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LE TECHNOLECTE ET LES RESSOURCES LINGUISTIQUES.


L'exemple du code de la route au Maroc
Leila Messaoudi

Éditions de la Maison des sciences de l'homme | « Langage et société »

2002/1 n° 99 | pages 53 à 75
ISSN 0181-4095
ISBN 273510950X
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2002-1-page-53.htm
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Pour citer cet article :


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Leila Messaoudi, « Le technolecte et les ressources linguistiques. L'exemple du code
de la route au Maroc », Langage et société 2002/1 (n° 99), p. 53-75.
DOI 10.3917/ls.099.0053
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Le technolecte et les ressources linguistiques.


L’exemple du code de la route au Maroc*

Leila Messaoudi
Faculté des lettres et des sciences humaines
Kénitra, Maroc

INTRODUCTION

Selon un point de vue sociolinguistique, une communauté


linguistique se définit, moins par la nature des variétés
linguistiques qu’elle utilise que par la manière dont elle les met en
œuvre et les intègre dans les réseaux de communication. Dans les
interactions verbales, les membres d’une communauté, disposent
d’un répertoire plus ou moins vaste et ils ajustent leur conduite
langagière selon l’interlocuteur, la situation et le domaine.
Les domaines renvoient aux sphères de l’activité humaine. Il peut
s’agir de situations ordinaires de la vie quotidienne ou d’activités
spécialisées se déroulant dans un laboratoire, une salle de cours, un
atelier de mécanique automobile, une clinique, un tribunal, etc. Les
domaines spécialisés participent d’une communication à caractère
fonctionnel et conduisent, au sein d’une communauté linguistique
donnée, à l’élaboration d’ensembles langagiers spécifiques que nous
désignons par le terme de technolectes 1.

* Cet article est une version remaniée de la communication, présentée sous le titre « Modes
d’appropriation d’un technolecte. L’exemple du code de la route », au colloque Traduction
humaine, traduction automatique, interprétation, à Tunis, les 28-29 et 30 septembre 2000.
1. Voir Claude Hagège (1982).

© Langage et société n° 99 – mars 2002


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54 LEILA MESSAOUDI

Le technolecte est conçu comme un ensemble d’usages lexicaux


et discursifs, propres à une sphère de l’activité humaine. Ainsi, les
productions écrites et orales, englobant la terminologie savante, les
textes de haute scientificité, mais aussi le vocabulaire banalisé et la
terminologie populaire viendront se ranger dans le technolecte. Il
ne s’agit pas d’une langue à part, opposée à la langue ordinaire
comme le supposerait l’emploi de “langue de spécialité”. Fabienne
Cusin-Berche (1994 : 42) soulignait à ce sujet: « Il n’existe pas une
langue technique opposable à une langue standard, mais des
usages discursifs et lexicaux propres à chaque domaine d’activité.»
Il s’agit en fait, d’un savoir-dire verbalisant, par tout procédé
linguistique adéquat, un savoir, ou un savoir-faire.
Rappelons que le technolecte n’est pas synonyme de
terminologie ou de jargon. Bien qu’il contienne le niveau lexical, il
ne peut y être réduit. Il englobe aussi des usages discursifs. À la
différence de la terminologie, le technolecte n’est pas
essentiellement paradigmatique. Alors que les unités de type
syntagmatique, appelées lexies complexes (Pottier, 1974) ou
synapsies (Benveniste, 1966) du genre aigle pêcheur à tête blanche
sont, en général, scrupuleusement évitées par les terminologues,
les technolectes peuvent en contenir.
Par ailleurs, l’emploi de ce terme se justifie par la transparence
sémantique des éléments qui le composent. Construit à partir de
lecte, “ensemble de traits linguistiques différenciés constituant une
structure”, il vient prendre place logiquement dans le paradigme
dialecte, interlecte, idiolecte, sociolecte, etc. L’élément techno- réfère à
un domaine de spécialité, en priorité technique, mais pas
forcément. Rien ne nous interdirait de parler du technolecte de la
critique littéraire par exemple. Il faut reconnaître, toutefois, que ce
terme a plutôt désigné les usages linguistiques spécifiques à un
domaine technique ou scientifique. Jusqu’à présent, l’intérêt a
surtout porté sur la langue fonctionnelle en milieu professionnel
(Anis et Cusin-Berche, 1994).
La présente étude comporte des aspects empiriques émanant
d’une observation d’un réel langagier en dynamique, dans une
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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 55

sphère spécifique de l’activité moderne au Maroc. Il s’agit du code


de la conduite automobile au Maroc (voir aussi Messaoudi 1990,
1995, 1998, 2000).
Il y a quelques décennies, aux alentours des années 1960 et
1970, le code de la route était rédigé exclusivement en français.
Les leçons et les épreuves de la conduite s’effectuaient en français.
Depuis, avec les exigences de l’arabisation, l’examen pour
l’obtention du permis de conduire, se déroule en arabe. Mais les
manuels en arabe standard, pour accompagner cette arabisation,
sont relativement rares. La publication – sous l’égide du Ministère
des Transports – d’un manuel en arabe standard est récente
(1999). Jusqu’à récemment, les auto-écoles dispensaient un
enseignement oral, accompagné de supports où figuraient les
images et symboles du code de la route. Depuis quelques années,
pour répondre à des besoins urgents d’apprentissage, des écrits
sous forme manuscrite ou tapuscrite commencent à circuler. On
constate qu’un véritable technolecte s’est forgé ces dernières
années. Il prend ses sources dans :
– l’arabe standard (désormais AS), arabe officiel ;
– l’arabe dialectal marocain (désormais ADM), sorte de koinè
dialectale en cours d’émergence, en particulier dans les grands
centres urbains ;
– le français standard (désormais FS), français conforme aux
normes des dictionnaires usuels français ;
– le français du Maroc (désormais FM), variété du français
caractérisée par des particularismes régionaux.
En fait, se profilent deux types de technolectes : l’un en arabe
standard et l’autre en arabe dialectal.
Les producteurs du technolecte standard sont des lettrés,
généralement des traducteurs qui participent à l’effort
d’arabisation dans la langue officielle du pays. Ils ont écrit un
manuel en arabe standard, traduit du français, publié avec
l’accord du Ministère des Transports (1999). Il convient de citer
aussi les guides élaborés par le Comité national de prévention des
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56 LEILA MESSAOUDI

accidents de la circulation (1994) qui comportent deux versions,


l’une en français et l’autre en AS.
Les producteurs du technolecte en arabe dialectal sont
généralement les propriétaires des auto-écoles. Souvent
analphabètes ou peu scolarisés, ils reçoivent une clientèle dans
l’ensemble analphabète elle aussi, de chauffeurs de cars,
d’autobus, de taxis, etc., dont l’alphabétisation a commencé depuis
peu. Les propriétaires d’auto-écoles ont spontanément élaboré un
technolecte, encore en circulation actuellement, et que même la
clientèle lettrée mémorise pour subir l’épreuve orale du code.
Ainsi, ces producteurs contribuent à aménager de fait le corpus de
l’arabe dialectal.
Pour analyser les traits linguistiques des deux technolectes,
nous avons constitué un corpus, extrait de manuels et autres
documents écrits ainsi que de leçons de code enregistrées et
transcrites.

LES CORPUS

Le corpus écrit
Le corpus écrit est extrait de deux manuels, au format de poche 2.
Il s’agit de As siyyàqah tarbiyah wa tahdhib, [La conduite
(automobile), éducation et courtoisie], Casablanca, Dar Annajah al
Jadida, 1999 (désormais STT) et de Al jadid fi ssiyaqah, [Le (guide)
nouveau dans la conduite (automobile)] Casablanca, Dar Ihyà’ al
‘Ulùm, 1999 (désormais JFS).
Le premier ouvrage (STT), publié avec l’accord du Ministère
des Transports, contient environ 130 pages, illustrées par des
images et comportant des fragments de texte en caractères arabes.
Il est composé de quatre parties. La première partie est consacrée
aux catégories du permis de conduire (A, B, C, D, E et F). Chaque

2. Pour la transcription phonétique, par commodité, nous avons adopté le système


généralement utilisé par les arabisants complété par des symboles spéciaux de l’API
(voir fiche en annexe).
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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 57

catégorie est présentée avec ses caractéristiques et suivie d’une


liste de questions et réponses. La seconde partie est réservée aux
panneaux de signalisation, suivie des questions et réponses qui y
sont afférentes. La troisième partie intitulée « lawhàt tatbiqiya »,
[tableaux pratiques] traite de cas pratiques et de la conduite à
tenir dans ces situations. Elle comprend aussi des appellations
techniques des composants d’un véhicule automobile. Le tout est
illustré d’images et de légendes.
Le deuxième ouvrage (JFS) contient environ 130 pages. Il est
composé d’une première grande partie qui compte une centaine
de pages consacrées aux catégories de permis, aux différents
panneaux de signalisation et à l’étude de cas pratiques. En
annexe, viennent deux petites parties (15 pages chacune). L’une
est intitulée « ‘as’ilat as siyàrah. 36 su’al wa jawàb billuRah al
arabiyyah al fusha » [Questions sur l’automobile. 36 questions et
réponses en arabe standard] ; l’autre « as’ilat as siyàrah. 36 su’al wa
jawàb billuRah ddarija » [Questions sur l’automobile. 36 questions
et réponses en arabe dialectal].
La version en AS est identique dans les deux sources. La
version dialectale est inexistante dans STT. Elle est présente dans
JFS qui, à la différence de STT, ne comporte pas la mention
« publié avec l’accord du Ministère des Transports ».
Les échantillons du corpus écrit proviennent principalement de
ces deux annexes ainsi que des tableaux illustrés, contenant trois
appellations (arabe standard/arabe dialectal/français).
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58 LEILA MESSAOUDI

Échantillon 1 – Question sur « Les papiers du véhicule ».


Cette question porte sur les documents que doit détenir un
conducteur. Voici quelques réponses en AS (dans STT et JFS) et en
ADM (dans JFS) avec pour faciliter la lecture des non-arabisants
une traduction mot à mot en français.

AS ADM

ruxsatu ssiyàqa lbirmi


autorisation (de) conduire le + permis

∫ahàdatu l fahs*i ttibiy binnisbati li la fizit nta’I la kant ‘andi siyàràt al


attestation de visite médicale pour la visite à moi si est à moi une voiture

sà’iqi siyàràt al ‘ujra wa ssa’iqin ‘ujra aw ‘andi fuq 70 sna


lla∂ina yatajàwazu sinnuHum 70 sana de paiement ou (si) j’ai au-dessus
chauffeurs voitures de paiement et de 70 ans.
chauffeurs au-dessus 70 ans
al waraqah rramàdiya l kart griz
la feuille grise la carte grise
∫aHàdatu tta’min lasurans
l’attestation d’assurance l’assurance

d*ariba xusùsiya cala ssiyàràt ddariba


impôt spécial des automobiles l’impôt (la vignette en FM)

∫ahàdatu lfahs*i ttiqniy binnisbati lafizit l ssiyarah ila kàn lwazn dyalha
attestation (de) la visite technique la visite (de) la voiture si poids de elle
par rapport à des
lissiyàràt latiyafùqu waznuhà kayfut 2000 kilugram wi la kant
2000 kiluRram il dépasse 2000 kg ou si elle est
voitures qui dépassent poids à
elles 2000 kg
wa ssiyàràt llati yata’addà ‘umruHà met’addiya 5 snin u katjedded
5 sanawàt et voitures qui il dépasse kul ‘am.
âge à elles cinq ans dépassant 5 ans elle se renouvelle
wa muddatu salàhiyatiHà chaque année
sanatun wàhida.
et la durée de validité à elles année une.
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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 59

Échantillon 2 – Question sur « Les vérifications nécessaires avant le


démarrage du véhicule ».

AS ADM

Zayt al faràmil, huile des freins zit l fràn, huile des freins
Zayt al muharrik, huile du moteur zit l mutur, huile du moteur
ma’ jihàz attabrid, l’eau du radiateur lma d rradyatur, l’eau du radiateur
ma’ l battri, l’eau de batterie lma d lbattri, l’eau de batterie
lfaràmil, les freins lfrànàt, les freins
màsihatu zzujàj l’essuie glace swiglas, l’essuie glace
mutallat al cat*ab, triangle de détresse calàmat dibanaj, signe de dépannage
qar’at ‘it*fà’ lcafiya, bouteille teffaya d l ‘afiya, extincteur du feu
d’extinction du feu
lcajalàt, roues rrwàyed*, roues
l’ad*wà’, les lumières ddwàw, Les lumières
l munabbiH ssawti, l’avertisseur sonore klaksun, Klaxon

Dans les échantillons, les variétés linguistiques employées sont l’AS,


l’ADM et le FS, tandis que le FM est apparemment absent. En fait,
il est présent à travers l’emprunt, à l’intérieur de l’ADM : sinyal,
“signal” (pour clignotant ; dublaj, “doublage” (pour dépassement) ;
fi rujàt, “feux rouges” (pour feux de position). Notons que le feu
rouge, signal d’arrêt dans la circulation routière, est exprimé par un
calque d*d*u lahmer.
On peut citer d’autres emprunts, caractéristiques du français
oral, qui ne figurent pas dans les échantillons ci-dessus : fiyus,
“veilleuses” ; ksiratur, “accélérateur” ; bujiyàt, “bougies” ; ambriyàj,
“embrayage” ; kuntak, “contact” ; fitiss, “vitesse” ; brumyàn,
“première” ; duzyam, “deuxième” ; trwazyem, “troisième” ; firaj
“virage” ; dublaj, “doublage” (dépassement) ; bola, “volant” ; bnu,
“pneu”, etc.
Ainsi, l’ADM privilégie l’emprunt d’unités simples, caracté-
riques du français oral, y compris dans sa version marocaine.
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60 LEILA MESSAOUDI

L’AS utilise peu l’emprunt. Il a une prédilection pour les formes


complexes. Il se comporte à cet égard comme le FS dans sa version
écrite qu’il calque (ainsi dans ‘alàmatu l wuqùfi ddaruriy, “témoin
d’arrêt impératif”).

Échantillon 3 – Termes techniques relatifs au “Tableau de bord d’un véhicule”.

AS ADM FS

‘alàmatu safihàt al farà- Blakat l fràn, plaquette témoin des plaquettes


mil témoin (de la) plaque (du) frein des freins
(des) freins
‘alàmatu mustawa l mà’, ma rradyatur, eau (du) témoin de niveau d’eau
témoin (du) niveau d’eau radiateur
‘alàmat miftàhi al ‘iqlà’, startir, starter témoin du starter
témoin clé (de) démarrage
‘alàmatu‘aDwà’i taRyiri sinyàl, signal témoin de clignotants
littijàH, témoin lumières
changement direction
‘alàmatu l wuqùfi ddaru- stob stop témoin d’arrêt impératif
riy, témoin d’arrêt impératif
‘alàmatu l faràamili lya- fràn a màn, frein à mein témoin de frein à main
dawiyya, témoin freins
manuels
‘alàmatu aDaw’i Ttariq, l fàr, le phare témoin des feux de route
témoin des feux de route
‘alàmatu aDwà’i ttaqàbul, l kùd, le code témoin des feux de croi-
témoin des feux de croisement sement
‘alàmatu daw’i l waD’, firoujàt, les feux rouges témoin des feux de position
témoin (des) feux de position
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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 61

Le corpus oral
Le corpus oral provient des leçons de conduite théoriques,
dispensées au sein de l’agence, sous la forme de questions-
réponses, formulées essentiellement en arabe dialectal.

Échantillon 4
Question :

ila zalqat ssiyyara, a∫ ndir ?

si glisse elle voiture que je fais

Que dois je faire si la voiture glisse ?

Réponse :

nnqes men ssurca, n∫edd lbola mezyan.

je diminue de la vitesse, je tiens le volant bien

Je décélère et je tiens bien le volant

ma n ksiri ma n frani ma n dibriyyi

Nég. (*) j’accélère Nég. je freine Nég. je débraie

Je n’accélère pas, je ne freine pas, je ne débraie pas

(*) – Nég. Signifie “morphème de négation”

Échantillon 5
Question :

a ∫ nacmal ila wqa’ li cat*ab f l fran

que je fais si arrive moi dommage dans le frein

Que dois-je faire si les freins sont endommagés ?


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62 LEILA MESSAOUDI

Réponse :

nnqes men ssur’a, n∫edd lbola mezyan, ma nxaf ma ndhe∫,

je diminue de la vitesse, je tiens le volant bien nég. je crains nég je panique

Je décélère et je tiens bien le volant, je n’ai pas peur, je ne panique pas

kàn nnhàr ne’mel lklaksun, kàn llil na’mal farkud, nkrat*i

il était le jour je fais le klaxon il était la nuit je fais phare/code je rétrograde

S’il fait jour, j’utilise le klaxon, s’il fait nuit, je fais des appels de phare, je
rétrograde

l fitiss mninma kàn hetta l duzyam, net*fi lkuntak u n’awn

la vitesse d’où il était jusque la deuxième, j’éteins le contact et j’aide.

les vitesses jusqu’à la seconde, j’éteins le contact et j’aide

b l franaman kunt f lmdina ntu∫i rrwayed m’a ttit*war,

avec le frein à main ; j’étais à la ville je touche les roues avec trottoir

avec le frein à main ; si je suis en ville, je touche le trottoir avec les roues.

kunt xarij lemdina nxerrej rrwayed lbist u nsa’ef m’a ssiyyara hetta
tuqef.

j’étais hors la ville je sors les roues la piste et j’aide avec voiture jusqu’elle
s’arrête

si je suis en dehors de la ville, je sors de la piste et j’essaie d’arrêter la voiture.

Échantillon 6
Question :

fin mamnu’ ddublaj ?

où interdit doublage Où est-il interdit de doubler ?


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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 63

Réponse :

f lkrwazma, l firaj u ddublfiraj, l’aqba u ràs l’qba,

à croisement le virage et le double virage, la pente et la tête de la côte,

à un croisement, un virage ou double virage, en côte et au sommet d’une


côte,

qantra d lwàd, sekka de l ma∫ina, t*ulu’ shams, f ∫∫ta,

pont (de) fleuve, rail de la machine, lever du soleil, à la pluie,

sur le pont d’un fleuve, sur les rails du train, au lever du soleil, sous la
pluie,

f zzliq, f ddexla d l mdina f ddexla del filaj […]

glissement dans entrée de la ville dans l’entrée de le village

sur une chaussée glissante, dans l’entrée d’une ville ou d’un village

u f kull blaka katmnec ddublaj man duble∫.

et à tout plaque elle interdit doublage nég. je double pas

et partout où il y a un panneau d’interdiction, je ne double pas.

Dans le corpus oral des leçons de conduite, le code linguistique


utilisé est essentiellement l’ADM, parsemé d’emprunts lexicaux à
l’AS et surtout au français. à la différence du corpus écrit, ni le FS,
ni l’AS ne sont employés en tant que codes distincts. Ils interfèrent
dans les questions du professeur ainsi que dans les réponses des
candidats. Le professeur, du reste, en utilisant la variété dialectale,
répond aux attentes des candidats qui déclarent assimiler facile-
ment les règles et les noms des panneaux du code de la route, en
dialectal et à travers les emprunts.
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64 LEILA MESSAOUDI

STRUCTURE DES DONNÉES TECHNOLECTALES

Les procédés formels sont présentés à partir du code cible (ADM et


AS), par référence à un code source (FS et FM). La présentation dis-
tingue les unités simples et les unités complexes.

Unités simples
En arabe standard
Comme cela a été déjà constaté (Messaoudi 1990, 1995, 1998), les
unités simples de l’AS résultent de la dérivation morphologique.
Avant d’analyser des exemples du corpus, nous présenterons briè-
vement les particularités de la langue arabe qui se résument dans ce
qu’il est convenu d’appeler le croisement des racines et des schèmes.
Les grammairiens anciens, et à leur tête Al Khalil Bnu Ahmad Al
Faràhidi (IIe siècle de l’hégire/VIIIe siècle de l’ère chrétienne),
avaient déjà noté que la dérivation en arabe repose sur quatre types
de racines: le bilitère, le trilitère, le quadrilitère et le quinquilitère.
La racine trilitère est la plus productive 3. La racine constitue une
sorte de squelette consonantique qui possède un contenu
sémantique. Par exemple, la suite des trois consonnes KTB renvoie
à la notion d’écrire. La racine n’acquiert une existence effective
qu’après insertion des voyelles selon des moules appropriés,
appelés schèmes. J. Cantineau note que les schèmes sont « ] des
mots ayant en commun, non plus leurs consonnes radicales, mais
leur forme, leur silhouette phonique et aussi leur appartenance à
une certaine catégorie de sens ou d’emploi grammatical. J’appelle
schème […] cette forme associée à une catégorie de sens ou
d’emploi déterminé » (1950 a: 74).
Cette idée de croisement du système des racines et du système
des schèmes revient à J. Cantineau qui l’étend à l’ensemble des
langues sémitiques :

3. C’est ce qu’ont démontré des études statistiques. La question de savoir s'il faut poser
à l'origine un état bilitère ou trilitère a été examinée par différents chercheurs mais
elle ne constitue pas le point focal de cette recherche. Nous ne nous y attarderons pas.
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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 65

En fait, une racine est constituée d’une suite consonantique,


composée de deux, trois, quatre ou cinq consonnes (désormais C)
qui n’acquièrent une existence effective que par les schèmes. À ce
sujet, on peut reprendre l’idée avancée par H. Fleish qui souligne :
Il faut d’abord avoir présente à l’esprit l’opposition fondamentale entre
consonnes et voyelles manifestée dans la flexion interne, processus de
base dans l’organisation linguistique de l’arabe : les racines, fondements
de la langue, sont constituées par des consonnes et uniquement des
consonnes ; la réalisation des mots est opérée par l’insertion des voyelles
dans la racine. Consonnes et voyelles agissent sur deux plans différents :
aux consonnes la constitution de la racine, aux voyelles, l’utilisation de
la racine. (1961, t. I : 68)

L’alternance vocalique constitue, pour l’essentiel, la flexion interne


– comme dans kataba, “il a écrit”, kutiba, “il est écrit”, ou kàtaba “il a
écrit à quelqu’un”. Elle représente l’une des ressources
linguistiques les plus importantes de l’arabe.
Un autre processus, qui touche cette fois aux consonnes radicales,
est représenté par la gémination qui est un redoublement de la
consonne comme dans la dérivation verbale, par exemple kattaba, “il
fait écrire quelqu’un” (factitif), ou ‘iktataba, “il souscrit”; et dans la
dérivation nominale, comme hammàm “bains”, mot distinct de hamàm
“pigeons”. Ce processus a été considéré par Cantineau comme faisant
partie de la flexion interne. Nous ne partageons pas totalement ce
point de vue et préférons garder l’appellation de flexion interne
uniquement pour désigner le processus opérant par l’insertion des
voyelles au niveau des consonnes radicales.
Aux côtés de cette dérivation par alternance vocalique, il existe
une dérivation extra-radicale par l’ajout d’augments (affixes). La
gémination est une forme d’affixation par redoublement d’une
consonne radicale. Elle est à classer avec le processus de dérivation
de schèmes extra-radicaux par l’ajout de préfixes ou de suffixes.
Le tableau ci-dessous récapitule le phénomène général de la
dérivation morphologique arabe à travers l’exemple d’une racine
trilitère, la racine QTL “notion de tuer” qui permet la dérivation
verbale et nominale de schèmes radicaux et extra radicaux.
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66 LEILA MESSAOUDI

Racine QTL
Dérivation verbale Dérivation nominale
Schèmes Schèmes Schèmes Schèmes
radicaux extra-radicaux radicaux extra-radicaux
Qatala, il a tué. Qattala, il a Qatl, fait de tuer. Taqtil, fait de mas-
Qutila, il est tué. massacré. Qitàl, combat. sacrer.
Qàtala, il combat. Taqàtala, il s’est Qàtil, meurtrier. Taqàtul, fait de
entretué avec quel- s’entre-tuer.
qu’un. Istiqtàl, fait de ris-
‘istaqtala, il a ris- quer sa vie.
qué sa vie. Maqtul, tué.

Pour compléter ce tableau, il faut signaler qu’on peut ajouter un


morphème à l’ensemble du croisement schèmes et racines.
D. Cohen (1970 : 48) note à ce sujet :
La plus grande partie et de loin du vocabulaire se définit en effet par le
croisement d’une racine et d’un schème. Mais il reste un secteur qu’on
saisit en développement, pour lequel la formule est insuffisante et dont
les unités sont constituées d’une base et d’un suffixe, c’est-à-dire du
produit d’un croisement racine et schème plus un morphème ajouté.

Cette dérivation extra-radicale de niveau second pourrait être


illustrée par les exemples suivants :
La racine nfc, “notion d’utilité” donne le schème radical nafc, “utilité”,
auquel on ajoute le morphème suffixe -iyyah pour obtenir nafci yyah,
“utilitarisme”.

La racine ∫ r k, “notion de réunir”, donne le schème extra radical ‘i∫tiràk,


“participation”. À ce schème extra-radical, on ajoute le morphème suffixe
-iyyah pour obtenir ‘i∫tiràkiyyah qui signifie “socialisme”.

Le recours aux suffixes et aux préfixes en plus de la base (racine


+ schème) est un phénomène en cours de développement. Il n’a
pas été exploité dans le technolecte du code de la route en AS. En
revanche, le recours aux schèmes radicaux et extra-radicaux est
assez fréquent. Voici quelques exemples :
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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 67

Schèmes radicaux Schèmes extra radicaux

(C1à C2 i C3 a) (C1a C2 C2 àC3a) sayyàra automobile


hàfila, autobus ; nàqila, car ;
(C1a C2 C2 àC3) hassàr frein
∫àhina, camion. (mu-C1a C2 C2 iC3) muharrik moteur

(mi-C1C2 aC3) miqwad volant

mun- C1a C2 a C3 muncataf virage

Dans le technolecte examiné, l’AS utilise les schèmes radicaux et


extra-radicaux, avec une certaine prédilection pour ces derniers.
Ces unités de l’AS font partie de l’usage écrit. Ceci étant, la dériva-
tion a été peu exploitée dans ce domaine, et c’est le procédé de la
composition qui est le plus utilisé.

En arabe dialectal marocain


La même remarque concernant la dérivation peut s’appliquer à
l’ADM. Les unités simples dérivées sont pratiquement inexistantes,
à l’exception de sayyara. Les unités simples sont le plus souvent des
emprunts au français. Les unités simples dérivées de l’AS ne sont
pas utilisées.

Unités simples
AS ADM FS
hàfila tobis Autobus
nàqila kar car
∫àhina kamiyyu camion
sayyàra tomobil automobile
hassàr fran frein
muharrik motor moteur
miqwad bola volant
muncataf firaj virage
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68 LEILA MESSAOUDI

Les emprunts en ADM sont parfaitement intégrés.


Phonologiquement, ils s’adaptent au système d’accueil. Par
exemple, la bilabiale occlusive sourde p devient sonore b comme
dans bermi, “permis”; la labiodentale sonore fricative v devient
sourde f comme dans fizita, “visite”. Elle peut aussi – mais plus
rarement, changer de point d’articulation et devenir bilabiale sonore
b comme dans bola, “volant”. Les voyelles nasales du français sont
systématiquement dénasalisées comme dans fran, umbriyaj.
Morphologiquement, les emprunts prennent les marques
dialectales comme l’article défini l à l’initiale, lkùd, “le code”; lfiyuz,
“la veilleuse”; lfàr, “le phare”. L’article peut être assimilé lorsqu’il
apparaît devant une coronale comme dans l + radyatur qui donne
rradyattur, “le radiateur”, l + sinyal qui donne ssinyàl, “le signal”
(pour le clignotant). Le terme emprunté est aussi affecté des marques
du nombre comme -àt, marque du pluriel externe, dans frànàt,
“freins” et du genre comme -a, marque du féminin, dans fisita.
Parfois, on constate même un transfert de catégorie de
l’emprunt. Par exemple, un mot comme swiglas, “essuie glace”, qui
est un composé en français, est considéré comme un tout en ADM
et sera rangé parmi les unités simples du technolecte. Il est perçu
comme tel et porte les marques grammaticales du pluriel externe -
at (swiglassat) et de la détermination par l’article l assimilé à
l’initiale, ce qui donne l + s = sswiglas. Aucun locuteur questionné
ne pense à le scinder en deux blocs, à l’exception des lettrés
francophones qui rétablissent la forme composée originelle,
“essuie” et “glaces”.
À la différence de l’AS, les unités simples empruntées au fran-
çais par l’ADM sont assez nombreuses. En revanche, les unités
simples de l’AS ne sont pas reprises en ADM à l’exception de
sayyara, “automobile”, qui commence à supplanter tomobil. Le
décalage nécessaire à la mise au point terminologique favorise le
mouvement spontané de l’ADM vers l’emprunt.
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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 69

Les unités complexes


En arabe standard
Le type le plus usité est l’état d’annexion ou état construit. Il s’agit
d’un rapport de détermination par simple juxtaposition de deux
ou plusieurs noms, régie par des déclinaisons casuelles : nominatif
+ génitif + (génitif). Le génitif n’exprime pas ici la possession mais
plutôt la dépendance.
Ci-dessous, nous présentons quelques modèles de l’état d’annexion.

– Le modèle à deux éléments (nom + nom) :


ruxsatu + ssiyàqah, “autorisation + conduite” ;

ÚaHàdatu + tta’min, “attestation + assurance”.

– Le modèle à deux éléments (participe + nom) :


màsihatu + zzujàj, “essuie-glaces”.

– Le modèle à plusieurs éléments :


‘alàmatu + safihàti + al faràmil, “témoin + plaque + freins”.

‘alàmatu + mustawa + l mà’, “témoin + niveau + eau”.

‘alàmatu + miftàhi + al ‘iqlà’, “témoin + clé + démarrage”.

‘alàmatu + ‘ad*wà’i + taRyiri + littijàH, “témoin + feux + changement +


direction”.

– La juxtaposition d’un nom et d’un adjectif apparaît aussi comme


un procédé assez récurrent.
munabbiHun + s*awtiy, “avertisseur sonore”;

wuqùfun + d*aruriy, “arrêt obligatoire”.

En arabe dialectal marocain


Les unités complexes, à l’instar de l’AS, s’appuient sur la
détermination par juxtaposition. Plus libre dans une langue à cas
comme l’AS, l’ordre des mots est en cours de fixation en ADM qui
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70 LEILA MESSAOUDI

ignore les cas. L’ordre est celui de déterminé + déterminant:


zit l fràn ;

zit l mutur.
La syntagmatisation prépositionnelle est aussi utilisée. Elle l’est
le plus souvent selon le modèle: nom + fonctionnel + nom. Le
fonctionnel le plus utilisé est d, “de”:

lma d rradyatur ;

lma d lbattri ;

‘alàmat d dibanaj.

Seules deux variétés sont en compétition directe: l’AS et l’ADM.


Un partage des fonctions est assumé de façon nette. L’AS est
employé comme norme de droit dans l’ouvrage, publié sous l’égide
du ministère. L’ADM, utilisé de fait, figure dans la version “non
formelle” du code. Elle est publiée et est en vente dans tous les
kiosques du Royaume. Elle est exclusivement employée à l’oral,
aussi bien pour l’apprentissage que pour l’examen final. Toutefois
des interactions entre les deux variétés diglossiques apparaissent,
non seulement à l’oral mais même à l’écrit. Ainsi une phrase,
figurant dans la version officielle, relève de l’ADM et non de l’AS.
Il s’agit de: « wujùd qar’at ‘it*fà’ l ‘afiya », qui est perçue comme étant
une structure de l’AS. En fait, elle provient de l’ADM: qar’a
“bouteille” en ADM, se dirait qàrura, ou qinninah en AS, l’afiya se
dirait nar en AS. L’équivalent d’« extincteur du feu » aurait été
t*effayat nnàr. Inversement, l’équivalent donné en ADM dans le
corpus est « teffaya d l ‘afiya »!
Le français, sous ses deux formes, FS et FM, constitue la langue
source et n’est utilisé que par les lettrés francophones.

Le mode d’appropriation du technolecte en ADM est de toute


évidence le procédé de l’emprunt lexical, accompagné d’une ré-
interprétation produisant une sorte d’acclimatation de ces unités qui
ne sont plus ressenties comme étrangères. Cette intégration se fait de
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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 71

manière que les règles du code d’accueil (ADM) soient mises en


œuvre. Comme nous l’avons vu, le mot emprunté s’adapte
phonologiquement au système de la variété d’accueil et prend les
marques morphologiques et est parfaitement contextualisé dans des
tournures syntagmatiques. Ces tournures sont même en cours de
synthématisation et pourraient se figer avec l’usage:
Nd*reb l klaksun “je donne un coup de klaxon”;

Nd*reb l fran “je donne un coup de frein”;

nwerrek cla lksiratur, “j’appuie sur l’accélérateur”;

nwerrek cla lanbriyaj, “j’appuie sur l’embrayage”;

ngrat*i lfitis. “je rétrograde les vitesses”.

L’emprunt contextualisé dans des locutions analytiques, candidates


au figement, s’emploie aussi de façon synthétique, sous forme de verbe.
nd*reb l klaksun devient nklaksuni ;

nd*reb l fran devient nfrani ;

nwerrek cla lksiratur devient nksiri ;

nwerrek cla lanbriyaj devient ndibriyyi.

L’emprunt concerne, dans un premier temps, la dénomination


d’objets. Ce sont les substantifs qui sont prioritairement adoptés par
le système d’accueil. Dans un second temps, ces dénominations
entrent dans des locutions et des constructions analytiques. La
troisième phase, où l’intégration est consacrée, est celle du passage
à la verbalisation des substantifs. La catégorie du verbe sert de toute
évidence à exprimer des procédés et des actions. L’emprunt n’est
plus confiné au seul champ des objets, mais il investit le champ des
actions et processus. Ainsi, on ne se contente pas de l’objet ksiratur,
mais on a besoin d’utiliser cet objet. Pour ce faire, la formation
verbale nksiri apparaît via le passage par la locution nwerrek ‘la
l ksiratur.
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72 LEILA MESSAOUDI

Si dans l’ADM le procédé de l’emprunt est largement exploité, en


revanche, dans le technolecte exprimé en AS il est scrupuleusement
évité et c’est le calque qui est utilisé. La traduction joue un rôle
important. Elle exploite essentiellement la phraséologie et la
syntagmatisation. Les unités simples sont rarissimes. Pourtant, du
propre aveu des locuteurs, les unités simples sont plus faciles à
assimiler et à mémoriser. Questionnés sur quelques items, ils
répondent, sans hésitation, qu’ils préfèrent klaksun à munabbihun
sawtiy, sinyàl à ‘alàmatu ‘aDwà’i taRyiri littijàh, birmi à ruxsatu
ssiyàqah; lasurans à shahàdatu tta’min. Le résultat est que les locuteurs
privilégient l’emploi de l’ADM, chargé d’emprunts intégrés et
souvent non perçus comme tels par les locuteurs non scolarisés.
Les ressources linguistiques inhérentes à chacun des codes en
présence ne sont pas largement exploitées.
En AS, c’est la composition et la syntagmatisation phraséologique,
via le calque sur le français standard, qui sont les plus usitées.
En ADM, c’est l’emprunt qui est le plus employé.
Le FS et FM servent de langue source pour l’emprunt et la
traduction. Le français oral ordinaire (y compris dans sa variante
marocaine) privilégie les unités simples.

CONCLUSION

La situation diglossique historique de la langue arabe, qui se


présente sous les deux formes, AS et ADM, favorise des interactions
se faisant aussi bien dans un sens que dans l’autre. Ces interactions
devraient bénéficier de l’intérêt des normalisateurs. La norme de
jure, du côté de l’AS, se doit de considérer la norme de facto
représentée par l’ADM. Ce serait une voie possible de rénovation
des outils linguistiques mis à la disposition des locuteurs. Il y a
quelques décennies, un trio de professeurs, Haj Salah (pour
l’Algérie), A. Lakhdar Ghazal (pour le Maroc), A. Layed (pour la
Tunisie), a fourni beaucoup d’efforts pour élaborer un arabe
fonctionnel. Pourquoi ne pas recommencer aujourd’hui? Il serait
fructueux de repenser un arabe fonctionnel englobant les technolectes,
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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 73

afin de dynamiser une langue que l’on a, au fil du temps et dans


certains secteurs, considérablement figée!
N’oublions pas que la langue arabe a su par le passé s’approprier
des techniques via l’emprunt. Ce dernier a été abordé ici de façon
partielle et seulement lorsqu’il concerne le mot. La réflexion devrait
être élargie au fonctionnement de l’emprunt au sein de l’énoncé et
du discours technolectal en situation d’apprentissage.
Rappelons que trois étapes de l’intégration des emprunts se sont
manifestées dans l’acquisition du technolecte afférent au code de la
route. Elles correspondent aux étapes mêmes de l’apprentissage.
On commence, lors d’une première étape, par se familiariser avec le
véhicule et ses composants (les objets et leurs dénominations
exprimées linguistiquement par des substantifs). Au cours d’une
seconde étape, on s’approprie les dénominations, par la
contextualisation i.e. l’insertion dans des locutions et des
constructions analytiques. Dans une troisième étape, on doit “agir”
et utiliser les objets. On utilise aussi la catégorie des verbes.
Une étude cognitive apporterait beaucoup à ces processus
d’appropriation progressive d’une technique qui se reflète par le
passage de l’emprunt et l’utilisation initiale de la catégorie du
substantif via les constructions intermédiaires, à celle de la catégorie
du verbe. La relation entre les catégories linguistiques et les étapes
d’apprentissage d’une technique nous paraît fort intéressante.
Néanmoins, nous ne pouvons aller plus avant dans ce domaine. Il
nécessite une étude approfondie à la lumière des sciences cognitives.
En conclusion, pour répondre à des besoins immédiats de commu-
nication dans le domaine technique, les stratégies développées par une
variété linguistique, nécessitent l’efficacité, la rapidité et la transparence
sémantique. Le technolecte n’a ainsi recours qu’aux ressources linguis-
tiques qui garantissent une communication optimale. La dérivation est
préférée à la composition. Les unités simples sont préférées aux unités
complexes. L’emprunt intégré est plus transparent que le néologisme
phraséologique. Il serait souhaitable d’en tirer des enseignements pour
l’apprentissage en milieu professionnel.
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74 LEILA MESSAOUDI

ANNEXE
Fiche de notation phonétique
δ pour noter l’inter dentale sonore
ø pour noter l’inter dentale sourde
l pour noter la pré palatale chuintante sourde
R pour la vélaire fricative sonore
c
pour noter la pharyngale fricative sonore (cayn)
’ pour noter la laryngale occlusive (coup de glotte)
h pour noter la pharyngale fricative sourde
H pour noter la laryngale fricative sonore
Les consonnes géminées sont dupliquées
Les emphatiques sont suivies de l’astérisque *

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

BACCOUCHE Taieb (1979) – L’emprunt et les calques linguistiques en arabe tunisien,


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BENVENISTE Émile (1966) – Problèmes de linguistique générale. t.I. Paris, Gallimard.

BENZAKOUR Fouzia, Driss GAADI et Ambroise QUEFFÉLEC (2000) – Le


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CANTINEAU Jean (1950a) – « La notion de schème et son altération dans diver-


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LE CODE DE LA ROUTE AU MAROC 75

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Vous aimerez peut-être aussi