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2 CO 5,6-8 ET PH 1,23 ÉTAT INTERMEDIAIRE ET IMMORTALITE DE L'AME


CHEZ PAUL ?

Article · January 2019

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Francesco Bianchini
Pontifical Urbaniana University
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2 CO 5,6-8 ET PH 1,23
ÉTAT INTERMEDIAIRE ET IMMORTALITE DE L’AME CHEZ PAUL ?

FRANCESCO BIANCHINI Science et Esprit 66 (2014) 433-444

Il y a près d’un demi-siècle, dans sa monographie sur l’état intermédiaire dans le Nouveau
Testament, K. Hanhart1 soutenait que les les textes de 2 Co 5,1-10 et Ph 1,20-23 étaient
généralement considérés comme parallèles par les spécialistes. Ceux-ci se divisaient en deux
groupes selon qu’ils affirmaient ou niaient dans ces passages une référence à un temps ou à une
situation transitoire entre la mort et la résurrection finale. Aujourd’hui encore, les exégètes ne
manquent pas d’être attentifs à cette question. Ainsi, dans le premier volume de son commentaire
sur la deuxième épître Corinthiens, T. Schmeller2 rapporte la position de plusieurs interprètes qui
voient en 2 Co 5,1-10 une référence à l’état intermédiaire; de même, J. Reumann3, dans son
commentaire sur Philippiens, continue de présenter une discussion sur la même problématique en
lien avec Ph 1,21-24.
Nous croyons, quant à nous, qu’il vaut la peine d’aborder cette question. Il s’agit de
comprendre si vraiment Paul s’arrête à considérer l’état du croyant consécutif à la mort et antérieur
à la résurrection ou s’il fait plutôt porter sa réflexion sur le sort du chrétien et sa communion avec le
Christ lors de la parousia, comme c’est le cas, selon la plupart des exégètes, en 1 Co 15,51-54 et 1
Th 4,13-184. Nous croyons en outre, comme Kreitzer5, que les versets décisifs pour l’interprétation
sont les v. 6-8 de 2 Co et le v. 23 de Ph 1, lus dans leur contexte littéraire spécifique. Toutefois,
avant d’entreprendre l’étude de ces deux textes pauliniens, il est nécessaire de bien clarifier ce que
les exégètes entendent par l’expression technique « état intermédiaire » (en allemand
Zwischenzustand). Il s’agit de la condition dans laquelle se trouverait le croyant entre la mort et
l’accomplissement final, lorsque, parvenu à une communion sans fin avec le Christ, il partagera une
forme nouvelle d’existence corporelle. Centrant l’attention sur ce qui advient lors de la mort, cette
notion est également liée à une conception dualiste selon laquelle la mort physique comporte la
séparation de l’âme et du corps et débouche ensuite sur l’immortalité de l’âme.
Dans notre contribution, nous nous demanderons donc si, en 2 Co 5,6-8 et Ph 1,23, Paul fait
référence à l’état intermédiaire et à l’immortalité de l’âme. Nous nous demanderons d’abord si,
compte tenu principalement de son origine juive, l’Apôtre a pu partager de telles conceptions. Après
en avoir vérifié la plausibilité, nous analyserons chacun des deux textes dans son contexte littéraire,
d’abord 2 Co 5,6-8 et ensuite Ph 1,236. Nous conclurons finalement en nous efforçant, non
seulement de répondre aux questions initiales que les deux passages soulèvent parmi les interprètes
pauliniens, mais encore d’en préciser la signification commune.
1. L’état intermédiaire et l’immortalité de l’âme dans le contexte juif
Comme prémisse nécessaire à l’étude de 2 Co 5,6-8 et de Ph 1,23, il faut d’abord, comme le
rappelle J.-N. Aletti7, se confronter à l’opinion selon laquelle Paul, conformément à la conception

1
Karel HANHART, The Intermediate State in the New Testament, Franeker, T. Wever, 1966, p. 179.
2
Thomas SCHMELLER, Der zweite Brief an die Korinther, I (Evangelisch-Katholischer Kommentar, VIII/1)
Neukirchen-Vluyn – Ostfildern, Patmos Verlag, 2010, p. 294.
3
John REUMANN, Philippians (Anchor Yale Bible, 33B), New Haven CT-London, Yale University Press, 2008, p.
252.
4
Cf. Larry J. KREITZER, « Intermediate State », in Gerard F. HAWTHORNE – Ralph P. MARTIN – Daniel G. REID (eds.),
Dictionary of Paul and His Letters, Downers Grove, IL – Leicester, Inter-Varsity Press, 1993, p. 440.
5
Larry J. KREITZER, « Intermediate State », p. 438.
6
L’étude des deux passages suit simplement l’ordre canonique et ne découle pas de considérations sur leur
chronologie, qui est très débattue en raison des théories relatives au lieu où fut rédigé Philippiens. À ce sujet, nous nous
permettons de renvoyer à Francesco BIANCHINI, Lettera ai Filippesi (Nuova versione della Bibbia dai testi antichi 47),
San Paolo, Cinisello Balsamo (MI), 2010, p. 19-21.
7
Jean-Noël ALETTI, Saint Paul. Épître aux Philippiens (Etudes Bibliques, nouvelle série, 55), Paris, Gabalda,, 2005,
p. 91.
juive, ne croyait qu’en la résurrection des morts, et non en l’immortalité de l’âme, tributaire d’une
conception grecque. En fait, si cette position était exacte, il serait difficile d’aller plus avant dans
notre étude, à moins de supposer chez l’Apôtre une prise de distance à l’égard du milieu juif et
pharisien dont il provenait et l’adoption d’une eschatologie qu’on pourrait désigner comme
purement hellénistique8.
En fait, des textes juifs, intégrés ou non aux Écritures et rédigés aux environs du premier siècle,
affirment à plusieurs reprises l’existence, pour les âmes des justes et des martyrs, d’un état de
béatitude consécutif à la mort ; privées désormais de leurs corps respectifs, les âmes habitent au
ciel auprès de Dieu, dans l’attente de la résurrection finale. On se trouve ainsi à soutenir
précisément les deux aspects qui sont au cœur de notre discussion, à savoir l’état intermédiaire et
l’immortalité de l’âme. Parmi les textes plus significatifs en ce sens, nous voulons signaler Sg 2,23-
3,3; 4,7-15; 1 Hénoch 39,4-7; 41,2; 103,3-4; 4 Esdras 7,75-1149. Si donc le milieu juif témoigne de
la présence, pas si rare après tout, de ces conceptions, il devient parfaitement légitime d’aborder 2
Co 5,6-8 et Ph 1,23 en se demandant si Paul, dans ces passages, entend traiter de la situation
transitoire que les croyants, désormais libérés de leur corps, connaissent après leur mort. Une fois
dépassées des préventions et des positions a priori liées aux origines culturelles et religieuses de
l’Apôtre, nous pouvons maintenant concentrer toute notre attention sur les textes eux-mêmes afin de
bien saisir la pensée de Paul sur ces questions débattues.
2. La signification de 2 Co 5,6-8 dans son contexte
Les versets que nous nous proposer d’analyser en premier lieu font partie de 2 Co 5,1-10. Selon les
spécialistes, ce texte compte parmi les plus difficiles de Paul et du Nouveau Testament, en raison
principalement du langage métaphorique qu’il fait intervenir, celui de la maison, de la demeure et
de l’habitation, du revêtement et du dévêtement, de la nudité et de l’exil, dont la signification exacte
nous échappe. On se rend compte, en examinant le contexte, que la grande section de 2 Co 2,14-7,4
porte tout entière sur le sens et la valeur du ministère apostolique de Paul, que ses destinataires
corinthiens n’avaient pas su comprendre et accueillir correctement. L’argumentation devant laquelle
on se trouve fait appel, selon nous, à une lecture rhétorique apte à dégager la logique du texte et les
idées de base que l’auteur cherche à y démontrer10. C’est ainsi que le parcours argumentatif peut
être représenté en trois moments: a) démonstration I (2,14-4,6) portant sur la capacité du ministre
chrétien ; b) , démonstration II (4,7-5,10) sur l’agir de Dieu à travers la fragilité de l’apôtre ; c)
démonstration III (5,11-6,10) sur la fierté découlant du ministère de la réconciliation reçu de Dieu11.
Le deuxième moment de l’argumentation trouve sa justification dans le fait que la gloire du
ministère chrétien, d’abord soutenue en 2,14-4,6, semble apparemment contredite par les difficultés
concrètes et les souffrances assaillant l’exercice de l’apostolat. En 4,7-5,10, Paul doit donc montrer
qu’au contraire, la fragilité du ministre est lieu d’accueil de la puissance divine, à l’œuvre dans
chaque croyant et le conduisant vers la plénitude eschatologique. De façon particulière, la
démonstration trouve son orientation dans la thèse ou propositio introduite en 4,7, selon laquelle le
trésor de l’évangile confié à Paul et aux apôtres se trouve dissimulé dans leur faiblesse, pour qu’il
soit évident que la puissance de la prédication ne vient pas d’eux mais de Dieu. L’Apôtre fournit
ensuite deux preuves à l’appui de sa thèse: dans les adversités concrètes et actuelles du ministère,
c’est la puissance de Dieu qui agit, de sorte que la fragilité du messager n’est pas un obstacle mais

8
Cf. Nicolaus WALTER, «Hellenistische Eschatologie bei Paulus? Zu 2 Kor 5,1-10», Theologische Quartalschrift,
176 (1996), p. 53-64.
9
Pour d’autres textes, cf. Joseph OSEI-BONSU, «Does 2 Cor. 5.1-10 Teach the Reception of the Body at the Moment
of Death?», Journal for the Study of the N.T., 28 (1986), p. 94 ; David Edward AUNE, «Anthropological Duality in the
Eschatology of 2 Cor 4,16 - 5,10», in Troels ENGBERG-PEDERSEN (ed.), Pau lBeyond the Judaism/Hellenism Divide,
Louisville KY, Westminster-John Knox, 2001, p. 230-232.
10
Pour une justification opportune du choix méthodologique adopté, nous nous permettons de renvoyer à Francesco
BIANCHINI, L’analisi retorica delle lettere paoline. Un’introduzione (Comprendere la Bibbia), Roma, San Paolo, 2011.
11
Pour une interprétation de 2 Corinthiens, et non seulement de la section 2,14-7,4, selon l’analyse rhétorique, voir
Antonio PITTA, Seconda lettera ai Corinzi (Commenti biblici; Roma, Borla, 2006.
un instrument adapté au progrès de l’Évangile (4,8-15); la force de Dieu qui opère dans la faiblesse
de l’apôtre est cachée, certes, mais déjà à l’œuvre dans la profondeur de l’existence du ministre
comme dans celle de chaque croyant, engagée sur un chemin de transformation menant au point de
destination eschatologique (4,16-5,10). Enfin, la section 5,1-10 se concentre pour sa part sur la
transformation future des croyants consécutive à la mort, avec une attention particulière au destin de
leur corps. Aussi bien, le «je» présent dans cette section du texte se rapporte-t-il à la fois à Paul lui-
même, au ministre de l’évangile en général et à chaque chrétien.
2 Co 5,6-8 apparaît, à l’intérieur de ce cadre d’ensemble, comme une unité bien caractérisée
présentant des correspondances claires entre le v. 6 et le v. 8 et une parenthèse explicative au v. 7:
6 8
Ainsi donc, étant toujours pleins de confiance, Nous sommes donc pleins de confiance
et sachant que, demeurant dans le corps, nous et préférons quitter ce corps pour aller et
sommes exilés loin du Seigneur…12 demeurer auprès du Seigneur.
7
En fait, nous cheminons dans la foi, non dans la vision.
S’ouvrant au v. 6 par un « donc » (oun) initial, ces versets reprennent ce qui a été développé
dans les versets précédents, et en particulier au v. 5, en s’y rattachant comme s’ils en découlaient.
Paul affirme donc sa confiance en raison de l’itinéraire projeté par Dieu pour les croyants et
corroboré par « les arrhes de l’Esprit ». Le v. 8 réitère cette confiance à travers le même verbe
tharreô, que la philosophie grecque employait pour exprimer le courage devant la mort13. Alors que
le v. 6 proclame une conviction de foi partagée par l’Apôtre et ses correspondants, le v. 8 exprime
une préférence14. On trouve dans les deux versets le couple antithétique formé des verbes endèmeô-
ekdèmeô, dont l’interprétation est au cœur des questions soulevées par les spécialistes.
Ces verbes n’apparaissent qu’ici et au v. 9, alors qu’ils sont absents du reste de l’Écriture, bien
que leur usage soit attesté antérieurement en grec et que leur signification de base ne prête pas à
discussion. Il est donc question, d’une part, d’habiter dans le corps, par opposition à habiter auprès
du Seigneur et, d’autre part, d’être en exil loin du Seigneur, par opposition à être en exil à distance
de son corps. Les versets rappellent l’opposition entre maison / patrie et exil, un topos classique
pour parler de la vie terrestre physique et de la vie céleste de nature spirituelle comportant la
séparation de l’âme et du corps, un langage renvoyant de façon spécifique à l’idée philosophique de
la mort comme changement de résidence15. En comparaison des versets précédents, le texte
paulinien fait porter une grande part de son attention sur l’idée de proximité ou de distance par
rapport au Seigneur. Le sôma n’a pas ici de connotation négative, « demeurer dans le corps »
équivalant pour l’essentiel à l’existence « dans notre chair mortelle » (4,11) et correspondant donc
simplement à la vie terrestre, marquée par la décomposition physique de la personne (4,16). En fait,
comme le souligne la parenthèse du v. 7, le temps présent représente un éloignement par rapport au
Seigneur, du fait que l’on vit dans la foi et pas encore dans la vision, celle-ci étant réservée pour la
rencontre face à face avec lui (cf. 1 Co 13,12-13). En outre, dans l’ensemble de 5,1-10, le mot
psychè (âme) ne se rencontre jamais et, dans nos versets, le contraste ne joue pas entre corps et âme
mais bien entre existence actuelle et existence future. On se demande encore, en rapport avec les
versets 6-8, si Paul veut dire qu’à sa mort le croyant reçoit un accès immédiat au corps de

12
Comme le note A. Pitta ( Corinzi, p. 245), du point de vue syntaxique, le verset est constitué d’une anacoluthe parce
que la phrase entière reste suspendue.
13
Voir les textes cités dans Margaret E. THRALL, The Second Epistle to the Corinthians, I (International Critical
Commentary); Edinburgh-New York NY, T & T Clark, 1994, p. 385.
14
Le syntagme eidotes hoti est l’expression d’une foi commune dans au moins quatre autres passages des lettres
pauliniennes (Rm 6,9; 2 Co 4,14; Gal 2,16; Ep 6,8-9; Col 4,1). Le verbe eudokeô suivi d’un infinitif indique souvent
une décision, mais dans notre cas, vu la perspective de la mort, il exprime plutôt un désir et une préférence, comme
c’est le cas en Si 25,16 et 1 Th 2,8.
15
Pour les références, voir Thomas SCHMELLER, Der zweite Brief an die Korinther, I, p. 299-301 et Margaret E.
THRALL, The Second Epistle to the Corinthians, I , p. 390-391.
résurrection ou bien qu’il entre dans un mode d’existence intermédiaire, privé de la dimension
physique et en attente de la résurrection finale. Si l’on s’en tient strictement aux données de notre
passage, il n’est pas possible de trancher dans un sens ou l’autre, car le texte ne laisse rien
intuitionner à ce sujet. En l’absence de toute détermination précise, le texte évoque plutôt le désir
profond du croyant qui, déjà uni au Christ en cette vie, aspire à parvenir, après sa propre mort, à la
pleine communion avec lui dans le monde à venir. Toutefois, selon plusieurs auteurs16, cette lecture
des v. 6-8 n’est pas complète tant qu’on n’a pas aussi interprété la métaphore de la nudité présente
aux v. 3-4 et qui, de nouveau, pourrait évoquer une condition transitoire consécutive à la mort et
comportant la privation du corps.
Pour l’analyse des versets 3 et 4 il faut tenir compte du v. 2, dont le premier est
syntaxiquement dépendant:
2
Aussi gémissons-nous dans cette tente, ardemment désireux de revêtir par-dessus notre habitation
céleste, 3si nous devons être trouvés vêtus17, nous ne serons pas nus. 4Oui, nous qui sommes dans
cette tente, nous gémissons, accablés, parce que nous ne voulons pas être dévêtus, mais revêtus, afin
que ce qui est mortel soit englouti par la vie.
Pour comprendre la métaphore de la nudité, l’étude de Matand Bulembat, qui analyse l’adjectif
gymnoi présent au v. 3, s’avère utile18. Utilisé dans la philosophie grecque à propos de la situation
de l’âme sans corps, cet adjectif possède généralement dans le Nouveau Testament sa signification
littérale d’être privé de vêtement. Toutefois, le texte de 1 Co 15,37 est d’un grand intérêt car il y est
question du corps mortel comme d’un grain nu, par opposition au corps spirituel qui sera donné par
Dieu à la résurrection (15,35.44)19. La référence à la nudité dans ce cas ne fait pas clairement à une
condition incorporelle intermédiaire entre mort et résurrection, mais au corps qui n’est pas encore
transformé parce qu’il n’est pas encore ressuscité, selon la vision exprimée aux versets 53-54. Ce
rapprochement doit donc aussi valoir pour 2 Co 5,3. En outre, 1 Co 15,53-54 fait aussi intervenir la
métaphore du vêtement, qui, en 2 Co 5,3-4, est directement reliée à celle de la nudité. En raison du
parallélisme entre les deux textes et de la référence commune à Is 25,8 LXX, il y a lieu de
comprendre que 2 Co 5,4, à travers l’image du revêtement, évoque le corps de résurrection. C’est
cet aboutissement eschatologique qui, aux v. 2-4, fait l’objet d’un désir né du gémissement et de la
pesanteur de la souffrance. De fait, on y trouve deux fois (5,2.4) le verbe stenazô, aussi présent en
Rm 8,23 au sujet du désir des fils de Dieu attendant la rédemption de leur corps, et une fois (5,4) le
verbe bareomai qui, en 2 Co 1,8, renvoie au poids de la tribulation apostolique de Paul. Au v. 4, on
précise aussi que les croyants ne veulent pas être dépouillés, mais directement revêtus. Il est
probable qu’une telle manière de s'exprimer indique le désir d’un passage immédiat de l’existence
terrestre à l’existence céleste, du corps terrestre au corps ressuscité, sans être privé de la vie et sans
avoir à connaître la corruption de la mort.

16
Cf. Larry J. KREITZER, « Intermediate State », p. 439.
17
Le texte est discuté. Nous préférons la leçon endysamenoi (revêtus). Quelques témoins anciens (parmi lesquels D*.c
F G) portent ekdysamenoi (dévêtus); même NA28 est favorable à cette leçon parce que, de cette manière, le texte de 2
Co 5,3 serait plus logique. Toutefois, la leçon que nous adoptons a, du point de vue de la critique externe, une
attestation manuscrite de loin supérieure et, du point de vue de la critique interne, justement parce qu’elle est
apparemment moins logique, elle constitue la lectio difficilior et donc la plus probable. Ce choix est partagé par C.
TISCHENDORF, Novum Testamentum Graece. Editio octava maior (Leipzig 1872) II, 588-589. La variante peut provenir
d’une assimilation au contexte proche puisque le verset suivant présente, pour la seule fois dans les lettres pauliniennes,
le verbe ekdyô, alors qu’il faut remarquer que le verbe endyô se retrouve quatre fois dans le passage de 1 Co 15,53-54
qui rappelle thématiquement le nôtre.
18 Jean Bosco MATAND BULEMBAT, Noyau et enjeux de l'eschatologie paulinienne. De l'apocalyptique juive et de

l'eschatologie hellénistique dans quelques argumentations de l'apôtre Paul. Étude rhétorico-exégétique de 1 Co 15,35-
58; 2 Co 5,1-10 et Rm 8,18-30 (Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft, 84); Berlin – New York
Walter de Gruyter, 1997, p. 164-166.
19
Il faut noter aussi que quelques passages de l’Ancien Testament relient la nudité à la condition de fragilité mortelle
de l’homme (Gn 3,10.21; Jb 1,21; 26,6; Qo 5,14).
Aussi bien, les v. 3-4 dans leur ensemble ne font pas référence à un état intermédiaire que
connaîtraient les croyants après leur mort, dans la privation du corps et dans l’attente de la
résurrection. Ce qui s’y exprime, tout comme aux v. 6-8, c’est un profond désir de passer à
l’existence future. La motivation est cependant différente dans les deux cas. Aux v. 3-4, elle ne
vient pas de la possibilité d’atteindre une communion pleine avec le Seigneur, mais de la possibilité
de dépasser définitivement, grâce à l’acquisition d’un corps incorruptible, la souffrance mortelle qui
caractérise la vie terrestre. Si donc, situé dans son contexte, 2 Co 5,6-8, le premier passage débattu
par les spécialistes, ne comporte pas de référence à l’état intermédiaire et à l’immortalité de l’âme,
qu’en est-il de Ph 1,23, le second texte vers lequel nous nous tournons maintenant en l’examinant
selon la même méthode ?
3. La signification de Ph 1,23 dans son contexte
Ph 1,23 fait partie de la péricope de 1,12-26 – commencement du corpus de Philippiens à la suite
de l’action de grâce de 1,3-11 – contenant les nouvelles que Paul prisonnier livre sur lui-même aux
Philippiens20. La situation de l’Apôtre est envisagée en fonction du progrès de l’Évangile et de la
foi des destinataires: ses chaînes ne sont pas un obstacle mais un instrument privilégié au service
de la prédication. Le passage peut être divisé en deux parties: après les informations concernant sa
situation présente (v. 12-18b), Paul réfléchit et s’interroge sur sa situation future (v. 18c-26). Le
champ sémantique de l’annonce de l’Évangile qui domine dans la première partie est relayé dans la
deuxième par l’opposition vie/mort21. Aletti22 en particulier a bien montré l’enchaînement des
versets 18c-26. Paul commence par faire part de sa joie: de toutes manières, il sera sauvé et le
Christ sera glorifié dans son corps (v. 18c-20). Il manifeste ensuite de l’incertitude quant à
l’expérience exacte qui l’attend, ne sachant pas s’il vaut mieux pour lui vivre ou mourir (v. 21-24).
Enfin l’Apôtre exprime la conviction qu’il demeurera en vie pour le bénéfice des Philippiens et de
leur croissance dans la foi (v. 25-26). Le texte de l’unité dans laquelle s’insère 1,23 est le suivant :
21
Pour moi, en effet, vivre c’est le Christ et mourir est un gain. 22Mais si je dois vivre dans la chair,
cela signifie pour moi un travail fructueux. Et que choisirai-je? Je ne sais pas. 23Je suis déchiré entre
les deux: d’une part, j’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ – ce qui serait, et de
beaucoup, bien préférable – 24mais de l’autre, demeurer dans la chair est plus nécessaire à cause de
vous.
Dans ces versets, Paul affirme comment toute sa vie est orientée vers le Christ et comment, pour
cette raison, la mort représente pour lui un gain en tant qu’elle constitue la voie d’accès à la
communion pleine et durable avec son Seigneur. Par ailleurs, rester en vie est plus utile pour les
Philippiens. À cet égard, les expressions to zèn en sarki (v. 22) et to epimenein en23tè sarki (v. 24)
correspondent à celle d’« habiter dans le corps » en 2 Co 5,6, non pour indiquer quelque chose de
négatif où l’élément physique serait séparé de l’élément spirituel, mais simplement pour désigner la
vie terrestre actuelle. Celle-ci, justement, est mise en opposition au v. 23 avec la situation décrite
par syn Christô einai, syntagme unique sous cette forme précise dans les lettres pauliniennes. On
trouve toutefois dans le corpus paulinien des formules correspondantes pour exprimer, soit au futur
(2 Co 4,14; 13,4) soit au présent (Rm 6,8; 8,32; Col 2,13; 3,4), la relation profonde de communion
au Christ vécue par le croyant. Vu la présence, dans le contexte, de l’opposition, il est clair que Ph
1,23 fait référence à un temps futur.

20
Notre méthode ne change pas, notre approche étant celle de l’analyse rhétorico-littéraire qui considère les lettres
pauliniennes à cheval sur deux types de rhétorique, la discursive et l’épistolaire. Selon la lettre ou la section, tantôt le
modèle discursif sera prédominant, tantôt le modèle épistolaire. Cf. Francesco BIANCHINI, L’analisi retorica delle
lettere paoline , p. 34-44.
21
Cf. Francesco BIANCHINI, Lettera ai Filippesi , p. 35.
22
Jean-Noël ALETTI, Saint Paul épître aux Philippiens , p. 66-67.
23
L’édition critique NA28 montre de l’incertitude au sujet de l’inclusion du terme, parce que certains codices
importants l’omettent (‫ א‬A C); quoi qu’il en soit, le sens de la phrase n’est pas substantiellement changé.
C’est précisément à partir d’ici que commence la discussion entre les exégètes sur le quand et le
comment d’une telle situation et, donc, sur la possibilité de voir dans notre verset une référence à
l’état intermédiaire et à l’immortalité de l’âme. Pour sa part, Schreiber24, dans une contribution
entièrement consacrée à la question, comprend l’état intermédiaire du point de vue chronologique
comme l’espace temporel entre la mort et la fin des temps, situation durant laquelle Paul peut déjà
jouir de la communion avec Dieu, en accord avec ce qu’affirmait la littérature apocalyptique juive,
surtout à propos du destin des pères d’Israël. Quant à lui, Aletti25 voit dans le verbe analysai en Ph
1,23 la référence à l’immortalité de l’âme, puisque ce verbe aurait été utilisé au sujet de la migration
de l’âme vers les réalités célestes.
Si l’on examine attentivement le texte du verset, un parallélisme intéressant surgit: le « partir »
de Ph 1,23 coïncide avec l’« être exilé du corps » de 2 Co 5,8 comme « être avec le Christ »
correspond à « habiter auprès du Seigneur ». Dans son contexte, Ph 1,23 indique que l’« être avec
Christ » est l’objet du désir de Paul mais, comme en 2 Co 5,6-8, la modalité de la fruition de cet état
demeure indéterminée. L’unique élément indicatif, c’est que, selon Ph 1,23, cela adviendra au-delà
de la vie terrestre, après la mort, laquelle devient ainsi le passage nécessaire pour accéder à la pleine
communion avec le Seigneur. C’est pour cette raison que la mort est souhaitée. Parler d’une
référence à l’état intermédiaire n’apparaît donc pas adéquatement justifié compte tenu du texte
même du verset. En ce qui concerne le verbe analyô, hapax legomenon néotestamentaire, les
dictionnaires26 rappellent qu’il possède un usage transitif au sens de « défaire, délier » et un usage
intransitif au sens de « partir, retourner », et que c’est ce second usage qui peut être utilisé par mode
d’euphémisme pour la mort. Toutefois, les dictionnaires ne rapportent aucun cas qui s’appliquerait à
l’âme quittant le corps, comme l’affirme aussi le Thesaurus Linguae Graecae27 ad locum. Déjà à
son époque, O’Brien28 avait critiqué Dupont29 pour avoir vu en analyô un terme technique pour la
séparation de l’âme et du corps, d’autant plus que Dupont avait pu citer des textes sur le retour de
l’âme à Dieu dans lesquels seuls étaient présents les verbes lyô et apolyô. Il est plus plausible de
soutenir que le langage de Ph 1,21-24 rappelle un topos hellénistique, selon lequel la mort serait
préférable en tant que libération d’une vie difficile et insupportable, pour tendre vers un au-delà
considéré comme tout à fait meilleur30. À ces considérations, on doit aussi ajouter un fait venant de
l’observation du vocabulaire de nos versets: ici on n’utilise jamais les termes sôma ni psychè. En
conséquence, nous pensons que, dans l’ensemble, il n’est pas possible de supposer une référence à
l’immortalité de l’âme en Ph 1,23. Il reste quand même la grande insistance du texte: la relation du
croyant avec le Christ, commencée dans le présent, ne se brise pas avec la mort. En fait, après ce
passage, elle s’approfondira dans une communion plus pleine. Cet abandon de l’existence terrestre
est le véritable bien pour la personne de Paul lui-même, alors que demeurer en vie est plus
nécessaire pour les Philippiens, ce qui, de ce fait, constitue leur bien authentique.
En définitive, après le texte de 2 Co 5,6-8, celui de Ph 1,23 ne saurait être invoqué non plus en
faveur des idées de l’état intermédiaire et de l’immortalité de l’âme chez Paul. En affirmant cela,
nous ne pensons pas avoir terminé notre contribution, puisque nous croyons devoir souligner la

24
Stefan. SCHREIBER, «Paulus im 'Zwischenzustand': Phil 1.23 und die Ambivalenz des Sterbens als Provokation»,
New Testament Studies, 49 (2003), p. 336-359.
25
Jean-Noël ALETTI, Saint Paul épître aux Philippiens , p. 91
26
Cf. par exemple Walter BAUER – William F. ARNDT – F.W. GRINGRICH – F.Wilhur DANKER, A Greek-English
Lexicon of the New Testament, Chicago MI – London , The University of Chicago Press, 1957; 52000, p. 67.
27
Nous avons consulté la version en ligne http://www.tlg.uci.edu/.
28
Peter T. O’BRIEN, The Epistle to the Philippians. A Commentary on the Greek Text (New International Greek
Testament Commentary), Grand Rapids MI, Baker Books ; Carlisle UK, Paternoster, 1991, p. 130.
29
Jacques DUPONT, SYN CHRISTÔI. L’union avec le Christ selon saint Paul, Paris, Desclée de Brouwer, 1952, p. 177-
181.
30
Pour les références, voir par exemple Stefano BITTASI, Gli esempi necessari per discernere. Il significato
argomentativo della struttura della lettera di Paolo ai Filippesi (Analecta Biblica, 153), Roma, Pont. Ist. Bib., 2003, p.
42-45.
signification commune de ces deux passages qui, de quelque façon qu’ils soient lus, assument un
rôle original à l’intérieur de la pensée de l’Apôtre et en particulier de son eschatologie.
4. Conclusions
Tracer quelques lignes conclusives sur nos textes signifie avant tout reconnaître leur particularité
par rapport à d’autres passages pauliniens, comme 1 Co 15,50-53 et 1 Th 4,15-17 qui, selon la plus-
part des exégètes, affirment explicitement que l’union de tous les croyants (vivants et morts) avec le
Christ se réalisera à la fin des temps avec la résurrection de la chair. En 2 Co 5,6-8 et Ph 1,23 l’être-
avec-le-Christ est considéré dans une perspective individuelle (pas seulement par rapport à Paul) et
après la mort, sans toutefois aucune détermination spécifique, c’est-à-dire sans parler de la
condition du croyant, que ce soit sans son corps ou avec le corps de résurrection. La mort est plutôt
perçue comme le passage nécessaire pour entrer dans une communion plus profonde avec le
Seigneur, mais cette communion est déjà réellement vécue dans le présent de l’existence terrestre
par le moyen de la foi en lui (2 Co 5,7; Ph 1,21). En tout cela, nous croyons qu’il n’y a pas
d’évolution de l’eschatologie paulinienne, comme certains l’ont cru31, mais bien une insistance sur
le destin individuel de la personne, en particulier celle de l’Apôtre, exposée à la souffrance qui
conduit à la mort. Cette attention est due à la situation particulière sous-jacente aux lettres
auxquelles nos deux passages appartiennent: les adversités considérables dans le ministère en 2
Corinthiens et la condition de prisonnier en Philippiens conduisent Paul à réfléchir sur la fin
personnelle de l’existence terrestre. 2 Co 5,6-8 comme Ph 1,23 affirment que la mort va coïncider
avec la rencontre avec le Christ, puisque le but principal de ces textes est d’affirmer la continuité et
l’évolution de la relation avec le Seigneur, objet de la confiance et de la conviction de l’Apôtre. Il
faut noter enfin, dans les deux lettres, la présence, à côté de nos textes, d’autres passages sur la
résurrection finale des corps (2 Co 4,17-5,1; Ph 3,20-21), ce qui confirme non pas l’idée d’une
évolution mais bien celle d’une différence de perspective tout à fait compatible.
À ce stade-ci, il serait nécessaire de se demander, en s’en tenant à un plan strictement
théologique, comment réconcilier l’idée d’une communion avec le Christ immédiatement après la
mort avec celle d’une communion définitive lors de la résurrection finale. En effet, le croyant qui a
reçu les arrhes de l’Esprit (2 Co 5,5) participe déjà à la mort-résurrection du Christ (Col 2,12; 3,1),
événement propre de l’eschaton, et, en conséquence, la fin de son existence terrestre doit aussi être
envisagée dans une perspective eschatologique. Reprenant les paroles fortes d’Ancona, nous
croyons donc que “l’être avec Christ” dans la mort est, en fait, une anticipation réelle de cette
existence glorieuse qui trouvera son sommet dans la résurrection finale avec le corps céleste32. De
cette manière, la vie dans la foi est pour le croyant un prélude à l’union post mortem avec le Christ,
lequel, à son tour, devient un prélude à la participation à la gloire du Seigneur lors de la
transformation finale de la parousia. L’idée d’une tension entre la mort et la résurrection peut être
résolue ou atténuée si, comme l’a soutenu Bruce33, on pense que dans la conscience du croyant mort il
n’y a aucune intervalle entre la disparition et la vêture parce qu’il est désormais sorti de la condition
terrestre marquée par la succession temporelle.
Finalement, nous ne pouvons pas éviter la question concernant le langage présent dans les deux
passages, qui a conduit plusieurs interprètes à supposer un dualisme de teneur hellénistique (dont
parlent aussi des textes juifs du premier siècle) dans la pensée de Paul. Pour notre part, nous avons
démontré en 2 Co 5,6-8 et Ph 1,23 l’absence de référence à l’état intermédiaire avec la dichotomie
âme-corps et nous avons reconnu la provenance du vocabulaire paulinien. La similitude de langage
par rapport aux sources hellénistiques ne suppose donc pas celle du contenu. Quant à nous, nous

31
Cf. Larry J. KREITZER, « Intermediate State », p. 440.
32
«“L’essere con Cristo” nella morte, infatti, è una reale anticipazione di quella esistenza gloriosa, che troverà il suo
vertice nella risurrezione finale con il corpo celeste»: Giovanni. ANCONA, Escatologia cristiana (Nuovo corso di
teologia sistematica, 13), Brescia, Queriniana, 2003; 22007, p. 106.
33
Frederick F. BRUCE, Paul. Apostle of the Heart Set Free, Carlisle UK, Paternoster; Grand Rapids MI, Eerdmans,
1977; 22000, p. 312, n. 40.
croyons qu’ici, comme dans d’autres passages de ses lettres, l’Apôtre se sert de manière créatrice des
modèles littéraires venant de son origine hellénistique afin de communiquer efficacement l’Évangile
aux destinataires qui, comme les Corinthiens et les Philippiens, sont pénétrés de cette culture34.

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Rome

SOMMAIRE
La contribution présente analyse les textes de 2 Co 5,6-8 et de Ph 1,23 que certains exégètes
considèrent comme preuve d’une affirmation paulinienne de l’état intermédiaire et de l’immortalité de
l’âme. Le point de départ de notre étude, prémisse à la plausibilité de notre hypothèse, est une
attention au milieu juif du premier siècle d’où provenait Paul, milieu auquel on doit des textes
apocalyptiques témoignant de la croyance en un état intermédiaire pour les justes entre la mort et la
résurrection avec la séparation de l’âme et du corps. L’analyse exégétique, d’abord de 2 Co 5,6-8 puis
de Ph 1,23, lus à l’intérieur de leur contexte, révèle toutefois l’absence de cette position chez Paul. La
conclusion de l’étude montre quand même la particularité des deux passages par rapport au reste du
corpus paulinien quant à leur perspective individuelle post mortem et de leur langage d’origine
purement hellénistique.

SUMMARY

34
Nicolaus WALTER, «Hellenistische Eschatologie», p. 64, conclut son article en soutenant que, pour 2 Co 5, il est
opportun de parler d’une eschatologie paulinienne, non pas hellénisée (hellenisierte), dérivant d’autres eschatologies,
mais hellénisante (hellenisierende), c’est-à-dire inculturée par Paul au milieu des destinataires afin de pouvoir les
rejoindre par la prédication.

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