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Abstract
This article develops a hypothesis concerning the structuration of the Apocalypse, underlining its heuristic character. The
hypothesis takes its inspiration in the recapitulation system (Victorinus) for the groups of seven seals and trumpets (Rev 4
: 1 – 11 : 19). On the other hand, it develops a chiastic structure for the combat and the defeat of the dragon, the two
beasts of Babylon (Rev 12 : 1 – 10 : 15). At last comes the final vision (Rev 21 : 1 – 22 : 5) which constitutes the summit
and the interpretative key for the last book of the Christian Bible.
Résumé
Cet article développe une hypothèse de structuration de l’Apocalypse en soulignant son caractère heuristique. Elle
s’inspire du système de récapitulation (Victorin) pour les septénaires des sceaux et des trompettes (Ap 4,1 – 11,19). En
revanche, elle développe une structure chiastique pour le combat et la défaite du dragon, des deux bêtes et de Babylone
(Ap 12,1 – 20,15). Suit enfin une dernière vision (Ap 21,1 – 22,5) qui constitue le sommet et la clé d’interprétation du
dernier livre de la Bible chrétienne.
Focant Camille. La structure et l’interprétation de l’Apocalypse de Jean. Une proposition. In: Revue théologique de
Louvain, 44ᵉ année, fasc. 4, 2013. pp. 518-538;
doi : 10.2143/RTL.44.4.2999887
https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2013_num_44_4_4168
La structure et l’interprétation
de l’Apocalypse de Jean
Une proposition
1
Ce texte reprend une partie d’une conférence donnée au Collège Belgique, à
Bruxelles, le 18 février 2009.
2
La question de l’ampleur des persécutions des chrétiens en Asie Mineure sous
Domitien reste discutée. Leur caractère général est notamment contesté dans un
article récent par C. R. KOESTER, «Revelation’s Visionary Challenge to Ordinary
Empire», dans Interpretation 63, 2009, p. 5-18. Selon cet auteur, les lettres aux
Églises ne témoignent d’une hostilité ouverte que localement, à Smyrne et à Philade-
phie. Le danger pour les autres Églises est plutôt celui d’être assimilées par la culture
dominante ou encore de se laisser corrompre par les richesses, dans le cas de
Laodicée. Si les visions semblent témoigner d’un combat plus général, c’est à partir
de la question théologique: «Qui est le vrai maître de ce monde?». Pour Jean de
Patmos, c’est évidemment le Dieu créateur et son Agneau vainqueur, tandis que le
mal, Satan, enrage de se voir condamné. Selon Koester, l’Apocalypse reste bien un
appel à résister. Mais ce à quoi il faut résister, c’est moins la persécution que l’assi-
milation politique et religieuse ainsi que la corruption par l’argent. Un point de vue
semblable est défendu dans la même revue par D. R. BARR, «John’s Ironic Empire»,
dans Interpretation 63, 2009, p. 20-30.
STRUCTURE ET INTERPRÉTATION DE L’APOCALYPSE 519
3
Si l’Apocalypse est si critique par rapport à Rome, quel est son rapport avec le
judaïsme? Il est assez remarquable qu’on n’y parle pratiquement pas des Juifs. La
seule exception se trouve dans la lettre à l’Église de Smyrne en 2,9: «Je connais tes
épreuves et ta pauvreté – tu es riche pourtant – et les diffamations de ceux qui
usurpent le titre de Juifs – une synagogue de Satan plutôt!». Certains lisent dans ce
verset une pique anti-juive d’une effroyable dureté, une sorte de condamnation sans
appel. C’est oublier que la synagogue de Satan n’est pas, selon le texte, le rassem-
blement des Juifs, mais bien de ceux qui usurpent le titre de Juifs. Qui sont ces
usurpateurs? Quelques versets plus haut, en 2,2, dans la lettre à l’Église d’Éphèse,
on parle aussi d’usurpateurs: «Je connais ta conduite, tes labeurs et ta constance; je
le sais, tu ne peux souffrir les méchants: tu as mis à l’épreuve ceux qui usurpent le
titre d’apôtres, et tu les as trouvés menteurs». En reliant cela à la violente critique,
en 2,14.20, de ceux qui mangent les idolothytes, les viandes sacrifiées aux idoles, une
critique qui tranche singulièrement avec la position plus souple de Paul (refus des
idolothytes en 1 Co 10,14-22, mais discussion plus large et position plus ouverte au
chapitre 8: cela n’a pas d’importance, mais mieux vaut s’en priver pour ne pas cho-
quer les faibles), l’hypothèse a été émise par Dominique Cerbelaud (dans la série
L’apocalypse sur Arte) que la synagogue de Satan désignerait les craignants-Dieu
convertis par Paul, ce dernier usurpant le titre d’apôtre. En ce cas, l’Apocalypse serait
une œuvre judéo-chrétienne (point de vue largement admis) polémiquant violemment
contre les communautés pagano-chrétiennes pauliniennes (ce qui est moins évident).
Cela pourrait donner un sens nouveau à une expression de R. BULTMANN qui m’a
longtemps surpris. Selon lui, l’Apocalypse représente «ein schwach christianisiertes
Judentum» (Theologie des Neuen Testaments [Uni-Taschenbücher, 630], Tübingen,
Mohr Siebeck, 5e éd., 1965, p. 525-526). Sur le fond, je ne crois pas cela juste, vu
l’importance donnée à l’Agneau debout comme immolé dans l’Apocalypse (voir
E. LOHSE, «Wie christlich ist die Offenbarung des Johannes?», dans ID., Das Neue
Testament als Urkunde des Evangeliums. Exegetische Studien zur Theologie des
Neuen Testaments [Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen
Testaments, 192], t. 3, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2000, p. 191-205). Mais
l’intuition peut-être juste, c’est que l’Apocalypse est l’œuvre non seulement d’un
judéo-chrétien, mais d’un judéo-chrétien très opposé à ce qu’un païen puisse entrer
dans la communauté chrétienne sans conversion au judaïsme. L’hypothèse d’identi-
fier la synagogue de Satan de 2,9 à une communauté de chrétiens pauliniens reste
tout de même très hasardeuse. R. MÜLLER-FIEBERG, «Paulusrezeption in der Johannes-
offenbarung? Auf der Suche nach dem Erbe des Apostels im letzten Buch des
biblischen Kanons», dans New Testament Studies 55, 2009, p. 83-103 (88-89) a
probablement raison de lire l’allusion à la synagogue de Satan en 2,9 et 3,9 comme
une calomnie à l’égard des Juifs, les chrétiens étant considérés comme les Juifs
véritables.
520 C. FOCANT
4
Pour une revue des attentes déçues, voir A. WAINWRIGHT, Mysterious Apoca-
lypse: Interpreting the Book of Revelation, Nashville, Abingdon Press, 1993,
p. 47-103.
5
«Nec requirendus est ordo in apocalypsi, sed intellectus requirendus» (VICTORIN
DE POETOVIO, Sur l’Apocalypse [Sources chrétiennes, 423], traduit et commenté par
M. DULAEY, Paris, Cerf, 1997, VIII,2).
6
De civitate Dei, XX,17: «Et in hoc quidem libro cuius nomen est apocalypsis
obscure multa dicuntur, ut mentem legentis exerceant, et pauca in eo sunt, ex quorum
manifestatione indagentur cetera cum labore, maxime quia sic eadem multis modis
repetit ut alia atque alia dicere videatur, cum aliter atque aliter haec ipse dicere ves-
tigetur». («Et dans le livre intitulé Apocalypse, il y a de nombreuses paroles obscures
pour tourmenter l’esprit du lecteur; et il y en a peu d’assez claires pour dévoiler la
signification d’autres même au prix d’un effort. C’est surtout parce que l’auteur
répète les mêmes choses de manières différentes de sorte qu’on a l’impression d’avoir
à faire à des sujets différents, alors que, à l’analyse, il parle des mêmes sujets de
manière différente»).
STRUCTURE ET INTERPRÉTATION DE L’APOCALYPSE 521
sceaux et des trompettes, mais pas pour les trois autres septénaires7.
La structuration de 4,1 – 22,5 pose de gros problèmes, au point que
certains parlent d’un chaos. Je suis donc bien conscient du caractère
hypothétique de la présentation que je vais donner pour la partie cen-
trale du livre8. Mais je m’inscris dans la ligne de ceux qui ne se
résignent pas au chaos apparent de ce texte et qui cherchent malgré
tout son principe d’organisation, «la ‘logique’ sui generis qui a pu
présider à l’agencement des matériaux»9. Cette structure n’est donc
pas davantage qu’une hypothèse de travail. Mais elle a un mérite
heuristique en offrant des pistes d’interprétation pour des textes sou-
vent énigmatiques. Avant d’aborder l’étude de cette difficile partie
centrale, je voudrais examiner ce qui la précède et ce qui la suit.
7
Pour d’autres propositions de stucturation, voir A. YARBRO COLLINS, The Com-
bat Myth in the Book of Revelation (Harvard Dissertations in Religion, 9), Missoula,
Scholars, 1976, p. 19; E. SCHÜSSLER FIORENZA, «Composition and Structure of the
Revelation of John», dans Catholic Biblical Quarterly 39, 1977, p. 344-366 (364);
J. LAMBRECHT, «A Structuration of Revelation 4,1 – 22,5», dans ID. (éd.), L’apoca-
lypse johannique et l’Apocalyptique dans le Nouveau Testament (Bibliotheca Ephe-
meridum Theologicarum Lovaniensium, 53), Gembloux, Duculot – Leuven, Univer-
sity Press, 1980, p. 78-104 (p. 85-86), qui entend visualiser mieux qu’il ne l’avait fait
lui-même les conclusions de U. VANNI, La struttura letteraria dell’Apocalisse
(Aloisiana, 8), Rome, Herder, 1971. Dans une autre perspective, M. V. LEE, «A Call
to Martyrdom: Function as Method and Message in Revelation», dans Novum Tes-
tamentum 40, 1998, p. 164-194, croit pouvoir proposer une structure chiastique
détaillée de l’ensemble de l’Apocalypse.
8
A. YARBRO COLLINS, The Combat Myth, p. 8, souligne à juste titre l’absence de
consensus sur la structure de l’Apocalypse, avançant même qu’il y a presque autant
de propositions de plans qu’il y a d’interprètes. Pour sa part, J. LAMBRECHT, «A
Structuration of Revelation 4,1 – 22,5», p. 103, s’élève contre ce relatif pessimisme
et souligne que sa structuration n’est pas «just one more subjective enterprise».
9
M. GOURGUES, «‘L’Apocalypse’ ou ‘les trois Apocalypses’ de Jean?», dans
Science et Esprit, 35, 1983, p. 297-323 (298).
522 C. FOCANT
qui a les sept esprits de Dieu et les sept étoiles» (3,1); «le Saint,
le Vrai, celui qui a la clef de David, celui qui ouvre de telle sorte
que personne ne ferme, celui qui ferme de telle sorte que personne
n’ouvre» (3,7); «l’amen, le témoin fidèle et vrai, le commence-
ment même de la création de Dieu» (3,14).
c) Le corps de la lettre commence par un examen de la situation tou-
jours introduit par o˝da («je connais»); le complément du verbe
est à cinq reprises «tes œuvres» (sou tà ∂rga); dans les deux
autres cas, c’est la détresse ou le lieu de résidence de l’Église qui
est l’objet de la connaissance du Christ. La suite consiste en une
série de conseils principalement de persévérance, incluant parfois
la promesse d’une récompense, mais aussi souvent des reproches
assortis d’invitations à la conversion et parfois de menaces.
d) Si le début de chaque lettre attribue celle-ci au Christ, à la fin de
chaque lettre, son auteur semble plutôt être l’Esprit. En effet, la
même formule est toujours reprise: «Que celui qui a des oreilles
écoute ce que l’Esprit dit aux Églises (au pluriel)».
e) Avant ou après cette formule, il y a également une promesse au
«vainqueur», à savoir celui qui aura traversé victorieusement
l’épreuve de la persécution. Ces promesses prennent différentes
formes en lien plus ou moins clair avec le contenu de la lettre, mais
surtout presque toujours en lien avec la finale de l’Apocalypse qui
en constitue le sommet, à savoir la vision du monde nouveau
(21,1 – 22,5). Voici le contenu de ces promesses:
– 2,8 (Éphèse): «Au vainqueur, je donnerai de manger de l’arbre
de la vie qui est dans le paradis de Dieu». L’allusion au jardin
d’Eden de Gn 2,9 est patente, mais surtout on retrouve ce thème
en Ap 22,2 (voir aussi 22,14).
– 2,11 (Smyrne): «Le vainqueur n’a rien à craindre de la seconde
mort». Il est question de cette dernière en 21,4.8 (voir aussi
20,6.14);
– 2,17 (Pergame): «Au vainqueur, je donnerai de la manne cachée
et un caillou blanc; sur ce caillou est écrit un nom nouveau que
personne ne connaît, sinon celui qui le reçoit». Ces données
sont mystérieuses11 et le seul rapport qu’on puisse établir avec
la fin de l’Apocalypse se situe dans l’idée de nouveauté.
11
Pour la manne cachée, on pense généralement à la petite quantité de manne
déposée en réserve dans la tente de la rencontre (Ex 16,32-34 [voir He 9,4]). Selon
524 C. FOCANT
pas le bâtiment qui intéresse l’auteur, mais bien le sanctuaire, cœur de la présence
divine.
526 C. FOCANT
car souvent l’Esprit Saint, après avoir conduit son discours jusqu’à la
fin des derniers temps, revient de nouveau aux mêmes périodes et
complète ce qu’il avait dit plus brièvement. Dans l’Apocalypse, il ne
faut pas chercher un ordre, mais du sens»13. Chaque septénaire apporte
des éléments différents, mais l’hypothèse est qu’il parle toujours du
même sujet vu sous des facettes diverses. On ne se trouve donc pas
devant un développement narratif linéaire. Certes les derniers cha-
pitres donnent une vision symbolique de la Fin, mais les chapitres
précédents ne présentent pas une chronologie des événements avant-
derniers. Cela me paraît en tout cas vrai pour les septénaires des
sceaux et des trompettes. Dans cette section, il est donc possible de
discerner deux scénarios apocalyptiques:
a) Le septénaire des sceaux (4,1 – 8,1). Le septénaire proprement dit
est précédé par une louange céleste, centrée d’abord sur Dieu célé-
bré par la cour céleste (chapitre 4), puis sur un Agneau debout
comme immolé qui reçoit de Dieu un livre scellé de sept sceaux
(chapitre 5). Dans la culture de l’époque, le sceau était utilisé par
des personnages importants pour marquer leur propriété sur des
choses, des écrits, des animaux, voire aussi des êtres humains.
Dans l’Apocalypse, le fait que le livre soit sept fois scellé souligne
à la fois son authenticité – c’est le livre de Dieu – et son caractère
secret. Il renferme un message d’importance capitale, mais on ne
peut lire que quelques lignes de ce rouleau écrit recto et verso. Jean
se désole de ce qu’on ne puisse l’ouvrir. Mais le message n’est pas
scellé en vue de n’être jamais lu; il l’est plutôt pour en réserver la
lecture à celui auquel il est destiné. Finalement, le seul qui peut
l’ouvrir, c’est un Agneau comme immolé qui partage toute la puis-
sance (sept cornes) et toute la connaissance (sept yeux) de Dieu.
C’est à lui et en lui qu’est donnée toute la révélation du message
de Dieu. L’ouverture des sceaux proprement dite se déroule de 6,1
à 8,1. La rupture de chaque sceau apporte un élément neuf de révé-
lation. Le lecteur y découvre trois éléments: dès le départ, une
assurance de victoire (le cavalier blanc) et d’alliance avec Dieu
(l’arc du premier cavalier); ensuite une description des fléaux tra-
giques les plus communs à l’expérience humaine, à savoir la
13
Traduction du texte latin édité par J. HAUSSLEITER, Victorini Episcopi Peta-
vionensis Opera, Leipzig, Freytag, 1916, p. 86. Cette traduction est celle de
M. GOURGUES, «‘L’Apocalypse’ ou ‘les trois Apocalypses’ de Jean?», p. 302.
STRUCTURE ET INTERPRÉTATION DE L’APOCALYPSE 527
14
Pour une présentation détaillée des éléments parallèles, voir M. GOURGUES,
«‘L’Apocalypse’ ou ‘les trois Apocalypses’ de Jean?», p. 307-311.
15
C’est pourquoi je ne pense pas qu’il faut considérer le chapitre 7 comme une
intercalation, ainsi que le propose J. LAMBRECHT, «A Structuration of Revelation 4,1
– 22,5», p. 85 et 95-96. Son interprétation est la suivante: «With both its pericopes
[7,1-8.9-17] the author of Rev intended to interrupt the narrative of the seals just
before the last seal is broken, in order to pay attention to the protection of the perse-
cuted Christians and also to the actual situation of the martyrs» (p. 96). Une telle
interprétation est valable pour 7,1-8 qui se déroule sur terre, mais pas pour 7,9-17 qui
est manifestement une scène céleste avec Dieu et l’Agneau siégeant sur le trône.
528 C. FOCANT
16
L’expression est de M. GOURGUES, «‘L’Apocalypse’ ou ‘les trois Apocalypses’
de Jean?», p. 310.
17
Il pourrait y avoir une allusion indirecte supplémentaire, si on identifie le petit
livre (biblarídion, double diminutif: «opuscule») ouvert, doux et amer du cha-
pitre 10 avec l’Évangile.
18
Déjà touffu, le texte se complique encore par le surgissement en 8,13 d’un aigle
qui annonce trois malheurs juste avant la cinquième sonnerie de trompette. En 9,12,
il est précisé que les fléaux déclenchés par cette cinquième sonnerie correspondent
au premier malheur et que deux autres viennent ensuite. La mention en 11,14 que «le
deuxième malheur est passé» ne permet guère son identification précise. Et le même
verset annonce que «le troisième malheur vient bientôt», mais il n’en sera jamais
question par la suite. Cela peut difficilement être la septième trompette qui donne le
signal d’une louange céleste.
19
Le premier fléau (8,7), la grêle, correspond à la septième plaie d’Égypte (Ex
9,23-26); le deuxième (8,8-9), l’eau de la mer changée en sang, à la première plaie
(Ex 7,20-21); le quatrième (8,12), les ténèbres, à la neuvième plaie (Ex 10,21-23);
le cinquième (9,1-11), les sauterelles, à la huitième plaie (Ex 10,12-15); le sixième
STRUCTURE ET INTERPRÉTATION DE L’APOCALYPSE 529
(9,12-21), la mort des humains, correspond plus ou moins à la dixième plaie (Ex
12,29-30, mort des premiers-nés). L’origine du troisième fléau, la chute d’un astre,
nommé Absinthe (c’est un symbole, nul ne connaissant d’astre portant ce nom), est
moins évidente: on cite souvent Is 14,12 et Jr 9,14; 23,15; dans les deux textes de
Jr, l’absinthe est liée à l’eau empoisonnée et elle évoque sans doute «l’amertume que
mérite l’idolâtre», selon P. PRIGENT, L’Apocalypse (Lire la Bible, 117), Paris, Cerf,
1998, p. 95.
20
Selon J. LAMBRECHT, «A Structuration of Revelation 4,1 – 22,5», p. 96, le
contenu du petit livre est plutôt dévoilé dans la mensuration du temple et l’aventure
des deux témoins en 11,1-13. De nouveau, je ne trouve pas probante son interpréta-
tion selon laquelle 10,1 – 11,13 serait une intercalation (voir p. 86 et 96-97). Par
ailleurs, contrairement à ce qu’il prétend, 11,15-19 fait partie du septénaire des trom-
pettes et n’a rien d’une introduction à… une grande intercalation des chapitres 12 -14
(!), puis ensuite seulement au septénaire des coupes à partir du chapitre 15.
530 C. FOCANT
juive). Certains ont pensé à Pierre et Paul. Mais c’est peut-être trop
précis. En tout cas, ces témoins semblent bien accomplir le minis-
tère prophétique confié à Jean (11,7.10 à rapprocher de 10,11).
C’est pourquoi, la plupart du temps on y voit «la personnification
de la mission prophétique»21 de l’Église, une mission qui va
jusqu’à une mort des disciples comparable à celle en croix de leur
maître (11,8), non sans une association aussi à sa résurrection
(11,11-12). (d) Après le délai, l’évocation du triomphe final sur-
vient en fin de septénaire (11,15-19), tout comme dans le septé-
naire des sceaux22 (7,9-17). Cette fois, on n’y présente plus les
morts en train d’être jugés, mais on assiste à la proclamation céleste
de la réalisation du jugement (11,18). Et le verset final (v. 19) dit
le sens de cet achèvement: le temple du ciel s’ouvre et l’arche
d’alliance apparaît. C’est dire que le dessein divin arrive à son
terme. Tel est bien, en effet, le sens de la septième trompette selon
10,7: «Aux jours où l’on entendra le septième ange, quand il com-
mencera de sonner de sa trompette, alors sera l’accomplissement
du mystère de Dieu (êtelésqj tò mustßrion toÕ qeoÕ), comme
il en fit l’annonce à ses serviteurs les prophètes». On sait que,
selon 2 M 2,8, l’arche de l’alliance cachée par Jérémie dans une
grotte du mont Nébo doit être à nouveau manifestée à la fin des
temps. C’est ce qui se réalise avec la septième trompette et cela
figure l’alliance, la communion entre Dieu et les fidèles enfin par-
venue à son achèvement.
21
P. PRIGENT, L’Apocalypse, p. 114.
22
Toutefois, l’évocation du triomphe final est ici déclenchée par la septième son-
nerie de trompette (11,15), alors que, dans le septénaire précédent, elle survient avant
l’ouverture du septième sceau.
STRUCTURE ET INTERPRÉTATION DE L’APOCALYPSE 531
Quels sont les motifs pour considérer les chapitres 12,1 – 20,15
comme un ensemble? D’abord, il convient de remarquer une coupure
assez nette entre les chapitres 11 et 12. On a noté depuis longtemps
que la sonnerie de la septième trompette pourrait constituer une finale
idéale pour l’Apocalypse23: le jugement des morts a été prononcé et
l’alliance définitive établie (11,18-19). Qu’attendre de plus? Et pour-
tant l’action rebondit, pourrait-on dire, au chapitre 12, et avec des
acteurs pour une bonne part nouveaux ou présentés sous une figure
nouvelle: la femme et le dragon, les deux bêtes, Babylone, la grande
prostituée. Si une section nouvelle commence au chapitre 12 avec le
combat du dragon contre la femme, son enfant et le reste de sa des-
cendance, elle semble bien se terminer au chapitre 20 avec la défaite
finale du dragon, «qui est le diable et Satan», précipité dans l’étang
de feu et de soufre, la seconde mort. Le seul autre endroit24 où l’on
parle de ce dragon est lors du versement de la sixième coupe en 16,13,
au beau milieu de cette section. On y décrit son action: de sa bouche
et de celle de ses complices (la bête et le faux prophète) sortent des
esprits de démons accomplissant des prodiges et rassemblant des poli-
tiques (des rois) pour le combat du grand jour du Dieu tout-puissant.
À partir de cette observation, je fais l’hypothèse de la structure
suivante:
A L’action du dragon (12,1-18)
B L’action des deux bêtes (13,1-18)
Intermède: chant par les 144.000 qui suivent l’Agneau
d’un chant nouveau (14,1-5)
C L’annonce du jugement de Babylone et des adorateurs de la
bête25 et l’annonce de la moisson de la terre (14,6-20)
D Les signes avant-coureurs de ce jugement avec les
sept fléaux et les sept coupes de la colère de Dieu
(15,1 – 16,21)
23
Voir M. GOURGUES, «‘L’Apocalypse’ ou ‘les trois Apocalypses’ de Jean?»,
p. 301-302.
24
Le mot drákwn n’apparaît que dans l’Apocalypse et nulle part ailleurs dans le
Nouveau Testament. On l’y trouve à treize reprises: 12,3.4.7[2≈].9.13.16.17;
13,2.4.11; 16,13; 20,2. Je considère les mentions du chapitre 13 comme un prolon-
gement du chapitre 12: les deux bêtes poursuivent l’action du dragon qui intronise
d’ailleurs la première, tandis que la seconde parle comme lui.
25
Ap 14,8-9.
532 C. FOCANT
26
ö lógov toÕ qeoÕ (Ap 19,13).
27
C’est le même mot spérma qui est employé en Gn 3,15 (LXX) et Ap 12,17.
28
Qui est sans doute une figure du peuple de Dieu.
29
Il est en effet décrit comme celui «qui doit mener paître toutes les nations avec
une verge de fer», (poimaínein… ên Åábdwç sidjr¢ç), des mots du Ps 2,9 qui les
applique au Messie (xristóv, v. 2).
STRUCTURE ET INTERPRÉTATION DE L’APOCALYPSE 533
30
Avant le récit de cette victoire (20,7-12), il y a le passage curieux sur l’enchaî-
nement de Satan et le règne du Christ et de ses témoins ressuscités pendant mille ans
(20,1-6), époque qui précède le jugement dernier. Il a donné lieu à des supputations
dites millénaristes. On a attendu (et parfois on attend toujours) avec plus ou moins
d’effervescence le millenium, un règne de mille ans de bonheur terrestre. Un des
millénaristes les plus célèbres est Joachim de Flore qui divisait l’histoire humaine en
trois périodes: le temps du Père qui coïncide avec l’AT, le temps du Fils (celui du
NT et du début de l’Église) et le temps de l’Esprit et des hommes spirituels parfaits
(le millenium) précédant la résurrection finale. Depuis St Augustin, l’attente millé-
nariste a été battue en brèche, et l’interprétation traditionnelle lit, malgré toutes les
difficultés d’interprétation que cela pose, le règne de mille ans comme l’expression
symbolique du temps de l’Église commençant avec le Christ, le temps de ceux qui
sont déjà ressuscités par le baptême. L’histoire du millénarisme en christianisme a
fait l’objet d’une intéressante conférence de Jean Delumeau (http://www.lycee-
chateaubriand.fr/cru-atala/publications/delumeau_milenarisme.html).
31
Ce chiffre a évidemment donné lieu à de multiples interprétations tendant à
stigmatiser ceux qui étaient considérés comme l’incarnation absolue du mal: l’empire
romain, Hitler, la papauté… Le chiffre ne peut être décodé que par la méthode géma-
trique ou numérologique: il exprime le total des valeurs chiffrées des lettres grecques
ou hébraïques, désignant ainsi tel ou tel personnage. Aucune solution n’a l’assenti-
ment de tous. Dans le contexte, il s’agit toutefois probablement de l’empereur. Et on
a remarqué que si on translittérait en hébreu, le titre grec de Ka⁄sar Nerwn, une
des translittérations possibles (QSR NRWN) aboutit, en fonction de la valeur numé-
rique des lettres hébraïques à 666 (100 + 60 + 200 +50 + 200 + 6 + 50). Raisonnant
à partir du latin, quelques (rares) copistes n’ont pas hésité à transformer le chiffre de
534 C. FOCANT
666 (êzakósioi êzßkonta ∂z) en 616 en remplaçant êzßkonta par déka, ce qui
correspond à la forme latine de César Néron (Caesar Nero) translittéré en hébreu
(QSR NRW) (100 + 60 + 200 +50 + 200 + 6). Cette interprétation est notamment
proposée par B. M. METZGER, A Textual Commentary on the Greek New Testament,
Londres – New York, United Bible Societies, 1971, p. 752.
32
Cette ordonnance commune et le rapport avec les plaies d’Égypte sont bien mis
en valeur dans le tableau comparatif entre les septénaires des sceaux, des trompettes
et des coupes, dressé par J. LAMBRECHT, «A Structuration of Revelation 4,1 – 22,5»,
p. 89-90.
STRUCTURE ET INTERPRÉTATION DE L’APOCALYPSE 535
33
Le grand jour de Dieu est annoncé avec force cataclysmes dans la plus pure
tradition apocalyptique. Mais, même si cette délectation dans la terreur peut être
déplaisante, il faut noter que l’auteur ne s’y laisse pas totalement emporter. En 16,15,
il brise un instant son élan vengeur pour annoncer ce qui reste la nouvelle essentielle:
le salut qui vient comme un voleur et il faut veiller pour être prêt pour l’accueillir.
Mais aussitôt la fureur reprend ses droits.
34
Voir aussi le fait que le nom de Babylone est écrit sur le front de la prostituée
(17,5). Le fait qu’elle siège au bord de grandes eaux (17,1) et sur sept collines (17,9)
oriente l’interprétation vers Rome.
35
Texte inspiré de Ez 27 – 28.
536 C. FOCANT
p. 231-245 (233). Toutefois, comme il adopte une structure en trois parties, Prigent
parle de trois éclairages prophétiques et non de deux.
38
Texte repris à la préface écrite par P. RICŒUR au livre de R. BULTMANN, Jésus.
Mythologie et démythologisation, Paris, Seuil, 1968, p. 19.
39
P. PRIGENT, L’Apocalypse, p. 205.
40
Dans un chapitre intitulé «Du jardin d’Éden à la Jérusalem céleste», A. WÉNIN,
La Bible ou la violence surmontée, Paris, DDB, 2008, p. 169-191, retrace un parcours
biblique sur la ville, bref mais suggestif.
538 C. FOCANT
CONCLUSION