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L’ÉVOLUTION

DE LA CINQUANTAINE PA SC A LE
AU COURS
DES CINQ PREMIERS SIÈCLES
BIBLIOTHÈQUE DE LITURGIE

ROBERT CAB1É

DIRECTEUR AU GRAND SÉMINAIRE DE TOULOUSE-ALBI

LA PENTECÔTE
L ’évolution de la Cinquantaine pascale
au cours des cinq premiers siècles

DESCLÉE
Bibliothèque de Liturgie
sous la direction de
A.-G. MARTIMORT
N ih il obstat :

A. G . M a r tim o r t
prof, in Facultate theol, Tolosan,

I m prim atur :

Albiensi, die 2 ia junii 1964


+ Claudius D upuy
archiepiscopus Albiensis.

Copyright © 1965 by D e s c lé e & Co, Tournai (Belgium)

Ail rights reserved

Prlnted in Belgium
INTRODUCTION

Le mystère pascal semble retrouver dans la spiritualité de notre


époque la place qu’il occupait dans la vie des premières générations
chrétiennes. Aux yeux des nombreux fidèles à qui les réformes de
Pie XII ont rendu l’intelligence de sa célébration, il apparaît comme
le foyer et la source de tout le mystère de la foi, tel que l’Église le vit
depuis toujours, longtemps obscurci cependant dans la mentalité
commune par le fléchissement de l’esprit liturgique.
Les recherches historiques ont largement contribué à ce
renouveau. Il est toutefois surprenant qu’elles se soient tournées
surtout vers le Carême et la Semaine Sainte, alors que la Cinquantaine
pascale faisait l’objet d’une moindre curiosité scientifique, bien qu’elle
fût le noyau primitif de toute la célébration. Cela explique peut-être
que la récente Constitution conciliaire De Sacra Liturgia ne fasse
aucune place à ce temps, dans ses projets de réforme de l’année
liturgique. Il est vrai que cette solennité a subi de telles transformations
depuis ses origines, qu’il est difficile d’être sensible, au premier abord,
à l’importance exceptionnelle que lui conférait l’ancienne tradition.
Cependant, plusieurs articles, publiés dans des dictionnaires ou des
périodiques divers, ont abordé la question de l’apparition et
de l’évolution de la Pentecôte, mettant en œuvre l’essentiel de
la documentation que l’on a pu recueillir jusqu’à ces dernières années.
L ’article Pentecôte, dans le Dictionnaire d*Archéologie chrétienne
et de Liturgie, dû à la plume de H. Leclercq, cite lès témoignages les
plus importants, mais de nouvelles découvertes ont rendu caduques
plus d’une de ses conclusions. C ’est sans doute l’étude magistrale
d’O. Casel, dans le Jahrhuch fur Liturgiewissenschaft, publiée comme
la précédenté à la veille de la dernière guerre, qui a le plus contribué
au renouveau du mystère pascal tel qu’il fut d’abord célébré : là
Cinquantaine y apparaît comme la véritable fête de la nouvelle Alliance
s’étendant sur sept semaines, jusqu’à ce que se produise, au cours
du IVe siècle, l’évolution qui devait aboutir à l’organisation actuelle.
Cet article restera à la base de toute recherche ultérieure sur ce sujet,
mais on ne pouvait manquer de reprendre le problème qu’il soulevait
en affirmant que la solennité chrétienne ne devait à la Pentecôte jüive
que sa date et son nom. Le travail fort bien documenté d’un théologien
protestant, G. Kretschmar, paru en 1955 dans la Zeitschriftfur Kirchen-
geschichte, a cherché dans les écrits des Apôtres, dans l’Ancien
6 Introduction

Testament et même chez les commentateurs juifs les racines des


traditions primitives, parfois divergentes, relatives à la Cinquantaine
pascale. Une dissertation plus ample a été consacrée à cette question
des origines de la fête par J. Boeckh, dans le Jahrbuch für Liturgik und
Hytnnologie de i960, sous le titre Die Entwicklung der altkirchlichen
Pentekoste; un tel exposé pourrait faire hésiter à poursuivre l’investi­
gation de la documentation dont nous disposons; il nous a semblé
cependant susceptible d’approfondissements, de compléments assez
importants, voire d’un éclairage nouveau. A ces travaux essentiels,
il faut ajouter le chapitre consacré à la Pentecôte, en 1953, dans
l’ouvrage de Mac-Arthur sur l’Année liturgique, ainsi que de
nombreuses recherches sur certains points particuliers, telles celles
d’A. Baumstark.
A partir de ces études plus ou moins épisodiques ou partielles,
une synthèse pouvait être tentée. Peut-être est-elle prématurée, en
raison des nombreuses lacunes qui subsistent dans la documentation;
si nous l’avons entreprise, c’est surtout pour mettre en lumière les pro­
blèmes qui restent en suspens, en indiquant les solutions qui nous ont
paru actuellement les plus légitimes. A chaque étape de notre travail,
nous nous sommes senti, dans une large mesure, tributaire des auteurs
dont nous venons de parler. Nous nous devons donc de leur rendre
hommage, pour toutes les richesses qu’ils nous ont léguées.
Il nous a semblé utile cependant de poursuivre leur recherche.
Nous nous sommes attaché surtout à harmoniser entre eux les
témoignages déjà recueillis et leur rapprochement nous a parfois
éclairé sur l’interprétation des plus controversés. Quelques nouvelles
pièces versées au dossier ont aussi contribué à démêler certaines
difficultés. En outre, le cadre plus.vaste de notre travail nous a sans
doute permis d’apporter des précisions ou des nuances auxquelles
une synthèse aux dimensions d’un article ne peut guère prétendre.
Dans tous les domaines de l’histoire de la liturgie, les usages sont
tellement variables d’une Église à l’autre, leur évolution s’opère,
selon les lieux et les circonstances, à des rythmes si différents, que
l’on est souvent tenté de donner à des documents trop rares une
extension qu’ils ne peuvent avoir; seule, une étude d’ensemble peut
alors mettre en lumière de telles limitations et certains témoignages
fort secondaires, qui n’ont pas de place dans une étude sommaire,
peuvent constituer des jalons qui remettent en question les hypothèses
trop rapidement élaborées.
Comme l’a souligné O. Casel, les transformations essentielles
subies par la Cinquantaine pascale sont à peu près accomplies à la fin
Introduction 7

du Ve siècle. Notre étude se borne donc approximativement à la période


qui se termine à cette date, tout en s’étendant à l’ensemble des Églises
du monde chrétien. Nous nous sommes contenté d’indiquer briève­
ment l’évolution ultérieure, lorsque cela nous a semblé nécessaire.
Au moment où nous terminions notre travail, M. l’Abbé Delcor,
professeur d’Écriture Sainte à l’Institut Catholique de Toulouse,
commençait à rédiger l’article Pentecôte pour le Supplément du
Dictionnaire de la Bible. Il a bien voulu nous faire part de ses découvertes
et, grâce aux conclusions qu’il a tirées de ses recherches à partir des
documents de Qumran, nous avons pu revoir nos propres réflexions
sur les liens de la Pentecôte chrétienne avec la fête juive de l’Alliance.
Nous tenons enfin à exprimer notre reconnaissance aux spécialistes
de la patristique ou de l’histoire de la liturgie que nous avons été
amené à consulter, pour l’accueil bienveillant que nous avons trouvé
auprès d’eux. Nous devons aussi remercier ceux qui nous ont facilité
l’accès des bibliothèques de Louvain, de Paris ou de Rome, spéciale­
ment de la Vaticane. C’est une gratitude toute particulière que nous
devons à M. le Chanoine Martimort, professeur à l’Institut Catholique
de Toulouse : il nous a lui-même suggéré le sujet de cette étude et
il nous a toujours permis d’abuser de sa bibliothèque, de sa compétence,
de sa patience et de son temps.
Grâce à tous ces concours, nous avons pu réaliser la synthèse
que nous proposons aujourd'hui au jugement du lecteur, sans autre
prétention que celle — qu’il trouvera peut-être présomptueuse —
de pénétrer avec lui dans une meilleure intelligence du Mystère pascal
LISTE DES ABRÉVIATIONS
POUR LES OUVRAGES LE PLUS SOUVENT CITÉS

BLE Bulletin de littérature ecclésiastiquey Institut Catholique de T ou lou se.

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GCS Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhundertey


hrsg. von d er... deutschen Akadem ie der W issenschaften zu
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JTS Journal o f theological studies, L ond on , M acm illan, puis Oxford*


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CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

LA PENTECÔTE JUIVE AU TEMPS DU CHRIST

Si nous entrons dans une église, un jour de Pentecôte, que ce soit


en Orient ou en Occident, dans une communauté catholique ou
séparée de Rome, nous entendrons, proclamé solennellement, le récit
de la théophanie de l’Esprit-Saint rapporté au chapitre II des Actes
des Apôtres, comme l’événement qui donne la clé de tout le reste de
ce livre, où il est pour ainsi dire présent à chaque page. Saint Luc
prend soin de nous en donner la date : èv Tcji aujjmXvjpoueOai rrçv Yjfzépav
-rîjÇ 7teVT)QX0 aTY)Ç.
Ce dernier mot était employé par tous les Juifs de langue grecque
pour désigner la fête du cinquantième jour après la Pâque. Au moment
où, d’après le texte sacré, les disciples réunis au cénacle recevaient
la grâce qui allait transformer leur vie, les fidèles de la Synagogue,
selon l’enseignement de la Tora, célébraient l’une des grandes solennités
du calendrier d’Israël. Peut-on penser que les onze, Juifs pieux,
n’étaient pas en communion de sentiments et de prière avec leurs
frères dans la foi? Sous leurs yeux, tandis qu’ils prêchaient pour la
première fois la résurrection du Sauveur, s’étendait la foule de ceux
qui étaient venus à Jérusalem pour 'l’une des trois grandes fêtes de
pèlerinage, et dans leurs cœurs la Pentecôte de leurs Pères devait se
mêler à la venue du Paraclet et mettre sa marque sur ce qu’ils
éprouvaient en ce moment unique, pour influencer, peut-être, la
manière dont ils en parleraient et l’annonceraient au monde.
Avant même de nous demander si la solennité que nous célébrons
est en rupture ou en continuité avec celle des Juifs, il importe donc de
savoir ce qu’était, pour les premiers disciples du Christ, la TOVTïptoadj
d’Israël, ce qu’elle signifiait pour tous ces «hommes pieux qui résidaient
à Jérusalem, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel»
(Act.,- II, 5).

I . LA PENTECÔTE JUIVE, FÊTE DE LA MOISSON

Dans la plupart des textes scripturaires et dans le judaïsme


officiel, la Pentecôte apparaît comme la fête de la moisson. Le Code
de l'Alliance (Ex., XXIII, I 4-I 7) prescrit l’observation des trois
solennités du calendrier d’Israël : la «fête des Azymes », la «fête de la
i6 L a Pentecôte juive au temps du Christ.

moisson » (TXj?n *0) et «la fête de la récolte, à la -fin de l’année ».


La première se présente comme la commémoraison de la sortie
d’Égypte, bien qu’elle ait été sans doute d’abord une solennité agraire
antérieure à cet événement. Les deux autres continuent à se référer
à la vie d’un peuple de cultivateurs : il s’agit de donner un caractère
sacré aux grandes étapes d’une aimée agricole qui commence en
automne, au moment des semailles et dont l’époque de la moisson est
l’un des sommets : «Tu observeras la *r>xj?n ïn, la fête des prémices
de ton travail, de ce que tu auras semé dans ton champs. »
Dans Ex., XXXIV, 22 (prescriptions reçues par Moïse au Sinaï)»
on retrouve la mention dés «premiers produits de la moisson des blés »,
mais la solennité est désignée du nom de ninatf jn, fête des semaines.
D ’après le chapitre XVI du Deutêronome, elle doit être célébrée
risquante jours après que «la faucille aura commencé à couper les
épis », sans d’ailleurs qu'aucun lien soit explicitement marqué entre
la Pâque et le début de la moisson1. Le Code de YAlliance ne semble
pas faire de distinction entre ces deux étapes et H. Cazelles2a proposé
une hypothèse, pour expliquer cette difficulté : il n’y aurait eu d’abord
qu’une seule célébration comportant l'offrande des prémices et nommée
nixnfr Jn. Cette racine hébraïque signifierait «fête du rassasiement»,
car c’était le moment où les produits de la terre réapparaissaient aux
repas. Ce caractère se serait estompé avec les développements de
l’agriculture permettant d’utiliser toute l’année les produits du sol,
et l’on n’aurait plus compris l’étymologie de nixafr3. D’autre part, en
pénétrant en Palestine, les Hébreux qui pouvaient faire la récolte
un mois plus tôt qu’à Moab ont voulu rester fidèles à la date que
continuaient à suivre les tribus transjordaniennes. On aurait arrondi
à sept semaines, sous l’influence d’une étymologie nouvelle, où la
racine sb' aurait remplacé sb‘, à la faveur d’une différence de pronon­
ciation d’une région à l’autre, ce qui aurait donné le nom de fête des
semaines *.

1 L e Deutêronome prescrit les trois solennités qu'il nomme fête des Azymes,
fête des Semaines et fête des Tentes. L e livre a connu des rédactions successives;
la mention de Jérusalem, par exemple, «lieu choisi par le Seigneur pour y faire habiter
son nom », manifeste une intention centraliste qui ne peut venir du document primitif
C'est cependant à la couche la plus ancienne qu'il faut attribuer, semble-t-il, la mention
des trois grandes solennités.
* H. C a z e lle s , Études sur le Code de VAlliancey Paris, Letouzey et Ané, 1946,
p. 99 »
* Il est possible que la fête ait une origine chananéenne, mais elle a pris en
Israël un sens proprement yahwiste.
* * Peut-être aussi les incertitudes du calendrier ont-elles joué un rôle avec le
décalage qu’il produit entre le cours des étoiles et le temps de la moisson, proprement
solaire » (H. C a z e lle s , ibid.).
La Pentecôte juive, fête de la moisson 17

La fête des Azymes se présente elle-même comme une célébration


agraire dans les Nombres (ch. XXVIII) et dans le Lévitique (ch. XXIII) :
c’est l’offrande de la première gerbe. L ’ordonnance qu’attestent ces
deux livres est certainement postérieure à l’exil. Le nombre des
solennités a augmenté, puisque la fête des Trompettes et celle de
l’Expiation s’ajoutent aux trois premières et une date fixe leur est
attribuée (la Pâque est le quatorzième jour du premier mois), alors
qu’elles dépendaient primitivement de l’état des récoltes1. Seule la
fête des semaines fait exception; elle se situe après «sept semaines
comptées à partir du lendemain du sabbat (natën rnn»») » (Lev.,
XXIII, 15). On sait que cette expression a donné lieu à des pratiques
divergentes : tandis que les Pharisiens, entendant par «sabbat» le
premier jour des Azymes, commençaient à compter dès le seizième jour
du mois2, il existe toute une tradition qui prend ce terme à la lettre,
si bien que le cinquantième jour, qui est le même jour de la semaine
que le premier, est toujours un lendemain de sabbat. Ce dernier usage
était en vigueur chez les Boethusiens, qui constituaient un groupe
à l’intérieur de celui des Sadducéens et on le trouve aussi dans l’un
des courants de la spiritualité samaritaine 3. Il est intéressant pour
notre sujet de noter que de nombreux Juifs célébraient déjà la Pentecôte
le premier jour de la semaine, celui auquel cette fête est attachée dans
la liturgie chrétienne.
La solennité de niyaiÿ apparaît, dans tous ces passages bibliques,
comme une fête d’action de grâces pour la moisson et consiste, selon
le rituel des Nombres et du Lévitique, à offrir des fruits de la récolte
accompagnés de sacrifices. Les commentaires rabbiniques s’étendent
longuement sur la matière de cette offrande de prémices et sur le
cérémonial à observer, afin de concilier les prescriptions un peu
différentes des divers textes scripturaires. Nous n’avons pas à entrer
dans ces explications, d’ailleurs fort compliquées, mais il n’est sans
doute pas inutile de souligner le caractère joyeux et festif du temps de
la moisson, manifesté par d’autres passages de la Bible; Isaïe, par

1 U Exode (X X III, 15 et X X X IV , 18) et le Deutéronome (X VI, 1) fixent la


Pâque au mois d’Abib, mais la racine M N ne désigne pas autre chose que le fait de
porter du fruit et 3 **?^ signifie l’épi de blé. Un peu plus tard les mois de l’année
(qui commence alors au printemps) seront simplement numérotés. Ce n’est qu’un
siècle après l’exil qu’on emploiera les noms babyloniens (Nisart pour le premier mois,
Siwan pour le troisième, etc...).
2 Selon le comput officiel, d’inspiration pharisienne, le cinquantième jour
après le 16 nisan sera le 6 siwan, date corroborée par les Targumim, Philon et Josèphe.
8 Pour plus de détails sur la question assez compliquée des différents computs
relatifs à la fête des semaines, se rapporter à M. D e lc o r , Pentecôte dans Supplément
du Dictionnaire de la Bible, t. V II, 1964, c. 861 et suiv. , k
18 La Pentecôte juive au temps du Christ

exemple, s’adresse à Dieu en ces termes : «Tu as multiplié leur allé­


gresse, tu as fait éclater leur joie; ils se réjouissent devant toi, comme
on se réjouit à la moisson... » (Is., IX, 2); Jérémie parle du Seigneur
qui «nous assure des semaines fixes pour la moisson» (Jer., V, 24)
et l’on ne peut manquer d’évoquer le psaume 125 : « On s’en vient en
chantant; on rapporte les gerbes. » (Ps. CXXV Vulg, 6). La récolte des
céréales commençait en Palestine avec l’orge, au temps de la Pâque et
se terminait à la Pentecôte avec le froment. La fête, des semaines
était donc la clôture de la moisson, comme celle des Tabernacles
célébrait la fin de la récolte des fruits. Elle donnait lieu à des cérémonies
d’action de grâces et à des réjouissances. D ’après les Bikkurim> le
peuple des campagnes se rassemblait dans la ville la plus proche;
de là, on partait en procession vers Jérusalem au son des flûtes et en
chantant des cantiques. Souvent un taureau destiné au sacrifice
ouvrait la marche; ses cornes étaient dorées et ornées de guirlandes
de feuilles d’olivier. Les chefs et les notables de la cité sainte venaient
à la rencontre des pèlerins qu’ils conduisaient au Temple où les lévites
entonnaient le psaume XXX. Celui qui présentait les prémices récitait
la formule biblique prescrite et accomplissait en même temps que
le prêtre le geste du «balancement» des dons, puis on déposait
l’offrande devant l’autel et on se prosternaitx.
C’est cette conception de la fête de la moisson que nous trouvons,
à la fin de l’époque paléo-testamentaire, chez Philon, un contemporain
de Jésus :
« L e cinquantième jour, écrit-il, après sept semaines com ptées
à partir de ce jour (la Pâque), on a coutum e d ’offrir des pains qui sont
légitimement nommés pains de prém ices, puisqu’ils sont les prem iers
fruits de la nature et les premiers produits du travail de la terre, donnés
par D ieu à l’homme qui est le plus civilisé des êtres v iv a n ts2. »

Flavius Josèphe, qui écrivait au Ier siècle de notre ère, présente


la solennité de la même manière. Il la nomme TOVTrçxoaTvj, terme
que les Septante n’emploient que deux fois, et toujours en ce sens,
dans des passages dont nous n’avons malheureusement pas de

1 Bikkurim, III, trad. M . Sch w ab, Le Talmud de Jérusalem, II, Paris, Maison-
neuve, i960, p. 382-390. Pour toutes les indications concernant la tradition rabbinique,
nous sommes tributaires de K . Hrubi, d’après des notes polycopiées du cours qu’il
a donné à l’Institut Supérieur de Liturgie en 1963 sur « Les Cycles des fêtes de l’année
juive. »
* P h ilo n , De Decalogo, 160, éd. L . C o h n , Berlin, 1906, p. 304. « ...x a l t?)v
ànb TaÔT7)ç xaTapiO[xoi)(jLévrjv èrera êpSopuxatv 7revr/)xooT^v 7)|iépav èv 7upoaàyeiv
à'prouç ëOoç, ol xaXouvTai 7rp<0T0yevve|iàTG>v êrùpMDç, è7uei8r)7rep elatv àTcapx*?}
ysvvepuÉTaiv x a l xap^ôv fjfxépou Tpo<pyjç, ■
Jjv àv 0 ptù7rCî> ^[zepcoTaTCp Çcjxov arcévetpiev
ô 0e6ç... *
La Pentecôte juive, fête de la moisson 19

correspondant hébreu ; Tobie, II, 1 et 2 Macc., XII, 32l. C’est donc


en mentionnant les sept fois sept jours qu’il en précise la date :
« L ors de la Pentecôte (les Juifs nom m ent ainsi une fête qui arrive
au bout de sept semaines et tire son hom du nom bre de ces jours)... * »
« U n e semaine de semaines s’étant écoulée après ce sacrifice (Pâque)
— les jours de ces semaines sont au nom bre de quarante-neuf — le
cinquantième jour, que les H ébreux appellent « asartha », m ot qui
désigne la Pentecôte, ils offrent à D ieu du pain de farine d ’orge ’ . »

Dans la littérature rabbinique, la Pentecôte est nommée nisati *n


ou B’Bton in (cinquantième jour), mais on trouve aussi rnss? dont
Josèphe cite la forme araméenne, Asartha4. Ce terme, par son étymo­
logie, évoque l’idée d’une conclusion et on l’emploie pour désigner
la réunion du peuple, à la fin d’une solennité. C ’est ainsi qu’il en est
venu à signifier un rassemblement solennel, comme l’attestent plusieurs
passages de l’Écriture5. La fête des semaines est donc un jour
d’assemblée et c’est là sans doute un de ses aspects essentiels, conforme
aux prescriptions du Lévitique : «Ce même jour, vous ferez une
convocation; ce sera pour vous une convocation sacrée (tfT p N h j?» )... »
(Lev., XXIII, 21). Josèphe souligne que les Juifs affluaient à Jérusalem
non seulement de la Judée, mais de la Galilée, de l’Idumée, de Jéricho
et d’au-delà du Jourdain “. Mais il ajoute que, l’année dont il est
question, ce fut moins leur dévotion que la haine de Sabinus qui les
fit venir. Ces grands rassemblements, en effet, dans les époques

1 Notons que ce terme devait être d'un usage récent ou du moins peu généralisé,
puisqu’il est expliqué en Tob.y II, i (èv tj} 7revT/)xocnrïj êopTjj, ècmv à y la
ércrà êpSofxà&cov) et en quelque sorte excusé en 2 M a c c X II, 32 (Mexà XeyoïAévTQV
7rev'n)xoaT7)v).
1 F. Josèphe, La Guerre des Juifs, I I , iii, 15 éd. B. N iese, Berlin, 1887, t. 6,
p. 162. « ...èvcTàcnjç 8k TÎjç TrevrrçxoaTÎjç, oütg> xaXoualv tlvûc èopr^v 'Iou&aïot
Trap' èirvà yivo|x£vy]v êp8op.à8aç xal t 6v àpiôp.6v t û v ^(xepcov TrpoarjYoplav ë^oucav... »
* Antiquités Judaïques, III, x, 65 op. cit., t. I, p. 208. « 'Ep86fx7)ç èpBojxàBoç
SieYeYsvTjfxévrçç p,erà vaérqv r?)v Oualav, aQxat 8'elalv al tg>v épBojxàSwv ^[xépat
Tcaaapàxovra xal èwéa, [vf) 7uevT7)xoaTfl], ‘Eppatoi àaapOà xaXouaiv, <T7jfxalvei
8è touto 7revT7)xoaT7)V, xaô’vjv repodayouat t ü Oeqî fipTOv àXçtTOV... »
4 H. L . S t r a c k et P. B ille r b e c k , Kommentar zur neuen Testament aus Taîmud
und Midraschy II, München, 1924, p. 597.
8 Notons que les Septante traduisent le terme par des mots différents. Cf. :
,
Jer.y IX , 1 (aévoBoç), Am.y V, 21 (7wcvY)yéptç), 4 Rois X , 20 (lepeta), Lev.y X X III, 36,
Nomb.y X IX , 35 (èÇéStov), etc...
6 Josèphe, op. cit.y X V II, x , 2; t. 4, p. 118 « ... 7ràvu rcoXXal TaXiXalwv t c x a l
TBoufzalwv, Tepixotmlow t s 9jv 7tX7)0ùç x al ôtt6coi 7repàaavTi 'Iop&àvrjv TCOTafièv
otxoücriv, aÛT<ov Te TouBalov ttXyJOoç Trpèç 7càvTaç auveiXéxavo... » cf. aussi 1 La
Guerre des JuifsyII, iii, 1, op. d t ., t. 6, p. 162.
20 La Pentecôte juive au temps du Christ

troublées, étaient l’occasion de mouvements populaires. Ainsi, une


autre fois, 1
«lors de la fête qui est appelée Pentecôte, tout l ’em placem ent
entourant le temple et la ville tout entière étaient pleins de gens venus
de la campagne, dont la plupart étaient arm és1 ».

«Vous ne ferez aucune œuvre servile», poursuit le texte du


Lévitique auquel nous venons de nous référer. Josèphe nous apprend
que ce jour était chômé, au même titre que le sabbat, puisque les Juifs
qui accompagnaient Antiochus Sother dans une guerre contre les
Parthes obtinrent qu’on s’arrêtât deux jours :
« C ar la fête de la Pentecôte allait tom ber après le sabbat et il ne
nous est pas permis de faire route, ni le sabbat, ni le jour de la f ê t e 2. »

D’après le témoignage de Philon et de Josèphe, la Pentecôte est


donc célébrée, selon les prescriptions des Livres saints, comme une
cérémonie d’aotion de grâces pour la moisson, comportant une offrande
de prémices; elle est l’occasion d’une assemblée solennelle du peuple
et se situe dans le temps sept semaines après la Pâque, ce qui la met
en dépendance de la fête des Azymes qui demeure la principale,
la plus grande de toutes. Il est remarquable que cette conception ait
déjà inspiré à Philon la présentation symbolique qui sera si souvent
répétée par les Pères de l’Église :
« E n comptant sept semaines à partir de cette fête (la Pâque), on
obtient le cinquantième jour, le nom bre sacré étant m arqué d ’un sceau
libérateur par l’unité qui est l ’image du D ieu incorporel à qui elle est
sem blable par son u n ic ité s. »

C’est donc d’un courant de pensée israélite que la littérature


chrétienne se fera l’héritière, en utilisant cette image du «sceau»,
si adéquate à exprimer le caractère spécifique de la Pentecôte
nouvelle.

1 La Guerre des Juifs, I, xiii, 3 ; t. 6, p. 57. « ’EvoTaarjç S’ êopTÎjç 1) Trevnjxoor})


xaX eïxai, xà. t e xepl x i lepiv tràvxa x a l r\ 7t6Xiç SX?) xXŸjOouç xciv ànb xîjç ^wpaç
àvantpiTrXaTat x6 xXéov ÔJtXtxtûv... »; cf. aussi : An t. Jud., X IV , xiii, 4 ; t. 3, p. 301.
a Antiquités judaïques, X I I I , viii, 4; t. 3, p. 198. « ...èvéoxi) yàp •?) 7tevTV)Xoor))
èopTT) ptEtà x6 aâppaxov, oùx gÇeaxi 8’r)|xïv oüxe xotç aappâxoiç oüx’èv xj) êopxjj
ôSeôeiv. »
• P h ilo n , De specialtbus legibus, II , 21 ; éd. L . C o h n , Berlin, 1906, V , p. 130.
« ’Anb yàp Ixelvr)ç ^pépa 7ievxï]X0ctxT) xaxaptOpteîxat ênxà êpSopiâotv, àçéascoç
lepèv àpiOjxèv è7rta<ppaYi£o(iév»)<; povâSoç, ijxiç êoxiv âac&paxoç OeoO elxc&v, o> x a x à
xi)V pôvtoaiv IÇopiotoüxat. *
La Pentecôte juive, commémoraison de Valliance du Sinai 21

2 . LA PENTECÔTE JUIVE,
COMMÉMORAISON DE L ’ALLIANCE DU SINAÏ

Si la Pentecôte est la fête de la moisson, il semble qu’elle ait déjà


eu, à l’époque du Christ, une autre signification : elle était célébrée, au
moins dans certains cercles du Judaïsme, comme l’anniversaire du don
de la Loi au Sinaï. Pour les Juifs d’aujourd’hui, la fête a nettement
le sens d’une commémoraison de cet événement, exactement comme
la Pâque évoque la sortie d’Ëgypte. E. Lohse1 pense que la destruction
du temple, en 70, en rendant impossible les rites d’offrande de la
moisson, aurait contribué à donner à la solennité une orientation
nouvelle. «Le premier témoin sûr, ajoute-t-il, que, selon l’opinion
des Rabbins, le don de la Loi avait eu lieu le jour de la Pentecôte,
est Rabbi José ben Chalapta (vers 150). Il dit : Au troisième mois
(siwan), au dixième jour du mois, les dix commandements leur ont
été donnés et c’était un jour de sabbat. » Cette nouvelle signification
de la fête se généralisa dans la suite, au point que, au 111e siècle,
Rabbi El’azar ben Pedath (vers 270) exprime une opinion généralement
admise à son époque, quand il dit : « La Pentecôte, c’est le jour où la
Tora a été donnée2. » Le récit du don de la Loi au Sinaï (Ex., XIX)
est lu aujourd’hui dans les synagogues, le cinquantième jour après
la Pâque. Mais il est difficile de savoir à quand remonte cette tradition.
La Mischna, qui a été rédigée vers la fin du 11e siècle, ne donne que la
péricope Deut., XVI, 9-12, mais la Tosephta, qui lui est à peu près
contemporaine, ainsi que le Talmud de Jérusalem (ive siècle) signalent
aussi Ex., XIX. Le Talmud de Babylone, plus récent (vie siècle),
comporte pour la Pentecôte deux jours de fête auxquels sont respective­
ment attribués Ex., XIX et Deut., XVI.
Les témoignages rabbiniques ne nous permettent donc pas de
remonter au delà du 11e siècle. Toutefois, la fête des semaines avait
déjà la même orientation bien avant cette date. S’il est vraisemblable
que cette tradition se soit diffusée à la faveur des événements
de l’an 70, elle leur est encore antérieure. C’est ce que manifeste le
Livre des Jubilés, qui fut sans doute écrit au temps des Maccabées,
dans le premier quart du IIe siècle avant Jésus-Christ :
« L a prem ière année de la sortie d’ É gypte des enfants d ’ Israël,
au troisième m ois, le seizièm e jour de ce m ois, D ieu s’adressa à M oïse

1 E. L oh se, art. Trev-njxoaTr) dans Theologisches Wôrterbuch zum neuen Testa­


ment, V I, 1959, p. 44- 53 -
* Cf. S t r a c k et B ille r b e c k , op. cit., p. 601.
22 La Pentecôte juive au temps du Christ

et lui dit : M onte vers m oi sur la montagne et je te donnerai les deux


tables de pierre de la loi et des préceptes *. »

C’est donc le quinzième jour du troisième mois que la Loi fut


donnée à Moïse, puisque, d’après Ex., XXIV, 4, c’est le lendemain
de ce jour que Dieu ordonna au patriarche de gravir la montagne.
Le texte biblique ne semble pas aussi précis : «Le troisième mois
après que les enfants d’Israël furent sortis d’Égypte, ce jour-là, ils
arrivèrent au désert du Sinaï »(Ex., XIX, 1). Il s’agit bien du troisième
mois de l’année, puisque c’est «au commencement des mois » (Ex.,
XII, 2) que le peuple a quitté le pays des Pharaons. Mais l’indication
du jour fait défaut; c’est du moins l’opinion de la plupart des exégètes
qui voient là une lacune du texte, bien que certains, interprétant le
nm ara comme une référence au jour de la sortie d’Égypte, pensent
que VExode entend bien fixer le don de la Loi au 15.I I I a. Pour le
Livre des Jubilés, d’ailleurs, cette date est elle-même un anniversaire
commémorant l’alliance de Noé :
« E t à la nouvelle lune d u troisièm e m ois, il (N oé) sortit de l ’arche
et construisit un autel sur cette montagne... E t N o é et ses fils jurèrent qu’ils
ne mangeraient le sang d’aucune sorte de viande. E t il conclut une
alliance devant D ieu , le Seigneur, pour l'éternité, po u r toutes les races
de la terre, en ce mois. C ’est pourquoi il t’a dit (à toi, M oïse) que tu
devais conclure une alliance, toi et les enfants d’Israël en ce m ois, sur
la montagne, avec un serm ent, et que tu dois répandre du sang sur eux
à cause de toutes les paroles de l ’alliance que D ieu a conclue avec eux
pour toujours *. »

Il est inutile de souligner à quel point l’idée de l’alliance se


trouve présente dans les chapitres de YExode relatant les événements
du Sinaï, avec un accent d’ailleurs qui paraît en faire quelque chose
d’unique et de nouveau, puisque le peuple de Dieu ne semble être
devenu tel que par la célébration de la première Pâque. Le Livre des
Jubilés, au contraire, met cette alliance en relation étroite avec celle
qui fut scellée après le déluge, également à la nouvelle lune du troisième
mois. Mais, comme une sorte de trait d’union entre les deux, il y a
celle que le Seigneur a conclue avec Abraham, et ce fut encore à la
même date :

• Livre des Jubilés, I, 1, d’après la traduction allemande de E. K r a u ts c h ,


Tübingen, 1921, p. 39.
• C f. A. A re n s, Die Psalmen im ,Gottesdienst des alten Bundes, Trier, 1961,
p. 147-148. L e 15.III correspond au cinquantième jour d’après un comput différent
de ceux que nous avons déjà envisagés et qui consiste à compter à partir du lendemain
du sabbat qui suit la fin de la semaine des Azymes.
• Livre des Jubilés, V I, 1 et 10-14; °P- cit., p. 50-51.
La Pentecôte juive, cotnmémoraison de Valliance du Sinaï 23

« D ans la quatrièm e année de cette semaine d ’années, à la nouvelle


lune du troisièm e m ois... E n ce jour-là, nous avons conclu une alliance
avec Abram comm e nous l ’avons conclue en ce mois avec Noé* et
A bram renouvela la fête et l ’engagem ent pour lui-m êm e, pour
toujours \ »

Cette date, d’ailleurs est explicitement rapportée, au chapitre


suivant, à la fête des prémices :
« E t la cinquantièm e année de la quatrièm e semaine d ’années de ce
jubilé, au troisièm e'm ois, au m ilieu du m ois, A bram célébra la fête
des prémices de la moisson des blés s. »

La fête des prémices ne se distingue pas de la fête des semaines3.


Même l’alliance entre Jacob et Laban aurait été conclue le quinzième
jour du troisième mois.
Mais le Livre des Jubilés contient une prescription plus importante
encore :
« C ’est pourquoi il a été ordonné et écrit sur les tablettes du ciel
qu’ils (les enfants de N oé) devaient célébrer en ce m ois, une fois l ’an,
la fête des semaines, pour le renouvellem ent de l’Alliance, chaque
a n n ée4. »

C’est donc à une institution divine que la solennité est ici attribuée,
avec sa signification de fête du renouvellement de l’alliance, puisque
depuis toujours elle est inscrite sur les «tablettes du ciel », c’est-à-dire
sur le texte original de la Loi que Moïse a reçue du Seigneur. Mais,
avant même la théophanie du Sinaï, Dieu avait révélé aux hommes ce
qui concerne la Pentecôte, y compris la date de sa célébration. C’est
après le déluge, en effet, que Noé avait entendu, pour ses «fils », cet
ordre du ciel, le jour où le Seigneur avait conclu avec lui son
«alliance éternelle », qui allait être renouvelée plusieurs fois, au cours
de l’histoire d’Israël, et devait trouver dans le don de la Loi son
expression la plus solennelle.
Ce lien étroit entre la fête de la Moisson et une fête de l’Alliance
renouvelée chaque année, qui était l’occasion des serments solennels,
a amené certains exégètes à y voir la signification primitive de
la Pentecôte. Selon ces auteurs, il faudrait même y chercher l’origine
du nom sous lequel la solennité est le plus connue : c’était
la «fête des serments» (ni»atf in) qui serait devenue la «fête des
semaines » (ni»ntf in), la même racine hébraïque ayant une double
acception. Mais, sans prétendre trancher la question encore controversée

1 Ibid., X IV , x et 20; p. 65, 66.


* Ibid., X V , 1; p. 66.
* Ibid., V I, 2 i ; p. 51.
« Ibid., V I, 17; P- 5 i-
24 La Pentecôte juive au temps du Christ

de savoir quelle est la signification la plus ancienne *, nous pouvons


affirmer avec certitude que la conception du Livre des Jubilés est
antérieure à cet ouvrage et qu’elle s’est maintenue dans certaines
communautés qui vivaient en marge du judaïsme officiel.
En faveur de l’antiquité de la Pentecôte conçue comme une fête
du renouvellement de l’Alliance, il semble que l’on peut évoquer le
IIe livre des Chroniques ; «Ils s’assemblèrent, y lisons-nous, à
Jérusalem, le troisième mois de la quinzième année du règne d’Asa.
Ce jour-là..., ils prirent l’engagement solennel de chercher le Seigneur,
le Dieu de leurs pères... Ils firent un serment au Seigneur à haute
voix» (II Çhron., XV, 10-13). La date précise de cet événement
n’est pas indiquée, mais la mention du troisième mois suffit à montrer
le lien de la cérémonie rapportée par ce passage avec la «fête des
serments ». Il est intéressant de noter que, mentionnant l’abolition
des cultes païens au temps d’Asa (c. 910-870 av. J.-C.), racontée
par I Rois, XV, 12, le chroniqueur, vraisemblablement au 111e siècle
avant notre ère, la présente comme un renouvellement de l’Alliance
entre le Seigneur et la communauté d’Israël, mettant une relation
étroite entre le fait qu’il rapporte et la Pentecôte comprise à la manière
du Livre des Jubilés. Peut-être même avait-il sous les yeux un cérémonial
de renouvellement de l’Alliance en usage de son temps.
Il n’est pas facile de préciser la date à laquelle s’est manifestée
1’ «historicisation » de la Pentecôte qui a transformé, pour certains
Juifs, une solennité agricole en fête du renouvellement de l’Alliance.
Cela n’a dû se produire qu’après l’exil2et probablement sous l’influence
de l’école sacerdotale. Mais, lorsque ce changement est accompli,
à une époque où le Judaïsme officiel semble complètement ignorer
cette conception nouvelle, nous en trouvons maints indices dans les
cercles qui se sont constitués en marge de la communauté nationale
dont le centre était le Temple de Jérusalem.
La preuve est faite, aujourd’hui, que les Thérapeutes dont
parle Philon dans le De vita contemplativa étaient des ascètes juifs
qui vivaient en Égypte. Voici ce que nous lisons dans cet ouvrage :
« T o u t d’abord, ils se réunissent toutes les sept semaines, car ce n ’ est
pas seulement le nombre sept qui est pour eux une occasion d ’adm iration,

1 Cf. A. A rens, op. cit., p. 149.


• Arens rapporte une tradition samaritaine qui connaît, le troisième jour avant
la fête des semaines, une solennité appelée T O *10 DP : le triduum qui
précède la Pentecôte est clairement mis en parallèle avec les trois jours de préparation
à la conclusion de l’alliance mentionnée par Ex., X IX , 10-16. Comme il est impensable
que le culte juif ait pu influencer, après le schisme, celui de leurs voisins, il faudrait
que le lien entre la fête des semaines et l’événement du Sinaï ait été établi avant la
séparation des Samaritains, immédiatement après l’exil. Nous n’avons malheureuse­
ment pas pu vérifier cette allégation d’Arens.
La Pentecôte juive, commémoraison de Valliance du Sinai 25

mais aussi son carré : ils savent que c’est le nom bre de la pureté et de la
virginité perpétuelle. C ’est le prélude à une très grande fête* qui a lieu tous
les cinquante jours, car c’est le plus saint de tous les nom bres et le plus
important dans la nature : il est obtenu en faisant la somme des carrés des
côtés du triangle rectangle, somme qui est le principe de la génération
u n iversellel. »

Il est intéressant de remarquer que la réunion dont il est question


comporte un banquet suivi d’une veillée où l’on chante des hymnes.
Tout ce que l’auteur nous apprend sur les repas sacrés des Thérapeutes,
où ils revêtent une robe de prière et se comportent comme à une
assemblée cultuelle, marque leur opposition aux sacrifices du Temple,
en vue d’un culte plus spirituel qui s’harmonise bien avec la conception
de la Pentecôte que nous rencontrons chez eux. Cette solennité leur
apparaît d’ailleurs comme «la plus grande fête », ce qui s’oppose à la
tradition officielle et semble correspondre à l’idée que s’en fait l’auteur
du Livre des Jubilés. Cet ouvrage leur était-il connu? On ne saurait
l’affirmer, mais il est évident qu’en raison notamment du calendrier
uniquement solaire dont il use2 il appartient à un courant différent de
celui des Pharisiens et des Sadducéens.
La Communauté de Qumran, en tout cas, le connaissait bien,
puisqu’on en a trouvé plusieurs rouleaux dans les fouilles récentes
du désert de Juda et il n’est pas impossible même que l’œuvre ait vu
le jour dans les cercles qui vivaient dans le sillage des monastères de
la Mer Morte. Bien que différents les uns des autres à bien des égards,
Esséniens et Thérapeutes nourrissaient une pareille aversion pour
le judaïsme des prêtres de Jérusalem. Les ascètes de Qumran se
retiraient du monde pour vivre sous la règle du Maître de Justice,
comme le petit reste3 fidèle à la Loi de Moïse, aux enseignements

1 P h ilo n , De Vita contemplativa, 65, éd. et trad. F. D aum as-P. M iq u e l (SC29),


Paris, Cerf, 1963, a Oùxot tù jièv repÛTOv àOpolÇovrat SCI ktcx, èpSoptàScov, où pévov
àTtXrjv ép8o[xà8a àXXà xal rqv Sùvafjuv Te07)rc6Teç’ àyvf)v yàp x a l àetTràpÔevov
aÙT?)V taaaiv. "Ecm 8è 7rpo£opiroç ^eyhrrrçç éopTÎjç, TievTTjxovTàç ^Xa^ev, àyuoraTOç
xal (puatxcoTaTOç àpiQjicov, ex ttjç tou ôpGoycùvloo Tpiyc&vou Suvàpieoç, ÔTtep Io tiv
àç>Xh tôv 8Xcov yevéoecoç auaTaOelç. »
* Cf. D. B a rth é lé m y , Notes en marge des manuscrits de Qumran, dans Rev,
Biblique 59, 1952, p. 187-218, surtout p. 199-203. L e calendrier du Livre des Jubilés
coïncide avec celui du Livre d’Hénoch. Il est vraisemblablement plus ancien en
Israël que le calendrier hellénistique qui triompha en Palestine. L ’année comporte
364 jours, donc exactement 52 semaines; elle commence toujours le mercredi et la
fête des semaines est célébrée le 15e jour du 3e mois.
* Comme le remarque M . Delcor, « le Document de Damas précise que Dieu
s’étant souvenu de l’Alliance des Pères, il laissa un reste à Israël et ne le livra pas
à l’extermination (CD C 1, 4-5). La notion de nouvelle alliance est donc liée à la notion
de reste sinon littérairement, du moins logiquement. Et la communauté
essénienne a le sentiment profond d’être ce petit reste, les « survivants parmi ton
peuple, le reste parmi ton héritage », comme le dit un des hymnes (V I, 8) ».
26 La Pentecôte juive au temps du Christ

des prophètes et au véritable calendrier des fêtes. Ils se donnent donc


pour les authentiques héritiers de l’alliance :
« T o u s ceux qui décident d ’entrer dans la règle de la Com m unauté
passeront dans l ’Alliance en présence de Dieu* (s’engageant) à agir selon
tout ce q u ’i l a prescrit et à ne pas s’en retourner loin de lui sous l ’effet
d ’une peur et d ’un effroi ou d ’une épreuve quelconque* s’ils étaient
tentés par l ’empire de Bélial K »

Et la règle donne ensuite un rituel de l’«entrée dans l’Alliance »2,


qui s’inspire manifestement des chapitres XXVII-XXX du Deu~
têronome, comportant des bénédictions et des malédictions qui
accompagnent l’alliance du Sinaï. J. T. Mililc a relevé un fragment
inédit du Document de Damas (4 QDb) qui situe la cérémonie
du renouvellement de l’Alliance au troisième mois de l’année, celui
de la Pentecôte3. Ce même ouvrage met en relation l’«entrée dans
l ’Alliance » avec la Loi de Moïse \ Il semble donc que c’est à la fête
des semaines que les nouveaux membres de la secte étaient introduits
dans la communauté. On trouve, dans les recueils liturgiques découverts
dans les grottes de la Mer Morte, des prières qui paraissent appartenir
au cérémonial de cette solennité. Dupont-Sommer cite un de ces
textes 5 qu’Arens attribue aussi à la Pentecôte 6. Il s’agit d’une action
de grâces pour l’attitude du Seigneur, quand les hommes se sont
détournés de lui :
« ... T u t’es choisi un peuple au tem ps de ta bienveillance;
car tu t’es souvenu de ton alliance
(fondée) sur la vision glorieuse
et les paroles de ton [Esprit] saint*
sur les œuvres de tes mains
et l ’É crit de ta Droite*
en leur faisant connaître les instructions glorieuses
et les ascensions étem elles [...]
[Et tu as suscité] pour [eux] un Pasteur fid èle... »

1 Règle* I* 16-18; trad. A, D upont-Som m er* Les Écrits essêniens découverts près
de la Mer Morte, Paris, Payot, 1959* p. 89-90.
* Ibid., I, 18-II* 18; p. 90-91. La cérémonie comporte une louange de Dieu
par les prêtres et les lévites, l’Amen répété de la communauté* la proclamation par
les prêtres des hauts-faits du Seigneur* l’annonce par les lévites des péchés d’Israël*
la confession des péchés de la communauté, la bénédiction des prêtres sur « les hommes
du lot de Dieu » avec l’Amen de la communauté* la malédiction des lévites sur « les
hommes du lot de Bélial » avec l’Amen de la communauté* la malédiction des prêtres
et des lévites sur les apostats, avec l’Amen de la communauté.
8 J. T . M ilik* Dix ans de découvertes dans le désert de Juda, Paris* Cerf* 1957*
P. 77 *
4 A . Dupont-Som m er* op. cit., p. 176.
6 Ibid., p. 245-246.
6 A. Arens* op. cit., p. 104.
La Pentecôte juive, commémoraison de Valliance du Sinaï 27

On n’a pas de peine à discerner dans ce texte les allusions à la


Loi donnée au Sinaï. C’est ce que nous retrouvons dans un hymne
que cite M. Delcor et qui mentionne expressément le serment d’entrée
dans l’Alliance :
« E t moi, je sais, à cause de ton intelligence,
que grâce à ton bon plaisir [je suis] entré [dans
ton A llian ce... et que tu m ’as purifié par ton esp]rit saint
et ainsi tu m ’as fait approcher vers ton intelligence
et, à mesure que je progresse,
j’ai été pris de zèle contre tous ceux qui com m ettent l’iniquité
et contre les hommes de ruse.
C ar tous ceux qui s’approchent de toi
ne se révolteront pas contre les ordres de ta bouche,
et tous ceux qui te connaissent
ne haïront pas tes paroles...
... par serment je me suis engagé sur m on âme
à ne pas pécher contre toi
et [à m ’Jabstenir de faire tout m al à tes yeux.
E t ainsi j ’ai fait approcher dans la com m unauté
tous les hommes de m on assemblée *. »

Les études en cours sur les manuscrits qui ont été découverts
nous réservent sans doute d’autres attributions à la liturgie essénienne
de la Pentecôte.
Au temps du Christ, la fête du cinquantième jour après la Pâque
était donc célébrée dans le judaïsme officiel comme une fête de la
moisson, mais elle avait déjà pris, dans certains cercles religieux,
le sens d’une commémoraison de la théophanie du Sinaï. L ’accent
était d’ailleurs mis sur l’alliance entre Dieu et son peuple, beaucoup
plus que sur le don de la Loi. Cette conception, semble-t-il, s’est
développée dans une ambiance sacerdotale. Ex., XIX appartient au
Priesterschrift, I I Chron. se rattache à la même tradition et les
Esséniens constituaient une assemblée de prêtres. La secte de Qumran
et les Thérapeutes d’Ëgypte sont pour nous les témoins d’un courant
de pensée qui devait sans doute dépasser les frontières étroites de leurs
communautés, puisque le rabbinisme tardif en a recueilli l’héritage.

1 H ym ne X IV , 12-15, I7 - I 8; éd. M , D e lc o r , Les Hymnes de Qumran, Paris,


L etouzey et A né, 1962, p. 261-267. C f. M . D e lc o r , Le vocabulaire juridique, cultuel
et mystique de /’« initiation » dans la secte de Qumran, dans Qumran-Probleme, Vortrage
des Leipziger Symposions über Qumran-Probleme vom 9. bis 14. Oktober 1961/
éd. H . Bardtke (Deutsche Akademie der Wissenschaften zu Berlin, Schrifter der
Sektion fur Altertumswissenschaft) Akadem ie-Verlag, Berlin, 1963, p. 109-131.
28 La Pentecôte juive au temps du Christ

3. LA PENTECÔTE JUIVE

DANS LA PREMIÈRE LITTÉRATURE CHRÉTIENNE

a) La 7tevT7)xocjT7) dans le Nouveau Testament

En dehors du récit de l’effusion de l’Esprit-Saint, le mot


TCevTTqxocTTrj se trouve deux fois dans le Nouveau Testament. D ’après
les essais de reconstitution de la chronologie de saint Paul, la première
de ces mentions se réfère à la fête de l’an 57. Au printemps, l’apôtre
est encore à Ëphèse, d’où il écrit aux Corinthiens, leur annonçant
sa visite : il compte gagner leur pays en passant par la Macédoine
et il envisage de séjourner quelques temps chez eux, peut-être d’y
passer l’hiver; mais il n’a pas l’intention de quitter l’Asie avant la
Pentecôte : Ê7U{jiev<d Ss êv ’E<pé<jcj>ëcoç TOvryptoaTÎjç (J Cor., XVI, 8).
Les Actes nous renseignent dans le détail sur les activités de
saint Paul pendant les mois qui suivent : il passe en effet une partie
de la mauvaise saison à Ëphèse d’où il compte gagner Jérusalem,
pour y porter l’offrande qu’il a recueillie dans les Églises de la Gentilité.
Mais, au moment de prendre la mer, on découvre le complot formé
par des Juifs de le tuer pendant le voyage. Il fait donc un détour par
la Macédoine et la Troade et va directement jusqu’à Milet, car il
«avait décidé de passer au large d’Ëphèse, pour ne pas avoir à s’attarder
en Asie. Il se hâtait afin d’être, si possible, le jour de la Pentecôte
à Jérusalem. » ''EcnreuSev yàp, ei Suva-rèv eïv) aùxw, tyjv rjuipav vîjç
îiEVTYjxoffTÎjç y£véoOai siç ’lepofféAufia (Act., XX, 16). C’est la fête de
l’an 58.
Bien que les Actes et VÊpître aux Corinthiens soient destinés
à des chrétiens, il s’agit dans les deux cas de la solennité juive, dont
les auteurs se servent comme d’un élément de datation. Rien ne nous
permet, en effet, de supposer qu’il existe déjà sous le même nom une
célébration propre aux disciples du Christ. Dans les milieux judéo-
chrétiens, on devait d’ailleurs continuer à observer la «fête des
semaines », au même titre que les autres prescriptions de la Loi dont
parlent les récits relatifs à la première communauté.

b) La TOVTTptocrri) dans les plus anciens apocryphes

Si, après les écrits canoniques du Nouveau Testament, nous


consultons les textes apocryphes les plus anciens, nous ne trouvons pas
La Pentecôte juive dans la première littérature chrétienne 29

de mention de la Pentecôte avant le milieu du IIe siècle *. C’est à peu


près à cette date que remonte YEpistula Apostolorum, qui fut probable­
ment composée en Asie Mineure2. Ce document contient d’assez
curieuses révélations du Christ à ses disciples après la Résurrection.
Nous n’avons malheureusement pas l’original grec et nous connaissons
ce texte surtout par une version copte contenue dans un manuscrit
égyptien de la fin du IVe siècle ou du début du Ve. Le passage qui nous
intéresse est la réponse du Sauveur à une question concernant la
Parousie :
1 7 ... « E t nous lui dîmes : «S eign eu r, dans com bien d ’années
cela arrivera-t-il ? » Il nous d it : « L orsqu e le centièm e et le vingtièm e
seront accom plis, entre la Pentecôte et la fête des azym es, aura lieu
l ’avènem ent de mon Père *. »

Ces mots ont une résonance assez étrange. Outre la façon même
dont l’événement est daté (lorsque le centième et le vingtième seront
accomplis), il est remarquable que la Parousie, si elle est présentée
dans un autre passage du livre comme le retour du Christ, est ici
désignée comme le jour de l’avènement du Père. D ’autre part,
l’expression « entre la Pentecôte et la fête des azymes » n’est guère
compréhensible, à moins d’admettre que les termes ont été inversés.
Mais le problème le plus important pour nous est de savoir ce que
recouvre exactement le mot de Pentecôte. Si l’on pouvait établir
qu’il désigne, comme aujourd’hui, une fête chrétienne célébrée au
cinquantième jour après Pâques, nous aurions un précieux témoignage
de la haute antiquité de cette institution. Malheureusement, YEpistula
Apostolorum ne semble pas nous permettre une telle conclusion.
En parlant de la «fête des azymes », ne nous place-t-elle pas plutôt
dans un contexte juif, où le mot irevTrçxoa-nj aurait la même signification
que dans le livre de Tobie ou celui des Maccabées?

1 II n ’est pas impossible que certains textes nous aient échappé, bien que
nous nous soyons efforcé de parcourir cette littérature et tout particulièrement les
Actes apocryphes publiés par R. A . Lipsius-M . B o n n e t, Acta Apocrypha, Leipzig,
1891.
2 C . S ch m id t, Gespràche Jesu mit seinen Jùngern nach der Auferstehnng, (T U 43),
Leipzig, 1919, p. 361-402 (Ort und Zeit der Epistula); cf. J. Q u a ste n , Initiation aux
Pères de VÉglise (trad. J. L a p o rte ), Paris, Cerf, 1955, p. 171-172.
8 Epistula Apostolorum nach dem âthiopischen und koptischen Text herausgegeben,
éd. H. D u en sin g , (Kleine Texte 152), Bonn, 1925, p. 14. « Und wir sprachen aber
zu ihm : Herr, nach noch wieviel Jahren wird dies geschehen? Er sprach zu uns :
Wenn das Hundertstel und das Zwanzigstel vollendet sein wird, zwischen Pfingsten
und dem Fest der Ungesaüerten, wird stattfinden die Ankunft meines Vaters. »
(La traduction a été faite sur l’allemand, mais nous l ’avons fait vérifier sur le texte
copte donné par C. S ch m id t, op. cit., p. 6*.)
30 La Pentecôte juive au temps du Christ

Notons que le texte nous est aussi parvenu dans une seconde
recension qui est assez différente sur ce point. Il s’agit de la version
éthiopienne, publiée par L. Guerrier en 1913 :
« E t nous lui dîmes : « Seigneur, com bien d ’années encore [attendra-
t-on] ? E t il nous dit : « Quand sera écoulée la cent cinquantièm e année.
entre la Pentecôte et la Pâque *. »

L. Guerriër a suivi, dans son édition de l’éthiopien et dans sa


traduction française2une leçon différente donnée par deux manuscrits :
«dans les jours de la Pentecôte et de la Pâque ». Mais cette recension
nous paraît être une correction destinée à atténuer la difficulté dont
nous avons parlé, et nous préférons, avec Duensing, adopter la lecture
conforme à la version copte, attestée par deux autres manuscrits 3.
Mais tout cela ne saurait nous être d’un grand secours pour
préciser le sens du mot ra m p co n T / j. La recension éthiopienne, en effet,
représente probablement une quatrième étape dans la transmission
du texte (grec-copte-arabe-éthiopien, plutôt que grec-éthiopien) *;
elle est donc assez tardive et, comme la sémantique des mots subit
l’influence de l’évolution des coutumes, les termes n’y ont plus
nécessairement la valeur de l’original. Nous avons donc à recevoir
le témoignage de YEpistula Apostolorum sans en forcer la signification,
et, bien qu’une certaine obscurité continue à planer sur l’exégèse
du texte, il semble plus légitime de voir dans la Pentecôte qu’elle
mentionne la fête juive des semaines, mise en relation avec celle des
azymes 6. L ’ensemble de l’œuvre révèle une origine authentiquement

1 Ibid., « U nd wir sprachen aber zu ihm : H err, wieviel Jahre noch? U n d er


sprach zu uns : W enn das hundertundfünfzigste Jahr vollendet ist, zwischen Pfingsten
und Pascha, wird stattfinden die A nkunft meines des Vaters. »
1 L . G u e rrie r, Le Testament en Galilée de N . S. J . C ., (PO 93), Paris, 1913,
p. 198.
8 Nous avons aussi des fragments d’une version latine, dans un mss. du Ve ou
vi° siècle. M ais, outre que le texte est difficile à lire, il n ’apporte aucun élément
nouveau à notre recherche. C f. C . S ch m id t, op. cit., p. 22 : i (n) ta. A nno im plente
inter pentecosten et azyma erit adventus patris mei.
4 H. D uen sing, op. cit., Einleitung, p. 3.
5 C ’est aussi très vraisemblablement — et pour des raisons analogues — de
la fête juive qu’il s’agit dans l’inscription funéraire que H . L eclercq cite dans le D A C L
(art. Pentecôte, c. 271-272) et qui n’est sans doute pas postérieure à la m oitié du
11e siècle : «(Monument) de Publius Aelius G ly co n ... (fils de Publius A elius
Da)mianus, fils de Seleucus. On y (déposera) ses restes ainsi que ceux de sa femm e et
de leurs enfants. Il ne sera permis d’y déposer les restes d’aucun autre. (G lycon) a
aussi légué à la très vénérable présidence des teinturiers en pourpre, à titre d’argent
pour les couronnes, la somme de deux cents deniers, afin que sur les intérêts de cette
somme on donne à chaque (... au mois de xandicus), lors de la fête des pains azymes.
Il a de même légué au comité des fabricants de tapis, à titre d’argent pour les
couronnes, la somme de cent cinquante deniers, don t... lors de la fête de la Pentecôte »
(èv Tfj êopTfj nevT 7]xo[aTÏjç]).
La Pentecôte juive dans la première littérature chrétienne 31

chrétienne, mais son caractère apocalyptique ne peut que nous inciter


à admettre une influence du judaïsme. Notons, détail qui aura son
intérêt dans la suite de notre étude, que, sauf dans deux manuscrits
éthiopiens qui pourraient être les témoins d’un remaniement du texte,
le terme de Pentecôte semble ne s’appliquer qu’à un seul jour. La fête
est en effet séparée de la Pâque par un certain laps de temps, pendant
lequel doit se réaliser «l’avènement du Père ».
Dans YEpistula Apostolorum comme dans les Actes, le mot
7tsvT7]xo<TtT) désigne bien, semble-t-il, la solennité juive. Les auteurs
s’en servent comme d’un élément de datation. Cela montre combien
ils restaient familiarisés avec le calendrier d’Israël, mais ne nous
permet guère de connaître la conception qu’ils avaient de cette fête.
Peut-on espérer en savoir davantage en étudiant la manière dont
les apôtres ont prêché le mystère chrétien? C’est tout le problème
du hiatus ou de la continuité entre l’institution de l’Ancien et celle
du Nouveau Testament. Peut-on encore dire, avec R. de Vaux :
« Il n’y a pas une relation entre la Pentecôte chrétienne et la fête des
semaines telle que la comprirent la communauté de Qumran ou plus
tard le judaïsme orthodoxe1 »? Nous ne pourrons répondre à cette
question qu’après avoir étudié les plus anciens témoignages de la
pratique de l’Église. A l’époque où YEpistula Apostolorum a vu
le jour, toutes les communautés chrétiennes connaissaient déjà une
célébration annuelle du Mystère pascal. Si l’auteur ne se réfère qu’au
calendrier juif, c’est par souci d’éviter tout anachronisme, puisqu’il
place ses propos dans la bouche de Jésus, ou bien c’est avec la conviction
d’un de ces judéo-chrétiens d’Asie Mineure qui ne pouvaient se séparer
totalement des observances mosaïques. Mais il n’est pas étonnant
qu’il reconnaisse le caractère privilégié du temps qui sépare les Azymes
de la fête des semaines et qu’il affirme que le retour du Christ
s’accomplira en ces jours-là.

1 R. de V aux, Les Institutions de VAncien Testament, t. II, Paris, Cerf, i960,


P- 397 .
PREM IÈRE PARTIE

LE TEMPS DE LA JOIE
(Laetissimum Spatium)
« Cum complerentur dies pentecostes... » Ce sont les premiers mots
du chapitre II des Actes, selon la version de la Vulgate qui nous est
familière. Bède le Vénérable1 avait déjà remarqué, au début du
vin® siècle, que la traduction latine emploie le pluriel, alors que le
texte grec est au singulier : Kal èv tÇ> aufijtXrçpoOcôai tvjv •Jjjjiépav TTjç
tovt7)xoctt7)ç. C’est déjà poser un des principaux problèmes de Thistoire
de la Pentecôte chrétienne. Cette modification d’ordre grammatical
a certainement une signification plus profonde; pour mieux en voir
la portée, il est bon de regarder de plus près la tradition littéraire de ce
verset de la Bible latine. On peut trouver dans l’ouvrage de
Wordsworth-White * les principales variantes de ce qu’on a coutume
d’appeler la Vêtus latina. Notons que saint Augustin emploie toujours
le singulier dans les citations de ce verset : tempore quo supletus est
dies pentecostesa. Il y a cependant une exception dans VEpistula ad
catholicos4, mais l’authenticité de cette œuvre est très controversée
et il faut peut-être voir là une nouvelle raison de la rejeter. C’est aussi
le singulier que nous trouvons dans le Liber de promissionïbus attribué
à Quodvultdeus, un disciple de l’évêque d’Hippone : die autem pen­
tecostes 6. Malheureusement, nous ne pouvons pas remonter plus
haut; les œuvres de saint Cyprien permettent de reconstituer une
grande partie de la Bible qu’il utilisait, mais on n’y trouve pas ce verset ®.
S’il est permis d’estimer —• comme c’est probable — que le texte le
plus ancien est au singulier, nous pouvons dire que Grégoire d’Elvire
est le premier témoin du pluriel. G’est à lui en effet qu’il semble légitime
d’attribuer les X X Tractatus du pseudo-Origène, où le verset est cité

1 Bêde l e V é n é ra b le , Retractatio in Actus Apostolorum, II, i , éd. M . L a is tn e r ,


Cambridge (Massachussets), 1939, p. 98.
8 J. W o rd sw o rth -J . >H. W h ite , Novum Testamentum Domini nostri Iesu
Christi latine secundum editionem S. Hieronymi, Actus Apostolorum, Oxford, 1905,
P- 41 -
8 S. A u g u stin , Contra epistolam Manichaeorum quam vocant fundamenti, éd.
J. Z y c h a (C SEL 25), 1891, p. 204 j Contra Fuustum, ibid. p. 806.
* Epistula ad Catholicos de secta Donatistarum seu de Unitate Ecclesiae, éd.
M . P etsch b n ig (C SEL 52), 1909, p. 265.
* Liber de promissionibus, P L 51, 830 A.
* Cf. H. V. Soden, Das lateinische Neue Testament in Afrika zur Zeit Cyprianus,
(T U 33), Leipzig, 1909.
36 Le temps de la joie

deux fois sous la forme cum complerentur1. Peu de temps après,


saint Jérôme atteste cette traduction2 qui se trouve consacrée par son
édition de la Vulgate3.
Le pluriel est donc le résultat d’une évolution, très probablement
par rapport aux versions latines plus anciennes, en tout cas par rapport
à l’original grec. Cela semble suggérer que le terme de Pentecôte,
se rapportant d’abord à un seul jour, en était venu à désigner toute
une période. On pourrait voir le germe de cette évolution dans
l’expression même de saint Luc <iü(i.7tXr]poua9ai, qui évoque le terme
d’une numération. Mais la fête juive, telle qu’elle apparaît dans la
Bible et la tradition d’Israël, si elle est désignée et fixée en relation
avec la Pâque, ne comporte qu’un jour de célébration (ou deux,
dans certains cas *). Elle a un rapport très étroit avec le 15 nisan dont
elle est séparée par sept fois sept jours (d’où son nom de «fête des
semaines »), elle est même la clôture de la moisson, mais l’intervalle
de temps n’est pas lui-même considéré comme une solennité. Au
contraire, l’expression Cum complerentur dies Pentecostes semble
suggérer que, dans les milieux chrétiens où cette version s’est élaborée,
la terme de Pentecôte avait un sens plus large.

1 Gregorii Eliberitani opéra omnia, Tract. X X , éd. A . V e g a , Escorial, 1944,


v.r, p. 200, 19.
2 S. Jérôm e, Epist. 129, 9, éd. J. L a b o u r t, Lettres, IV , Paris, Les Belles
Lettres (Budé), 1958, p. 144.
8 Dans un sermon anonyme remontant probablement au Ve siècle et publié par
C . P. C asp ari, Briefe, Abhandlungen und Predigten, Christiania, 1890, nous trouvons,
p. 192, 2 et p. 195, 8 : et cum complerentur, mais un manuscrit donne, pour la seconde
de ces deux citations la variante compleretur.
4 Les communautés de la diaspora avaient pris l’habitude d’ajouter une seconde
journée à toutes les solennités de l’année, à l’exception du Yom Kippur, afin d’être
sûres de ne pas se tromper de date, car les messagers qui les informaient de la néoménie
fixée par le Sanhédrin n’arrivaient pas toujours à temps.
CHAPITRE I

LA «PENTECÔTE » CHRÉTIENNE
A LA FIN DU IIe SIÈCLE ET AU IIIe SIÈCLE

II faut attendre les dernières années du I I e siècle pour trouver


des mentions de la Pentecôte qui désignent, sans aucune contestation
possible, une solennité proprement chrétienne. Au cours du IIIe siècle,
des témoignages peu abondants mais incontestables nous parviennent
de presque toutes les grandes Églises établies sur le pourtour de la
Méditerranée.

I. — SAINT IRÉNÉE

« Si, le dimanche, on ne fléchit pas le genou, c’est en signe de la


résurrection qui, par la grâce du Christ, nous a libérés des péchés et
de la mort qui a été anéantie avec eux. Cette habitude est née au temps
des apôtres, comme le dit le bienheureux m artyr Irénée, évêque de
L yo n , dans son livre sur la Pâque, où il mentionne aussi la Pentecôte,
en laquelle on ne fléchit pas le genou puisqu’elle a la mêm e portée que
le dimanche, pour la raison que nous avons d ite 1. »

Ce texte se trouve dans les Quaestiones et Responsiones ad


orthodoxosy un ouvrage faussement attribué à saint Justin, et dont
on n’a pas encore pu avec certitude déterminer l’auteur. Celui-ci
«semble devoir être cherché en Syrie, sans doute au commencement
du Ve siècle2». De toute façon, il ne nous est pas possible de contrôler
la citation, car aucun livre d’Irénée sur la Pâque ne nous est parvenu;
mais nous n’avons aucune raison de suspecter ce témoignage. Le texte

1 F . C a b r o l et H . L e c le r c q , Monumenta Ecclesiae Lhurgica, I, Paris, D id o t,


1 9 0 0 -19 0 2 , n ° 2 2 5 9 , « T 6 èv x u p ia x fj p ) xX tveiv y é v u , aé[xpoX6v è a T iT ^ ç à v a a T a a e c o ç ,
S i’ TjçTfj t o u XpiffT O u Twv t s à fia p T 7)[xc*T<üv x a l t o u è 7r ’ a u T & v Te 0 a v a T 6 )(xévou
GavaTOU ^XeuOeptî>07 )n ev. ’E x t û v a7coaToXtxc5v 8è xpévcov to k x ô ty) auvy) 0 e ia ëXa(3 e
t?)v à p x V » 9?J<hv ô ( là x a p t o ç E lp 7 )v a to ç , 6 jzàpTUç x a l èT rlaxojroç À o u y S o u v o u
èv tco 7repl t o u I I à a x a Xéyco èv & jii(jivY)Tai x a l Trepl ty jç I le v T rç x o c ra jç , èv f) oô
xXlvojjtev y 6vu, èrreiST) la o S u v a fxe i rfj 7)(iépa Tvjq x u p ia x îiç , ™)v p ^ O eta av nepl
aÙTÏjç a h la v .
* Cf. G . B a rd y, Dictionnaire de Théologie Catholique, art. Justin, Paris,
L etouzey, 1925, c. 2241-2242.
38 Le temps de la joie

ne nous permet pas, à lui seul, de déterminer ce qu’était la Pentecôte


au temps de l’illustre évêque de Lyon, mais il est évident qu’elle
n’est pas le dernier jour du Temps pascal. Nous savons en effet par
ailleurs qu’Irénée suivait la pratique romaine sur la date de Pâques;
le cinquantième jour était donc lui-même un dimanche et on ne
songerait pas à dire qu’il «a la même portée que le dimanche ». Là
7rev'nptocmrj est vraisemblablement toute la Cinquantaine; c’est une
fête qui célèbre, comme le jour du Seigneur, la résurrection du Christ
et la libération du péché. D ’où son caractère de joie incompatible
avec toute attitude de pénitence; on ne prie donc pas à genoux, mais
debout.
2. — LES ACTES DE PAUL

C’est exactement le même témoignage que nous retrouvons


dans les Actes de Paul. Cet écrit est d’ailleurs contemporain d’Irénée
et remonte à la fin du u° siècle, puisque Tertullien le connaissait déjà
comme l’œuvre d’un prêtre d’Asie1. Après avoir dit que l’apôtre a été
condamné aux bêtes, le texte poursuit :
« M ais, comme c’ était la Pentecôte, les frères ne pleurèrent pas et ne
plièrent pas le genou, m ais ils priaient dans la joie *. »

Cela s’inspire sans doute d’un rapprochement de I Cor., XV, 32,


où Paul parle de son « combat contre les bêtes, à Éphèse », et de I Cor.,
XVI, 8, où il exprime le désir de rester dans cette ville «jusqu’à la
Pentecôte ». Mais l’auteur projette inconsciemment sur ces indications
du Nouveau Testament la lumière de la Cinquantaine, tant cette
pratique lui paraît familière. Si donc cet apocryphe ne peut être un
témoignage de l’âge apostolique, il nous renseigne au contraire sur
l’époque où il a vu le jour.

3. — TERTULLIEN

La pratique de l’Église d’Afrique n’était pas différente de celle


de la Gaule ou de l’Asie. Dans son traité Sur la prière, Tertullien
remarque qu’il existe dans certaines communautés chrétiennes la

1 T e r t u l li e n , De Bapiismo> X V II, éd. E. D ekk ers (CC. ser. lat. I), 1954,
p. 291-292. «... quae Acta Pauli quae perperam scripta sunt [exemplum Theclae]
ad licentiam mulierum docendi tinguendique defendunt, sciant in Asia prcsbyterum
qui eam scripturam construxit quasi titulo Pauli de suo cumulans convictum atque
confessum id se amore Pauli fecisse loco decessisse... »
2 üpàÇetç IlaéXou, éd. W. S ch u b a rt et C. S ch m id t, Hambourg, 1936,27, p. 1,
30-32 du texte. « Ol pèv ouv dc&eX<p[ol o>ç ty)ç] üevTTQXoaTYjç otiaiqç, otfre &cXauaav
oùSè y6[vava &cXi]vav, àXXà aYaXXta>p.ev[o]t 7rpoa7)u^ovTO [êawTeç]. »
La Pentecôte chrétienne à la fin du I I 9 s. et au I I P s. 39

coutume, peu répandue d’ailleurs, de ne pas s’agenouiller le samedi.


Et il ajoute :
« Pour nous, au contraire, selon la tradition que nous avons reçue,
c ’est seulement le jour de la résurrection du Seigneur que nous devons
r nous abstenir de cela (de fléchir le genou), mais aussi de laisser des
préoccupations dominer notre esprit et notre activité; nous différons
même les affaires, afin de ne pas céder de place au démon. Il en est de
mêm e pendant le temps de la Pentecôte dont la célébration com porte
le même caractère d ’allégresse \ »

L ’expression spatium pentecostes suggère bien l’idée de toute une


période qui constitue la solemnitas exultationis, parce qu’elle est assimilée
au dimanche. C’est ce que confirme un passage du De Idololatria qui
dénonce la participation des chrétiens aux fêtes des païens. Ceux-ci,
y lisons-nous, se montrent beaucoup plus attachés que nous à leurs
croyances, car «même s’ils connaissaient le jour du Seigneur et la
Pentecôte, ils n’y participeraient pas avec nous, car ils auraient peur
de paraître chrétiens ». Continuant son argumentation, le théologien
africain essaie de détourner les fidèles des solemnitates nationum en
leur montrant le nombre considérable de jours festifs que l’Église
leur propose : Si l’on prenait, dit-il, toutes les fêtes des Gentils et si
on les mettait bout à bout, jamais on n’arriverait à constituer
la Pentecôte2. Celle-ci, en effet, dure cinquante jours, pendant lesquels
se prolonge la joie pascale, comme le dit expressément le traité Sur
le Jeûne :
« S ’il y a une création nouvelle dans le C hrist, il doit y avoir aussi
de nouvelles solennités. Si l ’apôtre a abrogé tout ce qui consacre jours,
mois et années, pourquoi célébrons-nous Pâques tous les ans au prem ier
mois ? Pourquoi passons-nous dans une grande allégresse les cinquante
jours qui su iv e n t8? »

Mais Tertullien nous permet de comprendre plus profondément


encore ce qu’était pour les chrétiens des premiers siècles la célébration

1 T e r t u l li e n , De Oratione, X X I I I , 2, op. cit ., p. 271-272. « Nos uero, sicut


accepimus, solo die dominicae resurrectionis non ab isto tantum, sed omni anxietatis
habitu et officio cauere debemus, différentes etiam negotia, ne quem diabolo locum
demus. Tantum dem et spatio pentecostes, quae eadem exultationis solemnitate
dispungitur. »
8 De Idololatria, X IV , 7, éd. A . G e r lo , ibid., II, 1954, p. n 15. «O melior fides
nationum in suam sectam, quae nullam solemnitatem Christianorum sibi uindicat!
N on dominicum diem, non pentecosten, etiam si nossent, nobiscum communicassent;
timerent enim, ne Christiani uiderentur... Excerpe singulas solemnitates nationum
et in ordinem exsere : pentecosten implere non poterunt. »
3 De Ieiunio, X IV , 2, ibid., II, p. 1272-1273. «Quod si noua conditio in Christo,
noua et solemnia esse debebunt : aut si omnem in totum deuotionem temporum et
dierum et mensium et annorum erasit apostolus, cur pascha celebramus anno circulo
in mense primo ? C ur quinquaginta exinde diebus in omni exsultatione decurrimus ? »
40 Le temps de la joie

de la Pentecostes. Dans le traité Sur le Baptême, il expose avec une


clarté remarquable le mystère que célébrait la Cinquantaine; après
avoir montré que c’est le jour de Pâques qui convient le mieux à
l’administration du sacrement de la régénération, il poursuit :
« L a Pentecôte est, en second lieu, le tem ps le plus heureux pour
conférer le bain sacré. C ’est le tem ps où le Seigneur ressuscité est venu
fréquem m ent au m ilieu de ses disciples, le tem ps où fu t com m uniquée
la grâce du Saint-Esprit et qui a fait entrevoir l ’espérance du retour
du Seigneur. C ’est à ce m om ent-là, après son ascension au ciel, que
les anges dirent aux apôtres q u ’il reviendrait com m e il était m onté
aux d e u x , précisém ent à la Pentecôte. E t lorsque Jérém ie dit : Je les
réunirai des extrémités de la terre en u n jour de fête, il désigne par là
le jour de Pâques et de Pentecôte qui est à proprem ent parler jou r.d e
f ê t e 1. »

Comme dans les autres textes, la Pentecôte désigne ici toute


une période, celle qui a vu s’accomplir les apparitions du Seigneur,
la venue de l’Esprit, l’annonce de la Parousie et tout particulièrement
l’Ascension (utique in Pentecoste). Et toute cette période n’est que
le prolongement de la joie de Pâques, si bien qu’elle apparaît comme
un seul jour solennel (proprie dies festus). C’est ainsi du moins qu’il
semble légitime d’interpréter une expression qui a fait l’objet d’une
controverse déjà ancienne. Avec J. Schümmer, O. Casel et E. Dekkers, *
nous pensons que Tertullien n’entend pas désigner ici le cinquantième
jour, ce qui nous oppose à H. Koch et à Mac-Arthur *. C’est là une
conviction qu’il est difficile d’établir, car, si nous n’avons trouvé
aucun texte africain de cette époque attestant fermement l’existence
de la Pentecôte comme solennité séparée, notre documentation est
trop pauvre pour que nous puissions tirer argument de ce silence.
Cependant, la comparaison avec les autres témoignages de Tertullien,
jointe à l’autorité des auteurs que nous avons cités, nous pousse

1 De BaptismOy X IX , 2, ibid.y I, p. 293-294. « Exinde pentecoste ordinandis


lauacris laetissimum spatium est quo et domini resurrectio intcr discipulos frequentata
est et gratia spiritus sancti dedicata et spes aduentus domini subostensa quod tune
in caelos recuperato eo angeli ad apostolos dixerunt sic uenturum quemadmodum
et in caelos conscendit, utique in pentecoste. Sedenim Hieremias cum dicit et congre-
gabo illos ab extremis terrae in die festo paschae diem significat et pentecostes qui
est proprie dies festus. »
2 E. D ekk ers, Tertullianus en de Geschiedenis der Liturgie, Desclée D e Brouwer,
x947> P* I 49j n. 2; O. C a s e l, Art und Sinn der âltesten christlichen Osterfeier, dans
JLW 14 (1938)3 p. 18; J. Schüm m er, Die altchristliche Fastenpraxisy Münster-i-W.,
I 933>P- 54>n. n .
3 H. K o c h , Pascha und Pentekoste bei Tertülliany dans Zeitschr. /. Wissens.
Theoly 55 (n. s. 20), 1914, p. 289-303; M a c -A r th u r , The évolution of the Christian
Yeary London, 1953, P* 151; cf. aussi G. F. D ie rck s , Tertullianus de Orationey met
liturgisch commentdary Bossum, 1947, p. 246 suiv., qui ne s’est pas prononcé fermement.
La Pentecôte chrétienne à la fin du I I ‘ s. et au I I I 4s. 41

à conclure qu’il s’agit bien d’un ,temps assez long (spatium) qui,
loin de faire nombre avec une fête de la Résurrection, célèbre, dans
son unité, toute l’économie de la rédemption réalisée par le Christ
le jour de Pâques et les semaines suivantes. Les mystères du Sauveur
ressuscité n’y sont pas vécus, comme aujourd’hui, selon leur succession
chronologique et aucune journée particulière n’est consacrée à
commémorer la montée du Seigneur au ciel ou la descente du Saint-
Esprit. C’est toute la Cinquantaine qui fait revivre aux fidèles tous
les aspects à la fois du mysterium salutis et prolonge la joie pascale.
Comme l’agenouillement, le jeûne, évidemment, en est exclu :
«N ous estimons qu’il n ’est pas perm is de jeûner le dim anche n i
d ’adorer à genoux. L a m êm e exemption s’applique à la joie qui s ’étend
de Pâques à toute la Pentecôte (in Pentecosten usque) *. »

Cette dernière expression peut faire difficulté, car le mot « Pen­


tecôte » semble désigner le dernier jour de la Cinquantaine,
conformément à la pratique actuelle. Mais il semble difficile de tirer
de ce seul texte une pareille conclusion. Le passage parallèle du De
Oratione, que nous avons déjà cité, dit expressément spatio Pentecostes
et on peut estimer que in et l’accusatif désigne plutôt le temps dans
lequel on entre que le terme à ne pas dépasser. Pour exprimer «jusqu’au
jour », Tertullien aurait dit ad diem usque, comme dans le De Anima,
LVI, 7.
Le De Baptismo et le De Oratione sont en général datés des
années 198 à 200 et les autres textes, qu’il faut rapporter à la période
montaniste, remontent sans doute au début de la seconde décade du
111e siècle. Le témoignage de Tertullien est donc, à quelques années
près, contemporain de celui d’Irénée et des Actes de Paul et, loin de
contredire les renseignements que nous avons sur la Gaule et l’Asie
Mineure, il semble les compléter et nous aider à les interpréter. Pour
corroborer les indications qu’il nous donne sur la Pentecôte telle qu’on
la célébrait en Afrique, nous ne disposons que d’un seul texte originaire
de cette Église, mais son apport n’est pas négligeable. Il s’agit du traité
De Rebaptismate, faussement attribué à saint Cyprien, et qui provient
très probablement de la même époque et de la même région2. « Le
Saint-Esprit, y lisons-nous, est venu sur les disciples de notre
Seigneur... le dernier jour de la Pentecôte (postremo die pentecostes) 3. »

1 T e r tu llie n , De Corona, III, 4, op. cit., II, p. 1043. « D ie dominico ieiunium


nefas ducimus uel de geniculis adorare. Ea[de]m imm[u]nitate a die Paschae in
Pentecosten usque gaudem[u]s. »
* Cf. J. Q uasten, Initiation aux Pères de l ’Église, II, Paris, Cerf, 1957, p. 435-
* P s.-C yprien, De Rebaptismate, 6, éd. G. H artel, C S E L , 3, 3 ,18 71, p. 75-76.
42 Le temps de la joie

4. — HIPPOLYTE

La Tradition Apostolique se situe à peu près à la même époque.


Son auteur, Hippolyte, est un personnage assez énigmatique, puisque
des controverses subsistent encore sur son identité réelle et sur l’origine
de son œuvre. Il semble cependant qu’on puisse le considérer comme
un témoin de la liturgie romaine. En effet, même J. M. Hanssens \
qui lui attribue une naissance alexandrine, ne doute pas qu’il ait fait
partie, au moins en qualité de «presbytre », du clergé de la ville éternelle;
il paraît légitime d’en conclure que les institutions dont il parle n’étaient
pas étrangères au milieu dans lequel il écrivait. L ’allusion à la Pentecôte
que nous trouvons dans l’ouvrage que nous avons cité nous incite
donc à penser que cette solennité était aussi connue à Rome.
Le chapitre 33 de ce livre est contenu dans les fragments du palimpseste
de Vérone, qui nous permettent de suppléer à la perte du texte original.
Il y est question du jeûne pascal qui doit durer deux jours (le vendredi
et le samedi qui précèdent la fête). Et l’auteur poursuit :
« Si quelqu’un, se trouvant en m er ou en (cas de) nécessité, a ignoré
le jour (de Pâques), quand il l ’aura appris, il s’acquittera du jeûne après
la cinquantaine (pascale) *. »

Il s’agit donc, ici aussi, d’une période qui suit Pâques, puisqu’il
faut attendre qu’elle soit terminée pour suppléer au jeûne que l’on
n’a pu accomplir. Cela correspond bien à ce que nous savons déjà de
la Pentecôte *.

5. — ORIGÈNE

Origène est un alexandrin et c’est un écho de son Église qui


devrait nous parvenir à travers son œuvre. Cependant, son amour des
voyages et les difficultés qu’il a eues avec son évêque l’ont amené
à enseigner en Palestine autant qu’en Égypte. D ’autre part, son
témoignage est malaisé à l’interpréter. Les fêtes liturgiques, en effet,

1 J. M . Hanssens, La Liturgie dyHippolyte (Orientalia Christiana Analecta, 155),


Rome, 1959.
* La Tradition apostolique de saint Hippolyte, éd. et trad. B. B o t te , Münster,
1963 (L Q F 39), p. 80-81. « Si quis vero innavigio vel in aliqua necessitate constitutus
ignoraverit diem, hic cum didicerit, post quinquagesimam reddat ieiunium. » L ’auteur
justifie ensuite cette pratique par une allusion à Ezéchias, qui avait fait célébrer
la Pâque au deuxième mois, parce qu’on n’avait pas pu le faire au premier mois
(2 Chron., X X X , 2).
8 Hippolyte parle aussi de la Pentecôte dans un fragment d’œuvre perdue, que
nous citerons plus loin. Cf. p. 53.
La Pentecôte chrétienne à la fin du II* s. et au III* s. 43

ne l’intéressent pas pour elles-mêmes, mais à cause de leur signification


mystique et eschatologique. C’est souvent à propos de l’Ancien
Testament qu’il parle de la Pentecôte, saisissant chaque fois l’occasion
d’opposer 1’ «Image », qui apparaît dans les choses terrestres, à la
réalité de l’«Évangile éternel ». Ainsi nous lisons, dans une homélie
sur le Lêvitique :
« Il est prescrit de faire une oblation de prém ices, c ’est-à-dire d ’une
partie des premiers fruits. Selon le com m andem ent de la L o i, cela se
fait, si vous vous souvenez bien, le jour de la Pentecôte, où l ’om bre
a été donnée aux Juifs en plénitude, tandis qu’à nous la vérité a été
donnée avec réserve. E n effet, le jour de la Pentecôte, après avoir offert
un sacrifice de prières, l ’Église des Apôtres a reçu les prém ices de la
venue de l ’Esprit-Saint. C e fut vraiment une innovation, car on n ’avait
jamais vu cela; c ’est pourquoi on les disait enivrés de vin doux. « G rillés
au feu », car des langues de feu se posèrent sur chacun d ’eux. « E t coupés
en deux. » Ils étaient, en effet, coupés en deux, puisque la lettre se
séparait de l’esprit. « E t bien purifiés. » L a présence du Saint-Esprit
purifie de toute souillure, accordant la rémission des péchés *. »

Ce texte, comme celui de la plupart des homélies d’Origène,


n’a pas survécu en grec, mais il nous est conservé dans la traduction
latine de Rufin. Nous pouvons situer, pour ainsi dire, les trois registres
dans lesquels s’inscrit la fête de la Pentecôte. Dans l’Ancien Testament,
elle était déjà donnée en «Image »; ce n’était qu’une «ombre », au sens
platonicien de ce terme2. Pour nous, au contraire, elle est réalité,
veritas. L ’esprit de Dieu nous est communiqué non plus en figure,
mais tel qu’il opère efficacement la rémission des péchés 3. Cependant,
nous ne le recevons pas de manière totale et parfaite; «l’ombre a été
donnée aux Juifs en plénitude, tandis qu’à nous la vérité a été donnée
avec réserve. » Nous ne la voyons que per spéculum et in aenigmate

1 O rigèn e, Hom. in Leviticum, 2 ,2 , éd. W . A. Baehrens (G C S, Origenes, t. 6);


1920, p. 291-292. «... primitiarum, id est de initiis frugum mandatur oblatio. Quod,
si bene meministis, in die Pentecostes fîeri lex jubet. In quo illis plane umbra data
est, nobis autem veritas reservata est. In die enim Pentecostes oblato orationum
sacrificio primitias advenientis sancti Spiritus apostolorum suscepit ecclesia. Et
haec vere recentia quia erat novum, unde et musto repleti dicebantur. « Igni tosta »
Igneae namque linguae supra singulos consederunt. « Et medio fracta » Frangebantur
enim media, cum littera separabatur ab spiritu. « Et bene purgata » Purgat namque
omnes sordes praesentia sancti Spiritus, remissionem tribuens peccatorum... »
a Cf. Hom. in Num.y 11, 4, sq., éd. W . A. Baehrens (C G S, Origenes, t. 7),
1921, p. 82 sq. : les fêtes prescrites par le rituel juif sont toujours 1’ « ombre des biens
à venir » et « dans l’ombre présente, il faut chercher les tiens futurs ».
8 Cf. ibid.y 23, 1, p. 210. « Rendons grâces à l’avènement du Christ, qui a
arraché nos âmes à ce spectacle (celui des rites juifs), les a lancées dans la considération
des objets célestes et la contemplation des réalités spirituelles, a aboli ce qui paraissait
grand sur la terre et fait passer le culte de Dieu du visible à l’invisible, du temporel à
l ’éternel. »
44 Le temps de la joie

et nous n’en recevons que les arrhes, les primitia. Nous avons la réalité
et non plus seulement l’image, mais cette réalité ne sera complète
que dans le «face à face » éternel. Au fond, nous ne sommes pas dans
la perspective de la logique classique, qui se renferme star elle-même
dans la dualité «vrai » et «faux ». La réalité peut être plus ou moins
participée. Cette conception platonicienne et mystique, fondée sur une
exégèse allégorique de l’Ancien Testament, se retrouve dans maints
passages des œuvres d’Origène, notamment dans le Contra Celsum.
C’est vers le milieu du m e siècle que le docteur alexandrin
écrivit sa grande apologie, pour répondre aux attaques d’un philosophe
païen contre le christianisme. Après avoir essayé de ruiner la religion
de la Bible, Celse, le brillant adversaire de l’Église, invitait les chrétiens
à participer à la vie politique de Rome; il les exliortait en particulier
à s’associer aux fêtes publiques. Au livre VIII de son ouvrage, dans un
texte sur lequel nous reviendrons *, Origène répond qu’un fidèle de
l’Évangile n’a que faire des solennités impériales; pour lui, toute la vie
est orne fête, puisqu’il fait sans cesse son devoir et prie en tout temps.
Il est, par exemple, toujours « dans les jours de la Pentecôte », celui
qui est ressuscité avec le Christ. Le pluriel : èv tocïç tï)ç Tcevrrçxocrojç
vjjjipouçj manifeste que la Pentecôte est considérée comme orne fête
s’étendant sur plusieurs jours. Si l’homélie sur le Lévitique mentionnait
le dies Pentecostes, c’est qu’il était question de l’institution juive.
Le docteur alexandrin vient ainsi corroborer par son témoignage
la tradition qui nous est parvenue des autres Églises. Nous retrouvons
cependant dans le Contra Celsum ce qui est propre à sa théologie. La
vie entière du chrétien est orne communion aux fêtes de 1’ «Évangile
éternel ». C ’est pourquoi, pouvant se dire réellement ([ast1 àXi)0e(ocç) et
non plus seulement en ombre et en image, uni aux mystères célestes,
il est ressuscité avec le Christ, assis avec lui à la droite du Père et
dépositaire de l’Esprit. Aussi est-il toujours «dans les jours de la
Pentecôte ». La prière est d’ailleurs ce qui manifeste et renforce cette
union à la vérité invisible.

C’est donc de tous les horizons de la Catholica que nous viennent,


à la fin du IIe siècle et dans la première moitié du IIIe, les témoignages
sur la Pentecôte : Asie Mineure, Gaule, Afrique, Rome, Égypte et
Palestine. Bien que ces documents ne soient pas tous aussi explicites,

1 Cf. infra, p. 54-55.


La Pentecôte chrétienne à la fin du I I 9 s. et au I I I 9 s. 45

nous pouvons les interpréter les uns par les autres, pour contempler
l’universalité de la fête sur tout le pourtour de la Méditerranée.
Partout la Pâque inaugurait un temps de fête qui s’étendait sur sept
semaines. Partout cette solennité était assimilée au dimanche et on lui
donnait le nom de t o v t t j k o c t t t ).
Une telle affirmation ne peut que soulever dans un esprit moderne
une foule de points d’interrogation qui semblent autant de sérieuses
objections : Quel est l’événement du salut que commémorait cette
grande fête? Comment une appellation forgée chez les Juifs hellénisés
pour désigner le cinquantième jour peut-elle, en dépit de la grammaire,
s’appliquer à toute une période? etc... De telles questions ne peuvent
être résolues que si l’on approfondit d’abord, d’après l’ensemble des
textes que nous avons cités, la signification liturgique et la résonance
spirituelle qu’avait dans la foi et dans la vie des communautés
chrétiennes le laetissimun spatium de la solemnitas exsultationis.
CHAPITRE II

LE «GRAND D IM AN CH E1 »

Ce n’est donc qu’à la fin du IIe siècle et au début du IIIe que nous
trouvons les premiers témoignages d’une fête chrétienne de la Pentecôte.
Si le mot lui-même se trouvait dans les écrits antérieurs, sa signifi­
cation, semble-t-il, demeurait encore attachée aux coutumes du rituel
mosaïque que de nombreuses communautés chrétiennes connaissaient
encore et qu’elles pouvaient même continuer à pratiquer. Mais dès
qu’apparaît la tovt/)xootŸ| nouvelle, elle présente des caractères propres :
c’est une période de cinquante jours de joie, ce qui a pu influencer
rétrospectivement la traduction latine des Actes des Apôtres, imposant
le pluriel : Cum complerentur dies pentecostes. On ne peut comprendre
la signification profonde de cette organisation liturgique qu’en la
rapportant à la célébration dominicale, à laquelle la tradition primitive
unanime la réfère explicitement. Cette perspective est donc essentielle
et elle révèle toute la nouveauté de l’Évangile par rapport à la pensée
juive : la vie chrétienne s’y manifeste tout entière comme participation
au mystère pascal.

I. — LE « HUITIÈME JOUR »

«Que nul ne s’avise de vous critiquer sur les questions de


nourriture et de boisson, ou en matière de fêtes annuelles, de nouvelles
lunes et de sabbats. Tout cela n’est que l’ombre de l’avenir, mais la
réalité, c’est le Corps du Christ... Du moment que vous êtes morts
avec le Christ aux éléments du monde, pourquoi vous plier à des
ordonnances comme si vous viviez encore dans le monde? » (Co/., II,
16-17). Ces paroles de saint Paul dans l’Épître aux Colossiens, dont on
percevait l’écho chez Origène et auxquelles Tertullien faisait allusion,
contiennent toute la doctrine du mystère chrétien. Dès lors que nous
sommes ressuscités avec le Seigneur et que nous participons à sa
vie, les fêtes et les cérémonies, telles qu’elles étaient conçues dans

1 Pour ce chapitre, nous sommes dans une très large mesure tributaire de
J. H ild , Dimanche et vie pascale, Brepols, Turnhout-Paris, 1949.
Le « Grand Dimanche * 47

le rituel mosaïque, ont perdu toute signification. Cela explique la


réticence de la primitive Église à l’égard de toutes les solennités. Seul,
le rythme septénaire du calendrier juif se trouve consacré par
l’Évangile et le premier jour de la semaine devient le dies dominica.
Saint Jean emploie déjà cette expression, pour dater sa vision apocalyp­
tique : « Je fus ravi en esprit le jour du Seigneur, èv Tjj xuptaxfj -fjptépqc. »
(Apoc., 1, 10). C’est le jour de l’assemblée où «tous, ceux de la ville et
ceux de la campagne, s’assemblent en un même lieu..., parce que, ce
même jour, Jésus-Christ notre Sauveur est ressuscité des morts1 ».
On y célèbre l’eucharistie qui renouvelle sacramentellement la Pâque,
selon l’enseignement de saint Paul : «Toutes les fois que vous mangez
ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du
Seigneur, jusqu’à son retour » (7 Cor., XI, 26).
Le chrétien de l’âge apostolique n’avait nul besoin d’une célébra­
tion annuelle de la Résurrection; c’est toute sa vie, portée par le
rythme hebdomadaire, qui est une fête continuelle. Le fait purement
historique se trouve dépassé, spiritualisé, et plutôt qu’à un anniversaire,
la pensée religieuse s’attache à la signification mystique du dies dominica.
On se rappelle les insistances d’Origène sur ce point. Comment
pourrait-on considérer comme une date à commémorer un événement
que ne retient pas le passé, puisqu’il est sans cesse présent par la
grâce dans la vie des fidèles? Ce qui importe, c’est que le Christ est
ressuscité «à l’aurore du premier jour de la semaine »(Mt., XXVIII, 1),
le lendemain du sabbat. Cette indication a suggéré aux Pères de l’Église
un symbolisme nouveau, attestant que l’Alliance scellée dans le sang
du Christ dépasse infiniment la loi mosaïque. Dès le 11e siècle, le
Pseudo-Barndbé présente le dimanche comme le «huitième jour, où
Jésus est ressuscité des morts et, après s’être manifesté, est monté
au ciel2 ». Vers 150, saint Justin souligne que «le premier jour, tout en
restant le premier de tous les joins, en le comptant de nouveau après
tous les jours de la semaine, est appelé le huitième, sans cesser pour
cela d’être le premier2 ».

1 S. Justin , i Te Apologie, 67, éd. L. P a u tig n y (Hemmer-Lejay), Paris, Picard,


1904, p. 142-144. « K al Tf) tou yjXÊou XeyopivT) ^pipa toxvtoùv xaTa 7réXeiç ^ àypoùç
jxevévTcov èrcl t6 aÙT& auvèXeuaiç ylveTai... è7teL&7)... ’lrjaouç Xptcrriç ô rjfjiTepoç
ctcottjp Tfj aÙTfi fjfx£pqc èx vexp&v avécra). &
2 Épître de Barnabé, éd. H. Hemmer, Picard, 1926 (Textes et documents, 10)
p. 88-89. « À16 xal (Jcyofzev t ? ) v Yjfxépav ttjv ôySéTjv elç eû<ppoaév7)v, èv f) xal ô Ttjcjouç
àvèaTT) èx vsxpûv xal çavepcoQelç avè^r) elç oupavoûç. »
8 S. J u stin , Dialogue avec Tryphon} 41, 4, éd. G . A rc h a m b a u lt (Hemmer-
Lejay), Paris, Picard, 1909, p. 186. «... p.la yàp tcov aappàTtov, 7rpct>T7) (xèv oSoaTÛv
ïraaûv ■fjfiepûv, xavà tôv àpL0fi6v 7ràXtv tû v 7raaüv fjpiepûv TÎjçxuxXoçoplaç ôySo^j
xaXetTat, xal 7rpcoT7j otfaa pivei. &
48 L e temps de la joie

Le dimanche l’emporte sur le sabbat et apparaît comme le signe


distinctif de la vie chrétienne. « Ceux qui vivaient selon l’ordre ancien
des choses, écrit saint Ignace d’Antioche au début du IIe siècle, sont
.venus à la nouvelle espérance, n’observant plus le sabbat, mais le
;dimanche, jour où notre vie s’est levée par le Christ et par sa mort1. »
C ’est le dies quant fecit Dominus, celui dont Dieu lui-même célèbre la
liturgie par le sacrifice rédempteur et l’exaltation de son Fils. De même
que l’ancienne Alliance n’a été que le prototype de la nouvelle, de
même le septième jour mosaïque est apparu comme l’image du huitième,
inauguré à l’accomplissement des temps messianiques. Le repos
sabbatique figurait celui du Seigneur après la création, mais d’une
manière grossière et imparfaite, car Dieu n’a pas besoin de refaire ses
forces; une fois son œuvre achevée, il jouit de sa propre perfection qui
6e reflète dans les choses, tout en demeurant parfaitement actif. S’il
a voulu que l’homme s’associe à son repos, c’est pour lui faire partager
cette contemplation de sa gloire; dès ici-bas, il le fait adhérer, par son
intelligence et sa volonté, à la beauté de l’univers et fait passer par ses
lèvres la louange et l’action de grâces qui en remontent vers le ciel.
Mais la requies aeterna ne nous sera donnée que dans la béatitude,
lorsque nous pourrons jouir des biens de la véritable Terre promise,
dont nous n’avons reçu que les arrhes. Le dimanche chrétien, en nous
faisant goûter ces premiers fruits du ciel, est tout entier tourné vers
la réalisation eschatologique du Royaume. Les observances de l’ancienne
Loi ne pouvaient pas pleinement réaliser cette ressemblance de la
créature avec le Créateur. On ne peut oublier la malédiction du
Seigneur, dans le psaume 94, affirmant avec serment, à propos des
Hébreux qui avaient «endurci leur cœur » dans le désert : « Jamais
ils n’entreront dans mon repos » (Ps. XCIV Vulg., 11). Sans doute
la fidélité aux prescriptions sabbatiques élevait-elle l’Israélite au-
dessus de lui-même, pour le constituer membre du peuple de Dieu :
« Si tu t’abstiens de fouler aux pieds le sabbat et, le jour saint, de
traiter tes affaires; si tu appelles le sabbat délicieux et vénérable, jour
consacré au Seigneur; si tu le vénères en évitant les voyages, le
traitement des affaires et les pourparlers; alors tu trouveras tes délices
dans le Seigneur, je te conduirai en triomphe sur les hauteurs du pays.
Je te nourrirai de l’héritage de ton père Jacob. » (Is., LVIII, 13-14)*
Cependant, ce n’est qu’en vivant le mystère pascal, en mourant avec

1 S. Ig n a ce d’A n tio c h e , Épître aux Magnésiens, IX , éd. P. T . C a m e lo t


(SC 10), 2 e éd., 1951, p. 102-103. «••• ° l èv TCaXaioîç irpàYfiaatv àvaoxpaipévTeç etç
Katv6T7)Ta èXrctSoç ?]X0ov, pu)xéTl aapPaxlÇovTeç, àXXà xa-rà xupiaxï]v ÇSvTeç, èv f)
K a l j ) ÇoyJ) ■fjtiwv àvéxeiXev S t ’ a Ù T o ü t o ü Oavàrou a Ù T o O ... »
Le « Grand Dimanche » 49

le Christ pour ressusciter avec lui que l’homme participe à la béatitude


du Père.
Les chapitres III et IV de VÊpître aux Hébreux, reprenant le
psaume 94, mettent en lumière cette dimension nouvelle de l’Alliance :
« Craignons donc que l’un de vous n’estime arriver trop tard, alors
qu’en fait la promesse d’entrer dans son repos reste en vigueur. Car
nous aussi nous avons reçu une bonne nouvelle, absolument comme eux.
Mais la parole qu’ils avaient entendue ne leur servit de rien, parce qu’ils
ne restèrent pas en communion par la foi avec ceux qui écoutèrent.
Au contraire, nous entrerons dans le repos, nous les croyants... »
(Hebr.} IV, 1-3). C’est l’accession à la vie divine par la foi dans le
Seigneur Jésus, dans la communion de l’Église, qui, dépassant le
sabbatisme mosaïque, constitue le « huitième jour ». « De nouveau,
Dieu fixe un jour, un «aujourd’hui», disant en David, après si
longtemps, comme il a été dit ci-dessus : Aujourd’hui, si vous entendez
sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs... Si Josué avait introduit les
Israélites dans ce repos, Dieu n’aurait pas dans la suite parlé d’un
autre jour. C’est donc qu’un repos, celui du septième jour, est réservé
au peuple de Dieu. Car celui qui est entré dans son repos lui aussi
se repose de ses œuvres, comme Dieu s’est reposé des siennes »
(Hebr., IV, 7-10).

2. — LA « SEMAINE DE SEMAINES »

Primitivement, l’année liturgique ne comportait donc que les


dimanches. Or, nous l’avons vu, dès le début du IIIe siècle, le
témoignage d’une grande solennité annuelle nous parvient de tous les
horizons de l’Église catholique. Les rares documents que nous possé­
dons ne nous permettent pas de décrire avec certitude et précision cette
transformation des institutions. Pour que nous puissions cependant
tenter de nous prononcer sur les hypothèses qui ont été proposées,
nous devons tout d’abord approfondir notre connaissance de la
Cinquantaine, telle qu’elle ressort du dossier que nous avons recueilli.
L ’idée qui nous frappe en premier lieu, car elle est unanime,
c’est que la 7rcvTY)xocm) est ornée de toutes les prérogatives du dimanche,
dont elle n’est qu’une célébration plus solennelle. Le symbolisme du
« huitième jour » (sept plus un) nous conduit à celui du nombre
cinquante (sept fois sept plus un), qui en est comme la réalisation plus
pleine et plus parfaite. L ’Ancien Testament connaissait déjà cette
amplification du sabbat, dont témoigne le nom même de la nisntf in
et Philon nous a montré l’usage que la spiritualité juive savait faire
50 Le temps de la joie

de la signification symbolique des aà(3(3aTa crappaxcov. La Bible prescri­


vait aussi la semaine d’années : «Pendant six ans* tu ensemenceras
ton champ; pendant six ans, tu tailleras ta vigne et tu en recueilleras
les produits. Mais la septième année, la terre aura un repos sabbatique,
un sabbat pour le Seigneur » {Lev.y XXV, 3-4); «A la fin de chaque
septième année, tu feras rémission» (Deut., XV, 1). Au bout de
quarante-neuf ans, un jubilé devait être célébré, époque d’amnistie, de
libération des esclaves et, si c’était nécessaire, de redistribution des
terres (Lez;., XXV, 8-14). La tradition chrétienne a souvent repris
ces passages de l’Ancien Testament à propos de la Cinquantaine.
Mais la Pentecôte nouvelle dépasse ces pratiques tout autant que
le dimanche dépasse le sabbat et c’est pourquoi elle se présente, dès
son origine, comme la célébration plus solennelle du « huitième jour »,
qu’elle fait resplendir dans tout son éclat. C ’est ce qu’exprime Hilaire
de Poitiers, qui fut amené à parler de la grande solennité, dans son
Tractatus super psalmos, à propos du nombre des psaumes :
« C ’est la semaine de semaines, com m e le m ontre le nom bre
« septénaire » obtenu par la m ultiplication de 7 par lui-m êm e. C ’est
cependant le nom bre 8 qui l ’accom plit, puisque c ’est le m êm e jour
qui est à la fois le prem ier et le huitièm e, ajouté à la dernière semaine
selon la plénitude évangélique. Cette semaine de semaines est célébrée
selon une pratique qui vient des apôtres : en ces jours de la Pentecôte,
personne n’adore, le corps prosterné à terre, ni ne m et l’obstacle d’un
jeûne à cette solennité de joie spirituelle. C ’est cela m êm e, d’ailleurs,
qui a été établi pour les d im a n c h e s...1 »

Ce texte semble s’inspirer des œuvres d’Origène2, ce qui est


assez fréquent chez Hilaire. On ne peut donc l’invoquer pour se faire
une idée des usages de l’Église de Poitiers, mais on y retrouve, exposées

1 S. H ila ir e de P o itie rs , Imtructio Psalmorum, éd. A. Z in g e r le (C SE L 22),


1891, p. 11. « Esse autem haec sabbata sabbatorum septenarius numerus per septcm
in septuplum connumeratus ostendit; quem tamen ogdoas, quia dies eadem prima
quae octaua, secundum euangelicam plenitudinem in ultimo sabbato adiecta consumât.
E t haec quidem sabbata sabbatorum ex ab apostolis religione celebrata sunt, ut his
quinquagesimae diebus nullus neque in terram strato corpore adoraret neque ieiunio
festiuitatem spiritualis huius beatitudinis impediret; quod ipsum extrinsecus etiam
in diebus dominicis est constitutum... »
2 Pour Origène, la TrevrrjxovTàç n’était, dans l’Ancien Testament, que la
« figure » du pardon des péchés que réalise l’évangile, reprenant ce nombre et un autre
qui lui est apparenté. « Un créancier avait deux débiteurs ; l’un lui devait cinq cents
deniers, l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi s’acquitter, il remit
leur dette » {Le., V II, 41). Après les sept séries de sept, le premier nombre de la
huitième signifie cette rémission qui est d’un autre ordre et qui apparaît comme la
réalité, venant après son ombre (O rigen e, Über die /50 Psalmen, éd. H. A c h e lis ,
ffippolitus Werke, G C S , I Teil, 2, 1887, p. 138; cf. aussi : In Matth., X I, 3, éd.
E. K lo s te rm a n n , G C S 10, 1935, p. 38). Saint Jérôme se réfère aussi au verset de
saint Luc, pour exposer le même symbolisme, dans la lettre à Fabiola que nous
citerons plus loin (cf. p. 90).
Le « Grand Dimanche » 51

à la lumière du symbolisme de l’ogdoade, les caractéristiques essentielles


de la 7revTY)xoary). La signification eschatologique du jour du Seigneur
s’y exprime d’une manière encore plus solennelle. C’est ainsi que
saint Basile, évêque de Césarée de Cappadoce, parlant dans son Traité
sur le Saint-Esprit, en 374 ou 375, des pratiques non-bibliques, telle
celle de prier debout le dimanche, voit dans le retour hebdomadaire
de ce jour, qui est «au commencement des jours», l’image de celui
« sans fin, qui n’aura ni soir ni lendemain ». Et il poursuit :
« T oute la Pentecôte, nous rappelle, elle aussi, la résurrection que
nous attendons dans l ’autre siècle. C e jour un et prem ier, sept fois
m ultiplié par sept, accomplit en effet les sept semaines de la Pentecôte
sainte. Celle-ci se termine par le jour même où elle a commencé, le
premier, se déployant cinquante fois dans Pintervalle en des journées
semblables. Aussi cette ressemblance lui fait-elle im iter l ’éternité,
puisque, comme en un mouvem ent circulaire, son point de départ est
le même que son point d ’arrivée. E n elle, c’est la station droite à la
prière que les lois de l ’Église nous ont appris à préférer. Cette
« remémoration » en acte transporte pour ainsi dire notre esprit du présent
dans l’a ven ir*. »

A travers une image classique dans l’antiquité grecque, pour qui


tout ce qui est cyclique symbolise l’éternité, la «Pentecôte» apparaît
comme transcendant le sabbatisme mosaïque. La présentation mystique
de Philon en reçoit une signification entièrement renouvelée : si l’on
ajoute un jour à la fin de la septième semaine, c’est pour passer, comme
dirait Origène, de l’ombre des figures, à la réalité de l’Évangile étemel.
« Sept m ultiplié par sept, reprendra Isidore de Séville, donne
cinquante, si on y ajoute une unité qui, selon la tradition venant de
l’autorité des anciens, préfigure le siècle fu tu r; ce jour est lui-m êm e
toujours le huitième et le prem ier, bien plus il est toujours unique,
c’est le jour du S eig n eu r2. »

1 B a sile de C ésarée, De Spiritu Sancto, 27,66; PG 32, c. 192. « K al ratera 8è


fi 7revT7)xoarr) TÎjç èv t # odcovi 7rpoa$oxcojjivY)ç àvaciTàaecîx; ètmv ôxopLVTjpia. T I yàp
(jtia èxelvT) xal xpcoTï] fijxépa, eTTTàxtç ê7rra7uXa<naa0eïaa, t <xç èrarà Tfiç tepàç
7revTY)XoaTYj<; épSofiàBaç àxoTeXeï.. ’E x 7cpa>T7)ç yàp àpxofxév?), elç Tfiv auTfiv
xaTaXfiyei, $&’ ô|i.otcov tcov èv tco fxéaco èÇeXiTTOjxévT] 7tevT7)xoaTàxiç. Àio xal alcova
pLi(i.eiTat Tyj Ô|A0i6tt)ti, (ftarrep èv xuxXixfi xtvfiaet tcov aÔTÛv àpxo|xév7] cnj^elcov,
xal etç Tà aÙTà xaTaXfiyooaa. ’Ev fi t6 tipOtov axfi|J.a TÎjç 7tpoaei>xfiç rcpcmfxav 0l
0ea|xol tfiç ’ExxXYjalaç fifxàç èÇerattôeuaav* èx Tfiç èvapyouç uxopivfiaecoç olovel
(jteTotxlÇovTCÇ fificov t6v vouv axè tcov 7rap6vTcov êxl Tà piéXXovTa. »
8 Isid o re de S é v ille , De E ccl Offic. I, 24; P L 83, c. 769, « 4 ... Septem enim
septies multiplicati quinquagenarium ex se générant numerum assumpta monade,
quam ex futuri saeculi figura praesumptam esse majorum auctoritas tradidit; fit
enim ipsa et octava semper, et prima, imo ipsa est semper una, quae est Dominicus
dies ».
52 Le temps de la joie

Pour qu’ils soient vraiment le signe de la transcendance du


mystère pascal dans toute sa plénitude, il faut donc que ces cinquante
jours se présentent comme un seul et unique jour, la magna dominica *.
Cela ne signifie pas que les chrétiens doivent alors célébrer quotidien­
nement l’Eucharistie, ce qui serait faire de la Cinquantaine une série
de dimanches successifs. C’est au contraire l’ensemble de la période
qui «a la même portée que le dimanche», comme dit saint Irénée.
C ’est la tc£vt7]xo<jtT|, qui est proprie dies festus, selon l’expression de
Tertullien. Elle apparaît comme une célébration continue qui s’étend
du matin de la Résurrection jusqu’au soir du cinquantième jour.
Durant ce temps de joie, aucune journée n’est privilégiée; le dernier
dimanche lui-même ne semble pas, à l’origine, être particulièrement
mis en relief. Seule émerge de la grande solennité l’eucharistie qui
l’inaugure. Cette période de joie doit donc être a fortiori parée de
toutes les prérogatives du dimanche : le jeûne en est exclu et on ne
prie pas à genoux. Plus encore que le « huitième jour » — les auteurs
anciens l’affirment avec insistance — la Cinquantaine se présente
comme l’accomplissement définitif et plénier du sabbatisme mosaïque.

3. — LE CONTENU LITURGIQUE DE LA CINQUANTAINE

« Ce qu’aujourd’hui nous appelons Pâques, écrit O. Casel,


; et qui apparaît dans notre calendrier comme la pascha Domini, les
>premiers chrétiens l’auraient plutôt nommé Pentecôte *. » Une telle
affirmation est moins surprenante quand on sait que le terme de toxoxoc
s’appliquait primitivement à la célébration pénitentielle qui précédait
les cinquante jours de fête. Nous ne savons pas comment se compor­
taient les quartodécimans pour ce passage de la Pâque à la Pentecôte,
mais chez ceux qui furent leurs adversaires dans la querelle qui s’éleva
à ce sujet, on pratiquait un jeûne rigoureux qui s’étendait, semble-t-il,
du vendredi au samedi. L ’eucharistie du matin de la Résurrection,
célébrée après une nuit de prières, clôturait ce temps de pénitence
pour inaugurer la sainte Cinquantainea. Cela explique les recomman­
dations de la Tradition Apostolique :

1 Cette expression se trouve dans l ’une des lettres festales d’Athanase


d’Alexandrie que nous ne possédons qu’en latin et que nous citerons plus loin.
1 O. C a s e l, Art und Sinn der àltesten christlichen Osterfeier, dans JLW , 14
(1938), p. 2.
• Cf. C. S c h m id t , Gesprâche Jesu mit seinen Jüngem nach der .Auferstehung,
(T U 43), Leipzig, 1919, Exkursus III, p. 603-607; et O. C a s e l, art. cit., p. 1-3 et
p. 45 sq.
Le « Grand Dimanche » 53

« Q u ’on ne prenne rien à Pâques, avant que l ’oblation n ’ait lieu ...
Cependant, si une fem m e est enceinte et (si quelqu’un) est malade et
ne peut jeûner deux jours, il jeûnera le samedi (seulement) par nécessité,
se contentant de pain et d ’eau. Si quelqu’u n ... a ignoré le jour, ...il
s’acquittera du jeûne après la cinquantaine 4. »

Hippolyte oppose encore la Pâque et la Pentecôte dans un


fragment d’œuvre perdue que nous a conservé Théodoret de Cyr :
« T rois* périodes de l’année renvoient comme à un m odèle au
Sauveur lui-mêm e pour qu’il accomplisse ce qui avait été prédit à
son sujet : à Pâques, afin q u ’il se montre comme celui qui doit être
immolé à la manière d’un agneau et q u ’il soit regardé comme la vraie
Pâque, selon le mot de l ’apôtre : N otre Pâque a été immolée pour nous,
le C hrist D ieu, à la Pentecôte, afin d ’annoncer le royaum e des cieux,
montant lui-même le prem ier aux cieux et offrant l ’hom m e en présent à
D ieu a. »

On remarquera que la Pâque n’évoque nullement le mystère de la


résurrection du Seigneur, mais celui de son immolation, selon le texte
de la I re Épître aux Corinthiens (V, 7). C’est la tovtv )x o c tt ) qui exprime
son exaltation et ce genre d’opposition suffit, semble-t-il, à écarter
l’interprétation qui comprendrait ce terme comme désignant le dernier
jour du Temps pascal. On peut être surpris que l’ascension apparaisse
ici comme le thème essentiel de la célébration de la Cinquantaine.
Les rites de l’offrande des prémices, à la fête des semaines, semble
avoir inspiré l’auteur, lui suggérant l’idée que Dieu a accompli et
couronné tout le mystère rédempteur en introduisant au ciel les
prémices de l’humanité rachetée, en la personne du Verbe incarné.
Peut-être faut-il y voir aussi une allusion à un verset de psaume
dont nous verrons l’importance dans la tradition chrétienne de la
Pentecôte : «Tu es monté dans les hauteurs, emmenant la foule

1 H ip p o ly te de Rome, op cit., p. 78-81. « Nemo in Pascha antequam oblatio


fiat percipiat... Si quis autem in utero habet et aegrotat et non potest duas dies
ieiunari, in sabbato ieiunet, propter necessitatem, contenens panem et aquam. S i
quis vero... ignoraverit diem ... post quinquagesimam reddat ieiunium. »
2 Bien que le texte annonce une division tripartite, il n’est question, dans le
fragment, que de deux solennités.
3 E lç tôv ’EXxàvav x a l elç rijv "Avvav. 4, éd. G . B o n w e tsch -H . A c h e lis
(G C S I, 2), 1897* P* 122. «... Tpetç xatpol tou èviauTou TrpoeTUTcouvTO elç ocÙt6v
tùv aanrjpa, l'va Tà TrpoçTjTeuOévTa rcepl ocûtou [xuarrçpia è7riTeXèafl- èv |ièv tw
7ràaxqc, l'va èauT^v èTU&elÇ'ft t6v (jtiXXovTa coç 7rp6 paTov 0 ueaOou x a l àXTjOtvôv n à o x a
SelxvuaOai cbç ô ànàaxoXoc; Xéyei xb 8è 7ràaxa yj(juov bnhp ^jxcov èTÙOr), X ptaréç ô
Oeéç* èv Tfj 7revT7)xocjTfj, cva 7rpoar)[j.Y)Vfl ttjv t û v oùpavûv PaatXelav, aÙTÙç rcptoTOÇ
elç oûpavoùç àvapàç, x a l t6v àv 0 pa>7rov Sûpov tco Oecp Trpocievéyxaç. »
54 Le temps de la joie

des captifs, tu as reçu des présents en l’homme» (Ps. LXVII


Vulg., 19).
Devons-nous en conclure que la grande solennité commémorait
le retour du Seigneur dans la gloire du Père ? Ce serait mettre Hippolyte
en opposition avec ses contemporains. Origène, dans le passage que
nous avons cité de VHomélie sur le Lévitique, dit que «l’Église des
apôtres a reçu les prémices de la venue de l’Esprit-Saint... qui accorde
la rémission des péchés ». C ’est la même image du rite juif, à laquelle
s’ajoute une allusion à l’amnistie de l’année sabbatique et du jubilé;
Mais c’est bien la descente du Paraclet sur les disciples réunis au
cénacle qui semble plutôt l’objet de la célébration. En réalité, il n’y
a là aucune contradiction; le problème est seulement mal posé. Les
remarques que nous avons déjà faites à propos de la Cinquantaine
considérée comme un « grand dimanche » montrent bien qu’il s’agit
d’une fausse piste et une lecture plus attentive des témoignages que
nous avons recueillis nous oriente sur une tout autre voie.
Nous avons déjà cité le livre VIII du Contra Celsum affirmant
que les chrétiens n’ont pas besoin des solennités païennes, puisque,
pour eux, toute la vie est une fête :

« S i quelqu’un objectait, poursuit O rigène, ce qui se fait chez


nous le dim anche, le vendredi, à Pâques et à la Pentecôte, voici ce qu’il
faudrait répondre... »

Et l’auteur expose que, pour celui dont toute la vie est unie au
Seigneur, tous les jours sont dimanche, comme pour celui qui renonce
à la «sagesse de la chair » tous les jours sont vendredi; de même, c’est
une Pâque perpétuelle pour celui dont l’existence n’est qu’un «passage »
à la cité de Dieu. Et il ajoute :

« E n outre, il est toujours dans les jours de la Pentecôte, celui qui


peut dire en vérité : « N ous sommes ressuscités avec le C hrist », mais
aussi : « A v e c lui il nous a ressuscités et fait asseoir aux d e u x dans le
C hrist» , surtout quand, m ontant au cénacle, com m e les apôtres de
Jésus, il s’adonne à la prière et à l ’oraison, pour devenir digne du vent
violent venu des cieux, dont la force détruit la m alice de l ’hom m e et
ses conséquences, digne aussi d ’une part de la langue de feu qui vient de
D ieu . »

Dans ce texte, qui suit de très près les écrits bibliques puisque,
outre la citation de VEpître aux Éphésiensles mots mêmes des Actes

* Eph., II, 6.
Le « Grand Dimanche » 55

y semblent décalqués \ la Pâque, qui est «passage », se distingue des


jours de la Pentecôte, où apparaissent évoquées tout ensemble la
sortie du tombeau, la montée au ciel du Sauveur et la venue de l’Esprit-
Saint. Tertullien présente de même tous ces aspects, dans l’unité d’une
célébration, et il y ajoute l’espérance de la Parousie2.
Le contenu de la fête n’était donc pas seulement la résurrection
du Seigneur, mais aussi toutes ses manifestations : apparition aux
disciples, ascension, envoi du Paraclet, retour du Seigneur, etc...
C’est au fond l’exaltation du Kyrios, à laquelle la célébration nous fait
participer, qui constitue le nœud autour duquel s’ordonnent tous les
éléments exprimant la richesse du mystère rédempteur; c’est sans
doute l’événement du matin de Pâques, survenu à l’aube du premier
jour de la semaine, qui en constitue l’aspect dominant, comme il était
l’unique objet de la prédication des apôtres : « Si tes lèvres confessent
que Jésus est Seigneur et si ton cœur croit que Dieu l’a ressuscité
des morts, tu seras sauvé» (Rom., X, 9). L ’ascension du Sauveur et
le don de l’Esprit sont comme 1’ «épiphanie »du Ressuscité et sa passion
elle-même, dont les cicatrices apparaissent encore sur son corps
glorieux, lors de son apparition aux onze, le premier jour de la semaine,
n’est autre que le combat dont il est sorti victorieux.
La TCVTï)xo<n7) est donc la seule solennité de l’année liturgique,
célébrant d’une manière globale, comme lé dimanche, le mystère de la
nouvelle Alliance. La période de pénitence qui la précède n’est pas une
c o m m ém o raison de la passion, s’opposant à celle de la résurrection et
de la glorification du Sauveur. Elle n’est qu’une intense préparation
à la joie spirituelle du laetissimum spatium, débouchant sur cette
transition entre le jeûne et la fête que constitue l’eucharistie de la nuit

1 O r ig è n e , Contra Celsum, V III, 22; GCS 2 , 1899, p. 239-240 . ’E àv 8è Ttç


Trpèç to cO to c dcv0u7ro<pép7) Tà xepl t c o v 7rap*fi(itv xu p iaxû v fi raxpaaxeuôv fi t o u I I acya
fi Tfiç IlevTrçxoaTfiç SC fip,epcov Ytv6(jteva, XexTéov...
... rcp&ç TOijTOtçSh à Suvàjxevoç (jLeT*àX7)-
Ostaç Xèyeiv auvavétrci)[«v. XptcrrôS auv^yèpOrjTe toi Xpicrrû (C o l, III, i)
aXXa xal t b auvTjyetpe xa^cmvexaOtaev auvïjyeipev xal auvexâQiasv èv toïç
ijfiâç èv -voïç èîTOupavloLç èv XpiOTtp &d èTtoupavloiçèvXpioTÜ’Ii5aoü(Ep/i.,II)6)
ètmv èv Tatç Tfiç nevTTqxoaTfiç fi(iépatç>
x al [xàXiaTa o t s xal elç t 6 uxspcpov* œç elç ùrapaSov a vè^ ca v (Act., I, 13)
ol àx6oToXot t o u ’Ir)<TOu àva(3aç axoXà- ofoot xàvTeç ficrav 7rpoaxapTspoüvTsç
Çei Tfi Sefiaet xalTfiTrpoaeuxfi, àçàÇ ioç Ô(io0ufxa8àv Tfi 7rpoaeuxfi (Act., I, 14)
yevéaOat Tfiç <pepofjtév7)ç wvofiç (âialaç èÇ Kal èyèvsTO éccpvco èx t o u oûpavou fixoç
oupavou, ptaÇojxévvjç èÇa<pavlaav Tfiv èv ôoTcepçepojxéwjçTcvofiçPiataçWcfoIIjZ)
àv 0pa>7rotç xaxlav xal Tà aTc’auTfiç, àÇtoç
Sh xal tlvoç jxeptafxou yXcoacrrjç ànb 0eou <ü<p07)(jav aÙTotç Sta(jLeptÇ6^evai yX&a-
7rup(v7)ç am (Act., II, 3)
* T e r tu llie n , De Baptismo, X IX , 2; c f. supra, p . 40.
56 Le temps de la joie

pascale. Si l’on y trouve évoquée la typologie de l’agneau immolé,


c’est parce que saint Paul y voit, selon YExode, le passage de la servitude
à la liberté, de la vie selon la chair à la vie selon l’Esprit. La Pascha
Domini, avec son ascèse rigoureuse, n’est donc que l’entrée dans la
solemnitas exsultationis, car on ne saurait fragmenter le mystère
rédempteur. L ’exaltation du Christ, sa seigneurie, découlent en effet
de l’abaissement de la croix, selon le texte bien connu de YÊpître aux
Philippiens : «Lui, de condition divine, il ne tint pas jalousement
à être traité comme Dieu, mais il s’anéantit lui-même prenant condition
d’esclave et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté
comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort,
jusqu’à la mort sur une croix! Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il
donné un nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom
de Jésus, s’agenouille au plus haut des cieux, sur la terre et dans les
enfers, et que toute langue proclame de Jésus-Christ qu’il est Seigneur
à la gloire de Dieu le Père » (Phil., II, 6-n).
C’est ainsi le mystère chrétien dans sa totalité qui se réalise dans
la célébration du huitième jour et dans celle de la Cinquantaine1;
il nous introduit dans la gloire acquise par notre Chef. La typologie ,
de l’Ancien Testament invitait tout naturellement à comprendre
la réalité du salut à partir des sacrifices de prémices prescrits pour
la Pentecôte juive. Le Verbe incarné retourne à son Père comme
le premier fruit de l’humanité rachetée, destinée au Paradis que le
Christ inaugure. C ’est l’exaltation de l’Église tout entière, vivifiée
par le don de l’Esprit, en la personne du «premier-né de toute créature »
(Col., I , 15). Et le texte même des Actes relatant l’Ascension orientait
les esprits vers l’attente de son retour : «Ce même Jésus, qui vient
de vous être enlevé au ciel, en redescendra de la même manière que
vous l’avez vu monter» (Act., I, u ). Ainsi est née cette conviction
attestée déjà par YEpistula Apostolorum et si conforme au mystère de
la TCVTYptocrri) primitive, que la Parousie s’accomplirait au temps de
Pâques. Ce sera alors la réalisation parfaite de la requies aetema

1 Pour saint Jérôme, le nombre cinquante, celui du pardon, apparaît comme la


multiplication de 7 par 7 — et il s’agit alors des dons de l’Esprit — et comme celle
de 5 par 10 — et c’est la loi de Dieu soumettant nos cinq sens : « in hoc significare
puto, ut per quinquagenarium, qui remissionem in se continet, (et) per karitatem,
quae septiformi spiritu gratiae superueniente diffusa est in cordibus nostris, et quinque
nostri corporis sensus legi dei subditos habeamus » (.E p i s t C X L I X , 4, éd. I. H i l b e r g
(C SE L 56), 1 9 18 , p. 36 1). Mais ici encore le texte, évoquant le rituel juif de l’offrande
des premiers fruits, présente le Christ comme les prémices de l’humanité pénétrant
dans le ciel, et c’est le thème central de la Pentecôte que nous retrouvons. L ’image
du repos et celle de la rémission se rejoignent et se confondent (cf : I s id o r e , Etymolo-
giarum, 4, 1 8 ; P L 82, c. 2 5 0 ); il s’agit toujours du but et de l’achèvement de l’œuvre
rédemptrice du Christ : notre participation à sa gloire.
Le « Grand Dimanche » 57

dans le Royaume que nous a ouvert l’ascension du Kyrios, la plénitude


que préfigurait le sabbatisme ancien et dans laquelle nous introduit,
dès ici-bas, la célébration de la Cinquantaine, car nous y recevons
l’Esprit qui «renouvelle la face de la terre» (Ps. CIII Vulg., 30).
Les sacrements de Pâques nous élèvent au-dessus du monde présent
pour nous faire participer au repos sans fin, car «Dieu nous a ressuscités
avec le Christ et nous a fait asseoir avec lui dans les cieux »(Eph., II, 6).
Comment s’étonner, dès lors, que ce soit le moment le plus
favorable à la réception du baptême? Le mysterium regenerationis
plonge le catéchumène dans la mort du Christ pour le rendre participant
à sa vie; il signifie et produit tout à la fois le mystère que l’Église revit
par la célébration de la Cinquantaine.

4. — DU DIMANCHE A LA 7TCVTY]X05TY)

Les premières générations chrétiennes ne connaissent pas d’autre


solennité que celle du «huitième jour ». Or au IIIe siècle, nous parvient
des principales Églises de la Catholica le témoignage d’une célé­
bration annuelle où une eucharistie solennelle, dans la nuit de la
Résurrection, clôturait un jeûne rigoureux et inaugurait une période
festive de sept semaines. Que s’est-il passé entre ces deux dates?
Est-il possible d’établir quelques jalons du passage de la Pâque hebdo­
madaire à la Pâque annuelle?
On n’ignore pas que les plus anciens témoignages de celle-ci ne
sont pas unanimes sur le jour de sa célébration. En négligeant les
nuances pour ne retenir que les grandes lignes, on peut dire que certains
restaient fidèles à la date des Azymes, selon le calendrier juif, tandis
que la plupart des Églises solennisaient le dimanche suivant, sans
toutefois que la conception de la fête soit différente1. Dans un article
récent, M. Richard a essayé d’apporter de nouvelles précisions à
l’histoire de ce qu’on a appelé la « question pascale2». Étudiant l’une
des pièces essentielles du dossier, la lettre de saint Irénée au pape
Victor, il en donne une interprétation différente de celle d’Eusèbe

1 Selon A. B a u m s t a r k , Liturgie comparée, 3e éd. française, Chevetogne,


I 953>P -156 sq., les quartodécimans célébraient la Pâque de la croix (7ràaxoc axaupwat-
jiov) et les autres Églises la Pâque de la résurrection (n<kc%<x. àvaaxàaifAov). C ’était aussi
l’opinion de M gr vD u c h é s n e , Histoire ancienne de VÉglise, t. I, 4e éd., Paris, 1908,
p. 286 sq. Mais la découverte de plusieurs homélies pascales prononcées par des
tenants des deux traditions a montré qu’il n’y avait aucune différence dans la manière
de concevoir la fête. B . B o t t e a d’ailleurs établi l’origine récente de ces expressions
grecques qui pouvaient donner le change : B . B o t t e , Pascha, dans UOrient Syrien 8,
1963, p. 212-226.
2 M . R i c h a r d , La Question Pascale au I I e siècle, dans UOrient Syrien 6 , 1961,
p. 171-212.
58 Le temps de la joie

de Césarée, qui nous en a conservé le texte. A l’origine, lorsque


saint Polycarpe a été reçu par l’évêque de Rome Anicet, celui-ci
n’aurait connu que la fête hebdomadaire, alors que son hôte solennisait
chaque année le 14 nisan, donnant une signification nouvelle à la
Pâque juive et les deux interlocuteurs n’auraient même pas essayé
de se convaincre mutuellement. Ce n’est qu’au temps du pape Soter
(c. 168-176) que, par une sorte de compromis, l’Église romaine aurait
adopté la célébration annuelle tout en conservant les prérogatives
du jour du Seigneur; telle aurait été l’origine de la discipline qui s’est
répandue ensuite dans toute la chrétienté. Cette hypothèse a le mérite
de répondre à bien des questions relatives à l’évolution de l’année
liturgique. Elle souligne l’antériorité de la solennité hebdomadaire que
les historiens sont aujourd’hui u n a n im e s à reconnaître et elle propose
une explication plausible des transformations ultérieures : les commu­
nautés judéo-chrétiennes auraient conservé, dès l’âge apostolique,
la célébration de l’ancienne Loi en lui dormant un sens nouveau et
cette pratique aurait influencé par la suite les autres Églises. Cela
semble assez bien s’harmoniser avec l’idée de la Pâque primitive que
les recherches récentes ont révélée. U a bien dû y avoir un temps
où certaines communautés connaissaient déjà une fête annuelle, alors
que d’autres s’en tenaient encore à la célébration du « huitième jour ».
Toutefois, les conclusions de M. Richard ne manquent pas de
soulever des difficultés. L ’argumentation qui les fonde repose sur une
étude linguistique, concernant le sens de l’aoriste grec, qui a été
vivement contestéel. Sans nous étendre davantage sur ce point, nous
nous permettrons simplement de poser quelques points d’interrogation.
Au moment où des témoignages incontestables nous permettent
de connaître la Ttâtr/v. et la ravrrçxoa'r/), la Cinquantaine apparaît
comme nécessairement liée à la solennité annuelle; les documents que
nous avons étudiés ne la présentent pas seulement comme un prolon­
gement de la fête, mais comme un élément essentiel de sa célébration.
Si nous essayons de remonter au-delà de la fin du 11e siècle, à une
époque que nous pourrions considérer comme la «préhistoire» de
l’année liturgique, puisque nous ne pouvons guère alléguer de
documents écrits, et si nous admettons que la Pâque est d’origine
apostolique dans certaines Églises, faut-il penser qu’elle se présentait
de la même manière, avec son laetissimum spatium ? Il semblerait
qu’on doive répondre négativement; l’usage primitif aurait simplement

1 Cf. C . M o h rm an n , Le Conflit pascal au I I • siècle, Note philologique dans


Vigiltae christianae, 1 6 ,1962, p. 154-171 et le compte rendu de B . B o t t e dans Bulletin de
théologie ancienne et médiévale, 9,1963, n. 663 et 664.
Le « Grand Dimanche » 59

continué à célébrer la fête juive, en la chargeant d’une signification


nouvelle et proprement chrétienne, qui serait venue s’ajouter à son
contenu mosaïque1. On pourrait alors se demander s’il n’en fut pas de
même pour le cinquantième jour et si VEpistola Apostolorum ne nous
porte pas un écho de cette tradition. La question a été effectivement
posée, sans qu’on puisse d’ailleurs y trouver une réponse satisfaisante.
Quoi qu’il en soit, une telle conception est si radicalement opposée
à celle de la solennité pascale telle qu’elle se trouve attestée plus tard,
qu’il faudrait admettre un profond hiatus entre les deux institutions.
On ne voit pas comment la pratique de Rome après le pontificat de
Soter pourrait s’expliquer le moins du monde à partir de celle des
Asiates. Est-il donc préférable de supposer que les quartodécimans
connaissaient déjà la Cinquantaine ? Mais il faut alors que le symbolisme
dominical, qui est essentiel à cette célébration, puisse lui être attribué,
bien que la Pâque soit célébré un jour quelconque de la semaine.
Il est vrai que, d’après la tradition des Sadducéens, les sept semaines
précédant la fête de la moisson étaient comptées à partir du lendemain
du sabbat. Les chrétiens auraient-ils suivi le même usage, de sorte que
la «Pentecôte» se serait écoulée entre deux dimanches? Cela aurait
permis, évidemment, à la solennité, d’être par avance la magna
dominica. Mais nous ne pouvons nous appuyer sur aucun document
et nous nous trouvons ici en pleine conjecture. Les Acta Pauli, qui
viennent d’Asie, nous apprennent qu’on ne peut ni jeûner, ni pleurer,
durant la 7revTï)xocydj; mais ils ne donnent pas d’autre précision et
ils datent de la fin du IIe siècle, c’est-à-dire d’une époque où, sans
aucun doute, la Pâque annuelle était partout célébrée. Il faut bien
avouer que la solution de M. Richard, si elle résout certains problèmes,
pose sans doute autant de nouvelles questions, auxquelles l’histoire,
dans l’état actuel de nos connaissances, n’est pas à même de répondre.
Tout cela néanmoins ne saurait être une réfutation de l’hypothèse
proposée; ces points d’interrogation exigent tout au plus qu’elle soit
mieux étayée. Mais il est une autre difficulté qui se présente à nous.
Si l’usage de célébrer la Pâque annuelle un dimanche, selon la pratique
actuelle, est issue d’une décision du pape Soter, il faut que cette
initiative ait fait tache d’huile dans le monde chrétien avec une rapidité
qui est pour le moins surprenante à cette époque. En effet, une trentaine
d’années déjà après la rencontre de Polycarpe et d’Anicet, la Cinquan­
taine, attestée dans un grand nombre de communautés, semble une
institution universelle. Cela nous incite à penser que, même si la thèse

1 Cette question se trouve longuement exposée par J. B o e c k i i , Die Entwicklun,


der altkirchlichen Pentekoste, dans jfahrbuch für Liturgik und Hymnologîe 5, i960
p. 1-45, particulièrement p. 9 et suiv. •
6o L e temps de la joie

de M. Richard était confirmée, pour ce qui concerne l’Église romaine,


elle ne peut que très difficilement expliquer la transformation des
institutions dans les autres régions de la chrétienté.
Comment donc parvenir à saisir les origines de la fête de
Pentecôte? On est tenté de se tourner vers les communautés judéo-
chrétiennes qui pourraient constituer un chaînon entre les événements
historiques rapportés par le Nouveau Testament et la liturgie du
IIIe siècle; les recherches se sont généralement orientées dans cette
direction1. Toutefois, la documentation dont nous disposons est si
réduite que nous devons nous résoudre à avouer notre ignorance.
Nous n’avons pas les moyens de savoir comment est apparue la Pâque
annuelle avec son laetissimum spatium. Est-elle plus ou moins
directement d’origine apostolique chez les quartodécimans ? Nous ne
pouvons trancher ni dans un sens ni dans l’autre et nous préférons
renoncer à bâtir des hypothèses trop séduisantes.


* *

Ce qui est certain, c’est que, dans la célébration du «grand


dimanche », comme dans celle du jour du Seigneur, c’est le mystère
pascal dans sa totalité et dans son unité qui est vécu sacramentellement
par les fidèles de la nouvelle Alliance. C ’est l’unique solennité, qui
fait passer les hommes, dans le Christ, avec Lui et par Lui, « de ce
monde à son Père ». Le m e siècle fut une époque de persécutions et de
martyres. On comprend que les communautés chrétiennes aient puisé
dans la Pentecôte ainsi conçue l’aliment de leur foi et de leur
témoignage. Observance fondamentale de l’Église, antérieure au
Carême, la Cinquantaine, comme le dimanche dont elle n’est que
l’épanouissement, plaçait au centre de leur vie la figure glorieuse
du Kyrios Jésus, tête de l’assemblée sainte qui revivra en lui, prémices
de ceux qui seront au Christ, lors de son avènement (/ Cor., XV, 22-23).

1 Cf. G . K re tsc h m a r, Himmelfahrt und Pfingsten, dans Zeitschrift für Kirchen-


geschichte , 4, Folge IV , L X V I Band ( i 954- 55)> Heft 3, p. 209-253 et J, B o e c k h ,
art. cit.
CHAPITRE III

LA PERSISTANCE DE LA «PENTECÔTE » EN ÊGYPTE

Au début du IVe siècle, la «Pentecôte » est une, du premier au


cinquantième jour et de Rome à Alexandrie. Mais d’une part l’ensemble
uniforme de la Cinquantaine pascale va être démantelé au fur et à
mesure qu’on voudra détailler chacun des mystères qu’on y célèbre;
d’autre part, cette évolution va s’accomplir par des chemins différents
et plus ou moins détournés dans les diverses Églises, tout en obéissant
à des lois analogues et pour parvenir à des buts semblables. C’est en
Égypte, semble-t-il, que les anciennes institutions ont été conservées
avec le plus de fidélité et le laetissimum spatium y subsiste encore
longtemps sous sa forme traditionnelle, alors qu’il ne tarde pas à se
transformer dans les autres régions du monde chrétien.
Les documents égyptiens nous viennent soit du siège patriarcal,
soit du mouvement monastique qui fut très florissant dans les déserts
avoisinant la vallée du Nil. Mais, avant de les consulter, signalons
une mention de la Pentecôte dans un texte qui, bien qu’originaire du
patriarcat d’Alexandrie, ne représente pas la liturgie locale. Les
Canons d’Hippolyte sont en effet le remaniement le plus ancien qui nous
soit parvenu de la Tradition apostolique; ils nous sont conservés dans
une version arabe et remontent vraisemblablement à la première moitié
du IVe siècle. Nous reconnaîtrons, à peine retouché, le texte romain
que nous avons déjà cité; on sait en effet que l’ouvrage d’Hippolyte
a joui d’une grande fortune, surtout en Orient où de nombreuses
constitutions ecclésiastiques en ont reproduit plus ou moins fidèlement
le texte :
« S i quelqu’un est malade ou dans une région où il n’y a pas de
chrétien et que cesse le temps de la Pâque sans qu’il en ait connu la
fixation, ou à cause d ’une maladie, que ces derniers jeûnent après la
cinquantaine et fassent la Pâque honnêtement. Q ue leur intention
soit claire : ils n ’ont pas retardé par manque de crainte, ce n ’est pas,
s’ils jeûnent et font leur propre Pâque (xâaya), pour établir un principe
autre que celui qui a été posé K »

1 R. C o q u in , Les Canons d’Hippolyte, can. 22 5 éd. critique de la version arabe,


introduction et traduction française, à paraître prochainement dans la P. O .
C f. B. B o t te , L ’ Origine des Canons d’Hippolyte, dans Mélanges Andrieu, Strasbourg,
1956, p. 5 3 - 6 3 » et La Tradition Apostolique de saint Hippolyte, M ünster, 1963»
p. X X V II-X X V III.
62 Le temps de la joie

Remarquons que, dans ce canon, le temps de Pâques est


manifestement la période pénitentielle, alors que le terme de Pentecôte
est employé pour la célébration festive. C’est une confirmation très
nette des observations que nous avons déjà faites.

I. — LES PATRIARCHES D’ALEXANDRIE


ET LES LETTRES FESTALES

I. — SAINT ATHANASE

Les patriarches d’Alexandrie avaient coutume d’adresser chaque


année une sorte de lettre pastorale aux Églises de l’Égypte et de la
Pentapole, pour annoncer les fêtes pascales. C’était pour eux l’occasion
de traiter des problèmes de doctrine ou de morale, dont le sujet leur
était souvent suggéré par les événements. Ces epistulae heortasticae
se terminaient toujours par l’indication de la date de Pâques et des
solennités qui en dépendent. Eusèbe de Césarée nous a conservé
de larges extraits de lettres festales de Denys, dont l’épiscopat
se situe au milieu du IIIe siècle, mais elles sont toutes amputées de
cette dernière partie, qui nous aurait sans doute fourni de précieux
renseignements1. Celles de saint Athanase, par contre, nous sont
parvenues dans une version syriaque et dans une version copte
comportant toutes deux de nombreuses lacunes qui, heureusement,
n’affectent pas les mêmes passages. Après avoir indiqué la date du
carême, l’évêque prescrit, chaque année, l’observation d’un grand
jeûne de six jours se terminant le samedi saint. Il fixe ensuite le
« dimanche saint », auquel on doit ajouter les sept semaines de
la Cinquantaine. L. T . Lefort a publié le texte de la version copte,
avec une traduction française2. Quant à la recension syriaque, éditée
par W. Cureton9, la Patrologie de Migne en reproduit une traduction
latine4.
Dans toutes les lettres festales d’Athanase, le mot «Pentecôte »
désigne le laetissimum spatium. Il y a cependant une exception;

1 C. L . F e l t o Ej The Letters and other remains of Dionysius of Alexandrie,


Cambridge, 1904.
8 L. Th. L e f o r t , Lettres festales et pastorales de saint Athanase en copte, C SC O ,
Script, copt. t. 19 et 20, Louvain, 1955.
8 W . C u re to n , The Festal Letters of Athanastus, Londres, 1848.
4 Le texte de Migne n’est en fait que la transposition latine d’une version
italienne faite par un Maronite pour l’édition de A. Mai de 1853. Elle a donc bien
des chances de n’être pas sans défaut. Mais la traduction allemande de F. L a r s o w ,
Die Fest-Briefe des heiligen Athanasius, Leipzig-Gôttingen, 1852, ne vaut guère
mieux; (cf. E. S c ii w a r z , dans Nachrichten von der kôniglichen Gesellschaft der Wissen-
schaften zu Gôttingen, 904, p. 334, n. 2).
La persistance de la « Pentecôte » en Égypte 63

ce n’est pas la lettre de 341, bien que nous y lisions, en latin :


« supputabimus usque ad Pentecostem »; le texte syriaque, en effet,
n’exige pas cette traduction 1, mais il s’agit de la lettre de 329,
la première du pontificat d’Athanase, qui annonce : «Pentecostes
diem celebrabimus2». Peut-être faut-il en conclure que le terme
s’appliquait aussi au cinquantième jour, à moins que cette précision
ne soit due au traducteur; n’oublions pas que nous n’avons qu’une
version syriaque dans un manuscrit du vme siècle. Nous venons de
prendre le traducteur latin en flagrant délit; la même erreur, pour
les mêmes raisons, pourrait avoir été commise par le traducteur
syriaque. Plusieurs épîtres parlent des «semaines de la Pentecôte »
et celles, plus nombreuses, qui ne le précisent pas ne s’opposent pas
à cette interprétation qui semble la plus vraisemblable3.
Mais Athanase ne se contente pas de donner la date de la fête.
Il présente, généralement en une ou deux phrases, la signification litur­
gique de la Cinquantaine. L ’idée sur laquelle il insiste le plus est sans
doute le caractère eschatologique de la solennité : celle-ci est «le signe du
monde futur », elle donne les «arrhes de la vie éternelle » (lettre I). En la
célébrant, nous «annonçons le monde futur » (1. IV), «nous devenons
héritiers du royaume des cieux » (1. V), «nous pouvons être rendus
dignes des réalités à venir» (1. X); par elle est «préfiguré le repos
éternel qui nous est préparé dans le ciel» (1. XIX). Le mystère de
l’ascension n’y est pas mentionné, mais comment le séparer de cette
attente du retour du Seigneur, de cette espérance des biens que nous
a préparée sa montée aux cieux? Beaucoup plus claire cependant est
l’allusion au Saint-Esprit, dont «nous recevons la grâce » (1. III) en
cette Spiritus soleninitas (1. XIV). Telle est la réalité spirituelle
que la Pentecôte fait revivre aux baptisés. Aussi, pour bien la célébrer,
doivent-ils y participer dans la prière (1. XV), dans l’adoration et la
louange (1. VII, XI); c’est surtout la charité fraternelle et le souci des
pauvres qui doit y dominer : nous serons «en communion avec le
prochain » (1. V), «en nous souvenant des pauvres et en priant les uns
pour les autres »(1. XXIV, XXXIX, XLII), «sans oublier l’hospitalité;
nous vêtirons aussi ceux qui sont nus et nous recevrons dans nos
maisons ceux qui n’ont pas de maison » (1. XXIV). C’est enfin le temps
de la conversion et du pardon, période « de l’amnistie, de la remise
des dettes » dans l’Ancien Testament (1. 1); « c’est vraiment fête quand
les pécheurs passent de leur mauvaise vie à une vie meilleure »

1 Texte syriaque (transcription occidentale) «Ie phantïqüstï » p. (32), L 10.


2 « haw dmeneh tübh kad mcnïnan b’idô b’idô Ie kulhën §abbac, sâbë ne a* cd
1° yawmô qadïsô dephantïqüstî »p. (19 ), 1. 1 3 -1 5 .
3 Voir la citation des passages importants aux p. 64 à 68.
64 Le temps de la joie

(1. XXIV), Tout cela semble pouvoir se résumer dans l’assimilation


de la Cinquantaine au jour du Seigneur, qui est explicitement affirmée
dans la première lettre : toute la période est en effet appelée «le grand
dimanche ». On lui applique même les mots du psaume : «Voici le
our que le Seigneur nous donne; réjouissons-nous et soyons dans
l’allégresse » (Ps. CXVII Vulg., 24)

LETTRES F E S T A L E S D E S A IN T A T H A N A S E

Epist. Anno V ersion copte Version syriaque

329 (manque l ’annonce des fêtes) P G 26, 1366


. . . e x quo gradatim septem
reliquas hebdomadas nume-
rantes, sanctum Pentecotes
diem celebrabim us ; qui olim
apud Judaeos figurabatur
sub festi hebdom adarum no-
m ine : quo tem pore fiebant
amnestiae ac debitorum re-
m issiones, eratque is demum
om nim odae libertatis dies.
Jam cum nobis id tempus
sit futuri m undi sym bolum,
magnam D om inicam cele-
brabim us, arrham hic futu-
rae illius capientes aeternae
vitae. C u m autem hinc de-
m igrabim us, plenam cum
Christo peragem us solemni-
tatem , et cum sanctis ita ex-
clam abim us « T ran sibo in
locum tabernaculi admira-
bilis usque ad dom um D e i;
cum voce exsultationis, et
cum laudis praeconio, tam-
quam illorum qui laetantur »
ubi scilicet fuga doloris,
tristitiae et anxietatis : atque
ad sum m um gaudium et
exsultationem provecti cum
illis peragere digni erim us...

1 C ’est à tort que l’on a attribué à saint Athanase un texte qui insiste sur cette
assimilation au dimanche, même dans l’horaire des synaxes. Cette pièce provient sans
doute du Panonarion de saint Épiphane (cf. infra, p. 138), auquel on pourra utilement
la comparer : « ... Kocl 8t ’ ôXoo [jtèv tou ëxouç *r) vrçaxsla (puXàxxexai èv Tyj aÙTyj à y Icl
x al xaOoXtxfj ’ExxXrjala, q>Tr}pii xexpàSt xal TCpoaappàxco ëcoç cupaç èvvàx7)ç, Slxoc
jiévrjç TTjç llevTyjxocrrrjç GXyjç tû v xevxrjxovxa Y)[xcpcovt èv alç oüte yovuxXtolat
ylvovxat, oüxe VTjaxelat TrpoaxéxaxTar àvxl xûv rcpè; x/)v èvvàxrçv ouvà;ecov
xexpaSwv xal Trpoaappàxcov à ç èv *f)(iépa xuptaxyj xaxà xàç 7rpcoïvàç al auvdcÇetç
èTTixeXouvxai. ''Ext xal èv xatç 7cevx7)xovxa ^ é p a iç , alç 7rpoet7cov xîjç xevxTf)-
xoaxîjç, oûx elolv ouxe vY)oxetat oüxe yovoxXiotai... » (Ex Sermone De Fide,
P G 26,1292).
La persistance de la « Pentecôte » en Égypte 65

Epist. Anno Version copte Version syriaque

II 330 (manque l'annonce des fêtes) P G 26, 1371


... adjungemus his septem
reliquas magnae Pentecostes
hebdom adas; gaudentes om ­
nes atque exsultantes in
Christo Jesu...

m 331 (perdue) P G 26, 1376


... et huic sanctae D om ini-
cae hebdomadas septem ad-
jungentes,. videlicet illius
Pentecostes, in qua Spiritus
gratiam recipiemus, semper
D om ino gratias agemus.

IV 332 (perdue) P G 2 6 ,13 79


Deinde certis evolutis die­
bus, sanctae Pentecostes so-
lemnia agemus ; quorum
dierum periodo futurum
mundum innuimus, in quo
cum Christo semper ver­
santes, universalem D eum
laudabimus per Christum
Jesum ...

V 333 (perdue) P G 26, 1383


... cui adjungentes septem
illas Pentecostes hebdoma­
das, in orationibus, commu-
nione cum proxim o, et vo-
luntate omnino pacifica, re-
gni quoque caelestis haere-
des fiemus...

VI 334 (manque l ’annonce des fêtes) P G 26, 1389


... quae radium suum im -
mensa cum gratia ad omnes
reliquas sanctae Pentecostes
hebdomadas protendet : quo
demum tempore quiescen-
tes Paschalem solemnitatem
semper absolvem us...

V II 335 (perdue) P G 26* 1396


... Post quam sancta Pen-
tecoste celebrata, Patrem
sem per adorabimus per
Christum ...

V III 336 (perdue (perdue)

IX 337 (perdue) (perdue)

9151. — 5
66 Le temps de la joie

Epist. Anno V ersion copte Version syriaque

X 338 (perdue) P G 26, 1403


... E x quo gradatim septem
hebdom adas supputantes
Pentecostem celebrabimus:
et debitum studium his die-
bus im pendentes, digni fieri
poterim us futurarum re-
ru m ...

XI 339 (perdue) P G 26, 1412


D ecet autem nos laetari et
illo gaudio exsultare, quod
ex operibus bonis proven ir
per illas reliquas septem
hebdom adas, quae est Pen­
tecoste, gloriam Patri dantes
dicentesque : « H aec dies
quam fecit D om inus, laete-
m ur et exsultem us in ea»,
per D om in u m ...
X II 340 (perdue) (perdue)
X III 341 (perdue) P G 26, 1418
... E x quo supputabimus
tem pus usque ad Pente­
costem.
X IV 342 (perdue) P G 26, 1422
A tqu e hinc nectentes ex
ordine sanctam Pentecosten,
quam velut aliud ex alio
festum indicim us, Spiritus
solemnitatem celebrabimus
qui jam proxim us nobis est,
per C h ristu m ...
XV 343 (perdue) (perdue)
XVI 344 (perdue) (perdue)
X V II 345 (perdue) (ne mentionne pas la Pente­
côte)
X V III 346 (perdue) (ne m entionne pas la Pente­
côte)
X IX 347 (perdue) P G 26, 1430
A dditis posthinc septem con-
tinuatim Pentecostes sanctis
hebdom adis, jubilabim usD e-
um que laudabim us, qui per
haec nobis in antecessum
denotavit gaudium illu d re-
quiem que aetem am , para-
tam in coelo nobis et iis qui
vere credu n t...
XX 348 (perdue) (manque l'annonce des fêtes)
La persistance de la «Pentecôte » en Égypte 67

E pist. A nno Version copte Version syriaque

XXI 349 (perdue) (perdue)

X X II 350 (perdue) (perdue)

X X III 351 (perdue) (perdue)

X X IV 352 L efort, p. 13-14 (perdue)


Ensuite, nous compterons
encore les sept semaines de
la Pentecôte sainte, pendant
lesquelles nous fêterons
encore en faisant ce qui est
agréable à D ieu ; car c'est
vraiment fête quand les pé­
cheurs passent de leur mau­
vaise vie à une meilleure.
N ous nous souviendrons des
pauvres sans oublier l'hospi­
talité; mais nous vêtirons
aussi ceux qui sont nus et
nous recevrons en nos mai­
sons ceux qui n'ont pas de
m aison; avant toute chose,
si nous avons l ’amour envers
D ieu et notre prochain^ nous
accomplirons ainsi la loi et
les prophètes et nous héri­
terons de la bénédiction par
le fils unique N . S ...

XXV 353 L efort, p. 16 (perdue)


... nous y joindrons aussi les
sept semaines de la Pente­
côte sainte, dans le C h rist...

XXVI 354 L efort, p. 17 (perdue)


... après quoi nous fêterons
en paix les sept autres se­
maines de la Pentecôte
sainte, dans le C h rist...

X X V II 355 (manque l'annonce des fêtes) (manque l’annonce des fêtes)


X X V III 356 (manque l'annonce des fêtes) (perdue)
X X IX 357 (manque l’annonce des fêtes) (perdue)
XXX 358 (perdue) (perdue)
XXXI 359 (perdue) (perdue)
X X X II 360 (perdue) (perdue)
X X X III 361 (perdue) (perdue)
X X X IV 362 (perdue) (perdue)
XXXV 363 (perdue) (perdue)
XXXVI 364 (manque l'annonce des fêtes) (perdue)
X X X V II 365 (manque l'annonce des fêtes) (perdue)
X X X V III 366 (manque l ’annonce des fêtes) (perdue)
68 Le temps de la joie

Epist. Anno V ersion copte V ersion syriaque

X X X IX 367 L efort, p. 40 . (perdue)


Après cela nous fêterons
encore pendant les sept
autres semaines de la Pente­
côte sainte en nous sou­
venant des pauvres, nous
envoyant m utuellem ent et
aux pauvres des largesses,
selon le m ot d ’Esdras, en un
mot en faisant toute chose en
rendant gloire à D ieu selon
l’invitation de Paul, dans le
C h rist...
XL 368 (manque l’annonce des fêtes) (perdue)
XLI 369 (manque l’annonce des fêtes) (perdue)
X L II 370 L efort, p. 48 (perdue)
... nous y joindrons encore
les sept semaines de la Pen­
tecôte sainte, en nous souve­
nant des pauvres et en priant
les uns pour les autres, afin
que nous nous réjouissions et
fêtions avec les saints aux
d e u x dans le C h rist...
X L III 371 (manque l’annonce des fêtes) (perdue)
X L IV 372 (perdue) (ne reste q u ’un fragment)
XLV 373 (perdue) (perdue)
(Athanase est m ort en 373)

L ’évêque nous apprend aussi, dans son Apologie pour sa fuite-


écrite probablement en 357, que la Pentecôte était suivie d un jeûne
Ainsi la Cinquantaine, encadrée par deux périodes de pénitence, n en
exprimait que davantage le mystère de joie qu’elle célébrait. Il semb e
qu’elle avait encore en Ëgypte, au temps d’Athanase, le caractère
«monolithique », si l’on peut dire, de la fête primitive. Même si le
terme de TOVTrjxocrcr] devait s’appliquer au cinquantième jour dans
la première lettre pascale, il ne faudrait pas en conclure que cela
détruisait l’unité de la Cinquantaine. L ’ensemble des documents
prouve le contraire. On peut donc affirmer, semble-t-il, que 1 Eglise
d’Alexandrie ignorait encore, au milieu du IVe siècle, une fête de
l’Ascension au quarantième jour; s’il en était autrement, on en
trouverait des traces dans les écrits du patriarche qui lui offraient
mille occasions d’en parler.

1 Cf. infra, p. 108.


La persistance de la « Pentecôte » en Égypte 69

2. — THÉOPHILE D’ALEXANDRIE

Saint Jérôme nous a conservé dans sa correspondance, en


traduction latine, trois lettres festales de Théophile, datées de 401,
402 et 404. Elles attestent, par leur grande ressemblance avec les épîtres
d’Athanase, qu’il s’agissait d’un genre littéraire bien déterminé.
Les fidèles y sont invités au jeûne du carême et de la «grande
semaine», et à la célébration de la Résurrection du Seigneur,
«y ajoutant les sept autres semaines dans lesquelles est tissée la solennité
de la Pentecôte1 », ou «y joignant aussi les autres semaines de la
Pentecôte sainte2». La lettre de 404 présente un plus long développe­
ment :
«A près quoi, ajoutons les sept semaines de la Pentecôte sainte,
nous souvenant des pauvres, aimant D ieu et le prochain, priant pour
nos ennem is, manifestant de la bonté à l ’égard de nos persécuteurs,
soulageant les infirmités des malades par la consolation et la miséricorde;
que notre langue fasse toujours résonner les louanges de D ieu ; n ’abolis­
sons pas les justes condamnations de l ’Église par une clémence
déraisonnable et ne préférons pas des jugements humains à la loi de
D ie u ; si nous avons désiré l ’amitié de celui-ci, nous obtiendrons la
gloire dans le C hrist Jésus ’ . »

Nous retrouvons donc, au début du Ve siècle, la même discipline


et le même esprit, dans la célébration de la Pentecôte, que cinquante ans
plus tôt, époque où Athanase dirigeait l’Église d’Alexandrie.

3. — CYRILLE D’ALEXANDRIE

En 412, Cyrille succéda à Théophile sur le siège épiscopal de la


métropole égyptienne, mais sa lutte contre le nestorianisme absorba
presque toute son activité. Ses œuvres, orientées par des préoccupations
essentiellement apologétiques, ne nous fournissent que peu de
renseignements sur la pratique liturgique de son Église. Nous avons
une série de lettre festales, de 414 à 442, mais l’on est frappé par le

1 S; JÉRÔME, Lettres, X C V I, éd. J. L a b o u r t , t. V , Paris, Les Belles Lettres,


p. 32, Lettre pascale de 401. « Adiungentes his septem reliquas hebdomadas, in quibus
Pentecostes festiuitas texitur... »
4 Ibid., X C V III, p. 66. « Iungentes et septem reliquas ebdomadas sanctae
Pentecostes... »
4 Ibid., C , p. 91. « Post quae iungamus septem ebdomadas sanctae Pentecostes;
pauperum memores, amantes Deum et proximum, orantes pro inimicis, persecutoribus
blandientes, infimorum ruinas consolatione et misericordia subleuantes; ut lingua
semper in D ei laudibus personet; ut Ecclesiae iusta iudicia nequaquam inrationabili
clementia destruantur, nec legi Dei arbitria praeferantur humana; cuius si desi-
derauimus amicitias, caelestem gloriam consequemur in Christo Jesu... »
70 Le temps de la joie

caractère stéréotypé des formules annonçant la date des fêtes pascales.


A deux ou trois exceptions près, c’est toujours dans les mêmes termes
qu’est indiquée la Pentecôte, après la mention de la Résurrection :
auvœ7iT0VT£ç êÇïjç xal Tàç inzà. è[38opiàSaç ttjç àylaç 7T£VT7]xoaTÿjç (ajoutant
aussi à la suite les sept semaines de la Pentecôte sainte *). Ces mots
sont suivis d’une seule phrase introduisant la doxologie finale et
concernant notre communion avec les saints, dans le Royaume de Dieu
où, par la foi, la fête nous introduit.
La Pentecôte est donc ici encore la solennité des cinquante jours;
il est vrai que ces lettres, répétant un cliché, pourraient être suspectées
de sacrifier à un genre littéraire, témoin d’une tradition qui ne serait
plus vivante. Il ne semble donc pas inutile de remarquer que, par deux
fois au moins, Cyrille parle des «jours de la Pentecôte » à propos de la
descente du Saint-Esprit sur les apôtres, telle qu’elle est rapportée par
les Actes2. Si le pluriel est employé, contrairement au texte biblique
grec dont nous avons déjà parlé, c’est sans doute à cause de la pratique
en vigueur à l’époque du commentaire. Cyrille, d’ailleurs, n’ignore pas
le singulier lorsqu’il parle de la fête juive, bien qu’ici encore il se
montre hésitant : c’est «le jour de la Pentecôte» que l’ange agitait
l’eau de la piscine de Bézatha, mais c’est «les jours de la Pentecôte »
que furent proclamés les commandements du Sinaï *.
La tovttjxocjt^ alexandrine de la première moitié du Ve siècle
apparaît donc, d’après ces brèves indications, avec un caractère
traditionnel, archaïque même. Ne pourrait-on pas trouver, sous la
plume d’un ancêtre de Cyrille, deux cents ans plus tôt, ces mots que
lui inspire le symbolisme du cérémonial d’Israël :
« N u l autre que lui (l’Emm anuel) n ’a le pouvoir incom parable
de nous faire accéder à la vie nouvelle. I l est com m e les prém ices, le
prem ier de ceux qui sont introduits dans l ’im m ortalité, pour s’être
manifesté com me hom m e, dans la chair avec nous, à cause de sa ressem­
blance à nous. E t sans plus attendre, il nous a donné par avance l ’image
de la Pentecôte sainte, ordonnant de com pter sept semaines pour la

1 C y l i l l e d’A le x a n d r ie , Lettres Pascales, P G 77, c. 425-982. Il n’est pas


question de la Pentecôte dans là lettre V III, qui se termine par la mention de Pâques.
D ’autre part, la lettre V I parle des èm à èfSSo[i.à8aç vrjç àylaç Teaaapaxocrrî)ç ce qui
est sans doute dû à une erreur de copiste.
* In Joêlem, 227, éd. P. E. Pusey, In 12 Prophètes, Oxford, 1868, I, p. 335 :
* xaxà 8é y® T)jJ.épaç TÎjç TtevTnjxoo-rijç », et In Sophoniam, ibtd., II, p. 228 : «xarà
vàç fuiépaç -rijç TrsvTT)xoa-rî)ç. »
* In D. Joannis Evangelium, éd. P. E. PüSEY, Oxford, 1872, I, p. 305 : «xarà
TTjv ^(tépav "njç àylaç jrev-n)xoaTijç, à y y E X o i xaraçoiT om eç èÇ’ oùpavoü t ô t t j ç
xoXo[i(ÎT)0 paç èÇexàpaTvov ûSoip... ’Anô yàp Aàv TÎjç xaXoupivrçç x al ëcoç Bcpaa^eè
Tà Stà Mwoétoç èXaXeÏTO upooTàYpaTa, SiaxovïjOévTa Si’ àyyéXoJv èv 6pet Eivà x arà
ràç ï];répaç TÎjç uarepov ôpia(kta7]ç ày(aç nevnfjxooT^ç. *
La persistance de la « Pentecôte » en Égypte 71

présentation de la gerbe. En effet, après le jour de la résurrection du


Sauveur, joignant l ’une à l ’autre sept semaines, nous sommes en fête,
nous, les croyants \ »

n. — LA «PENTECÔTE» CHEZ LES MOINES


On sait que l’Ëgypte fut, au IVe siècle, un foyer de vie monastique.
De nombreux ascètes, quittant les villes et les villages, se retiraient
par là même des communautés chrétiennes assemblées autour
des évêques. Dispersés dans les déserts, les anachorètes vivaient,
semble-t-il, en marge de la vie liturgique et de la célébration des fêtes;
mais les ermites finirent par se grouper. Que représentait alors pour eux
la Cinquantaine pascale? La littérature si abondante qui nous retrace
leurs exploits en matière de pénitences, ne s’attarde guère au sujet
qui nous intéresse.
La figure de Pachôme domine les origines du mouvement céno-
bitique, conservée vivante dans les générations successives de moines,
grâce à une riche tradition orale relative à la vie du fondateur. Très tôt,
ces réflexions et ces récits divers furent mis par écrit, pour prolonger
parmi les frères les exemples et la doctrine de leur père. Ils furent
ensuite rassemblés dans des compilations plus ou moins homogènes
et subirent toute sortes de remaniements littéraires. On a essayé de
recueillir tout ce qui nous est parvenu de cette abondante production,
dont les éléments sont difficiles à démêler. Les restes les plus importants
constituent un dossier copte et un dossier grec. C’est à L. T. Lefort que
nous devons l’étude la plus récente sur cette littérature2. Selon lui, les
premiers écrits furent rédigés en copte, dans les milieux fermés
qu’étaient les monastères de Pabau et de Tebennesi, fondations de
Pachôme lui-même. Ainsi, nos plus vieux documents, en dialecte
sahidique, se présentent-ils comme totalement indépendants du dossier
en langue grecque, dont les pièces sont des remaniements postérieurs.
La Cinquantaine était célébrée dans ces communautés mo­
nastiques, puisque cette solennité a servi à dater la mort d’apa Pachôme :
alors qu’une grave épidémie sévissait dans le monastère où il se trouvait,
il tomba malade, quelques jours avant Pâques. Voici ce que nous

1 De Adoratione in spiritu et veritatey 17; PG 68, 1097 :« ’Ixav&ç Sh 7 aÜToO


7ravTeXc5ç où&elç, elç vèav fyxàç àvaaTotxeiûaai Çcùttjv, dbrapxv) Sè coartep xal 7rpcoTOÇ
aÛT&ç toW elç àtpOapalav èxTtapiivcov, xaOô rréqpyjvev < 5cvOpco7roç, xal èv oapxl (X£0>
7jfjtûv, 8 tà tt)v Trpèç rjpiàç ôpiolociv. E(ax£x 6pLixe 7rapaxp7)[xa TÎjç àylaç Yjpdv
IlevTTjxoaTTjç 7rpoavaTU7rcoaiv èvapyîj, èmà XP^)vat Xsyov èrcaptOfieîv êpSofxàéaç,
T7) tou SpàYfiocTOç elaxofiiSf). Mexà yàp toi t^v àvarrTàaifXov tou Sûm)poç rjfxépav,
ê7rrà auvelpovTeç épSopiàSaç, èopTaÇopiEV ol 7TS7uaTeux 6Teç. »
* L . Th. L e f o r t , Les vies coptes de saint Pachôme et de ses premiers successeurs,
trad. française, Louvain, 1943, Introduction.
72 Le temps de la joie

lisons dans deux compilations coptes qui ont sûrement utilisé des
documents très anciens :
« A u x jours de la Pentecôte, il était toujours m alade; trois jours
avant son décès, il manda et réunit près de lui tous les Grands parmi
les frères... il se signa trois fois de la m ain, puis im m édiatem ent il
ouvrit la bouche et rendit l’âme, le 14 du mois de paSons, à la dixième
heure du jour K »
Si les solennités liturgiques ne sont pas ignorées des cénobites
égyptiens, elles ne tenaient pas, dans leurs monastères, la même place
que dans les Églises locales. Nous pouvons en avoir quelque idée grâce
à un texte d’Évagre le Pontique, qui passa dans le désert de Nitrie les
dernières années de sa vie, de 383 environ à 399. Dans un poème
adressé «aux moines qui vivent dans les communautés », il s’exprime
ainsi :
« N e dis pas : aujourd’hui c’est fête et je bois du v in ; demain, c’est
la Pentecôte et je mange de la viande, parce qu’il n ’y a pas de fête chez
les moines, ni de tem ps donné à l ’hom m e pour rem plir son ventre. L a
Pâque du Seigneur, c’ est le passage qui fait sortir du vice. Sa Pentecôte,
c’est la résurrection de l’âme. L a fête de D ieu , c’ est le pardon des péchés,
et la douleur sera le lot de celui qui garde rancune. L a Pentecôte du
Seigneur, c’est la résurrection de l ’am our; celui qui hait son frère fera
la pire des chutes. L a fête de D ieu est la connaissance vraie; celui qui
s’applique à la connaissance m ensongère finira honteusem ent \ »

1 L . Th. L e f o r t , op. cit., Codex Sahidique S% p. 47-48 et Codex Sahidique S*,


p. 76, amputé de la deuxième partie.
Le dossier grec a été publié par les Bollandistes. Sa pièce la plus ancienne, la
Vita Prima, est, d’après Lefort, postérieure à l’an 400. C ’est « une vaste compilation
due à la plume d’un Copte maniant plus ou moins bien le grec : assemblage ou centon
de pièces et de morceaux empruntés aux documents grecs et coptes déjà rédigés »,
Nous n’y trouvons pas le terme de « Pentecôte », mais seulement la mention de la
maladie de Pachôme, « après la fête de Pâques ». ( F . H a l k i n , Sancti Pachomii Vitae
Grecae, Bruxelles, 1932, Vita Prima, 114, p. 74; cf. aussi : Vita altéra, 88, p. 267;
Vita tertia, 165, p. 370, ainsi que F. N au-J. B ousquet, PO, t. 4, fasc. 5,1908, p. 499.)
L e dossier copte nous a aussi conservé une mention de la Pentecôte, dans un
texte qu’il faut dater de 370 environ : « En fait, nous avons maintenant célébré Pâques
et [la Pentecô]te et nous nous sommes réjouis de la munificence de Notre Seigneur »
(L. T . L e f o r t , op. cit., Codex Sahidique S $b, p. 348). Mais il s’agit d’une lettre écrite
par l’archevêque Athanase à apa Horsiênse, à la mort d’apa Théodore. Cela concerne
donc plutôt l’usage de l’Église patriarcale que celui des monastères. Notons^ que le
dossier grec fournit le même renseignement : « ... K al yàp x al vuv jxct’ euOufilaç
èopracafiev t6 tc Tcàaxa xal 'rijv 7revTY)X0<m)V... ». (F . H a lk in , op. cit., Vita Prima,
150, p. 95.) Nous n’avons rien trouvé concernant la fête dans les Pachomiana latina.
a E va gre l e P o n tiq u e, Mônchsspiegel, éd. H. G ressm ann, (T U X X X IX ), 1913,
p. 156 : « 39. Mt) efrrflç’ mf)(xepov èopr?) x al relouai olvov xal aôpov 7rev,n)xocFT?) x al
«pàyojjiai xpéa 8i6ti oux £<mv ioprij trrapà (xovaxotç où&e tô 7rX9jaai #v0po)7cov xotXlav
aÔTOU. 40. Ilà a x a xuplou Stàpaotç àrcô xaxlaç, 7revTY)xoor?) auTOu àvàaraatç
TopTY) Oeoü à(JW7)OTla xaxcov, tôv 8è pLvyjaixaxouvTa Xvj^ovTat TrévOrj.
41. IïevTTQXoaTT) xuplou àvàoTaatç a yà ^ ç* ô 8è (juacov tôv à&eXçôv auxou ^castrai
7TTco(JLa à^alotov, fF«opT$) Oeou yvcoatç àXiQOiQÇ* ô 8è 7rpooéxoiv yvcl>aet
TeXeuTYjaei aloxpcoç. »
La persistance de la e Pentecôte » en Égypte 73

On voit que les Pères du désert s’attachaient au sens allégorique


des fêtes plus qu’au mystère liturgique lui-même. Ils considéraient
comme une tentation l’idée que la Cinquantaine pût être pour eux,
comme pour tous les autres, une période exempte d’ascèse. Mais il est
plus intéressant encore de remarquer que Pâques est le «Passage»,
alors que la Pentecôte évoque l’idée de la résurrection. C’est la
conception primitive que nous retrouvons, à la fin du IVe siècle.
Si les moines, même pendant les jours de joie, ne peuvent se
départir d’une certaine sobriété, ils abandonnent cependant, pendant
les sept semaines de la 7tevTï)xo<ror), Ie jeûne rigoureux que prescrit
la règle; c’est cela précisément qui justifie les craintes et les recom­
mandations d’Évagre. C ’est cela aussi qui peut scandaliser des
visiteurs venus d’autres régions. Dans les dernières années du siècle,
Jean Cassien, alors voué à la vie monastique dans un cloître
de Bethléem, parcourut la Thébaïde avec son ami Germain, pour
s’édifier au contact des moines d’Ëgypte. Ce n’est qu’une trentaine
d’années plus tard qu’il rapporta, dans ses Collationes, les propos de
l’un d’entre eux, l’abbé Théonas. Les pèlerins palestiniens furent
reçus par l’illustre cénobite «aux jours de la Pentecôte»1 et ils lui
demandèrent pourquoi on mettait tant de soin, durant cette période,
à éviter qu’on s’agenouillât ou qu’on prolongeât le jeûne jusqu’à la
neuvième heure2. Théonas évoqua alors la réponse du Christ, dans
l’Évangile, à ceux qui s’étonnaient de l’attitude de ses disciples :
« Ils se plaignaient au Seigneur : « Pourquoi, tandis que les Pharisiens
et nous nous jeûnons fréquem m ent, vos disciples ne jeûnent-ils pas?»
P ar sa réponse, le Seigneur montra avec évidence que le jeûne n ’est
pas toujours indiqué n i nécessaire, puisque le caractère festif du temps
ou, à l ’occasion, quelque raison de charité perm ettent de le rompre.
« L e s « fils » de l’époux, dit-il, peuvent-ils être dans le deuil, tant que
l ’époux est avec eu x ? M ais des jours viendront où l’époux leur sera
enlevé et alors ils jeûneront. » C es paroles, il est vrai, furent prononcées
avant la résurrection de son corps, mais elles désignent justement le
tem ps de la P entecôte; car alors, après la résurrection, le Seigneur
m angea pendant quarante jours avec ses disciples et la joie de sa présence
quotidienne ne leur perm ettait pas de jeûner *. »

1 On trouve l’expression « quinquagesima die », au chapitre 20, mais il s’agit


du jour où l ’Esprit est venu sur les apôtres, selon les Actes et non de la solennité
chrétienne. J. Cassien parle encore des « diebus quinquagesimae », pour dater un
prodige accompli par l’abbé Abraham (Conlatio X V , 4, éd. M . P e tsch e n ig (C SEL 13),
1886, p. 430-431).
* Cf. infra, p. 150 n. 2.
* Conlatio X X I , 18, ibid., p. 593. «... Domino conqueruntur dicentes : quare
nos et Pharisaei ieiunamus frequenter, discipuli autem tui non ieiunant? Quibus
respondens dominus euidenter ostendit non omni tempore congruom esse ieiunium
74 L e temps de la joie

Mais Germain ne manqua pas de faire l’objection qui se présen­


tait : Pourquoi alors s’agit-il de toute la Cinquantaine, puisque
précisément le séjour du Seigneur avec ses disciples ne dura que
quarante jours? Le temps que les apôtres passèrent au Cénacle, répond
Théonas, dans l’attente de l’Esprit, complète les sept semaines dont
parle l’Ancien Testament, pour l’offrande des prémices.
« V oilà pourquoi ces dix jours sont célébrés avec la m ême solennité
et la m ême joie que les quarante précédents. L a tradition de cette
fête s’est transmise jusqu’à nous, par les chrétiens de l ’âge apostolique.
N otre devoir est d ’y rester fidèles, sans rien y changer. A ussi, en ces
jours-là, ne fléchissons-nous pas les genoux dans la prière, parce que
cette attitude est la m arque de la pénitence et du deuil. O n voit par là
que nous leur donnons la même solennité q u ’au dim anche, où nos Pères
nous ont appris qu’il ne fallait ni jeûner ni fléchir les genoux, par honneur
pour la résurrection du Seigneur *. »

La réponse de l’abbé Théonas est incontestablement assez


embarrassée. Mais elle trouve son fondement dans la tradition,
présentée comme prenant sa source au temps des apôtres. C ’est là,
semble-t-il, l’apport fondamental de ce texte. Les interlocuteurs du
cénobite sont déjà influencés par l’évolution historique de la célébration
pascale. Contrairement à ce que pense H. Leclercq2, on ne saurait
affirmer qu’ils connaissent déjà la fête de l’Ascension au quarantième
jour, mais il faut bien qu’ils aient perdu le sens de la grande
Cinquantaine, pour s’étonner de la pratique des moines de Théonas
et songer aux questions qu’ils posent. En face de ces «idées nouvelles »,
s’affirme la stricte fidélité des communautés de la Thébaïde aux usages
des Anciens : l’absence de jeune se marquait par l’heure du repas,

nec necessarium, cum aliqua uel festiuitas temporum uel interueniens caritatis occasio
indulgentiam refectionis admittit, numquid possunt, inquiens, filii sponsi lugere
quamdiu cum illis est sponsus ? uenient autem dies cum ab eis auferetur sponsus, et
tune ieiunabunt, quae uerba, licet ante resurrectionem dixerit corporis sui, tamen
proprie Quinquagensimae tempus ostendunt, in quo post resurrectionem per quadra-
ginta dies domino cum discipulis epulante ieiunare illos cotidie eius praesentiae
gaudium non sinebat. » Pour la traduction des Conférences de Cassien, nous avons
suivi de près l’édition de E. P ic h e r y (SC 64), Paris, Cerf, 1959, p. 94 sq.
1 Conlatio X X I , 20, ibid., p. 594-595. « ... Et idcirco hi quoque decem dies
cum superioribus quadraginta pari sollemnitate sunt ac laetitia celebrandi. Cuius
festiuitatis traditio per apostolicos uiros ad nos usque transmissa eodem tenore
seruanda est. Ideo namque in ipsis diebus nec genua in oratione curuantur, quia
inflexio genuum uelut paenitentiae ac luctus indicium est. Unde etiam per omnia
eandem in illis sollemnitatem quam die dominica custodimus, in qua maiores nostri
nec ieiunium agendum nec genu flectendum ob reuerentiam resurrectionis dominicae
tradiderunt. »
* H. L e c le r c q , D A C L , art. Pentecôte, t. X IV , 1,1939 , c. 268.
La persistance de la « Pentecôte » en Égypte 75

avancée à la sixième heure x, la prière se faisait debout, et l’on gardait


présente à l’esprit l’assimilation de la fête au dimanche.
Celle-ci, d’ailleurs, se traduisait dans l’ordonnance des réunions
de prière, comme l’atteste le De Institutione Coenobiorum, écrit par
Cassien entre 419 et 420 : les synaxes quotidiennes du matin et du
soir comportaient chacune douze psaumes, selon la tradition considérée
comme miraculeusement révélée par un ange. Mais on y ajoutait
deux lectures, une de l’Ancien et une du Nouveau Testament...
« T ou tefois, le samedi et le dimanche, toutes deux sont tirées du
N ouveau Testam ent, l ’une de l ’Apôtre ou des Actes, l ’autre des
Évangiles. C e qui est aussi observé tous les jours de la Pentecôte par ceux
qui ont la charge de la lecture... a »

Pour les moines du désert, comme pour les fidèles d’Alexandrie,


la « Pentecôte » a donc bien toutes les prérogatives du dimanche et,
au milieu du Ve siècle, l’Ëgypte est encore fidèle, semble-t-il, à la
vieille tradition de la Cinquantaine. Aucun document ne nous laisse
supposer une fête du Saint-Esprit, à la fin du laetissimum spatium, et
encore moins une solennité de l’Ascension, au quarantième jour. A
cette époque — nous le verrons — les autres Églises de la Catholica
ont déjà adopté une nouvelle organisation du Temps pascal, mais les
communautés de la vallée du Nil paraissent avoir échappé à ce courant
de «réformes ».
Nous aimerions alors savoir à quelle date les influences étrangères
ont fini par triompher, sur ce point, du traditionnalisme alexandrin.
Malheureusement, les documents nous font défaut. Dès la fin du
pontificat de saint Cyrille, c’est, avec son successeur Dioscore (444-
451), la victoire du monophysisme qui entraîne de pénibles divisions
parmi les chrétiens. Le patriarcat va tomber dans une décadence de
plus en plus profonde, dont il ne se relèvera pas. Les légendes monas­
tiques et les rares chroniques des siècles suivants peuvent seulement

* Conlatio X X I , 23, op. cit., p. 598. « ... Cibus qui hora diei nona fuerat
capiendus, paulo citius id est sexta hora pro festiuitate temporis capiatur. » Cette
pratique est aussi attestée par saint Jérôme qui écrit, à propos des moines d’Égypte :
« Pentecoste, cenae mutantur in prandia, quo et traditioni ecclesiasticae satisfaciat et
ventrem cibo non onerent duplicato » (Epist. X X I I ad Eustochium, 35, éd.
J. L a b o u r t , Paris, Belles Lettres, I, 1949, p. 152).
* Institutionum Liber II, éd. M . P e t s c h e n i g (C SEL 17), 1888, p. 22-23.
« In die uero sabbati uel dominico utrasque de nouo recitant testamento, id est unam
de apostolo uel actibus apostolorum et aliam de euangeliis. Quod edam totis Q u in q u a-
gensimae diebus faciunt hi, quibus lectio curae est... »
76 Le temps de la joie

nous fournir quelques renseignements sur la vie de l’Église dans cette


région. Le Pré Spirituel de Jean Moschus ne parle pas de la
Pentecôte1. Nous n’avons su trouver avant le V IIe siècle aucune mention
de l’Ascension, et encore l’événement que Jean de Nikiou date de
cette solennité se situe-t-il à Antioche. Mais ce chroniqueur égyptien
est un monophysite et il semble que la fête lui soit aussi familière
qu’aux Syriens 2.

1 Jean M o schus, Le Pré Spirituel, P G 87, 2343-3116; trad. M . J. R o u e t de


J o u rn e l (SC 12), Paris, Cerf, 1946. On y trouve bien la mention du temps de Pâques
à la Pentecôte ( êtoç TÎjç nevTY}xoaT7j<; ), mais il ne s’agit pas de l’Égypte ; il est question
d’un miracle qui a eu lieu en Lycie (diocèse d’Asie). C f : P G 87, c. 3108; R o u e t de
J o u rn e l, op. cit., p. 289.
* Jean de N iiciou, Chronique, éd. M . H. Z o te n b e rg , Notices et extraits des
manuscrits de la Bibliothèque Nationale et autres bibliothèques..., X X IV , p. 504-505.
/« Dieu envoya un cataclysme, le feu tomba du ciel sur la ville d*Antioche... Le jour
de la fête de l’Ascension de Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, une grande foule
s’assembla dans l’église, appelée... pour célébrer une messe à l’occasion de ce terrible
événement. »
CHAPITRE IV

nENTHKOSTH

SOLUTION DE QUELQUES DIFFICULTÉS ET


PERSPECTIVES COMPLÉMENTAIRES

Les témoignages que nous avons recueillis dans la littérature


patristique au IIIe siècle, et jusqu’au Ve en Égypte, manifestent une
conception de la solennité pascale qui ne peut que nous séduire, par
sa manière de nous placer d’emblée au cœur du mystère chrétien.
Toutefois, nous nous sentons si fort dépaysés devant la Cinquantaine,
bien différente des réalités liturgiques qui nous sont familières, que
plusieurs objections se présentent à notre esprit : le nom que porte
cette célébration, sa relation avec les événements rapportés par les
Actes des Apôtres et les autres livres du Nouveau Testament, le lien
qui la rattache à la fête juive sont autant de difficultés dont l’examen
s’impose à ceux qui cherchent une véritable intelligence de la
Pentecôte chrétienne.

I. — LE NOM DE LA CINQUANTAINE

Nous avons vu que la Cinquantaine se présente sous le nom de


tovt/jxoœty). Mais ce mot est un ordinal désignant le dernier élément
d’une série de cinquante, non la série elle-même. S’il convenait parfai­
tement à la fête juive, célébrée sept semaines après les Azymes, son
emploi pour désigner l’ensemble du Temps pascal ne semble pas
pouvoir se justifier, non plus dans la xoivr) que dans la langue classique.
Pour trouver une explication à cette anomalie, il ne faut évidemment
pas songer à invoquer l’expression Quadragesima-xzcaoLpa.xo(rn\ ; le
carême, en effet, est une institution plus récente et c’est certainement
par analogie avec la «Pentecôte »qu’il a reçu sa dénomination. La seule
hypothèse qui nous semble légitime ne se situe pas au plan littéraire
et philologique; elle est d’ordre historique. C ’est la solennité d’Israël
qui a donné son nom à celle de l’Église. Pour exprimer les réalités
de la foi, les premiers disciples du Seigneur se sont forgé un vocabulaire
propre, en attribuant une acception nouvelle à des termes couramment
employés dans la Bible ou dans le monde grec, tels pascha, ecclesia,
gratia, etc... C ’est ainsi que la coïncidence de dates a amené les chrétiens
78 L e temps de la joie

à approfondir, comme nous le verrons, les liens figuratifs entre les


deux institutions et à leur donner la même appellation, malgré leurs
différences profondes. Il semble d’ailleurs que, dans la pensée des
Juifs hellénisés, le mot tovtyjxoo'tq était devenu un véritable nom propre
traduisant le terme hébreu correspondant, de sorte que sa signification
originelle s’était bien estompée. Il pouvait donc facilement changer
de sens, dès lors qu’on ne portait pas plus d’attention à son étymologie
que nous ne le faisons nous-mêmes en parlant de la Pentecôte.
Notons qu’en latin le mot n’est généralement pas traduit. Nous
avons cependant déjà rencontré chez Jean Cassien l’expression tota
Quinquagesima, conformément à un usage qui semble avoir été très
répandu en Gaule. C’est en effet dans ce pays que les Conférences
furent rédigées. Nous retrouverons cette appellation chez Hilaire de
Poitiers et même dans le Code de Théodose. Plus tard, elle servira à
désigner le cinquantième jour après Pâques, exactement comme
7ievT7)xo<TTY). Fauste de Riez dit que l’Esprit-Saint est descendu sur
les apôtres sacra quinquagesimae solemnitate \ On rencontre le même
terme, sous une forme un peu différente, dans le titre du sermon de
saint Césaire De Quinquagesimo et dans le Missel de Bobbio : In Quinqua-
gisimo2. Son emploi n’est cependant pas exclusif; il semble même qu’il
tend progressivement à disparaître au V Ie siècle, sans doute parce que
le mot devient équivoque, pouvant s’appliquer à la période qui précède
Pâques. Le Concile d’Orléans de 511, qui nomme le jour de Pentecôte
Quinquaginsimaei sollemnitas, réagit contre la pratique d’un carême de
cinquante jours3. Le concile de Tours de 567 mentionne encore
cependant le temps de pascha usque quinquagessima et Grégoire, qui
était évêque de cette ville de 573 à 594, parle tantôt des vigiles noctem
sanctam Pentecosten, tantôt du die quinquagesimo 4.

2. — CÉLÉBRATION DE LA CINQUANTAINE
ET COMMÉMORAISON DES ÉVÉNEMENTS DU SALUT

Il y a une autre difficulté, d’un ordre tout différent, qu’un esprit


moderne ne surmonte pas aisément. Il nous semble tout à fait normal
que les semaines suivant la fête de Pâques soient pour nous l’occasion

1 F au ste de R ie z, De Spiritu Sancto, I, vii; éd. A. E n g e lb r e c h t (C S E L 21),


1891, p. m .
* P. Salm on , Le Lectionnaire de Luxeuil (Collectanea Biblica Latina, V II)
Rome, 1944, p. C X V I.
8 Concile d’Orléans, Can. 24, éd. C. DE C le r c q , Concilia Galliaey II (ser. lat.
C X V III A), 1963, p. 11. « Id a sacerdotebus omnibus est decretum, ut ante pascae
sollemnitate, non quinquaginsima sed quadraginsima teneatur. »
4 Cf. infra, p. n i , n. 2 et p. 218.
Solution de quelques difficultés 79

de revivre, dans leur ordre chronologique, les faits rapportés par le


livre des Actes, tout particulièrement l’ascension et l’effusion de
l’Esprit : le Christ, «pendant quarante jours, avait apparu à ses apôtres
et les avait entretenus du Royaume de Dieu»; puis, «il fut élevé'au
ciel» (Act., I, 2-3). Et, «le jour de la Pentecôte étant arrivé..., tous
furent remplis du Saint-Esprit» (Act., II, i, 4). Les chrétiens du
111e siècle connaissaient ces textes, les lisaient dans leurs assemblées
et les méditaient dans leur prière. Comment donc pouvaient-ils ne pas
s’en inspirer, comme nous le faisons nous-mêmes, dans leur manière de
célébrer le Temps pascal?
Nous sommes tellement imprégnés des habitudes qu’a façonnées
en nous la pratique actuelle de l’Église que c’est là sans doute ce qui
exige de nous le plus grand effort de dépaysement. Il est cependant
nécessaire que nous acceptions ce changement de perspective, voire
de mentalité, si nous voulons comprendre les réalités liturgiques des
premiers siècles. Depuis l’âge apostolique, les disciples du Christ,
nous l’avons dit, avaient la conviction que les pratiques de l’Ancien
Testament étaient dépassées et avec elles les fêtes religieuses du rituel
mosaïque : «Observer des jours, des mois, des saisons, des années!
Vous me faites craindre de m’être inutilement fatigué pour vous »
(Gai., IV, 10-11). Il fallait désormais considérer la célébration litur­
gique non plus comme une commémoraison des événements passés
de l’histoire du salut, mais comme l’actualisation sacramentelle du seul
mystère pascal; le dimanche y suffisait avec la Cinquantaine, la magna
dominica.
Mais il ne faudrait pas en conclure que le récit des Actes des
Apôtres était laissé dans l’ombre1 et n’exerçait aucune influence sur
la signification de la «Pentecôte ». On pourrait dire au contraire que
le contenu mystique de la grande solennité s’inspirait directement du
discours de saint Pierre au sortir du cénacle : «C’est ce Jésus que Dieu
a ressuscité, nous en sommes tous témoins. Une fois élevé à la droite
de Dieu et mis en possession du Saint-Esprit, objet de la promesse,
il est l’auteur de ces effusions que vous êtes en train de voir et
d’entendre » (Act., II, 32).
La liturgie de la Cinquantaine, selon les témoignages que nous
en avons, se fait l’écho direct de ces paroles. Mais elle n’est pas
considérée comme une suite d’anniversaires. Il faut donc soigneusement
distinguer la célébration du mystère du salut du déroulement historique
des faits rapportés par l’Écriture, ces deux éléments n’étant pas, pour

1 Plusieurs des textes que nous avons cités font explicitement allusion au récit
des Actes, par exemple celui de Tertullien (De Bapthmo, X IX , 2) ou ceux d’Origène
(In Le v. II, 2; Contra Celsum, V III, 22).
go Le temps de la joie

les anciens, unis par le lien que nous y voyons aujourd’hui Si nous
pouvions les interroger, ils nous feraient sans doute la réponse de
l’abbé Théonas : une fête est tout simplement une période de joie,
d’où la pénitence est exclue; c’est un temps où, plus que jamais, l’Époux
est avec les siens. Le commoratus est des Actes des Apôtres applique
tout particulièrement à la «Pentecôte» cette parole de l’évangile.
Sans doute, personne n’ignore que, selon saint Luc, Jésus n’est resté
que quarante jours avec ses disciples, mais qu’importe? il ne s’agit pas
de cela; la joie du grand dimanche se développe sur cinquante jours,
accomplissant le symbolisme déjà exprimé par la Tora, dans le temps
fixé pour l’offrande des prémices. Pour les ascètes d’Égypte, la question
ne se pose pas; c’est la tradition des anciens : pendant cinquante jours,
les amis de l’Époux ne peuvent pas jeûner.

3. — LE JEÛNE DES «AM IS DE L ’ ÉPOUX »

Au début de son ministère public, Jésus se trouva un jour en


butte aux accusations des Pharisiens, qui reprochaient à ses disciples
de «manger et de boire », au lieu de jeûner. Il leur fit cette réponse
indirecte : « Est-ce que vous pouvez faire jeûner les amis de l’Époux
(littéralement : les fils de la chambre nuptiale), pendant que l’Époux
est avec eux? Viendront des jours... et quand l’Époux leur aura été
enlevé, alors ils jeûneront... en ces jours-là2. » Le jeûne est, dans la
Bible, un signe de pénitence, de tristesse et de deuil; il est donc incom­
patible avec la joie des jours de noces. Mais ce qui est remarquable,
c’est que le Seigneur se présente lui-même comme l’Époux, reprenant
une image familière à l’Ancien Testament pour désigner les relations
entre Dieu et son peuple. C’est donc une manière d’exprimer le sens
de son œuvre messianique : celle-ci consiste à sceller l’Alliance nouvelle
qui ne sera plus, comme l’ancienne, remise en cause par les caprices
et les infidélités d’Israël. Ce sont des noces que le Christ est venu
célébrer par sa mort et sa résurrection, et que l’Église revit chaque
année, en renouvelant sacramentellement le mystère pascal, en s’unis­
sant à la glorification de son Sauveur. Comment la catéchèse de ces

1 Cette distinction n’est pas toujours bien marquée par V. L arra8aga>


L'Ascension du Seigneur dans le Nouveau Testament, Rome* 1938.
a «M7) S ù vaaQ e to ùç u toù ç to u « M 1?) 8 ù v a v r a i o l u lo l t o u vujjl-
vu(xcpcôvoç, èv eu ô vu^cploç (i,eT*aÙTaiv ç û v o ç 7rev0eïv ècp'oaov (jLer’ aÙTÛ v ècrrlv
ê c T iv , 7uoiY)oat v t)o t£ Ù civ ; èXeùcrovToci 8h 6 vu[*<pioç; è X eù aovT a t Sh ijyiép a t ÔTav
fjjjtépat, x a l ÔTav àîcap O jj àrc’ aÙTfiW ô àTuapOfl àrc’ aÙTCûV ô vujJLtptoç, x a l t 6 t s
vupuploç, t 6 t s v T jaT sû ao u a iv èv è x e lv a t ç v iq a T e ù a o u a iv . » ( M t 0 I X , 1 5 ).
raïç ^ptèpaiç. »(Lc., V, 34*35)*
Solution de quelques difficultés 81

jours de joie n’aurait-elle pas repris les paroles de l’évangile? Les


amis de l’Époux ne peuvent pas jeûner en ce temps-là, car l’Époux est
avec eux.
Chez les chrétiens orthodoxes d’Afrique, au IIe siècle, la pratique
du jeûne s’inspirait directement de ce texte biblique. Tertullien en est
le témoin dans un de ses traités de la période montaniste, lorsqu’il
reproche aux «psychiques », c’est-à-dire aux catholiques, de ne jeûner
que lorsque l’Époux est absent :
« Ils pensent que, dans l’évangile, ont été fixés pour le jeûne d’une
manière certaine les jours pendant lesquels l’époux a été enlevé et que
ce sont désormais les seuls où il est légitime pour des chrétiens de jeûner,
pu isq u ’ont été abolies les vieilleries de la L o i et des Prophètes \ »

Il s’agit très probablement des deux jours qui précèdent


l’Eucharistie pascale. Il ne faudrait pas croire, cependant, que les
pratiques pénitentielles aient été réduites à ce point, dans l’Église des
premiers siècles.
« V o ici que je m ’accorde avec vous, écrit Tertullien lui-même
s’adressant aux « psychiques », lorsque vous jeûnez en dehors de la
P âque, en plus de ces jours où l ’époux a été enlevé, lorsque vous intro­
duisez les dem i-jeûnes des stations et lorsque, de temps en temps,
vous vous nourrissez de pain et d ’eau, au gré de chacun. Vous répondez
finalem ent que cela doit se faire d ’un propre m ouvement, non en vertu
d*un com m an d em en ta. »

C ’est au contraire d’une manière explicite, bien que son allusion


soit discrète, qu’Eusèbe de Césarée applique à la Cinquantaine pascale
le texte de saint Luc :
« C ’est donc à bon droit que dans les jours saints de la Pentecôte,
par figure du repos futur, nous réjouissons nos âmes et délassons nos
corps, com m e nous trouvant désormais réunis à l ’époux et ne pouvant
jeûner 8. »

Cette catéchèse n’a rien de commun avec les commentaires


allégoriques ou les exhortations édifiantes. L ’image évangélique des
1 T e r t u l l i e n , De Ieiunio, II, 2, C C Ser. lat. II, 1954, p. 1258 « Certe in euangelio
illos dies ieiuniis determinatos putant, in quibus ablatus est sponsus et hos esse iam
solos legitimos ieiuniorum christianoram abolitis legalibus et propheticis uetus-
tatibus. »
2 Ibid., X III, 1-2, p. 1271. « ... Ecce enim conuenio uos et praeter pascha
ieiunantes citra illos dies, quibus ablatus est sponsus, et stationum semiieiunia inter-
ponentes et uos interdum pane et aqua uictitantes, ut cuique uisum est. Denique
respondetis haec ex arbitrio agenda, non ex imperio. »
2 Eusèbe de C é sa rée , De Solemnitate Paschali, y, P G 24, c. 700. «EU6tù>ç
Æpa Iv xoctç tyjç àyÉaç nevTYjxoarYjç ^(xépaiç tyjv fiéXXouaav àvà7rauaiv StaypàipovTeç,
xàç <pi>xàç yavvéfieOa, x al t6 <xa>[xa 8tava7çaéo(iev, cbç #v aàTtp auvévre;, ^84
Ni>(i<p£ci>, x a l VYjaxeéeiv jri) Suvàpevot. »

N® 9151. — 6
82 L e temps de la joie

amis de l’époux ne vient pas se surajouter a posteriori à la pratique de


l’Église, pour en fournir une illustration littéraire et oratoire. Elle
fait partie des fondements mêmes de la célébration du mystère pascal.
C ’est vraiment parce que le Seigneur a souligné l’incompatibilité de
sa présence avec le jeûne de ses disciples que la Pentecôte a revêtu, dans
les communautés chrétiennes, l’aspect que révèle la tradition. Il ne
s’agit pas non plus d’une simple référence historique au temps que le
Christ a réellement passé avec ses disciples avant son ascension; la
présence de l’époux au milieu des siens est celle que réalise chaque
année la célébration liturgique de la glorification de Jésus : la partici­
pation sacramentelle à la Résurrection du Seigneur nous unit à lui par
des liens si étroits que nous vivons réellement des jours de noces où
le jeûne, en vertu des paroles mêmes de l’évangile, apparaîtrait presque
comme un manque de foi ou une sorte de contradiction.
« N ous ne jeûnons pas pendant la Pentecôte, écrit M axim e de T u rin ,
parce qu'en ces jours le Seigneur dem eure avec nous. N ou s ne jeûnons
pas, dis-je, lorsque le Seigneur est là, car il a d it lui-m êm e : « L es fils
de l ’époux peuvent-ils jeûner, tant que l'ép ou x est avec eu x ? » E n effet,
pourquoi le corps s'abstiendrait-il de nourriture quand l'âm e se refait de
la présence du Seigneur? Il ne peut être à jeun, celui qui est nourri de
la grâce du Sauveur, car la com pagnie du C h rist est en quelque sorte la
nourriture du chrétien. N ous sommes donc restaurés, pendant la
Pentecôte, puisque le Seigneur vit avec nous. L orsqu ’après ces jours-là
il monte au ciel, nous jeûnons de nouveau com m e l'a dit le même
Sauveur : « D es jours viendront où l'épou x sera enlevé et alors ils
jeûneront en ces jours-là. » E n effet, lorsque le C hrist m onte au ciel
et est arraché à nos regards nous souffrons non de la faim corporelle,
mais de la faim de l ’am our *. »

Comme le montre ce texte, une application plus précise des


paroles de l’évangile à la célébration de la Pentecôte suppose une
reprise du jeûne dès que l’Époux a été enlevé à ses amis. Lorsqu’on
s’est préoccupé d’une fidélité plus grande à la chronologie des Actes
des Apôtres, cela devait soulever la question que rapporte Cassien et

1 M axim e de T u r in , Hom., X L I V , 2 éd. A . M u tz e n b e ch e r (C C , séries


lat. X X II), 1962, p. 178-179 (PL 57, c. 372). «Non igitur ieiunamus in quin-
quagesima, quia in his diebus nobiscum dominus conmoratur. Non, inquam,
ieiunamus praesente domino, quia ipse ait : Numquid possunt fili sponsi ieiunare,
quamdiu cum illis est sponsus? Cur enim abstineatur corpus a cibo, cum anima
praesentia domini saginatur? Non potest enim esse ieiunus qui reficitur gratia salua-
toris; societas enim Christi quodammodo esca est christiani. Reficimur ergo in
quinquagcnsima nobiscum domino conuersante. Cum autem post hos dies ascendit ad
caelum, iteruin ieiunamus, sicut ait idem saluator dicens : Venient autem dies, cum
auferetur ab eis sponsus; et tune ieiunabunt in illis diebus. Cum enim Christus
ascendit ad caelum et nostris aufertur obtutibus, famem patimur non corporis sed
amoris. »
Solution de quelques difficultés 83

dont nous avons déjà parlé : Pourquoi s’agit-il de toute la Cinquantaine,


puisque le Seigneur a quitté ses disciples dès le quarantième jour?
Si les générations antérieures étaient trop peu tournées vers une
liturgie tenant compte du déroulement historique des faits pour être
sensible à cette difficulté, il n’en fut plus de même pour ceux qui
allaient célébrer l’Ascension à son jour anniversaire. C’est ainsi que
la considération des exhortations de Jésus sur le temps de sa présence
parmi les hommes devait jouer un rôle primordial dans l’évolution de
la « Pentecôte ».

4. — GLORIFICATION DU CHRIST

ET DON DE L ’ ESPRIT DANS LE NOUVEAU TESTAMENT

Nous voici donc amenés à une double conviction dont il faut bien
comprendre qu’elle n’a rien de contradictoire. D’une part, ce n’est pas
pour pouvoir commémorer les événements rapportés par l’Écriture
que les chrétiens des premiers siècles lisaient le Nouveau Testament.
D ’autre part, la célébration de la Cinquantaine est tout entière nourrie
des textes scripturaires, regardés comme la Parole de Dieu se réalisant
dans l’ «aujourd’hui » de la liturgie.il importe par conséquent que nous
regardions de plus près les pages de la Bible qui ont été la source dont
a jailli la «Pentecôte » nouvelle.
Ce qui frappe tout d’abord, c’est que l’effusion de l’Esprit
apparaît comme étroitement liée à la glorification du Sauveur,
manifestée surtout par son ascension vers le Père; elle en est comme le
corollaire immédiat : «Il n’y avait pas encore d’Esprit, car Jésus
n’avait pas été glorifié » (Jn., VII 39), « Si je ne m’en vais pas, le
Consolateur ne viendra pas à vous; si je m’en vais, je vous l’enverrai. »
(Jn., XVI, 7). Il faut encore citer ce verset du discours de Pierre, le
jour de la Pentecôte : « Une fois élevé à la droite de Dieu et mis par
son Père en possession du Saint-Esprit, il (Jésus) est l’auteur de ces
effusions que vous êtes en train de voir et d’entendre » (Act., II, 33).
Le don de l’Esprit est donc inséparable de l’exaltation du Seigneur
comme constituant ensemble l’achèvement de l’œuvre rédemptrice et
l’inauguration de l’ère nouvelle qui prépare la Parousie.
Mais une difficulté surgit des textes du Nouveau Testament, à
propos de la date de l’ascension. Les synoptiques, en effet, semblent
la placer au soir de la résurrection *. Saint Jean nous montre même le
Seigneur donnant alors l’Esprit a ses apôtres : «Il souffla sur eux et
leur dit : Recevez le Saint-Esprit... » (jn., XX, 22), ce qui suppose

1 M e., X V I, 19} Le., X X IV , 50-51.


84 L e temps de la joie

réalisées, selon la théologie johannique se dégageant des textes que nous


avons cités, les paroles du Christ à Marie de Magdala : «Ne me retiens
pas ainsi, car je ne suis pas encore monté vers le Père; mais va trouver
mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers
mon Dieu et votre Dieu » (Jn., XX, 17). Le retour du Seigneur au
ciel, bien que distinct de sa résurrection, aurait eu lieu peu de temps
après, dans la même journée. Seuls, les Actes des Apôtres, où saint Luc
semble contredire lui-même les indications qu’il donnait dans son
évangile, mettent un intervalle de quarante jours avant l’ascension et
de cinquante avant l’envoi du Paraclet. Il est possible que la première
de ces deux présentations ne soit qu’un exposé résumé et condensé
des événements que la seconde relaterait avec plus de détails et confor­
mément à leur chronologie réelle. Il semble difficile d’assimiler,
cependant, le don de l’Esprit, tel qu’il est rapporté au chapitre XX de
saint Jean, à la théophanie de la Pentecôte. D ’autre part si les Actes
s’inspirent d’une typologie qui gouverne leur présentation des faits
(symbolisme du nombre 40, évoquant les épisodes de Moïse et d’Élie,
etc...), il ne semble pas qu’on puisse nier l’historicité des événements
dont ils parlent. Ce n’est pas ici le lieu de traiter d’une question bien
étudiée par les exégètes1 et il suffit de dire que leurs conclusions vont
en général dans ce sens.
Après sa résurrection — tous les textes concordent sur ce point —
le Seigneur s’est manifesté aux hommes par diverses apparitionsa.
Chacune d’elles peut en quelque sorte être considérée comme une
ascension, puisqu’elle se termine par un départ du Christ qui disparaît
aux yeux de ses disciples. Il est difficile d’imaginer que, dans l’inter­
valle qui les sépare — si tant est que ces notions temporelles aient
encore un sens, quand il s’agit d’un corps glorieux — , Jésus n’est pas
déjà dans la gloire du Père. L ’événement du Mont des Oliviers n’est au
fond que la dernière de ces apparitions, où le caractère de clôture de
la mission du Christ sur la terre se manifeste dans une théophanie
dont la nuée est un élément essentiel, comme celle qui arracha le
prophète Élie aux regards d’Élisée (II Rois, II, 11). Ce miracle met en
lumière la glorification de Jésus dans le ciel où il est «assis à la droite
de Dieu». De même, c’est tout au long du livre des Actes que
l’Esprit-Saint descend sur les hommes ou sur les Communautés qui
adhèrent à la foi. On peut donc dire, semble-t-il, que Jn., XX, 22 et le
récit de la Pentecôte ne sont que des cas particuliers, des épisodes

1 Cf. V . L a r ra n a g a , op. cit.; U . H o lz m e is te r, Der Tag der Himmeljdhrt des


Herrn, dans Z K T 55 (1931), p. 44-82; P. B e n o it, U Ascension, dans Rev. Biblique 56
1049, P. 161-203 et Exégèse et Théologie, Paris, 1 9 6 1 ,1 . 1, p. 393*398.
* «C f. I Cor., X V , 4-8.
Solution de quelques difficultés 85

choisis en raison de leur importance, de cette effusion presque


continuelle de l’Esprit. C ’est le pouvoir des clefs et la mission de
l’Église à ses origines qui sont accompagnés d’une présence toute
particulière de l’Esprit sanctificateur. La présentation différente, en
saint Jean et en saint Luc, des faits qui suivirent la Pâque est sans doute
un indice du peu d’importance qu’ils attachaient à une chronologie
précise et il semble — nous l’avons vu — que les générations suivantes
n’y ont pas prêté une attention plus grande que les évangélistes eux-
mêmes. Il ne s’agit donc pas d’opposer deux témoignages qui seraient
contradictoires, mais plutôt d’étudier deux traditions insistant chacune
sur un des aspects du mystère rédempteur, pour des motifs théologiques
ou typologiques.

5. — DEUX TRADITIONS BIBLIQUES


DANS LE NOUVEAU TESTAMENT

G. Kretschmar, dans un article fort bien documentéx, a essayé


d’identifier et d’approfondir ces courants divers qui s’expriment dans le
Nouveau Testament et se trouvent à l’origine de la fête chrétienne de
la Pentecôte. L ’une des deux traditions est à son avis représentée
par le chapitre XX de saint Jean et le discours de Pierre, dans les
Actes des Apôtres (II, 23 et suivants), qui se réfère à la royauté messia­
nique du Christ recevant l’immortalité promise à David et siégeant à
la droite de Dieu. A ces deux témoignages il faut joindre celui de
VÊpître aux Éphêsiens (IV, 7-12) qui présente l’unité réalisée dans
l’Église comme une harmonie de vocations différentes, puisque à chacun
de nous la grâce a été donnée selon la diversité des dons du Christ.
Cette distribution des bienfaits du Sauveur apparaît comme un fruit
de son Ascension et le texte se réfère, à ce propos, à un verset
psalmique : «Il monta dans les hauteurs, emmenant la foule des
captifs, il donna des présents aux hommes2. » Mais le texte de cette
citation diffère de l’original. La version des Septante, comme l’hébreu,
donne en effet une autre leçon : «... Tu as reçu des présents en
l’homme... a. » Saint Paul s’inspire ici d’une tradition rabbinique
selon laquelle ces mots de l’Écriture étaient appliqués à Moïse : «Tu
es monté sur la hauteur, écrit le Targum sur les Psaumes, tu as pris

1 G . K r e ts c h m a r, Himmelfahrt und Pfingsten, dans Zeitschrift für Kirchenges-


chichte, Vierte Folge IV , L X V I Band (1954-1955) Heft 3, p. 209-253.
* ’Avapàç elç fjxpwcXtixrev atxjxaXcoatav, x al ëSoxev Séptaxa toïç àvOpciJtotç
» Ps. l x v i i (Vuig.), 19. t n ç a QiDria nrij?b ■atf n 'a tf oV iaV n 'V ?
L X X : àvéprjç elç èXapeç S6(xaxa iv àvGpcbrap.
86 Le temps de la joie

la Tora et tu l’as donnée en présent aux hommes. » Deux autres


passages du Talmud expliquent : Tu as reçu des présents pour les
hommes \ Cette pièce du psautier est un chant d’action de grâces
pour les victoires accomplies par Dieu en faveur d’Israël et les versets
19 et 20 rattachent à la conquête l’entrée du Seigneur en Sion. Le
butin apporté avec l’arche était destiné, en partie tout au moins, à
être distribué au peuple et c’est de la main même de Dieu, à qui
ils appartenaient par le droit de la victoire, que les hommes recevaient
ces présents. UÉpîtré aux Éphésiens, en une transposition typologique,
reprend le même texte à propos du Christ qui, selon l’expression du
discours de Pierre, «une fois élevé à la droite de Dieu, a été mis par
son Père en possession du Saint-Esprit » qu’il a communiqué à ses
disciples. Comme la montée de l’arche à Sion, celle de Jésus au ciel
est la manifestation d’un triomphe dont les fruits sont distribués au
peuple. Les paroles mêmes de YExode : « Et Moïse monta vers Dieu2»,
en présentant la marche vers le sommet du Sinaï comme une
ascension, posaient les fondements de ce rapprochement, souligné
encore par la mention de la nuée qui enveloppa le Seigneur au Mont
des Oliviers, comme le patriarche recevant la Tora (Act., I, 9; Ex.,
XIX, 9). L ’iconographie chrétienne des IVe et Ve siècles, qui représente
les deux événements d’une manière toute semblable, montre combien
cette typologie était alors devenue familière *. Le chapitre XX de
saint Jean et le discours de saint Pierre présentent nettement l’envoi de
l’Esprit comme un don du Christ glorifié, conformément à YÉpître aux
Éphésiens. Or ces livres du Nouveau Testament, remarque Kretschmar,
sont ceux qui ont la plus grande parenté avec les écrits de la secte
de Qûmran4. La tradition qu’ils représentent peut avoir établi le lien
entre la fête juive des semaines, commémorant la théophanie du Sinaï,
et la Pentecôte chrétienne, considérée comme l’ascension du nouveau
Moïse dans la gloire du Père, pour « être mis en possession de l’Esprit-
Saint.» C ’est ainsi que, dans certaines communautés, la Pentecôte

* H. L . S t r a c k et P. B ille r b e c k , Kommentar zur neuen Testament aus Talmud


und Midrasch III, München, 1954, p. 596-598.
* Ex.,9 xix, 3. rrn-VRïi
’ J V »T
b »V n*?y
T T

* G . K re ts c h m a r publie dans son article des planches hors-texte, qui


permettent de comparer l’iconographie de l’Ascension et celle du Sinaï. On trouvera,
dans F. C a b r o l, D A C L , art. Ascension, t. I, c. 2929, la reproduction du dyptique de
Munich (fin IVe s.) et on pourra avoir une idée de l’iconographie du don de la Loi
d’après la miniature de Cosmas Indicopleutes, reproduite par H. L e c le r c q , D A C L ,
art. Moïse, t. X I, c. 1656.
4 C f : K . G . K u h n , Der Epheserbrief im Lichte der Qumrantexte, dans New T es­
tament Studies 7 (1960-1961), p. 334-346, approuvé par P. B e n o it, Qumram et le nou­
veau Testament, ibid. p. 287.
Solution de quelques difficultés 87

aurait trouvé sa signification, sous l’influence de la fête du renouvel­


lement de l’Alliance, dans la typologie Moïse-Christ, mettant l’accent
sur l’ascension du Sauveur.
La seconde tradition, représentée par le récit du chapitre II des
Actes, est centrée sur le caractère universel et missionnaire de la
communauté fondée par le Seigneur. Elle s’exprime tout particuliè­
rement, dans le texte de saint Luc, par l’ambiguïté voulue du mot
YXôktctoci. Désignant la forme des flammes qui manifestent la venue de
l’Esprit, ce terme s’applique aussi au miracle qui fit parler les apôtres
en langues étrangères. Ce fait n’est pas évoqué par saint Jean, et le
discours de Pierre n’en parle que par le truchement de la citation
biblique qui l’introduit. C’est peut-être à Antioche, la première
Église de la Gentilité, que l’auteur a puisé ses sources, mais c’est
l’élaboration littéraire qu’il en a faite qui donne au texte son orientation
précise. La Pentecôte y apparaît comme l’avènement de la c o m m u n au té
messianique annoncée par les prophètes. Saint Pierre rappelle les
paroles de Joël et en proclame la réalisation : « Je répandrai mon esprit
sur toute chair... » Ce passage est une description apocalyptique des
temps eschatologiques « Tous ceux qui invoqueront le nom du
Seigneur, y lisons-nous au-delà de la citation des Actes, seront sauvés,
car sur le Mont Sion il y aura des rescapés, comme l’a dit le Seigneur,
et à Jérusalem des survivants que le Seigneur appelle » (Joël, III, 5)-
La ville sainte est le lieu du rassemblement de tous ceux qui ont été
dispersés. La place accordée à l’énumération des peuples représentés,
lors de la Pentecôte, rejoint ce thème fondamental de l’espérance
d’Israël : il y avait «des Parthes, des Mèdes, des Élamites, des gens de
la Mésopotamie, de la Judée, de la Cappadoce, du Pont, de l’Asie,
de la Phrygie, de la Pamphylie, de l’Égypte et de la Lybie Cyrénaïque,
et des étrangers venus de Rome, des Juifs et des prosélytes, des Crétois
et des Arabes» (Act., II, 9-11). C’est la foi au Christ ressuscité qui
opère cette unité spirituelle des nations et met un sceau à toute la vie
religieuse de l’Ancien Testament.
Le phénomène de la glossolalie mentionné par saint Luc a donné
lieu aux explications les plus fantaisistes, telle celle des apocryphes,
d’après laquelle chaque apôtre se voit attribué le terrain de son apostolat
selon l’idiome qu’il se met à parler K Mais ce n’est là qu’une manière
de comprendre cet événement universaliste qui destine l’Église, au
moment où elle naît, à se répandre sur toute la terre. «Vous serez
revêtus de force, avait affirmé le Christ, quand l’Esprit-Saint sera
descendu sur vous et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute

1 Cf. Doctrina Apostolorum, infra, p. 134-135.


88 Le temps de la joie

la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités du monde » (Act., 1, 8).


La diversité des langues, qui n’était pas nécessaire pour se faire
comprendre des Juifs venus en pèlerinage dans la ville sainte, se
présente comme le signe et 1’annonce de la prédication évangélique
aux nations païennes, dont témoigne la suite du livre des Actes : «Quelle
ne fut pas la stupéfaction des fidèles circoncis, qui étaient venus avec
Pierre, de voir le Saint-Esprit répandre également ses dons sur les
Gentils. Car ils les entendaient parler en langues et glorifier Dieu»
(Act., X, 45-46).
Kretschmar se demande s’il ne faudrait pas voir un lien entre
certaines légendes du Judaïsme tardif et le récit du chapitre II des
Actes. En effet, la voix de Dieu au Sinaï, selon les commentaires
rabbiniques du 11e et du 111e siècles de notre ère, aurait retenti sur
toute la terre, dans les langues des soixante-dix peuples du monde l.
Dans le chapitre XIX de l’Exode, le tonnerre qui accompagne la
manifestation du Seigneur est désigné par le mot bip, qui signifie
«voix », comme dans le psaume 28, qui lui attribue sept effets \
D ’autre part, Ex., XX, 18, emploie le terme m n, qui veut dire «voir »en
un sens plus général, si bien que l’exégèse juive a pu lire : «Tout le
peuple a vu la voix de Dieu, les éclairs et le son des trompettes », ce
que Rabbi Akuba (+ 135 ap. J.-C.) justifie par le verset 7 du psaume
cité : « La voix du Seigneur fait jaillir des traits de feu. » Le même
texte de l'Exode désigne les éclairs par le mot D’TB1?, qui signifie
«flambeaux » et on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec
YApocalypse : «Du trône sortaient des éclairs, des voix et des tonnerres;
et sept flambeaux ardents en face du trône, qui sont les sept esprits
de Dieu » (Apoc., IV, 5). En tout cas, le feu du ciel tombant sur la tête
de ceux qui lisent ou expliquent la Tora constitue un thème courant
des commentaires rabbiniques s.
Deux conclusions essentielles semblent donc se dégager de cette
étude. D’une part, on ne pourrait nier une certaine continuité entre la
tradition juive du Sinaï et la théologie du Saint-Esprit. Sous l’influence
de la spiritualité dont témoignent les sectes de la Mer Morte, la solen­

1 H. L . S t r a c k et P. B ille r b e c k , op. cit., II, 1924, p. 604-605; cf. aussi :


E . F le g , Moïse raconté par les sages, Paris, A lbin M ichel, 1956, p. 81.
* Ps. X X V III (Vulg.) « La voix du Seigneur gronde sur les eaux, la voix du
Seigneur est puissante, la voix du Seigneur est majestueuse, la voix du Seigneur brise les
cèdres..., la voix du Seigneur fait jaillir des traits de feu, la voix du Seigneur fait
trembler le désert..., la voix du Seigneur dépouille les cèdres, elle dénude les forêts, t
* H. L . S t r a c k et P. B ille r b e c k , op. cit.> p. 603-604. Notons que Philon
lui-même remarque, à propos de la théophanie du Sinaï : « D u milieu du feu qui
coulait du ciel, une voix se fit entendre à leur étonnement, car la flamme devint une
parole articulée dans le langage familier aux auditeurs et ce qui était dit était tellement
clair et distinct qu’ils semblaient plutôt le voir que Pentendre » (De Decalogo, 46-47)*
Solution de quelques difficultés 89

nité nouvelle se rattacherait à la théophanie et à l’alliance de YExode


célébrées en Israël le cinquantième jour après la Pâque. D’autre part,
le Nouveau Testament et les premières générations chrétiennes auraient
envisagé ces perspectives selon des lignes de pensée différentes, qui
expliqueraient les diverses manières de comprendre la TCVT/)xo<TTrj.
C ’est en Palestine, pense Kretschmar, à partir de la typologie Moïse-
Christ, que l’accent aurait été placé sur l’ascension du Seigneur,
considérée comme l’événement qui fonde l’Église. Dans une autre
direction, saint Luc, peut-être à Antioche, aurait mis en lumière le
fait que le Paraclet n’a pas été donné seulement aux apôtres, mais à
toute la communauté, pour le temps qui la sépare de la Parousie :
partout où un homme s’approche du baptême, il reçoit le même
Esprit et l’on voit se renouveler le miracle des langues de la Pentecôte
hiérosolymitaine; les douze sont les dépositaires d’un message mission­
naire destiné à se répandre jusqu’aux extrémités de la terre.
Nous devons donc essayer de nous prononcer successivement sur
chacune de ces deux conclusions, sans oublier que toutes ces réflexions
— le théologien allemand lui-même tient à le souligner — comportent
une bonne part d’hypothèse.

6. — DE LA PENTECÔTE JUIVE

A LA PENTECÔTE CHRÉTIENNE

Nous avons pu constater, dans les pages de saint Luc, de saint Jean
ou de saint Paul qui ont servi de base à la tradition chrétienne de la
TOV'npccxn-if), plusieurs éléments qui semblent autant d’allusions à
l’alliance du Sinaï. Ce rapprochement n’est jamais exprimé de manière
explicite par les auteurs inspirés, mais il semble difficile de nier qu’ils
aient eu présentes à l’esprit, en rédigeant leur texte, des idées courantes
dans le milieu où ils vivaient. Nous savons, par ailleurs, que les mots
de l’Écriture sont rarement de simples dénominations; ils s’entourent
en général d’un halo d’évocation et de symbolisme servant de véhicule
aux thèmes bibliques qui s’étendent de l’Ancien sur le Nouveau
Testament. Dans ces conditions, peut-on encore penser que la solennité
chrétienne ne doit rien à celle d’Israël, sauf son nom, qui vient de
l’occurrence (qu’on pourrait penser fortuite) de la venue du Paraclet à
la date de la Pentecôte juive?
Sans doute faut-il souligner le profond hiatus qui sépare deux
conceptions absolument différentes de la célébration liturgique. La
Cinquantaine est trop différente du rite d’action de grâces pour la
moisson ou du cérémonial de renouvellement de l’Alliance pour qu’elle
90 Le temps de la joie

soit due à une influence directe de l’Ancien Testament. Elle s’oppose


à ces institutions et elle les transcende par sa forme, celle d’un seul
« grand dimanche », et surtout par son objet, puisqu’elle exprime un
mystère propre, celui de la glorification du Seigneur et du don de
l’Esprit. Ce ne serait pas exagérer que de dire qu’il n’y a aucune
commune mesure entre ce qui appartient au domaine des figures et
des ombres, et ce qui est le commencement de la réalisation du Royaume
eschatologique.
Toutefois, si l’événement du cinquantième jour n’est pas présenté,
chez saint Luc, comme la proclamation de la nouvelle Loi, l’Église,
à qui il donne naissance est à vrai dire, selon Schmitt, «l’achèvement
de l’ancienne alliance au désert, le terme de l’œuvre salvifique inaugurée
durant l’Exode. En un mot, elle est l’ancien «peuple » restauré, voire
sublimé, sur le plan spirituel. Selon le vocabulaire deutéronomique,
valorisé dans ce sens par les auteurs du récit par exemple de la
Pentecôte, elle représente l’événement suprême dans la série des
«hauts faits », mirabilia accomplis par Dieu au profit de son peuple1. »
Le récit des Actes semble suggérer un rapprochement entre l’assemblée
du désert et la communauté messianique de la Pentecôte. Le terme
même de Tcevmjxocrnj marque une continuité, et la tradition chrétienne,'
quels que soient les courants de pensée qui l’ont sillonnée, en revient
toujours aux sources qui ont déjà inspiré les fidèles de la Synagogue,
notamment lorsqu’ils célébraient la fête des semaines. Tout cela
empêche de considérer comme une coïncidence fortuite la manifestation
du Paraclet à la date même où certains Juifs commémoraient la théo-
phanie du Sinaï. C’est ce que souligne saint Jérôme dans sa Lettre
à Fabiola :
« Chiffrons le nom bre et nous trouverons que c ’est le cinquantième
jour après la sortie d ’É gypte que la L o i fu t donnée sur le som m et du
M o n t Sinaï. C ’est pour cela que se célèbre la solennité de la Pentecôte
et que, plus tard, le m ystère de l ’É vangile est achevé par la descente
d u Saint-Esprit. A in si, ch ez l’ ancien peu ple, c ’est le cinquantièm e jour,
dans le vrai jubilé, dans la véritable année de la rém ission, quand les
cinq cent cinquante deniers furent vraim ent abandonnés aux débiteurs,
que la L o i fu t prom ulguée. D e m êm e sur les apôtres et leurs compagnons
rassemblés au nom bre de cent vin gt (qui est celui des années de M oïse),
l’E sprit-Saint descendit et, les langues s’ étant partagées entre les croyants,
le m onde entier fu t rem pli par la prédication évangélique *. »

1 Cf. J. S c h m itt, L'Église de Jérusalem ou la «Restauration d’ Israël », d’après


les cinq premiers chapitres des Actes, dans RevSR 27 (1953), p. 209-218.
* S. Jérôm e, Epist. L X X V I I I , ad Fabiolam, xii, éd. et traduct. J. L a b o u r t,
Paris, Belles Lettres, IV , X954, p. 67. « Supputemus numerum et inueniemus quin­
quagesimo die egressionis Israhel ex Aegypto in uertice montis Sinai legem datam.
Unde et Pentecostes celebratur sollemnitas et postea euangelii sacramentum Spiritus
Solution de quelques difficultés 91

Cette sorte d’enracinement de la Pentecôte nouvelle dans la


tradition juive du Sinaï a amené la catéchèse chrétienne à mettre en
parallèle la Loi et l’Esprit, comme les manifestations de l’économie
du salut dans les deux Testaments. Cette idée se trouve en germe
dans l’évangile et saint Paul s’en inspire plusieurs fois dans ses épîtres.
Nous la retrouverons parmi les thèmes principaux de la prédication
chrétienne du cinquantième jour après Pâques.

7. — LES DEUX TRADITIONS ET LA FÊTE


DE LA PENTECÔTE.
LE SYMBOLISME DE L’ OFFRANDE DES PRÉMICES

Kretschmar ne se contente pas de souligner le lien de la fête


chrétienne' avec la tradition juive; il attribue aux deux traditions
bibliques qu’il analyse les divergences que nous constaterons, par
la suite, entre les diverses conceptions de la Pentecôte. Sans souscrire
aux théories qu’il préconise sur l’origine des textes du Nouveau
Testament et leur reconnaissance dans le canon de l’Église, nous
pouvons trouver dans son étude, qui reste remarquable à bien des
égards, une. explication satisfaisante de l’évolution différente de la
solennité selon les régions.
Il importe cependant d’apporter quelques nuances aux hypothèses
du théologien allemand. Celui-ci se réfère à la manière dont a été
compris le cinquantième jour après Pâques, lorsqu’on a commencé
à le soienniser, comme nous le verrons dans la seconde partie de cet
ouvrage, et il semble avoir négligé de considérer la Cinquantaine
«monolithique», telle qu’elle nous est apparue jusqu’à maintenant.
A l’époque où le laetissimum spatium se trouve attesté, un et partout
semblable dans l’ensemble de la Catholica, on ne peut guère parler
de deux conceptions différentes se partageant les diverses communautés.
Tout au plus peut-on remarqùer certaines nuances dans l’éclairage
que l’on donne au «grand dimanche ».
En effet, si la tcvttjxocjty) est connue dans tout le monde chrétien
et si elle célèbre dans son ensemble tout le mystère rédempteur,
celui-ci est assez riche pour qu’on ait pu insister plus particulièrement,
selon les cas, sur tel ou tel de ses aspects. Nous avons déjà remarqué

Sancti dcscensione conpletur : ut sicut priori populo quinquagesima die, uero iubilaeo,
et uero anno remissionis, et ueris quinquaginta et quingentis denariis, qui debitoribus
dimittuntur, lex data est : ad apostolos quoque, et qui cum eis erant, in centum
uiginti Mosaicae aetatis numéro, constitutis, descendent Spiritus Sanctus, et diuisis
linguis credentium, totus euangelica praedicatione mundus expletus sit. » Cf. aussi :
A m b ro sia ste r, infra, p. 121.
92 Le temps de la joie

que tous les auteurs ne mettent pas en relief le même élément de la


solennité, sans cependant qu’ils en excluent aucun. Les uns parlent
surtout de la résurrection ou du don de l’Esprit, les autres de l’ascension
ou du retour du Seigneur* Il est infiniment vraisemblable que ces
sensibilités différentes s’expliquent par des courants de pensée variant
selon les personnes et plus probablement selon les Églises. Nous
retrouverons d’ailleurs ces «spiritualités» diverses dans la suite de
notre recherche, mais peut-être pouvons-nous en voir des indices
dans la manière dont l’exégèse spirituelle a exploité les prescriptions
juives concernant le rituel de la fête des semaines.
On ne sera pas étonné de trouver chez Origène, qui se complaît
dans les commentaires allégoriques de l’Écriture, une interprétation
symbolique de l’offrande des prémices prescrite pour la Pentecôte
d’Israël :
« Après cela (la fête des A zym es), écrit-il dans un e Homélie sur les
Nombres, vient la sixièm e fête qui est appelée fête des prém ices; on y
offre les prémices des nouvelles récoltes. Q uand le cham p a été ense­
mencé, bien travaillé et que la moisson est m ûre, dans cette perfection
des fruits de la terre, on célèbre une fête du Seigneur. S i donc tu veux
toi aussi célébrer avec D ieu la fête des prém ices, veille à la manière
dont tu sèmes et au lieu où tu sèmes afin de pouvoir récolter des fruits
qui plaisent à D ieu et lui fassent célébrer une fête. O r tu ne pourras la
réaliser qu’en écoutant la parole de l’apôtre : « C elu i qui sème dans
l ’Esprit moissonnera dans l ’E sprit la V ie éternelle ». S i tu sèmes de cette
manière, si tu moissonnes de cette m anière, tu célébreras vraiment
la fête des prémices. C ’est pourquoi le prophète donne ce conseil :
« D éfrichez-vous des terres neuves et ne sem ez pas sur les épines. »
C elui qui «renouvelle» son cœur et « l’hom m e intérieur de jour en
jour », « défriche donc des terres neuves » et « ne sème pas sur les épines »,
mais sur «la bonne terre qui lui rendra trente, soixante, cent pour
un». T e l est celui qui «sèm e dans l ’E sprit». O r parm i «les fruits de
l ’E sprit » le prem ier est « la joie ». E t il est naturel de fêter les prémices
quand « on moissonne la joie »; surtout si l’on moissonne en m êm e temps
« la paix, la patience, la bonté, la douceur », si l ’on recueille les autres
fruits de l’E sprit, on célébrera très dignem ent pour le Seigneur la fête
des prémices 4. »

1 O rigè n e, In Numéros, 23, 8 ; P G 12, c. 753. « Post hanc sequitur sexta festivi-
tas, quae dicitur Novorum, id est, cum primitiae de novis fructibus offeruntur.
Ubi enim seminatus fuerit et diligenter excultus, atque ad maturitatem pervenerit
seges, tune in fructum perfectione festivitas Domini geritur. Si ergo et tu vis Novo­
rum diem festum agere cum Domino, vide quomodo semines, aut ubi seminas,
ut possis taies metere fructus, ex quibus laetari facias Deum et agere diem festum.
Quod aliter implere non poteris, nisi audias Apostolum dicentem : « Qui seminat in
spiritu, de spiritu metet vitam aeternam. » Si sic semines et sic metas, vere diem festum
âges Novorum. Propterea denique et propheta admonet dicens : Innovate vobis
novalia et nolite seminare super spinas. Qui ergo cor suum et interiorem hominem
Solution de quelques difficultés 93

Ce texte ne parle que par allusion de l’événement rapporté au


chapitre II des Actes, mais l’insistance avec laquelle il se réfère à la
moisson qui donne les fruits de l’Esprit-Saint manifeste assez sa
signification profonde : c’est la perspective eschatologique qui se
dessine dans la « célébration nouvelle» de la fête des prémices et qui
apparaît comme l’éclosion et le terme de la mâturation des grâces
que le Paraclet est venu répandre sur la terre. Celles-ci sont donc la
semence d’une récolte que constituera l’accomplissement de l’œuvre
du salut, lors du retour du Seigneur... Bien plus, elles en sont déjà
les premières gerbes, puisque «le jour de la Pentecôte..., l’Église des
apôtres a reçu les prémices de l’Esprit-Saint », comme le dit Origène,
dans un texte que nous avons déjà cité et qui s’inspire directement
du cérémonial de l’offrande contenu dans le Lêvitique (II, 14-16) \
Mais le mystère de l’ascension est aussi présent dans la pensée de
l’auteur qui, après avoir remarqué qu’il faut être grand-prêtre pour
accomplir ce rite, conclut, dans son Commentaire de saint Jean, citant
Hébr., IV, 14 : « Nous avons un grand-prêtre souverain qui a traversé
les deux, Jésus, le fils de D ieu2. » C ’est donc le retour du Sauveur
auprès de son Père qui nous a acquis ces premiers fruits de vie divine,
en attendant que son dernier avènement vienne engranger toute la
moisson.
Le même enseignement est repris par Eusèbe de Césarée, qui
souligne plus explicitement l’aspect communautaire et ecclésial de
l’appel des hommes au Royaume des deux.
« ...M o ïse d it : « D ès le jour où la faucille sera m ise à la moisson,
tu com m enceras à te com pter sept semaines, et tu offriras à D ieu de
n ouveaux pains des m oissons nouvelles. » Il signifiait par là, à la manière
prop hétiq ue, dans la m oisson l ’appel des nations, dans les pains nouveaux
les âmes offertes à D ie u par le m oyen du Christ, et les Églises de la
gentilité, à l ’occasion desquelles se célèbre en l ’honneur du D ieu très
b on la plus grande des fêtes. M oissonnés par la faucille spirituelle des
apôtres et rassem blés en un seul tout dans les Églises de la catholicité
com m e dans un e aire im m ense, réunis en corps par l ’acquisition d ’une
m êm e langue et préparés au sel par les enseignem ents qui proviennent

rénovât de die in diem, iste sibi innovât novalia, et non seminat super spinas, sed
super terram bonam, quae reddat ei fructum tricesimum, aut sexagesimum, aut
centesimum. Iste ergo est qui in spiritu seminat, et colligit fructum spiritus. Fructus
autem spiritus, primum omnium est gaudium. Et merito diem festum novorum
fructuum agit, qui gaudium m etit; praecipue si simul metat et pacem et patientiam
et bonitatem et mansuetudinem, aliosque horum similes fructus si colligat, dignissime
novorum fructuum festivitatem Domino aget * (trad. J. M e h a t , SC 29,1951, p. 45°)*
* C f. supra, p. 43.
* In Iohannem, éd. P reu sch bn , 1 ,2 , n (G S C IV) p. 5. «”Exo|zev dpx^P6*
p é y a v , S ie X ijX u O é T a t o ù ç o ù p a v o u ç , ’ I y jo o ü v r è v u l è v t o u O so ô . *
94 Le temps de la joie

des paroles divines, regénérés par l'e au et par le fe u d u Saint-Esprit,


nous sommes offerts à D ie u par le C h rist com m e des pains savoureux et
agréables l. »

L ’image est ici un peu différente de celle d’Origène : les fidèles


du Christ constituent eux-mêmes la moisson dont les apôtres sont les
ouvriers; la prédication de l’Évangile a rassemblé tous les peuples
et le baptême les a régénérés dans l’Esprit-Saint, à la manière sans
doute dont le feu purifiait les épis grillés dont parle le Lêvitique2,
et le Seigneur lui-même est le grand-prêtre qui introduit cette offrande
auprès de Dieu.
Pour Cyrille d’Alexandrie, Jésus est la première gerbe de
cette humanité rachetée par son sang. « Il est comme les prémices,
le premier de ceux qui sont introduits dans l’immortalité3 » et c'est
son ascension qui constitue l’oblation, le retour à Dieu de la créature,
en la personne du «premier-né d’un grand nombre de frères » (Rotn.,
VIII, 29). La même idée se retrouve dans une homélie de l’évêque
arien Maximin4, ainsi que chez saint Êpiphane :
« Après l'offrande de la Pâque, lisons-nous dans son traité sur les
hérésies, et avant trois jours, c'est-à-dire trois jours après l ’Agneau
Pascal, il est prescrit d'offrir une gerb e; c'était l ’im age de cette gerbe
bénie qui ressusciterait des m orts après le troisièm e jour, lorsque la
terre l’offrit, lorsque le C hrist lui-m êm e l ’en em porta par sa résurrection
du tombeau, lorsqu'il dem eura avec ses disciples quarante jours, et
lorsqu’il introduisit, à la fin de la Pentecôte, cette gerbe dans les cieux :
premier-né des prem iers-nés, prém ices saintes, gerbe m oissonnée en
M arie, faisceau rassem blé en D ie u , fru it du sein m aternel, prém ices
de la moisson 5. *

1 Eusêbe de C ésarée, De Solemnitate Paschali, P G 24, c. 700. « A èyei yoïîv


Mû>üo7j<r 'Àpxopévou aoo Spibravov è7r’<îcpi7)Tov, è^rà êpSojxàSaç àpiOprijcretç aeotUT#,
x al véouç àpTOuç èx véow àprijrcùv 7capaÔr)aeiç t <5 0 ecj>. 'E&'/jXou Sè àcpoc 7rpoq)7)Tixcp
TUTucp àp.r)TOV p.èv tô v êOvtov xXvjaiv, véouç $è écpTouç Tàç $tà XpicTou t $ 0 ecj>
TtpoaevTqveyptévaç ^uxàç, Tàç 8è èOvôW èxxXqalaç, èq>'alç êopT7] yeylaTT) tco
9iXav0pôj7T(ù 0 eo> auvTeXeiTar oÏTaïç twv à7rocT6X<ov Xoytxatç SpeTràvaiç OeplcOév-
Teç, xal &cmç> elç àXcoç Tàç àTcavTaxou yrjç 'ExxXrjolaç auvaxOévTeç u<p’£v, ôjxoqxovcj)
Te 8 ia 0 éaei îriaTecoç aoijjLaTOTronqOévTeç, x a l àXcl to ïç ânô tû v Oekov X6ywv
p.a0T)p.aotv è^apTUÔévTeç, Si’ vSotrôç Te x a l rcupèç àylou nveépaTOç àvayevvYjOèvTeç,
àpTOi Tp6<pi|ioi 7Tpoay)veïç xal àpecrrol t û 0 ea> Sià XpioToO 7rpoocpep6fi.eGa. »
8 Origène fait certainement allusion à ce texte (Lev.> II, 12-15), en particulier
lorsqu'il parle du sel dont on prépare l’oblation.
8 Cf. supray p. 70-71.
4 Cf. infra, p. 196.
6 S. Épiphane, Panonarion, 51, 31; éd. K . H o l l (G C S Epiphanius II), 1922,
p. 304-305. <‘MeTà yàp t6 Qüaat t£> Ilà c x a , eïaco Tpicov -?)pepcov, TOUTéaTi pieTà Tpeîç
Tjpépaç TOU7tpopàTOu,7rpocr£TaTTe t6 8pàyjta ela<pépecOat,ïva oyjpàvT)eùXoy7)|Aévov
Spàypa èyeipéfxevov èx w v vexp&v jxeTà Tpirîjv ■fjpipav, tt)ç ytjç aÔTè 7rpoo<pepoéo7)<;,
Solution de quelques difficultés 95

La mention des quarante jours et de la fin.de la Pentecôte pose


un problème sur lequel nous reviendronsx; ce qui nous intéresse en ce
moment, c’est que la première gerbe est constituée par l’humanité
du Seigneur né de la Vierge Marie; elle est offerte tout à la fois par la
terre qui restitue le corps du Ressuscité et par le Verbe de Dieu
lui-même qui avec sa nature humaine, introduit auprès du Père les
fidèles qu’il a rassemblés en lui, comme les épis dans un même faisceau.
Comme grand-prêtre ou comme premier fruit de la création
régénérée, le Christ Jésus est donc le seul médiateur qui nous fait
entrer dans le Royaume que vient construire l’Esprit-Saint répandu
sur l’assemblée du cénacle, au matin de la Pentecôte. Il y a plusieurs
manières d’appliquer à ce mystère l’allégorie que suggère le rituel
de l’Ancien Testament et, selon que les prémices symbolisent les dons
du Paraclet ou l’Homme-Dieu retournant vers son Père, nous pouvons
peut-être soupçonner deux orientations différentes de la tradition
chrétienne. Sans majorer cette opposition qui s’explique en partie
par des considérations d’ordre littéraire, notons que l’insistance peut
être plus ou moins grande sur l’un des aspects de cet unique mouvement
par lequel le Seigneur nous fait passer avec lui «de ce monde à son
Père ». Comme le dit saint Jean Chrysostome, il «a emporté nos
prémices dans les cieux et en a fait descendre l’Esprit-Saint2».
Il est donc incontestable que la sensibilité religieuse des auteurs
et des diverses communautés a joué un rôle dans leur conception de la
Pentecôte, mettant en lumière l’un ou l’autre élément du mystère
si riche de la rédemption du Christ. Il est aussi vraisemblable que ces
insistances divergentes plongent leurs racines dans des traditions
déjà en germe dans le Nouveau Testament. Mais il faut éviter une
simplification trop hâtive, à laquelle Kretschmar n’a peut-être pas
échappé. D ’après ce que nous verrons par la suite, on aurait plutôt
attribué à Eusèbe de Césarée une interprétation différente du
symbolisme de l’offrande des prémices. C’est qu’au fond il s’agit
seulement d’une question d’accent et, si nous avons là de précieux
indices de mentalités, qui seront fructueux pour notre recherche, nous
ne saurions, en ce domaine, trop nuancer nos jugements.

x a l auT O u txbxb 7ràXiv xopuÇoptèvou àTr’ a u T rjç èv Tfl à v a c r r à a e t [èx] t o u jx v ^ a T O Ç ,


x a l ptévovTOç a ù v t o l ç n aÛ 7}Tat<; T e a a a p à x o v T a ^(Jtépaç, x a l ctcI t $ TéXet TÎjç
ïïev ryjxo a rT T jç elatpépovTO ç aÛT& e lç T à è iro u p a v ia Tcj> I la T p l* x b 7tp c ù to t 6 x o v t ô v
TTpOTOTèxwv, aTrapxr] à y l a , x b S p à y ^ a , ô è&pàÇaTO arc b M a p la ç , f) àyxaX iaO etcya
èv 0 e $ , ô xap7r& ç t y jç x o iX la ç , 7) à 7ra p x ^ Tvjç #Xa> ».
1 Cf. infra, p. 137-138.
* Cf. infra, p. 186.
96 Le temps de la joie

Les liens entre la Pentecôte chrétienne et la fête juive des semaines


nous apparaissent donc comme un cas particulier de l’ensemble des
relations entre les deux Testaments. «N ’allez pas croire, a dit le Christ,
que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu
abolir, mais accomplir » (Mt., V, 17). Cela n’enlève rien à la rigueur des
oppositions qui se répètent dans la suite du Discours sur la Montagne :
«Vous avez appris... Eh bien, moi je vous dis... » Les premiers disciples
ont eu certainement très fortement conscience de ce qu’avait d’unique
et d’incomparablement nouveau le message de l’Évangile et cela s’est
exprimé dans le culte par la célébration du dimanche, puis par celle
de la Cinquantaine, bien différentes des rites familiers aux Juifs.
Mais il est impossible de douter que, dans la Parole de Jésus, ce sont
les «promesses » qui s’accomplissent et cela aussi apparaît dans la
liturgie. La 7tev-n)xo<jTY), si originale soit-elle, doit énormément à la
conception que se faisait Israël de la fête des semaines et à la manière
dont était vécue cette solennité, surtout dans les communautés particu­
lièrement ferventes où on la rattachait à l’alliance du Sinaïl. Au fonds
plutôt que d’une rupture, il s’agit d’un dépassement et d’une sublima,
tion. Cela suffit à expliquer l’usage du même terme pour désigner les
deux institutions et pour comprendre que la liturgie ait puisé dans les
Actes des Apôtres bien plus un esprit, une manière de vivre ce passage
de l’alliance de Moïse à celle de Jésus, qu’un ensemble de ren­
seignements chronologiques ou historiques qui seraient peut-être
restés à la superficie des réalités spirituelles et aurait engendré un corps
sans âme, tout à l’opposé des enseignements du Maître : « Ce n’est pa-
en me disant « Seigneur, Seigneur » qu’on entrera dans le Royaume
des Cieux » (Mt., VII, 21).

1 Cf. I. E lb o g e n , Die Feier der drei Wahlfahrtsfeste im zweiten Tempel, dans


Sechsuttdvierzigster Bericht der Hochsschule ftir die Wissenschaft des Judentums in
Berlin, 1929, p. 25-48.
CHAPITRE V

LES SURVIVANCES TARDIVES


DE L A CINQUANTAINE

Quelle que soit la grandeur et la beauté de la Cinquantaine


p r i m i tiv e ., nous savons bien qu’il n’en reste pas grand-chose dans la
pratique actuelle de l’Église et nous aurons à suivre, au cours de
l’histoire, les vicissitudes de cette institution. Cependant, plusieurs
éléments de la célébration de la «Pentecôte» ont survécu à sa
disparition pendant plusieurs siècles et quelques-uns subsistent encore
dans l’un ou l’autre des rites liturgiques pratiqués de nos jours. Nous
retrouverons, au cours de notre étude, les principales de ces survivances,
mais il nous a semblé bon d’en faire l’inventaire à la fin de cette première
partie, afin de mieux comprendre leur lien organique avec la solennité
des sept semaines qui laissera ainsi des traces parfois importantes
dans la mentalité générale des fidèles.

I. — LA «LE CTIO CO N TIN U A» DES ACTES DES APÔTRES

En parcourant le IlevTY)xocrràptov du rite byzantin actuel, on est


frappé par la place qu’y tient la lecture des Actes des Apôtres. A la
«Liturgie » du jour de Pâques, on proclame les premiers versets de ce
livre qui va se retrouver à toutes les messes de la Cinquantaine. On ne
lit pas tout le texte de saint Luc, mais les péricopes, que ce soit le
dimanche ou en semaine, se suivent selon l’ordre des chapitres
à deux exceptions près : huit jours après la Résurrection, le dimanche
de saint Thomas, on lit Act., V, 12-20, qui vient interrompre la suite
du chapitre III que l’on reprend le lendemain, et, le mercredi de la
quatrième semaine, considéré comme la Mi-Pentecôte, vient insérer
la proclamation de Act., XIV, 6-17 au milieu du chapitre X.
Il faut ajouter Act., II, 1-11 qui est réservé à la Pentecôte et Act., I,
1-2 qui est attribué à l’Ascension et constitue un doublet avec les
lectures des deux premiers jours de la Cinquantaine. Aux fêtes
des saints, la Parole de Dieu n’est pas nécessairement annoncée
dans le même livre, mais il existe une messe des martyrs au Temps
98 Le temps de la joie

pascal avec Act., XII, 1-12, comme le samedi avant le dimanche de la


Samaritaine (cinquième dimanche après Pâques).
Une telle organisation ne peut guère dissimuler l’ordonnance
primitive consistant dans une lectio continua dont nous retrouvons
d’ailleurs les traces dans de nombreuses listes de péricopes. Ainsi,
le début des Actes des Apôtres est attribué au premier jour de la
uevT7)xoaTY) dans le Lectionnaire arménien de Jérusalem (milieu du
Ve siècle) et dans le Kanonarion géorgien, qui donnent Act., I, 1-14
comme « épître » de la «Liturgie » de l’aurore de Pâques, à la basilique
constantinienne1 comme dans le Missel de Bobbio qui fait proclamer
Act., 1 , 1-18 à la Missa primum die Paschaei. Par ailleurs, un assez
grand nombre de lectionnaires indiquent des passages du même livre
pour certains joins du Temps pascal8.
Il semble donc que la lecture des Actes, durant la Cinquantaine,
soit une tradition assez caractéristique de cette solennité. C’est ce
que confirme saint Augustin : Ipse liber, écrit-il dans le Sermon 515,
incipit legi a Dominico Paschae, sicut se consuetudo habet Ecclesiae 4.
Saint Jean Chrysostome, dans une homélie prononcée à Antioche
en 388, présente cet usage comme transmis par les Anciens; il éprouve
en effet le besoin de le justifier :
« Ce qui me reste à dire, c’est pourquoi nos pères ont prescrit la
lecture des Actes pendant la Pentecôte ‘. »

Il serait plus logique, poursuit Chrysostome, de ne lire ce livre


qu’après la Cinquantaine, car c’est alors que se sont accomplis les faits
qu’il rapporte. Mais ce n’est là qu’une objection qu’il réfute aussitôt :
les Actes sont la vraie catéchèse de la résurrection du Christ, par les
discours et les miracles des disciples. Le seul but de ces paroles et de,
ces prodiges est d’annoncer que le Seigneur est sorti du tombeau,

* F. C. Conybearb, Rituale Armenorum, Oxford, 1905, p. 523 j A . R enou x,


Un manuscrit du Lectionnaire Arménien de Jérusalem, dans Le Museon 74, 1961,
P- 3775 Addenda et corrigenda, ibid., 75 (1962), p. 391; Kanonarion géorgien>cf. infra,
p. 176.
* P. S a l m o N, Le Lectionnaire de Luxeuil (Collectanea biblica latina, V II),
Rome, 1944, p. c x ii.
1 Cf. J. B oeckii, Die Enttoicklung der altkircklichen Pentekoste, dans Jahrbuch
für Liturgik und Hymnologie 5, i960, p. 37 (Die Apostelgeschichte in den àltesten
Perikopenreihen).
4 S. A u gu stin , Sermo 31g, P L 38, c. 1426; de même Tractatus in Johannem,
V I, 18, éd. R. W ille m s (CC, Set. lat. 36), 1944, p. 62. « ... Actus Apostolorum testes
sunt, ille liber canonicus omni anno in ecclesia recitandus. Anniversaria solemnitate
post passionem Domini nostis ilium librum recitari... »
* S. Jean C h rysostom e, Homélie sur le commencement des Actes, IV , 35 P G 51,
c. 1 0 1 . 4 ’Avàyxï] Xoutèv eliretv, t I v o ç Évexev ol uarépeç ^(xûv êv x f j 7 t e v - n ) x o o T fj
t b (3l(3Xtov twv IlpàÇetûv àvaYtvüaxeaOai êvopoOéTïjaocv. *
Survivances tardives de la Cinquantaine 99

afin de convaincre Juifs et païens. Il est donc légitime qu’on en proclame


le récit après la fête de Pâquesl.
« L e jour de la Résurrection, lisons-nous dans une homélie sur
la Genèse, nous nous devions d’entretenir votre Charité de la résurrec­
tion du C hrist et, les jours suivants, de vous fournir la démonstration
de cette résurrection, par les miracles accomplis après qu’elle eut lieu.
E t, com m ençant (à expliquer) les A ctes des Apôtres, nous vous en
avons préparé une nourriture d’une manière continue, faisant chaque
jour une longue exhortation à ceux qui venaient de recevoir la g r â c e ...2 »

Il faut remarquer que tous les témoignages que nous avons cités
concernent une époque où la Cinquantaine avait déjà perdu son unité
primitive. Il semble cependant que la coutume de lire les Actes pendant
la «Pentecôte »remonte à une date antérieure à cette nouvelle organisa­
tion du Temps pascal. L ’attribution des premiers versets du livre à la
messe de la Résurrection n’a pu se faire qu’à un moment où l’on ne
célébrait encore aucune fête de l’Ascension du Seigneur. C’est ce qui
explique qu’Augustin et Chrysostome aient pu parler d’une consuetudo
ecclesiae ou d’une tradition des anciens.
On ne saurait en conclure cependant que cette coutume vient des
origines de la solennité des cinquante jours, ni qu’il s’agit là d’un
usage universellement admis. L ’ordonnance byzantine dont nous
avons parlé suppose une synaxe quotidienne, ce qui ne peut pas être
le cas du temps où nous avons recueilli les premiers témoignages sur la'
tc£uty)xo(tty], à moins d’admettre que la lecture se faisait à un office
cathédral sans eucharistie. Et, si de nombreux lectionnaires comportent
des péricopes des Actes pendant les sept semaines qui suivent Pâques,
il n’est pas toujours possible d’y voir l’attestation d’une organisation
primitive. Il semble, par exemple, que, dans la tradition romaine,
It Cornes de Würzburg (vie siècle) ait remplacé par des péricopes tirées
de l’ouvrage de saint Luc des listes plus anciennes empruntées aux
Epîtres catholiques3. Et, sans entrer dans une étude des divers lection­
naires, qui s’avère difficile en raison du caractère lacunaire et tardif

1 Ibid., p g 51, c. 103-104.


2 Hom. in Genesim, X X X III, i ; P G 53, c. 305. «... E Ira àvaaxâaecoç ■fjii.épccç
xaTaXaPoéo7)ç, àvayxaïov }jv xà itepl t t ) ç àvaoxàoewç xoû A e o t c o t o ü StSotÇai t J ) v
éfiérepav àyàroqv, x al raxÀiv èv xaïç ètpeÇôjç Ÿ)[iipacç t î § ç àvaaxâaecoç t ! ) v dméSetÇtv
ûftïv TrapaayeTv 8là xcov jiexà xaüxa yEyEV7]|xévcov Oauuàxcov, 8ts xal xcov Ilpà^ecov
t û v làTtoffToXcxûv èntXa^ipevot, èxeïOev ôptïv ouve^îj xijv èatlaaiv 7rape0iQxa(xev,
jroXX^v -rljv napatveaiv xaO’êxàa-n)V npôç xoùç vecoal t îjî X“ Plt0? àÇiûOevxaî
jron)aâ(xevoc... »
* C f. G . M o r in , Le plus ancien cornes ou lectionnaire de l ’Église romaine, dans
R B 27, 1910, p . 46-72 et A. Chavasse, Les plus anciens types du lectionnaire et de
Vantiphonaire romaitis de la messe, dans RB 62,1952, p. 73-75.
ioo Le temps de la joie

des documents que nous avons, nous pouvons signaler que le rite
syrien jacobite, tel au moins que le décrit, au XIVe siècle, le patriarche
Athanasios V, ignore totalement la lecture des Actes des Apôtres
Il semble donc que Baumstark a dépassé, dans ses conclusions,
la portée des témoignages qu’il utilisait, lorsqu’il a considéré la lectio
continua du TcevrYptocrràpiov byzantin comme un « phénomène aussi
ancien que largement répandu (eine ebsenso uralte me weitverbreitete
Erscheinung *) ». Peut-être faut-il dire plutôt, avec J. Boeckh, qu’en
se diffusant dans un grand nombre d’Ëglises, cette coutume a contribué
à donner un nouveau visage à la Cinquantaine déjà existante *. Il n’en
demeure pas moins que nous avons là une tradition bien attestée à une
certaine époque dans la plupart des Églises, nourrie à des sources
vénérables et capable d’avoir une profonde résonance dans la
conscience chrétienne; la justification que s’est efforcé d’en donner
saint Jean Chrysostome n’a rien perdu de sa valeur. C ’est ce qui lui
a permis fort heureusement de survivre au laetissimum spatium dans un
grand nombre de liturgies. Le bréviaire romain, s’il en était besoin,
serait là pour nous le rappeler.

2. — LA MI-PENTECÔTE

Dans les premières années du Ve siècle, nous rencontrons une


fête qui, loin de rompre l’unité de la Cinquantaine, semble plutôt
la mettre en lumière; elle marque le milieu de la grande solennité
et se présente, en Orient, sous le nom de [t.e:cî07csvT7]xoaT7). Nous n’en
trouvons, en tout cas, que quelques rares mentions, et comme pour la
lecture des Actes, aucune n’est antérieure à l’époque où le quarantième
jour après Pâques est déjà devenu la solennité de l’Ascension du
Seigneur. Le premier témoignage qui nous soit parvenu de cette
institution est une homélie d’Amphiloque d’Iconium, qui date de la fin
du IVe siècle4 :
« C ’est aussi une fête du Seigneur que là présente solennité. L e
Seigneur est m édiateur; la fête aussi est au m ilieu et le m ilieu existe
toujours par les extrém ités; aussi la solennité présente reçoit-elle à u n
double titre la grâce de la Résurrection. Située au m ilieu entre la

1 Cf. A. Baum stark, Nichtevangelische syrische Perikopenordnung des ersten


Jahrtausends, Münster-i-Westf., 1921, p. 100-128.
* A. B aum stark, Oster- und Pfingstfeier im 7. Jahrhundert, dans Oriens Christia-
ttus, N . Eolge 6 ,19 16, p. 224.
* J. B oeckh , op. cit., p. 6-7.
* Il s’agit donc d’une homélie sensiblement contemporaine de la prédication
de Grégoire de Nysse, qui semble être le premier témoin de l’Ascension au quarantième
jour. Cf. infra, p. 187.
Survivances tardives de la Cinquantaine lo i

Résurrection et la Pentecôte, elle rappelle la Résurrection, m ontre


du doigt la Pentecôte et annonce l ’Ascension, comme la trompette d’un
h é r a u tl. »

Nom savons, par les œuvres de Sévère, que la fête existait à


Antioche cent ans plus tard. Nous en avons gardé, en traduction
syriaque, un hymne célébrant le Christ médiateur2 et une homélie
encore inédite qui porte le titre suivant :
« H om élie X L V I — Pourquoi faisons-nous une assemblée au jour
de la M i-P entecôte ? E t sur la lecture de l ’Évangile de Jean, laquelle dit :
Q uand voici on était déjà au m ilieu de la fête de la Pentecôte, Jésus
m onta au tem ple, et il enseignait, et sur le reste *. »

C ’était donc la péricope Jean, VII, 14 qui était proclamée à


l’assemblée.
Nous ne savons pas si la Mi-Pentecôte a été très répandue
en Orient. Du moins la trouvons-nous e