Même assomption en sagesse de la science de !'Ecriture.
Saint Augustin, dans le De doctrina christiana, avait codifié les lois de l'exégèse biblique, avons-nous vu, dans une / propédeutique scientifique, · pour que la spéculation de sagesse eût un donné adéquat et précis. Rien ne se perd, rien ne doit se perdre de ce service herméneutique; mais, tenue la diversité des fonctions, en particulier dans les techniques littéraires et historiques de l'exégèse, la sagesse théologique fera sa nourriture de la méditation de !'Ecriture, source permanente d'objet et de lumière, à laquelle toujours elle ramènera ses plus hautes spéculations. La doctrina sacra, dans son unité, ira du plus petit verset de la Genèse jusqu'à la plus subtile déduction de l'Ecôle. Pour parler moderne, il ne faut pas consentir à la moindre rupture entre théologié positive et théologie spéculative. Unique sagesse. . Selon le contenu de la première question de la Somme, nous accordons donc la diversité interne des fonctions de la théologie (cf. le sens du terme doctrina sacra); mais, selon l'insistance permanente de saint Thomas dans toute cette question, nous devons tenir l'unité spirituelle et technique de cette théologie grâce à son principe formel : le révélé, dans la foi. Nous revenons encore à la conclusion de notre longue enquête sur la structure de la théologie : la présence permanente de la foi, assurant la « continuité » avec la science de Dieu, est la loi de tout son travail. « Ut sic sacra doctrina sit velut quaedam impressio divinae · scientiae, quae est una et simplex omnium >> ( 1 ). cc C'est dans la fidélité absolue à ce principe de la théologie, dans la soumission totale et active à l'influence de la révélation divine que le théologien, approfondissant (grâce au travail des siècles) l'expérience intellectuelle d'un saint Augustin, éprouvera en son esprit l'unité et la beauté de son savoir, qui passe de la plus modeste des actions humaines à la nature divine et réunit la lecture du moindre texte de !'Ecriture avec la spéculation la plus hardie sur l'Etre · éternel >> ( 2 ). Les minuties de la science deviennent ainsi son fait, à l'égal des grands coups d'ailes de la sagesse ». Th. Deman _, loc. cit., p. 425. (1) J• Pars, qu. 1, art. 3, ad 2. (2) Th. Deman, !oc. cit., p. 431. SCIENCE ET SAGESSE 109
Nous retrouvons la définition de la science théologique
qu'Augustin avait donnée jadis, dans son contexte à lui; mais chaque mot prend un sens renouvelé dans la transpo- sition qu'elle subit : « Huic scientiae tribuens illud tantum- modo quo fides saluberrima ... gignitq.r, nutritur, defenditur, roboratur »• . Il n'est pas jusqu'à l'appétit de béatitude d'Augustin, à cette dose d'affectivité enveloppant chez lui tout savoir, qui n'ait son statut dans l'unité synthétique d'une science qui dépasse la division du spéculatif et du pratique. Toujours même motif: l'unique raison formelle sous laquelle tout se range, depuis la contemplation pure jusqu'au plus menu cas de conscience. Aussi bien Dieu connaît ainsi : <c ••• sicut et Deus eadem scientia se cognoscit et ea quae facit » ( I ). La théologie, même en ses fonctions « scienti- fiques » les plus poussées, est héritière de cette sagesse augustinienne toute qualifiée par la vie bienheureuse vers laquelle elle tend. Non pas qu'elle se transforme en une science cordiale préférée aux voies et raisons que l'intel- ligence, mais parce que, dans la foi, son intelligence - intellectus fidei - est pénétrée, est menée par l'appétit de béatitude qui détermine la foi, en préparation de la vision bienheureuse. Le dynamisme de la théologie est commandé et défini par cette trajectoire qui va de la foi mystérieuse à la vision ouverte. Là encore, la diversité spécifique des modes de la sagesse (que définit saint Thomas) (2) n'en limite ·pas l'unité. Les augustiniens du xme siècle, et saint Albert lui-même, n'ont que difficilement saisi la structure d'une pareille connaissance, et mal exprimé cette assomption en sagesse des sciences mises en œuvre dans la doctrine sacrée. D'où la tendance à un certain antiintellectualisme, ou mieux l'insuffisante coordination entre les fonctions scientifiques de la théologie et son ordination interne à la · <c vérité affective béatifiante », comme dit Albert (3).
(1) I• Pars, qu. 1, art. 4.
(2) Cf. I• Pars, qu. 1, art. 6, ad. 3. (3) Albert Lil GRAND, In I Sent ., dist. 1, art. 4: « ... Alterum est finis inten- tionis, et hic est conjungi intellectu et affectu et substantia cum eo qu od coli- tur prout est finis beatificans : et ideo ista scientia proprie est affectiva ». Et ad 3 : « Finis ultimus ... veritas est affectiva beatificans ». La position d'Albert est tout a fait suggestive. Cf. A. MA CCAFERRI, Le dynamisme de la foi selon Albert le Grand, dans R ev. des se. phil . théol., XXIX (1940), pp. 278-303 .