Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 217.64.98.168 - 13/04/2019 12h37. © Armand Colin
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
nos lycéens, surtout ceux des milieux sociaux défavorisés ? Peut-on éva-
luer l'écriture dite dlnvention et d'imagination ? Selon quels critères ?
L'école ne va-t-elle pas scolariser l'imagination et créer de nouveaux
dogmes ? Les attaques sont nombreuses et multiples : répétition stérile
des travaux de collège, mânque de rigueur et d'effort, infantilisation ou
au contraire exercices trop ambitieux. Lire du texte < d'invention et
d'imagination > - ce qui se pratique quotidiennement dans les lycées -,
oui. En écrire, c'est auffe chose... Ce qui semble aller de soi pour la lec-
ture n'est pas toléré pour l'écriture. Iienseignement de textes anciens ou
contemporains difficiles d'accès comme Montaigne, Pascal, Racine ou
Michaux suscite moins d'états d'âme... L'accès de tous à la lecture de
toutes les formes d'écrits est un acquis. Il n'en va Das de même oour
l'écriture. Blocage idéologique et affecnf ? Sans do.rte. Et si Ie p"rrrg.
à l'écriture était une véritable prise de pouvoir, un réel passage à l'ac-
tion ? L'absence de formation didactique dans ce domaine n'est pas né-
gligeable non plus. Le transfert de la lecture à l'écriture ne se fait pas,
ou se fait mal. Les savoirs construits en classe sont mal réinvestis, qu'ils
soient d'ordre littéraire et culturel ou d'ordre linguistique et poétique au
sens large.
3. Voir larticle de J.-A. HuvNH, < L'invention dans fargumentation >, I_,e kançais au,pur-
d'hui, n" 127,p.60-70.
78 Le Français aujourd'hui n" 133, < Dæ réformes en pnatiques I
Et maintenant ?
4.J.-C. CHaoanNt & A. DuNas, < La créativité ordinaire >, I-.e Français aujourd'hui, n" 1'27,
p.17-2s.
fécriture créative, une pnatique nowelle ? 79
est à la limite du réalisme et peut donc ariver à faire douter le lecteur sur
bon nombre de points dans l'histoire et sur la réalité. Si ie devais laisser
une trace dans la mémoire du lecteur, cela serait sans doute I'idée de
doute : que s'est-il réellement passé ?> (Alexis, < L'éclipse >)
ne signifie pas nécessùement changer les objets autour de soi (ce qui
arnve parfois) mais changer sa relation aux objets, penser et dire les ob-
jets differemment:
< Et simultanément, c'est d'abord se créer soi-même, inventer pour soi un
rapport nouveâu aux objets et âux lângages, qui petmette d'avancer, de
grândir, de ptendre de l'assurance, d'être autonome dans les conduites
d'apprentissage. >
Le professeur se doit donc d'ême modeste dans ses exigences de nou-
veauté, ce qui ne préjuge pas d'un réel apptentissage du côté de félève.
Il en va ainsi de la transposition, voire du plagiat httérure. Faute d'ima-
gination, diril, Teddy a transposé consciemment ( La parure > de
Maupassant à notre époque :
<Je tiens d'abord à vous dire que j'ai beaucoup de mal à trouver un suiet
pour écrire une nouvelle cat ie iu pas beaucoup d'imagination. J'aime
beaucoup l'Histoire, c'est pour cela que i'fal] êcnt [cette nouvelle] et c'est
aussi grâce au professeur de français qui nous avatt tacontê la nouvelle
qui s'appelle "I-,a. parur.e". Mon histofue est identique à celle-ci, exceptés
quelques points comme les lieux, les objets et aussi les personnages.
Grâce à des documents que j'ai sur Napoléon, i'"i po faire des descrip-
tions aussi précises et elles ont une grande importance dans le récit. >
nalité (< agréable à lire, mais ressemble trop à "La pàrure" >). Il en au-
ntt été certainement autrement une semaine plus tôt. L originalité d'un
texte est relative, elle se mesure à l'aune de la culture littéraire de ses lec-
teurs. Et le professeur oublie souvent qu'il est un expert exigeant. Ce
quI vit cornme une infraction à la loi d'informativité (on veut du neuf,
toujours du neuf) est recomposition pour l'élève, < reconfi.guration >
donc créations, en bref, travail. réel et exigeant de l'écriture. Le texte de
Teddy est savamment documenté, le récit bien charpenté, les person-
nages rigoureusement construits... Il satisfait amplement aux critères
négociés en classe.
Le recours au métadiscours pefmet enfin de mesurer les écarts entre
les intentions des scripteurs et le produit réellement éIaboré, en d'autres
termes le degré de maitrise des techniques d'écriture choisies. Les dé-
saccords entre professeur et élèves sont symptomatiques d'apprentis-
sages mal résolus. Ainsi, deux ou trois élèves affirment avoir écrit des
nouvelles réalistes ou fantastiques, ce que l'enseignant conteste. La no-
de lecture, lecture des textes de leurs pafus (trois élèves ont écrit une
nouvelle à partir du même titre, < Le reflet >), lecture de textes authen-
tiques écrits par des experts reconnus (mais qui a bien pu raconter << La
disparition d'Honoré Subrac ) et comment se débrouille-t-il ?), lecture
de textes proches des leurs. Un élève a par exemple écrit une nouvelle
proche de la nouvelle de Poe, < Manuscrit trouvé dans une bouteille >>.
Un autre a choisi un thème semblable à celui développé dans une nou-
velle du Péruvien Ciro Alegria, < Quartz > (Europe, no 447, juillet-aorit)
et a, sans le savoir, Éêcrit le début du dernier film de KenLoach, Bread
and Roses, qui commence par un passage de frontière clandestin entre le
Mexique et les Etats-Unis, caméra au poing. Les élèves, qui ignorent
toutes ces références, sont surpris et mis en appétit.
Nous voudrions maintenant développer plus rapidement un
deuxième exemple : la rédaction d'une critique cinématographique dans
le cadre de l'opération < Lycéens au cinéma6 ), une véritable gageifue
pour des élèves de seconde qui s'inquiètent de la commande de leur en-
seignant : ils n'ont jamais lu de critiques cinématographiques et ne sa-
vent absolument pas à quoi cela ressemble (absence de modèle).
L'objectif du professeur de français est double. Il s'agit à la fois d'ap-
prendre aux élèves à donner * uqr personnel argumenté (dans le cadre
de la rubrique de programme < Eloge et blâme >) et à construire une
critique cinématographique en utilisant le vocabulaire de l'image.
Conclusion
On voit que, loin de cantonner l'élève à la répétition d'exercices qui
calqueraient les sujets d'imagination du brevet des collèges, ce qui leur
vaudrait d'être considérés avec hauteur (!) par des professeurs de lettres
de lycée, les pratiques d'écriture créaave constituent en seconde des oc-
casions nouvelles de développer, d'enrichir et de consolider les capa-
cités acquises jusqu'en troisième. Le passage en seconde â souvent sus-
cité chez les enseignants de collège et les lycéens novices le juste
84 Le Français aujourd'hui n' 133, < Dæ réformæ en pratiquæ r
tion des élèves eux-mêmes et pense, par exemple, à mettre en place des
comités de lecture tout à fait capables de produire une appréciation
fondée sur des critères établis en classe. Et pour ce qui est de la nota-
tion définitive et magistrale, sans doute ne va-t-elle pas de soi (qui sou-
tiendrait sensément que celle des exercices canoniques ne pose aucun
problème ?) mais il est possible de mettre en place une évaluation qui
porte sur ce que l'on a effectivement travaillé et qui soit donc centrée
sur les compétences, liée aux objectifs de la séquence - même si la dé-
finition de modalités d'évaluation des démarches reste une vaste friche.
Josette GÉLIN
Lycée Le Verrier, Saint-Lô
Dominique ROUÉ
LycêeJean Rosand, Caen