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LA SPÉLÉOLOGIE URBAINE
Une communauté secrète de cataphiles
Florian Lebreton, Stéphane Héas

Presses Universitaires de France | « Ethnologie française »

2007/2 Vol. 37 | pages 345 à 352


ISSN 0046-2616
ISBN 9782130560852
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2007-2-page-345.htm
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Pour citer cet article :


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Florian Lebreton, Stéphane Héas« La spéléologie urbaine. Une communauté secrète
de cataphiles », Ethnologie française 2007/2 (Vol. 37), p. 345-352.
DOI 10.3917/ethn.072.0345
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Dossier : Bembo puf203906\ Fichier : eth2-07 Date : 16/2/2007 Heure : 9 : 10 Page : 345

VARIA

La spéléologie urbaine
Une communauté secrète de cataphiles
Florian Lebreton, Stéphane Héas

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RÉSUMÉ
La spéléologie urbaine est une pratique marginale, et illégale. Pour autant, elle a ses règles de conduite et des exigences
importantes. En marge de toute reconnaissance institutionnelle, cette déambulation nocturne permet aux cataphiles le partage
d’une expérience où les facettes de la personnalité et le statut social se troublent, multipliant les échanges secrets avec autrui.
De la sorte se révèle une solidarité inédite, invisible dans le monde du « dessus », et se forme une communauté dont le
fonctionnement s’apparente à celui d’une société secrète.
Mots-clés : Ethnologie. Expérience. Spéléologie urbaine. Statut.
Florian Lebreton Stéphane Héas
Université Rennes-II Université Rennes-II
Laboratoire d’anthropologie et de sociologie UFR STAPS de Rennes 2
(doctorant, équipe d’accueil 2241) Campus La Harpe CS 244
ZAC Atalante-Champeaux 14, avenue Charles-Tillon
3, allée Adolphe-Bobierre 35044 Rennes Cedex 1
35000 Rennes stephane.heas@uhb.fr
kalabrett@hotmail.com
florian.lebreton@etudiant.uhb.fr

Les Pratiques corporelles et sportives (PCS) interrogent de randonneurs et d’explorateurs des souterrains pari-
la fabrication des goûts et, plus largement, des loisirs en siens a mis en évidence les usages du corps, l’organisa-
France. De nouvelles modalités de PCS soulignent des tion du temps et de l’espace privé/public, etc. Cette
trajectoires culturelles et sociales déterminées mais déambulation urbaine, plutôt nocturne et lente, est une
aussi, parfois, fortement individualisées [Bodin, Héas, pratique illégale. Étant donné les risques encourus, les
Robène, 2004]. Véritables conquêtes d’espaces par et précautions exigées sont fortes et les rassemblements
pour soi-même [Héas, Bodin, Rannou, 2004], elles fonctionnent sur le modèle des sociétés secrètes
deviennent une expérience subjective centrée autour [Simmel, 1996 ; Petitat, 1998]. Précisons qu’à partir des
d’expressions et d’impressions corporelles. Ces nouvelles expériences concrètes relatées par les pratiquants eux-
PCS se différencient surtout des « conditions générales du mêmes et par l’enquêteur principal, nous avons pratiqué
sport institutionnel, pour se placer sous des régimes marqués une anthropologie où les exigences scientifiques enten-
par les particularismes identitaire et culturel » [Jacoud, Mala- dent faire preuve d’une réciprocité entre les acteurs et
testa, 2004 : 260]. L’adhésion à un groupe humain et « l’étranger ». Ainsi nous avons pu construire ensemble
sportif situé à la marge du sport fédéral/institutionnel la réalité sociale d’un groupe minoritaire où les « ini-
devient une expérience ludique directement « vécue » tiatives microlocales » ont pris forme [Balandier,
par les pratiquants sans existence de calendriers précon- 1985 : 17]. Cette Anthropologique est étayée par des
çus, d’organigrammes, de programmes prédéfinis. observations directes et des participations observantes
La spéléologie urbaine, abordée ici, constitue une cumulées aux entretiens in situ in vivo. Elle permet de
expérimentation d’émotions, une expression indi- rendre compte des caractéristiques qui lient l’acteur à
viduelle de mouvements physiques toujours codifiée son milieu et donc de considérer le corps comme un
collectivement. Elle permet aux pratiquants de se outil d’analyse dans le processus de construction iden-
construire à travers la conquête d’un espace et d’un titaire. La distinction entre le rythme temporel organisé
temps extraordinaires, en marge de toute reconnais- autour du jour, de la lumière, et celui davantage orienté
sance institutionnelle. L’immersion au sein d’un groupe vers un régime nocturne – où règne de fait une plus

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grande obscurité – révèle ainsi une variation des rythmes Déjà, au début des années 1980, Glowczewski effec-
biologiques, écologiques, mais aussi sociaux, des pra- tua une « mission anthropologique dans les souterrains de
tiquants, ce qui entraîne certaines « expériences modifiées Paris » pour y extraire cet « imaginaire souterrain »
d’être humain » [Héas, 2005 : 60] valorisées au sein composé, pour l’époque, de la « mémoire enfouie de la cité,

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d’espaces a priori inexploitables. Nous voulons préciser de socialité ludique, de descentes initiatiques, d’archéfiction
la manière dont les activités ludiques pratiquées dans un onirique » [1983] 1. Comparons brièvement les des-
espace-temps apparemment opposé aux rythmes de la centes répertoriées aux débuts des années 1980 à notre
vie quotidienne (temps de travail et temps de loisirs) immersion.
procurent un état affectif sensible, proche du domaine
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sacré. Cette union entre un objet, le quotidien et ses


« arts de faire », avec la sacralisation d’un espace vécu ■ Des contextes historiques différents
illustre le « réenchantement perpétuel du quotidien par un
ordre de pratiques, par des valeurs qui lui donnent sens et (1980, 2000)
par des logiques […] chargées de symboles » [Rivière,
1996 : 229]. Le territoire – comme dimension sensible Les deux contextes d’études opposent le souterrain
– investi par le groupe de spéléologues « traduit l’existence et la surface. Répertorions les permanences et surtout
de relations entre le corps et l’espace dans lequel il se situe. Il les différences actuelles du contexte culturel, social et
s’agit, bien sûr, des rapports physiques qui s’instaurent entre économique du dessus (la surface-espace public).
un organisme et le milieu, mais aussi des rapports imaginaires La reproduction des caractéristiques ludiques et
associés à une pratique et à la fréquentation d’un lieu » [Grif- sacrées de l’espace souterrain est patente. L’historicité
fet, 1995 : 139]. L’expérience, ici illégale et risquée, des lieux – comme les catacombes – demeure, mainte-
centre la personne sur ses propres sensations qui devien- nant la mise en place de rites et de codifications spéci-
nent des supports identitaires importants, si ce n’est pré- fiques, composantes de ce jeu de rôles souterrain. Le rite
valents. La prise de risque est à ce point valorisée qu’elle de la première descente (avec ses passages éprouvants)
se transmute en prise sur la vie, en expérience donneuse décrite en 1983 semble identique aujourd’hui : il teste les
de sens [Le Breton, 1991]. Seuls sont retenus les capacités physiques de l’impétrant sans pour autant lui
moments de joie, d’extase, les moments où les sensations dévoiler les espaces attrayants et typiques des galeries
vertigineuses donnent du sens aux mouvements effec- souterraines. Sa résistance et sa persévérance lui per-
tués sous terre. Cet engloutissement dans les entrailles mettent l’accès à ces places secrètement gardées par la
et dans les profondeurs labyrinthiques ne vise à rien communauté. Peu à peu, des rites intégratifs scellent
d’autre, probablement, que de sortir du dédale infernal l’adhésion au groupe. L’abandon prématuré, a contrario,
de la vie banale : « parce que nous nous savons mortels, maintient vivante la stratégie du secret appliquée avec
limités, nous voulons faire les plus grandes choses humaines, succès. La diversité des profils des descendeurs, toujours
aller jusqu’aux frontières indécises du possible et de l’impos- d’actualité, permet la cohabitation du spéléologue avec le
sible » [Jeu, 1977 : 48]. Ces pratiques permettent de chasseur de trésors, d’images ou le visiteur occasionnel.
construire au cœur de nos cités modernes sécurisées et À ce titre, le caractère sensuel de la conquête peut coha-
prophylactiques de nouveaux aventuriers qui, comme biter avec le sérieux décrit par B. Glowczewski. Cette
dans le cas des rodéos urbains, mettent leur vie en jeu variété induit potentiellement des échanges de savoir-
pour lui donner un sens ou, plus simplement, découvrir faire. En ce sens, la construction identitaire se complexi-
de nouvelles expériences sociales. Elles rendent plus inti- fie par les interactions variées entre des membres très
mes les appropriations d’espaces et de temps alternatifs diversifiés. Enfin, selon cette enquête princeps, les explo-
démontrés par d’autres. rateurs des souterrains visaient à renverser l’ordre social
et mettre en forme une socialité parallèle par la distribu-
tion de rôles : « c’est toute une socialité inversée de la surface
qui s’offre, le temps d’une escapade » [Glowczewski, op.
cit. : 85] ou encore « inventer une sociabilité où le travail
n’entre plus en ligne de compte » et « ainsi échapper à la surveil-
lance normalisante de la surface » [ibid. : 86]. L’analyse des
discours recueillis lors de notre étude révèle les mêmes
critiques : ils se retrouvent en dessous pour ne pas repro-
duire ce qu’ils vivent déjà au quotidien, en particulier le
rapport au travail. Les permanences historiques sont
étayées par les marques et les peintures murales.
Cependant, quelques changements nous paraissent
révélateurs. En effet, la diversité des statuts de ces acteurs
1. Exemple de lieu d’appropriation de la « catapulte » (Souterrain souterrains n’effrite pas leur volonté de s’unir, sans tenir
de Paris, par Taara). compte de leurs différences, pour le bon déroulement de

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l’exploration. Cette adhésion est renforcée par certains Un simple recueil des critiques adressées au monde
signes communs : les vêtements notamment. L’organisa- du travail et à ses travers ne permettrait pas de saisir les
tion en société secrète s’est également renforcée devant modalités d’engagement vers une pratique en marge
« l’invasion » des nouveaux descendeurs du samedi soir et des sports dominants [Bourdieu, 1978 ; Pociello, 1981,

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le risque majeur de dégradation des espaces souterrains. 1995], ni, surtout, de saisir l’ambivalence en question.
Cette augmentation de visiteurs est essentielle pour Car le travail n’est pas synonyme de mal être même s’il
comprendre l’organisation actuelle des cataphiles. La constitue un temps social fortement contraignant. D’où
valorisation de l’errance est également une composante la volonté et la nécessité revendiquée par les cataphiles
de notre socialité contemporaine. Ces changements sont d’alterner avec un autre temps social, celui d’un loisir
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observables dans les interactions entre les acteurs et dans mis en forme par un espace-temps pour soi, davantage
l’analyse des discours entre groupes de cataphiles. individualisé. En raison de la diversité des professions et
L’adhésion à un groupe d’explorateurs est aujourd’hui catégories sociales, le monde du travail est vécu diffé-
une technique pour manipuler différentes facettes de remment selon la nature du travail exercé. Cette indi-
soi, pour se déclarer différent du sujet de la surface. Le cation n’est, bien sûr, pas une nouveauté. La question
mythe du souterrain est, par conséquent, toujours pré- du statut social du « dessus » (monde ordinaire) est
sent au sein d’une recherche de l’abri pour soi et de la taboue en « dessous » (monde des souterrains). Ils nous
valorisation de l’errance vagabonde. Selon B. Glow- parlent de « visages » et de « masques », à tel point que
czewski, la « tribu cataphile se distribue des masques pour le « visage » d’en dessous, alors recouvert par le « mas-
essayer des rôles » [1983 : 240]. Si nous observons toujours que » du dessus, devient étranger dans la sphère publi-
la distribution de rôles et de statuts par l’intermédiaire que : « Une fois que tu as franchi les entrées, tout est mis à
de rites intégratifs, au contraire, le contexte du dessus plat. Que ton pote soit directeur de machin… que toi tu sois
semble favoriser une tombée des masques au sein du étudiant, on s’en fout. Tout est mis à plat, les statuts n’ont
labyrinthe. Il ne s’agit plus d’un simple « essai de rôles » pas leur place ici. Je ne me lie pas d’amitié avec un autre parce
mais plutôt de vivre pleinement ce nouveau statut iden- qu’il fait le même boulot que moi… » (enquêté, id.).
titaire. La complémentarité des rôles du dessus et du
dessous nous montre que le souterrain est bien plus qu’un
simple terrain de jeu aujourd’hui : il est un lieu anthro-
pologique qui participe à la construction identitaire
des cataphiles. Ils évoquent avec insistance la tombée
des masques dès l’immersion souterraine : tomber les
masques du quotidien pour se déshabiller de toutes
empreintes du dessus.
Ces expériences socioculturelles secrètes révèlent, nous
en faisons l’hypothèse, des fréquentations et circulations
entre sphères de travail et de loisir différentes. Le social
devient pluriel, multipliant les univers culturels diffé-
rents aux fonctions et finalités spécifiques.

2. Une entrée qui en dit long sur les symboliques du terrain (par
■ La relation pratiquant-espace L’Hermine, 2005).

comme cadre • Un espace dominant : la sphère publique


• Ambivalence des univers laborieux et ludiques Ce jeu avec les identités, cette ambivalence sont révé-
lateurs de la volonté de se détacher du statut social pro-
La socialisation par le travail avec les valeurs de per- fessionnel et de créer des liens sociaux autour du partage
formance et de rentabilité demeure 2 [Boltanski, Chia- d’émotions inédites par une pratique désinstitutionnali-
pello, 1999 ; Ehrenberg, 1991]. Le rythme du travail sée. Le statut professionnel, mis entre parenthèses, laisse
s’impose avec les notions de rendement, de productivité, place à une sphère, plus intime, du plaisir ressenti.
de profit ou encore de rationalité avec un impact majeur Les informations « obtenues » concernant les représen-
sur le vocabulaire utilisé pour évoquer l’activité profes- tations du temps professionnel renseignent sur le degré
sionnelle par chacun des enquêtés. Il met en lumière les de liberté des randonneurs souterrains qui dirigent alors
prises de distances opérées une fois l’espace souterrain – dans une autre sphère –, avec une plus grande auto-
investi : « C’est juste une aventure humaine [la spéléologie] nomie, leur quête de plaisirs [Latour, 2001 : 49]. Où, le
où personne n’est meilleur que l’autre. On est assez mis en « plaisir mettant le corps en jeu est lié aux temporalités qui en
concurrence au boulot comme ça, alors ici… » (Pierre, 42 ans, modifient les significations et aux cultures variées qui l’orientent
vingt-trois ans d’ancienneté). en fixant des interdits » [Le Pogam, 1997 : 1].

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L’espace public est également présent lorsque les ran- ■ Des « personnes » qui préservent
donneurs font référence aux sports, domaine reconnu la « face » ?
et légitime. Tous en ont pratiqué un – football, basket-
ball, tennis, rugby, ski, athlétisme, escalade ou judo.

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Le randonneur souterrain illégitime comme « per-
L’évocation de leur carrière sportive est récurrente et sonne » renvoie au concept de persona maussien lors de
semble essentielle à la justification de leur pratique en ses analyses sur le « moi » au sein de sociétés archaïques
dehors de toute institution. Le terme de « fédération » ou traditionnelles. « Le masque par lequel résonne la voix
est donc dénigré très fortement, mais aussi le « sport de l’acteur » [Mauss, 1999 : 350] est comparable à la tom-
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business » où le « capitalisme extravagant ronge petit à petit bée des masques dans l’espace souterrain. Alors que les
l’institution sportive » et tend à « uniformiser le sportif ». La relations sociales du dessus sont basées sur l’imposition
pratique sportive ne devrait pas, pour les interviewés, de rôles, de statuts – donc un découpage –, celles du
être « une affaire de rendement et encore moins de productivité » dessous sont fondées sur l’échange d’émotions entre les
des corps. Jusqu’à un désintérêt profond pour les insti- membres du groupe de pratiquants, particulières à
tutions, sportives ou non : « Je ne me retrouve pas dans une l’espace-temps extraordinaire 5.
structure sociale prédéterminée. Je revendique une certaine
liberté qui ne me semble accessible que dans quelque chose de
non régulé » (Cyril, 34 ans, quatorze ans d’ancienneté).
Les cataphiles revendiquent une pratique davantage
individualisée avec une plus grande autonomie décision-
nelle. Comme le modèle sportif dominant façonne les
« goûts » des personnes sportives à travers le prisme de
l’agon, leur critique est très virulente envers le modèle
d’intégration proposé par les autres institutions sportives.

• La conquête de l’espace symbolique : la sphère intime


La conquête du monde souterrain comme « lieu » 3 se 3. Exemple de « moment » d’échanges (par L’Hermine, 2005).
décline en plusieurs points.
En premier, l’éloignement institutionnel, volontaire, À l’instar des communautés de campeurs, la « préser-
organise et définit ces nouvelles formes de pratique sou- vation de l’autonomie ne se fait pas dans l’exclusion des autres
terraine. Éloignement vis-à-vis de la fédération française mais plutôt dans l’intégration à un ensemble collectif. Celui-ci
de spéléologie tout d’abord, puis éloignement vis-à-vis contribue à l’épanouissement de chacun et renforce alors l’uni-
du système des sports dans son ensemble ensuite. fication du groupe lui-même [composé] de participants d’un
Un membre de l’organisation fédérale 4 qualifie d’ail- collectif ayant un intérêt commun » [Raveneau, Sirost,
leurs cette forme de spéléologie urbaine de « pratique mar- 2001 : 677]. Les rencontres souterraines prennent alors
ginale » tant l’éloignement avec la « pratique pure et dure » les allures de rencontres hautement improbables ailleurs
lui paraît évident. Cette dernière « couvre l’exploration, [Dalla Bernardina, 1996] 6 : « Ce qui m’a marqué, c’est
l’étude et la visite des cavités souterraines, voire sous-glaciaires, qu’en bas les gens sont [pause]… pas tous les mêmes a priori.
qu’elles soient naturelles (grottes – horizontales – ou gouffres – Mais ils ont tous le même uniforme… on a un peu le même
verticaux) ou artificielles (carrières, souterrains, mines, citernes, langage… on est tous à peu près pareils quoi… bon… mis à
oubliettes…) ». Dans cette optique, les enquêtés prennent part des histoires de caractère ou des choses comme ça… mais
de « gros risques pour un intérêt limité ». Bref, ces « gens-là [ne on se ressemble tous, des fois… on est très surpris de voir qu’on
aime bien discuter, fréquenter quelqu’un en dessous… quand
sont pas] connus de la fédération ! » (sic). Ce discours ortho- on l’aperçoit en surface, on s’aperçoit qu’on aurait pas eu l’idée
doxe traduit une incompréhension qui s’observe à travers de lui dire bonjour ou d’être ami avec » (Marine, 31 ans,
la non-reconnaissance, voire le dénigrement de cette huit ans d’ancienneté).
modalité de pratique. Cette désignation stigmatisante est À l’image des sociétés traditionnelles, le masque
relevée par les enquêtés qui revendiquent un « jeu ludique, revêtu par le spéléologue urbain est accompagné d’un
différent de la spéléologie dite classique, donc classée en tant autre nom, uniquement porté lors de cérémonies parti-
qu’activité physique et sportive ». Impossible, comme le pré- culières des rites intégratifs. Revendication identitaire
cise l’un des enquêtés, de se « retrouver dans le système classi- où la personne est réellement et symboliquement une
que des sports, avec les règles, les calendriers, l’affrontement, la autre. Tomber les « masques » permet de rendre visible
compétition […] c’est avant tout un jeu où l’on se fait plaisir ». leur « face comme étant la valeur sociale positive » [Goffman,
Ces aspects liés à l’autocodification seront analysés en 1974 : 9]. Interactions inédites dans le monde du dessus
seconde partie, consacrée plus particulièrement à l’étude où parfois les cataphiles se croisent et s’entrecroisent sans
du fonctionnement interne à ce groupe secret. chercher à nouer des liens particuliers.

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Les relations extérieures paraissent tronquées par déambuler dans les recoins et ainsi accéder à certaines places
l’imposition d’un statut, i.e. d’un masque correspondant à secrètes… C’est ainsi que le réseau se construit et donc main-
l’ancrage de l’individu dans la sphère publique. Sous terre, tenant tu peux te dire que tu appartiens au groupe et tu te
la tombée des masques laisse apparaître un « vrai visage », sens reconnu. Ce n’est donc que quatre ans plus tard que ma

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celui qui marque sa « véritable personnalité (dixit) ». Illusion vie de cataphile a pris forme, et surtout, sens. La réception
temporaire qui invite à des échanges inédits où chaque d’un plan est en quelque sorte le passeport qui te permettra de
spéléologue reçoit un véritable nom de scène qui caracté- t’épanouir par la suite » (enquêté, 41 ans, ingénieur
rise son style corporel : Tank, La grenouille, Bougeoir, La informatique).
mouette… Cet extrait d’entretien avec une femme spéléo- La pratique de la spéléologie urbaine n’est pas et ne
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logue précise ce point : « Pourquoi un surnom comme La peut pas être une pratique individuelle. Cette quête
Grenouille alors [rire] ? » « C’est un nom qu’on m’a donné… labyrinthique se comprend à travers le prisme de l’inté-
ça m’a bien plu… c’était drôle [rires] en plus on ne me l’a pas gration à une communauté, à travers l’acquisition d’un
donné de manière très sympathique, donc j’ai trouvé très drôle langage, de codes, de rites, de signes de reconnaissances
de… justement… de l’accepter… et [rire]… de la porter. La et/ou distinctifs, de valeurs, etc. Il y a dans cette
personne qui me l’a filée, c’était plutôt pour me lancer une construction et quête identitaire un processus qui met
vanne… [rire] parce que je passais mon temps à tomber dans en œuvre le « sacré » qui caractérise ce double méca-
certaines crevasses d’eau… » nisme d’intégration 7 [Girard, 1972 : 2004]. Ne nous y
Ce pseudonyme confère aux cataphiles une autre trompons cependant pas. Cette identité collective n’est
facette identitaire même si elle demeure fragile. Elle pas une, pas plus d’ailleurs qu’il n’existe « une » culture
révèle l’adéquation de la personne à un espace qu’elle des souterrains.
tente de s’approprier, partie intégrante de l’organisation L’entrée dans la communauté permet de se « recon-
interne du groupe (infra). Ce processus identificatoire naître dans le monde du dessous » par l’existence d’un
est régulé par le groupe de pairs soulignant la « vraie « esprit de corps ». Cependant, une fois introduit dans
nature de l’individu » [Mauss, 1999 : 354] au sein d’un cette « micro-société », le pratiquant n’a pas « abandonné sa
espace intime. liberté d’aller et venir » [Simmel : 1996, 88]. C’est cette
circulation entre deux sphères sociales qui semble carac-
tériser encore davantage la communauté du « dessous ».
Le secret consiste tout d’abord en la protection de son
■ Une organisation spécifique liée espace intime en interaction avec l’espace public. La
aux caractéristiques de l’espace conquis protection d’un savoir-faire, d’un ensemble de schèmes
propres au groupe cataphile renforce cette adhésion dis-
• Une organisation sociale hiérarchisée crète au « dessous ». Il est ensuite nécessité par le carac-
tère déviant, au sens strict du terme, de cette activité
Au sein de cette « microsociété » marginale [Park, 1921], qui contrevient aux règles et aux normes sociales en
certaines caractéristiques du monde du « dessus » sub- vigueur. Il est aussi, et surtout, destiné à se protéger, ou
sistent néanmoins. Ce paradoxe est révélateur de l’ambi- à protéger la communauté, des jugements rendus par les
valence des discours recueillis. « entrepreneurs de morale » [Becker, 2005 : 171].
Des principes, des règles et des obligations divers sont
érigés par les spéléologues eux-mêmes. La « coutume »
module les règles explicites et implicites de l’intérieur.
Ce fonctionnement impose aux personnes extérieures,
étrangères, un certain nombre de rites d’intégration très
significatifs du « secret » de la pratique. Un enquêté
retrace sa propre histoire personnelle, son entrée et son
évolution dans la « carrière » de spéléologue urbain. La
réception du premier plan des carrières souterraines par
ses pairs est considérée comme l’acquisition d’un « pas-
seport des souterrains » : « Cela ne s’est pas fait du jour au
lendemain… de fil en aiguille, tu rencontres d’autres personnes
en dessous… tu te lies d’amitié avec certains et tu en évites
d’autres… tu sais, c’est comme au-dessus quand les gens se
croisent et s’évitent… Si bien qu’en 1988, soit quatre ans
plus tard, un des bons moment de fierté personnelle car je tenais
là mon premier plan d’accès et surtout, des souterrains. J’étais
fier, je te le redis, car tu dois comprendre que ce moment-là est
arrivé quatre ans après ma première descente… et ton premier 4. Pratiquant en pleine progression. Marqueurs sur un parcours
plan est comme une délivrance, je veux dire, tu peux enfin difficile, risqué (par L’Hermine, 2005).

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La question du secret montre comment un individu pratiquant ne souhaite pas mettre un terme à sa partie,
ordinaire, inséré dans la société du dessus, est obligé de elle défile. Au même titre que les jeux anciens ne s’arrê-
vivre dans une dualité sociale pour montrer une image taient que lorsqu’un adversaire y laissait sa vie ou bien
conforme au modèle social dominant. lorsqu’un pratiquant abandonnait. Certains tournois

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pouvaient durer de nombreuses semaines parfois. Seul
le calendrier religieux scandant largement l’ordonnan-
■ Les symboles du « dessous » cement temporel pouvait y mettre un terme.
Ces randonnées souterraines peuvent durer égale-
ment de nombreuses heures. Certains partent en « expé-
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• L’absence de référent spatio-temporel dition » 50 heures d’affilée. Seule la fatigue mettra un


caractérise le terrain cataphile terme à la partie. Pour preuve, l’alternance entre les
La montre, comme objet réel et symbolique, est moments d’efforts actifs et les autres, temps de pauses
importante dans le monde social, a fortiori sportif. Elle où les acteurs se réunissent en petits groupes pour par-
régule chaque emploi du temps, chaque rendez-vous et tager un moment spécifique (repas, boisson, bricolage
plus encore chaque épreuve [Héas, 2007]. Notre vie sur le matériel emporté ou entretien de l’espace de pra-
quotidienne est rythmée, scandée par des horaires stricts. tique) sur le lieu communautaire. Le leader expérimenté
Les spéléologues se déshabillent de tout « repère d’en possède, symboliquement, une « salle », véritable lieu de
haut » et surtout de tout repère pouvant rappeler la vie, où les pratiquants se retrouvent pour boire, manger
course à la montre qui caractérise la dialectique travail/ et discuter de longues heures pour refaire ou anticiper
loisir et la recherche d’un temps à soi. la randonnée. Cette mainmise symbolique sur l’espace
est caractéristique de l’appropriation intime d’un lieu
illégal d’accès et révèle l’attachement à un espace.
L’alternance d’échanges et de silences dans l’obscurité
plus ou moins totale ponctue cette fluctuation du temps.
Véritable maison onirique [Bachelard, 1948], cette
« salle » illustre la prise matérielle au sein de l’espace
définissant ainsi un ensemble de référents identitaires
symboliques. La valorisation des actions du « dessous »
est ici la condition première à l’élaboration d’un plaisir
entre soi.

■ L’absence de repère participe


5. Insertion dans le monde du « dessous » du spéléologue urbain, à la naissance d’émotions inédites
Paris, place d’Italie (par un égoutier anonyme).
Ce retrait volontaire temporel participe fortement
L’objet montre est « tabou ». Plusieurs aspects sont ici aux émotions et à certains états modifiés de conscience.
intéressants, nous n’en retiendrons qu’un : la mise en En effet, la mission « Underlab » 8 est citée par les cata-
forme d’un temps fluctuant. Il n’est plus seulement une philes à de nombreuses reprises. Après 368 jours passés
unité de mesure mais au contraire, un véritable lien entre dans les souterrains sans aucun repère temporel, le spé-
les personnes [Elias, 1996]. Cette structuration tempo- léologue est ressorti le 6 décembre 1993, alors que son
relle laisse place à un rythme personnel, émotif et propre calendrier tenu dans son laboratoire souterrain
communautaire. Cette référence à un temps particulier, indiquait le 22 juin. Ses rythmes biologiques s’étant
exempt du repère chronométrique en vigueur dans le ralentis, ses journées ne duraient pas 24 heures comme
monde du dessus [Elias, 1996] n’est pas sans nous rap- au-dessus, mais 38 heures. Ce jeu avec les rythmes éco-
peler les jeux anciens et les caractéristiques qui définis- biologiques contribue à alimenter les modifications de
saient ce type de regroupement collectif au sein de la conscience, voire à manipuler le temps pour prolonger
place publique [Bodin, Héas, 2002]. Ces parties, impro- un état émotionnel plaisant, étourdissant 9. La randonnée
visées, mettaient en évidence un tout autre rapport au souterraine conduit au « grand calme, sensation de vide de
temps : « le jeu, dans ce cas-là, est celui du temps décousu et l’esprit, concentration ultime sur les gestes accomplis, l’envi-
du plaisir, une forme toute particulière d’étourdissement, ronnement. Une espèce d’état second impossible à retrouver
de jouissance » [Vigarello, 1988 : 33]. Cette fluctuation ailleurs, l’impression de réfléchir de manière plus rapide, plus
accorde toute son importance au plaisir immédiat puis- efficace » [Bordin, 2002]. Son idéal du jeu est entièrement
que aucune barrière temporelle ne vient signaler l’arrêt guidé par ses émotions mais aussi et surtout dans la
ou la reprise du jeu. Ici, le rythme est défini par les distance prise par rapport à la culture identitaire de la
acteurs eux-mêmes, il leur appartient. Tant que le sphère publique.

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La spéléologie urbaine 351

■ En guise de conclusion professionnel ou même ludique. Ils se détachent,


consciemment ou non, des ancrages socioprofessionnels
Deux points centraux sont à souligner. Le premier pour s’enfouir « à l’ombre du dessous ». Ce détachement
concerne les usages sociaux du corps en relation avec le temporaire valorise ce moment et cet espace souterrain

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contexte d’expérience, vecteur de sensations et d’émo- conquis, parfois avec difficulté.
tions inédites. Comment comprendre la fabrication d’un Beaucoup de points restent non traités à ce jour.
corps « invisible », défait, presque dépouillé des marques Notre objectif était/est/sera de rendre compte d’une
et symboles corporels davantage « visibles » au-dessus ? possible dissonance corporelle, par conséquent cultu-
relle, entre le monde du dessus et celui du dessous. Ainsi
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Le second souligne la dissonance culturelle [Lahire,


2004]. Interrogeons les aspects complexes de la fré- la dialectique visible/invisible permet d’ouvrir les portes
quentation d’aires sociales diversifiées. Certains cata- sur la compréhension de la construction des identités.
philes semblent éviter soigneusement de se ranger Elle vise à repenser la fabrication des espaces et des temps
(d’être rangés, a fortiori réduits) à un point de vue social, sociaux. ■

Notes 5. Voir à cet effet l’article d’Éric Boutroy sur


« les voyageurs d’en haut » [cf. Dispositions et pratiques
porteur des valeurs essentielles qui caractérisent le
groupe.
sportives, Débats actuels en sociologie du sport, 2004 : 183- 8. Extrait de journal Le Parisien, le 10 décembre
197] qui consacre une partie à l’analyse du « fonde- 1993.
1. Quatrième de couverture de l’ouvrage.
2. Voir notamment l’étude comparée sur les dis- ment d’un temps extraordinaire » et notamment la 9. Au même titre que les base-jumpers nous
cours de management d’entreprises considéré comme suspension des origines sociales et la mise à distance disent : « Dans un saut de base-jump, on a beaucoup de
étant « un des lieux principaux de l’esprit du capitalisme » du quotidien. choses à gérer, simplement on apprend au fil de l’expérience
[94]. 6. L’exemple des rencontres dans le cadre de la à rallonger le temps et à gérer chaque seconde comme une
3. Le terme de lieu définit l’identité de l’espace chasse, pratique de nature qui permet de penser le minute […] Le temps est tellement ralenti qu’on arrive dans
en question (les souterrains) et traduit une imagina- lien social. une dimension très particulière, très spéciale : cette dimension
tion individuelle et collective [Duvignaud, 1977] au 7. Ce double mécanisme se caractérise par le du temps qui se rallonge, on est comme au ralenti et on
travers de la conquête de cet espace particulier. double aspect de vouloir s’intégrer à une commu- profite pleinement d’un saut beaucoup plus longtemps dans
4. Moniteur, brevet d’État et ancien président nauté particulière et être acceptée par celle-ci qui les faits que dans la réalité… » [Héas, Lebreton et
de la Fédération française de spéléologie. reconnaît chez le postulant un individu digne de foi al., 2005].

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ABSTRACT
Urban speleology : a secret community of cataphils
Urban speleology is a marginal practice which has nevertheless its rules of conduct and great requirements. It enables to share an
experience in which facets of the self and of the social status change and secret exchanges with other people are multiplied. But it
also reveals a new solidarity that is invisible in the world of « above » and a new community that functions like a secret society.
Keywords : Ethnology. Experience. Urban speleology. Status.

ZUSAMMENFASSUNG
Stadtspeläologie : eine geheime Gemeinschaft von Kataphilen
Stadtspeläologie ist eine marginale und illegale Aktivität, die doch ihre Benehmenregeln hat und sehr anspruchsvoll ist. Am Rande
jeder institutionellen Anerkennung ermöglicht dieses nächtliche Umhergehen den Kataphilen eine Erfahrung zu teilen, in der sich
die Facetten der Persönlichkeit und des sozialen Status ändern und zur Vervielfachung geheimer Austäusche mit dem anderen führen.
Daraus ergibt sich eine neue Solidarität, die in der « oberen » Welt unsichtbar ist, und es bildet sich eine Gemeinschaft, die wie eine
geheime Gesellschaft funktionniert.
Stichwörter : Ethnologie. Erfahrung. Stadtspeläologie. Status.

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