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Yves Meessen
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PLATON ET AUGUSTIN :
MÊMES MOTS, AUTRE SENS
par Yves MEESSEN
3. Cf. A. SOLIGNAC, « Présence à soi-même et présence à Dieu d’après Porphyre », © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
note complémentaire du livre VII des Confessions, BA 13, p. 679-681.
4. En apprenant la Rhétorique, Augustin prend connaissance des Catégories
d’Aristote (Conf. IV, 16, 28). À ces « genres », dont il retiendra surtout la substance et la
relation, viennent s’ajouter d’autres genres grâce à la lecture des libri platonicorum. Les
écrits de Plotin et de Porphyre s’élaborent, entre autres, sur les genres du Sophiste
(254 d – 257 e) : l’Etant, le mouvement et le repos, le même et l’autre. Sous le titre De
434 YVES MEESSEN
tribus principalibus substantiis (De ciu. Dei X, 23-24), Augustin cite les Ennéades V, 1 qui
reprennent à la fois les genres du Sophiste et les catégories aristotéliciennes. Avec la
triade être, vie, pensée, qui joue un rôle déterminant chez Augustin, ainsi que les no-
tions d’Un et de non-être, nous avons presque tous les éléments du langage technique
dont se sert Augustin. Cf. P. HADOT, Porphyre et Victorinus, t. I, Paris, Et. Aug., 1968,
p. 214-216s. Cf. aussi L. BRISSON, « De quelle façon Plotin interprète-t-il les cinq
genres du Sophiste? », in Etudes sur le Sophiste de Platon, Bibliopolis, 1991, p. 449-473.
5. PLATON, Sophiste, 253 d.
6. Conf. VII, 9, 13-14; BA 13, p. 608-611. Plotin et/ou Porphyre? Sur la teneur des
Libri platonicorum, les spécialistes sont divisés entre l’option de les attribuer à Plotin
(P. HENRY, Plotin et l’Occident, Louvain, « Spicilegium sacrum lovaniense », 1934) ou à
Porphyre (W. THEILER, Porphyrios und Augustin, in Schriften der Königsberger Gelehrten
Gesellschaft, geistwissenschaftliche Klasse, t. X, 1, Halle, Niemeyer, 1933), ou encore aux
deux (P. Courcelle, O. du Roy, A. Solignac, O’Meara). Faisant le point de la question,
G. Madec affirme « qu’aujourd’hui encore, il est impossible de savoir quels étaient ces
Libri » (G. MADEC, « “Platonisme” et “Christianisme”. Analyse du livre VII des Confes-
sions », in Lectures augustiniennes, Paris, Inst. d’Et. Aug., 2001, p. 153). Cf. la synthèse
de G. MADEC, « Le néoplatonisme dans la conversion d’Augustin », in Petites études
augustiniennes, Paris, Institut d’Et. Aug., 1994, p. 51-69.
7. Conf. VII, 10, 16; BA 13, p. 614-615.
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8. « Ainsi, de tous les philosophes quels qu’ils soient, qui ont reconnu dans le Dieu © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
suprême et véritable l’auteur des choses créées, la lumière de nos connaissances, le
bien ou tendent nos actions : celui qui est pour nous le principe de la nature, la vérité
de la doctrine, la félicité de la vie; soit qu’on les appelle plus commodément Platoni-
ciens ou qu’on donne à leur école n’importe quel nom; […] tous nous les plaçons au-
dessus des autres et nous déclarons qu’ils sont plus près de nous » (De ciuitate Dei
VIII, 8, 9; BA 34, p. 262-263).
PLATON ET AUGUSTIN 435
et des libri platonicorum est ancrée dans cette découverte qui boule-
verse sa vie. Il y souligne particulièrement le fait que les néo-platoni-
ciens sont redevables d’un « principe » 9 qui leur est transcendant et
donc que la vie et la lumière n’appartiennent pas en propre à l’âme,
c’est-à-dire à l’homme. Cela étant dit, il s’insurge aussitôt contre deux
traits principaux de ces philosophes remarquables. Ils n’acceptent pas
que le Verbe de Dieu se soit « fait chair » (Jn 1, 14) et se soit « anéanti »
(Ph 2, 7). Corrélativement, ils ne rendent pas gloire à Dieu qui ne cesse
de leur donner l’être, la vie et l’intelligence. On se trouve en face du
refus d’une double humilité. Le refus de l’humilité du Verbe est étroi-
tement lié au refus de l’humilité de l’homme. Ce qui est refusé, c’est
l’anéantissement. Pourquoi? Parce que cet anéantissement va complè-
tement à l’encontre de la conception de l’être grec : « l’ corres-
pond, dans la pensée et la langue de Platon, à l’auto-ipséité fondamen-
tale qui, selon lui justifie seule l’attribution de l’être, parce qu’elle seule
la constitue » 10. Pour le philosophe grec, l’anéantissement contredit la
réalité véritable () 11 qui consiste à « posséder tou-
jours en même façon son identité avec soi-même » 12. Cette conception
de l’ va de pair avec un refus absolu de l’altérité. L’exclusion de
l’autre hors de l’être est une nécessité. Dans un tel contexte, il est nor-
mal que les disciples de Platon ne puissent ni admettre la révélation de
l’être dans un anéantissement, ni lui rendre gloire de leur donner la vie
et l’intelligence. La transcendance affirmée doit être aussitôt niée.
En expérimentant la présence de Dieu et en s’inspirant des Écri-
tures, Augustin n’est pas entré dans cette logique d’affirmation et de
négation de la transcendance. Il n’a jamais adopté « ni la hiérarchie
des hypostases, ni la mystique de l’Un au-delà de l’être, principe de la
théologie négative » 13. Si Augustin emprunte la terminologie métaphy-
sique aux grecs, c’est en lui faisant faire une révolution capitale qu’on
ne peut laisser sous silence, sous peine de le considérer, à tort, comme
un « néoplatonicien chrétien » 14.
9. Plus tard, Augustin rectifiera en disant que les néo-platoniciens n’ont pas un
seul principe mais « des principes au pluriel ». Cf. note 16.
ième
10. E. GILSON, L’être et l’essence, Paris, Vrin, 2 éd., 1987, p. 28.
11. PLATON, Phèdre 247 c, 247 e, 249 c; Sophiste 248 a.
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12. E. GILSON, op. cit., p. 30. © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
13. G. MADEC, « Le “platonisme” des Pères », in Petites études augustiniennes, Paris,
Inst. d’Et. Aug., 1994, p. 39.
14. Ibid., p. 45.
15. P. HADOT, Porphyre et Victorinus, t. I et II, Paris, Et. Aug., 1968.
16. « L’oracle a déclaré que les principes peuvent purifier […] Or quels sont ces
principes, pour un platonicien comme Porphyre? Nous le savons : il parle en effet de
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Dieu le Père et de Dieu le Fils qu’il appelle en grec Intelligence paternelle ou Esprit
paternel. Quant au Saint-Esprit, il n’en parle pas ou ce qu’il en dit n’est pas clair : je
n’“intellige” pas quel est cet autre qu’il met entre les deux. S’il voulait faire entendre
comme Plotin dans le traité des Trois principales substances (De tribus principalibus
substantiis), qu’en troisième lieu il s’agit de la nature de l’âme, il ne dirait pas qu’elle
tient le milieu (medium) entre le Père et le Fils. Car Plotin met la nature de l’âme après
l’intelligence paternelle; mais Porphyre parlant d’un milieu, ne la met pas après mais
entre les deux. Il parle ainsi comme il a pu ou comme il a voulu de ce que nous appe-
lons le Saint-Esprit, non l’Esprit du Père seulement, ni du Fils seulement, mais de l’un
et de l’autre. Les philosophes, en effet, choisissent librement leurs termes et dans les
sujets les plus difficiles à “intelliger” ne craignent pas d’offenser les oreilles reli-
gieuses. Mais à nous il convient de parler selon une règle précise, de peur qu’une trop
grande liberté dans les mots n’engendre une opinion impie sur les choses qu’ils dési-
gnent. Aussi, parlant de Dieu, nous n’affirmons pas deux ou trois principes, pas plus
qu’il n’est permis d’affirmer deux ou trois dieux […] Il est donc bien vrai de dire que
seul le Principe purifie l’homme, bien qu’il soit question chez ces philosophes de
“principes” au pluriel » (De ciu. Dei X, 23-24; BA 34, p. 504-507).
17. Le titre n’est pas de Plotin mais a été re-
pris d’un anonyme dans l’édition des Ennéades par Porphyre (cf. P. AUBIN, Plotin et le
christianisme, Paris, Beauchesne, 1992, p. 11-12). L’étude de Paul Aubin met en garde
contre l’usage abusif de l’expression « trinité plotinienne » : « quand Plotin énumère
l’Un, l’Intellect et l’Ame, il n’utilise jamais le mot . Parler de “trinité plotinienne”,
ce serait introduire dans l’interprétation des Ennéades un terme dont usait déjà la
théologie chrétienne à l’époque de Plotin. Il y aurait là un risque : donner l’impression
que la réflexion de Plotin relative à l’Un, l’Intellect et l’Ame relève d’une probléma-
tique semblable à celle où s’est élaboré le dogme trinitaire chrétien », Ibid., p. 48-49.
Pour rester dans la terminologie plotinienne, il vaut mieux parler des « trois de Pla-
ton » (Enn. V, 1, 8, 1), des « trois natures » (Enn. V, 1, 8, 27) ou simplement des « trois »
(Enn. V, 1, 10, 5; II, 9, 1, 20). Cf. Ibid., p. 50.
18. Cf. P. HADOT, Porphyre et Victorinus, t. I, p. 475. Les fragments du De regressu
animae dans le De ciuitate Dei X sont rassemblés par J. BIDEZ, Vie de Porphyre. Le phi-
losophe néo-platonicien, Gand, 1913, p. 27-44.
19. « L’Un n’est pas une certaine chose, dont on dit ensuite : un; pas plus que le
Bien n’est une chose dont on dit ensuite qu’elle est le Bien. Qu’on dise Un ou le Bien,
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il faut penser à une même nature » (Enn. II, 9, 1, 4-8). © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
20. PLATON, République, VI, 509 b 9.
21. PLATON, Parménide, 137 d – 142 d.
22. « Aussi il faut admettre qu’au-delà de l’Être est l’Un […] À la suite il y a l’Être et
le Noûs, et, troisième, la nature de l’Âme. Comme ces trois sont dans la nature, il faut
penser qu’ils sont aussi en nous » (Enn. V, 1, 10, 1-6). Nous optons pour la translittéra-
tion « Noûs » pour éviter de traduire le terme par « Esprit » ou « Intellect ».
PLATON ET AUGUSTIN 437
23. « Il doit y avoir quelque chose d’antérieur à toutes choses, qui soit simple, et
ceci doit être différent de tout ce qui vient après lui, étant par lui-même, non mélangé
avec ceux qui viennent de lui, et pourtant étant capable d’être présent dans les autres
d’une manière différente, étant véritablement un, et non autre chose qui est aussi un »
(Enn. V, 4, 1, 5-15).
24. Cf. le « Principe de l’Antériorité du Simple » (PAS) dans D. O’MEARA, Une intro-
duction aux Ennéades, Fribourg, Ed. Universitaires, Cerf, 1992, p. 59-70.
25. Citation de E. R. Dodds in G. MADEC, « In te supra me », p. 53. Ref. in G. MADEC,
Le Dieu d’Augustin, Paris, Cerf (coll. « Philosophie & Théologie »), p. 87, note 14 : « cf.
E. R. DODDS, “Augustine’s Confessions. A Study of Spiritual Maladjustment”, The Hun-
ger of the Heart, West Lafayette, Ind. 1990, p. 41-54 : “Plotinus never gossiped with the
One, as Augustine gossips in the Confessions” (p. 52) ».
26. Cf. Conf. XI, 4, 8; BA 14, p. 84-85.
27. Enn. VI, 9, 8, 30-35.
28. L’Un ne pense pas sinon il y aurait en lui une quelconque altérité :
« » (Enn. VI, 9, 6, 42 ). Or, selon le schème être, vie, pen-
sée, la pensée correspond au mouvement de retour sur soi de l’être qui est sorti de soi
par le mouvement de la vie : « La vie qui a reçu une limite, c’est l’intelligence » (Enn.
II, 4, 5, 29-34). Ce processus triadique trouve une expression plus achevée encore dans
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la pensée de Porphyre que dans celle de Plotin. Cf. infra. © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
29. « Mais, comment les [tout ce qui vient après lui] donne-t-il? C’est ou bien qu’il
les a, ou bien parce qu’il ne les a pas. Mais ce qu’il n’a pas, comment le donne-t-il? S’il
les a, il n’est pas simple; et s’il ne les a pas, comment la multiplicité vient-elle de lui? »
(Enn. V, 3, 5, 1-3, cité in J.-L. CHRÉTIEN, « Le bien donne ce qu’il n’a pas », in Archives
de Philosophie, 43 (1980), p. 265).
30. Enn. V, 5, 13, 1-9; 34-36.
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33. Cf. infra. © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
34. « La nature originelle et le désir du Bien, c’est-à-dire le désir de soi-même,
poussent vers ce qui est véritablement un et toute nature se hâte vers cela, c’est-à-dire
vers elle-même. Car, pour la nature qui est une, le Bien c’est d’être à elle-même et
d’être elle-même (), c’est-à-dire d’être une. C’est pour-
quoi on dit avec raison que le Bien, pour une chose, c’est ce qui lui est propre » (Enn.
VI, 5, 1, 18).
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caritas” (1 Jn 1, 4. 8. 16) « s’applique à l’égoïsme divin » (op. cit., p. 107-108), H. Arendt © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
montre que si, selon la structure du désir, l’amour humain commence comme convoi-
tise de soi (cupiditas), il doit s’achever en amour de dilection (dilectio) où le soi se
renonce pour l’autre grâce au don de l’amour de Dieu (dilectio Dei). Sur la polémique
suscitée par la parution de la thèse d’A. Nygren en 1930, lire le résumé de D. Dideberg
dans son introduction générale (D. DIDEBERG, Saint Augustin et la première épître de
saint Jean. Une théologie de l’Agapè, Paris, Beauchesne, 1975, p. 39. 46-48).
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41. « Quand le Noûs contemple l’Un, il ne le contemple pas comme un. Sinon, il ne
deviendrait pas le Noûs. Commençant comme un, il ne demeure pas comme il a
commencé, mais devient multiple sans le savoir, comme alourdi, et se déploie lui-
même en voulant tout avoir (comme il eût été meilleur pour lui de ne pas vouloir), car
c’est ainsi qu’il est devenu second » (Enn. III, 8, 8, 31-36).
42. J.-L. CHRÉTIEN, « Le bien donne ce qu’il n’a pas », p. 267.
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43. P. HADOT, Porphyre et Victorinus, t. I, p. 475. © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
44. Cf. Ibid., p. 320, n. 4.
45. Augustin attribue à Marius Victorinus la traduction des Libri platonicorum du
grec en latin (Conf. VIII, 2, 3). Par ailleurs, le récit de la conversion de Marius Victori-
nus par Simplicianus a aidé Augustin à s’engager dans la voie d’humilité du Christ.
46. Cf. P. HADOT, « Être, Vie, Pensée chez Plotin et avant Plotin », in Entretiens sur
l’Antiquité classique, t. V, Les Sources de Plotin, Vandœuvres-Genève, 1960.
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de la pensée, l’être se déployant dans la vie et revenant à soi dans la pensée » (O. DU © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
ROY, L’intelligence de la foi en la Trinité selon saint Augustin, Paris, Et. Aug., 1966,
p. 407-409).
52. Dans la seconde partie du livre I de l’Adversus Arium (Adv. Ar. I, 48-52), Victo-
rinus développe une théologie trinitaire à partir du commentaire de Porphyre Sur le
Parménide. Dans un premier moment, celui du Père (), l’être comprend
en lui la vie et l’intelligence. Du Père, s’engendre le Logos () sous le double
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l’esprit », 1941, p. 272-290. © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
55. Cf. note 16.
56. De Trin. X, 11, 18; BA 16, p. 154-155.
57. P. HADOT, Porphyre et Victorinus, t. I, p. 477. Cette implication réciproque se re-
trouve dans quatre textes cruciaux (Conf. XIII, 11, 12; De Trin. VI, 10, 11; X, 10, 13; X,
11, 18) dont la lecture nous permet d’identifier l’exacte utilisation de la triade néo-
platonicienne par Augustin.
PLATON ET AUGUSTIN 443
58. Ce processus est décrit dans le De uera religione. À l’origine, cet ouvrage est un
écrit antimanichéen dans lequel Augustin affirme la bonté de la création et des créa-
tures malgré la chute, la présence du mal lié au péché ou à sa peine comme détour-
nement de Dieu, et la possibilité du retour à Dieu grâce à l’économie de salut. Cf.
« l’élaboration du De uera religione » (O. DU ROY, op. cit., p. 309-317).
59. O. DU ROY, op. cit., p. 325.
60. Dans le De uera religione, le Père n’est pas spécifiquement nommé. Il apparaît
comme le Bien ou l’Être suprême.
61. Cf. J. PÉPIN, « La connaissance d'autrui chez Plotin et chez Saint Augustin »,
Augustinus 3, (1958), p. 243-244.
62. « Mais, s’il est vrai que Dieu possède, comme quelque chose d’inséparable de
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Lui, l’être seul et au-dessus de tout, étant Lui-même à Lui-même son propre plérôme, © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
il doit également à l’unité () et à la solitude (), qui lui sont propres, de
demeurer sans relations par rapport aux choses qui sont après Lui et par Lui. Car il
ne faut pas entendre “les choses qui sont après Lui” en ce sens que, d’une part, elles
cœxisteraient avec Lui, soit par le lieu, soit par un même processus de réalisation de
leur substance et que, d’autre part, il posséderait la partie de la réalité qui remplit
tout, tandis que les choses auraient les parties de second rang; mais il faut concevoir
444 YVES MEESSEN
coule de cela que, pas plus que chez Plotin, l’être Porphyrien ne pré-
sente les caractéristiques des relations internes dans le Bien, ni du
Bien avec ce qui vient après lui. Au contraire, chez Augustin, la corres-
pondance entre le Bien et l’être est marquée par une tout autre notion
de plénitude que celle de solitude. C’est ce qui va nous permettre de
considérer le paradoxe de la conservation dans le don sans appropria-
tion.
Marius Victorinus se fait le traducteur de la conception porphy-
rienne lorsqu’il affirme : « Car celui qui pense l’Un, a l’Un et est l’Un,
selon la notion de l’Un qu’il a en lui-même (Etenim qui unum intellegit,
et habet unum et est unum secundum eius apud se intelligentiam) » 63. Si
Victorinus ose parler ainsi à propos de l’Un alors que Plotin ne le fait
pas, c’est parce qu’il suit davantage Porphyre pour lequel l’Un contient
en préexistence ce qui vient après lui 64. De la sorte, l’Un contient,
comme une pensée intérieure, la pensée extérieure qui s’explicite au
niveau du Noûs. Mais Plotin, en maintenant la transcendance absolue
de l’Un, exprime la même notion de « possession » pour le Noûs :
« Puisque le Noûs véritable () se pense lui-même
dans ses propres actes de pensée et que son objet de pensée ne lui est
pas extérieur, mais qu’il “est” lui-même son propre objet de pensée, de
toute nécessité, il se “possède” lui-même et se “voit” lui-même en se
pensant ( ) » 65.
Dans ce parcours, nous avons mis en lumière la divergence fonda-
mentale entre la pensée d’Augustin et celle de ces prédécesseurs néo-
platoniciens qui relisent Platon à leur manière. Cette divergence con-
cerne la nature même de l’acte d’être, l’acte de stabilité. Pour Augustin,
la consistance de l’être est dans le don, pour les néo-platoniciens, elle
est dans la conservation. Il nous faut maintenant montrer en quoi
l’apport de la Révélation est déterminant dans cette divergence radi-
cale.
“les choses qui sont après Lui” comme rejetées hors de Lui et n’étant que néant par
rapport à Lui » (PORPHYRE, In Parm. IV, 5-19; trad. par P. HADOT, Porphyre et Victori-
nus, t. II, p. 74-77).
63. VICTORINUS, Adversus Arium, §88, IV, 29, 3-9, in P. HADOT, Porphyre et
Victorinus, t. I, p. 448, t. II, p. 55.
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64. Porphyre continue à affirmer que l’Un est (PORPHYRE, In Parm. © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
XII, 23), mais pour lui cette transcendance correspond à une préexistence d’un acte
d’être sur l’étant. Cette préexistence ontologique () se couple d’une préexis-
tence noétique, ou préintelligence ().
65. Enn. II, 9, 1, 46-48.
66. M.-A. VANNIER, « Augustin d’Hippone », article in Dictionnaire critique de Théo-
logie, p. 107.
PLATON ET AUGUSTIN 445
l’intimité réciproque du Père et du Fils. Cf. De Trin. V, 11, 12; BA 15, p. 452-453; XV, © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
19, 37; BA 16, p. 522-523; XV, 27, 50; BA 16, p. 560-561. Dans les Commentaires de
l’Evangile de saint Jean et dans les Sermons, le terme « communio » est également
employé pour désigner la communion de l’Eglise (Tract. in Io. eu. 6, 25; BA 71, p. 400-
401) qui est également la communion des nations (Tract. in Io. eu. 12, 2; BA 71, p. 632-
633).
71. De Trin. V, 11, 12; XV, 19, 37.
446 YVES MEESSEN
72. Cf. Précision de vocabulaire dilectio et caritas in D. DIDEBERG, op. cit., p. 144.
73. D. DIDEBERG, op. cit., p. 229.
74. Ibid.
75. Enn. VI, 8, 15. Cf. A. NYGREN, Erôs et Agapè, t. I, p. 220.
76. D. DIDEBERG, op. cit., p. 229-230.
77. « Il n’est pas permis de dire que Dieu se tienne sous sa bonté (ut sub-sistat et
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sub-sit Deus bonati suae), et que cette bonté ne soit pas sa substance ou plutôt son © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
essence, et que Dieu ne soit pas cette bonté, mais qu’elle soit en Lui comme dans un
sujet (in subjecto) » (De Trin. VII, 5, 10; BA 15, p. 538-539; trad. revue par G. MADEC, Le
Dieu d’Augustin, p. 132).
78. Augustin affirme que le terme « essentia » est plus exact pour désigner Dieu
que le terme « sub-stantia » car ce dernier connote une notion de sujet (sub-jecto) qui
se tient sous ses attributs. Cf. De Trin. VII, 5, 10.
PLATON ET AUGUSTIN 447
ment sans retour, sans réserve, ni relève » (F. GUIBAL, « Le signe hégélien. Economie © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
sacrificielle et relève dialectique », in Archives de philosophie, 60 (1997), p. 293-294).
84. D’après les travaux de Pierre Hadot, on peut constater que le processus post-
plotinien n’est pas sans influence sur l’idéalisme allemand. Cf. P. HADOT, Porphyre et
Victorinus, t. I, p. 133.
85. AMBROISE DE MILAN, Expositio in Lucam I, VI, 25; trad. fr. de l’éd. Tissot (t. 1,
p. 237) légèrement modifiée par J.-L. CHRÉTIEN, art. cit., p. 275.
448 YVES MEESSEN
Comme les Pères qui l’ont précédé, Augustin emploie le terme « do-
num » pour désigner l’Esprit Saint afin de laisser apparaître les rela-
tions mutuelles à l’intérieur de la Trinité (ad se autem inuicem in Trini-
tate). Dans un passage du livre V du De Trinitate 86, Augustin explique
que, suivant Ac 8, 20, l’expression « donum dei » s’applique à l’Esprit
Saint. La terminologie du don et de la donation permet à Augustin de
développer les relations de l’« ineffable communion du Père et du
Fils » 87. Dans cette communion, l’Esprit est appelé « don du donateur »
(donum donatoris) et le Père est appelé « donateur du don » (donator
doni) 88. Par là-même, la procession est distinguée de la génération.
Dire de l’Esprit qu’il est le donum dei le distingue du Fils. Le Fils est
généré comme l’Image parfaite du Père tandis que l’Esprit est la com-
munion mutuelle du Père et du Fils. Littéralement, il est leur « commu-
nion dans les deux sens » (utriusque communio) 89. Par là, Augustin
exprime que l’Esprit procède à la fois du Père et du Fils, non selon
deux principes, mais selon un seul Principe : « Si ce qui est donné a
pour principe celui qui le donne, puisque celui-ci n’a point reçu
d’ailleurs ce qui procède de lui, on admettra que le Père et le Fils sont
le principe, non les deux principes, du Saint Esprit » 90.
Ces « tâtonnements théologiques » sur la procession de l’Esprit par
le Père et par le Fils donneront lieu aux développements ultérieurs sur
le Filioque 91. Sans nous engager dans ce débat, nous retiendrons essen-
tiellement que le Fils est, avec le Père, le « principe » du Saint-Esprit,
non en tant qu’il est la source du don, mais en tant qu’il se donne tota-
lement en retour au Père. Par ce retour, le don issu du Père ne s’arrête
pas au Fils, n’est pas accaparé par le Fils, mais revient en sens inverse
pour réaliser la « communion dans les deux sens » qui n’est autre que
l’Esprit lui-même. Cette circulation éternelle de l’amour 92 assure la
stabilité de l’ipsum esse de Dieu dans le don, dans l’amour, c’est-à-dire
dans la non-conservation pour soi. Dieu ne subsiste pas en tant que
86 « Cet Esprit Saint qui n’est pas la Trinité mais qu’on découvre dans la Trinité,
en raison du sens propre de l’expression “Esprit Saint”, a un nom relatif, puisqu’il se
réfère et au Père et au Fils, puisque l’Esprit Saint est l’Esprit du Père et du Fils. Seu-
lement la relation elle-même n’apparaît pas (ipsa relatio non apparet) dans ce nom, elle
apparaît, en revanche, dans l’appellation de “don de Dieu” (Ac 8, 20) » (De Trin. V, 11,
12; BA 15, p. 452-453).
87. Ibid.
88. Ibid.
89. Ibid.
90. De Trin. V, 14, 15; BA 15, p. 460-461.
91. « En Occident, l’introduction du Filioque résulte plutôt de tâtonnements théo-
logiques, comme on le voit dans le De Trinitate de s. Augustin. L’évêque d'Hippone
essaie de rendre compte de la procession du Saint-Esprit à partir de l’Écriture, ce qui
l’amène à dire que l’Esprit procède du Père et du Fils, en commentant la version de la
Vetus Latina dont il disposait. C’est là l’expression de sa recherche, et non un point de
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vue de dogmatique, comme on l’a dit ensuite. Augustin n’est, d’ailleurs, pas le premier © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
à en venir là. Avant lui, S. Ambroise de Milan et S. Hilaire de Poitiers avaient introduit
le Filioque pour répondre à l’arianisme et souligner l’égalité du Père et du Fils, leur
égale divinité » (M.-A. VANNIER, « La clarification sur le Filioque », in RevSR 75/1
(2001), p. 105).
92. Sur la circumincessio en référence à Augustin, lire E. HENDRIKX, Introduction
au De Trinitate, 1955, BA 15, p. 45-46.
PLATON ET AUGUSTIN 449
Longtemps, il a considéré l’amour fraternel comme une activité morale qui préparait à © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
l’amour de Dieu [De mor. eccl. I, 26, 50]. Il découvre maintenant la profondeur de la
charité » (Sr MARIE-ANCILLA, La charité et l’unité, Paris, Mame, coll. « Ecole cathédrale »,
1993, p. 16).
97. L’influence de Rm 5, 5 est capitale dans la pneumatologie d’Augustin. Cf. A.-
M. LA BONNARDIÈRE, « Le verset paulinien Rom V, 5 dans l’œuvre de saint Augustin »,
Aug. Mag. II, 1954, p. 657-665.
450 YVES MEESSEN
102. De Trin. XV, 18, 32; BA 16, p. 510-511. © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
103. Ibid., p. 512-513.
104. « On devient dieu » (Enn. VI, 9, 9, 59-61).
105. Cf. J. MOINGT, « L’amour en Dieu et en l’homme », note complémentaire 62,
BA 16, p. 654-656.
106. De Trin. IV, 9, 12; BA 16, p. 370-371.
107. Sermo 71, 12, 18; PL 38, 454.
PLATON ET AUGUSTIN 451
de son unité dans l’amour. S’il en est ainsi, la réalité ontologique est
entièrement investie par la dimension trinitaire. Dans une quatrième et
dernière partie, nous abordons la manière dont Augustin développe
une logique de l’être en rapport avec la Trinité.
4. TRINITÉ ET ESSENTIA
par Dieu » (De Trin. XV, 17, 31, cité par M.-A. VANNIER, « Augustin d’Hippone », p. 107). © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
113. Ibid.
114. « Aussi bien n’y a-t-il qu’une seule substance – ou essence – immuable (in-
conmutabilis substantia uel essentia), et c’est Dieu, à qui sied vraiment, au sens le plus
fort et le plus exact, cet être même (ipsum esse) dont l’essence tire son nom. Ce qui
change en effet ne conserve pas l’être (non seruat ipsum esse), et ce qui peut changer,
alors même qu’il ne change pas, peut n’être plus ce qu’il a été. Par là, il n’y a que ce
452 YVES MEESSEN
d’être. Ce qui est changeant, parce qu’il est « tantôt ceci, tantôt cela »,
manifeste par là qu’il ne conserve pas l’être. À l’inverse de ce qui
change, Dieu est l’Ipsum esse ou l’Idipsum 115. La conservation de l’être
liée à l’immutabilité fait partie de la définition fondamentale de
l’essentia, terme par lequel Augustin traduit le mot grec . À
première vue, cette définition de l’être semble assez conforme à la
définition grecque. Mais, ce qui n’est absolument pas grec est le fait
que l’être soit conservé simultanément par trois Personnes.
Pour Augustin, l’immutabilité est habitée par la relation (ad ali-
quid) 117. Le fait que le Père soit relatif au Fils et le Fils relatif au Père
(Pater ad Filium, et Filius ad Patrem) 118 ne vient pas détruire l’unité de
l’essence divine mais vient la fonder au point qu’Augustin ose affirmer :
« Dieu subsiste sous forme de relation (relative ergo subsistit) » 119. Pour
faire percevoir cela, Augustin explique que l’essence n’est pas d’abord
quelque chose, une matière, qui serait partagée par les Personnes.
Mais, les Personnes sont l’essence. Cette vérité est affirmée par Augus-
tin dans le livre VII du De Trinitate face à ceux qui pourraient penser
que la Trinité est comme un seul bloc d’or d’où seraient tirées trois
statues 120. L’essentia désigne ce que les Personnes divines sont en
commun : « les trois Personnes sont une seule essence ». Augustin met
en garde contre l’interprétation erronée qui consisterait à dire que « les
trois Personnes viennent de la même essence ». Ceci reviendrait à dire
que « autre chose est la Personne et autre chose l’essence ». Or, « Per-
sonne » et « essence » ne sont pas « autre chose ». Pour accéder à cette
vérité, il faut se défaire des imaginations qui représentent des corps
(imaginibus corporum) sous formes de « masses et étendues, petites et
grandes » 121. Se dévoile ainsi l’incorporéité de l’être, un deuxième ca-
qui ne change pas, mais surtout ne peut absolument pas changer, pour mériter sans
réserve et à la lettre le nom d’être » (De Trin. V, 2, 3; BA 15, p. 428-429).
115. « Qu’est-ce que l’Idipsum? Ce qui est toujours de la même manière, ce qui
n’est pas tantôt ceci, tantôt cela. Qu’est-ce donc que l’Idipsum, sinon ce qui est? Qu’est-
ce qui est? Ce qui est éternel. Car ce qui est d’une manière et tantôt d’une autre n’est
pas, puisque cela ne demeure pas : ce n’est pas tout à fait un non-être, mais ce n’est
pas l’être absolument […] Voilà l’Idipsum : Je suis celui qui suis; Celui qui est m’a
envoyé vers vous », (En. in Ps. 121, 5; PL 37, 1621s).
116. De Trin. V, 2, 3; BA 15, p. 428-429.
117. De Trin. V, 5, 6; BA 15, p. 432-435. Augustin doit certainement aux Pères
grecs, dont saint Basile de Césarée et saint Grégoire de Nazianze, l’utilisation du pré-
dicament aristotélicien de relation (ad aliquid). Cf. I. CHEVALIER, Saint Augustin et la
pensée grecque. Les relations trinitaires, Fribourg, 1940, p. 87-159.
118. Ibid.
119. De Trin. VII, 4, 9; BA 15, p. 536-537.
120. « Ce n’est donc pas en ce sens que nous appelons la Trinité trois personnes
ou substances, une essence ou un seul Dieu, comme si les trois subsistaient de la
même matière, quand bien même cette matière, quoi que ce soit, serait partagée par
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les trois. Cette essence en effet ne comporte rien d’autre que la Trinité. Néanmoins © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
nous disons : les trois personnes sont la même essence, ou : les trois personnes sont
une seule essence; mais nous ne disons pas : les trois personnes viennent de la même
essence – comme si ici autre chose était l’essence, autre chose la personne – comme
nous pouvons parler des trois statues tirées de l’or, parce que là, autre chose être de
l’or, autre chose être des statues » (De Trin. VII, 6, 11; BA 15, p. 546-547).
121. Ibid., p. 548-549.
PLATON ET AUGUSTIN 453
dessus de l’antithèse des hérésies)” » (I. CHEVALIER, op. cit., p. 61). © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
127. « On sait d’une manière assurée qu’il écrivit cette année-là [417] le livre XIe
du De ciu. Dei et très probablement une partie notable des trois livres suivants » (A.-
M. LA BONNARDIERE, Recherches de chronologie augustinienne, Paris, Et. Aug., 1965,
p. 70).
128. « Celui qu’engendre un être simple est comme lui simple, et il est cela même
qu’est celui qui l’a engendré. Ces deux êtres, nous les nommons le Père et le Fils, et
454 YVES MEESSEN
CONCLUSION
Il est indéniable que les « Platoniciens » dont parle Augustin ont re-
connu une action triadique de Dieu par rapport à l’univers et, corréla-
tivement, une certaine image trinitaire de Dieu dans l’homme. Augus-
tin n’hésite pas à affirmer que Platon a reconnu en Dieu le Principe de
l’être, de l’intelligence et de la vie (Causa subsistendi et Ratio intellegendi
et Ordo uiuendi) 129. Par la suite, ceux qui ont bien intégré
l’enseignement de Platon ont été jusqu’à considérer que, en lui-même,
Dieu se déployait selon un processus triadique, que ce soit au niveau
du Noûs comme Plotin, ou des trois hypostases comme Porphyre. Ce-
pendant, la connaissance de ce développement triadique ne sous paraît
pas suffisante pour affirmer que ces « Platoniciens » ont eu une véri-
table connaissance du mystère trinitaire. Pourquoi?
l’un et l’autre avec leur Esprit, c’est l’unique Dieu [...] Et cette Trinité est un seul Dieu,
et elle ne cesse d’être simple parce qu’elle est Trinité. Nous ne disons pas, en effet, que
cette nature du bien (bonum) est simple, parce qu’en elle le Père est seul, le Fils est
seul, le Saint-Esprit est seul; ou encore parce que la Trinité est seulement un nom
sans aucune subsistance des Personnes (subsistantia personarum), comme l’on pensé les
hérétiques sabelliens. Elle est appelée simple parce qu’elle est ce qu’elle a (simplex
dicitur, quoniam quod habet hoc est), étant sauf que chaque personne est dite personne
relativement à une des deux autres (relative quaeque persona ad alteram dicitur). Car,
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certes, le Père a un Fils et pourtant n’est pas le Fils; le Fils a un Père et pourtant n’est © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
pas le Père (habet...nec ipse est). Ainsi donc, considéré en lui-même et non par rapport à
un autre (in quo ergo ad semet ipsum dicitur, non ad alterum), Dieu est ce qu’il a (hoc est
quod habet), comme il est dit vivant par rapport à soi (ad se ipsum) parce qu’il a évi-
demment la vie, et cette vie, il l'est lui-même (ipse est) » (De ciu. Dei XI, 10, 1, BA 35,
p. 63-65).
129. De ciu. Dei VIII, 4; BA 34, p. 244-245. Cf. G. MADEC, Le Dieu d’Augustin, p. 106.
PLATON ET AUGUSTIN 455
130. « Il n’est point, non plus, divisible, puisqu’il est tout entier homogène, car il n’y
a point, ici, un plus qui romprait sa continuité (). Ni, là,
un moins : mais tout est plein d’être. Ainsi tout est continu ( ) :
être se presse contre être » (PARMÉNIDE, Fragm. VIII, 6; trad. par J. BEAUFRET, Le poème
de Parménide, Paris, PUF, coll. « Epiméthée », 1955, p. 83).
131. Ibid., VIII, 22-25.
132. Auguste DIÈS traduit par « Un, continu » in PLATON, Œuvres com-
ière
plètes, t. VIII (1 part.), Parménide, Paris, PUF, 1957, notice, p. 13.
133. PARMÉNIDE, Fragm. VIII, 29-30, trad. par J. BEAUFRET, op. cit., p. 85.
134. Cf. PLATON, Sophiste, 259 a-b.
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135. Tract. in Io eu. 2, 2, 2; BA 71, p. 172-173. © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
136. Le Corpus Augustinianum Gissense (CAG) sur CD-ROM comptabilise 261 oc-
currences de Jn 1, 1 en dehors des nombreuses allusions et citations partielles de ce
verset.
137. « Mais le Père est, lui aussi, et le Saint-Esprit est : c’est jusqu’à l’être même
que s’étend toute la Trinité (ad ipsum esse pertinet tota trinitas) » (Tract. in Io eu. 40, 3;
BA 73A, p. 300-301). Cf. aussi De mor. eccl. cath. 14, 24; BA 1, p. 172.
456 YVES MEESSEN
Père et le Fils 138. L’essence n’est pas une dans une mêmeté d’où toute
altérité serait absente mais est une dans les relations des Personnes.
« Pour Dieu, en effet, être et être personne, c’est absolument iden-
tique » 139.
De la sorte, la notion de « continuité » parménidienne n’éclate pas
seulement au niveau du multiple, comme c’est le cas chez Platon, mais
aussi au niveau de l’Un. En conséquence, Augustin pose les linéaments
de ce qu’il nous faut bien appeler une métaphysique trinitaire. Cette
métaphysique, étrangère à celle du néo-platonisme, ne tombe pas aussi
facilement que Heidegger le voudrait sous le coup de la critique de
l’« onto-théologie » 140. En effet, chez Augustin, il n’existe pas la même
« scission » () entre l’être et l’apparence que chez les « Plato-
niciens » 141. Si l’être ne reste pas en retrait de son don, mais se donne
lui-même dans sa création, il va sans dire que cette cassure vole en
éclat. Par contre, la critique heideggérienne pourrait peut-être se re-
tourner contre lui. À partir d’Augustin, ne pourrait-on pas lui rétorquer
la question suivante : comment expliquer le retrait du Es gibt par rap-
port à son don qui est l’être? L’Ereignis ne se situerait-il pas dans une
logique analogue à l’Hénosis? 142 Indépendamment de cette question
qui mériterait une investigation fouillée, il nous semble déjà possible
de constater un point important. En rapprochant la pensée d’Augustin
du néo-platonisme 143, Heidegger n’a pas perçu à quel point l’auteur
latin s’était écarté du présupposé grec selon lequel l’ est « le se-
posséder (sich-haben) dans lequel le stable se tient » 144.
La levée de ce présupposé pourrait nous orienter vers une méta-
physique qui, grâce à l’apport de la phénoménologie, prend résolument
une autre voie que la « métaphysique de l’Exode » 145. Que
l’anéantissement d’un homme puisse être perçu comme « Je suis »,
c’est-à-dire permanence stable de l’être, voilà qui est le questionne-
ment de départ, le scandale et la folie qu’il faut scruter. La sagesse de
143. Cf. la présentation par O. PÖGELLER du cours de M. HEIDEGGER, Augustinus © Vrin | Téléchargé le 09/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.231.37.101)
und der Neuplatonismus, in O. PÖGELLER, Der Denkweg Martin Heideggers, Pfüllingen,
Gunther, 1963; trad. fr. par M. Simon, La pensée de Martin Heidegger. Un cheminement
vers l’être, Paris, Aubier, 1967, p. 50-59.
144. M. HEIDEGGER, Einführung in die Metaphysik; trad. fr., p. 70.
e
145. Cf. E. GILSON, L’esprit de la philosophie médiévale (1932), Paris, Vrin, 2 éd.,
1944, p. 50.
PLATON ET AUGUSTIN 457
RÉSUMÉ DE L’ARTICLE. — Platon et Augustin : mêmes mots, autre sens. Par Yves
MEESSEN.
Si Augustin reprend à Platon le vocabulaire des « grands genres », force est de constater
qu’il en réorganise complètement la grammaire. Cette réorganisation est due à l’influence
prépondérante de l’Écriture et, principalement, de la révélation du mystère trinitaire. De ce
fait, la métaphysique mise en place par Augustin s’éloigne considérablement de la pensée
néo-platonicienne. Que le Verbe soit Deus apud Deum remet en question l’ordre hiérar-
chique des hypostases tel que Plotin le conçoit. Plus qu’une préexistence qui doit se dé-
ployer dans le multiple, à la manière de Porphyre, cette présence du Verbe dans le premier
Principe reçoit toute sa dignité à travers l’Incarnation. La Parole est vraiment constitutive
de l’Un, au point qu’il ne se retire pas dans la solitude mais entre en communication avec
ce qui vient après lui, c’est-à-dire avec l’homme qu’il veut associer à son éternité.
SUMMARY OF THE ARTICLE. — Plato and Augustine : The same words, another mean-
ing. By Yves MEESSEN.
If Augustine borrows from Plato the vocabulary of the « great genres », it must be noted
that he completely reorganizes its grammar. This reorganization is due to the preponderant
influence of scripture and, principally, to the revelation of the Trintarian mystery. As a
result, the metaphysic put in place by Augustine diverges considerably from neo-Platonic
thought. That the Word is Deus apud Deum calls into question the hierarchical order of
hypostases as conceived by Plotinus. More than a pre-existance that must unfold in the
many, in the manner of Porphyry, this presence of the Word in the first principle receives
all its dignity through the Incarnation. The Word is truly constitutive of the one, to the
extent that it does not withdraw into solitude but enters into communication with what
comes after him, that is to say the human person whom he wishes to associate with his
eternity.
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