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LE SYSTÈME FISCAL EST-IL RÉFORMABLE?

Cosimo Winckler

La Découverte | Regards croisés sur l'économie

2007/1 - n° 1
pages 101 à 103

ISSN 1956-7413

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2007-1-page-101.htm
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Pour citer cet article :
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Winckler Cosimo, « Le système fiscal est-il réformable? »,
Regards croisés sur l'économie, 2007/1 n° 1, p. 101-103. DOI : 10.3917/rce.001.0101
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Encadré 101

Le système fiscal
est-il réformable?
Par Cosimo de RCE

Un système fiscal ne se renouvelle pas du jour au lendemain. Voilà une proposi-


tion simple, mais qui a pourtant des implications importantes dans l’analyse de
la fiscalité. Au centre de cette constatation se trouve la notion fondamentale de
« sentier de dépendance », utilisée par le courant dit « néo-institutionnaliste » en
sciences politiques.
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L’idée de « sentier de dépendance » vient initialement de l’économie, avec
l’article fondateur de P. David (1985) « Clio and the economics of QWERTY ».
David montre que malgré l’existence de claviers plus efficients, nous avons gardé
une forme de clavier qui était au départ conçue pour ralentir le rythme des dac-
tylos, afin d’éviter que ces dernières ne cassent les machines à écrire. Le coût du
changement étant trop élevé, l’ancien système de claviers est resté. Le même type
de raisonnement peut s’appliquer aux institutions : une fois en place, une institu-
tion est créatrice de logiques qui la maintiennent, et rendent toute transformation
très difficile. Il y a un phénomène de « dépendance au sentier » (path dependence
en anglais).

Le Petit Encadré
C’est ce qu’a montré Paul Pierson lorsqu’il s’est intéressé aux programmes de
démantèlement de l’Etat-Providence prônés par Reagan et Thatcher (Dismantling
the Welfare State, 1994). Alors même que Reagan et Thatcher disposaient des res-
sources politiques pour mettre en oeuvre ce désengagement massif (majorité aux
Chambres, syndicats et oppositions affaiblis, remise en cause des succès de l’Etat-
Providence), ils ne sont pas parvenus à éliminer les dispositifs de retraite essen-
tiels de leurs pays (même si leurs actions auront des conséquences à plus long
terme). C’est une parfaite illustration des phénomènes de dépendance au sentier
dans les Etats Providence. La « grande réforme », donc la rupture dans la logique
d’ensemble du système en place, n’est pas possible dans le cadre que nous décrit
Pierson : le changement ne peut se faire qu’en tenant compte des institutions déjà
en place.
102 Encadré

L’observation du système fiscal américain illustre ce schéma : depuis la Seconde


Guerre Mondiale, le système de taxation américain s’est maintenu dans ses grands
traits, et le fait que le Tax Reform Act de 1986 ait été largement remis en cause
dans ses implications concrètes confirme l’existence d’une dépendance au sentier.
C’est à l’occasion de crises importantes, comme les guerres mondiales ou la crise
économique de 1929, que les principaux outils de taxation américains sont nés,
et que les réformes majeures ont eu lieu. Le sentier de dépendance n’a évolué
que par à-coups, toujours aux grands tournants historiques américains. Ainsi, la
guerre de Sécession a introduit une première révolution dans les revenus fiscaux
de l’Etat fédéral : après la guerre civile, la taxation des biens de consommation
prend le pas sur la taxation des produits importés. La Première Guerre Mondiale
a permis l’introduction d’un nouvel instrument, et par là un changement radical
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de perspective : c’est l’instauration de l’impôt sur le revenu, demandée par les
progressistes depuis la fin du XIXe siècle. Les crises suivantes ont pris appui sur
ces acquis. La crise de 1929 a permis à Roosevelt d’introduire de nouvelles taxes,
et d’augmenter la progressivité de l’impôt. La Seconde Guerre Mondiale, dernier
moment de rupture, a vu l’extension de l’impôt aux classes moyennes.

L’échec de la réforme de 1986 illustre un fait fondamental : l’expansion d’une


institution est une opération complètement distincte de son démantèlement, et
celui-ci est bien plus difficile, comme le montre Pierson pour l’Etat-Providence
en Angleterre et aux Etats-Unis. Une réforme de ce genre engendre, en effet,
deux types de coûts : un coût financier lié à sa mise en place d’une part, des coûts
Le Petit Encadré

politiques liés aux changements qu’elle induit de l’autre. Or les partis politiques
cherchent généralement à éviter les critiques, et à trouver des soutiens au sein des
institutions comme dans le grand public.

Cela signifie-t-il qu’un système fiscal ne peut évoluer qu’au moment de grandes
crises institutionnelles ? Non, bien entendu ; mais en dehors de ces occasions,
l’évolution est lente : les modifications se font généralement à la marge, par la
création de nouveaux instruments fiscaux qui viennent cohabiter avec les outils
déjà en place. Il faudrait donc préférer le terme de régime fiscal à celui de système
fiscal, puisqu’il s’agit d’un ensemble d’outils, de logiques et de règles fiscales dont
la cohérence d’ensemble n’est jamais parfaite. Dans ce nouveau cadre incrémental
dépassant celui de la reproduction institutionnelle de Pierson, il s’agit de com-
prendre les changements, et donc tout d’abord de les repérer. On peut pour cela
distinguer, en reprenant le schéma de Peter Hall (1993), trois grands ordres de
changement : un changement dans le niveau d’utilisation de certains outils en
Encadré 103

place (l’augmentation ou la diminution de l’impôt sur le revenu), l’introduction


de nouveaux outils respectant la logique du régime précédent, et l’introduction de
nouveaux outils étrangers à la logique initiale (comme ce fut le cas quand l’impôt
sur le revenu fut introduit).

Tout changement important nécessite d’établir auparavant un constat d’échec


ou de dysfonctionnement des outils en place, et de proposer d’autres possibilités.
C’est ce qui est arrivé pour la Tax Reform Act de 1986. Une crise est donc une oc-
casion de changement pour les acteurs opposés au régime en place. Mais pour
qu’elle ait lieu, il est nécessaire qu’il y ait eu en amont une transformation des
croyances, des représentations et des pratiques des acteurs, et qu’il existe un cer-
tain accord entre acteurs politiques, acteurs des administrations, et acteurs du
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monde scientifique (qui fournissent la base intellectuelle justifiant les modifica-
tions). C’est ici tout un travail cognitif qu’il faut prendre en compte, en plus des
enjeux de pouvoir soulignés par des analyses plus classiques.

Comprendre l’évolution d’un régime fiscal exige donc de prendre en considéra-


tion plusieurs éléments, tant séparément que dans leurs interactions. On peut en
isoler cinq : le sentier de dépendance déjà en place, les occasions de réforme et
les éléments préalables leur ayant permis d’avoir lieu, les réseaux d’acteurs qui
résistent et promeuvent la réforme, le fonctionnement de ces réseaux, et finale-
ment les idées, représentations et croyances, ainsi que leur rôle dans les processus
cognitifs.

Bibliographie
Le Petit Encadré
W. Elliot Brownlee (2004), Federal Taxation in America: A Short History, Cambridge University Press.
Paul A. David (1985), « Clio and the economics of QWERTY », The American Economic Review.
Peter Hall (1993), « Policy Paradigms, Social Learning and the State : The Case of Economic Policy-
making in Britain » dans Comparative politics.
Junko Kato, Regressive Taxation and the Welfare State: Path Dependence and Policy Diffusion (2003), Cam-
bridge University Press.
Paul Pierson (1994), Dismantling the Welfare State : Reagan, Thatcher, and the Politics of Retrenchment,
Cambridge University Press.
Wolfgang Streek et Kathleen Thelen (dir.) (2005), Beyond continuity : Institutional change in advanced
political economies, Oxford University Press.

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