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S. E.

MGR HARSCOUËT
ÉVÊQUE DE CHARTRES
HORIZONS
LITURGIQUES
CASTERMAN PARIS TOURNAI
INTRODUCTION
Voici encore un livre de Liturgie : peut-il avoir la prétention de nous apprendre du nouveau? Nous
sommes des liseurs de journaux; nous sommes à l'affût des nouvelles. Nous e'puisons vite l'intérêt des
lectures. Mais nous avons besoin de ce qui ne passe pas, et « la vérité du Seigneur demeure éternelle -
ment ».
Bien plus, cette vérité est renfermée dans des formules inspirées d'une richesse ine'puisable qui
peuvent être re'pe'te'es sans cesse. La Liturgie est comme une mine qui contient tous ces trésors.
L'Église exploite cette mine et taille ces pierres précieuses; elle les enchâsse et les présente aux fidèles
pour que ceux-ci les re'pètent et les méditent en les offrant à Dieu.
Œuvre traditionnelle et vivante qu'il convient de souligner et d'accomplir à une e'poque où l'on veut
vivre mais où l'on méconnaît le passé. Refuge des âmes contemplatives mais aussi force et source de
fécondité pour les âmes chrétiennes toutes dévouées à l'action catholique qui doit faire coïncider le
mouvement liturgique avec tout mouvement chrétien,
INTRODUCTION
Il peut donc être avantageux de parler liturgie pour en rappeler les principes et les bienfaits.
S'appuyant sur les mêmes textes des Livres présentés par l'Église, plusieurs ouvrages pourront se
compléter sans se contredire et sans faire double emploi.
Heureux de joindre notre effort — modeste — à tant d'autres, nous n'oublions pas ce que nous de-
vons au livre si simple et profond de dom Gréa, à l'Essai de synthèse de dom Festugière, aux Cours et
Conférences de Louvain, et nous attendons avec impatience que dom Lambert Beauduin fasse paraître
en volume le Manuel fondamental paru dans les Questions Liturgiques, il y a vingt ans. Que de livres
excellents sur la Messe, comme ceux des Lebrun, des Guéranger, des Batiffol, des Vandeur, des Croe -
gaert, des Parsch.
Nous désirons avant tout situer la question liturgique, donner des précisions, et ouvrir des horizons,
afin que profitant de ces ouvrages et de quelques autres on fasse vraiment partie des adorateurs du vrai
Dieu.
SOMMAIRE
INTRODUCTION 7
PREMIÈRE PARTIE
Vues d'ensemble.
CHAP.I. - Attitudes envers la Liturgie 13
CHAP.II. — La Liturgie, culte de l'Église 23
CHAI'. III. - La Liturgie dans ses rapports avec le magistère et le gouvernement de
l'Église z6
CHAP. IV. - La Liturgie dans le temps 31
CHAP. V. - La Liturgie dans l'espace 39
CHAP. VI. - Les ministres de la Liturgie 49
CHAP. VII. - L'action liturgique : le Sacrifice 56
CHAP. VIII. - Le cadre liturgique : l'Office 65
CHAI'. IX. - L'application : les Sacrements et
Sacramentaux 74
CHAP. X. - Les recueils liturgiques 8o
DEUXIÈME PARTIE
Pratique ascétique de la Liturgie.
CHAP.I. - L'année liturgique 87
CHAP, . II, — L'Avent
IOSOMMAIRE
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CHAP.III. - Noël et ÉpiphanieI00
CHAP.IV. - La Septuagésime 108
CHAP.V. - Le Carême6
CHAP.VI. - Le Temps Pascal 141
CHAP.VII. — Ascension — Pentecôte 153
CHAP. VIII.Les premières fêtes après le Temps159
pascal.
CHAP.IX. - Les dimanches après la Pentecôte163
CHAP.X. - Le cycle Marial167
CHAP.XI. — Les fêtes des Saints 171
PREMIÈRE PARTIE
VUES D'ENSEMBLE
CHAPITRE I
ATTITUDES ENVERS LA LITURGIE
Quelqu'un disait un jour : La liturgie comme la politique est ce qui divise le plus. Je ne conteste pas
que la politique divise beaucoup les citoyens dans les régimes de partis qui prétendent refléter l'opinion
plus que poursuivre le bien commun. Mais pourquoi la Liturgie diviserait-elle les fidèles ? Elle gravite
autour du mystère eucharistique appelé mystère « de paix et d'unité ». Serait-elle l'écho de « ce signe
de contradiction » qui est, au témoignage du vieillard Siméon, le Sauveur lui- même ? Peut-être; et
cette contradiction du mal est nécessaire pour amener précisément l'unité et la paix. Non, tous ces
germes de division viennent d'une définition mal comprise, d'une définition fausse comme incomplète,
déformée ou figée. Et voilà pourquoi il importe d'abord de s'entendre sur cette définition. Les indiffé-
rents, les fidèles, les ecclésiastiques eux-mêmes, faute d'avoir précisé la question, ne peuvent discuter
et se divisent.
14HORIZONS LITURGIQUES
Jadis la question ne se posait pas : on faisait de la Liturgie comme M. Jourdain faisait de la prose. La
Liturgie, d'abord très mystérieuse aux Catacombes, s'était montrée splendide à la Dédicace des Basi-
liques constantiniennes. Au Moyen Age elle apparaissait comme un palais magnifique qui accueillait
les foules. C'était la cathédrale aux nefs majestueuses où tout convergeait vers l'autel, cet autel où «
tout le peuple participait à l'Agneau sacrifié qui demeure entier et vivant)) comme le chantait déjà
l'apôtre saint André. Rien ne s'opposait à ce que les fidèles suivissent, comme les disciples de Jean-
Baptiste, comme André et l'autre Jean, le geste auguste et caractéristique de leur maître : Ecce Agnus
Dei. Les institutions n'avaient pas corrompu les moeurs ni les hommes. On ne mesurait pas dans la so-
ciété ni dans l'État la place de Dieu. A plus forte raison n'avait-on pas remplacé sa légitime autorité par
les prétendus droits de l'homme. Aussi ne songeait-on pas à rétrécir la place de la Liturgie, antidote du
laïcisme, qui informait les habitudes populaires et rythmait les coutumes des nations. Un mouvement
liturgique n'avait pas de raison d'être dans un temps où le laïcisme n'existait pas. Ce laïcisme, cette sé-
cularisation, avait commencé à poindre à l'époque du protestantisme et du libre examen. Des prétextes
étaient fournis. La basilique
VUES D'ENSEMBLE
liturgique, dont nous parlions tout à l'heure, s'était encombrée; elle paraissait menacer ruine. On y
célébrait d'ailleurs des mystères qui dégénéraient en distractions bruyantes. Les âmes intérieures
s'émurent, gémirent et cherchèrent ailleurs de quoi satisfaire leur piété. Chose grave, la piété s'était dès
lors dissociée de la liturgie! Les novateurs en profitèrent pour s'attaquer aux principes : qui démolit le
culte, la liturgie, démolit la religion. Quand rien de sensible n'est là pour rappeler, pour faire penser,
pour encadrer la vie, on a vite fait d'oublier, de renier. Je sais bien qu'au xvir siècle bien des chrétiens
cherchèrent des refuges auprès de directeurs en renom et se mirent en quête de méthodes nouvelles et
de nouvelles dévotions. C'était s'abriter dans des cabanes sans style, confortables sans doute et bien
chauffées, appuyées par coutume sur les murs de la vieille église abîmée et ruinée. Mais on ne la recon-
naissait plus et il y faisait froid. La Révolution acheva de la détruire. Cette Révolution continue son
oeuvre antiliturgique accélérée depuis cinquante ans. L'oeuvre liturgique est antirévolutionnaire, car
elle imprègne d'esprit chrétien les idées et les moeurs. Un renouveau, un mouvement liturgique a paru
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sur un mot d'ordre des papes. Il retrouve les grandes lignes de la cathédrale. Un certain dégagement
s'impose. La Liturgie est le ciment
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HORIZONS LITURGIQUES
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du renouveau chrétien. Elle fait l'unité dans la diversité des mouvements professionnels mais à
condition qu'on la prenne telle qu'elle est et qu'on lui fasse place, même si cette place peut indisposer
ceux qui ont tenté de la remplacer par des méthodes pieuses mais faillibles. L'expérience concluante est
à ce prix.
Prendre la Liturgie pour ce qu'elle est c'est avoir envers la question liturgique l'attitude qui convient.
C'est le moment d'examiner les réactions qui se sont dessinées en face du mouvement liturgique restau-
rateur.
Ce qui frappe dans la religion c'est son culte. Dans ce culte ce qui apparaît c'est sa partie extérieure
et cérémonielle. Est-ce là la Liturgie ? Le R. P. Navatel, aujourd'hui oublié, l'avait pensé et malheureu-
sement l'avait écrit. Il en donnait même ainsi la définition dans un numéro des Etudes, et c'était la pre -
mière fois que cette bonne revue abordait pareil sujet jusqu'alors étranger. Une « mise au point » judi-
cieuse lui répondit dans les Questions liturgiques de Louvain. Le culte possède, sans doute, un élément
sensible, extérieur, mais, réduit ainsi, c'est un corps sans âme, un cadavre. Un culte non liturgique peut
être seulement intérieur, aucun culte ne peut être qu'extérieur. Un culte liturgique, social, est forcément
extérieur; mais un culte extérieur, véritable culte, doit forcément être aussi intérieur; appelons-le exté-
riorisé.
Le centre du culte, c'est l'autel de pierre, mais l'autel est fait pour le sacrifice. Le sacrifice est l'obla -
tion d'une chose sensible, mais l'oblation n'est pas qu'un acte extérieur. Je vois bien l'église avec son ar-
chitecture, l'autel plus ou moins encombré, mais s'il est fait pour le culte, ce n'est pas le culte qui n'est
qu'extériorisé.
D'autres encore s'arrêtent à cette signification extérieure en considérant les ornements, leurs formes
et leurs couleurs. C'est la Liturgie qui prend à son compte ces façons et ces teintes variées et qui en
prescrit l'usage, mais toute la Liturgie n'est pas là. Ces expressions du culte, ces extériorisations de la
pensée donnent lieu à des règles, appelées rubriques, destinées à faire exécuter par des cérémonies les
choses, actes, prières ou rites prescrits. La cérémonie est donc l'exécution du rite selon la rubrique. Si
cette cérémonie n'est qu'une parade, l'accessoire a remplacé le principal, nous nous apparentons au pha-
risaïsme. Des manuels, préoccupés d'assurer cette bonne exécution des cérémonies rappellent les ru-
briques sans en donner la raison; on les appelle Manuels de liturgie : méritent-ils ce nom ? Allant au
plus pressé pour l'exécution ils font oublier l'âme. La liturgie ainsi rétrécie est reléguée en quatrième
partie des Manuels de religion sous le nom d' « ordonnance officielle du culte public », de « règles de
la bienséance sacrée », d' en-
Horizons Lit.2
9(/'
HORIZONS LITURGIQUES
semble des règles établies par l'Église dans toutes les choses qui concernent le culte public ». Ainsi
s'expriment les Manuels des abbés Raimond et Boulenger. Grave erreur pleine de conséquences!
Au sein du renouveau liturgique a paru Huysmans, un original. Son « oblat » a constitué une Année
liturgique de fantaisie. Chose curieuse, par son individualisme, sa manie de s'isoler, il pourrait à bon
droit paraître étranger à l'idée du culte collectif de la famille chrétienne; mais, outre qu'il remarquait
que ladite famille chrétienne semblait se désintéresser de son culte, il faisait un pas de plus que le R. P.
Navatel, et ce pas était considérable. Le R. Père était sur la défensive, et se méfiait des envahissements
possibles; le romancier, loyalement converti, allait de l'avant. Il plaisantait Mne de Garambois insistant
surtout sur les couleurs et s'arrêtant aux formes extérieures. Il pénétrait dans l'âme par les prières dont
il expliquait le sens et la portée. Il appréciait et expérimentait lui-même la bienfaisance des offices de
l'Église. Il était vraiment un précurseur au milieu d'un monde profane, alors que, dans le cloître, les
moines donnaient de la Liturgie de très beaux exemples et de précieuses explications.

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Il importait que les Souverains Pontifes, engagés par leur nom même dans cette responsabilité,
posent devant le monde catholique la
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question liturgique. C'était d'autant plus opportun qu'il était à craindre que des questions d'écoles ne
vinssent rapetisser le débat. On s'en apercevait déjà; peut-être aussi un zèle indiscret et compromettant
pouvait enlever à la Liturgie son vrai visage et son vrai caractère. Ce fut l'ceuvre en particulier de Pie X
et aussi de Pie XI.
Nous ne faisons pas ici l'histoire du mouvement liturgique et de ses approbations. Nous n'énumérons
même pas les documents pontificaux qui l'encouragent et le consacrent. Nous nous contentons de dire
que ce qui précède explique sommairement la décadence parallèle de la liturgie et des moeurs chré-
tiennes et enseigne comment la restauration d'un ordre social chrétien appelle la mise en évidence et en
valeur de l'ordre liturgique, méconnu de plus en plus depuis le xvie siècle, dissocié de la spiritualité, et
providentiellement restauré en notre temps pour la restauration chrétienne elle-même.
Toute religion suppose un sacrifice, nous possédons le sacrifice authentique seul capable de rendre
nos devoirs à Dieu. L'opus publicum, la Liturgie est l'offrande de ce sacrifice dans la communion des
Saints. Autour de cette double idée se groupent le culte catholique tout entier et toutes les réflexions de
cet ouvrage.
L. Cela dicte notre attitude vis-à-vis de la Liturgie.
20HORIZONS LITURGIQUESVUES D'ENSEMBLE21
D'où vient donc qu'elle est à peine comprise ? Le mot sacrifice expliquerait-il tout ? les partis pris,
les sans-gêne, la méfiance de l'effort imposé ? On pourrait écrire bien long sur ce sujet. Écartons les
doléances pour essayer d'éclairer par des explications qui instruisent.
Mettons-nous à l'école de dom Capelle nous instruisant du vrai visage de la Liturgie. Il s'agit tou-
jours de revenir à la définition.
Nous avons dit et redit que considérer l'extérieur du culte c'était s'arrêter à mi-chemin et ne pas at-
teindre le but. Mais nous avons proclamé la nécessité liturgique de cet appareil extérieur et sensible. En
liturgie, il s'agit donc d'actes sensibles, collectifs, officiels. De là, précisément, les préjugés.
Si les actes sont extérieurs, ce n'est plus le culte rendu en esprit et en vérité.
Si les actes sont collectifs, ils ne sont pas le fait des âmes individuelles qui ont chacune leurs apti -
tudes et leurs besoins.
Si les actes sont officiels, ils ne sont pas libres, spontanés, mais imposés mécaniquement.
Un culte extérieur, collectif, officiel est forcément superficiel. Telle est l'objection, tel est le préjugé
contre le culte intérieur extériorisé, de l'Église.
Ce triple préjugé doit être envisagé car il donne l'occasion d'affirmer quelques précieuses vérités.
D'abord il considère l'homme à la lumière d'une philosophie contestable. Le corps et l'âme seraient
juxtaposés, alors qu'ils sont unis dans le composé humain. Que de fois les oraisons du Carême tra-
duisent leurs relations l'acte extérieur du corps exprimant, d'une part les sentiments de l'âme, et d'autre
part la contrainte du corps garantissant et stimulant ces sentiments.
Ensuite les chrétiens sont considérés comme des individus et des isolés, alors qu'ils sont des
membres. Ce n'est pas en vain que le Sauveur leur a appris à dire Notre Père, et que l'Église répète Ore-
mus. Le culte collectif des membres n'enlève pas le caractère personnel des individus qui trouvent dans
ce culte soutien, accroissement et vie. La communion des Saints ne diminue pas les mérites de chacun.
Le trésor commun n'appauvrit pas et n'empêche pas chacun de s'enrichir encore.
Enfin, si la Liturgie réagit ainsi contre l'individualisme dont on a trop souffert, elle ne nuit pas,
comme on pourrait le croire, à la sincérité et à la spontanéité des fidèles en les faisant participer à un
culte officiel. On a trop médit de la religion officielle, sous prétexte qu'elle offense la liberté, comme si
la liberté consistait à affranchir la société comme l'individu de ses devoirs envers Dieu. Le libéralisme
comme l'individualisme est tenu en échec par la
22HORIZONS LITURGIQUES
Liturgie : grand bien! Et, qui est capable, mieux que l'Église, de donner la manière authentique et
agréée d'adorer Dieu ? Aux fidèles de grandir ainsi leurs adorations à l'école de l'Église; aux fidèles de
profiter de ces actions de grâces et de ces réparations seules valables aux yeux de Dieu; à eux, enfin, de
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bénéficier de la puissante exoration de ce culte authentique. Le culte public n'abolit pas d'ailleurs le
culte privé. Bien mieux, il lui rend service en l'émondant, en le guidant, en lui• suggérant bien des ini-
tiatives.CHAPITRE II
En résumé, l'attitude à prendre envers la Liturgie est de la comprendre; le devoir est d'y participer, si
l'on est membre de l'Église.
LA LITURGIE, CULTE DE L'ÉGLISE
S'agit-il de faire connaître l'Église aux incroyants, et même d'en faire prendre conscience à ses fi-
dèles, la question liturgique se pose naturellement et s'impose même principalement.
La définition en est fort simple; encore fallait-il la réduire à sa simplicité. La Liturgie, c'est le culte
de l'Église. On a compliqué à plaisir cette définition; et, pourtant, à première vue, il en est ainsi : c'est
par son culte que l'Église apparaît au monde. Cette notion est à la fois superficielle et profonde. S'il
existe dans l'État un organisme qui s'occupe de religion et qui reconnaisse l'existence d'une Église pour
entretenir officiellement des relations avec elle, on l'appellera le ministère des cultes. Toute religion a
un culte, c'est même sa raison d'être. Elle est un culte. Elle prétend, en effet, « relier » l'homme à Dieu.
Elle le fait par l'adoration; c'est son but. Elle forme des adorateurs convenables : c'est la conséquence.

24HORIZONS LITURGIQUES
La véritable Église saura authentiquement adorer Dieu et sanctifier les hommes pour les faire,
comme il convient, adorer Dieu.
Ce culte, pris par l'Église à son compte, c'est la Liturgie.
Nous devons au R. P. dom Lambert Beauduin de grandes précisions à ce sujet. C'est lui qui a mis en
valeur, après l'avoir donnée, cette simple et complète définition. J'ai peine à comprendre qu'on ne s'y
tienne pas et qu'on perde de vue ses explications. C'est pourtant avec raison qu'il a négligé comme in-
utiles et embarrassants les qualificatifs qu'on s'obstine à ajouter à ces deux mots : culte, Église. Cette
définition, faut-il le remarquer, est conforme aux bonnes règles; elle se fait par le genre prochain et la
différence spécifique. L'élément culte, genre prochain, est déterminé par le mot Église. C'est un culte
mais pas n'importe lequel, celui de l'Église : c'est la différence spécifique. Or, l'Église est une société,
donc visible. Elle s'exprime socialement dans son culte; ce culte est nécessairement extérieur et visible,
mots inutiles dans la définition bien comprise. Cette société, l'Église, apportera dans son culte les notes
qui la caractérisent. Fondée par le Christ, elle aura en lui son centre liturgique et perpétuera son sacri-
fice. Composée d'hommes, elle portera dans son culte ce caractère humain traditionnel, vivant, artis-
tique.
VUES D'ENSEMBLE
Son culte sera collectif mais hiérarchique, le Christ ayant établi des pasteurs pour diriger le troupeau
vers le Ciel. Enfin, par là même, la liturgie de l'Église aura figure d'éternité.
Vous reconnaissez ainsi les notes de l'Église affirmées dans cette définition : C'est la société des
chrétiens unis sous les mêmes pasteurs pour les conduire à la vie éternelle.
Adorer et faire adorer n'est-ce pas là vraiment la religion, le grand devoir, l'opus pub/icum,
le AEGTOV êpyov, la Liturgie?
Avec saint Pierre, nous pourrions dire : « A qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éter -
nelle ».
Dès les origines, l'Église a rassemblé les attitudes, les paroles, les gestes du Sauveur. Par la Cène,
Jésus avait rendu accessible le sacrifice de la croix qui a sauvé le monde. Il en a procuré l'application
par la Messe et les signes sensibles des sacrements. Autour de ces éléments divins, l'Église a assumé
l'Écriture et ajouté ses oraisons pour encadrer le sacrifice et les sacrements par son office et ses béné-
dictions. Tel est l'ensemble magnifique de son culte, de sa Liturgie.
C'est en ayant considéré dès l'abord les attitudes vis-à-vis de la Liturgie que nous pouvons apprécier
mieux l'importance et l'ampleur de notre définition : La Liturgie, c'est le culte de l'Église.
VUES D'ENSEMBLE
27
CHAPITRE III
5
PLACE DE LA LITURGIE DANS LA RELIGION
ET DANS L'ÉGLISE
Dans l'Eglise se trouve une doctrine, un gouvernement, une vie. En d'autres termes, on dit que
l'Eglise a le pouvoir d'enseigner, ou magistère; le pouvoir de commander, ou l'imperium; et le pouvoir
de sanctifier, ou ministère.
Le Sauveur avait dit : Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. L'Eglise est dépositaire de la vérité qu'elle
proclame; elle montre le chemin par ses lois et ses jugements; elle donne la vie par sa Liturgie.
La Liturgie n'appartient donc strictement ni au magistère ni à l'imperium; elle est du ministère. Qui
ne voit déjà ses limites mais son importance ? Elle est telle, cette importance, que l'on appelle commu-
nément prêtres du ministère ceux qui accomplissent les fonctions liturgiques mais appartiennent à la
hiérarchie et distribuent l'enseignement. L'Evêque, qui est Pontife, donc liturgiste par définition, est
aussi Docteur et Chef. Il enseigne et dirige ceux dont il est le médiateur. C'est de la cathédrale que part
la prédication, et l'Évêque ne monte au trône que parce qu'il monte à l'autel. La cathèdre est le siège de
celui qui préside l'assemblée sainte. Elle est sa chaire aussi et la marque de son autorité.
Pourtant ce serait un excès de croire qu'il n'existe dans l'Église que la Liturgie. Tout ce qui est culte
officiel lui appartient, mais le reste en est distinct sans cependant lui être étranger. Puisqu'elle est l'or-
gane de la vie divine, on comprend les relations très grandes qu'elle a avec le magistère et avec la hié-
rarchie.
De la prédication dérive le catéchisme, l'instruction, la conférence, la théologie, le cercle d'étude,
l'éducation. Et l'historien Godefroy Kurth disait :« La cause de l'ignorance religieuse est l'ignorance li-
turgique ».
Du trône descend la hiérarchie et le sacerdoce crée les rapports mutuels des membres de l'Eglise. Et
le Cardinal Pie a pu dire : « La question sociale est une question liturgique ».
C'est dans la Liturgie que se puisent l'orthodoxie et l'autorité et l'on comprend alors le mot du Pape
Pie X : « La source première et indispensable du véritable esprit chrétien est dans la participation ac-
tive aux mystères sacro- saints et à la prière officielle de l'Église ».
Si donc théologie dogmatique, morale et
z8HORIZONS LITURGIQUES
VUES D'ENSEMBLE29
ascèse ont leurs objets propres, ces sciences perdent beaucoup à s'isoler de la Liturgie. Source et
cause de vie religieuse, la liturgie a pour mission, dit dom Festugière, de continuer à la fois réellement
et mystiquement la présence de Jésus, son action et sa parole parmi les hommes. Il existe, en effet, une
liturgie sacramentelle et le Christ est la cause efficiente des Sacrements; une Liturgie sacrificielle dont
le Christ est le Prêtre et la Victime; une Liturgie épénique qui reproduit mystiquement les phases de sa
vie et sa catéchèse pour notre salut. Ainsi la Liturgie se définit comme la méthode authentiquement
instituée par l'Eglise pour assimiler les âmes à Jésus.
La Liturgie est vérité et doctrine; elle est source de moralité et, tutrice de volonté, elle est modéra-
trice de piété et cause d'équilibre dans la vie spirituelle; elle est génitrice d'art. Si cette dernière expres-
sion rappelle plutôt Huysmans que dom Festugière, le canevas de ces considérations appartient au R. P.
Bénédictin de Maredsous, et si des quantités d'articles ont été écrits sur le sujet qui nous occupe, nous
cédons volontiers à la tentation d'indiquer quelques idées dont le développement pourrait faire longue-
ment réfléchir.
Si donc, avec dom Festugière, je dis la Liturgie, vérité et doctrine, je découvre encore ces trois as-
pects : I) ce qu'elle enseigne ou son contenu : dépôt de la foi, morale, histoire; 2) où elle puise ce
qu'elle enseigne : Bible, tradition, autorité; 3) comment elle l'enseigne, c'est-à-dire sa manière d'expo-
ser la vérité. Nous en reparlerons en traitant de la mise en scène de l'Année liturgique.
Je ne développerai pas le point de vue moral ni n'envisagerai la liturgie comme forme de vie reli-
gieuse, sociale ou individuelle. Des sujets particuliers seraient fort intéressants; les premiers, suggérés
par l'histoire de l'Eglise, étudieraient les siècles de foi comme siècles liturgiques; les autres étudieraient
les problèmes de la vie spirituelle : le bréviaire et la méditation, les degrés et les bienfaits de la vie li -
turgique pour la sanctification personnelle, l'apostolat, la conversion des âmes. Enfin, il serait facile
d'envisager ce que l'art doit à la Liturgie, en architecture, peinture, aussi bien qu'en littérature.
6
Décidément, diront théologiens et moralistes, la Liturgie ainsi présentée est encombrante. C'est
qu'après n'avoir plus été rien aux yeux des gens du monde, elle veut être quelque chose pour le bien de
tous. Où seraient ses méfaits ? En quoi peut-elle diminuer, rapetisser l'art, l'ascèse, la science ? Lieu
théologique incomparable, elle enrichit la théologie. Piété désintéressée, elle apporte le poids de l'inter-
cession de l'Eglise. Faite pour tous, elle s'adapte aux
30HORIZONS LITURGIQUES
faibles et peut mener aux sommets les plus forts.
A vous d'en tirer parti pour votre enseignement, votre conduite, votre apostolat. Voulez- vous un
exemple. Prenez « notre Credo vécu », cours de religion par dom Hugues Delogne. Le premier volume
vous montrera « Le Dogme exposé dans le cadre de l'Année liturgique ». Essai qui paraîtra hardi pour
ceux « qui ne savent pas » et qui, pourtant, a le grand mérite de l'expérience, expérience renouvelée du
temps des catéchèses des Pères de l'Église avec le bénéfice des travaux des plus modernes auteurs.
Dans l'enseignement le besoin se fait partout sentir de la méthode intuitive; l'instruction veut être
une éducation.
Dans la vie compliquée d'aujourd'hui et très spécialisée, il faut, au milieu des recettes d'école, une
méthode simple et pleine d'harmonie. Au sein du matérialisme, les monuments d'art liturgique sont là
pour ramener aux forces spirituelles dont on a tant besoin.
Ainsi la Liturgie, qui n'est ni le dogme, ni la morale, ni l'art, montre d'une manière magnifique le
dogme, la morale et l'art dans l'Église, son vrai visage devant le monde étonné et conquis. Les âmes de
bonne foi regardent et se laissent imprégner d'amour du Christ par cette conquête pacifique qui, en ef-
fet, les purifie, les ennoblit et les élève jusqu'aux cieux.
CHAPITRE IV
LA LITURGIE DANS LE TEMPS
Maintenant que nous avons constaté l'ampleur et les limites de la Liturgie, essayons d'en donner une
idée qui développe simplement sa définition..
L'F,glise exerce son culte dans le temps et dans l'espace. Société inégale et hiérarchique, elle confie
d'abord ce culte, accompli chaque jour de l'année liturgique dans les églises, à des ministres qu'elle
consacre. Durant l'année, dans les temples consacrés, ces ministres offrent avant tout le Sacrifice, enca-
dré par l'office, appliqué par les sacrements. C'est ainsi que logiquement nous allons parcourir la Litur-
gie. Nous finirons par indiquer nos sources qui font que toute la matière est contenue dans des recueils
authentiques, les Livres liturgiques, hors desquels il n'est point de culte officiel.
Envisageons donc la Liturgie dans le temps. Nous vivons dans le temps pour parvenir à l'éternité.
L'ordre du temps est établi par le
32HORIZONS LITURGIQUESVUES D'ENSEMBLE33
cours des astres dont le mouvement ramène les jours, les saisons aux caractères divers, les années.
L'année, d'après son nom, anneau, forme un cercle, un cycle et revient à son point de départ. Ce point
de départ est arbitraire. L'année civile débute maintenant le ier janvier, elle commença autrefois en sep-
tembre et en mars. Le premier jour de l'an ecclésiastique, c'est le premier dimanche de l'Avent.-
deuxième fête de l'année, la Résurrection promulguée par l'Église naissante sous l'influence de l'Esprit
créateur. Mais cette mission de la troisième personne de la Sainte Trinité n'aurait pas eu lieu sans le
triomphe du Fils au jour de son ascension glorieuse. Pâques, Ascension, Pentecôte, trois sommets de ce
Temps pascal qui n'est lui-même qu'une fête que savent goûter avec profit ceux qui ont apprécié la pré -
paration du Carême. Ce Carême, avec ses observances, précédé du temps de la Septuagésime, rappelle
la mort nécessaire qui doit précéder la vie.
L'Église, par-delà la création visible, contemple d'autres cieux, d'autres astres, d'autres splendeurs.
Par avance elle escompte avec saint Pierre des cieux nouveaux et une terre nouvelle, plus durable que
celle où nous passons; elle se sert des choses visibles pour nous mener aux invisibles, aussi réelles et
moins changeantes. Dans ce but, elle suit les pas du Sauveur qui est entré dans le temps mais pour nous
mener, à sa suite, à l'éternité Verbum caro factum est, et habitavit in nobis. Voilà pourquoi l'Incarna-
tion, la carrière terrestre de l'Homme-Dieu et l'action sanctifiante de l'Esprit-Saint dans l'Église de-
meurent au premier plan pendant tout le cours de l'Année liturgique.Chronologiquement le temps de
l'Incarnation, Avent, Noël, qui a son apogée à l'Épiphanie, avait précédé la célébration de la Rédemp-
7
tion. Ainsi nous sont présentés chaque année cinq anniversaires glorieux, ces jours vénérables entre
tous, auprès desquels toutes les fêtes votives ne peuvent que pâlir.
Les fêtes de l'Église sont donc, avant tout des anniversaires. Le point culminant de l'année c'est
Pâques « le jour que le Seigneur a fait », la fête des fêtes, la solennité des solennités. Puis, logique-
ment, vient la Pentecôte, laCelles-ci ne s'imposent pas à nous comme les autres. Secondaires, elles in-
sistent sur ce que les autres ont affirmé et commémoré. C'est ainsi que le sacrifice, offert journellement
en l'honneur de la Sainte Trinité, amène les méditations spéciales de la fête de la Sainte Trinité qui par
son objet serait la plus grande de l'année, et la fête du Très Saint Sacrement. La fête du Sacré-Coeur
continue cette dernière et celle du Christ-Roi souligne cette royauté
Horizons Lit.3

34HORIZONS LITURGIQUES
déjà proclamée à l'Épiphanie et sur la croix. Fêtes votives aussi celles du Précieux Sang et du Saint
Nom de Jésus.
Elle appartient au contraire aux dates vénérables cette fête de l'Annonciation, jour de la Vierge-
Mère, festivité centrale de Notre-Dame que précède l'Immaculée-Conception et que couronne l'As-
somption. Jours vénérables, la Nativité du Précurseur ou la Nol d'été, et le martyre des Saints Apôtres
et toutes ces fêtes par lesquelles l'Église enregistre avec fierté et exalte dans l'allégresse le courage et
les exemples de ses héros, de ses enfants; souvenirs historiques, hymnes de reconnaissance auxquels, le
dimanche au moins, doivent s'associer les chrétiens. La fête collective de la Toussaint les réunit tous.
Quel autre livre d'or, richement présenté, peut solliciter de pareils hommages !
Et cependant l'Église fait plus encore que de célébrer des anniversaires; elle organise son Année en
groupant les fêtes dans un ordre logique; elle présente en tableaux suggestifs l'histoire abrégée du salut.
Son cycle liturgique est pour ainsi dire, la mise en scène, la mise en action dramatique de l'Évangile, ou
plutôt, l'histoire du monde autour du Christ; car l'Ancien Testament tout entier vient souligner avec
l'histoire ecclésiastique qui progresse toujours, la beauté et le sens des lignes évangéliques. Tantôt
l'Église s'attarde, comme aux 35
derniers jours de la Semaine Sainte, à méditer heure par heure les événements; tantôt elle procède
par raccourcis sublimes, comme aux Laudes de l'Épiphanie; tantôt elle transpose l'ordre des temps
comme aux dimanches de l'Avent. Parfois tel souvenir l'attire et elle le fixe par un rite ou s'y complaît
comme au jour de la Chandeleur. Elle prodigue le symbolisme des couleurs mais se garde des exhibi-
tions excessives, maintenant à son langage une sobriété et une discrétion qui caractérise le rit romain.
En somme elle réalise, en psycho-
logue avisée, l'éducation intuitive des âmes,
suggérant des développements qu'elle laisse à
faire, sans omettre rien qui puisse être utile
au salut de ses enfants. Elle montre ce qu'elle
dit, elle instruit petits et grands, simples et intellectuels.
Bossuet a bien pu vanter dans son catéchisme les procédés d'une telle méthode : « Si les chrétiens,
écrit-il, prenaient bien seulement l'esprit des fêtes, ils n'ignoreraient rien de ce qu'ils doivent savoir ».
La fréquentation assidue des fêtes de l'Église, la pratique du paroissien, continuent d'une manière pre-
nante l'instruction condensée et plus aride du catéchisme. Pour ceux qui s'y prêtent, c'est chaque fois
une révélation. Nous chantons cette vérité durant la sainte nuit de Noël : « Le peuple qui marchait à tâ -
tons dans les ténèbres a vu une grande
VUES D'ENSEMBLE
36ORIZONS LITURGIQUESVUES D'ENSEMBLE37
lumière; une clarté a paru pour ceux qui cheminaient dans les régions obscures de la mort ». Ainsi,
périodiquement, reparaît cette lueur bienfaisante pour proposer utilement à nos esprits les mystères les
plus sublimes, les événements les plus importants pour nous : de la part de l'homme qui pense et, plus
encore, du chrétien qui croit, ce serait une injustice et un dommage de laisser passer ces tableaux sans y
attacher ses regards et sa pensée, de n'avoir ni intelligence ni coeur pour saisir la grandeur et la magni -
ficence de cette histoire non plus que son importance et sa gravité.le grégorien, ses rites, consignés
8
dans les Livres liturgiques, sont des sacramentaux qui exploitent et mettent en valeur le sacrifice et les
sacrements qu'ils encadrent; ils les étoffent, pour ainsi dire, afin de nous aider à en assimiler largement
les grâces. Par le moyen de l'année liturgique Jésus qui n'admet pas que nous arrangions notre vie spiri-
tuelle sans son Église, se fait moins lointain, plus à nous; il sort de son silence eucharistique par la
bouche de son F,glise afin que nous puissions le recevoir plus intimement et le revêtir. Par là nous vi-
vons, au prix d'un effort ascétique méritoire, ces saisons corrélatives de pénitence et de joie sans les -
quelles Noël, Pâques et Pentecôte ne sont que des dates isolées, des jours quelconques ou, du moins,
des fêtes incomplètement comprises. Le but principal comme l'efficacité propre de l'année liturgique
est donc de produire en nous les fruits des mystères qu'elle célèbre par ses anniversaires et représente
par son agencement. C'est ce que rappelait le Saint Père Pie XI en instituant la fête du Christ-Roi. Une
belle parole de saint Augustin résume fort bien les réflexions précédentes et les dépasse. « La vérité
nous enseigne, dit-il, les événements réalisés une seule fois; la solennité en les célébrant plus souvent,
les renouvelle dans les âmes pieuses. Cette célébration empêche de les oublier. Puissent ceux qui les
Mais l'année liturgique avec ses fêtes et ses observances, ses temps et ses octaves, ne s'impose pas
seulement à notre mémoire comme anniversaire, à nos réflexions comme tableaux évocateurs et ins-
tructifs. N'oubliez pas que la Liturgie est une vie. L'Église veut, en effet, nous amener à nous plonger
tout entiers par la prière et la conduite dans les vérités et les mystères de notre sainte foi. Ces mystères,
elle ne les confine pas dans le seul domaine du passé. Ils ne doivent pas cesser d'avoir pour nous une
signification très actuelle; il faut vivre l'année liturgique en puisant à la source de grâces qu'ils nous
offrent. Sur les entrepreneurs profanes de théâtres et de cinémas, l'Eglise a la supériorité de la grâce qui
accompagne sa mise en scène. Son chant,
38HORIZONS LITURGIQUES
connaissent ne pas devenir impies en désertant la solennité ».
Qu'on ait donc recours à dom Guéranger, à Parsch, au Cardinal Schüster ou à d'autres qui com-
mentent les textes de l'année liturgique. Cet opuscule n'admet guère le développement d'un tel sujet.
Essayez de vivre ainsi en communion constante avec le Ciel, de prendre comme compagnon de route le
saint du jour lorsque les grands anniversaires n'occupent pas exclusivement l'attention de l'Église; dé-
veloppez ainsi le sens social du catholicisme avec l'obéissance à la hiérarchie et la fraternité des âmes.
Contrôlez par là votre sens propre dans l'exercice de vos dévotions. Unissez-vous enf n à Rome dont
vous suivez la Liturgie. C'est encore saint Augustin qui dit que bien prier c'est bien vivre. Faire sienne
la prière de l'Eglise n'est-ce pas, en effet, savoir prier ?
Au point de vue ascétique la seconde partie de ce volume essaiera de mettre sur la voie les âmes de
bonne volonté qui, personnellement, voudront s'assimiler quelques-unes des richesses de l'année litur-
gique.
CHAPITRE V
LA LITURGIE DANS L'ESPACE
La célébration collective de l'année liturgique exige des lieux de réunion. Les nécessités de la mise
en scène demandent une organisation matérielle. L'efficacité de la méthode spirituelle requiert d'y ac-
complir des actions saintes.
Si tous les temps appartiennent à Dieu, l'Église proclame pourtant que Pâques est « le jour que le
Seigneur a fait », que le temps du Carême est un temps favorable. Ainsi tout l'espace du monde est le
domaine du Seigneur, qui est partout, mais il a choisi des séjours dans l'Eucharistie et dans des temples
où il accueille plus spécialement les prières des hommes.
Ces temples s'appellent églises auxquelles se rattachent les chapelles et les oratoires.
Le mot église sert à préciser la fonction de ces temples. Ce mot français vient du grec et du latin ec -
clesia. Il s'apparente à Piglesia des Espagnols, la chiesa des Italiens, l'i/is des Bretons.
Mais le grec et le latin avaient jadis d'autres
40HORIZONS LITURGIQUES
dénominations : Kyriacon, dominicum, et à ce groupe se rattachent les Kerke flamands ou néerlan-
dais, Kirche allemand, Church anglais.
Bien plus cette dernière étymologie nous amène à l'idée du Seigneur I-Uptog, Dominus. L'Eglise est
la chose du Seigneur, sa maison domus Dei. Maison de Dieu, elle est la maison du Père qui nous a
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adoptés pour ses enfants, la domus Dei devient selon la première étymologie la domus Ecclesiae, la
maison de l'assemblée, l'Église.
Etant avant tout la maison de Dieu elle est la maison de laprière «domus orationis vocabitur». Mai -
son de prière, elle devient le vestibule du ciel. Une église doit porter à la prière et manifester le re-
cueillement, l'unité, la discrétion. Ainsi doivent le comprendre les architectes, les sculpteurs et les
peintres, verriers ou autres. Elle doit faire adorer et pour cela instruire et édifier l'assemblée.
Il serait intéressant d'étudier le symbolisme dans les églises, qui figure, représente et exprime les
idées dogmatiques et morales de l'Ancien et du Nouveau Testament. C'est un des côtés artistiques de la
Liturgie qui s'étend aussi aux parements, au mobilier comme au chant. L'importance de ces éléments
varie selon l'importance des églises. Celles-ci ont une hiérarchie qui requiert un personnel et un maté-
riel plus ou moins considérables, ce qui faisait que la domus ecclesiae comprenait jadis,
VUES D'ENSEMBLE 41
avec la sacristie, le cimetière, les logements, le dispensaire et tout ce qui se rapportait à l'importance
de la communauté.
Il existe une classification des églises.
L'oratoire privé est concédé à un particulier et à sa famille. L'oratoire semi-public est celui d'une
communauté. L'oratoire public est une chapelle, rurale ou autre, qui a entrée pour tous et cloche. C'est
une église sans titre, je ne dis pas sans titulaire ou vocable protecteur. Au-dessus se classent les églises
des confréries et surtout les églises paroissiales dont l'importance requiert la conservation du Saint Sa-
crement pour les malades et ce qui est nécessaire pour l'administration des sacrements. Au- dessus, les
églises abbatiales. Comme siège des églises particulières les cathédrales, métropoles et primatiales. Au
sommet les patriarcales et, enfin, l'église papale du Latran. C'est l'archibasilique. Le nom de basilique
appartient aussi à des églises remarquables. Il y a quelques basiliques majeures, beaucoup de basiliques
mineures. Celles-ci n'ont pas dans un diocèse la préséance sur la cathédrale même non basilique. Le
type de l'église complète, c'est la cathédrale. Il importe d'en donner une description sommaire. Nous
prendrons comme type l'église dite basilicale, maintenue à Rome, restaurée ailleurs, assez rarement
existante dans nos pays sous sa forme complète, mais qui a le double
42HORIZONS LITURGIQUES
avantage de rappeler la conception originelle et de mettre en valeur le rôle des ministres et les rites
de la Liturgie.
Dom Gréa estime que les basiliques païennes n'ont pas imposé aux premiers chrétiens le type de
leurs églises, mais plutôt que la coïncidence des formes tient simplement aux nécessités et aux conve-
nances communes à toute grande assemblée. « Le type vraiment divin de nos églises, dit-il, nous est ré-
vélé dans l'Apocalypse de saint Jean. Dans cette céleste vision, il contemple un trône environné comme
d'une couronne, in circuitu, de vingt-quatre sièges destinés à des vieillards ou prêtres : au centre un au-
tel sur lequel est placé l'Agneau, comme mis à mort, et où apparaissent les quatre animaux mystiques,
symboles des quatre Évangiles; au-dessous de l'autel les âmes des martyrs; au-delà sept chandeliers ar-
dents qui sont les sept esprits de Dieu; et enfin sous le regard de celui qui siège au trône et des vingt-
quatre vieillards, l'immense multitude des élus.
Dans les églises de la terre ce type est reproduit fidèlement : l'évêque entouré de ses prêtres, l'autel
établi sur la sépulture des martyrs, les sept diacres et les clercs inférieurs; enfin les espaces réservés au
peuple chrétien.
Voyons les diverses parties de l'édifice. L'église nous apparaît immédiatement divisée en deux par-
ties : le sanctuaire et la nef.
VUES D'ENSEMBLE43
Le sanctuaire a généralement la forme d'abside ou de demi-cercle. Au fond le siège épiscopal, le
trône, souvent construit en marbre, ainsi que les bancs, épousant la forme de l'abside, destinés aux
prêtres. C'est l'extrémité de ces bancs qui forme la banquette du célébrant en l'absence de l'Evêque.
Ainsi le trône de l'Evêque prend le caractère de pierre principale de l'édifice faisant corps avec le bâti -
ment comme l'autel de pierre, point physique de contact entre la terre et le ciel.
Le trône est élevé de plusieurs degrés pour que l'Évêque voie au-dessus, surveille et, conséquem-
ment, veille sur l'assemblée. C'est là son nom e'pi-scopos. Que l'Évêque domine l'autel il n'y a, dit dom
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Gréa, aucune irrévérence « car Jésus-Christ qui, sur l'autel, apparaît dans l'humiliation et l'état de vic-
time, est présent dans l'Évêque comme sacrificateur, et, par lui, exerce sur son propre corps et son
propre sang l'autorité qui renouvelle son immolation ». Des draperies souvent recouvrent les sièges et
bientôt un baldaquin surmonte le siège du Pontife si l'autel lui-même porte ce dais souverain.
L'autel est placé en avant du sanctuaire et domine la nef de la hauteur même du sanctuaire. Il appa-
raît surélevé du côté des fidèles alors qu'une simple marche l'élève du côté du sanctuaire.
44HORIZONS LITURGIQUESVUES D'ENSEMLLE45
Du côté des fidèles les tombeaux des martyrs sont placés au-dessous de l'autel dans une crypte ou
confession.
L'autel est rectangulaire, fermé sur ses quatre faces comme un tombeau, ou porté par des colonnes et
appelé pour cela la Sainte Table. S'approcher de la Sainte Table, c'est participer à l'autel car les cancels
ou balustrades pour la communion des fidèles n'ont jamais été des tables, et, s'il en était autrement, le
prêtre ne « s'approcherait pas de la Sainte Table »!
Un ciborium, ou dôme, ou pavillon, porté par des colonnes en matière précieuse, surmonte l'autel :
c'est l'insigne de la majesté.
L'autel a sa parure : trois nappes de lin descendant jusqu'à terre sur les côtés; en avant et en arrière
des parements d'étoffe selon les temps et selon les fêtes.
Bientôt la croix de procession, les cierges des sept acolytes, se fixent sur l'autel. Enfin des reli-
quaires et des fleurs sont prévus par le Cérémonial des Évêques pour les solennités, mais rien n'autorise
à encombrer l'autel comme un magasin d'orfèvrerie ou comme une serre. En plus des sept cierges des
messes pontificales, c'est en dehors de l'autel qu'il convient de mettre ou de suspendre des couronnes
de lumières. Rien, dit encore le Cérémonial des Évêques, ne doit être placé sur l'autel qui ne serve au
Sacrifice.
La nef est unique ou plurale. C'est la grande salle de l'assemblée des fidèles. Elle dépasse en hauteur
le sanctuaire. Aussi la voûte de celui-ci s'ouvre dans le mur qui termine la nef par un grand arc décoré
de peintures ou de mosaïques, l'arc triomphal. Parfois un transept laisse la place des diacres, debout
pour le service, et des personnages que l'on veut honorer. Les fidèles de la nef n'avaient pas de sièges.
Nous avons parlé du sanctuaire, mais pas encore du choeur. Le chœur des psalmodiants était une en-
ceinte rectangulaire, plus étroite que la nef, véritable parc placé vers le haut de la nef, au milieu des fi-
dèles et à leur niveau. Là des bancs étaient disposés pour la schola cantorum, composée des clercs infé-
rieurs, sous- diacres et lecteurs. Nous savons que si le peuple tout entier doit s'associer au chant
d'église, c'est une erreur de lui confier les graduels; et certains morceaux sont réservés aux clercs ou à
ceux qui actuellement les suppléent.
A l'enceinte de la schola cantorum se rattachent les Ambons. Sur les marches ou degrés se chante le
Graduel. Le plus beau et le plus élevé des ambons est réservé à l'Évangile. Parfois il est surmonté d'un
baldaquin pour la prédication de l'Évêque qui s'approche ainsi des fidèles lorsqu'il ne peut commodé-
ment prêcher de sa cathèdre.
46HORIZONS LITURGIQUES
Il n'est pas inutile de dire un mot du tabernacle. Sans doute, on peut concevoir une église sans taber-
nacle et on n'en peut concevoir sans autel, mais la présence de la Sainte Eucharistie n'est pas bornée à
l'heure où s'offre le sacrifice. Elle demeure permanente dans le Saint Édifice et les églises paroissiales
y ont droit pour le secours des malades. Rien n'est trop beau pour le siège du Très Saint Sacrement. Ja -
dis, le vase sacré était suspendu au centre du Ciborium. Plus tard, il est fixé à une croix monumentale.
Ou bien il est renfermé dans l'armarium ou le tabernacle, fixé à la muraille. Enfin l'Eucharistie est
conservée dans une tour mobile qui se place sur l'autel, mais pas au maître-autel dans les cathédrales. Il
serait à souhaiter que la forme de tour fût préférée à la forme carrée moins digne et qui n'admet pas
comme elle le pavillon prescrit ou conopée.
A l'Église est rattaché le baptistère, édifice construit à côté d'elle, souvent octogonal, généralement
situé au nord. Il y aurait beaucoup à dire sur sa décoration et sa disposition historique, symbolique et
pratique. Il faut s'en référer aux manuels de liturgie véritables qui donnent non seulement les prescrip-
tions du Rituel mais qui les expliquent d'après saint Paul et les Pères de l'Église. La dignité du baptis -
tère doit attirer l'attention des liturgistes et des chrétiens.
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VUES D'ENSEMBLE47
On devrait étudier le mobilier liturgique. A vrai dire tout ce qui précède est immeuble, au moins par
destination : autel, trône et ambons. Les formes traditionnelles et les règles de l'art chrétien s'imposent
à tous et nous devons bénéficier des deux règles suivantes ne pas suivre les caprices d'un peuple qui est
à former, à élever. Présenter aux fidèles ce qu'ils ne trouvent pas ailleurs et les empêcher de mécon-
naître la notion du sacré séparé du profane. On comprend dès lors quelles bévues peuvent commettre
des officiels incroyants qui, malgré quelques connaissances techniques, ne peuvent comprendre les ins-
pirations d'un art vraiment chrétien. Saint Grégoire le disait en parlant des miracles du Sauveur : « On
peut admirer les enluminures d'un beau livre et la forme des caractères, mais autre chose est de savoir
ce qu'ils signifient. Cette science appartient à ceux qui se mettent à l'école du Christ. »
De là la grande ignorance de la Dédicace ou consécration des églises : on ne connaît pas la distinc-
tion du sacré et du profane.
Mgr Duchesne, dans les Origines du culte chrétien, a fort bien mis en relief les parties principales
des rites de la consécration des églises : les purifications extérieures et intérieures, la prise de posses-
sion de l'édifice par le tracé du vaste signum Christi avec le double alphabet, les onctions de l'autel et
les encense-
48HORIZONS LITURGIQUES
ments, la procession et l'imposition des reliques, les douze onctions en forme de croix sur les murs
et l'adoration de la croix. La messe solennelle met le sceau à la cérémonie. Chaque année, pendant huit
jours, l'anniversaire de la Dédicace est célébré. C'est, en effet, surtout par sa consécration que vaut
l'édifice et toute église consacrée a sa grande valeur. A l'instar du Baptême, cette consécration serait
immortelle, si l'église matérielle ne pouvait être détruite. Souillée elle doit être réconciliée par un rite
analogue au sacrement de pénitence, mais, pas plus que l'âme du baptisé, elle ne perd sa consécration.
CHAPITRE VI
LES MINISTRES DE LA LITURGIE
Pour célébrer l'Année liturgique dans les églises, il existe une hiérarchie qui permet au peuple chré-
tien de s'associer aux saints Mystères.
Le mystère de l'Eglise, de sa hiérarchie apparaît à l'autel, autour de l'autel, devant l'autel. A l'autel le
sacerdoce, autour de l'autel les ministres, devant l'autel les fidèles.
Dans le sacerdoce le Christ s'offre et se donne. Le ministère va de l'autel au peuple et le peuple qui
s'unit à la Victime par le sacerdoce devient, en elle et par elle, la nouvelle humanité. En décrivant le
cadre, qui est l'église matérielle, nous avons' déjà assisté à ce spectacle; le chapitre suivant nous indi-
quera l'action de la hiérarchie dans les églises tout le long de l'année. Dès maintenant faisons connais-
sance avec ce sacerdoce, ces ministres et le peuple chrétien.
« Le sacerdoce unique de Jésus-Christ, dit dom Gréa, réside principalement ici-bas dans l'Evêque et
découle de l'épiscopat dans la
tiorizonii Lit.1
50HORIZONS LITURGIQUESVUES D'ENSEMBLE5
prêtrise. Il y a deux degrés dans une même et toute-puissante efficacité de l'institution divine ».
Le célébrant prie au nom de tous, les bras élevés. Ainsi récite-t-il les collectes et la prière consécra-
toire. D'autres prières pour soutenir la dévotion ou souligner les gestes de l'offrande ne sont pas dites
avec la même solennité. C'est par un retour de la messe basse sur la messe solennelle que le célébrant a
été amené à reprendre brièvement les lectures des ministres ou les chants.
Le prêtre a, par son sacerdoce, toute la vertu du sacrifice. Il ne peut rien s'y ajouter. Cependant il
convient qu'il ne soit pas seul à l'autel et qu'il y reçoive l'assistance des ministres.
L'office des ministres est analogue à celui des anges. Le diaconat est la plénitude du ministère
comme l'épiscopat est la plénitude du sacerdoce. Les diacres portent dans la vertu de leur ordre toutes
les diversités des ministères.
Le diacre assiste le célébrant dans l'offrande, chante l'Évangile et donne au peuple les avis officiels.
Il a laissé au sous-diacre le soin d'autres lectures et de quelques avertissements. Le sous- diacre jadis
était le chef de la schola et il en apportait les offrandes, mais il reste à demi voilé au pied de l'autel tan -
dis que le diacre seul y paraît près du prêtre debout comme « l'ami de l'Epoux ».
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Il y avait jadis sept diacres comme les
archanges de l'Apocalypse. Il y a encore sept acolytes à la messe papale et à Lyon pour certaines
fêtes. Porteurs de cierges allumés pour accompagner le Saint Évangile, ils les déposaient en arrivant à
l'autel. Ce sont les sept candélabres de la messe pontificale. L'Évangéliaire était placé sur l'autel; au-
jourd'hui qu'il est à la crédence les deux cierges qui subsistent doivent l'entourer d'honneur, comme au
moment du chant solennel. L'acolyte présente aussi l'encens et la matière du sacrifice. Telles sont, très
sommairement indiquées, les fonctions des ministres.
Plusieurs fois déjà nous avons considéré les prêtres et les ministres comme représentant le Sauveur
et les anges. Aussi paraissent-ils sous des vêtements d'emprunt qui se divisent en deux classes : le vête-
ment de dessous et celui de dessus.
Au vêtement de dessous se rapportent la soutane, l'aube et la tunique du sous-diacre qui est l'aube de
fête, l'aube parée dont les manches comme le bas se sont élargies, puis parfois coupées, pour supporter
les parements. C'est la linea antique dont parle le martyre de saint Cyprien : deposito byrrho, stetit in li-
nea. Ayant déposé le byrrhus, il se tint en aube. Ce byrrhus est le vêtement de dessus, l'ample manteau
couvrant la linea. Soulevé, replié sur les bras c'est la chasuble. Séparé en avant,
52HORIZONS LITURGIQUESVUES D'ENSEMBLE53
écarté par les bras, c'est la chape ou le pluvial. Un capuchon, plus ou moins stylisé, s'y ajoute.Le ma-
nipule, porté à la main ou sur le bras gauche, est aujourd'hui réservé aux ordres sacrés.
Ces vêtements sont portés par le clergé. Pour les besoins du service, les acolytes déposaient la cha-
suble dès le départ du secretarium. Le diacre et le sous-diacre la relèvent par devant pour les proces -
sions stationnales. Ils peuvent ainsi, à l'occasion, relever celle du célébrant. Ils la quittent pour monter à
l'ambon, et le diacre, après l'Évangile, ne la remet pas pour aider commodément le prêtre à l'autel, mais
il l'a repliée sur l'épaule et liée sous le bras au point qu'on l'a confondue avec l'étole qu'elle couvre. Il
agit ainsi aux messes de pénitence, car, ces jours-là, on ne fait usage ni de la tunique, aube parée dont
l'ornementation convient aux fêtes, ni de la dalmatique, riche ornement attribué aux personnages im-
portants, aux empereurs et à quelques évêques puis aux archidiacres et aux diacres, qui s'en parent en
signe d'honneur et de réjouissance. Les orfrois ont remplacé les antiques clavi, couleur de pourpre, qui
l'ornent traditionnellement.Enfin l'Évêque revêtu de la chasuble, dalmatique et tunique, considérées ac-
tuellement comme insignes de ces ordres, porte encore la mitre, qui couronne son front, les gants, rap-
pelant la peau du chevreau de Jacob, et les sandales du messager de la paix.
Si la chasuble était commune aux clercs, le sacerdoce et le diaconat avaient dès l'antiquité un insigne
spécial, l'étole ou orarium, vraisemblablement un voile ou écharpe qui se porte différemment : droite
pour l'évêque à cause de la croix, croisée pour le prêtre, en sautoir pour le diacre.L'Église pour les or-
nements prodigue le symbolisme des couleurs. Elle adopte le blanc pour les mystères joyeux et glo-
rieux, les fêtes du Seigneur, de la Vierge, des anges et des confesseurs. C'est en effet la joie, l'inno-
cence et la gloire. Le rouge est attribué au Saint- Esprit, à la Croix, aux Martyrs : c'est le sang du Sacri-
fice, l'ardeur de l'amour. Le violet est la marque de la pénitence, le noir du deuil, tandis que le vert
symbolise l'espérance et la fécondité des champs.
En parlant des ministres de la Liturgie nous n'aurions garde d'oublier le peuple chrétien. Au moment
solennel de l'action eucharistique l'Église a soin de l'associer au sacrifice « sed et plebs tua sancta ».
Les fidèles ne peuvent se passer du ministère des prêtres pour offrir le sacrifice mais eux-mêmes sont
offrants et offerts, et saint Pierre n'hésite pas à parler de leur sacerdoce, en ce sens que, par le baptême,
ils ont acquis ce droit. Le mouvement liturgique

54HORIZONS LITURGIQUESVUES D'ENSEMBLE55


a précisément pour but de leur indiquer « la participation active » qu'ils doivent prendre à la I iturgie
et de leur en fournir les moyens. N'est-il pas décevant de voir dans les églises la tenue de ces chrétiens
qui ne les différencierait en rien des païens ou juifs assistant aux mêmes cérémonies. Ils ne paraissent
pas faire partie de l'assemblée, ils n'en observent ni les gestes ni les attitudes, ils ne lui donnent ni leur
attention soutenue ni leurs voix et ne se soucient pas de s'aider d'un livre pour connaître au moins par
une traduction le langage de leur mère la Sainte Église. Ce sont des étrangers pour lesquels le Baptême
ne compte pas comme le titre glorieux de leur incorporation au Christ et à son Église. Faut-il s'étonner
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qu'ils n'aient plus le véritable esprit chrétien ni même le simple esprit chrétien et que, lassés d'une atti-
tude si inconséquente et si décevante, ils désertent les sacrements et le précepte dominical?
Nous le dirons : à la messe, centre de la Liturgie, le peuple reçoit la divine parole et l'Eucharistie;
mais il doit, pour en prof. ter, s'associer à ces divines réceptions, s'unir aux prières, répondre avant tout
l'amen de la ratification, exprimer sa pénitence et ses actions de grâces, les Kyrie et les Gloria, chanter
le symbole de sa foi et s'unir à la psalmodie, aux hymnes et aux séquences. La manière dont une as -
semblée répond ou non l'Amen du Canon de la messe et des oraisons en dit long sur sa mentalité chré-
tienne. Cet amen, au dire de saint Jérôme, retentissait de son temps comme un tonnerre. Si on enseigne
que crier n'est pas chanter, on peut néanmoins préférer une telle expression d'une dévotion consciente
et sincère au silence indifférent des foules d'aujourd'hui.
La sainte Liturgie est tellement l'oeuvre commune de toute l'Église, c'est-à-dire du sacerdoce et du
peuple que le mystère de cette unité y est toujours réellement présent par la force indestructible de la
communion des saints. L'office divin et la sainte messe ne peuvent se célébrer sans que l'Église tout en-
tière n'y soit associée et mystérieusement présente. Même seul, le prêtre, à l'autel ou dans sa chambre,
salue encore l'Église : « Que le Seigneur, dit-il, soit avec vous »; et, prenant la place de l'Église pour
devenir son organe, il se répond à lui-même : « Et avec votre esprit ».
CHAPITRE VII
L'ACTION LITURGIQUE : LE SACRIFICE
Nous voici parvenus au centre et au point culminant de nos réflexions et de notre ouvrage. Nous
nous en sommes approchés constamment. En effet, quel est le culte de l'Eglise sinon le sacrifice ?
Existe-t-il une religion sans sacrifice qui reconnaisse le souverain domaine de Dieu et qui, par cette re-
connaissance, ne relie la terre au ciel ? C'est tellement vrai que l'oblation de ce sacrifice concentre à
elle seule tous les hommages et constitue le culte officiel; que le nom de Liturgie était le nom antique
de la messe, et que c'est par extension que le nom a été appliqué à tout l'ensemble des rites qui en-
cadrent ou appliquent le sacrifice. Le prêtre est fait pour le sacrifice, et, nous l'avons dit, Je peuple se
sert du ministère du prêtre pour l'offrir lui aussi.
C'est pour n'avoir pas saisi que la Liturgie est avant tout ce sacrifice et ne consiste pas seulement
dans une parade ou même une prière
VUES D'ENSEMBLE 57
quelconque, que nous avons écarté ces attitudes envers la Liturgie qui n'en admettent pas le véritable
concept.
C'est pour exploiter les richesses de ce sacrifice que se déroulent les Temps, que se célèbrent les
fêtes qui n'existeraient pas sans cette offrande efficace. C'est pour ce sacrifice que s'élèvent les églises
et dans les églises l'autel, et que Pontifes, prêtres, ministres et peuple s'assemblent, et que sur chaque
autel se dresse la Croix, car ce sacrifice se rapporte à la croix qui a sauvé le monde et rétabli les rela-
tions rendues possibles entre l'homme et son Dieu.
Le Seigneur a voulu rendre contemporaine la Croix pour en appliquer les fruits. Il l'a rendue acces-
sible par la Cène. Il a ainsi institué la Messe, véritable sacrifice, mais relatif à la croix. Le Sauveur y
offre son immolation du Calvaire, représentée par la séparation des espèces, alors que, glorieux, pré-
sent sur l'autel, il règne dans les cieux. Et chaque génération vient puiser la vie en participant à ce sa-
crifice par la communion eucharistique.
Le mouvement liturgique tend à faire connaître la messe et comprendre la relation de la Communion
au sacrifice. Il réagit contre les deux pratiques suivantes : s'occuper d'autres choses pendant la messe,
et communier en dehors de la messe ou faire de la communion un acte isolé, individuel, désencadré. Il
fait
58HORIZONS LITURGIQUES
appel au bon sens, en demandant de lire les textes du missel qui supposent la participation des € d
èles, et les textes du Rituel qui affirment la place normale de la Sainte Communion. Il convient des dif-
ficultés et il ne les nie pas. Pourquoi, d'ailleurs, la religion ne demanderait- elle que ce qui ne coûte au-
cun effort ? Il admet l'ignorance du latin, maintenu pour l'unité catholique, et s'ingénie à rapprocher les
âmes de l'autel. Tout lui est bon pour souligner le mystère fondamental de Pâques, pour donner aux ob-
jets du culte tout leur sens, pour mettre en honneur l'Autel et la Croix, croix brillante et gemmée, glo-
14
rieuse enfin, car le Sauveur n'est mort que pour ressusciter et le double aspect du mystère pascal en-
gendre en nous une grande joie et une grande espérance.
Que de livres écrits sur la messe en notre temps! Comme ils reflètent ces préoccupations salutaires !
L'ouvrage de Le Brun, oratorien du xvir siècle, est toujours bon et complet. Celui de dom Vandeur le
vulgarise avec piété. Parsch et Crogaert sont vraiment précieux. Je ne parle pas d'une quantité de mé-
thodes. Mais il y a les Misscls. Qui ne connaît celui de dom Lefebvre ? Pour beaucoup on pourrait
commencer avec fruit par les Missels dominicaux.
Rappelons seulement les grandes divisions de la Messe après en avoir redit l'importance et le but.
VUES D'ENSEMBLE59
Le culte dû à Dieu s'adresse à la Trinité Sainte qui nous a été révélée.
Cet hommage à la Très Sainte Trinité se trouve constamment rappelé dans la messe.
C'est d'abord le signe de la Croix fait au nom des trois Personnes. Le Gloria termine le psaume de
préparation et l'Introït. Il se répète en supplication de langue grecque avec les Kyrie, s'épanouit dans
l'hymne angélique, se redit dans les collectes et s'affirme dans le Credo.
A l'offertoire, c'est l'offrande au Père, du pain; la mémoire du Fils à la bénédiction de l'eau; l'invoca-
tion à l'Esprit sanctificateur, la synthèse du Suscipe Sancta Trinitas.
Dans la prière consécratoire, la Préface est dirigée vers le Père comme le début du Canon ramène au
Fils vers la Consécration et implore ensuite la grâce du Saint-Esprit. Le Canon se termine par la belle
doxologie : « Par lui, le Christ, avec lui, en lui, tout honneur et toute gloire soient rendus au Père tout-
puissant dans l'unité du Saint-Esprit pour les siècles des siècles. Ainsi soit-il ».
La prière finale qui précède la bénédiction au nom des trois personnes demande que le sacrifice soit
agréable à la Sainte Trinité Placeat Sancta Trinitas.
Pour que, en effet, la Sainte Trinité agrée cet hommage, il faut que l'offrande comme l'offrant lui
agréent aussi.
6oHORIZONS LITURGIQUESVUES D'ENSEMBLE6i
Or l'homme pour adorer dignement doit comme un besogneux reconnaître sa misère et ses besoins;
il doit témoigner sa reconnaissance; bien plus, hélas : il doit s'avouer pécheur. Qui donc pourra offrir ce
quadruple hommage ? Celui qui nous a réconciliés par son sang. Comme Dieu, le Christ est adoré;
comme prêtre, l'Homme-Dieu s'est fait adorateur; c'est son rôle liturgique, et son adoration parfaite, à
son heure, eut lieu sur la croix et par la croix. La messe reproduit cette parfaite adoration, ce quadruple
hommage et la doxologie citée forme une magnifique synthèse de l'oeuvre de la rédemption qui ne
cesse de s'exercer sur l'autel.
Ainsi s'exprime la Secrète du IXe dimanche après la Pentecôte : « à chaque fois que nous offrons ce
sacrifice, l'oeuvre de la Rédemption s'accomplit ».
A ce sacrifice, nous puisons, dit la Secrète de la mi-carême, l'énergie qui fait rendre témoignage à
son Sauveur, offrant ce sacrifice en union avec les martyrs, car c'est de lui que le martyre tire tout son
principe.
Offrande du sacrifice par la Consécration, participation par la communion après la préparation des
espèces à l'offertoire, telles sont les trois parties de la messe proprement dite, appelée messe des fi-
dèles, et précédée d'une avant-messe empruntant au cadre de l'office, dont nous parlerons ensuite, ses
trois éléments lectures, prières et chants.
A l'autel, la seconde partie s'accomplit; au trône, la première. Le rôle des ministres est plus grand au
début. Le rôle du prêtre est prépondérant ensuite. La première partie est la suite des assemblées juives
des synagogues, la seconde est spécifiquement chrétienne. La première est une préparation, la seconde,
un accomplissement.
A la messe se réalise la parole du Seigneur en Isaïe : Qui loquebar, ecce adsum, moi qui parlais, me
voici. Ainsi le Christ vient à nous par sa parole et par sa chair adorable. Le Verbe s'est fait chair, et,
pour le recevoir dans sa chair, il faut s'y préparer en recevant sa Parole. Le point culminant de l'avant-
messe, c'est l'Evangile, et l'on sait avec quelle solennité il est chanté. Cet Evangile s'ajoute à l'antique
chant des psaumes, intercalés au milieu des lectures selon l'usage des assemblées juives.
La plupart du temps une seule lecture ou épître avant l'Evangile, séparée de celui-ci par les chants du
Graduel et de l' Alleluia ou du Trait; mais cette lecture est précédée de l'oraison, chantée par le pré-
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sident de l'assemblée qui a réuni les fidèles entrés dans l'église, et aussi leurs voeux. Cette entrée a eu
lieu au chant des litanies stationnales qui subsistent à certains jours. Le résidu de la prière litanique est
le
62HORIZONS LITURGIQUES
VUES D'ENSEMBLE63
Kyrie accompagné de la doxologie angélique du Gloria. Le plus souvent, au lieu de la Litanie com-
plète, c'est le psaume de l'entrée avec son antienne, l'Introït, et il ne reste plus qu'un verset du psaume.
Ainsi l'avant-messe qui se termine par l'explication des lectures, de l'Évangile principalement, l'homé-
lie, et enfin par la profession de foi du Credo.
Encore un psaume, dont il ne reste guère que l'antienne, accompagne la procession de l'offrande par
quoi débute la messe des fidèles. Le célébrant élèvera bientôt la voix pour préluder par la Préface à la
prière consécratoire appelée Règle ou Canon. La Préface sera suivie des trois Sanctus ou Trisagion. Le
Canon terminé par la doxologie déjà mentionnée s'achèvera par la Communion après la transition du
Pater, la Prière du Seigneur, son embolisme, l' Agnus Dei et le Baiser de paix. Une antienne accompa -
gnera la distribution des saintes Espèces et l'on trouvera facilement psaume qui se chantait jadis. Enfin
une collecte d'action de grâces, sera chantée par le Pontife ou son remplaçant qui bénira l'assemblée.
Parties fixes du Canon, parties mobiles de l'année liturgique méritent la plus grande attention.
Si nous avons noté dès l'abord la louange à la Trinité Sainte qui se poursuit, tout le long de l'accom-
plissement des mystères, nous pou- vons aussi remarquer que le souvenir de la Croix s'y trouve prodi-
gué. C'est par ce signe que l'on rend gloire et ce signe est multiplié tantôt pour bénir l'offrande, tantôt
pour attester le rappel de la croix sur les espèces consacrées. La Croix ne se sépare pas de la Résurrec-
tion et de l'Ascension dont il est fait deux fois mémoire. Le mystère de l'Incarnation est mentionné à
l'Offertoire. Les saints aussi forment cortège à l'Agneau immolé : au Confiteor, à l'offertoire, avant et
après l'Elévation. Enfin les vivants et les morts sont recommandés et leurs prières sont là pour accroître
notre ferveur, tant il est vrai que la valeur concrète de la messe dépend de la part de l'Eglise et qu'il
s'agit pour nous, appuyés sur elle, d'exploiter le divin trésor. Les gestes, les attitudes, les chants, la co-
opération des ministres et la participation active du peuple donnent ainsi aux messes solennelles une
efficacité d'application plus grande qu'à celles qui sont privées de solennité.
L'étude des parties mobiles qui nous rendent contemporains le Christ et ses saints, regarde l'année li-
turgique, le bréviaire avec le missel. Considérer, par exemple, un dimanche ou une fête par son Invita-
toire de l'Introït, méditer les psaumes du temps, approfondir les oraisons, étudier la manière de fréquen-
ter l'Eucharistie d'après les fruits demandés par les Postcom-
64HORIZONS LITURGIQUES
munions, tout cela constitue un travail intéressant et fécond. Un cercle d'études qui préparerait les
chants du dimanche avec intelligence des textes, apprendrait beaucoup aux intéressés, formerait à mer-
veille la mentalité chrétienne. Mais cela déborderait non seulement les limites de cet opuscule mais
celles d'un manuel ordinaire de Liturgie. C'est cette abondance de richesses liturgiques qui sans doute a
fait séparer les rubriques de leur sens pour aller au plus pressé de l'exécution, au grand dommage du
bon sens et de la piété.
Si la Messe est ce que vous dites, on ne comprend pas qu'on ne se gêne pas pour y assister : ainsi me
parlait-on un jour. En effet, l'ignorance de la messe fait qu'elle passe pour une prière ou une réunion
pieuse comme d'autres, et plus ennuyeuse encore que les autres. Pourquoi donc tenir pour faute grave
une omission de ce qu'on ne comprend pas ? Donnons l'intelligence de la messe et nous ferons des
chrétiens. Godefroy Kurth avait donc raison de dire : « l'ignorance religieuse vient de l'ignorance litur-
gique », car la messe c'est le centre, c'est la Liturgie; la messe qui contient les mystères de notre foi, les
fait revivre et nous donne le moyen de les réaliser en nous.
CHAPITRE VIII
LE CADRE LITURGIQUE : L'OFFICE
Nous sommes arrivés presque insensiblement à la messe, point culminant de la Liturgie. L'année li-
turgique l'enrobe pour ainsi dire; les églises sont faites pour abriter l'autel, entouré des ministres et du
peuple chrétien. Mais l'instant du Sacrifice est bien court et, dans la Messe, la Consécration. Ces ra-
pides instants sont encadrés dans une chaîne de prières l'office. Certaines de ses parties, les plus consi-
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dérables, préparent le Sacrifice; d'autres le suivent en exprimant l'action de grâces, en demandant une
confirmation toujours nouvelle des dons qui ont accompagné la Sainte Action. Car c'est bien une ac-
tion, un drame qui de l'autel se développe pendant les vingt-quatre heures du jour. Cette action qui se
continue, c'est la prière de l'Église. Elle n'est achevée que pour se renouveler tout aussitôt : au centre, le
sacrifice eucharistique; comme auréole, l'office.
Ainsi s'accomplit le précepte du Sauveur :
Horizons Lit.5
66HORIZONS LITURGIQUES
Il faut toujours prier, c'est-à-dire passer sa vie en esprit de prière, le travail et le repos étant encadrés
et sanctifiés par la prière proprement dite.
La formule de la prière nous a été donnée par Notre-Seigneur Jésus-Christ et à la demande de ses
Apôtres : c'est le Pater. Formule très compréhensive et suréminente. Mais, pour satisfaire au besoin de
converser avec Lui, Dieu nous a donné aussi d'autres formules qui, d'ailleurs, on l'a montré, peuvent se
ramener aux demandes du Pater. Ces éléments de conversation, c'est le Psaume. Le Psaume, reçu par
Israël, employé par le Sauveur jusqu'au moment de sa mort, ne peut avoir vieilli, car il est l'expression
de l'âme humaine. Avec quel soin l'Église, et dès les premiers temps, a tenu à coordonner la récitation
et le chant des Psaumes ! Elle a voulu qu'ils forment comme la trame de la vie chrétienne. « L'office,
c'est le Psaume », écrivait Mgr Isoard, Évêque d'Annecy, en demandant la Réforme opérée depuis par
le Pape Pie X. « Des lectures, ajoutait-il, sont enchâssées entre les divisions qui séparent les groupes de
psaumes; mais la prière du peuple choisi, puis du peuple chrétien dans toutes ses réunions, c'est le
chant ou la récitation des Psaumes : récitation commune, publique, régulière, dès que l'Église com-
mence à jouir de quelque liberté ».
VUES D'ENSEMBLE
Nous venons de le noter avec l'Évêque d'Annecy, aux Psaumes s'ajoutent les lectures. Nous devons
aussi signaler un troisième élément de l'office : les collectes. Déjà dans l'avant- messe nous avons re-
connu ces trois éléments, mais, encore une fois, il n'est pas exagéré de redire : l'office, c'est le Psaume,
tant il est vrai que nous devons considérer notre première fonction et notre premier devoir de créature,
qui est de louer Dieu d'une manière désintéressée : la louange, avant la lecture et la prière de demande.
Il paraît tout autrement dans la dévotion d'aujourd'hui. L'usage affirmé par Tertullien ne semble plus
celui de la société présente. Le grand apologiste décrivant les assemblées chrétiennes disait : « on
chante les psaumes, on lit les Ecritures, on adresse des demandes ». Restaurons l'ordre : allons aux
Vêpres. C'est là, semble-t-il, une conséquence logique de l'intelligence du culte chrétien. Le jour où
l'obligation existe de s'associer au sacrifice, il est de haute convenance pour sanctifier le jour du Sei-
gneur de ne pas manquer la partie de l'office qui correspond le soir au sacrifice du matin, alors que ré-
sonne le cantique évangélique d'action de grâces avec l'encensement de l'autel.
Il est aisé de voir combien ce réseau de la prière de PF,glise contribue à assurer la sancti-
VUES D'ENSEMBLE69
68HORIZONS LITURGIQUES
fication de l'année liturgique. Pour le mieux comprendre considérons la distribution de la psalmodie
pendant le jour et pendant la semaine.
Théoriquement, le jour de vingt-quatre heures comprend douze heures de jour et douze heures de
nuit. La nuit se divise en trois veilles commençant à vingt et une heures, se poursuivant à minuit et à
trois heures. Le jour débute à six heures; à neuf heures, la troisième heure; à midi, la sixième; à quinze
heures, la neuvième, et, le soir, les Vêpres à dix-huit heures.
De là deux cycles : le cycle nocturne avec ses trois nocturnes selon les veilles ou vigiles, et, à l'au-
rore, à six heures, le chant solennel des Laudes, la prière officielle du matin.
Le cycle diurne comprend, selon la classification précédente, Tierce, Sexte et None et le soir com-
mence à dix-huit heures par le chant solennel des Vêpres, prière du soir, comme Laudes est prière du
matin.
Ainsi, de trois heures en trois heures, de nuit comme de jour, retentit la psalmodie. On comprend
qu'on ait bloqué certaines parties, en réunissant, par exemple, les trois nocturnes. Les heures du jour
sont appelées petites heures car des petits chapitres ou capitules remplacent les chapitres plus longs des
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leçons. On remarque encore que si, selon la Bible, le monde commença par un soir « factum est vesper
et mane dies unus » les fêtes aussi commencent par des premières Vêpres qui demeurent à Rome plus
solennelles que les secondes.
Ainsi se dégage l'importance des Laudes et des Vêpres, au point que nous n'avons pas encore men-
tionné Prime et Complies, organisées par les moines en supplément. Prime rappelle au choeur les
moines qui se reposent après Laudes et sert de réunion pour distribuer le travail. Complies, qui se disait
au dortoir, sanctifie le coucher.
En considérant certaines habitudes présentes on voit quelle ligne de conduite il importerait de suivre
pour mettre en valeur les coutumes traditionnelles de l'Église. Le nom même de Bréviaire, donné au
livre actuel de l'office divin, en a fait un document portatif se pliant trop facilement à ce qu'on appelle
les exigences des temps modernes. Autre chose est de le réciter en fonctionnaire, sans violer stricte-
ment les règles enseignées par la morale et le droit canon, autre chose est une récitation et surtout un
chant qui place les formules dans leur cadre logique et les fait ainsi rayonner sur la vie spirituelle du
prêtre et du chrétien.
Dans cette distribution des heures du jour ecclésiastique nous avons insisté sur l'importance des
Vêpres. Que l'on juge, avec le R. P. Antoine de Sérent, de la richesse spirituelle offerte aux simples fi-
dèles par l'office vespéral
des dimanches et des grandes fêtes. Plus de quatre cents Antiennes, vingt-trois Psaumes, quarante-
deux Hymnes. On peut recueillir des Vêpres la synthèse de la vie de Notre-Seigneur sur terre et son
prolongement dans l'Église, le cycle de Marie, de saint Michel, de saint Jean-Baptiste, de saint Joseph,
des saints Apôtres. Tout s'y trouve : dogme, morale, spiritualité, histoire, poésie, tout ce qui instruit et
qui charme, des époques les plus reculées jusqu'aux plus contemporaines. Que d'idées exprimées dans
de si courtes antiennes, dans de si courts versets : quel miroir que les Psaumes où se réfléchissent la vie
de Jésus, de l'Église, des saints, de nos âmes! Et le chant de ces Psaumes, et le chant de ces Hymnes
avec leurs airs devenus familiers et reflétant la mentalité des fêtes et des Temps ! Avec le psalmiste, on
peut dire « Cantabiles mihi erant justificationes tuae, in loco peregrinationis meae ». Une église de
campagne dotée d'un choeur de chant qu'aurait-elle à envier à une église de ville à la muette assistance
bientôt dispersée ? Oui, la grande heure des Vêpres mérite une place privilégiée malgré le brio des sa-
luts. Auprès de sa richesse et de sa variété, les Complies, vénérables, et plus que le Salut prière
d'Église, pâlissent sans vêtements sacrés ni encensements. On a pu dire avec raison que le commence-
ment de l'abandon de l'observance du
dimanche commence par la désertion des Vêpres.
Si nous apercevons maintenant comment la messe, encadrée par l'office, meuble l'année liturgique
tout le long des jours, si, à l'occasion de cette année, nous avons au moins énuméré les principaux anni-
versaires, notre aperçu présenterait une lacune considérable s'il n'attirait pas l'attention sur une autre
étape : la semaine. Comme l'année et comme le jour elle est une importante unité qui se renouvelle en
nous apportant à nous-mêmes un renouveau de grâces.
« Il ne faut pas perdre son Dimanche » est une consigne liturgique que dom Guéranger donnait à ses
moines eux-mêmes qui ont la Liturgie quotidienne. Combien elle est précieuse pour tous! La semaine a
été consacrée par Dieu lui-même dans la Création et il a voulu notifier le repos divin du septième jour.
Il y a associé la dignité humaine. Le péché a troublé cet ordre divin observé par les Juifs.
Dieu est sorti de son repos dans l'ceuvre de la Rédemption. Au nombre sept sacrum septenarium » se
rattachent les sept semaines d'années amenant le jubilé. Le huitième jour, l'octave s'ajoute à la semaine
primitive. C'est le jour de la Résurrection et de la Mission du Saint-Esprit à la Pentecôte ou cinquan-
tième jour, l'octave perfectionnant la semaine multi-
70HORIZONS LITURGIQUES
VUES D'ENSEMBLE
72HORIZONS LITURGIQUESVUES D'ENSEMBLE73
pliée par elle-même : Cum complerentur dies Pentecostes. On connaît les huit béatitudes et la para-
phrase de saint Ambroise. Le huitième jour se superpose au premier, le jour de la lumière (Lucis crea-
tor optime), c'est le Dimanche qui donne sa physionomie à la semaine : prima sabbati, la fête pascale,
la liturgie du samedi ayant pour ainsi dire glissé. Le Dimanche est le Jour du Seigneur et subsidiaire-
18
ment de la communauté chrétienne au service du Seigneur. C'est avant tout le jour du culte, de la Litur-
gie. Le dimanche est le rempart des droits de Dieu, et, par suite, de la moralité des sociétés, c'est une
sorte de fête pascale hebdomadaire.l'année liturgique, à la division du temps. En traitant sommairement
de cette Année, nous avions remis à présent de parler des semaines et des jours car c'est à l'office divin
que l'on en trouve la trame.
Nous insisterons moins sur les autres jours, les féries. De bonne heure se distinguèrent le mercredi et
le vendredi, jours de stations, et le samedi, vigile du Dimanche. De là les Quatre- Temps, reproduisant
la semaine primitive. A chaque saison on répare par la pénitence, on offre le temps qui vient, on remer-
cie des récoltes. Alors qu'au Printemps, pour Pâques, paraissent les fleurs; en Été, le blé; en Automne,
les vendanges et, en Hiver, les olives et les semailles « A fructu frumenti, vini et olei ». La dévotion à
Notre-Dame s'est greffée sur le samedi, la dévotion aux Défunts sur le lundi. Telles sont, au moins, les
dévotions qui se rattachent plus spécialement à la Liturgie.
Tout ce qui précède appartient évidemment à
VUES D'ENSEMBLE
75
CHAPITRE IX
L'APPLICATION:
LES SACREMENTS ET SACRAMENTAUX
Ici s'arrêtent plusieurs manuels de Liturgie. Quelle en est la raison ? L'Église ne prendrait- elle pas à
son compte les rites sacramentels et les bénédictions ? Ne bénéficieraient-ils pas de son pouvoir d'inter-
cession ? Laisserait-elle s'accomplir toutes les processions sans en garantir, pour ainsi dire, au moins
quelques- unes ? Il n'en est pas ainsi. Mais dans ce chapitre il ne s'agit plus d'établir un « cursus », un
coutumier ou des prescriptions pour tout le peuple chrétien. Les sacrements et sacramentaux sont em-
ployés selon les circonstances pour tel ou tel chrétien et dans tel ou tel cas.
Il n'en est pas moins vrai que les sacrements, signes sensibles et cultuels, sont divins et opèrent ce
qu'ils signifient, que, par des rites ajoutés, l'Église prend soin de souligner leur dignité, leur importance
et leur efficacité. Bien plus, nous l'avons dit, le chrétien n'est pas tant un individu qu'un membre, et son
sort intéresse la communauté chrétienne tout entière. Enfin, nous allons le considérer, tous les sacre-
ments se rattachent à la messe parce qu'ils se rattachent à la Croix, et l'Église, malgré les difficultés
matérielles qui parfois s'y opposent, légitimement d'ailleurs, tient à montrer cette relation suggestive
qui affirme une fois de plus que la messe est le centre de la Liturgie et de la religion.
On connaît le tryptique célèbre de Van der Weyden, représentant au centre un grand calvaire qui se
dresse au milieu de la cathédrale d'Anvers. Sur le volet de droite le Baptême et la Confirmation qui
mènent à l'Eucharistie. De l'autre côté, la Pénitence qui en rétablit l'accès, l'Ordre qui en assure la per-
pétuité, le Mariage qui en fournit les sujets et l'Extrême- Onction qui, du côté opposé au Baptême,
donne l'efficacité du gage d'éternité acquis par la Croix. Voilà pourquoi l'Église demande que les
adultes baptisés prennent part à la messe après avoir aussi reçu la Confirmation, si c'est possible. La
Pénitence est une préparation. L'Eucharistie doit normalement être reçue à la suite de la communion du
Prêtre. Il y a une Messe des malades qui a rapport à l'Extrême- Onction. L'Ordination se donne au
cours de la Messe. Enfin il y a une Messe de mariage avec une bénédiction incluse.
76HORIZONS LITURGIQUES
On pourrait aussi remarquer que les Sacrements se rapportent encore étonnamment à l'année litur-
gique, tout en tenant compte du caractère individuel ou circonstancié de la plupart d'entre eux.
Le Baptême se rattache à Pâques et la Confirmation à la Pentecôte. Le Rituel le dit expressément.
C'est au point que, même pour le baptême des enfants, conditionné par l'époque de leur naissance, les
cérémonies offrent le double aspect du Carême et de Pâques. Le Pontifical admet la Confirmation en
tous temps. Il recommande cependant à l'Evêque de se montrer particulièrement disposé à confirmer
pendant l'octave de la Pentecôte. L'administration du sacrement de l'Ordre est attribuée aux samedis
des Quatre-Temps, aux veilles de la Passion et de Pâques et, d'autre part, le Mariage est exclu du Ca-
rême et de l'Avent. Il est bien entendu que la Pénitence et l'Extrême-Onction ne sont liées qu'aux cir-
constances et qu'une certaine latitude est laissée pour les autres sacrements. Il n'en est pas moins vrai

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que l'esprit demeure et que les actes les plus individuels des membres ne sont pas indifférents à la com-
munauté chrétienne et au culte de la Sainte Eglise.
On voit par là combien il importe d'expliquer le sens des rites qui accompagnent l'administration des
sacrements. Si l'Eglise conserve,
VUES D'ENSEMBLE
par exemple, pour l'administration du Baptême, les gestes et les prières des anciennes réunions du
Carême qui se passaient à certains intervalles de temps, ce n'est pas tant souci d'archéologie que d'édu-
cation pratique. Encore faut-il en avoir l'explication. On pourra alors non seulement faire acte de bon
sens mais bénéficier de cette formation et, entrant dans l'esprit de la liturgie, entrer dans l'esprit chré -
tien.
La connaissance du Baptême est primordiale pour la vie chrétienne. Là encore on se rend bien
compte que la participation à la Liturgie est le grand moyen de comprendre la vie chrétienne et ses
conséquences. La clef du surnaturel c'est le Baptême, donc, normalement, le rite sensible qi atteint
notre âme par notre corps, selon notre nature, mais pour la dépasser. N'est-ce pas dire l'importance de
ce sacrement ? Par lui nous avons un Père qui est Dieu; une patrie, le ciel; un patrimoine, la grâce sanc-
tifiante. Aussi l'Eglise qui connaît pourtant les misères et les épreuves de ce monde demande pour ses
enfants au jour de leur baptême « qu'ils servent le Seigneur dans la joie ». C'est en étudiant les rites sa-
crés qui nous ont faits chrétiens que nous trouvons la définition de notre état, l'idéal à réaliser, le pro-
gramme de notre vie. Nous avons reçu des leçons, contracté des engagements. Reportons-nous à ces le-
çons, à ces engagements pour y puiser
78HORIZONS LITURGIQUESVUES D'ENSEMBLE79
lumière et force; cette connaissance, en nous faisant mieux prendre conscience de notre dignité,
nous donnera la fierté chrétienne qui s'impose.consolant des funérailles. Elles appartiennent sans doute
au Bréviaire et au Missel, mais le Rituel contient la levée du corps, l'absoute et la conduite au cime -
tière.
On s'est ingénié dans ces derniers temps à publier de petits livres où les textes liturgiques des sacre-
ments sont présentés, traduits et illustrés à l'usage des fidèles. On l'a fait pour le Baptême, sous forme
de plaquettes ou de tableaux, devant aider parrains et marraines à accomplir dignement leurs fonctions.
On l'a fait, moins souvent, pour la Confirmation qu'on explique aux enfants séance tenante. On l'a fait
pour le Mariage, en rendant l'opuscule plus séduisant pour qu'il soit adopté et conservé par les époux
chrétiens, comme le mémorial d'un grand jour. Les assistants des ordinations peuvent suivre dans des
livres spéciaux l'initiation aux ordres. On commence à se préoccuper de la vulgarisation des cérémo-
nies du Viatique et de l'Extrême-Onction, en même temps que des prières pour la Visite des malades.
Bref, le mouvement liturgique veut familiariser avec les Rites des Sacrements comme avec les Rites de
la Messe et des Vêpres.Il serait utile encore d'étudier les Processions et les nombreuses bénédictions
dont le sens général est de ramener à Dieu les créatures détournées de lui par le péché originel. Qu'on
remarque à cet égard l'à-propos de l'action de grâces par le cantique des trois enfants. L'homme qui est
comme un résumé du monde, l'homme réconcilié qui vient de recevoir l'Eucharistie, invite la création à
bénir Dieu. Il se fait son interprète authentique alors que, pécheur, il l'avait pervertie. Cette prière a une
ampleur que ne sauraient remplacer les formules personnelles les plus séduisantes.
C'est à tous ces manuels que nous renvoyons le lecteur, nous bornant au rôle assigné d'être indica-
teur pour le culte de l'Eglise.
Cette vue d'ensemble ne peut cependant omettre de signaler le rite impressionnant et

VUES D'ENSEMBLE8i
CHAPITRE X
LES RECUEILS LITURGIQUES
Nous avons cheminé pas à pas constatant des fêtes, entrant dans les églises pour voir les ministres
qui les célèbrent. Nous avons assisté à la Messe, entendu les Vêpres et remarqué l'administration des
Sacrements. D'après la part que nous avons prise à tous ces rites, nous avons pu juger jusqu'à quel
point nous étions des chrétiens, des pratiquants. Puissions-nous avoir conçu la résolution de l'être tou-
jours davantage!
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Et pourtant cette instruction liturgique a pu nous paraître bien compliquée. Si, de bonne foi, nous
voulons l'entreprendre ou la parfaire, nous avons besoin de connaître quels en sont les éléments, quel
est le terrain solide de la Liturgie, où sont ses documents, car, plus vaste est son empire, mieux nous
voulons en savoir les limites pour ne pas nous égarer.
N'est liturgique dans la piété que ce qui est pris au compte de l'Eglise. Est liturgique tout ce qu'elle
adopte et prescrit. Toute la liturgie tient dans les Livres liturgiques, commentés par les Décrets de la S.
Congrégation des Rites qui doivent s'interpréter en fonction des Livres eux-mêmes. Tel est le champ et
telles sont les limites de la Liturgie. En dehors de ces Livres, des quantités de cérémoniaux, de ma-
nuels, d'années liturgiques, de paroissiens ont paru, qu'il ne faut pas confondre avec eux. D'une part, les
Livres liturgiques seuls, sans explications, peuvent paraître pour beaucoup inabordables et, de fait, on
les ignore. D'autre part, les autres ouvrages ont l'immense avantage de les faire connaître et pratiquer.
C'est à cela qu'ils doivent tendre et non pas à les dissimuler, encore moins à les remplacer. Ils ne
doivent pas compliquer la Liturgie en se substituant à elle, mais doivent la rendre assimilable, malgré
les difficultés de la langue et les ignorances historiques.
Quels sont donc ces fameux livres liturgiques, cette essentielle bibliographie par laquelle on aurait
pu commencer puisqu'il s'agissait de circonscrire la question liturgique, mais que l'on abordera peut-
être mieux à présent ?
Ce sont : le Missel, le Bréviaire, le Rituel, le Pontifical, le Cérémonial des Evêques et le Martyro -
loge. Il me semble que nous les connaissons déjà, notre but étant précisément de les faire connaître,
mais que nous les connais-
Horizons Lit.
8zHORIZONS LITURGIQUES
sons à peine. Il semble que l'Église, en nous les présentant, nous donne des noix, mais elle ne les
casse pas. Nous connaissons la fable. Faisons-en notre profit.
Voici par où nous aurions dû commencer. Mais l'aurions-nous aussi bien compris ?
Le Missel présente l'ordinaire invariable de la Messe, encadré par le Propre du Temps jusqu'à
Pâques, puis de Pâques à la fin du Temps qui suit la Pentecôte. Enfin le Propre des Saints, les Com-
muns et les Messes votives.
Le Bréviaire, qui pour la commodité se divise en quatre ou cinq volumes, a dans chaque saison la di-
vision du Missel en Ordinaire avec le Psautier, Propre du temps, Propre des Saints et Communs.
Le Rituel renferme les rites des Sacrements administrés par les Prêtres, les Funérailles, les Proces-
sions et les Bénédictions.
Le Pontifical est le Rituel des Évêques. Un premier volume traite des Sacrements et bénédictions
des personnes; un second, des choses églises et mobilier; un troisième, de quelques circonstances et bé-
nédictions qui s'y rattachent.
Le Cérémonial des Évêques n'est pas réservé à ceux-ci. Il intéresse non seulement les cathédrales
mais les grandes églises.
Le 1VIartyrologe est un appendice du Bré-
VUES D'ENSEMBLE83
viaire. Il contient la nomenclature des Saints canonisés qu'on lit à l'office de Prime.
Tel est le code du culte officiel de l'Église. Que de générations se sont sanctifiées en lisant ces pages
et en profitant de leur contenu! Ces formules précieuses encadrent les Saints Mystères depuis le temps
des grands martyrs. Nous vivons en communion avec les premières générations chrétiennes qui nous
les transmettent avec l'apport successif des siècles pour que nous en profitions avant de les passer à nos
successeurs. L'Église a la garde de ce trésor, incomparable monument du simple point de vue de l'art,
de l'histoire et de la tradition. Puissent les fidèles s'y intéresser, s'y instruire, et, s'en édifiant, devenir
meilleurs ! Tous nous avons là un instrument de conversion plus ou moins radicale, selon l'état de nos
âmes. Il semble presque impossible de rester insensibles à ces formules mises en oeuvre par l'action li-
turgique. Il faut, si on les prend vraiment au sérieux, éviter tout sacrilège et, d'un coeur bien préparé,
s'approcher de Dieu.
DEUXIÈME PARTIE
PRATIQUE ASCÉTIQUE
21
DE LA LITURGIE
CHAPITRE I
L'ANNÉE LITURGIQUE
Pouvons-nous penser qu'en un si petit volume nous ayons pu donner une idée suffisante du culte de
l'Eglise ? Si nous voulions résumer nous dirions que nous avons désiré seulement le définir, donc le dé-
limiter, en signaler les manifestations, les centrer autour du sacrifice de la Messe, indiquer enfin où se
trouvent les données du problème pour ceux qui sont mis en goût de le résoudre. Chemin faisant nous
n'avons pas fait que de la théorie mais déjà suggéré quelques explications. Trop sommaires, ces expli-
cations ne peuvent plaire qu'aux initiés et puisque la messe et l'office s'inscrivent dans le cours de l'an-
née liturgique pour la marquer de leur empreinte, il ne paraît pas inutile, après avoir parcouru l'en-
semble, de revenir à cette année liturgique, d'en suivre les grandes lignes et parfois d'en aborder les
textes d'un peu plus près. C'eût été, semble- t-il, le développement normal du chapitre IV
88HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 89
ou La Liturgie dans le temps, mais, placée ici, cette seconde partie bénéficiera de la première, de la
vue d'ensemble qui ne pouvait exister de même manière avant les chapitres sur les églises, la messe et
l'office divin. L'insistance que nous semblons mettre, et que nous mettons, nous paraît opportune en un
temps où l'on doit sentir le besoin de considérer autre chose que la matière et le terre à terre, sous peine
de s'enliser dans la honte et le malheur.
Les hommes d'aujourd'hui se contentent de vivre l'année profane et civile, tandis que l'année ecclé-
siastique et spirituelle ne fait pas impression. La vieille année s'en va sans bruit dans l'éternité; la nou-
velle fait sans bruit son apparition avec le premier dimanche de l'Avent. A peine y pensent les chré-
tiens. Or, pour un chrétien, dit Parsch, « une année ecclésiastique est un véritable chapitre de la vie de
son âme ». C'est « une année de la vie du Christ mystique. Le Sauveur a vécu environ trente-trois ans
de vie terrestre; le Christ mystique vivra je ne sais combien de milliers d'années, il vivra dans notre vie
spirituelle je ne sais combien de dizaines d'années. Mais alors une année ecclésiastique est quelque
chose d'important, quelque chose de saisissable, quelque chose de réel, une période de vie que la Sainte
Eglise, notre Mère spirituelle, nous trace; c'est une année d'apprentissage à l'école de Dieu. Nous de-
vons estimer l'année ecclésiastique plus que l'année civile ».
Nous l'avons dit, le premier de l'an a quelque chose d'arbitraire; un jour se joint aux autres comme
les anneaux d'une chaîne, l'année est un cercle sans fin. Pas de solennité spéciale pour le jour qui clôt
une année, mais un renouveau, cette grande idée chrétienne de l'homme nouveau; car, à chaque nou-
velle année, il s'agit de réparer et de progresser; on n'a jamais épuisé les trésors de grâces de l'année li-
turgique.
Je me figure volontiers l'Église maniant un prisme pour décomposer les couleurs. Le mystère du
Christ est éblouissant. L'absorber d'un seul coup est aveuglant, mais il s'insinue par les différents as-
pects que lui donnent les teintes ecclésiales : le violet de l'attente et de la pénitence, le vert des espé-
rances et des résultats obtenus, la lumière et l'éclat des mystères joyeux et glorieux, l'éclipse du deuil et
de la mort; le rouge de l'amour et du sacrifice. Quelques fêtes recomposent la lumière concentrée du
prisme après la célébration chronologique des autres, c'est, par exemple, la fête du Sacré-Coeur; mais
serait-elle assimilable sans la célébration des anniversaires qui montrent, dans le détail et avec les pré-
parations nécessaires, les différentes phases et les divers aspects du divin amour ?
L'année liturgique peut être comparée à un
goHORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 91
terrain aux couches géologiques d'inégale antiquité, d'inégale fermeté. Les noyaux primitifs
émergent les premiers : •c'est avant tout Pâques, Ascension, Pentecôte. A ces grandes fêtes une prépa-
ration et après la célébration une action de grâces qui les continue. Ces fêtes sont des tout premiers
temps et le Dimanche continue Pâques. Chaque offrande du divin Sacrifice n'est-il pas aussi une
Pâque ? Un autre îlot achevé au Ive siècle a pour sommets, Noël et l'Épiphanie. L'Avent paraît au Vile
siècle. Il est plus court que le Carême. L'action de grâces est souvent raccourcie par l'approche de
Pâques. Ainsi l'Incarnation est fêtée comme la Rédemption. Autour de ces îlots primitifs les temps
22
après l'Épiphanie et après la Pentecôte se meublent peu à peu et les derniers dimanches de l'un et l'autre
Temps ont des lectures interchangeables. Leur caractère est moins accentué mais ce serait une erreur de
croire qu'ils ne constituent qu'un remplissage et peuvent avec avantage être dissimulés par les fêtes des
saints. Le temps après la Pentecôte comprend de vingt-trois à vingt-huit dimanches. Par son étendue et
ses caractères, il forme véritablement la seconde partie de l'année chrétienne.
Ces deux parties, en effet, présentent des aspects différents. La première, Avent-Pentecôte, offre un
caractère historique; la seconde,
Pentecôte-Avent, un caractère épisodique; dans la première, se célèbrent surtout des anniversaires,
dans la seconde, des solemnités votives. Dans la première, le Christ est considéré dans ses relations
avec l'histoire antérieure du genre humain et dans sa vie terrestre. Dans la seconde, l'unité vient d'un
même idéal toujours médité par des retours à l'Évangile, aux miracles, aux paraboles, aux attitudes, aux
gestes, aux paroles du Sauveur. Dans la première partie nous contemplons le Christ héroïque, avec les
grands traits de la Rédemption; dans la seconde, la vie de l'Église, le Christ commandant à tous les
temps, sa vie se réalisant par l'accomplissement du salut des âmes. La première partie montre des
temps définis, tranchés; la seconde est comprise entre deux dates certaines : Pentecôte, Jugement final;
mais, si nous avons la certitude de la fin, nous vivons dans l'incertitude de l'heure présente; nous ne sa-
vons ni le jour ni l'heure de notre mort et de la fin du monde. De là un caractère imparfait, provisoire,
indéfini avec des changements et de la monotonie, avec des progrès et des reculs, des grandeurs et des
insignifiances, des joies et des épreuves, des imprévus et des recommencements : « il est impossible
qu'il n'arrive pas de scandales » dont l'expérience doit être salutaire au point qu'il ne faut pas s'étonner
de certains récits et certaines scènes narrées par la Liturgie
92HORIZONS LITURGIQUES
des mois d'été ou d'automne. Dans la première partie, des observances rituelles et disciplinaires sont
obligatoires. Elles doivent servir d'entraînement et de modèle pour la seconde partie, alors que la vie
individuelle ascétique est plus libre, si l'on excepte les Quatre-Temps, et les Vigiles, répliques du grand
Carême de Pâques. Enfin le culte des saints est plus développé dans la seconde partie. Malgré les privi-
lèges des dimanches plusieurs fêtes s'y font jour et des octaves prolongent certaines solennités.
De ces considérations préliminaires ressort déjà l'idée que cet itinéraire annuel que nous présente
l'Église est vraiment salutaire pour nos âmes. On comprend que le livre de l'Imitation de Jésus-Christ
en ait prôné la valeur en disant : « Autour des principales fêtes renouvelons nos bons exercices. Allons
de fête en fête comme devant parvenir, en quittant ce monde, à la fête éternelle. Aussi devons-nous
profiter des temps de dévotion pour nous conduire avec plus de ferveur et vivre plus strictement en
pensant à la récompense de notre labeur. Bienheureux, dit l'Évangéliste saint Luc, le serviteur que le
Seigneur en venant trouvera vigilant. En vérité, il l'établira sur tous ses biens ». Et la même Imitation
reconnaît l'importance de la Liturgie pour tendre, selon son ascétique, à la liberté d'âme par la simplici-
té d'intention, discipline de l'esprit, et par la
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 93
pureté d'affection, discipline du coeur, c'est le développement de la prière qui précède l'office : illu-
minez mon intelligence, enflammez mon amour. Qui ne voit dans l'année liturgique la réalisation de ce
programme ?
L'Incarnation est cette illumination avec l'étoile de l'Épiphanie et la lumière de la Chandeleur : Lu-
men ad revelationem gentium.
La Rédemption est la preuve de l'amour qu'il faut suivre jusqu'au sacrifice sous l'influence du Saint-
Esprit.
Le mot de saint Jean-Baptiste est un magnifique résumé de toutes ces considérations « Voici
l'agneau de Dieu », c'est l'Incarnation; « il ôte le péché du monde », c'est la Rédemption.
Le fruit de cette ascèse, c'est la paix. La paix est proposée aux hommes de bonne volonté par les
anges de Bethléem; elle est donnée par le Sauveur ressuscité, mais à ses disciples. Le Saint-Esprit l'af-
fermit et le garantit. Ainsi l'F,vangile de la Pentecôte.
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 95
prépare à trois sortes d'avènements : les avènements passés : il faut s'en souvenir; les avènements
présents : il faut y penser; les avènements futurs : il faut les prévoir et les préparer.
23
Les premiers se rapportent à Noël; mais il faut bien voir que les textes ne s'arrêtent pas là et qu'ils
aboutissent à l'épanouissement de Noël, à l'Épiphanie.
Les seconds concernent la grâce. Les troisièmes le jugement.
Le premier avènement fut humble et caché; le second est intérieur et plein d'amour; le troisième sera
éclatant et terrible.
C'est ce que saint Bernard appelait les avènements pour l'homme, dans l'homme, contre l'homme.
Et remarquez qu'en parlant des avènements passés l'Église envisage non seulement Noël et l'Épipha-
nie, mais toute l'oeuvre divine depuis la Création : Creator aime siderum. Elle ne sépare pas l'Incarna-
tion qu'elle fête, de la Rédemption pour quoi elle a lieu. Ainsi l'Épître et la Collecte de la Vigile de
Noël. Mais il est bien vrai que, tout en donnant cette ampleur aux avènements passés, elle s'approche
avec gradation de la Sainte Nuit de la Nativité « le Roi viendra, le Seigneur est proche, aujourd'hui
vous saurez qu'il vient et le matin vous contemplerez sa gloire ». Ainsi chaque texte de l'Avent nous
amène normalement à Noël,
CHAPITRE II
L'AVENT
L'Avent, qui veut dire arrivée, avènement, est plutôt la préparation à cette venue. Cette saison, la
première de l'année chrétienne au point de vue chronologique, peut commencer du 27 novembre au 3
décembre et comprend de trois à quatre semaines avec quatre dimanches, mais la dernière semaine peut
se borner au dimanche qui se confond alors avec la Vigile de Noël.
Extérieurement, la couleur violette est arborée pour les offices du temps. Sous l'influence gallicane
l'Avent est devenu de plus en plus un temps de pénitence, bien que le jeûne n'existe plus que pour les
Quatre-Temps et la Vigile de Noël. Pourtant les antiennes et
alleluia rappellent la montée joyeuse vers Bethléem.
Ce serait restreindre la portée de l'Avent que d'en faire une simple préparation à Noël. Il est cela,
mais encore autre chose. L'Avent
96HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 97
en même temps que s'écoulent les jours.
Combien l'avènement de la grâce est favorisé par ces exhortations pressantes ! Combien alors Noël
deviendra Noël pour nous!
La pensée du Jugement, exposée par l'Évangile du premier dimanche, ne quitte pas, parallèlement,
l'Église dans ses préoccupations. Les hymnes comme les répons parlent du « Juge du grand jour », et
nous n'avons pas seulement à considérer la fin des temps, mais la fin de notre vie. L'Avent est la saison
liturgique qui demeure immuable en nous; nous vivons en un perpétuel Avent. Toute l'attitude d'âme
que l'Église veut nous suggérer avec ce mélange de componction, de crainte, comme d'espérance et de
joie, se trouve résumée dans l'oraison de la Vigile : « Seigneur, vous nous réjouissez annuellement par
l'attente de la rédemption, faites que nous voyons en sécurité comme Juge celui qu'aujourd'hui nous al-
lons recevoir, joyeux, comme Rédempteur, le même Jésus-Christ votre Fils ».
De qui tenons-nous le Rédempteur ? de Notre-Dame. Aussi le temps de l'Avent, auquel s'ajoute le
temps de Noël, est, si l'on peut dire, le vrai mois de Marie. L'Avent c'est, comme le disait Durand de
Mende, une vaste Annonciation, le temps de l'Ave Maria, inscrit aux répons de l'office dès le premier
dimanche. Lisez le Bréviaire et le Missel, les messes du mercredi et du vendredi des Quatre-Temps,
celle du 4e dimanche, la messe du samedi, la messe de la Vigile de Noël, etc., vous constaterez la pré -
occupation mariale de l'Avent.
Un autre personnage, le plus excellent des saints, comme dit l'Imitation, se dresse devant nous pen-
dant l'Avent. C'est le Précurseur du Seigneur, saint Jean-Baptiste. Chaque jour le verset de Laudes rap-
pelle sa prédication. N'a-t-il pas été envoyé « afin que tous crussent par lui »? L'Église, dans sa mise en
scène, le représente déjà grand avant la naissance du Sauveur, et son témoignage nous est donné le
deuxième, le troisième et le quatrième dimanche; mais chose curieuse, à l'inverse de la chronologie.
Nous le voyons d'abord en prison, sur la fin de sa vie, puis révélant le Messie, enfin nous entendons
l'annonce solennelle de sa mission. Chaque dimanche une parole caractéristique. Le second dimanche :
« Est-ce vous qui devez venir ou devons-nous en attendre un autre ? » En conscience nous devons ré-
24
pondre à cette question. Le troisième dimanche : « Il en est un au milieu de vous que vous ne connais -
sez pas ». Et nous pensons que Jésus est, en effet, au milieu de nous par sa doctrine, ses ministres, son
Eucharistie. Le connaissons-nous vraiment, ce méconnu, cet inconnu à quelque titre, de tout le
monde ? Enfin le quatrième dimanche nous entendons la parole conso-
Horizoms Lit.7
98HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 99
lante : « Toute chair verra le salut de Dieu ».
La sanctification de Jean, notre Précurseur aussi, par le ministère de Marie, nous est rappelée le ven -
dredi des Quatre-Temps avec la scène de la Visitation.
Une grave lacune subsisterait en parlant du temps de l'Avent si nous ne faisions pas avec l'Eglise
une part très grande au prophète Isaïe. Nous ne fréquentons pas suffisamment les personnages de l'An-
cien Testament; et cependant, depuis le premier jour jusqu'à la Vigile de Noël, l'Eglise fait lire Isaïe.
Elle lui emprunte bien des textes pour la messe. Chaque jour elle récite le Rorate coeli, devenu popu-
laire comme chant de l'Avent, et le premier répons au Bréviaire de l'Année ecclésiastique a eu sa célé-
brité et mérite un souvenir : c'est le fameux « aspiciens a longe » dramatisé par la Liturgie.
On a eu raison de parler de la Trilogie de l'Avent et de représenter dans un tryptique Isaïe, Jean-Bap-
tiste, Marie. Marie est au centre comme une aurore brillante, Jean-Baptiste sur les bords du Jourdain
aux premières lueurs qui annoncent le jour, et, sur le volet de gauche, Isaïe a le regard exténué par l'at-
tente.
Avec ces considérations prenons donc les livres liturgiques. Arrêtons-nous aux premiers mots du
Missel : Ad te levavi animam meam. Vers vous, Seigneur, j'ai élevé mon âme. Continuons à lire, à
chanter « Montrez-moi vos voies », et ainsi de suite jusqu'à la sainte nuit. Au milieu de l'Avent le di-
manche Gaudete trompera notre attente, les Quatre-Temps la sanctifieront davantage, les antiennes 0
exprimeront nos saints désirs du Rédempteur.
Veut-on approfondir ce qui précède ? Qu'on relise les textes et qu'on les étudie, ou bien séparément
ou bien rapprochés dans le même office, ou se faisant suite; par exemple, les introïts des dimanches, les
antiennes de communion des dimanches et Quatre-Temps jusqu'à la Vigile de Noël, les postcommu-
nions. Qu'on médite les psaumes se rapportant à l'Avent, l'ad te levavi, le Benedixisti. Alors Noël sera
pour nous Noël.
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE Toi
CHAPITRE III
NOËL ET ÉPIPHANIE
Il peut paraître étrange à des profanes de voir mettre sur le même rang ces deux fêtes et même de
soutenir que l'Epiphanie donne à Noël toute sa solennité et tout son sens. La poésie de la Crèche séduit
avec raison, et, pour ceux qui n'ont pas suivi de près la préparation de l'Avent, la crèche seule compte.
L'esprit de Noël qu'il sied d'acquérir est fait de douce joie et de confiance, joie plus intime qu'à Pâques
où elle est plus éclatante, qu'à l'Ascension où elle est plus triomphale, qu'à la Pentecôte où elle est plus
ardente. Le mot de l'Introït de la Messe du Jour la résume : Parvulus, un tout petit. C'est un bouquet
spirituel.
Nous ne pensons pas que la Liturgie doive enlever quelque chose à ce charme, si accessible à une
dévotion même un peu superficielle, mais elle doit extraordinairement l'amplifier en répondant à la
question qui se pose : quel est ce tout petit ? D'où vient-il ? Que vient-il faire ?
Pourquoi, en définitive, tant de joie sur son berceau ? Que peut-on attendre de lui si frêle et si pauvre
? Avec l'Evangile la liturgie répond en empruntant la voix des anges : « parce qu'il nous est né aujour -
d'hui un Sauveur qui est le Christ Seigneur ». Donc un frère, s'il est né comme vous; un ami, pour vous;
un Sauveur dont l'oeuvre si nécessaire et si désirée, si légitime, si bienveillante, si salutaire, va s'ac -
complir et commence à présent : aujourd'hui. Et c'est le Christ-Roi.
Aujourd'hui, il apparaît sous ses haillons d'esclave, mais, pour pénétrer au coeur de ce mystère, al-
lez, pour une fois, prendre part aux Vigiles qui dans les cathédrales et dans les monastères précèdent la
messe de minuit. Après seulement vous écouterez les accords des musettes et des hautbois qui ré-
sonnent à l'heure des Laudes. Ces accords prendront tout leur sens.
25
A ces Vigiles, un Invitatoire triomphal a retenti : « Le Christ nous est né; venez, adorons- le; puis
l'Hymne entendue dès la veille qui sera reprise aux secondes Vêpres et dont la doctrine va immédiate -
ment être développée dans les trois nocturnes. Au premier nocturne, la première antienne nous fait
contempler la génération éternelle du Verbe : Le Seigneur a dit : Vous êtes mon Fils; la seconde, repré-
sente ce Fils s'élançant pour prendre sa course :
102HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 103
c'est l'Incarnation; la troisième, nous montre sur terre le plus beau des enfants, et, au milieu de ré-
pons magnifiques, la voix d'Isaïe, notre prophète d'Avent, se fait entendre, interprète du Sauveur : «
moi qui parlais me voici.., un enfant nous est né, un petit nous est donné, et on l'appellera l'admirable,
Dieu, le Père du siècle futur, le prince de la Paix ». Voilà donc d'où vient cet Emmanuel, Dieu avec
nous.
La seconde étape de la sainte Veille nous fait progresser davantage : « Nous avons reçu votre miséri-
corde au milieu de votre temple ». Cette miséricorde, c'est Lui, et nous savons pourquoi. Ce temple,
c'était Bethléem; en droit c'est le monde, et cependant il est écrit le monde ne l'a pas connu. Ce Temple
ce doit être nous. Pourtant la seconde antienne donne les résultats possibles de sa venue : « la justice et
une abondance de paix ». La troisième antienne nous dit pourquoi : « la vérité est sortie de la terre, et la
Justice l'a considérée du haut du ciel ». Qu'est-ce à dire, sinon que la Justice c'est le Père qui est dans
les cieux, justice qui sera, un jour, satisfaite après la venue de cet enfant tout prêt au sacrifice, seul
digne de l'offrir pour ses frères dans la vérité qu'il est lui-même comme Verbe de Dieu.
Aussi, au début de la troisième étape précédant immédiatement l'accomplissement des saints mys-
tères, ces mystères qui vont renouveler le divin sacrifice, la magnifique parole extraite du psaume des
miséricordes est entrecoupée de l'alleluia de la résurrection. «Il m'invoquera, alleluia, Vous êtes mon
Père, alleluia ». C'est donc vrai : il nous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Lui, notre frère,
dit mon Père, sur la terre où il est venu, et il nous dira : vous prierez ainsi, vous direz : Notre Père.
L'adoption divine, que pouvons-nous rêver de mieux ? La messe de minuit redira à la fois l'éternelle
naissance et la naissance misérable de Bethléem. Les Nocturnes nous auront fait mieux saisir quelque
chose de ces divines antithèses. La Messe de l'Aurore projettera sa clarté pour nous faire jouir de l'éter-
nelle lumière, et celle du jour nous fera prosterner aux mots de l'Évangile. « Le Verbe s'est fait chair et
il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire ». Cette gloire pourtant, Noël a l'impression de l'avoir
à peine fait soupçonner, l'F,piphanie y insistera davantage. Noël passée doit se prolonger, se dévelop-
per, s'épanouir.
Nous avons signalé quelques passages de l'office de Noël. Lisons donc les autres et continuons ainsi
pour les jours qui suivent. En ces jours s'accumulent les fêtes des saints. Il est voulu ce cortège auprès
de l'Enfant-Dieu. Le premier des Martyrs, l'apôtre bien-aimé, les Saints Innocents, viennent tour à tour
confesser le Christ. Saint Étienne ne cesse de discourir.
104HORIZONS LITURGIQUESPRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 105
Saint Jean écrit, les Saints Innocents ne parlent pas : non loquendo sed moriendo confessi sunt. Le
rouge du martyre paraît déjà au lendemain de Noël, et, après l'éclat du blanc porté par le seul apôtre, le
violet reparaît parce que, à peine né, le Sauveur a dû fuir en Egypte : il est venu pour mourir.
Venu aussi pour ressusciter, pour monter au ciel, puisque sa résurrection, son ascension sont causes
(non pas méritoires, certes, ceci appartenant uniquement à sa mort) mais causes exemplaires et effi-
cientes de notre résurrection spirituelle et corporelle, et de notre montée au ciel.
Jadis d'autres saints avaient leurs fêtes dans l'octave de Noël. A ces trois principaux s'ajoutent en-
core, avec une moindre solennité, saint Thomas de Cantorbéry et saint Sylvestre, le Pape du triomphe
du Christianisme.
Mais le jour le plus solennel, c'est le jour même de l'Octave, et, puisqu'on réunissait autour de la
Crèche la mémoire des disciples, il était juste que le principal souvenir fût accordé à la Vierge Mère.
Le premier janvier est, à vrai dire, une Commémoraison solennelle de Notre- Dame, ainsi qu'en té-
moignent la station et l'oraison. L'Evangile est de la Circoncision dont c'est l'anniversaire et il men-
tionne l'imposition du Nom de Jésus, qui fait l'objet d'une fête votive remise au lendemain ou au di-
manche suivant.
26
Mais la Liturgie nous dirige vers d'autres sommets. Historiquement l'Epiphanie est la Noël grecque.
A la fin du Ive siècle les deux usages étaient adoptés : Noël en Orient, l'Epiphanie en Occident; Noël
réservé à la célébration de la naissance, l'Epiphanie à la manifestation de la divinité de l'Enfant Dieu,
ou plutôt aux manifestations, car, fête moins facile à saisir, l'Epiphanie groupe l'adoration des mages, la
théophanie du baptême et le premier miracle à Cana, bien que la mémoire du Baptême, si célébrée par
les Orientaux, soit un peu reléguée au jour Octave, et le miracle de Cana au deuxième dimanche après
l'Epiphanie.
Si l'on se souvient des textes de l'Avent on voit mieux l'harmonie générale du cycle de l'Incarnation,
préliminaire de celui de la Rédemption. Le Roi qui devait venir est fêté à l'Épiphanie plus qu'à Noël et
nous transcrivons quelques paroles de l'office et leur commentaire qui étonnent notre piété contempo-
raine alors que les fidèles, sans approfondir le mystère, connaissent l'Epiphanie surtout par le gâteau
des Rois. Qu'importe, en effet, que Jésus soit né, que l'Évangile même ait été déjà annoncé, fût-ce par
des anges, si ce n'est qu'à des bergers de Bethléem, si Israël seul a connu son Sauveur ? La Rédemption
est universelle et doit être promulguée à tous,
o6HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE io7
et c'est le sens de la fête de l'Épiphanie dont les lectures et les chants, d'un enthousiasme et d'un ly-
risme incontestables, semblent, plus que ceux de Noël, la réponse aux antiennes de l'Avent. Cette ma-
nifestation authentique accréditant le Sauveur a un caractère social et public qui en fait une très grande
fête reconnue par les Conciles, par exemple en 604. « D'une certaine manière la fête d'aujourd'hui l'em-
porte sur Noël. Plus grande, en effet, dit saint Augustin, est cette seconde naissance que la première. La
première était charnelle, celle-ci est spirituelle ».
L'octave de l'Epiphanie est d'une spéciale solennité; elle souligne ainsi le caractère exceptionnel de
la fête pour prolonger nos méditations; si l'on excepte l'intercalation moderne de la fête idyllique de la
Sainte Famille, cette octave n'est surpassée que par celles de Pâques et de la Pentecôte. De nos jours,
on y a assimilé celle du Saint Sacrement.
Après Noël les bergers sont retournés à leurs bêtes : ont-ils oublié le Sauveur ? On ne voit pas que
Bethléem ait rendu d'hommages au Fils de David. La Liturgie pour chanter le Sauveur naissant a dû
faire appel à des voix d'autres contrées et d'autres âges. Continuons à rendre grâces de la venue de
l'Emmanuel.
L'Epiphanie annonce Pâques dont la date mobile est proclamée en ce jour.
Les dimanches après l'Epiphanie nous font quitter les hauteurs et nous demeurons dans la plaine au
milieu des verts pâturages, recueillant ce qui tombe de la bouche de Dieu, suivant l'expression de l'an-
tienne de la Communion, dans le sentiment d'adoration exprimé par les Introïts.
Depuis le jour octave, la vie publique du Sauveur est commencée; la manifestation trinitaire a eu
lieu, provoquée par le geste du Précurseur. Notre prédicateur d'Avent a reparu sur la scène. L'Agneau
de Dieu est désigné. Il s'achemine vers « son heure ».
Cependant une chronologie de l'Incarnation continue à s'établir avec ses dates entremêlées avec
l'autre. Quarante jours après Noël, le cycle de cette fête qui semblait clos avec l'Épiphanie, jette la
lueur de la Chandeleur. L'idée de l'Epiphanie prend un autre aspect et le « signe de contradiction » qui,
au dire de Siméon, est le propre même du Sauveur, brille dans le temple de Jérusalem avant d'y revenir
pour offrir son sacrifice. La bénédiction et la procession des cierges offre un symbolisme d'une leçon
que l'Eglise veut signaler à notre dévotion.
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 109
CHAPITRE IV
LA SEPTUAGÉSIME
La fête de Pâques est mobile, car elle est fixée d'après le mois lunaire. On voudrait lui enlever cette
spécialité pour des raisons de commodité, peut-être pour d'autres. Cela regarde l'Eglise qui jusqu'à pré-
sent a maintenu ce caractère non seulement d'anniversaire mais d'événement actuel dont on peut, l'an-
née suivante, célébrer précisément l'anniversaire. Les fêtes pascales sont, chaque année, comme le
centre de l'action de la grâce dans le monde. Aussi Pâques est appelée officiellement par le Martyro-

27
loge la fête des fêtes, la solennité des solennités. Et il y a des chrétiens qui ignorent que c'est la plus
grande fête de l'année!
Pâques a lieu entre le 22 mars et le 25 avril. Sa préparation débute à la Septuagésime, dont le di-
manche se situe entre le 18 janvier et le 22 février, dates des fêtes des Chaires de saint Pierre. On les
appelle, pour ce motif, les clefs de la Septuagésime.
Début du cycle pascal, le Temps de la
Septuagésime précède la préparation immédiate qui est le Carême; c'est le temps le plus court, mais
on conviendra de son importance. Ces deux considérations permettront d'en donner une explication
plus détaillée.
Nous avons dit ailleurs comment l'Église, tout en fêtant les anniversaires, usait d'une grande liberté
avec la chronologie pour présenter une mise en scène utile aux âmes. De même que la prédication de
saint Jean-Baptiste précédait Noël, nous voici, après l'Epiphanie, revenus aux premiers jours du monde.
Le dimanche de la Septuagésime, c'est le début de la Bible, le livre de la Genèse qui est posé sur le pu-
pitre du Lecteur.
Ascétiquement, nous l'avons dit, le cycle pascal ou de la Rédemption se rapporte à la pureté d'inten-
tion, comme le cycle de Noël, ou de l'Incarnation, se réfère à la simplicité d'intention. Après avoir
connu « si vraiment nous cherchons Dieu », comme dit saint Benoît dans sa Règle, nous nous « préoc-
cupons de le servir et de lui obéir jusqu'aux humiliations ». La Règle de saint Benoît demande ces dis-
positions à ses novices. Comme elle est, nous dit Bossuet, un admirable précis du christianisme, et qu'il
n'y a qu'une vie chrétienne, elle peut donc nous donner d'utiles leçons.
Le dimanche dans l'octave de l'Épiphanie, l'Eglise, dans sa collecte, nous montrait la
zroHORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE III
transition entre voir et agir, les idées et les moeurs. Dans la pratique, comme dans l'année liturgique,
les deux choses se pénètrent : au temps de Noël nous n'étions pas exempts d'efforts; au temps du Ca-
rême, il faudra continuer à s'instruire. Mais l'accent est placé désormais sur l'urgence du sacrifice.
Le temps de la Septuagésime est le temps des grandes réflexions qui précèdent les grandes résolu-
tions.
Le Carême, nous le verrons, est un temps de retraite. Comme on n'entre pas en retraite d'un coup, les
trois sommations des dimanches qui la précèdent doivent nous y préparer. Dans ce coup d'oeil prélimi-
naire, il est bon de remarquer que le cycle pascal a deux aspects et que le Christ n'est mort que pour
ressusciter, que si deux mois entiers nous mènent au Vendredi-Saint, deux autres mois chantent le
triomphe de Pâques; mais que pour goûter ce triomphe, le Carême est nécessaire, car si la vie chré-
tienne est une joie, il faut savoir s'imposer des privations même de saines distractions pour la goûter.
C'est le sens de la déposition de l' Alleluia au dimanche de la Septuagésime.
Pour suivre l'Avent nous nous étions aidés de la vue d'un triptyque. Dom Lambert Beauduin nous en
a peint un autre pour le Temps qui nous occupe. Admirons-le et profitons-en. « Au centre, le Christ
prêchant et guérissant les malades, sans oublier dans la pénombre quelques pharisiens envieux qui font
penser aux luttes prochaines : c'est le caractère christologique du temps.
Au volet de droite, une série de scènes symbolisant le travail intérieur qui doit s'accomplir en nous
sous l'influence de cette saison liturgique : le vignoble en pleine activité, les semailles sur un sol ro -
cailleux, les luttes du Cirque, l'aveugle qui pousse son plaintif Kyrie eleison, le tout sous un ciel chargé
de nuages, sans doute, mais aussi avec son soleil : c'est le caractère mystique ou ascétique du Temps.
Enfin, au volet de gauche, les événements du livre de la Genèse qu'on ouvre aujourd'hui à Matines :
l'origine du monde, la défaite du fondateur de l'ancienne humanité, la lignée des patriarches : No, Abra-
ham, toutes ces figures du nouvel Adam qui commence l'oeuvre gigantesque de la fondation d'une hu-
manité régénérée : c'est le caractère figuratif du Temps ».
En raccourci, le premier dimanche, c'est l'invitation, le deuxième, c'est la tâche, le troisième, le but :
l'illumination : ouvriers de la vigne, semence, guérison de l'aveugle, annonce de la Passion sont les épi-
sodes principaux.
Un mot de chacune des trois messes.
Le dimanche de la Septuagésime, c'est le dimanche d'Adam. Sa chute a amené notre
28
112HORIZONS LITURGIQUESIPRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 113
condamnation à la mort et au travail. L'Église demande la courageuse contemplation de nos misères.
L'Introït s'efforce de dépeindre par ses mélodies l'enlacement des douleurs de la mort. La phrase musi-
cale est alourdie à plaisir, d'un dessin aux lignes atténuées, aux contours tristes et monotones avec des
retours mélodiques identiques, mais quelle assurance à ces mots : « mais dans ma tribulation, j'ai invo-
qué le Seigneur, et, de son temple, il a entendu ma voix ». Celui qui gémit, c'est Adam, c'est nous, c'est
le Christ pour nous.
Qu'elle est instructive et féconde la Collecte de ce dimanche! Elle montre toute la supériorité de la
prière liturgique. « Nous sommes affligés pour nos péchés, c'est justice; nous en sommes délivrés, c'est
miséricorde ». Et, sans doute, une âme, dans sa prière individuelle, tout en demandant la délivrance et
recourant à la confession par exemple, se fut contentée, par un retour sur elle-même, de remercier Dieu
du soulagement de son aveu et du pardon obtenu. Mais ici nous sommes emportés plus haut, nous de-
mandons la délivrance « pour la gloire du nom de Dieu », voilà la piété désintéressée à laquelle nous
conduit la prière de l'F,glise; c'est la recommandation des maîtres de la vie spirituelle, l'ad majorem Dei
gloriam de saint Ignace comme la consigne de saint Benoît « qu'en toutes choses Dieu soit glorifié ».
A l'Épître, saint Paul donne le signal de la lutte, empruntant un exemple à la chronique sportive du
temps. Cette leçon a déjà une saveur quadragésimale. Elle contient un avertissement aux individus pour
se mettre à l'unisson, comme membres : « Tous avaient été sous la nuée ». Tous les chrétiens profite-
ront-ils du Carême qui vient ? Le De profundis du Trait rappelle la chute. L'Évangile des conviés au
travail de la vigne reçoit des exégètes les plus précieux développements. Etre oisif, faire rien ou faire
des riens ! Renvoyons aux commentaires.
L'Offertoire si simple rappelle le devoir élémentaire de louer Dieu. Après la Communion nous de-
mandons de faire reluire en nous la ressemblance avec la face du Christ que Dieu avait en vue en
créant le premier homme, ressemblance caricaturée par le péché, mais restaurée par l'Eucharistie.
A titre d'exemple, nous nous sommes arrêtés à quelques textes de la messe de la Septuagésime. Au
dimanche suivant, appelé Sexagésime, par analogie plutôt que par exactitude mathématique, nous nous
rappelons le travail ennobli, la lutte nécessaire et notre faiblesse en face des séductions et du découra-
gement. Nous avons un guide, la parole de Dieu; des exemples No ë et saint Paul. Il faut obéir comme
No, savoir attendre le retour de la colombe, être patient comme saint Paul. Après l'Introït,
Horizons Lit.8
114HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE II 5
plein d'audace dans sa mélodie, le Trait qui rappelle le cataclysme du Déluge, l'Offertoire, la fai-
blesse passagère de No, l'antienne de la Communion, assez inattendue à la fin du sacrifice, qui fait allu-
sion peut-être à celui qui fut offert par No ë après le déluge.
Après le dimanche de Noë, le dimanche de la Quinquagésime ou d'Abraham. J'en résumerais la
consigne dans une promesse de fidélité à la Croix. Nous avons constaté notre état de pécheur, nous
avons accepté la lutte, maintenant il s'agit d'être fidèles. Voici Abraham le Grand, comme dit l'Église,
le Père de notre foi. Il lui est ordonné de sortir de son pays, d'immoler son fils; toujours il répond : pré -
sent. Il ne redoute pas la lumière qui lui fait connaître les exigences du Seigneur. Avec lui, avec
l'aveugle de l'Évangile, nous crions : « Seigneur, faites que je voie ». L'Introït a, plus que les deux pré-
cédents, une allure sereine; il montre une confiance plus raffermie; le début de la mélodie respire la
paix, presque une tendre piété qui se nuance de joie parce que le Seigneur est un guide sûr qui conduit
au salut. Et voilà que le Trait parle encore de joie, la joie d'entrer en Carême dans la semaine même.
Pourquoi pas ? Puisqu'on aura « vu » ou au moins entrevu les conditions du salut.
Lors de la préparation à Noël, en Avent, nous avons signalé l'utilité des psaumes comme prières,
oraisons jaculatoires et méditations. Nous pouvons ainsi assigner tel et tel psaume à notre dévotion se -
lon les Temps. Nous les trouvons cités au moins en partie dans les textes liturgiques. Choisissons donc
et profitons-en.
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE i17
CHAPITRE V
LE CARÊME
29
S'il existe, au jugement de l'Eglise, un temps liturgique, c'est bien le Carême. Puisque la Liturgie
c'est la Messe, aucune autre saison n'a la richesse d'une messe pour chaque jour. Mais, pour se faire une
idée exacte du Carême, il faut connaître la Liturgie.
Commençons par écouter ce qu'on en dit. La notion première qui vient à l'esprit comporte le mot
jeûne. On dira volontiers : le Carême est un temps de pénitence. Ce n'est pas si mal observé, et pour -
tant, cette notion, à force d'être incomplète, finit par être fausse ou plutôt incomprise. En face de ce mot
jeûne, les incroyants, et même bien des chrétiens, s'écrient: c'est désuet, ou c'est effrayant. Dans tous
les cas, on s'en détourne; je vous laisse à dire les arguments de convenances, de nécessités sociales ou
de santé. Le paganisme ambiant, les relations dans une société qui n'est plus chrétienne, le respect hu-
main, l'horreur de la contrainte et de l'effort, opèrent une mise en garde instinctive contre un jeûne im -
posé par l'Eglise. On n'est plus au temps où de faux dévots affectaient d'observer ces prescriptions ex-
térieures. Quels bénéfices en recueilleraient- ils ? Tout est là pour eux.
Si on lit les textes du Carême on ne peut nier qu'il y soit constamment question du jeûne, et que ce
jeûne n'est guère observé, qu'il admet des dispenses légitimes et qu'ainsi le Carême s'est en allé. Est-ce
vrai ? Nous répondrons immédiatement avec saint Augustin qui nous aidera à situer plus haut la ques-
tion « Quelqu'un dit : Je ne puis jeûner, peut-il dire : je ne puis aimer ». Une fois de plus, en fait de li -
turgie et de prescriptions ecclésiastiques, on s'est arrêté à l'extérieur. Le jeûne, marque du Carême,
étant absent, on s'est imaginé que tout devait tomber.
Le Carême est un temps fait pour aimer, pour savoir aimer, pour réapprendre à aimer. Car on ne peut
vivre sans amour et il s'agit de réapprendre à vivre. Le Carême est la saison modèle, la saison par ex -
cellence de vie chrétienne. Aimer, c'est, bien compris, l'accomplissement de la loi. Il n'y en a pas
d'autre. Celui qui aime selon l'ordre préfère Dieu à tout et met en ordre ses affections. « Celui qui
m'aime, dit le Seigneur, garde mes commandements ». Pour remplir la loi d'amour, il faut obéir, et, vu
le désordre du péché originel, que
18HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 119
nous aggravons par nos fautes, l'obéissance est un labeur. C'est un vrai travail que ce dépouillement
pour nous détourner de l'amour du monde, du monde « ce vaste cimetière » et nous donner l'attrait du
ciel « la terre des vivants ». C'est le travail de la pénitence. Pour nous pécheurs, il n'y a pas de ciel sans
pénitence. Le Carême, temps de vie chrétienne, temps fait pour aimer, est ainsi un temps de pénitence.
Il nous aide à prendre notre ressemblance avec notre Rédempteur. Comme en Jésus, une mort et une
vie doivent s'accomplir en nous. Laisser tomber ce qui n'est destiné qu'à finir et faire transparaître ce
qui doit durer et mérite d'être aimé. Il est dit de sainte Agnès cette belle parole : « Elle a perdu la mort
et trouvé la vie parce qu'elle s'est attachée uniquement à l'auteur de la vie ». La pénitence qui s'accom -
pagne d'humilité et de pureté n'est pas égoïste, elle doit rayonner de charité. Aussi les oeuvres du Ca-
rême sont, avec le jeûne, l'aumône et la prière.
Ce jeûne que nous voyions d'abord tout seul et tout restreint, va devenir praticable pour tous. Il
consistera dans une abstinence plus stricte que de coutume pour réparer, se dominer, s'exercer au
mieux. Il n'est pas seulement une restriction de nourriture, il faut pratiquer le recueillement et un peu le
silence, il prive de paroles et de distractions dissipantes, il établit une garde vigilante autour de l'âme. Il
n'est pas pratiqué par des philosophes mais par des chrétiens. Il est élevé à la hauteur de la croix du
Christ. Quel appréciable bienfait! Au milieu des désordres et des excès d'un paganisme sans frein, l'ins-
tinct qui porte à se tourner vers les forces spirituelles ne fera-t-il pas apprécier la sagesse de l'Eglise et
de sa Liturgie pour le bon équilibre des âmes et des corps ?
Mais la Liturgie n'est pas individualiste. Le Carême ne doit pas être considéré comme un simple
temps de pénitence à pratiquer par chacun. Il est la retraite officielle et authentique de la famille chré-
tienne. Ce n'est pas une retraite fermée de quelques jours. C'est une retraite ouverte de quarante jours.
Ce n'est pas un excitant, un comprimé, une drogue; c'est un fortifiant, un régime auquel on s'habitue.
Longue cette retraite, mais possible, car elle se combine avec les obligations sociales, les occupations
de chaque jour; et l'usage des Stations, inscrites au Missel romain, doit nous faire savoir qu'il faut, pour
ainsi dire, monter la garde chaque jour de la sainte quarantaine auprès du tombeau d'un martyr dans la

30
Ville Eternelle, là où l'Eglise est censée représentée, près du Souverain Pontife, notre chef et notre en-
traîneur.
Nous l'avons dit, aucun temps n'est plus liturgique que celui-ci, car il y a chaque jour
IzoHORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 12T
une messe de Carême. Sans analyser les textes de ces messes nous en suggérerons, pour chaque jour,
un aperçu ascétique pratique, accommodé à la piété d'aujourd'hui. Cela ne dispense pas de lire le Mis-
sel, et, au besoin, ses commentaires.
Auparavant signalons les trois idées maîtresses qui peuvent servir de guides à travers la sainte qua-
rantaine : la préparation pascale, la réconciliation des pénitents, le catéchuménat.
Au premier Dimanche, saint Léon rappelle l'opportunité d'un renouveau spirituel à l'approche des
jours saints de notre Rédemption. Ainsi cette pre'paration pascale est solennelle, à propos, efficace;
cette purification est nécessaire même aux âmes pieuses sur lesquelles se dépose au moins quelque
poussière du monde. Pâques apparaît dès l'abord sous son double aspect : une mort et une vie, passion
et résurrection.
Le Carême, synonyme superficiellement du mot jeûne, est aussi souvent pour des chrétiens dévots
un temps de la Passion. Ce n'est pas tout à fait exact. Le temps de la Passion comprend la dernière
quinzaine du Carême. Auparavant c'est un acheminement. Dans cette lutte entre la lumière et les té-
nèbres, l'Eglise montre le Sauveur attirant la haine à mesure qu'il fait briller la vérité, mais, après la
scène inaugurale de la tentation qui, pour ainsi dire, pose le problème, il faut attendre que l'Eglise, avec
une sagesse de pédagogue consommée, nous mène à « l'heure » tragique du Sauveur.
Un Carême bien fait nous mène à être prêts à fêter Pâques. Pour cela être des pénitents pour rester
des régénérés. De l'ancien rite de l'expulsion et de la réconciliation des pénitents, toujours inscrit au
Pontifical, il demeure, le premier jour du Carême, l'imposition des Cendres; le souvenir d'une disci-
pline pénitentielle abolie ne nous dispense pas de nous considérer comme des pénitents et de profiter
de tant d'oraisons qui nous rappellent notre condition pour nous rendre « capables d'une sainte nou-
veauté ». Qu'elle est belle, en particulier, la Collecte « sur le peuple » du mercredi de la deuxième se-
maine. « 0 Dieu qui êtes le restaurateur de l'innocence que vous aimez, dirigez vers vous les coeurs de
vos fidèles, afin qu'ayant saisi l'esprit de ferveur, ils soient fermes dans la foi et pratiques dans l'action
». Alors le Carême sera bien, selon la belle expression de l'oraison des Cendres, « la sauvegarde de la
milice chrétienne ».
N'oublions pas que bien des textes du Carême ont trait aux Cate'chumènes. A l'occasion de Pâques
le baptême est conféré solennellement aux adultes convertis. C'est le sacrement pascal qui fait passer
de la mort à la vie. Chaque Carême peut très utilement nous faire passer par les épreuves du catéchu -
ménat, instruction,
122HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 123
éducation chrétienne. Il nous fera sentir que le baptême est la cause de notre joie; il nous fera revenir
aux conditions du traité glorieux qu'il nous a fait conclure.
Ainsi, sous ce triple aspect du mystère de Pâques, de la pénitence et du baptême, le Carême se pour-
suivra au jour le jour, comme retraite salutaire prêchée, non par quelque prédicateur bénévole, mais par
la Sainte-Eglise elle-même, avec son incomparable autorité. Suivons donc cette saison modèle. Nous
ne croyons pas en défigurer les pensées en les systématisant pour attirer l'attention. Nous renvoyons
aux Notes plus complètes que nous avons publiées d'ailleurs. Nous voulons seulement indiquer
quelque chose des consignes ascétiques qu'elles peuvent nous présenter.
Voici l'Introduction des premiers jours
MERCREDI DES CENDRES : Jour de Pénitence.
« Épargnez Seigneur, les pénitents ». — Station à Sainte-Sabine. -- Ces bouquets spirituels sont tirés
du Missel. Ps. i pour la communion. Ces psaumes étaient chantés pendant la distribution de la Sainte
Communion. Le premier est un programme de vie chrétienne.

31
Commencer le Carême avec une véritable piété, en fournir la carrière avec une dévotion soutenue
par la grâce. L'Église nous met en face de la mort à accepter comme châtiment du péché. Alors elle
nous convoque aux exercices de la pénitence.
Résolution : Ne pas passer un jour de Carême sans accomplir une mortification déterminée.
Voici maintenant un premier aperçu des oeuvres entretenant la vigilance
JEUDI: Jour de Foi. — « Selon votre foi ». — Station à Saint-G eorges-au-Vélabre. — Ps. 50. — La
prière; ses qualités, en particulier l'humilité; exemples d'Ézéchias et du Centurion.
Résolution : Pratiquer l'esprit de foi dans les exercices de piété.
VENDREDI Jour de Perfection. -- « Soyez parfaits ». — Station à SS.- Jean-et-Paul. — Ps. 2. --
Comment pratiquer le jeûne et l'aumône pour « approcher de Dieu ». L'oeuvre extérieure doit à la fois
manifester les dispositions intimes de l'âme et rendre plus prompte et facile la pratique de la vertu (se -
crète).
Résolution : Accomplir une oeuvre de miséricorde en surnaturalisant son intention.
SAMEDI Jour de Confiance. — « Confiance, c'est moi ». — Station à Saint-Tryphon. — Ps. 2. —
En avant ! courage et confiance. Suivre l'Église et non votre caprice. Le Carême qui s'ouvre pourrait ef-
frayer ou lasser; mais Jésus
124HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 125
qui nous voit travailler malgré le vent contraire nous dit : Ne craignez point.
Résolution : Compter sur Jésus prêt à nous venir en aide.
PREMIÈRE SEMAINE DU CARÊME
LA BONNE VOLONTÉ
Les destinées de l'homme. Sa conversion. Le Seigneur est prêt à nous conduire. Il demande notre
bonne volonté. Comme un Pasteur, il daigne nous visiter. Supprimons les obstacles, l'égoïsme surtout
qui nous empêche de nous mettre sous sa conduite. Ses voies ne sont pas nos voies. Cherchons à faire
sa volonté.
ler DIMANCHE (Invocabit): Jour d'Armement. -- «Retire-toi, Satan». --Station à Saint-Jean-deLa-
tran. --- Ps. 91. -- Inauguration solennelle du Carême. Ses caractères d'après saint Paul. Le Carême de
l'âme et du corps pratiqué par Jésus au désert : s'abstenir pour obtenir, et s'appliquer aux bonnes
oeuvres en se confiant en Dieu.
Résolution : Prévoir les occasions du péché et les moyens de les éviter.
LUNDI: Jour de Jugement. -- «Il séparera ». — Station à Saint-Pierre-aux-Liens. — Ps. 3. —
Écouter le bon Pasteur. Que nos yeux et nos coeurs soient tournés vers lui. Il nous recherche, s'oc-
cupe de nous, mais il nous jugera et nous condamnera si nous n'écoutons pas sa bonté et ne pratiquons
pas les oeuvres de miséricorde.
Résolution : Agir en pensant aux jugements de Dieu, faire les séparations nécessaires.
MARDI : JOUI de Zèle. — « Cherchez le Seigneur ». — Station à Sainte-Anastasie. — Ps. 4. —
Cherchons le Seigneur et non pas nous-même. Que l'amour-propre ne nous égare pas. Cherchons Dieu
dans la prière.
Résolution : Agir pour Dieu et non pour attirer l'estime des créatures.
MERCREDI DES IV TEMPS: Jour de Conformité. — « Monte vers moi » — Station à SainteMa-
rie-Majeure. — Ps. 5. — La montagne de la Transfiguration ici-bas, annonce de la Résurrection. Pour
la gravir, séparation du monde, recueillement, méditation, oraison, pénitence Moïse et Élie. L'Eucharis-
tie, viatique pour l'ascension.
Résolution : Chercher la volonté de Dieu et s'y conformer même dans l'épreuve.
JEUDI : Jour de Dévotion. — « Goûtez et
voyez ». -- Station à Saint-Laurent in-Panisperna. — Antienne eucharistique. -- Les jeudis
iz6HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 127
de Carême annoncent le Jeudi-Saint. Miséricorde pour ceux qui cherchent la vérité.
Résolution : Communier avec les sentiments de la Chananéenne.

32
VENDREDI DES IV TEMPS : JOUI' de Purification .— « Veux-tu être guéri ? » -- aux SS.-
Apôtres. — Ps. 6. — On obtiendra le pardon si on se détourne vraiment de sa voie. Illusions d'une spi-
ritualité égoïste. La guérison du paralytique.
Résolution : Obéir au confesseur.
SAMEDI DES IV TEMPS: Jour de Vocation. — « Le Seigneur t'a choisi ». — Station à Saint-
Pierre. -- Ps. 7. — Jour d'Ordination. Vocation chrétienne et sacerdotale. Prédestination. Répondre à sa
vocation. Le chrétien transfiguré en Jésus-Christ.
Résolution : Prier pour les vocations sacerdotales et religieuses.
DEUXIÈME SEMAINE
L'HUMILITÉ
L'humilité, préparation et fondement de la vie chrétienne. Les droits de Dieu et les droits de
l'homme. Les péchés capitaux se ramènent à l'orgueil et à l'impureté qui est elle-même l'orgueil de la
chair. Exemples qui dictent notre conduite.
2e DIMANCHE (Reminiscere) : Jour de Transfiguration. — « Écoutez-le ». — Station à SainteMa-
rie-in-Domnica. — Ps. 118. — La bonne volonté a été récompensée. Dieu se montre davantage à l'âme
qui, reconnaissant sa faiblesse, ses misères et ses dangers, s'appuie d'autant plus sur la grâce. L'Évan-
gile d'hier, répété, fait entrevoir la récompense.
Résolution : Se rappeler que le Calvaire est la grande leçon donnée par Jésus pour nous apprendre à
le suivre dans la gloire.
LUNDI : Jour d'Examen. — « J'ai beaucoup
à juger à ton sujet ». — Station à Saint-Clément.
Ps. 8. — Prière humble de Daniel devant
Dieu qui commande, récompense et châtie.
Attitude de Jésus qui se détourne des orgueilleux.
Résolution : Bien faire l'examen de conscience pour prévenir les jugements de Dieu.
MARDI : Jour d'Obéissance. — « Ils disent et ne font pas ». — Station à Sainte-Balbine. — Ps. 9. --
Obéissance humble à Élie de la veuve de Sarephta qui reçoit bénédiction et abondance. Jésus flétrit le
pharisaïsme orgueilleux.
Résolution : Accomplir généreusement ce qu'enseigne notre foi.
128HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 129
MERCREDI : Jour d'humilité. « Il est venu
servir ». — Station à Sainte-Cécile. — Ps. Io. —Véritable humilité de Mardochée : il ne donne pas à
l'homme l'honneur réservé à Dieu. La vraie grandeur de Jésus qui réprimande les fils de Zébédée.
Résolution : Prévoir et accepter les humiliations.
JEUDI : Jour de Frayeur. — « Je souffre dans cette flamme ». — Station à Sainte-Marie-audelà-du-
Tibre. — Antienne Eucharistique. — Lazare pratique l'humilité et la confiance en Dieu en face de l'or-
gueil et de la volupté du mauvais riche. Tableau salutaire de l'enfer.
Résolution : Considérer le châtiment du péché; racheter nos infidélités par l'aumône.
VENDREDI : Jour de Bonnes Œuvres. ---
« Au temps des fruits, il envoya cueillir ». — Station à Saint-Vital. — Ps. ii. — Joseph et ses frères.
L'envie, la persécution, image de la haine contre Jésus immolé mais glorifié.
Résolution : Continuer à semer, examiner quelle bonne œuvre Dieu demande, et l'accomplir.
SAMEDI : Jour de Conversion. — « J'irai à
mon Père ».—Station à SS.-Pierre-et-Marcellin. Ps. 12. - - L'humilité gage de bénédiction
pour Jacob, de conversion pour l'enfant prodigue.
Résolution : Recourir à la grâce de Dieu, s'exciter à la contrition, faire les efforts nécessaires pour se
convertir.
TROISIÈME SEMAINE
LA VIE CHRÉTIENNE

33
Semaine centrale du Carême. La vie chrétienne. L'humilité, son fondement, conduit à la charité qui
bannit la crainte. Imitez Dieu, c'est possible : vous êtes aimés. Marchez dans l'amour comme Jésus-
Christ qui s'est offert. Baptême, Eglise, préceptes, Croix!
3c DIMANCHE (0C/di) : Jour de Confession. — « Il était muet ». — Station à Saint-Laurenthors-
les-Murs. — Ps. 83. — Insistons sur les dispositions pour la confession sacramentelle. Le démon de
l'impureté. Confession du péché et confession de la louange : tout chrétien est confesseur.
Résolution : Confession très sincère, moyen de persévérance.
LUNDI : Jour de Fierté. — « Lave-toi et tu
seras purifié ». -- Station à Saint-Marc. — Ps. 13. — Le Baptême et la Pénitence donnent
Horizons Lit.
13oHORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 131
et rendent le pouvoir d'être enfant de Dieu.
Résolution : Reconnaître la dignité de son baptême.
MARDI : Jour de Paix. — « Si votre frère a péché ». — Station à Sainte-Pudentienne. — Ps. nt. —
L'Église à qui Dieu a donné l'huile de miséricorde pour payer nos dettes au démon.
Résolution : Sacrifier à la paix avec le prochain.
MERCREDI: JOUI de Dévotion. — « Pourquoi violer la loi de Dieu à cause de vos usages ? » —
Station à Saint-Sixte. -- Ps. 15. — Devoirs du chrétien exposés dans l'Épître, interprétés dans l'Évan-
gile. La fausse piété, les traditions humaines.
Résolution : Pratiquer une dévotion guidée par la Liturgie.
JEUDI : Jour de Sacrifice. — «Il commanda à la fièvre ». — Station à SS.-Cosme-et-Damien (Mi-
Carême). — Ps. 118. — Le Seigneur au milieu de son peuple. Le Temple de Dieu. L'Église.
Résolution : Comme les martyrs profiter du Sacrifice de la Messe pour triompher de la fièvre des
passions.
VENDREDI : Jour de Grâces. -- « Si vous connaissiez le don de Dieu ». — Station à
Saint-Laurent-in-Lucina. — Antienne évangélique (Ps. 16). — La Croix. Baptême et Rédemption.
Figures de la Croix : Introït, Épître. L'eau sainte et la grâce. Le Sauveur du monde.
Résolution : Dévotion à l'Esprit-Saint annoncé en ce jour.
SAMEDI : Jour de Miséricorde. -- « Je ne vous condamnerai pas ». — Station à Sainte- Suzanne. —
Ant. évangélique (Ps. 17). — Notre salut doit s'opérer par la justice et par la miséricorde. Suzanne et la
femme adultère.
Résolution : Imiter la miséricorde de Dieu, éviter les jugements téméraires.
QUATRIÈME SEMAINE
LA VIE CHRÉTIENNE ET SES CONSOLATIONS
« A mesure que l'on avance dans la bonne vie et dans la foi, le coeur se dilate et l'on se met à courir
dans la voie des préceptes de Dieu avec une ineffable douceur d'amour » (saint Benoît). Joie d'être en-
fant de Dieu et de l'Église, joie de l'approche de Pâques.
4e DIMANCHE (Laetare) : Jour de Providence. -- Pâques était proche ». --- Station à SainteCroix-
en-Jérusalem. Ps. 121. — Mi-Carême
132HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 133
solennelle. Se réjouir avec l'Église, comme elle, de ce qui fait sa joie : baptisés, pénitents, ordinands.
Dimanche de la réfection. Préparation à la communion pascale.
Résolution : Veiller aux dispositions requises pour la sainte communion.
LUNDI : Jour de Religion. — « Enlevez tout cela d'ici ». — Station aux Saints-Couronnés. — Ps.
18. — Jugement de Salomon. L'Église vraie mère des baptisés. Justice sans compromissions. Jésus
montre sa sévérité pour les profanateurs.
Résolution : Manifester l'esprit de religion en retranchant courageusement de ses habitudes et dans
les sanctuaires ce que n'admet pas le temple de Dieu.
MARDI : Jour de l'Esprit chrétien. — « Vous

34
vous étonnez tous ». — Station à Saint-Laurent in-Damaso. Ps. 19.— Jésus-Christ médiateur plus
que Moïse, par son sacrifice, inutile, hélas ! pour les endurcis.
Résolution : Apprendre à connaître Jésus pour ne pas s'étonner des leçons qu'il donne au monde.
MERCREDI DU GRAND SCRUTIN : JOUI' de Lumière. — « Je suis allé. Je me suis lavé. Je vois
». -- Station à Saint-Paul. — Ant. évangé ligue (Ps. 20). — « Venez, mes enfants, écoutez- moi ». —
Union, fraternité, apostolat. Illumination à l'école de Jésus et de son Église : la foi : le Symbole. — La
morale : l'Évangile. — La prière : le Pater.
Résolution : Reconnaissance pour les grâces reçues depuis le baptême. Comment en profitons-nous?
JEUDI : Jour de Mort. — « Jésus le rendit à
sa mère ». — Station à Saint-Martin-auxMonts. — Ps. 70. — Puissance de Jésus pour nous arracher
à la mort. Deux résurrections par Élisée, à Naïm.
Résolution : Aider à la conversion des pécheurs par l'exemple et la parole, et les conduire à leur
mère, l'Église.
VENDREDI : Jour d'Espérance. — « Je suis la
résurrection et la vie ». — Station à Saint- Eusèbe. — Ant. évangélique (Ps. 21). — Même sujet :
Résurrection par Élie, de Lazare.
Résolution : Se préparer à la mort qui nous donne à Dieu, faire une mortification nécessaire.
SAMEDI (Sitientes): Jour d'Esprit d'adoption.
« Je suis la lumière du monde ». — Station à Saint-Nicolas-in-Carcere. (Anciennement à Saint-
Laurent-hors-les-Murs). Ps. 22.
134HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 135
Libéralité du Seigneur. Baptême. Doctrine. Passion.
Résolution : Développer cet esprit qui nous fait dire : Notre Père.
CINQUIÈME SEMAINE
LA VIE CHRÉTIENNE ET SES ÉPREUVES
Semaine de la Passion. Nous entrons en participation des souffrances de Jésus par la patience. Nous
complétons ce qui manque à sa Passion pour nous être appliquée. L'idée de la Passion, c'est la glorifi -
cation du Père dans l'abaissement de son Fils crucifié. Dans la Passion, il y a des horreurs à faire frémir
: vérité haïe, bonté détestée, justice condamnée, pasteur frappé, amitié trahie, maître délaissé, un Dieu
mourant du supplice des scélérats. Pourtant la Passion est aussi une exaltation triomphante. Il s'agit
donc pour la Liturgie et pour le chrétien d'unir dans un juste équilibre l'abaissement et la glorification
du Christ. Obéissance, anéantissement, mais liberté. Pleine de tact, la Liturgie s'afflige mais célèbre le
triomphe : c'est un acte d'adoration au Christ Rédempteur
DIMANCHE DE LA PASSION : JOUI d'Attention. « Celui qui est de Dieu entend ma voix ».
Station à Saint-Pierre-du-Vatican. — Ant. évangélique. — La voix de Dieu : voix de la croix, de
l'amour. Respect de la parole de Dieu, des inspirations de sa grâce.
Résolution : Juger notre conduite d'après notre correspondance aux enseignements divins.
LUNDI: Jour de Pénitence. — « Je suis encore avec vous ». — Station à Saint-Chrysogone. — Ps.
23. — La pénitence corporelle rassure sur le passé et prépare l'avenir : la faire en temps opportun :
exemple de Ninive.
Résolution : Apprécier les bienfaits de la pénitence qui nous unit à Jésus.
MARDI : Jour de Fuite du monde. — « Le monde me hait ». — Station à Saint-Cyriaque (aujour-
d'hui Sainte-Marie-in-via-lata). — Ps. 24. — Patience dans la persécution prédite; mépris de l'estime
des créatures. Exemples de Daniel, du Messie.
Résolution : Fuir les jugements et les maximes du monde.
MERCREDI : Jour de Reconnaissance. —
« Mes brebis entendent ma voix ». — Station à Saint-Marcel-au-Corso. Ps. 25. —Patience dans l'ac-
complissement des devoirs envers le prochain; persécutions qu'il peut nous susciter, ne pas nous décou-
rager.
136HORIZONS LITURGIQUESPRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 137
Résolution : Nous demander ce que Jésus ferait à notre place.
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JEUDI : Jour d'Amour de Dieu. — « Elle a beaucoup aimé ». — Station à Saint-Apollinaire — Ps.
118. — La crainte et l'amour : Daniel, Madeleine.
Résolution : Prouver son amour par la fuite des occasions de péché.
VENDREDI : Jour de Patience. — « Qu'un homme meure pour tout le peuple ! » Station à Saint-
Étienne-au-Mont-Coelius. — Ps. 26. — Jérémie persécuté, image du Messie. Saint Etienne, premier
martyr. La haine des Juifs, le Conseil, la parole de Caïphe.
Résolution : Se persuader que le chrétien doit être martyr de sa foi.
SAMEDI : Jour de Mortification. — « La lumière est encore avec vous mais pour peu de temps ».
— Station à Saint-Jean-devant-laPorte-Latine. — Ps. 26. — Annonce des grands événements de la Se-
maine Sainte : les Rameaux et l'exaltation de la Croix.
Résolution : Profiter de l'heure de la grâce.
SIXIÈME SEMAINE LA SEMAINE SAINTE
Cette grande semaine mériterait les plus larges développements rituels et ascétiques. Mais les «
quinzaines de Pâques » existent qui donnent les explications. Et pourtant ce sont les jours les plus so-
lennels du Carême. Ceux qui précédèrent ne furent qu'un acheminement. Éclairés, humbles, chrétiens
véritables dans l'espérance joyeuse comme dans les épreuves de notre profession de baptisés, ainsi pré-
parés par les étapes précédentes nous serons fidèlement obéissants comme le Christ le fut jusqu'à la
mort. Telle est la grande leçon si répétée les derniers jours.
DIMANCHE DES PALMES : Jour du Service de Dieu. « Voici votre Roi ! » — Station à Saint-
Jean-de-Latran. — Triomphe éphémère et triomphe céleste par la croix.
Résolution : Conditions pour faire partie de l'escorte de Jésus.
LUNDI : Jour de Fidélité. — « Toute la maison fut remplie de parfum ». — Station à Sainte-
Praxède. — Pureté, ferveur, joie, ainsi parlent les oraisons. Confiance, dit Isaïe. Halte à Béthanie.
Eloge de Madeleine.
138HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 139
Résolution : Avons-nous pratiqué les oeuvres de religion et de miséricorde enseignées par le Ca-
rême, et ainsi parfumé l'Eglise et le monde ?
MARDI : JOUI d'Obéissance. — « Capable d'un renouveau de sainteté ». — Station à Sainte-
Prisque. — Voilà le grand objectif du Carême : le renouvellement. Lecture de la Passion selon saint
Marc. Y remarquer les jugements de Caïphe, de Pilate, d'Hérode. Sachons, dit saint Paul, que nous
nous présenterons tous au tribunal du Christ.
Résolution : Quel est le fruit de notre carême ?
MERCREDI : Jour de Patience. -- « Il n'hésita pas à se livrer pour nous aux mains des méchants ».
— Station à Sainte-Marie-Majeure. — La Passion selon saint Luc. Il rapporte la scène du bon larron : «
Aujourd'hui vous serez avec moi dans le Paradis ». Et Bossuet souligne : dans le paradis : quel séjour !
Avec moi : quelle compagnie ! Vous serez : quelle assurance! Aujourd'hui : quelle promptitude !
Résolution : Prévoir comment utiliser les jours qui viennent.
Voici le triduum sacré
JEUDI-SAINT: Jour d'Union. «Il les aima
jusqu'à la fin ». -- Station à Saint-Jean-deLatran.« La veille de sa mort : c'est aujour-
d'hui. Il prit du pain... » La messe, la communion, l'adoration.
Résolution : L'Eucharistie dans notre vie.
VENDREDI-SAINT : Jour de Sacrifice. — « La croix fidèle entre toutes choses ». — Station à
Sainte-Croix-en-Jérusalem. — Prières pour toutes les intentions. Adoration de la Croix.
Résolution : La Croix dans notre vie.
SAMEDI-SAINT : Jour de Rénovation. — « Renouvelés d'âme et de corps ». — Station à Saint-
Jean-de-Latran. — Tout est renouvelé : le feu, la cire, l'eau. Que de symboles et de bénédictions ! Re-
passant l'ancien et le nouveau Testament « donnez-nous, Seigneur, de comprendre votre miséricorde ».
— « Conservez dans votre famille l'esprit d'adoption ».
Résolution : le Baptême dans notre vie.

36
Nous sommes arrivés au seuil de Pâques, ayant au moins conscience des trésors immenses à peine
signalés. Les rites de la semaine sainte, si expressifs, mériteraient d'être décrits. C'est alors que ce culte
extérieur aiderait à suivre pas à pas le Sauveur. Dans les derniers jours de sa vie mortelle, depuis les
Ténèbres, le mercredi soir, l'éclair de la messe du jeudi et la Consécration des Saintes-Huiles, le Man-
datum, la Passion du Vendredi-Saint et l'Ado-
140HORIZONS LITURGIQUES
ration de la Croix, enfin cette nuit pascale déjà, encore anticipée au samedi matin, que nous avons
seulement signalée par le renouvellement général, symbole du renouvellement de nos âmes. Prenons
nos quinzaines de Pâques et méditons.
CHAPITRE VI
LE TEMPS PASCAL
Nous avons dit ailleurs ce qu'était le Temps pascal. Il s'agit maintenant de prendre l'esprit de Pâques.
Or c'est, en quelque sorte, prendre l'esprit chrétien. N'y sommes-nous pas préparés par le Carême ?
Dom Guéranger a pu dire « Quiconque a le bonheur d'entrer avec plénitude d'esprit et de coeur dans
l'amour et l'intelligence du mystère pascal est parvenu au centre même de la vie surnaturelle ». La vie
surnaturelle, la vie que nous tenons du Christ, a supposé la mort du Carême et la vie suppose une résur-
rection. « Il y en a, écrivait Mgr Isoard, qui ne soupçonnent en aucune manière que la religion ne fait
vivre qu'à la condition de faire mourir ». Mais il ajoutait ailleurs : « C'est une faute trop commune que
de parler de la Croix et de taire la gloire, de montrer le tombeau de Notre-Seigneur et de ne pas élever
ensuite la pensée jusqu'à son trône à la droite du Père, de parler de la mort sans exalter ensuite la vie, la
vie nouvelle, la vie de Jésus-Christ, vie
142HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 143
immuable, bienheureuse, éternelle ». Ces deux aspects se compénètrent dans la Liturgie. « La joie,
dit l'Église le Vendredi-Saint, est venue au monde par la Croix ». Le dimanche de Pâques elle rappelle
l'immolation de la victime. Donc pour prendre l'esprit de Pâques, qui est la joie, il faut avoir profité du
Carême : « unde mors, inde vita ». Le Carême était la saison modèle, le temps pascal est figure, figure
du Ciel. Cependant tout n'y est pas figure, car l'état de grâce, gage assuré du triomphe, fait déjà des res-
suscités.
La joie doit être la caractéristique de Pâques, manifestée par l' Alleluia; la cause de cette joie, le
Baptême. La joie devient la conséquence et la condition du progrès spirituel, car il faut marcher vers le
Ciel. « Chante alleluia, disait saint Augustin, mais comme chantent les voyageurs, charme tes fatigues
en chantant, chante et marche ».
Voici, comme nous l'avons fait pour le Carême, quelques notes sur les messes de la semaine de
Pâques. Commençons dès le Samedi-Saint dont la nuit inaugure Pâques. Ce sont des jours de foi, de
joie, de persévérance.
SAMEDI-SAINT. - Station à Saint-Jean-deLatran. — Nous avons signalé le renouvellement géné-
ral, et, avec les Prophéties, de grands aperçus sur le salut du monde, soulignés par les oraisons. — Ré -
novation des promesses du Baptême en ce jour et chacun des jours de la semaine pascale. — La pre-
mière messe de Pâques anticipée de la nuit au jour précédent. — « Le Christ est votre vie » (Épître). —
« Je sais que vous cherchez Jésus » (Evangile).
DIMANCHE DES DIMANCHES, SAINT JOUR DE PAQUES. - Resurrexi : Je suis ressuscité, dit
le Seigneur. Le ciel est ouvert : remercions Confitemini. Profitons-en : sincérité et vérité opposées à
malice. La vraie charité. — « Soyez une pâte nouvelle)) (Épître). — « Vous cherchez Jésus : il est res-
suscité » (Évangile).
LUNDI. - « Introduxit vos » Le Seigneur nous a introduits dans une vie nouvelle où nous devons
connaître la liberté parfaite de nos âmes. Comprendre les exigences de cette vie à l'exemple du Christ :
oportet pati : souffrir pour entrer dans la gloire. — « Jésus a été constitué juge » (Épître). — « Demeu-
rez avec nous, Seigneur » (Évangile).
MARDI. -- « Agita sapientiae » : l'eau de la Sagesse nous a été donnée — la doctrine de saint Paul
--- le Baptême et l'Eucharistie. — Étudions et apprécions la vérité, sachons user et profiter des sacre-

37
ments pour bien vivre. — « La parole de salut vous a été transmise » (Épître). •--- « La paix soit avec
vous » (Évangile).
144HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 145
MERCREDI. — « Venite, benedicti Patris ». Venez, les bénis de mon Père, vous posséderez le
royaume du Ciel si comme l'Apôtre saint Jean vous savez reconnaître le Seigneur lorsque en ce monde
vous travaillez et peinez. Réjouissez- vous donc, dès ici-bas, de la Résurrection qui vous a permis
toutes les espérances. — « C'est l'auteur de la vie » (Epître). « C'est le Seigneur » (Évangile).
JEUDI. — « Victricem manum » : La victoire de l'Homme-Dieu c'est la nôtre. Nous y avons part par
le Baptême. Imitons Madeleine dans sa foi persévérante et dans son amour généreux. — «Il continuait
sa route joyeux)) (Epître). — « Elle annonça aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur » (Evangile).
VENDREDI. — « Eduxit » : Le Sauveur nous a retirés du monde corrupteur. Marqués du sceau de
la Trinité, nous avons conclu par le baptême un traité glorieux : noblesse oblige.
« Jésus a souffert la mort pour nous offrir à Dieu » (Épître). -- « Apprenez-leur à observer ce que je
vous ai prescrit » (Évangile).
SAMEDI. — « Eduxit » : Que ferons-nous pour demeurer retirés du monde : baptisés nous avons re-
vêtu Jésus-Christ. Nous continuerons à méditer les mystères et nous garderons, sinon les impressions,
du moins les résolutions des fêtes pascales qui nous mèneront ainsi au bonheur sans fin. — « Vous êtes
la race choisie de Dieu pour publier ses grandeurs » (Épître). — « Jusqu'alors il n'avait pas compris
l'Écriture » (Évangile).
Ainsi la profession chrétienne trouve son fondement dans la Résurrection du Christ et s'exprime par
la dévotion au Christ triomphant, à la croix triomphale. Le dux vitae a ramené l'homme à Dieu. Le bap-
tême apparaît comme le sceau de cette profession et il donne à notre vie intégralement comprise une
orientation essentielle, un caractère spécial. Le contrat dont il est question dans l'oraison du Vendredi
de Pâques comprend l'abstention du plaisir, de l'enjouement mondain, de la frivolité. Cette vie chré-
tienne est un ensemble merveilleux destiné à réaliser la vie de foi, l'épanouissement des oeuvres. C'est
une joie et une liberté.
Ier DIMANCHE APRÈS PAQUES. Il est appelé
octave de Pâques bien que l'octave soit anticipée au samedi comme la fête elle-même. C'est le di-
manche blanc, comme on l'appelle encore en transformant légèrement la signification des mots in albis.
L'Eglise souhaite qu'à l'exemple du jeune martyr Pancrace, au sanctuaire duquel se fait la dernière sta-
tion, nous soyons tout pénétrés de la candeur renouvelée de l'enfance, de son entrain joyeux et de
Horizons Lit.10
146HORIZONS LITURGIQUES
sa simplicité. Elle croit que, par suite de l'élan donné, nous pouvons nous passer des observances
plus strictes du Carême, et poursuivre notre vie coutumière sous l'influence des grâces de Pâques. Oui,
ayons la simplicité de l'enfance : quasi modo geniti infantes.
Nous ne nous arrêterons pas à l'explication de cette messe; cueillons seulement quelque pensée de la
Collecte dont l'objet est la fidélité aux résolutions pascales. Les fêtes sont passées, dit-elle, peregimus.
Passées parfaitement ? Nous le saurons bientôt si nous demeurons fermes teneamus. La joie solide du -
rera et le temps pascal qui se prolonge nous aidera à garder, même sur cette terre, quelque chose de la
salutaire allégresse de ces fêtes de Pâques. Mais, dans sa vivacité, il faut bien avouer que cette joie se
fanera un peu, même pour les fervents : c'est une fleur, elle doit porter son fruit : moeurs chrétiennes,
vie chrétienne, moribus et vita. Comme les fêtes de Pâques la vie passera. Un jour viendra nous pour -
rons dire : peregimus, mais nous tiendrons la couronne : teneamus.
DIMANCHE DU BON PASTEUR, ze après Pâques.
Le Saint Jour de Pâques, l'Église proclamait
avant tout le fait de la Résurrection : Resurrexi.
Le dimanche de l'octave en rappelait en parti-
culier les conséquences par le bienfait du
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 147

38
baptême : Quasi modo geniti. Clôturant pour ainsi dire cette trilogie pascale, l'Église nous fait re-
chercher aujourd'hui la cause de la victoire du Christ et de notre régénération. Elle répond encore par le
premier mot de l'Introït : Misericordia. L'Ordo de la basilique vaticane a conservé le souvenir de la sta-
tion de ce jour. Saint Pierre qui nous enseigne à l'Épître que Jésus est le Pasteur de nos âmes, est lui-
même, comme son vicaire, le premier pasteur visible de l'Eglise, celui auquel il fut dit après la Résur -
rection : Pais mes brebis. Rien d'étonnant que les traits si touchants du Bon Pasteur aient été si fami -
liers aux premiers chrétiens, ainsi qu'en témoignent les monuments comme le culte de l'antiquité. Notre
pasteur avait disparu et le soleil avait perdu son éclat. « Recessit pastor noster ». Mais il est ressuscité
après avoir pleinement réalisé sa parabole : « surrexit pastor bonus ». « Nous étions des brebis errantes
» nous dit saint Pierre. « Nous sommes convertis maintenant », veillons, prions, luttons. Nous ne pou-
vons être sans pasteur, ne nous laissons pas séduire par les autres. Ainsi nous rendrons durable la joie
de Pâques « perpetuam concede laetitiam ».
Nous allons grouper les trois dimanches qui précèdent l'Ascension en continuant le temps pascal. Ils
reprennent sous l'angle de la persévérance les pensées suggérées par le Carême
148HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 149
aux trois premiers dimanches. En effet, le 3e dimanche après Pâques expose la doctrine de la vie
chrétienne, le 4e, sa pratique, et le 5e, la prière; c'est le dimanche des Rogations. Si nous faisions une
Année liturgique » nous aurions le devoir de signaler tous les textes ou du moins le résumé du contenu
de la messe et de l'office. Indiquant quelques notes ascétiques nous nous contenterons de l'oraison de
chaque dimanche.
3e DIMANCHE APRÈS PAQUES. --- Ne nous
méprenons pas sur le sens de la vie. Si nous avons été de ces « brebis errantes » dont il était question
le dimanche du Bon Pasteur, sachons que Dieu ne nous a pas ménagé la lumière de la vérité « erranti -
bus veritatis tuae lumen ostendis ». Le péché est une erreur. Il fait prendre une fausse direction, c'est un
égarement; pensons juste et nous aurons aussi la grâce pour bien agir. Le Verbe nous a été montré. Il
est « la lumière de lumière »; sa croix est une lumière. Chrétiens officiellement inscrits sur les registres
de son Église, ferons-nous donc mentir les statistiques qui attribuent à la religion catholique une foule
de personnes qui n'en vivent pas ? Le nom « chrétien » a des répugnances, ne nous en apercevons-nous
pas ? Les désirs païens dont parle saint Pierre, la joie du monde signalée par le Sauveur, ne
nous feront-ils pas, une bonne fois, horreur ? Ne nous mettrons-nous pas à poursuivre avec ardeur
tout ce qui cadre, qui s'adapte à la profession chrétienne ? Le péché, voilà l'ennemi. Les sacrements,
l'oraison, les lectures, les employons-nous pour garder la vie chrétienne ? « Apprenons à aimer les
choses du ciel, atténuons les préoccupations mondaines », dit la Secrète, et cherchons la restauration de
nos forces dans le Sacrifice qui a sauvé le monde et auquel nous participons par le sacrement.
4e DIMANCHE APRÈS PAQUES. -- Quelle belle orientation de vie indique la Collecte de ce jour !
Elle nous situe dans la vie nouvelle inaugurée par Jésus ressuscité. Demandons l'accord de nos volon-
tés, unies à la volonté du Sauveur, demandons d'aimer les commandements; une grande paix en sera le
fruit, « pax multa diligentibus legem tuam ». Nous savons si peu désirer ce qui est notre vrai bonheur!
Aussi nous cherchons de tous côtés, variant sans cesse, nous heurtant partout dans ce monde qui
change et dont les biens s'échappent toujours « inter mundanas varietates ». Au lieu de nous attacher à
Dieu en qui n'est « aucune ombre même de changement », nous trouvons le trouble, le remords dévas -
tateur. Un cœur dévasté, que c'est triste! « un coeur où sont les vrais biens », comme dit notre Collecte,
que c'est souhai-
150HORIZONS LITURGIQUES
table! Demandons-le, Dieu nous éclaire. Chrétiens, nous connaissons la vérité; manquerions-nous de
courage pour nous déprendre du monde ? Vivons dignement « dignis mon- bus ». Portant notre trésor
dans des vases fragiles, recommençons sans cesse l'ceuvre de notre purification pour écarter avec force
les dangers qui menacent notre vie morale « eruamus ».
Se DIMANCHE APRÈS PAQUES. — Prions, telle est la pressante et continuelle consigne. C'est «
de Dieu que procèdent tous les biens ». La prière de demande est celle que l'on connaît la mieux. Mais
pour qu'elle soit efficace, qu'elle porte avant tout sur notre salut, qu'elle soit éclairée, qu'elle soit rendue
39
agréable au Seigneur par notre conduite et qu'elle soit accompagnée de l'offrande de nous-mêmes «
preces cum oblationibus ». Ainsi nous désirerons ce qu'il faut et nous demanderons ce que nous sau-
rons désirer.
LES ROGATIONS. — Au milieu de la joie
pascale il est bon de se surveiller. Rappelons- nous que les épreuves qui furent l'occasion des Roga-
tions sont envoyées au monde pour sa conversion et que l'approche de l'Ascension aussi bien que les
calamités présentes, nous redit qu'il faut tenir jusqu'au moment de
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 151
rejoindre Jésus au ciel « moribus et vita teneamus ». Nous savons que la Liturgie c'est, avant tout, la
messe, et cette messe nous expose la doctrine de la prière et contient une exhortation à la prière. Cette
messe est précédée des Litanies des Saints chantées processionnellement. Disons seulement un mot de
la Collecte. Gardez-nous, dit l'Eglise, de tout ce qui vous est contraire « contra adversa omnia ». Vous
le pouvez, vous êtes Dieu tout-puissant, et vous nous voyez dans l'affliction. C'est l'hypothèse des Ro -
gations et l'Eglise sait que toujours il y a des calamités publiques et privées, qui ne doivent laisser per -
sonne étranger, car nous devons prier les uns pour les autres; que, peut-être, si les années passées nous
avions chanté « a peste, fame et bello, libera nos Domine », les épidémies, la vie chère comme la
guerre auraient été moins à craindre; qu'en tout cas, la lutte contre soi- même doit demeurer pour cha-
cun de nous un très réel sujet d'affliction. Préservez-nous donc, Seigneur, de tout ce qui peut nous nuire
en nous donnant la force qui surmonte, la patience qui supporte, la prudence qui utilise sagement toute
chose, et la charité par laquelle tout conspire au bien. Pour que tout ce qui semble nuisible à la nature
immortifiée se transforme à notre avantage, rompez les liens où nous retient notre dépravation, ajoute
la Secrète, faisant écho à l'enseignement austère
152HORIZONS LITURGIQUES
de l'Évangile « vous êtes mauvais ». Reconnaissant cette vérité, nous obtiendrons miséricorde. As-
sistant au sacrifice et surtout communiant dans cet esprit, nous verrons exaucés avec bonté nos voeux
raisonnables et agréables au coeur de Jésus, et recevant avec l'Eucharistie la consolation dans nos
épreuves mieux comprises, nous croîtrons dans son amour qui est l'unique bien «in tuo amore cresca-
mus ». N'obtiendrons- nous pas ainsi « le bon esprit », vraie richesse qui apprend à se servir des
autres ? N'est-ce pas le voeu de ce jour de recueillement, de prière et d'avancement spirituel ? Qu'elles
sont loin alors les futiles ou secondaires demandes que peut inspirer une piété étroite et intéressée!
CHAPITRE VII
ASCENSION - PENTECOTE
Après l'intermède violet des Rogations, station pénitentielle salutaire, la grande fête de l'Ascension,
l'un des cinq jours vénérables dont parle la Liturgie, se trouve située au sein de la fête ininterrompue du
Temps pascal, dont le Carême fut la grande Vigile. Il convenait pourtant qu'un moment spécial d'atten-
tion fût consacré à la préparation immédiate d'une solemnité qui doit compter parmi les principales.
Avec l'Église nous appelons l'Ascension « admirable et glorieuse »; la Résurrection, c'est la victoire;
l'Ascension, c'est le triomphe. La mort du Christ nous a rendu la vie, la Résurrection nous a relevés et
ouvert les portes du Ciel; l'Ascension nous a consacrés et fait entrer dans la gloire. « Il convient de cé -
lébrer cette fête avec non moins de dévotion que Noël », dit saint Bernard. Sans approfondir les leçons
de la Vigile et de la fête, faisons quelques réflexions. Dans la messe de la Vigile, je remarque le « re-
linquo mundum », je quitte le
154HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 155
trois mots, c'est l'image du Ciel. Et nous, comment mériter, sinon par le travail, le repos éternel, «re -
quiem aeternam » ? Et nous, pécheurs, comment ne pas nous humilier ? Et nous, comment ne pas
orienter notre vie selon la volonté divine qui est la voie de notre félicité, la voie du Ciel « in coelestibus
habitemus »?
DIMANCHE DANS L'OCTAVE DE L'ASCENSION. -- Que de fois ce dimanche si recueilli est oc-
cupé par des fêtes postiches ? Qu'il nous suffise de remarquer l'Introït avec le psaume « Dieu est ma lu-
mière » alors que le cierge pascal symbolique est éteint; ce regard d'amour : « j'ai chanté et je recher -
cherai votre sainte face », alors que la nuée l'a dérobée à la terre; « mais je laisse parler mon coeur : tibi
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dixit cor meum ». Je ne vois plus le Seigneur, mais il est là et il m'écoute. La nuée me l'a caché, mais il
me voit. Il me reste l'Eucharistie, le mystère, l'épreuve de ma foi. Le Seigneur connaît notre condition
dans le monde et ses dangers, et nous serons des témoins.
Et l'octave se prolonge pour ainsi dire dix jours, c'est le Cénacle et l'attente du divin Esprit qui va
venir dans l'Eglise en cette fête toujours actuelle de la Pentecôte.
• LA PENTECÔTE. -- La seconde fête de l'année - .n'a pas à _proprement parler de Vigile. Comme
monde : c'est tout un programme pour nous. A l'Evangile, j'entends le Sauveur dire à son Père « Et
maintenant je viens à vous ». Allons à Lui, nous aussi dans la simplicité d'intention, dans la connais-
sance plus approfondie de ses desseins sur nous après la Pâque mieux vécue, dans la pureté de notre af-
fection qui s'essaie au sacrifice en union avec le sien. Ainsi nous sommes soulevés par ces deux ailes
dont nous parlions en commençant, comme objectifs du cycle liturgique, et nous montons.
Que dire de la messe de la fête? Comme les disciples sur la montagne, nous restons immobiles,
muets de surprise. « Il est monté aux cieux », mais « il reviendra », soyons prêts; il reviendra juger :
soyons purs. Il viendra lui- même : réjouissons-nous. Il est monté pour nous, c'est la nature humaine
qui entre aux cieux avec le Sauveur. Il nous a fait asseoir là-haut « consedere fecit » entraînant au jour
de son triomphe les patriarches et les prophètes, saint Jean-Baptiste et saint Joseph, faisant de son As -
cension la vraie Fête-Dieu, et la première Toussaint, sans laquelle l'autre n'existerait pas. Il est monté
vers son Père devenu notre Père, vers notre Dieu devenu son Dieu, et maintenant « il est assis à la
droite du Père », assis, c'est-à-dire il se repose : il a tant travaillé; il est à la droite, à l'honneur : il s'est
tant humilié; avec le Père, avec Dieu : c'est le bonheur. En
156HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 157
la nuit pascale, celle de la seconde Pâque est anticipée. Le baptême est solennellement administré
aux retardataires de Pâques, après des Prophéties plus courtes selon la brièveté des nuits et le moins
grand nombre présumé des candidats. « La solennité de Pâques arrive à son terme, dit saint Augustin,
sans rien perdre de son éclat... Toutes les promesses reçoivent leur accomplissement ». La glorification
de Jésus, en effet, a eu lieu; ses titres de victoire sont reconnus; la vie divine peut maintenant couler sur
la terre rachetée et la recréer. « Envoyez, Seigneur, votre Esprit et vous renouvellerez la face de la terre
». Dieu répond à la Pâque par le Don, l'Esprit. La Pentecôte est le couronnement de la Pâque « nous
voici arrivés, dit saint Jean Chrysostome, au comble de tous les biens, à la métropole des solennités ».
Pourquoi ? C'est que la restauration de toutes choses dans le Christ, dit dom Lambert Beauduin, devait
s'accomplir par la double mission extérieure de la deuxième et de la troisième Personne de la Sainte
Trinité. Aussi la piété chrétienne, sous peine d'être mal assise, doit-elle reposer sur ces deux dogmes
fondamentaux qui lui donnent sa consistance et assurent son efficacité : d'une part, la médiation unique
et universelle du Verbe fait chair; d'autre part, l'opération indispensable du Saint-Esprit dans la sanctifi-
cation des âmes ».
Pour participer à la vie divine, adhérer à Dieu connu et aimé comme il se connaît et s'aime dans la
félicité de la Sainte Trinité, il faut aller au Père. Pour retourner au Père, il faut être uni au Fils « le pre -
mier né d'une grand nombre de frères » mais cette union n'est possible qu'à l'homme transformé par
l'Esprit. C'est ce que dit saint Paul : « Par le Christ en un Esprit nous avons accès auprès du Père ».
Alors, dit l'Apôtre, « tout est à vous, vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu ».
L'anniversaire de la manifestation de la troisième personne de la Sainte Trinité, la fondation de
l'Eglise, promulguant la Résurrection du Christ sous l'influence de l'Esprit créateur, devaient faire attri-
buer à la Pentecôte une octave solennelle semblable à celle de la fête des fêtes, bien que le jour même
de la Pentecôte, du cinquantenaire, soit comme la clôture des solennités pascales : « cum complerentur
dies Pentecostes ».
Au jour de la Fête, l'heure de Tierce est remarquable par le divin anniversaire, comme Sexte est
l'heure de l'Ascension. La célèbre hymne Veni Creator y est chantée, et les textes de la messe montrent
la Pentecôte comme la fête de la charité, de même que l'Ascension était la fête de l'espérance et Pâques
la fête de la foi. « La Pentecôte, a dit dom Ermin Vitry, c'est la fête de l'amour transformant la vie ».
158HORIZONS LITURGIQUES

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Relisons à l'Épître la narration sublime de l'événement, méditons la Prose, affermissons- nous dans
la paix « pacem relinquo vobis ». Conservons plus qu'une impression passagère « Confirma hoc, Deus
». La paix sera durable pour ceux qui ont reçu la foi et en vivent « quibus dedisti fidem, largiaris et pa -
cem ». Ainsi parle la Collecte du Lundi de la Pentecôte.
Les notes prises pendant l'octave de Pâques pourront nous servir de modèle pour méditer l'octave
présente. A chacun d'en rédiger, en tenant compte d'une particularité nouvelle les Quatre-Temps d'été,
venus se fixer dans cette dernière semaine du Temps pascal. N'étudiant pas ici à fond l'année litur-
gique, insistant seulement sur ses aspects principaux, nous voulons simplement suggérer quelques ré-
flexions ascétiques, à titre d'exemples, car c'est à chacun, mis en éveil, de les faire pour son propre
compte afin d'intégrer dans sa vie individuelle les bienfaits de cette vie liturgique des membres du
Christ.
CHAPITRE VIII
LES PREMIÈRES FÊTES APRÈS LE TEMPS PASCAL
Il semblerait que tout soit dit alors qu'à la clôture du Temps pascal on a chanté : « La charité de Dieu
a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui habite en nous, Alleluia ». Mais notre pèlerinage
n'est pas achevé. Le Temps après la Pentecôte, que nous avons essayé de caractériser au début de cette
étude, va nous montrer le Christ vivant dans son Église jusqu'au jour inconnu où il reviendra juger les
vivants et les morts.
Voici qu'avant de suivre, dans ses grandes lignes, ce temps entre la Pentecôte et le retour du Sei-
gneur, nous sommes arrêtés par trois fêtes qui se superposent à ses premières semaines : les fêtes de la
Très Sainte Trinité, du Très Saint Sacrement et du Sacré-Coeur. Ces trois fêtes sont greffées sur le
Propre du Temps.
La fête de la Très Sainte Trinité, par son objet, serait la plus grande des fêtes, si comme Pâques et
d'autres, elle était un grand anni,
16oHORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 161
versaire de notre salut, mais ce n'est qu'une commémoraison solennelle instituée d'abord comme
messe votive, puis comme fête au Moyen Age, non sans protestation, et d'abord de la part des Souve-
rains Pontifes. Faut-il s'en étonner ? C'est peu, disait-on, de sembler restreindre cette mémoire de la
Trinité à un seul jour. C'est tous les jours, disait le pape Alexandre III, que nous fêtons la Sainte Trini-
té. N'avons- nous pas dit en parlant de la messe, qu'elle était un vaste Gloria Patri? Descendant, pour
ainsi dire, dans la plaine après le Temps pascal, nous mettons une sourdine à nos accents joyeux, et,
dans le recueillement plutôt que dans la pompe des cérémonies, nous méditons le grand mystère avec
d'autant plus de fruit que nous avons bien saisi le Cycle depuis l'Avent. La Liturgie ne nous a-t-elle pas
enseigné, plus que toute autre piété, cette grande dévotion trinitaire ?
Mais voici qu'un regain pascal semble venir. La fête du Très Saint Sacrement apparaît comme une
Epiphanie d'été, avec les mêmes privilèges pour son Octave. Le Christ-Roi « dominantem gentibus »,
régnant par son amour, visite son peuple dans une procession magnifique, là où son règne social est ac-
cepté ou du moins toléré. Autrement, que signifient ces processions, rogations après l'heure, dans des
jardins ou des enclos alors que l'autel consacré est ,un reposoir plus digne ? La raison d'être de telles
manifestations c'est la souveraineté affirmée au milieu des demeures des sujets du Roi; ce n'est pas une
promenade sentimentale au milieu des fleurs. C'est l'Épiphanie, reconnue à la fraction du Pain, l'Eucha-
ristie glorifiée sous l'influence de l'Esprit d'amour après la Résurrection et, jusqu'à un certain point,
l'anniversaire solennisé du Jeudi-Saint remis ainsi aussitôt après l'octave de la Pentecôte. Donnons
donc de l'éclat à cette fête « quantum potes, tantum aude », mais elle est, comme la Trinité, de tous les
jours, car c'est tous les jours que le Sacrifice est offert en l'honneur de la Trinité. Vérités trop oubliées,
que la Sainte Église au moins une fois par an rend plus sensibles par la Liturgie.
Est-ce tout ? Nous avons dit ailleurs qu'après avoir décomposé les couleurs trop vives avec un
prisme symbolique, l'Église les ramène à l'unité éblouissante du mystère du Christ par
la fête du Sacré-Coeur. Alors, en effet, nous avons
pu en étudier le détail avant de retourner à l'ensemble, et le dernier mot, c'est l'amour sur lequel nous
serons jugés : amour témoigné, amour rendu. Rappelons-nous Noël, rappelons- nous la Croix. « Pous-
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sés par la charité du Christ, cantate Christi compulsi » comme dit le Pape Pie XI, nous prolongeons la
fête du Très Saint Sacrement; l'idée de réparation s'y ajoute et il semble opportun, après les manifesta-
tions
Horizons Lit.11
16zHORIZONS LITURGIQUES
extérieures de la fête précédente, qu'un recueillement discret, plutôt qu'une bruyante solennité s'im-
pose â nous pendant cette octave récente qui accentue et prolonge nos méditations. Ces méditations
dont nous trouverons facilement le thème nous rappelleront peut-être les idées exprimées le dimanche
du Bon Pasteur, et, reliant notre dévotion à celle de nos aînés, à celle des premiers siècles, nous rivali-
serons avec eux dans l'amour de ce Jésus qui a tant aimé les hommes, et qui d'âge en âge par des atten -
tions les plus délicates, n'a cessé dans les temps modernes de nous le montrer. La Liturgie n'est pas ar -
chéologique mais traditionnelle et vivante.
CHAPITRE IX
LES DIMANCHES APRÈS LA PENTECOTE
Ce n'est pas sans raison que le Pape Pie X a souligné l'importance de ces dimanches pour la vie
chrétienne, en réduisant à une simple mémoire les fêtes des saints qui s'y trouvent, à l'exception des
fêtes des Saints Apôtres et de quelques autres fêtes notables ayant rang de première ou de deuxième
classe. C'est que, sous leur monotonie apparente, ces dimanches cachent de véritables trésors. « Re-
commencez toujours, nous dit l'Église, selon Parsch, tous les ans à l'Avent, tous les ans au Carême;
bien plus, chaque dimanche, l'âme doit déposer son habit usé de la semaine et prendre sa robe de di -
manche ».
Cette robe de dimanche, c'est celle du Baptême, de laquelle il faudrait effacer les moindres taches.
Elle est ornée et gardée par l'Eucharistie pour la vie éternelle, et voilà pourquoi chaque dimanche est
une petite fête de Pâques. Ce thème pascal paraît très spécialement dans les premiers dimanches après
la
164HORIZONS LITURGIQUESPRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 165
Pentecôte. Le Sauveur s'y montre guérissant, ressuscitant tandis qu'au Bréviaire les livres des Rois
figurent l'affermissement de son Royaume. A ce point de vue, on considérera le premier dimanche qui
traite de l'amour et de la miséricorde de Dieu; le deuxième, dimanche du grand festin qui fait corps
avec l'octave du Très Saint Sacrement; le troisième, prédestiné à se trouver dans l'octave du Sacré-
Coeur et qui montre la recherche de la brebis égarée; le quatrième, voisin de la fête des Apôtres Pierre
et Paul, qui nous montre Jésus pêcheur d'hommes; le cinquième, tableau de la communauté chrétienne
unie dans le Christ; le sixième, qui traite du Baptême et de l'Eucharistie. Et le souvenir pascal se réper -
cutera ensuite tout le long de l'été puis de l'automne, par exemple le onzième et le quinzième dimanche.
Après le thème pascal proprement dit, la vie chrétienne nous apparaît comme un combat. La période
du septième au quatorzième dimanche inclus présente presque constamment des antithèses : le
royaume de Dieu et le royaume du monde, tandis qu'au Bréviaire les avis des livres sapientiaux, illus-
trés par les exemples de Tobie, de Job, de Judith et d'Esther, décrivent l'organisation intérieure du
royaume du Christ. Il s'agit, en effet, pour le chrétien d'écarter de sa vie le profane et le mondain pour
ne pas perdre les biens éternels.
Ainsi, au septième dimanche, l'antithèse des deux arbres, l'esclave du péché et le serviteur de Dieu;
au huitième, les enfants de ténèbres et les enfants de lumière; au neuvième, le sombre tableau de la
ruine de Jérusalem, image sinistre de l'infidélité réprouvée, de l'abus des grâces; au dixième, le
contraste entre le pharisien et le publicain; au onzième, le sourd- muet et celui qui proclame Dieu; au
douzième, le bon samaritain et l'indifférent sans charité; au treizième, la reconnaissance ou l'ingrati-
tude; au quatorzième, l'antithèse des deux maîtres.
Enfin, à l'automne ecclésiastique, domine le thème de la « parousie », du retour du Christ, de la fin
des temps, de l'achèvement du royaume. C'est, après les combats des Macchabées, le passage à la cité
céleste avec Ezéchiel et les prophètes jusqu'à Malachie. Le quinzième dimanche unit la pensée de
Pâques à celle de la parousie, qui est aussi le passage du Seigneur, dans la résurrection de Naïm.
Viennent ensuite : la place au banquet du ciel, avec le seizième dimanche; l' « assieds-toi à ma droite>)
montrant le Christ en majesté, comme il reviendra, avec le dix-septième dimanche; l'entrée dans la de-
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meure céleste, le dix-huitième; la salle du festin de l'Eglise, le dix-neuvième; l'exil babylonien en atten-
dant le Christ, le vingtième; le tribunal du Juge éternel, le vingt-et-unième; le compte à rendre au Sou-
verain Juge, le vingt-
166HORIZONS LITURGIQUES
deuxième; nos relations avec le ciel, le vingt- troisième. Puis, selon la date de Pâques, l'insertion
possible de quelques dimanches avec, entre autres, la parabole de l'ivraie que le maître laisse croître
jusqu'à la moisson. Enfin, le dernier dimanche après la Pentecôte, c'est l'action de grâces et le tableau
du Jugement final.
Entre temps, l'Assomption avait pu rappeler la moisson des âmes et la Croix de septembre brillait
sur un ciel déjà sombre comme le signe du Fils de l'homme qui doit reparaître au dernier jour. On
connaît aussi l'à-propos de la fête de tous les saints à cette époque de l'année.
Mais on n'aurait garde d'omettre pour le dernier dimanche d'octobre, la fête récente du Christ-Roi.
Fête récente d'allure, en effet, car elle est plutôt une méditation qu'une fête, une thèse qu'une célébra-
tion. L'idée de royauté du Christ est disséminée pendant l'année entière. Regem, c'est le premier mot de
l'Avent, et c'est l'Epiphanie, la Passion. La fête du Très Saint Sacrement le répète dans son Invitatoire
et sa Procession. Mais cette fête récente ramène au « Christ en majesté » de l'antiquité chrétienne, aux
mosaïques de la belle époque liturgique du Ville siècle. Cette « grande puissance » et cette « grande
majesté » avec laquelle le Christ-Roi reviendra juger nous reporte aussi au Sacré- Coeur, à l'amour sur
lequel nous serons jugés. C'est là le dernier mot de l'année liturgique.
CHAPITRE X
LE CYCLE MARIAL
Dans un livre remarquable, le R. P. Antoine de Sérent écrit : « Le soleil est la figure du Christ, le
grand luminaire qui préside au jour. Le Christ a placé sa tente dans le soleil. La tente qui le recouvre
est la Vierge, la femme revêtue du soleil. Il s'est élancé comme un géant pour fournir sa carrière, et, sa
course terminée, il est remonté au sommet des cieux et personne ne peut se soustraire au rayonnement
de sa lumière. De son côté, la Vierge est figurée par la lune, le luminaire mineur qui préside à la nuit.
La nuit éclairée par la douce lumière de la Vierge, par la clarté plus ou moins brillante des étoiles qui
sont les saints; la nuit, c'est bien la distance qui nous sépare du jour sans fin de l'éternité bienheureuse
».
Le cycle marial, ce n'est pas la dévotion mariale sous toutes ses formes, ce n'est pas le culte privé,
collectif ou individuel, mais l'hommage liturgique rendu à Notre-Dame. A proprement parler il n'y a
pas de Temps marial, car
168HORIZONS LITURGIQUESPRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 169
tous les Temps sont dédiés à Dieu. Le mois lui-même n'est guère une expression liturgique. Cepen-
dant Marie qui a une grande place dans la dévotion liturgique journalière, en a aussi une grande dans le
Cycle annuel. La Liturgie nous enseigne à ne pas la séparer de Jésus. C'est par elle qu'il est entré dans
le temps, et le fondement de ce culte marial c'est la salutation angélique : «Je vous salue, Marie, pleine
de grâces, le Seigneur est avec vous ». La Vierge-Mère est inséparable de l'Homme-Dieu. A la dévo-
tion journalière se joint la dévotion hebdomadaire des samedis, due à la Vierge fidèle qui a gardé la foi
à la résurrection le Samedi-Saint, et la dévotion des Temps, affirmée par les quatre antiennes finales de
l'office. Cependant, ce qu'on pourrait appeler le mois de Marie liturgique, si l'on n'avait peur de fausser
les expressions, c'est le temps de l'Avent et aussi le temps de Noël. Pour le prouver qu'on lise les ré-
pons de l'Avent, l'homélie du 2e dimanche, l'offertoire du quatrième, alors que pour la première fois
dans l'histoire notre Ave Maria se trouve soudé et orné d'une mélodie. Qu'on se rappelle les Quatre-
Temps d'hiver, avec les Évangiles de l'Annonciation et de la Visitation dont le Magnificat se fait en -
tendre chaque jour de l'année, même le Vendredi-Saint. Qu'on songe à cette fête et à cette octave de
l'Immaculée-
Conception, aux stations à Sainte-Marie- Majeure, aux répons de Noël, à la fête du ler janvier et à
ces oraisons spéciales de l'Avent et du Temps de Nol, à la mention lors de l'Epiphanie et des noces de
Cana, jusqu'au jour de la Chandeleur. On trouve toujours alors « Jésus avec sa mère », « La mère de Jé-
sus est là ». Le dernier jour du temps de Noël est la Purification de la Très Sainte Vierge.

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En Carême, la fête centrale de l'Annonciation et aussi la Compassion. Marie paraît au Cénacle et la
Visitation est fêtée au lendemain de l'Octave de saint JeanSaptiste, à la fin du séjour à Aïn-Karim.
Vous connaissez l'Assomption, la Pâque mariale, la Nativité, le 8 septembre, le Rosaire, fête synthé-
tique, et le Cérémonial des Evêques insiste, pour les faire célébrer, sur les cinq fêtes de la Sainte
Vierge. C'est l'Annonciation, sans octave à cause du Carême, l'Immaculée-Conception qui la devance
et l'Assomption qui la couronne, trois fêtes de première classe, enfin les fêtes intermédiaires de la Puri-
fication et de la Nativité. Il y en a beaucoup d'autres : une seconde fête des Sept Douleurs en sep-
tembre, une seconde fête de Maternité en octobre, la Présentation en novembre, et Notre-Dame de
Lourdes, le Saint Nom de Marie, Notre-Dame du Mont-Carmel et Notre-Dame de la Merci, sans parler
des fêtes
170HORIZONS LITURGIQUES
locales sous différents vocables de confiance ou de bienfaits.
En France, où l'on a dû réduire le nombre des fêtes chômées, on a réservé au Seigneur deux jours,
début et fin de sa carrière terrestre, Noël et l'Ascension, remettant au dimanche l'Épiphanie et le Saint
Sacrement. Pour Notre- Dame, un jour chômé subsiste, l'Assomption. Les Saints en auront un en com-
mun. Ainsi s'établira une certaine proportion. Mais la dévotion ne s'arrêtera pas à ces jours obligatoires
et on se rendra compte que la piété ne s'improvise pas les jours de fêtes, rares et espacés, si la réflexion
et l'étude ne viennent pas s'alimenter aux textes que la Liturgie nous offre pour préparer les fêtes, les
célébrer et les continuer. L'Assomption et l'Immaculée-Conception ont une Vigile. Les textes de ces
messes et de ces offices nous renseigneront sur le culte dû à Notre-Dame. Nous les consulterons, n'es -
pérant trouver dans le présent opuscule qu'une indication trop sommaire pour qu'il puisse les rempla-
cer.
CHAPITRE XI
LES FÊTES DES SAINTS
Les calendriers des Postes sont remplis des fêtes des Saints. Le Martyrologe offre pour chaque jour
un choix considérable. L'insertion à ce livre officiel est la Canonisation ou inscription au canon, ou ca-
talogue des saints. Néanmoins, il serait impossible de célébrer chacun d'entre eux par un office particu-
lier, ou même d'en faire une mémoire spéciale, en plus de cette mention à l'Heure de Prime, au Marty-
rologe. Il faut faire un choix. Pour plusieurs saints, il s'impose. Pour d'autres, il a été dicté par les cir-
constances, par l'opportunité de la dévotion. C'est l'exemple ou l'intercession, les miracles et les bien-
faits, les encouragements salutaires, l'âge, le pays ou la condition, représentés au calendrier pour don-
ner une image de l'Eglise triomphante à l'Eglise militante. Celle-ci a attribué aux saints une « dignité »
officielle qui sert à régler les préséances, à déterminer les grades, à classer les fêtes.
172HORIZONS LITURGIQUES
PRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 173
L'Eglise, après le Seigneur et sa Mère, n'oublie pas les Anges. Elle attribue à saint Michel une fête
de première classe, mais sans le prolongement des huit jours. La même dignité, sinon le même rit et la
même solennité, revient aux autres Archanges et aux Anges.
Puis vient saint Jean-Baptiste, dont la Nativité, le 24 juin, est exceptionnellement fêtée, précédée
d'une Vigile et suivie d'une Octave, déjà mise au rang des grandes solennités par le Concile d'Agde en
506. C'est la Noël d'été, comprise seulement par les peuples croyants qui voient dans le Précurseur l'au-
rore du soleil, la Voix du Verbe, l'Ami de l'Epoux chargé de lui présenter l'Épouse, l'envoyé de Dieu «
afin que tous crussent par lui ». Et le Précurseur participe au Propre du Temps. Il nous prêche l'Avent,
nous montre le Sauveur à l'Epiphanie, et son témoignage lui survit, signalé qu'il est à la Préface de
Pâques où l'on atteste la véracité de son geste désignant le véritable Agneau de Dieu. Saint Jean, héros
de la Visitation, première âme sanctifiée par le Verbe fait chair porté par Marie, est fêté ainsi le z juillet
au lendemain de l'octave de sa fête. Le 29 août célèbre son martyre. On peut dire que la dévotion à
saint Jean-Baptiste est la pierre de touche de l'esprit liturgique.
Saint joseph, incomparable dans sa mission de gardien de Marie et de père putatif du
Sauveur a vu poindre son culte vers le xve siècle dans le calendrier romain. La date du 19 mars
semble se rapporter à l'Annonciation. Deux fêtes de première classe depuis le xixe et le xxe siècle l'ho -
norent, la seconde comme Patron de l'Église universelle. Son culte a crû sans cesse, en marge surtout
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de la Liturgie, au bénéfice des âmes intérieures et de l'Eglise tout entière qui recourt à lui dans ses tri-
bulations. Sa fête du 19 mars, en Carême, a une solennité après Pâques par une autre fête de première
classe avec octave qui n'est pas sans porter quelque préjudice au temps pascal. On regrette son absence
aux environs de Noël.
Viennent ensuite les Saints Apôtres. Saint Pierre et saint Paul sont réunis dans une même fête le 29
juin, et saint Paul commémoré le 30. Cette fête a une Vigile comme l'Assomption et saint Jean-Bap-
tiste. Elle a aussi une octave. Saint Pierre est encore fêté le 18 janvier, le 22 février, le ler août, et saint
Paul le 25 janvier. Les autres Apôtres avaient des fêtes jadis chômées; elles ont le rit de deuxième
classe avec Vigiles. Les fêtes des Apôtres se répartissent à peu près dans toutes les saisons, et parfois
chaque mois. Les Evangélistes non Apôtres, saint Marc et saint Luc, n'ont pas de Vigiles.
Après les Apôtres, les autres saints n'ont pas de « dignité » spéciale à considérer pour l'agen-
174HORIZONS LITURGIQUESjPRATIQUE ASCÉTIQUE DE LA LITURGIE 175
cernent du calendrier. Plusieurs, comme saint Etienne et saint Laurent, les saints Innocents, saint
Joachim et sainte Anne, ont des fêtes de deuxième classe.
Mais nous n'aurions garde d'oublier les saints Patrons des pays, des régions, des villes, des bour-
gades, des Congrégations, des Associations. Les patrons principaux ont des fêtes de première classe
avec Octave. Nous disions que les saints, au milieu de la nuit du monde, sont comme des étoiles pour
nous indiquer le chemin du ciel. Si la voie lactée représente les saints perdus dans les mentions du mar-
tyrologe, les étoiles les plus brillantes représentent les Patrons. Plus près de nous, elles attirent notre at-
tention. Sont-elles plus grandes en réalité, sont-elles plus belles ? Dieu seul le sait. Ainsi du mérite des
saints; mais les Patrons, on peut le croire, nous disent avec saint Brieuc dans son office « Mes yeux re-
gardent les fidèles de la terre, afin qu'un jour ils se reposent avec moi dans le ciel ». L'Eglise prie
comme elle croit. Dans sa Liturgie se trouve l'expression de l'honneur dû aux saints. Elle les considère
comme des modèles, héroïques sans doute, mais variés et imitables; comme des compagnons de route
solidaires, car ils sont prêts à partager leurs mérites avec nous; comme des protecteurs autorisés. L'an-
née liturgique a montré que le culte principal, comme le sacrifice, n'est offert qu'à Dieu, seul adorable,
mais qu'honneur et surhonneur est dû à Notre-Dame, honneur aussi, ou dulie, aux autres saints. Et vrai-
ment, quand on songe que, sous peine de faute, le clergé tout entier est astreint à redire les louanges
d'une créature dont la vie fut obscure, et cela tous les ans, on peut se demander si un grand homme se -
lon le monde reçoit autant d'hommages qu'une sainte Thérèse de l'Enfant- Jésus. Si dans les apothéoses
mondaines, dans les triomphes de la rue, on s'avisait d'accorder une telle solennité à un être dont toute
l'ambition a été de passer sa vie à l'ombre d'un cloître, les journaux pourraient ridiculiser pareille pra-
tique, mais la liturgie vient et dit on peut être sublime sans le génie, on peut être grand sans l'or, on
peut être heureux sans la sensualité. Dès cette vie les vierges ont leurs lampes allumées, d'autres êtres
marchent à tâtons. Suivons les saints.
Et toutes ces solennités ne sont que figures. Qu'est-ce donc que la gloire du Ciel ?
Cette gloire du ciel est figurée encore et dans la fête collective de tous les Saints, le ier novembre, et
dans les fêtes de Dédicace.
Avons-nous parcouru toute l'année liturgique? Non, et nous terminerons comme toutes les Heures de
l'Office : « que les âmes des Fidèles trépassés reposent en paix ». Ces saintes âmes ont aussi leur fête,
le 2 novembre; leur
176HORIZONS LITURGIQUES
mémoire spéciale chaque mois et les lundis. La liturgie des funérailles enfin mérite aussi d'être sui -
vie par les chrétiens. Elle fait partie de ce va-et-vient entre la terre et le ciel qui n'oublie pas le Purga -
toire. Si, au milieu des deuils, elle ramène la pensée d'une mort inexorable, châtiment du péché, elle
montre le but et y mène la victoire par la Résurrection du Christ et le repos éternel.
Imprimé en Belgique. — Printed in Belgium.

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