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L'atelier d'écriture théâtrale : des modèles à leur nécessaire

détournement
Marie Bernanoce
Dans Le français aujourd'hui 2006/2 (n° 153), pages 61 à 68
Éditions Armand Colin
ISSN 0184-7732
ISBN 9782200921088
DOI 10.3917/lfa.153.0061
© Armand Colin | Téléchargé le 08/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 177.12.8.221)

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L’ATELIER D’ÉCRITURE THÉÂTRALE :
DES MODÈLES À LEUR NÉCESSAIRE
DÉTOURNEMENT
Par Marie BERNANOCE
IUFM de Grenoble, CEDILIT
Université Stendhal Grenoble 3

L’écriture théâtrale est-elle encore le parent pauvre de l’écriture scolaire ?


C’est ce que montrait Michel Vinaver dans Le Compte rendu d’Avignon
(1987). L’enquête de Vinaver, datant de vingt ans, est-elle toujours
d’actualité dans l’école ? Il est d’autant plus intéressant de se poser la ques-
tion que les Instructions officielles (IO) pour le lycée donnent sa place à
l’objet d’études « texte et représentation ». En 2001, les Écrivains Associés
du Théâtre (ÉAT), malgré le constat de certaines évolutions, ont répondu
par l’affirmative, pour ce qui est de l’édition, dans un numéro spécial de la
revue Du Théâtre « Quoi de neuf ? L’auteur vivant ! ». Nous allons essayer
de voir ce qu’il en est pour l’écriture du théâtre à l’école.

Les programmes et documents d’accompagnement :


bilan global
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Le constat qui s’impose à l’heure actuelle met en lumière le trou institu-
tionnel dans lequel on met les enseignants de collège. Les programmes et
instructions de primaire donnent de la place au théâtre, texte et pratique,
dans la logique de ce qui fut préconisé par la Mission pour les Arts et la
Culture du plan en cinq ans initié par Jack Lang en 2001, même si ce n’est
pas sans tensions, révélatrices de certains problèmes théoriques et didacti-
ques non élucidés. Rappelons la base de ces programmes de l’école
primaire, pour le cycle 3 :
Être capable de restituer au moins dix textes (de prose, de vers ou de théâ-
tre) parmi ceux qui ont été mémorisés. (MEN, Qu’apprend-on à l’école
élémentaire ?, 2002, p. 175)
Littérature (Dire, lire, écrire)
Avec les œuvres poétiques et théâtrales, les élèves, guidés par leur ensei-
gnante ou leur enseignant, prolongent l’interprétation en cherchant à la
transmettre au public de leurs camarades ou à un public plus large. En
liaison avec les activités artistiques (musique, arts visuels, danse) ou dans le
cadre d’un projet, ils élaborent la mise en voix et la mise en scène des textes.
L’univers de cette littérature se découvre aussi, dès l’école, par la pratique
de l’écriture. (Ibid., p. 87)
Le Français aujourd’hui n° 153, Enseigner l’écriture littéraire ?

Mais en collège, il n’y a que très peu de choses, limitées à l’oralisation.


Et même en lycée, il est surprenant de constater que, malgré la création
de l’écriture d’invention, l’écriture théâtrale n’est pas beaucoup envisagée,
pas plus dans les programmes officiels que dans les documents d’accom-
pagnement. On note quelques mentions de l’écriture théâtrale mais asso-
ciée à l’argumentation, par le biais du dialogue, comme on le voit souvent
dans les manuels scolaires. Or c’est laisser entendre que l’écriture théâtrale
serait synonyme d’argumentation par le dialogue, sans exister pour elle-
même, ce qui fige l’esthétique de l’écriture dramatique : tous les textes
dramatiques ne fonctionnent pas sur un dialogue argumentatif, tout du
texte dramatique n’est pas dialogue argumentatif. L’examen des textes
officiels, ainsi qu’un regard porté sur les manuels (Bernanoce, 2006)
conduisent à plusieurs constats.

Questions posées sur le statut du texte de théâtre


La représentation qui prime peut se résumer ainsi :
le texte de théâtre n’est pas vraiment fait pour être lu
On peut lire et écrire de la poésie : les manuels scolaires, surtout pour les
plus jeunes, regorgent de jeux poétiques de toutes sortes, au point que
certains didacticiens en rejettent aujourd’hui les excès (voir Denizeau, 2005).
On peut aussi et surtout écrire du narratif, et le modèle est tellement fort que
l’on oublie souvent de le préciser lorsque l’on donne comme consigne
« Imagine », « Écris ». Le mot fiction devient ainsi, très souvent, synonyme
de narratif. Nombreux sont les manuels appliquant cette sorte d’évidence, ce
que confortent les listes des documents d’accompagnement de collège : la
littérature de jeunesse se résume aux romans, aux récits, intègre l’album et la
BD, mais se refuse à une rubrique théâtre1.
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Il y a un clivage entre poids du littéraire et appel de la scène
On a la sensation d’un clivage net entre étude (trop) littéraire et appel de
la scène (à l’exclusion du texte) qui se complètent ou s’opposent mais ne se
mettent que rarement et incomplètement en interrelation. En effet, à trop
rester dans ce que Jean-Pierre Ryngaert a nommé l’illusion mécaniste, on
ne réussit pas à penser de façon satisfaisante le lien entre texte, littérature
donc, et scène, arts du spectacle.
C’est une pratique désormais courante, dans l’étude du texte, de se référer
à la représentation comme à une partie manquante qui viendrait expliquer
le texte et l’éclairer (…), illusion mécaniste d’une simple complémentarité.
Les nombreux liens qui existent entre le texte et la scène ne peuvent se sa-
tisfaire de l’illusion mécaniste d’une simple complémentarité. (Ryngaert,
1991, p. 18-19)
La notion de « texte troué », par le manque auquel elle renvoie, a ainsi
causé de gros dégâts, pour le moins dans la transposition qui en a été faite
dans les manuels, conduisant à une sorte de dématérialisation du texte en
tant que matériau littéraire.
1. Ministère de l’Éducation nationale (2004), Français, Programmes et accompagnements,
Collège, Paris, CNPP, pp. 68 et 70.

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« L’atelier d’écriture théâtrale : des modèles à leur nécessaire détournement »

La tension entre genres et discours


Un autre constat se dégage de l’étude de l’ensemble des manuels et des
Instructions officielles : on y sent une tension très nette entre les outils du
discours et ceux des genres. On peut en effet relever avec intérêt que les
manuels qui donnent le plus de place aux textes de théâtre reposent le plus
souvent sur un découpage en genres, et pas uniquement sur un découpage
en discours centrés sur la typologie de textes.
Bien que la notion de genres doive être aujourd’hui fortement inter-
rogée, ce que font pour partie les textes officiels de lycée, il n’en reste pas
moins que la suprématie actuelle des discours en collège et en primaire a
des effets néfastes sur l’étude littéraire, en tout cas dans la transposition
didactique qu’en font les manuels. Beaucoup, en particulier en matière
d’argumentation, prennent alors implicitement la voie d’une négation du
littéraire.

Rompre avec une écriture sans lecture et une écriture sans écriture
L’examen des manuels permet de dresser le constat que si l’on fait écrire
du théâtre, c’est sans le faire véritablement lire ni réellement écrire (en le
tirant par exemple vers l’écriture cinématographique). Il s’agit alors de
promouvoir une réelle lecture des textes de théâtre, en quantité et en
qualité, et une réelle écriture, dans la reconnaissance de la matérialité du
texte de théâtre que les comédiens sentent, vivent et mettent en œuvre.
Puisque l’on étudie le théâtre trop exclusivement par l’œuvre entière, en
se limitant à l’action et à la psychologie des personnages, alors il faut
travailler sur des extraits de théâtre, ce qui renvoie par exemple à la méthode
de prélèvement, d’approche interactionniste, proposée par Michel Vinaver
(1993). Pour ma part, je prône un travail plus littéraire sur les incipit de
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théâtre, dans la suite, mais là aussi plus littérale, de ce que proposent Joseph
Danan et Jean-Pierre Ryngaert (1997), ainsi que des gammes d’écriture
théâtrale reposant sur les grandes composantes de l’écriture dramatique et
dramaturgique, ce qui jusqu’ici a été très peu exploré. Mais cela n’exclura
pas de construire un véritable projet d’écriture, de mise en voix, de mise en
espace.
Puisqu’il y a si peu de lien clair entre la lecture du texte de théâtre et
l’écriture théâtrale, puisqu’il n’y a jamais ou presque d’écriture « à la
manière de », alors il faut s’y livrer. Puisqu’il n’y a pas ou presque pas
d’écriture de suite de texte de théâtre, alors il faut s’y livrer.
Puisqu’il y a un escamotage très fréquent d’une partie du texte de
théâtre, le texte didascalique, puisqu’on le réduit trop souvent à une fonc-
tion injonctive et mécaniste, en niant son poids littéraire, alors il faut lui
donner plus de place. C’est ce qui a conduit ma réflexion à construire la
notion de « voix didascalique » (Bernanoce, 2006) en m’inspirant pour
partie de G. Genette (1972) et de la pragmatique appliquée au texte de
théâtre dans le sillage du travail de Jeannette Laillou-Savonna (1985). Il
s’agit donc de redonner toute sa matérialité au texte de théâtre, dans
l’ensemble de ses dimensions, y compris dans le paratexte qui n’est pas
accessoire mais a valeur didascalique, grâce à une transposition didactique

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Le Français aujourd’hui n° 153, Enseigner l’écriture littéraire ?

la plus juste possible des gestes de lecture du texte de théâtre réalisés par les
professionnels. Plus on fera exister la matérialité du texte de théâtre et plus le
lien à la scène pourra exister, ce qui revient à résoudre le clivage entre poids
du littéraire et appel à la scène, ressenti alors comme un faux problème.
Ces positions didactiques supposent de prendre réellement en compte
l’esthétique de l’écriture théâtrale2, dans ses contextes historiques, sans la
cantonner à une perception anhistorique réduite au XVIIe siècle.

Modélisation de l’atelier d’écriture théâtrale :


modèles et détournements
Les modèles sont ainsi nécessaires à une didactique de l’écriture théâtrale :
en articulant lecture et écriture, il s’agira de prendre réellement appui sur
toutes les grandes sortes d’écriture théâtrale pour faire écrire « à la manière
de » selon des gammes qui vont tenir le modèle du XVIIe pour ce qu’il est,
c’est-à-dire relatif, et en intégrant dans la lecture/écriture une dimension
historique. Quand et pourquoi le développement du texte didascalique ?
Quel rapport didascalie/dialogue ? Même pour les jeunes enfants, ces ques-
tions, sans être posées, peuvent être abordées indirectement par le choix des
textes.
Mais la rupture avec ces modèles est également nécessaire : l’esthétique
contemporaine de l’écriture théâtrale propose en effet un éclatement des
formes qui ouvre les portes à une grande créativité. De la même façon, le
regard historique permet de trouver une inventivité qui ne fige pas l’écri-
ture dans une position normative d’imitation. Enfin, le passage par la
pratique du texte, nécessaire dans le cas du théâtre, mais on peut en étendre
l’intérêt à tout type de texte littéraire, rend également sensible la nécessité
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du détournement, ce que l’on pourrait appeler la « poétique pragmatique »
de l’écriture théâtrale. Mettre en voix ou en espace un texte revient à rendre
sa réécriture nécessaire, ce qui correspond à ce que font bien des écrivains
de théâtre, lorsqu’ils travaillent avec une compagnie ou un metteur en
scène3.
On peut ainsi modéliser une macroséquence théâtre selon quatre domi-
nantes successives (plus ou moins riches et longues mais comportant ces
quatre composantes) : lecture, mise en voix, écriture et mise en espace.
L’écriture devra alors trouver sa place dans chacune de ces dominantes, à
titre de gammes mais aussi dans le cadre d’un projet et même si l’on s’en
tient à une microséquence à une seule dominante (voir Bernanoce, 2000
et Bernanoce, 2002).

Pistes d’écriture ponctuelles : l’exemple du cadavre exquis


Imaginons un usage un peu particulier du jeu surréaliste du cadavre
exquis. On en connait les principes, qui peuvent être appliqués à l’écriture
2. À ce titre, l’ouvrage de Catherine Naugrette (2000) peut offrir un panorama d’ensemble
des plus éclairants.
3. Il s’agit alors de transposer à l’école la notion intéressante d’« écrivain scénique » déve-
loppée par le critique québécois Michel Vaïs (1978).

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« L’atelier d’écriture théâtrale : des modèles à leur nécessaire détournement »

théâtrale : les constituants principaux de l’incipit théâtral, dégagés préala-


blement par la lecture de nombreux débuts de pièces, forment ainsi le
squelette du cadavre et leur appropriation constitue l’objectif de l’exercice.
Il est alors fort intéressant, par un deuxième lien entre l’écriture et la
lecture, de permettre aux élèves, après l’échange des textes produits, de
faire quelques incursions dans le théâtre surréaliste totalement absent des
manuels, où ils vont retrouver certaines caractéristiques de leur propre écri-
ture de hasard : citons Les Mariés de la Tour Eiffel de Cocteau (1948) ou
Le Désir attrapé par la queue de Picasso (1945). On peut également
exploiter toutes les vertus du texte de Perec, L’Augmentation (1981), en ce
qui concerne l’énonciation et le jeu argumentatif. L’expérience montre
qu’une fois certaines digues levées, l’imagination des enfants ne demande
qu’à s’exercer, y compris et surtout si le chemin est balisé de consignes
précises. Ces quelques exemples donnés à lire aux élèves après leur jeu du
cadavre exquis pourront alors être la source d’une réécriture, cette fois
motivée, des textes produits avec l’aide du hasard.

L’atelier d’écriture proprement dit


Sans pouvoir rentrer dans les détails de sa mise en œuvre, voici une
présentation des formes que peut prendre l’atelier d’écriture théâtrale dans
le cadre scolaire.

• Étape 1. Variations génériques graduées : à la recherche de l’écriture théâtrale


1. Travail avec texte-support des deux côtés du transcodage
Lecture et analyse méthodique d’incipit et d’extraits écrits par le même
écrivain dans deux genres différents, dont un est théâtral
Enjeux de langue de la dramatisation : dialogue et récit, styles direct et in-
direct, l’usage des temps
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2. Travail avec texte-support d’un seul côté du transcodage
Réécriture d’incipit et d’extraits en en changeant le genre, dont un est théâtral
Enjeux de langue de la dramatisation : les mêmes plus l’énonciation
3. Travail sans texte-support
Recherche d’une fable, puis écriture et réécriture dans deux genres diffé-
rents (dont un est théâtral) à partir de cette fable
4. Bilan méthodologique et théorique : les genres et le discours, l’adaptation

• Étape 2. Variations stylistiques : l’écriture dramatique dans tous ses états


1. Travail de lecture/réécriture : rapport didascalie/dialogue
Lecture et analyse d’incipit faisant varier l’importance du texte didascalique
Réécriture d’un incipit du « modèle classique » à la manière d’un autre type
de style théâtral
Bilan historique : histoire du texte de théâtre dans celle du théâtre, présen-
ce de la scène dans l’écriture
2. Travail de lecture/réécriture : la nature du texte didascalique
Lecture et analyse d’incipit faisant varier la nature du texte didascalique :
didascalie de fiction/de régie, ouvert/fermé
Réécriture de l’incipit avec écriture didascalique de fiction et/ou de régie,
ouverte/fermée
Bilan : présence de la scène dans l’écriture

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Le Français aujourd’hui n° 153, Enseigner l’écriture littéraire ?

3. Travail de lecture/réécriture : les personnages


Lecture et analyse de listes de personnages et incipit présentant un usage
particulier des personnages (nomination, absence de noms, etc.)
Réécriture de l’incipit en modifiant les personnages
Bilan : l’onomastique, la notion de personnage, l’objet au théâtre
4. Travail de lecture/réécriture : la spatialisation de la page
Lecture et analyse d’incipit faisant varier la mise en page, de l’écriture en
colonnes au dessin de scène ou à l’écriture du rythme de la parole
Réécriture de l’incipit selon un usage particulier (ou plusieurs) de l’espace-
feuille
Bilan : l’histoire de la page, le rapport au lieu théâtral, à la musicalité du
texte théâtral

Conclusion : En quoi y a-t-il détournement des modèles dans l’atelier


d’écriture ainsi abordé ?
La réponse peut se formuler à plusieurs niveaux. Paradoxalement, cela
tient tout d’abord à l’appui réel sur les textes de théâtre, s’il ne se fait pas
dans le cadre mythifiant, non historicisant, de bien des manuels qui
cantonnent l’esthétique des textes dramatiques à la seule écriture du XVIIe,
ou alors la présentent de manière dématérialisée. En effet, l’écriture « à la
manière de », si elle amène les élèves, quel que soit leur âge, à un travail de
variations sur les différentes manières d’écrire du théâtre, permet de ne plus
faire fonctionner les hypotextes comme des modèles normatifs et fermés.
La seconde réponse passe par la lecture-écriture du répertoire contempo-
rain, par le jeu de brouillage générique qu’il porte, dans sa poétique visuelle
et auditive et dans ce que l’on appelle l’épicisation (Sarrazac, 2001),
présence de traits propres au récit (titres de chapitres, mode de découpage,
présence de récits, dédoublement des personnages dans le temps, etc.), et
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à ce titre le théâtre jeunesse est particulièrement riche et novateur (Berna-
noce, 2003).
Une troisième réponse sera d’ordre pédagogique et didactique. Dans ses
« dix commandements » du théâtre à l’école, J.-P. Ryngaert notait :
Le travail artistique, à condition que l’on s’écarte d’une pédagogie du mo-
dèle (fais ce que je te dis de faire, ce que je montre…) s’établit dans la pro-
position concrète et dans le risque. Ce qui ne suppose pas que l’on attende
tout des élèves et d’une spontanéité créatrice « automatique ». On s’écarte
donc du modèle scolaire traditionnel de la reproduction ou on ne parvient
pas à s’en écarter, ça peut être un des enjeux essentiels. […] (Ryngaert,
1990, p. 29)
Se trouve donc en jeu la question du rapport au savoir et à l’erreur, loin
du modèle que j’appelle celui de la « pédagogie happening » qui a donné,
en ce qui concerne le théâtre, une mythification des activités d’improvisa-
tion, sans écriture et même contre elle.
Écrire du théâtre, c’est nécessairement se décentrer et accepter l’altérité,
dans le cadre de ce que G. Mathis (2001) appelle le « règlage de la distance
dans la lecture littéraire : catharsis et identification esthétique ». Le jeu entre
écriture et passage par le corps et l’espace, y compris de façon virtuelle, met
à distance le geste d’écriture en prenant en compte les récepteurs virtuels

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« L’atelier d’écriture théâtrale : des modèles à leur nécessaire détournement »

que seront le metteur en scène, les comédiens, le régisseur du son et de la


lumière, le scénographe. C’est dans cette perspective que je propose un
« atelier d’écriture-jeu de rôles », où chaque écrivant assure un rôle parmi les
récepteurs virtuels, en plus des personnages.
La didactique de l’écriture théâtrale devra donc passer par un projet
d’écriture, mais sans se limiter aux présupposés théoriques et didactiques
des années 1970 qui donnaient trop de place à la seule expression de soi ou
du réel. Elle devra aussi passer par les gammes d’écriture, mais sans se
limiter à ce qui en a fait les limites, à savoir l’émiettement ludique sans
objectif d’apprentissage. Cela revient à mettre en œuvre les apports des
esthétiques de la réception et de la pragmatique. C’est sans doute en cela
que la didactique du texte de théâtre permet aujourd’hui de proposer à la
didactique du texte littéraire quelques pistes du plus grand intérêt.

Marie BERNANOCE

Bibliographie

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génétique : Traces d’un grand écart entre littérature et scène », dans J.-M. Pottier
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Le Français aujourd’hui n° 153, Enseigner l’écriture littéraire ?

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