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LES COURTIERS DE L'INTERNATIONAL

Héritiers cosmopolites, mercenaires de l'impérialisme et missionnaires de l'universel


Yves Dezalay

Le Seuil | « Actes de la recherche en sciences sociales »

2004/1 n° 151-152 | pages 4 à 35


ISSN 0335-5322
ISBN 2020628244
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-
sociales-2004-1-page-4.htm
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Pour citer cet article :
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Yves Dezalay, « Les courtiers de l'international. Héritiers cosmopolites, mercenaires
de l'impérialisme et missionnaires de l'universel », Actes de la recherche en sciences
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sociales 2004/1 (n° 151-152), p. 4-35.


DOI 10.3917/arss.151.0004
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Manifestation altermondialiste contre le World Economic Forum, Davos, janvier 2001.
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Yves Dezalay

Les courtiers de l’international


Héritiers cosmopolites, mercenaires de l’impérialisme
et missionnaires de l’universel

La sociologie reste peu présente dans le discours sur la mondialisation. Cette


relative absence s’explique aisément car cette littérature, produite essentielle-
ment par tous ceux qui en sont les agents, relève du discours prescriptif1, voire
promotionnel. Les descriptions ou les analyses visent surtout à positionner leurs
auteurs comme experts sur un marché très prisé. Depuis les manifestations de
Seattle contre l’OMC en 1999, la « mondialisation » se décline au pluriel sur le
thème des autres mondialisations possibles ou souhaitables. Chacun s’empresse
d’en souligner les risques, afin de proposer son diagnostic ou ses solutions pour

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une meilleure régulation des échanges internationaux2. Cependant, tout en se
diversifiant, l’essentiel de l’argumentaire continue d’être formulé dans les regis-
tres de l’économie, du droit ou des sciences politiques, et ne sollicite guère la socio-
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logie que pour témoigner de la réalité de ces « communautés épistémiques3 » de


professionnels engagés ou de ces réseaux militants (advocacy and issue networks4)
souvent présentés comme l’embryon d’une société civile internationale et l’ébau-
che d’une « gouvernance mondiale5 ».
Cette mise à l’écart de la sociologie ne tient pas seulement au fait que la
mondialisation représente des enjeux de pouvoir trop importants pour les laisser
aux sociologues. Dès lors qu’il est question de régulation et de gouvernance,

1. Pierre Bourdieu, « Décrire et prescrire. Note sur les conditions de possibilité et les limites de l’efficacité politique », Actes de la
recherche en sciences sociales, 38, mai 1981, p. 69-73. 2. Yves Dezalay et Bryant Garth, Global Prescriptions : The Production,
Exportation and Importation of a New Legal Orthodoxy, Ann Harbor, University of Michigan Press, 2002. 3. Peter Haas, Saving
the Mediterranean, New York, Columbia University Press, 1990. 4. Margaret Keck et Kathryn Sikkink, Activists beyond Borders :
Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998 ; P. Dauvin et J. Siméant, Le Travail humanitaire : les
acteurs des ONG, du siège au terrain, Paris, Presses de Sciences-Po, 2002. 5. Manuel Castells, The Power of Identity, Oxford,
Blackwell, 1997 ; Robert O’Brien, Anne-Marie Goetz, Jan Scholte et Marc Williams, « Complex Multilateralism : The Global Economic
Institution-Global Social Movement Nexus », ronéo présenté au Global Economic Institutions and Global Social Movements Workshop,
26 février 1998 ; Pat Canaan et Nancy Reichman, Ozone Connections : Expert Networks in Global Environmental Governance,
Sheffield, Greenleaf, 2002.

ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéros 151-152 p.5-35 5


Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

on entre dans le domaine réservé des principaux savoirs d’État, seuls à détenir
l’autorité légitime pour en traiter les affaires.
Même s’ils s’opposent sur les diagnostics et les prescriptions en ce qui concerne
la mondialisation, les différents agents qui sont engagés dans ces luttes pour la
construction d’un espace international ont aussi beaucoup en commun, et en
particulier le fait de prendre au sérieux les enjeux de la mondialisation. En faisant
comme si elle était une réalité à promouvoir, à combattre ou à contrôler, ils
mobilisent des ressources sociales et institutionnelles qui contribuent à la faire
exister à la fois comme enjeu politique et comme un formidable chantier autour
duquel s’empressent les experts en gouvernance. En la désignant comme un futur
possible, la controverse publique sur la mondialisation ne peut qu’inciter à inves-
tir dans la construction de ce nouvel espace de pouvoir.
Ces discours savants permettent aussi à leurs auteurs de se faire connaître et
reconnaître comme les pionniers d’une gouvernance de la mondialisation. Même
si celle-ci relève d’un futur aussi hypothétique que lointain, le chantier où sont
ébauchés de multiples pré-projets représente déjà un formidable marché pour les
producteurs de savoirs d’État. Quelles que soient par ailleurs leurs divergences
scientifiques ou idéologiques, ces concurrents ont tout avantage à ne pas saper
la mystification entretenue par les controverses sur la mondialisation. Ce consen-
sus a minima est d’autant plus facile à réaliser que la dynamique de l’affronte-
ment conduit les adversaires à mettre en œuvre des combinaisons assez voisines

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de compétences savantes et de capital social cosmopolite, au service de straté-
gies qui se répondent comme en écho, d’un forum à l’autre.
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Une internationale des élites nationales


Dans cette controverse savante, le principal atout de la sociologie tient précisé-
ment à son extériorité : elle n’est pas tenue de respecter les croyances et les silen-
ces6 qui sont constitutifs de ce nouveau champ de pouvoir – d’autant que le
principal de ces tabous la concerne au premier chef, puisqu’il porte sur les privi-
lèges de la naissance. Le marché de l’expertise internationale est un marché
élitiste, protégé par des barrières à l’entrée aussi discrètes qu’efficaces. Pour y
accéder, il faut disposer de compétences culturelles et linguistiques, qui relèvent
pour l’essentiel d’un capital social hérité. Avant d’être renforcées et légitimées
par des cursus scolaires internationaux très coûteux, les prédispositions à l’inter-
national sont l’apanage des héritiers de lignées familiales cosmopolites, que l’on
retrouve même parmi les critiques de la mondialisation. Les enjeux de l’inter-
nationalisation sont ainsi indissociables de la reproduction des hiérarchies socia-
les dans les espaces nationaux.

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De ce fait, le national et l’international, loin de constituer l’opposition consa-


crée par les débats sur la mondialisation, sont étroitement imbriqués dans ces
stratégies de reproduction élitistes. Dans l’espace des pratiques internationales,
les opérateurs dominants sont ceux qui peuvent mobiliser des ressources acqui-
ses et homologuées dans des champs nationaux de pouvoir, en particulier
des titres et des diplômes d’État. En contrepartie, la mobilisation d’un capital
international de compétences et de relations représente un atout non négligeable
dans les stratégies de pouvoir dans le champ national. Elle renforce la position
des dominants qui peuvent faire valoir leur appartenance à ces internationales de
l’establishment que constituent le Club de Bâle, les cercles de l’arbitrage commercial
international ou les anciens de la Banque mondiale et du FMI. Elle peut aussi
servir d’appui à des fractions dominées qui s’efforcent de se faire reconnaître
en tant qu’importateurs d’une expertise dûment homologuée hors des frontières :
par exemple dans les droits de l’homme ou la protection de l’environnement.
Dans ces tactiques d’alliances transfrontalières, les cas de figure sont multi-
ples. Les incertitudes et les risques de brouillage aussi. L’importance des barriè-
res culturelles et linguistiques entre les espaces nationaux favorise les stratégies
d’agent double chez les opérateurs les plus dotés ou les plus entreprenants : les
stratégies cosmopolites se présentent comme servant l’intérêt national, tandis
qu’inversement les stratégies nationales se revendiquent de valeurs univer-
selles. Enfin, les logiques familiales les plus élitistes s’habillent de capital savant.

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Et tous ces phénomènes de double jeu s’amplifient en profitant de la relative
ouverture des marchés nord-américains aux savoirs d’État, comme le droit et
l’économie. Si les stratégies élitistes tendent à se doubler de stratégies savantes,
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c’est parce que, pour se faire reconnaître au sein de l’internationale de l’esta-


blishment, les relations familiales et les bonnes manières ne suffisent pas. Cette
internationale des notables se présente comme une internationale du savoir.
L’aisance culturelle et linguistique, souvent cultivée depuis le plus jeune âge dans
ces établissements scolaires élitistes que sont les écoles bilingues – particuliè-
rement dans les pays en développement –, sert de passeport pour l’accès
ultérieur à des formations universitaires étrangères, dont le coût, supporté en
grande partie par les familles, renforce l’effet de sélection sociale, tout en
contribuant à l’occulter.

6. Comme le font remarquer Janine Wedel et Siddharth Chandra (cf. infra), on pourrait s’étonner que l’abondante littérature sur la
mondialisation ne traite guère des pratiques de tous ces experts internationaux dont le rôle est déterminant dans le fonctionne-
ment des circuits d’échanges symboliques internationaux. Ce silence relève d’un souci de discrétion envers des agents qui sont
souvent aussi des collègues ou des informateurs. Plus fondamentalement, la complexité des stratégies de ces praticiens qui
jouent en permanence de leur multipositionnalité risquerait de bousculer le bel ordonnancement des catégories savantes sur
lesquels reposent ces discours prescriptifs : ces pionniers, qui opèrent dans un espace peu réglementé, façonnent en effet des
institutions ad hoc au gré de leurs stratégies de double jeu.

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À cet égard, le parcours scolaire et professionnel d’un Pedro Aspe [voir encadré
p. 9]ne fait que reproduire, dans le champ de l’économie, le modèle classique de
formation à l’étranger des élites d’État en Amérique latine7. En effet, dans les
familles de l’oligarchie, l’usage était d’envoyer les plus brillants des héritiers
compléter leurs diplômes de droit obtenus localement par des doctorats dans les
grandes facultés européennes. Ce séjour de longue durée servait d’initiation
sociale pour une élite cosmopolite. Il était, en quelque sorte, l’équivalent bourgeois
et lettré du « grand tour » initiatique des jeunes aristocrates britanniques. Ces
héritiers en profitaient pour nouer des contacts avec les milieux académiques
européens – et réactualiser ainsi les liens avec l’ancienne métropole coloniale. En
même temps, ce cursus universitaire, sanctionné par des titres académiques
prestigieux, servait à légitimer ces rejetons d’oligarchies régionales, tout en
donnant à ce groupe souvent disparate la cohésion d’une noblesse d’État natio-
nale. Ainsi, paradoxalement, cet investissement savant ne se contentait pas de
réactualiser la relation hégémonique inscrite dans le passé colonial, il contribuait
aussi à créer une identité nationale, tout en reproduisant les structures hiérar-
chiques d’une société duale, autour des savoirs d’un « État importé8 ». Dans tous
les États périphériques, les champs professionnels se caractérisent de ce fait par
une ligne de clivage très marquée : dans le monde du droit, comme dans celui de
l’économie, il existe une barrière aussi discrète qu’infranchissable entre une petite
élite qui y accède par la « grande porte » d’un titre international et se réserve les

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positions d’autorité, et tous ceux qui, du fait de leur diplôme local, sont canton-
nés à des carrières de seconde classe.
Les stratégies d’internationalisation des nouvelles noblesses nationales contri-
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buent ainsi à «une unification du champ mondial de la formation des dirigeants9 ».


En contrepartie, cette internationalisation de la formation des nouvelles élites
professionnelles accroît le fossé qui les sépare de leurs collègues moins dotés en
capital familial cosmopolite, et donc cantonnés à des carrières strictement natio-
nales. Ce clivage n’est pas l’apanage des sociétés coloniales ou dominées. Il est
aussi au fondement des politiques hégémoniques d’exportation symbolique. Ainsi,
lors d’un entretien, l’un des responsables des programmes internationaux d’assis-
tance éducative des États-Unis, d’abord dans le cadre de la Fondation Ford, puis
à l’International Institute of Education, reconnaissait sans ambages – mais non

7. Y. Dezalay et B. Garth, La Mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre
notable du droit et « Chicago boys », Paris, Seuil, 2002. On pourrait faire la même démonstration pour l’Asie (Y. Dezalay et B. Garth,
« La construction juridique d’une politique de notable. Le double jeu des praticiens du barreau indien sur le marché de la vertu civique »,
Génèses, 45, décembre 2001, p. 69-90, p. 74 et note 9) ou le Moyen-Orient (Y. Dezalay et B. Garth, Dealing in Virtue : International
Commercial Arbitration and the Emergence of a New International Legal Order, Chicago, University of Chicago Press, 1996,
p. 221). Pour les pays européens, voir Nikos Panayatopoulos, « Les “grandes écoles” d’un petit pays. Les études à l’étranger : le
cas de la Grèce », Actes de la recherche en sciences sociales, 121-122, mars 1998, p. 77-91. 8. Bertrand Badie, L’État importé,
Paris, Fayard, 1993. 9. Pierre Bourdieu, conclusion d’un colloque sur « L’internationalisation et la formation des cadres dirigeants »
(Monique de Saint Martin et Mihai D. Gheorghiu (éds), Les Institutions de formation des cadres dirigeants, Paris, MSH, 1992,
p. 281-283).

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Des héritiers cosmopolites

Une anecdote recueillie lors d’une recherche sur l’arbi- par leurs pairs pour prendre la place qui leur revient
trage commercial international1 est à cet égard très tout naturellement au sein d’une sorte d’internatio-
révélatrice. L’un de ces arbitres nous racontait qu’au nale des grands notables du droit des affaires.
début de sa carrière, lorsqu’il eut à choisir un secré- Pour prévenir l’objection selon laquelle il s’agirait
taire pour l’assister dans la gestion d’un tribunal là d’un modèle « daté », inscrit dans les traditions
arbitral dont il venait d’être nommé président, son aristocratiques de la vieille Europe, on peut décrire
premier réflexe fut de s’adresser à son mentor – un un autre exemple qui, tout en se situant aux antipo-
très haut magistrat dont il avait lui-même été le secré- des du précédent, illustre parfaitement les modali-
taire – pour lui demander conseil. L’affaire était juridi- tés et les enjeux de cette reproduction internationale
quement complexe et les enjeux financiers des élites nationales. Il est tiré de Technopols3, un
considérables;de surcroît, choisir un assistant, c’était recueil de biographies publié sous les hospices d’Inter-
aussi parrainer un éventuel successeur. En effet, ces American Dialogue, qui est une sorte d’auto-célébra-
positions de secrétaire permettent de se familiariser tion de ces nouvelles élites politiques d’Amérique
avec le savoir-faire et les usages de ce club de grands latine, chargées de mettre en œuvre les prescrip-
arbitres internationaux, aussi prestigieux que très tions du Washington consensus.
fermé. Or la réponse que lui fit son prédécesseur fut Le parcours de Pedro Aspe, ministre de l’Écono-
assez déroutante, au moins à première vue. Il lui mie pendant les six années de la présidence Salinas
conseilla de choisir quelqu’un qui pouvait entrer dans (1988-1994), et à ce titre négociateur de la dette
n’importe quel restaurant, n’importe où dans le puis ordonnateur de la privatisation des entreprises
monde, et se voir proposer la meilleure table, avant publiques, illustre parfaitement les ressorts de la
même d’avoir ouvert la bouche… Il est vrai que, réussite de cette nouvelle génération de notables

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compte tenu du mode de vie de ce milieu, c’était d’État, habiles à jouer sur des registres apparem-
sans doute un indicateur, aussi fiable qu’opérationnel, ment contradictoires, mais en fait très complémen-
de la possession d’un capital social cosmopolite. taires : le national et l’international, la politique et la
D’ailleurs, la biographie de notre interlocuteur illus- technique, le clientélisme et la science, la justice
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trait parfaitement ce qu’il fallait entendre par là : issu sociale et les affinités de classe… Comme le montre
d’une lignée familiale prestigieuse, marié avec la sœur très bien sa biographe Stephanie Golob4, ces héritiers
de Raoul Wallenberg, et donc bien introduit dans les surdiplômés se battent sous les couleurs de l’uni-
réseaux internationaux de la grande dynastie versel, sans pour autant négliger les ressources du
marchande suédoise, qui a longtemps subventionné clientélisme, essentielles dans les intrigues de palais.
la Chambre de commerce internationale et l’a même « Ce groupe social tendait à considérer les doctorats
abritée à Stockholm pendant l’occupation de Paris, nord-américains comme la “mesure universelle” d’une
il devient un des plus hauts magistrats suédois, tout compétence professionnelle légitime5.» Et cette légiti-
en poursuivant parallèlement une carrière internatio- mité importée permet à Aspe de bâtir en moins d’une
nale d’arbitre, notamment dans le fameux conten- décennie « un véritable empire, tant politique qu’in-
tieux qui oppose British Petroleum à la Libye de tellectuel, au sein des élites politiques mexicaines6 ».
Kadhafi, mais aussi comme juge à la Cour européenne Ce double jeu permanent contribue d’autant plus
des droits de l’homme et plus tard comme président à brouiller les frontières qu’il accélère la recomposi-
de la cour arbitrale créée pour trancher le conten- tion des champs nationaux pour les rendre plus
tieux entre l’Iran et les États-Unis2. Un tel profil n’a conformes – et plus perméables – à la logique du
d’ailleurs rien d’exceptionnel, on pourrait multiplier marché international des savoirs de gouvernement.
aisément les exemples de ces héritiers de la noblesse Ainsi, contrairement à l’isolationnisme de ses devan-
de robe qui, après être parvenus au sommet des ciers qui avaient appris à se méfier de ce voisin trop
hiérarchies judiciaires nationales, se trouvent cooptés puissant, ce « nationaliste cosmopolite » n’éprouve

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aucune réticence à suivre « les règles du jeu posées équipe d’élèves aussi brillants que dévoués. Car c’est
par Washington7 ». Pour lui, il n’y a aucune contra- sur lui que reposent tous leurs espoirs de carrière.
diction entre la souveraineté mexicaine et les prescrip- En tant que mentor, il contrôle l’accès aux filières
tions du FMI. Encensé par The Economist8 comme la internationales. En tant que ministre, il les initie aux
figure de proue d’un gouvernement bénéficiant d’une jeux de pouvoir. Bref, il réinvente dans le champ de
compétence économique hors classe, il est parfai- l’économie la stratégie de la camarilla, qui a permis
tement à son aise sur le terrain des négociations aux plus politiques des professeurs de droit de l’UNAM
financières internationales. Il maîtrise impeccable- de s’emparer du pouvoir d’État et de le contrôler
ment le langage des économistes du FMI, dont pendant près d’un demi-siècle10.
beaucoup ont été des condisciples. Sa notoriété Cette virtuosité dans le double jeu n’est pas sans
savante et sa maîtrise des dossiers rassurent des dangers. Car elle « prédispose ces jeunes dirigeants
créanciers internationaux, a priori méfiants à l’égard à se lancer dans des stratégies à haut risque11 ». Le
de politiciens qui affichent leur populisme tout en se surendettement débouche sur la crise du peso de
complaisant dans des intrigues de palais bien difficiles 1995 et sa faillite politique. Après une carrière météo-
à déchiffrer pour des investisseurs étrangers. À rique, qui lui permettait les plus hautes ambitions
l’inverse, c’est l’aisance sociale du grand patricien, fils étatiques, il se reconvertit dans le secteur privé, en
d’un avocat d’affaires et héritier d’une lignée de grands prenant la tête de l’un de ces conglomérats qui furent
propriétaires fonciers, qui lui permet de convaincre les grands bénéficiaires de la privatisation.
les représentants des grandes familles du capita-
lisme mexicain de se lancer dans des partenariats 1. Y. Dezalay et B. Garth, Dealing in Virtue , op. cit., Ce témoi-
internationaux. Grâce à cette double garantie, les gnage, comme la plupart des exemples concrets cités pour illus-
investissements étrangers sont multipliés par quatre trer les hypothèses présentées dans ce texte, est tiré d’un
programme de recherches internationales réalisé conjointe-
en moins de deux ans9.
ment avec Bryant Garth depuis une quinzaine d’années. Pour
Ce médiateur est aussi talentueux pour réconci- aller au-delà de leur caractère forcément anecdotique, compte
lier les antagonismes internes. L’effet de brouillage tenu de l’impossibilité d’en décrire ici, même sommairement,

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du diplôme étranger lui permet de faire le pont entre tout le contexte, on peut se référer aux publications citées en
référence. 2. Ibid., p. 21-22. 3. Jorge Dominguez (éd.),
deux espaces de pouvoir séparés par la révolution
Technopols : Freeing Politics and Markets in Latin America in the
zapatiste : la grande bourgeoisie d’affaires, dont il est 1990s, University Park, Pennsylvania State University Press,
issu, et l’élite des dirigeants de l’État-PRI, à laquelle 1997. 4. Stephanie Golob, « Making Possible What is
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ce nouveau savoir lui permet d’accéder. En effet, Necessary : Pedro Aspe, The Salinas Team and The Next
lorsqu’il rentre au Mexique après son doctorat, il se Mexican “Miracle” », in J. Dominguez (éd.), ibid. 5. Ibid., p.
103. 6. Ibid.,p. 120. 7. Ibid., p. 128. 8. The Economist,
sert de sa position de responsable des études écono-
14 décembre 1991, p. 19. 9. S. Golob, ibid., p. 97,
miques à l’ITAM (université privée, fréquentée par les note 7. 10. Roderic Camp, Mexico’s Leaders, Their Education
héritiers de la bourgeoisie d’affaires, de préférence and Recruitment, Tucson, University of Arizona Press,
à l’université publique qu’est l’UNAM) pour bâtir une 1980. 11. S. Golob, op. cit., 1997, p. 136.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

sans un certain cynisme – que les notables du foreign policy establishment avaient
essentiellement des motivations de politique interne, lorsqu’ils s’étaient lancés dans
leur stratégie de guerre froide de construction d’une grande alliance internatio-
nale des élites professionnelles. Pour cette élite cosmopolite, formée dans les
campus prestigieux de la côte Est, l’impératif prioritaire était de renforcer ses
positions vis-à-vis des « provinciaux du Midwest ». Investir dans l’internationa-
lisation du champ savant servait à dévaloriser les compétences locales de ces
élites provinciales pour mieux disqualifier leurs propensions à soutenir
des politiques isolationnistes.
Les stratégies internationales sont des stratégies de distinction pour un petit
groupe de privilégiés, auquel s’impose un minimum de discrétion sur ce qui
fonde leurs privilèges, afin de pouvoir continuer à pratiquer le double jeu du
national et de l’international : investir dans l’international pour renforcer leurs
positions dans le champ du pouvoir national et, simultanément, faire valoir leur
notoriété nationale pour se faire entendre sur la scène internationale. Pour réussir
ce coup double, ils doivent cultiver à la fois la proximité et la distance avec leurs
concitoyens pour les convaincre que non seulement ils partagent les mêmes
valeurs, mais aussi qu’ils sont les mieux à même de promouvoir les intérêts
nationaux dans la compétition internationale10.

L’internationalisation des luttes nationales

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Le principal mérite heuristique d’une approche sociologique de l’espace des
pratiques internationales est d’inciter à élargir le terrain d’observation. Trop
souvent, les analyses se limitent à une définition très restrictive de cet espace ou
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des variables pertinentes. Non seulement elles se focalisent sur les grandes organi-
sations qui s’affichent ou se veulent transnationales, comme le FMI, la Banque
mondiale, l’OMC, ou encore Amnesty ou Greenpeace, mais elles tendent de
surcroît à accepter comme un postulat la représentation idéologique produite
par et pour ces institutions – tout particulièrement la distance qu’elles affichent
avec les luttes de pouvoir dans les espaces nationaux. Ainsi, même les analyses
les plus critiques de la Banque mondiale11 se gardent bien de s’interroger sur les
ressources ou les déterminations nationales des agents d’une institution qui, dès
ses origines, a érigé en dogme le principe de non-ingérence dans les enjeux
politiques nationaux. De même, ceux qui font la théorie des grands réseaux inter-
nationaux d’activisme privilégient la dimension transnationale, en passant sous

10. Ainsi, les membres des comités d’entreprise européens doivent gérer le ressentiment sous-jacent des militants locaux
à l’égard de ce qui pourrait apparaître comme du « tourisme syndical ». Voir Anne-Catherine Wagner, à paraître. 11. Par exemple,
Susan George et Fabrizio Sabelli, Faith and Credit : The World Bank’s Secular Empire, Londres, Penguin, 1994.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

silence les origines, le parcours et les déterminations nationales des militants et


des noyaux associatifs qui les animent12. Ces productions savantes ne font donc
que renforcer la représentation que les entrepreneurs de l’international donnent
de leurs pratiques. En corroborant l’existence d’un espace transnational à l’écart
des pratiques nationales, elles participent des effets d’illusion entretenus par les
débats sur la mondialisation.
Une sociologie de la genèse du champ des pratiques internationales doit au
contraire partir du postulat d’un espace qui se construit dans la confrontation entre
des champs de pouvoirs nationaux, et qui est structuré par les luttes hégémoniques
pour l’imposition de savoirs et de modèles de gouvernement légitimes. Comme
l’a montré Pierre Bourdieu au sujet de la circulation internationale des idées,
« les luttes internationales pour la domination […] trouvent leur plus sûr fonde-
ment dans les luttes au sein de chaque champ national, luttes à l’intérieur
desquelles la définition nationale (dominante) et la définition étrangère sont
elles-mêmes mises en jeu, en tant qu’armes et en tant qu’enjeux13 ». Ce qu’on quali-
fie de mondialisation n’est donc rien d’autre que la poursuite des affrontements
nationaux, au nom d’une prétention à incarner des valeurs universelles. Ainsi,
la position dominante des États-Unis repose en grande partie14 sur des investis-
sements importants dans le champ des savoirs d’État, qui leur ont permis
d’imposer et de diffuser à l’ensemble du monde un modèle de gouvernement,
qui est le produit de son histoire spécifique.

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La mondialisation servirait ainsi d’alibi à cette entreprise d’impérialisme
symbolique qui vise à restructurer les champs nationaux du pouvoir d’État et à
construire parallèlement un espace de la gouvernance internationale, en s’inspi-
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rant du modèle nord-américain, ou du moins de la représentation rationalisée et


idéalisée qui en est donnée par les détenteurs de savoirs d’État qui contrôlent le
débat sur la « globalisation15 ». Pour qualifier ces processus, le terme « américa-
nisation » s’avère cependant aussi réducteur que celui de mondialisation : l’un
comme l’autre tendent à occulter la longue histoire de ces stratégies internatio-
nales, qui sont produites en permanence par les champs nationaux du pouvoir
d’État – et qui contribuent ainsi à les produire ou les reproduire.
Comme l’a montré Christophe Charle16, au début du XXe siècle, la concurrence
entre les « sociétés impériales » alimentait toute une circulation des savoirs d’État
au travers de multiples canaux facilitant aussi bien les emprunts à l’étranger que
les opérations de promotion des pratiques nationales. Dans le même temps, ces
savoirs contribuaient à structurer des relations coloniales qui, en retour, contri-
buaient à les remodeler. Cet effet de retour est particulièrement flagrant dans le
cas de l’anthropologie qui sert tout à la fois de vitrine et de rationalisation de ces
politiques coloniales17. Mais il se manifeste aussi dans des champs de savoir plus

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

anciennement établis comme le droit. Ainsi, l’exportation du savoir-faire des


juristes britanniques n’a pas seulement facilité l’exploitation des ressources
du sous-continent indien, tout en préparant l’arrivée au pouvoir d’une petite
élite de notables réformistes18, elle a aussi servi à faire de l’Inde « un laboratoire
pour les réformes judiciaires inspirées par la mouvance libérale, rassemblée
autour du parti Whig19 ».
Les experts ou consultants internationaux, qui sont les principaux agents de
la mondialisation, sont le produit de toute cette histoire de la compétition inter-
nationale des savoirs d’État. Ils sont les héritiers directs – ou plus précisément
les successeurs et concurrents – des juristes et des missionnaires qui servaient de
relais au pouvoir colonial. On pourrait ainsi faire des analyses très similaires en
ce qui concerne l’économie du développement20, et plus généralement les politiques
de modernisation et d’assistance, dont les États-Unis ont été les principaux
promoteurs depuis 194521. La différence majeure tient à la manière dont les
États-Unis ont imposé leur hégémonie en s’opposant aux réseaux d’influence et
de savoirs mis en place par les « sociétés impériales » européennes. Les luttes de
palais entre des savoirs ou des fractions concurrentes dans le champ du pouvoir
d’État ont pris le relais des batailles territoriales entre les grandes puissances
coloniales. Au lieu de s’affronter sous les drapeaux britannique, français ou
allemand, les nouveaux missionnaires de la modernité préfèrent se regrouper
sous des bannières comme le monétarisme, les droits de l’homme ou le dévelop-

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pement durable. Certes, comme leurs prédécesseurs, ils n’hésitent pas à se servir
de leur capital social de relations personnelles ou familiales, tout en mobilisant
du capital savant qui leur sert de caution et de légitimité. Mais les systèmes
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d’alliance ou d’opposition ne se déterminent plus essentiellement en fonction


des appartenances nationales. C’est dans la concurrence et les affrontements

12. M. Keck et K. Sikkink, op. cit., 1998. 13. P. Bourdieu, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées »,
Actes de la recherche en sciences sociales, 145, 2002, p. 8. 14. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’oublier pour autant l’impor-
tance de la suprématie militaire, non plus que la domination économique ou financière (Y. Dezalay, « Des notables aux conglomé-
rats d’expertise : esquisse d’une sociologie du “big bang” juridico-financier », Revue d’économie financière, 25, 1993, p. 23-38),
mais simplement de souligner que ces formes de domination directe impliquent aussi tout un investissement humain qui facilite
et stabilise la mise en place d’une relation de type hégémonique. Y compris à travers la formation des élites militaires. Ainsi, dans
un pays comme la Corée du Sud, la plupart des membres de la haute hiérarchie militaire ont bénéficié d’une formation aux États-
Unis (Kim Seong-Hyon, « La diplomatie économique autour du contrat du TGV coréen : une sociologie du grand contrat internatio-
nal », thèse, EHESS, 2003). 15. À cet égard, il est significatif que la grande majorité des analyses sur la globalisation émane
du monde nord-américain (Y. Dezalay et B. Garth, Global Prescriptions, op. cit., 2002). 16. Christophe Charle, La Crise des
sociétés impériales : Allemagne, France, Grande-Bretagne, 1900-1940, Paris, Seuil, 2001. 17. Benoit de l’Estoile, Federico
Neiburg et Lygia Sigaud, « Savoirs anthropologiques, administration des populations et construction de l’État », Revue de synthèse,
3-4, juillet-décembre 2000. 18. Y. Dezalay et B. Garth, « La construction juridique d’une politique de notables. Le double jeu des
praticiens du barreau indien sur le marché de la vertu civique », Genèses, 45, décembre 2001, p. 69-90 19. Rajiv Dhavan, « Judges
and Indian Democracy : The lesser Evil? », in Francine Frankel, Transforming India, Social and Political Dynamics of Democraty, New
Delhi, Oxford University Press, 2000. 20. Joseph Love, Crafting the Third World, Theorizing Underdevelopment in Rumania and
Brazil, Stanford, Stanford University Press, 1996. 21. Steve Weissman, The Trojan Horse, A Radical Look at Foreign Aid, San
Francisco, Rampart Press, 1974 ; Paul Drake (éd.), Money Doctors, Foreign Debts and Economic Reforms in Latin America : from
the 1890s to the Present, Wilmington, Jaguar Books, 1994.

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DES AGENTS DE L’EMPIRE... Motilal Nehru en habit de cour lors d’une présentation à l’empereur.

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... AUX LEADERS DE L’INDÉPENDANCE NATIONALE. Motilal Nehru en ascète qui lutte pour l’indépendance aux côtés de Ghandi.

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UN HÉRITIER COSMOPOLITE Jawaharlal Nehru en élève de Harrow, étudiant à Cambridge, emprisonné comme combattant pour la liberté,
en héros des masses.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

internes au champ du pouvoir nord-américain qu’ils trouvent leur logique et


leurs ressources. Ce nouvel impérialisme symbolique se nourrit de la compétition
sur un marché des savoirs d’État qui doit une bonne part de ses ressources à son
étroite imbrication dans le champ du pouvoir. La compétition entre des entre-
preneurs savants, liés à des multinationales de l’expertise, ou proches de réseaux
militants, a pris le relais des batailles territoriales entre les missionnaires et agents
des « sociétés impériales ». Au-delà des facilités et du simplisme des arguments
rhétoriques pour ou contre l’américanisation, c’est dans l’histoire sociale de la
construction du champ du pouvoir d’État nord-américain qu’il convient de
chercher la clef des « ruses de la raison impérialiste22 » qui est en train de remode-
ler l’espace des pratiques internationales.

L’empire du foreign policy establishment


Plusieurs des institutions qui ont joué un rôle crucial dans la structuration du
champ étatique nord-américain se retrouvent aujourd’hui à l’avant-garde de la
mondialisation. Et dans les deux cas, leur force est de favoriser la mobilité des
élites entre les trois grands pôles de pouvoir : celui des grandes entreprises et de
la finance autour de Wall Street, celui des institutions d’État de Washington et
celui du savoir autour des campus prestigieux de l’Ivy League. De ce fait, les
élites qui les contrôlent jouissent d’une position tout à fait stratégique dans un

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espace du pouvoir, que les analystes décrivent comme un État faible, dépourvu
d’un centre23 (hollow core State). La multipositionnalité de ces élites leur permet
d’incarner collectivement – et même quelquefois individuellement – la figure de
l’État et sa légitimité. C’est ainsi qu’après avoir consacré l’essentiel de leur carrière
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à défendre les intérêts de leur clientèle de grandes firmes, tant dans les négocia-
tions financières de Wall Street que dans les débats politiques de Washington,
un certain nombre de grands avocats d’affaires finissent par incarner une sorte
de sagesse et d’autorité d’État – alors que, pour la plupart d’entre eux, ces hommes
d’État honoraires (elder Statesmen) sont restés essentiellement dans les coulis-
ses du pouvoir, en n’occupant les premiers rôles que très épisodiquement, essen-
tiellement dans des fonctions liées à l’international24.
La politique internationale a toujours été le domaine réservé de ces hommes
d’État de l’ombre. Ce n’est pas par hasard si cette élite est désignée couramment

22. Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant, « Sur les ruses de la raison impérialiste », Actes de la recherche en sciences sociales,
121-122, 1998, p. 109-118. 23. John P. Heinz, Edward Laumann, Robert Nelson et Robert Salisbury, The Hollow Core, Private
Interests in National Policy Making, Cambridge, Harvard University Press, 1993. 24. Walter Isaacson et Evan Thomas, The
Wise Men, New York, Simon & Schuster, 1986 ; Kai Bird, The Chairman : John McCloy, the Making of the American Establishment,
New York, Simon & Schuster, 1992 ; James A. Bill, George Ball, Behind the Scene in US Foreign Policy, New Haven, Yale
University Press, 1997.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

sous le qualificatif de Foreign Policy Establishment (FPE). Cette appellation


correspond effectivement aux institutions – et à l’influente revue Foreign Affairs –
qu’elle patronne. L’essor de cette noblesse d’État est indissociable de celui de
l’empire américain. C’est en tant que proconsuls dans la nouvelle colonie des
Philippines que les pères fondateurs du FPE ont fait leurs premières armes25.
Cette élite cosmopolite connaît son apogée avec la stratégie de guerre froide,
pour laquelle elle se mobilise avant de se déchirer lors de la guerre du Vietnam.
Son histoire étant indissociable de celle de l’hégémonie américaine tout au long
du XXe siècle, il n’est guère surprenant qu’elle ait mobilisé dans ses stratégies
internationales les mêmes institutions qui lui avaient permis de s’imposer et de
consolider son pouvoir sur la sphère étatique nationale – en jouant précisément
la triple carte de l’international, du savoir et de la construction du droit26.
Cette stratégie de mobilisation des ressources privées pour bâtir de l’État
– ou plus exactement des substituts d’État – renferme en elle-même ses propres
limites. Il ne faut pas en effet que cette construction étatique gagne suffisam-
ment d’autonomie pour s’opposer aux intérêts privés qui en sont le fondement,
ni qu’elle devienne un obstacle à la mobilité d’une élite de professionnels du
secteur privé, qui tire l’essentiel de son pouvoir de sa multipositionnalité. De ce
fait, on aboutit à une situation apparemment paradoxale, où ce sont des institu-
tions financées et contrôlées par le secteur privé, comme les firmes juridiques,
les écoles de droit ou les fondations philanthropiques, qui contrôlent une bonne

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part des investissements dans des savoirs et des pratiques d’État27.
La stratégie institutionnelle de ces notables du droit s’explique, en grande
partie, par leur relation de dépendance vis-à-vis des « barons voleurs » auxquels
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ils doivent leur fortune. Ils se retrouvent dans la position classique des notaires
royaux décrits par Kantorowicz28 : pour préserver leur légitimité, ils doivent
détourner une partie des ressources de leurs patrons pour investir dans du savoir,
de l’intérêt général ou des valeurs universelles, afin de manifester publiquement
leur distance, sinon leur neutralité à l’égard de ces intérêts privés29. Il leur faut
convaincre leurs puissants protecteurs qu’il y va de leur propre intérêt sur le
long terme et que le risque est minime, puisqu’ils gardent un droit de contrôle
sur toute cette activité philanthropique. Pour réussir ce double jeu, ces merce-
naires du capital (hired guns) peuvent s’appuyer sur leur capital familial et profes-
sionnel. Ces héritiers des gentlemen du droit selon Tocqueville ne sont-ils pas les
mieux placés pour servir d’intermédiaires à ces entrepreneurs parvenus, tant
pour les aider à lever des capitaux sur les places européennes que pour les guider
ensuite dans leurs stratégies d’État, notamment à partir d’investissements dans
les savoirs de gouvernement ? Tout naturellement, les dirigeants des premières
grandes firmes juridiques continuent d’assister les capitaines d’industrie en conce-

18
Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

vant le montage juridico-fiscal des fondations philanthropiques, puis en siégeant


au conseil d’administration de ces institutions pour faire prévaloir des intérêts
de leurs clients qui tendent désormais à se confondre avec les leurs.

Une division du travail de domination


Ces grandes fondations s’intègrent parfaitement dans la stratégie d’entrepreneur
moral poursuivie par les patriciens du barreau de New York30. Pour tenter de
préserver l’essentiel de leurs positions, ces grands notables investissent dans la
formation professionnelle. Ils financent la construction de law schools, en encou-
rageant les professeurs à devenir les gardiens non seulement de la science du
droit, mais plus encore de sa moralité. Ils contribuent ainsi à reproduire une élite
professionnelle qui s’appuie sur la double légitimité de la naissance et de l’auto-
rité morale pour affirmer son leadership dans le champ des politiques d’État.
C’est là précisément qu’interviennent les grandes fondations dont ils sont en
grande partie les inspirateurs. Elles vont contribuer à construire les outils de cette
stratégie réformiste, en structurant le champ des nouveaux savoirs de gouverne-
ment qui sont en train d’émerger autour du droit. Les homologies sont nombreu-
ses. Comme dans les law schools, cet investissement passe par l’importation de
productions savantes européennes qui mobilisent et valorisent le capital symbo-
lique de la fraction la plus cosmopolite de l’establishment de la côte Est. Plus

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généralement, comme les law firms, les fondations s’appuient sur le capital relation-
nel accumulé par cette élite professionnelle, tant dans le monde des affaires que
dans celui de la politique ou du savoir. Surtout, elles consolident cette stratégie
multipositionnelle en l’institutionnalisant. Ces structures servent à la fois de carre-
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four et de sas entre les pôles de pouvoir. Elles facilitent l’échange des faveurs et
la mobilité des carrières, tout en leur donnant un aspect plus formalisé et donc

25. Stanley Karnow, In our Image, New York, Random House, 1989 ; Peter W. Stanley (éd.), Reappraising an Empire, Cambridge,
Mass., Harvard University Press, 1984. 26. Y. Dezalay et B. Garth, La Mondialisation des guerres de palais, op. cit. 27. Grâce
à cette institutionnalisation d’un marché des compétences d’État, l’affaiblissement des positions du FPE après la débâcle vietna-
mienne ne bouleverse pas fondamentalement la structure du champ du pouvoir américain. Car l’ampleur des ressources néces-
saires pour mettre en œuvre des stratégies d’État les réserve de fait à un petit noyau de grands opérateurs, certes plus diversifiés
idéologiquement et socialement, tout en ayant recours aux mêmes types d’institutions – comme les fondations et les think
tanks – pour faire le lien entre le public et le privé. De surcroît, même s’il a perdu son quasi-monopole sur les institutions d’État
américaines, le FPE a pu reconvertir une partie de ce pouvoir en investissant dans des institutions, comme la Trilatérale, qui repro-
duisent la même stratégie d’État dans l’espace international. 28. Ernst Kantorowicz, « Kingship Under the Impact of Scientific
Jurisprudence », in Marshall Clagett, Gaines Post et Robert Reynolds (éds), Twelfth-Century Europe and the Foundations of
Modern Society, Madison, University of Wisconsin Press, 1961. 29. Robert Gordon (dans « The Ideal and the Actual in the
Law : Fantasies and Practices of New York City Lawyers, 1870-1910 », in Gérard Gawalt (éd.), The New High Priests : Lawyers in
Post Civil War America, Westport, Greenwood Press, 1984) décrit le comportement quasi schizophrénique des grands praticiens
de Wall Street qui, au début du XXe siècle, consacraient beaucoup d’efforts à construire des dispositifs de régulation comme l’anti-
trust, qu’ils s’employaient ensuite à détourner pour le compte de leurs clients. Il est vrai que la sévérité de ces dispositifs judiciai-
res les rendait indispensables à des financiers aussi peu scrupuleux que toujours tentés de les réduire à la condition de
mercenaires. 30. Michael Powell, From Patrician to Professional Elite : The Transformation of the New York City Bar Association,
New York, Russell Sage Foundation, 1988.

19
Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

Mobilité des cerveaux et fuite des entrepreneurs moraux

L’extraordinaire essor du mouvement international Par contre, la greffe nord-américaine ne prend guère
des droits de l’homme à partir de la fin des années dans le champ des droits de l’homme. Au contraire,
1970 peut s’expliquer en partie par un phénomène le déséquilibre Nord-Sud s’accentue. Aux États-Unis,
de concordance entre la conjoncture politique des la notoriété des grandes ONG comme Amnesty ou
États-Unis et celle des principaux pays d’Amérique Human Rights Watch ne fait que croître;elles se profes-
latine : la fraction réformiste du « Foreign Policy sionnalisent, et leurs stratégies deviennent plus étroi-
Establishment », mise à l’écart par l’offensive néoli- tement imbriquées dans le jeu des institutions d’État,
bérale, se mobilise, au nom des droits de l’homme, nationales ou internationales. Au contraire, dans les
pour défendre les intellectuels d’État d’Amérique pays d’Amérique latine, après avoir été au premier
latine, pourchassés par des régimes militaires, eux- rang de la lutte contre les dictatures militaires, les
mêmes protégés par les néoconservateurs de organisations des droits de l’homme dépérissent
Washington, au nom de l’anti-communisme1. d’autant plus vite qu’elles perdent à la fois leurs
Selon une logique qui se répète au Nord et au Sud, dirigeants et leurs financements3. Les enjeux politiques
les théoriciens de Chicago et leurs disciples – les « se sont déplacés avec la défaite des militaires, et les
Chicago boys » chiliens – mettent leur compétence grandes fondations internationales ont modifié en
au service de ces nouveaux venus dans le champ du conséquence leurs agendas prioritaires. De ce fait, les
pouvoir d’État que sont – à des degrés divers – Nixon, rares pionniers des droits de l’homme, qui ne se sont
Reagan et Pinochet. La contre-révolution néolibérale pas reconvertis dans des carrières d’État, n’ont guère
est alimentée par une volonté de revanche de «parve- d’autres choix, s’ils veulent poursuivre leur engage-
nus», jusque-là exclus des positions de pouvoir par les ment militant, que de rejoindre les états-majors des
héritiers d’une « bourgeoisie d’État ». ONG internationales, à proximité des lieux de pouvoir,

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Pourtant, en dépit de ces similitudes, les effets comme Washington, Londres ou Genève. Quitte à
sont profondément contrastés. Dans le champ du contribuer ainsi à une fuite des entrepreneurs moraux,
savoir et des politiques économiques, les frontières qui permet aux puissances hégémoniques de dominer
nationales s’estompent pour laisser la place à un le champ international de l’expertise d’État par une
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marché international, dominé par les institutions nord- double maîtrise des technologies de pouvoir et des
américaines, et partiellement ouvert aux élites périphé- idéalismes qui peuvent servir de base – et de légiti-
riques. C’est ainsi que, pour établir leur légitimité mité – à un nouvel universalisme.
savante, les responsables économiques d’Amérique
latine ne peuvent plus se contenter d’un simple PhD
1. « Constructing Law Out of Power : Investing in Human Rights
délivré par les grandes universités nord-américaines;il as an Alternative Political Strategy» (en collaboration avec Bryant
leur faut désormais y retourner régulièrement comme Garth), in Austin Sarat et Stewart Scheingold (éds), Cause
professeur invité, afin de réactualiser leur capital Lawyering and the State in Global Context, Oxford, Oxford
savant. Les campus de l’Ivy League sont ainsi en voie University Press, 2001. 2. « Dollarizing State and Professional
Expertise:Transnational Processes and Questions of Legitimation
de devenir l’antichambre des institutions financières
in State Transformation, 1960-2000 » (en collaboration avec
et des gouvernements nationaux des pays d’Amérique Bryant Garth), in Mickael Likosky et J. Perkovich (éds),
latine. Il n’est donc guère surprenant que le Transnational Legal Process, Londres, Butterworth, 2002.
Washington consensus puisse se présenter désor- 3. « Patrones de inversion juridica extranjera y de transforma-
mais comme un nouvel universel. La « dollarisation » cion del Estado en America Latina» (en collaboration avec Bryant
Garth), in Hector Fix-Fierro, Lawrence M. Friedman et Rogelio
des économies va désormais de pair avec celle des Perez Perdomo (éds), Culturas juridicas latinas de Europa y
nouveaux savoirs d’État, comme l’économie, la America en tiempos de globalizacion, Mexico, Universidad
science politique ou le droit des affaires2. Nacional Autonoma de Mexico, 2003.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

plus légitime. Les law firms – et, à un moindre égard, les fondations – représen-
tent ainsi l’épitomé de la stratégie de pouvoir des clercs du droit:elles leur permet-
tent de regrouper sous un label unique la diversité des rôles – mercenaire, savant
et entrepreneur moral – qui fait la force du champ juridique, et d’accumuler
collectivement des formes antinomiques de capital qui assurent sa pérennité31.
Les pratiques de ces institutions philanthropiques – et ce qu’elles contribuent
à produire – s’inscrivent dans une division hiérarchisée du travail de domina-
tion dont elles sont elles-mêmes le produit. L’autonomisation des sciences socia-
les et la professionnalisation des pratiques administratives sont d’autant plus
limitées qu’elles restent subordonnées à une double tutelle : celle des bailleurs
de fonds et celle de la compétence juridique dont la reproduction fait encore une
large part au capital familial. Si les grands notables du barreau s’emploient à
étendre l’hégémonie du droit sur le champ des politiques publiques, ils veillent
aussi à ce que les écoles et les professeurs de droit reconnaissent et homologuent
tout le capital d’entregent et de relations sociales dont ils ont hérité32. La hiérar-
chie du droit continue ainsi à valoriser l’héritage moral – mais aussi les héritiers –
des gentlemen du droit qui ont su redorer leur blason, en recyclant les fortunes
des « barons voleurs ». Le corollaire de leur politique réformiste est une mérito-
cratie très tempérée, qui conforte plus qu’elle ne remet en cause les privilèges de
la naissance, notamment ceux qui sont l’apanage d’une bourgeoisie cosmopo-
lite. Cette capacité à amalgamer capital social et capital savant33 représente sans

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doute le principal atout de la formation juridique sur le marché des savoirs d’État,
qui assure une reproduction – de plus en plus internationalisée – des dirigeants
nationaux. C’est même une des raisons majeures pour lesquelles les instruments
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et le personnel juridiques jouent un rôle aussi déterminant dans la construction


d’un marché global34. L’internationale du droit est un des piliers majeurs d’une
internationale de l’establishment.

Universaliser le modèle américain d’un marché


des ressources d’État
La dimension internationale a toujours été une des composantes de la stratégie
des fondations. Mais les circuits d’échange tendent à s’inverser avec l’essor
du « modèle américain ». Surtout, ils s’accroissent considérablement à la faveur

31. Y. Dezalay, Marchands de droit : L’expansion du « modèle américain » et la construction d’un ordre juridique transnational,
Paris, Fayard, 1992. 32. Tant par leurs contributions au budget de ces écoles, qui leur valent de siéger dans les comités de
direction, que par des moyens de pression aussi efficaces que discrets, comme les stratégies de recrutement ou le marché très
rémunérateur des consultations… 33. Victor Karady, « Une nation de juristes. Des usages sociaux de la formation juridique dans
la Hongrie d’Ancien Régime », Actes de la recherche en sciences sociales, 86-87, 1991, p. 106-124. 34. Cf. infra les articles de
Peter Drahos et John Braithwaite, et de Murielle Coeurdray.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

de la stratégie de guerre froide, où, parallèlement à la politique militaire de


dissuasion, les fondations sont mobilisées pour mettre sur pied « une grande
alliance des élites professionnelles réformistes », censée servir d’antidote au
communisme. La continuité est totale : le même petit groupe social, constitué
par les grands notables de Wall Street qui forment le noyau du foreign policy
establishment, mobilise les institutions qu’il contrôle au service de la même
stratégie – combinaison de réformisme éclairé et de méritocratie à dose homéo-
pathique –, qui lui a si bien réussi pour s’imposer dans son espace national.
Les fondations se prêtent admirablement à cette division du travail impérial.
En effet, leur souplesse de fonctionnement, mais aussi leur diversité, leur permet
de s’adapter aux impératifs stratégiques, en fonction du moment et des cibles
visées. Ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, tandis que ces
notables cultivent leurs homologues au sein de l’internationale de l’establish-
ment35, la Fondation Ford s’emploie à préparer la relève. Elle façonne une nouvelle
génération de dirigeants, en finançant la construction de nouvelles institutions
savantes et l’émergence de nouveaux savoirs. Cette mission, qui s’inscrit dans le
droit fil de la politique savante menée par les fondations dans l’espace américain,
s’intègre parfaitement dans les projets hégémoniques du FPE. En effet, dans les
États périphériques, la majorité des dirigeants restent très inscrits dans les réseaux
d’influence européens où ils ont été formés. Avant de se reconvertir en « pères
de l’indépendance nationale», les juristes politiciens constituaient le noyau de cette

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bourgeoisie compradore qui servait de relais au pouvoir colonial. Confrontés à
des tensions sociales exacerbées par les inégalités et la guerre froide, ces notables
nationalistes n’étaient guère disposés à jouer la carte du réformisme et d’une
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méritocratie modérés, conformément aux conseils de leurs mentors américains.


La constitution de cette grande alliance des « amis de l’Amérique » doit donc être
fabriquée de toutes pièces, en remodelant dans chaque espace national les filiè-
res internationales de reproduction des classes dirigeantes. La restructuration
des champs nationaux du savoir est la clef qui permet, à terme, de remodeler
l’internationale des dirigeants conformément aux objectifs politiques
de la puissance hégémonique.
La réussite d’un tel projet implique de nouer des alliances entre des expor-
tateurs et des importateurs partageant – au moins provisoirement – des intérêts
et des motivations similaires. Le succès ou l’échec sont donc, dans une large

35. Notamment dans le cadre de l’International Commission of Jurists (Y. Dezalay et B. Garth, La Mondialisation des guerres de palais,
op. cit.) ou encore les réseaux transatlantiques, qui fonctionnent en étroite symbiose avec les grandes firmes de Wall Street comme la
Commission trilatérale (Stephen Gill, American Hegemony and the Trilateral Commission, Cambridge University Press, 1990), le très
sélect Bilderberg Group (K. Bird, op. cit., 1992, p. 471) ou l’American Committee on United Europe (Antonin Cohen, « Anatomie d’une
utopie juridique. Éléments pour une sociologie historique du fédéralisme européen : la Constitution », Communication au colloque du
CURAPP sur la portée sociale du droit, Amiens, 14 novembre 2002).

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

Les nababs du droit

Bien peu d’indiens pouvaient se permettre de financer fortunes colossales qui leur valaient le surnom de
le long programme d’apprentissage pour les futurs « nababs du droit » Ainsi, dans les années 1880,
barristers qui n’existait qu’en Grande-Bretagne. alors qu’il était encore dans sa trentaine, Motilal
Les premières générations de juristes indiens se Nehru « vivait comme un prince, dans un véritable
recrutaient essentiellement parmi les enfants ou les palais et possédait les toutes premières voitures
protégés des riches marchands parsi. Grâce à ce automobiles » (ibid. p. 370).
détour par la métropole, aussi prestigieux que peu L’Indian National Congress, dont Motilal Nehru fut
exigeant du point de vue scolaire, les héritiers de un des fondateurs et le leader de la fraction modérée,
haute caste rentraient en Inde transformés en English a été le principal support d’une stratégie de réfor-
gentlemen. misme constitutionnel, conçue et conduite par des
La tradition coloniale exigeait que les gentlemen élites juridiques anglicisées. « Les leaders du parti du
attorneys maintiennent le même train de vie fastueux Congrès étaient parfaitement à l’aise avec la procé-
que leur riche clientèle de riches marchands et de dure parlementaire et les débats constitutionnels.
grands propriétaires. « Le prestige d’un lawyer dépend Ils avaient confiance dans la tradition britannique de
de son hospitalité, de ses bonnes manières et du cer- justice (…) Selon sa biographie, Motilal Nehru était
cle d’amis qu’il entretient » (S.Schmitthener, «A sketch un modéré, d’autant moins favorable aux thèses des
of the development of the legal profession in India », extrémistes qu’il était convaincu qu’un avocat de
Law & Society Review, 2 (3), 1968-1969, p. 348). talent pouvait aussi facilement se faire entendre à la
Les nouvelles générations de barrister indiens ont tribune de l’opinion publique britannique que devant
profité à leur tour de ce monopole pour gagner des celle de la Allahabad High Court » (ibid. p. 378).

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« Une terre d’opportunités »
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« La moitié des gens qui travaillent dans la Silicon mieux formées qu’en Europe, mais elles sont plus
Valley ne sont pas nés aux États-Unis, et ces motivées car on leur assure des plans de car-
étrangers n’occupent pas seulement les postes rière enthousiasmants.
les plus haut placés dans la hiérarchie. Comme les immigrants, ces élites préfèrent
Ce sont des Chinois, des Indiens, des Européens donc rester aux États-Unis plutôt que d’aller faire
qui considèrent toujours que les États-Unis profiter d’autres pays du savoir qu’elles
sont la terre de toutes les opportunités. ont acquis. »
C’est une autre force de ce pays que d’offrir
à tous ces gens talentueux des possibilités Gary Becker, L’Expansion,
de promotion et d’épanouissement professionnel. novembre 2003
De même les élites américaines ne sont pas (propos recueillis par Isabelle Lesniak).

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

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UNE TRANSITION CONSTITUTIONNELLE ET MONDAINE. Jawaharlal Nehru plaisantant lors d’une cérémonie officielle, avec sa
complice et amie intime, Lady Mountbatten, l’épouse du dernier vice-roi des Indes.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

mesure, déterminés par le degré d’homologie qui existe, à une époque donnée,
entre les luttes de pouvoir qui se jouent en parallèle dans la puissance hégémo-
nique et dans les États périphériques36.

L’internationalisation comme travail d’universalisation


Le marché de l’import-export symbolique doit une bonne part de son dynamisme
aux affrontements dans les champs nationaux qui incitent les fractions dominées
de la bourgeoisie d’État à chercher des appuis à l’extérieur, pour trouver des
ressources à opposer à « l’internationale de l’establishment » dans laquelle s’ins-
crivent tout naturellement leurs adversaires. Cette stratégie d’alliances tactiques,
qui concerne aussi bien les importateurs que les exportateurs, leur impose sa
propre logique, dans la mesure où la construction de ces réseaux internationaux
impose tout un travail de traduction et de médiation d’intérêts spécifiquement
nationaux, pour faciliter cette mise en commun. L’internationalisation des luttes
nationales contribue ainsi à susciter une dynamique d’universalisation.
Ainsi, l’essor spectaculaire des droits de l’homme autour des années 1980 a
été en grande partie alimenté (et plus précisément financé) par la compétition dans
le champ du pouvoir d’État entre, d’un côté, la nouvelle droite conservatrice qui
triomphe avec Reagan et, de l’autre, des fragments de l’élite libérale du Foreign
Policy Establishment, qui mobilise les institutions qu’elle a fondées et dont elle

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garde le contrôle comme la Fondation Ford [voir encadré p. 23]. Exclue des centres
du pouvoir de Washington, et donc menacée dans sa propre légitimité à incarner
l’intérêt public, toute une fraction de l’establishment s’emploie à bâtir une sorte
de contre-feu en finançant la restructuration de nouveaux lieux de mobilisation
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– les grandes ONG internationales qui incarnent la société civile contre l’État –
tout en requalifiant des discours d’opposition en une nouvelle thématique de
gouvernement : ainsi, la dénonciation des atteintes aux droits de l’homme devient
la gouvernance et la défense de l’environnement se mue en développement durable.
Comme les luttes d’influence dans le champ du pouvoir d’État mobilisent du
capital savant, elles alimentent aussi tout un marché de concurrence qui se joue
en termes de ressources et de raison d’État. Grâce à ces joutes internes pour le
pouvoir, le nouvel impérialisme symbolique s’avance désormais sous les couleurs
du progrès de la connaissance, du développement économique, des droits de
l’homme, de la (bonne) gouvernance. Certes, chacune de ces thématiques recou-
vre des coalitions d’exportateurs aux intérêts bien spécifiques. Mais elles sont aussi

36. Il conviendrait de nuancer cette proposition pour tenir compte du degré d’autonomie de ces États périphériques, qui conditionnent
leur capacité à réinterpréter ces exportations hégémoniques en fonction de leur propre histoire. Voir à ce sujet Y. Dezalay et B. Garth,
La Mondialisation des guerres de palais, op. cit.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

le produit de tout un travail d’universalisation, afin de pouvoir mobiliser des


ressources d’État, indispensables au succès de cette exportation symbolique. En
retour, elles contribuent à réactualiser la légitimité de cette stratégie hégémo-
nique. Comme le rappelle Bourdieu37, « la référence à l’universel, au juste, est
l’arme par excellence ».

Pour une sociologie du capital international


Il est difficile, sinon carrément impossible, d’analyser simultanément tous ces
jeux d’intérêts qui s’entrecroisent sur la scène internationale, sauf à recourir à des
« concepts-valises », comme ceux de (dé)régulation ou de gouvernance, qui ont
précisément pour objet de servir de drapeau à ces luttes, tout en les occultant.
À l’inverse de ces discours très généraux sur la mondialisation, les articles regrou-
pés dans ce numéro privilégient des analyses très descriptives, qui prennent pour
objet des petits groupes d’agents et de pratiques qui contribuent à l’internatio-
nalisation des savoirs d’État.
Ces articles ont comme ambition commune de fournir des informations, aussi
précises que possible, sur les ressources sociales qui permettent à ces agents de
se réclamer de l’universel, tout en jouant simultanément sur plusieurs espaces natio-
naux ou dans de multiples registres savants et/ou idéalistes. À cette fin, les encarts
biographiques s’efforcent d’illustrer le poids de déterminations sociologiques

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d’autant plus difficiles à identifier que les découpages institutionnels ont préci-
sément pour fonction de les occulter. Et elles sont encore plus difficiles à théori-
ser car elles sont irrecevables pour la plupart des discours savants qui font autorité
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dans l’espace des relations internationales. Pourtant, toutes ces informations


sont au centre des conversations et des échanges informels qui structurent ces
espaces. Mais les prendre au sérieux et en faire l’objet d’une sociologie, c’est
courir le risque – bien réel – de voir ces analyses disqualifiées comme du simple
commérage journalistique ou, pire encore, dénoncées comme de vulgaires théories
de la conspiration. On comprend le dilemme pour des chercheurs d’autant plus
proches de leur terrain d’enquête qu’ils y ont beaucoup investi, afin d’acquérir
cette familiarité essentielle à une démarche socio-graphique ou anthropologique.
De surcroît, cette autocensure fonctionne de manière insidieuse comme un auto-
aveuglement, car le choix de l’objet ne se fait pas au hasard. Souvent, le chercheur
partage les mêmes engagements militants, la même formation disciplinaire ou la
même culture nationale que ses sujets d’étude – qui, de surcroît, sont souvent aussi
ses informateurs privilégiés.
Ces entreprises de dévoilement sociologique conservent donc une petite part
de non-dit, qui tient à leur objet mais aussi à la démarche microsociologique qui

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

se heurte aux mêmes limites que toute approche monographique : elle risque
d’apparaître comme partiale, du fait même qu’elle est partielle. En l’occurrence,
le risque est accru par l’ampleur et la complexité de l’espace des relations inter-
nationales. C’est bien là le principal mérite d’une juxtaposition des objets et des
terrains de recherche, comme le propose ce numéro. Comme tous ces travaux
s’inscrivent dans des problématiques voisines, ils s’enrichissent de leur complé-
mentarité, mais aussi de la pluralité des perspectives. Le rapprochement met
en évidence les homologies, mais il souligne aussi les limitations spécifiques,
voire les silences, qui tiennent aux relations des chercheurs à leur objet.
Si la première série de textes porte sur les fondations philanthropiques, c’est
que ces institutions occupent une place à la fois centrale et transversale dans
l’espace des relations internationales. Elles sont incontestablement l’un des princi-
paux dispositifs de la production et de la circulation internationale des savoirs
d’État. Même si ces institutions philanthropiques acquièrent avec le temps une
relative autonomie, comme le souligne Nicolas Guilhot, elles sont aussi conçues
pour mettre en œuvre des projets académiques qui correspondent à des finali-
tés définies par leurs fondateurs, afin de légitimer leurs stratégies de « parve-
nus » dans le champ du pouvoir. Financer la mise au point et la diffusion de
nouveaux savoirs à des couches sociales ascendantes sert aussi à mobiliser la
légitimité du champ savant pour imposer comme principes universels de forma-
tion des élites dirigeantes des principes conformes à leurs intérêts spécifiques.

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Le paradoxe d’une telle stratégie est qu’elle ne peut réussir qu’en échappant
à ses fondateurs. D’abord parce que sa mise en œuvre conduit à valoriser une
combinaison de capital savant, relationnel et cosmopolite, conçue et accumulée
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par les vieilles élites d’État que ces nouveaux venus prétendaient bousculer.
D’ailleurs, l’intégration des héritiers des « barons voleurs » au sein de l’esta-
blishment n’est-elle pas la meilleure preuve de la réussite de cette stratégie de conso-
lidation de fortunes acquises par ces aventuriers du capitalisme, à la faveur d’un
coup de force38 ? L’argent sale est lavé par son réinvestissement dans le savoir.
Il est aussi, à cette occasion, réapproprié par les fractions de l’establishment les
plus enclines à une stratégie novatrice ou méritocratique, fût-ce au prix d’une mésal-
liance. Les fondations deviennent ainsi des piliers de la reproduction des hiérar-
chies sociales qu’elles prétendaient remettre en cause. Tout rentre dans l’ordre.
Mais cette banalisation ouvre en même temps les possibilités d’un renouvellement.
De nouvelles générations de parvenus peuvent réinventer à leur compte cette
machine de guerre contre l’establishment, qui est aussi le meilleur moyen de s’y

37. P. Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1994, p. 242. 38. Digby E. Baltzell, The Protestant Establishment, Aristocracy
and Caste in America, New Haven, Yale University Press, 1964.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

intégrer, en lui apportant de nouvelles ressources et de nouvelles motivations.


Les articles présentés dans ce numéro montrent comment ces processus
d’aggiornamento s’intègrent dans une logique impériale : ce sont des immigrés
comme Soros, ou des étrangers comme Di Tella, qui reprennent le flambeau des
« barons voleurs » pour ouvrir de nouveaux territoires à des dispositifs philan-
thropiques à vocation hégémonique. Ces relais de l’impérialisme symbolique
sont d’autant plus efficaces que la reconversion des affairistes en entrepreneurs
moraux correspond parfaitement à leur trajectoire et à leurs positions, à la marge
d’establishments qu’ils critiquent, tout en sacrifiant aux logiques savantes
et cosmopolites par lesquelles ils se reproduisent.
Parce qu’elles sont un objet de recherche tout à fait fascinant dans ses multi-
ples dimensions, les fondations philanthropiques peuvent aussi servir de leurre.
Certes, leur rôle est crucial, mais elles ne touchent pas pour autant au cœur
des dispositifs de pouvoir. Ces institutions à double face s’inscrivent dans
des hiérarchies sociales et professionnelles qui les cantonnent à des aspects bien
spécifiques, et relativement subordonnés, de la reproduction de l’ordre social
impérial. À cet égard, l’article de Pierre-Yves Saunier révèle que l’effacement,
le désintéressement et la « discrétion agissante » des principaux protagonistes
de l’internationalisation de la public administration sont sans doute moins
la manifestation d’une vertu innée des apôtres de l’universel que la marque
de leur position subordonnée à l’égard des grands lawyers de Wall Street, peu

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désireux de voir leur marge de manœuvre dans le champ de l’État limitée par
une autonomisation trop rapide du savoir et des pratiques administratives.
Dans la même logique, on peut se demander si les fondations, comme celle
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de Soros, sont effectivement en voie de restructurer le mode de reproduction


des élites dirigeantes de la mondialisation, ou, plus prosaïquement, se conten-
tent de former leurs collaborateurs, à la périphérie de l’empire, tout en leur
faisant miroiter des possibilités d’influence ou de promotion.
Lorsque les intérêts vitaux des grandes entreprises américaines sont en jeu,
elles n’hésitent pas à recourir à des manœuvres qui relèvent davantage du coup
de force politique que d’un « impérialisme de la manière douce » (soft imperia-
lism). Ainsi, comme le montrent Drahos et Braithwaite, les dirigeants de Pfizer
ont mobilisé des ressources de l’État américain, mais aussi celles d’institutions
internationales comme l’OMC, pour remodeler tout le dispositif international
de définition et de protection de la propriété intellectuelle en fonction de leurs
intérêts spécifiques. Dans cette histoire exemplaire, la violence d’État est mise
au service d’intérêts privés, pour faire pression sur les pays dont l’industrie des
médicaments généralistes pourrait menacer les profits de Pfizer. On est très loin
des idéaux de progrès et de développement, mis en avant dans les forums inter-

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

nationaux. Pourtant, c’est bien parce qu’ils ont su habiller leurs objectifs commer-
ciaux dans un langage de généralité – celui de la protection de l’innovation comme
facteur de progrès – que ces dirigeants ont réussi à transformer leur stratégie
d’entreprise en stratégie d’État, puis en règle de droit international, grâce à
l’appui apporté par leurs concurrents européens. L’intérêt de Pfizer se confond
désormais avec celui des industries qui investissent dans la recherche scienti-
fique, en la privatisant. Cependant, tout en gonflant les profits des multinatio-
nales de la pharmacie – et en accélérant la fuite des cerveaux au profit des grands
laboratoires nord-américains – aux dépens des industriels et surtout des malades
du tiers-monde, ce nouveau dispositif contribue aussi à ouvrir de nouvelles oppor-
tunités aux fondations. La Ford et ses réseaux ont apporté leur soutien aux
militants des ONG qui ont réussi à faire reculer les multinationales dans les
procès engagés en Afrique du Sud, avant de faire entériner ce modeste acquis lors
des négociations de l’OMC à Doha. Et tout récemment, c’est la nouvelle Fondation
Clinton qui vient de monter un partenariat avec des industriels indiens et sud-
africains, pour faire baisser le prix des thérapies antisida39, conformément à la
tactique éprouvée dans laquelle le gentil flic et le méchant flic se renvoient la balle40
– pour le plus grand profit de l’élite des law firms, dont les seniors conseillent
les multinationales, tout en encourageant leurs cadets à accumuler de l’expertise
et de la légitimité en offrant leurs services aux ONG.
La position dominante des lawyers dans le champ du pouvoir nord-américain,

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comme sur le marché international du droit des affaires41, explique pourquoi
cet impérialisme s’avance sous le drapeau du droit. La stratégie consiste à étendre
à l’ensemble du monde des règles du jeu que les professionnels nord-américains
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maîtrisent d’autant mieux qu’ils les ont conçues, en fonction des exigences et
des besoins spécifiques de leur clientèle de grandes entreprises. C’est donc tout
naturellement que ces offensives se déploient aussi aisément du terrain national
à celui des institutions internationales. On y retrouve, particulièrement à l’OMC,
les mêmes acteurs qui utilisent le même langage42. Et l’existence de nombreux
relais permet, en règle générale, de minimiser le recours à des « canonnières
symboliques », comme la fameuse section 301. Ainsi, lorsque les États-Unis ont

39. Le Monde, 25 octobre 2003. 40. Peter Drahos et John Braithwaite, Global Business Regulation, Cambridge, Cambridge
University Press, 2002, p. 205. Nous en avons décrit un exemple encore plus flagrant à propos du Chili. Ainsi, lorsqu’ils étaient
pourchassés par les sbires de Pinochet, avec l’appui de la CIA, les jeunes intellectuels, jusque-là très antiaméricains, n’hésitaient
guère avant d’accepter les financements de la Fondation Ford – et la protection symbolique que cela représentait. Le paradoxe
est encore plus frappant lorsqu’on réalise que ces deux institutions, qui s’opposaient au Chili par protégés interposés, avaient connu
jusque-là des histoires assez voisines, dans la mouvance du foreign policy establishment auquel appartenait leur personnel
dirigeant. Ainsi, un des piliers de cet establishment, McGeorge Bundy se trouvait à la tête de la Ford, pendant que son frère
William était un des officiers les plus gradés de la CIA (K. Bird, op. cit., 1998 ; Y. Dezalay et B. Garth, op. cit., 2002, p. 258,
note 11). 41. Y. Dezalay, op. cit., 1992. 42. Greg Shaffer, « The Law-in-Action of International Trade Litigation in the United States
and Europe : The Melding of the Public and the Private », working paper, University of Wisconsin Law School, mai 2000.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

adopté, dans le contexte de l’après-Watergate, une législation contre les pots-


de-vin, afin de répondre à l’énorme scandale soulevé par l’affaire Lockheed, leurs
entreprises n’ont pas ménagé leurs efforts pour imposer les mêmes contraintes
à leurs concurrents étrangers. Mais, comme le montre Murielle Cœurdray, cette
offensive commerciale se joue au nom de la transparence et de la lutte contre la
corruption, en empruntant des circuits aussi divers – et complémentaires – que
l’OCDE ou l’ONG Transparency International. Grâce à ce surcroît de légitimité,
elle peut même s’offrir le luxe de recourir à des porte-parole qui manifestent
leur distance avec l’entreprise hégémonique à laquelle ils contribuent, notam-
ment en l’infléchissant quelque peu, afin de satisfaire certaines des exigences de
leurs autres mandants et donner ainsi plus de crédibilité aux prétentions univer-
salisantes de cette offensive commerciale sous le drapeau de la vertu.
À force de les mettre en pratique pour prospérer à l’ombre du pouvoir, les clercs
du droit ont réussi à institutionnaliser leurs stratégies de double jeu : la multi-
plicité des rôles s’inscrit dans la division hiérarchisée du travail juridique et la
neutralité du droit permet aux praticiens de répondre aux attentes de leurs
mandants, tout en gardant leurs distances. Ainsi, Sacriste et Vauchez décrivent
un étonnant « jeu à facettes » dans lequel le même petit groupe de professeurs de
droit joue « successivement ou concomitamment des rôles aussi divers que ceux
de jurisconsulte de leur gouvernement, d’enseignant, d’expert international […]
ou encore de juge à la Cour permanente de justice internationale ». Bien sûr, c’est

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au nom de « la paix par le droit » qu’ils construisent – avec l’aide de la Fondation
Carnegie – des institutions savantes et des mécanismes juridiques qui leur permet-
tent de prendre une relative autonomie à l’égard de leurs gouvernements respec-
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tifs. La promotion de leur expertise se fait au nom des valeurs universalistes dont
ils se réclament. Ils en contrôlent l’offre, mais aussi la demande : leur autorité de
porte-parole juridique des intérêts d’État leur permet d’alimenter eux-mêmes
cette commande publique d’expertise en droit international.
L’émergence d’un champ européen des droits de l’homme s’inscrit dans la
continuité de cette genèse du droit international. La stratégie demeure identique,
mais la faillite des idéaux pacifistes incite à inventer de nouvelles rhétoriques
de l’universel, plus en phase avec le contexte politique international de l’après-
guerre. Comme leurs prédécesseurs, ces nouveaux pères fondateurs sont des
universitaires cosmopolites, soucieux de manifester leurs distances à l’égard de
gouvernements nationaux dont dépend l’essentiel de leurs ressources. Les droits
de l’homme relèvent donc d’abord de la rhétorique politique. Mais la construc-
tion juridique reste piégée dans les affrontements idéologiques de la guerre
froide dont elle s’est nourrie. Et il faut attendre une génération ou presque pour
que cet investissement doctrinal acquière la « force du droit43 », en étant mobilisé

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

dans des luttes professionnelles sur un terrain, pourtant soigneusement écarté


par les pères fondateurs, celui des relations coloniales. La stratégie d’autono-
misation a sa propre logique, qui peut produire des effets de boomerang. Ainsi,
la Cour de Strasbourg, que les hiérarques nationaux considéraient volontiers
comme un simple prolongement de leurs modèles juridiques respectifs, comme
une sorte de vitrine internationale de leur excellence, sert aujourd’hui pour
contester les traditions et les hiérarchies judiciaires des pays signataires. Ce jeu
de renvois pourrait apparaître à première vue surprenant, si l’on ne tenait pas
compte qu’il est aussi l’instrument et le produit de la vitalité de ce nouveau
marché d’expertise juridique.
Cette marge de manœuvre à l’égard des commanditaires nationaux repré-
sente un atout essentiel sur le marché de l’import-export de savoir et d’institu-
tions d’État. Ce n’est donc guère surprenant si tous les experts, qui prétendent
les concurrencer dans l’espace des relations entre États ont imité, avec plus ou
moins de succès, ce savoir-faire du double jeu. Les courtiers de l’international sont
donc tous, à des degrés divers, dans la posture de Mickey jouant au tennis : ils se
renvoient la balle à eux-mêmes (voir infra, P.-Y. Saunier). Mais ils le font avec
plus ou moins d’arrogance ou d’aisance, en fonction du degré d’autonomie et de
structuration du champ international d’expertise auquel ils doivent leur légitimité.
C’est sans doute ce qui fait la spécificité du cas exemplaire de collusion
décrit par Wedel et Chandra. Lorsque des money doctors comme Sachs inter-

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viennent dans des pays d’Amérique latine44, à l’image de la Bolivie étudiée par
Franck Poupeau, ils peuvent s’appuyer sur toute une diaspora de Chicago boys,
qui leur permet de pratiquer ce double jeu avec une parfaite légitimité, car il se
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transforme en jeu de miroir. De part et d’autre, les interlocuteurs parlent le


même langage, mais les docteurs du FMI énoncent leur diagnostic au nom de
la science, tandis que leurs disciples leur répondent au nom de leur propre État.
Ils ont les mêmes outils, mais aussi les mêmes intérêts. Au Nord comme au Sud,
la structure du champ de l’économie savante favorise la mobilité entre la théorie
et la pratique, le public et le privé. Forte de sa légitimité scientifique, l’élite
des économistes combine l’autorité d’État et les profits du consultant, directe-
ment impliqué dans la stratégie des grands groupes financiers. À cet égard,
l’erreur du groupe des consultants de Harvard a sans doute été de vouloir brûler
les étapes45. Après cinquante ans de guerre froide, il n’était pas évident de

43. P. Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences socia-
les, 64, 1986, p. 3-19. 44. P. Drake (éd.), op. cit., 1994 ; Catherine M. Conaghan, « Reconsidering Jeffrey Sachs and the Bolivian
Economic Experiment », in P. Drake (éd.), Money Doctors, Foreign Debts and Economic Reforms in Latin America : from the 1890s
to the Present, Wilmington, Jaguar Books, 1994. 45. Jacques Sapir, Les Économistes contre la démocratie, pouvoir, mondia-
lisation et démocratie, Paris, Albin Michel, 2002, p. 42.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

The White Man’s Burden

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Le juge fédéral William Howard Taft (1857-1930) philippin est ignorante, superstitieuse » et soumise
devient le premier gouverneur civil des Philippines à des « politiciens intriguants et sans scrupules (…)
avant d’être élu président des Etats-Unis, puis de orientaux dans leur duplicité », il est convaincu que
terminer sa carrière comme Chief Justice de la Cour les États-Unis ont un « devoir sacré » de les améri-
Suprême. Faisant siennes les convictions de Rudyard caniser, par une politique de benevolent assimila-
Kipling sur « The White Man’s Burden », Taft est l’un tion qui renforce durablement (jusqu’à aujourd’hui)
des principaux architectes d’une politique d’impéria- les privilèges d’une petite oligarchie de grands proprié-
lisme moral dont les Philippines sont en quelque sorte taires dont le pouvoir repose sur leurs réseaux de
le prototype : puisque la « grande masse du peuple clientèle et leur savoir-faire de juristes.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

Les « protégés vertueux » de la CIA

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Cette photographie du président des Philippines à promouvoir des politiciens aussi bien disposés
Diosdado Macapagal (père de l’actuelle présidente) à l’égard des intérêts américains que pourvus d’une
posant avec son « bienfaiteur », l’agent de la CIA, image de dirigeants moralistes comme Magsaysay
Joseph Burkholder Smith, à qui elle est dédicacée, (un autre « protégé » de la CIA) ou méritocratiques
illustre l’un des paradoxes de cet impérialisme moral comme Macapagal, un fils de paysan devenu juriste
dans lequel les institutions américaines travaillent dans un cabinet américain.

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construire dans l’urgence toute la série des relais institutionnels qui facilitent un
échange, aussi discret que fructueux et légitime, entre l’autorité savante et le
capital financier.
Bien qu’il figure au premier rang des économistes qui s’intéressent aux
questions de droit46, Schleifer, l’un des principaux protagonistes de cette histoire,
ne semble guère en avoir retenu la leçon en matière de division du travail symbo-
lique. Au contraire, comme le montre Marie-Laure Djelic, le fondateur de
McKinsey doit sans doute une bonne part du succès de son entreprise à sa forma-
tion de lawyer. Il saisit l’opportunité ouverte par la nouvelle législation bancaire
du New Deal pour lancer un nouveau secteur d’activités, le conseil en manage-
ment, qui va construire son autonomie et sa légitimité en transposant les recet-
tes sur lesquelles repose la prospérité des grandes firmes juridiques : rationaliser
et rentabiliser le modèle professionnel en lui imposant une logique industrielle,
tout en renforçant sa légitimité par des investissements savants, qui permettent
également d’élargir le recrutement à des nouveaux venus, dont les compétences
et les fortes motivations de réussite se combinent parfaitement avec l’entregent
des héritiers dont ils sont les collaborateurs. Dès l’après-guerre, les consultants
prospèrent en se positionnant comme « missionnaires » d’un capitalisme « à l’amé-
ricaine ». Leur implantation accompagne les investissements des multinationales
américaines. Mais le véritable décollage international de cette industrie n’inter-
vient que vers la fin des années 1980. Soit le temps nécessaire pour fabriquer une

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demande autonome dans les différents espaces nationaux. Pour susciter cette
croyance dans les vertus du management, indispensable au bon fonctionnement
de ce marché symbolique, il a fallu commencer par remodeler – avec l’aide de la
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Fondation Ford47 – les écoles de commerce en business schools, afin de consti-


tuer le management à l’américaine comme un nouveau savoir, aussi hégémo-
nique qu’étroitement imbriqué dans les modèles nationaux de reproduction de
l’élite des affaires48. La logique de ce travail d’universalisation produit des effets
jusque dans le champ du pouvoir nord-américain. Les Indiens ont ainsi fait une
remarquable percée dans le champ américain du management – tant dans les
plus cotées des business schools, qu’à la tête de firmes aussi emblématiques que
McKinsey ou Citibank. La visibilité de ces réussites individuelles renforce l’attrac-
tion du marché professionnel américain, qui réussit à retenir plus des deux tiers
des jeunes étrangers qui viennent y poursuivre des études universitaires. Même
si cette intégration relève de l’effet de mirage, elle contribue néanmoins, comme
on l’a vu à propos de Soros, à faire de ces cadres immigrés les agents les plus
convaincus et les plus convaincants des vertus de cette entreprise hégémonique,
qui tend à universaliser une structuration du champ du pouvoir d’État, modelée
par l’histoire des luttes américaines.

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Yves Dezalay - Les courtiers de l’international

Même si elle reste limitée, cette capacité d’intégration ne doit pas être négligée.
Car elle est une des grandes forces de ce nouvel impérialisme marchand. Elle est
aussi profondément enracinée dans toute une idéologie d’émancipation et de
progrès, qui trouve ses origines dans l’histoire coloniale des États-Unis, avant d’être
relayée par le discours des institutions savantes les plus prestigieuses. Elle est donc
au cœur de ces processus de mondialisation dont on ne peut faire la sociologie
sans s’interroger au préalable sur ce qui en constitue l’un des principaux moteurs :
la force d’attraction des grands campus nord-américains qui accélère l’interna-
tionalisation et l’unification du champ de formation des élites dirigeantes natio-
nales. Cette dynamique savante de la mondialisation explique du même coup
certains de ses aspects paradoxaux : notamment le double jeu de ces héritiers
cosmopolites des bourgeoisies d’État périphériques, dont l’immersion dans ces
campus élitistes facilite la reconversion en entrepreneurs d’une modernité démocra-
tique qui se joue des frontières et se targue même de méritocratie ; mais aussi
plus généralement l’ambiguïté de ces dispositifs hégémoniques où la globalisa-
tion des marchés s’accompagne d’une universalisation des formes américaines de
l’idéalisme civique… jusque dans les stratégies dont s’inspirent quelques-uns des
principaux courants de l’altermondialisation.

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46. Y. Dezalay et B. Garth, La Mondialisation des guerres de palais, op. cit., 2002, p. 262. 47. Giuliana Gemelli (éd.), The Ford
Foundation and Europe (1950’s-1970’s) : Cross-fertilization of Learning in Social Science and Management, Bruxelles, European
Inter University Press, 1998. 48. Gilles Lazuech, « Le processus d’internationalisation des grandes écoles françaises », Actes de
la recherche en sciences sociales, 121-122, mars 1998, p. 66-76.

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