Vous êtes sur la page 1sur 28

LA VIE

INTÉRIEURE
AVANT-PROPOS
DEPUIS surtout le célèbre ouvrage de Dom Chautard « L'Ame de tout Apostolat », l'expression
« vie intérieure » a été vulgarisée dans tous les milieux chrétiens. Mais c'est dans l'esprit de beaucoup
une notion bien vague qui risque parfois d'aboutir à des déviations quand ce n’est pas au mépris de
toute action apostolique. C'est peut-être ce qui explique que certains militants aient cru pouvoir la
dédaigner sinon la considérer comme dangereuse. D'autre part, l'on se rend bien compte que les
apôtres même les plus zélés qui ne puisent pas leur zèle dans le contact intime avec le Seigneur,
s'épuisent au bout de très peu de temps et se découragent.
Ceux qui persévèrent pratiquent sans doute la vie intérieure à la manière dont Monsieur Jourdain
faisait de la prose, sans le savoir... Mais il peut leur être utile d'en avoir la notion exacte.
S'il est vrai que le Seigneur se joue des techniques et des catégories pour vivifier une âme, il n'en
reste pas moins que le plus communément la fidélité à quelques règles de bon' sens et d'expérience - qui
sont comme l'expression de sa conduite la plus habituelle pour le plus grand nombre - facilite
l'épanouissement spirituel du chrétien.
Cette brochure n'a pas la prétention d'être un traité complet d'ascétique ou de mystique, mais un
résumé pratique, en langage clair et accessible, de ce qu'il faut entendre par « vie intérieure », des
raisons pour lesquelles il faut essayer de la développer en soi, et des moyens les plus simples d’y
parvenir.
Puissent ces quelques pages aider, non seulement prêtres et religieuses, mais tous les militants
d'Action Catholique, et d'une manière générale toutes les âmes généreuses, à puiser dans l'intimité avec
le divin Maître, la grâce de réaliser la parole de saint Paul : « Je vis, non ce n'est plus moi qui vis, c'est
le Christ qui vit en moi ».

1
1

MÉDITATION
2
I. QU'EST-CE QUE IA VIE INTÉRIEURE ?

II. POURQUOI DÉVELOPPER NOTRE VIE INTÉRIEURE ?

III. COMMENT S'Y PRENDRE POUR ACQUÉRIR


ET FAIRE GRANDIR NOTRE VIE INTÉRIEURE ?

I. QU'EST-CE QUE IA VIE INTÉRIEURE ?


Nous dirons d'abord ce qu'elle n'est pas, afin d'éviter à ce sujet toute équivoque ou toute fallacieuse
interprétation d'auteurs spirituels incomplets ou trop superficiellement étudiés.
Puis nous expliquerons en quoi elle consiste et sur quels fondements elle s'appuie.

A. Ce que n'est pas la vie intérieure :


1. ELLE N'EST PAS LA PENSÉE CONSTANTE ET EXPLICITE DE DIEU ;
2. ELLE N'EST PAS LE GOÛT SENSIBLE DES CONSOLATIONS DIVINES ;
3. ELLE N'EST PAS UNE ÉVASION DU DEVOIR D'ÉTAT
OU DU DEVOIR DE LA CHARITÉ FRATERNELLE.

1. Elle n'est pas la pensée constante et explicite de Dieu.


Il faut en prendre son parti : toujours penser à Dieu d'une façon explicite est au-dessus des
forces normales humaines. Il faut avoir l'humilité de reconnaître ses limites. Il ne s'agit pas de servir
Dieu comme nous rêverions de Le servir, mais comme Il veut Lui-même que nous Le servions...
Certes, il peut arriver des périodes où, par une grâce spéciale du Seigneur, l'âme bénéficie d'un
recueillement intense, se sent comme pénétrée de Dieu et pense à Lui sans efforts. Mais, à moins de
cette aide particulière, la pensée constante de Dieu est au-dessus de nos moyens humains. Il faut tenir
compte de nos possibilités.
Ce qui compte aux yeux de Dieu, ce n'est pas le don de notre cerveau, mais celui de notre cœur. Ce
qui compte n'est pas tant l'action cérébrale d'une pensée consciente, que la conformité de notre volonté à
Sa volonté.
Certes, il y a des travaux matériels qui laissent l'esprit libre pour penser à Dieu. C'est sans doute
pour cela que les Fondateurs d'Ordres ont donné à leurs religieux un certain nombre de travaux manuels
à faire dans la journée. Le travail manuel accompli calmement, non seulement n'empêche pas, mais
facilite même l'activité cérébrale et, pour une âme fervente, l'orientation de sa pensée vers le Seigneur.
Mais il y a de par le devoir d'état, un certain nombre d'occupations qui exigent une attention
soutenue, et même une véritable concentration d'esprit. La grâce dépasse la nature mais ne se passe pas
d'elle. Vouloir forcer à tout prix la nature risquerait d'aboutir à une véritable fatigue cérébrale.
Le proverbe est toujours vrai : « Qui veut faire l'ange fait la bête »... Tant que nous sommes sur
terre, notre esprit est conditionné par notre corps. Dieu ne nous demande pas une vie de pur esprit ; une
tension continuelle amènerait un cassement de tête.
Rappelons-nous le bel épisode de saint Jean, qui n’hésitait pas à prendre de temps en temps
quelques moments de détente. Et comme les disciples s'en étonnaient, l'apôtre leur raconta l'apologue de
l'arc qui, constamment bandé, n'a plus de force pour envoyer sa flèche.
La vie intérieure ne peut donc pas être définie : pensée constante et explicite de Dieu.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas essayer, de temps en temps, de ne penser qu'à Lui, mais nous
avons tous des obligations qui nous empêchent de le faire d'une manière continuelle, ne seraient-ce que
3
le sommeil, notre travail, surtout s'il est d'ordre intellectuel et notre vie de relations, qui parfois exigent
toute notre attention au prochain.
Donc il faut, avec confiance et simplicité, accepter la condition humaine où nous nous trouvons de
ne pas pouvoir toujours penser exclusivement au Seigneur.

2. Elle n'est pas le goût sensible des consolations divines.


Le mot « consolation » est un vieux mot français qui s'est un peu dévalué. Un certain langage
plus ou moins romantique des manuels de piété, au siècle dernier, a contribué à sa démonétisation.
Il n'en est pas moins vrai que le Seigneur, toujours maître de ses dons, attire de temps en temps telle
ou telle âme plus intimement à Lui. Il est peu d'âmes chrétiennes tant soit peu généreuses qui n'aient eu
l'occasion de l'éprouver.
Alors se produisent ces phénomènes, indépendants d'ailleurs de la volonté du fidèle, et qui
consistent, soit dans une emprise de Dieu qui absorbe plus ou moins l'attention, soit dans une sorte de
sentiment très doux et très suave de sa présence.
Rappelons-nous certaines pages de l' « Imitation 1 » ou certaines strophes de l'hymne pour la fête du
Saint Nom de Jésus : Jesu dulcis memoria 2.
Il y a par ailleurs d'autres moments où l'âme est non moins généreuse, et où Dieu se fait comme
lointain et étranger. L'âme a même des difficultés à penser à Dieu. Il lui faut un véritable effort. Et
cependant, si elle s'interroge loyalement, elle peut dire en toute sincérité que c'est vraiment pour Dieu
qu'elle travaille.
La vie intérieure n'est pas seulement le temps où l'on se sent pénétré par Dieu.
Il ne s'agit pas de mépriser les touches de la grâce. Il faut les accepter comme une aide misé-
ricordieuse de la part du Maître. Elles peuvent nous aider, à certains moments, à orienter davantage
notre vie vers Lui, et leur souvenir peut nous fortifier aux heures d'épreuve. Mais il faut savoir que la vie
intérieure peut être parfaitement authentique en dehors de ces grâces sensibles.

3. Elle n'est pas une évasion du devoir d'état ou du devoir de la charité fraternelle.
La vie intérieure est devenue, pour certaines âmes mal instruites de ce que Dieu attend d'elles,
une sorte d'alibi. Volontiers elles se dispenseraient de l'accomplissement de leur devoir d'état, familial
ou professionnel, et même du grand devoir de la charité fraternelle, pour ne pas manquer au
recueillement.
Certes il ne s'agit pas, sous prétexte de se donner à son devoir d'état ou de se dévouer au prochain,
de renoncer à penser au Seigneur et même à se ménager quelques temps forts de prière intense.
Étant donnée la tendance profonde que nous avons à nous rechercher nous-mêmes instinctivement à
travers nos activités, il est nécessaire, pour être bien sûrs de travailler vraiment pour Dieu et selon son
Esprit, de reprendre explicitement contact avec Lui et d'orienter vers Lui nos soucis et nos efforts.
Le travail accompli pour Dieu est de la prière, mais à la condition de faire passer de la prière à
travers le travail, au moins d'une manière implicite. Or au bout d'un certain temps, si l'on ne consacre
jamais un moment à rectifier nos intentions profondes, à se refaire une mentalité de membre faisant
corps avec le Christ, le travail devient pure routine ou agitation stérile.
1
Livre II, chap. I : « De la conversation intérieure », et chap. 8 : « De la familiarité avec Jésus ».
2
Jesu dulcis memoria, Doux est le souvenir de Jésus !
Dans vexa cordis gaudia Il donne les vraies joies du cœur.
Sed super mel et omnia, Mais plus que le miel et toutes
Ejus dulcis prasentia. Choses, douce est sa présence.
Nec lingua valet dicere, La langue ne peut dire, ni
Nec littera exprimere : l’écriture exprimer ; seul celui qui
Expertes potest credere, en a fait l’expérience peut croire
Quid sit Jesum diligere. ce que c’est qu’aimer Jésus.
4
Mais la vie intérieure ne consiste pas à penser tellement à Dieu qu'on en oublie le monde, bien au
contraire : elle fait puiser dans l'amour de Dieu la force de se dévouer et de se sacrifier s'il le faut pour le
bien des autres.
Saint Vincent de Paul n'hésitait pas à dire à ses Filles de la Charité : « Même au milieu de l'oraison,
si l'on vient vous déranger pour aller soigner un malade, vous ne faites que quitter Dieu pour retrouver
Dieu. »
Dans une conférence aux mères de famille, Mgr Lejeune, qui était Archiprêtre de Charleville et
directeur d'âmes très apprécié, donnait ces judicieux conseils :
« Vouloir d'une mère de famille qu'elle ait un recueillement semblable à celui d'une religieuse vouée
à la contemplation, serait le comble de l'absurde. Vous avez des devoirs à remplir qui exigent toute votre
attention. Or votre esprit, selon la loi ordinaire, ne peut être en même temps à la série de chiffres que vous
alignez et au souvenir de la présence de Dieu. Si vous tentiez de mener de front les deux opérations, vous
compromettriez la réussite de chacune d'elles : votre prière serait hachée de distractions et votre opération
d'arithmétique semée d'erreurs.
« Que faire alors ? Le bon sens vous le dit : tourner le dos au souvenir actuel de Dieu et vous donner
tout entières au devoir d'état. N'allez pas croire que Dieu vous tienne rigueur de cette sorte de désertion ; c'est
Lui qui vous impose ce devoir à remplir, cette occupation qui prend toute votre attention. S'il ne reste rien
pour Lui, Il ne s'en plaindra certes pas, et ne se formalisera pas de votre empressement à Lui obéir. Vous
aurez donc le droit, le compte en question terminé, de revenir à Lui souriantes, pleines d'une confiance filiale
et certaines que ses bras vous sont ouverts.
« Quand on parle du souvenir continu de la présence de Dieu, c'est donc toujours sous réserve que ce
souvenir ne sera pas une entrave pour le devoir d'état. Vous ne cessez pas d'ailleurs de penser à Dieu lorsque
vous quittez Dieu pour accomplir un acte imposé ou désiré par Lui. L'essentiel est que cet acte soit rapporté à
Dieu et que vous reveniez à votre recueillement habituel sitôt que le devoir d'état ne vous oblige plus d'être
au dehors. »

B. Ce qu'est la vie intérieure


Il est toujours délicat de mettre en formule les vérités surnaturelles car, par définition, les mots
humains n'arrivent jamais à exprimer une réalité essentiellement vivante qui les dépasse de toute part. Ils
risquent même parfois de la figer, de la défigurer, et ce n'est que par approximations successives qu'on
arrive à pressentir toutes les splendeurs de la grâce divine.
Toutefois, pour jalonner le cheminement de notre pensée, il semble qu'on peut définir la vie
intérieure de la manière suivante :
LA VIE INTÉRIEURE, C'EST UNE VIE D'AMITIÉ AVEC DIEU QUI VIT EN NOUS PAR LA
GRACE, VIE D'AMITIÉ QUI NOUS AMÈNE A CONFORMER AFFECTUEUSEMENT, EN TOUTES
CIRCONSTANCES, NOTRE VOLONTÉ A LA SIENNE.

C'EST UNE VIE.


Cela veut dire que c'est une force qui doit être active. Ce n'est pas quelque chose de statique, de
coagulé, de figé.
L'activité de la vie intérieure ne s'exerce pas d'une manière passagère, mais peut influencer toute
l'existence, d'une manière plus ou moins consciente.

UNE VIE D’AMITIÉ.


C'est-à-dire une vie de relations affectueuses, cordiales, confiantes, où le cœur a autant de part que
l'esprit, et certainement plus de part encore que la conscience claire.
Cette vie de relations revêt toute la gamme d'expressions qui va de la cordialité de bon voisinage,
jusqu'à la fusion la plus profonde et la plus intime qui puisse se concevoir.
Elle s'exprimera par des échanges de paroles, des échanges de cadeaux. Elle s'exprimera, au fur et à
mesure que l'âme avancera dans la vie intérieure, par une union de plus en plus profonde, avec des
5
alternances de temps forts pour la conscience, et de temps diffus où l'union se manifeste surtout par la
volonté mutuelle de vivre l'un pour l'autre.

VIE D’AMITIÉ AVEC DIEU.


C'est là une vérité bouleversante. Dieu, non seulement a voulu faire de l'homme sa créature, son
serviteur, mais aussi son ami, son fils, son associé.
Il y a une distance infinie entre le Créateur et la créature, toute la distance qui sépare l'Être et le
néant. Le Seigneur a pu dire en toute vérité à sainte Catherine de Sienne : « Je suis Celui qui est. Tu es
celle qui n'est pas. »
Cette distance infinie, l'amour non moins infini de Dieu l'a comblée. Avec cette humilité qui
déconcertait Bergson, Dieu s'est penché vers sa créature, l'a élevée jusqu'à Lui, la faisant participer à sa
vie, et toujours disposé, dans la mesure où elle l'accepte, à lui faire partager toutes ses richesses.
N'appréciant qu'un amour volontaire et libre, Il a accordé à l'homme le redoutable pouvoir de
résister à ses avances. Infiniment respectueux de la liberté humaine, Il joue le jeu jusqu'au bout et pousse
le « fair-play » jusqu'à risquer de perdre pour l'éternité l'être qu'Il n'a créé que par amour et pour
l'Amour.
Il ne néglige rien pour attirer tout homme vers Lui et va jusqu'aux extrêmes limites du jeu de la
liberté humaine. Afin de nous montrer jusqu'où peut aller cet amour, Il a fait ce que l'on fait toujours
quand on aime vraiment : ce que saint Paul a appelé des folies. Il nous a aimés jusqu'à la folie de la
Crèche, jusqu'à la folie de la Croix, jusqu'à la folie de l'Hostie. Et non seulement tous en général, mais
chacun de nous en particulier. Et Il s'est fait l'un d'entre nous pour faire de chacun de nous quelque chose
de Lui.
Par la grâce du baptême, Il nous a insérés en Lui et s'est insinué en nous, comme une vie en germe
qui ne demande qu'à se développer et à vivifier, comme une sève qui ne demande qu'à pénétrer toutes les
fibres de l'arbre et à se transformer en bourgeons qui éclatent, en fleurs qui éclosent, en feuilles qui
s'étalent et en fruits qui mûrissent.
Tant qu'il n'y a pas rupture, par une désobéissance formelle à sa loi d'amour, Dieu habite en nous,
Dieu vit en nous, Dieu nous vivifie.

1. Dieu habite en nous.


« Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et
nous ferons en lui notre demeure 3. »
En effet, ne l'oublions pas, Dieu est Un en trois Personnes, Dieu est communauté, Dieu est famille :
Père, Fils et Saint-Esprit.
Le rêve de Dieu, c'est que nous nous insérions consciemment et volontairement dans la Famille
trinitaire. Et c'est en chaque âme en état de grâce que sans cesse le Père engendre son Verbe et le Verbe
loue son Père ; et de l'amour mutuel du Père et du Fils jaillit le Baiser substantiel qu'est l'Esprit Saint.
Aussi, l'on comprend la parole de saint Paul : « Glorificate et portate Deum in corpore vestro -
Glorifie ce Dieu que vous portez en votre corps 4. »

2. Dieu vit en nous.


« Je suis la Vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en Moi et en qui Je demeure porte
beaucoup de fruit 5. »
Il n'est pas en nous comme un objet précieux mais inerte, ou un être lointain et étranger. Il est en
nous comme un être vivant, dont la présence est sans cesse actuelle, et d'autant plus active que nous
3
Jean, XVI, 23.
4
I Corinthiens, VI, 20.
5
Jean, XV, 5.
6
faisons attention à Lui et que nous sommes disposés à travailler avec Lui et pour Lui. Présence qui Lui
permet d'être plus intime à nous-même que nous-même : Il s'intéresse à tout ce qui se passe en nous et,
par une communion mystérieuse, Il éprouve tout ce que nous ressentons. Rien ne Lui échappe de nos
plus intimes désirs ou des options de notre volonté.
C'est par le dedans qu'Il nous voit. C'est par le dedans qu'Il nous pèse. C'est par le dedans qu'Il veut.
nous vivifier.
« Le désir de Dieu en se donnant à l'âme est de produire en elle quelque chose d'analogue à ce qui
se passait dans le Verbe incarné : il y avait en Lui une activité humaine très intense ; mais le Verbe
auquel l'humanité était indissolublement unie, était le foyer profond où s'alimentait et d'où rayonnait
toute son activité.
« Sans établir une union aussi étroite que celle du Verbe avec sa Sainte Humanité, le Christ en se
donnant à l'âme veut être en elle par sa grâce et l'action de son Esprit, le principe de toute son activité
intérieure.
« Et ego in eo ». Il est dans l'âme, Il demeure en elle, mais Il n'est pas inactif : Il veut opérer en elle,
et quand l'âme demeure livrée à Lui, à ses volontés, alors l'action du Christ devient si puissante que cette
âme sera infailliblement portée à la plus haute perfection, selon les desseins de Dieu sur elle.
« Car le Christ vient en elle avec sa divinité, ses mérites, ses richesses, pour être sa lumière, sa voie,
sa vérité, sa sainteté : qui factus est nobis sapientia a Deo et justifia et sanctificatio et redemptio, en un
mot, pour être la vie de l'âme, pour vivre Lui-même dans l'âme 6. »

3. Dieu nous vivifie.

Nous sommes les « membres de Dieu », et Dieu nous vivifie par sa grâce comme le tronc d'un
arbre vivifie ses branches par sa sève.
Le véritable chrétien a été défini par saint Paul en cette formule qui est tout un programme : « je
vis, non ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi 7. »
L'ardent désir de Dieu c'est, en effet, de pouvoir se servir de nous comme d'une humanité de
surcroît, de remplir notre esprit de ses pensées, notre cœur de ses sentiments, notre volonté de ses
énergies, pour qu'en toutes circonstances nous agissions comme Lui-même agirait à notre place, et que
nous remplissions, sous son influence, la mission providentielle que chacun a reçue dans la synthèse du
plan d'amour sur le monde.
Mais, et c'est là la conception de la délicatesse de l'amour divin à notre égard, le Seigneur ne nous
vivifie que dans la mesure où nous acceptons de l'être : « Voici que je Me tiens à la porte et Je frappe.
Si quelqu'un ouvre, J'entrerai chez lui, Je souperai avec lui et lui avec Moi 8. »
Pour pénétrer plus avant en nous, pour s'insérer davantage dans nos activités et les féconder, Il
attend notre appel, un geste d'amour de notre part, ne serait-ce qu'un clin d'œil.
Il prend au sérieux cette collaboration. Nous ne pouvons rien sans Lui pour transfigurer notre vie.
Mais Il ne veut rien pouvoir sans nous.
L'on comprend alors que cette vie d'amitié qui doit pénétrer toute notre activité,
NOUS AMENE À CONFORMER AffECTUEUSEMENT, EN TOUTES CIRCONSTANCES,
NOTRE VOIONTE A LA SIENNE.
Ce qui fait la valeur de nos actions aux yeux de Dieu, ce n'est pas le fait qu'elles soient
extraordinaires ou difficiles, c'est l'intensité d'amour avec laquelle nous les accomplissons.
Mais l'amour dont il s'agit est un amour qui nous rend attentifs, non seulement à ne jamais Lui faire
de la peine, comme disent les enfants, mais à vouloir Lui faire plaisir en toute chose et à reprendre à
notre compte les sentiments mêmes qui animaient le Cœur de Jésus-: « Voici que je viens, ô Père, pour
6
Dom Marmion, « Le Christ, vie de l’âme », p. 416.
7
Galates, II, 20.
8
Apocalypse, III, 20.
7
accomplir ta volonté » 9. « Je fais touiours ce qui plaît à mon Père » 10. « Ma nourriture est de faire la
volonté de mon Père » 11. « Non pas comme je peux, ô Père, mais comme Tu veux 12 ».
Lui-même, d'ailleurs, nous en a avertis : « Ce ne sont pas ceux qui crieront : Seigneur, Seigneur,
qui entreront dans le royaume des Cieux, mais ceux qui feront la volonté de mon Père 13.
Le meilleur moyen de l'accomplir toujours, non seulement extérieurement mais intérieurement, c'est
d'arriver, par amour, à ne faire qu'un avec Lui.

II. POURQUOI DÉVELOPPER NOTRE VIE INTÉRIEURE ?


Cette vie intérieure, vie d’amitié avec un Dieu supra-sensible, demande de notre part un véritable et
loyal effort, et cela d’autant plus que nombre d’obstacles, intérieurs et extérieurs, viennent souvent en
contrarier le développement.
Aussi est-il bon, pour nous aider à rendre à la fois plus intimes et plus intenses ces relations d’amitié
avec le Seigneur, de prendre une conscience claire des raisons qui doivent nous y porter.
On peut les grouper sous les trois idées suivantes :
A. LA CULTURE DE LA VIE INTÉRIEURE EST DANS LA LOGIQUE MÊME DE NOTRE FOI ;
B. ELLE EST L’UN DES MEILLEURS MOYENS DE FACILITER EN NOUS L’ACTION DE LA GRÂCE ;
C. ELLE EST UNE CONDITION DE BONHEUR ET DE FÉCONDITÉ !

A. La culture de la vie intérieure est dans la logique même de notre foi.


« La vie avec l’Hôte divin du cœur est l’état normal où devraient se maintenir tous les
baptisés », disait Mgr de Ségur 14. »
Puisque par sa grâce, Dieu habite en nous et veut nous associer à Lui, ce serait une absurdité que de
ne pas faire attention à sa présence et à son action.
Certes, le Seigneur est extrêmement délicat et infiniment discret, mais ce n’est qu’une raison de
plus de faire effort pour se rappeler, au moins de temps en temps, la réalité de sa présence et se mettre
sous son influence.
Une jeune fille dont le Père Plus a écrit la vie, Marie-Antoinette de Geuser, avait pris comme devise
de devenir « la petite occupée du grand Oublié ».
C’est grave d’oublier Jésus, de ne pas Le traiter en Dieu, c’est-à-dire en Maître de la vie, en Centre
du monde, en Source sans cesse jaillissante de sainteté.
C'est grave d'oublier Celui qui nous a aimés jusqu'à en mourir, Celui qui nous a tout donné et qui ne
demande qu'à se redonner à nous.
C'est grave d'oublier Celui qui ne cesse de penser à nous et qui ne peut agir en nous que dans la
mesure où on tient compte de Lui.
C'est d'autant plus grave qu'à l'heure actuelle beaucoup d'hommes ne Le connaissent pas. Et parmi
tous ceux qui Le connaissent, beaucoup agissent comme s'Il n'existait pas.
Il n'y a que Dieu qui puisse faire la véritable révolution spirituelle du monde. Il ne veut rien pouvoir
sans nous, et nous ne pouvons rien sans Lui.
B. Elle est l'un des meilleurs moyens de faciliter en nous l'action de la grâce.
9
Hébreux, X, 9.
10
Jean, VIII, 29.
11
Jean, IV, 34.
12
Matthieu, XXVI, 39.
13
Matthieu, VII, 21.
14
« Le chrétien vivant en Jésus », p. 289.
8
Le développement de la vie intérieure augmente notre teneur en vie divine. Plus nous adhérons
par la volonté au Christ jésus, plus Il peut se servir de nous comme Il l'entend pour inspirer notre pensée
et notre action.
Plus on essaie de vivre dans l'intimité avec Lui, plus, sous son influence, on évite les faux pas, on
rectifie la marche, on purifie les intentions.
Plus on agit en membre du Christ, moins on succombe à la tentation de se replier sur soi-même.
Plus on adhère à Lui de toute notre puissance de volonté, plus la grâce peut passer avec abondance.
La multiplication des échanges entre Dieu et l'âme ne fait qu'accroître le débit de la vie divine. Or,
c'est cela qui compte avant tout.
La différence des hommes aux yeux de Dieu, ce n'est pas une question de race, de rang, de fortune
ou de science. C'est par le dedans que Dieu nous voit et nous juge. Ce qui fait la différence de valeur des
hommes à ses veux, c'est la différence des degrés de vie divine en nous. Et notre degré de gloire sera
exactement proportionnel à notre degré de grâce au moment de la mort.
Dès ici-bas, plus on communie à la vie de Dieu en nous, plus on participe à sa puissance. Et c'est
pourquoi :

C. La vie intérieure est une condition de bonheur et de fécondité.


Quand on a une véritable vie intérieure, la vie est transfigurée.
Quel réconfort apporte cette prise de conscience claire de la présence de Dieu en nos âmes ! Quel
soutien et quel stimulant, cette certitude qu'Il nous connaît par le dedans, qu'Il ressent en son Cœur ce
que nous éprouvons, qu'Il ne demande qu'à inspirer nos pensées et qu'à prendre à son compte nos
activités.
Avec Lui et sous son influence rien de ce que l'on fait n'est vulgaire ou banal. Tout est grâce, et tout
peut servir.
Lorsqu'on essaie de vivre dans le Christ Jésus, comme saint Paul le recommande aux chrétiens,
repas, repos, loisir aussi bien que travail ou souffrance, tout peut servir, tout peut contribuer à glorifier
Dieu.
Quand on a une véritable vie intérieure, la vie la plus mouvementée se trouve unifiée et pacifiée,
quelle que soit la diversité de nos tâches. Tout étant accompli pour le Seigneur, par Lui, avec Lui et en
Lui, tout est ramené à l'unité, et quelles que soient les complications qui nous assaillent, tout est
merveilleusement simplifié.
L'habitude de la vie intérieure prévient toute crise de découragement et permet de ne jamais se
laisser envahir par un sentiment déprimant de solitude. Quelle force de pouvoir se dire aux heures
difficiles : Dieu est là, en moi, et ne m'abandonne pas !
Il arrive parfois dans la vie des moments où par suite d'un enchaînement de circonstances
independantes de notre volonté, nos intentions sont déformées et nous devenons victimes de douloureux
malentendus. L'un des réconforts les plus puissants n'est-il pas de penser que Dieu qui voit au-dedans
connaît l'exacte vérité et nous aidera, s'Il le juge bon : les Psaumes sont remplis de ces appels confiants à
l'égard de Celui qui « sonde les reins et les cœurs »...
Mais surtout, l'intimité avec le Christ devient une source de fécondité pour notre vie. « Celui qui
demeure en Moi et en qui je demeure, a dit Jésus, celui-là porte beaucoup de fruit, Celui qui ne s'unit
pas à Moi pour travailler, disperse. Celui qui travaille avec Moi recueille. »
La parole du Psaume est toujours vraie : « Si ce n'est pas le Seigneur qui construit, en vain
travaillent ceux qui bâtissent ». Celui qui ne s'unit pas au Seigneur pour bâtir, élève sa maison sur le
sable et est à la merci de la première tempête.
Nos moindres actions, nos moindres paroles, lorsque c’est Dieu qui agit pour nous et qui parle par
nous, ont sur le plan intérieur de la Communion des Saints, une puissance insoupçonnée, car on ne sait
9
jamais tout le bien que l’on fait lorsque c’est Dieu qui accomplit ce bien à travers nous.
Mais cela se vérifie parfois aussi d’une manière visible. « Un apôtre, disait le Père Matthéo, est un
calice qui est rempli de Jésus et qui en déborde. »
« Il faut, écrit Élisabeth Lesueur, que l’on devine à travers moi l’Hôte adoré de mon âme. Il faut
que tout en moi parle de Lui. »
Il y a, en effet, une véritable irradiation qui émane, au moins à certains moments, d’une âme qui vit
dans l’intimité de Dieu. L’idéal de l’apôtre, c’est d’être devenu tellement l’enveloppe transparente du
Christ Sauveur que tous ceux qui l’approchent subissent inconsciemment son irrésistible attrait 15.
Dans une autre page devenue classique de sa Lettre Pastorale intitulée « Le Sens de Dieu », le
Cardinal Suhard nous montre en termes émouvants à quoi aboutit une action apostolique qui ne se fonde
pas sur une vie spirituelle intense :
« Il n’est sans doute pas pour un chrétien de désillusion plus cruelle, ni pour un mouvement
apostolique de plus douloureux échec, que cette aventure banale, tant de fois répétée au cours de l’histoire :
l’apôtre était parti joyeusement porteur de la Bonne Nouvelle ; il savait devoir parcourir une longue route
pour rejoindre les foules sans pasteurs : des préjugés étaient à vaincre, des aspirations à partager, un sort à
subir en commun… Et voici qu’après avoir fourni ce long effort, au moment où il parvient à pied d’œuvre, où
le contact est rétabli, où il se sent enfin tout proche et semblable à ceux qu’il cherchait, il se découvre soudain
les mains vides. Le message dont il était chargé s'est obscurci, le trésor a été dissipé... Il a fait, en sens
inverse, le geste du marchand de l'Évangile qui vend ses biens pour acquérir la perle sans prix...; lui, il a
laissé fuir le trésor divin, il ne lui reste plus qu'offrandes humaines. En vain prodigue-t-il son dévouement,
son amitié : il est incapable de répondre à l'attente de ceux qu'il voulait sauver. Car « l'homme ne se rassasie
pas seulement de pain », ni de bien-être, ni de dévouement, ni de tendresse humaine ; de quelque nom qu'il
Le désigne, il est affamé de Dieu 16. »

Le Père Martial Lekeux, dans la biographie de sa jeune sœur Maggy qui eut un tel rayonnement,
nous analyse ainsi le secret de son succès :
« Maggy réussit parce que le véritable auteur de son action fut non pas elle, mais Dieu. Si on l'eût
interrogée sur la cause de son succès, sans nul doute elle eût répondu : « Ce n'est pas moi qui opère cela,
c'est Lui, et moi, je n'ai qu'une chose à faire en cette œuvre, me mettre entre ses mains pour qu'il puisse
m'employer ».
« Ayant fait ce prodige d'audace de poser en face de Lui, l'Unique et Souverain Vouloir, une créature
libre, Dieu a besoin, pour réaliser ses plans sur l'univers, que cette créature, qui Lui échappe pour un temps,
se remette spontanément dans sa main, et par l'amour, identifie sa volonté avec la volonté divine : alors, Dieu
épouse cette volonté. II prend à son compte toutes ses œuvres, et cette activité devient divine et prend une
efficacité surhumaine. Avec cet amour que Lui offre l’homme, Dieu fait de la grâce et, cette grâce, il la
répand sur le monde. Et c'est là tout l'apostolat 17. »

III. COMMENT DÉVELOPPER NOTRE VIE INTÉRIEURE

15
Mère Marie de Sainte Cécile de Rome, dans son autobiographie, cite ces paroles de Notre Seigneur : « Mes prêtres gouvernent toute
la société religieuse. S’ils étaient tous vraiment saints, leur seule vue, n’importe où, à l’église, sur la rue ou ailleurs, évoquerait ma
pensée ; ils attireraient les âmes vers Moi ; en les rencontrant, on penserait : c’est un autre Christ qui passe. Le démon craint
beaucoup plus une seule âme en qui J’agis librement qu’une armée d’âmes tièdes et indifférentes en qui mon action est paralysée ;
parce que dans la première, J’agis avec ma puissance, tandis que, dans les dernières, Je suis forçé de les laisser à leur faiblesse. »
(p. 249).
« L’apostolat, disait l’Abbé Pierre Arnaud, c’est permettre à Jésus de grandir. En ce Corps Mystique qu’est le Christ total, prêtre, je
suis un vaisseau par où le sang de Jésus doit passer et se répandre pour vivifier. Le saint a les dimensions d’une grosse artère, c’est
mon ambition. Le prêtre médiocre se rétrécit à la dimension d’un vaisseau capillaire et, à la place qu’il occupe dans le Corps
Mystique, c’est douloureux et désastreux ! Être apôtre, c’est livrer passage à Jésus, seul Saint, seul Sauveur, infiniment par le désir,
autant qu’il le veut, Lui, par l’action. » (« L’Abbé Pierre Arnaud » de J. Villeneuve, Imprimerie S. Pacteau, Luçon, p. 138.
16
Cardinal Suhard, Lettre Pastorale : « Le Sens de Dieu », pp. 22-23.
17
Père Martial Lekeux, O. F. M. « Maggy ».
10
Comme le dit le Cardinal Suhard, la vie intérieure n'est pas une affaire d'invention humaine, mais
d'abandon filial et persévérant à la grâce intérieure qui nous travaille sans cesse et qui nous appelle
constamment à nous tourner vers Dieu.
L'essentiel est donc :
A. D'ÉCARTER TOUS LES OBSTACLES QUI PEUVENT EMPÊCHER OU GÊNER L'ACTION DE LA GRÂCE ;
B. DE RÉPONDRE POSITIVEMENT A SON APPEL.

A. Écarter les obstacles qui s'opposent à la vie intérieure.


Les obstacles principaux qui s'opposent à l'acquisition et au. développement de la vie intérieure
peuvent être groupés sous les trois chefs suivants :
1. L'ESPRIT SUPERFICIEL ET UNE TENDANCE NATURELLE A LA DISSIPATION ;
2. LA RECHERCHE PLUS OU MOINS CONSCIENTE DE NOUS-MÊME ;
3. LA CARENCE DE FOI ET D'AMOUR.

1. L'esprit superficiel et une tendance naturelle à la dissipation.


Nous sommes au siècle de la vitesse et du bruit. La vie moderne, trépidante, nous fait vivre à
la superficie de notre âme. Il nous faut faire un véritable effort pour concentrer notre esprit et nous
recueillir.
Si nous n'y prenons garde, nous nous laissons prendre dans un tourbillon qui nous épuise et qui
nous vide. On arrive à perdre la faculté de penser en profondeur. On est à la merci de ses impressions, de
ses fantaisies, de ses caprices. On en arrive à oublier l'essentiel qui est Dieu Lui-même.
Pour lutter contre cette dissipation et ce superficialisme, il est nécessaire d'organiser ses activités et
de ne pas se laisser dominer par elles. Il est nécessaire surtout de se ménager des zones de silence :
lecture méditée, prière prolongée, oraison contemplative.
On ne peut, certes, demander à tout le monde la même forme de contemplation et la même durée du
temps à y consacrer. Autre la vie d'une carmélite, autre la vie d'une mère de famille.
Toutefois, il est certain que si l'on ne consent pas à prendre des moyens énergiques pour se ménager
un temps suffisant qui permet à l'âme de se décontracter et de se retrouver elle-même, face à son Dieu,
on risque bien d'avoir une vie spirituelle anémiée et sans forces.
A l'heure actuelle, non seulement prêtres et religieux, non seulement militants d'Action Catholique,
mais simples fidèles voulant loyalement vivre dans la logique de leur foi, sont amenés à se réserver, à
intervalles plus ou moins rapprochés, des temps forts d'approfondissement, sous forme de lecture
spirituelle, de prière prolongée, de récollections silencieuses, et même de retraites fermées.

2. La recherche plus ou moins consciente de nous-même.


Un autre obstacle à la vie intérieure, c'est notre égocentrisme, c'est-à-dire cette tendance si
naturelle à nous faire centre du monde.
Que dire d'une branche qui, fière de sa frondaison, voudrait vivre indépendante du tronc et se
fermerait à la sève ? Que dire d'un membre qui, fier de sa souplesse ou de sa musculature, voudrait
pouvoir agir indépendamment du corps et se fermerait à l'influx vital ?
Ceci est grave. C'est une véritable idolâtrie de soi-même. Car c'est se faire centre et source de vie à
la place de Dieu même.
Toute recherche du moi vaniteux, égoïste, sensuel, sous une forme ou sous une autre, gêne l'action
de la grâce. Cette recherche consciente et volontaire pourrait même aller jusqu'à la rupture mortelle avec
Dieu.
11
Il n'y a de vie intérieure possible que là où il v a un minimum d'ascèse, la culture en particulier de
l'humilité et de la mortification. L'orgueil imperméabilise l'âme à la grâce divine. Tout ce qui est vanité,
susceptibilité, désir de dominer, de primer, tour cela gêne l'action de Dieu en nous.
Le jam non ego de saint Paul, c'est-à-dire le renoncement à ce moi orgueilleux, est la condition
même de la vitalité du Christ en nos âmes.
Il en est de même pour le renoncement au moi sensuel. A partir du moment où 1'âme se laisse aller
à la gourmandise, à la paresse, à un désir désordonné de ses aises, il y a un certain enlisement qui
commence et qui gêne singulièrement l'intimité spirituelle.
Ce n'est pas qu'on ne puisse trouver le Seigneur d'une manière exaltante, dans la joie, mais il faut
que cette joie soit saine. Le grain de sel du sacrifice est souvent nécessaire pour en sauvegarder la
pureté.

3. La carence de foi et d'amour.


Au fond, c'est parce que notre foi n'est pas assez éveillée et notre amour assez brûlant, que
nos cœurs sont encombrés par nous-mêmes et tout ce qui n'est pas Dieu.
Nous avons reçu la foi en germe, mais il faut que ce germe se développe. Il faut que cette foi
grandisse, car Dieu n'est pas objet de perception directe de la vue, de l'ouïe ou du toucher. Cette
présence de Dieu ne peut être perçue que par le regard de la foi. Il ne s'agit pas seulement ici d'une foi
théorique ou spéculative, il s'agit d'un sens surnaturel qui s'appelle l'esprit de foi, mieux encore, de cette
habitude de réagir conformément aux réalités spirituelles, que l'or, pourrait appeler la « présence
d'esprit » de foi.
De même pour l'amour. Le véritable amour que Dieu réclame de nos cœurs, ce n'est pas un amour
de sentiment. Une vie d'amitié saris amour est une contradiction. Il y a une connaissance de l'Ami divin
qui ne peut procéder que d'un amour loyal.
« Si je ne garde pas la pensée consciente de Lui, il me semble qu'une préoccupation sourde et
profonde de Lui ne me quitte guère. C'est elle qui, souvent dans l'oraison, parfois dans les préoccupations les
plus pressantes, continue en sourdine comme une litanie sans fin de « Jésus, je Vous aime », ou de simples
« Jésus », pensée, sentie, dite intérieurement, je ne sais trop. »

« Aimer Jésus d'un amour contagieux, c'est ma vie, ma préoccupation, mon tourment, l'inspiration de
toutes mes entreprises... Jésus est devenu l'obsession de ma vie ; ce nom, chargé de toutes mes puissances de
jubilation, de compassion, de tendresse, d'admiration, de gratitude, d'amour et de dévouement, traverse mon
esprit et mon cœur chaque jour un nombre de fois que je ne puis dire, ou plutôt, Il habite en moi où j'aime
L'adorer et L’aider 18. »

Il ne s'agit pas ici d'amour sensible, mais d'amour sincère. Il ne s'agit pas d'amour qui s'éprouve,
mais d'amour qui se prouve.
« Il n’y a pas de plus grande preuve d'amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime », disait
Notre Seigneur. Trop souvent nous croyons aimer, et c'est nous que nous aimons à travers celui que nous
croyons être l'objet de notre amour.
La pierre de touche de l'amour véritable restera toujours le service désintéressé, le souci de faire
plaisir, même et surtout lorsque cela nous coûte, le don aussi généreux que possible de nous-même dans
le goutte à goutte de la vie quotidienne 19, jusqu'au sacrifice total, lorsque Dieu nous le demandera.
18
« L’Abbé Pierre Arnaud », de J. Villeneuve, Imprimerie S. Pacteau, Luçon, pp. 118 à 120.
19
Voici comment un soldat se servait du détail de sa vie de caserne pour alimenter sa vie intérieure :
Lorsque...
Tu te coiffes de ton casque,
souviens-toi du couronnement d'épines.
Tu prends ton sac,
souviens-toi du Bon Pasteur prenant sur ses épaules la lourde brebis, heureux d'accepter ce poids par amour pour elle.
Tu mets ton fusil sur l'épaule droite,
souviens-toi de la Croix de Jésus, pesant sur cette même épaule.
12
B. Collaboration positive à l'action divine.

Cette collaboration positive sera d'abord marquée :


1. PAR UNE PRIÈRE PERSEVÉRANTE POUR OBTENIR LE DON DE LA VIE INTÉRIEURE ;
2. PAR L'ACQUISITION D'UNE MENTALITÉ
ET D'UNE ATTITUDE GÉNÉRALE DE MEMBRE DU CHRIST ;
3. PAR LA MULTIPLICATION PRUDENTE ET COURAGEUSE
DES PRISES DE CONTACT AVEC LE SEIGNEUR.

1. Par une prière persévérante.


La vie intérieure profonde est une grâce que le Maître ne demande qu'à nous accorder, mais il
nous faut la solliciter avec d'autant plus d'insistance et de persévérance qu'elle est plus précieuse et
qu'elle est le point de départ d'un véritable épanouissement spirituel.
Trop souvent l'on complique la vie chrétienne. Ce n'est pas à coups de techniques ou de recettes
savantes que l'on se prédispose à la contemplation. La vie d'union à Dieu est d'abord et avant tout l'effet
de la grâce divine, et la façon la plus élémentaire, la plus efficace de l'obtenir, c'est de la solliciter avec
humilité mais aussi avec insistance.

2. Par l'acquisition d'une mentalité et d'une attitude générale de membre du Christ.


« Celui qui agit selon la Vérité vient à la Lumière », a dit Notre Seigneur. Or, la vérité, c'est
précisément que nous sommes les sarments de la Vigne, que nous sommes les membres d'un Corps dont
le Christ est la tête et qu'avec Lui nous formons le Christ total, comme disait saint Augustin.
La vérité, c'est que chacun, pour sa part, a une mission à réaliser, et cette mission ne sera réalisée
que sous la motion de son Esprit.
La vérité, c'est que nous ne sommes que des causes instrumentales, ayant certes notre rôle propre et
spécifique, irremplaçable; mais nous ne pouvons accomplir notre tâche avec efficacité que dans la
mesure où nous sommes souples et fidèles à l'action de l'Artiste divin.
Nous sommes si tentés par nous-mêmes de nous croire indépendants et d'agir comme tels, de nous
prendre pour la tête et de n'en faire qu'à notre tête !
L'un des secrets les plus efficaces de la vie intérieure est de nous maintenir dans cette attitude si
conforme à la réalité de membres conscients et responsables certes, mais qui réalisent d'autant mieux
leur raison d'être qu'ils puisent dans la pensée du Christ leur raison d'agir, et dans l'union au Christ leur
puissance d'action.

3. Par la multiplication des prises de contact avec le Seigneur.

Tu fais de longues marches,


souviens-toi de Jésus dans ses tournées apostoliques.
Tu t'arrêtes pour la halte,
souviens-toi de Jésus au puits de Jacob, faisant de la volonté de son Père sa principale nourriture.
Tu fais du ramper,
souviens-toi des chutes du Christ sur le chemin du Calvaire.
Tu briques le parquet au point de te regarder dedans,
souviens-toi que les âmes de ceux qui t'entourent - et la tienne aussi - devraient être un reflet de celle de Jésus.
Tu laves le casernement à grande eau,
souviens-toi de ton baptême, « ce bain de régénération et de renouvellement dans le Christ Jésus ».
Tu fais ton lit,
souviens-toi du Sauveur qui n'avait pas où reposer sa tête.
Tu es « de soupe »,
souviens-toi des apôtres préparant le repas du Seigneur.
Tu montes la garde,
souviens-toi du Fils de Dieu passant ses nuits en prière auprès du Père.
13
Nous l'avons vu, nous ne pouvons sans cesse penser explicitement à Dieu, sans cesse Lui
parler : nous risquerions d'aboutir à une fatigue cérébrale qui, en règle générale, n'est nullement
conforme à sa volonté. Du moins, profitons des occasions qui nous sont données pour reprendre contact,
dans la foi et l'amour, avec l'Hôte divin de nos âmes 20.
L'habitude, dit-on, est une seconde nature. La grâce aidant, elle peut considérablement faciliter cette
vie d'union profonde qui affleurera de temps en temps la conscience claire et exercera, même quand
nous n'y penserons pas, l'influence divine si salutaire sur toutes nos activités.
Quand on a pris l'habitude de cette vie intérieure, tout devient symbole des réalités spirituelles, tout
parle de Dieu.

« Quand je fais une robe, disait Maria Bardot 21 expliquant son goût très vif pour son métier, je
pense que j'habille la Sainte Vierge. Quand j'essaie à ma cliente, à genoux, je m'imagine que c'est
Elle. »
Quelque temps après, elle recevait une décoration pour son activité sociale :
« Quand j'ai reçu les palmes, avoue-t-elle à une amie, j'ai pensé à Notre Seigneur entrant à
Jérusalem et j’ai pensé que c’était pour moi le commencement de la Passion.
- Que de rapprochements vous faites !
- Oh ! si je ne pensais pas à Noire Seigneur, cela ne vaudrait pas la peine de vivre, la vie n'aurait
pas de sens... »
Guy de Larigaudie disait aussi :
« Je me suis tellement accoutumé à la présence de Dieu en moi, que l'ai toujours au fond du cœur
une prière montant à fleur de lèvres. Cette prière, à peine consciente, ne cesse même pas dans le demi-
sommeil que rythme la marche d'un train ou le ronronnement d'une hélice, même dans l'exaltation du corps
ou de l’âme, même dans l'agitation de la ville ou la tension d'esprit d'une occupation absorbante. C'est, au
fond de moi-même, une eau infiniment calme et transparente que ne peuvent atteindre ni les ombres, ni les
remous de la surface 22. »

Ces prises de contact seront très variables selon les tempéraments et, pour la même personne, selon
ses dispositions intérieures, le genre d'occupations et le moment de la journée.
Elles pourront être des oraisons jaculatoires 23, être des actes explicites d'union, des actes d'oblation

20
« Quelqu'un donc désire-t-il acquérir cette habitude du recueillement, car c'en est une qui dépend de nous ? Qu'il ne se gaspille
pas inutilement, mais qu'il se garde et s'emploie pour son propre bien, en utilisant les sens eux-mêmes pour l'avantage de la vie
intérieure.
S'il parle, il tâchera de se souvenir qu'il a dans le fond de son cœur à qui parler ; si on lui parle, il n'oubliera pas qu'il doit
écouter intérieurement Celui qui lui parle de plus près. Il considérera, enfin, qu’il peut, s’il veut, vivre continuellement en cette divine
compagnie, et s’il lui arrive de laisser longtemps seul ce Père céleste…, il en ressentira de la peine.
« Que cet exercice, s’il se peut, se fasse plusieurs fois le jour, sinon qu’il se fasse au moins quelquefois. L’âme s’y accoutumera et
en retirera tôt ou tard un grand profit. Quand… l’habitude en sera prise, elle ne voudra pas l’échanger contre tous les trésors de la
terre.
« Au nom de Dieu, puisque rien ne s’acquiert sans peine, ne plaignez pas le temps et l’application que vous y emploierez ; je vous
assure qu’avec l’assistance de Notre Seigneur, vous en viendrez à bout dans un an, et peut-être dans six mois. » (Ste Thérèse parle
évidemment à des âmes habituées déjà aux exercices coutumiers de la vie de piété). (Sainte Thérèse, « Chemin de la Perfection »,
ch. XXXI).
21
« Maria Bardot, apôtre sociale – Vie » , par Marguerite Perroy, p. 49.
22
« Étoile au Grand Large », Ed. du Seuil, p. 36.
23
L'Abbé Poppe, prêtre belge, mort en odeur de sainteté et dont la cause est introduite à Rome, conseillait la pratique recueillie, répétée,
des oraisons jaculatoires : « C'est tout juste comme une allumette, disait-il à quelqu'un, vous la frottez, une première fois, elle ne prend
pas ; une seconde fois, en appuyant, elle donne une étincelle ; une troisième fois, plus fort encore, et la flamme jaillit. Il en est ainsi des
oraisons jaculatoires. Une première fois, peut-être votre cœur reste-t-il froid ; fermez les yeux, répétez lentement votre invocation, cela
va mieux, mais la flamme ne jaillit pas encore. Recueillez-vous davantage et répétez votre prière. A la troisième fois, la flamme d'amour
montera de votre cœur. »
C'est lui aussi qui disait : «Quand je m'agite devant tant de besogne pressante, que je n’y vois plus clair, alors je laisse tomber ce
qui tombe. Je me dis : Notre Seigneur ne désire pas que je continue dans la fièvre. Je prie. Je fais une petite heure d'oraison. Après
quoi, mon calme revient. J'examine la besogne, et, c'est fort curieux, j'ai alors l'impression que tout va s'arranger. »

14
tout intérieurs, des demandes de pardon, des actes de reconnaissance 24, des actes d'amour intense sans
aucune parole, des actes d'adoration de la présence de Dieu en nous ou dans les autres, l'essentiel c'est de
se garder vis-à-vis de Lui l'âme ouverte et le cœur en feu.

24
Implemini Spiritui Sancto…, gratias agentes semper in cordibus vestris pro omnibus, in nomine Christi, Deo et Patri.
15
2

COLLOQUE
16
■ Mon enfant, pourquoi t'agiter, te troubler, multiplier tes soucis ? Il n’y a que Moi qui suis,
nécessaire. Cherche-Moi, tout le reste te sera donné par surcroît.
Si tu n'agis pas avec Moi, tu te disperses sans profit pour personne. Laisse donc se décanter toute
cette écume de tracas inutiles, et viens à Moi.
Entre profondément dans le courant incessant de ma prière en toi, pour toi et pour les âmes dont tu
as la charge. Tu verras plus clair et tu seras plus malléable à mon action.
Je pourrai t'inspirer plus facilement ce que Je veux que tu penses, ce que je veux que tu dises, ce
que je veux que tu fasses. Tu agiras sous mon influence et tu verras alors comment, avec moins d'efforts,
moins de fatigue, moins d'énervement, tu réaliseras davantage.

■ Il faut que l'on Me sente en toi. Aspire-Moi davantage. Désire-Moi davantage. Parle-Moi da-
vantage. Communie intérieurement davantage à Moi.
Unis-toi à Moi en ceux que tu approches. Sois bon et souriant envers tous. Grandis en amour et je
te ferai grandir dans les autres vertus. Souviens-toi : il vaut mieux ne pas voir que de voir sans amour, il
vaut mieux ne pas agir que d'agir sans amour. Attention ! Il ne s'agit pas d'amour que l'on éprouve,
mais d'amour que l'on prouve.

■ Ta mission intérieure est plus importante que ton action extérieure. Le vrai bien qu'on fait, c'est
celui qu'on Me permet d'opérer à l'intérieur des âmes. Je ne vois pas les choses ni les âmes d'en-haut ou
de loin, comme on le croit trop souvent, Je voir par le dedans et tout près, à l'intime de chacun. Il n'est
pas nécessaire que les gens sachent par qui le bien leur est fait, du moment que du bien leur est fait.
Ne cherche qu'une chose : mon regard. Ne désire qu'une chose : aimer avec mon Cœur. N'aspire
qu'à une chose : n'être rien pour que je sois tout en toi et que par toi je puisse grandir en tous.

■ Une âme qui est loyalement attachée à Moi a une telle puissance sur mon Ceux pour transformer
le monde ! Il y a actuellement beaucoup trop d'âmes superficielles, happées par la futilité. Il n'y a pas
assez de vrai silence. J'appelle, mais on ne M'entend pas. J'attire, mais on ne bouge pas. Comment, dans
ces conditions, faire bouger le monde ?

■ On se laisse prendre par les choses qui passent, parce qu'on ne s'appuie pas sur Moi, on n'est pas
assez accroché à Moi. Ce n'est pas Moi que l'on voit en soi-même, ce n'est pas Moi que l'on voit dans les
autres.
Alors, je ne puis agir autant que mon Cœur le désire. Je mis inopérant en beaucoup, quand il y
aurait tant à faire. Quelle misère !
Je veux qu'on Me sente en toi davantage.

■ Hélas ! L'immense multitude des hommes est fermée à l'Amour. Ce qui remplit leur cœur, c'est
presque exclusivement la pensée de leurs intérêts, de leurs ambitions, de leur satisfaction personnelle,
en un mot de leur égoïsme.
L'action extérieure est toujours limitée. Il la faut, elle est nécessaire, Je la veux, mais son champ est
borné. L'action intérieure, elle, n'a pas de limite, elle s'étend jusqu'aux extrémités du monde et plongé,
au-delà de l'actualité.

■ Que je sois de plus en plus ton but et ta raison d'agir en toute chose.
Ne Me quitte pas de volonté, et ne Me quitte de pensée que le moins possible.
Sois toujours orienté vers Moi. En Moi tu trouveras la solution des problèmes que tu as à résoudre
et la suppléance à tes insuffisances.

■ Si l'on savait quelle puissance les âmes intérieures possèdent, pour obtenir de mon Cœur les
grâces nécessaires et décisives en faveur de la grande révolution invisible et intérieure du monde... Ce
17
serait pourtant si simple ! Mais l'on complique tout. Puisque c'est Moi qui féconde, il suffit de vouloir
loyalement ne faire qu'un avec Moi, alors J'inspire à chacun ce que J'attends de lui, je le guide
mystérieusement, sans même qu'il s'en doute, et c'est mon œuvre d'amour qui avance en beaucoup.
Oui, on complique beaucoup trop l'action apostolique. On ne va pas à l'essentiel. On s'épuise en
discussions stériles. On perd un temps précieux alors que tout travail, toute activité, tout effort qui n'est
pas sous mon influence est voué fatalement à la stérilité.
Il y a trop d'âmes agitées. On croit Me servir en se dépensant sans compter (Je tiens compte de la
bonne volonté : à l'origine au moins il a désir de bien faire qui est louable, volonté de zèle qui est
sincère), mais que de pas inutiles, que de paroles inutiles, que d'occupations inutiles, que de vies mal
réglées, que de fatigues épuisantes. Tout cela en pure perte, à la recherche de l'accessoire, dans l'oubli
de l'essentiel qui est Moi-même.
On ne veut pas prendre le temps de s'asseoir avant de construire, on ne veut pas faire l'humble
effort de prendre du recul, de faire le point avec Moi, de savoir ce que je pense du travail accompli et de
celui que l'on projette d'accomplir.
Si vous vous imaginez, mes pauvres enfants, que c'est en cessant de respirer vers Moi que vous
pourrez changer la face de la terre !...

■ En dehors de Moi, tout ce que tu peux désirer ou rechercher n'est que vanité et néant. Mais si tu
sais Me mettre dans tout ce que tu fais, tu Me retrouveras dans tout ce qui t'arrive.
Viens à Moi plus souvent, avec confiance. Cherche-Moi plus souvent à travers tout et à travers
tous, surtout à travers toi-même. Il faudrait que tu arrives à ne plus pouvoir te passer de Moi, pour que
je puisse passer par toi autant que je le désire. Et tu verras le beau travail que nous ferons ensemble...

18
3

EXAMEN
19
1. Ai-je bien, sur la vie intérieure, une idée exacte ? Ai-je compris qu'elle était pour moi une
nécessité vitale si je veux avoir vraiment une vie chrétienne intense et rayonnante ?
2. Suis-je véritablement uni à Jésus comme je devrais l'être, au point de pouvoir dire comme saint
Paul : « Je vis, non ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » ?
3. Loyalement, que vaut ma vie intérieure ?
4. Le Christ est-Il vraiment pour moi le grand Ami, l'Hôte intérieur de mon âme ?
5. Ne suis-je point victime de l'activisme, de l'agitation, de l'éparpillement, d'une vie trépidante et
stérile ?
6. Est-ce que j'agis vraiment sous l'influence de Jésus ? Si j'essaie d'analyser mes mobiles d'action,
puis-je dire en toute vérité que j'agis toujours pour des motifs surnaturels ?
7. Est-ce que, de temps en temps, je m'unis à Lui pour faire ce que j'ai à faire ?
8. J'ai la foi, mais ai-je vraiment l'esprit de foi, et surtout la présence d'esprit de foi ? Ai-je des
réactions surnaturelles en face des événements, des difficultés, des contrariétés, des contradictions, des
humiliations, des souffrances ?
9. Ai-je le réflexe de voir Dieu dans les âmes ? Suis-je avant tout désireux de sa croissance en
chacune et de l'épanouissement de chacune aux rayons de sa grâce ?
10. Est-ce vraiment l'amour de Dieu et du prochain qui est ma principale source d'énergie ? Ne
serait-ce pas encore trop souvent la recherche subtile de moi-même ?
11. Le regard de Jésus sur moi, la présence de Jésus en moi sont-ils pour moi des réalités qui
comptent dans le détail concret de la vie de chaque jour ?
12. Où en suis-je de la pratique des oraisons jaculatoires ?
13. Puis-je dire, comme saint Paul, mihi vivere Christus est, ma raison de vivre, ma raison de
travailler, ma raison d'obéir, ma raison de sourire, ma raison d'agir, c'est le Christ Jésus ?
14. Est-ce que mes découragements ne viennent pas trop souvent de ce que ma vie n'est pas assez
imprégnée de foi en son amour
15. N'ai-je pas tendance, à oublier que la vie intérieure est un don de Dieu et qu'il faut la demander
humblement ?

20
4

RÉSOLUTIONS
21
1. Demander souvent à Jésus le don d'une vie intérieure profonde. C'est là une grâce que le
Maître ne demande qu'à nous accorder, mais il nous faut la solliciter avec insistance.
2. Le matin, dès le réveil, reprendre contact avec Dieu vivant en nous, et orienter très
nettement toute notre journée vers Lui. « Mon Dieu, tout ce que je ferai, tout ce que je souffrirai
aujourd'hui, ce sera pour Vous. Gardez-moi très profondément uni à Vous. »
3. En union avec les messes qui se célèbrent, renouveler l'oblation de toutes les activités qui
marqueront la journée pour qu'elles soient influencées par Lui et effectivement orientées vers Lui.
4. Dans l'activité, sans avoir besoin de s'interrompre longuement, Lui faire sentir de temps en
temps que le pacte du matin tient toujours, et que c’est bien pour Lui qu’on travaille et qu’on
supporte telle ou telle souffrance.
5. Profiter des allées et venues, des petits moments libres, si courts, soient-ils, et surtout des
travaux manuels, pour converser intérieurement avec Lui. « Au fond de toi, mon enfant, Je suis là et
Je t’attends… ».
6. Prendre l’habitude (une habitude, cela ne se prend pas du jour au lendemain, cela demande
des semaines et même des mois d’efforts et de recommencements ; mais quand on le veut, avec sa
grâce, on y arrive) de Le voir et de L’adorer à travers tous ceux auxquels nous avons affaire.
« Adore ce qu’il y a de Moi en chacun, tu Me feras grandir en tous. »
7. Communier souvent à son amour pour ceux qui nous entourent. Envoyer à tous des ondes
de bonté, de bienveillance. « Considère comme fait à Moi-même tout ce que tu fais aux autres. »
8. Essayer chaque jour, pendant quelques instants, de nous unir expressément à Lui pour
faire ce que nous avons à faire. Ne pas se tendre l’esprit, ne pas se crisper.
Dès que l’on sent de la fatigue, s’arrêter. Il n’est pas nécessaire de toujours penser à Lui,
l’essentiel c’est de vouloir agir pour Lui. Mais de temps en temps reprendre cet exercice. Peu à
peu, avec sa grâce, c’est Lui qui nous attirera et nous unira à Lui sans effort de notre part.
9. De temps en temps, selon le conseil de Saint Vincent de Paul 25 jeter une œillade intérieure
vers sa divine Majesté et converser avec Lui.
Cette conversation peut prendre différentes formes selon les tempéraments, et pour la même
âme selon les dispositions, qui peuvent varier d’un moment à l’autre. On peut d’ailleurs avoir une
conversation sans paroles (Dieu comprend directement nos pensées) ; elle peut consister à Le
regarder sans rien dire (Cf. le mot du paysan d’Ars : « je L’avise et Il m’avise »), ou, sans aucune
parole, à Lui faire sentir notre amour (cf. la réponse de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus à son
infirmière qui lui posait la question : « Mais que dites-vous donc au Seigneur quand vous priez ? – Je
ne Lui dis rien, je L’aime. »)
VOICI, A TITRE D'ÉCHANTILLONS, QUELQUES FORMES DE PRISES DE CONTACT
AVEC L'HÔTE DIVIN :
■ de simples formules empruntées à la liturgie ou à l'Évangile, ou inventées par nous et qui
deviendront des oraisons jaculatoires (il est bon d'en avoir tout un arsenal pour pouvoir varier) ;
■ une simple affirmation du cœur, toute spontanée et personnelle : « Seigneur, je Vous aime. -
Seigneur, je compte sur Vous. - Seigneur, je suis heureux d'avoir à souffrir quelque chose pour Vous » ;
■ une question de l'esprit : « Seigneur, que pensez-Vous de cela ? - Que voulez-Vous que je fasse ?
- Que feriez-Vous à ma place ? - Que pourrais-je bien faire pour Vous faire plaisir ? » ;
■ un acte d'oblation : « Seigneur, je me donne à Vous. - Servez-Vous de moi comme Vous
l'entendez. - Voici mes lèvres pour prier, mon cœur pour aimer, mes mains pour écrire, etc. » ;
■ offrande des âmes qui nous entourent : « Seigneur, je Vous offre telle âme, bénissez-la,
guérissez-la, consolez-la ; je Vous offre ses peines, ses qualités, ses bons désirs, etc... » ;

25
Conférence du 11 juillet 1648.
22
■ acte d'union intense et explicite avec Jésus : « A nous deux, Seigneur, ensemble ce sera mieux
fait. - Ce n'est pas moi qui travaille tout seul, c est Vous qui travaillez avec moi » :
■ offrande au Père de la prière actuelle de Jésus-Christ..., etc.
10. Sourire à tout pour faire plaisir à Jésus.
« Elles sont si rares les âmes qui Me font fête ! » - « J'essaie d'aller avec le sourire à la rencontre
de tout ce qui me contrarie, disait Dom Marmion. »
11. Surtout, ne pas prendre un air gauche ou guindé. La vie intérieure ne doit pas être
paralysie ni inhibition, mais épanouissement dans la liberté des enfants de Dieu.
12. Ne jamais considérer la vie intérieure comme une évasion du devoir d'état, et a fortiori du
devoir de la charité fraternelle.
13. Se ménager à tout prix, au moins une fois par semaine, un temps un peu long de silence, de
recueillement, de lecture biblique, d'oraison prolongée. Si on ne se ravitaille pas, au bout d'un
certain temps on n'a plus rien à donner.

23
5

LECTURE
24
Le Christ ressuscité, c'est la porte du Ciel ouverte, c'est la vie surnaturelle répandue en ce monde, et
la vie surnaturelle n'est autre chose que Jésus habitant dans notre âme, demeurant, agissant en elle, la
surnaturalisant, la faisant participer à la nature divine. Il est le cep, nous sommes les sarments.
Union spirituelle sans doute, union corporelle aussi. Jésus ressuscite chaque matin sur l'autel et Lui,
le Pain de Vie, Il se donne à nous en nourriture : sa chair vient en notre chair. Nous faisons plus que
nous approcher de Lui, nous Le mangeons.
Jésus vit donc en nous ; mais toute vie est action. Aussi agit-Il en nos âmes comme le cep vit et
prospère par les sarments. Il prend nos facultés, s'incorpore notre esprit, notre cœur, incapables de tout
acte surnaturel, et Il les anime. Il fait que notre cœur aime Dieu, s'unit à Lui, se déverse sur nos frères.
C'est Lui qui vient et viendra dans notre âme, y revivre, y souffrir et se donner à nouveau, y aimer
encore les autres jusqu'à la fin, jusqu'à leur donner sa vie, notre vie. Il est le cep ; nous, les sarments.
Quel sera notre rôle dans cette action ? Laisser vivre le Christ en nous, nous harmoniser, nous
conformer entièrement à sa volonté, à son action. Vouloir tout ce qu'Il voudra en nous; ne rien Lui
refuser : humiliations, souffrances physiques, médiocrité forcée, héroïsme même, s'Il le veut, car Il est le
Maître et nous n'avons qu'à consentir. Travail bien simple et bien beau c'est toute la vie surnaturelle. Être
le sarment qui ne fait pas obstacle à la montée de la sève...
Le Christ vivifie qui Il veut et ceux qu'Il vivifie, II ne les vivifie pas tous également. Sa vie est un
don. Nombreuses sont les branches du pied de vigne. Quelques-unes ont merveilleusement grandi ;
d'autres sont restées petites, toutes sont inégales. Sachons être la petite branche à deux feuilles qui ne
jalouse pas son voisin, le grand rameau qui porte du fruit et des sarments. Disons-nous bien que chaque
branche a sa beauté, beauté qui contribue à l'harmonie de l'ensemble, et restons à notre place, pour aussi
dur que cela soit ; car celui qui aime sa vie la perdra.
Il faut donc laisser faire le Vigneron ; s'Il préfère couper la branche que nous sommes pour que la
sève qu'elle contient retourne à la branche-mère, inclinons-nous simplement à l'exemple de nos
confrères prématurément enlevés par la mort.
Mais si le divin Vigneron préfère émonder la branche que nous sommes, ne nous révoltons pas, ne
nous plaignons pas. Trouvons cela tout naturel et bon en somme, comme la branche qui se laisse
émonder.
Restons toujours unis au cep, unis au Christ. Il est l'Ami, le Compagnon de route qui charme,
console, soutient. Sans Lui nous serions le sarment qui se dessèche et qui n'est bon qu'à brûler.
Restons en Lui. Il restera en nous, ici-bas et toujours. Si le Christ se donne à nous, c'est pour que
nous ressuscitions avec Lui et que nous soyons revêtus de sa gloire.
Pensons à ces Pâques éternelles, à cette vie de possession. de Dieu que nous aurons cherché, au
milieu des ronces parfois, mais que nous posséderons sans fin.
De tout cela, rendons grâces à Dieu et redisons ce que nous chantons à la fin du chant si populaire
de l'O filii :
De quibus nos humillimas
Devotas atque debitas
Deo dicamus gratias
Alleluia - Alleluia 26 !

26
Conférence spirituelle donnée au Séminaire St Sulpice le Samedi-Saint 1914, par l'Abbé H. Séramia, qui devait tomber au champ
d'honneur quelques mois plus tard.

25
6

PRIÈRE
26
SAINTE Vierge Marie, Mère et Modèle des âmes intérieures, gardez la mienne fidèlement unie de
volonté et de cœur à votre divin Fils. ۩ ۩ Obtenez-moi la grâce de penser à Lui souvent, sans fatigue et
sans tension d'esprit, et d'orienter vers Lui toutes mes activités. ۩ ۩s. Faites en sorte, ô Marie, que je sois
tellement uni à Lui, que personne ne puisse s'approcher de moi sans se sentir plus proche de Lui. Que
l'on devine à travers ma pauvre humanité sa divine Présence. ۩ ۩ Faites-moi trouver en Lui toutes les
grâces qui me sont nécessaires pour réaliser tout ce qu'Il attend de moi, au service de la gloire du Père et
du salut de mes frères. ۩ ۩ Ainsi soit-il.

27
TABLE DES MATIÈRES
*

AVANT-PROPOS……………………………………………………………………………….

I. Méditation………………………………………………………………………………
I. Qu'est-ce que la vie intérieure…………………………………………………………….
A. CE QUE N'EST PAS LA VIE INTÉRIEURE…………………………………………………………
1. Elle n'est pas la pensée constante de Dieu…………………………………………
2. Elle n'est pas le goût sensible des consolations divines…………………………...
3. Elle n'est pas une évasion du devoir d'état………………………………………..
B. CE QU'EST LA VIE INTÉRIEURE…………………………………………………………………
Une vie d'amitié avec Dieu…………………………………………………………....
1. Dieu habite en nous…………………………………………………………………
2. Dieu vit en nous………………………………………………………………….....
3. Dieu nous vivifie……………………………………………………………………

II. Pourquoi développer notre vie intérieure ?....................................................................

A. C'EST DANS LA LOGIQUE MÉME DE NOTRE FOI………………………………………………


B. C'EST L'UN DES MOYENS DE FACILITER EN NOUS L'ACTION DE LA GRÂCE ……………
C. C'EST UNE CONDITION DE BONHEUR ET DE FÉCONDITÉ……………………………………….

III. Comment développer notre vie intérieure ?......................................................................


A. ÉCARTER LES OBSTACLES QUI S'OPPOSENT A LA VIE INTÉRIEURE……………………..
1. L'esprit superficiel…………………………………………………………………….
2. La recherche de nous-même…………………………………………………….…….
3. La carence de foi et d'amour…………………………………………………………..
B. COLLABORATION A L'ACTION DIVINE……………………………………………………
1. Par une prière persévérante…………………………………………………………….
2. Par l'acquisition d'une mentalité et d'une attitude de membre du Christ………………
3. Par la multiplication des prises de contact avec le Seigneur…………………………
2. Colloque…………………………………………………………………………………
3. Examen………………………………………………………………………………………...
4. Résolutions………………………………………………………………………………
5. Lecture…………………………………………………………………………………………
6. Prière…………………………………………………………………………………….

28

Vous aimerez peut-être aussi