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COLLECTION

« Conférences spirituelles »

16 conférences du R.P. Gaston Courtois,

Fils de la Charité.

1- L'Oraison

2- La Prière

3- La Chasteté

4- Vers la Sainteté

5- La pensée joyeuse de la Mort

6- La Joie

7- L'Eglise

8- Notre-Dame

9- L'Esprit-Saint

10- L'Esprit de Sacrifice

11- L'Humilité

12- La Sainte Messe

13- La Foi

14- L'Obéissance

15- La Charité fraternelle

16- L'Esprit de reconnaissance

(Cette collection sera traduite en anglais)


Imprimé au Canada
______________________________________________________________________________
Imprimerie W.- H. Gagné & Fils Ltée, St-Justin, Qué.

1
R. P. GASTON COURTOIS
Fils de la Charité

LA SAINTE MESSE

Premier tableau : Les sacrifices humains


Deuxième tableau : Substitution de la victime
Troisième tableau : La divine Victime
Quatrième tableau : Promesse de l'Eucharistie
Cinquième tableau : Le Sacrifice eucharistique

Collection
« Conférences spirituelles »

12
Éditions de l'IRIS `
1601 est, Boul. Gouin, Montréal 12
P. Québec - Canada
R.P. Gaston COURTOIS
2
Procureur Général à Rome des Fils de la Charité

(Texte reproduit d'après des conférences enregistrées et


non prévues à l'origine pour impression)

LA SAINTE MESSE

Quand on parle de la sainte messe avec des fidèles, on s'aperçoit vite qu'il y a dans leur esprit
bien des lacunes à combler, bien des mises au point à opérer.
Pour les uns, la messe est simplement un rite peu compréhensible, mais auquel il faut assister le
dimanche sous peine de péché mortel. Certains déclarent ingénument : c'est une cérémonie religieuse
à laquelle les gens de notre milieu se doivent d'être présents pour se rencontrer et bavarder ensuite sur
la place de l'église ; quelques-uns ajoutent : c'est l'occasion d'entendre de la belle musique et parfois
une bonne parole si le prédicateur est intéressant.
Pour d'autres, c'est un acte de dévotion pendant lequel on récite le chapelet. C'est fort bien de dire
le chapelet, mais ce n'est pas spécialement le moment.
Pour les plus évolués qui ont un missel et qui savent s'en servir, c'est un acte liturgique pendant
lequel on s'unit aux prières du prêtre. Voilà qui est mieux, mais ce n'est pas encore complet.
Les plus fervents y voient surtout l'occasion de recevoir la sainte hostie, mais malheureusement
ils ne font pas le lien entre la communion et le saint sacrifice proprement dit qui passe tout à fait à
l'arrière plan.
Par contre, la réponse que l'on trouve dans certains catéchismes est un résumé exact et concis de
la théologie de la messe : « Représentation non sanglante sur l'autel du sacrifice sanglant du
Calvaire », mais elle ne met peut-être pas assez en relief le rôle que nous avons à y jouer en tant que
membres du Christ.
C'est sur ce point qu'il convient d'insister. La messe, en effet, c'est l'actualisation, en un point de
l'espace et du temps, de l'oblation du Christ au Calvaire pour permettre à une communauté chrétienne
de mêler son offrande à la sienne et dans la mesure de son apport, expression de son amour, de
déclencher plus ou moins intensément l'application des fruits de la Rédemption pour la gloire du
Père, au profit de l'Eglise triomphante, souffrante, et militante.
Cette définition met en valeur l'unité du sacrifice de la messe et le sacrifice du Golgotha, lequel
n'est que l'expression dramatique de l'oblation éternelle du Fils se livrant sans réserve en hommage à
son Père.
C'est le même Prêtre qui se continue par ses prêtres et qui actualise 400,000 fois par jour la mê-
me offrande.
C'est la même Victime qui renouvelle autant de fois son geste d'amour - il n'y a pas de plus
grande preuve d'amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime - et qui essaye de nous entraîner
dans son élan vers son Père, au bénéfice de tous nos frères humains.
Egalement cette définition de la messe met en relief certains aspects essentiels et trop souvent né-
gligés : à savoir le devoir de notre participation active au saint sacrifice et notre co-responsabilité
avec tous les membres de la communauté chrétienne. C'est, en effet, dans la mesure de notre apport,
expression de la charité loyale de nos cœurs, en accord avec tous nos frères, que nous déclenchons
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invisiblement, au profit de l'humanité entière, l'application de ces fruits de la Rédemption qui
s'appellent le pardon aux pécheurs, la conversion des infidèles, l'unité des chrétiens, la croissance du
Corps Mystique, la paix entre les hommes, etc. en un mot, toutes les grâces que le Christ a méritées
« en droit » pour le monde pendant toute sa vie terrestre mais surtout pendant sa Passion. Or, toutes
ces grâces ne sont accordées « en fait » que dans la mesure de notre adhésion à Lui et de notre
collaboration avec lui, en esprit d'Eglise.
Pour approfondir, le mystère de la messe ; il nous faut rappeler l'histoire du sacrifice. Je vais
essayer en cinq tableaux, dans une fresque forcément raccourcie, de vous en tracer les grandes lignes.
En terminant, j'insisterai sur notre place et notre tôlé dans cette histoire.

***

PREMIER TABLEAU
LES SACRIFICES HUMAINS

Les premiers hommes avaient un sens très aigu de la grandeur de Dieu. Sans doute parce qu'ils
étaient plus proches de la révélation primitive et plus émerveillables au spectacle de l'immense uni-
vers, ils éprouvaient quasi physiquement, peut-être plus que nous, le sentiment du néant de la
condition humaine à côté de l'infini de Dieu. N'est-il pas la Réalité suprême devant laquelle tout pâlit
et s’efface ? N'est-il point l'Etre de qui nous avons tout à recevoir pour subsister ?
Comment s'y prendre pour reconnaître cette vérité fondamentale ? Pour affirmer d'une manière
expressive le tout de Dieu et le rien de l'homme, beaucoup instinctivement n'avaient rien trouvé de
mieux que d'offrir des sacrifices humains. Ces sacrifices humains, nous les retrouvons dans presque
toutes les religions primitives, aussi bien chez les Incas qu'au centre de l'Afrique ; aussi bien chez les
Celtes qu'en Orient.
A ce besoin d'affirmer d'une manière aussi brutale le mystère redoutable de la divine
transcendance, venait s'adjoindre la sensation presque viscérale de la déchéance que valait au clan ou
à la communauté le péché d'un de ses membres, source de toutes les calamités possibles. En effet, le
péché formel, lorsqu'il est vu dans une perspective théologale, apparaît comme un crime de lèse
majesté divine, puisque c'est vouloir se faire Dieu à la place de Dieu. Seule, évidemment, la mort
peut le réparer. Saint Paul lui-même, interprète de toute la tradition, n'a-t-il pas dit : « La rançon du
péché, c'est la mort. Il n'y a pas de rémission sans effusion de sang ».
La coutume des sacrifices humains était tellement répandue que lorsque, 2.000 ans avant notre
ère ; le Seigneur demanda à Abraham, pour éprouver sa foi, de sacrifier son fils Isaac, le patriarche
ne fit aucune objection.
Relisons le chapitre XXII de la Genèse : « Dieu dit à Abraham : « Prends ton fils, ton unique
que tu aimes ; Isaac, va au pays de Moria et là, offre-le en holocauste sur, une montagne que je te
dirai ». Le lendemain matin, Abraham sella son âne, il prit avec lui deux serviteurs et son fils Isaac ;
ayant fendu le bois de l'holocauste, il parti pour le lieu que Dieu lui avait dit. Le troisième jour,
Abraham, levant les yeux, aperçut le lieu de loin et Abraham dit à ses serviteurs : « Restez ici, moi et
l'enfant, nous allons jusque-là adorer ». Abraham prit le bois de l'holocauste et le mit sur Isaac son
fils, il prit dans sa main le feu et le couteau et s'en allèrent tous deux ensemble …"
Le jeune garçon se demandait quelle pouvait être la victime. Le patriarche rassura son fils par ces
mots : « Dieu y pourvoira, mon enfant ». Arrivés au faîte de la montagne, Isaac constata que c'était
lui la victime choisie par Dieu. Loin de se révolter, il se laissa attacher au bûcher et se prépara à
recevoir le coup fatal ; mais Dieu ne veut pas que l'homme tue l'homme.
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***

DEUXIÈME TABLEAU

SUBSTITUTION DE LA VICTIME

Nous voyons déjà apparaître dans l'histoire d'Abraham l'idée capitale de la substitution de la
victime dans les sacrifices. L'ange arrêta le bras d'Abraham et lui signala un bélier qui s'était laissé
prendre par les cornes dans les broussailles voisines. Abraham alla prendre le bélier et l'offrit en
holocauste à la place de son fils.
Cette idée de substitution se répandit de plus en plus, sans doute sous l'influence de l'esprit de
Dieu, dans la plupart des cultes.
Nous voyons, en effet, dans la suite des siècles, que presque chez tous les peuples l'habitude se
prend de remplacer l'homme par un animal. Ici, ce sera un taureau, là un bouc (rappelons-nous le rite
du bouc émissaire que nous rapporte le chapitre XVII du Lévitique). Ailleurs, il s'agit d'un agneau,
mais toujours la bête immolée le sera au nom du groupe humain qui l'offre en sacrifice, soit pour
affirmer le souverain domaine de Dieu, soit pour obtenir le pardon des péchés, soit pour reconnaître
ses faveurs, soit pour attirer de nouveaux bienfaits.
Partout l'on trouve également des gestes rituels qui expriment la solidarité des membres du
groupe avec la victime. C'est par exemple l'imposition des mains : on voulait signifier par là le trans-
fert sur la bête choisie des péchés de la foule, Chacun reconnaissait ainsi qu'il méritait d'être immolé
à sa place et que la victime n'était que l' « extension » de la communauté, déléguée au nom de tous.
N'est-ce point ce geste que l'on retrouve à la messe lorsque le prêtre étend les deux mains sur le
pain et le calice à l'hanc igitur oblationem avant la consécration ?
Mais il est une autre manière encore plus expressive de manifester l'union étroite des assistants
avec la victime : pour bien montrer que tous faisaient corps avec elle, un morceau en était distribué à
chacun, qui ainsi se l'incorporait par la manducation.
Bref, on cherchait tous les moyens d'affirmer qu'on ne faisait qu'un avec elle en vertu de cette
conviction : plus on était associé à la créature immolée en hommage au Créateur, plus on pouvait
espérer la réponse favorable de Dieu, son pardon, sa protection, ses bénédictions.
Rappelez-vous les prescriptions de Moïse concernant la première Pâque juive avant l'exode.
Cette nuit-là l'Ange devait exterminer les premiers nés des Egyptiens. Les juifs avaient dans chaque
famille, conformément aux ordres du Seigneur transmis par Moïse, égorgé un agneau, dont ils
devaient manger la chair rôtie au feu après avoir aspergé de son sang les deux montants et le linteau
de la porte de leur maison. Ainsi la protection céleste était assurée à tous ceux qui participaient à
l'holocauste offert à Dieu pour obtenir leur pardon et leur délivrance.
Le livre du Lévitique constitue un véritable rituel de ces sacrifices, qui devaient se prolonger
dans la suite des siècles et que l'on retrouve encore aujourd'hui dans bien des pays. Mais il est évident
que les victimes humaines ou animales, même les mieux choisies, étaient incapables de rendre à Dieu
un hommage digne de lui et c'est pourquoi nous voyons apparaître la divine victime.

***

TROISIÈME TABLEAU :
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LA DIVINE VICTIME

En effet pour pouvoir adorer Dieu autant qu'il est adorable, il faudrait d'abord le connaître tel
qu'il est : or seul un être infini peut en mesurer la grandeur et la majesté. Pour aimer Dieu autant qu'il
est aimable, il faudrait équivaloir aux dimensions de son immense amour : seul, un Dieu peut en
percevoir l'intensité et lui rendre un amour égal. Pour expier les crimes de lèse-majesté divine que
sont les péchés, il faudrait être Dieu qui peut seul parcourir la distance infinie qui sépare la créature
de son Créateur.
Et alors le Verbe s'est fait chair, mais en s'incarnant dans le sein de la Vierge Marie, il devenait
parfaitement homme tout en restant parfaitement Dieu. Assumant la nature humaine, il récapitulait en
lui tous les membres de l'humanité passés, présents et à venir. Il prenait en compte toutes les
détresses humaines, toutes les fautes humaines, tous les besoins spirituels des hommes. Mais parce
qu'il restait Dieu et qu'il n'y avait en lui qu'une seule Personne, la Personne divine, il conférait à son
expiation, à son obéissance, à sa charité, à sa divine oblation, en un mot à tous ses gestes humains, le
cœfficient de l'infini.
C'est là un des grands motifs de l'Incarnation : permettre à l'humanité de rendre par Lui, avec Lui
et en Lui, au Père des cieux un hommage adéquat : Omnis honor et gloria, l'hommage d'une offrande
parfaite, expression d'un amour total plus fort que toutes les indifférences, les haines, les révoltes, les
égoïsmes d'ici-bas.
Jésus-Christ est par excellence la divine victime, immolée en notre nom à tous.
Cela est tellement vrai que lorsque saint Jean-Baptiste a vu le Christ descendre de la montagne
vers les rives du Jourdain, il n'a pas dit à ses compagnons : « Voici le Roi d'Israël, voici le Prophète,
voici le Messie, voici le Sauveur du monde », mais « Ecce Agnus Dei - Voici l'Agneau de Dieu » ou
plutôt - car c'est un hébraïsme – « Voici Dieu qui s'est fait Agneau ». Oui ! Ecce Agnus Dei. Voici
Celui qui s'est fait hostie, prenant sur lui tous les péchés du monde, c'est pourquoi il pourra donner la
paix à l'humanité. Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, dona nobis pacem.
Mais comment s'y prendre pour que les hommes qui accepteraient de le suivre puissent ne faire
qu'un avec lui dans son oblation ?

***

QUATRIÈME TABLEAU :

PROMESSE DE L'EUCHARISTIE

Les hommes ratifiaient l'oblation offerte en leur nom en mangeant un morceau de la victime im-
molée. C'est en mangeant sa chair que les hommes feront corps avec lui et participeront à son
offrande. C'est très simple, mais il fallait être Dieu pour y penser et le réaliser.

Voyons comment les choses se sont passées.


Trois étapes : 1°) la multiplication des pains ;
2°) la promesse eucharistique ;
3°) la Cène.

1°) La multiplication des pains.


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Jésus a pitié de la foule qui depuis trois jours ne le quittait pas et qui n'avait rien à manger. Il
pose la question à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour les nourrir ? » Saint Jean
ajoute : « Il disait cela pour l'éprouver, car il savait bien, Lui, ce qu'il allait faire ». En effet, il
donne l'ordre à tout le monde de s'étendre sur l'herbe, il prend quelques petits pains que lui offre un
jeune garçon, les bénit et les fait distribuer à l'assistance. Il y eut de quoi rassasier plusieurs milliers
de personnes et on remplit douze paniers avec les morceaux de pain qui restaient.
On devine l'enthousiasme des gens qui, le lendemain, partent à sa recherche, espérant de
nouveaux miracles, qui leur permettraient sans doute d'être nourris à bon compte.
Mais Jésus va essayer de spiritualiser leur désir et de les faire accéder à un plan supérieur.

2°) Promesse de l'Eucharistie.

En substance, il leur dit : « Vous êtes venus auprès de moi chercher le pain qui nourrirait vos
corps, Eh bien ! Moi, je suis le pain qui nourrit les âmes, Oui, je suis le pain vivant descendu du ciel,
et le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde ». Devant l'étonnement de la foule à
ces paroles, Jésus insiste : « Si vous mangez ma chair, si vous buvez mon sang, vous aurez la vie en
vous. Si vous refusez la chair que je vous offre en nourriture et le sang que je vous offre en breuvage,
vous n'aurez point la vie en vous ». Cette fois, les auditeurs se révoltent : « Que nous dit-il? Pour qui
nous prend-t-il ? Ce discours est vraiment dur à entendre ». Ses auditeurs d'hier, qui voulaient le
faire roi, se disent : « Il est devenu malade d'esprit » et commencent à s'éloigner.

Il y a même des réticences et des mouvements divers parmi ses disciples. Jésus s'en aperçoit et se
tourne vers eux : « Vous aussi, vous allez me quitter ? ». Ils sont un peu hésitants pour répondre.
Saint Pierre, avec la spontanéité de son cœur et l'élan de sa foi, prend alors la parole : « Seigneur,
nous ne comprenons pas très bien, mais à qui irions-nous ? C'est vous qui avez les paroles de la vie
éternelle » - « Oui, répond Notre-Seigneur, mes paroles sont Esprit et Vie".
Et tout au cours des entretiens particuliers qu'il leur réservait au soir des journées apostoliques, il
les a préparés progressivement au grand mystère. Il leur a expliqué la signification de la manducation
de l'agneau pascal, pour s'incorporer à la victime et bénéficier ainsi des fruits du sacrifice. Il leur a
prédit en détail sa Passion et il leur a rappelé la présentation qu'avait fait de lui saint Jean-Baptiste :
« Voici l'Agneau de Dieu », Il leur a dit : « La victime, c'est Moi ». Puis, progressivement, il leur a
annoncé qu'un jour viendrait où, comme il avait à Cana changé l'eau en vin, il changerait du pain en
son corps, du vin en son sang et qu'en mangeant ce pain, en buvant ce vin, ils participeraient à la plus
grande preuve d'amour qui puisse être donnée à Dieu au profit du monde : ils communieraient à son
immolation.

3°) la Cène.

C'est pourquoi le jeudi-saint au soir, lorsque dans la salle du cénacle, Jésus, lors du repas pascal,
prit du pain, le rompit, le bénit et le distribua à ses Apôtres, en disant : « Ceci est mon corps qui
demain sera livré pour vous. Prenez et mangez », les Apôtres ne furent pas étonnés. Ils savaient très
bien, instruits avec patience et amour par le Maître, qu'en recevant le pain consacré par Lui, ils
recevaient substantiellement le corps même de Celui qui le lendemain serait immolé pour eux.
Ensuite, prenant du vin, Jésus leur dit : « Ceci est le calice de mon sang qui demain sera répandu
pour vous et la multitude. Prenez et buvez-en tous ». Les Apôtres savaient très bien qu'en
communiant au sang du Christ, ils prendraient part au profit spirituel que son immolation leur vau-
drait à eux et au monde.
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Mais Jésus n'a pas pensé qu'à ses Apôtres. Il a eu en vue tous les hommes qui viendraient dans la
suite des temps, à travers tous les continents, sur la face du globe. Il a voulu que tous puissent, eux
aussi, prendre part, à son offrande du Calvaire, et dans, la mesure de leur apport en charité bénéficier
des fruits de la Rédemption. C'est pourquoi après avoir institué le sacrement de l'Eucharistie, il fonde
immédiatement le sacerdoce, en vue de perpétuer le sacrifice eucharistique.

***

CINQUIÈME TABLEAU :

LE SACRIFICE EUCHARISTIQUE

« Haec quotiescumque feceritis, in mei memoriam facietis - Toutes les fois que vous referez ce
que je viens d'accomplir, vous le ferez en mémoire de moi ».
Par ces paroles, Jésus donnait à ses Apôtres le mystérieux pouvoir de changer le pain et le vin en
son corps et en son sang, et en même temps de le communiquer de génération en génération à d'au-
tres hommes consacrés pour devenir consécrateurs. Ainsi dans la suite des temps jusqu'à la fin du
monde, les messes ne cesseraient d'actualiser son sacrifice suprême. Dans les brousses les plus
éloignées, dans les contrées les plus lointaines, ceux qui participeraient par la communion pourraient
au-delà de l'espace et du temps se retrouver avec lui au Calvaire et ne faire qu'un avec son offrande
d'amour à la gloire du Père, au profit de toute l'humanité.
En vertu du principe de péréquation, ce profit sera d'autant plus important que l'apport en charité
de chaque communion sera plus authentique et plus généreux.
Nous voyons dès la primitive Eglise des gestes extrêmement nets qui montrent bien que les
fidèles étaient initiés à participer effectivement par un apport personnel à l'oblation du Seigneur
Jésus. Dès qu'il y eut des martyrs, c'est sur les tombeaux de ceux qui avaient versé leur sang par
amour pour lui que s'offrit le saint Sacrifice. Encore aujourd'hui on n'a pas le droit de célébrer la
sainte messe ailleurs que sur une pierre consacrée, dans laquelle on a inséré un tube contenant des
reliques de martyrs.
Dès la liturgie des premiers siècles, on remarque la très grande importance donnée à la cérémonie
de l'Offertoire. Les fidèles venaient apporter symboliquement quelque chose qui les représentait :
c'était le fruit de leurs travaux, par exemple du pain, du vin, de l'huile, de la cire, des légumes, etc. Le
prêtre aidé de ses acolytes recevait toutes ces oblations et en faisait trois parts : une part pour le culte
(le pain, le vin, l'huile, la cire) une part destinée aux pauvres et une part réservée au clergé.
Evidemment, pour pouvoir continuer dignement la célébration de la messe après avoir touché à
toutes ces offrandes souvent encore pleines de terre, il devait se laver les mains en récitant un psaume
approprié : c'est l'origine du Lavabo que l'on retrouve dans la messe d'aujourd'hui.
La procession de l'Offertoire était assez longue. C'est pourquoi l'on chantait un psaume
d'offrande, dont on a conservé l'antienne. Au bout d’un certain temps, on s'aperçut des inconvénients
de ces oblations en nature : elles risquaient de faire ressembler les églises à des marchés couverts.
Peu à peu, on simplifia les opérations. Chacun dut apporter quelque chose qui représentait d'une
manière plus schématique le fruit de son travail : à savoir une pièce de monnaie que l'on venait en
procession déposer dans une corbeille jusqu'au pied de l'autel. C'est l'origine de la quête qui se fait
toujours à l'Offertoire. La quête n'a pas seulement pour but de subvenir aux besoins du culte, mais
d'exprimer par la privation qu'elle représente, quelque chose du don de soi, que l'on veut avec amour
présenter au Seigneur, pour l’unir à l'offrande qu'il a fait de lui-même à son Père. Chacun doit donner
selon ses moyens, mais toujours en esprit de foi pour exprimer la générosité de son cœur. Ce ne sera
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peut-être qu'une obole comme le denier de la veuve. En tout cas, ce que le Seigneur regarde, c’est
davantage le sentiment intérieur que le geste extérieur.
C'est aussi le sentiment intérieur de chacun des assistants qui compte devant Lui au moment où le
prêtre, conformément à la pratique qui a toujours eu lieu dans l'Église, verse une goutte d'eau dans le
vin du calice. La goutte d'eau sans valeur, sans saveur, sans odeur nous représente, mais une fois
qu'elle est mêlée au vin, elle en prend l'odeur, le goût et la valeur ; au moment de la Consécration,
elle sera, elle aussi, par le fait même transsubstantiée au sang précieux du Christ. Le but en effet du
saint sacrifice c'est de nous couler tellement dans le Seigneur Jésus, que nous ne fassions plus qu'un
avec lui dans tous les actes de notre vie.
D'autres gestes liturgiques manifestent d'une façon expressive la charité qui doit unir les
membres de la communauté chrétienne. N'est-ce pas là le point sur lequel Notre-Seigneur a le plus
fortement insisté : « Ceci est mon commandement : Aimez-vous les uns, les autres, comme je vous ai
aimés. C'est à ce signe que l'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples. Si au moment d'apporter
votre offrande, vous éprouvez dans votre cœur des sentiments de rancune contre votre prochain,
laissez là votre offrande, allez d'abord vous réconcilier avec votre frère et ensuite vous viendrez
participer à l'oblation. Père, garde-les dans l'Unité. Qu'ils soient un comme nous sommes un, moi en
eux et toi en moi, afin que leur unité soit parfaite ».
C'est ainsi que s'explique la cérémonie de la fraction du pain après le Pater. Quand dès le IV ème
siècle, les églises cathédrales durent se démultiplier en paroisses suburbicaires, l'évêque faisait
apporter par un diacre au prêtre de la banlieue un fragment de l'hostie qu'il venait de consacrer, afin
de bien montrer l'Unité dans l'offrande de toute la communauté diocésaine.
C'est pourquoi aussi, avant de communier, les fidèles s'embrassaient les uns les autres. En se
donnant le baiser de paix et en disant « Pax Christi », ils affirmaient que dans leur cœur, il n'y avait
aucune goutte de fiel ou d'amertume vis-à-vis de qui que ce soit. Et quand arrivait le moment de la
sainte communion, ils la recevaient dans un esprit vraiment fraternel, sachant parfaitement que c'était
le même Christ qui venait en chacun d'eux pour les cimenter dans l'unité de la communauté
chrétienne.

« De même que les grains de froment qui ont été récoltés sur toutes nos collines ne forment qu'un
dans l'hostie qui est changée en ton Corps, ainsi, tous les chrétiens que nous sommes ne forment
qu'un seul cœur et une seule âme, animés par ta présence unique en chacune de nos vies ».
La messe bien comprise n'est pas seulement un cadre pour la réception de l'hostie consacrée,
mais comporte la communion comme moyen préférentiel pour s'incorporer la divine Victime du
Calvaire, en union fraternelle avec tous les chrétiens et ne faire qu'un avec eux dans l'offrande
d'amour du Christ total à son Père.

CONCLUSIONS
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Il y aurait lieu, semble-t-il, de tirer de cette conférence deux séries de conclusions :
une qui regarde l'éducation religieuse de nos élèves ;
une autre qui nous concerne personnellement.

A. - Parmi celles qui regardent l'éducation religieuse de nos enfants,


nous retiendrons celles-ci :

1°) Nous avons à leur expliquer selon ce qui a été dit plus haut, d'une façon adaptée à leur
âge, le vrai sens de la messe, en insistant sur le rôle personnel et irremplaçable qu'ils ont à y remplir.
En effet, nous ne sommes pas seulement des enseignants, mais des éducateurs et des éducateurs
religieux, nous avons donc à mettre au point notre pédagogie de la messe et à former nos jeunes à
mieux la comprendre, à mieux la goûter, à mieux la vivre. Ceci pour leur propre bien, présent et
futur, et aussi pour le bien de la communauté chrétienne, car c'est dans la mesure où les chrétiens en
corps feront authentiquement corps avec Jésus-Christ que la messe exercera surle monde, une
influence invisible, mais profonde.

2°) Nous avons à leur faire comprendre et goûter le sens liturgique de la messe. Certes, il
faut leur apprendre à se servir de leur missel, leur expliquer le temporel et le sanctoral, leur apprendre
à suivre, même à réciter en même temps que le prêtre, les prières vénérables de l'Eglise qui ont été
dites dans la suite des temps par des milliards de chrétiens et des milliers de saints. Mais attention, la
liturgie est un magnifique écrin qui ne doit pas faire oublier la perle, et la perle c'est Jésus-Christ, qui
vient renouveler son offrande et nous inviter à y joindre la nôtre.
Une messe à laquelle on assiste seulement corporellement, où l'on récite des prières à haute voix,
où l'on chante des cantiques sans y faire passer son âme et l'offrande intérieure de sa vie tout entière,
ne produira guère de fruits. C'est ce qui explique pourquoi il y a tant de gens qui s'ennuient à la sainte
messe, mais ce n'est pas en les distrayant par des chants et de la musique qu'on arrivera à leur faire
prendre conscience du rôle actif qu'ils ont à jouer.

3°) Le point capital qu'il faut souligner est donc celui de leur participation intérieure, en
union avec toute l'Eglise, au profit de toute l'humanité.
Ceci est d'autant plus important que beaucoup de baptisés en sont restés à la définition un peu
simpliste du salut personnel : « Je n'ai qu'une âme qu' il faut sauver de l'éternelle flamme je veux la
préserver ».
Ils ne savent pas qu'ils ont la co-responsabilité de nombreuses âmes sur terre, avec lesquelles ils
sont unis par le réseau mystérieux de la communion des saints.
Il faut développer en eux le sens du Corps Mystique et leur apprendre dans la vie quotidienne et
surtout à l'heure de la prière, d'une part à « faire corps » avec Jésus-Christ et, d'autre part, à « faire
corps » avec tous leurs frères humains.
Ce n'est pas pour eux tout seuls qu'ils doivent assister à la messe, mêler leur oblation à celle du
Christ, leur goutte d'eau au vin du calice.
C'est pour tous les hommes sans exception, à commencer sans doute par les plus proches, mais
sans exclusivité de pays, de races, de classes sociales. Pro nostra et totius mundi salute. C'est sur la
terre entière, toto orbe terrarum, que doit s'exercer leur influence, invisible mais féconde, en raison
même de leur charité et de leur union au Seigneur Jésus.
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On voit aussi comment s'insère ici l'éducation nécessaire et pratique de l'amour fraternel, qui est
non seulement le signe essentiel des chrétiens mais la condition pour que leur offrande ait quelque
chance d'être agréée par le divin Sauveur.
Alors la messe ne leur apparaîtra plus comme une cérémonie hors de leur existence réelle, mais
s'insérera à sa vraie place comme ferment d'unité, d’amour et de fécondité, pivot de toute leur vie
sociale, familiale, professionnelle et apostolique, moyen normal de grandir progressivement dans le
Christ total, pour la réalisation du plan d'amour du Père des cieux sur eux et sur le monde.

B. - En ce qui nous concerne personnellement,


nous ferons les observations suivantes :

1°) Notre vie consacrée nous prédispose à mettre en œuvre au maximum la puissance
missionnaire du saint sacrifice. La liturgie, nous l'avons vu, n'est que le signe extérieur, l'affleurement
sensible d'une réalité plus profonde, à savoir la mise en application du sacrifice du Christ en vue
d'une fécondité spirituelle merveilleuse de notre oblation qui vient se couler dans la sienne.
Pourquoi, toutes choses égales d'ailleurs, les âmes religieuses ont-elles à ce sujet une bien plus
grande puissance que les simples chrétiens ? C'est que, professionnellement, elles sont des oblations
vivantes. Toute leur vie est délibérément et définitivement consacrée à Dieu. Par le vœu de chasteté,
elles lui ont donné tout ce qu'elles étaient ; par le vœu de pauvreté tout ce qu'elles avaient ; par le
vœu d'obéissance tout ce qu'elles feraient. Plus rien en droit désormais ne leur appartient en propre.
Elles ont tout livré. Or plus l'apport, de fait, est total ; plus la fécondité est étendue. La messe des
religieux est donc pour l'Eglise l'œuvre la plus apostolique et la plus missionnaire qui soit, à la
condition évidemment que leur oblation soit une réalité loyalement et fidèlement vécue.

2°) Cette oblation doit consister essentiellement dans une attitude fondamentale d'amour
oblatif. « Je ne reste jamais plus de dix minutes sans faire à Dieu l'offrande de tout moi-même »,
disait à son fils le père de Dom Colomba Marmion. Sans aller jusque-là, il faut tendre à faire de notre
vie une messe vécue en essayant d'en faire un offertoire, une consécration, une communion.
a) l'esprit d'offertoire.
Faire de notre vie un offertoire, c'est offrir souvent au Christ ce que nous sommes pour qu'il nous
pénètre de son influence, ce que nous faisons, pour qu'il daigne le prendre en compte ; c'est lui offrir
nos travaux et nos sacrifices, nos souffrances et nos joies, nos projets et nos espoirs, nos heures de
fatigue comme nos moments de repos.
C'est offrir aussi à sa bénédiction tous ceux qui nous entourent, nos élèves, nos frères, notre
collège, notre famille. Mais il nous faut éviter de restreindre notre horizon spirituel à ceux dont nous
avons la charge. Plus encore qu'un simple chrétien, un religieux doit avoir l'esprit universel et porter
en lui les détresses de l'humanité de tous les temps et de tous les lieux ; il doit prier comme s'il était le
genre humain tout entier.
b) l'esprit de consécration.
Nous l'avons dit : par le baptême, par la profession religieuse nous sommes des êtres consacrés ;
nous ne nous appartenons plus ; nous n'avons plus le droit de vivre pour nous. Notre raison d'être,
c'est le Christ. Nous lui avons réservé pour toujours et nos vies et nos forces. C'est à chaque instant
que Jésus doit pouvoir dire de nous : « Ceci est mon corps », « celui-ci est vraiment mon alter ego ».
Oui, nous devons lui être un peu ce que sont les apparences eucharistiques, c'est-à-dire une enveloppe
transparente sous laquelle il se cache, mais sous laquelle il pense, il prie, il vit, il aime, il s'immolé et
par notre dévouement se donne à manger aux hommes.

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c) l'esprit de communion.
Faire de notre vie une communion, c'est mener avec lui une véritable vie de communauté.
Communion ne veut-il pas dire commune union ? Il est toujours avec nous, à nous d'être toujours
avec lui. Il faudrait que nous ne puissions plus nous passer de lui pour qu'il puisse passer par nous
autant que son cœur le désire. Mais alors quelle force, quelle puissance, car il est Celui qui a vaincu
le monde ! Il applique tout ce qu'il est à tout ce que nous sommes, pour nous aider à devenir tels qu'il
nous désire. Il se sert de nos efforts, de nos sacrifices, de nos gestes les plus banals pour leur donner
valeur de rédemption.
Faire de notre vie une communion, c'est aussi nous unir à tous nos frères en humanité, qui luttent,
qui souffrent, qui trébuchent et qui se relèvent. C'est dilater notre cœur à la mesure du cœur du Christ
et les aimer tous du même amour dont il les aime.
Enfin, faire de notre vie une communion, c'est de nous laisser de plus en plus assumer par lui,
agir en toutes choses en accord avec lui, se tenir à son service, attentifs à tous ses désirs, ardemment
soucieux d'accomplir dans le moindre détail sa volonté d'amour.

3°) Si nous sommes fidèles à ce programme, une transformation progressive s'opérera à


notre insu dans notre âme. A force de fréquenter quelqu'un qu'on aime, on finit par prendre quelque
chose de sa manière d'agir et de sa mentalité. Nous deviendrons vraiment hostie avec l'Hostie et notre
messe, centre de notre vie, hâtera notre marche en avant vers la sainteté.
Sous l'influence de notre messe du matin, chacune de nos journées enrichira par la croissance de
notre charité notre messe du lendemain, et ainsi de suite chaque jour, jusqu'à l'heure où Dieu nous
dira : « Ite missa est ! Allez, votre messe de la terre est terminée, et il nous invitera à participer à la
grande messe qui n'aura point de fin, à la glorieuse liturgie du ciel où nous le contemplerons dans le
face à face éternel, plein de grâce et de vérité.

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