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INTRODUCTION

Bruno Karsenti

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Centre Sèvres | « Archives de Philosophie »

2003/1 Tome 66 | pages 5 à 7


ISSN 0003-9632
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Pour citer cet article :


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Bruno Karsenti, « Introduction », Archives de Philosophie 2003/1 (Tome 66), p. 5-7.
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ANTHROPOLOGIE STRUCTURALE
ET PHILOSOPHIE : LÉVI-STRAUSS
Introduction
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BRUNO KARSENTI
Université de Paris I

Les textes que l’on réunit ici, loin de chercher dans l’anthropologie
structurale les linéaments d’une anthropologie philosophique, s’interrogent
plutôt sur ce qu’elle apporte, c’est-à-dire impose à la philosophie en termes
de production conceptuelle.
Selon Sartre, il y a deux manières d’envisager le rapport de l’anthropo-
logie à la philosophie : soit on fait de la première une approche objective que
la philosophie ne peut reprendre qu’en la dépassant ¢ car, pour elle, « la
notion d’homme ne se referme jamais sur elle-même » 1. Soit on admet que la
structure est « constituante », que le plan anthropologique comprend à son
propre niveau l’explication des synthèses selon lesquelles les phénomènes
humains se produisent ¢ et l’on se situe alors résolument en dehors de la
philosophie. Dans l’esprit de Sartre, cette alternative se voulait une réfuta-
tion du « structuralisme radical ». Elle manque cependant sa cible, si l’on
reconnaît que l’anthropologie structurale n’a jamais cherché à se développer
comme une philosophie, alors même qu’il lui arrivait de « braconner » sur
ses terres. Sa force et sa fécondité tiennent seulement ¢ mais c’est sans doute
là l’essentiel ¢ dans ses effets, c’est-à-dire dans son étonnante puissance de
subversion des découpages conceptuels que la réflexion philosophique est
spontanément portée à accréditer. Ce travail du structuralisme est envisagé
de différents points de vue dans les textes qu’on va lire : une autre articula-
tion de la théorie et de la pratique, une autre conception de la logique et de
la langue, une autre vision de l’efficace causale reconduite à l’action de la
forme comme telle. Dans chaque cas, l’image courante du structuralisme est
récusée, et son interprétation s’en trouve libérée, reprise sur des bases

1. Situation IX, p. 84.

Archives de Philosophie 66, 2003


6 B. KARSENTI

nouvelles, débarrassée des lieux communs qui n’ont pas cessé d’en brouiller
la compréhension, mais aussi confrontée aux limites tracées par l’histoire de
l’anthropologie dont le structuralisme est un chapitre dont la place et la
fonction restent à évaluer.
Comment cerner le sens proprement conceptuel de l’opération structu-
rale, envisagée sur son versant anthropologique ? Pour répondre, il est sans
doute préférable de renverser les perspectives et d’observer Lévi-Strauss
lisant Sartre. On connaît l’objection, mêlée de fascination, adressée à la
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Critique de la raison dialectique : doter la dialectique d’une réalité sui


generis, la penser dans une opposition absolue à l’analyse qui s’applique au
donné, l’investir d’un pouvoir de synthèse où résiderait l’originalité radicale
d’un ordre humain, c’est tourner le dos à ce que l’anthropologie a pu
découvrir s’agissant du fonctionnement objectif de l’esprit, à savoir la
tension qui le traverse et lui indique la « distance à vaincre » pour intégrer en
un nouvel ensemble signifiant la totalité de son expérience. La raison dialec-
tique, ce n’est pas l’autre de la raison analytique, mais « quelque chose de
plus » déjà présent en elle 2. Or cela n’apparaît qu’à une double condition :
non seulement dissoudre les fausses synthèses, mais encore revenir sur les
oppositions qu’elles sont censées résoudre. Car au fond, si l’autonomie
absolue de la raison dialectique est une illusion, c’est parce qu’on lui assigne
une tâche qui n’est pas la sienne, construisant de toutes pièces les problèmes
dont on lui attribue après coup la puissance de résolution.
Aussi l’anthropologie doit-elle s’affirmer contre la philosophie en s’atta-
quant à ses prémisses les moins discutées : non pas tant l’unité de l’homme,
de la culture ou du moi, que les exclusions inévitablement déclenchées par la
position de chacun de ces termes. Une vocation profondément politique
transparaît alors dans ce combat interne à la science de l’homme, vocation
que l’on aurait tort de négliger sous prétexte que le militantisme ne prend
pas ici la forme la plus attendue. Que le bouleversement philosophique
impliqué par l’anthropologie se conçoive surtout politiquement 3, c’est ce
dont témoigne l’anomalie rousseauiste telle que Lévi-Strauss la célèbre et
entreprend de la prolonger. Voir dans Rousseau le fondateur de la science de
l’homme, ou du moins de son projet authentique, c’est comprendre combien
l’identification primitive à toutes les formes de vie représente le « principe de
toute sagesse et de toute action collectives » 4 ; c’est voir qu’elle désamorce
par avance les transcendances de repli que ménagent les clivages de la
culture et de la nature, de moi et d’autrui, de l’intelligible et du sensible, de
l’humanité et du vivant non humain ; c’est débusquer au principe du

2. La pensée sauvage, Plon, 1962, p. 326.


3. Voir, à ce sujet, les développements ultimes de l’article de J. Benoist.
4. Anthropologie structurale II, Plon, 1973, p. 54.
ANTHROPOLOGIE STRUCTURALE ET PHILOSOPHIE 7

raisonnement philosophique une logique biaisée, ordonnée à des positions


de surplomb où puise en dernier ressort le « cycle maudit » des discrimina-
tions et des oppressions réelles. À cela, l’anthropologie structurale adresse
un démenti qui est l’un des plus grands défis lancés à la philosophie, sur un
plan à la fois spéculatif et pratique. Elle restaure des identités plus larges en
ruinant les oppositions admises, et se donne par là même les moyens,
symétriquement, de dissoudre les identités les mieux fondées en rendant
visibles de nouvelles distinctions : celles, plus significatives et plus profon-
des, qui résultent d’une certaine manière pour l’homme de se distinguer,
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sans que l’on présuppose la distinction comme étant déjà opérée. Faire
l’effort, en philosophe, de rejoindre les problèmes soulevés par Lévi-Strauss,
reviendrait alors essentiellement à ceci : découper et recomposer la réalité
autrement que la philosophie nous y incline, et contraindre du même coup
celle-ci à penser et à se penser sur fond d’une dynamique intellectuelle que
seule une science empirique permet d’explorer.

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