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L'ÉCRITURE CRÉATIVE, UNE PRATIQUE NOUVELLE ?

Josette Gélin et Dominique Roué

Armand Colin | « Le français aujourd'hui »

2001/2 n° 133 | pages 75 à 84


ISSN 0184-7732
Article disponible en ligne à l'adresse :
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L,ÉCRITURE cRÉATME't
UNE PRATIQUE NOUVELLE ?
Par Josette CÉt-ltl et Dominique ROUÉ

La Bruyère : < Tout est dit, et l'on vient trop tard... )

Création... ? Invention... ? Imagination... ? Le )O(I' siècle serait-il


celui de la régression ? A entendre certains Cassandres éplorés, un vent
mauvais soufflerait sur les lycées et affolerut les enseignants de français.
Il s'agirait de modifier les pratiques d'écriture existanres et d'introduire

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une pfoportion d'écriture < d'invention et d'imagination > dans les
classes, voire de l'évaluer aubaccalautéat, nen de moins. Et I'on voit re-
surgir le débat qui a agjté les collèges, il y a vingt ans : ne va-t-on pâs
évaluer la subjectivité de l'élève, sa personnalité ? Ne va-r-on pas piéger
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nos lycéens, surtout ceux des milieux sociaux défavorisés ? Peut-on éva-
luer l'écriture dite dlnvention et d'imagination ? Selon quels critères ?
L'école ne va-t-elle pas scolariser l'imagination et créer de nouveaux
dogmes ? Les attaques sont nombreuses et multiples : répétition stérile
des travaux de collège, mânque de rigueur et d'effort, infantilisation ou
au contraire exercices trop ambitieux. Lire du texte < d'invention et
d'imagination > - ce qui se pratique quotidiennement dans les lycées -,
oui. En écrire, c'est auffe chose... Ce qui semble aller de soi pour la lec-
ture n'est pas toléré pour l'écriture. Iienseignement de textes anciens ou
contemporains difficiles d'accès comme Montaigne, Pascal, Racine ou
Michaux suscite moins d'états d'âme... L'accès de tous à la lecture de
toutes les formes d'écrits est un acquis. Il n'en va Das de même oour
l'écriture. Blocage idéologique et affecnf ? Sans do.rte. Et si Ie p"rrrg.
à l'écriture était une véritable prise de pouvoir, un réel passage à l'ac-
tion ? L'absence de formation didactique dans ce domaine n'est pas né-
gligeable non plus. Le transfert de la lecture à l'écriture ne se fait pas,
ou se fait mal. Les savoirs construits en classe sont mal réinvestis, qu'ils
soient d'ordre littéraire et culturel ou d'ordre linguistique et poétique au
sens large.

Regard vers les années passées


Création ? Invention ? Imagination ?... Quel mot privilégier ? Nous
ne reviendrons pas sur les discussions techniques en cours, aussi pro-
ductives et nécessaires soient-elles. Nous garderons néanmoins l'ex-
pression < écriture créaive ) par commodité, car elle nous semble en-
glober des réalités plus vastes que le mot < invention >, réservé à l'étude
1b Le Français aujourd'hui n' '133, < Dæ réformæ en pnatiquæ r

des genres et des registres dans les nouveaux programmes. L'objet de


notre propos sera, avânt touq de rappeler quelques principes élémen-
taires et de décrire des expériences de classe car, à y regarder de plus
près, l'écriture créative au lycée ne constitue pâs une radicale nouveauté.
Remémorons-nous quatre exemples.
. Les lecteurs fervents duFrançais a@oard'bui ont peut-être encore en
mémoire le JAC ou Jeu académique de lecture qui s'est déroulé
- -
dans I'académie de Caen entre 1988 et 7994t.Uopération, qui repo-
sait sur le dynamisme de quelques-uns et le bénévolat de beaucoup,
visait à mettre en ceuvre ( une conception active de Ia lecture-plai-
sir > qui < trouvait son fondement dans une approche collective et
ludique des livres, capable de constituer ou consolider chez les
élèves une culture de l'écrit >. Conviés à produire des textes à domi-
nante fictionnelle, des questionnaires de lecture, la règle d'un jeu et
la notice technique permettant sa fabdcation ou le scénario d'une
BD, les élèves écrivaient, certes, pour apprendre à écrire mais aussi

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pour inciter leurs destinataites - des élèves d'auttes classes - à rêah-
ser des tâches précises : fabriquer un jeu, répondre au questionnaire
concernant un livre lu, résoudre une énigme ; au plaisir d'écrire visé
par l'orientation ludique des propositions d'écriture s'ajoutait la sti-
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mulation née de la nécessaire prise en compte de consignes rigou-


reuses.
. Moins tourné vers le jeu mais tout aussi stimulanq un groupe de for-
maionf acion s'esg dans la même aczdêmie, penché en 7993 sur les
heures spécifiques de français dans la filiète L. Cette année-là figo-
ral:t au programme la lecture d'une tragédie de Racine. Animés peut-
être par la prémonition de ce que préconiseraient quelque sept ans
plus tard les Docwments d'accompagnement des programmes de se-
conde', des ptofesseurs qui cherchaient des moyens de faire repérer
les dominantes du code de Ia tragêdte classique ont imaginé de faire
lire en parallèIe une scène d'exposition de Racine et les premières
scènes de Ronéo et Juliette, de Tartffi et d'Hernani. Après I'identifica-
tion des caractéristiques du genre, ils proposaient une activité
d'écriture dont l'objectif était bien que les éIèves s'approprieng par
la transposition, < des particularités de style, de genre et de re-
gistte > : il s'agissait d'écrire un prologue, à la manière de celui de
Ronéo et Juliette, pour une autre pièce connue. Cette séquence pré-
voyait par ailleurs la lecture des cinq premiers paragraphes de la pré-
face de Britannicus et mettâit ensuite les élèves en situation 6s 1{diger
le texte critique auquel répond Racine, en essayant de lui donner un
ton vivement polémique.
. Et du côté de l'institution ? Feuilletons au hasard le fascicule intitulé
Aifu à /'éualaation, tome 2. Un
exercice propose l'écriture d'une se-
conde description de la maison du vieil abbé Maucombe dans la

1. Cf. FA n" 93, p. 65.


2. Ibid",p. 52,1,52.
L'furifure créative, une pratique nouvelle ? 77

nouvelle < L'Intersigne >> de Villiers de L'Isle-Adam ; à la suite d'une


première évocation inspirant L p"i" et le recueillement, on demande
de donner une impression lugubre, sinistre et inquiétante et d'insé-
rer le texte produit entre deux passages du nouvelliste. Si l'activité
peut être envisagée sous l'angle d'un apprentissage de l'écriture
savoir constituer un cadre spatio-temporel, des ensembles lexicaux,
-
assurer la cohérence textuelle... -, elle peut aussj, par un jeu de va-
et-vient, affrner. la lecture analytique de fextrait, dans le cadre d'un
groupement de textes centré sur l'étude de la description.
. Il y eut même un temps, celui des Annales
Tpro pour I,EAR où lon
a pu voir s'établir entre écriture créative et examen l'ébauche de liens
qui, depuis, se sont singulièrement distendus. C'étuten janvier 1996.
Quel travail d'écriture y proposait-on pour faire suite à la lecture
d'un extrait du Neaeu de Rameau ? < Imaginez la réplique que pourrait
développer le philosophe GVIOD en réponse aux derniers propos du
neveu (LUD.> La consigne, sans doute, restait bien peu définie mais

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Ies < éléments de réponse > qui suivaient envisageaient une précision
qui aurait pu, ou dû, la compléter : < Il conviendra naturellement de
conserver la situation d'énonciation imaginée par Diderot : le philo-
sophe doit pader à la première personne et désigner le neveu de
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Rameau par le pronom anu.r. > Autre tentative, timide et polynésienne


il est vrai : un sujet de septembre 1996 proposaiq après la lecture
d'une lettre de Jean-Jacques Rousseau à Madame de Francueil,
d'imaginer les arguments que celle-ci avait pu utiliser contre lui et,
en la même saison, les candidats d'Antilles-Guyane onr été priés de
dire quel personnage de LÉcok des maris (I, 1) ils auraient rËndu ri-
dicule, pourquoi et pff quels moyens de mise en scène.
Modestes et sans doute un peu marginales, les pratiques d'écriture
créative au lycée ont donc déjà une existence avérée. Elles ne de-
mandent par conséquent qu'à croître et embellir, à condition que
l'on respecte quelques principes.
Le premier de ces principes est de varier les activités et les dé-
marches. L'écriture est un jeu combinatoire complexe aux multiples
possibilités. En ce domaine, I'imagination de l'enseignant doit pri-
mer. Mais quelques points nous paraissent essentiels. Tout d'abord,
les exercices d'écriture doivent offtir des situations d'énonciation
précises. L'une des compétences fondamentales que I'EAF pourrait
d'ailleurs exiger des élèves serait la capacitê à construire une situa-
tion d'énonciation en fonction d'un projet de communication. Cette
exigence, affirmée par les nouveaux progfammes, est dans les faits
trop rarement celle des manuels scolaires et des sujets d'examen. Or,
on ne peut écdre efficacement que si l'on sait à qui on destine un
écrig et au nom de qui et de quoi l'on pade. Que le destinateur et le
destinataire soient réels ou fi.ctifs, il importe avant tout de se les re-
présenter, voire de les construires. Ensuite, il paraît capital de tenir

3. Voir larticle de J.-A. HuvNH, < L'invention dans fargumentation >, I_,e kançais au,pur-
d'hui, n" 127,p.60-70.
78 Le Français aujourd'hui n" 133, < Dæ réformes en pnatiques I

compte de l'état des connaissances des élèves et des représentations


qu'ils se font de la littérature et de la langue. Que savent-ils de tel
genre ou de tel registre ? Quelles fotmes littéraires n'ont-ils pas en-
core pratiquées ? Quel degré de maîtrise ont-ils de telle ou telle
forme de discours ? C'est alors que la lecture et le travail sur la
langue prennent tout leur sens. L'alternance de temps d'analyse et de
démontage de textes puis d'écriture ou de réécriture favorise une
réelle appropriation des savoirs : comment les auteurs ont-ils âit ?
Où réside leur singularité ? Ce va-et-vient permanent entre lecture
et écriture facilite la constitution d'une véritable culture hnéture par
une appropriation consciente de modèles de référence à imiter ou à
dépasser. Il permet aussi à l'enseignant de contrôler et de vérifier
l'apport des outils qu'il met en place, et d'envisager une complexi-
fication graduelle des apprentissages. Enfin, en matière d'écriture,
une réflexion sur le processus et les démarches choisies semble aussi
nécessaire qu'une seule analyse des productions finales. Pour ce

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faire, n'hésitons pas à fzue, colnme J.-C. Chabanne et A. Dunâsa,
l'éloge du temps, du bricolage et du tâtonnement. Acceptons dans
le même élan les essais et les ratages cotnme éléments de moments
d'apprentissage en cou.rs, et encourageons les réussites, aussi mo-
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destes puissent-elles sembler.

Et maintenant ?

Pour illustrer ûotre propos, nous voudrions maintenant développer


deux démarches mises récemment en æuvre dans des classes de se-
conde.
< En faig ce gârçon c'est un peu moi. > (A,nthon5 élève de secondeT
La première, eui rt'a en soi rien d'original est l'écriture d'une nouvelle.
Très vite en début d'année est proposée une séquence qui croise au
moins deux rubriques du prograrnme : < l'étude d'un genre et de re'
gistres > ; < écrire, publier, lire aujourd'hui >. L'objectif principal est de
travailler la nouvelle, en tant que forme littéraire (par différence avec le
roman) et les registres réaliste et fantastique. Dans un premier temps,
quelques nouvelles sont étudiées en classe, chacune sous url angle pré-
cis : la nouvelle ( instant > (< L'inspiration > de D. Boulange4I-t Chemin
d.es Caranks),la nouvelle à chute (< La Parure > de Maupassânt),le mé-
lange des instances narratives (< Fille Iisant à l'atèt de bus > dâ. Sau-
mont, ApràJ), les caractéristiques d'un registre (< La cafetière > de
Gautier, < Le grand Michu > de Zola), les hésitations sur le
registre (< Quand Angèle fut seule > de P. Mérigeau)... Des lectures cur-
sives de recueils des XIX' et XX' siècles accompagnent ce premier tra-
vail d'analyse. L'écriture de nouvelles, fantastiques ou réalistes au choix,
est lancée dans un deuxième temps. Elle cherche à évaluer les acquis et

4.J.-C. CHaoanNt & A. DuNas, < La créativité ordinaire >, I-.e Français aujourd'hui, n" 1'27,
p.17-2s.
fécriture créative, une pnatique nowelle ? 79

à assurer, par un passage à l'écriture, une meilleure maitrise des notions


consffuites.
L'écriture est impulsée par une série de déclencheurs proposés par le
professeur, série complétêe pat les élèves lors d'une séance de remue-
méninges : 1) des titres de nouvelles prélevés dans des recueils authen-
tiques, sans que les élèves en soient informés (< La disparition d'Honoré
Subrac ,r, ,, La signature >, ,, Le reflet ), < Les destins minuscules >,
< Photo de classe le texte de R. Matheson, ( Le jeu du bou-
"...);2)
ton >, interrompu en son milieu, ce qui laisse ouverte la possibilité de
poursuivre dans deux directions différentes ; 3) des faits divers, des
photos... Les déclencheurs sont une aide aux élèves qui se disent sans
imagination. Libre âux autres de se trouver un point ae aepart seuls, si
leur muse est bienveillante. Invités àrêvêler d'où leur est venue leur idée
de départ, les élèves disent par exemple avoir croisé une image ou un
des titres proposés avec leur vécu personnel : passion de l'un pour
I'Egypte, influence de lectures personnelles pour d'autres (Paroles dt poi-

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/us, æuvres de Maupassant, de Mérimée ou de Vercors, quotidien régio-
nal déjà ancien). Et puis encore : le dernier cours de géographie où il a
été question de I'immigration clandestine actuelle aux Etats-Unis, une
émission documentaire àla télévision (Cbst par sorcier), une promenade
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dans une brocante...


Une fois le premier texte ébauché, les élèves sont invités à prendre
connaissance d'un dossier constitué par le professeur sur le < métier >
d'écrivain à notre époque : montâge d'interviews, d'enquêtes, d'extraits
de correspondance ou de récits autobiogaphiques. Ce dossier com-
porte notamment un volet sur la difficulté d'écrire et sur les relations
des auteurs et de leur éditeur. Très souveng les écrivains se plaignent de
leur maison d'édition, surtout lorsqu'ils viennent de la quitter ! De leur
côté, les éditeurs tentent de justifier les critères d'appréciation des ma-
nuscrits quTs reçoivent. Finalement, qu'est-ce qui fait un bon texte ? Sa
singularité et son originalité ? Son adéquation à une collection, aux at-
tentes supposées du lectorat ? Sa longueur et lâ construction du récit ?
La mise au jour de ces critères, souvent flous et subiectifs, étonne les
élèves, soudain conscients de détenir des clés qui leur avuent échappé
et d'explorer un domaine jusque là inconnu : f institution littéraire. A
leur tour, ils négocient une liste de critères de réussite, une liste âpre-
ment discutée et certes discutable, puis ils échangent leurs textes en
petits comités de lecture, lisent, évaluent, blâment ou apprécient. Enfin,
après une réécriture de leur propre texte, i1s sont invités à commenter
leurs choix scripturaux : quelle démarche ont-ils adoptée ? Que pen-
sent-ils avoir sciemment écrit ? Tel élève se revendique de Vercors, tel
autre de Maupassant :
<J'ai lu récemment un recueil de nouvelles fantastiques de Maupassant et
ie peux dire qu'il m'a beaucoup influencé sur le choix de la forme litté-
raire : le journal intime ('Iæ Hoda') et sur le choix du protagoniste car la
folie était le point fort de ce grand écrivain. Je ffouve que le "réel fantas-
tique" est le meilleur choix d'écriture (e respecte les autres formes) car il
80 Le Franpis aujourd'hui n" 133, < Dæ réformæ en pratiquæ r

est à la limite du réalisme et peut donc ariver à faire douter le lecteur sur
bon nombre de points dans l'histoire et sur la réalité. Si ie devais laisser
une trace dans la mémoire du lecteur, cela serait sans doute I'idée de
doute : que s'est-il réellement passé ?> (Alexis, < L'éclipse >)

D'autres encore justifient la construction du récig notamment l'orga-


nisation de la temponhté
<<J'ufait cette nouvelle avec un fetour dâns le passé (mais de cela, nous
ne nous en apercevons qu'à la fin) pour montrer que Damien (e person-
nage principal et narrateur) ne veut pas chercher plus loin que les faits qui
se sont déroulés, Peut-être de peur de tomber sur une autre malédic-
tion... > (Emilie, < La malédiction >)

Un dernier élève enfin anticipe sur les accusations d'invraisemblance


dont on peut taxer sa nouvelle :
<J'ai choisi le registre téaliste tout en le poussant à l'extrême en faisant
mourir la totalité des personnages dans des circonstances sinistres. >
[ohann)

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Des élèves de seconde s'étonnent de leurs < trouvailles >, qui font par-
fois sourire leur professeur, voire certains de leurs camarades. Mais
l'écriture créative n'est-elle pas créative d'abord pour le scripteur ?
Comme l'ont excellemment montré J.-C. Chabanne et A. Dunas, créer
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ne signifie pas nécessùement changer les objets autour de soi (ce qui
arnve parfois) mais changer sa relation aux objets, penser et dire les ob-
jets differemment:
< Et simultanément, c'est d'abord se créer soi-même, inventer pour soi un
rapport nouveâu aux objets et âux lângages, qui petmette d'avancer, de
grândir, de ptendre de l'assurance, d'être autonome dans les conduites
d'apprentissage. >
Le professeur se doit donc d'ême modeste dans ses exigences de nou-
veauté, ce qui ne préjuge pas d'un réel apptentissage du côté de félève.
Il en va ainsi de la transposition, voire du plagiat httérure. Faute d'ima-
gination, diril, Teddy a transposé consciemment ( La parure > de
Maupassant à notre époque :

<Je tiens d'abord à vous dire que j'ai beaucoup de mal à trouver un suiet
pour écrire une nouvelle cat ie iu pas beaucoup d'imagination. J'aime
beaucoup l'Histoire, c'est pour cela que i'fal] êcnt [cette nouvelle] et c'est
aussi grâce au professeur de français qui nous avatt tacontê la nouvelle
qui s'appelle "I-,a. parur.e". Mon histofue est identique à celle-ci, exceptés
quelques points comme les lieux, les objets et aussi les personnages.
Grâce à des documents que j'ai sur Napoléon, i'"i po faire des descrip-
tions aussi précises et elles ont une grande importance dans le récit. >

Le sabre >r, le nouveau texte obtenu, raconte I'histoire d'un ieune


<
couple invité à un bal masqué où les convives doivent se déguiser en
personnage historique. Les époux, qui ont choisi de prendre l'appa-
rence de Napoléon et de Joséphine, ont emprunté à un antiquaire de
leurs amis un des sabres authentiques de Napoléon. Mais... vous sâvez
la suite. Certes, certains élèves de la classe, qui connaissaient l'histoire
depuis peu, ont reproché à notre ieune scripteur son manque d'origi-
fécriture créative, une pratique nouvelle ? 81

nalité (< agréable à lire, mais ressemble trop à "La pàrure" >). Il en au-
ntt été certainement autrement une semaine plus tôt. L originalité d'un
texte est relative, elle se mesure à l'aune de la culture littéraire de ses lec-
teurs. Et le professeur oublie souvent qu'il est un expert exigeant. Ce
quI vit cornme une infraction à la loi d'informativité (on veut du neuf,
toujours du neuf) est recomposition pour l'élève, < reconfi.guration >
donc créations, en bref, travail. réel et exigeant de l'écriture. Le texte de
Teddy est savamment documenté, le récit bien charpenté, les person-
nages rigoureusement construits... Il satisfait amplement aux critères
négociés en classe.
Le recours au métadiscours pefmet enfin de mesurer les écarts entre
les intentions des scripteurs et le produit réellement éIaboré, en d'autres
termes le degré de maitrise des techniques d'écriture choisies. Les dé-
saccords entre professeur et élèves sont symptomatiques d'apprentis-
sages mal résolus. Ainsi, deux ou trois élèves affirment avoir écrit des
nouvelles réalistes ou fantastiques, ce que l'enseignant conteste. La no-

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tion est-elle bien comprise ? D'autres points sont à reftava)7ler, par
'lisée,
exemple la notion de < chute ), fld u et celle de récit-cadre. Une
remédiation peut alors s'engager.
En fin de parcours, on peut renvoyer les élèves à une nouvelle phase
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de lecture, lecture des textes de leurs pafus (trois élèves ont écrit une
nouvelle à partir du même titre, < Le reflet >), lecture de textes authen-
tiques écrits par des experts reconnus (mais qui a bien pu raconter << La
disparition d'Honoré Subrac ) et comment se débrouille-t-il ?), lecture
de textes proches des leurs. Un élève a par exemple écrit une nouvelle
proche de la nouvelle de Poe, < Manuscrit trouvé dans une bouteille >>.
Un autre a choisi un thème semblable à celui développé dans une nou-
velle du Péruvien Ciro Alegria, < Quartz > (Europe, no 447, juillet-aorit)
et a, sans le savoir, Éêcrit le début du dernier film de KenLoach, Bread
and Roses, qui commence par un passage de frontière clandestin entre le
Mexique et les Etats-Unis, caméra au poing. Les élèves, qui ignorent
toutes ces références, sont surpris et mis en appétit.
Nous voudrions maintenant développer plus rapidement un
deuxième exemple : la rédaction d'une critique cinématographique dans
le cadre de l'opération < Lycéens au cinéma6 ), une véritable gageifue
pour des élèves de seconde qui s'inquiètent de la commande de leur en-
seignant : ils n'ont jamais lu de critiques cinématographiques et ne sa-
vent absolument pas à quoi cela ressemble (absence de modèle).
L'objectif du professeur de français est double. Il s'agit à la fois d'ap-
prendre aux élèves à donner * uqr personnel argumenté (dans le cadre
de la rubrique de programme < Eloge et blâme >) et à construire une
critique cinématographique en utilisant le vocabulaire de l'image.

5. J.-C. CHABANNB & A. DuNas, ibid., p. 23.


6. L'opération < Lycéens au cinéma > concerne des élèves de seconde. Chaque année, trois
fiIms sont choisis par une commission régionale, sur proposition du Comité national du
cinéma. Les ûlrns sont visionnés sur grand écran dans des salles de cinéma. Ils donnent
lieu à un travail d'analyse ûlrnique en cours de français.
82 Le Français aujourd'hui n" 133, r Dæ réformæ en pnatiquæ r

Seulemeng la démarche habituelle est inversée. Les élèves ont certes


analysé le film en classe entière au préalable mais, au lieu de leur don-
ner d'emblée à lire des critiques cinématographiques authentiques, le
professeur va les inquiéter un peu plus en les mettânt immédiatement
en situation de production. Voici la consigne : << Vous êtes critique ciné-
matographique dans le magazine grand public Médiarama. A l'occasion
de la sortie sur les écrans du film de Franju l-,es Yeux sans uisage (1959),
vous rédigez l'arttcle qui sera publié dans Médiarama: vous y exprime-
rez votre point de vue sur le film, et l'accompagnetez de I'un des petits
personnages bien connus des lecteurs du magazine. > Â la consigne
d'écriture est en effet jointe une planche de petits bonshommes qui ma-
nifestent leur degré d'appréciation du film, à la manière de la revue
Télérama (oélas ! ; bof ; pas si mal ; bien ; très bien ; bravo !). Les élèves
sont donc d'emblée mis en demeure d'adopter un point de l'ue, si pos-
sible le leur, et de le défendre. En classe, ils élaborent alors un premier
jet au brouillon et, simultanément, il leur est demandé de réfléchir à leur

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démarche d'écriture : << Comment procédez-vous ? Notez spontané-
ment tous les points qui vous posent problème et les questions qui sur-
gissent. > Il est certes difficile à des élèves de produire un texte et de
l'analyser en même temps. En générzl, les deux phases ne sont pas
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concomitantes, la phase de questionnement et de contrôle intervenant


dans un deuxième temps. Mais pour cet exercice, il en vâ tout aufte-
ment. Les élèves sont tellement déroutés que les questions surgissent
immédiatement. Elles sont notées d'abord au brouillon, chacun les
siennes, puis au tabieau dans leur ordre d'apparition. En voici un échan-
tillon:
Existe-t-il des magazines de cinéma au CDI ?
Quelle longueur doit faire une critique ?
Doit-on défendre le << pour et le contre >r ?
L'énonciation : quel pronom personnel employer ? nJ., ? ( Il ) ?
Une critique peut-elle poser des questions ?
Quelle mise en page ?
Faut-il une introduction et une conclusion ?
Doit-on comrnencer en donnant son point de vue ?
Faut-il raconter tout le ûlm ?
Faut-il un titre ?
Doit-on être ditect ?
Quels contenus ?
Comment ranger les dguments ? Du plus fort au plus faible ?
Doit-on organiser en paragraphes ?
Faut-il présenter l'auteur ?
Faut-il faire allusion à d'auûes critiques ?
Peut-on adopter un langage familier ? (...)

C'est à ce stade du travail que des textes de critiques authentiques


sont distribués. Les élèves en prennent connaissance silencieusement.
Ils disposent chacun d'articles différents, quîs peuvent échanger une
fois la lecture terminée. Ce faisant, ils sont invités à trouver seuls des ré-
ponses aux questions quïs se posent et à essayer de définir les caracté-
Lécriture créalive, une pratique nouvelle ? n1

ristiques d'une critique cinématographique acceptable. À partir de là


s'engage une mise en corrunun et une négociation de critères de réus-
site possibles. Ensuite, les élèves poursuivent ou réécrivent leur texte à
la maison. A la remise de leur texte final, ils sont invités à joindre les
différents états de leur production, la liste des questions qu'ils se sont
posées et les débuts de réponse quTs ont apportés, les critiques ciné-
matographiques lues, et la liste des critères de réussite qui sera annotée
par le professeur lors de la correction. L'ensebtr"trt peut alors prendre
connaissance des interrogations de ses élèves et voir comment ils les
ont résolues, seuls. En règle génêrale, de nombreuses difficultés ont été
levées d'elles-mêmes : les choix énonciatifs, la longueur de l'article, le
temps de base du texte... Les élèves ont pâr exemple remarqué qu'une
critique lapidaire (du type < hélas ! >) ne s'étend pas : pourquoi perdre
son temps à écire sur un film qui ne vaut pas la peine d'ête vu ? Et
pourtant les moyens rhétoriques utilisés requièrent un plus grand soin.
La concision, qui vise une efficacité optimale en peu de mots, procède

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alors par énumération d'arguments non développés, par accumulation
de toutes les formes de la négation et par utilisation massive de I'hy-
perbole. Cependang à côté des réussites, des points résistent, notam-
ment dans la maitrise du discours argumentatif : des rupfures dans la
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progression de l'information, une confusion entre faits et opinions, un


circuit argumentatif inversé, une orientation argumentative mal g&êe...
Ainsi, quelques articles produits sont en décalage avec le pictogramme
retenu. Il semble que le point dS vue le plus difficile à étayer soit le
point de vue médian. (< bof ! >>). Etre capable de doser avec subtilité ar-
guments favorables et ârguments défavorables à un fllm est peut-être le
propre de scripteuts déjà aguerris à la critique cinématographique et
maitres dans l'art d'allier doigté et habileté. Mais dans I'ensemble, les
productions sont fort recevables. La fotce argumentative des textes
produits tient autant à Ia vanétê des arguments choisis qu'à la netteté
des points de l'ue exprimés, au soin porté aux effets de clôture et à une
recherche optimale de la pertinence lexicale, notâmment dans l'écriture
des titres (création de jeux de mots et de métaphores). Ce ptemier galop
d'essai, à confirmer, aura eu l'avantage de placer les élèves dans une si-
tuation de résolution de problème et de leur donner les moyens de se
bricoler des solutions en réponse, de même quT leur aura donné l'accès
à une pratique sociale courânte.

Conclusion
On voit que, loin de cantonner l'élève à la répétition d'exercices qui
calqueraient les sujets d'imagination du brevet des collèges, ce qui leur
vaudrait d'être considérés avec hauteur (!) par des professeurs de lettres
de lycée, les pratiques d'écriture créaave constituent en seconde des oc-
casions nouvelles de développer, d'enrichir et de consolider les capa-
cités acquises jusqu'en troisième. Le passage en seconde â souvent sus-
cité chez les enseignants de collège et les lycéens novices le juste
84 Le Français aujourd'hui n' 133, < Dæ réformæ en pratiquæ r

sentiment d'une rupture ; les uns et les autres observeront désormais


que leurs efforts se poursuivent au lycée : la maturité venânt, l'adoles-
cent affine ses capacités de lecture littéraire et ses capacités d'écriture
pâr un va-et-vient dont on sait l'efficacité ; il travaille aussi la dimension
réflexive par l'écriture d'analyse conformément à l'une des < proposi-
tions > énoncées lors de la consulation sur les nouveaux prograûrmes :
<< exercice raisonné de la faculté d'invention >.
Quant à l'enseignant de
lycée, il découvrira les progrès que sont en mesure d'accomplir les
élèves dès lors qu'on leur propose des situations d'écriture plus stimu-
lantes et plus formatrices ; il verrâ que le plaisir d'écrire peut n'êfte pas
définitivement êtanger à l'analyse, à la réflexion, à la rigueur et que
même l'un ne va pas sans les zutres ; il s'avisera des moyens de mesu-
rer les retombées de son enseignement, pour peu qu'il s'attache à défi-
nir des exigences graduées et à complexifier progressivement les
formes attendues.
Mais, s'insurgeront d'aucuns, quelle surcharge de travail que la prise

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en compte d'ébauches successives, d'esquisses, 4.61suillons ! Et com-
ment les évaluer ? Certes, il est des activités d'exception qui occupent
plusieurs séances mais nombre de travaux d'écriture peuvent rt'englou-
tir ni le temps ni l'énergie du professeur sT sait faire appel à l'évalua-
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tion des élèves eux-mêmes et pense, par exemple, à mettre en place des
comités de lecture tout à fait capables de produire une appréciation
fondée sur des critères établis en classe. Et pour ce qui est de la nota-
tion définitive et magistrale, sans doute ne va-t-elle pas de soi (qui sou-
tiendrait sensément que celle des exercices canoniques ne pose aucun
problème ?) mais il est possible de mettre en place une évaluation qui
porte sur ce que l'on a effectivement travaillé et qui soit donc centrée
sur les compétences, liée aux objectifs de la séquence - même si la dé-
finition de modalités d'évaluation des démarches reste une vaste friche.

Josette GÉLIN
Lycée Le Verrier, Saint-Lô

Dominique ROUÉ
LycêeJean Rosand, Caen

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