle l'empreinte d'un sceau,
J'idée dominante de l'ensemble de b 1t<vTIJxoO"Tij: la glorification
et l'exaltation du Sauveur, auxquelles toute l'Eglise participe.
Est-il étonnant, dans ces conditions, que la représentation
de l'Ascension telle que nous venons de l'étudier, soit née en
Palestine, où, pendant deux siècles décisifs pour l'articulation
liturgique des grands thèmes et images du salut, «la fête de
clôture du temps pascal n'était autre que celle qui commémore
la montée au ciel de notre Seigneur» "'.
Il me paraissait important de relever cette «connotation
pentecostale» de la genèse de l'image de l'Ascension, avant
d'aborder des Ascensions-Pentecôtes proprement dites.

* * *

A ma connaissance, il n'y a actuellement qu'une seule image


connue qu'on puisse indiscutablement définir comme une
« Ascension-Pentecôte ». Elle se trouve aussi sur le revers d'une
ampoule du trésor de Monza, le numéro 10, et date, comme
toutes les autres ampoules, du VI' siècle.
A cet égard, il faut se rappeler qu'en matière d'art paléo-
chrétien et byzantin (surtout pré-iconoclaste), les quelques spéci-
mens parvenus jusqu'à nous, attestant tel ou tel genre ou courant
origina1, ne représentent jamais guère plus que le sommet
visible d'un iceberg dont la plus grande partie reste à jamais
cachée et perdue dans l'océan des temps passés. Ceci est d'autant

44 A. CABIÉ, ibid., p. 130.


244 NICOLAS OZOLINE
-------------------
plus vrai pour notre sujet, que l'image en question se trouve sur
une ampoule, et provient donc d'une fabrication en série et
quasiment industrielle 45. Ainsi nous avons donc toutes les raisons
de croire que l'iconographie attestée par l'image de cette am-
poule ne représente nullement un cas unique, mais simplement
le seul spécimen conservé d'une ou de plusieurs séries de pro-
ductions identiques.
Voici donc cette image qui, malgré ses dimensions modestes,
a quelque chose de monumental".
Dans le registre supérieur, le Christ, trônant dans la man-
dorle portée par quatre anges, est imberbe et a des cheveux
courts. Dans le registre inférieur, les apôtres forment deux
groupes symétriques, chaque groupe étant composé de deux
rangées superposées de trois apôtres. La figure de la Mère de
Dieu, au centre du registre inférieur, est nettenlent llloins élancée
que celle de Monza l, de façon à ne dépasser que très légèrement
la hauteur de la rangée inférieure des apôtres. Ceci laisse de
l'espace libre au milieu et permet d'y figurer cela même qui
fait la particularité de cette image.
En effet, immédiatement sous la mandorle apparaît une
grande Main de Dieu. Des deux côtés de cette Main, de courts
rayons de lumière s'échappent de la mandorle et se dirigent vers
chaque groupe d'apôtres. La Main est grande ouverte. Elle vient
d'envoyer la Colombe du Saint-Esprit, que l'on voit entre Saint
Paul et Saint Pierre au dessus de la Théotokos.
Formellement, la partie centrale du registre inférieur n'est
pas sans rappeler celle de Bobbio 20 où, entre la mandorle et
la Vierge brille une énorme étoile entourée de rayons, ainsi que
du soleil et de la lune. Mais, tandis que Bobbio 20 n'évoque
aucun événement historique précis et demeure en dehors de sa
signification générale, peu clair dans plusieurs détails, ici, il
n'y a plus de doute possible. Il est certain que nous nous
trouvons devant une représentation qui réunit l'Ascension et
l'effusion du Saint-Esprit en une seule image.

45 On coulait dans des moules en pierre les minces parois en argent qu'on
soudait ensuite pour obtenir ces petites bouteilles plates qui étaient ensuite
remplies d'huile bénie - chaque moule servant évidemment à de multiples coulées.
46 A. GRAB:\R, Ampoules ... , ibid., planche 17. Avec Monza 11, c'est la seule
composition qui occupe la totalité de ta paroi, sans laisser de place à aucune
inscription.
ICONOGRAPHIE DE LA CINQUANTAINE PASCALE 245

Il s'agit donc ici de la première représentation de la Descente


du Saint-Esprit lors de la Pentecôte. Mais, comme on ne disposait
pas encore d'une iconographie particulière de celle-ci, ce thème
a été greffé sur l'image de l'Ascension, qui, comme nous l'avons
vu tout à l'heure, comportait déjà une forte « connotation pente-
costale ».
De quels éléments disposait alors l'artiste pour opérer cette
greffe?
La Main Divine est évoquée par Saint Pierre dans son di-
scours le jour de la Pentecôte, lorsqu'il parle de l'Ascension en
disant que Jésus fut « exalté par la droite de Dieu ». En outre,
à cette époque, la Main Divine était depuis longtemps une façon
courante de représenter la présence ou l'intervention divines 47.
Quant à la colombe, il est évident qu'elle a été empruntée
à la seule représentation de la Descente du Saint-Esprit connue
alors: celle de la Théophanie lors du baptême du Christ. Il est
intéressant de noter que l'artiste n'a pas encore songé à représen-
ter des petites flammes au dessus des têtes des apôtres. Techni-
quement, cela aurait été parfaitement possible, mais ce pas, plus
innovateur que le transfert d'un vocable iconographique existant
déjà ailleurs, n'a pas été franchi.
Bien que la Main Divine grande ouverte (dont le pouce est
dirigé vers le groupe de gauche et les autres doigts vers celui
de droite) semble indiquer l'intention de l'artiste de suggérer
que l'effusion du Saint-Esprit concerne tous les personnages du
registre inférieur, l'emprunt de la colombe au Baptême dans le
Jourdain pose un problème qui reste ici sans solution. Dans le
Baptême du Christ «l'Esprit Saint descendit sur Lui sous une
forme corporelle, telle une colombe» (Luc III, 22). Ceci est
facile à représenter, car il suffit de placer la colombe au dessus
du personnage sur lequel elle descend. Mais est-ce que une seule
colombe qui descend sur plusieurs figures à la fois peut vraiment
exprimer le don personnel du Saint-Esprit à chaque apôtre
présent dans la scène? Evidemment non! En dehors du fait que
la figuration de la colombe dans une scène de la Pentecôte n'a
aucun fondement scripturaire, c'est sans doute à cause de cela
que cette première image de la Pentecôte présente, à ma con-
naissance, le seul exemple d'une descente du Saint-Esprit sur les

47 A. GRABAR, Christian lconography, ibid., p. 40.


246 NICOLAS OZQLINE

apôtres où Celui-ci est figuré uniquement par une colombe sans


qu'on ait représenté aussi les langues de feu ou des rayons qui
descendent sur chaque figure personnellement.
Voici un exemple des représentations du Baptême du Christ
contemporaines de celle de notre amopule et dont notre artiste
a pu s'inspirer '". Il s'agit d'une image sur le fameux médaillon
en or trouvé à Chypre qui fait aujourd'hui partie de la collection
de Dumbarton Oaks et auquel on attribue une origine tantôt
syro-palestinienne, tantôt constantinopolitaine. Le fait qu'en plus
de la colombe du Saint-Esprit nous y voyons aussi la Main
(droite) de Dieu, rapproche cette image particulièrement de notre
Ascension-Pentecôte.
J'ai dit tout à l'heure qu'actuellement on ne connaît qu'un
seul exemple d'Ascension-Pentecôte. Cela est vrai. Cependant, il
me semble que deux autres images - et des images très célèbres -
viennent confirmer ma conviction que l'Ascension-Pentecôte de
Monza 10 n'est pas un hapax mais qu'il s'agit au contraire d'une
iconographie engendrée par les usages liturgiques de Jérusalem
et peut-être même consacrée par une peinture monumentale
dans un des grands sanctuaires de la Ville Sainte.
Je pense aux deux miniatures de J'Ascension et de la Pente-
côte du fameux Tetraévangile Syriaque, dit « Codex Rabulensis »
de la Bibliothèque Laurentienne de Florence (Syriaque Plut. I, 56).
Regardons d'abord la grande composition de J'Ascension qui
occupe la place entière du folio 13 v" ". Ce n'est certes pas le
moment de se lancer dans une discussion sur J'ensemble de
cette image remarquable, qui a déjà fait couler tant d'encre. On
la trouvera dans l'ouvrage du regretté Abbé Jules Leroy sur les
manuscrits syriaques "'. Je veux seulement relever un détail qui
jusqu'à maintenant ne semble pas avoir retenu assez l'attention
des divers commentateurs et qui mérite pourtant d'être signalé
dans notre contexte.

48 Catalogue of the Byzantine and Early Mediaeval Alltiqtlities, in the Dum-


barton Oaks Collection, vol. II. plate XXVIII, nO 36.
Voir aussi le Baptême dans l'Evangéliaire arménien de Matenadaran, Ere-
van nO 2374, datant du VIe au VII~ siècles, avec la Main Divine qui bénit, com-
me ici.
49 Les meilleures reproductions sc trouvent dans CECCHELLI, FURLAMI, SALMT,
The Rabula Gospels, Olten Lausanne, 1959.
';;0 Les Manuscrits Syriaques à peintures conservés dans les Bibliothèques
d'Europe et d'Orient, Paris 1964.
ICONOGRAPHIE DE LA CINQUANTAINE P.'\SCALE 247

Dans le bas de la mandorle de l'Ascension-Pentecôte de


Monza 10 apparaît la Main Divine qui vient d'envoyer la colombe
du Saint-Esprit. Ici, nous voyons la mandorle reposer sur un
ensemble autrement complexe, emprunté aux visions qu'Ezéchiel
eut de la Gloire Divine, et dont a été inspiré à son tour le quatriè-
me chapitre de l'Apocalypse. Les quatre ~,"3,~ (Ez. l, 6), les ailes
parsemées d'yeux (Apoc. IV, 6) et surtout les roues disposées l'une
dans l'autre (Ez. l, 17) représentent ici le «char de la Gloire
du Seigneur », version biblique du «heavenly throne chariot»
décrit par H. P. L'Orange dans son étude sur la royauté cosmique
dans l'Orient ancien. Le Fils, resplendissement de la gloire divine
(Hébr. l, 3) monte vers son Père, tel un aurige vainqueur dans
le «char glorieux» vu par Ezéchiel pour s'asseoir à la droite
de la Majesté dans les hauteurs.
Mais comment monte-t-Il? L'image du char semble supposer
ici, si j'ose dire, une «force motrice », et c'est sans doute la
raison pour laquelle ce char a disparu dans l'iconographie ulté-
rieure, cette interprétation étant théologiquement indéfendable.
Selon Ezéchiel, les roues du « char de Yahwe» tournaient «car
l'esprit des Vivants était dans les roues» (Ez. l, 21). L'artiste
du Rabula, semble-t-il, n'a pas voulu se contenter de cela. Malgré
tous ses emprunts aux visions bibliques et aussi aux apothéoses
impériales, cet artiste considérait très certainement le récit des
Actes comme source première et prioritaire pour son image.
Comme nous l'avons déjà rappelé, dans ce récit, il est question
de l'élévation de Jésus «par la Droite de Dieu ». Or, sous le
quatrième « Etre Vivant », celui à la «face de taureau» nous
distinguons clairement une main grande ouverte de laquelle
semble s'échapper les flammes qui survolent le groupe des
apôtres.
Bien qu'elle soit ici assez petite, cette main ressemble d'une
manière assez frappante à celle de l'ampoule Monza 10 51. Nous
venons de rappeler qu'au folio suivant du Rabulensis se trouve
une Pentecôte dont il sera question dans un instant. Comme

51 L'abbé Leroy explique la représentation de cettc main par la «réduction


à une seule» des mains d'homme d'Ezéchiel 1,8, X,8 et X,21. Bien que cette
explication reste parfaitement plausible, elle n'explique à elle seule, ni l'empla-
cement ni le geste de la main identiques à cclles de l 'Ascension- Pentecôte de
Monza. Il me semble d'ailleurs que dans l'esprit de l'artiste les deux sources
étaient loin de s'exclure mutuellement et Actes II,33 pourrait ainsi apparaître
comme la cause de la «réduction à une seule» des mains d'Ezéchiel 1,8.
248 __________________~N~I~C~0~L~A~S~0~Z~-0~L~IN~E~__

nous le verrons, dans cette image une grande colombe descend


sur la Théotokos debout entourée des apôtres également debout.
Est-ce pour cette raison que l'artiste a renoncé ici à la représen-
tation de la colombe du Saint-Esprit, tout en conservant la Main
de Dieu de l'Ascension-Pentecôte?
Nous ne saurions l'affirmer avec certitude. Toujours est-il
que, compte tenu de l'extrême rareté des monuments qui re-
flètent l'iconographie des Ascensions-Pentecôtes, nous nous de-
vions de signaler cette main qui ressemble tellement à celle de
notre ampoule de Monza.
Voici enfin la description de notre dernière image, la Pen-
tecôte du Rabulensis (folio 14 VO):
« Scène peinte sur un fond de couleur: sol bleu pâle avec
touches vertes très grossières, fond rosâtre sous la voûte du
ciel, représenté par un segment de cercle d'un bleu très sombre.
Une colombe blanche, dont les contours sont dessinés en bleu,
en descend. De son bec, une flamme se pose sur Marie debout
au centre du Collège apostolique. Elle est vêtue d'une robe bleu
sombre à plis noirs, tombant sur des pieds chaussés de rouge;
main droite, paume ouverte devant la poitrine, la gauche tom-
bant le long du corps; nimbe doré avec cerne rouge. Derrière
elle, une tache de minium cernée d'un trait noir, qui s'élève
jusqu'à hauteur de son cou.
De chaque côté d'elle, debout et pieds nus dans des sandales,
nimbés, vus de face, les douze apôtres, la tête surmontée d'une
flamme placée au dessus du nimbe, lequel, contrairement à celui
de la Vierge, n'est pas doré. Il est fait d'un simple trait bleu.
Tous vêtus de la même manière: tunique bleue pâle ou jaune
pâle à clavi (bandes roses), manteaux bleu pâle ou blanc couvrant
les deux épaules ou laissant libre l'une d'elles. On ne voit entiè-
rement que les six du premier rang. Ils offrent un type physique
tout différent de celui qu'on rencontre à la première page (élection
de Matthias) ou dans les scènes de la vie du Christ. L'ensemble est
cl1ailleurs traité assez grossièrement, à lTIoins que ce ne soit
l'effet de retouches.
Quoique les Douze soient présentés de face, cette scène n'est
pas monotone car l'artiste a varié les traits du visages et donné
un peu de vie aux attitudes. Tous les âges sont représentés)} 52.

52 J. LEROY, Les Manuscrits Syriaques . .. J ibid., p. 153.


ICONOGRAPHIE DE LA CINQUANTAINE PASCALE 249

Bien qu'il s'agisse de la première représentation connue de


la Pentecôte seule, cette image diffère radicalement du schéma
des Pentecôtes ultérieures. Il est évident, en effet, que nous nous
trouvons devant le registre inférieur classique d'une Ascension,
à laquelle l'artiste a ajouté, non pas seulement la colombe du
Saint-Esprit, mais aussi les langues de feu au dessus de la
Théotokos et de chaque apôtre. Comme Monsieur Grabar l'a
indiqué avec perspicacité, « le miniaturiste de l'Evangile de Ra-
bula ne semble pas encore disposer d'une iconographie particulière
pour la Pentecôte ... Tout se passe comme s'il s'agissait d'une
répétition de la partie inférieure de l'Ascension, dans sa version
qui représente la Colombe au dessus de Marie» 53, donc, ajoute·
rions-nous, de la partie inférieure d'une Ascension-Pentecôte.
Est-ce que nous disposons de données qui pourront corro-
borer cette supposition? Il me semble que oui. On se souvient
qu'autour de l'an 1900 les savants russes J. 1. Smirnoff et D. V.
Ainaloff avaient lancé l'idée que les images des ampoules de
Monza et Bobbio s'inspiraient de représentations monumentales
(mosaïques ou fresques) des églises principales de Terre Sainte
construites aux endroits où les pèlerins venaient commémorer
les étapes essentielles du séjour terrestre du Christ ". Cette
théorie, qui possède un ( indéniable attrait» 55, était encore
partagée par André Grabar lorsqu'il publia en 1946 ses célèbres
« Recherches sur le culte des reliques et l'art chrétien antique» "'.
Il y précisa même que « les images ... qui figuraient l'événement
commémoré à l'endroit où il se serait produit, devait occuper
dans les sanctuaires du IV· au VI" siècles, le mur et la voûte
de l'abside ... de préférence à tous les autres emplacements» ".
Mais, dans sa publication des ampoules de Terre Sainte de
1958, le même auteur prend ses distances à l'égard de cette
théorie, sans vouloir pour autant l'écarter entièrement 5a.

53 A. GRABAR, Ampotlles .... , ibid., p. 59. .


54 Voir surtout D. V. AINALOFF, Les origines hellénistiques de l'art byzantm,
St Pétersbourg, 1901 {en russe), chap. IV, «Constantinople et l'Orient ». VOlr
aussi l'édition anglaise par Cyrill MANGO, Rutger University Press, 1961.
55 C. MANGO, ibid., p. XI.
56 Mart}'rium, l Architecture, II Iconographie.
57 A. GRABAR, Martyrium, Il, p. 164.
56 A. GRABAR, Ampoules, ibid., pp. 46-49.
250 NICOLAS QZOLINE

Voilà en bref l'histoire de l'hypothèse de l'imitation des


peintures des ({ memoriae )} de Terre Sainte par les ampoules et
leurs diverses répliques ".
Si nous regardons la Pentecôte du Rabulensis à !a lumière
de ce que je viens de dire, deux observations ne manqueront
pas de nous intriguer. D'abord, le fait que cette image se trouve
inscrite dans un espace qui reproduit exactement la forme d'une
abside et, deuxièment, la curieuse {{ voûte du ciel)} - ce segment
semi-circulaire rempli de bleu sombre, comme s'il avait fallu
recouvrir et cacher la partie supérieure d'une représentation
dont le miniaturiste ne voulait plus.
Il me paraît certain que la partie supérieure ne pouvait être
que la mandorle du Christ en gloire avec, en dessous, la Main de
Dieu qui envoie la Colombe du Saint-Esprit. L'ensemble de la
composition a dû se situer dans une abside dont la voûte fut
assez profonde pour ne laisser apparaître - en raccourci,
lorsqu'elle était regardée de loin - que le segment qui a été
occulté ici par un remplissage sommaire en bleu foncé".
Autrement dit, je pense que le miniaturiste auteur de la Pen-
tecôte du Rabulensis n'a fait autre chose que copier le registre
inférieur et la Colombe du Saint-Esprit de l'abside d'un sanctuaire
qui était décoré d'une mosaïque ou d'une peinture représentant
une Ascension-Pentecôte du même genre que celle de Monza 10.
Mais, puisqu'il voulait créer une image qui représenterait uni-
quement l'effusion du Saint-Esprit, l'Ascension étant déjà re-
présentée au folio 13 v', le miniaturiste avait décidé d'éliminer le
registre supérieur par son barbouillage en bleu foncé et blanc
jauni. Le sanctuaire abritant cette Ascension-Pentecôte monu-
mentale aurait pu être la chapelle du Cénacle de l'Eglise de
Sion 61,
La nécessité d'une telle image a dû s'imposer parce que
la pratique de la célébration séparée de l'Ascension et du jour
de la Pentecôte avait gagné entre-temps aussi la Palestine et
la Syrie et y était déjà ressentie comme naturelle. On sait que

50 Dans Martyrium, II, p. 179; l'Ascension de Rabula est présentée comme


une «réplique de l'iconographie des ampoules »,
50 De même que par le segment en blanc jauni qui se détache si curieuse-
ment entre le bleu de la «voûte» et le fond rose sur lequel sont peintes les
grandes langues de feu.
61 Voir H. VINCENT et F. M. ABEL, Jerusalem Nouvelle II 3, Paris 1922, p. 460.
ICONOGRAPHIE DE LA CINQUANTAINE PASCALE 251

la dédicace du Tétraévangile du Rabulensis est très précisément


datée du 8 février 586, et que la partie qui contient les illustra-
tions, c'est-à-dire les Canons d'Eusèbe et les folios 13 et 14 qui
suivent ces canons (bien que d'origine distincte), est considérée
comme contemporaine du texte écrit du Tétraévangile. Ils date-
raient donc aussi du dernier quart du VI' siècle ". Puisque nous
situons avec Cabié l'apparition en Palestine de la fête de l'Ascen-
sion le quarantième jour après Pâques aux premières décades du
V· siècle, nous obtenons une période d'environ cent cinquante
ans, pendant laquelle cette nouvelle façon de célébrer à eu le
temps de se faire admettre et de faire ressentir le besoin de plus
en plus urgent d'une iconographie indépendante et particulière
pour la Descente de l'Esprit Saint sur les apôtres.
La Pentecôte du Rabulensis nous fournit l'exemple d'une
des toutes premières tentatives d'une telle figuration. En dehors
du témoignage sur l'existance vraisemblable d'une Ascension-
Pentecôte monumentale qu'elle nous apporte, c'est en cette
qualité de première tentative que consiste son intérêt.
On le sait, cette formule n'a pas eu de succès; le seul écho
byzantin que je connaîs est une miniature d'un Evangéliaire
grec du XII' siècle, conservé à la Laurentienne de Florence 63 -
les apôtres y sont debout, mais la Théotokos n'y est pas représen-
tée. Ainsi, la formule de la Pentecôte du Rabulensis n'a
pratiquement pas été reprise en Syrie même et a été, on peut le
dire, ignorée par la tradition byzantine.
Pour créer une iconographie proprement pentecostale, celle-ci
changera carrément le vocable iconographique de base, en aban-
donnant la «théophanie-vision" des Ascensions et en adaptant
le schéma bien connu des scènes d'enseignement" à l'événement
de la Descente du Saint-Esprit. Dès le début, un des traits mar-
quants de cette iconographie sera l'absence normative de la

62 La question de la différence des mains d'auteurs des deux miniatures de


l'Ascension et de la Pentecôte ne nous concerne donc pas ici.
63 Cod. Conv. soppr. 160, folio 6 vO: Collection chrétienne et byzantine, Ecole
des Hautes Etudes, Sorbonne. Pour la « voûte du ciel» on pourrait encore citer
deux miniatures provenant, comme le Rabulensis, du monde non cha1cédonien:
une du manuScrit syriaque ADD 7169 du British Museum datant de XII~-XIII~
siècles au folio 13 r<> (voir LEROY, ibid., p. 355, pl. 124.1) et une miniature copte
où les apôtres sont assis à la manière orientale (J. LEROY, Manuscrits coptes,
Paris 1974, Inst. Cath. l, fol. 175 ro, pl. 80).
64 Ivoires de Dijon (Cahier Archéologique l, pl. lIA) et de Cologne (KIRSCH-
BAI;M, Lexikol1 der ChristlicheH Kunst, Bd. 3, col. 427).
252 NICOLAS OZQLINE

Théotokos. Le besoin d'une iconographie proprie à la Descente du


Saint-Esprit, manifesté par la Pentecôte du Codex Rabulensis,
me paraît contredire la nouvelle datation du X' siècle, proposée
par Weitzmann pour l'icône du Sinaï" qui comporte la première
représentation connue de cette nouvelle iconographie et me
semble justifier plutôt l'ancienne datation pré-iconoclaste pro-
posée initialement par les Soterious se. Toutefois, cette icono-
graphie est déjà hors du sujet de la présente communication et
il est temps de conclure.

* * *

Dans une communication faite ici mêlne il y a deux ans, rai


eu l'occasion d'insister sur le lien étroit qui unit dans la tradition
liturgique orthodoxe l'image et la parole ". Bien que l'existence
même de ce lien que j'avais défini comme analogique et com-
plémentaire ne soit pratiquement plus mis en doute aujourd'hui,
on entend souvent dire qu'il s'agit là d'une doctrine post-icono-
claste et médiévale, laborieusement échaffaudée par les icono-
dules du VIII' et IX' siècles. Or, les débuts de l'iconographie de
la Pentecôte semble indiquer que des pratiques liturgiques du
III' et du IV' siècles et plus particulièrement la célébration en
Palestine des deux fêtes de l'Ascension et de l'Effusion du Saint-
Esprit le même cinquantième jour après Paques ont engendré
une iconographie spécifique et pleinement compréhensible seu-
lement à la lumière de ces pratiques.
En effet, après quelques remarques préalables, rappelant
les particularités de la célébration primitive de la cinquantaine
pascale, nous avons brièvement examiné la signification de deux
Théophanies-visions à double registre, pour les rapprocher de
l'Hymne christologique de Philippiens II, 6-11. Quelques obser-
vations sur l'image de l'Ascension nous ont ensuite permis d'en

6~ K. WEJTZMANN, The Monaslery of St Catherine at Mount Sinai - The


reans - vol. 1: from the VI to the X century, pp. 73-76.
SEi Icône du Mont Sinaï, II - Athènes 1958, pp. 33-35.
67 N. OZOLINE, «L'icône, analogie et complémentarité de l'image par rapport
au geste et à la parole liturgiques ». dans Bibliotheca Ephemerides Liturgicae-
Subsidia, 14: Gestes et paroles dans les diverses familles liturgiques, C.L.V. - Edi-
zioni Liturgiche, Roma 1978.
ICONOGRAPHIE DE LA CINQUANTAINE PASCALE 253

saisir une certaine {( connotation )} pentecostale et ecclésiologique.


Ceci nous a aidé à situer mieux la représentation que j'appelle
une Ascension-Pentecôte.
Le seul exemple intact d'une telle iconographie connu à ce
jour, se trouve sur le revers de J'ampoule de Monza 10, datant
du VI' siècle, mais il paraît certain que ces exemples ont dû
être plus nombreux et il reste fort probable qu'il en existait des
exemples plus anciens. Cette supposition s'est trouvée, au moins
partiellement, confirmée par un bref examen de J'Ascension et
surtout de la Pentecôte du Rabulensis, qui nous a finalement
permis de relever des traces de cette iconographie et d'en déduire
l'existence vraisemblable d'une représentation monumentale de
J'Ascension-Pentecôte à la Chapelle du Cénacle à Jérusalem.
Ainsi, c'est une fois de plus la célébration liturgique qui
fournit la clé pour J'interprétation correcte d'une image, corol-
laire et reflet de cette célébration.

Nicolas OZOLINE
LES PSAUMES DE L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE

C'est principalement dans la célébration liturgique de la


Dédicace que l'on trouve les psaumes utilisés pour glorifier
l'Eglise, Seule en effet cette célébration peut être appelée au
sens propre une «fête de l'Eglise »,
Certes, le thème de l'Eglise est sous-jacent à toutes les
fêtes de l'année liturgique, Ainsi, dans le cycle de l'Incarnation,
la liturgie romaine de l'Epiphanie chante, dans la célèbre an-
tienne Rodie cae/esti Sponso iuncta est Ecclesia, les noces du
Christ et de l'Eglise', Dans la liturgie byzantine de la Rencontre
(2 février), un autre tropaire bien connu Orne ta chambre, ô Sion
invite l'Eglise à accueillir le Roi Messie', Dans la liturgie pascale,
tant à Milan qu'à Byzance, l'attente de l'avènement glorieux du
Christ à la Parousie s'exprime par des images nuptiales inspirées
par la parabole des vierges (Mt 25,1-13)', D'autre part, l'Eglise
Mère voit naître ses enfants par le Baptême', A la Pentecôte,
le rite romain célèbre la naissance de l'Eglise par le psaume 47,

1 Laudes, antienne du Benedictus. Sur cette antienne, cfr H. FRANK, Radie


caelesti sp.Jnso iuncta est Ecclesia. Ein Beitrag zur Geschichte und Idee des
Epiphaniesfestes, dans Vom christlichen Mysterium, Düsseldorf, 1951, p. 192-218.
2 Ce tropaire a été adopté en Occident, comme en témoignent les anciens
antiphonaires pour le 2 février: l'antiphonaire du Mont Blandin (VIIIO-IXe siècles)
donne le texte grec transcrit en caractères latins, avec la traduction latine. Cfr
R.-J. RESSERT, Antivhonale Missarum Sextuplex, Bruxelles 1935. p. 38-39.
3 On lit dans l'Exsultet ambrosien de la nuit pascale: « Decet ergo adven-
tum Sponsi dulciatis Ecclesiae luminaribus opperiri ... nec sanctas interpolare
tenebris cxcubias, sed tedam sapienter perpetuis praeparare luminibus, ne,
dum oleum candelis adjungitur, adventum Domini tardo prosequamur obse-
quia, qui certe in ictu ocuIi ut COnISCUS adveniet" (Missale Ambrosianum). De
même à l'Orthros byzantin du dimanche de Pâques: «Lampes en mains, avan-
çons au devant du Christ qui sort du tombeau, comme au devant de l'Epoux,
et célébrons en processions de fête la Pâque salutaire de Dieu» (SC ode du
Canon de S. Jean Damascène).
4 L'introduction de l'Exsultet romain possède l'expression Mater Ecclesia, ct
la prière de bénédiction des eaux parle de la « grâce mère, qui engendre de
nombreux enfants".
256 ANDRÉ ROSE

l'un des chants de Sion, dont le verset 8 possède des termes


évoquant le vent, signe de l'Esprit en Act 2,2 '. Enfin les rapports
intimes entre l'Eglise et la Mère de Dieu ont entraîné l'usage de
nombreux textes évoquant le « Tenlple de Dieu» et la « construc-
tion céleste» pour les fêtes de la Vierge '.
Mais l'étude présente porte sur le thème de l'Eglise elle-
même, et celui-ci apparaît dans la célébration de la Dédicace.
Outre les textes du rituel de la Dédicace, la célébration com-
porte des formulaires pour l'office divin et pour la célébratio"
eucharistique 7.

5 Matines, It:r psaume avec l'antienne Faclus est repente de caelo sonus adve-
nientis spiritus vehemelltis, alleluia, alleluia (Act 2,2): il faut noter que la version
latine du psaume possède au v. 8 l'expression in spiritu vehementi.
6 Ce fait apparaît surtout dans l'office byzantin de l'entrée de la Mère de
Dieu au Temple (21 novembre). Voir à ce sujet J. LEDIT, Marie dans la liturgie
de Byzance, Paris 1976, p. 118-126.
7 Les rites examinés dans cette étude sont les suivants:
la Ancienne liturgie de Jérusalem (Lit. Jérus.) (V e siècle). Cfr A. RENOUX,
Un malluscril du lectiOJmaire arménien de Jérusalem, dans Le Muséon LXXIV
(1961), p. 361·385 et LXXV (1962), p. 385·398.
2° Liturgie byzantine (Lit. byz.). Cfr a) J. MATEOS, Le Typikon de la grande
Eglise, t. l, Rome 1962, p. 147: 23 décembre, Dédicace de la grande Eglise (Déd.
GE) et t. II, p. 187: commun pour l'anniversaire de la Dédicace; b) Consécra-
tion et inauguration d'une église, selon le rituel de l'Eglise russe, Chevetogne
1957 (Rituel: Rit.); c) EDELBY, Liturgicon, Beyrouth 1960.
3° Liturgie syrienne occidentale (Lit. syr. occ.). Cfr Pontificale iuxta ritum
Ecclesiae Syrorum occidentalium id est Antiochiae, Pars l, Versio latina, Cité
du Vatican 1941, p. 63-111 (Consecratio eccIesiae et consecratio tabulae).
40 Liturgie syrienne orientale (Lit. syr. or.). Cfr Pontificale iuxta ritum
Ecclesiae Syrùrum orientalium id est Chaldaeorum, Pars III, Versio latina, Cité
du Vatican 1937, p. 201-258 (Consecratio altaris et consecratio tabulae).
50 Liturgie copte (Lit. copt.). Cfr. R. COQUIN, La consécration des églises
dans le rite copte, ses relations avec les rites syrien et byzantin, dans L'Orient
Syrien 1964, p. 149-187.
60 Liturgie romaine (Lit. rom.):
a) Ordo Romanus XLI, dans M. ANDRIEu, Les Ordines Romani du Haut
Moyen Age, tome IV, p. 312-349 (OR XLI);
b) Pontificale Romanum (PR): «De Ecclesiae Dedicatione seu conse-
cratione »;
c) Breviarium Romanum (BR) et Liturgia Horarum (LH);
d) Missale Romanum (MR);
e) Nouveau rituel de la Dédicace (N. Rit.): Ordo Dedicationis eccIesiae
et altarÎs, Cité du Vatican 1977.
7° Liturgie ambrosienne (Lit. ambr.):
a) Breviarium Ambrosianum (BA);
b) Missale Ambrùsial1um (MA); à deux endroits: Commun de la Dédi-
cace {Déd.) et Dédicace de la grande Eglise (Déd. GE), le 3" dimanche d'octobre
(Dedicatio Ecclesiae Majoris = Ded. EM).
go Liturgie hispanique (Lit. hisp.). Cfr L. BRov-J. VIVES, Antifollario visi-
gôtico-mozarabe de la Catedral de Le6n, Barcelona-Madrid 1959: De sacratione
basilicae (De sacr. bas.) et De restauratione basilicae (De rest. bas.).
_____L=E=s~P~SA~U~~~S~D~E~L~'~É=G=L~[_SE
__J)_A_N_S__L_A_L_I_T_U_H_G_I_E________--C2S7

Si dans la Rome primitive, la Dédicace fut axée sur la pre-


mière célébration eucharistique, précédée du transfert et de
l'insertion des reliques des Saints dans la pierre d'autel', la
plupart des rites d'Occident possèdent en outre une triple prépa-
ration de l'Eglise et de l'autel: purification, onction et encense-
ment- Par le truchement du Pontifical romano-germanique, ces
rites se sont introduits au X' siècle dans la liturgie romaine elle-
même '. Les psaumes ou versets psalmiques qui dans les divers
rites se sont introduits au X' siècle dans la liturgie romaine elle-
profond et permettent de saisir comment étaient compris les
textes sacrés eux-mêmes.
Certes, tous les psaumes utilisés ne sont pas nécessairement
à considérer comme des psaumes de l'Eglise. Si, à Rome comme
à Byzance, le Psaume 50 accompagne les rites de purification
avec l'eau bénite, c'est en raison du v. 9 Tu m'aspergeras avec
l'hysope et je serai purifié. De même, l'onction de l'autel avec
le Saint Chrême est accompagnée à Rome du chant du Psaume 44,
en raison du v. 8 Dieu, ton Dieu t'a oint -- l'autel est le symbole
du Christ, l'oint par excellence, -- à Byzance par le psaume 132,
où il est parlé du myron qui descend sur la barbe d'Aaron".
Par ailleurs, une série de versets psalmiques comporte des
allusions à l'autel (Ps 22,5 Tp&7tE~"'; 42,4 eu"t"';T~ptQV), à l'encens
(Ps 140,2), aux Saints (Ps 149,5).
D'autres passages se rapportent aux rites d'entrée dans le
sanctuaire. Ceux-ci possèdent une relation plus directe avec
l'Eglise, comme projection sur terre du sanctuaire céleste. Outre
le psaume 92 à Rome et à Milan (en raison du v. 4) et 131 à
Byzance et en Espagne (en raison des vv. 7-8) n, il faut noter

8 Voir à ce sujet A.G. MARTlMORT, L'Eglise en prière. Introduction à la litur-


gie, Paris-Tournai-Rome-New York 1961, p. 179-180 (La Dédicace des églises).
9 Ces rites sont communs à l'Orient et à l'Occident. Pour la liturgie occi-
dentale, l'OR XLI reflète l'usage occidental non romain, tandis que les OR
XLII et XLIII manifestent l'usage romain primitif. Tous ces documents datent
du VIII" siècle. Cfr M. ANDRIEU, o.c., p. 312-413.
10 En raison du verset 8, le psaume 44 se trouve aussi dans les rites ambro-
sien et hispanique de la Dédicace, et en outre dans le rite syrien occidental
(pendant l'onction du myron sur l'autel).
11 Rome: N. Rit.: après l'ouverture de la porte de l'Eglise, l'évêque dit:
Introite portas Domini in confessione, alria eius in hymnis (v. 4); Milan: Déd:
GE: Intrate parlas eius in contessione: date gloriam Deo Patri et Filio el Spt-
riLUi sanclo (cfr v. 4: Vêpres). En Espagne, le psaume du transfert de l'arche
(131) est utilisé pour la procession des reliques: Introibimus in tabernaculum
eius, adùrabimus in loco ubi sleterunt pedes erus. Exsurge, Domine, in requiem
Ulam, lu et arca sallclitatis tuae (vv. 7-8).
258 ANDRÉ ROSE

principalement le dialogue célèbre Enlevez vos portes, ô princes,


et élevez-vous portes éternelles et le Roi de gloire entrera (Ps
23,7-10). Référé, dès les origines du christianisme, aux diverses
entrées du Christ - en ce monde, aux enfers, dans la Cité cé-
leste" - , le dialogue est rapporté ici à l'entrée dans le sanctuaire
nouveau. Dès l'époque de Justinien, on chantait ces versets lors
de l'entrée du patriarche dans la basilique Sainte Sophie pour
sa dédicace ". Plus tard, le dialogue est dramatisé, c'est-à-dire
exécuté par des personnages différents. A Byzance, lors de l'entrée
des saintes reliques, l'Evêque demande l'entrée du Roi de
gloire ". En Occident, selon l'Ordo Romanus XLI (de la deuxième
moitié du VIII' siècle), le psaume est chanté avec l'antienne
Tollite portas lors de la première entrée de l'Evêque. Ici égale·
ment s'est introduit plus tard la dramatisation du dialogue,
qui est exécuté entre l'Evêque et un clerc resté dans l'Eglise
fermée (dans le Pontifical romain, un diacre gardien) 15.

* * *
Les psaumes ou versets psalmiques utilisés dans les diverses
liturgies pour la célébration de la dédicace peuvent se grouper
autour de trois orientations principales.
l' Les psaumes appelés «chants de Sion" dans la classifi-
cation des genres littéraires de Gunkel '". En fait, on trouve tous
ces chants, à l'exception du Ps 75.
2" Des versets psalmiques sur Sion et Jérusalem (Ps 50,12;
64,2-5; 101,17; 136,5 et 147,1), sur la maison du Seigneur (Ps 26,4)
ou de Dieu (Ps 25,8 et 92,5), sur le Temple (Ps 28,9), le tabernacle
(Ps 41,5), les églises (Ps 67,27).

12 Cfr A. ROSE, Attollite portas, principes, vestras. Aperçus sur la lecture


chrétienne du Ps 24 (23) B, dans Miscellanea liturgica in mwre di Sua Eminenza
il Cardo Giacomo Lercaro, tome L Rome, Paris. Tournai, New York 1966, p. 453-478.
13 M. ANDRIEU, Q.c., p. 316.
14 «Parvenu au seuil du Temple avec ces reliques en mains, écrit Nicolas
Cabasilas, l'Evêquc leur fait ouvrir les portes par ces mêmes paroles au chant
desquelles il aurait introduit le Christ lui-même» (La vie en Jésus-Cl1rist, Amay-
sur-Meuse 1931, p. 147).
1'; Le nouveau Rituel romain de la Dédicace, palU en 1977, ne possède plus
ce rite d'entrée, mais a conservé le chant du Psaume 23 avec l'antienne Tallite,
portas, lors de l'entrée de l'évêque dans l'église. Par rapport aux nombreux
rites du Pontifical romain, le cérémonial nouveau apparaît comme très simplifié.
16 Cfr H. GüNKEL, Einleitung in die Psalmen., 1933, p. 42 (n. 17).
LES PSAUMES DE L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE 259

3" Le chant nuptial Ps 44 appliqué à l'union du Christ et de


l'Eglise, où l'on retiendra principalement le v. 10 La Reine se tient
à ta droite.
Après avoir indiqué les usages liturgiques de ces passages,
il sera éclairant de prendre connaissance de quelques commen-
taires patristiques, qui manifestent la lecture chrétienne de ces
psaumes, en rapport avec J'Eglise.

1. LES «CHANTS DE SION»

Psaume 45

Utilisations
Lit. rom: OR XLI: onction de l'autel avec l'huile.
PRo onction totale de l'autel.
BR: 1è,,, Vêpres, antienne Sanctificavit Dominus (Magni-
ficat); Matines, 2' psaume;
LH: 2èmes Vêpres, 2c psaume 17.

Commentaires du verset 5
Le cours impétueux d'un fleuve réjouit la cité de Dieu,
Le Très-Haut a sanctifié son tabernacle.
Selon Basile, le fleuve est le Saint Esprit:
« Que serait le fleuve de Dieu, sinon l'Esprit Saint naissant pour
les justes, de la foi de ceux qui croient au Christ, car il a dit: "Celui
qui croit en moi, des fleuves jailliront de son sein" (In 7,38); et
encore: "Si quelqu'un boit de l'eau que je donnerai, elle deviendra
en lui une source d'eau jaillissant pour la vie éternelle" (In 4,13) })
(PG 29, 421).

Dans l'Enar ratio in Ps 45, v. 5, saint Augustin cite les mêmes


textes et les rapporte au don du Saint Esprit à la Pentecôte (CC 38,
523).

17 La prière romaine de bénédiction de l'eau baptismale en la Vigile pascale


possède une citation implicite du v. 5: «Toi, qui par le cours impétueux de
ta grâce réjouis ta cité »: le fleuve du psaume désigne la grâce donnée par Dieu.
Le psaume se trouve en la solennité de l'Epiphanie (BR, Matines, 2~ psaume)
avec comme antienne le v. 5: allusion nette au mystère du Baptême du Christ.
260 ANDIΠROSE

Le cours impétueux désigne les charismes (Evagre: Pseudo-


Origène: PG 12, 1433), les instructions venant de la Parole, qui
est le fleuve (Didyme, éd. Mühlenberg l, p. 345), ou la prédication
de l'Evangile (Théodoret de Cyr: PG 80, 1201).
Quant au tabernacle, il n'est rien moins que l'Eglise, car
" le Très Haut habite dans les âmes saintes et fidèles, les sanc-
tifiant par la participation au Saint Esprit» (Cyrille d'Alexandrie:
PG 69, 1048). Pour Ambroise (PL 14, 1194), c'est aussi" toute
âme habitée par le Christ ou bien le corps que la Vierge a mis
au monde» 18.

Psaume 47

Utilisations
Lit. rom.: PRo vêture de l'autel:
Faites le tout de Sion et embrassez-la,
racontez dans ses tours (v. 13).
BR: Matines: 3" psaume ".

Commentaires du v. 13
Hésychius:
« Demeurez dans la Jérusalem d'en haut et prenez-en possession»
(PG 27,837).

Théodoret de Cyr:
«Le psalmiste appelle de nouveau Sion la société (1tO)..~'tEUf.U1)
pieuse, c'est-à-dire l'Eglise répandue à travers le monde. Comme
nous l'avons déjà dit, les tours désignent les Eglises dispersées à
travers les villes, les villages et les champs, car il l'appelle en même
temps une et multiple» (PG 80,1216).

18 Dans la liturgie romaine, le psaume est utilisé aux fêtes de la Sainte


Vierge (commun): seuls quelques offices tardifs possèdent ce verset comme
antienne (Offices de Notre Dame de Lorette et de Notre Dame de Lourdes).
Cependant on Je trouve très heureusement dans le commun de la Sainte Vierge
de Liturgia Horanlm.
19 Dans la liturgie romaine, le psaume 47 cst central dans la célébration du
2 février {Entrée de Jésus au Temple): antienne d'entrée et graduel. Le texte
central en est: (( Nous avons accueilli (Suscepimus), ô Dieu, ta miséricorde au
milieu de ton Temple» (v. 10).
LES PSAUMES DE L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE 261

Psaume 83 (surtout vv. 1-5)


Utilisations
Lit. byz.: Typ. X' s.: Ordo Orthros, prokimenon.
Rit.: Ablution de l'autel.
Lit. syr. OCC.: V. 3, avant l'évangile de Zachée (Le 19,1-10).
Lit. syr. or.: Consécration de l'autel.
Tropaire:
{{ Que ta demeure est glorieuse, que ton autel est éclatant et
grand ton honneur, Eternel, toi qui habites dans les cieux; les veil·
leurs (anges) l'attestent, eux qui proclament et qui chantent (ta
gloire) ».

Lit. rom.: OR XLI et PR: onction de l'autel avec l'huile.


BR: Matines, 4' psaume; LH: Office des lectures, 2' psaume.
MR: Psaume de l'antienne d'entrée Terribilis est ".
N. Rit.: onction de l'autel et de l'église.
Lit. ambr.: BA Déd.: Laudes et Vêpres.
Déd. GE: None, répons.
Lit. hisp.: Off. De sacr. bas.: Vêpres (début), Matines (v. 5),
messe (entrée).
Aux Vêpres, les versets s'adressent au Christ, selon la finale:
« Beati qui habitant in domo tua, in saecula saeculorum lauda-
but te in atria tua, Christe ».

Commentaires
Pour Eusèbe, ces tabernacles sont les Eglises du Seigneur
(PG 23, 1001). On lit en Evagre (Pseudo-Athanase):
«Il appelle tabernacles les saintes Eglises de Dieu fondées en
tous lieux, Eglises vers lesquelles se hâte toute âme amie de Dieu»
(PG 27,386).

Pour Hésychius, il s'agit des lieux du repos éternel. la maison


est la Jérusalem céleste (PG 27, 1005-1008).

20 Le formulaire de l'ordinaire de la Dédicace figure dans les anciens anti-


phonaires romains à la date du 13 mai: Dédicace de la Basilique de Sainte
Marie aux Martyrs (Panthéon). On trouve le plus souvent à l'antienne d'entrée
le Psaume 92, mais le psaume présent se trouve à la communion dans l'antipho-
naire de Corbie. Cfr. R.I. HESBERT, Q.C., p. 118·119.
262 ANDRÉ ROSE

En Occident, Arnobe le Jeune y voit l'Eglise, tandis que pour


Cassiodore, c'est la béatitude céleste.
De la sorte, apparaissent ici les deux orientations fonda-
mentales de l'interprétation chrétienne de Sion-Jérusalem, qui
prennent naissance dans le Nouveau Testament: la Jérusalem
céleste de l'Epître aux Hébreux (12,22-24) et de l'Apocalypse
(ch. 2I) d'une part, l'Eglise, Jérusalem mère (Gal 4,26) d'autre
part ".

Psaume 86

Utilisations
Lit. byz.: Typ. X" s. (Ord.) et actuellement Dédicace: Alleluia.
13 septembre: idem.
Lit. syr. occ. vv. 3-4: Prooemium après les lectures: «L'un (des
prophètes) proclamait qu'on dirait des choses glorieuses au
sujet de la cité du Très Haut ».
Lit. syr. or.: consécration de l'autel.
Lit. ram.: OR XLI: onction de l'autel avec le chrême.
Ancien Ordo (X' siècle): Inscription de l'alphabet sur le
pavement avec comme antienne 1 Cor 3,11 ".
PRo après l'onction de l'autel, avec le répons Ecce odor.
BR: Matines, S" psaume; LH: Office des lectures, 3" psaume.
Lit. ambr.: BA Déd.: 1"" Vêpres (ant. in choral; Laudes.
Déd. GE: Matines, répons; 2" Vêpres, antienne.
MA: Déd.: messe, confractorium.
Lit. hisp.: De sacr. bas.: vv. 2-S: Vêpres; vv. 4 et 7: Matines;
Rituel.

Commentaires
- v. 2: Ses fondements sont sur les montagnes saintes.
Pour Eusèbe de Césarée, il s'agit des fondements de l'Eglise,
cité céleste. C'est «Notre Sauveur et Seigneur Jésus Christ,
venan t de Dieu» qui {c a fondé et édifié cette manière de vivre
210n trouve dans le rite ambrosien une transformation du v. 10 « Regarde
la face de ton Christ »:
" Protector nos ter, aspice, Deus,
et respice in faciem Ecc/esiae tuae» (Déd. GE: lèrcs Vêpres).
Cette substitution correspond à un commentaire d'Evagre: ,,(Le psalmiste)
appelle là "Christ", le peuple appelé au sacerdoce royal» (PG 27, 369).
22 Cfr M. Righetti, Storia liturgica, 1. IV, Milano, 1953, p. 384.
LES PSAUMES DE L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE --=___--=-::c
263

(7tOÀL't"E(OC) et cette cité aimées de Dieu et le révérant ». C'est « l'Egli-


se catholique, établie en tout lieu et en tout pays" (PG 23, 1044).
Mais les fondements de cette cité « se trouvent sur les montagnes
saintes, c'est-à-dire sur les Apôtres et les prophètes, la clef de
voûte étant le Christ" (citation d'Eph 2,20). Là haut « se trouve
la grande société de la Sion céleste et de la véritable grande
cité de Dieu" (citation de Gal 4,26 ct Hébr 12,22-23). « De cette
grande cité de Dieu, l'Eglise de Dieu qui est sur terre est l'image
(dx",v) ". Si les fondements sont en haut, « les entrées et les pre-
miers pas dans cette cité céleste se trouvent auprès de nous )}
(PG 23, 1044-1045).

v. 3: Le Seigneur aime les portes de Sion plus que les tentes


de Jacob.
Pour Eusèbe, les portes de Sion désignent l'Eglise du Christ,
en opposition avec les tentes de Jacob qui évoquent le judaïsme.
« Les portes de Sion, c'est-à-dire les entrées et les premiers pas
dans le Royaume céleste, qui sont fondés sur l'Eglise" (PG 23,
1045). « Les fondements (de la Cité céleste) se trouvent non ici-bas
sur la terre, mais sur les montagnes saintes désignées plus
haut" (PG 23, 1047).
Théodoret de Cyr commente comme suit:
« Nous apprenons maintenant qu'il existe une ville céleste nom-
mée Jérusalem ne possédant ni tours ni remparts et n'étant pas
polie par le scintillement des pierres, mais brillante par le choeur
des saints et embellie par la société des anges. Personne ne se
tromperait en appelant portes de cette cité les Eglises qui sont sur
la terre, car c'est par elles qu'il est possible d'y entrer. Car c'est en
elles qu'instruits et exercés nous apprenons la manière de vivre
(7to}.(UU!1O:) de cette ville» (PG 80,1564).

v. 4: On a dit de toi des choses glorieuses, Cité de Dieu.


Pour Evagre (Pseudo-Athanase: PG 27,377), la Cité de Dieu
c'est l'Eglise; pour Hésychius (ibidem, 1017), la Jérusalem céleste.
Augustin note que ce ne peut être la Jérusalem terrestre, qui est
détruite (CC 39, 1203).

V. 5:
Tout homlne dira: Sion !vIète »,
c{

et un homme est né en elle,


et c'est le Très Haut lui-même qui l'a fondée.
264 ANDRÉ ROSE

Evagre:
«Il dit Mère, parce que nous les croyants nous serons agreges
à Sion ou à l'Eglise, où se trouve l'Homme ou celui qui l'a fondée:
c'est celui qui s'est fait homme pour nous et qui a annoncé qu'il
fonderait son Eglise sur la pierre» (Pseudo-Athanase: PG 27,377).

Théodoret de Cyr:
« Chacun appellera Sion Mère et tout homme dira que Sion est
mère (Citation de Gal 4,26).
Un homme est né en elle: Celui qui nomme Sion Mère confesse-
ra aussi la naissance de l'Homme qui est né en elle: car cet homme
qui est né en elle est aussi son Créateur et son artisan, car il est
le Dieu Très-Haut ».

Cette référence à l'Incarnation explique l'usage du psaume


et du verset dans la liturgie de Noël ".

Psaume 121

Utilisations
Lit. rom.: PRo aspersion des murs.
N. Rit.: procession vers l'Eglise.
LH: 2'me< Vêpres, 2" psaume.
Lit. ambr.: Déd. l're, Vêpres: répons in choro; psaume.
Déd. GE: 1ém Vêpres; Répons: "Je me suis réjoui quand
on m'a dit: Nous irons à la maison du Seigneur (v. 1) YI. Là
où les Anges chantent: C'est vraiment ici la maison de Dieu
et la demeure des Saints (Cfr Gen 28.17) ». - Suit le Ps 121.

Commentaires
Eusèbe de Césarée:
«Lorsqu'il part sur la route qui conduit à Dieu, le pèlerin ayant
pris connaissance du terme de sa marche est rempli de joie et
entend l'annonce des réalités futures» (PG 24,121).

23 Lit. rom.: Office du 1er janvier, BR Matines, 5~ psaume, antienne «Homo


natus est in ea, et ipse fundavit cam Altissimus» (LH: office des lectures,
2~ psaume). Lit. hisp.: In diem Sanctae Mariae, psaume de la messe.
LES PSAUMES DE L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE 265

Hilaire de Poitiers:
« Celui qui est tenu par l'espérance du désir du ciel ne trouve
aucune obscurité dans ce psaume, car par son intelligence il attein-
dra la compréhension du langage majestueux du prophète. Il se
rappellera qu'il est cohéritier et possesseur des biens du ciel et
semblable aux anges, du fait qu'il doit être renouvelé par la résur-
rection des morts; qu'après avoir déposé la corruption, il sera rendu
conforme à la gloire du corps de notre Dieu et Sauveur Jésus Christ
et qu'il deviendra habitant de la cité céleste construite de pierres
vivantes» (PL 9,661).
« II ne s'agit pas de cette Jérusalem terrestre et passagère, qui
purge la peine de son impiété, mais de cette Jérusalem libre et
céleste, qui est aussi Sion. En y habitant - car elle est la maison
de Dieu - nous sommes aussi les com;:itoyens des saints et les
membres de la famille de Dieu. Voilà d'où nous vient la joie: de ce
qu'il a été dit que nous irions dans la maison de Dieu» (Ibidem,
661-662).
« Cette édification de la cité terrestre, cette construction du
Temple et l'institution du Temple préfigurait le modèle (speciem)
de cette cité éternelle et céleste» (lbidem).

Hésychius:
« J'ai été rempli de joie en entendant ceux qui me persuadaient:
Allons à la maison de Dieu» (PG 27,1223).

II. VERSETS PSALMIQUES

1. SION - JÉRUSALEM

50, 20: En ta complaisance, Seigneur, fais du bien à Sion, et que


soient rebâtis les murs de Jérusalem.

Utilisation
Lit. ambr.: Déd. EM: 1"" Vêpres: antienne in choro et répons
au baptistère.

Commentaires
Eusèbe de Césarée:
« Lorsque tu mettras ta complaisance en Sion et que seront
rebâtis les murs de Jérusalem, alors te sera offert un tel sacrifice,
(de justice). Car le droit de cité religieux ('ta eEOI:1E~ÈÇ" 7toÀ.i'tw\.1cx)
266 ANDRÉ ROSE

porte l'image (EÎK6va.) de la cité céleste de Dieu. C'est pourquoi,


l'Eglise de Dieu porte le même nom que la Cité céleste, elle dont
il dit que les remparts sont les anges qui la fortifient ainsi que ses
consacrés et ses combattants» (PG 23,441).

Evagre (Pseudo-Athanase):
«Là (le psalmiste) appelle l'Eglise Sion. Lorsque Dieu le Père
a voulu tout récapituler en son Fils, alors il a donné à son Fils
les belles promesses» (PG 27,243).

Théodoret de Cyr:
« (Le psalmiste) prie pour que soit manifestée la nouvelle Sion,
pour que la Jérusalem soit édifiée sur la terre et que rapidement
apparaisse la citoyenneté (1tOÀ.!"t'EU~a.) nouvelle, celle qui offre non
plus des animaux, mais l'offrande et le sacrifice de justice et les
holocaustes spirituels et vivants, dont parle le bienheureux Paul
(Rom 12,1) » (PG 80,1232).

64,2-5: A toi convient l'hymne en Sion,


et on t'adressera une prière à Jérusalem.

Utilisations
Lit. Jérus.: Dédicace (13 septembre) avant 1 Tim 3,14 ss.
Lit. byz: Typ. X' s.: Déd. GE (23 décembre): Alleluia; Ordinaire:
Orthros, Prokimenon.
Lit. ambr.: BA: Déd. 2' Vêpres;
Déd. GE: Matines, répons après l'hymne: «Te decet hymnus,
Deus, in Sion, et libi reddetur votum in sancta Ecc/esia tua ".

Commentaires
Eusèbe de Césarée:
«A Dieu convient non tout hymne, mais celui qui monte (vers
lui) à Sion, c'est-à-dire en son Eglise. Car Sion est d'une part la
vraie Jérusalem céleste et la montagne céleste de Dieu (citation
d'Hébr 12,12 et de Gal 4,26). Telle est la vraie Jérusalem et la Sion
manifestée souverainement, sur laquelle il est dit que règne notre
Sauveur et Seigneur (citation du Ps 2,6). C'est le Royaume dçs
cieux annoncé à ceux qui ont reçu l'évangile.
Mais d'autre part l'Eglise qui est sur terre en est l'image (EÎKW\I),
car elle est aussi appelée du même nom, tantôt Sion, tantôt Jérusa-
lem, et autrement la fille de Sion, la fille de Jérusalem. C'est ainsi
que l'ont annoncée par leurs oracles les prophètes.
LE~S~P~S~A.~U~~~E~S~D~E~.~L~'É~G=L='~S~E~D_A_N_S_L_A~L~'~T~U~R~G='E="________~267
___________

Donc le seul hymne qui convient à Dieu dans les chants, c'est
celui qui est chanté en Sion, c'est-à-dire soit dans la (cité) céleste,
soit dans l'Eglise de Dieu qui est sur terre» (PG 23,625).

Evagre reprend les mêmes significations pour Sion-Jérusalem


(PG 27, 283).

101,17: Dieu a édifié Sion et on le verra dans sa gloire.

Utilisation
Lit. ambr.: MA: Déd. GE: Messe, psalmellus.

Commentaires
Pour Evagre (Pseudo-Athanase: PG 27, 429), Sion c'est
l'Eglise.
«Ton Eglise sera édifiée en Sion» commente Arnobe le
Jeune (PL 53, 471).

Cassiodore:
« Sion a été édifiée, c'est-à-dire l'Eglise mère, construite de pier-
res vivantes, en laquelle le champ cultivé du Seigneur grandira sans
cesse jusqu'à la fin du monde. Mais ce Seigneur qui a édifié Sion,
sera vu dans sa gloire, c'est-à-dire dans la vérité du corps qu'il a
assumé, lorsqu'il séparera les brebis des boucs, envoyant les impies
dans la géhenne, donnant la béatitude éternelle aux justes)} (CC 98,
907-908).

136,5: Si je t'oublie, Jérusalem, que ma main droite soit livrée


à l'oubli.

Utilisation
Lit. ambr: BA: Déd. GE: Laudes (antienne).

Commentaire
Hilaire:
« Il faut toujours garder le souvenir de cette Jérusalem céleste
et de la sainte Sion, soit lorsqu'on souhaite qu'elle nous soit rendue,
soit lorsqu'on pleure de l'avoir perdue» (PL 9,781).

147,1: Jérusalem, loue ton Seigneur,


loue ton Dieu, ô Sion.
?68 ANDRÉ ROSE

Utilisations
Lit. Jérus.: 13 septembre: Alleluia.
Lit. syr. or.: consécration de l'autel.
Lit ambr.: BA: Déd. GE: Jè'" Vêpres; Laudes.
Lit. rom.: PRo onction des murs de l'Eglise;
BR: Vêpres, 5' psaume;
LH: l'ce, Vêpres, 2e psaume.
Lit. ambr.: BA: Déd. GE: l'm Vêpres; Laudes.
Lit. hisp: De rest. bas.: Alleluia.

Commentaires
Hésychius:
«Vision de paix, glorifie le Seigneur, toi, Eglise des nations.
Loue le Seigneur, toi qui es son Eglise, là où se trouve la sanctifi-
cation de la grâce» (PG 27,1328).

Jérôme:
« Là où il y a vision de paix, là où il y a contemplation de Dieu,
là où il y a louange de Dieu, Eglise, loue donc le Seigneur, lorsque tu
commences à croire en lui, à avoir la paix et à voir la paix, c'est-à-
dire Jérusalem, vision de paix» (CC 78,336).

2. LA MAISON DE DIEU, LA MAISON DU SEIGNEUR

26,4: Une chose qu'au Seigneur je demande,


e' est d' habiter la maison du Seigneur
tous les jours de ma vie.

Utilisations
Lit. copt.: consécration de j'autel.
Lit. ambr.: BA: Matines et 2'me. Vêpres (Répons).

Commentaires

Eusèbe de Césarée:
« On voit la beauté, la splendeur et les délices du Seigneur dans
la maison de Dieu, c'est-à-dire dans son Eglise, à cause des ensei-
gnements inspirés de Dieu et saints, où se trouvent la vraie beauté
du Verbe, les vraies délices, dans lesquelles le Seigneur lui-même
se délecte et demeure) (PG 23,340).
LES PSAUMES DE L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE 269

Pour Evagre (Pseudo-Origène), la maison de Dieu, c'est


j'Eglise du Dieu vivant, construite de pierres vivantes (PG 12,
1271). Hésychius y voit le Royaume céleste (PG 27, 741).

25,8: Seigneur, j'ai aimé la beauté de ta maison.


Utilisations
Lit. byz.: Rituel: encensement de l'Eglise;
13 septembre et Dédicace: antienne de communion.
Lit. copt.: consécration de l'autel.
Lit. rom.: PR: aspersion du pavement de l'église.
Lit. ambr.: BA: Déd. GE: 1è", Vêpres: répons.
MA: Déd. Messe: Psalmellus.
Lit. hisp.: De rest. bas.: Messe, antienne d'entrée.

Commentaires

Eusèbe de Césarée:
« Non seulement j'ai fait le tour de ton autel, mais aussi j'ai
aimé toute ta maison, Seigneur, et principalement sa beauté, con-
templée dans les dogmes et les paroles pieuses, dans les lectures
inspirées de Dieu. Que la beauté de la maison de Dieu soit l'orne-
ment de ceux qui se rassemblent, la vie sans péché, la dignité de la
foule et la concorde de ceux qui se rassemblent» (PG 23,236).

Des thèmes analogues se trouvent en Evagre (Pseudo-Atha-


nase: PG 27, 148). Pour Hésychius, la beauté de la maison, c'est
le peuple croyant (PG 27, 740).

92,5: A ta maison convient la sainteté


pour la longueur des jours.

Utilisations
Lit. byz.: Typ. X' s.: Déd. GE (23 décembre), ordinaire: actuel-
lement: Lit. Déd. et 13 septembre: Liturgie, prokimenon.
Rit.: habillement de l'autel.
Lit. copt.: consécration de l'autel.
Lit. rom.: Vêpres, antienne Domum tua m, Domine, decet sancti-
tudo.
Lit. ambr.: Déd., lères Vêpres: même antienne.
Lit. hisp.: De sacr. bas.: Matines, même antienne.
270 ANDRÉ ROSE

Commentaires
Eusèbe de Césarée:
« A ta maison, c'est-à-dire à ton Eglise, rien ne convient plus
pour la garder dans la longueur des jours que la sainteté» (PG
23,1193).

Evagre:
« Sa maison, c'est l'Eglise: il lui convient d'être sainte comme
étant habitée par le seul Saint» (PG 27,408).

On retrouve un développement analogue en Jérôme (Tracta-


tus in ps 92: CC 78, 433):
« Si, selon l'Apôtre, nous sommes le Temple et la maison de
Dieu, la sainteté de notre conduite doit être l'ornement et la beauté
de l'Eglise ».

41,5: J'entrerai dans le lieu de la tente admirable,


jusqu'à la maison de Dieu.

Utilisation
Lit. ambr.: BA: Laudes: «Entrons dans le lieu du tabernacle
admirable, dans la maison de Dieu ».

Commentaires
Pour Eusèbe, il s'agit de l'entrée future en présence de
Dieu (PG 23, 373). De même pour Hésychius (PG 27, 813).

Cyrille d'Alexandrie:
« Le psalmiste appelle tente et maison de Dieu, l'Eglise terrestre,
image (;'«;'<1'];.<Gt) de celle qui est dans les cieux» (PG 69,1004).

67,27 55.: Dans les Eglises, bénissez Dieu,


le Seigneur, depuis les sources d'Israël.

Utilisations
Lit. rom.: PR: Psaume (à partir de ce verset) pendant l'aspersion
des murs.
Lit. copt.: après les trois lectures, verset de l'Alleluia.
LES PSAUMES DE L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE 271

Commentaires
Hésychius:
« Dans ses membres bénissez Dieu, comme il est écrit: "Vous
êtes le Temple de Dieu et l'Esprit de Dieu habite en vous"» (PG 27,
917).

Hilaire:
« Le prophète nous exhorte non à la confession de la synagogue
mais à la bénédiction de l'Eglise» (PL 9,463).

Dans les commentaires patristiques, les termes Sion et


Jérusalem comme les expressions cité de Dieu, maison de Dieu,
tabernacle de Dieu désignent soit la Jérusalem céleste, la béatitu-
de, cité où se trouve le choeur des saints et entourée d'anges,
selon la vision du livre de l'Apocalypse (ch. 22), soit l'Eglise ou
« les Eglises" (les tabernacles: Eusèbe, Evagre) qui se trouvent
sur la terre. La cité de Dieu, c'est l'assemblée de ceux qui vivent
selon Dieu (Eusèbe).
Entre ces deux réalités existent des rapports profonds. Ainsi,
les fondements de l'Eglise se trouvent dans la Jérusalem céleste:
ce sont le Christ et les Apôtres (Eusèbe). En référence à Phil
3,20, le 1toÀhEulLlX (droit de cité ou manière de vivre) se trouve
dans les cieux (Basile). Les portes de cette cité céleste et les
premiers pas qu'on y fait se trouvent ici-bas, dans les Eglises,
qui sont les « portes de Sion" (Eusèbe, Théodoret de Cyr). La
construction de la cité éternelle se fait dans le temps, jusqu'à
la fin du monde (Hilaire).
Préfigurée par le Temple de l'Ancien Testament (Hilaire),
l'Eglise est l'image (d,,':.lV) de la Cité céleste (Eusèbe), son imi-
tation ou sa figure (1L(1L"1JlLo:: Cyrille d'Alexandrie), son modèle
(species: Hilaire). En elle se construit la Jérusalem céleste, qui
est ainsi fondée sur la terre: c'est le Royaume des cieux sur la
terre (Eusèbe).
Sur la base du Ps 86,5, relu à la lumière de Gal 4,26, l'Eglise
est aussi la Sion-Mère (Evagre, Théodoret). Elle est «réjouie
par le cours impétueux du fleuve" (Ps 45,5) qui est l'Esprit Saint
(Basile, Augustin) avec ses charismes (Evagre), la Parole de Dieu
(Didyme) ou la prédication de l'Evangile (Théodoret).
L'Eglise est constituée par l'habitation de Dieu dans les
âmes saintes (Cyrille d'Alexandrie, Ambroise). Elle est, comme
272 ANDRÉ ROSE

Jérusalem, une vision de paix (Hésychius, Jérôme), dont la beauté


se manifeste par les enseignements, les dogmes et les lectures
saintes et dont l'ornement est la dignité des chrétiens et la con·
corde de ceux qui se rassemblent dans l'Eglise (Eusèbe).
On trouve souvent dans ces commentaires l'usage du terme
7toÀh·eu!-'-",. Celui·ci dérive certainement de Phil 3,20: «Notre
7rOÀ(7€U!-'-'" (conversatio) est dans les cieux ". Selon le contexte, il
peut désigner diverses notions voisines, comme la société elle·
même formée par l'Eglise, mais aussi le droit de cité ou citoyen·
neté, qui est toujours céleste (Eusèbe, Théodoret) et la manière
de vivre, radicalement nouvelle, des membres de l'Eglise qui
possèdent ce droit de cité céleste (Théodoret) ".
Compris dans cette perspective, l'usage de ces psaumes ou
versets psalmiques manifeste le sens profond du rituel et de
la liturgie de la Dédicace. Ces chants qui au sens littéral évo·
quaient la Jérusalem terrestre et son Temple, sont transférés ici
à la Cité céleste et à l'Eglise, qui en est la projection ou l'anti·
cipation sur la terre. Ces réalités sont symbolisées visiblement
par les églises de la terre. Celles·ci expriment d'une manière
visible les réalités du Royaume glorieux et transfiguré: elles
évoquent la beauté resplendissante de la Sion céleste.

III. L'ÉGLISE, ÉPOUSE ET REINE

Psaume 44: particulièrement v. 10: La Reine se tient debout à


ta droite.

Utilisations
Lit. syr. occ.: Encensement de l'autel: «David, contemplant
l'Eglise, chantait: "Oublie ton peuple et ta tribu et aban·
donne la maison de ton père" et déclarait: "Le Roi des
rois a désiré ta beauté"»,
Lit. syr. or.:
« La fille du Roi se lève dans la gloire.
La sainte Eglise se réjouit chaque jour et exulte de ce qu'elle
a remporté la victoire par ta croix.

2<1 Pour les significations de 1t'o)..tnu/-Lct, cfr G.W.H. LA..'\1PE, A patristic


greek Lexicon, fase. 4, Oxford 1965, p. 1114 {à ce mot).
LES PSAUMES DE L'ÉGLISE DANS LA LITl.lRGIE 273

L'Eglise est l'épouse et le Christ l'Epoux. Fils de la noce,


préparez les cadeaux.
Eglise, Epouse du Christ, Eglise qu'il a racheté de l'erreur
par son sang et à qui il a donné son corps comme nourriture
vivante, lui que les méchants ont tué sur le Golgotha, et à qui
il a livré dans ses mains le calice du sang précieux qui coula
de son côté par le coup de lance, fais attention et écoute la
voix de l'Epoux. Cesse (de te livrer à) la vaine dissipation de
l'erreur et avec des voix pleines de louange, crie au Sauveur
lui-même: Gloire à toi".
Lit. ambr.: BA: Déd. Matines, Répons:
«Vidi J erusalem descendentem de caelo ornatam auro
mundo, et lapidibus pretiosis in capite. Hallelujah, hallelujah,
hallelujah.
YI. Filiae regum in honore tuo: astitit regina a dextris tuis.
Hallelujah, hallelujah, hallelujah (Apoc 21,10.18-19 et Ps 44,10).

Commentaires
Eusèbe de Césarée:
« Les filles des Rois, c'est-à-dire du Christ et de son Eglise, ce
sont en partie les âmes.
La Reine elle-même, la mère des filles, se tient à sa droite en un
vêtement d'or, revêtue d'un habit aux couleurs variées. Qui est-elle
sinon l'Eglise catholique qui est rassemblée des confins de la terre
parmi tOutes les nations, Eglise qu'il a lui-même fondée sur la
pierre, de sorte que les portes de l'enfer ne l'emportent pas sur elle?
Mieux encore, tu désignerais par là l'Eglise céleste, qui est la
mère des hommes saints qui vivent sur la terre (citation de Gal
4,25 et Hébr 12,22). C'est elle donc qui est l'épouse parfaite du Christ:
sans se tromper on dira que l'Eglise sur la terre est sa fille.
Cette Reine, comme régnant déjà avec son Epoux, est dite se
tenir debout à la droite du Roi, comme étant son Epouse, recevant
de lui la semence, concevant et mettant au monde sans cesse l'esprit
du salut, est revêtue du vêtement royal, le vêtement lumineux de
l'incorruption, qui se trouvant en tout spirituel, est entouré des
puissances angéliques dans les cieux» (PG 23,401).

Evagre:
(( L'Eglise est la Reine, comme devenue l'Epouse du grand Roi.
La station "debout à droite" Signifie l'honneur dont elle jouira dans
le siècle futur; son vêtement aux couleurs variées, c'est la foi, l'espé-
rance et la charité. Elle possède aussi un autre vêtement plus lu-
274 ANDRÉ ROSE

mineux: c'est le Christ lui-même: Vous tous qui avez été baptisés
dans le Christ, vous avez revêtu le Christ (Gal 3 ;27)>> (PG 27;212).
cc Les saints disciples recevant le Royaume des cieux sont de-
venus rois. Aussi les âmes de ceux qui sont nés d'eux selon la vertu
sont appelées filles du Roi.
Toutes ces âmes unies selon la foi et la vertu forment une seule
Reine se tenant debout à la droite du Christ Dieu» (Pseudo-Origè-
ne 12,1432).

Jean Chrysostome:
« Esquissant l'Eglise comme en une image (ELKO\lL) (le psalmiste
a parlé). Ensuite les Apôtres ont dit, l'un "Je vous ai fiancés à un
homme pour vous présenter au Christ comme une Vierge pure"
(1 Cor 11,2); l'autre: "Celui qui a l'épouse est l'époux" (In 3,29);
l'autre: "Le Royaume des cieux est comparable à un roi qui a fait
des noces pour son fils" (Mt 22,2). Cela, (le psalmiste) lui aussi l'a
proclamé auparavant en introduisant la Reine avec le Roi. C'est
pourquoi il dit: "La Reine se tient debout à sa droite"» (Suit une
citation d'Eph 2,6).

Le thème de l'Eglise Epouse et Reine apparaît en tout paral-


lèle à celui de l'Eglise Cité de Dieu, d'autant plus que dans l'Apo-
calypse celle-ci est l'épouse de l'Agneau. Dans l'un comme dans
l'autre cas, les termes sont interprétés comme visant tantôt
l'Eglise céleste, tantôt l'Eglise terrestre. L'Epouse et la Reine
Mère se tenant debout à la droite du Christ Epoux, c'est parfois
l'Eglise transfigurée dans la beauté de l'incorruption (Eusèbe)
dont les fils sont sur terre; mais c'est aussi l'Eglise de la terre,
revêtue du Christ, formée des âmes croyantes, intimement liée
à l'Eglise céleste, au point d'en apparaître comme la projection
et l'anticipation sur la terre (Eusèbe, Jean Chrysostome). On
retrouve ici les thèmes fondamentaux de l'Eglise, nouvelle Jé-
rusalem, avec ses deux dimensions, la future dans l'eschatologie
et la présente sur cette terre.
Ainsi, dans les divers rites chrétiens, la célébration de la
Dédicace exprime le mystère de l'Eglise dans toute sa profon-
deur. De la sorte, les chrétiens prennent conscience que leur
« droit de cité », leur véritable vie, se trouve dans les cieux, d'où
ils attendent l'apparition du Seigneur Jésus Christ venant dans
la gloire (Phil 3 ,20) .

André ROSE
LA PHÉNOMÉNOLOGIE DES RELATIONS
ENTRE L'ÉGLISE ET LA LITURGIE

Les rapports phénoménologiques entre l'Eglise et la Liturgie


n'est pas possible d'être examinés d'une manière complète et
exhaustive aux limites restreintes de l'exposé présent.
Il n'est pas possible que nOus épuisons notre sujet ni en
largeur ni à fond. L'examen du sujet en largeur devient difficile
du fait que autant l'Eglise que la Liturgie ne sont pas des
grandeurs objctivées indépendantes et statiques qui se trouvent
séparées l'une de l'autre et qui se rencontrent tout simplement
et entrent dans une certaine relation. Toutes les deux constituent
des réalités dynamiques qui dépendent l'une de l'autre, circum-
incèdent l'une dans l'autre et sont impensables l'une sans
l'autre. L'investigation à fond de notre sujet devient ardue du
fait que autant dans l'Eglise que dans la Liturgie il est question
d'une réalité divino-humaine, dont la cause génératrice se trouve
à la réalité divine transcendante qui excède les catégories cogni-
tives et logiques humaines.
Le mystère de l'Eglise et la liturgie ont une structure bien
antinomique, comme le mystère du Christ: l'antinomie implicite
du dogme de Chalcédoine. Deux réalités, divine et humaine,
sans fusion, mais dans une unité indivisible et parfaite. On doit
les distinguer avec soin, mais on n'ose jamais les séparer.
S. Bulgakow dit que l'Eglise ne peut devenir objet d'une
définition rationnelle. L'Eglise est la lumière qui contient la
plénitude du spectre, mais qui demeure elle-même tout à fait
blanche, inexprimable par d'autres couleurs, comme la lumière
dans laquelle existent les couleurs.
=2'-7=6 _ _ _ _ _ _ _ _ EVANGELOS THEODOROU

On ne conçoit l'Eglise que par l'expérience, par la grâce,


en participant à sa vie.
Dans cet exposé nous allons rappeler à la mémoire quelques
aspects ou côtés de la vie liturgique, auxquels est évidente la
circumincession de l'Eglise et de la Liturgie divino-humaine.
Dans notre examen nous prenons en considération la tradition
liturgique byzantine, sans pourtant que ceci signifie un mépris
pour la vie liturgique de l'Occident qui lui ressemble essentiel-
lement.
Si l'on veut manifester davantage la valeur intrinsèque des
éléments et des actes du cuIte chrétien et leur rapport organique,
il faut les disposer selon trois cercles concentriques: au cœur le
sacrifice rédempteur, puis les sacrements, puis les offices et
les prières publiques.
Il va de soi que les deux premiers cercles attirent davantage
notre intérêt.
Les points auxquels nous allons nous référer sont au nombre
de neuf:
1) Les différentes formes du cuIte apparaissent, se créent et
sont approuvées par la conscience du plérôme de l'Eglise. Cette
conscience est avancée par les organes de l'administration ec-
clésiastique, qui sanctionne et impose les types du cuIte qui
chaque fois sont en vigueur.
C( II&.\lT:X EÙCTK"Ij!1-ovWÇ XIXL xc~:nx T&.~~V y~vé:crO(ù)) (Omnia honeste et
secundum ordinem fiant) (I Co. 14,40). L'Eglise a toujours le droit
d'exercer son magistère sur la liturgie. Ce magistère est, on
peut le dire, une nécessité; sans cela la liturgie serait vite me-
nacée d'anarchie, chacun corrigeant, abrégeant ou modifiant
selon son caprice.
Saint Cyprien accuse les hérétiques ou schismatiques de son
temps d'établir une liturgie qui n'est pas celle de l'Eglise.
Une certaine différence de conception concernant le magistère
de l'Eglise sur la liturgie était la cause des discussions entre
grecs et latins, qui durèrent pendant tout le Moyen Age et por-
taient principalement sur des divergences liturgiques, l'insertion
du Filioque au symbole, la portée de l'épicIèse, les azymes et
divers rites de la messe et du baptême.
L'assemblée liturgique se rapporte au mot grec «'ExxÀ1)allX)).
Ce mot vient étymologiquement du verbe «È:xxa:ÀÉ:w-W», qui signifie
RELATIONS ENTRE L'ÉGLISE ET LA LITURGIE
------"
277

appeler du dehors, convoquer, rassembler etc. La liturgie est


donc la réalisation de l'Eglise. Le culte suppose d'abord un
effort d'union conventuelle. Ces gens que tout divise dans la
vie ordinaire, intérêts, passions, races, professions, goûts, etc. etc.,
il faut les rassembler, il faut les appeler du dehors, les convoquer
dans la maison du Père.
Toute liturgie est une œuvre collective, une action sacrée
communautaire. Inexorablement la liturgie combat notre égoï-
sme, nous fait découvrir la réalité de l'Eglise et notre destin
communautaire.
Nous prenons conscience des dimensions de la chrétienté et
des exigences de l'unité. Nous ne sommes plus des individus
séparés les uns des autres, mais un peuple embarqué dans la
même prodigieuse aventure, exposé aux mêmes périls et qui
doit choisir entre la mort-solitaire ou le salut-taus-ensemble.
Le caractère hiérarchique de la célébration liturgique, qui
est l'expression la plus tangible du mystère de l'Eglise, tient à
la diversité et à la complémentarité des ministères qui s'y dé-
ploient. C'est pourquoi, si les célébrations manifestent et affectent
le corps tout entier de l'Eglise, elles atteignent chacun de ses
membres de façon diverse, selon la diversité des ordres, des
fonctions et de la participation active. Saint Jean Chrysostome
(PG LXI, 200) dit que

«lors de la réception ùes terribles mystères, tous nous y prenons


semblablement part ... A tous, on offre le même Corps, on présente
une seule et même coupe. Et dans les prihes aussi, vous pouvez
constater la part importante réservée au peuple ... Nous nous donnons
tous le saint baiser... Et puis, pendant les très redoutables mystères
eux-mêmes, le prêtre, certes, prie pour le peuple, mais le peuple
aussi prie pour lui (<< Et avec votre esprit ») ... Même l'Eucharistie
est une prière commune: ce n'est pas le prêtre tout seul qui rend
grâces, mais bien le peuple tout entier. Je vous concède que c'est
le prêtre qui prend le premier la parole; mais remarquez bien qu'il
ne peut commencer l'Eucharistie, l'action de grâces, que lorsque
vous le lui avez permis en disant que c'était une chose digne et
juste. Pourquoi d'ailleurs irez-vous vous étonner que le peuple
s'entretienne par moment avec le prêtre, puisque sa voix s'unit
avec celle des chérubins et des choeurs angéliques eux-mêmes pour
envoyer au ciel cet hymne sacré qui est celui des anges? Si je vous
dis tout cela, mes frères, c'est pour que chacun, même celui qui
se sent le plus au-dessous des autres, soit attentif, afin que nous
comprenions bien que nous sommes tous un seul corps et qu'il
278 EVANGELQS THEODOROU

n'y a point entre nous d'autre différence que celle qui peut exister
d'un membre à J'autre. Aussi ne rejetons pas tout sur les prêtres
mais, au contraire, nous aussi, comme il convient dans un même
corps, tâchons de prendre à coeur ce qui intéresse toute l'Eglise ).

L'assemblée liturgique est la manifestation la plus expressive,


une véritable" épiphanie" de l'Eglise: elle la montre et la révèle.
L'assemblée cultuelle est une assemblée des membres de l'Eglise,
c'est-à-dire du clergé et du peuple (laïcs). Sans la participation
active de ces membres, auxquels l'Eglise a conféré un pouvoir
cultuel, aucune célébration ne peut être achevée.
2) Le pouvoir cultuel provient de la réception effective de
certains sacrements, qui confèrent une consécration, laquelle
permet d'accomplir efficacement les actes du culte chrétien,
résumé dans le sacrifice qu'il faut offrir et dans les sacrements
qu'il faut recevoir ou dispenser. Il peut s'appeler pouvoir sacra-
mentel. cc Que personne ne lnange ni ne boive de votre eucharistie
si ce n'est les baptisés au nom du Seigneur», est-il écrit par
exemple dans la Didaché (IX, 5). Les baptisés ont le pouvoir de
coopérer liturgiquement à l'assemblée liturgique. Ils sont "une
race choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple
d'acquisition" (J Pierre 11,9). Ils sont faits des membres, des
organes ministériels, des instruments vivants du culte. Ils sont
associés initialement à l'œuvre sacerdotale du Christ, qui est la
tête de l'Eglise.
Tous les confirmés participent directement au sacerdoce de
Jésus Christ. Ils ont le pouvoir actif d'exercer certains actes du
culte chrétien. Ils ont en outre le pouvoir passif de recevoir
tous les autres sacrements. Le pouvoir de consacrer le vrai corps
et le vrai sang du Seigneur et de remettre ou de retenir les péchés
vient de l'ordre, qui n'est pas donné à tous.
3) Dès le début le culte a été un moyen très important pour
l'exercice de l'enseignement de l'Eglise. La liturgie «montre
l'Eglise comme un signal levé devant les nations, sous lequel
les enfants de Dieu dispersés se rassemblent dans l'unité ".
La pratique liturgique, qui est «le plus important organe
du magistère ordinaire de l'Eglise », engage nécessairement d'im-
portantes vérités doctrinales et concourt à nourrir la foi de
l'assemblée des croyants. Dans le culte le chrétien découvre sa
véritable carte d'identité.
RELATIONS ENTRE L'ÉGLISE ET LA LITURGIE 279

D'abord la tradition liturgique de l'Orient et de l'Occident


est liée à la promotion des trésors des livres sacrés de l'Ecriture
Sainte. L'Eglise dispense à ses fidèles les vérités précieuses de
la Bible. Ceci n'est pas fait seulement par les lectures bibliques.
Toutes les hymnes, toutes les prières ainsi que les formules
liturgiques sont toutes pénétrées des idées et des expressions
bibliques.
Ce qui intéresse le plus l'Eglise dans les livres saints, c'est
qu'elle s'y reconnaît elle-même. Depuis le commencement du
monde, le mystère de l'Eglise catholique ne cesse d'être proclamé
à travers tous les livres de l'Ecriture. Saint Augustin note que

«c'est une absolue nécessité pour comprendre l'Écriture de penser


au Christ total et complet, c'est·à·dire tête et membres. Quand il
parle, parfois, c'est au nom de la tête seule; parfois, c'est au nom
de son corps, qui est l'Eglise répandue sur toute la terre» (BROUTIN,
233-234).

La Bible appartient en propre non pas à l'individu mais à


l'Eglise. La lecture de l'Ecriture dans l'assemblée liturgique n'est
pas un but en soi et ne devient pas un biblicisme pur. Les livres
de la Sainte Ecriture ne sont pas lus au culte l'un après l'autre.
Le choix et l'ordre des lectures bibliques est soumis à l'année
ecclésiastique et aux fins de l'Eglise. La base de tout, le point
de départ et de référence de tout usage des lectures, de toute
explication de la Bible dans l'homélie liturgique sont la foi de
l'Eglise, le mystère du salut et les fêtes de l'année ecclésiastique.
Ensuite la liturgie était de tout temps liée à l'action homilé-
tique et prédicative de l'Eglise. Les textes liturgiques d'ailleurs
avancent toujours les trésors de la Sainte Tradition et de l'ensei-
gnement moral et dogmatique de l'Eglise. La liturgie est un
témoin privilégié de la tradition apostolique et patristique.
Plusieurs importantes formules liturgiques sont expressément
attribuées à l'un ou l'autre des plus illustres Pères ou écrivains
ecclésiastiques. Ces formules ne visent pas à une expression
purement spéculative, intellectuelle et scolastique, mais à défen-
dre, à nourrir la foi des âmes « in media Ecclesiae », dans une
Eglise vivante d'une manière vécue.
Si nous prenons en considération le caractère didactique
du culte nous pouvons expliquer le fait que souvent, plus spé·
280 EVANGELOS THEODOROU

cialement à l'Orient, la formation des textes liturgiqnes a été


influencée par les combats contre les hérésies. L'Orient ayant
été, dnrant de longs siècles, le théâtre permanent des luttes
doctrinales, on comprend que sa liturgie ait conservé plus in-
tensément l'écho des protestations ardentes de la foi orthodoxe
et réalise constamment, époque par époque, le principe si juste-
ment célèbre d'après lequel la pureté et la fermeté de la doctrine
sert de norme aux manifestations du culte: Lex credendi legem
statuit supplicandi. L'erreur des hérésies a exercé une influence
sur la liturgie par choc en retour. Le plus souvent, l'Eglise
oppose dans sa liturgie une formule nouvelle à l'hérésie. Le sym-
bole de Nicée-Constantinople est composé pour répondre aux
erreurs sur la divinité du Fils et sur le Saint-Esprit etc.
4) La circumincession de l'Eglise et de la liturgie prend encore
des dimensions plus profondes du fait que dans la liturgie est
avancé le mystère pascal du Christ qui est vécu dans l'Eglise.
Dans la vie liturgique sont franchies les catégories ontologiques
immanentes de l'espace et du temps et sont révelées les dimen-
sions du cc temps liturgique » ou du c{ temps condensé ». Dans ce
" temps », d'une part le passé, le présent et l'avenir se joignent
en une unité, dans laquelle i' éternité est vécue dans le présent,
dans l'" aujourd'hui» des textes liturgiques, d'autre part terre
et ciel s'unissent en une réalité, dont la signification n'est pas
physique ou astronomique, mais théologique, christologique,
ecclésiologique, anthropologique, eschatologique. La liturgie mène
à l'union mystique des dépendances matérielles et spirituelles,
des éléments immanents et transcendants, du symbolisme et du
réalisme. "Tout ce qui appartient au ciel se réjouit avec la
terre ... , tout ce qui appartient à la terre danse avec les cieux ».
Au culte, par l'activation et le vécu du sens du temps
liturgique ou condensé, se sont condensées d'une façon mysté-
rieuse devant nous et vécues par nous les choses passées et
futures et même les choses dernières; c'est-à-dire la préhistoire
et les stations principales de l'œuvre rédemptrice du Christ,
ainsi que les biens salutaires découlés de Lui et qui s'étendent
jusqu'aux jours derniers. C'est ainsi que dans le culte nous
ne nous rappelons pas simplement des actes libérateurs du
Seigneur comme quelque chose du passé mais dans le présent
nous arrivons à une participation (f.LÉ:BE:~tç) vivante à la vie et
à l'œuvre du Seigneur. Nous montons à la croix et nous descen-
RELATIONS ENTRE L'ÉGLISE ET LA LITURGIE 281

dons au tombeau avec lui pour être, par la suite, ressuscités et


glorifiés avec l'Epoux de l'Eglise, qui e.t la tête de son corps
mystique. C'est ainsi que dans le culte se sont assimilées la
Christologie, la Sotériologie et l'Ecclésiologie.
Ignace le Théophore écrivait que «là où est le Christ, là
e,t l'Eglise catholique» (Aux Smyrn. VIII, 2). Cette Eglise, as-
sociée à la vie du Christ, parcourt le temps qui l'amène à l'éter-
nité, et, par le culte, elle résume et condense, en quelque sorte,
dans le cycle annuel de sa liturgie, ce grand mystère du Christ
dans la totalité du passé, du présent et de l'avenir, de l'origine
du monde à la consommation des siècles.
La liturgie montre que « ce serait une erreur de croire
que l'économie du salut constitue une sorte de réalité historique
et prophétique close sur elle-même, ayant existé une fois pour
toutes, et à laquelle viendrait s'ajouter comme du dehors et par
surcroît une économie sacramentelle instituée positivement pour
la représenter et la communiquer ». Il ne s'agit pas d'un simple
souvenir du passé. Il s'agit du mystère pascal, d'un mystère
actuellement agissant dans la liturgie, dans et par laquelle
l'Eglise concentre et actualise sa vie (La Maison-Dieu, 1964,
p. 23, 178, 204).
5) Un autre point de la liaison organique entre Eglise et
Liturgie, c'est le rôle essentiel et décisif de l'Esprit Saint à
l'édification de l'Eglise et son acte célébrant dans le culte et
spécialement à l'achèvement des Sacrements qui constituent
l'âme du culte en tout. Ceci explique la structure évocatrice
(épiclétique) des textes liturgiques respectifs, surtout en Orient,
où toutes les anaphores orientales ont une épiclèse. "Les nou-
velles anaphores latines ont très heureusement assumé cette
dimension ecclésiale de l'invocation pour l'Esprit, obligeant ainsi
la théologie occidentale à une révision ». "La liturgie constitue
le lieu par excellence de l'Esprit, source de vie et de sanctifica-
tion, milieu divin où se fait la communion à la vie divine », Jean
Chrysostome dit que "si l'Esprit n'était pas présent, l'Eglise
n, . ' pas» (E'
eXIsteraIt « L tl-fJ'Il 'JEUtlOC
- - 8 ' "CX'J cru'Je:cr'nj
1tCXpi']'J,.oux , 1J• lEXXFl:rJcr~CX».
' ' )
Dans le corps mystique de l'Eglise, c'est l'Esprit qui main-
tient le courant vivifiant de la tête aux n1embres.
Le Saint-Esprit agit dans l'Eglise: il est celui qui constitue
la participation personnelle et existentielle à l'Eglise et actualise
pour chacun la présence du Christ: " Nul ne peut dire Jésus est
282 EVANGELOS THEODOROU

Seigneur que sous l'action du Saint-Esprit" (I Co. 12,3; cf.


Mc. 12,36).

6) La dimension ecclésiologique de la liturgie devient évi-


dente par excellence dans l'achèvement des Sacrements, qui
sont les éléments principaux du culte chrétien, autour desquels
gravite toute la vie liturgique. Le grand ministre et le grand
sujet de tous les sacrements, c'est cette même Eglise dont les
membres sont intériorisés au Chef invisible par une réalité
visible et sociale. "Le sacrement est le lieu où les deux aspects
se rencontrent et s'unissent, la catégorie en laquelle peut s'expri-
mer la nécessaire jonction du corps mystique et de l'Eglise
visible» (J.-M. CONGAR, Esquisses ... , p. 108; BROUTIN, p. 95).
L'homme devient membre de l'Eglise par la foi ct le baptême,
qui est le sacrement de la régénération spirituelle par agrégation
juridique et mystique à l'Eglise. Etre baptisé, c'est" in corpus
Ecclesiae transire, Ecclesiae incorporari }). Le baptême qui nous
incorpore au Christ, ne le fait qu'en nous incorporant à l'Eglise.
L'Eglise est le lieu de rencontre entre l'âme et le Christ. St. Paul
souligne la signification pascale du rite baptismal d'immersion-
émersion, lequel nous configure à la mort et à la résurrection
salvatrices.
En ce qui concerne le sacrement de l'onction chrismale, sa
dimension ecclésiologique est démontrée par tout ce qui a été
mentionné auparavant sur le rapport du Saint-Esprit avec la
vie liturgique de l'Eglise. Le sacrement de l'onction chrismale
a en vue "la transmission de la force et des divers charismes
du Saint-Esprit» pour nous rendre capables de jouer notre rôle
dans l'Eglise.
L'Eucharistie est par excellence le mystère du Christ total,
le sacrement de l'Eglise. Toute la vie de l'Eglise est centrée sur
elle. l'Eucharistie est au cœur même de la liturgie, comme sa
réalisation la plus efficace et la plus éminente.
Toute l'économie sacramentaire rayonne autour de l'Eucha-
ristie, qui se trouve déjà agissante dans le baptême, qui tend
vers elle comme vers son achèvement. Saint Augustin dit que
" le sacrifice du Christ est le sacrifice de l'Eglise qui, puisqu'elle
est le corps même de cette tête, apprend à s'offrir elle-même
par lui-même ». Saint Paul présentait déjà la synaxe eucharistique
comme la manifestation principale de l'Eglise.
RELATIONS ENTRE L'ÉGLISE ET LA LITURGIE 283

Par la façon de parler de St. Paul, les expressions « s'assem-


bler» ou « s'assembler en un mênle lieu », {( repas du Seigneur )}
et {( Eglise)} ou « Eglise de Dieu» sont souvent identiques. Les
termes « Eucharistie» et « Eglise» sont souvent interchangea-
bles (ZrzIOuLAs, p. 36-37).
Toute la vie de l'Eglise, universelle, particulière, missionnai-
re, militante, souffrante et triomphante vient de l'autel et con-
verge vers l'autel. Les sacrements sont, chacun de leur façon,
orientés vers l'Eucharistie, qui est leur source, leur couronne-
ment et leur fin. L'Eucharistie est le moment sacramentel où
l'Eglise célèbre en vérité la réalité qui la fait.
L'Eucharistie n'est pas une fête de l'Eglise, elle est, au sens
le plus strict du terme, la fête de l'Eglise. L'Eglise s'édifie et
s'affermit par sa participation à la Sainte Cène. Elle est «la
koinônia eucharistique continuée, perpétuée» (P. EVDOKIMOV,
p. 128). Par la koinônia du Corps pascal du Seigneur tous devien-
nent un seul Corps du Christ. Le Corps sacramentel porte le
lieu, l'espace du Corps ecclésial.
L'Eucharistie est le sacrement, « quo in hoc tempore conso-
ciatur Ecclesia».
La dimension ecclésiologique du sacrement de l'Ordre est-
elle évidente par la suite. Que la vie de l'Eglise soit liée au sacre-
ment de l'Ordre, c'est de toute première évidence. Le ministère de
l'Eglise est donné dans et pour le dynamisme de solidification
de la communauté humaine en koinônia. Ignace d'Antioche dit
«que cette eucharistie seule soit regardée comme légitime qui
se fait sous la présidence de l'évêque ou de celui qu'il en aura
chargé. Là ou paraît l'évêque, que là soit la communauté, de
même que là où est le Christ Jésus là est l'Eglise catholique»
(Smyrn. VIII, 1). Les ministres de l'Eglise agissent « in persona
Ecclesiae ». Ils sont les représentants du Christ dans l'Eglise
rassemblée pour la prière liturgique. Les prières de l'ordination
nous font entrevoir à quel point l'Eglise tient à un sacerdoce
solidement rattaché aux premiers disciples du Christ.
Dans le sacrement de pénitence nous pouvons aussi voir en
pleine valeur le mystère de l'Eglise. Ce sacrement est pour l'éco-
nomie sacramentaire de l'Eglise une seconde planche de salut.
Les membres de l'Eglise sont tous des pécheurs qui attendent
la pitié de Dieu. Il faut à travers ce groupe de pécheurs discerner
l'Eglise qui est sainte. Tertullien note que «le corps ne peut
284 EV ANGELQS THEODORD U

trouver plaisir aux blessures d'un de seS membres; il faut, au


contraire, qu'il souffre tout entier avec le malade et qu'il cherche
remède, Quand deux chrétiens sont unis, c'est l'Eglise; l'Eglise,
c'est le Christ. Quand tu te jettes aux genoux de tes frères, c'est
le Christ qui tu étreins, c'est le Christ que tu pries. De même,
quand eux pleurent sur toi, c'est le Christ qui souffre, c'est le
Christ qui prie pour toi son Père» (De pœnit. II, 10).
Le sacrement de l'onction des malades peut être considéré
comme une sorte de complément du sacrement de la pénitence.
L'épître de saint Jacques prescrit: "Quelqu'un parmi vous est-il
malade? Qu'il appelle les presbytres de l'Eglise et qu'ils prient
sur lui après l'avoir oint d'huile au nom du Seigneur. La prière
de la foi sauvera le patient et le Seigneur le relèvera. S'il a
commis des péchés, ils lui seront remis ». L'onction des malades
(ou infirmes) met en œuvre la communion des saints. La délica-
tesse et le tact de l'Eglise sont d'autant plus admirables qu'elle
se penche sur l'infirmité corporelle pour remédier aux misères
spirituelles. De plus, pénitence et onction sont des rites purifi-
cateurs qui préparent à l'eucharistie et doivent donc la précéder.
La célébration du mystère du mariage est aussi une mani-
festation de l'Eglise. L'union d'époux à épouse est une nouvelle
réalité chaque fois que deux chrétiens s'engagent l'un à l'autre
par le lien matrimonial. C'est le mystère du corps du Christ qui
se manifeste de façon visible et se renouvelle. " Chaque mariage
chrétien est l'expression vivante, l'actualisation concrète» de
l'union du Christ et de son Eglise (BOUTRIN, p. 124).
7) Les propriétés et attributs de l'Eglise ne sont pas seule-
ment résumés dans l'article relatif du Symbole (Credo) où nous
confessons notre foi en l'Eglise une, sainte, catholique et aposto-
lique, mais en plus vivifient les principales manifestations et
actions de la liturgie.
a) En ce qui concerne l'unité de l'Eglise, l'effet commun
du baptême est la construction de cette unité. Saint Paul avait
écrit aux Corinthiens: « Tous nous avons été baptisés dans un
seul esprit pour forn1er un seul corps »,
Cette koinônia baptismale est le fondement de la koinônia
eucharistique. L'Eucharistie est l'événement où l'Eglise manifeste
son unité et s'accomplit dans son déploiement de communion.
Ici ce réalise au maximum la phrase de Paul: « Puisqu'il n'y a
RELATIONS ENTRE L'ÉGLISE ET LA LITURGIE 285

qu'un pain, à nous tous nous ne formons qu'un Corps, car tous
nous avons part à ce pain unique" (J Co. 10,17).
Sur ce point, les traditions patristiques sont éloquentes à
souhait. Cyrille d'Alexandrie dit que (le Monogène) «par un
corps unique, le sien propre, il bénit dans la communion mystique
ceux qui croient en lui, les faisant concorporels avec lui et entre
eux ... Car si nous mangeons tous de l'unique pain nous formons
tous un unique corps ... Et si nous sommes tous concorporels les
uns avec les autres dans le Christ, non seulement les uns avec
les autres mais aussi avec celui qui par sa chair vient en nous,
comment ne serions~nous pas un, tous, les uns dans les autres
et dans le Christ? " (In Joan. XI, 11). St. Cyprien note que « quand
le Seigneur appelle son corps le pain qui est fait de beaucoup
de grains réunis, il signifie que tout le peuple chrétien qu'il
porte en lui doit être uni. Et quand il appelle son sang le vin
qui est exprimé de nombreux raisins et qui ne fait qu'un seul
liquide, il signifie encore le troupeau que nous sommes, qui ne
fait qu'un par l'union de la multitude" (Ep. 76).
Il faut interpréter dans cette lumière la forme que l'Anaphore
alexandrine de Sérapion de Thmuis donne au récit de l'Institu-
tion: « ... Et comme ce pain, autrefois disséminé sur les collines,
a été recueilli pour ne faire qu'un, ainsi rassemble ta sainte
Eglise de toute race, et de toute terre, et de toute cité, et de
tout village, et de toute maison, et fais d'elle l'Eglise une, vivante
et catholique" (Euch. Serap. XIII, 3). Théodore de Mopsueste
note que « ceux qui furent réunis en un seul corps par le symbole
de la régénération sont maintenant aussi resserrés comme en un
seul corps par la participation du corps de Notre Seigneur"
(6' hom.).
La perspective de koinônia perce avec insistance dans l'épi-
clèse de la Liturgie de Saint Basile, qui dit que « nous participons
au pain unique et à la coupe unique, unis les uns aux autres
dans la communion à l'unique Esprit ". St. Jean Damascène note
aussi que « si le sacrement est une union avec le Christ et les
uns avec les autres, il nous donne de toutes façons l'unité avec
ceux qui le reçoivent avec nous" (De fide ort/l. IV, 13). N. Cabasi-
las, dans son Explication de la divine liturgie, dit que « si l'on
pouvait voir l'Eglise du Christ en tant qu'elle est unie et parti-
cipe à sa chair sacrée, on ne verrait rien d'autre que le corps
du Sauveur ».
286 EVANGELOS THEODOROU

Ce que l'Eglise a voulu dans la célébration de l'Eucharistie,


ce n'est donc pas seulement un certain rapprochement des bonnes
volontés, un accord plus ou moins spéculatif des intelligences,
c'est une communion de vie, une inclusion dans le Christ et dans
l'Eglise" (BOUTRIN, p. 211). Dans l'assemblée eucharistique on
voit "un ensemble indissoluble et unique, un édifice spirituel,
un royaume invisible et uni, malgré la multitude de ses mem-
bres et malgré les distances locales qui séparent les unes des
autres chaque Eglise" (TREMPELAs II, 376).
L'Eucharistie est le signe de l'unité ecclésiastique. Dans la
participation au sacrifice eucharistique et dans la réception de
l'Eucharistie, l'unité de l'Eglise est exprimée de façon parfaite.
L'Eucharistie consomme et représente l'union des hommes au
Christ et dans l'Eglise. L'Eglise qui célèbre le Repas eucharistique
fête son "être-un-seul-Corps". Le Saint-Esprit est l'âme de ce
corps. La coupe circulant de main en main met en relief la
koinônia des convives dans leur participation commune à l'uni-
que don du Père fait en Jésus.
Un écho de cette perception on trouve dans la Hiérarchie
ecclésiastique du Pseudo-Denys, qui dit: ,,(Le hiérarque ... ) en
découvrant et en rompant en pièces le pain jusque-là couvert
et formant un tout unique, et en offrant à tous l'unique calice,
il multiplie symboliquement et distribue l'unité, achevant ainsi
la Liturgie sainte" (Hier. Eccles. III, 3, 12).

b) Toute la liturgie met aussi en pleine lumière la sainteté


de l'Eglise. "Si l'unité de l'Eglise est sa propriété la plus
essentielle, la sainteté constitue sa note la plus précieuse. Grâce
à elle, comme une source intarissable de sainteté, qui purifie et
régénère le monde ... , l'Eglise accomplit sa vocation divine"
(TREMBELAs II, 381) et nous entraîne vers la sainteté. «T", &y"'-
TOLÇ &:.yLOLÇ» (Les choses saintes sont pour les saints).

Caractéristique est la tournure ecclésiale de l'épiclèse de la


Liturgie de saint Jacques: " ... afin qu'ils procurent à tous ceux
qui y participeront la rémission des péchés et la vie éternelle,
la sanctification des âmes et des corps, la fructification des
oeuvres bonnes, l'affermissement de la sainte Eglise catholique
et apostolique fondée sur le rocher de la foi ".
c) Le caractère christocentrique de la liturgie est aussi
la révélation de la catholicité de l'Eglise. Ignace le Théophore a
RELATIONS ENTRE L'ÉGLISE ET LA LITURGIE 287

déjà utilisé le terme catholique: «là où est le Christ, là aussi est


l'Eglise catholique ".
La liturgie montre que la catholicité est à la fois une
propriété intérieure et extérieure de l'Eglise, inséparablement
attachée à son unité, et elle témoigne de sa force inébranlable.
La catholicité est l'expression historique de l'unité, signifiant
qu'à tout moment et en tout lieu elle demeure identique et in-
destructible, en opposition avec les Eglises hérétiques locales.
Même la plus petite assemblée liturgique montre que « l'Egli·
se n'est pas catholique pour être actuellement répandue sur
toute la surface de la terre et compter un grand nombre d'adhé·
rents. Elle était déjà catholique au matin de la Pentecôte alors
que tous ses membres demeuraient dans une petite salle, elle
l'était au temps où les vagues ariennes paraissaient la submerger. ..
Essentiellement la catholicité n'est pas affaire de géographie ni
de chiffres" (H. DE LUBAC, Catholicisme, Paris 1938, p. 26).
d) Ensuite l'apostolicité, propriété et note de la véritable
Eglise, est aussi manifestée par la liturgie. Dès les premiers
siècles on voit fréquemment la liturgie d'être considérée comme
un témoin privilégié de la tradition apostolique. D'ailleurs
l'Eglise célèbre une fête générale et des fêtes spéciales en
l'honneur des Douze Apôtres et de tous ceux qui portent le titre
d'Apôtres et sont, selon le trop aire, «docteurs de l'univers".
e) Des textes liturgiques sont aussi avancés continuellement
et sans cesse - non d'une manière pédante et intellectuelle, mais
de façon vécue et plastique - toutes les expressions ou images
symboliques utilisées par l'Ecriture Sainte et les Pères de
l'Eglise signifiant le caractère mystérieux de l'Eglise. L'Eglise
est appelée dans ces textes le corps mystique du Christ, l'épouse
du Cantique, l'épouse du Christ, la fiancée de l'Agneau, notre
mère, la nouvelle Eve mystique, la cité sainte, la cité de Dieu,
la Jérusalem céleste, le royaume de Dieu, la maison de Dieu,
construite « comme un temple saint », par {( les pierres vivantes»
des fidèles, pour «offrir des sacrifices spirituels agréables à
Dieu" et « faire habiter le Christ dans leur cœur" (Hébr. 10, 21;
Ephés. 2,21; 1 Pierre 2,5; Ephés. 3,17).
Les différentes propriétés et noms de l'Eglise dans les textes
liturgiques désignent les aspects distincts d'une réalité absolu·
ment inouïe et mystérieuse. Ces noms sont des symboles. Nous
288 EVANGELOS THEODORQU

pouvons toujours nous référer à la formule classique de Jacobi:


" En formant l'homme, Dieu "théomorphisait", il avait des consi-
dérations théomorphes, c'est pourquoi, nécessairement, l'homme
"anthropomorphise", il a des considérations anthropomorphes ».
I! est connu, du reste, que, étant donné les limites de la connais-
sance humaine, aucun système de formules dogmatiques ne peut
réunir tous les aspects de la révélation dans une vue de synthèse.
C'est pourquoi, il faut reconnaître que des formules dogmatiques
et des expressions des textes liturgiques ne pourront jamais
rendre de façon exhaustive la plénitude de la vérité de la foi.
Les éléments mentionnés abolissent le caractère statique
du dogme et de la profession de foi par les expressions litur-
giques et ouvrent la dimension du dynamique, d'après laquelle
toute formulation est capable d'être intégrée dans l'autre ou
dans une nouvelle et meilleure formulation. C'est ainsi qu'il
y a des différences légitimes dans la présentation de la doctrine
théologique, de la vie ecclésiale et de l'expression liturgique.

8) Le caractère ecclésiologique des textes liturgiques ap-


paraît aussi dans le fait qu'ils procurent plusieurs arguments
à la Dogmatique contemporaine et précisément à l'Ecclésiologie
qui distingue entre la première, la deuxième et la troisième phase
de l'Eglise (nous avons en vue l'Ecclésiologie volumineuse du
Professeur Jean Karmiris).
La première phase se rapporte à l'Eglise céleste des anges,
qui ayant été les premiers créés sont les premiers-nés de toutes
les créatures. Dans la liturgie byzantine il y a une large " dévo-
tion aux anges, auxquels sont consacrés, outre que plusieurs fêtes
spéciales, des offices particuliers. Les anges sont surtout fré-
quemment présentés dans leur rôle mystérieux mais réel de
concélébrants ou de co-assistants, de co-adorateurs du mystère
eucharistique» (SALAVILLE, p. 75).
La deuxième phase se rapporte à l'" Eglise dans l'Ancien
Testament ». Dans le rite byzantin la dévotion aux Saints com-
porte, entre autres notes caractéristiques, un culte très marqué
pour les saints de l'Ancien Testament, Patriarches et Prophètes,
dont les principaux ont chacun leur fête au cours de l'année
liturgique et auxquels est dédié le dimanche avant Noël, sous
le nom significatif de " Dimanche des Pères ou de la Généalogie »,
une commune solennité qui, selon la formule du synaxaire,
RELATIONS ENTRE L'ÉGLISE ET LA LI1TRGIE 289

« célèbre la mémoire de tous les justes de l'Ancienne Loi ancêtres


du Messie, depuis Adam jusqu'à Joseph l'Epoux de Marie".
Cette fête se retrouve, à quelques nuances près, dans les autres
rites orientaux.
Certains associent avec l'" Eglise de l'A.T.» l'" Eglise des
nations», qui avait été créée par la « parole spern1atique » o..oyoC;
crnEPfJ.~nx6ç). Certes il s'agit d'un" théologoumenon". En tout
cas les {( sages» anciens sont en honneur et ont leur place à
l'iconographie des plusieurs temples orthodoxes. Ainsi par exem-
ple au "réfectoire" du monastère de Lavra à Mont Athos se
conserve sur le mur du sud une grande représentation dite
"souche de Jessé" (Is. 11,1), représentant au milieu Jessé et
à sa gauche Socrate, Pythagore, Solon, Cléanthe et Philon; à
sa droite sont représentés Homère, Aristote, Gallien, Sibylle,
Platon et Plutarque. De représentations semblables où, en plus
des" sages" mentionnés ci-dessus, figurent Sophocle, Thucydide,
Apollonios de Thyane, Diogène, Chilon le Lacédémonien, se sont
conservées aux Monastères de Ivères de Mont Athos, de Gola
de Lacédémone, de Philanthropina et Vellas d'Epire, aux Eglises
du prophète Elie à Siatista, de saint Athanase à Tyrnovo et à
Negades de Zagori et ailleurs. Pareilles représentations on
retrouve à Constantinople, en Asie Mineure, Palestine, Bulgarie
et Roumanie, en nombre moindre aussi en Allemagne et en Italie.
Conformément à tout ce que nous avons exposé plus haut,
le culte se rapporte par excellence à la troisième phase de l'Eglise
du Nouveau Testament. Dans cette phase, en la dévotion litur-
gique à la Toute-Sainte, la Vierge, la Théotokos, fleurit la grâce
christoconformante, qui vivifie et façonne de l'intérieur toute
l'Eglise. En conséquence, à parler d'une manière propre, il faut
dire que la mariologie est une partie de l'ecclésiologie.
D'une importance ecclésiologique considérable est aussi la
dévotion des défunts, pour lesquels les Orthodoxes prient et
offrent le Saint Sacrifice tout comme les Latins; en l'honneur
desquels, dans le rite byzantin, on célèbre deux fois par an une
commémoration générale solennelle, avec messe et office propres.
Le samedi est, d'ailleurs, le jour de la semaine si bien
consacré au souvenir des morts, que le livre liturgique appelé
Paraklêtikê, contenant l'office férial des huit tons pour chacune
des six féries hebdomadaires, a le Samedi, après un Canon à
tous les Saints, un second Canon aux défunts (SALAVILLE, p. 76).
290 EVANGELOS THEO=D-=0:cR:.:c0_U_ _ _ _ _ _ _ __

Du point de vue ecclésiologique il vaut la peine de rappeler


aussi l'honneur des saints. Tout le culte des saints n'est qu'un
aspect du mystère pascal du Seigneur. Les martyrs et les autres
saints ont souffert avec le Christ et sont glorifiés avec lui. Il
s'agit d'« une foule immense que personne ne pouvait compter,
de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, et de toute
langue". Dans l'épiclèse de la Liturgie de saint Basile nous
lisons: « fais .. , que nous trouvions miséricorde et grâce avec
tous les saints qui t'ont été agréables dans les siècles, les ancê·
tres, les pères, les patriarches, les prophètes, les apôtres, les
hérauts, les évangélistes, les martyrs, les confesseurs, les docteurs
et tout esprit juste accompli dans la [ai ".
Dans ce contexte nous devons faire ressortir le fait que dans
le culte apparaît par excellence la liaison entre le présent et
l'avenir de l'Eglise et la «solidarité entre les églises militante
et triomphante". La liturgie nous rappelle que «l'Eglise n'est
pas seulement objet de foi, en sa fondation et en sa tête à
présent invisible, comme son principe divin vivifiant, mais elle
est objet de foi aussi dans sa portion céleste, en relation avec
ceux qui vivent sur la terre et qui doivent se considérer membres
de cette Eglise qui comprend une portion invisible dans les cieux,
dont font partie les ... morts dans la foi" (TREMPELAS II, p. 361).
Un des leil-motives essentiels de la liturgie est l'idée de l'union
entre la terre et le ciel, entre l'Eglise militante et l'Eglise triom-
phante. La liturgie terrestre est un avant-goût de la liturgie
céleste. Tout ce qui se passe à la liturgie ne doit pas être considéré
comme une réalité parallèle à celle des cieux mais identique à
elle (ZrzIOuLAs, p. 40). Dans la perspective eschatologique de
la liturgie, l'Eglise maintient le service de liaison entre ciel et
terre. L'Eglise de la terre pérégrinante se sait associée dans sa
Liturgie à l'Eglise du ciel, dont en Orient elle évoque explicite-
ment la présence sail par les commémoraisons de l'Anaphore
et des fêtes, soit par les icônes de l'icônostase. Cette conviction
a son axe dans la présence au milieu d'elle de celui que l'Apo-
calypse nomme l'Agneau. Celui, qui siège sur le trône divin,
devient présent en son humanité de gloire sur l'autel de l'Eglise
terrestre. Il ne s'agit donc pas simplement de l'évocation d'une
réalité future vers laquelle on se sait en marche: l'avenir se
trouve déjà ici. La liturgie dite de Jean Chrysostome met ce
point en plein relief dans l'Hymne chérubique. Alors que le
RELATIONS ENTRE L'ÉGLISE ET LA LITURGIE 291

Choeur affirme qu'il" représente mystiquement les Chérubins»


et que le prêtre proclame la Seigneurie de Jésus, le diacre, puis
le Choeur précisent qu'il s'agit de " recevoir le Roi de l'Univers
invisiblement escorté des troupes angéliques ».
9) L'Eglise comme ayant une structure divino-humaine
(théandrique) et réalisant la " recapitulation » de tous en Christ,
a des dimensions historiques, se lie à la réalité historique et
culturelle qui s'étend dans le temps et l'espace et elle est repré-
sentée par des églises et des communautés locales. Ces relations
et corrélations spatio-temporelles de l'Eglise se reflètent à la
diversité des types et des familles liturgiques que nous présente
l'histoire du culte chrétien. Dans la liturgie on voit la puissance
qu'a l'Eglise de récapituler "toutes les choses dans le Christ,
celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre»
(Ephés. 1,9-10), c'est-à-dire tous les domaines ontologiques. A
l'intérieur de cette structure les données terrestres sont reliées
aux données célestes. Le temps, qui court, est la voie qui mène
à l'éternité et l'éternité est vécue dans les circonstances tempo-
relles. Il s'agit d'une réalité terrestre rayonnant d'une lumière
divine et de couleurs célestes.
L'élément cosmique et matériel de la liturgie mentionne que
l'Eglise est ici-bas le commencement de la récapitulation de
l'univers de la nature et de la culture dans le Christ, les prémices
de l'univers rassemblé dans le Christ.
La liturgie montre que dans l'unité de l'Eglise toutes les
créatures se réunissent. Toutes les créatures, visibles et invisibles,
sont quelque chose à l'Eglise. Le Christ est tête de l'Eglise dans
le registre de la causalité morale et dans le registre de la causa-
lité physique.
La dimension cosmique de l'Eglise apparaît par excellence
par la place que la Résurrection du Seigneur possède dans le
culte orthodoxe; la Résurrection a rendu et à la chair humaine
et même à la création tout entière la gloire.

* * *
De ce que nous avons rapporté s'ensuit que l'Eglise n'est
plus seulement le corps pascal du Christ, elle est aussi le moyen
de réalisation et de construction de ce corps. L'Eglise concentre
292 EVAN GELOS THEODOROU

sa vie dans et par la liturgie. L'œuvre du salut continuée et


actualisée par l'Eglise s'accomplit dans la liturgie. L'Eglise s'édi-
fie et s'affermit par sa participation à la liturgie, c'est-à-dire par
la participation plénière et active du peuple saint de Dieu aux
célébrations liturgiques, surtout dans la même Eucharistie.
Par conséquent, la liturgie n'est pas une simple guirlande
décorant la vie ecclésiastique. La liturgie est source et fin de
l'activité ecclésiastique tout entière. L'Eglise est la fin propre,
immédiate, de la liturgie et principalement de l'Eucharistie.
L'Eglise est autant la cause efficiente et la cause formelle que
la cause finale de la liturgie. Le principe d'Aristote «Le tout
précède la partie» vaut même pour la partie la plus minime
de la liturgie. L'Eglise est l'entélechie qui anime quelle que soit
partie et côté de la vie liturgique. L'Eglise est le début et la fin,
l'Alpha et l'Oméga, la cause génératrice et le but final de la
liturgie.
Ces constatations, qui sont valables autant pour le culte
byzantin que pour le culte romain, conduisent encore une fois
au résultat, que l'Oecuménisme, qui doit s'appuyer et se fonder
sur l'ecclésiologie, pourrait éviter des orientations dangéreuses
en refusant d'entrer à des discussions studieuses qui visent à un
accord par investigation (intellectuelle) sur des mystères divins
inintelligibles. Par contre, il pourrait s'appuyer davantage à la
vie liturgique des Eglises, comme cela se fait tellement bien
par les semaines liturgiques, qui sont organisées chaque année
ici à l'Institut Saint Serge.

Evangelos THEODOROU

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J. ZrzIOuLAs, J.-M.-R. TILLARD, J.-J. VON ALLMEN, L'Eucharistie, Maison
Marne 1970.
«ECCLESIA MATER OMNIUM VIVENTIUM »
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE

L'Eglise universelle n'est pas simplement la somme des


diverses Eglises locales. Pas plus d'ailleurs que chaque Eglise
locale une simple partie de l'Eglise universelle. En fait, dans
chaque Eglise locale, c'est toute la réalité ecclésiale qui se rend
concrètement visible. On y trouve la manifestation de l'unique
mysterion de l'Ecclesia Dei, avec l'ensemble des caractères consti-
tutifs de l'ecclésialité, y compris la liturgie qui y apparaît com-
me la réalité la plus éminente et la plus importante. D'autre part,
il faut ajouter qu'il n'existe pas de liturgie de l'Eglise universelle.
Chaque liturgie est l'expression d'une Eglise particulière '. Savoir
distinguer cependant dans la liturgie d'une Eglise locale le
« souffle» ecclésiologique universel, c'est pénétrer dans le
« coeur» de la liturgie et comprendre dans sa vraie dimension la
nature constitutive de l'Eglise. En effet, il n'y a pas d'expression
plus à même d'indiquer la vision organique et complète de
l'Eglise, que celle de la catégorie liturgique.
Dans ce contexte précis, nous voulons attirer l'attention
sur l'eucologie des formulaires des messes pour la dédicace d'une
église, formulaires' inscrits dans le cadre vaste de la caracté-

1 Cfr. Liturgie de l'église particulière et liturgie de l'église universelle. Con-


férences Saint-Serge. XXlI~ semaine d'études liturgiques. Paris, 30 juin-3 juillet
1975 (éditées par A.M. TRIACCA) (Roma 1976) 410 p.
2 Cfr. F. DELL'ORO, La messa «In Dedicatione Ecclesiae» nei messali ambra-
siani antichi, in: Miscellanea Liturgica in onore di sua Eminenza il cardinale
Giacomo Lercaro, II (Roma 1967) 537-627. [Nous citerons dorénavant avec:
DEU'ORO].
296 ACHILLE M. TRIACCA

ris tique ecclésiocentrique du Missel propre à la liturgie de la


Sainte Eglise de Milan '. Cell-ci, dans l'Occident chrétien, encore
aujourd'hui, dans le sillage de son antique et vénérable Rit Am-
brosien 4, possède le missel réformé selon les normes des décrets
du concile Vatican II 5 et s'applique à la préparation des autres
livres liturgiques '. En d'autres termes, cette Eglise locale reste
un « drapeau levé» sur les Eglises locales, l'heureux amalgame
d'une incessante dynamique vers l'unité ecclésiale, c'est-à-dire
vers l'Ecclesia Princeps, avec une activité apostolique, dans un
décentrement équilibré et bien compris. Ce décentrement, en
symbiose avec l'adaptation au caractère des divers peuples 7
souhaitée en matière liturgique par le Concile Vatican II et déjà
partiellement répandue de manière officielle dans tout le Rit
Romain D, trouve dans la liturgie ambrosienne un document
précieux et fécond pour aider à la compréhension de la réalité
ecclésiale.

3 L'expression se trouve dans les titres des missels ambrosiens d'hier (cfr.
Missale Ambrosianum iuxta Ritum Sanctae Ecclesiae Mediolanensis - Editio
quinta post Typicam [Mediolani 1954J ct ainsi les précédents) ct d'aujourd'hut
(cfr. Messale Ambrosiano seconda il Rita della Santa Chiesa di Milana. Rifor-
mata a norma dei Decreti del Concilia Vaticafw II. Pmmulgato dai Signar Car-
dinale Giovanni Colombo, Arcivescovo di Milana, 2 voll. [Milano 1976] IvoI.,
pp. LXVIII + 864; II vol.. pp. XXIV + 1028 = NMA).
4 Cfr. P. BORELLA, Il rito ambrosiano (Brescia 1964) et bibliographie (pp. 475-
493). A propos de la liturgie ambrosienne voir aussi les expositions du même P.
BORELu., dans: M. RIGIIETTI, Manuale di storia liturgica, vol. II (Milano3 1966)
615-677; vol. IV {Milano2 1959) 555-620. Et aussi encore A.M. TRIACCA, La liturgia
ambrosiana, dans: AA.vV., Anamnesis. 2. La Liturgia: panorama storico gene-
raIe (Torina 1978) 88-110; IDEM, Libri liturgici ambrosiani, dans Q.C., 201-217.
5 Cfr. note 3 ci-dessus; et aussi AM. TRIACCA, L'eucologie ambrosienne dans
la structure du nouveau Missel de la «Sancta EccIesia Medivlanensis", dans:
Gestes et paroles dans les diverses familles liturgiques. Conférences Saint-Serge.
XXIV" semaine d'études liturgiques Paris, 28 Juin-1er Juillet 1977 (éditées par
A.M. TRIACCA) (Roma 1978) 301-328; IDEM, Il nuovo Messale Ambrosiano. (Iniziali
riflessioni), dans: Liturgia. Notiziario quindicinale Centro Azione Liturgica nr.
260-261, 12 (1978) 43-51; F. DELL'ORO, Il nuovo messale della Chiesa ambrosiana,
dans: Rivista Liturgica 64 (1977) 524-623.
6 Pour 1'« aggiornamento" de la réforme des livres liturgiques ambrosiens,
voir: Ambrosius. Rivista di pastorale ambrosiana (Centra ambrosiano di
documentazione c studi religiosi - Milano) et pour la Bibliographie aussi sur le
sujet de la liturgie ambrosienne, voir: G. FIGINI, Rassegna Bibliografica Mila-
nese, dans: Ricerche Storiche sulla Chiesa Ambrosiana, II (Milano 1971) 454-
496; III (Milano 1972) 218-250; IV (Milano 1974) 277-322; [G. FIGINI-G. COLOMBO]
VI (Milano 1976) 361400.
7 Cfr. A.M. TRIACCA, Adattamel1to liturgico: utopia, velleità 0 strumento della
pastorale liturgica?, dans: Notitiae nr. 150, 15 (1979) 26-45.
8 Cfr. A. CUVA, La creatività rituale nei libri Iiturgici ai va ri livelli di com-
petenza, dans: Ephemerides Liturgicae 89 (1975) 54-99.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 297

I. BRÈVE PRÉSENTATION DES FORMULAIRES DIRECTE-


MENT ECCLÉSIOLOGIQUES PROPRES À LA LITURGIE
AMBROSIENNE D'" HIER"
Puisque nos considérations s'attacheront fondamentalement
à l'eucologie Eucharistique ambrosienne', l'ais sant à d'autres le
soin de l'étude de la liturgie des Heures ", venons-en directement
aux formulaires ecclésiologiques propres à la liturgie ambrosienne
d'" hier", et nous ferons à leur propos quelques remarques pré-
liminaires,

1. LES FORMULAIRES QUI NOUS INTJ?RESSENT DIRECTEMENT

Dans le dépôt eucologique ambrosien, considérons de plus


près les formulaires pour la dédicace d'une église. Ceux-ci ont
été étudiés d'une manière profonde et exhaustive en ce qui con-
cerne leur formation et évolution, par notre confrère Ferdinando
Dell'Oro, dans une étude parue dans les Mélanges offerts au
Cardinal Lercaro ".
Les sources liturgiques ambrosiennes sont pratiquement
concordantes" lorsqu'elles témoignent de l'existence de trois
groupes de formulaires pour la dédicace d'une église.
Un pre mie r for m u 1air e qui, selon l'avis des spé-
cialistes 13, nous livre le niveau primitif ambrosien 14, compren-
drait cinq oraisons 15 que Dell'Oro nomme {( de rechange)} '\

9 Pour l'étude des sources liturgico-ambrosiennes voir: A.M, TRIACCA, Per


una migliore ambientazione delle fonti liturgiche ambrosiane sinassico-eucari-
stiche (Note metodolagiche), dans: A. CUVA (éd.), Fons vivus. Miscellanea litur-
giea in memoria di Don Eusebio Maria Vismara (Zürich-Roma 1971) 163-220.
10 Cfr. E. CATIANEO, Il Breviario Ambrosiano. Note storiche ed illustrative
(Milano 1943).
11 Cfr. ci·dessus à la note 2 (= DELL'ORO).
12 Voir les tableaux des concordances et des absences des pièces dans: DEL'
L'ORO, passim, spécialement pp. 540-541; 554·555; 590.
13 A l'opinion du DELL'ORO, 540-576, il faut ajouter l'opinion de Monsieu~'
A. PAREDI, l prefazi ambrosiani. Contributo alla storia della liturgia latfna (Ml·
lano 1937) 198·202; et de A.M. TRIACCA, l prefazi ambrosiani deI cielo « De . Tem.-
pore» secondo il « Sacramentarium Bergomense ». Avviamento ad uno studIO en·
tieo·teologicoJ (Roma 1970) 101·103.
14 A propos des trois principales rédactions de la liturgie ambrosienne an·
cienne, voir: A.M. TRIACCA, Liturgie ambrosienne: amalgame hétérogène ou
« specificum» influent? Flux, reflux, influences, dans: Liturgie de l'église parti·
culière ... , o.c. (à la note 1), 289-327, spécialement 306-307.
15 Il s'agit des pièces numérotées dans l'édition du Sacramentarium Bergo-
mense, soit par P. CAGIN (Solesmes 1900) soit par A. PAREDT (Bergamo 1962) avec
les nr. 1226·27·28·29·30. Nous employerons l'édition de A. PAREOl (éd.), Sacramen·
tarium Bergomense. Malloscritto deI secolo IX della Bfblioteca di S. Alessandro
il1 Colonna in Bergamo (Bcrgamo 1962) [= Ber].
16 Cfr. DELL'ORO, 540.
298 ACHILLE M. TRIACCA

suivies du formulaire vrai et propre pour la llleSse « in dedica-


tiane», Celui-ci présente l'eucologie propre aux formulaÎres de
la messe ambrosienne, c'est-à-dire: l'Oratio super populum 17,
l'Oratia super sindanem lB, l'Oratia super ablata 18, la Praefatia '0,
l'aralia past cammunianem ". De plus, selon une concordance
« sui generis» l!2, nous trouvons les trois péricopes de lecture de
la Parole de Dieu" propres à la tradition ambrosienne.
Un sec and far m u 1 air e "Item alia missa in Dedica-
tione Ecclesiae» 24, dont ténl0igne aussi le « Sacramentarium
Bergomense » 25 dans ses formules eucologiques (sacramentaire
qui, à la différence des autres sources ambrosiennes ", n'indique
pas ici les lectures), comprend les prières présidentielles typique-
men t ambrosiennes 27 et les diverses lectures qui proviennent en
partie du premier formulaire"_

17 Ber 1241: Or. sup. pop.: «Deus qui de vivÎs ct electis lapidibus, aeter-
num nomini tua candis habitaculum. da aedificationi huic incrementa iustitiae.
Ut ab omnibus hic invocantibus nomen tuum. protectionis tuae auxilium scn-
tiatur. peL ».
18 Ber 1232: S.s.: «Omnipotens sempiterne deus. qui in omni loco domi·
nationis tuae totus assistis. ct totus opcraris. adesto supplicationibus nostris.
et huius domus. cuius es fundator esto protector. Nulla hic nequitia contra·
riae potestatis obsitat. sed virtute spiritus sancti operante. fiat hic tibi semper
purum servitium. et devota libertas. per dominum. in unitate ».
19 Ber 1233: S.O.: «Deus qui sacrandorum tibi auctor es munerum. ad
sanctificationem loci huius. propitius adesse dignare. Ut qui haec in tui no-
minis honore condiderunt. protectorem te habere in omnibus mereantur. pero ».
20 Ber 1234 Pro VD: «Pcr xpm. dominum nostrum. qui eminentiam potesta·
tis acceptae ecclesiae tradidit. quam pro honore percepto. et reginam consti-
tuit et sponsam. Cuius sublimitati universa subiecit. ad cuius iudicium consen·
tire iussit e caelo. Haec est mater omnium viventium filiorum numero facta
sublimior. quae per spiritum sanctum cotidie deo filios procreat. cuius palmi-
tibus mundus omnis impletus est. Quac propagines suas ligno baiulante suspen·
sas. erigit ad regna coelorum. Haec est civitas illa sublimis iugo montis erccta.
perspÎcua cunctis et omnibus clara. cuius conditor et inhabitator est idem
dominus nos ter ihs xps filius tuus. Qucm una tecum. )).
21 Ber 1235: P.C.: «Benedictionis tuae quaesumus domine piebs tibi sacra
fructus reportet et gaudium. Ut quod in huius festivitatis die corporali servitio
exhibuit. spiritualiter sc retulisse cognoscat. pero ».
22 Cfr. DELL'ORO, 570.
23 En synopsis de toutes les sources anciennes ambrosiennes, on peut voir:
Ja leetio: Apoc 21,2-5a: ou 1s, 11-14; ou Bar 3,24-37; 2a Zeetia self epistofa: 2
Tim 2, 19-22; 3a lectio seu Evangelium: Jo 10,22-30: ou Luc 19,1-10.
21 Cfr. DELL'ORO, 577.589.
25 Ber 1236-1240 == Item alia missa.
26 Voir la liste des sources dans l'oeuvre du DELL'ORO, 538 et la table synop·
tique à la p. 588.
27 C'est-à.dire les oraisons: super populum (Ber 1236); super sil1donem (Ber
1237): stlper oblata (Ber 1238); praefatio (Ber 1239); post commU/1ionem (Ber 1240).
28 On peut faire la comparaison entre le pièces témoignées dans les autres
sources ambrosiennes: c-à-d.: 1a lectio: Apoc 21, 9b-27; 2a lectio seu epistola:
1 Cor 3,9-15; ou 1 COI" 3,16-23; ou 2 Tim 2,19-22; 3a lectio seu Evangelitlm: Jo
10,22-30; ou Luc 19,1-10; ou Luc 6,43-49; ou Matth. 21,10-17.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 299

Ce second formulaire, qui comptera des pièces eucologiques 23


et des péricopes de lecture de la Parole de Dieu'" caractéristiques
de la tradition milanaise ", atteste l'existence de la fête de la
dédicace dans sa propre église. L'époque de leur attestation
coïncide à peu près avec celle des missels ambrosiens antiques.
En ce qui concerne l'analyse interne des textes et leur compa-
raison avec ceux du premier formulaire, il faut convenir de ce
qu'ils témoignent d'une seconde rédaction ambrosienne dont
nous avons déjà parlé ailleurs, non comme d'une hypothèse de
travail, mais comme d'un donné de fait, que l'on peut aussi
prouver au-delà de la seule considération eucologique, et pré-
cisément si l'on tient compte de tous les facteurs propres aux
sources ambrosiennes. D'autre part, si Heiming 32, au moyen
d'arguments différents des nôtres, a démontré la même chose,
c'est-à-dire l'existence d'une seconde rédaction ambrosienne, nous
ne parvenons pas à comprendre pourquoi quelqu'un s'obstine à
faire passer d'un traité à l'autre des phrases subtiles et confuses
dans la sphère du probable et de l'indéterminé. Nous ajouterons
que de la rédaction primitive ambrosienne, dont l'existence fut
démontrée entre autres par Paredi 33 et qui remonte au Ve siècle,
à la rédaction carolingienne (troisième rédaction pour nous!)
démontrée par d'autres spécialistes 34, la rédaction du VII/VIII'

29 Il s'agit des oraisons Ber 1237: S.s.: « Populum tuum domine propitius
intuere. et in templo nomini tua aedificato. tuam pietatem invocantes. misera-
tionis tuae potiantur auxilio. pero »; Ber 1238: S.ob.: « Quae in hoc altari pro-
posita domine oculis tuae maiestatis offerirnus. sancti tui il!. quaesumus suppli-
cationibus propitiatus assume. pero ll; Ber 1239: Pro VD: « Aeterne deus. Qui
hanc ecclesiam nomini tuo dicatam annua festivitate illustras. atque mysticis
ornatam virtutibus de terris mittis ad caelum. Haec est enim domine mater
viventium, "\ita et salus omnium in te credentium. Haec est sponsa agni tui
mirabili ipsius illustrata decore. pro qua clementissime pater. unigenitus tuus
crucem pcrtulit. et adversarium ",icit. Unde et a dextris tuis in caelestibus
constituta. ac suorum civium dccorata virtute rnaiestatem tuam trina vace inter-
pellare non cessat. Quam 1.a.u. l'.
30 Les pièces de la Parole de Dieu sont spécifiquement ambrosiennes.
31 Les justifications et les preuves chez DELL'ORO, 578-589.
32 Cfr. O. HEIMING, Aliturgisc11e Fastenferien in Mailand, dans: Archiv für
Liturgiewissenschaft 2 (1952) 44-46; IDEM, Il lavoro di Maria Laach intorno al
breviario ambrosiano, dans: AA.VV., Problemi di Liturgia Ambrosiana. Alti del
Congresso LitHrgico Ambrosiano (Milano 1949) 48-58: IDEM, Die Episteln der
Montage, Dienstage, Mittw,Jche und Dmmerstage der Mailiinder Quadragesima,
dans: lal1rbuch für Liturgietvissenschaft 7 (1927) 141-144 (voir aussi dans: Am-
brosius 6 [1930] 25-27).
33 Cfr. A. PAREOl, O.C. ci-dessus à la note 13. Voir aussi O. HEIMING, Das mai-
landische Prafationale, dans: Archiv für Liturgiewissenschaft 1 (1950) 128-132.
34 Par exemple voir: P. BOREI.LA, lnfilissi carolingi e monastici sul Messale
Ambrosiano, dans: Miscellanea Liturgica in honorem L. Cw1.iberti Mohlberg, 1
300 ACHILLE M. TRIACCA

siècle (seconde rédaction) correspond au phénomène commun


à l'ambiance extra-ambrosienne, dit de la rédaction des gélasiens
du VIII" siècle et par rapport à laquelle la seconde rédaction am-
brosienne est antérieure d'environ un demi siècle.
Un t roi s i ème for m u 1 air e intéressant pour nous
est présent dans les sources ambrosiennes, celui de la Missa in
anniversario dedicationis Ecc/esiae 35. Il n'est pas vraiment présent
dans les missels les plus anciens, mais bien dans les plus récents.
Ce formulaire, qui comprend des pièces eucologiques et des
passages de la Sainte Ecriture, manifeste clairement son origine.
Il est le témoin d'une liturgie milanaise « contaminée" et sous
l'influence des gélasiens tardifs comme les sacramentaires de
Gellone et d'Angoulême ".

2. QUELQUES TRAITS SAILLANTS

Maintenant, quelques considérations utiles s'imposent, que


nous présentons assez schélnatiquement:
al L'eucologie du premier formulaire se présente comme
étant la plus proprement et purement ambrosienne. En effet,
les cinq oraisons de rechange sont attestées par au moins huit
missels anciens. Malheureusement, elles disparaîtront progressi-
vement dans les missels postérieurs. A leur propos, il a déjà
été démontré que deux seulement trouvent des imitations ou des
concordances avec d'autres oraisons dans les sources liturgiques
occidentales" et que celles-ci sont postérieures au dépôt euco-
logique ambrosien.

(Roma 1948) 73-115; A.M. TRIACCA, Per una migliore ... , a.c., ci-dessus à la note 9.
pp. 205·215.
35 Voir le titre: Missa in Anniversario DedicatiDnis Basilicae chez le Ms D.
3-3 de la Bibl. CapU. Metropol. de Milan. Cfr. J. FREI (éd.), Das Ambrosia»i-
sche Sakramentar D 3-3 aus dem Mailiindischen Metropolitankapitel. Eine
textkritische und redaktionsgeschichtlic1œ Untersuchung der mailiindîschen Sa-
kramentartradition = Corpus Ambrosiano - Liturgicum III (Münster i. W. 1974)
nr. 636-339.
36 Les affirmations et les preuves chez DELL'ORO, 590-593.
37 Il s'agit de Ber 1231 qui trouve une partielle concordance dans Le Sacra-
mentaire gélasien d'Angoulême (P. CAGIN [éd.]) (Angoulême [1918]) nr. 2166
(voir autres concordances chez P. SIFFRIN, Konkordanztabellen zu den romischen
Sakramentarien. Il. Liber Sacramentorum Romanae Aeclesiae [Roma 1959] 89)
et dans le Liber Sacramentorum Romanae Aeclesiae ordinis anni circuli. [Sacra-
mentarium Gelasianum] (L.C. MüHLBERG [éd.]) (Roma 1960) nr. 710; et de Ber
1233 qui trouve une partielle concordance dans Le Sacramentaire gélasien d'An-
goulême, D.C., nr. 2129 et dans Le Sacramentarium Gelasianum, o.c., nr. 703.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 301

b) Par contre, l'eucologie du second formulaire de la messe


« in dedicatione» atteste une contamination en ce qui concerne
l'eucologie mineure, avec des sources extra-ambrosiennes, excep-
tion faite pour la postcommunion. Et aussi la préface «Qui
eminentiam" ne trouve pas de parallèles dans les autres livres
liturgiques occidentaux. Selon Paredi" et selon une de nos
études récentes ", la préface est purement ambrosienne et appar-
tient au noyau primitif. Ainsi, si la préface est d'origine milanaise
et du V' siècle, on peut présumer que tout le formulaire In
dedicatione soit ambrosien, d'autant plus que l'oraison post com-
munionem n'a pas de parallèles dans les autres livres liturgiques,
et que les autres sources copient ou transforment à partir de
l'eucologie ambrosienne.
c) Quant au système des lectures du premier formulaire,
vu l'absence de références certaines dans les listes de lectures
propres à l'Eglise de Milan, «celà conduit, écrit Dell'Oro, à
situer la formation de ce petit noyau de lectures caractéristiques
(ou propres) pour la dédicace, dans une période de temps qui
pourrait aller de la fin du VI' siècle ou début du VII' siècle,
jusqu'au IX-X' siècle (au plus tard, début du XI' siècle): prati-
quement à l'intérieur du laps de temps où se développe l'ancienne
tradition liturgique sur la Missa in dedicatione attestée par les
anciens missels ambrosiens» 40 ,
Ce qui revient à dire qu'entre le noyau primitif ambrosien, y
compris ce qui lui est immédiatement postérieur (Simplicianus
t 401) et qui se réfère au rédacteur du V' siècle, et la rédaction
carolingienne, naît ce merveilleux tissu de l'eucologie ambrosien-
ne de la seconde rédaction.
d) Le second formulaire, soit dans l'eucologie, soit dans les
lectures, atteste un caractère de « dédicace» ou mieux, la finalité
spécifique du formulaire qui est une couche primitive am-
brosienne. Il suffit de voir par exemple les textes de la super
sindonem et de la préface qui hanc ecc1esiam. Il est démontré
qu'il s'agit d'un formulaire de dédicace pour une église mi-
neure 41,

38 Cfr. A. PAREDl, a.c., ci·dessus à la note 13.


39 Cfr. A.M. TRIACCA, a.c., ci-dessus à la note 13.
40 DELL'ORO, 575-576.
41 Voir par exemple P. BORELL.\, Il prefazia ambr.Jsiano della Dedicazione e
tm carme anal1imv deI terza secaIo, dans: Ambrosius 39 (1963) 271-285.
~3-,,0=2__________A_C_H-cILLE M. TRIACCA

e) Ceci est lié à un donné de fait très important.


La tradition ambrosienne est le témoin de trois significatives
dédicaces d'églises.
La première et la plus ancienne est la dédicace de l'église
majeure ou ecclesia aestiva ". Dédiée à sainte Thècle, martyre
d'Iconium, et célébrée pour la première fois par l'Archevêque
saint Eusèbe en 453 après la reconstruction de l'église détruite
par l'incendie (printemps 452) provoqué par les Huns d'Attila.
La seconde dédicace est au IX' siècle celle de l'ecc/esia minor
ou ecclesia hiemalis dédiée à la Mère de Dieu 43.
La troisième est la consécration de la cathédrale, construite
sur le site de deux anciennes églises, par saint Charles Borromée
le 20 octobre 1577 (III' dimanche d'octobre) '"'.
f) L'on peut ainsi comprendre deux donnés ultérieurs:
Le premier, celui de l'existence du formulaire de la Missa
in anniversario dedicationis Ecclesiae propre à quelques anciens
missels ambrosiens. Et le troisième formulaire dont nous avons
parlé plus haut ".
Le second, est le groupe des dimanches que l'on trouve dans
les missels ambrosiens anciens 46 ou récents 47, Uusqu'à la ré-
forme post-conciliaire) des dimanches qui gravitent autour de
Dominica in dedicatione Ecclesiae Maioris qui, selon la constante
tradition ambrosienne, est célébré le III' dimanche d'octobre.

42 Voir A. DE CAPITANI D'ARzAGO, La «chiesa maggiore» di Milano. Santa


Tecla (Milano 1952); D. DELL'ORO, Il discorso « In reparatione EccZesiae Mediola-
Ilensis» pey la solenne dedicaziolœ della «Ecclesia Maioy» nell'anno 453, dans:
AA.VV., II DuomJ cuore e simbolo di Milano. IV Cwtenario della Dedicazione
(1577-1977) (Milano 1977) 268-301, et aussi DELL'ORO, 594-627 [= La Dedicazione della
«Ecclesia maiar» e il discorso «in reparatione Ecclesiae Mediolanensis »]. Et
aussi P. BORELLA, o.c. à la note précédente; IDEM, L'anno liturgico ambrasiano,
dans M. RIGHETII, Manuale di storia liturgica. L'an no liturgico e il Breviaria,
2 (Milano' 1969) 572.
43 Cfr. E. CATT.-\1\""EO, Dedicazione della chiesa maggiore ed alcune note sulle
teste mariane, dans: Ambrosius 37 (1961) SuppZemento 4 [Quaderni di -] 57-80.
44 Cfr. E. C-\TTANEO, Il DlIJmo ndla vila civile e religiosa di Mi/ana (Milano
1977); AA.VV., Il Duorno cuore e sirnbolo di Mi/ana. IV. Centenario della Dedi-
cazione (1577-1977) (Milano 1977).
45 Voir ci-dessus, p. 300.
46 Voir par exemple O. HEIMIKG (éd.), Das arnbrosianische Sakramentar von
Biasca. Die Handschritt Mailand Ambrosiana A 24 bis inf. 1. Teil: Text = Cor-
pus Ambrosiano-Liturgicum II (Münster i. W. 1969) 113.
47 Cfr. la dernière « editio post typicam»: Missale AmbrJsianum iuxta RitUiI1
Sanctae Ecclesiae Mediolanensis (Mediolani 1954) 389-398; 402-408.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 303

L'on sait que dans les anciens missels ambrosiens, on trouve


probablement deux systèmes de regroupement des dimanches
après la Pentecôte, et c'est le système le plus ancien qui regroupe
les dimanches en: post Pen/ecosten, post Decol/ationem sancti
Johannis, ante et post Dedicationem Ecclesiae.
Une telle structure de l'année liturgique caractérise déjà la
liturgie ambrosienne d'une sensible tonalité d'ecclésiocentrisme.

g) Dans l'eucologie ancienne, on distingue une thématique


qui gravite autour de l'image du temple matériel, maison de
Dieu bâtie par des hommes, pour passer à la réalité spirituelle
qui y est signifiée. Le peuple de Dieu et chacun des fidèles sont
la vraie demeure de Dieu, la vraie maison de Dieu. Chaque
baptisé est une pierre vivante de l'édifice mystique qu'est l'Eglise
du Christ.
L'idée est de saint Paul, Dei aedificatio estis ", et cette thé-
matique atteint son point culminant dans les figures propres
aux préfaces des deux formulaires. L'Eglise, nouvelle mère des
vivants, arbre qui étend ses rameaux et remplit le monde entier,
est la cité sise sur la montagne et à laquelle le Seigneur a voulu
soumettre toute chose. L'Eglise Mère des vivants, vie et salut
de tous les croyants, épouse immaculée de l'agneau.

h) Pour conclure, il faut affirmer que les sources liturgi-


ques ambrosiennes d' « hier» sont caractérisées par des formu-
laires qui prennent en considération l'Eglise d'une manière
directe.
Cependant, en restant toujours dans le cadre de l'eucologie
eucharistique, il ne sera pas inutile de rappeler que l'ecclésiolo-
gie liturgique émerge aussi de l'eucologie considérée globale-
ment. Nous en avons traité en partie lorsque, durant la XXIII'
semaine d'études liturgiques ici à S. Serge, nous avons parlé de
la participation (<< methexis ») dans l'ancienne liturgie ambrosien-
ne 49. Pratiquement, nous avions illustré les divers comportements

48 Cfr. 1 Cor 3,9.


49 Voir A.M. TRIACCA, La «méthexis» dans l'ancienne liturgie ambrosienl1e.
Contribution des sources eucologiqlles ambrosiennes à l'il1telligence d'un problè-
me liturgique actuel: la participation de l'assemblée, dans: L'assemblée litur-
gique et les différCl1ts r6les dans l'assemblée.. Conférences Saint-Serge. XXIII"
semaine d'é.tudes liturgiques. Paris, 28 Juin _1er hlillet 1976 (éditées par A.M.
TRIACCA) (Roma 1977) 269-305.
304 ACHILLE M. TRIACCA

de r« Ecclesia Qrans », traitant de ce qu'ailleurs nous avons dé-


fini comme ecclésiologie liturgique dynamique ".
En effet, par «ecclésiologie liturgique» on entend soit le
« concept·réalité» d'Eglise comme il ressort des donnés des
sources liturgiques (ou d'une source), soit le comportement
concret, liturgique et vital, propre à une communauté chrétienne
qui, se constituant en assemblée (= ecclesia), rend visible et
concrétise l'Eglise dans des structures déterminées de temps
et d'espace.
Il est évidemment plus facile, lors d'une recherche sur les
sources, de faire émerger le « concept·réalité" Eglise. C'est l'ec-
c1ésiologie liturgique que nous caractérisons comme statique
par opposition à celle qui est dynamique, laquelle tenant compte
de ce que toute assemblée liturgique est un corps vivant qui
tend à construire et à constituer l'unique vrai Corps mystique
du Christ, n'est pas en soi susceptible d'être épuisée par aucune
étude. Cependant, même de cette ecclésiologie liturgique dyna-
mique, chaque source liturgique (et il en est ainsi pour tout livre
liturgique passé, présent ou futur "), nous donne une photogra·
phie assez objective, là où elle traite de la participation à la
liturgie. L'ecclésiologie statique ou dynamique peut donc être
étudiée à partir des sources liturgiques, en tant que concrétisation
et manifestation de l'ecclésiologie universellement reconnue,
étant dans le même temps un témoignage de la coparticipation
de la liturgie éternelle, présente dans toutes les Eglises locales
de tous les temps".

* * *

Puisqu'il y a donc nécessité d'étudier les sources liturgiques


pour cerner l'ecclésiologie liturgique, après la présentation des
sources eucharistiques ambrosiennes d'« hier », venons-en au
missel actuel.

50 Voir A.M. TRlACC,'" «Mater omnium viventium ». Contributo metodologico


ad una ecclesiologia liturgica dal nUOVD Messale Ambrosiano, dans: AA.VV., In
Ecclesia (Roma 1977) 353-383.
~l Voir A.M. TRIACCA-B. NEUNHEUSER, Il libro liturgico e la celebraûone: ieri
e oggi, dans: Rivista Liturgica 63 (1976) 57-76.
52 Cfr. A.M. TRIACCA, Chiesa locale e liturgia. Linee metodologiche mutuate
dalla Cristolagia, dans: Rivista Liturgica 59 (1972) 108-121.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 305

II. LES FORMULAIRES DIRECTEMENT ECCLÉSIOLOGIQUES


DANS LA STRUCTURE DU MISSEL AMBROSIEN D'" AU.
JOURD'HUI "

Nous ne croyons pas faire erreur en affirmant qu'en face


de ce " joyau" qu'est le Nouveau Missel Ambrosien (= NMA) ",
il soit nécessaire de porter notre attention sur quelques·unes
de ses caractéristiques extérieures, notant une accentuation
d'« ecclésiocentricité» par rapport au Missel Ambrosien précé-
dent (= MA) ".
Ces caractéristiques, nous les synthétisons en quelques cen·
tres d'intérêt: la structure du NMA en relation avec les formu·
laires plus nettement ecclésiocentriques, et un regard rapide et
synthétique à propos de la polyédrique thématique ecclésiolo-
gique du NMA.

1. STRUCTURE DU NOUVEAU MISSEL AMBROSIEN EN COMPARAISON


AVEC LE MISSEL AMBROSIEN PRÉCÉDANT L'ACTUELLE RÉFORME

Si nous confrontons le NMA et la dernière édition iuxta


typicam du MA latin, nous notons quelques différences qui, sans
aucun doute, mettent en relief un renouveau d'intérêt notable·
ment accentué pour 1'« Ecclésiologie )}.
Les formulaires eucologiques intéressés peuvent être regrou·
pés en trois blocs: formulaires pour le cycle de Tempore; formu-
laires pour les Messes du Commun et les Messes du Rituel; for·
mulaires pour les Messes et Oraisons pour diverses nécessités.
(I) Le cycle de tempore présente un formulaire ecclésiocen·
trique typique. Il s'agit de celui du III' Dimanche d'octobre.
Dans le MA, au Proprium lvlissarum de Tempore, on trouve
Dominica Tertia Octobris in Dedicatione Ecc/esiae Maioris ".
Dans le NMA, le formulaire se trouve dans la section Sa/en·
nités du Seigneur dans le temps « per annum » 56, avec la déna-

53 NMA = Messale Ambrosiano seconda il Rita della Santa Chiesa di Milano.


Riformato a norma dei Decreri deI CO/teilia Vaticano Il. Promulgato dal Signar
Cardinale Giovanni Colombo Arcivescovo di Milano, 2 vol. (Milano 1976). Voir
ci-dessus note 3.
54 MA = Missale Ambrosianw/1 iuxta RitunJ Ecclesiae Mediolal1el1Sis (Edi·
tio quinta post Typicam) (Mediolani 1954).
"MA 392·396.
Cfr. NMA II, 273-285.
5&
306 ACHILLE M. TRIACCA

mination: Ill' Dimanche d'Octobre. Dédicace de l'Eglise Cathé-


drale. Fête ".
Et déjà, quelques observations s'imposent:
a) Ce formulaire (pris en absolu) est typiquement ambrosien.
Il suffit de confronter MA-NMA avec le Missel Romain, soit le
Missel du Pape Pie V 58, soit le Missel du Pape Paul VI" pour
remarquer que la liturgie ambrosienne a toujours privilégié le
jour de la dédicace de sa propre Cathédrale, usant d'un formu-
laire propre, sans recourir au Commun de la Dédicace d'une
église, comme dans le milieu romain.
b) La tradition ambrosienne a toujours mis ce formulaire
dans le cycle de Tempore 60 à l'encontre de MR qui laisse le
formulaire de la Dédicace de la Basilique de St. Jean de Latran
dans le Proprium Sanctorum pour le Missel du Pape Pie V", ou
Proprium de Sanctis pour le Missel du Pape Paul VI ". Il est vrai
que dans les index de MR, on retrouve la Dédicace de la Basilique
du Latran comme Festa Domini nostri Jesu Christi, dans le
Missel du Pape Pie V <J. Dans le Missel paulin, ce concept a été
sauvegardé d'une double manière: en effet, dans l'Index alpha-
beticus celebrationum 64 sous Jesus Christus D.N., on retrouve la
Dedicatio Basilicae Latera"ensis, 9 novembris ". De même,
dans l'Index praefationum ", sous ln festis et Mysteriis Domini,
on trouve citées les deux préfaces qui se réfèrent a l'anniversaire
de la Dédicace de l'Eglise 57.

57 NMA II, 281-283.


58 MRV :::: Missale Romanum ex decreto Sacrosancti Concilii Tridentini resti·
tutum Summorurn Pontificium cura recognitum (Editio X taurinensis iuxta Ty-
picam) {Taurini-Romae 1963) (passim).
59 1 MR :::: Missale Romanum ex Decreta Sacrosancti Oecumenici Candlii

Vaticani II instauralurn Auctoritate Pauli PP. VI Promulgatum (Editio Typica)


(Typis Poliglottis Vaticanis 1970) (passim).
2 MR :::: Missale Romanum .. _ (Editio Typica altera) (Typis Polyglottis
Vaticanis 1975) (passim); cfr. De editione Typica a.ltera Missalis Romani et
Gradualis Simplicis, dans: Notitiae, nn. 111-112, 11 (1975) 290-337. Nous nous
référons habituellement à 2 MR. Nous ne citerons 1 MR que pour des cas
particuliers.
60 Cfr. ci-dessus notes 55·56.
61MRV 512-895 (= Proprium Sanctorum), dans notre cas, p. 878.
62 2 MR 513-661 (= Proprium Sanctorum), dans notre cas, p. 639.
63 MRV (321).
'" 2 MR 981-987.
65 2 MR 984.
662 MR 989-992.
67 2 MR 990.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSroLOGIE UNIVERSELLE 307

c) En un certain sens, de prinle abord, on pourrait adresser


une double critique au NMA à propos du formulaire cité. C'est-à-
dire d'avoir par rapport à MA'" enlevé les dimanches après la
Dédicace de l'Eglise, qui constituaient un point spécifique im-
portant dans l'ensemble de l'année liturgique ambrosienne. Si
les formulaires des trois dimanches "post Dedicationem» dans
MA étaient amorphes et non articulés autour d'une thématique
ecclésiologique, c'était le moment idéal pour la réforme post-
conciliaire de leur donner une accentuation typique.
L'autre critique est de ne pas avoir érigé ce Dimanche en
Solennité. Situé en effet parmi les Solennités du Seigneur dans
le temps « per annum », il a pourtant été « déclassé» en Fête li9.
Mis à part ce qu'il y a de formellement incongru à trouver une
Fête parmi les Solennités, c'est plutôt la moindre importance
accordée à ce dimanche par NMA en regard de MA, que nous
ne retenons pas en syntonie avec la tradition primitive am-
brosienne.
dl Cependant, il reste comme fait positif que NMA a mis
le formulaire parmi des Solennités telles que la Très Sainte
Trinité, le Corps et le Sang du Chrzst, le Sacré Coeur de Jésus,
le Christ-Roi de l'univers, ce qui fait apparaître la dédicace com-
me une fête de la Présence du Seigneur Ressuscité par la force
de l'Esprit, dans l'Eglise-Temple. "Toute Cathédrale appartient
au Christ. Cette Eglise est sienne. C'est pour Lui que fut élevée
une chaire d'où son apôtre parlera pour Lui; pour Lui, un trône
où siégera celui qui le remplace; pour Lui un autel où celui qui le
revit fera monter vers le Père le même sacrifice; c'est pour Lui
qu'est réunie ici l' "Ecclesia"; le peuple avec son Evêque fait
monter vers Lui son hymne de louange et sa prière suppliante;
et c'est de Lui que ce temple tient sa mystérieuse majesté» 70.
Ainsi, le secret de la Cathédrale, c'est la présence du Christ dans
son Corps mystique, c'est le mystère de J'Eglise 71.

" MA 395-408.
69 Nous disons «déclassé» car dans une des dernières épreuves polycopiées
du NMA en langue latine, on lit (p. 94) In Dedicatione Ecclesiae Mai01'is. Sol·
lenmitas raturé et remplacé à la main par Festum.
70 Cardo GIOVAN~I BATI1STA MONTINI, Arcivescovo di Milano. Sua Santità
PAOLO VI, Pastorale liturgica (Roma 1963).
71 Ibidem, 113.
J08 ACHILLE M. TRIACCA

e) Nous trouvons que la terminologie italienne « Dedicazione


della Chiesa Cattedrale" est beaucoup plus expressive que la
terminologie latine In Dedicatione Ecclesiae Maioris, où le com-
paratif pourrait faire croire que les autres églises-temples sont
des "minus hab entes ". En fait, la réalité ontologique est la
même pour toutes les églises. La réalité sémantique varie et
pose l'Eglise-Cathédrale au premier plan en raison du fait que
la "Cathédrale est l'expression spirituelle et sociale de l'unité
du peuple croyant" n. " Le Christ est ici présent comme Maître.
Et sa présence, comme Vérité. Il a ici sa Chaire. Ici, sa voix
acquiert un son authentique; ici, nous avons un fidèle écho du
"Qui vous écoute m'écoute" que Lui-même a dit à ses Apôtres
(Lc 10,16) " ".
(II) Parmi les formulaires des Messes du Commun, le NMA"
cite deux formulaires pour le Commun de la Dédicace de l'église,
auxquels il faut en ajouter un autre extrait des messes rituelles.
(1) Pour le jour de la Dédicace ". La rubrique signale: "le
formulaire de la messe du jour se trouve parmi les messes ri-
tuelles ".
(2) Pour l'anniversaire de la Dédicace. On trouve deux for-
mulaires:
a) Dans l'Eglise où se célèbre la Dédicace '";
b) Dans une Eglise différente de celle où l'on commémore
la Dédicace".
Le MA précédent, sous le titre Commune Missarum '", citait
trois formulaires d'un autre type, soit:
(1) Commune in Anniversario Dedicationis Ecclesiae, où
était repris le formulaire entier avec chants, lectures et eucologie.
On notera que le titre dans l'index (Series Missarum) " est: In
anniversario Dedicationis Ecclesiae (minoris).

n Ibidem, 110.
73lbidem, 112.
"NMA !, 411491; II, 571-651.
"NMA !, 413; II, 573.
"NMA !, 414415; II, 574-575.
77 NMA !, 416417; Il,576.577.
"MA (34) - (38).
79 MA X-XI.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 309

(2) Ipso die Consecrationis Ecc/esiae où l'on renseigne


Missa, ut in Anniversario Dedicationis Ecclesiae minoris, praeter
sequentia, c'est-à-dire l'eucologie.
(3) Comme troisième formulaire, nous avons celui du Die
ipso Consecrationis altaris, où l'on renseigne encore Missa, ut in
Anniversario Dedicationis Ecclesiae mina ris, praeter sequentia,
c'est-à-dire l'eucologie.
Ainsi, la confrontation de NMA et de MA nous montre que:
a) Avant tout, on a inversé la succession des formulaires
correspondants à la chronologie des célébrations: d'abord le
formulaire du jour de la dédicace et ensuite celui de l'anni-
versaire.
b) Pour l'anniversaire, le NMA s'est romamse en intro-
duisant la distinction entre le formulaire pour l'Eglise où l'on
célèbre la dédicace et celui pour une Eglise différente de celle où
l'on commémore la dédicace. Cette conformation du NMA au
cadre romain s'est faite devant le U' édition du Missel paulin "'.
On le déduit du fait que, comme dans le Missel Romain de Paul VI,
NMA pour le jour de la dédicace renvoie aux formulaires des
Messes rituelles.
c) Pour le Romain comme pour l'Ambrosien, ces messes ri-
tuelles constituent une nouveauté. Ainsi:
Parmi les formulaires des Messes Rituelles, le NMA 81, dans
le sillage du Missel paulin (U' édition) ", citera deux formulaires:
Pour le jour de la Dédicace de l'Eglise 83 et pour le jour de la
Dédicace de l'autel M.
d) En dernière analyse, si nous comparons MA avec NMA,
nous trouvons chez ce dernier un enrichissement de l'ecclésio-
logie liturgique provenant d'une augmentation des formulaires
centrés directement sur 1'« Eglise ». Ainsi, de deux formulaires
+ celui du jour de la consécration de l'autel dans MA, on est
passé dans NMA à trois formulaires + celui du jour de la
consécration de l'autel. Cette augmentation quantitative va de

80 Cfr. 2 MR 665 qui renvoie ibi 775-781.


01 NMA I, 493s5.; II, 653S5.
82 2 MR 727-782 ct dans notre cas, 77555.
03 NMA l, 567-571; II, 727-731.
04 NMA I, 572-573; II, 732-734.
TABLEAU DES FORMULAIRES POUR LA DÉDICACE DE L'ÉGLISE -'"
o

MA NMA
2 MR _____ 1__ 1 MR

COMMU:-.rE MrssARUM COMUNE DELLA DEDICAZIONE COMMUNE DEDIeA TIONIS Ee- COMMUNE DEDlCATlONIS Ec-
IlELL\ CHIESA CLESIAE CLESTAE

In .4tmiversario Dedicationis
Ecclesiae Maiaris

[pso die Consecrationis Ee- Nel giorno della Dedicazione In die Dedicationis In die Dedicationis
i'l
:Il
clesiae (cfr. le Messe Rituali) (cfr. Missae Ritualcs) ;::
Nell'anniversario della Dedi· ln Anniversario Dedicationis In Anniversario Dedicationis
r;;
cazione 1:
A. Nella Chiesa di cui si
celebra la dedicaxione
A. In ipsa ecclcsia dedicata A. In ipsa ecclesia dedicata id
B. In una Chiesa diversa da
quella in cui si comme-
B. Extra ipsam Ecclesiam de-
dicatam
B. Extra ipsam Ecclesiam de-
dicatam
~
mora la dedicazione

MESSE RrTUALl MrSSAE RlTUALES

A. Nel giorno della Dedica· A. In Dedicatione Ecc1esiae


liane della Chiesa
Die Îpso Consecrationis Al- B. Nel giorno della Dedica- B. In Dedicatione Altaris
taris ziane dell'a1tare
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÊSIOLOGIE UNIVERSELLE 311

pair avec une augmentation qualitative. Ceci apparaît même à


partir d'une seule constatation « ab extrinseco », c'est-à-dire l'ar-
ticulation plus logique des péricopes. Il reste cependant vrai
qu'en celà, NMA prend modèle pour une part importante sur la
II' édition du Missel Romain de Paul VI.
Pour la commodité, nous reportons en synopse les titres
des formulaires en question, disposant en colonnes le matériel,
de sorte que les donnés soient plus aisément lisibles (voir le
tableau à la page précédente).
MA = Missale Ambrosianum dernière édition iuxta typicam, anté-
cédan t à la réforme actuelle.
NMA = Missel Ambrosien réformé selon le Concile Vatican II.
l MR = Missale Romanum de Paul VI (1970) l' édition.
2 MR = M issale Romanum de Paul VI (1975) II' édition.
A propos de la romanisation du NMA, on pourrait faire
allusion aux merveilles de certains connaisseurs et promoteurs
de la liturgie ambrosienne. Toutefois, nous préférons entrer dans
les vues du Cardo Giovanni Colombo qui, dans le décret de pro-
mulgation, signale entre autres:
« Le Missel paulin ne pouvait pas ne pas être une source
abondante non seulement d'inspiration mais de large utilisation.
Une fois de plus, nous avons appliqué la règle magistrale héritée
du grand Evêque dont notre rite et notre tradition religieuse tien·
nent leur nom: "In omnibus cupio sequi ecclesiam romanam, sed
tamen et nos hominis sensum habemus" (De Sacramentis III, 5),
que nous pouvons traduire comme suit: "Avec ferveur, nous voulons
suivre en tout l'Eglise romaine, sans renoncer toutefois à une
raisonnable autonomie"» .'.

e) Il faudrait encore procéder à une étude parallèle et


critico-textuelle pour saisir l'ultérieure éventuelle tonalité ecclé-
siologique provenant de l'analyse de l'eucologie Ambrosienne en
rapport avec l'eucologie Romaine. Mais nous ne pensons pas
devoir mener ici cette recherche, ne fut-ce que parce que nous
attendons encore le texte latin définitif. Par contre, nous croyons
plus opportun de porter notre attention sur un autre secteur
de formules eucologiques présentes dans NMA et qui ne se
trouvaient que partiellement dans MA: il s'agit des formulaires
des Messes et Oraisons pour diverses nécessités.

83 NA l, VI.
312 ACHILLE M. TRIACCA

(III) Pour que l'analyse de NMA en clef ecclésiologique soit


complète, il est nécessaire de prendre en considération le troisiè-
me bloc de formulaires, ceux des Messes el Oraisons pour diverses
nécessités ". Pour rapport au MA, le NMA montre également
dans ce secteur un intérêt accru pour ce qui est le thème-réalité
de l'Eglise. Ainsi, MA dans le Collectarium sive oraliones votivae
ad diversa" énumérait sept formulaires dans la partie eucologi-
que d'intérêt pour l'Eglise (aussi" lato sensu »), à savoir: Pro
omni gradu Ecclesiae; Pro Papa; Pro eleclione Summi Pontificis;
Pro Prelatis et Congregationibus eis commissis; Pro Congregatio-
ne et Familia; Pro concordia in Congregatione servanda; Contra
persecutores Ecclesiae.
Le NMA en premier lieu parmi les Messes et Oraisons pour
diverses nécessités citera vingt-trois centres d'intérêt pour la
vie et la société de la sainte Eglise sa, avec un ensemble de trente-
trois formulaires qui mériteraient une analyse spéciale quant
au contenu.
Les observations qui en ressortent sont simples et claires:
a) Le NMA est décidément supérieur au MA en ce qui con-
cerne l'ecclésiologie et tout ce qui se rattache à ce secteur
d'analyse.
b) En celà également, NMA se conforme au Missel paulin
(II' édition) qui, dans le secteur des Messes et Oraisons pour
diverses nécessités, cite en premier lieu Pro sancla Ecclesia 89
avec seize centres d'intérêt ecclésiologique, avec un ensemble
de vingt-cinq formulaires et deux oraisons de remplacement
respectivement pour deux formulaires parmi les vingt-cinq.
c) Les observations faites plus haut à propos de la roma-
nisation de NMA valent également ici. Cependant, ce qu'il y a
de spécifiquement ambrosien pent être repéré à certains détails,
c'est-à-dire qu'en reprenant chez MR les formulaires des Messes
" pro Ecclesia » NMA y opère quelques modifications:
1. Le changement du titre « Pro laids» de MR en: ({ Pour
l'engagement des laïcs dans le monde ». Ce changement nouS sem-

llfI NMA l, 577-718: II, 737-878. Dans l'index de NMA II 1021, il convient de
corriger les premières numérations des pages regardant cc secteur.
"MA (68) - (88).
M NMA 1. 580-645: II. 737-805.
B92 MR 785-818.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 313

ble heureux parce que plus en syntonie et adhérence avec le con-


tenu de l'eucologie, heureux pour des raisons ecclésiologiques
car la « catégorisation ecclésiologique» des laïcs dans la société
ecclésiale est fonction de leur agir chrétien.
2. L'introduction de nouveaux formulaires comme:
pour la liberté de l'Eglise (la seule eucologie mineure);
- pour l'éducation chrétienne (toute l'eucologie, comme
pour les suivants);
pour la profession de foi des adolescents,-
pour le troisième âge;
dans les exercices spirituels,-
dans les réunions et exercices spirituels des prêtres
(deux formulaires avec toute l'eucologie - un avec la
seule eucologie mineure).
d) On peut donc affirmer que la « Sain te Eglise de Milan"
vit dans son action et se révèle également vivante dans sa prière.
Ces formulaires sont des témoins (pour reprendre les paroles
du Cardo Giovanni Colombo dans le Décret de promulgation du
NMA) que « les diverses nécessités qui ont une incidence spéciale
dans la pastorale de notre temps et de notre Eglise" sont de-
venues prière liturgique, expression de « l'Eglise locale dans les
divers aspects de sa vie» et de son expression 90.
En conclusion, il faut reconnaître que le NMA, témoin d'une
ecclésiologie plus accentuée par rapport à MA, bien qu'ayant
repris beaucoup de choses au Missel paulin (II" édition), s'en
détache et s'en différencie assez pour sauver le principe d'auto-
nomie, première prérogative pour la détermination d'une liturgie
autochtone qui vise à un rite spécifique.
Redisons encore combien l'eucologie du III" Dimanche d'oc-
tobre: Dédicace de l'Eglise-Cathédrale, vient exclusivement de
la liturgie ambrosienne dont elle dénote la spécificité.
Le principe d'identité y est sauf. On le voit à la « vie" qui
émane de ces formulaires qui témoignent de l'accent particulier
avec lequel la «Sainte Eglise de Milan" souffre et vit les
problèmes ecclésiaux d'aujourd'hui. On peut y vérifier également

9ll Cfr. Lettre de l'Archevêque Cardo Giovanni COLOMBO, Custodire e rinnovare


il riro ambrosiano, dans: Rivista Diocesa11a Mitanese 58 (1970) 737.
314 ACHILLE M. TRIACCA

le principe de vitalité grâce auquel NMA développe et fait fleurir


une créativité eucologique spécifique et une modalité de prière
exprimant ce que vit l'Eglise locale: spécialement celle d'Am-
broise et de Charles Borromée.
En bref, on trouve ici une preuve supplémentaire de la vé-
rité du principe " Lex orandi, lex credendi »: on célèbre ce que
l'on croit et l'on croit ce que l'on célèbre en une symbiose équi-
librée et admirable car l'on vit ce que l'on croit et l'on célèbre
ce que l'on vit.

2. POLYÉDRIQUE THÉMATIQUE ECCLÉSIOLOGIQUE DU NOUVEAU MISSEL


AMBROSIEN

Naturellement, nous abordons ici la thématique propre de


l'ecclésiologie liturgique statique (cfr. supra l, 2h) de NMA,
seulement comme amorce et essai exemplatif. Et avant tout il
faudra observer que, en dernière analyse, dans la théologie-litur-
gie de NMA, à la thématique touchant les Personnes Divines et
leur initiative salvifique, correspond l'ensemble d'une série de
thématiques dans lesquelles et desquelles émerge l'interlocuteur
humain-ecclésial qui répond et correspond à l'appel divin. En
soi - et ce n'est pas ici le lieu de le démontrer - déjà le Mystère
des Personnes Divines qui transparaît dans l'eucologie de NMA,
ne nous le présente pas comme isolé, mais pin tôt dans un engage-
ment constant de rénovation et de création de la réalité existen-
tielle de l'" Eglise ». C'est à la lumière du Mystère intratrinitaire
que le Mystère de l'Eglise acquiert son sens plénier, et il en est
de même pour chaque fidèle en Elle, pour le monde entier en
relation avec l'Eglise ".
L'Eglise est présentée par NMA avec des expressions qui
visent immédiatement ce qui est relatif à la communauté des
fidèles.
La terminologie laisse transparaître diverses nuances que
l'on peut condenser en trois aspects caractéristiques: aspect
social (pop"l"s, plebs .. .), aspect familial (familia, lamul"s, filii,

91 La chose est illustrée, approfondie ct mise en évidence dans J'Encyclique


du 6 août 1964 de Paul VI Ecclesiam st/am.
LITURGIE Al\llBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 315

servi ... ), aspect religieux (fideles) , qui contribuent à décrire la


même communauté rassemblée 92 pour l'Eucharistie: l'Ecclesia.
Ces trois aspects sont simultanés. Il s'agit d'une commu-
nauté où le facteur de socialité (élevé au niveau salvifique) assu-
me un ton spécifique dans l'ambiance familiale (relations de
paternité, filiation, fraternité) en fonction d'une authentique
expression religieuse.
Les concepts-clefs sont contenus et exprimés in Ecclesia:
populus, familia, fideles, où les trois aspects cités sont ainsi
articulés:
a) Socialité: Ce facteur anthropologique est vécu au niveau
salvifiquc: il s'agit en effet d'une assemblée réunie à des fins
cultuelles. De cette communauté, la Trinité prend soin en la
visitant, la protégeant, lui donnant force ". A leur tour, les
fidèles manifestent leur appartenance communautaire à Dieu en
conservant le salut reçu, s'offrant en humble oblation, recher-
chant fidèlement les réalités éternelles. De tout celà émerge le
visage d'une communauté qui a besoin d'aide, en recherche de
sa proprie réalisation, ouverte au don de soi et à la transcendance.
b) Communauté familiale caractérisée par les relations pro-
pres au cadre familial. Ce qui qualifie l'assemblée, c'est précisé-
ment la grâce divine qui, par le Baptême, fait naître la famille de
Dieu. A l'intérieur de celle-ci, dans un contexte sacramentel, les
chrétiens intériorisent la réalité de leur filiation, écoutant avec
foi le Fils Unique, se mettant avec empressement et charité au
service des frères, reconnaissant et aimant en eux le Fils. La
vérité des relations familiales exigent la purification personnelle,
en vue de la réalisation communautaire.
c) Communauté religieuse: c'est sur le plan salvifique que
la composante sociologique trouve son sens plein et sa réa·

92 Cfr. Post Liturgiam Verbi: feria Il, Hebd. Il Adv.: <.< Ecoute ta famille
réunie dans la prière» (NMA l, 22); Super populum: feria IV, Hebd. V Adv.:
({ 0 Dieu Qui nous vois réunis» (NMA l, 68), etc. Rerrnaquons qu'en soi, pour
chacune dc nos affirmations du genre, nous devrions citer de nombreuses
preuves de l'cucologie. Pour des motifs clairs, nous ne le faisons pas. Le lecteur
voudra bien nous en excuser, d'autant plus que les eitations que nous appor-
tons comme preuves lui sont sans doute bien connues.
93 Vaut ici également ce que nous avons ùit ùans la note précédente, sinon
nous devrons faire suivre chaque parole de citations. Par exemple: la visitant
(= visita quaeslInlllS Domine familiam 1 plebem tuam); la protégeant, la ren-
dant forte (= sit familiae tuae, Domine, contint/ata defensio divini participatio
mysterii; remedia saiutis aeternae, qllae te miserallle percipit, te protegcI1te
custodia!) , etc.
316 ACHILLE M. TRIACCA

lisation parce que l'Eglise est la Mère des vivants ". Le prototype
de l'ecclésiologie liturgique ambrosienne qui soustend ces thèmes
est contenu dans l'eucologie de la messe du troisième Dimanche
d'octobre. Celà équivaut à dire que nous sommes devant une
ecclésiologie éminemment grandiose. A ce que nous en avons
déjà dit plus haut, nous ajouterons, en guise de conclusion, ce
qui va suivre.

* * *
Après avoir présenté les textes eucologiques propres à la sy-
naxe eucharistique et qui intéressent plus directement le thème de
l'ecclésiologie liturgique, portons maintenant notre attention
sur quelques lignes ecclésiologico-liturgiques.

III. LIGNES D'UNE ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE PRÉ-


SENTES DANS L'EUCOLOGIE EUCHARISTIQUE AM-
BROSIENNE

Devant la richesse des textes eucologiques propres à la li-


turgie ambrosienne et qui concernent directement le thème de
l'Eglise, il faut admettre qu'en vérité elle est signe d'unité en
vue de l'édification du Corps du Christ qui est l'Eglise 95. Dans
l'assemblée liturgique, la communion a pour fondement la « vé-
rité» qui est professée et célébrée, et pour sommet 1'« amour»
inculqué par les textes, mis en valeur par le rite, privilégié par

94 On peut comparer les pièces Ber 1234 (ci-dessus à la note 20) et Ber 1239
(ci-dessus à la note 29) ct voir:
Ber 1234 Ber 1239
Haee est mater Haee est enim domine mater
omnium viventium vivel1tium, vita et saius omnium
in te credentium
Mais la comparaison peut continuer:
Ber 1234 Ber 1239
*) ... constituit *) Haec est
et sponsam sponsa agni tui
mirabili ipsius illustrata decorc
H) quac .. . erigil -.',*) mysticis ornatam virtutibus
ad regI/a caelarum de terris mittis ad coelum
*-""') el reginarn cOl1stituil ""'*) a de.xtris tuis in coelestibus C011-
slituta
",,-H) Haec est civüas îlla sublimis iu- ****) ac suorum civium
go montis erccta. decorata virtutc.
95} Cor 12, 27; Eph 4,4.12.16; Col 1,18, etc.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 317

l'événement célébré. La communion qui constitue l'Eglise, c'est-


à-dire un peuple engendré par une unique vocation, né dans le
même baptêlne, vivifié par le même Esprit. La « vérité » comme
1'« amour» dans la célébration liturgique se ressent de la catho-
licité de l'Eglise même, ayant comme loi fondamentale la « tota-
lité ».
Et ici, s'imposent quelques réflexions issues globalement de
l'eucologie ecclésiologique ambrosienne. Nous avons déjà dit
que nous ne procéderions pas à une analyse des textes, mais que
nous les considérerions seulement d'un point de vue synthétique.
Nous articulerons nos réflexions en ùeux points: sur une
thémRtiquc proprie à la préface Qui eminentiam du premier
formulaire cité supra [cfr. I, 1 et 2 bl]' et sur certaines consé-
quences pratico-méthodologiques.

1. L'EGLISE: «MATER OMNIUM VIVENTIUM ~ 96

L'Eglise est l'épouse" immaculée du Christ. Elle Lui appar-


tient '". Donc, l'Eglise est Reine puisqu'épouse du Roi et de l'Ha-
bitant de son royaume ". Ainsi, à cette Reine, par les pouvoirs

96 Nous avons déjà notifié dans l'article cité ci-dessus à la note 50 (p. 353)
que les expressions de la liturgie ambrosienne sur l'Eglise: Mater omnium
viventium; Regina; Sponsa,· (Vitis) cuius palmitibus mundus amnis impletus
est; sublimis, perspicua, clara civitas sont présentes dans la Constitutio Aposto-
lica « Mirificus eventus" du Pape Paul VI [7.12.1965J (cfr. Acta Aposlolicae Sedis
57 [1965] 949). Et aussi le texte de la préface Ber 1234 {ci-dessus à la note 20)
est présent dans le formulaire de la Missa pro Jubilaeo extraordinario ap-
prouvé par la Sacra COl1gregatio Rituum [6.1.1966J (cfr. No/iriae 14 [1%6] 44-46).
Voir aussi A. BüGNINI, 1 testi liturgici della Messa per il Giubileo straordinaria,
dans: L'Osservatore Romano (21.1.1966) pp. 1-2.
97 Cfr. Préface du III" dimanche d'octobre: Dédicace de l'église cathédrale.
« Le Seigneur Jésus ... l'a élevée à la dignité d'épouse" (NMA l, 282-283). Cfr.
J.J. MARèEUé, Ecclesia Sponsa apud S. Ambrosium (Roma 1967) où l'A. met en
vidence l'ambrosianité de ce concept présent dans l'eucologie liturgico-ambro-
sienne.
98 C'est cc qu'affirmait le Cardo G.B. Montini le 26 avril 1959 à l'occasion
de l'inauguration de la Cathédrale restaurée de Crema, déjà cité plus haut.
Cfr. Cardo Giovanni Battista MONTlNI, Archcvéquc de Milan à Sa Sain-
teté Paul VI, Pastorale liturgique (Roma 1963) 111. Le discours complet in G.B.
MONTIN"I, Discorsi sulla Chiesa (1957-1962) (Milano 1962) 65-75.
99 La préface citée (note 97) s'exprime ainsi: "Le Seigneur Jésus a associé
son Eglise à la souveraineté sur le monde ... (Elle) est la cité où vit toujours
son Fondateur (= cuius conditay et inhabitator est idem Domil1us nos ter Jesus
Christus»). Il ne sera pas inutile de rappeler que la préface, qui fait l'éloge
de l'Eglise comme «cité s'inspire d'un canon de la rhétorique antique. En
l)

effet, si l'on veut [aire l'éloge d'une ville, il faut évoquer son fondateur, sa
situation, ses habitans, ses vertus. Cfr. QUINTILlANI, Institutio oraloria, 3, 7,
318 ACHILLE M. TRIACCA

royaux que le Christ Roi lui a conférés, revient le pouvoir de


ratifier ce qu'elle sanctionne sur cette terre 100.
Epouse du Christ, elle est Mère des vivants qu'elle engendre
à la vie de salut et de foi: fils de Dieu, conçus par Dieu, engendrés
et mis au jour par l'action de l'Esprit Saint '"'.
L'universalité de cette maternité est mise en valeur par la
métaphore de la vigne et des sarments qui remplissent le monde
de leurs pousses 102.
Les images 103 auxquelles recourt l'eucologie sont représen-
tatives et essentielles pour le « signum» qu'elles veulent mettre
en évidence, ainsi les images, comme représentations eucologi-
ques, deviennent action-réalité. La représentation qu'elles veulent
dépeindre, cette présentation de la transcendance qu'elles visent,
ne fait qu'un avec l'action de l'Ecclesia, dans le sens que soit
représentation, soit transcendance sont constitutives de l'action
de l'Ecclesia à travers les siècles. C'est pourquoi la dédicace ou

26. Le texte latin dit en effet: Haee est civitas illa, sublimis iugo mantis erecta
(= situation), onmibtlS clara CWlcLisque perspicua (= vertu), cuius candita,. et
inhabitator (= le fondateur qui y est présent) est idem Dominus nos ter Jesus
Christus.
100 Le texte latin est très incisif: Qui Ecclesiae tradidit erninentiam potestatis
acceplae, eamque pro honore percepto et reginam ccmstÏluit et sponsam. Cuius
sublimitati universa subiecit, ad cuius iudicium consentire iussit e caelo. Voir
aussi: D. CITTERTO, Lineamenti sulla concezione teologica della Chiesa in Sant'Am-
brogio, dans: AA.VV., S. Ambrogio nel XVI centenario della nascita (Milano
1940) 33-68. L'A. y fait d'innombrables citations tirées de l'Expositio evangelii
secundwn Lucam, de l'Explanatio super psalmos XII et de l'Expositio de psalmo
CXVIII d'Ambroise qui prouvent le même niveau idéologique ambrosien dif·
fusé dans la liturgie ambrosienne.
101 Le texte latin dit: Haec est mater omnium viventium, filiorum numero
facta sublimior, quae per Spiritum Sanctum quotidie Deo filios procreat. Voir
K. DELAHA'I.'E, Ecclesia Mater chez les Pères des trois premiers siècles. Pour un
renouvellement de la pastorale d'aujourd'hui (Paris 1964), avec ample biblio-
graphie sur Je sujet. Voi aussi H. RAHNER, L'ecclesialogia dei Padri. Simboli della
Chiesa (Roma 1971).
102. Cuius palmitibus mundus omnis impletus est, quae pro pagines suas ligno
baüllante suspensas erigit ad regna caelorum.
Voir C. LEONARDT, Ampelos. Il simbolo della vigna nell'arte pagana e pa·
leocristiana (Roma 1947). Nous intéresse le chapitre: La vigna mistica espres·
sione della Chiesa (pp. 187-209). Spécialement à partir des pp. 193ss. le lecteur
retrouvera les citations des Pères qui illustrent la thématique présente dans
l'eucologie ambrosienne. Dans la ligne de cette image de la vigne, nous pouvons
comprendre pourquoi la Post Commw1Ïonem du Sabbato . Hebd. III Quadra-
gesimae présente ce texte: Supplices quaesumus, omnipotens Dells, ut inter eius
l11embra l1umeremur, cuius corporis communicamus et sanguini, traduit ainsi
dans NMA I, 217: «A nous qui avons participé au corps et au sang du Christ,
accorde, Dieu Tout-puissant, d'être toujours insérés comme des ramaix féconùs
en Lui, qui vit et règne dans les siècles des siècles 1>. Voir aussi Jo 15,4.
103 Pour le sens l'importance de l'image dans la pensée antique, voir K.
DELffiAYE, o.c., 41-51 avec bibliographie sur la question.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 319

consécration du Temple-Cathédrale est en fonction de l'Ecclesia.


L'acte de la consécration-dédicace est nécessaire mais insuffisant.
Nécessaire pour rappeler la réalité par laquelle le Temple-Cathé-
drale est « sacramentunl », mai insuffisant parce que la gratuité
qui permet l'acceptation de l'image se situe au plan de la foi
et non encore au plan de la représentation.
Ainsi, la représentation métaphorique du Temple-Cathédrale
comme d'un « cité» est expliquée, outre le recours à la vision
apocalyptique '"', sur le plan de la foi qui permet d'accepter en
conséquence la charge de contenu que l'image porte vectoriel-
lement avec elle.
De la sorte, le créé est soumis à l'influence de l'attraction
que l'Eglise y exerce, d'autant plus que devant cette «Mère
de tous les vivants », «vigne féconde appuyée sur l'arbre de la
Croix », «cité bâtie à la cime des montagnes », flambeau de
beauté spirituelle, construite avec des « pierres vivantes et
choisies», formée des « saints et amis de Dieu », où « habite
la véritable gloire de Dieu par la présence sanctifiante de
l'Esprit », tout le créé se trouve en position d'humble sujétion à
l'Eglise.
Il y a dans l'Eglise une exemplarité à laquelle tous les êtres
humains doivent se conformer, et celà provient de l'initiative du
Père très clément, en vertu de la mort du Christ en Croix, et par
la force du Saint Esprit.
La tension d'une telle attraction est destinée à porter les
citoyens de cette cité ecclésiale jusqu'au Royaume des cieux,
après avoir vaincu l'adversaire, pour décorer d'une plus grande
splendeur l'Epouse et Reine trônant déjà dans les cieux, Mère
des fils procréés pour le Ciel: Mère des croyants, qui continue
à engendrer de nouveaux fils à la vie divine par les Sacrements.

2. QUELQUES REMARQUES PRATICO-MÉTHODOLOGIQUES

Dans le cadre de notre relation, de ce que nous avons dit


plus haut nous pouvons déduire certains principes qui sont à
rechercher dans une série de réflexions, lignes méthodologiques

104 Cfr. Ap. 3, 12 " ... et nomen civitatis Dei mei novae Ierusalem, quae descen-
dit de caelo a Dco meo ... ».
320 ACHILLE M. TRIACCA

pour une étude ultérieure et plus approfondie de l'ecclésiologie


liturgique. Les voici en bref:
1" Entre l'action liturgique (dimension divine-humaine) célé-
brée par la communauté-assemblée (dimension divine-humaine)
localement circonscrite et bien circonstanciée et 1'« Ecclesia »
Universelle (dimension divine-humaine) existe un principe de
compénétration indissociable.
La valeur d'une action liturgique particulière est universelle
en raison du fait que la communauté-assemblée qui célèbre,
devient l'Eglise locale visible laquelle à son tour, par la force
de l'unique Sacerdoce du Christ, incarne l'Unicité et la Catholicité
de l'" Ecclesia " Universelle.
2" Entre l'action liturgique d'une communauté-assemblée qui
célèbre et concrétise le plan de salut préparé par le Père, dans
le Fils et en vertu de l'Esprit pour que tout soit ramené au
Père par le Fils et dans l'Esprit, et l'" Ecclesia " Universelle, existe
un principe d'inter-relation irremplaçable.
La réalité de chaque communauté liturgique particulière est
vitale en raison du fait que la célébration devient, dans le hic et
nunc de cette célébration, dans l'Hodie 105 liturgique, l'actualisa-
tion et la perpétuation du plan salvifique trinitaire 106, par lequel
dans la célébration liturgique de l'Eglise locale s'incarne la
Vitalité de l'" Ecclesia" Universelle.
3" Entre l'assemblée liturgique qui célèbre et l'" Ecclesia "
Universelle, existe un principe de contemporanéité explicative.
L'explicitation cultuelle du Sacerdoce ministériel et du
Sacerdoce commun par lesquels simultanément dans la Liturgie
in Ecclesia se perpétue l'unique Sacerdoce transcendant, celui
du Christ, rend l'assemblée-communauté liturgique manifestation

105 Cfr. J. PlNELL, L'« Hodie» festivo negli antifonari latini, dans: Rivista
Liturgîca 61 (1974) 579-592.
106 Cfr. parmi les Messes Votives l'oraison sur les offrandes du troisième
formulaire de la très sainte Eucharistie du NMA (l, 732; II, 892) qui prie pour
que tout le plan trinitaire du salut se réalise dans la célébration: «Accorde à
tes fidèles, Dieu tout·puissant, de participer dignement au sacrifice de ton Fils,
afin que l'oeuvre de notre rédemption s'accomplisse efficacement».
Cette oraison n'est pas proprement ambrosienne, elle est déjà présente
dans des sources anciennes (cfr. P. BRL'YUNTS, Les oraisons du Missel Romain,
II [Louvain 1952] 40, n. 120) et dans le Missel Romain précédent (Pie V) à
la secrète du IX Dom. post Pentecosten, et elle l'est dans le Nouveau Missel
Romain (Paul VI) comme supe.r oblata, trois fois: IIe Dimanche per annum;
Jeudi Saint (Missa in cella DominO; parmi les Messes Votives, De SS.ma Eu-
charistia, dans le formulaire B.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 321

éclatante de la présence du Sacerdoce parfait du Christ. Et c'est


cette présence qui donne sa perfection à la Liturgie d'une Eglise
locale et valeur de complétude "in signo efficaci" à la sacra-
mentalité de l'" Eglise Catholique" qui célèbre la Liturgie dans
une Eglise locale.
Sacerdoce qui accompagne toute expression liturgique, aussi
celle de l'Eglise Ambrosienne, et toute manifestation ecclésiale
provenant de la totalité du Sacerdoce du Christ présent.
4' Entre" Liturgie et Eglise locale" et "Liturgie et Eglise
Universelle ", existe un principe de complémentarité existentielle.
En effet, il ne peut plus y avoir entre elles ni contraste ni anti-
thèse, ni exclusivisme, ni intolérance. La liturgie locale participe
à l'Universalité de l'Eglise (cfr. l'). L'Eglise locale vit de la Litur-
gie universelle (dr. 3"). Donc, universalité de l'Eglise locale et
pérennité de la Liturgie (cfr. 2') sont telles que l'Eglise locale
dépasse la dimension de l'Espace pour rejoindre la Catholicité
(= universalité de l'Espace) et la Liturgie locale dépasse la di-
mension du temps de l'action de la célébration pour rejoindre
l'Unicité (= pérennité dans le Temps) propre au Sacerdoce du
Christ qui s'y incarne.

3. LITURGIE LOCALE ET « ECCLESIA UNlVERSALIS »

Dans l'" Ecclesia ", tout reçoit force et grâce de l'action litur-
gique et tout est orienté vers la Sainte Liturgie. Celle-ci est le
point de départ, la force génératrice, la source d'énergie vitale,
et simultanément le point d'arrivée vers lequel tend toute activité
de l' (c Ecclesia ».
L'on peut comprendre ainsi comment entre la liturgie locale
et 1'« Ecclesia universalis », il y ait un rapport intime.
L'Eglise est le signe concret de l'action salvifique du Christ,
elle est le lieu où l'on peut constater l'oeuvre rénovatrice de
Dieu, elle est" initium et plenitudo " de la nouvelle création dans
le Christ.
L'on redécouvre ainsi que le but fondamental du culte
chrétien est que le Corps Mystique du Christ prenne forme
réelle dans l'assemblée liturgique qui rend visible ['" Ecclesia " 10'.

l07 Cfr. o. CULI.MANN, La foi et le culte de l'Eglise primitive (Neuchâtel


1963) 120.
322 ACHILLE M. TRIACCA

Celle-ci, étant le (c lllysterium }) 100 de notre union au Christ, prévue


et voulue par la bienveillance du Père, en vertu de l'Esprit, ne
peut être décrite qu'au moyen d'une multitude de formules ana-
logiques diverses et complémentaires '09, car le mystère de l'" Ec-
clesia" est une réalité si riche de significations, qu'il ne peut
être énoncé au moyen d'une seule formule.
Il serait en effet nécessaire que cette formule puisse exprimer
en même temps la fonction du Christ pour l'" Ecclesia » et dans
l'" Ecclesia", et la fonction de l'Esprit. Ces fonctions s'expli-
quent concrètement et sont visibles dans l'assemblée liturgique
qui se révèle comme signe efficace de l'" alliance" qui s'y réalise
toujours, et comme actualisation de la convocation active d'une
communauté qui se perpétue dans le temps et dans l'espace. L'on
comprend ainsi à juste titre que l'étude de la nature d'une
liturgie locale est un approfondissement de la nature intime de
1'« Ecclesia}) et Înverséluent. D'autre part, la multiplicité des
« incarnations)} et des « épiphanies)} de l'unique « Ecclcsia }) dans
les liturgies particulières des assemblées locales nous amène à
constater que l'assemblée liturgique, comme la liturgie locale,
est en pratique une « convocation» opérée par la Sainte Trinté,
pour constituer aujourd'hui l'" Ecclesia", "peuple de Dieu-
communauté cultuelle» lIO.
Nous appuyant ainsi sur les témoignages liturgiques d'un rite
particulier, dans notre cas le rite ambrosien, on remarque que le
but du culte chrétien se révèle dans sa ligne originaire comme
" édification" de la communauté. L'ecclésiologie liturgique am-
brosiennc met une fois de plus en évidence le fait que les fidèles
sont convoqués par le Père, dans l'Esprit du Christ glorifié par
le moyen des {( pasteurs}) qui doivent être la voix concrète de
l'Esprit.

lOB Cfr. A.M. TRIACCA, Il Mistero della Chiesa, cOl11unità di salvezza, dans: V.
MTANO (éd.), Corso introduttivo al Mistero della salvezza (Zürich 1971) 93-114.
109 Voir L. CERFt\UX, Le immagini simboliche della Chiesa nel Nuovo Testa-
mento, dans: G. BARAÜNA (éd.), La Chiesa deI Vaticano II. Studi e commenti
alla Cvstitu"Ziol1e dOl1ll1latica «Lumen Ge1llÎum» (Firenze 1965) 299-313; ct la
Bibliographie sur ce problème des figures de rhétorique dans: U. VALESKE, Vo-
twn Ecclesiae. Il. Teil. InterkonfesslOJmelle ekklesiologische Bibliographie (Mün-
chen 1962) 201-204.
110 Cfr. S. LYON:-<ET, La nature du culte dans le Nouveau TestameHt, dans:
AA.VV., La Liturgie après Vatican Il. Bilans, Etudes, Prospective (Paris 1967)
357·384.
LITURGIE AMBROSIENNE ET ECCLÉSIOLOGIE UNIVERSELLE 323

Une fois convoquée, l'assemblée liturgique évoquant les mer-


veilles de Dieu pour elle, invoque en louant, remerciant, sup-
pliant la bonté du Père, débordant d'Amour dans le Fils.
Après avoir évoqué la grandeur du plan de salut, l'assemblée
liturgique se redécouvre comme la continuation et la perpétua-
tion de l'assemblée liturgique de tous les temps et y retrouve,
par la force de l'Esprit, l'énergie pour susciter les profonds
dynamismes de la première communauté chrétienne, concentrés
dans l'assiduité aux enseignements des Apôtres, à la communion
fraternelle, à la « fraction du pain" et à la prière 111. De la sorte,
l'assemblée liturgique prend conscience toujours davantage de
rendre visible dans le temps et l'espace l'unité profonde de
ceux qui, parmi le genre humain, sont appelés par le Père, par
la force de l'Esprit, dans le Christ Grand Prêtre éternel.

CONCLUSION

La construction du temple est fêtée d'une maillere particu-


lière dans la liturgie ambrosienne. On y symbolise la construction
de l'Eglise qui devient le premier engagement du chrétien. Dans
cet effort de «vraie construction", le fidèle apporte une con-
tribution fondamentale au désir d'une humanité nouvelle dans
une société nouvelle. Dans l'accentuation que fait la liturgie
ambrosienne de la «dedicatio Ecclesiae", chaque personne,
comme pierre vivante, est ordonnée à la croissance du Corps
Mystique qu'est l'Eglise. Le Corps Mystique n'annule pas la
conscience ni la liberté des diverses personnes qui le constituent.
Dans l'édification du vrai temple, s'édifie la communion
avec le Christ Vérité et Vie. En Lui, les motifs de la séparation
tombent'" et les fils de Dieu dispersés 113 sont réunis en un seul
corps car UN est le Père ''', UN est l'Esprit et UNE « sera" la foi.

Université Pontificale Salésienne - Faculté de Théologie


Pontificium Institutum Liturgicum - Anselmianum
Rome, le 24 Mai 1979
Achille M. TRIACCA

III Cfr. Act. Ap., 2, 42.


112 Cfr. Eph 2, 14.
113 Cfr. Jo 11, 52.
tH Cfr. 1 Cor 8, 6.
L'ÉGLISE DANS LES PROGRAMMES MONUMENTAUX
DE L'ART BYZANTIN

Lorsque le Professeur André Grabar m'a proposé, il y a plus


de quinze ans, que j'entreprenne une étude de l'Eglise dans
l'art byzantin, je lui ai dit que je connaissais peu d'images qui
puissent servir comme documents de base pour une telle étude.
En effet il n'existe pas d'imagerie destinée à communiquer
une ecclésiologie formelle à l'époque byzantine. Par contre, il
existe tout un réseau d'images ayant trait aux diverses fonctions
des membres de l'Eglise, et notamment des évêques. Je me suis
donc mis à établir le répertoire de ces images, et ensuite à de-
mander si on peut en dégager une notion de l'Eglise cohérente
et structurée. Depuis lors, j'ai eu souvent l'occasion de présenter,
en conférences et en articles, les thèmes ayant trait à l'Eglise:
les programmes liturgiques de l'abside, les diverses cérémonies
ecclésiastiques, les conciles et l'imagerie politique des papes ro-
mains '. Il n'est pas mon intention de reprendre ici ce que j'ai
déjà dit ailleurs. Je voudrais plutôt essayer une première réponse
à la question de fond: quelle notiQl) de l'EgUs!, .. "st sous-jacente
à ce réseau d'images? Ilesté:;;;dent que l'~cl~siologi~ by~antine
s'est dév~lopp~e e-t--~'est enrichieil~ C.2llI§. <les ~iècl"s. Nous
verrons, d'ailleurs, qlle:<ians s-a forme ultime, cette ecclésiologie
est étroitement liée à la théologi~ s~cr!,m"ntelle.pa;:conséque;;t,
la démarche que je propose-ici -;';t tout-à-fait dans la ligne de
la semaine liturgique de cette année 1979.

1 CH. WALTER, La place des évêques dans le décor des absides byzantines,
in Revue de l'art 24 (1974), p. 81-89; L'évêque célébrant dans l'iconographie
byzantine, in L'assemblée liturgiqtte el les différents rôles dans l'assemblée, Con-
férences Saint-Serge 23e semaine d'études liturgiques, Rome 1977, p. 321-331;
Apsisversiering in de byzantijnse traditie, in Het Chrislelijk Qastell 31 (1979),
p.3·19.
326 CHRISTOPHER \VAL TER

Au préalable, il convient de dire que, dans ce contexte, le


mot « eccIésiologie» doit être utilisé avec circonspection. S'il
n'existe pas d'imagerie ecclésiologique au sens formel du terme,
c'est sans doute parce que, à l'époque byzantine, il n'existe pas
non plus une théologie systématique de l'Eglise. D'autres savants
ont fait le même constat: la réflexion théologique sur la nature
de l'Eglise commence sérieusement au Ige siècle, prenant comme
point de départ les circonstances particulières de l'époque '. D'une
part, en Occident, on se met, au Ige siècle, à revendiquer les
droits de l'Eglise-institution, avec le Pape comme chef, menacée
par le particularisme des églises locales et par la contestation
des régimes anticléricaux. D'autre part, en Orient, lorsque les
nations slaves commencent à se libérer de la tutelle des Turcs
et du Phanar, les slavophiles recherchent "l'organicité" de
l'Eglise dans la communauté naturelle et prônent la notion de la
sobornos/'. Or, le trait commun de ces deux tendances, c'est que
leur point de départ est l'Eglise dans sa dimension terrestre '.
Bien sûr, les théologiens byzantins, comme les Pères d'antan, ne
méconnaissent pas la dimension terrestre de l'Eglise, présente
dans leur pensée grâce aux notions de l'apostolicité, de l'autocé-
phalie et de la pentarchie. Toutefois, c'est surtout l'Eglise céleste
ou triomphante qui les intéresse. En effet, pour eux, l'Eglise
terrestre n'est que le pille reflet du Royaume des CieuX,' cI'où-
le Christ triomphant, entouré' d~s- anges et des saints, gouverne
l'univers. C'est donc une image de l'Eglise idéale et glorieuse
qu'ils présentent aux fidèles, bien que, pour cette démarche, il
fallût avoir recours à l'usage de l'analogie. Or, les analogues ne
peuvent être que les réalités terrestres, accessibles aux yeux
des simples fidèles.
Les artistes byzantins ne se limitaient pas à la décoration
des églises. Une forte proportion de nos documents est consti-
tuée par les miniatures, illustrant notamment les livres liturgi-
ques, et par les icônes. Toutefois, pour faciliter notre tâche
présente, nous allons nous adresser principalement à l'art mon-

2 P. EVDOMIKOV, Les courants principaux de l'ecclésiologie orthodoxe au 19~


siècle, dans Ecclésiologie du 19~ siècle, Paris 1960, p. 57-76 (version anglaise par
J. CoXLON dans Eastern ClllIrches Review 10 [19781. p. 26-42).
3 Cette terminologie n'est pas, sans doute. byzantine. Dans cet article, l'Egli-
se céleste est surtout l'Eglise du Christ ct des anges; l'Eglise triomphante intè-
gre les saints; l'Eglise terrestre est constituée de ceux Qui sont vivants: clergé
et laïcs.
L'ÉGLISE DANS LES MONVl\·fENTS BYZANTl:-..!S 327
~~-----

umental. En effet, l'église-édifice donne, de par sa nature, une


structure à l'imagerie, car elle est, comme on l'affirme souvent
dans la tradition byzantine, le microcosme de l'Eglise céleste.
Alors que les ekphraseis, notamment celles de provenance
syrienne, attribuent, déjà à la haute époque, une signification
symbolique aux diverses parties de l'église-édifice, il est vraisem-
blable que les premiers programmes décoratifs furent dictés
plutôt par des considérations fonctionnelles. Or, les premières
grandes constructions chrétiennes ressemblent à la basilique
antique: une grande nef à plusieurs ailes qui aboutit sur un arc
triomphal et une abside. L'abside était la partie du bâtiment
réservée aux autorités. Là l'empereur et ses fonctionnaires se
déchargeaient de leurs responsabilités gouvernementales, ou se
présentaient au grand public lors d'une occasion cérémoniale.
Là aussi, lorsque la basilique devient église, les membres du
clergé se rassemblaient autour de J'évêque.
Quels thèmes iconographiques convenaient à un tel empla-
cement? Dans les catacombes, le thème dominant était celui de
la libération - mais présenté dans un contexte d'espérance: le
Christ libère du péché et de la mort ceux qui restent fidèles
jusqu'à la fin, comme il avait libéré Noé du déluge, Suzanne
de ses persécuteurs et les Trois Jeunes de la fournaise. Dans
les siècles qui suivent la reconnaissance officielle de l'Eglise par
Constantin le Grand, un tel thème convenait moins bien, car
l'Eglise avait triomphé sur ses persécuteurs. Il était mieux de
représenter le Christ en gloire et le Règne de Dieu. Depuis le
début et tout au long de l'époque byzantine, l'abside est donc
conçue comme étant par eJ{cel1~nce_lelieu_ du~~Çhrj§t. En effet,
si l'évêque et son clergé y prennent place, il ne le font qu'en tant
que les représentants du Christ sur terre. Bien que nous trouvions
parfois dans l'abside une image" officielle" ayant trait à l'Eglise
terrestre - la commémoration, par exemple, d'un don ou de la
remise d'un privilège - le thème habituel de l'abside, et notam-
ment de la calotte, c'est le Christ au ciel, entouré de ses apôtres.
Tantôt il s'acquitte lui-même d'un acte gouvernemental, remet-
tant une couronne à un martyr ou recevant une offrande; tantôt
il se révèle aux fidèles, assis sur une sphère, qui signifie l'univers,
et situé dans un paysage paradisiaque '. C'est donc l'Eglj§e

4 Christa IHM, Die Programme der christlichen Apsismalerei vom vierten


Jahrhtmdert bis zur Mitte des achten Jahr}wnderts, Wiesbaden 1960.
328 CHRISTOPHER WALTER

triomphante qui y est représentée, mais conçue d'après le céré-


monIal de la cour impériale. Au-dessous de ces images célestes
peut être représenté aussi le Christ Enfant, qui, lors de son
Incarnation, se manifeste aux hommes.
Sur le plan horizontal, la décoration des églises est orientée
vers l'abside. Mais, lorsque l'on ajoute régulièrement une cou-
pole, le bâtiment acquiert en surcroît un axe vertical. Les cosmo-
logies anciennes présentaient l'univers comme un hémisphère
et le ciel comme une sorte de dôme qui recouvre la terre
plate '. La coupole - et des temples païens et des églises chré-
tiennes - s'assimile donc facilement au ciel où se déroule la vie
céleste, mais la vie terrestre est en rapport avec celle des cieux.
" Il me semble ", dira Nicolas Mésarites, " que (la coupole)
invite l'Homme-Dieu céleste à descendre de nouveau sur tous
les fils des hommes" '.
Cette observation est sans doute inspirée d'un verset des
Actes des Apôtres 1,l!: "Ce Jésus qui a été enlevé pour le ciel
viendra de la même manière que vous l'avez vu s'en aller vers
le ciel »,
Or, le Christ de la coupole est souvent nommé Pantocrator
(Gouverneur Universel). Accessible en permanence aux yeux des
anges et des saints, il s'est révélé dans une vision apocalyptique
aux prophètes avant son Incarnation et aux martyrs au moment
du supplice suprême. De son trône céleste, il octroie aux créatures
leur rôle dans le plan providentiel. Ainsi le lien entre lui et les
fils des hommes, qui constituent l'Eglise terrestre, est assuré
par toute une hiérarchie de ({ fonctionnaires »: anges, patriarches,
prophètes, apôtres, martyrs et - enfin - saints évêques. On
représente habituellement dans la coupole byzantine les anges,
patriarches et prophètes. Les Evangélistes, dans les pendentives,
font la transition entre les ères de l'Ancien et du Nouveau Testa-
ment. Au-dessous d'eux s'échelonnent les apôtres, martyrs et
évêques. Les humbles fils des hommes, en entrant dans l'église,
contemplent la hiérarchie des privilégiés, et, ce faisant, s'intè-
grent à l'inlassable va-et-vient entre le ciel et la terre.
Cependant, nous n'avons ici que la premiere ébauche d'une
théologie de l'Eglise triomphante et de ses liens avec l'Eglise

:; SUZy DUFRE:\NE, Les programmes des coupoles dans les églises du monde
byzantin et postbyzantin, in L'information d'histoire de l'art 10 (1965), p. 185·199.
6 C. M,\NGO, The Art of the Byzantil1e Empire, Englewood Cliffs 1972, p. 232.
L'ÉGLISE DANS LES MONUMENTS BYZA:\!TINS 329

terrestre. Dans le cadre de cet agencement horizontal et vertical


des programmes décoratifs des églises, devait être élaborée par
la suite une imagerie plus complexe, qui reflète l'intérêt croissant
porté par l'Eglise byzantine à la liturgie eucharistique. J'ai déjà
tiré l'attention au fait que, lorsque les théologiens commencent
à étudier et à connaître la liturgie pour elle-même, ils l'apprécient
d'une toute autre façon qu'auparavant '. A l'époque des caté-
chismes mystagogiques, on faisait une exegèse des événements
de la vie terrestre du Christ, de la typologie vétéro-testamentaire
et de leurs échos dans les textes et les actions liturgiques. Les
types vétéro-testamentaires de la Rédemption, comme les sacri-
fices d'Abel et d'Abraham et les événements historiques de la
Vie du Christ, figurent tôt dans la décoration des églises. Plus
tard, les mystagogies sont composées, en guise de commentaires,
directement à partir de la liturgie eucharistique et notamment
de son mystère central: l'oblation des espèces consacrées '. Ainsi
l'abside devient le lieu où le Christ se manifeste aux hommes
plus particulièrement dans la modalité de son existence sacra-
mentelle. En effet, dans son existence céleste il est moins ac-
cessible aux hommes que sous la forme du vin et du pain
consacrés.
Alors que l'Histoire ecclésiastique (son nom habituel est
en lui-même significatif!) attribuée à Germain de Constantinople,
témoigne déjà au ge siècle à ce nouveau développement théolo-
gique, son influence sur la liturgie et l'iconographie ne devient
évidente qu'après le Triomphe de l'Orthodoxie. Le Lectionnaire
répartit alors les récits de l'Evangile selon le calendrier liturgi-
que; Syméon le Métaphraste revise et édite les Vie des Saints,
qui sont présentées aussi selon le calendrier; les événements
principaux de la Vie du Christ deviennent les Grandes Fêtes de
l'Eglise '. Parallèlement, la Grande Entrée, action qui n'existe

7 Voyez les articles cités à note 1.


o R. BORNERT, Les commentaires byzantins de la divine liturgie du 7<:. au
lY siècle, Paris 1966.
9 Livres liturgiques: K. WEITZMANN, Studies in Classical and Byzantine Ma-
nuscript Illumination, Chicago/ Londres 1971; Sirarpie DER NERSESSIAN, The Illu·
stration of tlze Metaphrastian Menologium, in Late Classical and Medieval Stu-
dies in Honor of Albert Matlzias Friend Ir., edited by K. Weitzmann, Princeton
1955, p. 222-231.
Programmes monumentaux: O. DEMus, Byzantine Mosaic Decoration, Aspects
of M.Jnumental Art in Byzantium, Londres 1964; Suzy DUFRE~NE} Les program-
mes iconographiques des églises byza11tines de Mistra, Paris 1970.
330 CHRISTOPHER \VALTER

pas dans la liturgie primitive, et le rite de la prothèse mettent


en valeur la doctrine de l'Eucharistie comme réactualisa tian de
l'oblation suprême du Christ.
De son tour la décoration des églises subit aussi l'influence
de ces développements doctrinaux. Au niveau supérieur de l'absi-
de, est représentée régulièrement la Communion des Apôtres. La
Cène prend l'allure d'une célébration liturgique: le Christ, habillé
parfois en évêque, se tient derrière un autel surmJnté d'un
baldaquin, alors que les apôtres s'approchent des deux côtés
pour recevoir le pain et le vin. Notons, en passant, que cette
scène est mise en rapport avec le ciel par la présence habituelle,
de côté et d'autre du Christ, de deux anges-diacres tenant dans
les mains un rhipidion. Au-dessous de cette scène, est représentée
une eucharistie, où les célébrants principaux sont les saints Jean
Chrysostome et Basile le Grand, auteurs des deux grandes litur-
gies byzantines. Sur l'autel sont placés les ustensiles liturgiques
avec l'Hétoimasie, représentation symbolique de la présence
divine, ou le Christ Enfant'". Ainsi est affirmée la doctrine de la
présence réelle du Christ dans les saints espèces. D'autres saints
évêques peuvent concélébrer avec les deux Iiturgistes, alors
qu'encore d'autres sont présents sous la forme de leurs portraits,
étalés sur la paroi du mur de l'abside et des chapelles latérales".
Il faut souligner que, bien que des considérations d'ordre
ecclésiologique, au sens moderne du terme, puissent déterminer
le choix des évêques représentés - apôtre-fondateur ou occupant
l'un des cinq sièges patriarcaux - , ce sont toujours des évêques
saints. Ainsi, alors qu'il s'agit d'une célébration terrestre, adaptée
de la pratigue contemporaine, seuls ceux qui sont déjà agrégés à
l'Eglise triomphante ont le droit d'y participer. Nous restons donc
dans le cadre hiérarchique, déjà établi, où les êtres privilégiés
maintiennent la liaison entre le ciel et la terre. En même temps
cette tendance à voir dans les espèces consacrées la modalité la
plus importante de la présence du Christ sur terre a ses retentis-
sements aussi dans la zone de l'édifice qui est plus particulière-

10 Ch. WALTER, The Christ Child on the altar in Byzantine apse decoration,
Communication au 15~ Congrès International d'Etudes Byzantines, Athènes 1976.
11 A. GRAHAR, Deux témoignages sur l'autocépltalie d'ulle église: Prespa et
Ohrid, in Zbornik Radova Viwnlo[oskog lw;cilllfa (Belgrade) 8,2 (1964), p. 166-
168; Les peintures ml/raIes de Sainte-Sopl1ie d'Ohrid, in Cahiers archéologiques
15 (1965). p. 262-265.
L'ÉGLISE DANS LES MONUMENTS BYZANTINS 331

ment assimilée au ciel. Pendant les derniers siècles de l'époque


byzantine, on représente dans la coupole la liturgie céleste. Celle·
ci est résumée dans l'action de la Grande Entrée. Autour de la
paroi du tambour se déroule la procession des ange" qui portent
les offrandes vers un autel, derrière lequel se tient le Christ.
S'il est parfois absent c'est parce que, comme il figure déjà
en Pantocrator au sommet de la coupole, une seconde représenta·
tion de lui serait surérogatoire 12.
Ainsi l'Eglise byzantine ne néglige pas à manifester aux fidè·
les, sous la forme des images, le mystère de son existence. Ce
mystère se résume dans la célébration eucharistique, car les
créatures ont comme office principal la charge de louer Dieu.
De même, l'unité de l'Eglise se résume dans la concélébration
des saints évêques. Le Seigneur a montré, à l'occasion de son
dernier repas avec ses disciples, la façon la plus parfaite de rendre
cette louange à Dieu. L'action est reprise par les saints évêques,
alors, qu'au ciel, les anges lui rendent une louange analogue. Ainsi
l'axe horizontal, qui passe de la nef, où se rassemblent les fidèles
laïcs, au sanctuaire, où préside le clergé, aboutit à l'action litur·
gique, telle que le Christ et les saints évêques l'ont exécutée sur
terre, alors que l'axe vertical monte à la coupole, où les anges
célèbrent la liturgie céleste.
Toutefois, l'Eglise ne se manifeste ici aux fidèles que dans
sa dimension triomphale. Bien que la liturgie, telle qu'elle est
célébrée sur terre, pourvoie le modèle d'après lequel sont repré·
sentées les célébrations des apôtres, des évêques et des anges, elle
ne figure jamais dans l'iconographie byzantine comme une
action strictement terrestre. Faut-il en conclure que l'Eglise
byzantine méconnaît, du moins dans son imagerie officielle,
cette dimension de son existence? Je ne pense pas. Je dirais
plutôt que l'Eglise préfère relativiser son existence terrestre
et que, en conséquence, elle réserve aux images ecclésiologiques,
au sens moderne du terme, une place en dehors de l'église pro-
prement dite, c'est-à-dire dans le narthex. Passons-y à présent,
afin de compléter cet exposé en y jetant un bref regard.
Le narthex est une sorte de portique, situé à l'entrée de
l'église, qui servait comme lieu de rassemblement avant le

12 Suzy DUFRENNE, op. cit. (note 9), p. 189, 198.


332 CHRISTOPHER WALTER
~------------~~~~~~-----------------

commencement de la liturgie. Dans l'Antiquité, les décisions du


pouvoir, lors de leur promulgation, furent affichées à l'entrée
des basiliques. Cette pratique fut reprise par l'Eglise, et elle
continue jusqu'à nos jours. Avec le passage du temps, le narthex
acquiert d'autres fonctions: celle d'une chapelle funéraire, par
exemple, ou d'une salle synodale. Toutefois, il ne perd pas sa
fonction originale. C'est pourquoi nous y trouvons, tout au long
de l'époque byzantine, des images ayant trait aux relations
entre l'Eglise et le pouvoir civil. Ces relations sont toujours
présentées sur le plan idéal. L'empereur, en tant qu'autorité
civile suprême de la chrétienté, exerce un rôle officiel dans
l'Eglise terrestre. Rappelons que l'on a attribué à Constantin le
Grand le titre de treizième apôtre. Après le Triomphe de l'Ortho-
doxie, est élaborée la notion d'une symphonie des pouvoirs, dans
le code de droit civil mais aussi dans les écrits spirituels de saint
Théodore Stoudite ".
Le thème iconographique qui résume le mieux cette sym-
phonie des pouvoirs est sans doute celui des sept conciles oecu-
méniques H. Les images des conciles servaient à promulguer à la
fois la doctrine orthodoxe et la condamnation des hérésiarques.
Tantôt ceux-ci se prosternent devant les orthodoxes; tantôt ils
se disputent avec eux. Mais l'assemblée est toujours présidée
par l'empereur, entouré d'évêques. L'image peut être accompa-
gnée d'une inscription, précisant le nom de l'hérétique con-
damné et les erreurs dans son enseignen1ent hétérodoxe, ainsi
que le nom de l'empereur et des patriarches orthodoxes. Sur le
plan institutionnel, la chrétienté est donc définie comme la
symphonie du pouvoir impérial et de celui de la pentarchie.
Un autre type d'image présente cette symphonie des pou-
voirs sous une forme symbolique. Les exégètes byzantins n'hésitai-
ent pas à rapprocher Constantinople, cité de Dieu, et la Jérusalem
mystique ". Constantinople était la Nouvelle Sion, et, comme le
peuple d'Israël avait et un chef seculier, Moïse, et un chef spiri-
tuel, Aaron, ainsi Constantinople avait et un empereur et un
patriarche. Une représentation curieuse de Moïse et Aaron en

13 A. GR.I\.BAR, L'art religieux el l'empire byzantin à l'époque des MacédonieJls,


dans L'art de la fin de l'Antiquité et du Moyen Age, Paris 1968, p. 151-168.
14 Ch. WALTER, L'iconographie des conciles dans la tradition byzantine, Pa-
ris 1970.
15 Sil-arpie DER NERSnSSIAN, L'illustration des psautiers grecs du Moyen Age,
II, Londres Add. 19.352, Paris 1970, p. il-81, 83-86.
L'ÉGLISE DANS LES MONUMENTS BYZANTINS 333

train d'encenser un autel se trouve parfois dans le narthex des


églises byzantines. Le sens symbolique de cette image, qui pré-
figure la symphonie des pouvoirs de l'Etat et de l'Eglise, devient
clair lorsqu'elle est située dans le contexte de tout un réseau
d'images assimilant Constantinople à Sion.
Enfin, en Serbie, se répandent des thèmes iconographiques
du même genre ". Etienne Nemanja est vénéré chez les Serbes
comme fondateur de leur Etat, avec son fils Sava, fondateur de
leur Eglise nationale. Toute une série d'images existe mettant
en valeur l'autorité et la sainteté des membres de la dynastie
Nemaja. Notons, par exemple, que les assemblées et les synodes
nationaux des Serbes sont parfois représentés dans le narthex de
leurs églises à côté des conciles oecuméniques ". Ainsi l'ortho-
doxie de ces assemblées est authentifiée par leur rapport avec
les conciles de l'Eglise universelle. Plus original, peut-être, est
le thème de l'arbre généalogique des Nemanja. L'arbre du père
de David, les ancêtres du Christ, figure dans l'art byzantin dès
le 12e siècle. Les artistes serbes reprennent ce thème et l'adaptent
de façon que la vigne surgit du corps de leur roi Etienne Nemanja
et que sa descendance - rois et évêques - figure dans les rin-
ceaux. Des exemples de ce thème, qui affirme à la fois la sainteté
de la dynastie Nemanja et la symphonie des pouvoirs en Serbie,
se trouvent dans le narthex de leurs églises à partir du 14e siècle ".
Cette brève présentation des thèmes ecclésiologiques dans
l'iconographie byzantine nous permet peut-être de saisir mieux
comment l'Eglise orthodoxe comprenait à l'époque le mystère
de son existence. L'Eglise est présentée toujours sur le plan idéal,
et, le plus souvent, dans la modalité céleste ou triomphale.
L'Eglise triomphante est conçue, à partir du Ile siècle, sous la
forme d'une série, hiérarchiquement disposée, de célébrations
liturgiques. L'une se déroule au ciel, où participent uniquement
les anges; les deux autres se déroulent sur terre, mais avec la

16 Gordana BARré, Ikonografski program zivopisa u narteksima crkava kral;a


Milutina, dans Actes de Graéanica, Symposium 1974 (sous presse).
17 V. DJURlé, ISlorijske kompo;icije tl srpskom slikarstl'u srednjeg veka j
njihove kn;izevne paralele, dans Zbomik Radova Vizantoloskog Instituta (Bel-
grade) 10 (1967), p. 111-148.
18 S. RA.DOJélé, Portreli Srpskih Vladara u Sredll;em Vektl, Skopje 1934, fig.
15, 18, 14: V. DJCRlé, Loza Neman;iéa u starom srpskol1l slikantvl/, dans Zbomik
Rad':JVa, l Kongrcs saveza drustava istoricara umctnosti SFRJ, Ohrid 1976,
p. 53-55: Ch. WALTER, T11e Byz.antine Family il1 il!'t and TraeWioll, dans Cospec-
lUS of History, Cambridge (sous presse).
334 CHRISTOPHER WALTER

participation uniquement des saints. L'Eglise terrestre, lorsqu'elle


est représentée, est intégrée à la chrétienté dans sa totalité, où
l'empereur et le patriarche exercent en symphonie leur pouvoir
pour le maintien de l'orthodoxie et le bien-être de l'humanité.
L'accès de l'Eglise terrestre à l'Eglise triomphante se fait par
la participation à la célébration eucharistique; c'est là que l'unité
de l'Eglise se manifeste par la concélébration des membres saints
et orthodoxes de la pentarchie. Est-il à propos de rappeler que
le narthex ou portique, où se trouvent les images ayant trait
explicitement à l'Eglise terrestre, était traditionnellement le lieu
réservé aux catéchumènes? En effet, tant que nous vivons sur
terre, ne sommes-nous pas tous en train de faire notre catéchu-
ménat, afin de nous préparer à être accueillis dans l'Eglise
triomphante?

Christopher WALTER
LA DOCTRINE DE L'ÉGLISE DANS LES HYMNES DE L'ÉGLISE

Nous avons de bonnes preuves que l'Eglise a depuis l'origine


célébré son culte en musique, et que le chant des fidèles faisait
partie intégrante de sa liturgie. C'est le psautier hébreu qui est
à l'origine de cette liturgie, mais très tôt les cantiques à la louange
du Christ et proclamant son enseignement s'imposèrent" pour
se transformer finalement en hymnes, écrites en vers métriques,
lesquelles allaient devenir l'élément populaire du culte protestant,
mais qui eurent aussi leur place dans le culte de l'Eglise d'avant
la Réforme, en particulier dans l"office canonial.
Il semblerait que les premiers compositeurs d'hymnes parti-
culières au christianisme furent les gnostiques qui cherchaient à
propager leurs doctrines au moyen d'un chant populaire, un
moyen dont useront plus tard des personnalités très différentes:
Arius, Martin Luther et le Général Booth de l'Armée du Salut.
L'un des premiers propagandistes fut sans doute Bardesanes,
écrivain syriaque du 2e siècle, qui composa des hymnes imitées
des psaumes. Il ne semble pas que les autorités ecclésiastiques
aient mis obstacle à ce courant jusqu'au début du 4e siècle,
lorsque, après la controverse arienne, les Orthodoxes prirent
des mesures de leur côté pour adopter un choix d'hymnes appro-
priées au christianisme'. Précurseur de cet essor de l'hymno-
graphie chrétienne, Ephrem de Syrie, né à Nisibie vers 307 et
mort à Edesse en 373, est l'auteur de nombreux écrits théologi-
ques et d'hymnes, en vers métriques, appréciés par les gnostiques,
qui furent très populaires et eurent un effet durable.

l Citons le Magnificat, le Nunc dimittis et le Bel1edictus, premiers modèles


de ce genre de cantiques.
2 Les hymnes gnostiques et ariennes jouissaient d'une plus grande popularité
dans la mesure où elles inculquaient des préceptes de vie et rendaient grâce,
alors que les hymnes des Orthodoxes consistaient surtout en affirmations doctri-
nales.
336 DOUGLAS WEBB

L'un des premiers hymnographes grecs fut Grégoire de Na-


zianze, né en 325 dans cette ville, dont il prit le nom. Après des
études faites en Cappadoce, puis à Alexandrie et à Athènes, il
devint évêque de Constantinople en 379, mais abandonna son
siège au bout de deux ans pour vivre dans la retraite. C'est alors
qu'il composa la plupart de ses hymnes. A partir de cette époque
et jusque vers 850 l'hymnographie grecque prit de l'essor, puis
déclina jusqu'à la chute de Constantinople en 1453 '.
L'hymnographie latine progressa sous les mêmes influences
que la grecque. Inspiré par le chant des Ariens, Hilaire de Poi-
tiers, banni en Phrygie par l'Empereur Constantin, se mit à
composer des cantiques chrétiens. Son oeuvre dans ce domaine
fut pursuivie par St. Ambroise de Milan, qui, à cause de ses
grandes compositions en hymnographie et en musique, mérita
le titre de " père du chant de l'Eglise latine ". On lui attribue une
quantité considérable d'hymnes, bien que dans certains cas, il
y ait lieu de faire des réserves sur cette paternité. Un autre
hymnographe latin, l'Espagnol Prudence, a été dénommé "le
premier poète chrétien". C'est de son époque que date la pro-
gression des hymnes latines, en quantité et en qualité jusqu'au
12e siècle, après quoi et jusqu'au ISe, on constate un déclin '.
Lors de la réforme protestante deux opinions divergeantes
se firent jour au sujet du chant des hymnes, la luthérienne et la
calviniste. Luther était partisan des hymnes, il aimait les chants
populaires allemands, il en composa lui-même et fut assez perspi-
cace pour prévoir que l'hymnographie jouerait un rôle détermi-
nant pour gagner les coeurs à la Réforme. Quant à Calvin, il
était d'étoffe plus austère, opposé, en tout cas, à la musique
à cause de la frivolité indéniable des anciens cantiques français.
Il n'aimait pas les rites de l'Eglise qu'il considérait comme une

3 Parmi les auteurs d'hymnes les mieux connus, mentionnons: Anatole (qu'il
ne faut pas confondre avec St. Anatole, évêque de Constantinople). L'une de
ses hymnes dans la version anglaise, «The day is past and over », figure dans
de nombreux recueils modernes; St. Côme, le Mélode, mort en 760: St. Jean
Damascène, considéré par certains comme le plus grand hymnographc grec.
Deux de ses hymnes « Come ye, faithful, raise the strain of triumphant gladness»,
et «The days of Resurrection », se retrouvent dans de nombreux recueils mo-
dernes; enfin St. Joseph, l'hymnographe.
4 Il s'est produit dans l'hymnographie latine une évolution caractéristique
qu'il vaut la peine de signaler: il s'agit de l'abandon définitif des normes de la
prosodie latine, la substitution de l'acccnt à la quantité, et les rimes. Ce chan-
gement s'effectua progressivement à mesure que se manifestaient les avantagcs
et les possibilités des nouvelles règles de prosodie.
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 337

invention purement humaine bien qu'il ne pût nier l'origine divine


du psautier. Il condamnait les hymnes parce qu'elles ne repro-
duisaient pas exactement la parole de Dieu. C'est pourquoi les
églises calvinistes se bornaient aux textes des psaumes en vers
métriques.
La controverse se répercuta dans l'Eglise d'Angleterre lorsque
parut en 1552 le Second Livre de Prières anglais d'où toutes les
hymnes en vers métriques avaient disparu. Sans doute la raison
n'en est pas qu'à l'époque on manquait de poètes anglais', mais
plutôt que Cranmer oscillait entre les positions calviniste et
luthérienne. Il est possible aussi qu'il ait été ébranlé par les
opinions du Cardinal Quignones qui, dans le bréviaire réformé,
opéra une réduction du nombre d'hymnes et de répons '. Il est
possible que Cranmer lui-même ait préféré le point de vue cal-
viniste qui prévalut à l'époque élisabéthaine, ce qui eut pour
résultat qu'on ne chanta plus dans les églises anglicanes autre
chose que des traductions en vers métriques des psaumes',
lesquels étaient considérés comme virtuellement dictés par Dieu.
Les ordonnances promulguées au début du règne d'Elisa-
beth I, en 1559, contiennent l'indication suivante: «Au début ou
à la fin des prières communes, le matin ou le soir, on peut
chanter une hymne ou un chant du même genre à la louange du
Dieu Tout-Puissant sur la meilleure mélodie qui se puisse trouver.
On doit veiller à ce que le texte soit compris et perçu ".
Cette autorisation fut mise en pratique avec beaucoup de
zèle. L'évêque Jewel parle de 5000 personnes qui chantaient à la

,; Si l'on en juge d'après l'unique tentative de Cranmer, sa traduction du


Veni, Creatar Spiritus, il faut convenir qu'il n'était pas poète. Sa décision a pu
être influencée par la quantité énorme de textes à traduire.
6 Le bréviaire de Ouignones était certainement connu de Cranmer puisque sa
préface du recueil de 1549 reproduit, pour la plus grande partie, celle de son
édition du bréviaire.
7 Les débuts de l'hymnographie dans l'Eglise anglicane sont associés au nom
de Miles Coverdale, qui publia en 1535 sa traduction de la Bible, suivie deux
ans plus tard par les « Goostly Psalmes and Spiritualle Songs », un livre que les
autorités prirent la décision d'interdire en 1539, mais qui fut autorisé par la
suite dès 1546. Il contient plusieurs hymnes ainsi que 15 psaumes en vers métri-
ques et des paraphrases du Credo et des Cantiques. En 1549 parut « AlI sueh
Psalmes of David as Thomas Sternehold late grorne of yc Kinges maiesties Robes
did in his life time drawe into English metre ». Les sepl dernieïs psaumes de ce
volume sont l'oeuvre de John Hopkins. Cet ouvrage, connu sous le nom de
{, OId Version », prit une forme définitive en 1562, sous le titre de «The whole
book of David's Psalms », publié par John Daye, avec la musique. Il fut très
populaire.
338 DOUGLAS WEBB

Croix de St. Paul. Outre la coutume de chanter les hymnes avant


et après les prières du matin et du soir, on prit l'habitude de les
chanter également après le 3e collecte de ces mêmes heures.
On s'étonne pourtant que dans une nation qui produisit
tant de poètes, il se passa longtemps avant que la poésie ne
fît son apparition de façon appréciable dans la liturgie. Cette
absence est due pour une part à la question des psaumes en
vers métriques. Mais il est vrai que les poètes ne furent jamais
mis à contribution en la matière. (c L'ancienne Version» de Ster-
nehold et Hopkins fut très populaire même si elle s'attira à bon
droit l'épigramme célèbre de Rochester', écrite dans la même
veine que celle de Voltaire, dédiée à Lefranc:
« Savez-vous pourquoi Jérémie
A tant pleuré pendant sa vie?
C'est qu'en prophète il prévoyait
Qu'un jour Lefranc le traduirait )1.

La « nouvelle version» du psautier parue en 1694 de Nicholas


Tate et Nahum Brady, encore en vers métriques, ne jouira
jamais de la même popularité, même si, jusqu'au milieu du 1ge
siècle, elle se retrouve parfois dans le livre de Prière commune '.
Les poètes de cette époque n'y figurèrent jamais, et il ne semble
pas qu'ils aient eu l'idée d'y apporter leur contribution. Lorsqu'au
17e et au 18e siècles certains se mirent à écrire des hymnes, le
recueil de 1'« ancienne version» était d'usage courant. Ils pro-
gressèrent peu au début et ce ne fut qu'au 1ge et au 20e
siècles que les oeuvres de bons auteurs anciens firent leur entrée
dans une certaine mesure dans les offices de l'Eglise. S'ils y
réussirent, si l'Eglise se trouva finalement libérée de la tyrannie

8 Sternehold and Hopkins had great qualms,


when thcy translated David's Psalms
Ta make the heart right glad.
But had it been King David's fate
Ta hear thee sing and them translate,
By God! t'would set him mad.
Texte qui peut se traduire comme suit:
Stcrnehold et Hopkins firent de grands efforts
Quand ils traduisaient les psaumes de David
Pour rendrc le coeur vraiment joyeux.
Mais si le roi David avait eu le malheur
De t'entendre chanter, ainsi que leur traduction,
Par Dieu! il en aurait perdu la raison.
9 La « nouvelle version») obtint l'autorisation royal pour être utilisée dans
les églises et fut dédiée au roi Guillaume III. Nahum Tate fut poète lauréat et
Nicholas Brady chapelain ordinaire du roi.
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 339

du psaume métrique on le doit surtout à l'oeuvre d'Isaac Watts,


ministre congrégationaliste, justement dénommé «( le père de
l'hymnographie anglaise". Il fit paraître ses «Horae Lyricae"
en 1707, et ses « Hymnes et chants spirituels" en 1709. Ces deux
oeuvres témoignent de son sentinlent que les hymnes, au lieu
de se limiter strictement au langage des psaumes et de l'Ancien
Testament, devaient reproduire les pensées, les aspirations et
les sentiments de tous les chrétiens, en un langage qui leur fût
agréable 10.
Cependant notre sujet n'est pas l'histoire de l'hymnographie,
mais plutôt le contenu doctrinal des hymnes au sujet de l'Eglise.
Il faut, bien sûr, voir d'abord ce que signifie le terme « Eglise ",
et quelles en sont les connotations. Le mot « Eglise" traduit le
grec ekklesia qui correspond dans la Septante à l'hébreu qahal,
« assemblée» ou « paroisse ». L'un et l'autre termes sont dérivés
de racines qui signifient « convoquer» et « proclamer». L'Eglise
se définit comme l'assemblée de ceux qui répondent à l'appel
ou à l'invitation de Dieu. Ainsi nous ne venons pas à l'Eglise,
mais plutôt à Dieu dans l'Eglise ". Dans le Credo de Nicée nous
affirmons: «Je crois à l'Eglise une, sainte, catholique et aposto-
lique". Les théologiens ont écrit des volumes sur ce qu'il leur
plaît d'appeler «les quatre signes de l'Eglise", contenus dans
le texte du Credo, et qui indiquent l'unité (<< unicité" serait plus
exact puisque l'unité de l'Eglise est plus vraie en théorie qu'en
pratique), la sainteté où spiritualité, l'universalité car elle appar-
tient à tous les temps et à tous les types de société, et sa fidélité
à l'enseignement reçu des premiers apôtres.
Il importe de distinguer avec soin d'une part « le royaume de
Dieu" (ou du ciel) 11 et de l'autre, «l'Eglise". Les Evangiles où
il est beaucoup question du Royaume font très peu mention de

10 Isaac Watts, né en 1674 à Southampton et mort en 1748 dans la quartier


de Stoke Ncwington à Londres, devint en 1702 pasteur de la célèbre paroisse
indépendante de Mark Lane à Londres. Ses hymnes jouissent aujourd'hui encore
d'une grande popularité. Parmi les mieux connues citons «When l survey the
wondrous Cross, on which the Prince of Glory died », et 110 Gad, our help in
ages past ». Il fit paraître un volume contenant 138 psaumes en vers métriques.
Quant aux restants, il les jugeait impropres au culte chrétien à cause des sen-
timents qu'ils exprimaient.
11 A noter que le latin dit «Credo in Deum ... in Jesum Christum in
Spiritum Sanctum », mais « Credo ecclesiam »; en français: «Je crois en Dieu.
je crois à l'Eglise », ce qui indique une relation de foi différente.
12 Pour le juda'îsme et dans ce contexte, l'expression «royaume du ciel"
équivaut à «royaume de Dieu ».
340 DOUGLAS WEBB

l'Eglise. "Le Royaume" est une réalité spirituelle, divine et


surhumaine, à laquelle l'homme n'a aucun droit et que l'homme
ne peut que recevoir comme un don. « L'Eglise)}, par contre,
est une réalité visible, sociale, humaine, que les hommes peuvent
construire et former à partir des éléments dont ils disposent à
chaque époque, une réalité fondée sur la prédication et l'action
des apôtres. On pourrait dire en dernière analyse que l'Eglise est
le lieu, la localité visible où se manifeste et grandit le Royaume.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce sujet, mais ce que
j'ai mentionné suffit à démontrer que la notion" Eglise" dépasse
de loin ce que suggèrent" les quatre signes de l'Eglise" d'après
le Credo ". La plupart des confessions religieuses se sont effor-
cées, dans leur enseignement, d'élargir cette idée de l'Eglise H.
Ainsi l'Eglise anglicane, dans son article XIX" De l'Eglise »,
déclare ceci: "L'Eglise visible du Christ est une communauté de
fidèles dans laquelle la seule parole est proclamée et les sacre-
ments dûment administrés, selon les préceptes du Christ, en
toutes choses requises )}.
Dans cette définition, plusieurs points sont à noter: en pre-
mier lieu, elle ne se préoccupe guère de donner une définition
doctrinale de l'Eglise. En second lieu, elle ne mentionne que
l'Eglise visible et nous laisse ignorer ce que ses auteurs croyaient
de l'" Eglise invisible" ou "de l'Eglise triomphante ", qui est,
après tout, plus grande et non moins réelle. Mais en même temps
ce texte élargit la définition en soulignant que dans son sein la
parole de Dieu est prêchée et les sacrements dûment conférés.
D'après ce que nous venons de dire, il apparaît clairement
qu'en ce qui concerne l'Eglise, les hymnographes avaient beau-
coup de latitude, ainsi qu'il ressort des classifications de la
plupart des recueils modernes. Par exemple l'hymnaire anglican in-

13 On pourrait évidemment s'étendre longuement sur les implications des


« quatre signes» et en dire davantage sur la relation entre l'Eglise et le Royau-
me. En tout cas, comme dit, chaque époque tend à se donner sa propre vision
de l'Eglise et de son but, et à souligner les différents aspects de sa vie et de
son activité, selon les conditions de vie de l'Eglise propres à l'époque.
14 Dans l'état actuel de division de la chrétienté, je crains de devoir user du
terme «confessions Il. Il existe dans l'Eglise anglicane un courant de pensée
qui parle des différentes « branches» de l'Eglise: l'Eglise universelle consisterait
en la somme des confessions ou Eglises séparées. Tout le monde n'admet pas
cette idée bien qu'il n'y ait rien à gagner si une seule Eglise ou confession exige,
à l'exclusion des autres, le droit de sc nommer l'Eglise, car aucune n'a le mo-
nopole de la vérité.
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 341

titulé « Hymnes Ancient & Modern Revised » donne les sous-titres


suivants: « La famille de Dieu »; « l'Eglise et le Royaume »; « La
Communion des Saints »; « l'Eglise triomphante» 15, Remarquons
cependant que ce genre de classification est souvent le fait des
éditeurs et non des auteurs d'hymnes et de poèmes religieux et
que tous les recueils comportent un certain nombre d'oeuvres
que leurs auteurs n'avaient jamais destinées à figurer dans les
offices bien qu'elles en soient parfaitement dignes.
Nous commencerons par examiner quelques-unes des hymnes
qui figurent sous le titre général «l'Eglise ». Elles sont peu
nombreuses, ce qui est surprenant. La première pièce figure
dans un recueil peu connu, « The Arundel Hymnal », compilation
catholique romaine ". Cette hymne est remarquable par le nombre
de références scripturaires. La première strophe représente
l'Eglise comme le rocher qui reste debout et ferme au milieu des
tempêtes de la vie. L'auteur avait, sans aucun doute, à l'esprit
le verset de Matth. 16: 18. La voici:
« Quelle est celle-ci qui se dresse, triomphante, comme un rocher
sur le roc; comme quelque ville couronnée de tourelles, bravant
les tempêtes et les secousses de la terre, Quelle est celle-ci qui,
les bras étendus, sanctifie un monde restauré, tandis que toutes
les hymnes de la création montent vers le Maître de toutes choses »,

La seconde strophe souligne la subordination de l'Eglise au


Christ, et fait référence aux sacrements, en particulier à l'Eucha-
ristie et à la Pénitence (Matth. 16: 19). Le Christ est présenté
comme l'Epoux de l'Eglise; il est aussi question de l'habitation
du St. Esprit dans l'Eglise.
« Comme la lune, qui reçoit sa splendeur du soleil, invisible
la nuit, ainsi l'Eglise attire-t-elle toujours la lumière du Christ,
soleil de justice_ Elle seule a les mains qui guérissent, pain de vie -
clef du pardon, le Dieu Incarné est son Epoux, elle est le temple
de l'Esprit »,

15 On trouve des titres semblables dans le volume «Songs of Praisc» où


la section «Communion des Saints» a pour sous-titre «l'Eglise du ciel» ct
«l'Eglise sur la terre ». Le «English Hymnal Service Book» comporte des sec-
tions intitulées «l'Eglise triomphante », «l'Eglise militante» et "la citoyen-
neté du Royaume ».
16 Ce volume édité par Henry, duc de Norfolk, et Charles Getty, fut publié
chez Booscy & Cie, à Londres en 1905. Son titre lui vient de la petite ville
d'Arundel dans le Sussex, où est situé le château d'Arundel, résidence héréditaire
des ducs de Norfolk.
342 DOUGLAS WEBB

La dernière strophe célèbre la stabilité et l'infaillibilité de


l'Eglise au milieu d'un monde changeant. L'hymne tout entière
exprime cette assurance par rapport au monde qui distinguait
l'Eglise catholique romaine, au début du 20e siècle.

«Les empires s'élèvent et retombent comme les vagues, les


nations ne respectent plus rien. Glorieuse comme l'étoile du matin,
elle embrasse du regard le violent tumulte. A elle la demeure qui
contient le tout, à elle la vigne qui couvre de son ombre la terre
Bénissez vos enfants. ô puissante mère! L'étranger est à l'abri à
votre foyer ).

Chacune des strophes est SUIVIe d'un refrain, dont les deux
derniers vers reprennent la parole de Notre-Seigneur: «Prenez
sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis
doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos
âmes. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger"
(Matth. 11: 29-30).

« A elle le royaume, à elle le sceptre! Tombez à genoux, ô nations,


à ses pieds! A elle, la vérité dont le fruit est liberté. Son joug est
léger, son fardeau est doux» 17,

Le English Hymnal ne comporte que deux hymnes sous la


rubrique « L'Eglise ". La première, « a foi de l'Angleterre, ensei-
gnée jadis », fut écrite en vue de ce recueil par le Dr. T.A. Lacey
(1853-1931), d'une part à cause de sa très belle musique qu'on
désirait voir figurer dans ce volume, de l'autre pour remplacer
dignement l'hymne exagérément sentimentale de F.W. Faber
« Foi de nos Pères », qui devenait alors populaire dans certains
milieux de l'Eglise d'Angleterre '". Cette hymne exprime, elle

17 L'auteur cst Aubrey Thomas de Vere (1814-1902), poète et écrivain, qui


avait subi dans sa jeunesse l'influence du poète Wordsworth et fut l'ami intime
des poètes Tennyson et Robert Browning. Il adhéra à l'Eglise catholique ro-
maine en 1851. Il avait obtenu le titre de professeur de sciences politiques et
sociales à l'Université Catholique de Dublin et publia une oeuvre considérable.
18 Frédéric Guillaume Faber, né le 6 juin 1814, fit ses études au Ballio! Colle-
ge d'Oxford et fut ordonné dans l'Eglise d'Angleterre en 1837. Il devint en 1843
recteur d'Elton dans le Huntingdonshire. mais passa dans l'Eglise catholique
romaine en 1848. Toutes ses hymnes parurent après cette date. «Faith of our
Fathers" est intéressante parcc qu'on finit par l'introduire dans un certain
nombre de recueils d'hymnes non-conformistes d'Angleterre et d'Amérique en
changeant deux vers: "Faith of our Fathers, Mary's prayers shall win our coun-
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 343

aussi, la certitude de l'infaillibilité de l'Eglise et la nature im-


muable de la foi, jadis transmise aux saints. La première strophe
souligne l'influence de la foi chrétienne sur la nation et appelle
les chrétiens à être fidèles à la doctrine reçue. La seconde rappelle
l'évangélisation de l'Angleterre par les missionnaires celtiques
de l'île d'Iona et la mission de St. Augustin de Cantorbéry dans
le sud du pays:
«Nos pères ont entendu l'appel de la trompette, venu d'au-delà
des mers, qui résonna dans l'humble chaumière et le palais du roi.
Ils ont incliné leurs volontés rétives pour apprendre les vérités qui
vivent et les pensées qui embrasent, riches de résolutions nouvelles.
Levez-vous, levez-vous, bons chrétiens, redressez votre étendard
glorieux, la Croix du Christ, qui vous guide, dont le bras s'élève pour
entrer dans la mêlée, lui qui vous conduit en rangs serrés sans
peur, quoi qu'il advienne}}.

La strophe qui suit célèbre la fermeté des chrétiens devant


la persécution "t dans le doute, mais dans une langue beaucoup
plus sobre que celle de Faber qui traite du même sujet. La
dermère strophe proclame avec confiance l'ultime victoire de
1" Eglise:
«( Malgré les fréquentes ct bruyantes alertes, malgré notre mar-

che entourée d'embûches, entourée par la mort et l'enfer, avec le


Christ pour chef, nous ne craignons nul ennemi, ni force, ni ruse
ne peuvent renverser l'Eglise qu'il a fondée. Levez-vous, levez-vous,
bons chrétiens, redressez votre étendard glorieux, la croix dont vous
portez le signe, le roi lui-même vous conduira, il veillera sur vous
jusqu'à la fin du combat afin de vous retrouver tous auprès de son
trône ».

Mentionnons deux autres hymnes qui figurent sous ce même


titre. La première se retrouve dans de nombreux recueils mo-
dernes: «L'unique fondement de l'Eglise est Jésus-Christ, son
Seigneur ». Elle paraît dans des circonstances intéressantes, inspi-
rée par la controverse théologique qui agita la communion
anglicane au 1ge siècle. Cette controverse surgit à propos de
l'enseignement de John Colenso, qui avait été consacré évêque de
Natal en 1853. Il publia en 1861 un commentaire de l'Epître
aux Romains, qui fut mal accueilli à cause des prétendues im-

try back to thee), devint «Faith of our Fathcrs, Good mcn's prayers shan win
our country back to thee ». Cette hymne parut d'abord en 1849 dans le volume
« Jesus and Mary, or Catholic Hymns for singing and reading " et, par la suite,
dans de nombreux recueils catholiques.
344 DOUGLAS WEBB

perfections de sa pensée au sujet des sacrements et de la Péni-


tence. Ayant fait paraître en 1862-3 l'" Examen critique du Penta-
teuque et du livre de Josué », il fut aussitôt l'objet de mesures
disciplinaires de la part de l'évêque Robert Gray du Cap, à qui
Colenso avait prêté serment d'obéissance canonique lors de sa
consécration. Les évêques d'Afrique du Sud condamnèrent ses
opinions, le déposèrent, l'excommunièrent et firent appel aux
évêques d'Angleterre pour obtenir leur appui. Dans le débat qui
suivit en Angleterre, le rôle principal revint au Révérend Samuel
J. Stone ". Ce prélat devait publier en 1866 sa " Lyre des fidèles »,
qui consistait en 12 hymnes doctrinales, basées sur les articles
du symbole des Apôtres. L'hymne "Le fondement de l'Eglise»
s'inspirait de l'article 9 " La Sainte Eglise Catholique» et l'auteur
la développa par la suite pour la liturgie des processions. Elle
fut chantée dans les cathédrales de St. Paul et de Cantorbéry
ainsi qu'aux offices célébrés à b conférence de Lambeth en
1888.
Les premiers vers "L'unique fondement de l'Eglise, c'est
Jésus Christ, son Seigneur» sont basés sur la première Epître
aux Corinthiens 3: 11: "Quant au fondement nul ne peut en poser
un autre que celui qui est en place, Jésus-Christ ». Dans cette
strophe l'auteur célèbre aussi l'Eglise, Epouse du Christ CApoc.
19: 7), qu'il racheta au prix de sa vie. On y trouve une courte
allusion au baptême.
({ L'unique fondement de l'Eglise, c'est Jésus-Christ, son Sei-
gneur; elle est sa création nouvelle, par l'eau et par le verbe. Il vint
du ciel et la chercha pour être son Epouse sainte, de son propre
sang il la racheta et mourut pour lui donner la vie».

La seconde strophe a pour thème l'unicité et la catholicité de


l'Eglise et l'Eucharistie. A noter aussi la référence à l'Epître aux
Ephésiens 4: 4-5: "Il y a un seul Corps et un seul Esprit de même
que votre vocation vous a appelés à une seule espérance: un seul
Seigneur, une seule foi, un seul baptême; un seul Dieu et Père de
tous, règne sur tous, agit par tous, et demeure en tous ».

19 Samuel John Stone (1839-1900) fut vicaire à Windsor. puis à Haggcrston


où il exerça son ministère pendant 20 ans avant de succéder à son père comme
titulaire de la paroisse. Il devint plus tard recteur de l'église à «AIl Hallows on
the Wall» de Londres. L'hymne intitulée «The Church's one Foundation» fut
traduite en plusieurs langues d'Europe et en latin. Ces versions s'intitulent
«Nobis unum fundamentum », par le Rd. E. Marshall, et «Qui EccIesiam in-
stauravit,. par T.G. Godfrey-Faussett.
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 345

« Choisie parmi toutes les nations, mais unique, planant sur


toute la terre, la charte de son salut est un Seigneur, une foi, une
naissance. Elle adore un seul Nom, se nourrit d'un seul pain, elle
invite à une seule espérance, revêtue de toute grâce}).

La troisième strophe fait nettement allusion à la controverse


qui inspira l'hymne, et la quatrième affirme l'ultime triomphe
de l'Eglise:
« Quoique les hommes la voient, avec étonnement et mépris,
durement accablée, déchirée par les schismes, affligée par les
hérésies ...
Jusqu'à ce que ses yeux reçoivent la vision glorieuse, ardemment
désirée, et que la grande Eglise victorieuse soit l'Eglise du repos
éternel }).

La dernière strophe chante la Communion des Saints:


« Cependant elle est unie sur terre au Dieu trine et un, et en
communion mystique ct douce avec ceux qui ont gagné le repos:
ô bienheureux et saints! Seigneur, donnez-nous la grâce comme
eux, doux et humbles, d'habiter avec vous dans les cieux».

On note un autre point de vue dans l'hymne du L.B.C.L.


Muirhead, " L'Eglise de Dieu est un royaume », inspirée du tableau
" L'adoration de l'Agneau », commencé vers 1420 par Hubert van
Eyck et achevé par son frère, Jan, en 1432. Cette hymne rapproche
l'Eglise et le Royaume de Dieu. Dans la première strophe l'Eglise
est décrite comme le domaine du royaume terrestre du Christ où
ses fidèles attendent sa venue:
« L'Eglise de Dieu est un royaume où le Christ règne en
puissance, où les âmes désirent ardemment voir le retour de leur
Seigneur dans la béatitude)J.

La seconde strophe preCIse que l'Eglise n'est pas confinée


dans le monde d'ici-bas, mais que les trépassées en sont restés les
membres - vérité évidente pour les Orthodoxes et les Catholiques
romains, mais que les Protestants ont parfois besoin qu'on la leur
rappelle:
« Les heureuses assemblées de saints possèdent cette Eglise ici-
bas et là-haut, et la paix éternelle de Dieu bénit leur paradis
d'amour }).
346 DOUGLAS WEBB

Dans la 4e et la Se strophes il s'agit de la vision de l'Agneau


victorieux dans l'Apocalypse et dans l'Eucharistie:
« Un autel se dresse dans le sanctuaire où jadis immolé, se
tient l'Agneau de Dieu, immaculé et divin, le Christ. Là, riches
et pauvres de nations innombrables bénissent le Christ sur sa croix
mystique. Là les nations élèvent saintement les mains pour recevoir
le pain sacré de Dieu».

La strophe suivante traite des fruits de l'Esprit et la dernière


est une prière demandant que tous participent à la vision bien-
heureuse:
{( Là les fleuves purs et vivifiants arrosent la terre que cultive
le semeur, ct la foi et l'espérance portent de belles fleurs, et les
fruits de l'amour abondent.
o Roi, ô Christ, donnez-nous cette grâce sans fin, à nous et à
tous les hommes, de la vision de votre face, dans la joie, ô Christ,
notre Roi» 20,

Quatre hymnes fréquemment classées sous la rubrique de


l'Eglise triomphante sont particulièrement intéressantes par leur
origine et par la doctrine. Ces textes n'avaient pas été composés
pour cet usage et faisaient partie d'un grand poème de Bernard
de Cluny, "De contemptu mundi", daté de 1145. Ils furent
transformés en hymnes par le Dr. John Mason Neale qui a tant
oeuvré pour faire connaître au monde anglophone les richesses
de l'hymnographie grecque et latine, et dont la carrière mérite
une brève mention. Né en 1818, fils d'un prêtre anglican, il perdit
son père à l'âge de six ans et fut élevé par une mère dévouée. Il
fit ses études au Trinity College de Cambridge et reçut ses grades
en 1840. Historien de l'Eglise, théologien, directeur spirituel, poète
et nouvelliste, le Dr. J.M. Neale était aussi un brillant polyglotte
qui parlait vingt langues ". De santé fragile, son appartenance à
la Haute Eglise le priva de faire carrière dans la hiérarchie.

20 L.B.C.L. Muirhead (1845-1925) fit don de cette hymne au «Yattendon Hym-


nal » de Robert Bridges en 1899. Elle fut introduite dans un certain nombre de
recueils, publiés par la suite.
21 Parmi ses oeuvres figure «L'histoire de la Sainte Eglise Orientale»; un
« Commentaire des psaumes par des écrivains primitifs ct médié\'RUX »; «Le pa-
triarcat d'Alexandrie »; «Essays on liturgiology and Church History »; «Hymns
of the Eastern Church »; ses récits «The Farm of Aptonga» et «Theodora
Phransa» sont très connus.
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 347

Nommé curé de Crawley dans le Sussex en 1842, mais obligé de se


démettre un an plus tard pour cause de maladie, il accepta en
1846 la direction de Sackville College à East Grinstead. Ce n'était
pas un établissement scolaire mais une petite maison de retraite
pour les indigents datant du 17e siècle. Neale occupa ce poste
pour tout le reste de sa vie et fonda de plus en 1854 un orphelinat
et une communauté de religieuses, les Soeurs de Ste Marguerite.
Ses activités, en particulier auprès de cette maison, lui attirèrent
des polémiques et même des manifestations de violence. Il mourut
à Sackville College le 6 août 1866.
Le poème de Bernard de Cluny a été présenté comme « une
satire violente contre les terribles corruptions de son temps ».
Il est vrai que tous les auteurs contemporains éprouvaient la
même horreur à l'égard non seulement de la méchanceté du
monde, mais aussi de l'Eglise de leur temps. Voici ce qu'écrit
l'anglo-saxon contemporain de Bernard, au sujet de l'Angleterre
du roi Etienne:

({ Il n'y a jamais eu plus de mlsere et jamais les païens n'ont


fait pire ... La terre ne porte pas de blé, autant cultiver l'océan, car
le pays tout entier est ruiné par ces méfaits. On dit ouvertement
que le Christ et ses saints sont en sommeil».

Un autre Bernard, le saint de Clairvaux, tonnait contre le


luxe de l'abbaye de Cluny près de Mâcon, la plus belle abbaye de
France. Dans une lettre à Guillaume de Saint-Thierry, Bernard
demandait si toutes les dorures et toutes les séductions des sens
avaient pour but d'obtenir « l'admiration des sots ou les offran-
des des simples ... La racine en est-elle la cupidité qui est ido-
lâtrie? Ne recherchons-nous que les présents? ... L'Eglise resplen-
dit dans ses murailles, mais elle est mendiante dans ses pauvres;
elle revêt d'or ses pierres, et laisse ses enfants nus ». Le moine
de Cluny notait, lui aussi, ces contrastes; son propre père abbé
vivait dans un luxe princier: la richesse de Cluny était légendaire,
des centaines d'abbayes moins importantes dépendaient d'elle.
Et cependant autour de ses grandes murailles régnaient la pau-
vreté, la maladie et l'oppression. Bernard composa donc sa satire,
mais dans sa préface il décrivit les beautés du ciel qui firent sa
renommée jusqu'à ce jour. Par contraste avec la misère et la
pollution de la terre, le poète nous offre d'abord une description
de la paix et de la gloire du ciel.
348 DOUGLAS WEBB

Le poème s'ouvre par ces vers:

« Hora novissima, tempora pessima sunt, vigilemus!


Ecce minaciter, imminet arbiter ille supremus:
imminet, imminet ut mala terminet, aequa coronet,
recta remuneret, anxia liberet, aethera donet».

Cette citation suffit à démontrer que le poème a été écrit


en un mètre particulier et difficile, qu'il est presque impossible
de reproduire en anglais. Bernard lui·même remarquait: "A
moins que l'Esprit de sagesse et d'intelligence ne se fût répandu
sur moi, je n'aurais pu construire une oeuvre aussi longue (quel-
ques 3000 vers) en un mètre aussi difficile ». Le Dr. Neale ne
tenta pas de la reproduire mais se contenta de la simple versifi-
cation des ballades:
<1 Le monde est très mauvais, les temps passent; soyez sobres et

vigilants, le juge est à la porte, le juge qui vient en miséricorde,


le juge qui vient en force, qui vient mettre fin au mal, qui vient
couronner le bien)J.

Après cette strophe qui reflète la l' épître de Pierre et ses


annonces de la venue du juge qui redressera les injustices éviden-
tes du monde, le poème presse le chrétien de faire pénitence, ce
qui lui assurera la gloire future au ciel. On a prétendu que la
traduction de Neale était un peu plate. Il est vrai que certains
passages latins sont intraduisibles:
« Levez-vous, levez-vous, bons chrétiens. que le bien succède au
mal, que la douleur de la pénitence mène à la joie céleste, vers la
lumière sans déclin, qui ne connaît ni soleil, ni lune, lumière si
nouvelle et si dorée, l'unique lumière».

La strophe qui suit oppose la condition terrestre aux gloires


de la citoyenneté du ciel et à l'expérience de la vision béatifique.
La dernière exhorte le chrétien à combattre pour atteindre la
béatitude céleste:
«0 demeure de la splendeur sans crépuscule, des fleurs sans
épines, ceux qui pleurent ici-bas comme des exilés, habiteront là-haut
comme les enfants, au milieu d'une puissance sans bornes, d'une
sagesse sans limites. La vision béatifique réjouira tous les saints.
o heureux et saint héritage, rafraîchissement pour les élus; vraie
vision de la vraie beauté, vraie guérison des malheureux.
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 349

Efforce-toi, ô homme, d'atteindre cette gloire, travaille, ô


homme, pour gagner cette lumière. Envoie en avant ton espérance
pour la saisir jusqu'à ce qu'eHe-même soit perdue de vue. Exulte,
ô poussière et cendre, le Seigneur sera ton héritage. Tu seras à lui,
à lui pour toujours, et tu l'es déjà» 22.

La seconde hymne tirée du « De contemptu mundi " reprend


le même sujet. Elle dépeint le contraste entre les misères de cette
vie et les joies futures dont on fera l'expérience dans le monde
à venir. Voici la première strophe:

« Une vie brève, ici-bas, est notre lot, douleur brève, courte peine,
là-haut la vie sans fin, la vie sans larmes. 0 bienheureuse récom-
pense. Court labeur, paix éternelle. Pour les mortels et pour les
pécheurs une seule demeure avec les bienheureux)} 2J.

2.2 J'ai cité la traduction de ces quatre hymnes telle qu'elle est reproduite
dans 1'« Historieal Edition of Hymns Ancient and Modern", éditée par le Dr.
W.H. Frere, qui suit de près la traduction de Neale. Dcs versions différentes
figurent dans d'autres recueils qui sont l'oeuvre de compilateurs et d'éditeurs
lesquels ont mis bout à bout d'autres parties de ce poème. Etant donné les
couplets rimés du texte de Neale, ce n'était pas difficile.
Le reste de l'original latin est comme suit:
«Curre, vir optime, lubrica reprime, praefer honesta,
Pletibus angere, flendo merebere caelica festa.
Luce replebere iam sine vespere iam sine luna;
lux nova, lux ea, lux erit aurea, lux erit una.
Patria splendida, terraquc florida, libera spinis,
danda fidelibus est ibi eivibus, hic peregrinis:
tune erit omnibus inspicientibus ora Tonantis
summa potentia, pIura scicntia, pax rata sanetis.
Hic hamo nititur, ambulat, utitur, ergo fruetur
pax rata, pax ea, spe modo, postea, re eapietur.
Plaude, cinis meus, est tua pars Deus, eius es et sis:
rex tuus est, tua portia, tu sua; nec sibi desis ".
23« Hic breve vivitur, hic breve plangitur, hic breve fletur:
nan breve vivere, non breve plaudere, retribuetur.
o retributiol stat brevis actio, vita perennis;
o retributio! caeliea mansio, stat lux plenis.
Sunt modo praelia, postmado praemia - qualia ? plena:
plena refectio, nullaque passio, nullaque paena.
Spe modo vivitur, et Sion angitur a Babylone;
nunc tribulatio, tune recreatio, seeptra, coronae.
Qui modo ereditur, ipsc videbitur, atque scietur,
Ipse videntibus atque seientibus attlibuetur.
Mane videbitur, umbra fugabitur, ordo patebit,
mane nitens erit, et bana qui gerit: ille nitebit.
Nunc tibi tristia, tunc tibi gaudia - gaudia, quanta
vox nequit edere, lumina eernere, tangere planta.
Pars mea, rcx meus, in proprio Deus ipse deeare,
Visus amabitur, atque videbitur, auetor in ore".
350 DOUGLAS WEBB

Dans la seconde strophe on entrevoit la satire qui va suivre.


La traduction de Neale, il faut en convenir, est plus dure que
l'original. Il faut se rappeler, cependant, que le poème lui·même
n'est pas vraiment une rhapsodie sur le ciel, elle brûlerait plutôt
des feux de l'enfer. A certains moments elle se conçoit juste
comme lecture privée, et l'auteur en convient.
«Et maintenant nOliS menons la bataille, mais alors nous
porterons la couronne de la renommée pleine, éternelle et sans
passion. Et ici-bas nous veillons et nous combattons, nous vivons
d'espérance alors que Sion, dans l'angoisse, est aux prises avec
Babylone ».

Dans la strophe qui suit l'auteur assure que dans le monde


à venir le Christ lui· même sera pleinement révélé à ceux qui ont
aujourd'hui confiance en lui, et qu'eux·mêmes seront révélés
dans leur pleine lumière. Il renvoie à Matt. 13: 43: «Alors les
justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur
Père ».
({ Mais lui en qui nous nous confions maintenant, il sera vu et
connu, et ceux qui Je connaissent et le voient le posséderont à
jamais. L'aube paraîtra, les ombres déclineront, et tout serviteur
loyal brillera comme le jour ».

Ainsi que je l'ai mentionné dans la note 22, il existe plusieurs


versions différentes de ces quatre hymnes. C'est surtout dans la
troisième strophe qu'on trouve des variantes) même entre les
différentes éditions du recueil «Hymns Ancient and Modern ".
Dans l'édition historique on lit ceci:
« Là-haut la peine sera changée en plaisir, un plaisir tel que
nulle voix humaine ne saurait l'exprimer, et nul coeur humain ne
saurait l'éprouver ici-bas. Là-haut nous contemplerons Dieu, notre
Roi et notre part d'héritage dans la plénitude de sa grâce et nous
l'adorerons face à face)J.

La troisième hymne s'intitule {( Pour toi, ô très chère patrie ».


L'auteur porte son attention moins sur le contraste entre les
conditions misérables de cette vie que sur la beauté du ciel - vé-
ritable patrie du chrétien:
« Pour toi, à très chère patrie, mes yeux sont éveillés, contem-
plant ton nom bienheureux, ils pleurent d'amour, la mention de ta
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 351

gloire est une onction pour le coeur, un remède dans la maladie,


l'amour, la vie, le repos » 2~.

La seconde strophe célèbre la louange du paradis et rappelle


l'Agneau victorieux de l'Apocalypse qui, avec la Croix, est l'objet
des louanges célestes:
« 0 une, ô unique demeure, ô paradis de joie; quand les larmes
sont séchées à jamais et les joies sans mélange. L'Agneau est toute
ta splendeur, le Crucifié ta louange. Le peuple racheté redit sa
louange et sa bénédiction )l.

La troisième strophe concerne la description de la Jérusalem


céleste dans l'Apocalypse (19: 9-21): «Vous avez été intégrés dans
la construction qui a pour fondation les apôtres et les prophètes
et Jésus-Christ lui-même comme pierre maîtresse ».
Voici la dernière strophe:
«Tu n'as point de rivage, ô bel océan, tu n'as pas de temps,
ô jour brillant! Chère fontaine rafraîchissante pour le pélerin venu
de loin! Sur le roc des siècles ils dressent ta sainte tourelle: à
toi les lauriers du vainqueur, à toi le saint héritage ).

La dernière de ces hymnes traduites par Neale s'intitule


«Jérusalem d'or". C'est peut-être la plus sereine dans sa con-
ception de la cité céleste, car elle est consacrée tout entière à
la louange. Voici la première strophe:
({ Jérusalem d'or, où coulent le lait et le miel, dans ta contem-
plation le coeur défaille, la voix est oppressée, je ne sais pas, ô
je ne sais pas quelles sont là-haut les joies de l'amitié, quelle gloire
rayonnante, quelle lumière sans pareille».

24 Voici le texte latin:


o bona patria, lumina sobria te speculantur,
ad tua nomina sobria lumina collacrimantur.
Est tua mentio pectons unctio, cura doloris,
Concipientibus aethera mentibus ignis amoris.
Tu locus unicus illeque caelicus es paradisus.
Non tibi lacrima, sed placidissima gaudia, risus.
Lux tua mors crucis atque caro ducis est crucifixÎ;
laus, benedictio, conjubilatio personat ipsi.
Est ibi consita laurus, et insita ccdrus hysopo:
sunt radiantia iaspide moenia, clara pyropo.
Hinc tibi sardius, inde topazius, hinc amethystus.
Est tua fabrica contio caelica gemmaque Christus.
Tu sine litore, tu sine tempore, fons, modo rivus.
Dulce bonis sapis, estque tibi lapis undique vivus.
Est tibi laurea, dos datur aurea, sponsa decora
primaque pI;ncipis oscula suscipis, inspicis ora »,
352 DOUGLAS WEBB

La seconde et la troisième strophes sont de la même veine:


«Elles se dressent, ces citadelles de Sion, résonnant de chants,
resplendissant d'une nuée d'anges et de toute la troupe des martyrs:
le prince y demeure à jamais. Sa lumière est sereine; les pâturages
des bienheureux sont parés des reflets de la gloire »,
({ Voici le trône de David, voici le chant de ceux qui triomphent,
les cris de ceux qui festoient, soulagés de tout souci. Et ceux qui,
avec leur chef, ont vaincu dans le combat, revêtus de robes blanches
à jamais et à jamais» 2.\,

La dernière strophe de l'hymne n'a pas de contrepartie dans


l'original latin. Elle représente une conclusion triomphale, ajoutée
par Neal dans « Hymns Ancient and Modern ". Elle est pourtant
de la même veine que le reste du poème:
« 0 pays doux et béni, pourrai-je jamais voir ton visage; ô pays
doux et béni, pourrai-je jamais atteindre ta grâce. Exulte, ô poussière
et cendre, le Seigneur sera ton héritage, tu seras à lui seul, à lui,
à jamais et tu l'es déjà}).

Avant de conclure l'examen de ces quatre hymnes, il faut les


étudier à un point de vue particulier, l'idée qu'elles donnent du
ciel. Non pas qu'on leur reproche d'avoir les accents du Moyen-Age
(il ne pourrait en être autrement), mais c'est l'idée du ciel qui
me paraît d'allure trop monastique et colorée du mépris des
bonnes choses d'ici-bas auxquelles renonce la vie monastique. Il
est évident que Bernard était écoeuré par la corruption du monde
environnant; mais il avait tant médité dessus qu'il en était venu
à transférer le mépris du mal qui vient du coeur de l'homme sur
le monde et les réalités du monde. C'était donc le monde qui,
selon Bernard, était mauvais et dont il fallait se libérer, et cela
malgré l'affirmation répétée du récit de la création selon la
Genèse: «Et Dieu vit que cela était bon". En conséquence le
ciel de Bernard est fondamentalement un ciel matériel avec très

Z5 Voici l'original latin:


Urbs Sion aurea, patria Iactea, cive decora;
omne cor obruis omnibus obstruis et cor et ora.
Nescio, nescio, quae jubilatio, lux tibi quaIis,
quam socialia gaudia, gloria quam specialis.
Sunt Sion atria conjubilantia, martyre piena,
cive micantia, principe stantia, luce serena.
Sunt ibi pascua mentibus afflua praestita sanctis,
rcgis ibi thronus, agminis et sonus, est epulantis.
Gens duce splendida concio candida vestibus albis
sunt sine fletibus in Sion aedibus aedibus al mis.
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 353

peu de spiritualité. Un critique l'a commenté ainsi: « Il est évident


que tandis que l'homme qui se sépare du monde est un homme
pour qui le ciel devient quasi matériel, celui par contre qui fait
face au monde et qui y vit et en use légitimement, en combattant
ses maux, est un homme dont l'idée du ciel devient d'autant plus
spirituelle ". Cette critique est-elle juste ou est-elle basée sur
une idée fausse de la vocation monastique? Il est certain que le
ciel tend à assumer différentes couleurs selon les circonstances
dans lesquelles nous vivons et notre conception de la vie terrestre.
Pour les pauvres et les affamés, c'est un lieu d'abondance; pour
les solitaires, un lieu d'amitié; pour ceux qui peinent et qui sont
accablés de soucis, un lieu de rafraîchissement. Les sceptiques
peuvent balayer tout cela comme" cheveux sur la soupe" et repro-
cher à l'Eglise d'avoir entretenu des aspirations au monde à venir
simplement pour compenser les injustices et les inégalités de la
vie présente, au lieu de prendre des mesures pratiques pour cor-
riger le mal. Il demeure vrai, cependant, que s'il n'y avait pas
de béatitude devant nous, nos pensées et nos croyances seraient
privées d'espérance.
Reste une hymne médiévale en latin qui mérite quelque
attention, le ,,0 quanta, qualia sunt illa Sabbata" de Pierre
Abélard. Elle figure dans le recueil "Hymnus Paraclitensis ",
composé par ce grand savant et théologien pour l'abbaye du
Paraclet de Nogent-sur-Seine, dont l'abbesse était Héloïse. Cette
hymne était destinée à être chantée le samedi soir. La traduction
du Dr. J.M. Neale est presqu'une paraphrase, ainsi qu'on peut le
constater en rapprochant la première strophe de l'original latin:
« 0 quanta qualia sunt illa sabbata
Quae semper celebrat superna curia,
Quae fessis requies. quae merces fortibus,
Cum erit omnia Deus in omnibus".
« 0 quelle doit être la joie et la gloire de ces sabbats sans fin
que voient les bienheureux! Couronne pour les vaillants; repos pour
les fatigués, Dieu sera tout, et en tout éternellement béni »,

La seconde strophe souligne que les gloires de Dieu et du ciel


sont au-delà de toute description même pour ceux qui jouissent
déjà de la présence de Dieu:
{{ Quel est ce roi, sa cour et son trône? Quelle est la paix, la
joie qu'ils possèdent? Dites-nous, ô bienheureux, vous qui la partagez,
si vous pouvez pleinement décrire ce que vous ressentez".
354 DOUGLAS WEBB

La troisième strophe rappelle une représentation symbolique


de Jérusalem:
«Vraiment nous nommons cette région Jérusalem; vision de
paix qui apporta la joie à jamais. Le voeu et l'exaucement ne
seront plus séparés et la prière exaucée non moins que les désirs »),

Au ciel le peuple de Dieu peut chanter sa louange sans être


distrait:
«Nous chanterons en sécurité les refrains de Sion, là aucun
trouble ne peut distraire. Tandis que pour ta grâce, ô Seigneur.
ton peuple bienheureux clame son chant de louange éternellement ».

La quatrième strophe rappelle de toute évidence que cette


hymne était destinée à être chantée le samedi soir.
«Là-haut nul sabbat ne commence, nul sabbat ne s'achève, ceux
qui observaient le sabbat, le possèdent à jamais. Un et sans fin
est le chant de triomphe que nous répétons avec les Anges »,

Dans la strophe suivante, l'hymne revient sur la contempla-


tion de notre condition terrestre alors que nous espérons et
voyageons vers la Jérusalem céleste, notre véritable demeure.
La dernière strophe est une doxologie:
« Aujourd'hui, en attendant, nos coeurs élevés bien haut, il nous
faut languir et soupirer après ce doux pays; cherchant Jérusalem,
la chère patrie, à travers notre long exil aux rives de Babylone.

Nous nous prosternons dans notre louange, devant Celui de


qui, en qui, et par qui nous sommes tous; dont le Père et en Lui, le
Fils, par Lui l'Esprit, avec eux toujours unis » 26.

26 Le texte latin ci-dessous suit deux des manuscrits encore existants. La


traduction de Neale est basée sur un troisième, celui de St. Gall. Neale en a
donné et modifié les deux derniers vers qui étaient difficiles à comprendre.
Voici le texte latin:
«0 quanta, qualia sunt illa sabbata
quae semper celebrat superna curial
quae fessis requies, quae merces fortibus,
cum erit omnia Deus in omnibus.
Vere Ierusalem est illa civitas
cuius pax ignis est summa iucunditas,
ubi non praevenit rem desiderium
nec desiderio minus est praemium.
Quis rex, quae curia, quale palatium;
quae pax, quae requies, quod illum gaudium
huius participes exponant gloriam
si, quantum sentiunt, possint exprimere.
Nostrum est interim mentem erigcre
et totis patriam votis appetere,
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 355

Dans le recueil {( Hymns Ancient and Modern Revised » nous


trouvons, sous le titre « L'Eglise triomphante)}, une très belle
petite hymne ( Heureux sont-ils ceux qui aiment Dieu». C'est
une traduction libre, plutôt une paraphrase, de l'hymne" 0 quam
juvat fratres " de Charles Coffin dont quelques oeuvres figurent
en traduction dans des recueils anglais. Les quatrième et cin-
quième strophes sont du traducteur et ont peu de rapport avec
le texte latin. L'hymne parut dans le "Yattendon Hymnal" et
la traduction semble être l'oeuvre du compilateur, le poète Robert
Bridges. L'auteur de l'hymne latine, Charles Coffin, né à Buzancy,
dans les Ardennes en 1676, décédé en 1749, fut nommé en 1712
principal du Collège de Beauvais et devint, en 1715, recteur de
l'université de Paris. Il acquit une certaine notoriété pour ses
oeuvres poétiques dont quelques-unes furent publiées en 1727.
L'ensemble de ses hymnes parut dans le bréviaire de Paris en
1736, et fut publié séparément la même année sous le titre" Hymni
sacri auctore Carola Coffin ". Dans la préface l'auteur commente
la structure de ses hymnes ainsi que du bréviaire de Paris qui
lui doit beaucoup". Une édition complète de ses oeuvres en deux
volumes parut en 1755.
La première strophe commence ainsi:
« Heureux sont-ils ceux qui aiment Dieu, dont les coeurs ont
confessé le Christ et qui, par sa croix, ont trouvé la vie et se
reposent sous son joug ».

Cette hymne nous enseigne que les chrétiens vivent par la


croix du Christ et que c'est dans son service qu'ils trouvent la
paix en ce monde.

et ad Ierusalem a Babylonia
post longa regredi tandem exilia.
Illie molestHs finitis omnibus
securi cantica Sion cantabimus,
et ignes gratias de donis gratia
beata referet plebs tibi Domine.
Illie ex sabbato succedit sabbatum
pcrpes laetitia sabbatizantium,
nec ineffabilis cessabunt iubili
quos decantabimus et nos et angeli.
Perenni Domino perpes sit gloria,
ex qui sunt, per quem sunt, in quo sunt munia,
ex, quo sunt, Pater est, per quem sunt, Filius,
in quo sunt, Patris et Filii, Spiritus.
27 «In his pOlTO scribendis Hymnis non tam poëtico indulgendum spiritui,
quam nitore ct pietate consulcndum esse existimavi. Pleraque igitur, argumentis
convenientia e purissimis. Scripturae sacrac fontibus deprompsi quae idoneis
Ecclesiae cantui numeris alligarem l>.
356 DOUGLAS WEBB

La seconde strophe fait valoir la puissance de la prière dans


la vie chrétienne:
«Heureuse est la louange, et doux sont les chants quand on
chante ensemble, puissantes les prières auxquelles prête l'oreille
l'éternel roi du ciel ».

La troisième strophe rappelle tout le mal causé par le diable:


« Le Christ accorde la paix à leur demeure, et fait siennes leurs
affections, mais oh, quelle ivraie le mauvais a semé dans son
jardin ».

Les peines et les épreuves de cette vie ne sont pourtant que


le chemin qui mène à l'amour de Jésus:
«Triste serait notre lot, mauvaise cette terre, si ses peines ne
montraient le chemin par quoi ses brebis peuvent trouver le bercail
de l'amour de Jésus ».

La dernière strophe proclame que les chrétiens qui ont souf-


fert pour leur amour du Christ trouveront que leurs souffrances
n'étaient pas inutiles, et que la mort n'a aucun pouvoir pour les
séparer de Lui, ni les uns des autres:
({ Alors ils connaîtront, alors ils l'aimeront, alors toute leur peine
est bonne; et la mort elle-même ne peut délier leur heureuse fra-
ternité ».

Il existe, bien entendu, un grand nombre d'hymnes qui com-


mentent et expliquent l'Eglise et son oeuvre que faute de temps
nous ne pouvons examiner. Nous n'avons rien dit, par exemple, de
la mission de prêcher l'Evangile du Christ qui fut imposée à
l'Eglise par son Seigneur. Il nous reste à citer une hymne relati-
vement moderne, due à la plume du Dr. Timothy Rees (1847-1939)
qui fut évêque de Llandaff au pays de Galles_ Elle figure dans
"The Church Hymnary» sous le titre "Le saint Esprit dans
l'Eglise ». Elle rappelle l'oeuvre de l'Esprit dans la vie des hom-
mes, par la voix de l'Eglise. Elle formera la meilleure conclusion
à cette étude:
«0 Esprit Saint, toujours vivant dans l'Eglise, Esprit Saint
toujours agissant par elle dans une lutte sans fin, Esprit Saint,
formant à jamais dans l'Eglise la pensée du Christ; Nous vous louons
par un culte sans [in pour vos fruits et vos dons inestimables. Esprit
Saint à l'oeuvre dans le ministère de l'Eglise; vivifiant, fortifiant,
absolvant ct délivrant les pécheurs captifs. Esprit Saint, qui êtes
le 1ien des siècles aux siècles et des âmes aux âmes, Nous vous
adorons et nous vous exaltons dans une fraternité sans fin".
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 357

APPENDIX

THE ENGLISH TEXTES OF THE HYMNS

p. 341 s.
Who is she that stands triumphant,
Rock in strength upon the Rock;
Like sorne city crown'd with turrets,
Braving storm and earthquake shock?
Who is she, with arms extended,
Hallowing a world restored,
An the anthems of creation
Lifting to creation's Lord?
As the moon that takes its splendour
From a sun unseen at night,
Sa from Christ, the sun of justice
Evermore she draws her light.
Hers alone the hands of healing -
Bread of Life - absolving Key,
Gad incarnate is the Bridegroom,
And the Spirit's Temple she.

Empires rise and sink like billows;


Nations know their place no more;
Glarions as the star of morning
She o'erlooks the wild uproar.
Hers the household all embracing:
Hers the Vine that shadows earth:
Bless thy children, mighty Mother!
Safe the stranger at thy hearth!
Chorus.
Hers the kingdom, hers the sceptre!
KneeI, ye nations, at her feet!
Hers that truth whose fruit is Freedom;
Light her yoke, her burden sweet.

p. 343
Our fathers heard the trumpet calI
Through lowIy cot and kingly hall
From oversea resounding.
They bowed their stubborn wills to learn
The truths that live, the thoughts that bum,
358 DOUGLAS WEBB

With new resolve abounding.


Arise, arise, good Christian men!
Your glorious standard raise again,
The Cross of Christ who guides yOll.
Whosc arrn is bared ta joÏn the fray,
Who marshals yau in stern array,
Fearless, whate'er betides you.

Though frequent be the loud alarms,


Though still we march by ambushed arms
Of death and heU surrounded;
\Vith Christ for chief we fear no foe,
Nor force Dor eraft can overthrow
The Church that he hath faunded.
Arise, arise, good Christian men,
Yaur glorious standard raise again,
The Cross wherewith he signed you:
The King himself shaH lead you on,
ShaH watch you till the strife be done,
Then neal' his throne shaH find you.

p. 344 s.
The Church's one Foundation
Is Jesus Christ, her Lord;
She is his new creation
By water and the Ward:
From heaven he came and sought her
Ta be his haly Bride,
With his own Blood he bought her.
And for her life he died.
Elect from every nation,
Yet one o'er aH the earth,
Her charter of salvation
One Lord, one Faith, one Birth;
One holy name she blesses,
Partakes one holy Food,
And to one hope she presses
With every graee endued.

Though with a scornful wonder


Men see her sore opprest,
By schisms rent asunder,
By heresies distrest, ...

Till with the vision glorious


Her longing eyes are bIest,
And the great Church victorious
Shall be the Church at rest.
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 359

Yet she on earth hath union


With Gad the Three in One,
And mystic sweet communion
With those whase rest is won:
o happy ones and holy!
Lord, give us grace that we
Like them, the meek and lowly,
On high may dwell with thee.

p. 345 s.
The Church of God a kingdom is,
Where Christ in power doth reign,
Where spirits yearn till seen in bliss
Their Lord shaH come again.

Glad companies of saints possess


This Church below, above;
And God's perpetuaI calm doth bless
Their paradise of love.
An altar stands within the shrine
Whereon, once sacrificed,
15 set, immaculate, divine,
The Lamb af Gad, the Christ.
There rich and paar, from countless lands,
Praise Christ on mystic Raad;
There nations reach forth holy hands
Ta take Gad's haly Food.
There pure life-giving streams o'erflow
The sower's garden ground;
And faith and hope fair blossoms show,
And fruits of love abound.
o King, 0 Christ, this endless grace
Ta us and aU men bring,
Ta see the vision of thy face
In joy, 0 Christ, our King.

p. 348 s.
The world is very evil, The times are waxing late;
Be sober and keep vigil, The Judge is at the gate,
The Judge who cornes in mercy, The Judge who cornes with might,
Who cornes ta end the cvil, Who cornes ta crown the right.

Arise, arise good Christian, Let right ta wrong succed;


Let penitential sorrow Ta heav'nly gladness lead,
To light that has no evening. That knows nor moon nor sun,
The light 50 new and golden, The light that is but one.
360 DOUGLAS WEBB

o home of fadeless splendour, Of flowers that bear no thorn,


Where they shaH dwell as children Who here as exiles mourn;
'Midst power that knows no limit, Whcre wisdom has no bound,
The Beatifie Vision ShaH glact the Saints around.
o happy, holy portion, Refection for the blest,
True vision of true beauty, True cure of the distrest!
Strive, man to win that glory; Toil, man to gain that light;
Send hope before to grasp it, Till hope be lost in sight.
Exult, 0 dust and ashes, The Lord shaH be thy part,
His only, His for ever, Thou shalt be, and thou art.

p. 349 s.
Brief life is here our portion; Brief sorrow short~lived care;
The life that knows no ending, The tearless life is there.
o happy retribution! Short toil, eternal rest;
For mortals and for sinners A mansion with the blest.
And now we fight the battle, But then sha11 wear the crown
Of full and everlasting And passionless renown;
And now we watch and struggle, And now we live in hope,
And Sion in her anguish With Babylon must cape.
But he, Whom now we trust in, ShaH then be seen and known;
And they that know and see Him Sha11 have Him for their own.
The morning shaH awaken, The shadows shaH decay,
And each true-hearted servant ShaH shine as doth the day.
There grief is turned to pleasure, Such pleasure as below
No human voice can utter, No human heart can know.
There God, our King and portion, In fulness of His grace,
ShaH we behold for ever, And worship face to face.

p. 350 s.
For thee, 0 dear, dear country Mine eyes their vigils keep;
For very love, beholding Thy happy name, they weep.
The mention of thy glory 15 unction to the breast.
And medicine in sickness, And love, and life, and rest.
o one, 0 only mansion! 0 paradise of joy!
Where tears are ever banished, And smiles have no alloy;
The Lamb is aIl thy splendour; The Crucified thy praise;
His laud and benediction Thy ransom'd people raise.
With jasper glow thy bulwarks, Thy stree's with emeralds blaze;
The sardius and the topaz Unite in thee their rays;
Thine ageless walls are bounded With amethyst unpriced;
Thy saints bui'ld up its fabric, The corner stone is Christ.
L'ÉGLISE DANS LES HYMNES 361

Thou hast no shore, fair ocean! Thou hast no tirne, bright day!
Dear fountain of refreshment To pilgrims far away!
Upon the Rock of ages They raise thy holy tower;
Thine is the victor's laurel, And thine the golden dower.

p. 351 s.
Jerusalem the golden, With milk and honey blest,
Beneath thy contemplation Sink heart and voice opprest,
l know not, 0 l know not What social joys are there,
What radiancy of glory, '-\fhat light beyond compare.
They, stand, those halls of Sion, Con jubilant with song,
And bright with many an angel And aIl the Martyr throng:
The Prince is ever in them, The daylight is serene,
The pastures of the blessed Are decked in glorious sheen.
There is the throne of David, And there from care released,
The song of them that triumph, The shout of them that feast;
And they who, with their Leader, Have conquered in the fight,
For evcr and for ever, Are dad in robes of white.
o swee and blessèd, country, Shall lever see thy face?
a sweet and blessèd country, ShaIl lever win thy grace?
Exult, a dust and ashes! The Lord shaIl be thy part:
His only, His for ever, Thou shalt be, and thou art.

p. 353 s.
o what their joy and their glory must be,
Those endless Sabbaths the blessèd ones see!
Crown for the valiant; ta weary ones rest;
Gad shaH be aIl, and in aIl ever blest.
What are the Monarch, his court, and his throne?
What are the peace and the joy that they own?
Tell us, ye blest ones, that in it have share,
If what ye feel ye can fully declare.
Truly Jerusalern name we that shore,
'Vision of peace' that brings joy evermore!
Wish and fulfilrnent can severed be ne'er,
Nor the thing that is prayed for come short of the prayer.
We, where no trouble distraction can bring,
Safely the anthems of Sion shaH sing.
While for thy grace, Lord, their voices of praise,
Thy blessed people etemaIly rai se.
There dawns no Sabbath, no Sabbath is o'er,
Those Sabbath-keepers have one evermore;
One and unending is that triumph song
Which to the Angels and us sha11 belong.
362 DOUGLAS WEBB

Now, in the meantime, with hearts raised on high,


We for that country must yearn and must sigh;
Seeking Jerusalem, dear native land,
Through our long exile on Babylon's strand.
Law before Him with our praises we fall.
Of whom, and in whom, and through whom are aIl;
Of whom, the Father, and in whom the Son,
Through whom, the Spirit, with them ever one.

p. 355 s.
Happy are they, they that love Gad,
Whose hearts have Christ confest,
Who by his Cross have found theiT life,
And 'neath his yoke their rest.
Glad is the praise, sweet are the songs,
When they together sing;
And strong are the prayers that bow the ear
Of heaven's eternal king.
Christ to their homes giveth his peace,
And makes their loves his own:
But ah, what tares the evil one
Rath in his garden sown.
Sad were our lot, evil this earth,
Did not i ts sorrows prave
The path whereby the sheep may find,
The fold of J esu's love.
Then shaH they know, they that love him,
Row all their pain is good;
And death itself cannat unbind
Their happy brotherhood.

p. 356 s.
Roly Spirit ever living As the Church's very life;
Roly Spirit ever striving Through her in a ceaseless strife;
Roly Spirit ever forming in the Church the mind of Christ
Thee we praise with endless worship For thy fruit and gifts unpriced.
Roly Spirit, ever working Through the Church's ministry;
Quick'ning, strength'ning and absolving, Setting captive sinners free:
Roly Spirit ever binding Age to age and soul ta soul
In a fellowship unending, Thee we worship and extol.

Douglas WEBB
LA VISION DE L'ÉGLISE QUI SE DÉGAGE DE LA LITURGIE
DES ÉGLISES RÉFORMÉES DE SUISSE ALÉMANIQUE

La Liturgie des Eglises réformées de Suisse alémanique, dont


le premier volume a paru en 1972, contient un certain nombre de
prières d'intercession 1. De ces textes se dégage une doctrine de
l'Eglise, une conception évangélique de l'Eglise. Il n'est pas possi-
ble d'aborder dans le cadre de cet exposé toutes les intercessions
de la Liturgie; nous nous bornerons donc à en étudier quelques-
unes parmi les plus intéressantes pour notre sujet; elles consti-
tueront la base de notre exposé. A l'aide de textes complémen-
taires et de notes explicatives, nous essayerons de dessiner les
traits principaux de la conception évangélique de l'Eglise. Une
grande partie de ces prières d'intercession sont dues à la plume
de Werner Tanner, pasteur à Saint-Gall Wittenbach jusqu'en 1977.
Sur le plan théologique, cet homme a été fortement marqué par
la pensée de Karl Barth. Werner Tanner a puisé aux sources
suivantes: «Liturgie de l'Eglise réformée de France », Paris 1963;
différentes publications du Cercle de Berneuchen; «Liturgie du
culte d'intercession de Sankt Johannes », à Bâle '.
1. Voici le texte de la première intercession:
« Nous te rendons grâces, Seigneur, de ce que tu nous as donné
pour mère spirituelle l'Eglise, grâce à laquelle nous avons accès à
la Pa!'ole de vie, au baptême et à la sainte cène. Renouvelle ton
Eglise. Ramène·la sans cesse à ta Parole et à ta Loi. Donne-lui
d'annoncer avec force, en paroles et en actes, la venue de ton
Royaume. Conduis-la à partager la souffrance de tous ceux qui sont
dans la détresse. Préserve-la de se retirer du monde; mais préserve-la
aussi de se laisser séduire par le monde et par l'esprit du monde» '.

1 Liturgie der evangelisch-refonnierten Kirchen in der deulschsprachigen


Schweiz, Band l, Berne 1972, pp. 218-253.
2 Ibid., p. 275.
3 Ibid., p. 218.
364 EBERHARD ZELL WEGER

Au début de cette prière, l'Eglise est désignée comme une


mère. Cette notion de l'Eglise mère n'est sans doute pas très
fréquente dans la tradition réformée, mais elle n'est absolument
pas en contradiction avec les réformateurs. Voici ce qu'écrit à
ce propos Calvin, dans l'Institution chrétienne: «Je commencerai
par l'Eglise, au sein de laquelle Dieu a voulu que ses enfants
soient assemblés, non seulement pour être nourris par le ministè·
re de celle-ci pendant qu'ils sont encore en âge d'enfants, mais
pour qu'elle exerce toujours un soin maternel à les gouverner,
jusqu'à ce qu'ils soient venus en âge d'homme, voire qu'ils attei·
gnent le dernier but de la foi. Car il n'est pas licite de séparer
deux choses que Dieu à conjointes (Marc 10: 9): c'est que l'Eglise
soit la mère de tous ceux dont il est le Père. Ce qui n'a pas été
seulement sous la Loi, mais dure encore depuis l'avènement de
Jésus-Christ, témoin Saint Paul, qui prononce que nous sommes
enfants de la nouvelle Jérusalem céleste (Gal. 4: 26) »'. La phrase:
« que l'Eglise soit la mère de tous ceux dont Dieu est le Père»
est tirée de Saint Cyprien. Dans son traité « De l'Unité de l'Eglise
universelle », Saint Cyprien insiste sur la nécessité pour les
croyants de rester ensemble dans l'Eglise. Dans cet ouvrage, né
des tensions et des troubles provoqués par le schisme de Nova-
tien, il écrit notamment: «Tout homme qui se sépare de l'Eglise
et qui s'unit à une femme adultère s'exclut des promesses de
l'Eglise, et celui qui quitte l'Eglise du Christ n'aura pas accès aux
récompenses du Christ. Il est un étranger, un homme impur, un
ennemi. Il ne peut plus avoir Dieu pour Père, celui qui n'a pas
l'Eglise pour mère» '. Cette conception de l'Eglise amène Saint
Cyprien à nier la validité du baptême des hérétiques; voici ·ce
qu'il écrit à ce sujet dans sa 74e Epître: «Puisque la naissance
des chrétiens repose sur le baptême et que le baptême ne tient sa
puissance de témoignage et de sanctification que de l'épouse
du Christ, qui seule peut enfanter des enfants à Dieu, où, de qui
et pour qui est-il donc né, celui qui n'est pas enfant de l'Eglise?
Pour avoir Dieu pour Père, il faut d'abord avoir l'Eglise pour
mère» '. Cette citation montre clairement que la notion de l'Eglise
mère a donné lieu à de vastes développements au niveau de l'ap-
plication. Saint Cyprien, l'évêque carthaginois, se base sur sa
conviction que l'Eglise est la mère des croyants pour inviter ceux-ci

4 J. CALVIN, L'b1Stitutivn chrétienne, livre IV, 1.


5 CYPRIEN, De cathoIicae ecclesiae unitate, ch. 6.
6 CYPRIEN, Ep. 74, 7 (ad Pompeium).
L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE RÉFORL\1ÉE 365

à lui demeurer fidèles. A l'époque du schisme de Novatien, Saint


Cyprien a discerné avec une grande acuité l'importance du pro·
blème de l'unité de l'Eglise. Calvin se situe à un autre niveau:
s'il parle de l'Eglise comme d'une mère, c'est afin d'expliquer
ce qu'est sa mission: l'Eglise rassemble ses enfants; elle les nour·
rit et les conduit.
Quant au texte de la Liturgie alémanique cité plus haut, il
ne décrit plus l'Eglise que comme une mère qui offre à ses
enfants la Parole et les sacrements. Cette modification est révé-
latrice de la situation actuelle et de la pensée actuelle de notre
Eglise réformée. Au travers du mouvement oecuménique et du
travail théologique engendré par ce mouvement, au travers aussi
du dialogue avec d'autres communautés chrétiennes, l'Eglise ré-
formée a appris, quelles que soient les divergences qui subsistent
au niveau de la doctrine et de la liturgie, à voir dans les croyants
d'autres dénominations des frères dans la foi. Aussi serait-il im-
pensable qu'une prière d'intercession parle aujourd'hui de l'Eglise
réformée comme de la seule vraie mère des croyants. Par ailleurs,
dans une intercession moderne, l'Eglise ne peut plus être décrite
- comme au temps de Calvin - comme une mère qui conduit ses
enfants. A Genève, les réformateurs gouvernaient même les moeurs
et la vie domestique des citoyens: l'Eglise avait promulgué des
prescriptions à cet effet. De nos jours, ce n'est plus possible. Notre
monde est sécularisé. L'Eglise doit se borner - ainsi que cela
ressort de l'intercession citée - à annoncer la Parole et à offrir
les deux sacrements évangéliques.
2. La deuxième intercession pour l'Eglise évoque la commu-
nauté locale: c'est là un trait caractéristique de la pensée réfor-
mée. Voici le texte de cette prière:
«Nous te prions pour notre paroisse (litt.: ta paroisse en ce
lieu). Unis-nous dans un travail fidèle, dans un amour véritable et
dans la prière. Fais que tous les membres de notre paroisse trouvent
dans ta maison une patrie, et unis-nous toujours plus intimement en
un seul corps. Fais de nous une famille par la foi et une demeure
pour ton Esprit saint, où la communauté, fortifiée par ta Parole
et par la sainte cène, soit ton témoin dans la vie quotidienne, où
les membres portent les fardeaux les uns des autres, où ceux qui
sont fatigués trouvent aide et courage, ceux qui sont seuls un
accueil charitable, et où tous sachent qu'ils ont quelque chose à
recevoir et quelque chose à donner»'.

7 Liturgie citée, vol. l, p. 219.


366 EBERHARD ZELLWEGER

Pour les membres de la confession réformée, l'Eglise est


surtout visible au niveau de la paroisse locale: c'est là que les
croyants rencontrent l'Eglise dimanche après dimanche. Dans
beaucoup d'Eglises réformées de Suisse alémanique, le culte est
simple et austère. Karl Barth, dans sa Dogmatique, a écrit que
" l'épée de la réprobation suspendue sur toute organisation ecclé-
siastique est en même temps le glaive protecteur de l'élection et
de la vocation pour l'Eglise qui demeure dans l'imitation de
l'humilité de son Seigneur, c'est-à-dire dans le respect du mystère
de ce Seigneur et de son proprie mystère à elle. L'Eglise vit de la
puissance de réveil du Saint-Esprit. Elle ne peut pas vouloir être
autre chose qu'une "Eglise du désert" dans le monde, qu'une tente
de pèlerins, comme le tabernacle de l'Ancien Testament» '.
L'Eglise du désert: ainsi appelait-on les communautés huguenotes
qui se sont efforcées de survivre dans les Cévennes, après la
Révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV en 1685. Un pasteur
alémanique a visité le Languedoc en 1773. Voici en quels termes il
décrit un culte de Noël aux environs de Nîmes: "Au pied de la
montagne se trouvait un petite tribune ou chaire, que l'on installe
à chaque fois et que l'on démonte ensuite pour l'emporter dès
qu'on a fini de s'en servir. Elle est destinée au prédicateur, qui
parle à la foule rassemblée sur les pentes de la montagne. L'espace
qui entoure la chaire s'appelle "parquet". On y a disposé des
pierres en demi-cercle: elles servent de sièges aux plus âgés des
assistants et aux hôtes étrangers. Devant la chaire, on dresse
une table pour la sainte cène, et l'on pose dessus une assiette
d'étain avec du pain coupé et deux hauts gobelets d'argent, ca-
deau d'une vieille dame endormie dans la paix du Seigneur»'.
Au temps de la persécution, les protestants ont pris fortement
conscience de l'importance décisive de la paroisse locale pour la
vie de l'Eglise. Les intercessions de la Liturgie alémanique en
sont nettement influencées.
A propos de la deuxième prière d'intercession, nous attirons
aussi l'attention sur un détail intéressant. Elle contient la phrase
suivante: « Fais que tous les membres de notre paroisse trouvent
dans notre maison une patrie». Dans les heures canoniales de
la fraternité évangélique de Saint Michel, on trouve cette prière:
« Fais que tous les membres de notre paroisse trouvent une pa-

8 K. BARTH, Dogmatique (éd. française), IV, I, § 62.2.


9 J. CHA...\1BOX, Der fral'lzosische Protesfantismus, Sein Weg bis zur franzo-
sischen RevoItltion, Zollikon 5 1943, p. 204.
L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE RÉFORMÉE 367

trie en ton autel» ". Il serait impensable, dans le cadre de l'Eglise


réformée, de placer l'autel de l'Eglise au centre du culte et de la
vie paroissiale. Zwingli déjà, le réformateur zurichois, avait
remplacé l'autel par une table de communion. En 1555, Louis
Lavater, gendre de Henry Bullinger et premier diacre au Gross-
münster de Zurich, écrit ceci: «Après la prédication, les serviteurs
apportent une table portative et la dressent devant le choeur» li.
Depuis la Réforme, la prédication de l'Evangile constitue sans
conteste le centre du culte réformé. Le fait de prier pour que
les membres de la paroisse puissent trouver une patrie dans la
maison de Dieu revêt donc une signification profonde. Dans le
monde d'aujourd'hui, l'homme fait partie de toutes sortes de
« groupes ». Dans certains d'entre eux, il ne joue pas de rôle
actif. Aux « groupes» qu'il côtoie dans le cadre de son travail, il
est lié uniquement par le gagne-pain. Aussi est-il d'autant plus
important que la paroisse demande à Dieu de donner à ses mem-
bres une communauté où ils puissent s'enraciner moralement et
où ils se sentent ({ chez eux» spirituellement. L'intercession citée
plus haut exprime le désir que Dieu nous lie toujours plus inti-
mement en un corps, qu'il fasse de nous une famille par la foi
et une demeure pour l'Esprit saint, où la communauté, fortifiée
par la Parole et la sainte cène, soit le témoin de l'amour de Dieu
dans la vie quotidienne. L'Eglise est le corps du Christ: cela
correspond aussi à la doctrine réformée. On peut lire les lignes
qui suivent dans la Confession helvétique postérieure: «Elle
(l'Eglise) est appelée le corps de Christ pour ce que les fidèles
sont vifs membres de Jésus-Christ sous un seul chef, à savoir
Christ» ". Dans la Confession helvétique postérieure, le corps
du Christ est envisagé par rapport à la tête (le «chef »), Christ.
Bullinger insiste surtout sur le fait que Christ est le seul maître
de l'Eglise. L'idée que la communauté paroissiale constitue le
corps du Christ et que cette communauté est appelée à témoigner
dans la vie quotidienne, cette idée se trouve dans le Catéchisme
de Heidelberg, à la question 55:
Qu'entends-tu par "la communion des saints"? Première-
«
ment que tous les fidèles en général et chacun en particulier,
comme membres du Seigneur Jésus-Christ, participent à toutes

10 Das Stundengebet, Kasse1 2 1949, p. 91 (Fürbitten).


11 JEN:>l:Y, Die Einheit des Abel1dmahlsgottesdienstes bei den elsdssischen
M.
und schweizerischen Reformatoren, Zürich 1968, p. 48.
1Z Confession helvétique postérieure, XVII.
368 EBERIIARD ZELL WEGER

ses richesses et à tous ses dons. En second lieu, que chacun doit
savoir qu'il est obligé d'employer de bon coeur et avec joie les
dons qu'il a reçus à l'utilité et au salut des autres membres ».
Dans le Catéchisme de Heidelberg comme dans l'intercession citée,
le corps du Christ n'est plus envisagé uniquement dans sa rela-
tion avec Christ lui-même, mais aussi dans la relation des mem-
bres de ce corps entre eux. Si Christ, en tant que tête du corps,
ne modèle pas seulement la vie des membres de la paroisse pris
individuellement, mais aussi la vie de ces membres entre eux
- leurs relations - , alors ils peuvent ressentir qu'ils forment
une famille. Cette phrase de la prière vise à dissiper un certain
malentendu. Le culte est parfois compris comme une occasion
d'édification individuelle et privée, les participants au culte ou-
blient alors que la communauté est une famille et qu'elle constitue
le corps du Christ. Le « Leipziger Kirchenstaat» (1710), liturgie
officelle de Leipzig à l'époque de J.-S. Bach, montre clairement
que le culte luthérien a évolué dans ce sens dans les siècles qui
ont suivi la Réforme: le croyant doit prendre avec lui, pour le
culte, son livre de dévotion en même temps que son livre de
cantiques; pendant le jeu d'orgue, les motets et d'autres chants
en latin, il cherchera dans son livre de dévotion une prière à
lire pour son édification personnelle ". Les oeuvres de J.-S. Bach
- surtout la Passion selon Saint Matthieu - sont avant tout
destinées à soutenir la piété individuelle u. C'est à la même
époque - de 1726 à 1738 - qu'on a construit la célèbre « Frauen-
kirche » de Dresde. Elle se compose d'un corps central et de cinq
tribunes superposées. Tous les paroissiens pouvaient suivre de
près le déroulement du culte, voir distinctement les gestes litur-
giques et comprendre sans peine toutes les paroles prononcées
par l'officiant - cela même lorsque l'assistance était très nom-
breuse. Mais les cinq tribunes superposées montrent bien que
l'architecture de l'époque se préoccupait peu de faire sentir et
de rappeler aux paroissiens qu'ils formaient un corps et une
famille ". On constate d'ailleurs un changement à cet égard
depuis quelques années: d'où la prière pour que la paroisse forme
un corps.

13 W. HERBST, Quellen ZUy Geschichte des evangelischen Gottesdienstes, Got-


tingen 1968, pp. 138-142.
14 F. BLUME, Geschichte der evangeIischen Kirchenmtlsik, Kassel 1965, p. 206.
Hi J.F. WHITE, Protestant Worship and Church Architecture, New York
1964, p. 88.
L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE RÉFORMÉE 369
==------"'''-
3. Nous venons de parler de la paroisse, de la communauté
locale. Mais en Suisse la paroisse réformée locale n'est jamais
la seule paroisse chrétienne du lieu; c'est un fait dont il faut
bien tenir compte. On constate de nos jours une réelle ouverture
à l'égard des autres communautés chrétiennes. C'est ainsi que
l'une des intercessions de la Liturgie alémanique contient la
prière suivante:

{( Puisque nous portons le nom de chrétiens, apprends-nous,


Seigneur, à collaborer fraternellement avec les autres communautés
chrétiennes établies en ce lieu» 16,

La collaboration fraternelle avec les autres confessions chré·


tiennes ne va pas de soi dans la tradition chrétienne. Julien
l'Apostat le constatait déjà, non sans cynisme: «Les chré-
tiens sont des adversaires plus redoutables les uns pour les
autres, que des bêtes sauvages» ". Les querelles de doctrine extrê-
mement violentes qui ont opposé luthériens et calvinistes à
l'époque de l'orthodoxie donnent raison à Julien l'Apostat. Pen-
sons seulement aux conflits dans lesquels un Philippe Nicolaï,
par exemple, a été impliqué. Nicolaï était un pasteur luthérien
auquel le recueil de cantiques alémanique doit des chants truffés
d'images bibliques: «Wachet auf, ruft uns die Stimme» (<< En-
tonnons un saint cantique ») et «Wie schon leuchtet der Mor-
genstern» (<< Brillante étoile du matin »). Il vivait au 16e siècle
et avait une piété authentique. Et pourtant il considérait que la
mission principale de sa vie consistait à combattre l'Eglise ré-
formée par tous les moyens. Il en résulta des querelles d'une
grossièreté effrayante. Les réformés ayant dépeint le Dieu des
théologiens luthériens comme un loup et un meurtrier, Philippe
Nicolaï, de sa paroisse de Vnna en Westphalie, écrivit au début
de 1597 un livre dans lequel il dit notamment que le Dieu des
théologiens réformés, avec leur doctrine de la prédestination,
ressemble à un boeuf mugissant et à un moloch assoiffé de
sang 18. De nos jours, l'attitude des paroisses réformées à l'égard
des autres communautés chrétiennes établies au même endroit a
changé, et on ne peut que s'en réjouir. En 1942, le pasteur Oskar
Farner, alors président du Conseil synodal zurichois, publia un

16 Liturgie citée, vol. l, p. 220.


17 LIETZMANN, Geschichte der Allen Kirche, vol. III, Berlin3 1961, p. 268.
18 W. NELLE, Unsere Kirchenliederdichrer, Hamburg 1905, p. 121.
370 EBERHARD ZELL WEGER

petit livre contenant de courtes sentences. C'est une visite d'Eglise


qui avait suscité la rédaction de cet ouvrage. Nous constatons
même à l'égard des sectes une attitude toute différente: «Les
sectes surgissent de préférence là où on ne sait plus ce que c'est
que l'Eglise ». «La naissance d'une secte est un symptôme de
faillite de l'Eglise; on a donc surtout des raisons de s'en prendre
à soi·même ». Cette phrase est significative, on l'a cité souvent
comme proverbe: c( Les sectes sont des insectes qui se posent
aux endroits pourris de l'Eglise» ". De telles prises de conscience
ont ouvert la voie à une collaboration fraternelle avec d'autres
communautés locales. Une autre prière d'intercession va dans la
même direction: «Nous te prions pour les membres des sectes:
montre-nous notre responsabilité envers eux. Fais qu'ils rencon-
trent en nous une véritable Eglise du Christ» 20.
4. La prédication occupe une place centrale dans le culte
réformé. Les Eglises de la Réforme sont issues de la prédication
de la Parole. Dans un culte sans sainte cène, où la liturgie se
compose seulement de quelques prières et de quelques chants,
tout le culte repose sur la prédication - qui peut être enrichis·
sante ou non selon les cas. Dès lors, on comprend J'importance
de l'intercession suivante:
«Nous te confions les centres de formation de nos pasteurs,
leur vie en commun, l'enseignement des professeurs et le travail
des étudiants. Donne-nous des théologiens qui nous aident à com-
prendre l'Ecriture sainte et témoignent d'une foi vivante en Jésus-
Christ (litt.: qui nous ouvrent à l'Ecriture sainte dans une foi
vivante en Jésus-Christ) )l 21,

Dans nos cultes, la prédication est prise très au sérieux. La


préparation d'une prédication fouillée et substantielle, jetant un
pont entre le texte biblique et le monde moderne, demande au
pasteur beaucoup plus de temps que la préparation du reste de
la liturgie. En général, la prédication constitue le centre du culte,
les prières et les chants s'articulant autour d'elle pour former un
tout. Dans ce domaine, l'Eglise réformée a préservé au travers
des siècles un héritage du temps de la Réforme. Martin Luther
a constamment insisté sur J'importance fondamentale de l'an·
nonce de la Parole et mis en évidence la prédication, qu'il consi·

19 O. FARNER, Wegmarken, Zürich 1942, pp. 69, 71, 72.


20 Liturgie citée, vol. 1, p. 222, 13.
21 Ibid., p. 221, 7.
L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE RÉFORMÉE 371

dérait comme la pièce la plus noble de la foi chrétienne, avant


toutes les autres pièces. Pour Luther, il se produit au travers
de la prédication et par la grâce de Dieu une actualisation de
l'histoire du salut; le prédicateur doit pouvoir dire de sa prédi-
cation: «Haec dixit Dominus» (<< C'est le Seigneur lui-même
qui a dit cela »). La prédication est « la seule cérémonie ou exer-
cice que Christ a institué pour que les chrétiens apprennent grâce
à elle à se rassembler et se comporter en bonne harmonie; il ne
l'a pas laissée être une simple oeuvre comme d'autres cérémonies,
mais y a déposé un trésor riche et débordant pour offrir à tous
ceux qui y croient» ". L'Eglise réformée est davantage restée
une Eglise de la prédication que l'Eglise luthérienne. Et si au-
jourd'hui encore le pasteur base son exégèse sur le texte biblique
en langue originale, il faut aussi y voir un héritage de la Réforme.
La première édition du Nouveau Testament en grec, traduit par
Erasme, a paru en 1516. Martin Luther a également traduit
l'Ancien Testament de l'hébreu, avec l'aide de Melanchton et de
Matthieu Aurogallus, professeur d'hébreu à Wittenberg. Le Pen-
tateuque a paru en 1523. Johann Albrecht Bengel (1687-1752)
a poursuivi dans la ligne de la tradition réformée: il a été le
premier à comparer les différents manuscrits du texte primitif.
Lui aussi voulait, par ce travail, préparer les jeunes théologiens de
son temps au ministère de la prédication. C'est de lui que vient
cette parole profonde: «Te totum applica ad textum, rem totam
applica ad te », c'est-à-dire: «Applique-toi tout entier au texte,
applique tout ce qu'il dit à toi» ". Cette phrase montre à quel
point il est possible de concilier le travail exégétique et la médi-
tation personnelle. Ces deux étapes sont d'ailleurs indispensables
à la préparation de la prédication. Au cours du 1ge siècle, l'exégèse
scientifique a subi des transformations importantes et qui ne
sont pas encore achevées à l'heure actuelle; les découvertes ar-
chéologiques et la critique biblique ont joué un rôle capital dans
cette transformation. Mais même si les circonstances ont changé,
le travail exégétique demeure un préalable indispensable à la
préparation de la prédication. Les affirmations exprimées par
Immanuel Stockmeyer dans ses cours en 1895 sont encore vala-
bles aujourd'hui pour la préparation scientifique de la prédica-
tion. Voici ce qu'il écrit: « Pour la prédication, ce travail exégé-

22 Leiturgia, Kassel 1954, vol. 1, p. 55.


23 K. KA.l\-lPFl'MEYER, Das leure Prediglal11l, Hamburg 2 1954, p. 70 b).
372 EBERHARD ZEl..LWEGER

tique n'est évidemment qu'un travail préparatoire, dont une


bonne partie ne peut pas être utilisée directement pour la prédi·
cation, mais seulement indirectement, dans la mesure où cela
peut aider à trouver le sens exact, car la prédication n'est pas
un cours d'exégèse. Mais c'est un travail absolument nécessaire
pour que le prédicateur découvre vraiment la Parole de Dieu
qui se trouve dans le texte, qu'il se l'approprie et qu'il puisse
ensuite l'annoncer. Le texte ne révèle la richesse et la profondeur
de sa pensée qu'à ceux qui l'étudient sérieusement. C'est pourquoi
cet effort exégétique est aussi le meilleur moyen de lutter contre
le risque - redouté par les paroisses et les prédicateurs, et
souvent redouté à juste titre - d'un épuisement de l'inspiration
amenant le prédicateur à se répéter» 24. Dans l'intercession préci-
tée, on ne perd pas de vue l'objectif essentiel de la prédication:
«Donne·nous des théologiens qui nous aident à comprendre
l'Ecriture sainte et témoignent d'une foi vivante en Jésus·Christ ».
A l'heure actuelle, beaucoup de pasteurs ont redécouvert combien
il est important de prêcher Christ, quel que soit le travail théolo·
gique qui précède la préparation de la prédication. Cette redé·
couverte est surtout due à la théologie dialectique. Voici comment
Karl Barth conçoit le rôle de la prédication: «L' "œuvre d'évangé·
liste" (2 Tim. 4: 5) ne réside pas dans la prédication d'idéaux.
Elle ne réside pas dans la critique de l'homme, de ses erreurs,
de ses faiblesses et des ses méchancetés. Elle ne réside pas non
plus dans la critique kirkegaardienne de l'homme religieux. Elle
ne réside pas dans l'exhortation à l'amour de Dieu et du prochain,
et pas non plus dans la proclamation d'espoirs sociaux. Elle
réside certainement tout aussi peu dans le développement de
tel ou tel point de la dogmatique, quelle que soit la valeur de
cette dogmatique par ailleurs. L' "oeuvre d'évangéliste" réside
- comme son nom l'indique - dans la prédication de l'Evangile.
Or la prédication de l'Evangile est la prédication de Jésus·Christ.
Si son contenu est Jésus·Christ: "La grâce, la grâce seule, toute
la grâce", elle n'a pas besoin d'être complétée par des oeuvres,
parce qu'elle fait et est elle·même la seule oeuvre véritable.
L'Eglise attend celte oeuvre. Et le monde attend de l'Eglise l'ac·
complissement de cette oeuvre. Nous devons maintenant réap·
prendre à accomplir cette oeuvre honnêtement et soigneuse-

241. STOCKMEYER, Homiletik, Basel 1895, p. 40.


L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE RÉFORMÉE 373

ment» 2S. On entend rarement parler d'un dialogue oecuménique


sur la vie cultuelle et la tradition cultuelle des différentes Eglises.
Si ce dialogue devait être engagé, la contribution principale des
Eglises réformées sera la question d'une prédication dont Christ
soit le centre.
5. La diaconie relève indiscutablement de l'essence même de
l'Eglise. Cette évidence a été redécouverte récemment. On pourrait
aussi parler avec Bonhoeffer d'une "Eglise pour les autres ».
L'intercession qui suit va dans ce sens:
« Seigneur, toi qui es venu non pour être servi, mais pour servir,
suscite sans cesse à ton Eglise des hommes qui soient prêts à
être à ta disposition dans le service de leur prochain. Bénis toutes
les oeuvres de la diaconie et de la mission intérieure» 26,

Cette intercession nous montre l'importance de l'activité


de nos maisons de diaconesses et de nos infirmières. On peut
dire sans exagération qu'au siècle dernier les maisons de diaco-
nesses ont souvent été des centres de la vie religieuse de notre
Eglise évangélique. Les infirmières ont été en bien des endroits
des témoins de l'oeuvre accomplie pour Jésus-Christ. Bonhoeffer
fait un sort au malentendu selon lequel la diaconie est l'affaire
de quelques hommes spécialement appelés. Il assigne à toute
l'Eglise une mission diaconale: "L'Eglise n'est l'Eglise que
lorsqu'elle existe pour les autres. D'abord, elle doit donner aux
indigents tout ce qu'elle possède. Les pasteurs doivent vivre
exclusivement des dons volontaires des paroisses, éventuellement
exercer un métier laïc. L'Eglise doit collaborer aux tâches pro-
fanes de la vie sociale, non en dominant, mais en aidant et en
servant. Elle doit manifester aux hommes de toutes les professions
ce qu'est une vie avec le Christ, ce que signifie "vivre pour les
autres" »". Bonhoeffer a écrit cela le 3 août 1944. Il se trouvait à
la prison de Berlin-Tegel et avait encore neuf mois à vivre.
Jusqu'à ce jour, les Eglises n'ont pas tiré les conséquences néces-
saires de la pensée de Bonhoeffer. La véritable nature d'une
Eglise vivante nous est cependant rappelée par la prière deman-
dant à Dieu de susciter des hommes prêts à être à la disposition
du Christ dans le service du prochain.

25 KAMPFFl\ŒYER, op. cit., p. 45.


26 Liturgie citée, vol. I, p. 228, 30.
27 D. BOl\"IiOEFFER, Résistance et soumission, Labar et Fides, p. 181.
374 EBERHARD ZELLWEGER

6. Les prières d'intercession de la Liturgie des Eglises ré-


formées alémaniques s'achèvent par quatre intercessions pour
Israël qui se distinguent des autres intercessions déjà par leur
longueur. Ces intercessions sont sous-tendues par la conviction
que l'Eglise a le devoir d'entrer en dialogue avec le peuple d'Israël.
Cette conviction s'est imposée à l'Eglise réformée après les
amères expériences de la Seconde Guerre mondiale. La nouvelle
attitude des chrétiens à l'égard d'Israël a été définie en ces termes
au Kirchentag (Congrès de l'Eglise évangélique allemande) de
1961: «Juifs et chrétiens sont indissolublement liés. L'antisémi-
tisme dans le monde chrétien est né de la contestation de cette
parenté, qui a été une des causes principales de la persécution
des Juifs. Jésus de Nazareth est trahi chaque fois que des mem-
bres du peuple juif, peuple au sein duquel il est venu au monde,
sont méprisés parce qu'ils sont juifs. Toute forme d'antisémitisme
est une impiété et conduit à l'autodestruction» ". Cette attitude
est exprimée d'une façon particulièrement claire dans la dernière
des quatre intercessions pour Israël 29. Cette prière a été écrite par
Mme Gertrud Kurz-Hohl, née en 1890. Voici en quels termes
M. Max Petitpierre, ancien président de la Confédération suisse,
dépeint l'action de Gertrud Kurz: «D'innombrables réfugiés ont
bénéficié de sa grande bonté et des ses sentiments profondément
humains. La belle mission qu'elle a accomplie a valu à Mme
Kurz le titre de docteur honoris causa. Mais longtemps aupara-
vant les réfugiés lui avaient décerné un autre titre, celui de "mère
des réfugiés". Ils avaient voulu marquer par là qu'ils retrouvaient
auprès d'elle un peu de ce qu'ils avaient perdu. Tout au long de
son activité, elle a témoigné à ses protégés une grande confiance,
dans laquelle nombre d'entre eux ont puisé la force de reprendre
foi en eux-mêmes» 30, La prière de cette Suissesse contient une
confession de foi émouvante:

«( Seigneur, notre Dieu, nous reconnaissons devant toi les péchés

que nous avons commis envers Israël; nous t'en prions: ne nous
les impute pas. Nous n'avons pas trouvé le courage de protéger
suffisamment les réfugiés juifs alors qu'ils étaient persécutés; et
nos frontières ont été fermées à beaucoup de ceux qui cherchaient
un abri chez nous. Nous avons craint davantage les hommes que

28 G. GLOEDE, Oekumenische Profile, Stuttgart 1963, vol. II, p. 215.


29 Liturgie citée, vol. l, p. 252, 87.
:JO Wege des Frieden$, Gertrud Kurz z,tlm 70. Geburtstag, Zollikon 1960, p. Il.
L'ÉGLISE DANS LA LITURGIE RÉFORMÉE 375

loi, le Maître de tous les maîtres. Au lieu d'être tes témoins, nous
t'avons renié et nous avons été en scandale à beaucoup de Juifs.
Cette lourde faute pèse sur nous et nous oppresse, et nous te de-
mandons instamment pardon) 30.

Dans les années quarante, les organes de douane étaient


obligés de reconduire au-delà de nos frontières les réfugiés juifs
qui s'étaient introduits clandestinement en Suisse. L'intercession
précitée fait allusion à ces événements. Mme Gertrud Kurz-Hohl
a lutté de toutes ses forces pour les victimes des persécutions.
En 1942, elle s'est rendue personnellement au Mont-Pèlerin, près
de Vevey. Elle n'eut de cesse qu'elle n'ait pu rencontrer le conseil-
ler fédéral von Steiger. Trois heures durant, elle lui parla de la
détresse affreuse des réfugiés qu'on obligeait à repasser la fron-
tière dans l'autre sens 31. Son intercession manifeste que non
seulement elle se sent liée intimement avec les Israélites, mais
aussi qu'elle se veut solidaire de la faute de ses concitoyens à
l'égard du peuple élu de Dieu. De cette manière elle a jeté un
pont entre l'Eglise et Israël.
7. Nous aborderons pour terminer la question de la relation
de l'Eglise terrestre avec l'Eglise céleste ou, en d'autres termes,
de l'Eglise militante avec l'Eglise triomphante. Dans la liturgie,
cette question revêt une extrême importance. L'idée que le culte
« terrestre}) et le culte « céleste}) sont deux choses tout à fait
séparées est sans doute largement répandue dans l'Eglise réfor-
mée de Suisse, même si elle n'est pas exprimée explicitement; le
culte terrestre serait destiné au monde présent, le culte céleste
exclusivement au Royaume que Christ établira. D'après cette
conception, le croyant ne s'associera aux hymnes des anges qu'a-
près la résurrection. Mais il existe aussi une autre conception.
Voici ce qu'écrit Emil Brunner à propos des disciples du Christ:
« Sa présence parmi eux après sa résurrection est un événement
eschatologique, "realised eschatology". Le nouvel éon a commencé;
et en même temps il n'est pas arrivé, on l'attend encore. Cette
attente des choses à venir, par opposition au temps présent, n'est
pas seulement un élément plus ou moins secondaire de leur
existence, elle est cette existence même ) 32. Pour le croyant, cette
existence eschatologique ne devient-elle pas une certitude person-

31 Ibid.) p. 31.
32 E. BRUl\NER, Das Missverstiindnis der Kirche, Zürich 1951, p. 64.
376 EBERHARD ZELL WEGER

nelle lorsque les chants de louange du culte paroissial laissent


transparaître l'hymne de louange des armées célestes? Le culte
n'est-il pas le lieu où la cloison entre le futur et le présent est
abolie? Dans son ouvrage "Gottesdienst und Opfer Christi»
(" Culte et sacrifice du Christ »), Wilhelm Hahn écrit ce qui suit:
" La synthèse du culte terrestre et du culte céleste est particuliè-
rement frappante dans Ap. 7: 9-17. Le visionnaire voit le culte
céleste, mais il le voit pour ainsi dire au travers du culte terrestre:
il entend les cantiques qu'il connaît par le culte terrestre de la
communauté chrétienne, mais ces cantiques sont chantés à la
fois par des langues humaines et par la foule innombrable des
élus, des anges, des anciens et des quatre animaux» ". La liturgie
des Eglises réformées alémaniques contient aussi des hymnes
par lesquels la communauté en prière peut joindre sa voix au
choeur céleste. Ces hymnes se trouvent surtout dans le texte de
liturgie de sainte cène inspiré de la liturgie de la messe romaine.
Le « Sanctus» contient le passage suivant:
« Les cieux et les puissances célestes, tous les chérubins et les
séraphins te célèbrent en choeur. Que nos voix se joignent à leur
louange pour chanter et magnifier ta splendeur» 34.

Mais on peut se poser une question: la paroisse a-t-elle


conscience de cette relation de l'Eglise visible avec l'Eglise invisi-
ble? A cet égard, les protestants ont beaucoup à apprendre des
Eglises soeurs. La vie cultuelle de certaines d'entre elles peut
nous ouvrir les yeux et nous rendre perméables à cette réalité
céleste, par laquelle nous avons accès dès maintenant à la gloire
du Royaume de Dieu. Dans le culte célébré en commun, lorsque
différentes Eglises joignent leurs voix aux armées célestes pour
s'unir dans un même chant de louange, il serait pensable que, sur
le chemin de l'unité où les différentes Eglises se sont engagées,
ce ne soit pas le présent qui modèle le futur, mais le futur - le
futur de Dieu - qui détermine le présent. Toutes les Eglises - y
compris les Eglises protestantes - vivent de cette espérance
lorsque, au cours du culte paroissial, la liturgie rassemble et
édifie toute la communauté.

Eberhard ZELLWEGER

3:J HEREST, op. cir., p. 264.


34 Liturgie citée, vol. III, 1, p. 58 s.
APPENDICE

L'UNITÉ DE LA FOI ET LE PLURALISME LITURGIQUE'

Le choix de mon thème a été fait de la conviction que notre


Congrès, à caractère oecuménique, doit de temps à autre présenter
des éléments partiels de la recherche historico-philologique et
de la critique historique, réunis à des ensembles et des dépendan-
ces organiques plus larges. Celles-ci pourraient rappeler à l'Oecou-
mène chrétienne divisée des vérités très simples. De ce point de
vue mon exposé aura comme objectif l'examen phénoménologique
du rapport entre l'unité de la foi et la diversité des formes
liturgiques. Cet examen sera effectué par la description de la
structure et par le rappel des cas concrets de ce phénomène.
Fondement et point de départ de mon exposé sera le fait que
l'unité de la foi ne doit pas être considérée comme synonyme
d'uniformité ou de centralisation. L'uniformité à tous les égards
n'est pas l'idéal de l'unité, mais une déformation de celle-ci, une
caricature. Une unification des Eglises par le biais d'un nivel-
lement de particularités et d'autonomies justifiées et propres
aux différentes Eglises est inconcevable. De par sa nature, l'unité
n'est pas une égalisation, mais l'unité dans la multiplicité, l'unité
dans la diversité et l'abondance des formes. Il s'agit donc d'une
unité pluraliste, dans laquelle l'homogénéité des éléments spiri-
tuels essentiels de la foi est intimement liée à l'hétérogénéité
d'une pluralité de structures quant à la forme et à l'expression.
Il s'agit de l'éternel problème de l'unité et de la diversité qu'ont
essayé de résoudre de philosophes et de théologiens depuis le
début de l'histoire de l'humanité. Dans le courant des siècles, la
pensée métaphysique s'est efforcée d'expliquer comment l'être

'" Pour l'inclusion de cette conférence dans le volume présent, voir: P1"és~n­
tation, p. IX-X.
378 EVANGELOS THEODOROU

infini et global peut coexister avec les existences finies, limitées


et partielles. L'unité doit être comprise comme donnée ontologi.
que suprême, c'est·à·dire comme donnée dialectique (se réalisant
dans ses rapports mutuels) de 1'« être étant» se dévelcppant dans
le sens d'une pluralité intérieure. Sur le plan ontologique, l'unité
de l'étant n'est pas seulement caracterisée par la pluralité inté·
rieure originale, qui revient à tout être étant, mais également
par la pluralité de la structure concrète et de sa manifestation,
des différentes phases et niveaux de développement de la réali·
sation des catégories ontologiques et des principes de l'être, de
leurs composition, relations mutuelles, effets respectifs, etc.
La physique moderne et la doctrine de la réalité connaissent
la notion de la complémentarité. Une catégorie ontologique a
cours dans les domaines plus évolués de la création, où des com·
portements existentiels et des faits différents peuvent coexister
et même doivent être réunis, afin de donner un tout complet,
malgré les antagonismes et même les contradictions qui existent
dans toute leur ampleur entre les uns et les autres, sans que,
pour autant, cela enlève quoi que ce soit de leur valeur.
Un exemple caractéristique en est l'unité de l'humanité dans
la multiplicité des races et des nations, allant jusqu'aux traits
caractéristiques et aux particularités de l'individu.
L'établissement du rapport entre l'unité et le pluralisme des
formes, constaté dans les différents domaines ontologiques sur
le plan physique, biologique et anthropologique, se retrouve éga·
lement dans le Christianisme qui, en raison de sa structure dé·
terminée par la notion de l'homme·Dieu, est la récapitulation
(&VOCXE'f"'Àoc[w,,,,) de tous les domaines ontologiques. A l'intérieur
de cette structure déterminée par l'homme·Dieu, les données ter·
restres sont reliées aux données célestes. Le temps, qui court,
est la voie qui mène à l'éternité et l'éternité est vecue dans les
circonstances temporelles. Incarnation de Dieu dans un être
humain et réalisation de l'homme comme être divin, autorité di·
vine et liberté humaine, hétéronomie et autonomie, individualité
et communauté, centralisation et décentralisation, repliement
intérieur et activité extérieure, visible et invisible, données créées
et données non créées, ciel et terre, passé et avenir, présent et
eschatologie, désirs temporels et attentes célestes, nature et grâce,
chair et esprit. « mysterium tremendum » et ( mysterium fasci-
nosum », images provisoires modifiées et être éternel immuable,
UNITÉ DE LA FOI ET PLURALISME LITURGIQUE 379

doctrine et vie, symbole et réalité, substance et données acci-


dentelles, virtualité et acte, cc vita contemplativa» et (c vita ac-
tiva", esprit de Marie et serviabilité de Marthe, orthodoxie et
orthopraxie, rigueur et économie - tous ces antagonismes et
antithèses dialectiques, qui, à première vue, suffisent pour créer
des polarités, sont surmontés et réunis pour former une merveil-
leuse unité organique. Il s'agit d'une réalité terrestre rayonnant
d'une lumière divine et de couleurs célestes.
L'origine et le fondement de cette unité sont, d'un côté,
l'homme-Dieu en qui s'est incarné le Verbe et, de l'autre côté,
la doctrine chrétienne de la Trinité. La singularité du Dieu trini-
taire n'est pas une identité morte, mais une unité vivante dans
la pluralité des trois personnes. En dernière conséquence, le plu-
ralisme dans les différents domaines ontologiques doit être com-
pris comme « trace» ou « image» de la pluralité intra-trinitaire
originale. C'est pourquoi l'unité du christianisme et de l'Eglise ne
doit pas être conçue comme un fait abstrait et indépendant de
la multiplicité, mais comme un rapport dialectique positif, où
la multiplicité est l'élément intérieur de l'unité.
Dans l'Ancien Testament déjà, nous trouvons des allusions
au rapport entre unité et pluralité suivant le plan divin. Par plu-
sieurs actes consécutifs, Dieu a élu un peuple et exprimé sa vo-
lonté de salut. Dans le Nouveau Testament, on peut distinguer
en particulier différentes formes et tendances dans le domaine de
la théologie, de la constitution de l'Eglise et de la vie chrétienne.
L'application de la méthode historico-critique aux études exégé-
tiques actuelles a démontré plus nettement que jamais aupara-
vant la liaison entre l'unité et la pluralité du témoignage exprimé
par le Nouveau Testament. Le Nouveau Testament est caracté-
risé par une multiplicité de traditions évangéliques et de perspec-
tives christologiques marquant certaines déviations les unes par
rapport aux autres, si nous pensons à celles de saint Paul, aux
Synoptiques et à saint Jean. La diversité des expressions christo-
logiques résulte tout d'abord du fait que nulle notion et nul
témoin ne sont à même de rendre de façon globale la gloire
du Crucifié; ensuite, elle tient également à la nécessité d'annon-
cer Jésus Christ dans les différents milieux historiques: dans
les civilisations juive, judéo-hellénistique, hellénistique, etc.
Dans l'Eglise apostolique, l'uniformité et le centralisme
étaient inconnus. Saint Paul était prêt à se faire Juif avec les
380 EVANGELOS THEODOROU

Juifs et un sans-loi avec les sans-loi (I Cor 9,20 s.). Le « concile


des apôtres» ne voulait « pas imposer d'autre charge que ce qui
est nécessaire» (Ac 15,28).
Dans l'Eglise primitive, même dans les relations entre les
apôtres, on observait de nombreuses tensions et contradictions.
L'unité ne consistait pas dans les mêmes formules et professions
de foi, dans les mêmes rites lors des offices, dans les mêmes
règlements et organismes dirigeant les communautés, ni non
plus dans les mêmes charismes et dons, mais dans le même Sei-
gneur qui, sous le signe du Saint Esprit, distribue la diversité
des opérations, dons et ministères aux chrétiens et aux commu-
nautés, afin de les rendre aptes à leur ministère (cf. l Co 12,4-11).
L'unité plurale du christianisme établi selon les termes du
Nouveau Testament est la cause, le point de départ et la moti-
vation du fait que la multitude et la diversité des formes de la
vie ecclésiale représente le sens véritable de la catholicité et que
la variété des charismes du Nouveau Testament, donnés par le
Saint Esprit à travers les siècles, représente le seul fondement de
l'apostolicité de l'Eglise.
C'est là une conséquence inévitable de l'interprétation du
message apporté par le Nouveau Testament. Ce message ne de-
vient vraiment pertinent que là où il peut être adapté aux
catégories de toute situation nouvelle. La Bible interfère avec
les problèmes de l'époque. L'heure et la situation historiques
concrètes doivent être prises en considération. L'expression du
message chrétien immuable et définitif aussi bien que son in-
terprétation sont déterminées par des perspectives et des critè-
res qui diffèrent suivant les cas.
Mentionnons les critères suivants: caractère personnel, tem-
pérament individuel, état d'esprit ou mentalité, structures intel-
lectuelles, conceptions et visées, orientation générale, réflexion
et langage, terrain philosophique et surtout notions de la théo-
rie de la connaissance, différences de langue, données résultant
de l'histoire des idées, cadre de la vie, particularités découlant
de l'appartenance à une certaine race ou ethnie, conditionne-
ment par l'époque ou par la présence de problèmes concrets,
confrontations diverses, différends et divergences philosophi-
ques, politiques et culturelles, historicité des expériences humai-
nes, etc. Abstraction faite du problème de savoir si la connais-
sance religieuse est adéquate ou seulement analogue-symbolique,
U~ITÉ DE LA FOI ET PLURALISME LITURGIQUE 381

la formule classique de Jacobi garde toute sa valeur: «En for-


mant l'homme, Dieu avait des considérations théomorphes, c'est
pourquoi, nécessairement, l'homme a des considérations anthro-
pomorphes ". Par suite, l'image, le symbole sera toujours utilisé
par le langage religieux. Deux critères déterminent de façon es-
sentielle un symbole: d'abord le rapport avec une réalité et l'inten-
tion de la représenter sous son identité; ensuite, la conscience de
ne pouvoir identifier cette réalité que de façon insuffisante, de
n'être qu'une expression certes juste, mais en même temps tota-
lement imparfaite, de cette réalité, seulement une parabole. Il
est connu, du reste, que, étant donné les limites de la connaissance
humaine, aucun système de formules dogmatiques ne peut réu-
nir tous les aspects de la révélation dans une vue de synthèse.
C'est pourquoi il faut reconnaître que des formules dogmatiques
ne pourront jamais rendre de façon exhaustive la plénitude de
la vérité de la foi.
Les éléments mentionnés abolissent le caractère statique de
la profession de foi et ouvrent aux énoncés de la foi la dimen-
sion du dynamique, d'après laquelle toute formulation est ca-
pable d'être intégrée dans une nouvelle et meilleure formula-
tion. C'est ainsi qu'il y a des différences légitimes dans la pré-
sentation de la doctrine théologique et de la vie ecclésiale.
C'est surtout dans l'unité du culte que la variété a pu s'affir-
mer légitimement d'une façon plus accentuée. Sans doute, l'unité
du culte est le signe de l'unité de la foi. Une certaine unité de
culte est essentielle: l'initiation baptismale, les sacrements, l'Eu-
charistie, etc. Mais, sur ce fond commun il y a une variété des
formes liturgiques.
Ensuite nous rappelons certains points, auxquels s'appa-
rente l'existence du pluralisme liturgique dans l'unité de la foi.
Je me refère par préférence à des points du culte orthodoxe
oriental, sans exclure de rapporter des exemples de l'Occident:
a) Nous connaissons les différents types liturgiques qui
n'abolissent pas dans l'Eglise l'unité de la foi. Les différences
ont leur racine aux livres sacrés où les paroles du Seigneur qui
se refèrent à la fondation du sacrement de l'Eucharistie ne s'expri-
ment pas de la même façon. Les différences sont sans impor-
tance, secondaires et morphologiques et ne touchent pas le sens
profond qu'elles renferment. Mais nous les voyons clairement
aux Evangiles Synoptiques et à Saint Paul. Ces différences s'expli-
382 EVANGELOS THEODOROU

quent si nous nous rappelons que l'Eucharistie s'exerçait par-


tout où des Eglises chrétiennes existaient du premier moment
de leur fondation et à Jérusalem même après Pentecôte, c'est à
dire vingt ans avant la rédaction de la l'" Epître aux Corin-
thiens et trente et plus ans avant la rédaction des Evangiles
Synoptiques. Dans l'action liturgique qui recevait par la tradi-
tion orale les paroles de la fondation du mystère, il était normal
de se créer quelques différences sans importance qui ont influencé
la tradition orale de l'Evangile, qui circulait et était prêché parmi
les fidèles avant la rédaction des Evangiles Synoptiques.
Selon Marc et Matthieu, la cène fut un repas pascal. D'après
saint Paul elle n'est ni la Pâque, ni le Kiddûs juif du Vendredi,
ni la réunion pieuse avec lectures et prières telle qu'on la con-
state chez les communautés juives de la Diaspora. Elle est un
rite chrétien. Dans le récit de Luc, le caractère pascal de la
cène est fortement marqué. Je mentionne aussi la question sou-
levée par l'existence des divers recensions du texte de Luc.
b) Durant les trois premiers siècles l'unité du culte était
jointe à une certaine liberté d'improvisation pour les formules. Il
est bien connu qu'elles existaient diverses formes de formula-
tion improvisée des prières.
Selon le témoignage de Saint Justin, celui qui préside à la
Messe, « fait monter au ciel les prières et les eucharisties autant
qu'il peut (autant qu'il a de force) ». Ces mots semblent prouver
que l'officiant a le devoir de « faire de son mieux» et en consé-
quence le droit de choisir les paroles qui lui semblent les plus
expressives, les plus puissantes. Une faculté d'improviser les
formules lui est donc reconnue. Evidemment, il ne peut choisir
que des mots qui répondent au but poursuivi. Il y a un thème
traditionnel, les mots seuls varient.
La « Tradition apostolique» de saint Hippolyte dit pour les
formules des prières liturgiques: «Que l'évêque rende grâces
comme nous l'avons dit plus haut. Il n'est pas du tout nécessaire
qu'il prononce les mêmes mots que nous avons dits, comme s'il
s'efforçait de les dire par coeur, en rendant grâces à Dieu; mais
que chacun prie selon ses capacités. Si quelqu'un est capable
de prier assez longuement et de dire une prière solennelle, c'est
bien. Mais si quelqu'un, quand il prie, dit une prière mesurée,
qu'on ne l'en empêche pas, pourvu qu'il dise une prière d'une
saine orthodoxie».
UNITÉ DE LA FOI ET PLURALISME LITURGIQUE 383

On voit que Hippolyte ne donne pas ses formules comme


des textes invariables, mais comme des modèles. L'auteur n'exige
qu'une condition: l'orthodoxie. Si nous nous reportons aux
controverses de l'époque, nous devons comprendre qu'il criti-
que les prières d'inspiration monarchienne ou modaliste qui ne
distinguent pas réellement les personnes divines.
c) Pour les controverses pascales et au plus fort de la
crise quartodécimane, saint Irénée écrivit au pape Victor une
lettre qui nous donne de précieux renseignements sur l'attitude
de l'Eglise romaine par rapport à la question pascale au II" siècle.
« Les prêtres ("pEa~UnpoL) - écrivait l'évêque de Lyon - qui, avant
Soter, ont présidé à l'Eglise que tu diriges maintenant, Anicet,
Pie, Hygin, Télesphore, Xyste, n'observaient pas (le 14 nisan)
et ne le laissaient pas observer par leurs fidèles; il n'en étaient
pas pour cela moins pacifiquement disposés envers les fidèles
des Eglises d'observance (quartodécimane) qui venaient chez eux
(à Rome), et pourtant l'opposition des deux usages était présente
et en conséquence plus manifeste. Jamais on n'a excommunié
personne pour cette raison. Les prêtres, tes prédécesseurs, en-
voyaient même l'eucharistie à ceux des Eglises d'observance (quar-
todécimane); quand le bienheureux Polycarpe vint à Rome sous
Anicet, bien des menues divergences existaient entre eux, mais
leurs rapports furent tout de suite pacifiques; et quant au diffé-
rend qui nous occupe (la question quartodécimane), ils firent
preuve d'un esprit conciliant. Anicet ne parvint pas à persuader
Polycarpe de ne plus suivre l'observance (quartodécimane), à
laquelle ce dernier avait toujours été fidèle à la suite de. Jean,
le disciple de Notre-Seigneur, ainsi que des autres apôtres, ses
compagnons. Polycarpe, de son côté, ne put amener Anicet à
l'observance quartodécimane, car ce dernier se disait tenu de
suivre l'usage de ses prédécesseurs. Malgré cet état de choses, ils
restèrent en communion et, à l'église, Anicet, par déférence pour
Polycarpe, lui céda sa place pour la célébration de l'eucharistie.
Ensuite, ils se séparèrent en paix, et toute l'Eglise était en paix,
ceux qui observaient (le 14 ni san) comme ceux qui ne l'obser-
vaient pas ».
d) A la diversité liturgique a contribué le fait que les
influences réciproques entre les différentes Eglises dans le do-
maine liturgique n'étaient pas uniformes. Prenons comme exemple
le rite romain et plus spécialement la différenciation de l'usage
384 EVANGELOS THEODOROU

romain au cours du moyen âge. Sur ce point le père Botte écrit


que chacune des églises de l'ancien empire carolingien a utilisé
la liturgie venue de Rome, mais lui a incorporé quelques usages
propres et lui a fait subir une évolution autonome, au point que
les livres et le cérémonial sont différents de ville à ville, et même
d'église à église. A Rome aussi, chaque basilique a sa liturgie
propre, différente de celle de la cour papale. La découverte de
l'imprimerie, puis la réforme liturgique issue du Concile de Trente
ont réduit considérablement ces diversités. Cependant, certaines
Eglises, notamment Braga et Lyon, ont gardé des usages locaux
vénérables, surtout leur Ordo missae. La liturgie mozarabe est
encore pratiquée dans quelques églises du diocèse de Tolède. En
Espagne, la pénétration de la liturgie romaine fut plus lente et
plus tardive. Et à Milan jusqu'aujourd'hui continue la liturgie am-
brosienne.
Voilà un autre exemple d'influence dis semblante entre les
Eglises. Tandis que dans tout l'Orient l'ordination des diacones-
ses, ainsi que leur entrée au clergé, a été répandue d'une façon
absolument semblable à l'ordination des diacres, cette ordina-
tion (des diaconesses) n'a pas été introduite à l'Occident que
seulement dans l'Italie du Sud et en Sicile sous l'influence des
Grecs. C'est dans les mêmes régions que l'" Ordo ad diaconam
faciendam » a été aussi formé, comme j'ai pu montrer en déve-
loppant ce sujet en 1969 au Premier Congrès inter-ecclésiastique
d'histoire à Bari (Italie).
e) Caractéristique est aussi le pluralisme des formes dans
le domaine des rites orientaux et occidentaux. Les rites orien-
taux ont un nombre plus ou moins grand d'anaphores. Rome
avait une formule unique, mais quelques pièces comportent des
développements suivant les solennités: la préface, le " Commu-
nicantes », le « Hanc igitur ».
Ceci se passe chez les Orthodoxes dans l'hymnographie de
chaque jour (par exemple aux tropaires, aux canons de matines).
f) On connaît aussi le pluralisme liturgique qui a été créé
par la lutte entre la forme monastique et la forme séculière ou
asmatique du culte, entre l'ordo monasticus, qui a adopté tou-
tes les heures du bréviaire, et l'ordo cathedralis, qui célèbre un
office plus simple, ne comportant habituellement chaque jour
que les deux anciennes heures du matin et du soir, laudes et
vêpres.
UNITÉ DE LA FOI ET PLURALISME LTTURGIQUE 385

Ce dualisme liturgique peut être remarqué parfois dans un


et même diocèse. Il est caractéristique que Syméon de Thessalo-
nique a rétabli et restitué au temple de la Sagesse de Dieu
(~o'P['" TOU 0<ou) de Thessalonique le rituel chanté (X001.",,6, ou
~"fL",,,x6v), qui avait été abandonné auparavant. Il a ordonné
qu'on chante dans les autres églises de Thessalonique ".,,, cru-
v~B'~», c'est à dire le rituel monastique, qui dominait. Le rituel
chanté, qui fut introduit par Syméon, a été conservé jusqu'à sa
mort à l'église de la Sainte Sophie à Thessalonique, bien sûr
jusqu'à la conquête de la ville par les Turcs et peut-être jusqu'au
moment où l'église fut changée par les Turcs en mosquée.

g) En ce qui concerne en particulier le pluralisme des


langues liturgiques l'Eglise Orthodoxe a toujours condamné
les « pilatiani » ou « Triglossites ». En Occident la {( Constitution
de sacra liturgia" de Vatican II est décisive. Cette Constitution
a, une fois pour toutes, balayé les croyances erronées de ceux
qui prétendaient que dans la liturgie chrétienne étaient seule-
ment admises les trois langues (l'hébreu, le grec, le latin) aux-
quelles Pilate avait fait recours pour formuler l'inscription ap-
posée sur la croix du Seigneur, attitude qui était en contradic-
tion avec la longue pratique de l'Eglise orthodoxe d'Orient. Déjà
au 9' siècle, saint Cyrille et saint Méthode de Thessalonique
avaient dénoncé cette croyance erronée et en particulier le lati-
nisme liturgique. Ils ont même semé la graine de l'idéal de
l'Orient en ce qui concerne la langue liturgique dans les pays
d'Occident. Cette graine n'a pas dépéri, pas même dans les ré-
gions dominées par l'Eglise catholique romaine. De temps à
autre, cette graine a germé, mais dans ces régions, ce ne furent
toujours que les «plantes de serre, sensibles à la moindre bi-
se ". De nos jours cependant, cette plante c'est développée et a
donné des fruits au centuple, tel que cela ressort des décisions
du Concile Vatican II. L'idéal des deux frères, propre à l'Eglise
orthodoxe grecque, auquel les latinistes s'opposaient depuis des
siècles, a remporté un grand triomphe lorsque, au moment du
vote, 54 pères conciliaires seulement ont fait valoir une opposi-
tion, 7 n'ont pas exprimé d'avis et 2011 se sont exprimés en
faveur de l'article 36 de la Constitution sur la sainte liturgie; cet
article autorise le recours aux différentes langues maternelles dans
la liturgie catholique romaine et a ébranlé jusque dans ses fon-
dements la latinocratie établie dans le domaine de cette liturgie.
386 EVANGELQS THEODOROU

h) Le pluralisme morphologique du culte a fait son entrée


dans les changements qu'on voit dans l' 'Eop~oÀ6y'ov (Héortolo-
gel. A Byzance chaque monastère et chaque église avait son saint
propre, chaque fraternité monastique fêtait le fondateur et le
patron du monastère. La diversité des « Typika » en ce qui con-
cerne les offices liturgiques fut vraiment admirable. Les chan-
gements se font par l'adjonction de nouveaux éléments qui peu-
vent prendre place près des anciens éléments ou même substi-
tuer les plus anciens.
De cette façon, lorsque la fête de l'Orthodoxie fut placée au
1" Dimanche du carême, la fête qui existait auparavant s'est
écartée; en l'occurrence celle de Moïse, d'Aaron et des autres
prophètes et pour laquelle dans des manuscrits plus anciens il y
a un canon avec l'acrostiche «Xopàç xpo-rdcr8w "!wv 1tpOcp"IJ't'6W su-
O"TOZWÇ»),

Dans d'autres cas la fête la plus ancienne n'est pas mention-


née officiellement et n'existe plus même dans les «a"U'J:x~&.pLIX»
(= biographies des Saints), mais elle continue à exister dans le
dom~ine des" deux canons », des deux ensembles des hymnes, qui
se trouvent dans les matines ("Opepoç). Le l''canon concerne l'an-
cienne fête. Le second se rapporte à la nouvelle fête. Prenons
comme exemple le jour du 4" Dimanche du carême. Aujourd'hui
nous fêtons la mémoire de Saint Jean, l'auteur de «1Q'f'~I;»
(= escalier spirituel). Comme il a été prouvé par une recherche
aux manuscrits de la Sainte Montagne (Athos), les manuscrits
datés avant le 14" siècle ne mentionnaient pas cette fête. Il y
a des manuscrits qui, même après le 15' siècle, ne mentionnent
pas cette fête. Il est très probable que le déplacement de cette
fête du cycle des fêtes immobiles au cycle des fêtes mobiles ne
fut pas tout de suite accepté. Avant l'introduction de la com-
mémoration de St Jean (de Climax) au 4' Dimanche du carême
on gardait la mémoire de la parabole du bon Samaritain, comme
l'atteste le canon de l'Orthros de la fête qu'on trouve dans les
plus anciens manuscrits. Ce canon, qu'on peut lire aujourd'hui
dans le «Triodion », près de l'autre plus moderne qui se ré-
fère à St Jean (de Climax), contient des hymnes qui se réfèrent
à l'humanité ressemblée à l'homme tombé entre les mains des
brigands et nécessiteux de guérison par le Seigneur symbolisé,
à son tour, par le bon Samaritain. Nous arrivons à la n1ême
conclusion par le fait que quelques manuscrits, qui concernent
la pratique liturgique la plus ancienne, disent explicitement que
UNITÉ DE LA FOI ET PLURALISME LITURGIQUE 387

le 4' Dimanche du carême est destiné à l'homme tombé entre


les mains des brigands. Enfin l'Evangéliaire N' 210 de Sinaï, du
9' ou 10' siècle, a pour Evangile du jour le texte se référant
au Bon Samaritain.
Manuel Gédéon (1'E3Eo,"), en se référant aux changements
subis par l' 'EOpTOMycov (Héortologe) dans son développement,
dit: «L'étude de l'Héortologe ('EOPTOMytov) (= calendrier des
saints) primitif, qui est sauvé dans les Evangéliaires qui étaient
en usage dans l'Eglise de Constantinople, prouve que l' 'EOpTO-
MyLOV Byzantin dans sa première formation est l' 'EOpTOMyLOV
de cette Eglise seulement. Cet 'EOpTOMytov mentionne plusieurs
Patriarches, qui ne sont pas mentionnés dans les 2:uv~~ocpLOL
ou les M~v,,'~. Peut-être, l'étude des livres semblables, qui
se trouvent dans les temples ou monastères de Cilicie, Mésopota-
mie, Pontos, Syrie et Ethiopie nous fera connaître - par les
biographies des martyrs, confesseurs, saints moines et maîtres
des Eglises locales - des noms, des vies et des événements jusqu'à
maintenant inconnus, qu'une Eglise était difficile à faire con-
naître à l'autre pendant les premiers siècles à cause des circonstan-
ces et des moyens de communication ».
i) L'histoire de l'art ecclésiastique et liturgique est une
nouvelle preuve de la diversité des formes liturgiques. Cet art a
pu revêtir les formes les plus variées. Le caractère poétique de
plusieurs parties du culte permet également, par licence poétique,
de diverses formulations libres, qui ne sont pas tout à fait d'ac-
cord entre elles.
Admirable est la variété infinie de nuances de l'art liturgi-
que: des mosaïques jusqu'aux fresques; des miniatures jusqu'aux
vitraux; de l'art byzantin jusqu'à l'art gothique; de l'iconogra-
phie des Monastères de Météores jusqu'aux statues du Portail
Royal de Chartres; de l'art des catacombes jusqu'à l'art abstrait
des églises modernes; du chant grégorien jusqu'à la « Missa sol-
lemnis », etc., il existe une immence diversité des formes d'art
ecclésiastique.
Cette diversité des formes est loyale et justifiée seulement
lorsqu'elle ne présente pas un style naturaliste mais conserve,
dans le cadre de l'unité de la foi, le caractère spirituel, mysta-
gogique et anagogique, qui est le trait permanent et inaltérable
de l'art ecclésiastique.
388 EVANGELOS THEQDQROU

k) De tout ce qui a été dit jusqu'ici nous comprenons


pourquoi le pluralisme liturgique est un signe, une marque du
culte, qui exprime et manifeste la foi. La foi même, dans son
sens le plus profond, est la cause créatrice de ce pluralisme.
Elle en peut être aussi la cause finale.
Dans plusieurs cas, selon les différents époques et lieux, la
création de nouvelles formes liturgiques a comme origine et
cause la défense de la foi et la lutte de l'Eglise contre les doc-
trines des hérétiques. La confession dogmatique et la réaction
de l'Eglise contre les hérétiques d'une certaine époque et d'un
certain lieu ont contribué beaucoup au développement de nou-
velles formes liturgiques. Lex credendi legem statuit supplicandi.
Il y a un pluralisme de formes que la défense justement de
l'unité de la foi a-t-elle imposé. Voici quelques exemples.
Dans l'Eglise primitive on employait dans le culte l'expres-
sion «par Jésus Christ ». Selon Tertullien, «Deum colimus per
Christum ». La lutte contre l'arianisme a contribué à remplacer
l'expression doxologique « Gloire au Père par le Fils et avec le
Saint Esprit» par l'expression « Gloire au Père et au Fils et au
Saint Esprit ». En Egypte on avait combiné l'ancienne et la nou-
velle forme de doxologie: «Gloire au Père par le Fils et avec
le Fils et avec le Saint Esprit ».
Un autre exemple caractéristique est aussi la manière avec
laquelle s'est formée dans la Liturgie Eucharistique l'épiclèse du
Saint-Esprit, manière qui correspond au développement de la
doctrine sur le Saint-Esprit provoqué par le combat contre les
Pneumatomaches.
La tendance polémique contre les hérésies devient aussi vi-
sible dans le fait que, outre l'épiclèse pneumatologique, dans
quelques régions prit forme une épiclèse christologique. Elle
apparaît dans l'anaphore de l'Euchologe de Sérapion, évêque
de Thmouis, où s'exprime la théologie alexandrine s'adressant
contre la théologie arienne. Selon cette épiclèse, au lieu de solli-
citer la descente du Saint-Esprit sur le pain et le vin, on demande
la descente du Logos: « 0 Dieu de vérité, descends ton saint
Logos sur ce pain, pour que le pain devienne corps du Verbe,
et sur ce calice, pour que le calice devienne sang de la vérité ».
Probablement Saint Athanase a sous les yeux une semblable
épiclèse lorsqu'il dit dans une homélie: «Tant que les invoca-
tions et les prières ne sont pas commencées, il n'y a que du pain
::..::..::=----- 389
UNITÉ DE LA FOI ET PLURALISl\.fE LITURGIQUE

et du vin, tV~À6ç Ècr"t'~v &p"t'oe; xcx:t "t'o 7to"t'~p~ov. Mais dès qu'ont été
prononcées les grandes et admirables prières, le pain devient le
corps et le vin le sang de Notre-Seigneur Jésus Christ, "t'O"t'E y(VE"t'cx:~
ô &p"TOe; crwfla xcx:l "TO 7tO"T~pLOV C(I!l-C( "TOU Kuptou 1Jf1.Ù}\I 'I"1)crou XpLcrTOU.
Venons à la célébration des mystères. Ce pain et ce vin, tant que
les prières et les invocations n'ont pas eu lieu, sont simplement
(du pain et du vin); mais, lorsque les grandes prières et les
saintes invocations ont été faites, le Verbe descend dans le
pain et le vin, et le corps du Verbe est, xc(Ta~tX(vEL 0 A6yoe; de; TOV
&pTOV xat TO 1toT"1jPW'J xC(l y(VET(l~ aù"Tou crw!l-(l».
Une allusion pour une épiclèse semblable existe dans une
épître de saint Grégoire de Nazianze à Amphiloche: «Ne négli-
gez point, très saint homme de Dieu, de prier et d'intercéder
pour moi, lorsque, par votre parole, vous ferez descendre le
Verbe divin, et que, par une incision non sanglante, vous divi-
serez le corps et le sang du Seigneur, votre parole vous servant
de couteau, lhC('I &'v(l~WixTt'.p "t'O!-Ln m-;)f1.a xat C(!!l-(l Téflv7)e; 8"Ecr7tOnXOV,
cp(Ùv·~'1 €XW'J "TO ~(cpoÇ)).
A toutes les époques l'Eglise introduit dans ses célébrations
les thèmes considérés comme les plus importants pour la sau-
vegarde de ]' orthodoxie en face de menaces de déviations héré-
tiques.

1) Photius le Grand, ayant en vue tous ces points men-


tionnés ci-dessus, a prêché le «pluralisme» des formes liturgi-
ques dans leur unité profonde. De cette façon il exprime le vrai
esprit œcuménique dans le domaine liturgique. Il souligna l'unité
de la foi dans la pluralité des coutumes liturgiques. A son avis,
Je culte peut utiliser de langues de chaque pays, de différents
[ormes et types de lettres de l'alphabet, «iJ.'AM. crx~fL~"'~ xo:l "'Û1tOUç
YPC(Il-f1.OCTWV» et «&'7t~XlJm'l xat O"7)!-L(lcr(a'l cpW\l~ç É:TEpOEL8"~ "TE xrt.t &'ÀÀo-
TpLwTa"'/'Jn. Photius ne considérait pas comme incompatibles avec
l'esprit orthodoxe les différences existant dans chaque pays en
ce qui concerne la matière, la forme, la couleur et le style des
icônes, de la croix et des autres objets liturgiques. Pour les
construire, disait-il, on peut utiliser de l'or, de l'argent, du
bronze ou d'autres matériaux, et plusieurs couleurs.
Le culte, selon Photius, diffère selon les traditions et habi-
tudes locales en ce qui concerne les sacrifices mystiques et les
autres services divins, les prières, les invocations, le rituel et
l'ordre, le raccourcissement ou le prolongement des offices
390 EVANGELOS THEODORQU

(8~C(cpopàv xa.t &'1o~m6"nrrC( '" E\I TClrC; tLucrTmexLç 6ucr(cx:~ç x0:1 TC(LÇ IiÀ-
l,en:; lE?oupyLC(~ç ... , Èv 'rlû::; EllXCf.LC;, EV TOC!Ç È7nxÀ~aE(n'J,." ÊV TOC~E~
&xoÀouO[q: .. " È'J Tep TOÜ Xp6\lOU f.L~XEL XOCL -rn ~pC(8u'nrn, EV 7tÀ~fk~ xcd
àÀ~y61'1)T~» ).
Malgré ces différences liturgiques locales, " le pain commun
se transforme en corps du Christ et le vin commun en sang
pour notre salut» ((( 0 XG~\làç cipTO::; de; crNf.lO: Xp~aTou f.LETOC~OCÀÀETc(~
xo:t 0 xmvoç DIvo::; oclf.L1X Xpl)f.LOCTL~E~ TOÜ À\JTpOU ·~!LWV») .
Photius, d'une façon très caractéristique, ajoute: "La plu-
ralité et les différences dont nous avons parlé, ne nous empê-
chent pas de recevoir la grâce unifiante et déifiante de l'Esprit-
Saint» (w~ TW'I dp1Jf.LÉvCù'l É:'t'EpO'r-f}C; TE xoct 7tOCpClÀÀOCylJ TI)V É\loE~a1; xcà
&E07tO'.Ov Xr!t.pLV TOU TI VEO!J.OCTO::; ... 07to3éÇaa&cH ... où QLExWÀuaE:v»).
C'est dans des termes similaires que le Concile de Constanti-
nople de 879-880, à l'occasion duquel Photius s'était reconcilié
avec Rome, a édicté le canon suivant: "Chacune de deux Egli-
ses a un certain nombre de vieilles coutumes traditionnelles.
Celles-ci ne devraient représenter ni un sujet de discussion, ni
un sujet de discorde. Il est juste que l'Eglise romaine main-
tienne ses coutumes. Mais également, que l'Eglise de Constan-
tinople maintienne les quelques coutumes qu'elle a héritées du
passé. Ceci sera également valable pour les autres sièges épisco-
paux de l'Orient ".
Malgré l'existence de cette diversité des formes liturgiques,
l'histoire du culte prouve que la différenciation de ces formes
s'opère non seulement dans les limites qu'exige l'unité de la foi,
mais aussi dans le cadre ecclésiologique auquel l'élément divin
est immuable. Le changement constitue le trait caractéristique
des éléments humains du culte.
La différenciation des formes du culte est aussi déterminée
par la requête de l'édification de l'Eglise, de telle manière, néan-
moins, à eviter tout scandale et schisme.
Les formes nouvelles se tiennent dans une sorte de péricho-
rèse, afin que le mouvement de multiplication, face auquel noUS
nous trouvons, ne devienne pas une dispersion.
Saint Augustin avait vu dans la diversité des coutumes une
des raisons de la beauté de l'Eglise du Christ. Les différentes for-
mes liturgiques sont les branches d'un seul et même arbre spi-
rituel, qui est animé par la même ({ entéléchie» et le même
------=~:::
UNITÉ DE LA FOI ET PLURALISME LITURGIQlJE 391

suc vital. La multiplicité des formes d'expression cultuelle rap-


pelle la diversité des sons et instruments, qui viennent hausser
la richesse et l'attrait de la symphonie unique de la vie litur-
gique. Depuis les temps apostoliques jusqu'à nos jours, la toni-
que en est la même, à savoir l'exspérience faite par les fidèles
d'avoir part à la vie mystique du Seigneur. De plus, cette même
et immuable tonique fait mieux ressortir la vérité que « tous les
baptisés sont un dans le Christ qui est tout en tous; il n'y a qu'une
foi, un seul baptême, un seul Pain que nous rompons, une seule
coupe du Sang du Christ, un seul Corps ».

***

De tout ce qui a été dit, on peut en conclure que l'oecumé-


nisme pourrait éviter des orientations dangereuses en refusant
d'entrer à des discussions studieuses qui visent à un accord par
investigation intellectuelle sur des mystères divins inintelligibles.
Par contre, il pourrait s'appuyer davantage à la vie liturgique
des Eglises, comme cela se fait tellement bien par les semai-
nes liturgiques, qui sont organisées chaque année ici à l'Institut
Saint Serge.
L'Eglise est la récapitulation de toutes choses; elle assimile
dans son milieu écologique de nouveaux éléments. Par son expé-
rience spirituelle et son ambiance, elle ennoblit les différentes
traditions locales et les nouvelles formes d'expression.
L'Eglise assimile toujours des éléments homogènes, homo-
logues et égaux qui, selon le moment, l'époque et le peuple, repré-
sentent toujours des vases de même valeur où est recueilli son
trésor céleste; ces vases reçoivent tous les reflets et rayons de
la lumière incréée du Mont-Thabor. Dans le prisme de la vie ecclé-
siale, cette lumière est comme soumise à une analyse spectrale
en montrant toutes les couleurs superbes de l'arc-en-ciel.
C'est à l'Eglise d'offrir l'eau qui est comme «une source
jaillissant pour la vie éternelle» (Jn 4,14) et qui pénètre dans
les différentes plantes des structures personnelles spirituelles,
dans chaque contexte historique, national et culturel particulier.
« C'est ainsi que - comme le disait Cyrille de Jérusalem - elle
deviendra blanche dans le lys, rouge dans la rose, pourprée dans
les violettes et dans les jacinthes, multicolore et variée dans les
392 EVANGELOS THEODORQU

différentes formes (des plantes); dans le palmier, elle deviendra


autre chose que dans la vigne et dans toutes les plantes, elle
prendra toutes les formes ... Le Saint-Esprit, tout en étant un,
indivisible et existant sous une seule forme, distribue à chacun
la grâce, comme il l'entend ».
En vérité, « l'Esprit Saint souffle 0,] il veut" (In 3,7), afin
de nOus montrer que la vie ecclésiale ne consiste pas dans un
conformisme statique.
Par le dialogue œcuménique est-il ressorti clairement que
la teneur des formules liturgiques en Orient et en Occident est
assez souvent la même, bien que les modes d'expression en soient
différents. Une étude approfondie et plus objective du cadre
historique des confrontations concrètes, dans lesquelles se sont
développées les différences liturgiques, pourrait ouvrir des sour-
ces inouïes de compréhension et d'accord mutuels.
De nombreuses différences peuvent donner des applications
utiles multiples pour une synthèse théologique entre l'Orient et
l'Occident. En nombre de cas, les différences ne sont que les
différentes expressions ou présentations d'une seule et même
expérience spirituelle ou les différentes dimensions et aspects
de la même tendance cultuelle. Assez souvent, il faut remplacer
l'alternative du « ou-ou» par le compromis du « aussi bien que ... »,
Voyons un example: la transformation du pain et du vin en le
corps et en le sang du Christ ne se produit ni seulement par la
récitation des paroles d'institution, ni seulement par l'épiclèse,
mais aussi bien par les paroles d'institution que par l'invocation
du Saint-Esprit.
Finalement, nous devons comprendre que la seule voie pos-
sible pour surmonter l'aliénation séculaire et pour parvenir à
la pleine réunification dans la foi et dans la communauté sacra-
mentelle est exprimée de la meilleure façon possible dans ces
termes, qui sont comme le résumé de mon exposé: L'unité dans
le nécessaire, c'est-à-dire dans la vérité de la foi, la liberté dans
les cas douteux et, en tout, l'amour: in necessariis unit as, in
dubiis libertas, in omnibus caritas. L'absence de cette « caritas »
a contribué à ce que des montagnes d'ignorances, de malenten-
dus, de ressentiments et de rivalités se sont dressées entre nous;
les pamphlets ainsi que le souvenir des mauvais traitements et
des persécutions n'ont fait que les agrandir. La liturgie byzan-
tine fait allusion à cette « cari tas » comme « conditio sine qua
UNITÉ DE LA FOI ET PLURALISME LITURGIQUE 393

non)} et comme attitude nécessaire pour la profession de foi com-


mune, lorsque, avant le Credo, le célébrant s'adresse aux fidèles
en les exhortant par ces paroles: «Aimons-nous les uns les autres
afin que nous puissions, dans un seul esprit, confesser le Père,
le Fils et le Saint-Esprit, Trinité consubstantielle et indivisible"
(( 'AylX1t"~crw/-lE:1J &ÀÀ~ÀouçJ LI/IX È:IJ O/-lOlJo[Cf 6~oÀoy1jcrW/-lE:1J ncnÉpoc,Y~à\l
XIXL "Ay~ov Il '1e:Ù/-l1X , Tp~oc30'. O/-lOOUcrLOV XOCL &.XWp~crTOV»).

Evangelos THEODOROU

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