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Topo : L’adoration du Saint Sacrement, qu’est-ce que c’est ?

Il y a moins de cent ans, un père écrit à son fils dont la foi défaille : « Au-delà de
l'obscurité de ma vie, tant de fois frustrée, je place devant toi la seule richesse digne d’être
aimé : le Saint Sacrement… Là, tu trouveras la passion, la gloire, l’honneur, la fidélité et la
source de tous tes amours terrestres ». Ce père qui écrit c’est Tolkien, l’auteur du Seigneur des
Anneaux. Le Saint Sacrement comme la seule richesse digne d’être aimé

Le catéchisme de l’Église Catholique définit l’adoration comme le prosternement de


l’homme qui se reconnait créature devant son Créateur trois fois saint.

Au fond de nous-même, nous sentons bien que l’adoration est quelque chose de grand,
« non pas un luxe mais une priorité » disait Benoit XVI. Mais en même temps il y demeure
quelque chose de mystérieux.

Ne comptez pas sur cet exposé pour comprendre de manière limpide l’adoration. C’est
le propre du mystère, du mystère divin de ne pas pouvoir être saisi dans son ensemble. Mais
c’est aussi le propre du mystère, tel une nuée ou un brouillard lumineux, de pouvoir y entrer
sans jamais l’épuiser. Rassurez-vous je ne suis pas près d’épuiser le sujet. Je vous invite par
avance, à aller relire tout particulièrement ce qu’ont dit les derniers papes à ce sujet.

Comme porte d’entrée commençons par un rapide parcours historique sur cette pratique.

I. Aspects historiques.
On peut trouver les premières traces de l’adoration eucharistique au 12e siècle (1394).
Voir même avant sous d’autres formes (adoration de la réserve eucharistique). Mais cette
pratique s’enracine dans une tradition plus ancienne. Il y a une volonté de proclamer la
permanence de la présence réelle en dehors de la célébration eucharistique.
Dans les premiers temps de l’Église on a vu l’autel comme le lieu principal de la prière.
Il n’y avait pas alors de tabernacle et pour se tourner vers le Seigneur on se tournait vers l’autel.
Certes si on y est attentif la prière chrétienne s’adresse d’abord au Père. Mais nous avons
un besoin d’un lieu d’intimité avec le Fils. Avec le Christ.
Chez les orientaux il y a toujours eu cette tradition des icônes, qui sont plus qu’une
simple représentation. Elle sont une présence de Dieu. D’ailleurs les icônes sont dites écrites et
non peintes.
Chez les latins, deux raisons ont poussé à développer l’adoration. Tout d’abord la
volonté de répondre à quelques hérésies. Paradoxalement ce sont souvent des hérésies qui ont
conduit la théologie chrétienne à se développer. Et de plus il y avait un désir de voir (on peut
voir aussi un tel désir dans la disparition des jubés). Cette pratique va notamment se développer
chez les moines de Cluny.
Le culte d’adoration s’est développé en même temps qu’une perte de sens autour de la
Messe. Plus les fidèles sont devenus spectateurs plus ils ont le besoin de se rapprocher
autrement de l’Eucharistie. Le Concile Vatican II sur ce point a permis un rééquilibrage.
L’adoration est donc le prolongement du mémorial de la Messe, nous invitant à devenir nous
même une offrande.
Entrons donc dans une deuxième partie afin de tenter de mieux saisir le sens de
l’adoration.
II. Aspects théologiques.
L’adoration est un acte gratuit par excellence. C’est fuir l’activisme. Même dans notre
prière nous voulons souvent faire. Faire beaucoup. Lire, parler, demander, offrir… Nous
sommes marqués par cette idée que nous devons être bons dans la prière, comme nous serions
bons au travail ou dans je ne sais quel sport. Nous cherchons de nouveaux chants, de nouveaux
gestes… Mais l’adoration nous aide à dépasser tout cela.

Il y a au fond toujours un petit pélagien qui sommeille au fond de nous-même. Le pape


François est revenu sur ce point a plusieurs reprises depuis le début de son pontificat. « Selon
l’hérésie pélagienne, qui s’est développée au Ve siècle, autour du moine Pélage, l’homme, pour
accomplir les commandements de Dieu pour être sauvé, a besoin de la grâce seulement comme
une aide externe à sa liberté », et non « comme un assainissement et une régénération radicale
de la liberté, sans mérite préalable, afin qu’il puisse accomplir le bien et rejoindre la vie
éternelle ». L’adoration nous aide à combattre cela.

L’adoration nous aide, non pas à faire, mais à être.

L’adoration c’est comprendre que fondamentalement la foi est une rencontre, une
relation. Rencontre avec une personne. Jésus-Christ.

Pour nous aider à comprendre la démarche que nous allons vivre dans quelques instants,
il nous faut revenir aux premiers adorateurs du Saint-Sacrement. J’aime à voir dans l’évènement
de la transfiguration, les apôtres comme premiers adorateurs.
01
Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne.
02
Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.
03
Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.
04
Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois
tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
05
Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci
est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! »
06
Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte.
07
Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! »
08
Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.
09
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de
l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »

Jésus nous emmène sur une haute montagne, cette haute montagne nous la savons dans
l’Écriture c’est le lieu de la rencontre avec Dieu. Parce qu’un peu plus proche du ciel que le
reste de la Terre, la montagne nous rapproche de Dieu. Notre montagne à nous ce soir c’est
cette chapelle. Et voilà que Jésus va être transfiguré. A chaque Eucharistie. A chaque adoration
nous voyons Jésus transfiguré. Oui vraiment devant nous, nous verrons le Corps glorieux de
notre saveur. Le temps de l’adoration c’est ce temps de l’élévation à la Messe qui est prolongé.

Si l’Eucharistie est la source est le sommet de la vie chrétienne, d’après le concile


Vatican II, l’adoration en est le déploiement.

Oui il est bon que nous soyons ici. Nous allons pouvoir contempler la plénitude de la
révélation. Moïse et Élie, la loi et les prophètes qui annonçaient le Messie apparaissent auprès
de Jésus. Dans l’adoration nous contemplons celui qui vient accomplir la loi et les prophètes.
Peut-être d’ailleurs ne nous faut-il pas hésiter à s’appuyer sur la parole de Dieu pendant
l’adoration. Ce n’est sans doute pas le temps de la prière du Chapelet. Marie est surement touché
de l’intention mais c’est devant Jésus que nous sommes à l’adoration. En revanche nous
pouvons nous appuyer sur la Parole de Dieu, Jésus n’est-il pas la Parole de Dieu faite chair ?

Les disciples sont saisis d’une grande crainte parce qu’ils saisissent que ce mystère les
dépasse. Comme Saint Pierre, nous voudrions prononcer de belles paroles. Chez St. Marc :
« Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande. ». Nous sommes mal à l’aise avec le
silence, avec le temps long. Si Saint Pierre n’a pas su quoi faire, n’ayons pas peur d’être comme
lui. Plutôt que de combler le vide par nos paroles, écoutons le Père nous parler : « Celui-ci est
mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! ». Trouvons en lui notre joie.
Demeurons prosternés devant lui. Et puis à la fin relevons-nous pour repartir dans le monde. Et
parce qu’Il est ressuscité osons en parler au monde.

Permettez-moi, sans honte d’emprunter les mots du Pape François :

« L’homme, quand il n’adore pas Dieu, est amené à adorer son moi. Et même la vie
chrétienne, sans adorer le Seigneur, peut devenir un moyen raffiné pour s’affirmer soi-même et
son talent : des chrétiens qui ne savent pas adorer, qui ne savent pas prier en adorant. C’est un
risque sérieux : nous servir de Dieu plutôt que de servir Dieu. (…). Dans la vie chrétienne, il ne
suffit pas de savoir : sans sortir de soi-même, sans rencontrer, sans adorer, on ne connaît pas
Dieu. La théologie et l’efficacité pastorale servent à peu de choses ou même à rien si on ne plie
pas les genoux ; si on ne fait pas comme les Mages, qui ne furent pas seulement des savants
organisateurs d’un voyage, mais qui marchèrent et adorèrent. En adorant, nous découvrons que
la vie chrétienne est une histoire d’amour avec Dieu, où les bonnes idées ne suffisent pas, mais
qu’il faut lui accorder la priorité, comme le fait un amoureux avec la personne qu’il aime. C’est
ainsi que l’Église doit être, une adoratrice amoureuse de Jésus son époux.

Adorer, c’est rencontrer Jésus sans une liste des demandes, mais avec l’unique demande
de demeurer avec lui. C’est découvrir que la joie et la paix grandissent avec la louange et
l’action de grâce. Quand nous adorons, nous permettons à Jésus de nous guérir et de nous
changer.

D’habitude, nous savons prier – nous demandons, nous remercions le Seigneur –, mais
l’Église doit encore aller plus loin avec la prière d’adoration, nous devons grandir dans
l’adoration. C’est une sagesse que nous devons apprendre tous les jours. Prier en adorant : la
prière d’adoration.

Aujourd’hui chacun de nous peut se demander : “Suis-je un chrétien adorateur ?” »

III. Guide pratique.

Pour conclure j’aimerais développer deux points.


a. Comment faire ?
Un certain nombre parmi nous sont mariés. Ils ont ainsi le meilleur mode d’emploi qui
existe pour l’adoration. Si nous croyons que le sacrement du mariage est le sacrement, le signe
de l’alliance du Christ avec l’Église, nous croyons donc que le sacrement du mariage éclaire ce
que nous allons vivre, et que ce que nous allons vivre éclaire le sacrement du mariage.
Sans trop forcer le trait je crois que nous pouvons dire, que nous devons vivre l’adoration
comme nous vivrions une rencontre avec l’être aimé.
Lorsque deux personnes se rencontrent elles commencent par se saluer.
Saluons notre Dieu, par exemple en nous agenouillant. Si la rencontre avec une autre
personne n’est pas un acte anodin, combien plus lors de l’adoration devons-nous être à notre
affaire.
Puis, pour revenir à nos deux amis ils vont se présenter.
Prenons le temps de nous présenter à Dieu, de prendre conscience qu’il est là. Plaçons-
nous devant lui, plaçons nos vies devant lui.
Ensuite, ils vont se parler, se donner des nouvelles.
Vous connaissez peut-être cette histoire du Curé d’Ars qui rencontrant un homme qu’il
aperçoit tous les jours en train de prier à l’église, lui demande comment il habite ce temps. Et
le brave homme de répondre : « Il m’avise et je l’avise, il me parle et je lui parle ». Parlons au
Seigneur comme un ami parle à un ami. Nous préoccupant de l’autre plutôt que de nous-même.
Et enfin comme deux être qui s’aiment, aiment à passer du temps ensemble même sans
échanger un mot, réjouissons-nous d’être là dans le silence, simplement, avec Jésus, parce que
nous l’aimons et qu’il nous aime.

b. Prier avec son corps.

Enfin, l’Eucharistie est le plus beau présent qui nous soit fait par l’incarnation du Fils de
Dieu. Parce que nous sommes bien n’incapables d’accéder de nous-même à Dieu, Dieu viens à
nous. Et il le fait dans notre humanité. Dieu a pris un corps. Alors c’est avec notre corps que
nous avons à la rejoindre.
L’adoration n’y fait pas exception. Extérieurement nous pourrions imaginer que c’est une
prière avant tout mentale, en esprit. Mais c’est probablement une des prières les plus incarnées.
Si l’on suit les racines hébraïques, grecques ou latines nous pouvons traduire le verbe adorer
par le fait de s’incliner profondément. Les exemples bibliques ne manquent pas, de la femme
qui veut toucher les franges du manteau de Jésus et qui se prosterne au sol, à Marie-Madelaine
qui embrasse les pieds de Jésus.
Notre monde a besoin d’unité. Nous avons tous besoin d’unité. La liturgie peut et doit être
ce lieu ou l’unité est restaurée. Simone Weil, la philosophe qui a rencontré le Christ a senti en
arrivant à la Basilique d’Assise en 1936 ce besoin : « quelque chose de plus fort que moi m’a
obligé pour la première fois de ma vie à me mettre à genoux ». Notre attitude extérieure traduite
notre attitude intérieure.
Prier avec son corps c’est aussi accepter que si celui-ci devient un obstacle à la prière, nous
pouvons changer de position, tantôt à genoux, tantôt assis tantôt prosterné.

Souvenons-nous simplement toujours : « l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais


adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père.
Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »

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