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LE
 JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE 
 DE BENOÎT JACQUOTDe la condition domestique à la dérive criminelle
De toutes les œuvres d’Octave Mirbeau,
 Le Journal d'une femme de chambre
1
 – dontFasquelle a assuré la publication en juillet 1900, après une preière version en !euilleton dans
 L’Écho de Paris
, du "0 octobre 1#91 au "$ avril 1#9", et une seconde !orteent reaniée dansla
 Revue Blanche
, du 1% janvier au 1% juin 1900 – est celle qui a été le plus souvent adaptée aucinéa& 'vant que (eno)t *acquot n’en propose sa propre lecture, il e+istait déj trois versions -celle aujourd’.ui disparue de Martov
"
, alisée en 191$ sous le titre
 Dnevnik gornitchnoi !"#!$% &!$)!*
 
 +
, celle de /enoir 
,he Diar- of the chambermaid 
, tournée en 192$ durantla période aéricaine du cinéaste, avec 3aulette 4oddard et (ur5ess Meredit. dans les r6les principau+
7
, et, en!in, celle de (u8uel, la plus célèbre sans doute, !aite en 19$2, pour laquelle*eanne Moreau en!ilait le costue de la bonne élestine
2
&'oureu+ du :
e
 art dès son plus jeune ;5e 5r;ce  une ère qui lui racontait,  son retour de cinéa, les !ils qu’elle venait de voir, puis  la découverte,  1" ans, des
.ontrebandiers de /oonfleet 
 
 /onfleet 
, 19%%, de Frit< =an5, (eno)t *acquot a d’abord coencé sa carrièrecoe assistant>réalisateur de cinéastes aussi di!!érents que /o5er ?adi, Marcel arné etsurtout Mar5uerite Duras, avec laquelle il travailla sur
 0athalie ranger 
 19:" et
 2ndia 3ong 
19:%& Faut>il voir l la preuve de ses 5o@ts éclectiques, d’un attrait pour les aventuressin5ulières A 'u>del de rearques circonstancielles, retenons, pour ce qui concerne cet article,que l’.oe, par!ois quali!ié de cérébral par une partie de la critique, n’a jaais renié lalittérature& 'u contraire, il n’a cessé de proposer des adaptations pour le 5rand ou le petit écran, par e+eple,
 4dol5he
 "00", d’après (enjain onstant,
6illa 4malia
 "009, d’après 3ascalBui5nard,
 Les 7au89monna-eurs
 "010, d’après 'ndré 4ide,
 Les 4dieu8 : la reine
 "01",d’après .antal C.oas&
 Le Journal d’une femme de chambre
ne !ait donc que copléter uneliste déj lon5ue&oe souvent avec *acquot, le projet a été initié par une !ee - èlène Eier&'lors qu’il la rencontrait pour lui !aire jouer un r6le dans un !il de coande, abandonné par la suite, il apprit qu’elle avait écrit un scénario, inspiré de l’un de ses livres de c.evet,
 Le Journal d’une femme de chambre
;
 -
 <lle ne voulait 5as =ue >e le lise
, continue *acquot,
mais >’ai trouv? cela tr@s bienA Je l’ai donn? : ma 5roductrice ristina LarsenC celle des 4dieu8 : la ReineC =ui l’a tout de suite mis en 5roduction
G& Buelques odi!ications !urent apportées& De!ait, la preière version était un 
v?ritable foutoir 
 G, 
un 5eu absurde
 G et surtout di!!icile  porter pour l’actrice envisa5ée, =éa HeIdou+& 
 Du cou5C on a re5ris le te8te sur la base d’un sc?nario au 5r?sentC autour du s?>our de .?lestine che les LanlaireC entrecou5? 5ar desr?miniscences 5lus ou moins longuesC =ui viennent faire ?cho
 G& J la di!!érence d’un /enoir, quiavait c.aboulé l’.istoire au point de la rendre  peine reconnaissable pour les adirateurs duroancier, *acquot a respecté les 5randes li5nes du sc.éa narrati! et a conservé la plupart des personna5es iportants& 3our un M& /abour disparu, il reste en e!!et, Me 3aul.at>Durand la1
 Kous laisserons les ré!érences du roan  l’intérieur de notre te+te& =’édition c.oisie est celle de ré!érence, établie, présentée et annotée par 3ierre Mic.el -
 Le Journal d’une femme de chambre
,
Euvre romanes=ue
, vol& ", (uc.etL.astel>Hociété Octave Mirbeau, 3aris, "001&
"
 ?oir
infra
 l’article d’'ndré 3eIronie&
7
 =earié, annicN,  Mirbeau et le cinéa,
 Le Journal d’une femme de chambre
 de *ean /enoir G, in
.ahiers Fctave /irbeau
 n #, "001, Hociété Octave Mirbeau, 'n5ers, pp& 7:7>7#%&
2
 3our cette version et la précédente, je renvoie,  nouveau,  l’étude de .arles Cesson,  *ean /enoir et =uis (u8uel autour du
 Journal d’une femme de chambre
 G, in
 0ouvelles a55roches de l’Guvre de Jean Renoir 
, 'ctes du colloque international de Montpellier, 199%&
%
 'joutons que élène Eier préparait, dans le cadre d’un aster, un éoire sur la doesticité au PQP
 e
 siècle&
 
 placeuse, le couple =anlaire, *osep., Marianne la cuisinière, le apitaine Mau5er, /ose et4eor5es, le jeune alade& Horti en "01%, le !il a été accueilli !avorableent par la critique
$
 et a été sélectionné pour la (erlinade, oR il était en copétition, entre autres, pour l’Ours d’or et l’Ours d’ar5ent dueilleur acteur& Ql a, par ailleurs, été vu en France par 777 11# spectateurs, preuve  la !ois de laqualité de l’entreprise et de l’intérSt que le roan continue  susciter&
! Une question de cor"s
Depuis de nobreuses années, les études irbelliennes ont insisté sur la place des corpsdans l’œuvre de Mirbeau& élestine elle>Se rearque cobien sa vie se esure au nobre de pas qu’elle !ait dans une journée -
 4ussitHt arriv?eC encore ?tourdie 5ar =uatre heures dechemin de fer en troisi@me classeC et sans =u’on aitC : la cuisineC seulement song? : m’offrir unetartine de 5ainC /adame m’a 5romen?C dans toute la maisonC de la cave au grenierC 5our memettre imm?diatement Iau courant de la besogneA Fh K elle ne 5erd 5as son tem5s ni le mien.e =ue c’est grandC cette maison K .e =u’il - en a l:9dedans des affaires et des recoins K
 G pp&7#9>790& 3lus loin, elle évoque les escaliers qui l’obli5ent  se déplacer d’un éta5e  l’autre, jusqu’ lui ropre les reins - 
 De5uis une semaineC >e ne 5uis 5lus ?crire une seule ligne de mon >ournal Muand vient le soirC >e suis ?reint?eC fourbueC : cran Je ne 5ense 5lus =u’: mecoucher et dormir Dormir K 3i >e 5ouvais tou>ours dormir KAAA
 TUV
 Pour un ouiC 5our un nonC /adame vous fait monter et descendre les deu8 maudits ?tagesA Fn n’a mNme 5as le tem5s de s’asseoir dans la lingerieC et de souffler un 5eu =ue drinn KAAA drinn KAAA il faut se lever et re5artir
G p& 2"#& =a !ati5ue du corps est d’autant plus sensible dans le te+te que le narrateur ultiplie les points de suspension coe autant de si5nes d’essou!!leent& Ql ne c.erc.e passeuleent  suivre le quotidien de élestine W il veut représenter sa sou!!rance, sa douleur, sonépuiseent p.Isique, a!in de !aire de sa créature de papier un Stre de c.air et de san5, dont la
res5iration
 traverse les p.rases& *acquot a !ort bien copris l’enjeu, puisqu’il n’.ésite pas, par e+eple,  reprendre tel quel l’épisode au cours duquel la servante s’ac.arne  5riper lesarc.es pour aller c.erc.er une 
aiguille
 G, puis 
du fil 
 G, puis 
des ciseau8
G, a!in desatis!aire les ordres de sa a)tresse& 3our ieu+ rendre copte de l’e+trSe pénibilité de lat;c.e, le cinéaste deande alors  son actrice de claquer des talons et de !orcer le pas& Ql privilé5ie, en outre, de violentes plon5ées et contre>plon5ées et va jusqu’ c.oisir une courte!ocale a!in d’accentuer la lon5ueur des escaliers& Mieu+, il recourt  un onta5e dInaique pour accopa5ner la course !olle de la servante qui, courbée par des douleurs 5astriques, en vient s’accroc.er  la rape& 'u cinéa, toute!ois la question des corps prend une autre diension et a partie liée avecle jeu& Hi la décision de retenir tel ou tel acteur est souvent conditionnée  des questionsatérielles, notaent des problèes de copatibilité d’eplois du teps, il reste que les c.oi+ne relèvent pas du .asard& Dans le cas présent, *acquot s’est inspiré, pour son castin5, de lasituation sociale de ses personna5es&
 Le Journal d’une femme de chambre
 oppose en e!!et deu+ondes qui se c6toient par la !orce des c.oses - celui des doestiques et celui des a)tres&ertes, Madae =anlaire
n’est 5as habill?e comme : Paris
TetV
 ignore les grandescouturi@res
G p& 791, ais elle reste, al5ré tout, celle qui coande  ses 5ens& oenttraduire une telle di!!érence A =a solution apportée par le cinéaste ne anque pas d’in5éniosité -il a décidé d’attribuer les r6les de Monsieur et Madae =anlaire  des coédiens connus surtoutau t.é;tre& Xn e!!et, en dépit de quelques apparitions c.e< 'udiard, 'alric ou Kacac.eLColéado,lotilde Monnet est d’abord reconnue pour ses prestations sur les planc.es W quant  ervé3ierre, il a beau avoir ultiplié les petits r6les devant la caéra, il est, avant tout, pensionnaire$
 Deu+ articles ont été oins élo5ieu+, celui de ?incent Ostria, dans
 L’Oumanit?
, ou celui de *oac.i =epastier dans
 Les .ahiers du cin?ma
& =e preier re5rette 
un man=ue de 5arti 5ris fort 
 G, tandis que le second a l’ipression de 
de voir le dessin d’une mosa=ue =ui se r?v@leC au bout du com5teC bien monolithi=ue
 G&
 
de la oédie>FranYaise& Hans doute tous deu+ sont>ils .abitués  la caéra, ais ils restentarqués par leurs années passées sur scène& Ql su!!it d’observer leur !aYon de jouer&Dans un ouvra5e essentiel sur les acteurs,
 Le /agi=ue et le vrai
, .ristian ?ivianidistin5ue trois tIpes de 5estuelles - 5estuelle du crédible, 5estuelle du t.é;tral, 5estuelle del’orneental& Or, lotilde Monnet et plus encore er3ierre ou, pour élar5ir, 3atricd’'ssuYao le apitaine Mau5er privilé5ient, sinon l’orneental, le t.é;tral& .acun  son!aYon, ils seblent Stre en représentation& 'ttention, nous ne éju5eons pas leur indéniabletalent dans le !il& 'u contraire, par leur !aYon de bou5er, de parler ou de se tenir, ils respectentl’esprit du te+te irbellien - ils ontrent 
le th?tre du Ibeau monde
S
 
G W ils rendent visiblesles 5riaces, les asques sournois de la respectabilité& Xn les re5ardant, les spectateurscoprennent l’.Ipocrisie – l’.Ipocrite Z[\]^_`L
hu5ocrit@s
 n’est>il pas, étIolo5iqueent,un acteur de t.é;tre A – de la société bour5eoise& Qls prennent la esure de sa !ausseté, de sa
com?die ?ternelle
 G p& %%7(ien di!!érente est la situation de ?incent =indon et =éa HeIdou+& (iner la terre, étendrele lin5e, porter une valise, servir un plat, récurer un pot de c.abreU - leurs 5estes c.erc.ent Stre crédibles,  rendre copte d’une .uanité réduite  sa !onction doestique& abitué incarner des .oes du peuple a)tre na5eur, aYon, surveillant de a5asinU coe lesiportants 3reier inistre c.e< 'lain avalier, ?incent =indon correspond peu ou prou au portrait p.Isique et oral de *osep.& oe lui, il est taiseu+ 
 son silence me trouble
 G, écritélestine, d’une étonnante souplesse, 
bien =u’il ne soit 5lus >eune
 G p& 79#, élan5e  la !oisde supériorité et de rusticité, de Istère et de !orce& ne p.rase, jetée  élestine alors qu’ellevient de !ouiller la c.abre du jardinier>coc.er, résue  elle seule la cople+ité du personna5eet de son interprète - 
,u es bien avanc?eC 5etite maladroiteC d’avoir ?t? si curieuse 4h KAAA tu 5eu8 regarder encoreC tu 5eu8 fouiller dans mon lingeC dans mes malles et dans mon me
tu nesauras jamais rien
 Tc’est nous qui souli5nonsV
KAAA
 G p& %91& Buant  =éa HeIdou+, parta5éeentre des !ailles de san5 les Hc.luber5er et les HeIdou+, qui la placent d’eblée dans lecap des puissances !inancières, et une !aille artistique qui lui o!!re des r6les  ille lieues desa condition sociale par e+eple, celui d’une prolétaire dans
rand central 
, de /ebeccaElotosNi, ou celui de la lectrice de la reine, dans
 Les 4dieu8 : la reine
, de (eno)t *acquot, elle!ait de élestine une créature oderne, sensuelle et abitieuse& Xlle lui donne une distinctionnaturelle qui lui sied par!aiteent& De son éducation, HeIdou+ a 5ardé une assurance, presqueune or5ue, qu’elle n’.ésite pas  ettre au service d’un personna5e, !@t>il réduit  l’état desiple servante de province& 'vec elle, élestine est, coe il est indiqué dans le roan,
?l?gante
 G p& 7#9, 
digneC r?serv?eC adroite et lointaine
 G p& 79$&
#! Célestine$ ma%tresse du mouvement
eci dit, un corps inerte n’a 5uère d’intérSt - il !aut lui iprier un ouveent, une!aYon de se ouvoir dans le cadre& Dans
 Le Journal d’une femme de chambre
, Octave Mirbeauinsiste sur les déplaceents de sa servante, jaais au repos, toujours entre une aison et uneautre& Bu’on se souvienne des preiers ots de la diariste - 
 4u>ourd’huiC 1T se5tembreC : troisheures de l’a5r@s9midiC 5ar un tem5s dou8C gris et 5luvieu8C >e suis entr?e dans ma nouvelle 5laceA .’est la doui@me en deu8 ansA Bien entenduC >e ne 5arle 5as des 5laces =ue >’ai faitesdurant les ann?es 5r?c?dentesA 2l me semble im5ossible de les com5ter 
 G p& 7#1& n peu plusloin, elle ajoute qu’elle n’a jaais pu  TsV
e fi8er nulle 5art 
 G p& 7#" et qu’elle est condanée 
rouler
G sans arrSt& Hans doute, dans son propos liinaire, liite>t>elle  3aris la liste de sesen5a5eents, ais ses départs en Couraine ou pour =e Mesnil>/oI prouvent qu’elle ne s’en tient:
 ?iviani .ristian,
 Le /agi=ue et le vraiC L’acteur de cin?maC su>et et ob>et 
, /ou5e pro!ond, 'i+>en>3rovence, "01%&
#
 Kous reprenons cette e+pression  3ierre Mic.el, dans sa pré!ace,
o5A cit 
&, p& 722&

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