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Rue d’Ulm
Une institution révolutionnaire et ses élèves (2)

Appendice no 12.
L’élève Louis-
Claude de Saint-
Martin
p. 283-307

Texte intégral
1 À tous égards, Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803)
fut un élève anomique à l’École normale : membre de la
noblesse d’Ancien Régime, âgé de 52 ans, il avait sans
doute plus de treize ans d’écart avec le doyen en âge,
Bougainville, ses caractéristiques d’état civil le distinguant
cependant déjà de l’ensemble des élèves. Surtout, les
convictions qu’il exprima sur le cours de la Révolution
manifestèrent une incontestable originalité et l’on ne
saurait assurer qu’elles furent partagées par ses
condisciples d’un moment. Pour le « philosophe inconnu »,
la Révolution fut en effet une Apocalypse, au sens
étymologique du terme, un dévoilement :
En considérant la révolution française dès son origine, et au
moment où a commencé son explosion, je ne trouve rien à
quoi je puisse mieux la comparer que l’image abrégée du
Jugement dernier, où les trompettes expriment les sons
imposants qu’une voix supérieure leur fait prononcer ; où
toutes les puissances de la terre et des cieux sont ébranlées ;
et où tous les justes et les méchants reçoivent dans un
instant leur récompense1.
Les ennemis de la Révolution n’ont pas vu que l’époque
actuelle est la crise et la convulsion des puissances
humaines expirantes, et se débattant contre une puissance
neuve, naturelle et vive ; et que la Providence permet que les
aveugles mortels aient ainsi le bandeau sur les yeux, pour
accomplir eux-mêmes le décret qui veut abolir le règne de la
vaine puissance de l’homme sur la terre2.

2 Trois documents exceptionnels permettent de saisir l’état


d’esprit de Saint-Martin au moment où il fut élève de l’École
normale. Le premier est un texte imprimé publié à Paris
presque immédiatement après la fin des cours et dont les
extraits précédents sont tirés : Lettre à un ami, ou
Considérations politiques, philosophiques et religieuses sur
la Révolution française. Le livre fut rédigé avant le départ
de Saint-Martin pour Paris comme en témoigne un passage
de la lettre écrite à Kirchberger le 19 novembre 1794 :
J’ai fait un petit écrit sur l’époque actuelle, à la réquisition
de quelques amis. Il va s’imprimer tout à l’heure, et
aura 70 à 80 pages. […] Mon nom n’y sera point ; ainsi je
vous demande le secret le plus absolu sur la personne, sinon
sur la production. Je m’y livre peu, comme vous jugez bien ;
mais vous y verrez mieux qu’un autre ce que je ne veux pas
dire ; et vous connaîtrez clairement ma façon de penser sur
la grande scène qui se passe aujourd’hui dans le monde, et
sur mon propre terrain3.

3 Au-delà du goût persistant de Saint-Martin pour le secret


entre initiés, des raisons politiques évidentes invitaient
l’auteur à la prudence : une lettre que lui écrivit
Kirchberger en avril 1794 fut décachetée et lue au Comité
de surveillance générale à Paris 4. Il pouvait aussi
présumer que sa vision providentielle et eschatologique des
évènements ne serait pas accueillie avec la plus grande
ferveur. Le bonheur qu’il se promettait de la Révolution
« lorsque la main de la Providence l’aura conduite
entièrement à son terme » ne pouvait cependant être fixé
dans le temps « parce que cette même Providence aime à
marcher dans des voies cachées et à ne montrer ses secrets
que sous des nuages »5. L’ami destinataire de la lettre dut
sentir que « l’œil de la Providence ne se ferme pas plus sur
notre pays qu’il ne se ferma sur Ninive dont les habitants
n’étaient pas meilleurs que nous ». Aussi bien, « dans ce
grand drame qui vient de s’ouvrir et où toutes les nations
de l’univers doivent à leur tour remplir un rôle », les
Français étaient appelés les premiers : si la Providence
ouvrit sur eux d’abord « son temps de justice, elle ouvrira
aussi sur nous les premiers son temps de clémence et de
lumières »6. La « consolante espérance » qui le soutenait
« jusque dans nos fureurs presque inséparables des crises
révolutionnaires » était qu’une religion « plus pure »
naîtrait du cœur de l’homme7. À ce point de sa
démonstration, il rejoignait sans doute une partie de ses
condisciples dans une commune détestation de l’ancien
clergé. Si, pour Saint-Martin, la noblesse, dont il était issu,
fut une « monstrueuse excroissance », elle n’avait plus, au
moment où explosa la Révolution, « à perdre que de vains
noms et des titres imaginaires » ; en revanche, « on ne peut
guère se refuser à regarder les prêtres comme les plus
coupables, et même comme les seuls auteurs de tous les
torts et de tous les crimes des autres ordres ». Pour
l’auteur, le clergé « qui, selon les expressions de l’Écriture,
devait être la sentinelle d’Israël […] a couvert la terre de
temples matériels, dont il s’est fait partout la principale
idole. Il les a remplis de toutes les images que son
industrieuse cupidité a su inventer ; et par là il a égaré et
tourmenté la prière, tandis qu’il ne devait s’occuper qu’à lui
tracer un libre cours ». Hostile à toute Église instituée,
Saint-Martin définissait les prêtres comme « étant les
accapareurs des subsistances de l’âme »8.
4 La correspondance avec Niklaus-Anton Kirchberger
(1739-1799), grand patricien de Berne, membre du Conseil
souverain de la ville depuis 1775, commença en 1792, à
l’initiative de ce dernier9. Membre de diverses sociétés
bernoises (Société économique et physique, Société
patriotique, Société morale) qu’il contribua parfois à
fonder, Kirchberger fut un fervent lecteur d’auteurs
mystiques et correspondit avec de nombreux philosophes
(Jean-Jacques Rousseau, Lavater) et des théosophes
comme Johann-Heinrich Jung-Stilling ou le Munichois
Karl von Eckhartshausen ; il attendait de Saint-Martin
qu’il lui ouvrit un chemin vers la vérité10. Cet échange de
lettres entre amis qui, sans s’être jamais rencontrés, se
reconnaissaient une proximité spirituelle, nous offre
l’occasion de saisir en profondeur l’état d’esprit de Saint-
Martin au cours de son séjour à Paris.
5 L’autobiographie rédigée par Saint-Martin, Mon portrait
historique et philosophique (1789-1803), fut publiée
en 1961 par Robert Amadou11. Ce dernier décrit très
précisément dans l’introduction l’histoire du manuscrit
autographe, qu’après un jeu de piste extrêmement
complexe, il retrouva finalement en 1954 dans une
collection privée de Bavière, après un appel de recherche
lancé dans la Süddeutsche Zeitung. Il envisagea alors de
publier un second volume, uniquement composé de notes,
« chaque article, chaque ligne presque du Portrait [étant]
susceptible d’un éclaircissement ». Celui-ci ne parut jamais
et seul le texte fut édité. L’ouvrage lui-même fut
vraisemblablement commencé par Saint-Martin au début
de 1792, mais il est difficile de savoir à quel moment précis
les passages relatifs à l’École normale furent rédigés :
probablement au cours de l’été de l’an III. Louis-Claude de
Saint-Martin fit en effet régulièrement des ajouts ultérieurs
à son texte primitif12. Les indications que contient ce texte
autobiographique complètent le tableau que nous pouvons
dresser de son éphémère « scolarité ». Celui-ci concevait
son séjour à l’École comme une « épreuve spirituelle », où il
serait comme « un métal dans le creuset ». Il entendait
poursuivre sa recherche de la voie « interne » et se défiait
des travaux ou de la parole « externes ». Un exemple, tout
récent, de cette tension qui le blessa peut être relevé : lors
du travail de classification bibliographique qu’il effectua
pour le district d’Amboise, travail pour lequel il fut nommé
le 27 floréal an II (16 mai 1794)13, il découvrit la Vie de la
sœur carmélite Marguerite du Saint-Sacrement et ne put
« s’empêcher d’y jeter un coup d’œil. Cette religieuse est
pour moi un aussi grand prodige pour les vertus, que mon
chérissime B [oehme] pour les lumières. […] En passant à
cette héroïne les mômeries de son état, on ne peut se
dispenser de la regarder comme une des plus grandes
élues. Sa vie est un trésor. Je l’ai cherchée en vain chez les
libraires de Paris14 ».
6 À l’École normale, Saint-Martin identifia son combat à
celui de David, lançant avec sa fronde une pierre au front
d’un Goliath qui fut ici Garat. S’appliqua-t-il à lui-même et
appliqua-t-il à ses condisciples d’un moment la réflexion
qu’il confia à son Portrait… : « Une vérité bien singulière et
que j’ai remarquée depuis bien peu de temps c’est que les
écoliers valent communément mieux que leurs maîtres
quoiqu’ils ne soient pas aussi savants15 » ?
7 Il nous donne aussi l’opportunité de saisir quel fut son
réseau de relations puisqu’il énumère les patronymes de
près de cinquante personnes rencontrées. Nous n’avons pas
réussi à identifier la totalité de celles-ci, le texte de Saint-
Martin étant avare de renseignements complémentaires et
des erreurs de lecture n’étant pas à exclure. Le
dépouillement de la bibliographie permet toutefois de
proposer quelques hypothèses. Quatre caractéristiques
majeures se dégagent nettement de cette liste. Tout d’abord
Saint-Martin fréquenta surtout des hommes de sa
génération : ils avaient, en règle générale, dépassé la
quarantaine. En second lieu, cette sociabilité fut largement
aristocratique puisqu’on retrouve parmi ses
correspondants de très nombreux ex-membres de l’ordre de
la noblesse, souvent militaires, mais aussi parlementaires
ou financiers d’Ancien Régime. Elle fut aussi très fortement
marquée par la maçonnerie mystique et occultiste de la fin
du �����e siècle : les personnes citées semblent reconstituer,
comme en une sorte de résumé, le passé même de Saint-
Martin à travers ses expériences bordelaise, toulousaine,
lyonnaise, parisienne ou strasbourgeoise. Tout se passe
comme si, dans le Paris de 1795, se fut déjà recomposé un
milieu d’anciens disciples de Mesmer, de Martines de
Pasqually ou de Willermoz sans oublier les Amis réunis et
les Philalèthes de Paris, milieu qui dépassait les frontières
françaises. Saint-Martin n’oublia pas non plus de citer
Nicolas de Bonneville, fondateur du Cercle social et éditeur
de ses œuvres 16. On note en particulier toute une série
d’habitués du salon de la duchesse de Bourbon, sœur de
Philippe-Égalité, férue de mystique et d’occultisme, reçus
soit à son hôtel de la rue Saint-Honoré, soit à son château
du Petit-Bourg près d’Évry : ainsi Gros, son maître de
musique, Maubach ou Gombault. Certains des noms
rencontrés figurent d’ailleurs dans les pièces des
procédures d’arrestation qui visèrent, entre germinal et
thermidor an II, les disciples de la prophétesse Catherine
Théot, dite « la mère de Dieu » qui prétendait inaugurer
l’Apocalypse en donnant une naissance, toute spirituelle, à
Dieu et qui fut reçue chez la duchesse de Bourbon. Dans le
cadre de cette affaire, Saint-Martin lui-même fit l’objet d’un
mandat d’arrestation de la part du Comité de sûreté
générale, en date du 2 thermidor an II (20 juillet 1794)17,
auquel il échappa du fait qu’il avait déjà quitté la capitale à
la suite du décret du 27 germinal an II qui excluait toute
présence des nobles dans Paris18. Signalons pourtant qu’à
la différence de certains de ses amis, tel Gombault, Saint-
Martin ne compta jamais réellement parmi les disciples
enthousiastes de la prophétesse Catherine Théot19. Ce qui se
fait jour à travers cette énumération de rencontres qui ne
sont hétéroclites qu’à une vue superficielle, c’est une
interprétation providentielle et eschatologique commune
des évènements révolutionnaires ; interrogé sur le sens
d’une lettre envoyée en février 1791, à un membre de la
Société des illuminés d’Avignon, Gombault souligna en
rouge le passage suivant à destination du commissaire du
Comité révolutionnaire de la section de Bondy : « Voilà le
règne de la nouvelle Jérusalem qui commence. Nous allons
avoir des pasteurs faits par le peuple tels que ceux de la
primitive Église, et, s’ils n’en ont pas encore les mœurs, ils
ne resteront pas ou se corrigeront, mais le mode de
nomination sera au moins selon l’Évangile20. »
8 Enfin, comme les autres normaliens, Saint-Martin fut en
relation avec les représentants de son département, l’Indre-
et-Loire, à la Convention : Pierre-Julien-François Bodin,
Pierre-Claude Nioche, Claude-Alexandre Ysabeau. On ne
déduira pas de cette analyse d’un cas exceptionnel une
hypothèse générale sur les réseaux de relations des
normaliens dans la capitale. Elle invite toutefois à réfléchir
davantage sur l’insertion des élèves dans les divers cercles
de sociabilité que leur offrait Paris.

Lettres à Niklaus Anton Kirchberger, baron


de Liebistorf

Lettre datée du 29 brumaire an III (19 novembre


1794)
9 […] Il est très possible qu’avant peu je parte pour aller
passer l’hiver à Paris. Voici pourquoi : tous les districts de la
République ont ordre d’envoyer à l’École normale, à Paris,
des citoyens de confiance, pour s’y mettre au fait de
l’instruction qu’on veut rendre générale, et quand ils seront
instruits, ils reviendront dans leur district pour y former des
instituteurs. On m’a fait l’honneur de me choisir pour cette
mission ; et il n’y a plus que quelques formalités à remplir
pour ma propre sûreté, vu ma tache nobiliaire, qui
m’interdit le séjour de Paris jusqu’à la paix21.
10 Comme je ne prévois pas que cela souffre de difficultés, je
présume que je pourrai être rendu à Paris dans trois
semaines au plus tard ; peut-être même y trouverai-je des
facilités pour vous faire passer, à peu de frais, le paquet en
question ; mais faites toujours en sorte que j’aie de vos
nouvelles ici avant de partir. Cette mission peut me
contrarier sous certains rapports ; elle va me courber l’esprit
sur les simples instructions du premier âge ; elle va aussi me
jeter un peu dans la parole externe, moi qui ne voudrais plus
entendre ni proférer d’autre que la parole interne. Mais elle
me présente aussi un aspect moins repoussant : c’est celui
de croire que tout est lié dans notre grande Révolution où je
suis payé pour y voir la main de la Providence. Alors il n’y a
plus rien de petit pour moi. Et ne fussé-je qu’un grain de
sable dans le vaste édifice que Dieu prépare aux nations, je
ne dois pas résister quand on m’appelle, car je ne suis que
passif dans tout cela ; on ne m’a choisi qu’en craignant que
je n’acceptasse pas ; et j’ai eu le doux bonheur de voir le
président du district verser des larmes de joie, quand j’ai
déclaré que j’acceptais, cela seul m’allège beaucoup le
fardeau. Mais le principal motif de mon acceptation est de
penser qu’avec l’aide de Dieu, je puisse espérer, par ma
présence et mes prières, d’arrêter une partie des obstacles
que l’ennemi de tout bien ne manquera pas de semer dans
cette grande carrière qui va s’ouvrir, et d’où peut dépendre
le bonheur de générations. Je vous avoue que cette idée est
consolante pour moi, et quand je ne détournerais qu’une
goutte du poison que cet ennemi cherchera à jeter sur la
racine même de cet arbre qui doit couvrir de son ombre tout
mon pays, je me croirais coupable de reculer, et je m’honore
même alors d’un pareil emploi : il est comme tout neuf dans
l’histoire des peuples, vu le caractère antérieur et intérieur
qui fait tout mon être, et pour lequel je n’aurai
probablement pas beaucoup de camarades dans l’école où je
vais me trouver. Soutenez-moi de votre côté, par vos bonnes
prières, mon cher frère, je crois que vous ferez par là une
bonne œuvre. […]
11 Je ne sais encore où je logerai, la maison que j’y habitais
étant devenue nationale22 […]

Lettre datée de Paris, 15 nivôse an III (4 janvier


1795)
12 Me voici rendu à ma destination, Monsieur, mais non pas
encore à l’œuvre, car nos entreprises studieuses ne
commenceront que dans quinze jours. On ne sait pas même
encore trop quelle tournure elles prendront, car le projet
mûr s’éloigne déjà du but simple de son institution qui
faisait mon attrait. Ainsi, je ne puis vous répondre en rien de
ses résultats, et pour cela il me faut voir venir. En attendant,
je gèle ici, faute de bois, au lieu que, dans ma petite
campagne, je ne manquais de rien ; mais il ne faut pas
regarder à ces choses-là. Faisons-nous esprits, il ne nous
manquera rien, car il n’y a point d’esprit sans parole et point
de parole sans puissance ; réflexion qui m’est venue ce
matin dans mon oratoire et que je vous enverrai toute
fraîche.
13 […] Adieu, Monsieur, adressez-moi vos lettres, rue de
Tournon, maison de la Fraternité23, à Paris.
14 Je me recommande à vos bonnes prières. […]

Lettre datée de Paris, 5 ventôse an III (25 février


1795)
15 […] Quant à nos écoles normales, ce n’est encore que le
Spiritus mundi tout pur24, et je vois bien qui est celui qui se
cache sous ce manteau. Je ferai tout ce que les circonstances
me permettent pour remplir le seul objet que j’ai eu en
acceptant.
16 Mais ces circonstances sont rares et peu favorables ; c’est
beaucoup si, dans un mois, je puis parler cinq ou six
minutes, et cela devant deux mille personnes, à qui il
faudrait auparavant refaire les oreilles. Mais je laisse à la
Providence le soin de disposer de la semence ; et de la
culture, je ne ferai que ce que je pourrai faire ; et je ne puis
rien, si elle ne juge pas à propos que j’en fasse davantage. Je
n’attends donc plus de ceci tout ce que mon désir m’en avait
fait espérer. Cependant, il en peut toujours sortir quelque
chose, si peu que ce soit, et il ne faut pas que je m’y refuse. Il
y a quelques Strasbourgeois parmi mes camarades, et je
profite de leur secours pour me faire expliquer les mots de
notre ami B25 que je n’entends pas. Ce sera toujours un
avantage que j’aurai retiré de mon voyage.
17 Adieu, Monsieur, je me recommande toujours à vos bonnes
prières et à votre souvenir dans vos moments de loisir.
18 Avançons, avançons dans l’intérieur ; j’éprouve de plus en
plus, chaque jour, que c’est là le seul bon pays à habiter.

Lettre datée de Paris, 29 ventôse an III (19 mars


1795)
19 […] J’ai jeté une pierre dans le front d’un des Goliaths de
notre École normale, en pleine assemblée ; et les rieurs n’ont
pas été pour lui, tout professeur qu’il est. C’est un devoir que
j’ai rempli pour défendre le règne de la vérité ; je n’attends
pas d’autre récompense que celle de ma conscience. Mais je
vois que nos écoles normales ne se soutiendront pas autant
que je l’espérais. Il faut que toutes les voies humaines soient
visitées, et puis détruites. […]
20 En attendant, je vous félicite de ce que vous irez vous
délasser à la campagne dans la belle saison. Je ne sais si
j’aurai la même permission. Tout dépendra de la tournure
de nos écoles, que je regarde comme une perte de temps
pour ceux qu’on y a appelés, et comme une perte d’argent
pour l’État. Mais je passe par-dessus tout cela, dans l’idée où
je suis que tout ceci tient à la démolition de Babel. Ce qui me
coûte un peu plus à sacrifier, c’est le bonheur que j’aurais à
partager votre loisir et vos études dans la tranquillité de vos
champs. Encore dois-je convenir que ce sacrifice lui-même,
notre bon maître m’aide à le faire, en m’apprenant qu’il peut
suppléer à tous les secours des hommes et des
circonstances.
21 Adieu, Monsieur et cher frère. Ora pro nobis.

Lettre datée de Paris, 9 floréal an III (28 avril 1795)


22 […] Nos écoles normales sont à l’extrémité ; on les enterre
le 30 de ce mois. Probablement, je m’en retournerai chez
moi à moins que je ne me gîte dans les environs de Paris, ce
qui a été de tout temps mon envie. Mais dans les secousses
où nous sommes encore, peut-on former aucun projet ?
Vous avez le temps de m’écrire, avant mon départ, pourvu
que vous n’en perdiez point. Et surtout, mandez-moi de
nouveau où je puis vous adresser le petit écrit que je vous ai
promis, et qui sera imprimé lorsque votre réponse arrivera ;
je n’ai pas, sous les yeux, l’adresse de Bâle que vous m’aviez
envoyée, et je ne sais si elle tient toujours.

Lettre datée de Paris, 3 prairial an III (22 mai 1795)


23 Je pars au plus tôt pour mon pays. Ce n’est pas sans regret,
car je n’y ai aucune liaison dans mon genre, et d’ici, j’en ai
plusieurs, quoique de nature bien différente. Mais, j’écoute
tout, je vois tout ce qui se présente, éprouvant, selon le
précepte, tous les esprits. Il y en a qui m’avaient peint
d’avance, et presque au naturel, la secousse que nous venons
d’éprouver et où j’ai vu de nouveau l’empire de l’heureuse et
puissante étoile à notre Révolution. Il y en a d’autres qui me
peignent des choses d’un ordre supérieur et dont la
confirmation se montre aussi assez souvent. Tous sont
animés de la foi vive et de la plus entière confiance dans les
vertus et l’esprit de notre divin Réparateur, ce qui me rend
leur commerce doux et salutaire.
24 Mais en partant, j’ai promis à mes amis de revenir, lorsque
j’aurai terminé chez moi quelques affaires, et lorsque les
subsistances seront devenues moins rares pour la récolte.
L’un me facilitera même, par un arrangement que nous
avons fait, le moyen d’avoir ici une existence plus gracieuse
que je ne l’ai depuis cinq mois, et qui me détourne moins de
ma besogne. Je vous dirai cela dans le temps ; je n’en dis
encore rien à personne, non plus que des objets ci-dessus
que je viens de vous confier ; je n’aime à les confier, ces
objets, qu’à ceux qui sont au-dessus ; or, le plus grand
nombre des hommes est même au-dessous.
25 Adieu, mon cher frère. Aimez-moi encore et priez pour moi.
26 Mon adresse est désormais à Amboise, place de la
République, département d’Indre-et-Loire. Le tout jusqu’à
mon retour.

Extraits de Mon portrait historique et


philosophique (1789-1803)
27 § 521 Dans le mois de frimaire l’an 3, c’est-à-dire à la fin
de 1794, j’ai été nommé par mon district pour aller comme
élève à l’École normale ; et le Comité de salut public m’a
envoyé une réquisition pour rentrer à Paris, attendu que le
décret du 27 germinal précédent m’en avait chassé. Si je
n’eusse consulté que mon goût particulier, j’aurais préféré
qu’on en nommât un autre que moi, parce que cette mission
me paraît devoir me courber l’esprit sur les instructions du
bas âge, et en outre me jeter dans l’externe, moi qui me sens
croître en désir et en besoin de rentrer dans l’interne. Mais,
comme je me suis tenu passif dans toute cette affaire, et que
j’ignore si la Providence ne me destine pas là l’occasion de
travailler pour elle contre l’esprit de l’ennemi, j’ai accepté, et
je ne sens pas intérieurement de bien mauvais présages sur
cette démarche. Les évènements m’apprendront si je me
trompe.
28 Je pourrais rapporter ici ce qui m’arriva au sortir du district
et qui m’y fit retourner pour déclarer que j’acceptais ; je
pourrais retracer les paroles relatives aux pierres qui
pourraient être jetées dans le front de quelque Goliath, ce
qui a eu lieu. Mais il est bon que tout cela me reste.
29 Avant de partir pour cette École normale j’ai été voir ma
sœur26, mon neveu et ma nièce au Puy27. J’ai trouvé doux
d’être au milieu des miens, et j’y aurais joui davantage si je
n’y eusse pas vu combien les papillons font de ravage sur la
terre, au point que nous nous laissons continuellement
avaler par quelqu’un d’eux, souvent par plusieurs, et ensuite
nous nous glorifions chacun du papillon qui nous domine, et
nous enveloppe, et nous voulons lui obtenir la supériorité
sur les papillons des autres28. […]
30 § 523 On m’a fait assez généralement le reproche de parler
peu. Supposé que je le méritasse, on aurait pu aussi me
trouver quelques excuses. 1) Mon habitude de spéculer
profondément ; ce qui ne se marie guère avec la parole
externe. 2) Les fruits de cette habitude même qui donnent à
mes idées une étendue plus vaste qu’au commun des
hommes et qui fait que dans très peu de mots je peux dire
plus qu’eux en beaucoup de paroles. 3) La disette de pensées
où ces hommes se tiennent et qui les porte à faire mille
questions inférieures et mille difficultés du second genre
qu’ils pourraient résoudre aisément eux-mêmes s’ils
voulaient s’en donner la peine. 4) L’usage si fréquent parmi
le monde de raconter au lieu de chercher ; de remplir le vide
par des récits au lieu de le remplir par des principes, en voilà
plus qu’il n’en faut pour que je sois rarement avec ce monde
dans des mesures qui lui agréent et qui lui conviennent.
31 § 524 Il est probable que l’objet qui m’amène à l’École
normale est pour y subir une nouvelle épreuve spirituelle
dans l’ordre de la doctrine qui fait mon élément ; ce n’est
que dans le genre que l’on suit qu’on est éprouvé ; je serai
donc là comme un métal dans le creuset, et probablement
j’en sortirai plus fort et plus persuadé encore qu’auparavant
des principes dont je suis imprégné dans tout mon être29.
[…]
32 § 527 À ma rentrée dans Paris pour l’École normale, j’ai
retrouvé avec plaisir plusieurs personnes de ma
connaissance, telles que les Davaux30, Archbold31, Vialette32,
Bachelier d’Agès33, La Ramière, Sicard34, Lizonet35, la
Desbordes, les Mion36, Mazade37, ma bête, Corberon38,
Clémentine39, Maglasson, Heisch40, le jeune homme
d’Hervier41, Mailly42, Gros43, Stall44, Maubach45, les Orsel46,
Ségur47, Gombault48, Gros-Jean49, d’Arquelay50, Menou51,
j’en ai connu plusieurs autres pour la première fois, telles
que Nioche52, Isabeau53, Bodin54, Monlord55, Lacroix le
mathématicien56, les Montijeau57, Miss Adams, White,
Beaupuy58, Berthevin59, La Tapye60, La Roque61, le couple
Tiroux62, Falconet63, les La Corbière64, Krambourg65,
Chaix66, Relud67.
33 § 528 Ce que j’ai prévu sur l’École normale au § 524 a eu lieu
le 9 ventôse dans la conférence avec Garat sur
l’entendement humain. J’avais déjà parlé une fois mais fort
peu, et j’obtins les amendements que je demandais sur les
mots faire nos idées, etc. et sur les causes de la diversité de
l’esprit humain. Cette fois-ci j’en demandai trois autres, l’un
sur le sens moral, le deuxième sur la nécessité d’une
première parole, le troisième sur la matière non pesante. Je
fus mal reçu par l’auditoire qui est dévoué en grande partie à
Garat à cause des jolies couleurs de son éloquence, et de son
système des sensations. Malgré cela on me laissa lire
jusqu’au bout ; et le professeur ne me répondit que par des
assertions, et des raisons collatérales, de manière que mes
trois observations restent encore dans leur entier. Et je puis
dire qu’il s’y trouve des bases neuves que je n’aurais pas eues
sans cette circonstance. Garat avait l’air de souhaiter que je
me fisse connaître davantage, et que j’entrasse plus
amplement en matière, mais je ne m’y sentis nullement
poussé, et je me contentai d’avoir lancé mon trait ; c’est
probablement tout ce que j’aurai à faire dans cette école, et
je crois que mon rôle y est comme fini. J’ai su le lendemain
que tous les rieurs avaient été pour moi.
34 § 529 Je dois demeurer plus convaincu que mon égide a
voulu me préserver des sciences humaines, et ne m’en
laisser connaître que ce qu’il m’en fallait pour les combattre,
car dans ma jeunesse lorsque j’étais plein d’ardeur pour
elles, j’étais privé des circonstances et des moyens qui
auraient pu m’aider à me satisfaire ; et dans mon âge
avancé, pendant mon séjour à Paris au milieu de tous les
docteurs de l’École normale, j’avais bien tous les moyens si
j’avais voulu en profiter ; mais je n’en avais plus la fureur, et
j’étais entraîné par le charme de l’angoisse centrale qui
m’ouvrait toutes les voies, et me remplissait d’espérances
inexprimables ; il n’est donc pas étonnant que je donnasse
exclusivement la préférence à ce sentier-là68. […]
35 § 532 Ce que j’ai dit § 529 sur la marche que les sciences ont
tenue à mon égard demande une grande modification. C’est
moins des sciences humaines qu’on a voulu me préserver
que de leurs abus et de leur entraînement ; on n’a voulu les
laisser approcher de moi quand ma substantialité serait
devenue assez abondante pour qu’elles ne pussent plus
l’évaporer comme elles l’on fait tant de fois dans la jeunesse
de mon âge spirituel ; et je commence à sentir qu’elles n’ont
plus ce danger-là pour moi, au contraire elles la fortifient, et
la font croître ; j’en ai jugé ainsi dans les petits coups d’œil
que j’ai donnés à la géométrie descriptive de Monge
professeur aux écoles normales. La Roque y voyait la
géométrie transcendante, et moi j’y ai vu jusqu’à l’origine
des langues ; mais j’ai appris là aussi combien les
mathématiques avançaient peu l’esprit de l’homme, et
qu’elles ne faisaient que le préserver comme les bourrelets
de l’enfant. Malheureusement, en serrant l’esprit de
l’homme, elles font jaillir en haut quelques lueurs qu’il
prend pour la véritable lueur, il s’en glorifie, et il s’arrête,
voilà ce dont le vulgaire ne se doute pas.
36 § 533 Dieu est si magnifique qu’après m’avoir fait sentir que
j’aurais la chose en grand ou que je ne la posséderais jamais,
il m’a fait sentir en outre qu’il ne se donnait point par
mesure, et qu’il ne pouvait s’approcher qu’avec le
complément et l’unité de ses merveilles, de ses dons et de
ses virtuelles faveurs. Il ne veut pas se montrer ni se laisser
démontrer sans ses œuvres. Il veut que nous soyons par lui,
comme il veut être par nous. Telle est la règle irréfragable de
la haute et véritable instruction. Toutes les autres quelques
bonnes qu’elles puissent être dans leurs mesures
d’intelligences, de discours et de raisons satisfaisantes ne
sont que des instructions préparatoires.
37 § 534 Au sujet de l’ami B [on] neV [i] lle69 qui s’est porté
avec zèle à la publication de la Lettre à un ami par un élève
des écoles normales l’an 3, j’ai remarqué que si les bons
cœurs étaient une chose rare, les bonnes têtes l’étaient
encore davantage.
38 § 535 […] C’est dans nos âmes que nous devons écrire, c’est
là seul où les pensées germent d’une manière profitable.
39 § 536 Pendant mon séjour à Paris lors des écoles normales,
j’ai été à portée d’apercevoir le tuf des gens de cour. Dans le
temps où ils étaient alimentés par l’atmosphère royale, leur
orgueil, leur cupidité, et toutes leurs autres corruptions ne
perçaient qu’au travers d’une amabilité, et d’une élégance de
ton et de manière d’être qui faisait passer par-dessus tout.
Aujourd’hui que cette source n’existe plus pour eux, on ne
voit presque plus en eux que ce qui était caché sous ces
dehors si séduisants ; ils méprisaient le marchand lorsqu’ils
avaient la certitude d’être distingués par leurs titres.
Aujourd’hui qu’ils ne seraient plus distingués par leurs
titres, ils se font marchands afin d’être distingués par leur
fortune, car toute leur frayeur est d’être confondus avec les
autres hommes. Autrefois ils étaient environnés de ce qu’il y
avait de fameux en tout genre, et cette seule approche
étendait quelquefois des voiles sur leur ignorance ;
aujourd’hui, dénués de cette ressource, leur ignorance plate
et grossière se montre à découvert. Autrefois ils étaient
contenus par l’apparence de la moralité et par la décence
extérieure qu’il fallait affecter à la cour ; aujourd’hui la
brutalité et la grossièreté végètent seules ; et c’est par ces
tristes effets que j’aurais appris ce qu’il y avait au fond d’un
homme de cour quand je ne l’aurais pas su, pour ainsi dire,
dès les premiers moments de ma vie où j’ai été à portée
d’exercer ma pensée.
40 § 537 Le 4 prairial, je suis parti de Paris pour revenir dans
mon département, les écoles normales ayant été fermées
le 30 floréal, comme ne remplissant pas le but qu’on s’était
proposé. Ce but m’avait paru assez clair dès le
commencement. C’était d’établir l’athéisme et la doctrine de
la matière dans toute la République, et plusieurs de mes
camarades ont pensé que ma séance avec Garat § 528 avait
été le coup de grâce de l’École. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’à
la clôture où Garat, après plus de huit décades d’absence,
vint pérorer et faire ses adieux à l’assemblée, je sentis que
c’était une faveur de la Providence que cette école fût
dissoute, car l’École était perdue si elle eût continué, et l’on
peut juger quelles en eussent été les suites.
41 Avant mon départ, je fus témoin pendant trois jours et demi
de la secousse qu’éprouva Paris, depuis le 1er prairial, par les
infernales machinations des ennemis de la Révolution qui
coûtèrent la vie au représentant Feraud à qui le peuple
coupa la tête et la promena sur une pique dans la
Convention. J’admirai néanmoins le pouvoir de notre étoile
qui délivra la France comme par un coup de baguette
magique du danger imminent qu’elle courut pendant
plusieurs heures et même plusieurs jours. J’avais eu
également à admirer lors de la secousse du 12 germinal
précédent, où Pichegru se trouva, où Collot d’Herbois,
Barère et Billaud furent arrêtés, et qui se calma aussi
aisément. […]
42 § 539 Lors de ma résidence à Paris pour les écoles normales,
je fus logé rue de Tournon au ci-devant hôtel de l’Empereur,
où je fus aussi mal qu’il est possible, et de toute manière.
J’aurais pu changer si je l’avais voulu. Mais je fis réflexion
que j’avais eu dans ma vie des situations si au-dessus de
mon état par leur agrément et leurs commodités, que je ne
fus pas fâché de rester un temps dans une situation qui était
au-dessous de celle que j’aurais pu me procurer, et cela sans
que j’eusse cherché de moi-même à être aussi mal. Il me
sembla qu’il y aurait par là une sorte de compensation qui
ne pourrait pas m’être préjudiciable. À la fin de mon voyage,
j’ai eu au moins en projet la récompense de ce calcul. Un
ami m’offrit, et s’engagea très cordialement à me procurer à
mon retour à Paris une existence bien différente de celle que
je venais de quitter. Cela est encore à venir70. […]
43 § 545 J’ai comparé une fois les chaires des savants et tous
leurs livres à un bâton de perroquet au milieu d’une
chambre ; encore ne répètent-ils pas toujours les leçons
aussi bien que l’oiseau qui monte et descend sur le bâton en
gazouillant71. […]
44 § 550 Ma brochure en forme de lettre sur la Révolution
française a à peine été regardée. Cela ne m’a pas surpris, je
l’avais annoncé ; mais plus elle a été rebutée, plus je me suis
félicité de l’avoir faite. La raison de mon peu de surprise
vient de ce qu’un ouvrage qui renverse les trônes de toute
espèce dont la société est remplie ne peut sûrement convenir
à personne. La raison de ma satisfaction vient de ce qu’il
faudra bien qu’un jour ils avalent cette pilule-là quelque
amère qu’elle soit, et que j’ai l’espérance qu’il y aura bien
alors une petite gratification pour le pauvre garçon
apothicaire, comme je l’ai mandé à plusieurs de mes amis.
Cet ouvrage est intitulé : Lettre à un ami, ou considérations
politiques, philosophiques et religieuses sur la Révolution
française, suivies du précis d’une conférence publique entre
un élève des écoles normales et le professeur Garat. Par un
élève des écoles normales. Avec l’épigraphe : For human
weal heaven husbands all events. Night thoughts. Night 1 V.
10572. De l’imprimerie de Migneret rue Jacob no 1186, l’an
troisième de la République française73. […]
45 § 585 Malgré ce que j’ai dit des chaires des savants § 545, il
m’a plusieurs fois passé dans l’esprit l’envie d’en occuper
une, à Tours, dans les écoles centrales. Je songeais
seulement à celle d’entendement humain. Ensuite à celle
d’histoire quand l’autre fut supprimée. Mais je m’en suis
tenu à l’idée, et je n’ai fait aucune démarche pour cela.
Malgré les tableaux séduisants que ces idées formaient dans
ma tête, une voix plus profonde et plus imposante me
retraçait mon véritable emploi qui est l’angoisse et la
grammaire génésique ; et je rentrais alors dans le néant
externe auquel je suis condamné dans tous les genres, pour
porter tout mon être vers la réalité interne. Quoique dans
ces deux chaires d’entendement humain, et d’histoire,
j’eusse pu trouver à faire filtrer quelques rayons, je ne sais
pas si les terrains auraient été préparés, je ne sais pas si je
ne me serais pas laissé entraîner trop en dehors, je ne sais
pas si le goût et l’envie des suffrages ne m’eussent pas fait
dévier de ma ligne, je ne sais pas si l’obligation de parler à
des moments fixes ne m’eût pas été très préjudiciable, moi
qui n’aime à parler que quand cela me plaît. Or je ne dois
pas m’exposer sans ordre à tous ces dangers74. […]
46 § 610 Je ne sais si je me trompe mais il me vient si souvent
des retours d’idées et des armes si nombreuses et si
péremptoires au sujet de ma discussion publique avec Garat,
§ 528, qu’il me prend envie de croire que les choses n’en
resteront pas là, que cette discussion n’a été qu’une
escarmouche qui aura un jour d’autres suites, et que j’aurai
occasion de me servir soit contre cette personne, soit contre
toute autre, des moyens qui me sont envoyés de combattre
sa cause. Le temps et les circonstances m’apprendront si j’ai
tort75. […]
47 § 1091 C’est aussi vers la fin de 1802 qu’a paru la nouvelle
édition des écoles normales où se trouve ma bataille Garat,
au 13e volume. Ce n’est pas sans difficulté qu’on a laissé
paraître cette bataille qui est la pierre jetée dans le front de
Goliath et qui me fut annoncée en 1795 à Amboise lorsque le
district me choisit pour m’envoyer comme élève à ces écoles
normales. Au reste, je dois rendre justice à Garat qui s’est
fort bien conduit lors des difficultés que l’on faisait à la
publication de mon écrit contre lui76.

Notes
1. L.-C. de Saint-Martin, Lettre à un ami ou Considérations politiques,
philosophiques et religieuses sur la Révolution française, suivies du
Précis d’une conférence publique entre un élève des écoles normales et
le professeur Garat, Paris, chez Jean-Baptiste Louvet, libraire ;
Migneret, imprimeur ; et chez tous les marchands de nouveautés an III
(1795). Nous citons ici d’après l’édition critique procurée par Nicole
Jacques-Lefèvre, Grenoble, Jérôme Millon, 2005, § 30, p. 111. Jean-
Baptiste Louvet (1760-1797), auteur des Amours du chevalier de
Faublas, conventionnel girondin, rentra à Paris à la fin de 1794 et y
ouvrit une librairie au Palais-Égalité. Il ne fut réintégré à la Convention
que le 8 mars 1795 avec les autres Girondins.
2. Ibid., § 43, p. 118.
3. La Correspondance inédite de L.-C. de Saint-Martin, dit le
philosophe inconnu, et Kirchberger, baron de Liebistorf,
du 22 novembre 1792 jusqu’au 7 novembre 1797, L. Schauer et A.
Chuquet (éd.), Amsterdam, Van Backenes, 1862, lettre no LX,
29 brumaire an III, p. 165-166. Dans Mon portrait historique et
philosophique, autobiographie qui sera décrite plus loin, Saint-Martin
s’explique sur ses réticences à écrire : « On me presse toujours d’écrire,
particulièrement l’ami Gomb [ault] et cela sur la politique et la
Révolution, attendu que la liberté de la presse peut me laisser la facilité
de me développer. J’ai, j’en conviens, de grandes choses à dire sur ces
grands objets ; mais ce qui met beaucoup de lenteur dans l’exécution
d’une pareille entreprise, c’est en général le peu de fruit que je vois que
l’on peut attendre des livres, et les avances énormes qu’i1 faut faire en
travail et en idées avant de prétendre à une récolte qui encore est si
casuelle qu’on n’ose seulement pas y compter. En effet, il faut
premièrement faire le livre, secondement le bien faire ; il faut ensuite
que les hommes le lisent, il faut qu’il leur convienne et qu’il leur plaise
surtout par la forme ; il faut ensuite que le fond les attache et les
surprenne ; il faut, après cela, qu’ils se déterminent à s’en approprier les
principes et à les mettre en valeur et en pratique. Quel est l’écrivain sur
la terre qui puisse se flatter d’un pareil succès. »
4. La Correspondance inédite…, ibid., lettre no XLVII, 24 floréal an II
(14 mai 1794), p. 130. La lettre fut ensuite renvoyée à Amboise.
5. L.-C. de Saint-Martin, Lettre à un ami…, op. cit., § 172, p. 199.
6. Ibid., § 173, p. 200. L’allusion à Ninive renvoie à la Bible, Jonas,
chap. 3, versets 1 à 10.
7. Ibid., § 175, p. 201.
8. Ibid., § 32, 33, 35, 37, p. 112-115. L’expression « sentinelle d’Israël »
renvoie à Ézéchiel, chap. 44, verset 11.
9. La Correspondance inédite…, ibid. Selon A. Faivre (Kirchberger et
l’illuminisme du �����e siècle, La Haye, Martinus Nijhoff, 1966, p. ����),
cette édition appelle deux réserves : elle est incomplète puisque les
éditeurs ont procédé à un choix arbitraire de lettres ; elle est « mauvaise
et remplie d’erreurs ». Parmi les trois copies manuscrites réalisées au
début du x�xe siècle et qui ne diffèrent entre elles que sur des points de
détail (bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne, bibliothèque de la
Faculté libre de théologie protestante de Lausanne, bibliothèque
municipale de Grenoble), le manuscrit original pouvant être considéré
comme perdu, nous avons choisi de contrôler le texte des lettres éditées
que nous publions sur la copie grenobloise (B. M. Grenoble, ms. 4130).
10. Voir à ce propos A. Faivre, ibid., en part. p. 101-112.
11. L.-C. de Saint-Martin, Mon portrait historique et philosophique
(1789-1803), Paris, Julliard, 1961. Le titre exact, qui n’apparaît que dans
une copie (appelée par Robert Amadou copie W [atkins]) datant du
premier tiers du ���e siècle et commandée par le petit-cousin de Saint-
Martin, Nicolas Tournyer, est le suivant : Mon portrait historique et
philosophique commencé en 1789 et continué sans suite, et sans autre
ordre que celui dans lequel ma mémoire m’a retracé les évènements de
ma vie et les pensées que j’ay reçues en différents temps. En dépit de ce
titre, l’ouvrage semble avoir été commencé au début de 1792, comme
l’indiquent les paragraphes 25 et 26 (p. 60), tous deux datés
du 31 janvier 1792. Pour une analyse linguistique du discours de Saint-
Martin, on pourra se reporter à G. Gayot et M. Pêcheux, « Recherches
sur le discours illuministe au �����e siècle : Louis-Claude de Saint-Martin
et les “circonstances” », Annales ESC, 26e année, 1971, p. 681-704.
12. Voir, par exemple, le § 288, p. 153-154, écrit le 25 juillet 1792, qui
contient un ajout concernant les différents séjours du scripteur à
Amboise et à Paris jusqu’au 1er octobre 1801.
13. Ibid., § 455, p. 232-233. Nommé « commissaire pour la confection
du catalogue des livres nationaux », Saint-Martin s’interroge sur le sens
de ce travail : « Chaque action extérieure à laquelle nous nous livrons est
au préjudice de cette action vive qui doit naître et exister
continuellement dans tous nos centres. Or les occupations humaines
sont-elles autre chose que de l’extérieur, et vont-elles ailleurs que dans
cet extérieur ? Ma commission même ne va pas plus loin, puisqu’il n’y
est question d’aucune manière d’y faire usage de mon jugement et de
mon esprit. Aussi je sens bien dans mon intérieur que si mes
compatriotes me jugeaient selon mes vraies mesures ils
m’appliqueraient à autre chose ; je sens enfin que dans le repos et la paix
de l’esprit, je pourrais faire des livres de catalogue, au lieu de ne faire
que des catalogues de livres. »
14. Ibid., § 564, p. 276. La Vie de sœur Marguerite du Saint-Sacrement,
religieuse carmélite du monastère de Beaune, composée par un prêtre
de la congrégation de l’Oratoire [Denis Amelote] parut en 1655 chez
Pierre Le Petit. Marguerite du Saint-Sacrement (Marguerite Parigot,
1619-1648), professe du Carmel de Beaune, suscita par ses prières un
important développement de la piété à l’Enfant-Jésus.
15. Ibid., § 296, p. 158. Le passage fut sans doute écrit en août 1792.
16. Nicolas de Bonneville (1760-1828), initié à la franc-maçonnerie lors
de son séjour en Angleterre en 1786, fonda en 1789 le Cercle social avec
Claude Fauchet, puis, en 1790, la Confédération des amis de la vérité et
édita livres et journaux : Le Tribun du peuple, Le Cercle social, La
Bouche de fer, La Chronique du mois ou les Cahiers patriotiques, Le
Bulletin des amis de la vérité par les directeurs de l’imprimerie du
Cercle social. L’imprimerie du Cercle social publia Ecce Homo de Louis-
Claude de Saint-Martin en 1792 et, on l’a vu au chapitre 14 du tome 5 de
L’École normale de l’an III, elle édita le Journal des séances des écoles
normales. Saint-Martin, fidèle en amitié, n’en fut pas moins sévère à
l’égard de L’Esprit des religions publié en 1791 : « Cet écrivain
ingénieux, chaud et fécond, m’envoya la réédition de son ouvrage. Voici
le jugement que la lecture m’en a fait naître ; il y a eu un architecte qui,
en bâtissant une maison, en avait oublié l’escalier ; l’auteur en question
paraît dans son édifice n’avoir su faire que l’escalier et avoir oublié la
maison et jusqu’au moindre logement. » (Mon portrait…, op. cit., § 311,
p. 165)
17. A. N., F7 4734, dossier Gros. L’arrêté visait en même temps Pierre
Pontard, évêque constitutionnel de la Dordogne, Jean-Baptiste
Miroudot, évêque de Babylone, Antoine-Joseph Gros, maître de
musique et secrétaire des commandements de la duchesse de Bourbon,
les femmes Pescheloche (épouse de Louis-Joseph Louvain de
Pescheloche, ancien avocat au parlement de Paris, devenu major dans la
Garde nationale, par ailleurs trésorier de la loge parisienne Saint-
Alexandre d’Écosse entre 1787 et 1791, qui était le principal locataire de
la maison où était hébergée Catherine Théot depuis l’été 1793) et Potu.
18. Dans Mon portrait…, Saint-Martin y voit une marque de la
bienveillance de « l’inépuisable Providence » qui le traite en « enfant
gâté ». Au § 464, p. 236-237, il note : « On avait arrêté quantité de
personnes liées ou attachées à une amie commune à nous [la duchesse
de Bourbon] ; et on se proposait d’en arrêter beaucoup d’autres de la
même catégorie. Quoique je datasse plus qu’un autre dans ce cercle-là
par bien des raisons, on m’a tellement oublié qu’il n’a pas seulement été
question de moi. Si j’eusse été à Paris, sûrement je ne l’aurais pas
échappé ; et c’est le décret du 27 germinal sur les nobles qui a été ma
sauvegarde. Voyez donc comme nous sommes sages quand nous
murmurons. J’ai appris depuis que j’avais eu un mandat d’arrêt lancé
contre moi ; mais je ne l’ai su qu’un mois après. ».
19. Ibid., § 426, p. 220 : une « vieille fille nommée C. [qui l’intéressait]
par ses vertus et par la forte attraction qu’il y avait sans son esprit, [mais
ne le] persuadait nullement par sa doctrine sur sa mission, sur le nouvel
évangile, sur le règne non commencé, sur la nullité du passé, sur la non-
mortalité, etc. toutes choses que ses disciples adoptaient avec le plus
grand enthousiasme. Cette nouvelle branche du commerce spirituel s’est
présentée à moi sans que je l’aie cherchée comme toutes les autres qui
me sont connues, et elle m’a fourni l’occasion d’exercer ma profession
dans cette partie, qui consiste principalement de ma part à être
inspecteur. »
20. A. N. F7 4728, dossier Gombault. Lettre de Gombault à Marie-Daniel
Bourrée de Corberon, février 1791, où l’auteur commente la mise en
place de la Constitution civile du clergé ; interrogatoire du 21 floréal an
II (10 mai 1794).
21. L’article 6 du décret voté par la Convention, le 27 germinal an II
(16 avril 1794), déclare qu’aucun noble, aucun étranger du pays avec
lesquels la République est en guerre ne peut habiter Paris, ni les places
fortes, ni les villes maritimes pendant la guerre.
22. Lors de ses passages dans la capitale, Louis-Claude de Saint-Martin
résidait généralement à l’hôtel d’Évreux, acheté en 1787 par Louise-
Marie-Thérèse-Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon et sœur du duc
d’Orléans (futur Philippe-Égalité), rue Saint-Honoré, aujourd’hui palais
de l’Élysée. Celle-ci, grande maîtresse des loges d’adoption, passionnée
d’oracles, d’hypnose et de spiritualité mystique, organisait dans son
salon des séances de magnétisme animal dirigées par Mesmer, puis par
le marquis de Puységur. Après l’incarcération de sa propriétaire,
transférée en avril 1793 à Marseille, l’hôtel connut en effet plusieurs
affectations, accueillant en 1794 la Commission de l’envoi des lois et
l’imprimerie du Bulletin des lois, puis étant transformé, quelques mois
plus tard, en dépôt national de meubles provenant des saisies d’émigrés
ou de condamnés. Dans Mon Portrait…, op. cit., § 447, p. 230, Saint
Martin note : « En février 1794 (vieux style), la maison que j’habitais à
Paris devint nationale. J’en fus très affligé par rapport à la maîtresse du
logis dont le sort ne semblait pas s’améliorer par là ; j’en fus très affligé
aussi par rapport à toutes les personnes attachées à cette maison qui
paraissaient par cet évènement être menacées dans leur petite fortune et
leur petit bien-être ; quant à moi, particulièrement, j’en remerciai la
Providence, parce que cette maison était trop belle pour moi et que j’ai
toujours les palais en horreur. »
23. Il s’agit de l’hôtel portant, à la fin de l’Ancien Régime, l’enseigne « de
l’Empereur », du fait que la suite du comte de Falkenstein, pseudonyme
sous lequel voyageait le futur Joseph II, y résidait pendant le séjour de
celui-ci dans la capitale.
24. On peut mettre cette observation en rapport avec la remarque du
§ 364 (qui date vraisemblablement de mars 1793) de Mon portrait…, op.
cit., p. 188 : « Un abus que j’ai reconnu bien tard, quoique je l’aie
pressenti presque toute ma vie, c’est celui où l’esprit de l’homme est
entraîné par le charme des sciences humaines, et l’empire de l’œil de ses
semblables. Ce danger est tel que l’homme ne se voit plus que comme le
seul terme de l’entreprise ; et pourvu que sa gloire soit sauve et satisfaite
il ne croit pas avoir d’autre but à se proposer. Voilà ce vorace esprit du
monde qui engloutit journellement les humains, et qui les nourrit de ce
poison corrosif dont il est à la fois le principe et l’organe. Le principe de
vérité impose aux hommes d’autres lois. » Voir également § 76, p. 76 :
« J’ai vu les sciences fausses du monde, et j’ai vu pourquoi le monde ne
pouvait rien comprendre à la vérité, c’est qu’elle n’est point une science,
et qu’il veut toujours la comparer avec ces sciences fausses dont il se
berce, et se nourrit continuellement. »
25. Il s’agit de la traduction du livre de Jakob Boehme, théosophe
allemand (1575-1624), Vom dreifachen Leben des Menschen,
qu’entreprit Saint-Martin. Cette traduction parut en 1809 à Paris chez
l’imprimeur Migneret, sous le titre : De la triple vie de l’homme, selon le
mystère des trois principes de la manifestation divine, écrit d’après une
élucidation divine par Jacob Bôhme... traduit de l’allemand... par un ph
[ilosophe] in [connu, Louis-Claude de Saint-Martin] en 1793.
26. Louise-Françoise de Saint-Martin (1741-1828), épouse en secondes
noces d’Auguste-Antoine Des Herbiers, marquis de l’Estenduère.
27. Propriété située près de Montbazon (Indre-et-Loire).
28. L.-C. de Saint-Martin, Mon portrait…, op. cit., p. 259-260.
29. Ibid., p. 261.
30. Il s’agit vraisemblablement du violoniste et compositeur Jean-
Baptiste Davaux (1742- 1822), qui appartenait, sous l’Ancien Régime, à
la maison du prince de Rohan, puis devint secrétaire des
commandements du prince de Guéménée et fut l’inspirateur de la
formation musicale Le Concert des amateurs, dirigée par Gossec, qui
donna régulièrement des concerts à l’hôtel de Soubise de 1769 à 1781.
Ses œuvres, principalement de musique de chambre, furent jouées au
Concert spirituel entre 1773 et 1788. Davaux devint en 1793 chef de
bureau au ministère de la Guerre. La symphonie concertante qu’il
composa en 1794 comprenait des airs patriotiques comme La
Marseillaise et le Ça ira. Il apparut sur le tableau imprimé de la Loge
des neuf sœurs en 1779. Il fut, par ailleurs, membre de la Société des
enfants d’Apollon, proche de la Loge des neuf sœurs, qui donna des
concerts à partir de 1784 dans la salle du Musée, rue Dauphine. Voir L.
Amiable, Une loge maçonnique d’avant 1789. La R... L... des neuf sœurs,
Paris, Alcan 1897, p. 188-194, p. 339 et p. 391 ; R.-H. Tissot, « Jean-
Baptiste Davaux : un amateur-compositeur », in R.-H. Tissot et C.
Bellissant (dir.), Le Concert des amateurs à l’hôtel de Soubise
(1769-1781). Une institution musicale parisienne en marge de la Cour,
Grenoble, CNRS-Publications de la MSH-Alpes, 2004, p. 17-28.
31. Jean-Baptiste-Gérard Archbold, docteur en médecine de l’Université
de Montpellier, résidait à Bordeaux avant la Révolution ; il fut
correspondant de la Société royale de médecine de Paris. Disciple de
Mesmer et membre actif de la Société d’harmonie de Guyenne, il publia
en 1785 un Recueil d’observations et de faits relatifs au magnétisme
animal, présenté à l’auteur de cette découverte et publié par la Société
de Guyenne, Paris, chez les Marchands de nouveautés/ Bordeaux,
Pallandre jeune. Il fut en correspondance régulière avec Jean-Baptiste
Willermoz. Au paragraphe 237 de Mon portrait…, p. 133, Saint-Martin
écrivait à son propos : « On m’a dit un bien infini de M. Archbold,
médecin de Bordeaux, qui est fort de la connaissance […] de M. Vialet
[tte] d’Aignan et de l’abbé Sicard, instituteur des sourds et muets en
remplacement de l’abbé de L’Épée […]. Ce digne médecin parait être
toute âme, et je crois que j’aurais passé près de lui d’agréables moments
si j’avais eu le bonheur de le connaître personnellement et de pouvoir
me rapprocher de lui. »
32. Étienne Vialette d’Aignan était entrepreneur de la manufacture
royale de cadis (serge drapée) de Montauban, premier consul de la ville
sous l’Ancien Régime, officier municipal au début de la Révolution.
Vénérable de la Loge symbolique de la bonne foi réunie au Directoire
écossais de Septimanie, député maître du Rite écossais rectifié pour le
district de Toulouse, il fut l’un des quatre grands profès de la province de
Septimanie (dont le siège était à Montpellier) dans le système des
Chevaliers bienfaisants de la Cité sainte mis en place en 1779 par
Willermoz lors de la réforme de la franc-maçonnerie de stricte
observance templière : il y fut désigné sous le titre d’Eques Stephanus ab
Agno. Il fut, par ailleurs, initié à Toulouse en 1785 dans l’Ordre des Élus
cohens. Le comte Du Roy d’Hauterive rappela à cette occasion
l’impérieuse nécessité, puisqu’il était protestant, de ne pas oublier « lors
de sa réception de faire en son nom, à voix basse, trois fois l’abjuration à
l’angle du midi pour la faute d’hérésie ». Adepte enthousiaste du
magnétisme mesmérien, Vialette d’Aignan fut par ailleurs membre
correspondant de la Société harmonique des amis réunis de Strasbourg,
association établie en 1785 par le marquis de Puységur, qui pratiquait le
traitement par hypnose. Vialette envoya à cette société des observations
cliniques qui furent publiées dans ses Annales. Voir R. Le Forestier, La
Franc-Maçonnerie templière et occultiste au �����e et ���e siècle, Paris-
Louvain, Aubier-Nauwelaerts, 1970, p. 517, p. 812 et p. 892 ; M.
Taillefer, La Franc-Maçonnerie toulousaine sous l’Ancien Régime et la
Révolution, 1741-1799, Paris, ENSTB-CTHS, 1984, p. 61, p. 99,
p. 100-102, p. 104 et p. 107-108. Saint-Martin fut d’ailleurs en
correspondance directe avec ce personnage auquel il écrivit une lettre au
sujet de la Vierge : voir Mon portrait…, op. cit., § 393, p. 205-206.
33. Pierre-Jean Bachelier d’Agès était, avant la Révolution, un membre
très actif de la Société parisienne de l’harmonie universelle fondée par
Mesmer, surtout après l’élimination du groupe radical dirigé par
Bergasse. Il publia en l’an VIII un livre intitulé : De la nature de
l’homme et des moyens de le rendre plus heureux, Paris, Buisson. Voir
R. Darnton, La Fin des Lumières. Le mesmérisme et la Révolution,
Paris, Perrin, 1984, p. 74.
34. Roch-Ambroise Cucurron, dit l’abbé Sicard (1742-1822), enseigna
l’art de la parole à l’École normale. Ancien membre de la congrégation
de la Doctrine chrétienne, il fut appelé par l’archevêque de Bordeaux,
Jérôme-Marie Champion de Cicé, et devint chanoine de Saint-Seurin de
Bordeaux en 1784. Secrétaire de la loge bordelaise l’Anglaise, il participa
à la fondation du Musée de Bordeaux. En 1786, il fut nommé directeur
de la nouvelle institution des sourds et muets de Bordeaux où il
perfectionna les méthodes de l’abbé de L’Épée avant de prendre,
en 1790, la succession de ce dernier à l’Institut des sourds et muets de
Paris. Voir J.-L. Chappey, La Société des observateurs de l’homme
(1799-1804). Des anthropologues au temps de Bonaparte, Paris, Société
des études robespierristes, 2002, p. 32-40 ; J. Coutura, Les Francs-
Maçons de Bordeaux au �����e siècle, Marcillac, Éditions du Glorit,
1988, p. 93.
35. Il pourrait éventuellement s’agir de Pierre-Louis Chaussée, « dit
Lizonet », musicien âgé de 49 ans, qui résidait rue de la Harpe en 1793,
d’après le registre des cartes de sûreté (A. N., F7 4807).
36. Une lettre de Gombault à Marie-Daniel Bourrée de Corberon, datée
vraisemblablement de février 1791, précise que madame de Myons « est
toujours dans le bon chemin et y fait des progrès ». Prié de préciser sa
pensée lors de son interrogatoire, le 21 floréal an II (10 mai 1794), par
les membres du Comité révolutionnaire de la section de Bondy,
Gombault répond que « la citoyenne Mions […] était une femme
divorcée avec son mari, qui demeure boulevard Saint-Martin no 72 dont
son mari est émigré » et qu’à propos du « bon chemin » et des
« progrès » cité dans la lettre, il a voulu parler de « piété et de vertu ». Il
s’agit vraisemblablement de l’épouse de Barthélemy Léonard Pupil,
marquis de Myons, premier président honoraire de la Cour des
monnaies de Lyon. Celui-ci demeurait rue de Bondy, mais émigra
en 1789.
37. Il s’agit de Julien-Bernard-Dorothée de Mazade de Percin
(1750-1823), représentant de la Haute-Garonne à la Convention, qui, à
partir de 1781 et jusqu’en 1790, suivit, grâce à la protection du marquis
de Castries, ministre de la Marine, une carrière de magistrat, d’abord à
l’île Bourbon puis à Saint-Domingue. Saint-Martin le connut lors de
deux séjours à Toulouse en juillet et août 1776 puis en août et
septembre 1777, ce dont témoigne, avec une certaine imprécision, son
Portrait… (op. cit., § 421, p. 218) ; il fait état d’une rencontre avec lui à
Amboise, le 10 juillet 1793, alors que Garnier de Saintes et Mazade
rentraient d’une mission auprès de l’armée des Côtes à La Rochelle pour
laquelle ils furent nommés le 30 avril précédent : « M. Mazade de
Percin, député à la Convention, est venu me voir à Amboise au retour
d’une mission dont il était chargé pour La Rochelle. C’est un homme de
beaucoup d’esprit, et que j’ai connu avec grand plaisir à Toulouse dans la
maison Dubourg dont il a épousé la fille cadette. Comme il y avait quinze
ans que je ne l’avais vu, et que dans cet intervalle il a fait de très grands
voyages qui l’ont un peu changé, je ne le reconnus qu’au bout de
quelques secondes. Mais je fus très satisfait de le revoir. Lors de notre
liaison il n’a jamais été que dans des commencements de rapports avec
moi relativement à mes objets ; depuis ces commencements de rapports,
la voie s’est encore bien plus ouverte pour moi, de façon que je n’ai pas
poussé loin la conversation sur cette partie, et cela d’autant moins qu’il
avait avec lui un autre député de Saintes nommé Garnier que je ne
connaissais point. » C’est en fait Mazade qui, au début de juillet 1776,
pria instamment Saint-Martin de venir à Toulouse, comme l’atteste une
lettre de Saint-Martin à Jean-Baptiste Willermoz en date
du 6 juillet 1776 : il a en effet été chargé par le comte Du Roy d’Hauterive
de propager l’Ordre des Élus cohens dans cette partie du royaume.
L’arrivée de Saint-Martin offrit l’opportunité de développer à Toulouse
un temple de l’Ordre cohen dont l’assise principale était la famille
parlementaire Du Bourg. Mazade épousa, le 25 novembre 1776,
Alexandrine-Amable-Gabrielle Du Bourg, fille cadette de Valentin Du
Bourg-Cavaignes, président au parlement de Toulouse. Saint-Martin
parle de la famille Du Bourg comme d’une « très aimable [et] délicieuse
famille » : « Il y a été question de quelques velléités de mariage pour
[lui] » avec la fille aînée (Mon portrait…, op. cit., §. 303, p. 162). Les
lettres de Saint-Martin aux Du Bourg, conservées aux archives
municipales de Toulouse, furent publiées par R. Amadou sous le titre :
Lettres aux Du Bourg, 1776-1785, Paris, « L’Initiation », 1977 ; sur le
séjour toulousain, voir M. Taillefer, La Franc-Maçonnerie toulousaine,
op. cit., p. 98-107.
38. Marie-Daniel Bourrée de Corberon (1748-1810), ancien diplomate,
secrétaire de légation et chargé d’affaires en Russie (1775-1780), puis
ministre plénipotentiaire auprès du duc des Deux-Ponts (1780-1783),
était un passionné d’alchimie, familier des sociétés ésotériques à la fin
du �����e siècle, qui adhéra aux idées de Swedenborg. Il fut initié par la
Loge de la parfaite égalité et sincère amitié à l’Orient de Paris où il
figurait en 1775 (voir A. Le Bihan, Francs-maçons parisiens du Grand
Orient de France, Paris, BnF, 1968, p. 91). Il fut admis dans la Société
parisienne de l’harmonie universelle le 5 avril 1784. Fixé à Avignon en
juin 1790, il entra dans la société de Dom Pernéty connue sous le nom
des Illuminés d’Avignon. Il fut incarcéré dans cette ville à la suite de la
promulgation de la Loi des suspects ; conduit sous escorte à Paris, il dut
son salut au fait qu’il n’arriva dans la capitale qu’après Thermidor, alors
que son père, ancien président au parlement de Paris, son frère aîné et
son neveu furent guillotinés le 29 floréal an II (18 mai 1794). Son
Journal de 1775 à 1781 est conservé à la médiathèque Calvet d’Avignon
(ms. 3054 à 3059). Voir la publication très partielle de ce journal intime
dans L.-H. Labande, Un diplomate français à la cour de Catherine II,
1775-1780. Journal intime du chevalier de Corberon, chargé d’affaires
de France en Russie, Paris, Plon-Nourrit, 1901, 2 vol. : l’éditeur en a
expurgé tout ce qui était relatif à l’illuminisme (une édition électronique
de ce journal, sous la direction de P.-Y. Beaurepaire, est en cours) ; voir
également A. Faivre, « Un familier des sociétés ésotériques au dix-
huitième siècle : Bourrée de Corberon », Revue des sciences humaines,
avril-juin 1967, p. 146-174 ; C. Mesliand, « Renaissance de la franc-
maçonnerie avignonnaise à la fin du dix-huitième siècle », Bulletin
d’histoire économique et sociale de la Révolution française, 1972,
p. 23-82 ; C. Garrett, Respectable Folly. Millenarians and the French
Revolution in France and England, Baltimore et Londres, The Johns
Hopkins University Press, 1975, p. 97, p. 106-109 et p. 117 ; D.
Taurisson-Mouret, « Solitude et espaces relationnels du chevalier de
Corberon (1775- 1781) », in J.-P. Bardet, É. Arnoul et F.-J. Ruggiu, Les
Écrits du for privé en Europe, du Moyen Âge à l’époque
contemporaine : enquêtes, analyses, publications, Pessac, PUB, 2010,
p. 247-266.
39. Clémentine pourrait bien être le diminutif donné par Saint-Martin à
la fille de Dominique Clément de Ris (1750-1827) et de Marie-Catherine
Olive Chevreux du Mesnil, Marie-Thérèse, née en 1777. Maître d’hôtel de
la reine sous l’Ancien Régime, Dominique Clément de Ris acheta,
en 1791, la terre et le château de Beauvais-sur-Cher à la sœur de Saint-
Martin, Louise-Françoise, veuve en premières noces de Denis-Louis
Aubry, inspecteur général des manufactures et pépinières royales,
remariée à Antoine-Auguste Des Herbiers, marquis de l’Estenduère.
Administrateur du département d’Indre-et-Loire à partir de
novembre 1792, Clément de Ris fut arrêté en pluviôse an II sur ordre de
Mogue, membre du Comité de salut public, pour « modérantisme »,
mais libéré en germinal de la même année sur l’intervention de Jullien
de la Drôme. De prairial an II à pluviôse an III, il fut chef de division à la
Commission exécutive de l’instruction publique. Sur Clément de Ris,
voir J. Guillaume, Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de
la Convention nationale, op. cit., t. IV, p. 221-228 ; J.-X. Carré de
Busserolle, Dictionnaire géographique, historique et biographique
d’Indre-et-Loire et de l’ancienne province de Touraine, t. II, Tours,
Rouillé-Lefèvre, 1879, p. 313-319. À propos des Clément de Ris, Saint-
Martin déclara, au retour d’une visite faite à Beauvais le 24 juin 1793 :
« leur fille quoique très jeune, annonce un être rare » (Mon portrait…,
op. cit., § 411, p. 214) ; et au § 641 (qui date vraisemblablement du
premier semestre 1796, p. 306) : « J’ai vu une jeune personne
(Clémentine) favorisée des dons du cœur et de l’esprit, et beaucoup plus
mûre que l’on ne l’est à son âge, être peu contente de ce vers de Voltaire.
Si Dieu n’existait pas il faudrait l’inventer. Elle trouvait le doute dans le
premier hémistiche et l’impiété orgueilleuse dans le second. » Voir
également, ibid., § 451, p. 231 et § 908, p. 381.
40. Vraisemblablement Philippe-Jacob Heisch qui fit ses études à
Strasbourg à partir de 1786 et fut le précepteur des enfants de Bernard-
Frédéric, baron de Turckheim, et de son épouse Elise (Lili) Schönemann
(qui, avant son mariage, inspira une passion à Goethe), au moins
jusqu’en 1790. Prisonnier des Autrichiens en 1793, Heisch fut libéré à la
fin de septembre 1794 grâce à l’intervention des Turckheim. Saint-
Martin fit certainement sa connaissance lors de son séjour
strasbourgeois de 1788 à 1791, séjour au cours duquel il se lia à Frédéric-
Rodolphe Saltzmann. Ami de Lavater et du pasteur Oberlin, Heisch créa
ensuite une importante maison de commerce à Londres. Il fut l’un des
membres actifs de la société fondée en 1804 à Londres, pour
l’impression de la Bible tant dans les langues de la Grande-Bretagne que
dans les langues étrangères. Voir J. Ries (éd.), Die Briefe der Elise von
Türckheim geb. Schönemann, Francfort, Verlag Englert & Schlosser,
1924, p. 267-268 ; J. Keller, Lili Schoenemann, baronne de Turckheim.
Lettres inédites, journaux intimes et extraits de ses papiers de famille,
Berne, Peter Lang, 1987, p. 31. On sait le rôle que joua Bernard-Frédéric
de Turckheim dans la diffusion, à Strasbourg, de la réforme de la stricte
observance de la maçonnerie : voir A. Faivre, « Une collection
maçonnique inédite : le fonds Bernard-Frédéric de Turckheim », Revue
de l’histoire des religions, t. CLXXV, 1969, p. 47-67 et p. 165-191 ; J.
Keller, Le Théosophe alsacien Frédéric-Rodolphe Saltzmann et les
milieux spirituels de son temps : contribution à l’étude de l’illuminisme
et du mysticisme à la fin du �����e et au début du ���e siècle, Berne,
Peter Lang, 1985.
41. Le père Charles Hervier, bibliothécaire du couvent des Grands-
Augustins à Paris, était un fervent adepte du mesmérisme. Il interrompit
en 1784 un sermon qu’il prononça à Bordeaux pour faire revenir à elle,
par des passes magnétiques, une paroissienne en proie à des
convulsions. L’évènement fit sensation, divisant la ville en deux camps,
les uns vénérant le père Hervier comme un saint, les autres le traitant de
sorcier. Destitué de la « station » qu’il prêchait par les autorités
ecclésiastiques, il fut finalement rétabli sur intervention du parlement de
la ville. Le « jeune homme » désigne-t-il un disciple d’Hervier ?
42. Antoine-Anne-Alexandre-Marie-Gabriel-Joseph-François de Mailly,
marquis de Châteaurenaud (1742-1819), secrétaire de Voltaire à Ferney,
de 1762 à 1765, était avocat général à la chambre des comptes de Dôle
sous l’Ancien Régime. Élu aux États généraux de 1789 député suppléant
de la noblesse du bailliage d’Aval, à Lons-le-Saunier, il siégea à
l’Assemblée constituante à partir du 20 juin 1790, en remplacement de
Claude-Adrien-François, marquis de Lezay-Marnésia, démissionnaire et
parti aux États-Unis. Président de l’administration du département de
Saône-et-Loire, il fut élu député du même département à la Convention.
Il fut membre de la Loge des neuf sœurs en 1784 et de la Réunion des
étrangers en 1786.
43. Un patronyme aussi commun interdit toute identification sûre. On
peut toutefois d’autant plus songer à Antoine-Joseph Gros, maître de
musique de la duchesse de Bourbon et membre de la loge parisienne La
Douce Union en 1785-1786, que celui-ci figura sur le même mandat
d’arrestation du Comité de sûreté générale que Saint-Martin, en date
du 2 thermidor an II (20 juillet 1794). Lors de son interrogatoire trois
jours plus tard, Gros, qui habitait au 20 de la rue Saint-Honoré, section
des Piques, admit qu’il suivait la duchesse de Bourbon au château de
Petit-Bourg, mais nia faire partie de sa société. Il cita tous les familiers
du château de Petit-Bourg, dont Saint-Martin, et signala que c’était Dom
Gerle qui introduisit Suzette Labrousse dans cette société (A. N.,
F7 4734, dossier Gros).
44. Vraisemblablement Eric Magnus, baron de Staël-Holstein
(1749-1802), chargé d’affaires puis ambassadeur de Suède en France
entre 1783 et février 1792, qui épousa le 4 janvier 1786, dans la chapelle
luthérienne de l’ambassade, Germaine Necker (plus connue sous le nom
de madame de Staël), fille de Jacques Necker, ministre de Louis XVI. Il
fut reçu Eques (chevalier bienfaisant de la Cité sainte) et grand profès à
Lyon par Willermoz, en juin 1784, au sein de la Stricte Observance
templière de la maçonnerie. Après un exil en Suisse, il se réinstalla à
Paris en mars 1795 ; ses lettres de créance venues de Stockholm et
reconnaissant officiellement la République française furent lues à la
Convention le 3 floréal an II (22 avril 1795) en sa présence. Son épouse
rouvrit aussitôt son salon, dans leur hôtel de la rue du Bac, salon qui fut
rapidement suspecté d’être un foyer favorable aux émigrés. Voir P. de
Pange, Monsieur de Staël, Paris, Éditions des Portiques, 1931,
notamment p. 201, p. 203 et p. 210-211.
45. Maubach servit souvent d’intermédiaire entre Kirchberger et Saint-
Martin, en ces temps troublés où les correspondances étaient
décachetées. En 1786, il fut commis au Trésor royal en tant que
traducteur d’anglais, commis adjoint en 1788, puis chef de bureau des
armes et poudres au Comité de salut public de 1793 à 1794. En l’an III, il
était contrôleur des recettes journalières à la Trésorerie nationale. Il fut
reçu membre de la Loge des amis réunis le 19 décembre 1781 et fut le
secrétaire de Savalette de Langes, garde du Trésor royal, fondateur et
vénérable de la même loge, l’une des figures maçonniques les plus
importantes de la fin du �����e siècle. Lors de la vingt-septième
assemblée du Convent des philalèthes de 1785 (qui se situe entre le 12 et
le 19 mai), fut lue une des réponses de Maubach à la seconde circulaire
préliminaire au Convent : il recommandait d’étudier les œuvres de
Swedenborg « qui indique le vrai culte et les mystères divins du premier
ordre et qui présente des correspondances qui conduisent très loin dans
la science occulte ». Maubach faisait partie du cercle des habitués qui
fréquentaient l’hôtel parisien de la duchesse de Bourbon et le château de
Petit-Bourg : voir les interrogatoires devant le Comité de sûreté générale
de l’évêque de Babylone, Jean-Baptiste Miroudot, et du musicien Gros,
les 3 et 5 thermidor an II (21 et 23 juillet 1794) [A.N., F7 4734]. En 1798,
il était payeur général du département du Doubs à Besançon et, en 1800,
il devint premier commis du contrôle de la Marine au Trésor public. Voir
A. Viatte, Les Sources occultes du romantisme : illuminisme et
théosophie, 1770-1820, Paris, Honoré Champion, 1928, t. I, p. 33 et
p. 85 ; A. Faivre, Kirchberger…, op. cit., p. 108, note 1 ; Ch. Porset, Les
Philalèthes et les convents de Paris. Une politique de la folie, Paris,
Honoré Champion, 1996, p. 414 et p. 580-581 ; P.-F. Pinaud, « Un cercle
d’initiés à la fin du �����e siècle », Paris, Île-de-France. Mémoires
publiés par la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de
Paris et de l’Île-de-France, t. 44, 1993, p. 133-151.
46. Le 29 mars 1779, l’abbé Fournié, disciple bordelais de Martines de
Pasqually, écrivait de Bordeaux à Willermoz : « Je vois journellement le
P [arfait] M [açon] Orsel, qui est grandement intelligent et bien beau
zèle pour la Chose. Je lui ai donné 34 feuilles du traité que j’écris qui ne
sont qu’un petit commencement. En gradation de la mort à la vie, il doit
à son arrivée à Lyon vous le remettre », texte cité par A. Faivre, « Un
martinésiste catholique : l’abbé Fournié », Revue d’histoire des
religions, juil.-sept. 1967, p. 81 (B.M. Lyon, ms. 5472). Orsel figure
parmi les Élus cohens que madame Provensal, sœur de Jean-Baptiste
Willermoz, associa au Memento des vivants et des morts qu’elle
composa : voir A. Joly, Un mystique lyonnais et les secrets de la franc-
maçonnerie, 1730-1824, Mâcon, Protat Frères, 1938, p. 145-146. Les
Orsel appartenaient à une famille de grands négociants quincailliers de
Lyon. Il pourrait s’agir ici d’Antoine Orsel (1743-1804), qui résida à
l’hôtel Beaufort, rue Quincampoix, et apposa une signature franc-
maçonne sur le registre des cartes de sûreté en octobre 1792 (A.N.,
F7 4798).
47. Les membres de cette famille sont nombreux et il est difficile de
proposer une identification sûre. On peut penser au comte Louis-
Philippe de Ségur (1753-1830), fils aîné du maréchal de Ségur, qui fut,
de la fin 1784 à 1789, ambassadeur de France en Russie. Il fit partie de la
Société parisienne de l’harmonie universelle qui se réunissait à l’hôtel de
Coigny, rue Coq-Héron. Les séances de cette société combinaient rites
maçonniques d’initiation pour les néophytes et conférences d’instruction
sur les sciences occultes.
48. L’ami Gombault est cité plusieurs fois dans Mon Portrait… : au
§ 435, p. 224, Saint-Martin note que c’est avec lui qu’il rentra à Paris en
octobre 1793 depuis le château de Petit-Bourg, propriété de la duchesse
de Bourbon, incarcérée alors à Marseille, où il était arrivé le 1er août
précédent ; au § 464, rédigé après le 9 thermidor, p. 236-237, il note que
« le génie de la liberté a ouvert alors les prisons à une infinité de
détenus. De ce nombre était un excellent homme renfermé bien
injustement depuis trois mois, l’ami Gomb… qui m’a appris nombre
d’autres arrestations que j’ignorais et qui ont été terminées comme la
sienne par la délivrance ». Fleury Gombault appartenait à la secte
swedenborgienne des illuminés d’Avignon, fondée par Dom Antoine
Pernéty dans une maison de campagne du marquis de Vaucroze sur la
commune de Bédarrides. Il fut, par ailleurs, l’un des membres les plus
actifs de la Société parisienne de l’harmonie universelle, avec Savalette
de Langes et Bachelier d’Agès. Arrêté le 20 floréal an II (9 mai 1794) par
suite de la correspondance qu’il avait entretenue avec Marie-Daniel
Bourrée de Corberon (arrêté lui-même à Avignon le 9 germinal
précédent [29 mars 1794]), il précisa dans son interrogatoire qu’il était
âgé de 55 ans et exerçait les fonctions de trésorier payeur de la première
division de la gendarmerie. En 1787, il était trésorier de la Garde de
Paris qui fut dissoute en 1791 et remplacée par huit divisions de
gendarmerie (A. N., F7 4728). Voir aussi M. Matter, Saint-Martin le
philosophe inconnu : sa vie, ses écrits, son maître Martinez et leurs
groupes, Amsterdam, Van Backenes, 1862, p. 231 ; J. Bricaud, Les
Illuminés d’Avignon. Étude sur Dom Pernety et son groupe, Paris,
Émile Nourry, 1995, p. 75, 88 ; R. Darnton, La Fin des Lumières…, op.
cit., p. 74.
49. Au § 118 de Mon portrait… (op. cit., p. 90-91), Saint-Martin signale
avoir manqué, en 1788, au moment où il partait pour Strasbourg, la
rencontre de « la fameuse Gros-Jean ». Il n’en dit pas plus. Lors de son
interrogatoire par des membres du Comité révolutionnaire de
surveillance de la section de Bondy, le 21 floréal an II (10 mai 1794),
Gombault « à la demande s’il connaît le nommé Grosjean a répondu que
c’était une cuisinière qui a demeuré chez Corberon, et actuellement rue
de l’Estrapade no 6 où les citoyens Lamotte, médecin, et Gerle, ex-
député, l’ont retirée par charité » (A.N., F7 4728). L’attention des
membres du Comité fut attirée par une lettre de Gombault adressée à
Marie-Daniel Bourrée de Corberon et saisie à Avignon, datant
vraisemblablement de février 1791 et signalant qu’« il y a plus d’un an
que Grosjean m’a dit que M. de Juigné [archevêque de Paris] ne
reviendrait pas et que l’év [êque] de Babylone [Jean-Baptiste Miroudot]
serait nommé à sa place. La moitié de la prophétie s’est déjà vérifié »
(ibid.). Louis-Étienne Quévremont de Lamotte était un médecin disciple
de Mesmer chez lequel est venu vivre Dom Gerle, après son expulsion de
l’ordre des Chartreux : tous deux appartenaient au cercle de la duchesse
de Bourbon et suivaient attentivement les prophéties de Suzette
Labrousse et de Catherine Théot, de même que Jean-Baptiste Miroudot.
Lors de son interrogatoire par le Comité de sûreté générale,
le 5 thermidor an II (23 juillet 1794), le musicien Gros signala « la fille
Grosjean » parmi les habitués de la société de la duchesse de Bourbon au
château de Petit-Bourg (A. N., F7 4734, dossier Gros). On peut donc
supposer que la fille Grosjean était dotée de dons prophétiques reconnus
dans ce cercle. Voir C. Garrett, Respectable Folly. Millenarians and the
French Revolution…, op. cit., p. 50, p. 54-60 et p. 82-89.
50. En 1780, Saint-Martin résida chez mesdames d’Arquelay, rue Saint-
Thomas du Louvre à Paris, où il avait un cabinet. Il y tint alors une
« conférence » sur le magnétisme animal avec Jean-Sylvain Bailly,
membre de la Commission royale chargée d’enquêter sur le
mesmérisme. Il s’efforça de persuader son interlocuteur de « l’existence
du pouvoir magnétique sans soupçon de fourberie de la part des
malades » (Mon portrait…, op. cit., § 121 et 122, p. 91-92). Il ne vit dans
le Rapport des commissaires chargés par le roi de l’examen du
magnétisme animal (Paris, Moutard, 1784), rédigé par Bailly,
rapporteur de la Commission (où figurent Gabriel de Bory, Franklin,
Lavoisier et Charles Le Roy), qu’un « misérable » compte rendu. Bailly
concluait ainsi son rapport : « Ayant démontré par des expériences
décisives que l’imagination sans magnétisme produit les convulsions et
que la magnétisme sans imagination ne produit rien, concluons d’une
voix unanime que rien ne prouve l’existence du fluide magnétique
animal, que ce fluide sans existence est par conséquent sans utilité. »
51. Jacques-François de Menou, baron de Boussay (1750-1810), était
maréchal de camp en 1789, lorsqu’il fut élu député de la noblesse du
bailliage de Touraine aux États généraux de 1789. Il y défendit
vigoureusement l’annexion d’Avignon et du Comtat-Venaissin. En 1793,
il commanda les armées républicaines en Vendée. Le 1er prairial an III
(22 mai 1795), il était à la tête des sections parisiennes et força les
émeutiers du faubourg Saint-Antoine à capituler.
52. Pierre-Claude Nioche (1751-1828), lieutenant particulier de la
maîtrise des eaux et forêts de Loches, député du tiers état du bailliage de
Tours aux États généraux, élu à la Convention par le département de
l’Indre-et-Loire. Envoyé comme représentant en mission le 22 prairial
an II, il fut chargé de surveiller les opérations d’extraction du salpêtre en
Indre-et-Loire et dans les départements voisins et il y resta jusqu’en
thermidor an II.
53. Claude-Alexandre Ysabeau (1754-1831), ex-membre de la
congrégation de l’Oratoire, était préfet du collège oratorien de Tours
en 1789. Devenu curé constitutionnel de Saint-Martin de Tours et vicaire
épiscopal de l’évêque constitutionnel d’Indre-et-Loire, il fut élu
représentant du même département à la Convention. Il abdiqua ses
fonctions sacerdotales en novembre 1793 lors de la mission à Bordeaux
qu’il conduisit avec Tallien pour écraser la révolte fédéraliste.
54. Pierre-Joseph-François Bodin (1748-1809), chirurgien, était député
de l’Indre-et-Loire à la Convention. Il fut chargé, en brumaire an III,
d’épurer, dans le sens de la réaction thermidorienne, les autorités
constituées dans les ports de Rochefort, La Rochelle, Bordeaux et
Bayonne.
55. Probablement Philippe-Paul Helluis de Montlord, avocat, trésorier
de l’abonnement des gazettes étrangères, membre de la loge parisienne
Saint-Louis de la Martinique des frères réunis entre 1768 et 1790,
membre du Chapitre de Saint-Louis de la Martinique
de 1788 à 1790 (voir A. Le Bihan, Francs-maçons parisiens du Grand
Orient de France, op. cit., p. 247). Au § 751, p. 343, de Mon portrait…
(op. cit.), Saint-Martin évoque les récits que celui-ci lui fit,
vraisemblablement en 1797, de la conduite de Louis XVI lors de son
procès et « des traits des plus surprenants et en même temps des plus
horribles qui se sont passés dans notre Révolution et que j’ignorais ».
56. Sylvestre-François Lacroix, ancien professeur de mathématiques à
l’École des gardes de la Marine de Rochefort et à celle d’Artillerie de
Besançon, était un élève de Gaspard Monge. Il succéda à Laplace en
octobre 1793 comme examinateur des élèves de l’Artillerie. Il fut
nommé, en vendémiaire an III, chef du premier bureau (organisation
des divers degrés de l’instruction publique) de la première section
(enseignement) de la Commission exécutive de l’instruction publique
dirigée par Garat, Ginguené et Clément de Ris. Le 4 ventôse an III
(22 février 1795), Ginguené, défendant la Commission contre les
attaques de Chalmel qui avait été destitué du secrétariat général
le 26 pluviôse précédent (14 février 1795), précisa que Lacroix,
« excellent géomètre, a été choisi par Monge pour son adjoint à l’École
normale » (in J. Guillaume, Procès-verbaux du Comité d’instruction
publique de la Convention nationale, op. cit., t. V, p. 112, 115).
57. Il pourrait s’agir de François-Marie Pipelet de Montizeaux, avocat en
parlement, membre de la loge parisienne Saint-Alexandre d’Écosse
entre 1784 et 1790, membre du Souverain Chapitre de la respectable
mère loge écossaise de 1785 à 1787 (voir A. Le Bihan, Francs-maçons
parisiens du Grand Orient de France, op. cit., p. 398).
58. Il s’agit de Jean-Guy Beaupuy (1756-1806), fils de François de La
Bacheretie, écuyer, seigneur de Beaupuy, élève envoyé à l’École normale
par le district de Mussidan. Ex-chanoine de la cathédrale d’Arles dont
Monseigneur Du Lau, son oncle, était archevêque, ex-curé
constitutionnel de Mussidan, abdicataire, Beaupuy était le frère de trois
généraux républicains. Voir sa notice dans le Dictionnaire
prosopographique des élèves.
59. Jules-Julien-Gabriel Berthevin (1769-1854) était un imprimeur-
libraire d’Orléans, venu sous la Révolution à Paris. Il se lia alors à Marie-
Charles-Joseph de Pougens qui avait ouvert un commerce de librairie
dans les anciennes écuries d’Orléans, rue Vivienne. Il publia, sans nom
d’auteur, dès 1793, une tragédie en alexandrins intitulée La Mort de
Louis XVI, ouvertement favorable au souverain guillotiné. Voir
Mémoires et souvenirs de Charles de Pougens, chevalier de plusieurs
ordres, de l’Institut de france, des académies de la Crusca, de Madrid,
de Gottingue, de Saint-Pétersbourg, etc. commencés par lui et
continués par Mme Louise B. de Saint-Léon, Paris, H. Fournier, 1834,
chap. ���. Saint-Martin le rencontra de nouveau en novembre 1796, à
Paris, et en reçut « des confidences qui mériteraient [de lui] plus de
vertus » qu’il n’en posséda (voir Mon portrait…, op. cit., § 713). Selon le
Journal de Charles Weiss (à la date du 19 juin 1833, Paris, Les Belles-
Lettres, 1972, p. 281), Berthevin aurait été envoyé à l’École normale par
son « département », en l’occurrence le district d’Orléans. L’affirmation,
vraisemblable, est invérifiable, les archives du Loiret ayant été détruites
en 1940.
60. François-Paul Latapie (1739-1823), élève envoyé par le district de
Bordeaux à l’École normale. Inspecteur général des arts et manufactures
de Guyenne en 1774, membre de l’Académie de Bordeaux en 1775, il fut
le fondateur du Jardin botanique, dont il était encore le démonstrateur
en 1795, et où il fit un cours public de botanique en 1795. Voir sa notice
dans le Dictionnaire prosopographique des élèves.
61. Il s’agit vraisemblablement d’un élève de l’École normale. Étienne
Larroque, qui fut nommé le 19 frimaire an III (8 décembre 1794), au
terme d’un examen public organisé par le district de Bordeaux. Natif de
Monléon [Hautes-Pyrénées], lauréat en 1789 du prix d’astronomie du
Musée de Bordeaux, il était alors âgé de 27 ans et jugé instruit en
matière de mathématiques, qu’il enseigna d’ailleurs dans divers cours
privés à Bordeaux.
62. Sans doute André-Claude Thiroux de Gervillers, mestre de camp de
dragons, membre de la loge parisienne Les Amis réunis dès 1774 et
figurant sur le tableau du Chapitre de cette même loge en 1788, fils de
Louis-Lazare Thiroux d’Arconville, président au parlement de Paris, et
de Marie-Geneviève Darlus, elle-même fille d’un fermier général. Son
épouse était la sœur de Charles-Pierre-Paul Savalette de Langes,
Vénérable et fondateur de la dite loge. Il était sans doute parent du
chevalier Bourrée de Corberon (voir Ch. Porset, Les Philalèthes…, op.
cit., p. 131, p. 139, p. 145 et p. 155).
63. Probablement Ambroise Falconnet (1742-1817), avocat au parlement
de Paris depuis 1769. Lors de la réforme du parlement Maupeou, cet
avocat défendit l’idée que l’ordre des avocats n’avait pas de statuts écrits
mais une simple tradition orale, dénonça le despotisme qui présidait à
ses destinées et soutint que la profession requierait essentiellement les
qualités d’un homme de lettres : génie, art de bien écrire et de toucher
les cœurs plutôt qu’érudition et respect des codes juridiques. Il
appartenait à cette génération d’avocats dont les mémoires judiciaires
atteignirent une très grande popularité grâce à l’efficacité de leur
rhétorique qui s’employait, sur un ton sarcastique et irrévérencieux, à
créer une complicité entre auteur et lecteurs. Voir S. Maza, « Le tribunal
de la nation : les mémoires judiciaires et l’opinion publique à la fin de
l’Ancien Régime », Annales ESC, t. 42, 1987, p. 75-90 ; D. A. Bell,
« Lawyers into demagogues : chancellor Maupeou and the
transformation of legal practice in France 1771-1789 », Past and Present,
no 130, fév. 1991, p. 107-141 ; S. Maza, Vies privées, affaires publiques.
Les causes célèbres dans la France prérévolutionnaire, trad. fr. Paris,
Fayard, 1997, en part. p. 146-152. Ambroise Falconnet faisait partie de la
loge parisienne Le Zèle en 1778 et 1791, de la Loge Saint-Louis en 1786,
et fut député au Grand Orient (voir A. Le Bihan, ibid., p. 196).
64. Patronyme difficilement identifiable en raison des nombreuses
homonymies possibles : un Louis de La Corbière, originaire de Genève,
caissier de l’affinage à la Monnaie de Paris et résident rue de la Monnaie,
se fit délivrer une carte de sûreté en janvier 1793 : il avait alors 61 ans et
habitait Paris depuis vingt-deux ans (A. N., F7 4807).
65. Sous le pseudonyme de baron de Krambourg voyage en Europe un
baron von Frisching, membre d’une famille patricienne et consulaire de
Berne, qui perdit « par une incartade énorme tous ses droits dans sa
patrie ». Il fut jugé très sévèrement par Kirchberger qui estimait qu’il
« ne comprendrait pas même un ouvrage sérieux ordinaire écrit en
allemand, d’un style un peu sérieux et réfléchi ». Il doutait fortement de
la réelle conversion de cet « homme à bonnes fortunes ». Saint-Martin
n’était pas éloigné de partager cet avis : s’il parla de Jakob Boehme à
Krambourg, il considérait les moyens intellectuels de ce dernier limités ;
il le voyait simplement « dans la classe du monde frivole et ignorant ; un
peu empêtré par les systèmes des philosophes ; ayant cependant acquis
depuis quelques mois (non pas par moi) de la croyance sur quelques
points importants » (voir La Correspondance inédite…, op. cit., lettres
des 28 avril, 11 mai, 22 mai, 18 juin et 17 juillet 1795, p. 220-226, p. 233,
p. 236-237 et p. 248).
66. Il pourrait s’agir de l’ex-abbé Guillaume Chaix de Sourcesol, ancien
économe du séminaire Saint-Sulpice de Paris, membre de la Société des
illuminés d’Avignon, auteur de l’ouvrage publié en 1800 à Avignon : Le
Livre des manifestes, où l’on trouve développé par les lumières de la
raison et des divines Écritures : 1) quelles sont les véritables causes de
notre étonnante Révolution ; 2) quelle doit en être l’issue. L’auteur
émigra plus tard à Wilmington (Delaware, États-Unis) et l’exemplaire
conservé à la Library of Congress à Washington est celui qu’il offrit à
Thomas Jefferson. Voir H. Grégoire, Histoire des sectes religieuses qui,
depuis le commencement du siècle dernier jusqu’à l’époque actuelle,
sont nées, se sont modifiées, se sont éteintes dans les quatre parties du
monde, t. II, Paris, Baudouin Frères, 1828, p. 200-204 ; C. Garrett,
Respectable Folly. Millenarians and the French Revolution in France
and in England, Baltimore et Londres, Johns Hopkins University Press,
1975, p. 118.
67. Relud est sans doute un pseudonyme ou un anagramme pour
désigner quelqu’un dont Saint-Martin attendait une grande proximité
spirituelle : se désignant lui-même comme le « Robinson de la
spiritualité » et attendant qu’un vaisseau hospitalier le tire de son
« désert (Mon portrait…, § 458, rédigé après prairial an II, p. 234), il
annonçait que « la chaloupe Relud s’est montrée sur l’horizon et peut
devenir une époque marquante dans ma vie ». Un ajout postérieur
marque une certaine désillusion : « Je me suis trompé sur cette
chaloupe » et, un peu plus loin : « Ma chaloupe Relud ne m’a pas rendu
tous les services que j’en attendais. C’est un peu par attention pour elle
que je ne me suis pas jeté à la mer au-devant d’elle ; elle ne me paraissait
pas assez sûre de sa direction, ni assez confiante en la mienne. » (ibid.,
§ 463, p. 236) La « chaloupe Relud » logeait sous le même toit que
Saint-Martin lorsqu’il fut hébergé, en 1797, chez les Bourrée de Corberon
(ibid., § 788, p. 351). La métaphore de la chaloupe renvoie au roman de
Daniel Defoe. Deux autres passages de Mon portrait… signalent des
personnes habitant en même temps que lui rue Barbette, en 1797. Au
§ 709, p. 330, « La Desbordes logeait dans la même maison ; mais je la
voyais peu parce que nous ne marchions pas du même pied. » La
dénommée Desbordes figurait justement dans l’énumération des gens
rencontrés à Paris en 1795. Par ailleurs, au § 833, p. 362, le scripteur
signalait un dîner auquel il participa « chez madame de Montreuil, rue
Barbette », le 18 vendémiaire an 6 (8 octobre 1797), et où il avait discuté
avec l’astronome Jérôme de Lalande.
68. L.-C. de Saint-Martin, Mon portrait…, op. cit., § 527 à 529,
p. 262-263.
69. Nicolas de Bonneville (1760-1828), fondateur du Cercle social.
70. Il s’agit vraisemblablement de Marie-Daniel Bourrée de Corberon
qui le logea chez lui, rue Barbette, dans le quartier du Marais, lors de son
séjour dans la capitale en novembre 1796 (voir Mon portrait…, op. cit.,
§ 709, p. 330) : « J’y étais parfaitement bien quant aux soins du corps,
quant au témoignage de l’amitié et quant aux douceurs d’une société
sûre et bien pensante. » Les § 532 à 539 de Mon portrait… se trouvent
aux pages 264-268.
71. Ibid., § 545, p. 270.
72. L’épigraphe est tirée d’E. Young, Night Thougths on Life, Death, and
Immortality : in nine Nights, Night I, vers 105.
73. Mon portrait…, § 550, p. 271-272.
74. Ibid., § 585, p. 284-285. Passage rédigé sans doute en brumaire an
IV.
75. Ibid., § 610, p. 294. Passage rédigé après janvier 1796.
76. Ibid., § 109, 1, p. 429. Le passage fut écrit fin 1802. Le tome 3 des
Débats parut en 1801.

© Éditions Rue d’Ulm, 2016

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Référence électronique du chapitre


Appendice no 12. L’élève Louis-Claude de Saint-Martin In : Une
institution révolutionnaire et ses élèves (2) : Textes fondateurs,
pétitions, correspondances et autres documents (janvier-mai 1795) [en
ligne]. Paris : Éditions Rue d’Ulm, 2016 (généré le 22 décembre 2022).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionsulm
/7950>. ISBN : 9782728809790. DOI : https://doi.org/10.4000
/books.editionsulm.7950.

Référence électronique du livre


JULIA, Dominique (dir.). Une institution révolutionnaire et ses élèves
(2) : Textes fondateurs, pétitions, correspondances et autres documents
(janvier-mai 1795). Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions Rue
d’Ulm, 2016 (généré le 22 décembre 2022). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/editionsulm/7840>. ISBN :
9782728809790. DOI : https://doi.org/10.4000
/books.editionsulm.7840.
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