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eucharistiques-II-III/dp/B09M53NY7F/ref=tmm_pap_swatch_0?_
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Albert Rouet

À la découverte
des
prières eucharistiques
I, II, III et IV

Préface du Cardinal François Marty

Centre Jean-Bart

Réédition

2021
Première édition : A la découverte des prières eucharistiques,
Paris, Centre Jean-Bart, 1981.

Imprimatur
Paris, le 25-3-1981
P. Faynel, v.g.

Réédition préparée par :


© 2021, Sr Pascale-Dominique Nau, OP
Varsovie, Pologne.

ISBN : 9798792502246
Tous droits réservés.
PRÉFACE

« Faites ceci en mémoire de moi ». Telle est la volonté du


Christ. Il l’exprime pour tous les temps, pour tous les pays. Sa
mort et sa résurrection concernent tous les hommes au plus pro-
fond de leur histoire, de leur avenir. Il se livre « afin que le monde
vive ». Le don de la vie est au cœur de l’Eucharistie. Et c’est un
don d’amour. Le pape Jean-Paul II le rappelait dans sa lettre sur
l’Eucharistie pour le Jeudi Saint 1980 :

Avec ce don insondable et gratuit qu’eau la charité révélée,


jusqu’au bout, dans le sacrifice salvifique du Fils de Dieu dont l’Eu-
charistie est un signe indélébile, naît en nous une vivante réponse
d’amour. Non seulement nous connaîtrons l’amour, mais nous com-
mençons nous-mêmes à aimer. Nous entrons, pour ainsi dire, dans
la voie de l’amour, et nous réalisons des progrès sur cette voie.
L’amour qui naît en nous de l’Eucharistie se développe, s’approfon-
dit et se renforce en nous grâce à elle (n° 5).

Le don du Christ appelle une réponse adaptée. L’amour ap-


pelle à aimer. L’Eucharistie donne aux hommes la réponse qui
convient à la Parole vivante que le Père leur adresse. Une Parole
nous est donnée pour que nous puissions nous offrir avec elle.
Pour que nous puissions offrir le monde en elle. Le monde est
destiné à vivre dans ce dialogue. La Parole de Dieu faite chair se
fait aujourd’hui réponse du monde au Père, dans le souffle de
l’Esprit. L’Église est cette part de l’humanité qui, du milieu des
hommes, offre à Dieu la réponse de son Fils. Réponse offerte,
réponse livrée, réponse donnée. L’Église la garde précieuse-
ment : cette réponse vivante la constitue peuple de Dieu, le
peuple qui parle à Dieu, le peuple qui parle aux hommes.
« L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui
sort de la bouche de Dieu ».
L’Église garde la Parole. Elle laisse retentir en elle à jamais
les mots du Christ : « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang ».
Pour faire siens ces mots, pour accueillir cette Parole inouïe et y
répondre, elle a composé avec amour les mots de sa prière eucha-
ristique. Elle y a mis son cœur. Elle s’estime rigoureusement
comptable envers Dieu de cette prière, en ses quelques variantes
autorisées, par lesquelles les chrétiens vont ensemble se laisser
façonner. Les prières eucharistiques sont le bien commun du
peuple de Dieu. Elles dépassent les conditions locales, même si
elles portent les traces des lieux et des temps où elles sont nées.
Elles débordent les assemblées qui les prient car à chaque heure,
à chaque endroit, dans chaque groupe, elles rappellent l’Église du
Christ. La célébration en tel temps et en tel lieu n’est qu’un visage
de l’Église. Il faut montrer que l’Église est plus large, qu’elle est
d’avant et d’après, qu’elle est d’ailleurs.
C’est pourquoi les prières eucharistiques sont nourriture de
foi. Elles sont tirées de la Bible, elles sont tirées des siècles chré-
tiens, de ceux des Pères de l’Église principalement. Leurs expres-
sions sont nos racines. Elles ancrent notre prière actuelle dans le
cours de notre histoire de peuple de Dieu. Il faut les connaître, en
méditer les sources, en percevoir l’orientation. La connaissance
de ce passé, proche ou lointain, n’a pas seulement un intérêt his-
torique. Elle rend plus authentique la prière et la participation à
l’Eucharistie, puisqu’elle unit ce que nous faisons ici à ce que fait
toute l’Église. En ces prières, l’Église se reconnaît priante.
Je remercie le Père Albert ROUET de cet ouvrage qui nous aide
à pénétrer le sens des prières eucharistiques et, mieux encore, à
nous laisser prendre par elles. Nous ne serons jamais autant nous-
mêmes que dans la Messe où notre prière se confond avec celle
du Christ. C’est là que nous nous reconnaissons « fils dans le
Fils » et donc frères de tous. La fraternité de l’Eucharistie nous
envoie vivre en frères des hommes.

6
INTRODUCTION :
QU’EST-CE QU’UNE PRIÈRE
EUCHARISTIQUE ?

Deux enquêtes faites auprès de jeunes lycéens, dans deux dio-


cèses de la Région parisienne, arrivent aux mêmes conclusions
au sujet de la messe. D’après les réponses des jeunes, la première
partie de la messe, la liturgie de la parole, est bien reçue, sermon
y compris. Puis, le sermon fini, la prière universelle dite, il
semble qu’un nombre important de jeunes désirerait passer direc-
tement à la communion. De la parole partagée, au repas du Christ
partagé. Que devient alors la prière eucharistique qui constitue le
sommet de la liturgie et rend possible la communion au Corps du
Christ ? Certaines réponses avouent n’en pas voir l’intérêt,
d’autres reconnaissent profiter de ce temps qui parait être laissé
au prêtre pour « prier seul, méditer, penser à autre chose… » Est-
il certain que des adultes ne réagiraient pas de la même manière ?

1. Le reproche de routine

« C’est toujours pareil ! » soupirent des jeunes dans les en-


quêtes citées. Réflexe étonnant, puisque quatre grandes prières
eucharistiques sont à la disposition des célébrants, sans oublier
celles pour la réconciliation, celles pour les messes d’enfants et
celle pour une grande assemblée : au total dix prières différentes.
Le Concile Vatican II avait tenu à ce que la liturgie latine re-
trouve une ancienne tradition. Il demanda la création de nouvelles
prières eucharistiques en plus du canon romain, seul en usage de-
puis la réforme carolingienne en nos pays.
Le Conseil pour l’application de la Constitution de Vatican II
sur la liturgie, en présentant les trois nouvelles prières eucharis-
tiques (II, III et IV), écrivait :

Le but spirituel et pastoral en est clair : ouvrir plus abondamment


au clergé et au peuple les trésors de vie chrétienne bibliques et tra-
ditionnels dans l’Église universelle, dans la façon de célébrer l’Eu-
charistie et en faciliter la compréhension et l’assimilation vitale …
(la diversité de ces prières) est une richesse vraie : ainsi une
anaphore (= prière eucharistique) complète l’autre, l’une permet
d’exprimer certains aspects mieux qu’il n’est possible de le faire
complètement et de la même façon en toutes.
(23 mai 1968. La Documentation catholique, nº 1520,
du 7 juillet 1968, cols 1171 et 1174).

Les nouvelles prières eucharistiques devaient donc favoriser


un élargissement de la connaissance de l’eucharistie1. Un autre
but, conjoint à ce premier objectif, cherchait à favoriser une meil-
leure participation de l’assemblée à la messe. Dès 1903, S. Pie X
demande « la participation consciente et active de tous », expres-
sion reprise en 1958 par Pie XII et qui se retrouve dans le texte
de présentation des nouveaux canons. Celui-ci parle de « partici-
pation active, plénière, intérieure et extérieure » (ibid. col 1171).
La visée expresse veut éviter la routine : d’où vient alors le
reproche formulé par les jeunes et par des moins jeunes, ceux-ci
se réfugiant souvent dans une prière privée qui, pour louable
qu’elle soit, arrive mal à s’associer à la prière centrale de la
messe ?

2. L’art de prier en public

Prière réservée au prêtre, le canon se lit à voix distincte.


C’était la coutume romaine et générale en occident. Progressive-
ment, les célébrants l’ont récité à voix basse. Cette innovation
apparaît au VIIIème siècle et se répand. Elle est achevée à la fin du
Xème siècle. Toutefois, il faut rappeler que la préface – qui appar-
tient à la prière eucharistique, nous le verrons plus loin – a tou-
jours été récitée à haute voix ou chantée. En effet, après la pré-
face, l’évêque célébrant « se lève et entre seul dans le canon »,
c’est-à-dire qu’il quitte sa place au milieu de l’assemblée ou face
à elle (selon les manières diverses de placer le trône de l’évêque),
pour aller à l’autel. Un sens liturgique très influencé par l’Ancien
Testament compare le célébrant à Moise pénétrant devant Dieu
dans la Tente de la Rencontre au désert, ou encore au Grand
Prêtre entrant dans le Saint des Saints. Cette compréhension se

1
La lettre aux évêques du 2 Juin 1968 du Conseil pour l’application de la
Constitution sur la liturgie parle d’un « approfondissement du mystère eucha-
ristique » (D.C. 1520, Col. 1178).
8
retrouve dans l’architecture : le chœur des églises devient de plus
en plus un espace réservé au clergé.
Soucieux de restaurer la participation des fidèles, le Concile
Vatican II a renoué avec la tradition de lire à haute voix le canon.
Mais cette lecture appelle quelques remarques :
1. Plus que d’une lecture rapide et individuelle, il s’agit d’une
prière que le prêtre adresse à Dieu au nom de l’assemblée :
« Nou4 et ta 4amitee U777én dit le canon romain. Il faut donc
que par sa posture, ses gestes, par son expression vocale, le
prêtre donne l’impression aux fidèles qu’il parle en leur nom.
Lire une prière eucharistique s’apprend. Cet acte en appelle à
l’art de la déclamation.
2. Trois acclamations ponctuent le canon et reviennent à l’assem-
blée : le chant du « Saint, saint, saint ! » au début, le chant
d’acclamation après la consécration, l’« amen » solennel à la
fin. Mais il reste possible de placer un refrain qui rythme les
différentes parties du Canon.
3. Depuis le Concile de Trente (XVIème siècle), il est prévu que
des monitions brèves, claires et nourrissantes facilitent la par-
ticipation des fidèles. Des temps d’adoration silencieuse peu-
vent être ménagés.

Il serait étrange que les chants, les lectures, l’homélie, soient


régulièrement préparés, et jamais la prière eucharistique. Laissée
au prêtre, elle lui est peut-être psychologiquement abandonnée…
Il en résulte que les canons risquent d’être usés avant d’être
vraiment utilisés au mieux. Mais que sait-on de leur plan, que
médite-t-on de leur contenu ? Quand les sermons ou la catéchèse
tirent-ils parti de leurs richesses ? À Lourdes, les évêques fran-
çais avaient donné l’exemple en présentant la foi chrétienne à
partir de la 4e prière eucharistique (« Il est grand le mystère de la
foi » : octobre 1978). C’est pour pallier cet inconvénient de
l’ignorance que cet ouvrage est entrepris. Il peut être utilisé soit
seul soit en groupe de travail. Ici ou là, des équipes liturgiques
ont commencé semblable réflexion. Des pistes de réflexion se-
ront indiquées ici ou là.
Ajoutons une dernière remarque : il arrive que des personnes
peu chrétiennes, voire pas chrétiennes, assistent à une messe. Le
temps de la parole, le sermon, puis le partage de la communion

9
les frappent : elles reconnaissent là des moments graves. L’im-
portance de la prière eucharistique peut leur échapper, si elle n’est
pas célébrée de telle manière qu’elle apparaisse visiblement
comme le centre de l’action liturgique. Le responsable parisien
du catéchuménat, le Père René Dufay, aime à faire cette re-
marque : la liturgie ne « donne » pas la foi, mais elle peut faire
dire aux non-croyants « Si cela pouvait être vrai ! ». Elle rend la
foi désirable. À ce titre, elle évangélise. Quand des chrétiens par-
lent de leurs difficultés à comprendre la liturgie, il s’y cache fré-
quemment des difficultés sur leur foi. Le malaise liturgique tra-
duit un malaise dans la foi. Bien comprendre la liturgie est
éducatrice de la foi. Déjà Pascal décrivait une progression :

Il faut commencer par montrer que la religion n’est point con-


traire à la raison, vénérable, en donnant respect ; la rendre ensuite
aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie ; et puis montrer
qu’elle est vraie. Vénérable, parce qu’elle a bien connu l’homme ;
aimable, parce qu’elle promet le vrai bien.
(Pensées. Édit. Brunschvicg, 187)

3. Quel nom donner à cette prière ?

Dans les pages précédentes, il a été question indifféremment


de « prière eucharistique » ou de « canon », pour désigner la par-
tie centrale de la messe, la prière qui part de la préface, contient
la consécration et s’achève par une louange à la Trinité. Le mo-
ment est venu de préciser le sens de ces mots et même de remar-
quer que d’autres termes ont servi à désigner ce moment litur-
gique.
Le Nouveau Testament utilise quatre termes :
Prononcer la BENEDICTION : Bénir quelqu’un, c’est dire à son
sujet une parole bonne, c’est-à-dire une parole qui exprime le
bien qu’on lui doit. À l’origine, un père reconnaît son enfant
en lui donnant un nom, par une parole qui désigne l’enfant, qui
le relie à sa famille, qui l’adopte (cf. Lc 1,13.59-64 ; Mt 1,21).
À ce titre, la Personne à qui chacun doit le plus est Dieu. « Pro-
noncer la bénédiction » signifie d’abord louer Dieu pour le

10
pain et la vie qu’il nous donne. Une telle bénédiction, issue de
la liturgie juive, se retrouve maintenant à l’offertoire :

Les Évangiles utilisent cette expression :


- à la multiplication des pains : Mt 14,10 ; Mc 6,41 ; Lc
9,16
- à la Cène : Mt 26,26 ; Mc 14,22
- sur le chemin d’Emmaüs : Lc 24,30
À partir du mot grec, on obtient le mot « eulogie » (parole de
bien) qui a fini par désigner le pain béni, différent de l’Eucharis-
tie.

Rendre grâces : L’action de grâce est un remerciement adressé à


Dieu qui intervient pour la vie des hommes. Louange qui pro-
vient du fond du cœur, l’action de grâce s’adresse au Père
« qui sait de quoi vous avez besoin avant même que vous le
lui demandiez » (Mt 6,8). Elle remercie Dieu pour les actes
sauveurs accomplis en faveur des siens, donc, très particuliè-
rement pour ce qu’il a fait pour les hommes dans le Christ.
Les Évangiles utilisent cette expression :
- au second récit de la multiplication des pains : Mt
15,35 ; Mc 8,6 ; Jean 6,11
- à la Cène : Mt 26,27 (sur le vin) ; Mc 14,23 (sur le vin)
Lc 22,19 (sur le pain) ainsi que 1 Co 11,24).
De cette expression vient le mot « eucharistie ».
On remarque que, selon l’usage du Nouveau Testament, « pro-
noncer la bénédiction » et « rendre grâce » sont deux expressions
équivalentes. Ce n’est qu’ensuite que leurs dérivés, « eulogie » et
« eucharistie » vont prendre des sens différents. La Prière Eucha-
ristique I garde les deux formules : « en te rendant grâce, il le
bénit ».
11
La Fraction du pain : Ce terme qui fait image (l’acte de partager)
se retrouve en Lc 24, 30-35 ; Ac 2, 42-46 ; 20, 7-11 ; 27, 35.
Dans les repas juifs, celui qui présidait la table, après avoir
béni le pain, le rompait et le distribuait aux convives : cf. les
récits de la multiplication des pains. Jésus accomplit ce geste
à la Cène. Comme telle, l’expression désigne plus l’ensemble
de la liturgie eucharistique que le moment précis de la prière
centrale.
Il en est de même pour la dernière expression du Nouveau Testa-
ment :

Le repas du Seigneur : qu’on rencontre en 1 Co 11,20.

La Tradition utilise d’autres mots, chacun d’eux cherchant à


souligner un aspect :
La Messe : Il est sûr que le mot « missa », utilisé dans l’expres-
sion « ite, missa est », vient d’un verbe signifiant « ren-
voyer ». Il s’agit d’un renvoi. Au terme des audiences dans un
tribunal, on indiquait la fin de la séance par « Missa acta est-
(Ite) in pace » : « Ce qu’on avait à dire (et à faire) est accompli
– (Allez) en paix ». Autrefois, on renvoyait les catéchumènes
(les non-baptisés) après les lectures et l’homélie. Une fois ce
renvoi assuré, on entrait dans le sacrifice auquel assistaient les
baptisés. Le mot a fini par s’appliquer à l’ensemble de la litur-
gie à partir, semble-t-il, de S. Ambroise, évêque de Milan
(374-397).
Pour désigner la messe, on trouve également des termes qui
englobent la totalité des actes liturgiques : oblation (= offrande),
sacrifice, et même « la liturgie », puisque la messe est l’acte li-
turgique par excellence. Ainsi, au début du IIème siècle, « la Doc-
trine (Didachè) du Seigneur enseignée aux nations par l’intermé-
diaire des Apôtres » dit-elle :

12
Le jour dominical du Seigneur, rassemblez-vous pour la fraction
du pain et rendre grâce, après avoir en outre confessé vos péchés
pour que votre sacrifice soit pur.
(Chap. 14).

D’une manière plus précise, pour désigner la prière eucharis-


tique, on trouve :
Anaphore : Venu du grec, le mot désigne l’acte d’élever une of-
frande. Comme à la messe on présente à Dieu l’offrande de
son Fils, ce mot sert à désigner, en Orient, la prière eucharis-
tique. On parlera de l’Anaphore de saint Basile, de l’Anaphore
de saint Jean Chrysostome, pour désigner des prières eucha-
ristiques qui leur sont attribuées.
Prière : La messe étant le sommet et la source de la vie
chrétienne, il arrive que le mot de « Prière » (Prex) soit pris en
ce sens absolu. On rencontre des équivalents : l’« Oraison »
(Oratio, de orare = prier) ; la « prière d’offrande » (oratio
oblationis).
Action : Voulant insister sur le fait que l’Eucharistie est
l’offrande même du Christ, un acte qu’il accomplit lui-même
et que son Église accomplit avec lui dans l’Esprit, on trouve le
mot « actio » (action) pris absolument, ou encore « actio sa-
crificii » (action du sacrifice). Si on veut insister sur l’acte de
louer, il arrivera même que le mot « Praedicatio » (parole de
louange) soit équivalent de messe, avant de s’identifier à la
Préface de manière plus précise.
Canon : Enfin on trouve le mot « canon ». Il désigne la
règle, la manière de faire. On parlera du « canon actionis »,
c’est-à-dire de la manière régulière de célébrer l’action. Un
auteur du Moyen-Age, Walafrid Strabon, écrit :

« Cette action est nommée canon, car elle contient la manière


légitime et régulière de faire les sacrements. »

Actuellement deux termes sont utilisés équivalemment, celui


de : « prière eucharistique » et celui de « canon ». Ainsi le canon
romain est la prière eucharistique I.

13
4. Origine de la prière eucharistique

La manière dont Jésus a célébré la Cène est très brièvement


racontée par le Nouveau Testament. Matthieu (26,26) et Marc
(14,17) écrivent qu’elle eut lieu « tandis qu’ils mangeaient ». Luc
(22,20) et Paul (1 Co 11,25) précisent que Jésus prit la coupe
« après le repas », bien que Luc mentionne une autre coupe au-
paravant (22,17-18). Par contre, les préparatifs de ce repas sont
longuement relatés en rapport avec la Pâque. L’insistance sur la
préparation du repas en dit assez l’importance : l’Évangile de Luc
développe le fait que le temps du Règne de Dieu arrive. La dis-
crétion sur le déroulement du repas lui-même obéit à deux rai-
sons : la rédaction des évangiles est déjà influencée par une utili-
sation liturgique (la messe a été célébrée avant d’être écrite) ;
ensuite, les anciens connaissaient bien la manière dont se dérou-
lait un repas et n’avaient pas besoin qu’elle leur soit racontée.
En effet, il existait en Israël des confréries, principalement de
pharisiens, qui se réunissaient à dates fixes pour prendre un repas.
Le jour de réunion le plus fréquent était le sabbat. Ce repas du
vendredi soir, au début du sabbat, obéissait à un rituel précis. Le
repas pascal amplifiait ce rituel, dont le chapitre 12 de l’Exode
donne déjà un aperçu (V. 21-28 ; Dt 6,20-25). Chaque geste,
chaque plat, prenait place au milieu d’une symbolique dont le
point central rappelait l’Exode : Dieu avait libéré son peuple,
l’avait nourri au désert, enseigné par le don de la loi. La référence
à l’exode passé fondait la réalité du présent, la fidélité et même
l’existence d’Israël. Elle attendait la pleine manifestation de ce
que contenait la sortie d’Égypte, c’est-à-dire la marche du Messie
avec son peuple. Le rappel du passé avec l’espérance : c’est cela
« faire mémoire ».
À la fin du repas, le président du banquet prenait la dernière
coupe et, l’élevant, prononçait une solennelle bénédiction. Une
bénédiction au sens précis du mot : une louange adressée à Dieu.
Elle comportait obligatoirement quatre parties, tout en laissant au
président une certaine latitude d’improvisation :
1. Dialogue introductif et louange à Dieu créateur et providence
des siens ;
14
2. Mémoire des interventions de Dieu en faveur de son peuple.
Les hommes se rappellent et rappellent à Dieu ce qu’il a fait
pour eux. Ils mettent en avant la fidélité (donc la vérité : les
deux mots sont identiques dans les langues sémitiques) de
Dieu envers lui-même (cf. Jn 17,17-18). Le rappel des actes
de salut est très fréquent : voir, par exemple le Cantique de
Zacharie (Lc 1,72-75) et celui de Marie (Lc 1,50-55).
3. Intercessions pour Israël, pour Jérusalem, pour la famille de
David : que Dieu fasse venir le Messie.
4. Doxologie, c’est-à-dire brève formule de louange, pour conclure. St
Paul en utilise fréquemment, par exemple : Rm 1,25b ; 7,25a ;
8,35-39 ; 9,5…

Reprenant la grande bénédiction de la coupe, à la fin du repas,


il faut en examiner maintenant les trois grandes parties.

a) Dialogue et Louange
Le Président : S’il y a une grande Cette partie deviendra le dia-
assemblée : - Rendons logue qui introduit le canon.
grâce au Seigneur notre
Dieu.
S’il y a 100 personnes :
Bénissons le Seigneur
notre Dieu
S’il y a 10 personnes :
Bénissons notre Dieu. Phrase placée à l’offertoire de
S’il y a 3 ou 4 personnes : la messe.
Bénissez ou Bénissons.
Tous :
Béni soit le nom du Sei-
gneur, toujours et à ja- « avec votre permission » : voir
mais. l’ancienne formule du « Priez
Le Président : mes frères », à la fin de l’offer-
Avec votre permissions toire : « mon sacrifice qui est
(et celle des rabbins aussi le nôtre » … C’est une
présents), bénissons Ce- manière de rendre les assistants
lui qui nous fait partici- participants.
per à ses biens
Tous : bénissons Celui qui
nous fait participer à

15
ENFIN LIBEREE DU PECHE ET DE LA MORT
TE GLORIFIER PAR LE CHRIST NOTRE SEIGNEUR
PAR QUI TU DONNES AU MONDE TOUTE GRACE ET
TOUT BIEN.

Cette prière développe celle que l’on rencontre dans la prière


eucharistique II.
- On peut la comprendre comme une reprise, en conclusion et
en espérance, de tout ce que la prière eucharistique déve-
loppe :
- Dieu est appelé non plus « Père très saint », mais « Père très
bon », car il est le Dieu de bonté (cf. prière nº 1)
- Il a envoyé son propre Fils et nous sommes ses enfants, sa fa-
mille disait le canon romain.
- L’héritage de la vie éternelle est cette vie renouvelée dont
parle la prière nº 4. marie, les apôtres et les saints en jouissent
déjà. Cf. Hé 9,15 ; 1 P 1,4.
- Créé pour servir en régnant (prière nº 2), l’homme est introduit
dans le Royaume : il reçoit la véritable royauté.
- La création tout entière (cf. prière nº 1), libérée du pouvoir de
la mort (prière nº 3) sera associée à la vie éternelle comme elle
l’est à la louange. Cf. 1 Co 15,26-28 ; Rm 8,22-23 ; 2 P 3,13.
- Le Père a glorifié son Fils (introduction au récit de l’institu-
tion), ici le monde entier, par Jésus Christ, rend gloire au Père.
Alors, tout à la fin, le Christ est appelé Seigneur, comme le
Père (cf. prières nº 6, 7, 8, 9)
- « Par qui tu donnes au monde toute grâce et tout bien » : cette
phrase est identique dans le canon 3 (cf. p. 137).

PROPOSITIONS POUR APPROFONDIR


1. Au terme de cette étude, quel visage de Dieu est tracé par
cette prière eucharistique ? On peut reprendre plus particulière-
ment les citations de S. Jean.

2. Cette prière décrit le mystère du salut, le dessein de Dieu :


l’Eucharistie le donne à recevoir. Quel contenu peut-on donner
au mot « salut » à partir de cette prière eucharistique ? Quelle

237
mission reçoit l’homme ? Le nombre des mots du vocabulaire af-
fectif empêche-t-il d’être réaliste ?

*
* *

238
Cette prière eucharistique constitue une longue bénédiction à
la louange de Dieu. Elle est imprégnée d’action de grâce et si le
mot joie revient peu souvent, le fait de procéder par affirmations
lui donne une forte espérance et comme une allégresse solide, se-
reine et admirative. C’est ici le lieu de citer Origène : « Nous
avons même comme signe de notre gratitude envers Dieu le pain
nommé Eucharistie » (Contre Celse, VIII, 57). C’est pourquoi
l’Amen final sera longuement commenté par un poème de saint
Anselme de Cantorbéry :

AMEN
Amen, ô Dieu des hébreux, tu as voulu que je sache qu’Amen n’est ni
grec, ni latin, ni hébraïque ; et, à cause de son excellence, n’a jamais
été traduit par les interprètes, ni changé, afin de désigner Ton Nom qui
est admirable et immuable.
C’est pourquoi tu as voulu que cette parole ait trois significations ; car
d’abord Amen est pris substantivement ; il est Ton Nom et signifie ce
saint et terrible Nom qui est le tien (Ap 3,14)
Secondement, Amen est pris adverbialement :
Lorsque Toi, mon Dieu, visible sur la terre et conversant avec les
hommes, tu as plusieurs fois ajouté « En vérité, je vous le dis » – c’est-
à-dire : je vous le dis vraiment – ou véritablement – ou infailliblement
– que cela est comme je vous le dis…
Mais, en troisième lieu, Amen se prend verbalement, et c’est un verbe
comme tous les souhaits ; Amen, c’est-à-dire qu’il soit fait, est la ré-
ponse de tous ceux qui souhaitent et désirent ce qui est demandé.
Amen a fait la lumière et l’a séparé des ténèbres. Et le témoin fidèle et
véritable de l’Apocalypse porte le nom d’Amen.
Amen est le mot qui ordonne et le mot qui demande ; et le mot qui cons-
tate l’ordre exécuté et la chose obtenue.
Amen est le souffle des lèvres de la puissance au moment où elle veut.
Amen est le regard de son œil sur la chose faite au moment où elle a
voulu.
Amen est l’acte initial de la volonté, l’acte consommateur de la béati-
tude.
Amen est l’acte qui ouvre le temps et qui le ferme, et il est la clef qui
tourne la porte des siècles pour l’ouvrir et pour la fermer.
Amen est la porte de la Genèse qui est l’Apocalypse, qui est la Genèse
de la consommation.

239
Amen est le principe.
Amen est la fin.
Amen est centre.
Au-dessus des voix humaines, éclatent d’autres voix. L’Amen de la
terre est l’accompagnement de l’Amen du ciel.
Ô Dieu, feu dévorant, Amen, Amen, Amen !

Saint Anselme de Cantorbéry

240
Tables des matières

PRÉFACE.................................................................................. 5
INTRODUCTION :
QU’EST-CE QU’UNE PRIÈRE EUCHARISTIQUE ? ........ 7
1. LE REPROCHE DE ROUTINE .................................................. 7
2. L’ART DE PRIER EN PUBLIC .................................................. 8
3. QUEL NOM DONNER A CETTE PRIERE ? .............................. 10
4. ORIGINE DE LA PRIERE EUCHARISTIQUE ............................ 14
5. STRUCTURE D’UNE PRIERE EUCHARISTIQUE ...................... 19
6. POURQUOI PLUSIEURS PRIERES EUCHARISTIQUES ? ........... 21
VOCABULAIRE .................................................................... 23
1 LA PREFACE ...................................................................... 25
1. PRESENTATION DE LA PREFACE ......................................... 26
2. PLAN D’UNE PREFACE........................................................ 28
3. LE DEVELOPPEMENT DE L’ACTION DE GRACES .................. 35
4. L’UNION AUX CHŒURS CELESTES ...................................... 38
2 PRIÈRE EUCHARISTIQUE I :
COMMENTAIRE DU CANON ROMAIN .......................... 45
NOTE SUR L’EPICLESE ........................................................... 68
LE RECIT DE L’INSTITUTION .................................................. 70
L’ELEVATION ........................................................................ 75
IL EST GRAND LE MYSTERE DE LA FOI : L’ACCLAMATION DES
FIDELES. ................................................................................ 76
CONCLUSION ....................................................................... 102
3 PRIERE EUCHARISTIQUE II ....................................... 105
INTRODUCTION ................................................................... 105
COMMENTAIRE.................................................................... 112
1. EXPLICATIONS ................................................................. 113
2. STRUCTURE ..................................................................... 119
RECIT DE L’INSTITUTION ..................................................... 124
1. REMARQUES .................................................................... 125
2. LA PROFONDEUR EXISTENTIELLE DU CANON 2 ................ 128

241
3. SOURCES DE CETTE PRIERE ............................................. 132
4. STRUCTURE DES PRIERES 1 ET 2 DU RECIT DE L’INSTITUTION
........................................................................................... 133
STRUCTURE DES INTERCESSIONS (PRIERES 5-6-7) ............... 146
CONCLUSION ...................................................................... 148
4 PRIERE EUCHARISTIQUE III ..................................... 149
1. LOUANGE AU PERE ......................................................... 155
2. LA DIMENSION TRINITAIRE .............................................. 156
3. LA PRESENTATION DE L’ÉGLISE ...................................... 157
RECIT DE L’INSTITUTION ..................................................... 162
DOXOLOGIE ........................................................................ 181
5 PRIERE EUCHARISTIQUE IV ..................................... 183
INTRODUCTION ................................................................... 183
1. LE PLAN.......................................................................... 183
2. LE STYLE ........................................................................ 184
3. LE MONDE ET L’HOMME ................................................. 185
COMMENTAIRE
1. LES TITRES DE DIEU EN LUI-MEME .................................. 192
2. LES TITRES DE DIEU QUI SE COMMUNIQUE ...................... 192
3. POUR QUE ....................................................................... 193
4. AINSI .............................................................................. 194
5. UNIS ............................................................................... 194
TABLES DES MATIERES ................................................. 241

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