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Iosif Tiba*

L’EUCHARISTIE ET L’ÉGLISE
DANS LA PENSÉE DES PÈRES DE L’ÉGLISE

ABSTRACT

T he article focuses on the relationship between the Eucharist and the Church in the thought of the
Church Fathers, especially in the writings of the Apostolic Fathers (Ignatius of Antioch,
Didaché, Irenaeus of Lyon, Cyprian) and some Eastern Fathers (Hilarius of Poitiers, John
Chrysostome, Cyril of Alexandria). The Eucharist encompasses the whole mystery of Jesus and
imparts the union with God, which was first fulfilled in the hypostatic union, to all Christians.

La période de Pères Apostoliques reflète la continuité avec les écrits du


Nouveau Testament. La doctrine et l’esprit sont demeurés les mêmes
car ils sont l’écho assez immédiat de la prédication des apôtres1. Pour
notre sujet on n’y trouve pas une doctrine systématique car les écrits
sont des écrits de circonstance. Mais on y rencontre des éléments qui
indiquent une conscience vive du rôle fondateur de l’Eucharistie pour
l'Église.

I. Les Pères apostoliques

L’unité de l’Église est une réalité dominante dans la pensée des Pères
apostoliques. Pour eux l’Eucharistie est la source de l’être ecclésial. Ils
sont tous imprégnés de la doctrine paulinienne du Corps du Christ qu’ils
expriment dans leurs écrits à travers le thème de l’unité de l’Église2. Ils
ont la conscience de faire partie d’un même corps dont le Christ est la
source, le fondement et la tête.

*
Capelan universitar; vicar la Parohia „Sf. Francisc“, Militari, Bucuresti; preda
Teologie fundamentala la Institutul Teologic Romano-Catolic Bucuresti;
1
BARDY G., La Théologie de l’Église de S.Clement de Rome à S.Irénée , coll. « Unam Sanctam
13 » Cerf, Paris, 1945, p.5.
2
MERSCH E., Le corps mystique du Christ, tome I, ed. Universelle, S.A., Bruxelles, 1936,
p. 290-311. Cf. J. G. PAGE, Qui est l’Église ?, vol.II, L’Église, Corps du Christ communion, ed.
Bellarmin, Montréal, 1985, deuxième édition, p. 40.

Caietele Institutului Catolic VII (2008, 1), 138-156.


L’Eucharistie et l’Église dans la pensée des Pères de l’Église 139

1. Saint Ignace d’Antioche

Dans ses lettres Ignace insiste sur la place capitale que tient
l’Eucharistie dans la construction de l’unité de l’Église. Pour cela il
exhorte les croyants à être là où est l’évêque de même que, là où est
Jésus-Christ, là est l’Église catholique3. Dans une autre lettre il dit:
Accourez donc tous ensemble comme en un seul temple de Dieu, comme auprès
d’un seul autel, auprès du seul Jésus-Christ, qui est venu du seul Père et qui est
retourné vers le Père4.
Telles expressions n’ont de sens que si toute l’Église s’assemble dans
un même lieu, pour participer aux mêmes mystères, dont le plus central
est celui de l’Eucharistie célébrée par l’évêque.
L’unité, refrain principal de saint Ignace comporte une unité
extérieure, visible qui est le signe de l’unité intérieure et spirituelle
(Magnes.13). L’unité de l’Église provient de l’unité du Christ car l’unité
de l’Église est faite de la vie du Christ qui arrive vers elle par
l’Eucharistie5 :
Ayez soin de ne participer qu’à une seule Eucharistie, car il n y a qu’une seule
chair de Notre-Seigneur Jésus-Christ et une seule coupe pour l’union de son
sang, un seul autel, comme il n’y a qu’un seul évêque uni au presbyterium et aux
diacres6.
Ignace d’Antioche le manifeste encore quand il dit aux chrétiens
qu’ils ont commencé à vivre une vie avec le Christ et qu’ils doivent se
regarder eux-mêmes comme les membres de son corps7.
Jésus-Christ est celui qui a levé son étendard pour les siècles, afin de
grouper ses saints et ses fidèles en un seul et même corps qui est son
Église8. Il supplie les Ephésiens de rester étroitement unis à leur évêque
comme l’Église l’est à Jésus-Christ et Jésus-Christ à son Père, afin que
tout soit harmonieux dans l’unité9. Ici apparaît clairement l’esprit de
l’Évangile de Jean. Dans son chemin de martyr vers Rome il souhaite

3
IGNACE D’ANTIOCHE, Smyrn., 8,2.
4
Magnes., 7.
5
MERSCH E., op. cit., p. 300.
6
IGNACE D’ANTIOCHE., Philadel., 4.
7
Trall., 11, 2; Ephes., 4, 2; 18, 1.
8
IGNACE D’ANTIOCHE, Smyrn., 1,2.
9
Ephes. 5, 1
140 Iosif Tiba

aux Églises l’union avec la chair et l’esprit de Jésus-Christ car rien n’est
préférable à cela10. L’Eucharistie est pour le peuple chrétien le remède
de l’immortalité, l’antidote contre la mort et le moyen de vivre toujours
en Jésus Christ11. Ignace comme membre du corps du Christ aspire à se
trouver définitivement uni à la tête et cela n’est possible que d’une
manière eucharistique: „Je suis le froment de Dieu et je serai moulu par
les dents des bêtes afin que je devienne le pain pur de Jésus-Christ...“
(Rom. 4, 1, 2). Ainsi son être et sa vie deviennent eucharistie dans et
par le Christ la véritable Eucharistie. L’Eucharistie qu’il a célébrée et
qu’il a reçue le conduit à devenir lui-même une Eucharistie en acte qui
l’unit plus profondément à son Seigneur et à ses frères chrétiens.
Pour Ignace d’Antioche, l’Eucharistie fait l’Église et par cela-même
se constitue un dynamisme qui conduit l’Église à devenir elle-même
Eucharistie en acte comme l’aboutissement de son essence profonde.
L’Eucharistie, c’est-à-dire Jésus en acte d’action de grâce dans sa mort-
résurrection, fait l’Église et dans cet acte même, l’Église reçoit de
devenir ce qu’elle reçoit de son fondateur, c’est-à-dire Eucharistie.
Ignace le dit dans la même épître aux Romains (6, 2): „Si quelqu’un a le
Christ en lui, qu’il considère ce que je veux, et qu’il ait pitié de moi“. S’il
appelle l’Église le lieu du sacrifice12, c’est parce que cette désignation est
due à l’Eucharistie sacrifice du Christ13.
L’unité qu’Ignace proclame, reçoit sa cohésion d’une réalité
surnaturelle, le Christ ressuscité qui fait de tout le corps mystique un
unique organisme. L’unité ecclésiale est faite de la vie du Christ qui
parvient aux fidèles par l’Eucharistie14. Elle est cimentée par le sang du
Sauveur et sa passion15. Sous la variation des mots et des thématiques,
revient la même pensée: l’unité de l’Église, par l’évêque remonte à travers
l’Eucharistie au Christ et à Dieu lui-même. Pour Ignace il y a d’abord l’unité
de trois personnes divines qui coule à travers le Christ dans l’Eucharistie
sur l’humanité réalisant l’unité de l’Église16. Bien sûr il insiste sur le rôle

10
Magnes., 1, 2.
11
Ephes., 20, 2.
12
Ephes., 5, 2; Trall.,7, 2; Philadel., 4.
13
QUASTEN J., Initiation aux Pères de l’Église, éd. Cerf, Paris, 1955, p. 77.
14
IGNACE D’ANTIOCHE, Philadel.,4; Ephes., 20, 2; Smyrn., 8, 1.
15
Trall., 11, 2; Smyrn., 1, 1; Magnes., 5, 2.
16
Trall., 12, 2; Philadel., 3, 2; Ephes., 3, 2; Magnes., 6, 2-7; 12, 2.
L’Eucharistie et l’Église dans la pensée des Pères de l’Église 141

de l’évêque comme facteur d’unité mais cela est en lien avec


l’Eucharistie qu’il célèbre. Ignace n’admet qu’une seule union avec le
Christ, celle qui s’accomplit dans l’Eucharistie17. Ignace reprend la
doctrine de l’Évangile de Jean tout en faisant écho aux épîtres
pauliniennes18.

2. La Didaché

La Didaché affirme le rôle de l’Eucharistie pour la constitution de


l'Église utilisant un langage symbolique. Elle parle de la multitude des
grains de blés rassemblés dans un seul pain:
Comme ce pain rompu avait été dispersé sur les montagnes et sur les collines et
qu’après avoir été rassemblé il est devenu un, qu’ainsi soit rassemblée ton Église
des extrémités de la terre en ton royaume; car à toi est la gloire et la puissance par
Jésus-Christ dans les siècles19.
Le symbole de l’unité de l'Église, au sens fort et réaliste de l’âge
patristique, est le pain eucharistique qui est composé d’une multitude de
grains, mais qui ne forme qu’un seul pain. Et ce n’est pas le simple pain
qui fait l’unité de l’Église mais le Christ, pain spirituel présent sous
l’espèce du pain a la force efficace d’unir ce qui est dispersé dans le
monde. Tel est le sens profond sur lequel se fondent les affirmations de
la Didaché.

3. Saint Irenée de Lyon

Irenée de Lyon, prouve aux gnostiques, le réalisme du corps du


Christ et de la résurrection de la chair en s’appuyant sur l’incorporation
réelle au Christ par l’Eucharistie20. Dieu résume tout dans le Christ au
sens que dans le Christ se concentre le salut des hommes. L’Eucharistie
est étroitement associée au concept de la Récapitulation du salut dans le
Christ, parce que l’Eucharistie fait participer à la vie de Dieu par la

17
QUASTEN J., op. cit., p. 85.
18
MERSCH E., op. cit., p. 303.
19
Didaché, 9, 3, 4.
20
IRENÉE DE LYON., Adv. Haer., V, 2, 3.
142 Iosif Tiba

communion au corps et au sang du Christ. Le Verbe n’est le centre et le


noeud de l’histoire des hommes que parce qu’il a reçu un corps humain
avec lequel il a traversé l’épreuve de la mort et reçu la gloire de la
résurrection qu’il communique aux hommes dans le sacrement de
l’Eucharistie. Irénée fait du Christ la tête de l’Église entière, pour
perpétuer à travers celle-ci son oeuvre de rénovation jusqu’à la fin du
monde21.
Pour Irénée l’homme déchu par la faute d’Adam n’a plus accès au
salut, c’est-à-dire à la communion avec Dieu. Cette privation affecte
profondément l’homme car pour être vraiment lui-même il doit être en
union avec son créateur22. Le dessein de Dieu veut la restauration de ce
lien avec l’homme. Celle-ci est réalisée par le Christ, dans l’Esprit.
L’incarnation du Verbe réalise la communauté du Christ et des hommes
dans la nature humaine23. Ce que le Christ a réalisé en sa personne est
communiqué aux hommes par l’Esprit-Saint24. Le Verbe s’est fait chair,
c’est-à-dire semblable aux hommes afin que les hommes, devenant
semblables à lui par grâce, ils puissent avoir accès au salut.
Irénée va rendre compte de la manière dont ce qui est réalisé dans le
Christ à l’incarnation se communique aux hommes à travers la
théologie eucharistique :
Si le Seigneur ne nous a pas rachetés par son sang, il n’est pas vrai de dire que le
calice de l’Eucharistie est la communion de son sang et que le pain que nous
rompons est la communion de son corps. Car le sang suppose des veines, des
chairs et tout ce qui fait partie de la substance humaine, par laquelle le Verbe de
Dieu est véritablement devenu homme25.
En effet pour lui, l’Eucharistie réalise effectivement la communion et
l’union de la chair et de l’Esprit26. Il défend ici le réalisme de l’incarnation
en lien étroit avec celui de la croix et de l’Eucharistie contre les
gnostiques qui n’acceptaient pas l’incarnation et la passion du Christ
dans une chair véritable mais célébraient la liturgie eucharistique tout
comme les catholiques. Le corps du Christ est au cœur de la doctrine

21
Adv. Haer., III, 16, 6.
22
Adv. Haer. V, 2, 1, SC., n°153, p. 31.
23
Adv. Haer. V, 14, 3, SC., n° 153, p. 191.
24
Adv. Haer. V, 1, 1 ; SC., n°153, p. 21.
25
Adv. Haer., V,2 , 2 ; SC., n°153, p. 31-33.
26
Adv .Haer., IV, 18, 5 ; SC. n°100/2, p. 611.
L’Eucharistie et l’Église dans la pensée des Pères de l’Église 143

irénéenne de la récapitulation. Et c’est dans ce corps que les hommes


sont divinisés d’une façon physico-mystique27.
Saint Irenée nous présente une théologie du salut comme
restauration de la communion avec Dieu dans la communicatio réalisée
par l’incarnation du Verbe dont la réalité nous est transmise grâce à la
communicatio eucharistique28. L’Eucharistie est véritablement et
réellement le corps du Christ dans la continuation du réalisme de
l’incarnation et du mystère pascal du Christ. C’est ce corps que les
fidèles doivent recevoir et manger pour en recueillir les plus admirables
fruits tant pour l’âme que pour le corps. Le plus grand fruit, le sommet
de la communion eucharistique est la communion avec Dieu et avec les
hommes qui est l’Église. L’Eucharistie est la Récapitulation dans le Christ
de la Création et de l’humanité rachetées.

4. Saint Cyprien

Apôtre de l’unité de l’Église, saint Cyprien reprend le symbolisme du


pain et du vin pour aider les fidèles dans la compréhension de
l’intelligence profonde du mystère eucharistique:
Combien l’unanimité chrétienne est ferme..., les sacrifices du Seigneur le
déclarent par eux-mêmes. Car, lorsque le Seigneur appelle son corps le pain qui
est fait de beaucoup de grains réunis, Il signifie par là l’union de tout le peuple
chrétien, qu’Il portait en Lui. Et lorsqu’il appelle son sang le vin qui, de
nombreux raisins, ne fait qu’un seul breuvage, Il signifie encore que le troupeau
que nous sommes provient d’une multitude ramenée à l’unité29.
Cyprien affirme clairement que le rôle essentiel de l’Eucharistie est
de ramener la dispersion de la multitude à l’unité. Cette unité est
l’Église.
A ceux qui refusent dans l’Eucharistie le mélange de l’eau à celui du
vin l’évêque de Carthage répond que seul le mélange intime de ces deux
éléments signifie l’étroite unité qui relie le Christ et les fidèles et réalise

27
PAGE J.G., op. cit. p. 42.
28
DE LA SOUJEOLE B.-D., Le sacrement de la communion, Essai d’ecclésiologie fondamentale,
éd. Universitaires Fribourg Suisse - Cerf, Paris, 1998, p. 281.
29
CYPRIEN, Epist. ad Magn. de baptizandis novatianis, n. 6.
144 Iosif Tiba

la perfection du sacrifice30. Et cette unité est tellement solide, concrète


et réelle que Cyprien dit que le martyre dérive de l’Eucharistie comme
l’eau de la source31.
L’Eucharistie, écrit saint.Cyprien, nous imprègne du Christ. Et c’est Lui qui, en
nous-mêmes, accomplira notre immolation, combattra pour nous et dans notre
mort vaincra la mort32.
Cette unité qui est l’Église est faite des vies qui sont eucharistiques
dans et par l’Eucharistie qui est le Christ. Ces vies eucharistiques
s’accomplissent dans le martyre qui est par excellence un trait
eucharistique.

II. Les Pères de l’Église d’Orient

Toute la Tradition est inspirée de la doctrine de saint Paul et de saint


Jean et elle ne fait que développer les richesses qui se trouvent comme
en germe dans l’Écriture Sainte.

1. Saint Hilaire de Poitiers

Hilaire de Poitiers, bien qu’occidental, a développé une ecclésiologie


qui est généralement en continuité avec la tradition orientale. Il a bien
connu la théologie sur le Corps du Christ des Pères orientaux. Dans
son œuvre on retrouve la théologie d’Athanase sur la divinisation par le
Verbe incarné qui est principe de vie divine dans le corps mystique.
En ce qui concerne la doctrine de l’Eucharistie qui fait l’Église chez
Hilaire, elle ne peut pas être comprise à sa juste valeur sans être référée
au cadre théologique général. Or la doctrine qu’il propose est comme
celle d’Athanase, une doctrine de l’incarnation et de la divinisation bien
que l’aspect de l’incarnation soit plus développé que chez le docteur
d’Alexandrie33. Hilaire dit lui-même qu’il a été impressionné par la

30
Ep. 63 ad Coecilium, P.L. t. 4 col. 384.
31
Ep. 57, 2; 63, 15, Edition Hartel.
32
Ep. 8 ad. Mart. P.L. t. 4, col. 249.
33
MERSCH E., op. cit. p. 434.
L’Eucharistie et l’Église dans la pensée des Pères de l’Église 145

doctrine de l’incarnation de l’Évangile de Jean, qui est une doctrine du


corps mystique et par la doctrine de l’immensité divine qui fait que tout
est contenu par Dieu. Pour mieux saisir la force de la doctrine de
l’Eucharistie sur l’Église dans la pensée d’Hilaire nous allons l’aborder
en deux points: premièrement nous faisons une brève présentation de
sa doctrine de l’incarnation et de la divinisation et deuxièmement nous
exposons le rôle de l’Eucharistie dans cette incarnation-divinisation.

A. Incarnation-divinisation

Hilaire affirme qu’au niveau de la nature il y a une solidarité étroite


entre les hommes. Cette communion réelle et profonde est confirmée
par l’expérience concrète. En chaque homme, on retrouve tous les
autres. Il donne en exemple, le paralytique de l’Évangile : présent
devant le Christ, en lui toutes les nations sont présentes devant le
Sauveur pour être guéries 34. De même, en Adam, puis en Abraham se
trouvent tous les hommes35.
Si dans l’ordre de la nature il y a une solidarité cela est encore plus
vrai dans l’ordre surnaturel où l’union des hommes avec Dieu est plus
intime: tous ensemble, ils ne font qu’un corps36, un tout, une
universitas37. Dans le Commentaire sur l’Évangile de saint Matthieu Hilaire dit:
Il y avait, en Jésus-Christ, tout homme. Aussi son corps, instrument du Verbe, a-
t-il accompli en lui-même tout le mystère de notre Rédemption 38(...). Notre-
Seigneur, est versé dans le corps de chacun des fidèles39(...). Si bien que, par ce
corps, se trouve contenue en lui toute l’humanité. Par cette sorte de réunion en
lui de tous les hommes, il est comme une ville, et nous, par notre union à sa
chair, nous sommes les habitants40.

34
HILAIRE DE POITIERS, Comm. in Mt., 8, 5, P.L. 9, 960.
35
Comm. in. Mt., 7, 5; 18, 6, P.L., 9, 960, 1020 ; In Ps. 122,3, P.L., 9, 669.
36
Comm. in Mt., 4, 12, P.L., 9, 935.
37
Comm. in Mt.,4, 21, P.L. 9, 939; De Trinitate, 3, 24, P.L. 10,66; In Ps. 91, 9, P.L. 9, 499.
38
Comm. in Mt., 2, 5, P.L., 9, 927: „Erat in Christo Jesus homo totus“.
39
Comm. in Mt., 28, 1, P.L., 9, 1063: „In universorum fidelium corporibus
mentibusque transfunditur“.
40
Comm. in Mt., 4, 12, P.L., 9, 935.
146 Iosif Tiba

La communion avec le Christ est en même temps communion avec


tous les autres, avec tout l’humanité .Pour Hilaire, l’incarnation est
universelle non pas en elle-même mais en ses effets41.
Saint Hilaire parle de mystère ou de sacramentum dans la relation entre
le Christ et les chrétiens. Il y a un sacrement de nous dans le Christ42 et
aussi, le sacrement du Christ en nous43. Les deux expressions sont
synonymes et elles disent deux intériorités corrélatives l’une à l’autre.
Souvent il aime dire qu’il y avait en Jésus-Christ la nature de nous tous
et que le Christ, par le corps qu’il a pris, habite la nature de tout
homme44. Donc tous les hommes sont devenus, d’une certaine mais
réelle façon, intérieurs au Christ. Et Hilaire continue en expliquant que
la présence de notre nature dans le Christ fait qu’en lui nous pouvons
nous contempler tous45, et le Christ de son côté, par l’incarnation,
habite au dedans de chacun46. Ce sacramentum ou ce mystère de notre
nature dans le Christ et du Christ habitant en nous tous s’effectue la
première fois, dit Hilaire, au baptême47. Le mystère ou le sacramentum,
consiste en notre assomption dans le Christ48.
Comme Athanase, Hilaire distingue peu ce qui est vrai du Christ de
ce qui est vrai des chrétiens. L’essentiel, pour lui, est la continuité qui
relie la tête aux membres. Par l’union singulière que le Verbe réalise
avec la chair qu’il assume s’opère la divinisation collective de
l’humanité. Cette union du Verbe avec une nature humaine qui se
trouve en plénitude dans le Christ s’écoule en quelque sorte en nous par
participation à ses mystères (Col 2, 9-11)49. Le corps du Christ n’a pas
seulement dans le corps mystique, une place éminente mais une
fonction nécessaire car c’est par son humanité individuelle que
l’humanité générale est réunie en Dieu. Saint Hilaire explique ce point à
partir de la prière du Christ rapportée par saint Jean: „Qu’ils soient un,

41
MERSCH E., op. cit. p. 418.
42
HILAIRE DE POITIERS, In Ps. 91, 9, P.L., 9, 499. Cf. Eph., 2, 5.
43
In Ps. 138, 30, 31, P.L. 9, 808; De Trinitate, 9, 9-10; 11, 14, P.L., 10, 288 ss., 409.
44
HILAIRE DE POITIERS., De Trinitate, 11, 16, P.L. 10, 409; In Ps. 51, 16, 17; 54, 9 ; P.L.
9, 317-318, 352.
45
In Ps. 124, 3, 4, P.L., 9, 681.
46
De Trinitate, 11, 16, P.L., 10, 409; In Ps. 51, 16, P.L. 9, 317.
47
In Ps. 91, 9, P.L., 499. Cf. In Ps. 125, 6, P.L.9, 688.
48
De Trinitate, 2, 25, P.L., 10, 67. Cf. De Trinitate, 9, 3, P.L., 10, 282.
49
De Trinitate, 9, 8, P.L.,10, 287.
L’Eucharistie et l’Église dans la pensée des Pères de l’Église 147

Père, comme nous sommes un“. Et Hilaire continue par mentionner


l’Eucharistie : il montre comment le corps sacramentel du Christ nous
communique l’unité de Dieu et cette unité est réelle50.
Hilaire refuse la simple union de concorde ou morale que
soutenaient les hérétiques pour la Trinité et entre les hommes. La
preuve contraire est que les fidèles sont divinisés et „assumés par la
grandeur du Fils, à l’unité avec la grandeur du Père“51. Seulement cette
unité profonde et réelle peut produire l’unanimité des coeurs et des
âmes52. Et la question que se pose maintenant saint Hilaire est le moyen
par lequel nous sommes divinisés et par lequel nous entrons dans cette
unité avec le Christ et avec la Trinité.

B. L’Eucharistie et l’Incarnation-divinisation

Comme nous avons déjà dit, Hilaire de Poitiers refuse une simple
union affective et morale avec le Christ. Du fait de l’incarnation, cette
union est réelle et cela paraît plus manifeste par notre participation
réelle au Corps et au Sang du Christ, qui fait vraiment de nous des êtres
incorporées à son être.
Hilaire dit que le moyen par lequel l’incarnation et la divinisation du
Christ se prolongent à tous les hommes est l’Eucharistie53. Le Christ est
uni aux chrétiens de deux manières: premièrement il les a tous pris en
lui par l’incarnation, et deuxièmement il vient en eux tous par
l’Eucharistie54. Donc il y a deux intériorités mystiques qui sont
complémentaires: la première, qui est le principe indispensable de la
seconde, provient de l’incarnation et la seconde, l’Eucharistie, ne fait
qu’appliquer aux hommes et réaliser ainsi pleinement la première55. Le
Christ nous donne de vivre de cette vie divine en venant en nous par
l’Eucharistie, chose qu’il a déjà commencé par l’incarnation.

50
MERSCH E., op. cit., p. 428.
51
HILAIRE DE POITIERS., De Trinitate, 8, 12, P.L., 10, 245.
52
HILAIRE DE POITIERS : „Qu’on ne vienne donc plus parler d’un simple union de
concorde en ceux qui sont un dans la réalité (natura) d’une même régénération“ (De
Trinitate, 8, 6, P.L., 10, 241).
53
HILAIRE DE POITIERS, De Trinitate, 8, 13, P.L., 10, 246 ; 3, 24, P.L., 10, 66.
54
MERSCH E., op. cit., p. 432.
55
Ibidem, p. 432.
148 Iosif Tiba

Pour Hilaire il n y a pas d’union plus étroite que celle réalisée par
l’Eucharistie56. Pour montrer le réalisme de la divinisation réalisée dans
et par le Christ, il développe le réalisme de la manducation
eucharistique. L’Eucharistie est le sacrement qui nous relie à l’humanité
du Christ et par elle à la divinité et à l’unité de la Trinité. Cette unité
réelle se fait par le moyen de l’inhabitation réciproque qui a son origine
dans la Trinité et descend en nous par le moyen de l’Eucharistie.
Comme le Christ est dans le Père, par l’Eucharistie les chrétiens sont
dans le Christ. Cette union parfaite avec le Christ qui constitue le corps
mystique, Hilaire l’explique à partir de Jean 6 57. Par cette démonstration
il veut montrer le mensonge des hérétiques qui n’admettent qu’une
unité de simple volonté entre le Père et le Fils et entre les chrétiens et le
Christ58.
La doctrine d’Hilaire est essentiellement une doctrine de la
divinisation mais, plus que celle d’Athanase elle tend à devenir encore
plus une doctrine de l’incarnation59. Selon Hilaire, notre union au Christ
et entre nous se rattache étroitement à l’union du Fils avec le Père: nous
sommes tous assumés, tous divinisés dans le corps de chair pris par le
Verbe. Et le moyen qui réalise cette assomption est l’Eucharistie dans
laquelle se fait l’union de nos âmes avec la chair du Christ. Comme
Athanase, Hilaire dit que nous ne sommes pas directement incorporés
dans la divinité, mais dans l’humanité du Christ et c’est par elle que
nous avons accès à la divinité. La grandeur de l’humanité de Jésus-
Christ vient de sa divinité. Le Christ nous divinise en tant qu’homme,
parce qu’il est Dieu. C’est l’incarnation qui explique notre divinisation.
L’incarnation unique et transcendante a donc comme conséquence une
sorte d’incarnation collective et mystique. Et l’incarnation collective
s’oppose si peu à la première, qu’elle n’en est que l’irradiation60.
Le trait dominant de toute cette doctrine est le réalisme. Ce n’est que
dans l’Eucharistie que les fidèles reçoivent la vie divine que
l’incarnation a mise en plénitude dans l’humanité du Christ. Ce réalisme
amène Hilaire à de fortes expressions : notre unité dans le Christ est

56
HILAIRE DE POITIERS , De Trinitate, 8, 15, P.L., 10, 247-248.
57
Ibidem, 8, 16, P.L., 10, 248.
58
De Trinitate, 8, cap. 13-17, P.L. 10, 245-249.
59
Idem.
60
HILAIRE DE POITIERS, De Trinitate, 9, 10, P.L. 10, 288.
L’Eucharistie et l’Église dans la pensée des Pères de l’Église 149

comparée à l’unité consubstantielle des personnes divines et la présence


mystique du Jésus dans les âmes est réelle comme sa présence
sacramentelle dans l’Eucharistie.
Mais Hilaire ne répond pas à la question de savoir comment l’union
de l’humanité du Christ à la divinité la rend capable de nous contenir
tous mystiquement et d’où vient à l’incarnation ce prolongement
universel dans toute l’humanité61. La doctrine d’Hilaire, bien que riche,
reste inachevée.

2. Jean Chrysostome

En ce qui concerne l’union entre les chrétiens eux-mêmes et leur


union au Christ on peut relever deux points sur lesquels Jean
Chrysostome offre des développements inédits par rapport à ses
prédécesseurs: la présence du Christ dans l’Eucharistie et dans la
personne du pauvre62. Si d’autres ont mieux montré la signification
théologique de l’Eucharistie, Jean Chrysostome a exprimé le sens de la
communion eucharistique en termes profondément humains63.
Le Christ est celui qui veut l’union avec les fidèles, aussi étroite que
possible64. Cette doctrine d’union, Jean Chrysostome la développe et
l’explicite à partir de la théologie joannique. Il y a deux aspects centraux
de cette union : elle commence dans l’incarnation et s’accomplit dans
l’Eucharistie. Donc la communion eucharistique est le sommet de cette
union de telle manière que Jean Chrysostome établit une analogie et
presque une équation entre les termes pain – corps du Christ d’une part et
corps du Christ – corps du fidèle d’autre part65.
Le mystère de l’incarnation, de par l’union du Verbe avec la nature
humaine en Jésus-Christ, est une grâce destinée à diviniser l’humanité
entière. Et cette divinisation de l’homme ne supporte aucune distance,
aucun intermédiaire66. Après avoir été réalisée dans l’incarnation du
61
MERSCH E., op. cit., p. 435.
62
PAGE J.G., Qui est l’Église ? L’Église, corps du Christ et communion, vol. II, éd.
Bellarmin, Montréal, 1985, p. 45.
63
JEAN CHRYSOSTOME, In Joh. hom. 46, P.G. 59, 260.
64
In I Cor. hom. 24, P.G. 61, 200.
65
In I Tim. hom.. 2, 2, P.G., 62, 586.
66
In I Cor. hom.8, P.G., 61, 72-73.
150 Iosif Tiba

Verbe elle s’achève dans les hommes par la communion eucharistique.


Jean Chrysostome insiste en mettant en lumière la connexion qui existe
entre l’Incarnation et l’Eucharistie. Le même vocabulaire utilisé pour le
mystère de l’union du Verbe fait chair est utilisé pour notre
incorporation à son humanité et à sa divinité par l’Eucharistie 67. Entre
l’Incarnation et l’Eucharistie, il y a une continuité car la venue du Verbe
incarné parmi nous n’aurait pas atteint toute la portée voulue et tout le
développement désiré sans l’Eucharistie68.
Pour Jean Chrysostome, la chair du Christ vient vraiment en nous :
notre chair devient vraiment celle du Christ, le Verbe vient en nous
tous, à la communion comme à l’incarnation. Tout est réalisme dans
cette doctrine: „C’est ta chair qu’il a prise, ta chair à toi“ 69. Les fidèles
sont le corps du Christ comme il le dit quand il exhorte le diacre à
veiller à ce que les communiants soient bien disposés: „Cette multitude
aussi est le corps du Christ. Prend donc garde, ministre de saints
mystères, d’irriter le maître, si tu ne purifies pas ce corps“70. Tout
s’enchaîne en une unique perspective, et toujours à partir d’un même
centre, l’Incarnation71.
Quand Jean Chrysostome parle de l’Eucharistie, ce n’est pas la
théologie et le dogme qui le préoccupent mais il met en relief les
dispositions de ceux qui y assistent et communie au corps du Christ. Il
est avant tout un moraliste qui se préoccupe de former ses auditeurs
aux vertus chrétiennes. Pour cela il met la concorde, la charité, la
patience, la chasteté et surtout l’aumône en relation avec l’incorporation
au Christ. Pour lui, existe toujours une identité mystique entre le pauvre
et le Christ selon Mt. 25, 40: „Tout ce que vous faites au moindre des
miens, vous me le faites à moi“.
Pour Jean Chrysostome l’aumône n’est plus de la simple bienfaisance
mais c’est un acte de charité et de foi qui met en présence du Christ.
C’est un acte du fidèle en tant que membre du corps du Christ au
service d’autres membres du corps du Christ. C’est un acte ecclésial et
eucharistique et donc cultuel. Rien ne prolonge mieux la réception de

67
In Joh. hom. 46, 2 et 3, P.G. 49, col. 260.
68
In Mt. hom. 82, n.5 ; P.G. 57, col. 743 et 744.
69
JEAN CHRYSOSTOME, In Mt. hom. 82, P.G., 58, 744.
70
In Mt. hom.,82, P.G. 58, 744.
71
MERSCH E., Le Corps Mystique du Christ, éd. Universelle, S.A., Bruxelles, 1936, p. 476.
L’Eucharistie et l’Église dans la pensée des Pères de l’Église 151

l’Eucharistie, que la visite rendue au Christ en ses petits72. Jean


Chrysostome fait une très belle et profonde analogie par son réalisme
entre le corps du Christ sur l’autel et le corps du Christ dans les
pauvres73. Un de ses Écrits qui n’est que l’explicitation de 1 Cor. 10,
16-17 montre la conscience profonde qu’il avait de la force de l’unité de
l’Eucharistie74.
Jean Chrysostome voit le Christ comme celui qui remplit tout : tout
vient par le Christ et c’est en lui, en son côté transpercé, que les
hommes sont unis entre eux et à Dieu, formant le corps du Christ75. Jean
Chrysostome a développé surtout la pensée de Paul.

3. Cyrille d’Alexandrie

Cyrille d’Alexandrie semble s’inspirer plutôt de saint Jean. Par


l’incarnation nous sommes tous contenus dans le Christ, vivifiés en lui
et donc incorporés et constitués en son corps. A l’homme qui cherche
la vie, Dieu répond par l’incarnation de son Fils à travers lequel il
donne as vie. La vie dans sa plénitude se trouve dans le Verbe: en lui est
la vie elle-même, la vie incorruptible, éternelle et subsistante. Le Verbe
a pris chair et, par cette union au Verbe, sa chair est devenue vivifiante
parce que l’humanité du Christ ne fait qu’un avec le Verbe76. La chair et
le sang du Christ sont „la chair et le sang de la Vie“, et donc ils sont
vivifiants77. Ils renferment en eux-mêmes la vie surnaturelle de
l’humanité, comme une source contient l’eau qui en jaillit.
„Le Verbe, par lui-même, fait que son corps est vivifiant, car il le
transporte en son énergie à lui“ (In Joh.,4, P.G.,73,604.). La chair du

72
JEAN CHRYSOSTOME, In Mt. hom. 82, P.G., 58, 744.
73
In II Cor. hom. 20, P.G., 61, 540.
74
In I Cor. hom. 30, P.G., 61, 249.
75
JEAN CHRYSOSTOME : „Il ne retient pas en lui l’abondance de ses dons, mais il les
répand dans tous les autres, et quand il les a répandus, il en reste rempli. Il n’a rien de
moins après ses largesses, mais tout en les donnant sans cesse et en communiquant à
tous les biens, il demeure dans la même plénitude“ (In Joh. hom. 14, P.G. 59, 9).
76
CYRILLE D’ALEXANDRIE : „Quand nous la mangeons (la chair du Christ), nous avons
la vie en nous même, étant unis à elle, comme elle est unie au Verbe qui habite en elle“
(In Joh. 1. 4, 2 ; P.G. 73, col. 577).
77
In Joh.,4, P.G., 73, 601.
152 Iosif Tiba

Christ, c’est une chair réelle et vivifiante78, car c’est en elle que se réalise
le salut de l’humanité:
Il (le Verbe) prend comme coopératrice, si l’on peut dire, pour cette oeuvre si
magnifique, sa propre chair, pour montrer en elle le pouvoir de vivifier et pour
faire voir qu’elle ne fait qu’un avec lui (In Joh.,4, P.G.,73,577).

L’humanité du Christ prend nos misères et nos morts pour qu’en elle
qui est unie à la vie du Verbe, nous recevions la vie éternelle. Tout ce
qui est dans l’humanité du Christ, doit passer en nous car les
événements de son existence sont le patrimoine commun de
l’humanité79. Chez Cyrille d’Alexandrie les privilèges de l’humanité
sainte de Jésus, ne sont pas des attributs surajoutés à notre nature mais
ils sont le simple effet, dans l’humanité de Jésus, de l’union avec le
Verbe de Vie80.
La doctrine eucharistique de saint Cyrille est insérée d’une manière
organique à la doctrine de l’incarnation et celle du corps mystique81. Ce
que l’humanité du Christ opérait par des actions visibles durant son
existence terrestre, elle l’opère à présent, de façon invisible, mais
également réelle par l’Eucharistie82. Ce qui s’est passé à l’incarnation se
reproduit à la communion. De même qu’en s’unissant à la chair, le
Verbe l’a élevée à sa ressemblance et la rendue vivifiante, de même,
quoique à un degré moindre, la chair du Christ en descendant en nous,
nous change à son image et nous fait vivants83. Les deux opérations
sont semblables, ou plutôt c’est la même opération qui se continue et la
même vie qui se répand. L’Eucharistie, comme l’incarnation, est
semblable à un feu qui envahit une matière froide et qui la rend
ardente84. Notre résurrection et notre purification de toute corruption
sont les fruits de la communion eucharistique85. L’Eucharistie est
78
CYRILLE D’ALEXANDRIE., „Le Fils est la vie même, en tant qu’il est engendré par le
Père qui vit. Et son corps lui aussi est vivifiant, parce qu’il est d’une certaine façon
rattaché et ineffablement uni au Verbe qui engendre tout à la vie“ (In Joh., 4, 2, P.G., 73,
577; Epist. 17 ; P.G., 77, 113).
79
MERSCH E., op. cit. p. 495.
80
Ibidem, p. 497.
81
CYRILLE D’ALEXANDRIE., In Joh., 1. 4, 2 P.G. 73, col. 584.
82
In Joh.,4, 2, P.G., 73, 577.
83
In Lc., P.G., 72, 909; In Joh.,1,10; 2,4, P.G. 73,180, 348.
84
In Joh., 1, P.G.73, 160; In Lc., P.G.,72, 909; In Joh.,4, 2, P.G. 73, 580.
85
In Joh., 4, 2, P.G., 73, 584.
L’Eucharistie et l’Église dans la pensée des Pères de l’Église 153

considéré comme un ferment qu’on enfonce dans la pâte, pour la


transformer toute86.
L’Eucharistie a des conséquences si certaines et si réelles que Cyrille
trouve en elle les arguments pour réfuter des hérétiques comme
Nestorius. Ce dernier niait que la chair du Christ soit la chair du Verbe.
Cela le conduisait a nier l’aspect vivificateur et unificateur de
l’Eucharistie. Ainsi était détruite tout l’économie du salut87. En réponse
Cyrille explique comment le Verbe peut venir en nous:
Ce n’est pas la manne, figure de l’eulogie, qui est le pain du ciel, dit le Christ,
mais bien plutôt moi qui descends du ciel, qui vivifie tous les hommes et qui
m’insère en ceux qui me mangent, par la chair que je me suis unie88.
Mais, pour réfuter la simple union morale des hérétiques, Cyrille va
insister d’une manière spéciale sur le paragraphe où le Christ demande
que ses disciples soient un comme lui est un avec le Père. Il ajoute par
rapport à Athanase et Hilaire le rôle rempli par l’Esprit-Saint dans
l’union des fidèles au Christ et dans l’unité du corps mystique89.
Pour Cyrille l’union substantielle des trois personnes divines 90 est le
fondement de l’union entre le Christ et les hommes. Plus qu’une union
morale, celle-ci est physique91. Cela le conduit à affirmer que
l’Eucharistie, le sacrement du Christ réalise l’unité des hommes qui est
plus qu’une union morale et des simples volontés92. L’incarnation du
Verbe et notre incorporation au Christ par l’Eucharistie expriment la
continuité grandissante d’union entre Dieu et les hommes tout au long
de l’histoire, continuité qui est assurée et réalisée par l’Eucharistie93.
Cyrille va rapprocher deux textes de saint Paul pour les éclairer l’un
par l’autre: le Christ ne peut pas être divisé (1Cor.1,13) et ceux qui le
reçoivent dans le pain ne font qu’un seul corps (1Cor.10,17). Donc ce
corps, le corps mystique du Christ, est indivisible94. L’unité du corps

86
In Joh., 4, 2, P.G., 73, 584.
87
CYRILLE D’ALEXANDRIE. Adv. Nest., 4, P.G., 76, 193.
88
Ibidem, Adv. Nest., 4, P.G., 76, 193.
89
MERSCH E., op. cit., p.501.
90
CYRILLE D’ALEXANDRIE., In Joh., 11, 2, P.G. 74, 557.
91
In Joh., lib. 10, P.G. 74, col. 34.
92
De SS. Trinitate, dial. 1 P.G. 75 col. 695.
93
In Joh. 11, 2, P.G., 74, 560.
94
CYRILLE D’ALEXANDRIE, In Joh., 11, 2, P.G. 74, 560.
154 Iosif Tiba

mystique trouve sa source dans l’unité même du Christ, vrai Dieu et


vrai homme. Le Christ ne peut pas être divisé, mais il demeure un et
entier en tous95. Cette unité est réelle, physique, indestructible et faite par
Dieu comme l’unité de l’Homme-Dieu en Jésus-Christ96. L’unité du
corps mystique, comme l’unité des deux natures dans le Christ, est une
œuvre divine, qui ne peut venir que de l’Esprit-Saint et de la Trinité97.
La Sainte Trinité réalise par l’Esprit-Saint notre incorporation au Christ
mais toujours par et dans le sommet de l’Eucharistie 98. Le Christ ne
nous unit pas seulement entre nous mais, par l’Eucharistie, il nous unit
aussi à Dieu99. La doctrine de l’Eucharistie, comme celle de
l’Incarnation dont elle est un aspect, se clôt en une doctrine de la
divinisation des hommes. Pour Cyrille, l’Église est de façon tangible le
Corps mystique du Christ parce que c’est un corps divinisé. C’est le
Christ qui réalise la divinisation et communique une unité incomparable
à son corps mystique par le sacrement de l’Eucharistie. Cette unité
assimile nos êtres jusque dans nos corps qui appartiennent plus au
Christ qu’à nous100.
Dans la doctrine de Cyrille d’Alexandrie tout se ramène à
l’incarnation du Verbe et l’incarnation va jusqu’au bout d’elle même en
se prolongeant dans les hommes à travers l’Eucharistie. Le
prolongement de l’incarnation du Verbe dans les hommes par
l’Eucharistie est la clé de la théologie du Corps Mystique..
Au début il existe un seul principe, le dogme christologique où
l’humanité du Christ ne fait qu’un avec le Verbe de vie. De là, résulte la
capacité de vivification de l’humanité du Christ avec ses deux aspects : à
la fois elle a une excellence sans pareille et une fonction universelle de
vivifier tous les hommes. A partir de ces deux centres s’épanouissent
des vérités comme la doctrine de la divinisation des hommes et celle du
corps mystique dont l’Eucharistie est le centre. Comme le Verbe de vie
s’est fait chair, par là même son humanité est devenue la vie des
hommes et ils sont tous vivifiés par incorporation à lui. Dans le mystère

95
De adoratione in spiritu et veritate, 15, P.G., 68, 972.
96
MERSCH E., op. cit., p. 504.
97
CYRILLE D’ALEXANDRIE, In Joh., 11, 2, P.G., 74, 561.
98
In Joh..,11, 2, P.G., 74, 561.
99
In.Joh., 11, 12, P.G., 74, 564, 565.
100
In Joh., 11, 11, P.G. 74, col. 559.
L’Eucharistie et l’Église dans la pensée des Pères de l’Église 155

de l’incarnation notre union au Christ est réelle et physique comme l’est


le rattachement des sarments à la vigne101 et des membres à leur corps.
L’Eucharistie nous donne l’union de Dieu avec l’homme réalisée par
l’incarnation du Verbe, et nous met en contact avec les fruits de
l’incarnation. L’Eucharistie est le moyen par excellence de cette union.
Dans ce sacrement le Christ vient nous prendre, nous changer et nous
vivifier : en nous unissant tous en lui il nous unit à Dieu et entre nous.
C’est en son humanité que le Christ est vie des hommes, médiateur et
chef du corps mystique. Et son humanité a été assumée par le Verbe
justement pour être le salut du genre humain. Déjà, par elle-même,
l’humanité a quelque chose d’universel mais dans le Christ, elle est
universelle d’une façon transcendante à cause de sa divinité102.
Le principe de toute vie est la vie éternelle. L’union hypostatique
dans le Christ a comme unique raison d’être la communication de cette
vie éternelle. Cette union hypostatique est le principe qui fait s’écouler
en notre humanité la vie que le Verbe a déposée dans l’humanité du
Christ. Les fidèles du fait de leur assomption en une vie surnaturelle par
le Christ, ne subissent aucune diminution d’individualité. Cyrille montre
comment la grâce sanctifie chacun des fidèles sans que le Christ perd sa
personnalité et les hommes leur individualité.
D’après Cyrille, la pure et simple union avec le Verbe met l’humanité
du Christ dans un ordre à part en la remplissant d’une telle abondance
de vie surnaturelle, qu’il faut la divinisation de genre humain tout entier
pour en manifester la plénitude. Terminée en elle-même dès le moment
de l’incarnation, la divinisation n’est pas terminée à tout point de vue,
elle sera achevée par l’œuvre de l’Eucharistie.

III. Conclusion

Nous avons vu comment, dans la ligne de l’évangile de Jean, se


développe une théologie christologique dont le mouvement suit le
dynamisme de l’incarnation. Dès l’incarnation, la chair du Christ unie au
Logos est vivificatrice et divinatrice. L’accent est mis sur le mélange

101
CYRILLE D’ALEXANDRIE., In Joh.,7-8; 11, 12; P.G., 74, 20, 568.
102
MERSCH E., op. cit., p. 521.
156 Iosif Tiba

merveilleux de l’humanité de Jésus avec l’être du Logos dans


l’incarnation. L’effet c’est la divinisation de la chair humaine du Christ
principe de la divinisation de toute l’humanité. Dans ce courant
théologique la mort-résurrection apparaît davantage comme une
condition requise pour que les hommes puissent à leur tour entrer en
partage de cette communion divinatrice. L’Eucharistie est le sacrement
qui concentre en lui-même et communique à l’humanité le fruit de ces
deux grands mystères : l’incarnation et le mystère pascal. L’Eucharistie
concentre tout le mystère de Jésus et prolonge dans les hommes l’union
avec Dieu réalisée par l’incarnation dans la personne de Jésus et rendue
possible par son mystère pascal. Cette théologie met l’accent sur la
profondeur et le réalisme de l’union hypostatique et de la déification qui
en résulte pour toute l’humanité. Dans cette tradition on comprend que
lorsqu’on parle du corps eucharistique de Jésus, on souligne que ce
corps est le corps du Logos, le corps divinisé. Au centre de la réflexion
se trouve l’union hypostatique. La vertu de l’Eucharistie vient
principalement de ce qu’elle contient le Verbe fait chair. Après avoir
divinisé la chair du Christ, le Logos divin veut, dans l’Eucharistie,
diviniser celle du chrétien par l’union réelle à sa chair divinisée. L’union
hypostatique est la cause de l’excellence personnelle du Christ homme.
Cette excellence est communiquée aux hommes pour qu’ils soient
divinisés dans le sacrement de l’Eucharistie. Car diviniser, c’est ramener
toute chose à l’unité de Dieu et l’Église qui est le lieu de cette unité en
Dieu.
Finissons par un beau texte dans lequel un théologien d’Orient parle
magnifiquement de la relation de l’Église à l’Eucharistie: Jean
Damascène, un fidèle interprète de la tradition.
Ce sacrement s’appelle une Koinonia et il l’est bien en toute vérité; car en recevant
la chair du Christ nous communions au Christ qui fait participer à sa chair et à sa
divinité et nous communions et sommes unis les uns aux autres et nous
parvenons à l’unité. Le pain unique, auquel nous participons, fait de nous tous le
Corps unique du Christ, son unique sang. Il nous rend membres les uns des
autres, co-corporels du Christ.103

103
JEAN DAMASCÈNE : (De fide orthodoxa, 4, 13, P.G. 94, col. 1153).

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