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1) Un gangsta rap

a) Les caractéristiques de musicalité propres au gangsta rap


Le gansgta rap doit être très musical. En effet le rap est toujours accompagné de musique. La
musicalité rend le rap facile à mémoriser sans support écrit comme les aèdes retenaient les
textes homériques. Rares sont les rappeurs qui publient une version écrite officielle de leurs
raps. Les raps sont retranscrits par les auditeurs. C’est pour ces raisons que parfois des
versions divergent. Le rap est une forme culturelle transmise par l’oral dans une société où
l’écrit prime. Booba explique ce choix dans son rap « 92I Veyron », « les vainqueurs
l’écrivent, les vaincus racontent l’histoire ». Booba épouse le sort des vaincus. Dans le cas du
rap, l’oral est une solution qui permet de dépasser la suprématie de l’écrit et l’emprise de
certaines populations sur d’autres. Ainsi le rap permet de faire surgir une vérité historique,
une version différente de l’Histoire véhiculée par les institutions publics (école, musées, tv
publique) qui communiquent essentiellement à l’écrit.
Les cinq premiers vers de 5G présentent une assonance en [e] et [u]. « Des migrants, des
amazones et pas de jésus voilà où on en est, j’peux même pas dire que j’suis déçu, j’m’en bats
les couilles en vrai ». Les rimes servent à mettre certains mots en valeur, ainsi ils marqueront
plus la mémoire des auditeurs. Les mots mis en valeur sont : "Jésus", "est", "déçu", "vrai",
"effets" et "faits". "effets" et "les faits" forment une rime riche qui rend le texte encore plus
agréable à écouter et plus facile à retenir.
« J’ai le casier des gens, j’aime bien avoir les faits » : En premier, on note un rythme binaire
très rationnel car le vers coupé en deux par une virgule. C’est une juxtaposition de deux
propositions. La répétition de la première personne et l’assonance en [e] participent à la
grande musicalité et rythmicité du texte. Booba insiste sur le fait que pour juger il ne s'attache
pas qu'au texte "casier" trop virtuel, mais qu'il « aime bien » voir concrètement ce qui est :
"les faits". Le modalisateur « bien » prouve qu’il s’agit bien d’une attitude du locuteur. Ainsi
Booba se permet de juger les comportements après avoir analysé les faits concrets. Il est
encore une fois question du matérialisme caractéristique du gangsta rappeur qui ne croit que
ce qu’il peut expérimenter ou percevoir.
On remarque des groupes de vers qui « sonnent » ensemble avec une répétition de sons. On
note un premier groupe où le son [a] domine « des migrants … d’Oussama » puis un groupe
où le son [i] domine «  les GI’s… vie que la nuit » et un dernier où le son [e] prévaut « Le
cordonnier… savent tout c'que j'fais ». Les sons [a,e,i] en français sont les trois phonèmes
vocaux qui représentent les occurrences les plus fréquentes avec [a] 8,1%, [e] 6,5% et [i]
5,6% en français1. Le choix de façonner des assonances avec les sons les plus utilisés en
français illustrent le fait que Booba fait de la poésie avec un matériaux simple c’est-à-dire les
mots de tout le monde, tous les jours. Dans son rap Soldats, Booba affirme que « Réussir c'est
faire un costume d'une serpillière ». On peut interpréter le terme « réussir » comme produire
une poésie de qualité c’est s’emparer d’une langue modeste voire dénigrée et l’illustrer
comme Joachim du Bellay ou Rabelais l’on fait avec le français vernaculaire au XVIème
siècle.

1
Bernadette GROMER et Marlise WEISS :
Lire, tome 1 : apprendre à lire - Armand Colin - 1990
Certains couples de vers se détachent particulièrement. A titre d’exemple on peut se pencher
sur le vers : « J'suis dans l'vaisseau spatial, carré, y a qu'un bouton
Ton vote vaut rien, mouton, devant la loi martiale » les deux vers riment fort ensemble.
« Spatial » et « martiale » ouvrent et ferment la période. « Bouton » et « mouton » forment
une rime riche. Le type de rime sur ces deux vers est A B B A mais il ne se limite pas aux
rimes finales. Le rap français, est beaucoup plus libre que la poésie quant à l’usage des rimes
mais cela n’empêche pas que les réseaux de rimes soient complexes.
b) La tonalité martiale dans le gangsta rap
Le gangsta rap de Booba Tout d’abord on note le ton martial et polémique qui se caractérise
par l’utilisation de proverbe originaux que Booba crée tel que « la facture de la vie c’est pas
celle de Numéricâble » avec le présent de vérité générale. Booba nous rappelle ainsi que nos
erreurs aujourd’hui seront autant de difficultés que nous laissons aux générations futures. Un
héritage ne doit pas être pris à la légère. Le champ sémantique autour de la guerre participe du
ton martial, on peut lire « charger les canon » ou encore « on a perdu ». On comprend qu’il
existe une opposition entre deux camps ceux qui ont gagné « France-Afrique, Chine-
Afrique » et ceux qui ont perdu. Ceux qui ont perdu c’est le camp de l’Afrique qui se libère
du joug de la France (et tous les autres pays colonisateurs) pour tomber sous le joug de la
Chine. Le ton est franchement belliqueux dans le vers n°12 qui est une incitation à "charger
les canons, prendre la mer devient inévitable".
Dans le gangsta rap deux camps s’opposent. Le rappeur reconnait ses « frères » et ses
ennemis. Booba se retrouve dans une relation fraternelle avec les gens qu’il aime. Booba
n’arrive pas avoir de relation en demi-teinte comme l’amitié ou la camaraderie. Soit on est
son frère soit on est son ennemi. Le sens de la fraternité chez les gangsters provient de la
fraternité entre chrétiens. En effet le gangsta rap est né aux Etats-Unis au sein de populations
majoritairement chrétiennes. Booba se compare au moyen d’un paradoxe aux frères Kouachi
car il avance « j’suis pas Kouachi » mais au vers d’après qu’il ne reconnait « que [ses] frères »
à l’image des frères Kouachi intensément liés par la fraternité jusque dans la mort. Il s’agit
d’une comparaison en creux avec les frères Kouachi qui prend forme dans une opposition car
bien qu’il ne cautionne par leurs crimes, il estime avoir le même sens de la fraternité que les
frères Kouachi. Le gangster a tout intérêt à s’entourer de frères et pas d’amis ou de
connaissances car à cause de ses affaires illégales et souvent controversées ses ennemis sont
nombreux donc il doit se protéger et s’entourer de personnes sûres. Les frères Kouachi ont
commis des crimes ensemble, enhardis par leur fraternité, ils savaient qu’ils pouvaient
compter l’un sur l’autre, ils sont partis vers une mort certaine ensemble. Rappelons que la
fraternité est une valeur que les citoyens français sont sensés développer entre eux : "liberté,
égalité, fraternité". En ce sens Booba est un bon français. Plus loin dans notre rap rap Booba
lance un « 92I c’est la famille faut pas toucher » dans cette hyperbole Booba évoque le 92i qui
le nom du groupe d'artistes que B2O a créé et qu'il promeut et produit. Ils sont pour lui
beaucoup plus que de simples collègues ou partenariats professionnels, c'est sa famille. Le
gangsta rappeur comme les gangsta ont cette valeur de la fraternité à cœur.
Quant aux ennemis, Booba n’en manque pas. A la fin du rap il n’oublie pas de lancer une
petite pique à maitre Gims, son ancien collaborateur « Ils ont allumé l'projecteur, quelque
chose me dit qu'c'est la moula, Pas d'bail de dromadaire, ça stream sans Maluma ». On peut
relever le jeu de sonorités la moula/ Maluma qui riment en « a ». Dans ce vers Booba dit qu’il
n’a pas besoin de collaboration avec Maluma, un chanteur très célèbre, pour que ces raps aient
du succès. Le jeu de sonorités fait Gim’s passer pour un artiste intéréssé par la richesse et
l’influence de Maluma. Le featuring ne serait « quelque chose me dit » pas une authentique
collaboration artistique mais une manœuvre pour que Maitre Gim’s atteigne le public de
Maluma et inversement. Les « bails de dromadaire » sont pour Maître Gims l’opportunité
d’apporter de l’exotisme dans son travail pour attirer l’attention des auditeurs. Le dromadaire
est un symbole, une métonymie de l’exotisme dans notre rap. Booba avance ne pas avoir d’un
tel exotisme pour gagner le cœur des amateurs de rap. Le terme « bail » est un terme familier
synonyme de « plan » ou « stratégie ». Booba se moque de Maître Gims en l’accusant
d’élaborer une stratégie « voyage et exotisme » pour gagner l’attention des auditeurs. Booba
se compare à maître Gims le terme comparatif est sous-entendu par le pronom présentatif « ça
stream sans Maluma ». Booba présente sa création artistique comme indépendante du succès
d'un autre artiste avec qui il aurait besoin de collaborer. Les « bails de dromadaire » sans
doute font référence à un pays du nord de l'Afrique où se serait rendu Gims. Le dromadaire
évoque une idée de lointain et d'exotisme. Booba sous-entend ainsi que maître Gims a besoin
d'aller loin et donc de faire beaucoup d'effort, pour gagner un peu d'inspiration. Booba accuse
maître Gims d’avoir besoin d’être en featuring avec un autre artiste pour bénéficier de son
auditoire et ainsi remporter un peu de succès au moment de la publication du rap qui paraitra
exotique et dépaysant.
La mention d’armes et de méthodes violentes est aussi une caractéristique du gangsta rap.
Plutôt que de parler d’une sépulture marine pour Oussama ben Laden Booba préfère utiliser le
verbe « jeter » et dire que les « GI ‘s l’ont jeté à l’eau » comme on « jette » un déchet. On ne
peut pas nier le malaise que l’on ressent à lire qu’un mort est « jeté ». Mais ce type de rituel
funéraire sans lieu de sépulture fixe sont aussi utilisé dans le milieu du banditisme pour faire
disparaitre des hommes dans le fils « Il Camorrista » on jette les restes humains aux cochons
pour les faire disparaitre. La violence réside dans le fait que la famille ne peut se recueillir
nulle part. La famille doit-elle payer pour les erreurs de son proche criminel ?
c) Le gangsta rap une arme intellectuelle

le gangsta rap de Booba incite à réfléchir par la porte de l’humour et permet au rappeur de
donner son opinion, même politique par l’insulte. Le gangsta rap est une arme intellectuelle
mise au point par et pour que les afro-américains contraints de survivre par des activités
économiques illégales. C’est comme les bijoux et les montres de luxe une manière de blanchir
l’argent du gang. C’est ce sens que Booba y va de son conseil. En restant dans le champ
sémantique des armes et du banditisme Booba s’exclame « Faut plus braquer ». En effet
aujourd’hui les braquages de convoyeurs de fonds dans la vraie vie n’ont plus lieux. Les
braqueurs braquent les banques et les richesses en ligne. Le métier a changé. Pour braquer et
dérober des biens en ligne il faut être un pirate et savoir « encoder », « faut plus braquer, faut
encoder ». Les temps changent aujourd’hui il « faut encoder ». Booba enjoint qu'il ne "faut
plus braquer" pour rétablir l'égalité sociale comme un Robin des bois. Le gangster doit lui
aussi évoluer avec son temps. Il faut garder à l’esprit que le gangsta rap est une banque de
savoir prodiguées aux populations qui n’ont pas facilement accès aux cursus classiques pour
s’instruire. Les méthodes des bandits des années 80 et 90 ne sont plus efficaces aujourd’hui.
Quand est né le gangsta rap les populations afro américaines marginalisées a cause de leur
couleur de peau avaient de difficultés pour s’insérer dans le monde du travail et en particulier
dans les métiers les plus prestigieux. C’est ainsi qu’une partie des afro américains pour
survivre ont dû se spécialiser dans des économies parallèles comme la vente de drogues ou le
proxénétisme. Les gangsters étaient lourdement armés pour protéger leur gagne-pain contre
les violences policières. C’est pour ça que Booba se permet de donner des conseils discrets
aux gangster d’aujourd’hui, il leur conseille de se digitaliser. Le gangsta rap c’est un sous
genre poético-musical qui sert a théoriser les pratiques commerciales des populations
marginalisées afro américaines. Théoriser ces pratiques permet de collaborer avec les gangs
voisins, se transmettre des bonnes pratiques ou encore rationaliser leur pratique avec des
données chiffrées précises. Le gangsta rap est une pratique d’empowerment des populations
les plus opprimées. En dehors du rap de Booba on peut évoquer le gangsta rap Grisaille  de
Werenoi dans lequel on comprend que la drogue arrive par tonne unique soit dans une voiture
« faut toucher la tonne, toucher la lune ». L’injonction est rendue d'autant plus percutante
avec l'omission d’« il ne » de l'injonction impersonnelle "il (ne) faut pas". Ces omissions
participent au style très purifié et brutal de Booba.
Dans le gangsta rap on parle de sexe ouvertement. En effet né dans les années 90, le gangsta
rap bénéficie de la libération sexuelle qui a eu lieu dans les années 70 et 80. La libération
sexuelle dans les milieux afro américains modestes peut aussi s’expliquer par une distance
mise avec la religion chrétienne qui a permis et justifié l’esclavage. Dans notre rap Booba dit
n’avoir que ses enfants et ses « cojones ». Ses « cojones », « couilles » en espagnol, forment
une métaphore pour désigner son courage de rapper sur des sujets brûlants et souvent d’avoir
une opinion à contre-courant comme dans notre rap le sujet des frères Kouachi. Booba
exprime son mépris par un « j’m’en bats les couilles » à la place d’un sobre « je m’en fiche ».
Même si Booba ne parle pas vraiment de sexe dans ce rap c’est déjà osé de parler de ses
testicules dans un chant destiné au grand public. Il faut que la langue du gangsta rappeur
dérange, interpelle, sinon celle-ci n’est pas écoutée. Il faut garder à l’esprit que le gangsta rap
est né dans des communautés qu’on n’écoutait pas à cause de leur couleur de peau. Un rap
plein de violence, de sexe et gros mots est sûr d’être entendu ne serait-ce que pour être décrié
et accusé de tous les malheurs du monde comme la misogynie ou d’inciter à la violence.
d) La femme entachée par le péché originelle mais vulnérable comme l’Homme
Les femmes, par qui est venu le péché originel, sont un motif récurrent dans le gangsta rap. La
femme est souvent associée au Mal. Les femmes sont représentées comme manipulatrices,
matérialistes, traitresses et allant vers le plus offrant. Booba évoque les « amazones » de « me
too » dans son rap mais ne leur porte aucun soutien comme si leur cause n’était qu’un feu de
paille et pas un réel mouvement qui va changer la société en profondeur. En effet le sexisme
comme le racisme sont des anomalies structurelles dans nos sociétés. Un simple phénomène
sur internet, mouvant comme la mode ne suffit pas à réparer notre société qui est
profondément misogyne. Le gangsta rap porte en lui les stigmates de notre société misogyne.
Dans notre rap on peut extraire « T'vois la tchoin d'hier soir, qui veut revenir, annule-la ». Le
terme « tchoin » désigne une femme légère en nouchi, argot utilisé en Côte d’Ivoire. Ce qui
nous intéresse dans ce vers c’est que Booba demande à décommander cette prostituée comme
si c’était un colis. La violence réside dans le fait que la femme est réifiée. L’auditeur et
l’auditrice peuvent s’identifier à cette femme. La violence dans le gangsta rap et en particulier
la violence contre les femmes permet à l’auditeur et au rappeur s’humilier. L’auditeur
s’adonne comme à un exercice de mortification en écoutant du gangsta rap car il sait qu’il
sera confronté à de la violence sous toutes ses formes (verbale, physique ou psychologique).
La démarche d’humiliation provoquée par le gangsta rap est héritée de la religion chrétienne.
A l’image de Jésus qui a souffert pour l’humanité, nous devons souffrir pour mieux ressentir
que nous sommes vivants et mieux nous tourner vers les autres. Le gansgta rap est un exercice
de contemplation dans lequel on observe le monde pour mieux le comprendre et mieux
comprendre ses inégalités et injustices. Le rap, depuis ses débuts, a été créé pour exprimer des
réalités tristes, douloureuses ou inavouables. Ce processus de mortification par l’empathie
provient sans doute des origines chrétiennes du rap. Dans notre rap le christianisme est
évoqué par « pas de jésus » que Booba lance pour déplorer combien les hommes se détourne
des vraies vertus et valeurs. L’excès de virilité présent dans notre rap avec des propos tels que
« mes cojones » et la misogynie qui exsude du « nique sa mère » et du « tu vois la tchoin ».
Cet excès de virilité rappelle la société dans laquelle nous vivons qui est une société
favorisant les hommes mais elle rappelle aussi les caractéristiques des héros de comics. Le
virilisme dans les comics peut s’interpréter comme une parodie du machisme, une mise à
distance du machisme. Cette lecture peut s’adapter au gangsta rap. En effet le gangsta rap
humilie la femme comme étant une « tchoin », l’auditeur empathique souffre de cette
deshumanisation et ainsi s’humilie. Cette misogynie grossie à la loupe permet à l’auditeur de
mieux en voir le caractère injuste et violent.
e) L’évocation du racisme et de l’inégalité
Le rap dès l’origine à servit à dénoncer le racisme car il est né dans une Amérique raciste et
divisée dans les années 70. Le rap et le gangsta rap sont génétiquement programmé à des fins
politiques. Dans notre rap Booba évoque d’entrer de jeu les inégalités en parlant des
« migrants » en tête de son premier vers. En pleine crise sanitaire, les populations qui ont le
plus souffert sont les plus vulnérables et parmi elles, les populations de migrants. Victime
d’une traite humaine contemporaine, leur sort est souvent caché derrière des discours racistes
et « invasioniste » propagés par les médias. Pour les populations les plus précaires « La
chance dit qu'elle arrive, elle est même pas partie ». Cette personnification de la chance en fait
une entité menteuse. La chance comme le mérite semblent des concepts qui ne concernent pas
tout le monde de manière égale. Le migrant n’a pas de chance, même s’il a du mérite, il doit
subir sa migration. Le thème de la chance se retrouve régulièrement chanté par les Aloua et
les Gnawa du Maroc. Souvent ceux-ci se plaignent de ne pas avoir eu de chance. Si vous en
avez des exemples, n’hésitez pas à nous les transmettre.
2) L’évocation de la Traite et de la colonisation : le devoir de Mémoire
a) La Traite des noirs puis le racisme
Quand Booba chante, les thèmes de l’esclavage et de la haine raciale ne sont jamais loin.
Dans notre poème Booba utilise une métaphore pour évoquer l’esclavage : « Quand le jeu
dure trop longtemps, c'n'est plus un jeu ». La métaphore met sur le même plan le « jeu » et le
sort des Hommes réduits en esclavage. En effet si le « jeu » que constitue la domination des
Hommes blancs sur les Hommes noirs dure plus de quatre siècles alors il est temps d’arrêter
car « c’n’est plus un jeu » c’est devenu autre une réalité et un rapport de force. L’esclavage
puis le racisme apparaissent comme les conséquences d’un jeu qui a mal tourné entre
plusieurs joueurs. On ne peut pas s’empêcher de rapprocher le jeu/sort (esclavage et racisme)
de Booba du jeu (pièce de théâtre) métaphore représentant la vie chez Shakespeare. Pour
Shakespeare la vie est une pièce de théâtre, pour Booba le destin des Hommes noirs est
comme un mauvais jeu (jouer une pièce de théâtre), un jeu inégal et inéquitable. Shakespeare
et Booba dépeignent la vie comme une représentation fausse, pleine d’illusions et limitée dans
le temps. Dans sa métaphore Booba explique que l’esclavage des Hommes noirs a pris la
forme d’un « jeu » qui n’est autre chose que le jeu de l’Histoire et des rapports de force au
moment de l’avènement du capitalisme comme modèle économique au XVIII ème siècle. Aux
Etats Unis l’esclavage a été suivi d’une longue période de ségrégation puis d’une longue
période où le racisme s’épanouit qui dure jusqu’à aujourd’hui. En France, ce n’est qu’après la
seconde guerre mondiale que les français ont pu vivre avec les citoyens issus de l’Empire
colonial français comme le Maroc le Sénégal ou l’actuel Viet Nam. Les autorités justifiaient
la colonisation par la volonté d’aider d’autres peuples à « progresser ». Ainsi la propagande
autour de l’empire colonial diffusée notamment à l’école participe jusqu’à aujourd’hui au
sentiment de supériorité raciale de certains européens. Rappelons-nous que sous l’empire
coloniale, des pseudo scientifiques s’étaient attelé à démontrer que les européens étaient
supérieur physiologiquement aux autres populations en s’appuyant sur des données
anthropométriques. On parle de physiognomonie, de phrénologie ou de « science de la race »
du début du XXème siècle. Ces idées sont très liées à l’eugénisme de certains courants
politiques extrémistes. Ces pseudo-sciences ont servi à mettre un vernis scientifique sur des
méthodes politiques pour assujettir des Hommes.
Les populations africaines noires étaient décrites comme les plus proches du singe. Les
pseudos scientifiques ont tenté de faire croire que les hommes noirs étaient comme une
version primitive et dégradée de l’espèce humaine. Ces idées vivent encore de nos jours. C’est
pour cette raison que Booba clame être : « d'une autre espèce animale ». En effet si une partie
de l’espèce humaine exclue les hommes qui lui ressemble, alors en réaction Booba refuse de
faire partie de cette espèce qui a réduit en esclavage ses congénères. Sans doute Booba sous-
entend faire partie d’une autre espèce animale supérieure à l’espèce humaine qui est rappelons
entachée par le péché originel d’Eve et Adam et de l’esclavage dont nous payons les
conséquences jusqu’à aujourd’hui. La réponse artistique de Booba qui consiste à s’approprier
le discours raciste afin de le détourner en sa faveur est une arme contre le racisme que toute
personne victime de racisme peut mobiliser en cas d’agression. Le gangsta rap est une banque
d’arguments pour réfléchir et se défendre contre les mécanismes du racisme. Par exemple, si
on est insulté comme membre d’une sous race, on peut répliquer que c’est mieux que de faire
partie d’une race maudite depuis la chute du jardin d’Eden.
b) « Le rejet le mépris des colonies c’est ce que l’on vit » Les derniers seront les premiers,
rap de Booba
Après la colonisation, les nouvelles formes de colonisation sont apparues. Des formes plus
sournoises donc plus difficiles à faire reconnaitre. On peut citer à ce titre l’appropriation
culturelle ou l’exploitation inéquitable des richesses de l’Afrique. Les rachats de ports en
grande majorité par la Chine en Afrique (le Collier de perles) ou l’exploitation des mines de
cobalt en République démocratique du Congo dans des conditions inhumaines et opaques se
sont développées. Ce même cobalt une fois importé en Europe, Amérique et Asie sera recyclé
comme une matière locale, ainsi jamais cette richesse ne profitera au territoire d’où elle a été
extraite. Les problématiques sanitaires avec le développement du saturnisme et le travail
proche de l’esclavage, risquent de rendre les populations locales incapables à l’avenir de
parler et de nous rappeler ce vol de minéraux 2. On a l’impression que le continent africain
passe d’une tutelle à une autre. « Peu importe l'ampleur des dégâts, mama ne baisse jamais les
bras
Mais France-Afrique, Chine-Afrique, on a clairement perdu, les gars (perdu, les gars) ». Dans
ce vers Booba décrit un continent qui continue de se battre pour obtenir sa liberté mais qui
reste entravé (comme un esclave) par son passé. Le champ lexical du combat « baiser les
bras », « on a perdu » illustre bien ce combat pour la liberté du continent africain exploité,
saigné de ses richesses.
Le gangsta rap est un discours qui sert à rappeler aux hommes qu’ils sont tous égaux parce
qu’ils ils sont tous égaux face à la mort. En ce sens le gangsta rap est une réponse aux
politiques eugénistes et aux idées racistes qui ont créé des inégalités entre les Hommes.
L’égalité des hommes face à la mort se caractérise par l’évocation d’armes à feu et la
représentation d’armes et de violence : « Pistolet en l'air, y a pas d'droitier, y a pas
d'gaucher ». On peut l’entendre comme « y a pas de noir, y a pas de blanc », « y a pas de riche
y a pas de pauvre », « y a pas de jeune, y a pas de vieux » mais aussi il n’y a pas de division
politique gauche/droite. Le « pistolet en l’air » ne voit aucune des différences que les hommes
portent comme des signes fondamentaux. Les interprétations de cette alternative sont
nombreuses. Dans un deuxième temps on peut réfléchir sur le fait de prendre les armes. En
effet les jeunes afro américains des quartiers les plus défavorisés se sont armés après plusieurs
siècles de violences interraciales, qui semblent dans les années 70 ne jamais finir. C’est en
réaction, entre autres, aux pendaisons d’hommes noirs lors de lynchage injustes au début du
XXème siècle aux Etats Unis, à l’assassinat de Martin Luther King et de Malcolm X, que les
jeunes noirs des quartier pauvres sortaient armés. Tout au long du XXème siècle des tensions
raciales héritées de la Ségrégation ont tourmenté l’Amérique. Les jeunes afro-américains
étaient armés pour se protéger et pour se défendre notamment contre les violences policières
racistes. Être armé a aussi permis à certains gangs de se développer et d’attaquer si leurs
activités économiques étaient menacées par des gangs rivaux ou la police. C’est pour défendre
leur gagne-pain que les gangsters afro américain se sont armés. Durant le XX -ème siècle aux
Etats Unis les Afro-américains rencontraient des difficultés qu’un Américain blanc ne
connaissait pas pour accéder à des professions éminentes comme la médecine, la magistrature
ou même la police à cause du racisme systémique dans nos sociétés. C’est dans ce cadre
sociétal que l’image du gangster apparaît en littérature avec le gangsta rap qui exalte son
personnage de justicier. Le premier artiste a avoir été dénommé ainsi par les journalistes est le
rappeur Ice T. En effet dès le début le gangsta rap a dérangé à cause de ses positions
politiques et de ses paroles considérées comme trop misogynes ou trop violentes.
Les vers 10 et 11 fonctionnent ensemble et cristallisent l'attention des auditeurs. Ces deux
vers chantent l'Afrique et sa triste condition. Booba évoque le courage de sa mère, l'Afrique,
par une catachrèse "ne baisse jamais les bras". En effet malgré la Traite des noirs, la
colonisation, les épidémies, les famines, les sécheresses, la corruption et les guerres intestines
l'Afrique demeure et son peuple est toujours prêt à se battre pour elle et à la chanter. "Mama"

2
Reportage « Cobalt : l’envers du rêve électrique » de Quentin Noirfalisse et Arnaud Zajtman sur la chaine
ARTE. 2023
terme quasi universel signifiant "maman" dans de nombreux langues africaines ou non, est ici
l’allégorie de l’Afrique. C'est une reprise du topos littéraire du "Mother Africa", berceau de
l'humanité, connu grâce au reggae. Les vers 10 et 11se répondent par les rimes en "a". Ces
deux vers sont rendus particulièrement percutants par l'assonance en "a". On a choisi le "A"
de "Afrique" mais rappelons le, "a" c'est la première lettre de l'alphabet, c'est la lettre qui
commence de nombreux alphabet tels que le grec ou l'arabe. On peut interpréter cette
assonance comme une façon de rappeler que l’Afrique est le berceau de l’humanité, que c'est
le continent le plus riche du monde, le plus envié, et surement le premier continent où les
Hommes ont développé le langage, la science et la technique. "Françafrique, Chine-Afrique"
c'est l'histoire d'une domination remplacée par une autre. En effet après que l'Europe et en
particulier la France ait exploité l'Afrique comme un gâteau pendant plusieurs siècles, c'est au
tour de la Chine qui aujourd'hui profite de la fragilité des institutions politiques africaines
pour coloniser l'Afrique en achetant des ports et autres infrastructures. "Décolonisation",
"révolutions arabes" ne sont que des illusions, le colon a simplement changé de nationalité.
"Les gars" et "on" désigne de manière familière les compatriotes africains. Ainsi B2O entre en
connivence avec ses auditeurs et en particulier ses auditeurs compatriotes africains. Sa
musique est un chant proche du cœur des hommes. Booba s'adresse à nous en tant qu’homme
humble descendant d'un groupe ethnique bafoué et maltraité jusqu'à aujourd'hui.
"Clairement perdu" laisse croire que B2O parle de l'épanouissement de l’Afrique comme du
résultat d'un match de foot, sport très apprécié en Afrique en Europe, surtout dans les
catégories socio-professionnelles modestes. En effet la bourgeoisie européenne (France,
Grande Bretagne, Espagne, Belgique), historiquement, a utilisé l’Afrique comme un terrain de
jeu pour se partager et exploiter les richesses. Jusqu’à aujourd'hui quand la France intervient
au Mali c'est pour défendre ses intérêts et donc gagner à un jeu de domination et de rapports
de force en Afrique. Jusqu'à aujourd'hui certains européens vont en Afrique soit pour
délocaliser des emplois difficiles et dangereux qui en France leur reviennent trop cher soit
pour le tourisme. Des faits divers choquants ont mis en valeur le tourisme sexuel. En effet des
citoyens belges et français se sont fait arrêtés pour avoir recouru à des prostitués mineurs au
Maroc. On se rappelle tous d’Hannibal Lecter a la fin du silence des agneaux part en Afrique
pour commettre les crimes pour lesquels il était poursuivi aux États Unis.
c) Les actualités et l’injonction à se former une opinion politique

Booba prétend mépriser les hommes et leurs tords « j’men bats les couilles en vrai » à cause
du fait que les populations, en pleine crise de la Covid ne se tournent pas vers des valeurs
sûres. S’il méprise vraiment nos tords pourquoi les mentionne-t-il ? Sans doute parce que nos
erreurs font réfléchir Booba et il nous incite à y réfléchir aussi. Booba se consterne face à
l’attitude globale des citoyens dès que la crise sanitaire a commencé. En effet les médias
français n’ont pas cessé de développer au sujet « des migrants des Amazon » mais à aucun
moment n’ont inciter les français à la solidarité et à la fraternité, une valeur de la République.
Bien au contraire en pleine crise sanitaire les médias ont continué à attiser la haine envers les
étrangers. D’un côté Interpol publiait au sujet de la complexité du problème des migrations
d’hommes en temps de pandémie « La traite d’êtres humains, que ce soit aux fins
d’exploitation sexuelle ou de travail forcé, est déjà difficile à détecter en temps « normal ». La
nouvelle pandémie de coronavirus ne fait que la plonger un peu plus dans l’obscurité, ainsi
que ses victimes, éloignant encore la possibilité de détection et de sauvetage de ces dernières.
 Les restrictions mises en place pour combattre la pandémie pourraient avoir des effets
sur le marché légal des services sexuels, y compris en ligne.
 Du fait des conséquences économiques actuelles de la pandémie, davantage de
personnes risquent de devenir des victimes. »3 le 11 juin 2020

Le média « valeurs actuelles » faisait craindre aux plus xénophobes d’entre nous une
« explosion des flux de migrants vers l’Europe » soit une invasion4 le 15 mai 2020. Le terme
d’« explosion » est une image qui laisse penser une augmentation rapide du nombre de
personnes en direction de l’Europe. Plu sobrement le journaliste aurait pu intituler son article
« hausse des flux de migrants vers l’Europe ». Mais c’est délibérément qu’il a préféré utiliser
l’image très négative de l’« explosion » car elle est associée dans notre imagination à
l’explosion d’une bombe (celle du terroriste) ou l’explosion de contenants de produits
dangereux.

L’ambiance est dramatique car deux images nous sautent à la gorge. Ce sont les images
frappantes d’Oussama ben Laden et de Ben Ali. Oussama évoqué familièrement par son
prénom seul pour sous-entendre que tout le monde est capable de le reconnaitre, est représenté
ici comme « jeté à l’eau ». Cette fin est très théâtrale car la sépulture marine est rare de nos
jours et elle est en général réservée aux marins. On comprend que les « GI’s » ont procédé à
cette opération pour éviter qu’un culte prenne forme autour d’Oussama ben Laden à la tête de
l’attentat mortel des tours jumelles le 11 septembre 2001. En effet il parait paradoxal et
surprenant dans notre monde où l’on perçoit plus d’images que de textes, où l’on impose des
images à des fins commerciales, on n’ait pas pu avoir d’image de la « fin » de l’ancien ennemi
public n°1, « pas d’photo du corps d’Oussama ». En effet en 2011 année de la mort
d’Oussama Ben Laden le IPhone 4 et 4S sont sortis. Ces smartphones dotés d’appareils à
photo de grande qualité permettaient à quiconque d’enregistrer tout ce qu’il veut. En somme
on a l’impression qu’on on nous montre certaines images, on en dissimule d’autres pour
orienter notre pensée. Sur internet, les images fausses, vraies, montées, décontextualisées
pullulent. Il devient de plus en plus difficile de faire la différence entre une information
pertinente, scientifique et une information erronée. Booba nous invite à réfléchir sur la qualité
des informations, image ou texte, que nous recevons au quotidien à travers les différents
médias.
L’allusion à ben Ali l’ancien président tunisien parti avec sa femme hâtivement au moment du
printemps arabe fait appel à l’imagerie autour du conte d’Ali baba et les quarante voleurs. En
effet outre le fait que le président et le personnage principal du conte ait le même nom, ils une
manière en commun « [vider] les coffres ». La description en deux temps, exprimée au
présent et rythmé par la ponctuation forte d’une virgule « On vide les coffres, on s'réfugie
comme Ben Ali » fait voir à l’auditeur le modèle à suivre. C’est ironiquement que Booba
présente Ben Ali comme un modèle à suivre avec la comparaison « comme Ben Ali ».
L’imagerie digne des Mille et une Nuit suffit à décrédibiliser cette solution égoïste et
impraticable. Pour finir sur le thème du banditisme Booba suggère une solution par humour.
Pour lui la solution est d’imiter le peu scrupuleux Ben Ali « comme Ben Ali », ancien
président tunisien, quand le printemps arabe a éclaté. On peut dans un premier temps croire

3
https://www.interpol.int/fr/Actualites-et-evenements/Actualites/2020/L-impact-du-COVID-19-sur-le-trafic-
de-migrants-et-la-traite-d-etres-humains
4
https://www.valeursactuelles.com/societe/deconfinement-vers-une-explosion-des-flux-de-migrants-en-
europe
que le gangsta rappeur exalte la figure du bandit que représente Ben Ali en volant quelques
pièces en or pour assurer sa fuite. Bien entendu Booba va plus loin. Booba nous fait croire que
pour fuir une actualité angoissante avec du terrorisme, une pandémie et une épidémie
d’intoxes sur internet, il faudrait voler un maximum de richesse et s’enfuir. Voler quelles
richesses ? Où sont ces richesses ? S’enfuir où ? C’est l’impasse dans laquelle nous nous
trouvons et qui nous fait comprendre que cette solution n’en est pas une vraie. Booba se
moque du comportement peu professionnel de l’ancien président Ben Ali et nous invite à
réfléchir sur le comportement de cet ancien homme politique et sur nos comportements à nous
actuellement.
La représentation des actualités nous offre une réflexion sur notre société actuelle. Booba
nous décrit une société en mutation et anxiogène. Il nous décrit une société où les inégalités se
creusent en évoquant diverses actualités. En pleine pandémie on entendait aussi du bruit au
sujet de « me too » un mouvement qui a eu lieu en ligne depuis 2017. C’est un mouvement de
solidarité entre femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Dans le rap de Booba on
entend [amazɔn] donc l’ambiguïté reste présente et on peut croire que Booba pendant la covid
entendait parler des « migrants des [amazɔn]», la fameuse Gafam qui a profité de l’ennui des
populations pendant les confinements pour les faire consommer. Selon le magazine capital
« Un chiffre d'affaires en hausse de 40% à près de 89 milliards de dollars et un bénéfice net
qui double à 5,2 milliards : Amazon apparaît comme le grand gagnant de la pandémie pour le
deuxième trimestre 2020. »5. Pendant la crise sanitaire, Booba dit entendre parler
abondamment « Des migrants, des Amazon » énumération binaire qui nous reproduit le bruit
de la télé ou de la radio pendant la crise sanitaire. En effet pendant la crise de la covid a part
une prétendue invasion de migrants comme en parle Marianne dans son hors-série de juin
2021 « Immigration, vague ou tsunami » et la fortune grandissante du géant Amazon on n’a
pas entendu parler de l’essentiel comme la solidarité, l’entraide, les soins, la fraternité, la
chaleur humaine ou le partage. Bien au contraire la crise de la covid renforcée par les théories
du complot a rendu les hommes égoïstes et paranoïaques. « Amazon » peut aussi être entendu
comme « amazones » car en effet de nombreux mouvements féministes ont fait du bruit avant
pendant et après la crise d la covid. Des mouvements féministes comme me too ou balance
ton porc.
Booba évoque aussi la 5G mise en route en 2020 et qui a beaucoup effrayé les complotistes.
En effet de nombreuses rumeurs ont couru d’après lesquelles la cinquième génération de
réseaux mobiles servirait à contrôler les Hommes. 5G, titre de notre rap peut aussi évoquer les
cinq grammes de cocaïne pure que Booba nous offre dans ce rap. L’ambiguïté est évidente
avec le G de grammes que les vendeurs de drogues ne mentionnent pas pour pas se faire
arrêter. En effet dans un message si on commande 5G ça ne veut rien dire alors que cinq
grammes on se doute qu’il ne s’agit pas de fruits ou d’or, par élimination on comprend qu’il
s’agit de substances illicites
Booba évoque le fait divers du journal Charlie Hebdo qui a été victime d’un attentat. Cet
attentat a provoqué de nombreuses manifestations de compassion avec le « je suis Charlie ».
Perpétré par des islamistes, cet attentat a permis a des mouvements racistes et islamophobes
de se rapprocher des populations qui ont manifesté leur compassion afin de mettre le trouble
dans l’esprit des gens en mélangeant islam et islamisme, arabe et islam, immigration et arabe
5
Capital avec l’agence France presse le 31/07/2020 à 9h23 : https://www.capital.fr/entreprises-marches/ces-
incroyables-profits-damazon-pendant-la-pandemie-1376861
et immigration et islam. C’est ce titre que Le pin s’est permis de faire tout un article sur ce
que pensent les musulmans en particulier (et pas les bouddhistes) sur les attentats. Ils se sont
interrogés en présupposant que leur réponse, leur désapprobation ne serait pas évidente.
Comme si un musulman pouvait naturellement cautionner les attentats perpétrés par des
islamistes, des fanatiques de religions capables de tuer des hommes voir des enfants avec pour
seules justification leurs idées erronées. « Charlie Hebdo : cinq ans après, quel regard portent
les musulmans sur les attentats ». Selon un sondage Ifop dévoilé mardi 1er septembre, 82 %
des Français musulmans condamnent l'attentat de « Charlie Hebdo » par LePoint.fr (avec
AFP) Publié le 01/09/2020 à 21h14. On a presque envie de leur répondre ironiquement « mais
c’est extraordinaire ! comment avez-vous deviné cette évidence ? ». C’est ainsi que dans les
moments où l’horreur atteint son paroxysme, où tous les hommes devraient se soutenir, ils se
divisent et se heurtent.
d) L’opinion politique de Booba : une République bananière qui ne connait pas l’égalité entre
les citoyens
La catachrèse du "mouton" est utilisée ici pour désigner les citoyens qui votent. Booba ne
semble pas croire à la démocratie car les votes ne valent rien selon Booba « ton vote ne vaut
rien mouton devant la loi martiale ». Booba estime que nous sommes régis par une loi
martiale comme sous une dictature militaire. La « loi martiale » c'est aussi une manière de
parler de notre société de plus en plus sécuritaire où nous sommes sans cesse pistés. Booba
cherche sans doute à soulever les problématiques de la démocratie, du sécuritarisme, de la
protection de la vie privée « traqué, ces enculés savent tout ce que je fais » dit-il dans son
refrain. "Martial" vient du nom du dieu latin « Mars, martis » dieu de la guerre. Cette
référence au dieu latin participe à la tonalité martiale de ce rap. Booba se sent dans
l’obligation de se préparer à une guerre pour se défendre « charger les canons devient
inévitable ». L’infinitif en tête de vers met en valeur l’action qui doit être mise en branle pour
se sauver. Une guerre pour la postérité car « la facture de la vie n’est pas celle de
Numéricâble ». La tonalité martiale du rap de Booba concrétise l’opinion politique de Booba
de façon absolue. Le gangsta rappeur, souvent noir comme dans notre cas, impose au public
son opinion politique. Rappelons-nous que le gangsta rap est né aux états unis au moment où
les afro-américains venaient d’obtenir leurs droits civiques après un long et sanglant combat.
Les afro américains ont pu exercer leur droit de vote à partir de 1965 par le Voting Acts
Rights. Le gangsta rap est une manière d’exprimer des opinions politiques pour certaines
populations bâillonnées. En effet le gangsta rap est une arme intellectuelle pour la mémoire et
pour l’analyse des événements contemporains. Les populations afro américaines aux Etats
Unis et immigrées en France invisibilisées et dénigrées dans les médias classiques, utilisent
l’art du rap et du gangsta rap pour parler et réfléchir autour de la politique. C’est ainsi qu’on
comprend pourquoi le rap et le gangsta rap sont des musiques dénigrées et qu’on les accuse de
favoriser la violence, de détourner la jeunesse vers les armes et la drogue, de propager le
sexisme, même si ce dernier était déjà bien développé dans nos sociétés bien avant la
naissance du rap et du gangsta rap.
Booba avoue ne pas être formé et être inquiet quand vient le temps d'affronter les
changements dû aux nouvelles technologies "j'vais encoder rien du tout". Booba rappelle son
diplôme modeste mais en dépit duquel il s’est illustré dans le milieu du rap français « j’ai
l’BEP ». On peut y remarquer un énième uppercut dans le visage de l'éducation nationale qui
n'a réussi qu'a creusé les inégalités plutôt que de les effacer. En effet l'éducation nationale a
produit des individus surdiplômés préparés aux changements et aux évolutions que connaît
notre société. Les personnes ayant eu de longues formations ou études sont favorisés. Au
contraire, d’autres diplômés issus d’études et formations plus courtes sont désarmés pour
affronter ces changements technologiques. Ces diplômés portent les stigmates d'une carence
dans l'éducation et dans l'instruction en France. Le thème de l'école est très présent dans le rap
et notamment dans le rap de Booba. Booba se considère comme un laissé par compte de
l’éducation nationale. « Sur l'formulaire, nique sa mère, j'ai tout coché (j'ai tout coché) »
comme un élève en échec qui face à sa copie essaie de grapiller un maximum des points avec
la chance. L’adverbe « tout » illustre le point de vue toujours extrême de Booba. L’évocation
de ce formulaire peut aussi faire penser à la digitalisation des services des
administrations publiques. Ainsi l’accès aux droits est inéquitable car la maîtrise du
numérique n’est pas universelle. Il faut en plus avoir les moyens de s’offrir un équipement
numérique. Le formulaire souvent en ligne c'est le type de document prérempli que les
administrations françaises établissent pour que tous les citoyens ou presque accèdent à leurs
droits. Malgré l'effort de pré remplissage, les personnes illettrées et ou analphabètes qui sont
nombreuses dans nos sociétés cochent souvent tout donc renseignent mal leurs informations.
On parle d’illectronisme. Même avec une importante instruction il est difficile pour beaucoup
de remplir ces documents. Tous ces efforts de l’administration Booba n’en a cure, il coche
tout comme un citoyen désespéré car de toutes façons il sait qu’il n’aura pas accès à ses
droits.
Le juron "Nique sa mère" démontre l’abandon les procédures d'accès aux droits en route car
inaccessible pour le citoyen moyen. On y trouve un vocabulaire trop jargonneux, des calculs
complexes.

III Le gangsta rap : une revanche contre les racistes et contre l’Histoire
a) Le gangsta rappeur béni : « riche, noir et célèbre » et talentueux

Le gangsta rappeur est riche et il aime le montrer. En effet le gangsta rappeur aime rappeler
que le temps de l’esclavage et de la ségrégation est bien révolu est qu’aujourd’hui il est plus
riche et plus soigné que de nombreuses personnes. Dans notre rap Booba nous rappelle
simplement qu’il a sa « paire d'Gucci aux pieds ». Gucci est une grande marque de produits
divers mais souvent onéreux. La preuve de sa réussite est matérielle contrairement aux
principes proverbiaux qu’il tourne en dérision comme pour se moquer de cet héritage qui ne
nous convient plus. Sa réussite se matérialise par sa "paire de Gucci aux pieds".
La figure du gangsta rappeur est inspirée par certains aspects du super héros des comics. Le
gangsta rappeur chante dans sa poésie héroïque un gangsta toujours surpuissant, courageux et
est toujours dans l’excès. Le rappeur est excessif car il est toujours armé « pistolet en l’air ».
Il est aussi dans l’excès dans sa manière de jurer « nique sa mère ». Il est dans l’excès car soit
il aime soit il hait « que des frères ». Le gangsta rappeur est un peu le super héros qui
représentent ceux que les héros des comics ont peu représentés pendant de longues décennies.
Le gangsta est aussi porteur des valeurs liées à l’honneur. Dans notre rap Booba se moque du
comportement de l’ancien président tunisien Ben Ali qui a lâchement quitté son pays quand le
peuple lui a demandé de rendre des comptes au printemps arabe.
Le gangsta rappeur est un self made man qui a réussi « j’ai ma paire d’Gucci au pieds ». Il est
comme Hercule surpuissant, athlétique et très viril « mes cojones ». Ses super pouvoirs lui
proviennent de sa naissance : « c’est Athéna qui m’allaite » proclame Booba dans son rap
Booba ft Lino dans Temps morts 2.0. Le gangsta rappeur a une panoplie. Dans notre rap il
n’est fait mention que d’une partie de l’uniforme du gangsta. Les chaussures prouvent que
Booba a réussi dans sa société contrairement à d’autres hommes qui n’ont pas les moyens de
les acheter. Le gangsta peut aussi montrer sa richesse par sa montre, ou ses bijoux. Le gangsta
rappeur est le super héros qui représentent et défend des populations sous représentées, les
noirs des quartiers pauvres. Il vient prouver qu’une réussite est possible. Le gansgta rappeur
apporte de l’espoir aux populations les plus défavorisées.
Le gangsta rap est aussi une revanche que prend une population autrefois dénigrée et
humiliée. Dans le cas du rap de Booba il s’agit des populations noires en particulier et plus
largement des populations déportée ou immigrées, « je suis fils d’immigré » extrait de Maman
dort Mokobé ft Booba. En ce sens Booba affirme être « Un roi » qui n’a jamais « vu une fève
coupée en deux »."Un roi" cri isolé par la virgule, posé en tête de vers et le verbe être à la
première personne du singulier sous-entendu rendent ce groupe nominal percutant. En effet
Booba est un roi, c'est le roi du rap français. Booba insiste sur l’indisponibilité du statut de roi
qui ne peut être partagé car on n’a « jamais vu une fève coupée en deux ». C'est une référence
au roi qui gagne la fève lors de l'épiphanie. La référence intra-textuelle au roi de l'épiphanie
est présente dans le rap 92i Veyron « J'ai couronne sur la tête pourtant c'est le voisin qui a eu
la fève ».
b) Booba déconstruit son héritage pour en construire un neuf et valorisant, à la hauteur de son
succès
Le proverbe « Le cordonnier pas forcément le mieux chaussé » et son invalidation qui suit
juste après « Moi, tes proverbes, j'm'en bats les couilles » attirent notre attention comme une
figure de prétérition. Booba aime éclater et réinvestir les proverbes hérités du passé. Dans le
rap Terrain Booba se réapproprie un proverbe français ancien avec un jeu sur les sonorités,
les rimes et le nombre des syllabes qui est identique dans le vrai proverbe et le proverbe
nouveau de Booba. Ainsi ces deux proverbes ont la même valeur de vérité générale : « Faut
battre le fer quand il est chaud, abattre le frère quand il est faux ». Dans notre proverbe du
cordonnier, Booba recentre le discours sur ses chaussures « Gucci » et méprise les vérités
héritées des anciens avec un très familier « m’en bats les couilles ». Les gangsta rappeur
s’inscrivent dans un héritage religieux. En exhibant une toilette excessivement onéreuse le
gangsta rappeur Booba prend le contrepied des saints en haillons comme Sait Benoit-joseph
Labre. Bien que le gangsta rappeur Booba fasse exactement le contraire du saint, soit arborer
un habit de luxe, l’objectif est le même que chez le saint. Il s’agit de choquer pour faire
réfléchir sur la vanité du vêtement qui recouvre des corps tous similaires et égaux. La vanité
de notre appareil est à l’image de la vanité de notre corps, qui nous incarne le temps d’une
vie. De manière plus évidente les gangsta rappeurs affichent un train de vie supérieure à la
moyenne, des apprêts très luxueux, des véhicules de luxe et d’autres formes de sophistication
pour créer une nouvelle image de l’homme noir, beau riche, libre et en excellente santé.
Cependant paradoxalement le gangsta rappeur Booba dit ne reconnaitre que ces deux
richesses « deux enfants, mes cojones, c'est tout c'que j'ai ». Ainsi il ressort que le gangsta
rappeur n’est pas dupe des richesses éphémères de notre monde. Le gangsta rappeur étale ses
richesses pour s’opposer à l’image que les esclavagistes blancs ont créé dans le passé pour
légitimer la Traite des noirs et dont nous avons hérité. Il s’agit de s’opposer à l’image que les
médias racistes, politiciens racistes et autres mécanismes racistes créent sur les personnes
noires d’après lesquels il « Paraît qu'on puait, qu'on était pauvres, le zen' épaté » dit Booba
dans Je me souviens.
Un autre proverbe est déconstruit « C'est pas blessé qu'j'suis l'plus dangereux». Contrairement
aux animaux, surpuissant, Booba peut être très dangereux sans motif. La métaphore animale
fait sortie Booba du règne animal. Booba apparait comme un super héros susceptible d’être
excessivement dangereux. Booba est devenu excessivement dangereux en réaction aux
violences racistes. Le gangsta rappeur crée une image nouvelle de l’homme noir qui n’a plus
une once de la vulnérabilité de l’esclave. C’est devenu un Homme surpuissant, presque
omnipotent avec ses armes et sa richesse importante.
c) Le gangsta rap pour reprendre notre destin en main
Le rap de Booba est aussi une incitation à nous saisir, nous africains, de notre destin c'est
"inévitable" comme « prendre la mer ». Pour ceci il faudra que l'on "[prenne] la mer" dans le
sens inverse que nos aïeux l'ont pris. Selon B2O il est urgent pour nous d'agir « charger les
canons » car la "facture de la vie, c’est pas celle de Numericable". Les enjeux que représente
l'Afrique, l'immigration africaine en France ne sont pas à prendre à la légère c’est pour cette
raison que Booba utilise de manière hyperbolique l’image du chargement des canon pour
signifier le combat qu’on doit mener. C'est à nous africains et afro-descendants d’être
responsables et de reprendre notre sort et le sort de notre continent en main pour la postérité.
Booba n’hésite pas à nous citer deux exemples de réussites éblouissantes « B.A.K.E.L,
demande à Seydou, demande à Ladj Ly » à imiter et à ne jamais oublier.
Une des multiples missions que Booba s’est fixé est aussi de visibiliser et faire entrer
définitivement dans la mémoire populaire les grands acteurs des cultures qui ont été méprisés
et sous-estimés jusqu’à aujourd’hui. L'allusion à la ville de BAKEL est sûrement affective car
c'est une ville sénégalaise. C'est une ville sénégalaise proche du Mali d'où sont originaire
Seydou Keita et Ladj Ly. En effet ce footballeur et ce réalisateur et scénariste n'ont pas réussi
grâce à la chance car celle-ci « n’est même pas partie » mais bien grâce à leur travail, comme
Booba. Booba nous conseille d'aller leur "d'mande[r]" leur secret de réussite. Cette allusion à
Seydou et à Ladj Ly sont aussi des hommages à des Hommes Noirs qui ont réussi avec brio à
faire progresser leurs disciplines respectives et l’humanité. Le gangsta rap sert à écrire,
chanter notre Histoire et nos héros.
d) L’ Egotrip
Booba se montre comme un gangsta rappeur surdoué. Le gangsta rappeur comme le rappeur
se montre. Il crée son personnage invincible artistiquement à travers son rap. Le gangsta
rappeur crée la nouvelle image de l’Homme noir, fort beau, puissant et intelligent. Chaque
rappeur se chante lui-même et se présente comme le meilleur rappeur du monde. C’est en ce
sens que Booba nous confie « Te méprends pas, rapper comme ça, j'le fais quand j'veux ». Le
caractère aléatoire du « quand j’veux » confère à Booba un pouvoir surpuissant de production
de « poème machine à cash ». En effet chaque publication d’un nouveau rap de Booba est
synonyme de centaines de milliers de ventes voire de millions de ventes. Le gangsta rappeur
apparaît comme un super héros capable de générer des millions d’euros ou de dollars à sa
guise, quand il lui prend de composer un rap. Ce vers est aussi une manière de dire que le
talent ne manque jamais à Booba. Il ne connait pas l'angoisse de la page blanche. L’angoisse
de la page blanche c'est un problème pour d’autres artistes mais pas pour le « gangsta rappeur
surpuissant ». C’est une manière de de dire pour les rappeurs souvent issus de milieux
difficiles que le talent est le fruit d’un travail régulier et important. L’inspiration n’est pas
aussi « divine » et magique que les poètes romantiques ont voulu nous faire croire. Le rappeur
a connu la misère, donc il sait être productif sur commande pour gagner de l’argent et survivre
dans cette société qui ne veut pas de lui. Ainsi dans la mentalité des gangsta rappeurs, les
artistes se plaignant de l'angoisse de la page blanche sont soit paresseux soit dépourvus de
talent. Quoiqu’il en soit la production de textes poétiques chez les rappeurs est le résultat d’un
travail quotidien et de grande ampleur.
Même si Booba n'a pas peur de la page blanche, il a quand même une question qui le taraude
« qui va m’arrêter, p’t’être la 5G ». Son succès dure depuis le début des années 2000 et
aujourd’hui Booba semble appréhender la fin de son règne sur le rap français. Peut-être que
les générations les plus jeunes et celles à venir n’accrocheront pas à ses paroles. Peut-être a-t-
il peur de devenir démodé comme il a vu plein d’artistes partir aux oubliettes. Cette question
oratoire peut aussi être lue au contraire comme un affront aux autres artistes car malgré la
mise en route de la 5G en 2020, Booba ne cesse de remporter les meilleurs scores d’écoute sur
les sites de streaming musique comme Spotify ou Apple music et demeure le seul rappeur
français avec une telle longévité au-devant de la scène et le premier rappeur français à remplir
le stade de France pour un concert. Cette question oratoire ne fait que souligner le talent
historique du rappeur Booba. Booba est aussi un rappeur avant-gardiste et gardien du temple
du gangsta rap. Seul dans le vaisseau spacial d’Among Us Booba se sert du bouton unique
pour exclure les imposteurs. « Carré » est une image qui signifie que Booba n’a rien à se
reprocher vu qu’il est parfait comme les quatre côtés du carré. On peut aussi voir cette image
comme un avatar de la traditionnelle tour d’ivoire. Booba prend à cœur la mission d’exclure
du rap français les artistes qu’ils jugent ne pas être à la hauteur dans la discipline du rap.
L’image du vaisseau spatial donne aussi l’impression que Booba se sent en hauteur par
rapport aux autres rappeurs. Booba se sent aussi « dans le futur » car aujourd’hui l’exploration
de l’espace nous semble à tous une mission d’avenir car nous n’avons pas les techniques et les
moyens pour explorer l’espace autant qu’on le voudrait. Booba est un rappeur conscient de
son grand talent et que son rap est avant-gardiste. Booba connait une réussite éclatante. Pour
finir le poème Booba utilise une anaphore ternaire en "c'est". L’anaphore, avec son effet
d’accumulation, sert à démontrer que la réussite de Booba est incontestable car elle est
publiée dans un média très populaire. Booba veut nous faire comprendre qu’il a gagné le cœur
du peuple. L’accumulation donne l’impression que Booba avance des arguments qui prouvent
que son succès est manifeste. En effet l’ampleur de son succès et du caractère puissant du rap
de Booba se mesurent au fait que Booba annonce son concert au stade France dans un
talkshow animé par le présentateur « Hanouna » qui perçoit un « gros salaire » et bénéficie
d’une « grosse audience ». Le concert de Booba au stade de France a été le premier concert à
guichet fermé au stade de France par un rappeur français. Une réussite ne pourrait être
confidentielle aujourd’hui. Booba explique son état d’esprit pour atteindre un tel succès dans
le monde du rap et du « show business ». Booba se présente comme « Mauvais joueur, j'ai
vite fait de tout lâcher (de tout lâcher) T'as capté, on baise tout, on s'fait pas chier (on s'fait pas
chier) ». Pour réussir Booba nous confie son secret : ne jamais accepter l’échec. Cette
sentence est encore plus facile à enregistrer car Booba a travaillé les sonorités en alternant les
sons [u]et [e] dans une longue assonance. La vulgarité « on baise tout, on s’fait pas chier »
marque l’esprit de l’auditeur car le conseil de Booba est absolu, pour réussir on n’accepte pas
l’échec, on tente toutes les solutions pour atteindre son objectif. Hanouna a la réputation de
produire un show très populaire mais totalement vain et creux. Pourtant Hanouna a
régulièrement reçu et promu Booba sur son plateau. Booba et Hanouna semblent amis. Dans
notre rap Booba se vante de n’avoir besoin de l’aide d’aucun autre artiste ni d’aucune forme
d’exotisme pour être invité régulièrement sur l’une des émissions les plus populaire en France
actuellement TPMP animé par Cyril Hanouna. Booba a annoncé son concert au stade de
France publiquement sur le plateau de l’émission TPMP.

II Un héritage littéraire et philosophique varié


Le rap et le gangsta rap sont des descendants des musiques nées au sein de la communauté
afro-américaine, en ce sens il est pertinent de garder en tête les musique d’Afrique car elles
peuvent de lointaine parentes du gangsta rap. Le gangsta rap porte en lui l’histoire de la Traite
mais aussi ce qui l’histoire qui s’est passé avant. Juste avant le rap des années 70 et le gangsta
rap des années 90 il a eu la funk, le rock, la soul, le rythm n’ blues, le blues, le reggea, le be-
pop, le negro spiritual, le gospel et le jazz. Autant de musique qui ont permis aux afro-
américains d’exprimer leurs sentiments et leurs talents. Durant la Harlem Renaissance de
nombreux poètes et écrivains, éminents intellectuels ont réfléchi sur les problématiques liées à
la ségrégation, à l’esclavage et au racisme comme Langston Hughes ou Claude Mckay. Ceux-
ci sont à l’origine des revendications des gangsta rappeurs.
A) Le noir et le blanc
Booba s’inscrit dans un héritage littéraire varié et complexe. Booba hérite autant de la
littérature française, qu’américaine et africaine. La couleur et la lumière sont très importantes
dans le rap de Booba un peu comme dans la poésie de Victor Hugo. Les couleurs et en
particulier le noir et le blanc revêtent des rôles bien précis dans le rap de Booba. En ce sens
dans notre rap on relève « Tu m'vois le jour mais je ne prends vie que la nuit ». Booba est
comme un animal nocturne, un nyctalope. Booba ne s’épanouit que dans l’obscurité la plus
totale. Le rap de Booba ne fleurit que dans nos temps obscurs, violents et incertains. Booba ne
voit clair que dans le Noir, « Même à travers fumée d'chicha, j'y vois net » dit Booba dans
Salside. Le Noir chez Booba c’est l’esthétique qu’il a lui-même créé et animé comme un
demiurge dans son oeuvre. Cette esthétique des ténèbres s’assoit sur plusieurs caractéristiques
comme l’esthétisation de la violence avec le galvanisant « chargez les canons », le
pessimisme « J'l'ai emmené s'faire les ongles, j'crois bien qu'j'suis tombé love
d'l'esthéticienne » dans Téléphone en featuring avec Sfera Ebbasta et le nihilisme dans Kayna
« j'prie pour la montée des eaux». Dans notre rap l’esthétique du Noir réside dans l’évocation
de tristes réalités. Parmi ces réalités on compte l’absence de foi des hommes « pas de jésus »,
l’obligation de recourir à la violence « chargez les canons (…) devient inévitable »,
l’impossibilité de savoir la vérité pour Oussama et Hitler malgré leurs crimes, la mention de la
lâcheté comme une solution politique en prenant le contre-exemple de Ben Ali avec ironie et
une pointe d’humour noir, et enfin la criminalité dans l’acte terroriste des frères Kouachi.
Booba nous peint une société tourmentée et violente. On peut dire que Booba nous fait le
tableau noir d’une société opaque dans laquelle on accède difficilement à la vérité derrière les
crimes. En français l’adjectif « noir » sert à qualifier des noms marqués par la tristesse le
malheur voire la perversion. C’est dans notre langue que le racisme est enregistré et c’est ainsi
que le racisme perdure. Ce tableau Noir, peint par Booba ne manque pas d’être esthétique
d’abord pour des raisons formelles comme les rimes variées mais aussi car ce poème fait
réfléchir sur notre violence, notre dispersion, notre divertissement, le fait qu’on ait perdu le
sens des priorités « pas de jésus ». Les images comme l’imagerie développée autour de Ben
Ali et le conte d’Ali Baba et les quarante voleurs servent aussi à rendre le poème agréable et
facile à écouter et à imaginer et mémoriser. Le poème invite aussi à réfléchir sur la vérité
historique avec l’évocation de la disparition d’Oussama Ben Laden. Ce poème invite aussi à
analyser le comportement du bon dirigeant politique en se moquant de la lâcheté de Ben Ali.
Pour finir Booba nous invite à observer la violence injuste et aveugle quand elle est perpétrée
dans un acte terroriste comme celui des frères Kouachi. Toutes ces invitations à réfléchir sont
autant de manières d’honorer la dignité des Hommes capables de mobiliser leur intelligence
pour élucider (étymologiquement, mettre dans la lumière, la clarté) leur noirceur et leurs
fautes afin de se corriger. Cette noirceur humaine racontée et esthétisée peut être interprétée
par analogie comme une transcription littéraire de la nuit éternelle d’où nous venons et à
laquelle nous retournerons, la nuit cosmique. La couleur noire rapproche les Hommes (et leur
noirceur) et l’univers (et son obscurité). La capacité extraordinaire que l’Homme a de
réfléchir et progresser appelle la même contemplation que celle qui nous permet d’admirer la
rotation parfaite des astres. La poésie de Booba honore l’Homme et son Intelligence et nous
relie ainsi à une forme d’immensité, d’éternité. Ainsi la poésie gangsta rap apparaît comme
une manière de prier. C’est un chant cosmique. En ce sens Booba se considère comme un
météore qui évolue dans l’obscurité du ciel dans son rap Le Météore. Dans le rap Izi Monnaie
Booba insiste avec « ne confonds pas le météore et les astéroïdes ». Dans son rap Comme une
étoile Booba promets à ses auditeurs que sa poésie se transformera en étoile filante quand lui
ne sera plus de notre monde. Booba chante la noirceur des Hommes et se voit comme astre
qui progresse dans l’obscurité de l’univers. D’une autre manière on peut interpréter cette
noirceur dans laquelle nous plonge Booba comme celle dans laquelle Homère le poète
aveugle était plongé. Booba, lui aussi plongé dans le noir, il devient clairvoyant. Booba ne
voit plus les apparences les formes et les couleurs mais seulement l’intérieur des hommes, la
noirceur humaine, le cœur des Hommes. L’esthétique du noir se développe au travers de tous
les raps de Booba, dans d’autres rap celle-ci est plus visible. L’esthétisation du Noir sert à
déconstruire nos paradigmes sur la couleur noire toujours associée en français au mal. Par
exemple l’humour noir que l’on sent poindre quand Booba se moque du comportement
irresponsable de Ben Ali est un humour qui consiste à faire apparaître certaines réalités peu
reluisantes avec détachement et cynisme, soit avec un comportement incorrect. L’humour noir
comme la moquerie sont des formes d’humour provocateurs et indécents puisqu’il s’agit de
rire de réalités tristes voire révoltante. Pourquoi noir veut dire révoltant ? indécent ? C’est la
question que Booba aimerait que l’on se pose. Outre l’humour noir, Booba utilise la
moquerie. Dans notre rap il se moque de Maitre Gims « pas de bail de dromadaire, ça
streame sans Maluma », et nous rigolons de bon cœur avec Booba. La moquerie est une forme
d’humour noir. Le présentatif « ça » induit une touche de mépris de la part de Booba contre
Maitre Gims. Il souligne le fait qu’il n’a pas besoin de d’exotisme ni de s’appuyer sur la
popularité d’un autre artiste pour être le meilleur. Cette méchanceté poétique est une réalité
sombre du rap qui est un milieu très concurrentiel. L’esthétisation du Noir au travers de la
poésie de Booba sert à démontrer que la peau noire est belle, que le diamant noir est le plus
recherché et à déconstruire certains paradigmes dans notre langue, par la poésie, en créant une
nouvelle langue. Booba veut investir le noir de grands concepts comme la force, l’infini ou la
beauté. Le noir chez Booba est une lumière nouvelle. Comme un prophète Booba nous
illumine de cette nouvelle lumière noire qu’il a créé. Booba apparaît comme une figure
prométhéenne. Chez Booba le mal, le noir devient beau comme l’univers infini au-dessus de
nos têtes. La lumière au contraire si elle n’est pas paradoxalement noire ne permet de voir que
des choses futiles. Dans notre rap Booba dit qu’« Ils ont allumé l'projecteur » pour évoquer le
featuring de Maluma avec Gims et leur clip de musique qu’il considère comme un échec. Le
projecteur sert ici à mettre en lumière une prestaton que Booba juge médiocre. Booba n’hésite
pas dans ses raps à dénoncer les artistes qu’ils considèrent comme des imposteur « qu’un seul
bouton ».
b) Un héritage en partie refusé
Le fameux proverbe « les cordonniers sont les plus mal chaussés » est ici détourné de sa
mission pédagogique. Le proverbe est dégondé. En effet au vers qui suit Booba précise qu'il
s'"en bat le couilles" de ce principe. Le proverbe est ici une métonymie désignant plus
largement les leçons données et héritées, les modes d’emploi, les prêt-à-penser, les normes,
les règles et tous les principes qu'on a hérité et qu’on peut invoquer pour nous guider. Booba a
réussi sans s'encombrer de tous ces conseils prétentieux et datés hérités de nos aïeux. En effet
Booba dit qu’il « n’aime pas ce qu’ils ont bâti » dans Madrina en featuring avec Maes. « Ils »
ce sont nos aïeux. Il est donc logique qu’il rejette les principes hérités de nos aïeux qui ont
créé et vécu dans une société raciste et esclavagiste. Booba se crée ses propres nouveau
principes, son art de vivre comme un gangster.
c) Une langue poétique variée, purifiée et nouvelle
Le registre de langue utilisé est familier et populaire. La langue utilisée par Booba est en
partie, la langue des voyous souvent issus de milieux modestes. C’est dans une forme de
langue très familière que des expressions comme, « nique sa mère », « J’m’en bats les couilles
» sont utilisées. Cette langue va restreindre l’auditoire de Booba car c’est une forme de la
langue française qui est minorée. Un tri est effectué entre ceux qui ont l’habitude d’entendre
la langue de Booba et ceux pour qui elle est inconfortable à écouter et qui généralement
éprouveront du dégout à écouter du gangsta rap qu’on croit être en français « de la rue ». En
effet les mots issus de l’argot francilien comme « boloss » dans notre rap, les expressions
familières comme « ces enculés » ou encore les mots récemment emprunté à des langues
étrangères comme « mes cojones » (mes couilles en espagnol) ne sont pas admis (voire
réprimés) dans les textes que nous adressons aux administrations publiques et la première
entre elles, l’école. La forme de langue dans laquelle Booba s’exprime n’est pas acceptée au
travail ou à l’hôpital car nous avons besoin d’utiliser une forme de la langue française neutre
et « commune » pour bien se comprendre dans des endroits ou le malentendu peut avoir des
conséquences indésirables comme un hôpital. On va dire que les gangsta rappeur français
utilise une forme du français qui est « street », issue de la rue. En utilisant le français
« street » de la région parisienne Booba le rend visible et il nous pousse à nous interroger.
Comment une personne s’exprimant au quotidien avec des mots étrangers, des mots familiers
ou vulgaires ou issu de l’argot (du milieu du narco trafic ou du milieu carcéral) évolue dans
une société où l’on n’accepte qu’une seule forme de français pour des raisons de sécurité ? On
a l’impression paradoxale de tous parler français mais pas la même langue. Ainsi nous
constatons que le rappeur utilise une langue qu’une partie seulement des francophones
comprendront car c’est une forme très spécifique de la langue française. En ce sens le gangsta
rap de Booba est sélectif. Plus loin nous verrons comment Booba forge sa propre nouvelle
langue. La forme de langue française minorée que Booba utilise (comme beaucoup d’autres
gangsta rappeurs) participe à la constitution de son auditoire. Seules les personnes qui
utilisent cette forme de langue populaire propre aux milieux de la rue et du banditisme et les
curieux écouteront Booba. De nombreux locuteurs français sont rebutés par la familiarité du
rap et précisément du gangsta rap. Le français street est parfois incompréhensible car tous les
locuteurs francophones ne maîtrisent pas les mots employés dans certains milieux comme le
milieu des trafiquants de drogues. Ceux qui choisiront d’aller au-delà du caractère rebutant de
la forme de langue utilisée par Booba pour s’exprimer pourront dans un second temps avoir la
chance d’accéder aux messages que Booba souhaite nous délivrer. Le gangsta rap est comme
une parade qui attire certains et rebutent ou impressionne d’autres. Traditionnellement la
poésie s’exprime en langue française courante ou soutenue car ces formes sont perçues
comme belles et comprises par tous car elles sont enseignées à l’école. Mais ces deux
registres sont bien maitrisés par des locuteurs qui savent lire, écrire et qui sont scolarisés
pendant de longues années. Le gangsta rap français est une forme poétique qui adopte
l’attitude inverse. En effet le gangsta rap français s’épanouit dans un registre courant et
familier car il a été inventé par des artistes qui n’ont pas eu accès à de longues études
littéraires. Les premiers gangsta rappeurs aux états unis étaient issus des quartiers les plus
pauvres de Los Angeles (Snoop Dog, 2pac, Ice Cube). Le gangsta rappeur ne craint pas
d’utiliser des termes vulgaires, obscènes, argotique ou choquant. Le gangsta rappeur peut
aussi utiliser du jargon propre aux économies des gangsters. En France dans les milieux où est
né le gangsta rap (la rue, les prisons et les quartiers défavorisés) on utilisait une forme de
français argotique, familière et pleine de mots nouveaux et étrangers. C’est pour ça qu’on
retrouve un français familier, argotique, parfois vulgaire dans les raps de Booba et de ses
confrères gangsta rappeur. Le gangsta rappeur il chante d’abord sa vie de voyou donc la
prison, les meurtres, les agressions, les braquages, les techniques pour s’enrichir sans
s’intégrer dans cette société qui ne veut pas d’eux à cause de leur couleur de peau. L’idiolecte
de Booba est une langue pleine de mots d’origines étrangères, de sons venus d’ailleurs, de
mots issus du milieu carcéral ou de la rue. La caractéristique la plus évidente dans le rap de
Booba est que son message est concentré « j’suis un sérum de vérité, les menteurs
m’empoisonne » dit-il dans Garde la pêche. Le discours de Booba est un discours concentré
car il fait souvent disparaître les mots qu’il juge inutiles. Dans notre rap « un roi » ou
« mauvais joueur » rejets en tête de vers arrivent sans le « je suis un » et nous assomment
comme des vérités indubitables. Les jurons ou des insultes comme « m’en bats les couilles »,
« nique sa mère », « enculés » illustrent bien le fait que le rap de Booba vient de la rue, de
milieux difficiles où on ne mâche pas ses mots pour se défendre et se protéger, partager ses
émotions. Des formules plus familières et orales comme « bolosses », « en gros c’est cuit »
peuvent participer à rapprocher l’auditeur du rappeur, cela renforce le message de Booba qui
passe entre pairs issus des mêmes milieux. Booba n’hésite pas à explorer par mille manières
des insultes figées dans la langue française comme « nique ta mère ». On peut entendre
« mêler des grands-mères » dans Pompei et « avec ta maternelle j’ai toutes mes chances »
dans Billets violets. Ces variantes de l’insulte « nique ta mère » sont autant de manière
d’insulter notre héritage maudit par différentes violences comme celle des colonies et de la
Shoah.  Des mots en provenance de pays non francophones comme « cojones » ou « stream »
sont récurrents chez Booba. Cette langue polymorphe est à l’image du français d’aujourd’hui
face à la globalisation et à l’intensification des échanges. Le verbe utilisé "te méprends pas"
est un verbe un peu plus châtié que « te trompe pas », en effet Booba, écrivain, prend plaisir à
profiter des différents niveaux de la langue française. Chez les Hommes de lettres, maîtriser
les trois registres de la langue française est une preuve d'expertise. Cette maîtrise de la langue
française lui a aussi conféré la place du meilleur rappeur français du début du XXIème siècle
voire du meilleur parolier français du début du XXIème siècle.
Booba utilise des rimes, des verbes et des mots simples comme dans une fausse langue
d’enfants. Comme Picasso qui a mis sa vie à peindre « comme un enfant ». Les rimes sont en
majorité simples en phonétique on retrouve « y », « e », « ø », « ɔ ̃ » et « i ». On remarque de
fausses rimes dans le rap de Booba comme ici le mot espagnol « cojones » qui entre en écho
avec « mère ». C’est nouveau en poésie française de faire rimer des mots français avec des
mots étrangers. On note aussi des rimes nouvelles comme « encoder » qui rime avec
l’acronyme « BEP ». Booba aime filer et multiplier les rimes. Entre le vers un et le vers sept
les rimes en « y » et en « e » s’entrecroisent et se multiplient. Ce travail sur les rimes rend le
rap de Booba très musical. Le rap de Booba est aussi facile à mémoriser. Ainsi le message de
Booba enfermé dans le coffre de nos mémoires ne peut nous être confisqué, contrairement à
un livre. Que vous soyez à l’isolement en prison ou en train de donner une conférence dans
une université prestigieuse vous pouvez à tout moment vous souvenir d’un vers de Booba
pour vous-même ou pour le partager. Booba a fait le choix du chant car selon lui « les
vainqueurs l’écrivent, les vaincus racontent l’Histoire ». Booba se range du coté des
opprimés. Il nous invite à écouter ce qu’ils nous racontent, eux qui n’ont pas pu écrire leur
Histoire.
De nombreux verbes d’état comme « on est », « me font » « dure » « c’est pas » « c’est plus »
« c’est cuit » « c’est » et locutions impersonnelles comme « il y a » « il faut » « faut pas » « y
a pas » sont mobilisés. La négation est très souvent omise comme dans « j’suis pas ». L’usage
des auxiliaires, des verbes d’état et des locutions impersonnelles donne au poème de Booba
un semblant de de proximité et d’accessibilité. On pourrait croire que le poème de Booba est
facile à créer, à comprendre. On note pour finir la multiplication de verbes et expressions
décrivant une démarche intellectuelle comme « te méprend pas » « je mets […] sur le même
tableau » « savent » « j’ai pas l’esprit » «j’men bats les couilles » « nique sa mère » « j’ai vite
fait de tout lâché » « t’as capté » « on baise tout » « s’fait pas chier ».  Les expressions autour
de la mentalité que Booba nous conseille d’avoir forment une preuve du fait que Booba tient à
ce que son auditeur réfléchisse. Le rap de Booba a les apparences de la simplicité : un
vocabulaire courant, des rimes de voyelles très utilisées en français, des verbes d’état et des
locution impersonnelles pour pallier au manque de verbes. En ce sens on peut noter aussi
l’élision du "e" dans "j’ suis", de nombreuses élisions de voyelles peu importantes voire
muettes participent à la musicalité du texte. On peut noter l’énumération binaire « Des
migrants, des Amazon » qui nous reproduit le bruit de la télé ou de la radio pendant la crise
sanitaire avec la simple juxtaposition de mots qui étaient les thèmes favoris pendant la crise
sanitaire. Le matériaux « mot », « son » est utilisé à son état pur chez Booba. Ces élisions
reprennent les codes du français tel qu'il est parlé à l'oral aujourd'hui dans toute la
francophonie.
Booba répète souvent a peu près « chez nous (les gangstas rappeurs ?) en disant rien, on a tout
dit » dans Bellucci. L’Expression réside dans le quasi silence. C’est avec une langue
dépouillée, une langue minorée, la forme de la langue la plus méprisé car accusée d’être trop
familière, trop vulgaire ou trop « street » que Booba nous fait vivre la vie trépidante du
gangster, qu’il nous fait accéder à certaines vérités. C’est dans une langue apparemment
accessible à tous que Booba nous galvanise. Dans son rap Soldats Booba dit que « Réussir
c'est faire un costume d'une serpillière ». On peut lire « serpillère » comme une métaphore de
la langue prétendument pauvre que Booba utilise pour faire des poèmes somptueux. La poésie
ce n’est plus les grands mots, les grandes techniques poétiques que seule une élite privilégiée
peut maîtriser.
d) L’insolence et la liberté
Le gangsta rap est aussi caractérisé par sa force de provocation, son insolence et sa force de
désobéissance. Le gangsta rappeur exige une liberté de ton absolue. Le rap étant un genre de
musique inventé par des descendants d’esclaves afro-américains on peut comprendre cette
volonté de désobéir comme une revanche contre les anciens maitres qui les maintenaient dans
une interdiction totale de s’exprimer. La libération de la parole des populations afro
américaines s’est construite lentement après l’abolition de l’esclavage et continue jusqu’à
aujourd’hui. Ainsi le gangsta rappeur va au-delà de la désobéissance en utilisant un registre
de langue familier pour faire de la Grande Poésie comme expliqué plus haut. Dans le cas
particulier de ce rap Booba provoque et choque en affirmant à contre-courant qu’il ne
s’identifie ni à Charlie ni à Kouachi « j’sais qui j’suis, j’suis pas Kouachi, j’suis pas Charlie ».
Dès que l’attentat a eu lieu dans les bureaux du journal humoristique Charlie Hebdo, de
nombreuses manifestations très populaires ont éclaté en France. Les manifestants prétendaient
« je suis Charlie » pour défendre la cause des journalistes tués et la liberté d’expression.
Booba en disant qu’il n’est pas Charlie choque. Dans un premier temps on peut mal
interpréter son propos. Les plus naïfs s’imagineront que Booba ne s’identifiant pas à Charlie
alors il ne soutient pas les journalistes et la liberté d’expression. Cette interprétation est
erronée. Booba affirme simplement savoir qui il est et ne pas avoir à s’identifier ni aux
bourreaux, ni aux victimes. Booba nous invite à faire de même en s’interrogeant
personnellement sur qui nous sommes plutôt qu’à nous identifier un jour à Charlie et le
lendemain à un autre influenceur trouvé sur internet.
III Le gangsta rap et vision du monde
1)
a) La philosophie de Booba
Booba est un cynique. Par l’expression très familière à l’impératif « on baise tout », et
l’apostrophe insultante de « mouton » Booba nous met dans une situation inconfortable. Selon
Booba on doit agir de manière excessive si besoin. Arrêter d’être des citoyens dociles.
L’usage de la deuxième personne du singulier « tu m’vois » met Booba est son auditeur sur le
même plan d’égalité sans discussion. La deuxième personne du singulier permet aussi de
teinter d’humilité le rapport que le rappeur entretient avec son auditoire. On note aussi que
Booba insulte ses détracteurs « ces enculés », sans doute parle-t-ils de ceux qui administrent
de puissants sites tels que Twitter, Meta ou Google et qui le « traquent » pour savoir tout ce
qu’il fait. En effet ceux-ci utilisent et revendent les données personnelles des usagers
d’internet. Les Gafam en enregistrant des données personnelles de leurs utilisateurs de plus en
plus intimes ont été accusé d’avoir mis en place des algorithmes poussant les utilisateurs à la
consommation en leur suggérant des bien adaptés à leurs besoins supposés du moment pour
engranger davantage de consommation en ligne même si elle n’est pas toujours utile. Ces
algorithmes utilisés par les entreprises générant leur chiffre d’affaires sur internet ont été
accusés de traquer les consommateurs et c’est pour cette raison que Booba dit qu’il se sent
« traqué » car « ces enculés savent tout ce que je fais ». Les smartphones devenus
inséparables de leur propriétaire trahissent la position géographique, recèlent les messages,
voir même des informations sur la santé de leur propriétaire. Booba nous invite a réfléchir sur
l’usage abusif que nous avons de ces mouchards.
Booba se présente comme "mauvais joueur". Ainsi il nous invite à ne jamais accepter l’échec.
Booba dit abandonner rapidement ses entreprises s’il est déçu car comme nous l’avons
mentionné plus haut le gangsta rappeur ne se sent bien que dans les excès. Booba préfère
abandonner son projet en cours de route « j’ai vite fait de tout lâcher » s'il constate qu’il ne
sera pas le meilleur et le premier. Ce propos est comme un principe de vie que Booba offre à
ses auditeurs. Booba incite ainsi ses auditeurs à ne jamais se contenter de peu, toujours exiger
le maximum et si ce n’est pas possible abandonner et changer de stratégie. En ce sens la
question oratoire « qui va m’arrêter ? » et l'expression orale familière « on baise tout »
souligne le fait que Booba est le numéro 1 dans le rap game français et règne sans partage. Ses
albums s'imposent comme incontournables dès leur sortie. « Mauvais joueur » il n'aime pas
les échecs artistiques et n’a pas la patience de s’embarrasser d'échecs comme l'illustre
l'expression familière "on s'fait pas chier". Le gangsta rappeur est animé par une force qui
avance et qui broie (« on baise tout ») les obstacles qui se présente à elle.
Le gangsta rappeur est rationnel et matérialiste. Il ne croit pas en la magie, en la foi ou en
quelque croyance que ce soit. Trahis par le christianisme qui a été utilisé pour réduire des
hommes en esclavage et les y maintenir, le gangsta rappeur mets à distance tout ce qui est
irrationnel comme la religion. Le gangsta rappeur ne croit que ce qu’il voit et perçoit. Les
cinq sens le guide dans le monde. En ce sens on peut y lire une grande confiance en l’homme
en tant qu’animal doté de cinq sens et d’intelligence. Le gangsta rappeur et par extension
l’homme n’ont pas besoin de Dieu pour reconnaître le bien du mal. C’est dans le monde d’ici-
bas que le gangsta rappeur veut être riche, soigné, bien accompagné, diverti et comblés de
belles choses. Le gansgta rappeur prend le contrepied de ce qu’on demandait aux esclaves,
soit d’attendre la vie après la mort car « les derniers y seront les premiers » (st Luc, st Marc et
st Matthieu). En effet les esclavagistes ont forcé les esclaves à se convertir au christianisme et
justifiaient leurs pratiques d’asservissement en promettant aux esclaves une vie meilleure dans
l’au-delà. Ainsi l’esclave était maintenu dans sa condition physiquement et mentalement.
C’est pour ces raisons que Booba affirme que « Personne ne [l’] ensorcèle, c'est pas comme
ça la vie ». Booba ne se laisse impressionner que par ce qu’il voit, perçoit. Il n’a pas la naïveté
d’avoir peur d’un marabout ou d’un représentant religieux. « C’est pas comme ça la vie »
avec l’ellipse du « n’» de la négation et l’usage du présentatif imprécis et généraliste « ça »
démontrent l’utilisation orale habituelle de cette formule quasi proverbiale.
b) Le jeu injuste du hasard de l’Histoire
« Quand le jeu dure trop longtemps c’n’est plus un jeu » c’est donc une réalité à traiter et à
affronter. Ce vers est une charnière. Elle permet la transition entre deux moments. Les rimes
changent. Nous passons sur des rimes en "eu". "Le jeu" c’est la métaphore des règles qui
régissent les rapports de force au sein de nos sociétés actuelles. Sauf que ces rapports de
forces sont hérités de l'époque de la Traite donc elles durent "trop longtemps", ces règles sont
anciennes et donc archaïques. Les règles qui régissent les rapports de forces dans notre société
sont trop anciennes et ont prouvé leur dangerosité. On peut noter la rime interne en « eu »
deux fois repris, utile ici à mettre en exergue l’image du "jeu".
la référence au jeu comme symbole illustrant les rapports de forces entre blancs et noir est
aussi dans la chanson "31". On peut souligner que l’image du jeu pour illustrer des relations
sociales complexes donne l’impression que c’est le hasard qui a favorisé les blancs plutôt que
les noirs. Notre société est donc assise sur le hasard qui aujourd’hui permet aux blancs de
jouir de certaines faveurs mais rien n’est sûr pour demain. C’est à nous les Hommes de
rééquilibrer ce jeu fou avec notre raison. Ce jeu qui « dure trop longtemps » n’est plus un jeu,
c’est une réalité. Les inégalités liées à la couleur de peau sont une réalité qui dure depuis trop
longtemps.
L’homme a aussi fait l’esclavage. Booba en tant que personnages ne se prend pas pour un
homme lambda. Il dit ici qu'il est d'une autre espèce animale pour se détacher de l’horreur
dont l’homme s’est montré capable. Je pense que l'on peut relier ce vers à l'idéologie raciste
qui dit que l'homme blanc, fait à l'image de dieu selon certains chrétiens, est supérieur à
l'homme de noir et de couleur. Booba étant un homme métis il récupère cette idéologie
raciste, l'adopte et en prend le contre-pied car il dit être d'une autre espèce animale, sous-
entendu qu'il est d'une espèce animale meilleure que l'homme blanc qui a tué le christ et
pratiqué l’esclavage. A les avoir pris pour des singes les rappeurs noirs ont fini par accepter
de ne pas être de notre espèce. On s'attend de la part d'un animal d'être plus dangereux blessé
car il a peur. Ici un paradoxe énonce que Booba est une exception à cette règle. Nous pouvons
comprendre ainsi que Booba est plus dangereux armé comme le colon ou l'esclavagiste ou
tout simplement que la meilleure défense de Booba c’est d’attaquer en premier et qu’il est prêt
« j’attaque pour me défendre » dit-il dans son rap « Commis d’office ». C'est aussi une
exaltation de l'image du gangster armé pour se protéger, se défendre et garder ses biens. Le
gangsta rappeur nous démontre que tous les hommes ont le droit de travailler et de vivre. On
ne peut pas empêcher des Hommes sous prétexte de leur couleur de peau d’accéder à un
travail digne.

c) La méfiance voire la paranoïa du gangster.


« Qui va m'arrêter, p't-être la 5G (la 5G) […] j’fais» ces deux vers qui forment le refrain
comportent une interrogation oratoire et un rejet « traqué ». Booba se sent « traqué » par les
algorithmes qui aujourd’hui servent à récolter nos données au travers de nos téléphones et de
notre matériel informatique. Il se demande faussement si cette cinquième génération de réseau
mobile n’est pas celle qui va le dépasser. Booba adopte une attitude réactionnaire et méfiante
face aux nouvelles technologies. Comme le gangster paranoïaque, l’Homme est vulnérable et
ferait mieux de se méfier. Il n’hésite pas à insulter les Hommes derrière la cinquième
génération de réseau mobile et les technologies du digital « ces enculés ». Booba essaie de
faire réfléchir ses auditeurs sur les nouvelles technologies, leurs utilisations et leurs
implications dans nos vie. Booba nous incite par sa méfiance à mettre à distance les outils
développés avec les nouvelles technologies parce qu’il les trouve trop intrusifs et espions.
Booba se dit « traqué » comme une bête par un prédateur. La métaphore de la prédation
rappelle d’autre raps de Booba dans lesquels il développe une imagerie autour de la savane
africaine « je descends des lions » Kayna, « qui servira de gnou » Ma définition. Booba invite
à réfléchir sur internet et le numérique
« Faut plus braquer faut encoder (faut encoder)
Moi, j'vais encoder rien du tout, …Traqué, ces enculés savent tout c'que j'fais (savent tout
c'que j'fais) ». "Traqué" en tête de phrase, isolé par une virgule et au singulier est un participe
passé dont l'attribut du sujet est Booba. Booba se sent traqué comme un animal depuis
l'avènement et la démocratisation d'internet et des réseaux sociaux. Booba semble développer
une paranoïa depuis qu’il se sent « traqué » alors qu’il n’est que « filoché » par des entreprises
et pour que des entreprises gagnent de l’argent grâce à ses données. La métaphore « j’suis
d’une autre espèce animale » est filée tout le long du rap. Dans d’autres raps de Booba il se
montre comme extra humain. Il insulte ces entreprises d’« enculés » qui se développent en
vendant les données personnelles qu'ils récoltent de manière plus ou moins sauvage grâce à
internet.
2) a) Le mépris des instances politiques républicaines
La locution impersonnelle dépouillée du « ne » de la négation « faut plus...faut » en tête de
vers et isolé par une virgule évoque une injonction que notre société nous impose : nous
numériser, nous digitaliser. Acheter des cryptos monnaie sans s’interroger sur leur succès
rapide ou se créer un avatar sur le Métaverse. Il s’agit ici d’une critique de l’injonction du
président Macron à tous les citoyens français pour légitimer les confinements d’après laquelle
on doit digitaliser nos activités professionnelles. La digitalisation d’une entreprise demande
de grands moyens financiers et humains techniques et technologiques. Toutes les entreprises
n’ont pas pu se digitaliser aussi facilement que le président l’a dit. L’alternative de la
digitalisation est apparue aussi méprisante que l’alternative de la brioche de Marie-Antoinette.
Toujours dans le sens du mépris de l’Etat français envers les citoyens, Booba dit qu’il fait
partie des laissés pour compte vu qu’il n’est titulaire que de son modeste « BEP (j'ai l'BEP) ».
Par conséquent il n’est pas capable de coder un site marchand pour se digitaliser. On peut
subodorer une réflexion sur le fait qu’on ait dirigé les élèves les plus difficiles vers des études
courtes au détriment de leurs affinités intellectuelles.
b) Des médias qui font réfléchir de manière erronée ou superficielle
L’allusion d’entrée de jeu aux actualités les plus palpitantes du moment : les migrants avec
leurs lots de littérature journalistique raciste comme l’article « La crise migratoire pourrait
démultiplier les effets négatifs du coronavirus en Europe; selon une note du ministère de
l'Intérieur, les autorités françaises ont été prévenues des risques de propagation du
coronavirus dans un contexte migratoire explosif. Par Louis de Raguenel », pourquoi
« explosif » ? dans cette phrase cet adjectif n’a pas de sens, comment une migration peut-elle
être explosive ? article publié le 8 avril 2020. Les « Amazon » et les amazones de « me too »
et de « balance ton porc aussi font l’animation dans les journaux., le premier en faisant
fortune car confinés les gens s’ennuient et achètent et les secondes en faisant des hashtags
viraux sur Twitter. Les « amazones » ici ne sont pas dénigrées elles sont juste mentionnées
comme étant celles qui accaparent toute l'attention des populations. " amazɔn", d'un point de
vue uniquement phonique est ambigu car l’absence de liaison on pourrait déduire qu'il s'agit
du nom propre américain "Amazon". Il ne faut pas oublier que c'est un rap donc c'est plutôt
écouté ou entendu distraitement plutôt que lu. "Amazon" peut aussi être une allusion à la
fameuse Gafam. En résumé Booba critique le fait que les gens ne sont bons qu'à consommer
des discours racistes produits par les médias et les biens et services médiocres vendus par
Amazon. Leur dernier divertissement ce sont les problématiques féministes. Pour Booba cette
préoccupation hypocrite et ponctuelle pour le féminisme n’engendrera aucune amélioration
pour la condition des femmes. Booba évoque le combat des amazones d’aujourd’hui comme
d’un feu de paille. Nos sociétés sont structurellement misogynes. Des hashtags ne changeront
rien à la condition des femmes aussi viraux soient-il. Booba insinue qu’il faut un traitement
de fond en évoquant la problématique des femmes au détour d’un vers. Pour finir on peut
noter que ce premier vers est un alexandrin. L’énumération ternaire nous fait apprécier le
mépris que Booba éprouve pour les actualités contemporaines à la crise sanitaire qu’il met
toutes au même plan. Le mépris est confirmé par le vers qui suit « j’m’en bats les couilles ».
Par sa forme classique, ce premier vers est agréable pour l’oreille d’un francophone et facile à
retenir.
Aussi inattendu que cela puisse paraître le cadavre de l'ennemi public n°1, celui qui fait
trembler toute la planète n'a jamais été vu. On est tenté de croire qu'Oussama n'est pas mort
puisqu'il n'y a que très peu de témoins oculaires de sa mort. L'excuse avancée par le président
des États Unis est "qu'il a été jeté à l'eau" par les G.I pour éviter qu'une sépulture lui soit faite
et qu'un culte naisse. Le culte est né et certains croient encore en l’existence d'Oussama ou de
Saddam Hussein. En résumé nous vivons dans une société d'illusions, les personnalités
politiques et leur bras droit, les médias, nous font voir tout et son contraire. Les citoyens
croient au complot, aucune confiance n'est accordée aux dirigeants. Booba nous exhorte à
traiter les informations issues des médias classique ou digitaux avec précautions.
Les pronoms "moi" en tête de vers mets les projecteurs sur Booba en tant qu'exemple. Le
couple de vers qui s’étend de "moi" à "camaraderie" sont interdépendants. On note la
répétition de "j'suis", l’allitération de la vélaire "ch" et l’assonance en « i ». La musicalité
amplifiée rend ces vers saisissants d'autant plus qu'ils abordent un sujet brûlant de l’actualité :
le terrorisme. Alors que toute (ou presque) la France s'insurge et s'improvise de manière
opportuniste "Charlie", Booba, à contre-courant, ne rentre pas dans le moule pour plaire et
réaffirme qu'il est et demeure lui-même. Booba n'est ni à classer du côté des Kouachi, ni des
Charlies. Booba est lui-même soit un écrivain et il exige qu'on le considère et qu'on le juge
pour ce qu’il est. L’attentat perpétré par les frères Kouachi a provoqué de nombreuses
manifestations. Perpétrés par des supposés musulmans, l’attentat contre Charlie hebdo a
généré de grands mouvements pro liberté d'expression et pro laïcité. Ces mouvements ont été
rejoint par d’autres mouvements plus douteux qui semaient le trouble et établissaient des
jugements hâtifs contre tous les autres musulmans. Tous les autres musulmans ont été montrés
du doigt comme des personnes contre la liberté d'expression, contre la laïcité et contre le
progrès. Des idées nauséabondes ont été relayées par de nombreux médias.  Derrière le
mouvement "je suis Charlie" se cachaient de nombreux mouvements racistes et islamophobes
sans que ce mouvement soit fondamentalement xénophobe. L’affaire Kouachi et la
communication autour du terrorisme illustre comment en France on utilise la liberté la laïcité
pour opprimer certaines populations. On les fait passer par un raccourci rapide les individus
musulmans pour des islamistes donc des ennemis et des détracteurs de ces valeurs. Cet
amalgame, ce raisonnement qui consiste à voir les populations anciennement colonisées
comme des groupes arriérés est tout droit hérité du temps de la colonisation. Dans un article
du Figaro « L'immigration et l'islam crispent de plus en plus les Français » écrit par Esther
Paolini oublié le 03/07/2017 : « Quatre Français sur dix (40%) affirment que la pratique de
l'islam est compatible avec les valeurs de la société française. Un nombre en baisse depuis les
attentats de 2015, où ils étaient 47%. À un niveau presque identique depuis 2014, 74% des
sondés affirment que l'islam souhaite « imposer son mode de fonctionnement aux autres ». Un
avis partagé par 94% des sympathisants FN, et 85% des soutiens LR. Plus surprenant, ce
sentiment est également ressenti par 54% des électeurs socialistes et 53% de partisans LFI. En
effet du temps de la colonisation, l'islam était la religion des personnes de couleur foncé, les
sauvages que les occidentaux sont partis "civiliser".

La religion musulmane aujourd’hui est systématiquement reliée aux personnes de couleur,


aux immigrés et aux descendants d'immigrés en France. De ce fait, certains mouvements
politiques d’extrême droite instrumentalisent l’islam et montrent cette religion comme
l’origine de tous nos maux avec les immigrés, l’islamisme et le terrorisme qu’ils montrent
fonctionner ensemble. Ces mouvements radicaux politiques ont eux aussi perdu de vue que
derrière la liberté d’expression, il y a la liberté de culte. Si les musulmans pouvaient librement
pratiquer leur culte sans être insultés, sûrement que les islamistes ne viendraient pas
bâillonner la liberté d’expression. Ainsi les mouvements d’extrême droite qui aiment à
mélanger islam et fanatisme religieux sont des mouvements purement xénophobes. Les
mouvements d’extrême droite historiquement n’ont jamais été du coté de la liberté
d’expression. Le mouvement « je suis Charlie » a juste servi à diviser la France en deux
camps, ceux qui accusent et ceux qui se défendent au lieu de tous se réunir contre la violence.
Les manifestants se prétendant Charlie n'ont aucune idée de ce que représente la liberté
d’expression. En effet la liberté d’expression c’est pouvoir dire et représenter des horreurs
dans l’art ou les médias sans connaître la censure. Un bon Charlie ne devrait donc pas
s’insurger contre les lyrics explicites des gangsta rappeurs. Postérieurement les réactions
réactionnaires vis à vis du film "Mignonne" ont prouvé que tous ces Charlies n’étaient pas
sincèrement engagés pour la liberté d’expression. Booba présente les Charlies comme des
personnes ne sachant pas qui ils sont. Ce sont des moutons. Ils peuvent être dangereux car
aujourd’hui ils sont Charlies mais leur caméléonisme les mènera peut-être demain à être
Pétain. Il est dangereux d’ignorer son identité et donc son passé. S'ils ne savent pas qui ils
sont alors ils ne savent sûrement pas où ils vont. Le mouvement qui a uni des milliers de
personnes perd ainsi toute sa crédibilité en un vers.
c) La démocratie en berne
Booba lance un message antidémocratique « Ton vote ne vaut rien, mouton, devant la loi
martiale ». En effet élire le président Macron n’a rien empêché. Le président n’a pas empêché
la désinformation, l’épidémie, la colère, la solitude ni les décès et tant d’autres écueils durant
la crise. On peut relever que Booba insulte de mouton en incise ses auditeurs qui ont voté.
Booba ne flatte pas ses auditeurs pour leur plaire. Il n’a pas peur de déplaire car c’est un
artiste libre et insoumis. Après avoir vu les nombreux verbes de délibération « t’as capté »
« savent tout » et cette réflexion sur la démocratie, Booba nous fait davantage réfléchir en
abordant le sujet de la vérité historique et de la « pureté » des Hommes de religion avec
« 2020, je mets le Pape et Nabilla sur l'même tableau
Pas d'photo du corps d'Oussama, les G.I. l'ont jeté à l'eau ». Traumatisé par le consentement
que le Vatican (Bulle Romanus Pontifex 1454) a accordé pour la pratique de l’esclavage et de
la colonisation des peuples non chrétiens, Booba s’en prend au Pape ici en le montrant aux
prises comme Nabilla avec des considérations très terrestres comme le fait de gagner de
l’argent. Notre vers le pape est égal « sur le même tableau » a l’influenceuse et femme
d’affaire Nabilla qui commercialise son image et du maquillage. Tous les Hommes sont
égaux, hommes et femmes, puisque le prétendu plus saint des Hommes est entaché par le
crime. Ainsi le pape est égal à la plus commune des femmes d’affaire comme Nabilla. « Pas
d'photo du corps d'Oussama, les G.I. l'ont jeté à l'eau » est un vers que nous avons déjà étudié
plus haut. L’aspect le plus choquant de cette affaire est que personne ne sait vraiment ce
qu’est devenu l’ancien ennemi public numéro un. Ainsi personne ne peut dire la vérité à la
postérité au sujet d’Oussama Ben Laden qui n’a connu ni procès ni prison.
Dans ce vers « Moi, j'sais qui j'suis, j'suis pas Kouachi, j'suis pas Charlie », Booba se moque
de tous les manifestants qui ont clamé être Charlie après l’attentat qui a eu lieu dans les
locaux du journal Charlie Hebdo. Il leur reproche de répéter sans réfléchir ce qu’ont dit les
autres. Booba reproche aux Charlies d’agir comme des moutons et de suivre le phénomène de
groupe. Il les accuse de ne pas savoir ce qu’ils sont, de renier leur identité. Ignorer son
identité c’est être un homme idiot au plus haut point ou être fou. Le bébé apprend en tout
premier son prénom. Renier son identité chez les Hommes c’est l’équivalent de trahir sa
famille, ses parents ou ses origines. Souvent les prénoms et noms sont hérités de nos aïeux.
Dans les deux cas les Charlies ne sont pas flattés. Booba dénonce le panurgisme. Dans une
démocratie le mimétisme est un fléau, chaque citoyen doit penser par lui-même. Que ce soit
au sujet des nouvelles technologies ou des sujets des actualités Booba tient à nous faire
réfléchir par nous-même et à utiliser notre esprit critique.
3)
a) Le gangsta rappeur misanthrope comme un religieux qui quitte l’humanité
Booba utilise une hyperbole et litote « j’peux même pas dire que » pour nous faire deviner par
la négative l’ampleur de sa déception vis-à-vis de l’espèce humaine. La litote souligne que
Booba ne s’autorise plus les émotions négatives que l’homme lui inspire tellement on lui
inspire fréquemment. La déception est trop grande, pour se protéger des Hommes et de leur
médiocrité Booba a dû travailler sur lui-même pour la dépasser et s’en battre « les couilles en
vrai ». L'expression familière « s’en battre les couilles » démontre à l'auditeur que Booba
néglige, voire méprise les comportements consuméristes, égoïstes et superficiels des Hommes
dans un moment aussi délicat qu’une pandémie. Il s’'attend à ce comportement de la part des
hommes car "ils ont tué le Christ" comme il l'a précédemment dit dans Boulbi. Les Hommes
ont tué le meilleur des Hommes et c'est pour exactement cette raison que Booba présente
l'homme comme viscéralement mauvais et désespérément incorrigible. En effet au lieu de
s’entraider en cette période difficile Amazon joue les profiteurs de guerre et les journalistes et
les médias attisent et nourrissent les haines raciales qui divisent les hommes. Aujourd’hui la
haine raciale est concrétisée dans la haine envers les immigrés, leurs descendants et les
migrants. Publier des informations erronées sur les migrants en pleine pandémie c’est
irresponsable surtout quand ce sont des médias qui présentent ces migrants comme des
envahisseurs, prêts à confisquer les biens des nationaux.
Booba déplore l’oubli des valeurs fondamentale comme la foi, la spiritualité ou le progrès :
« pas de Jésus
Voilà où on en est ». « J'ai ma paire d'Gucci aux pieds, c'est tout c'que j'sais (c'est tout c'que
j'sais)
Deux enfants, mes cojones, c'est tout c'que j'ai (c'est tout c'que j'ai)» Ce demi vers peut être
une version parodiée et gangstérisée du proverbe de Socrate "tout ce que je sais , c'est que je
ne sais rien". Le philosophe découvre son humilité et ainsi l'humilité à laquelle tous les
hommes sont réduits.  Cette humilité n'est plus de mise à notre époque. Nous ne savons
toujours pas grand-chose mais quand on est riche on sait qu'on a réussi car on peut se
permettre d'acquérir des biens de luxe.  L’objet de luxe est la seule chose qui nous permet de
"savoir" quelque chose de nous et dans notre cas cet objet nous permet de jauger notre
réussite. Cette parodie est aussi une mise à distance de la richesse. « Et pas de jésus » La
négation ici souligne que les Hommes s'intéressent à tout un tas de futilités (le féminisme sur-
marketé, les bibelots d’Amazon) et ont complétement oublié l'essentiel. L’essentiel est ici
suggéré par "Jésus". L’essentiel ça peut être la spiritualité que représente "Jésus". Ça peut
aussi être la philanthropie, la bonté humaine dont jésus a été l'incarnation.  Mais jésus peut
aussi plus généralement symboliser l'Essentiel c'est à dire ce à quoi doivent penser les
hommes et ceux à quoi ils doivent réellement accorder leur attention. Dans notre société notre
attention est accaparée par les pubs, les productions d'internet (réseaux sociaux, sites,
jeux, ...). Mais qu'est ce qui se cache derrière ces choses essentielles auxquelles on ferait
mieux de penser ? nous lisons là une vision du monde réactionnaire d'après laquelle les
hommes devraient mieux consacrer leur temps et leur attention à réfléchir à des choses
sérieuses comme la foi, la science, comment aider son prochain, s’interroger sur la société et
ses dysfonctionnements ... cela n 'est pas sans rappeler Hannah Arendt ou Blaise pascal.
"voilà" présentatif utilisée pour signifier que c'est la fin d'un processus. Ici le processus c'est le
progrès qui selon Booba est en panne. Il ressort que les hommes ne sont plus intéressés que
part leurs consommations et par les buzz ponctuels qui anime le "débat public".
on peut sentir une pointe de regret à la simple évocation des tords des hommes « et pas de
jésus ». La conjonction de coordination « et » opère un basculement, une opposition entre
l’accumulation évoquer par deux affirmations et la seconde partie du vers évoquée par la
négation. Booba nous montre que paradoxalement les migrants et Amazon attirent plus notre
attention que des choses essentielles comme la foi. Jésus est le symbole de la foi et chez
Booba la foi est le symbole de manière plus large des diverses réalités importantes auxquelles
l’Homme doit se consacrer.
Ce vers amorcé par "2020" isolé en tête de vers, entre en écho avec le premier vers qui
énumère les actualités les plus contemporaines de l’année de la crise sanitaire. Notre temps est
celui de l’avènement des personnalités comme Nabilla qui vivent de leurs spectacles
divertissant et l'avènement de notre dernier pape, avec ses frasques racistes (traite des noirs) et
anti-contraception (avec toutes les conséquences sanitaires dues au VIH en Afrique que cela
implique). De manière très choquante et paradoxale B20 mets Nabilla, une femme commune
et le pape sur le même "tableau" car tous deux font des scandales de même ampleur. Le plus
haut statut religieux d’Europe a failli à sa mission. Au lieu de guider les hommes vers la
lumière de la foi, le pape fait des scandales de même acabit que ceux de Nabilla avec son
"allo" et le coup de couteau qu'elle a mis à son homme que Nabilla. Ici comme dans le vers
n°1 Booba déplore le fait que notre époque soit dépourvue de profondeur, et attirée
uniquement par le spectacle, le scandale soit le divertissement, "panem et circenses", le mal
de notre siècle de consommation. Notre société est trop superficielle et a perdu des yeux
l'essentiel. Booba a une pensée réactionnaire telle qu'en Afrique on aime a l'avoir. En Afrique
on aime les livres, les bibliothèques, le savoir, la philosophie et la foi sincère. On respecte les
Hommes intelligents et cultivés. On souligne l'allitération en labiales occlusives "p" et "b" qui
rythme le vers. Cette musicalité attire l'attention de l'auditeur car elle aussi agréable à
entendre qu'un morceau au jembe.
b) L’occultisme
« La chance dit qu’elle arrive, elle est même pas partie ». La chance est personnifiée car elle
est présentée comme une femme qui "dit qu'elle arrive". Comme le thème de la mort le thème
de chance est un thème important dans le gangsta rap. Ces deux thèmes sont importants aussi
dans la musique marocaine populaire. Booba attribue à la chance le mensonge d’après lequel
elle promet arriver bientôt "la chance dit qu'elle arrive" alors qu'elle est "même pas partie". Le
rappeur dévoile le mensonge dans la seconde partie du vers coupé en deux par une virgule. La
personnification de la chance sert a donner du relief. Ainsi cela permet de rendre encore plus
choquant le mensonge que la chance profère pour faire espérer et attendre les Hommes des
conditions les plus misérables. On ne peut s’empêcher de penser à l’égalité des chances que la
République française essaie de mettre en place dès l’école. L’égalité des chances pour Booba
n’est qu’un mensonge d’après notre vers. Inégaux devant la chance il dépend de chacun de
réussir dans notre société empêtrée dans le racisme et la désinformation.
« Personne ne m’ensorcèle » s’exclame Booba se montrant invincible. La sorcellerie est une
pratique très développée en Afrique et encore très vivante. La sorcellerie entre en écho avance
la "chance" mentionnée dans le vers du dessus. Selon Booba croire naïvement que la chance
arrive c'est comme croire a de la sorcellerie. Chance et sorcellerie sont proches dans le poème
et dépendent toutes deux de l'imaginaire. L'artiste énonce au présent de vérité générale "c'est
pas comme ça la vie" pour déconstruire ces croyance d'après lesquelles pour réussir ou s'en
sortir, faut attendre que notre chance ou faire de la magie. La vie n'est pas régie par des forces
occultes, c'est à nous, aidés de notre raison d’écrire notre destin. Le gangsta rappeur est un
positiviste. La tête de vers amorcée par "personne", la négation et le présent de vérité générale
ont un sens de vérité absolue. B2O nous fait part ici d’une conviction personnelle. Comme le
confirme le vers suivant « J'ai le casier des gens, j'aime bien avoir les faits », Booba ne croit
que ce qu’il voit. Les documents même historiques sont vains et mensongers comme la
sorcellerie.
c) L’ascèse

On peut se diriger vers une réflexion sur la « valeur ». En effet Booba souligne le fait qu’il a
une paire de « Gucci aux pieds ». Gucci étant une marque de chaussures très chères on peut se
demander pourquoi investir autant d’argent dans des chaussures qui nous servent à fouler le
sol souvent sale. La chaussure est destinée à être abimée, pourquoi en acheter une paire très
chère. Le vêtement et la chaussure sont par analogie symboles de notre vanité car ils
dissimulent des corps qui sont tous pareils. Le vêtement et la chaussure chère est un symbole
encore plus fort de vanité. A l’image des saints fous comme Sidi Heddi ou les philosophes
cyniques grecs, Booba couvre son corps de vêtements excessivement onéreux pour nous
choquer par un prix disproportionné et nous faire réfléchir sur la vanité du vêtement à l’image
de la vanité de notre corps recouvert par ce vêtement. Par extension Booba veut nous faire
réfléchir sur la vanité de notre existence. Booba nous rappelle que notre corps nous est prêté
le temps d’une vie.
L’indigence de mots, l’apparente indigence verbale illustre le dépouillement de mots auquel
Booba s’est astreint. Se dépouiller des mots est une démarche proche de l’ascèse. En effet le
nombre considérable de mots dans notre langue et dans les autres langues nous permettent de
quasiment tout exprimer sans difficulté. S’astreindre à n’utiliser que des mots simples issus du
français courant ou familier, faire l’ellipse des mots jugés inutiles, une versification simplifiée
en « a » et « e », abuser des auxiliaires et renoncer à de nombreux verbes raffinés, à des
expressions sophistiquées, à des rimes complexes est un défi pour un poète. Cette ascèse du
langage chez Booba présente la langue comme un luxe. La langue de Booba modeste et
purifiée « J'ai d'la 0.9, Si, si, D'la 0.9, hello, D'la re-pu kho » dit-il dans 0.9 est une langue qui
va droit à l’essentiel du message. En utilisant la forme la plus modeste du français, le français
familier, Booba fait preuve de modestie à l’image des religieux qui font vœu de pauvreté par
humilité. Dans un second temps la langue purifiée de Booba ne souhaite pas engendrer
l’émotion, il souhaite vous faire vivre l’émotion, il va au bout du pouvoir performatif du
langage. Pour finir on peut réfléchir sur le sens du luxe dans les religions abrahamiques. Le
luxe est condamné dans la pratique orthodoxe des religions abrahamiques. En effet les
apparats du luxe sont interdits car ils sont symboles de la vanité de notre monde. Le vrai luxe
c’est la foi. Les vêtements, les chaussures, les voitures, le caviar et même une langue châtiée
constituée en réalité de sons ne sont que des choses transitoires dont nous pouvons à peine
profiter dans notre monde de matière. Ces réflexions sur le luxe peuvent rappeler les racines
religieuses du rap.
Pour finir on peu s’intéresser à la représentation de l’égalité entre les hommes chez Booba.
Dans notre gangsta rap on relève le parallélisme des construction "ya pas d'droitier, ya pas
d'gaucher" est une allusion aux partisans politiques de droite et de gauche. "Pistolet en l'air"
soit sous la menace imminente de la mort, les affinités politique et toutes les autres
différences comme les différences physique de couleur de peau ou d’âge sont abolies. Les
différentes latéralisations désignent ici par métonymie toutes les différences qui divisent les
hommes. La violence souvent exaltée par les gangsta rappeurs comme un outil de domination
et de vengeance est ici utilisée pour rappeler l'égalité de tous les hommes face à la mort. La
violence est un chemin dur vers l’abolition les inégalités raciales, sociales et sexuelles. Booba
a une vision pessimiste de l'humanité qui ne se rend compte de l’égalité de ses membres que
par la violence. On peut relier cette vision "noire" de l'humanité aux ténèbres qui envahissent
l’œuvre de B2O. C'est une "esthétique de la noirceur" qui est présente dans le gangsta rap en
général, elle n’est pas propre à Booba.

d) La postérité
Qu’allons-nous laisser à nos enfants. La "facture de la vie" que nous allons laisser à la
postérité n’est aps anodine comme « celle de Numéricable ». La métaphore désignant
l’héritage bien surprenante. En effet comparer la "facture de la vie" et "celle de Numéricable"
paraît choquant. Une facture c'est quelque chose de trivial, qu'on n’aime pas recevoir. La vie
est mise sur le même plan que l'abonnement à Numéricable. Cette métaphore est une méthode
pédagogique et humoristique pour évoquer l’héritage que nous laissons à nos enfants avec ses
auditeurs. Il s'appuie sur la facture de Numéricabe que tout le monde connait, pour nous
expliquer le prix de la vie et de l’Histoire, que beaucoup d'hommes ont du mal à estimer. Je
pense que selon Booba on doit consacrer notre vie à des activités sérieuses comme les
religieux. On doit se rappeler l’Histoire de l’Afrique et faire revivre l'Afrique libre. Nous
devons éliminer le racisme et la xénophobie au risque de voir « le passé kidnapper l’avenir »
comme Booba le chante dans Indépendants.

Pour finir on évoque la solution artistique de la liberté en embarquant dans le bateau pirate de
Booba. Comme "c'est cuit", expression française familière d'inspiration culinaire démontrant
qu'une situation est arrivé sa fin, qu'il n'y a plus d'issue ou revirement possible. C’est
implacable notre seule solution est de nous replier dans la "Piraterie" et de « charger les
canon ». Cette solution peut être interprétée différemment. On peut penser que pour Booba la
solution est de le suivre dans ses réflexions en écoutant ses « sons en boucle ». Dans un
second temps on peut croire que Booba nous incite à faire une guerre intellectuelle à notre
société pour en faire disparaitre les imposteurs qu’ils soient artistes, journalistes ou
politiciens.
En somme la poésie de Booba est une poésie totale qui fait appelle à la raison, à l’imagination
à nos sens et à nos émotions. Le rap et gangsta rap est une forme de littérature française qui
fleurit ailleurs que dans les romans et les recueils de poésie aujourd’hui. La poésie belle et
sauvage va là où son cœur lui dit d’aller. Dans une société de l’écrit et de l’image, on retourne
à une poésie orale, dont on a aucune trace écrite officielle. Les traditions orales survivent et le
rap nous rappelle les poèmes d’Homère chantés par les aèdes. Pourtant on ne manque pas de
moyens de retranscrire les paroles des rappeurs mais eux ne publient pas de version écrite
officielles de leurs raps et freestyles. Les raps restent dans la mémoire des amateurs de rap et
dans la bouche de ceux qui portent cette tradition de la poésie orale en tant que parole
porteuse de Sens.

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