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DOSSIER.

LE TOURNANT POSTCOLONIAL À LA FRANÇAISE


Jim Cohen, Elsa Dorlin, Dimitri Nicolaïdis, Malika Rahal, Patrick Simon

La Découverte | « Mouvements »

2007/3 n° 51 | pages 7 à 12
ISSN 1291-6412
ISBN 2707152749
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Jim Cohen et al., « Dossier. Le tournant postcolonial à la française », Mouvements 2007/3 (n°
51), p. 7-12.
DOI 10.3917/mouv.051.0007
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DOSSIER

Le tournant postcolonial
à la française

L
a France serait-elle en train d’accomplir sa mue postcoloniale ? La révision
du « fait colonial » au sens large semble engagée, à savoir non seulement

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ce qu’a été le colonialisme à proprement parler mais aussi l’empreinte des
rapports de pouvoir coloniaux sur les rapports sociaux actuels, quelques
décennies après la fin de l’empire. Pourtant, ce « moment postcolonial »
a été longtemps retardé. Du passé faisons table rase : cette maxime qui tient lieu
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de vade mecum à la gestion française des pages sombres de son histoire a occulté
les rémanences et échos assourdis laissés par l’esclavage et la colonisation dans les
structures sociales et politiques. Le caractère inachevé de la décolonisation est
encore à inventorier. Des phénomènes convergents témoignent néanmoins d’une
profonde transformation du regard que la société française porte sur l’héritage du
passé colonial et de la prise en compte du poids de ce passé. Si ce moment post-
colonial correspond au tout début d’une reconnaissance par la société française
de la diversité qui la constitue – et qui doit beaucoup aux territoires ex-colonisés
–, les voies de cette prise de conscience sont à la fois diverses et contradictoires.
Le couvercle saute et le refoulé remonte en gros bouillonnements.

Mutations sociales et émergence du postcolonial


Jusqu’au début des années 1990, avec moins de crédibilité au-delà, le discours
républicain dominant a tenté de « normaliser » le processus d’ouverture et de
brassage culturel consécutif à l’installation en France de populations immigrées
issues des ex-colonies. La crise du « modèle français d’intégration » et l’affir-
mation croissante des « minorités visibles » dans l’espace public créent une
situation nouvelle, obligeant médias et décideurs à prendre en compte la dimen-
sion multiculturelle de la société française. Ce changement de regard sur le
statut de l’altérité interagit avec les transformations des relations que la France
entretient avec les pays d’Afrique issus de l’ex-empire, dont les sociétés mani-
festent de plus en plus ouvertement le rejet de la posture néocoloniale affectée
par l’ancienne métropole.

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Qui a peur du postcolonial ?

La prise de conscience du caractère multiculturel de la société française a été accélérée


par le « retour des mémoires coloniales ». Réciproquement, les conditions mêmes de
la remontée des mémoires sont construites par la remise en question du modèle d’in-
tégration. Les discriminations subies, notamment, par les immigrés issus de l’empire et
de leurs descendants ont largement contribué à cette révision. Le « retour des
mémoires » se manifeste sur le mode conflictuel, comme l’a illustré le cas embléma-
tique des « mémoires algériennes », où Français issus de l’immigration, pieds-noirs,
harkis et anciens appelés sont en quelque sorte entrés en concurrence pour faire recon-
naître leur version du récit de la guerre d’Algérie comme partie intégrante de l’histoire
nationale. La loi du 23 février 2005 qui en a été le débouché politique temporaire, tout
comme la loi Taubira (2001) ou l’adoption du 10 mai comme journée commémorative
de l’abolition de l’esclavage en France (2006), montrent à quel point l’État représente,
pour ces groupes intermédiaires, le point d’aboutissement de toute stratégie de recon-

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naissance. Les « lois de mémoire », comme on a pu rapidement les qualifier, traduisent
la volonté de prise en charge, par les institutions étatiques, de l’exigence de reconnais-
sance de la part de catégories de Français trop longtemps relégués, matériellement et
symboliquement, à la marge de la société. Que cette reconnaissance puisse être perçue
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comme une diversion à des exigences de justice sociale illustre l’ampleur des malen-
tendus et la difficulté à dépasser une opposition manichéenne entre question sociale et
question « identitaire » ou « raciale ». Face aux revendications mémorielles, le milieu
académique a adopté une posture souvent très défensive et s’est inquiété de la tra-
duction de questionnements historiques en plate-forme de mobilisation politique. À
peine esquissé, le travail de mémoire sur le passé colonial était déjà disqualifié.
Avec un retard significatif, les sciences sociales et historiques françaises ont fini par
aborder de nouveaux territoires, élaborer de nouvelles problématiques, et en fin de
compte s’intéresser au vaste chantier des « postcolonial studies » et des « subal-
tern studies » ouvert depuis bientôt trente ans dans le monde anglophone, notam-
ment en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Inde. Après la parution en 1978 de
L’Orientalisme, ouvrage pionnier d’Edward Said qui déconstruisait les représenta-
tions occidentales de l’Autre, l’enjeu de ce nouveau courant était d’apporter une
attention particulière au regard et au vécu des colonisés de façon à renverser la
perspective adoptée sur le passé colonial comme sur les traces de ce passé dans le
présent. Que cette littérature ait été redevable de grands précurseurs francophones
(Aimé Césaire, Frantz Fanon, Jean-Paul Sartre, plus près de nous Édouard Glissant,
Leila Sebbar ou Maryse Condé), qu’il y ait eu aussi en France quelques figures iso-
lées engagées dans une démarche comparable (Abdelmalek Sayad), n’empêche
pas de constater que ce courant s’est toujours inscrit à la marge du champ acadé-
mique. Or, l’importance de la thématique « postcoloniale » dans les parutions
récentes, notamment dans les revues, illustre un phénomène, si ce n’est de légiti-
mation, du moins de transposition de théories et de concepts. Signe des temps, les

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Édito

travaux d’auteurs comme Stuart Hall et Paul Gilroy sont enfin traduits en français.
Reste que ce mouvement s’est heurté à une forte résistance de la part de tous ceux
qui, au sein des sphères politique, médiatique ou académique, ont pu avoir le sen-
timent que la recomposition de repères consécutive à ce changement de perspec-
tive mettait à mal leurs convictions et positions. Le front d’opposition aux postcolo-
nial studies est loin d’être homogène. Au contraire, il fédère des acteurs aux intérêts
et aux backgrounds très éloignés, voire antinomiques. Il est ainsi difficile de relier
entre elles les réactions presque unanimement hostiles à l’encontre du mouvement
des « Indigènes de la République », sinon dans leur utilisation commune de l’argu-
ment d’autorité, comme si le discrédit, l’ostracisme et la délégitimation de ces vilains
petits canards de l’hyper-critique relevaient de l’évidence. À côté du classique ana-
thème de « communautarisme », on aura abusé de l’opposition entre « question
sociale » et « question raciale », notamment dans le contexte des émeutes de

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novembre 2005. Comme si ces deux dimensions n’étaient pas étroitement liées. En
même temps, ces débats et controverses intellectuels et politiques ont été l’occa-
sion de questionner des sujets réputés délicats, voire scandaleux, notamment la
notion de « race » (avec ou sans guillemets), le rapport entre immigration et racia-
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lisation, la notion d’« hybridité » des identités, l’imbrication des dominations de


genre, de couleur et de classe dans la postcolonie, ou encore la continuité des struc-
tures mentales et des imaginaires associés à la domination coloniale.

Sortir des malentendus


Sur ces différents fronts de débat, le malentendu est omniprésent et les polémiques
sont parfois violentes. L’une des raisons tient sans doute aux protocoles incertains et
flottants de l’usage dans la sphère publique des connaissances issues de la recherche.
Quel est l’espace légitime du débat « scientifique » ? Comment, dans quelles condi-
tions, est-il admissible de mobiliser des connaissances historiques pour construire des
argumentaires politiques ? Ces questions se posent avec acuité à l’heure où, face à
la salutaire confrontation de la République à son passé colonial et l’actualité des dis-
criminations raciales, certains, à gauche comme à droite (mais surtout à droite) tien-
nent à défendre coûte que coûte l’intégrité de son image. Le spectaculaire retour en
force de la fierté nationale pendant la compagne présidentielle et sa déclinaison
autour de l’« identité nationale » érigée en fétiche gouvernemental témoignent de
la crispation provoquée par les remises en cause de ces dernières années.
Si le postcolonial fait réagir et fédère contre lui, que propose-t-il qui puisse défi-
nir un répertoire d’action ou une référence théorique ? S’il est vrai que le tour-
nant postcolonial signifie d’abord l’ouverture – réelle mais non sans heurts –
d’un espace de débat critique sur la nature du lien social et du pouvoir aujour-
d’hui, il n’incarne aucune orientation politique ou idéologique précise. Il faut le
rappeler avec force : la pensée postcoloniale n’est pas autosuffisante et n’a pas

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Qui a peur du postcolonial ?

prétention à embrasser l’ensemble des contradictions pour les résumer en une.


L’adhésion à une problématique postcoloniale suppose de prendre très au sérieux
l’inscription raciste dans la construction des inégalités sociales, mais elle n’implique
aucune détermination systématique en faveur d’une politique de réparation de
type « discrimination positive ».
L’ouverture au postcolonial engage à considérer des formes d’auto-organisation des
minorités comme un passage nécessaire et légitime dans l’action politique, notam-
ment pour lutter contre les discriminations, sans que cela n’implique de soutien sys-
tématique et a-critique à toute expression identitaire des minorités en France.
L’ouverture au postcolonial ne signifie pas qu’on ait nécessairement un point de
vue déterminé sur le statut de l’islam en France, ou sur l’usage du voile, ou sur les
contours précis de la laïcité, mais elle traduit certainement une opposition à toute
discrimination anti-musulmane, une méfiance par rapport aux lois qui visent sans

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le dire une communauté religieuse, une volonté de mieux connaître les racines –
contemporaines, coloniales et même précoloniales – des attitudes islamophobes
dans l’imaginaire français.
L’ouverture au postcolonial ne signifie pas qu’on soit frontalement opposé à ce
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qu’il est convenu d’appeler le modèle républicain français, mais elle signifie à coup
sûr une volonté de comprendre cette référence normative dans un certain
contexte historique, de saisir la manière dont, dans ses énonciations les plus rigides
et dogmatiques, elle tend à occulter les rapports de domination en décourageant
un traitement sérieux et systématique du problème des discriminations.
L’ouverture au postcolonial n’implique, enfin, aucune position normative précise sur la
manière dont l’État devrait interpréter l’histoire et reconnaître des mémoires collectives,
mais en revanche elle prend très au sérieux les discussions sur l’héritage du colonialisme
et de l’esclavage, en refusant l’idée que la reconnaissance de ces formes de domina-
tion et d’oppression conduirait automatiquement à verser dans la « victimologie », la
« concurrence des victimes », la « repentance » ou le « communautarisme ».

Comprendre la mue postcoloniale en France


Ainsi, nous avons d’abord voulu, dans la première partie de ce dossier, aborder la
« question postcoloniale » au second degré, en nous interrogeant sur les condi-
tions d’émergence du débat. Qu’est-ce qui explique la violence des controverses
en cours ? Les réfutations et critiques contre le postcolonial sont-elles liées au
contenu même des propositions, aux concepts et axes théoriques utilisés, aux posi-
tions politiques, sociales et académiques des différents acteurs ?
La difficulté à mener le travail de mémoire autour du passé colonial – introspec-
tion qui contribuerait à refonder le contrat social et à réduire le fossé entre le
mythe national-républicain et la réalité sociale –, pose la question de la nature de
ce processus de dévoilement, notamment au regard du travail de mémoire qui a

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Édito

été mené sur Vichy et le sort des Juifs de France sous l’occupation. Les usages de
l’histoire dans ce travail de mémoire sont clairement mis en question dans les deux
cas. L’histoire doit-elle aider à consolider les mémoires ?
Plusieurs auteurs qui commentent cette situation dans notre dossier sont égale-
ment acteurs du débat, que ce soit dans le domaine proprement universitaire ou
dans la sphère politique. Notre seul parti pris dans ce débat postcolonial consiste
à l’aborder sans exclusive. Les enjeux sont loin d’être seulement théoriques. Par le
débat postcolonial à la française se formulent de nouvelles interprétations critiques
de l’histoire – l’histoire coloniale elle-même, ses prolongements possibles dans
l’histoire contemporaine, mais aussi la question de l’usage des connaissances his-
toriques dans la construction d’une mémoire publique de ce que fut la domina-
tion coloniale pour les peuples qui l’ont subie.
Si la France et son complexe (post) colonial sont au centre du dossier (mais la Belgique

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y figure aussi, en contrepoint), nos horizons sont loin d’être strictement hexagonaux
ou même francophones. Plusieurs textes ouvrent en direction des Amériques, de la
Grande-Bretagne, de la Caraïbe, de l’Afrique et du Moyen-Orient, démontrant ample-
ment que le débat postcolonial, quelles que soient ses formes d’apparition dans tel
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ou tel pays, relève d’emblée de l’espace transnational et mondial.

Discuter les mots pour mieux déplacer le regard


Le débat achoppe en premier lieu sur les notions utilisées et l’approche délibéré-
ment décalée des études post-coloniales. La nécessité de décaler le regard est à
l’origine même de l’approche postcoloniale puisqu’elle cherche à faire apparaître
un impensé radical enfoui dans les rapports sociaux, masqué par les représenta-
tions dominantes. Il s’agit de dévoiler la prégnance de l’héritage colonial sur la
nature du système-monde – ce qu’Aníbal Quijano condense dans son concept de
« colonialité du pouvoir ». Il y a nécessité de discuter ces notions encore en
construction, qui ne font toujours pas consensus, mais qui donnent à voir autre-
ment les rapports de domination fondés sur des structures sociales et mentales
héritées de l’expansion européenne.
Si le postcolonial est d’abord, au sens littéral, ce qui vient « après le colonialisme », la
première vertu de ce mot est d’exprimer un paradoxe : « après le colonialisme », au
moment des migrations qui marquent « l’explosion du monde impérial hors de ses
frontières » (Stuart Hall), il peut rester un « après-colonialisme », une « postcolonie »
(Mbembe) qui survit au colonialisme et le perpétue, selon des formes renouvelées. Bien
sûr, il n’est pas simple de déterminer ce qui relève, à l’époque contemporaine, du colo-
nial dans les rapports sociaux. Il n’est pas indifférent que l’essentiel des controverses
entre historiens, sociologues, anthropologues et politistes porte sur les continuités et
les discontinuités entre le colonialisme et le postcolonial, dans les institutions, dans les
pratiques sociales, dans les structures mentales, les formes culturelles et les imaginaires.

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Qui a peur du postcolonial ?

Avec notamment la traduction inédite d’un texte pionnier d’Ella Shohat paru en 1992
et souvent repris dans les anthologies sur les postcolonial studies, ou encore un entre-
tien exclusif avec Paul Gilroy, célèbre militant et écrivain issu des cultural studies
anglaises et auteur de L’Atlantique noir (traduit en français en 2003, dix ans après sa
publication en anglais), nous voulions apporter, dans la seconde partie du dossier, des
éléments de référence pour comprendre le courant de pensée post-colonial, en contre-
point des débats. Ce courant de pensée est loin d’être unifié et se laisse difficilement
résumer. L’entretien avec Achille Mbembe témoigne en ce sens d’un renouveau de ces
problématiques à l’aune d’un questionnement original, plus ancré dans des disciplines
comme la philosophie, sommant cette dernière à penser sa propre contemporanéité.
Le point commun des « études postcoloniales » est sans doute de servir de boîte à outil
pour contrer les visions rigides des frontières identitaires, les mécanismes de sélection
qui condamnent les uns à rester dehors (hors frontières), les autres à subir les effets des

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catégorisations, des distinctions (de classe, de race, de genre), des discriminations et
des stigmatisations qui sont en partie – beaucoup plus qu’on ne l’admet généralement
– liées à un héritage colonial, à des hiérarchies sociales et des représentations anciennes
et tenaces. Elles inaugurent aussi, en lien avec un agenda politique brûlant, de nou-
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velles postures épistémologiques, dans un contexte académique et social antagonique,


où la question de « qui parle? » – au nom de qui (« eux / nous ») ou de quoi (de l’au-
torité scientifique, de l’objectivité, de la « subalternité », de la rage, de la mémoire des
luttes…)? Et selon quelles ressources symboliques (la « blanchitude » qui ne se dit pas,
la science…) ou bénéfices en retour –, demeure des plus pertinentes.
Alors qui a peur du postcolonial ? Il n’y a pas de réponse simple à la question qui
ouvre ce dossier. Pas d’ennemi principal à dénoncer, sinon l’impensé colonial qui
ronge la société française et les hiérarchies sociales dont il assure la pérennité dans
une « continuité discontinue ». Pas de complot républicain à découvrir, mais une
difficulté spécifiquement française à revisiter les fondamentaux de la République
et à les confronter aux faits de sa propre historicité. La décolonisation n’est pas ter-
minée, nous le savons, c’est le principal message porté par le postcolonial. Ce mes-
sage, il est urgent d’en prendre acte contre les tenants d’une « identité natio-
nale », qui veulent la rendre plus fréquentable parce que prétendument fière de
sa nouvelle multiculturalité, affichée dans les ministères. Penser la France postco-
loniale, c’est précisément re-politiser ces identités, s’attacher à leur conflictualité,
pour construire leur convergence. Ce numéro est donc une critique radicale qui
invite à déconstruire nos structures de pensée et d’action pour les débarrasser du
pli colonial sur lequel se fondent le racisme et les discriminations aujourd’hui.

DOSSIER COORDONNÉ PAR


Jim Cohen, Elsa Dorlin, Dimitri Nicolaïdis, Malika Rahal et Patrick Simon

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