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« 

Il faut imaginer Sisyphe heureux »

Albert Camus

La vie n’est pas donnée dans son immédiateté et ce n’est pas un don. Elle exige
l’effort et la puissance et se nourrit de la douleur et de la souffrance. C’est peut
être même une flamme qu’il faut dérober quitte à être condamné éternellement
et pourtant cette condamnation pour la vie est la vie même. C’est dans ce sens
qu’Albert Camus affirme « il faut imaginer Sisyphe heureux ». La condamnation de
Sisyphe au rocher constitue dans la mythologie une illustration de la punition
divine, un exemple de cette infranchissable limite entre l’humain et le divin. Mais
au-delà du mythe, la tâche de Sisyphe devient l’emblème du rapport de l’homme
à la vie. Cette dernière pèse sur l’être, c’est une lourdeur qu’il faut coltiner et qui
nécessite une force pour la maintenir sur le dos en équilibre, une force de vivre.
Cette nécessité se traduit dans la citation par la modalité déontique qui l’ouvre
« il faut » et qui en fait un devoir de toute personne s’interrogeant sur la valeur et
le sens de la vie. Autrement dit, notre devoir est de vivre et de maintenir vivante
notre vie. Réussir alors cette tâche sisyphéenne consiste à changer tous nos
jugements à l’égard de la vie. « imaginer Sisyphe heureux » est une invitation à se
débarrasser de notre regard objectif qui chosifie la vie et la fige dans des
significations préétablies. Il faut l’aborder de l’intérieur voire s’y mêler, s’y fondre
et se mettre à la place de Sisyphe, cet homme sage pour comprendre qu’elle vaut
la peine d’être vécue. ….. Dans quelle mesure vivre est un acte performatif qui
consiste à prendre son destin dans sa main ?Certes vivre est un devoir mais qui,
pour le remplir, sollicite une force qui risque d’en abuser de sorte que ce devoir
vivre doit céder d’abord à un devoir de la force. En nous appuyant sur les œuvres
au programme ……
Et Adam fut chassé du jardin d’Eden. C’est ainsi que se termine l’histoire d’une
« vie éternelle » et commence celle d’une autre mortelle, celle de la vie humaine sur
terre, au moins comme la raconte le récit biblique de la Genèse. Sauf que cette
descente n’est qu’une dégradation et un déclassement dans la mesure où elle
s’accompagne d’un discours comminatoire qui déterminera toute l’existence
postérieure de l’être humain : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. » et
« Tu enfanteras dans la douleur. » insistaient les prescriptions divines. D’emblée, la
vie est donnée dans la souffrance et la douleur et non dans la joie et le confort. Le
travail lié à la vie humaine trouve dans cet édit divin son sens étymologique qui
l’impose comme torture : celle de l’effort pour gagner sa vie et celle de la douleur
pour donner la vie (accouchement). C’est, sans doute, cette double submersion de la
vie dans la douleur qui fait que l’homme est dans la nécessité d’une force pour vivre,
plutôt une force de vivre. Où est-ce qu’il la trouve alors ? Est-ce en lui qu’il doit la
chercher ou réside-t-elle ailleurs ? Mais avant de s’engager dans la quête de cette
force, ne conviendrait-il pas d’abord de l’identifier, de la définir, de comprendre ce
que c’est que cette force, car cela pourrait lui épargner la douloureuse tâche de la
recherche et lui permettrait de découvrir peut-être que cette force de vivre n’est
finalement que vivre tout court. A cet égard, l’expression «  la force de vivre » ne
serait-elle pas un beau pléonasme, une redondance qu’on pourrait éviter par la
réduction de ses mots ? Certes vivre implique déjà une force tout comme la force n’est
qu’un signe de vie, toutefois fusionner l’une dans l’autre pour les réduire ne serait
qu’une tentative de les réprimer et de les affaiblir de telle sorte que parler d’une force
de vivre c’est insister sur la nécessité d’une expansion de la force, de son jaillissement
et de son débordement pour une affirmation de la vie.

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