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MICHEL ONFRAYSUR LES PAS D’OCTAVE MIRBEAU
Au premier abord il peut paraître incongru de rapprocher deux écrivains que sépare plus d’un siècle et qui, dans des conditions historiques évidemment fort différentes, se sontconfrontés à des genres bien distincts, l’un étant d’abord connu mondialement pour sesromans (
 L’Abbé Jules
,
 Le Jardin des supplices
,
 Le Journal d’un femme de chambre
) et sonthétre (
 Les affaires sont les affaires
), genres littéraires que !ichel "nfra#, philosophe deformation, n’a pas abordés$ %l n’# a guère que la critique d’art qui leur soit commune, mais lesartistes auxquels leurs noms restent attachés sont aussi bien différents et, bien évidemment,également distants d’un siècle$&t pourtant, au'delà de convergences superficielles  leurs initiales inversables, leur  proximité géographique ("! et !" sont tous deux "rnais, mais ne sont pas nés du mmec*té de la barrière sociale), leur immense culture reposant sur une masse de livres ingurgitésavec une frénésie de lecture, leur aisance matérielle acquise au mo#en de leur plume fécondeet au prix d’un énorme et harassant labeur continu pendant des décennies , il n’est pasinterdit de souligner entre eux une forme de continuité$ +ous deux  et c’est peut'tre là le lien maeur qui les unit  sont des libres penseurs,au sens habituel et restreint du mot comme au sens littéral et plus général - ils ne peuventexercer leur pensée, forcément critique, qu’en toute liberté, refusant de se plier à la langue de bois et au politiquement correct, et réfractaires à tout embrigadement partidaire, f.t'ce dansles mouvements de la gauche radicale dont ils sont les plus proches et dont ils partagent lesvaleurs et connaissent les ressorts$ /’o0 le risque d’tre attaqués, non seulement par lestenants du désordre établi et par l’
establishment 
 politique et culturel, ce qui est normal de la part de leurs cibles privilégiées, mais aussi par ceux'là mmes dont ils sont proches et quin’hésitent pas, à l’occasion, à les taxer commodément d’incohérence, ou à tenter de lesrabaisser à grands coups d’étiquettes réductrices, quand elles ne sont pas carrémentinfamantes$ Ainsi le nihilisme du dénouement des
 Mauvais bergers
 (1234) a't'il été malencaissé par le socialiste 5ean 5aurès, qui le uge 6
effarant 
 7, et par l’anarchiste 5ean 8rave, pour qui il n’# aurait plus qu’à aller se eter dans la 9eine : cependant que la décadence du udéo'christianisme prophétisée par !ichel "nfra# passe mal auprès de ceux qui, à gauche,ont besoin de continuer à croire au progrès indéfini$ %l est tellement plus confortable de s’entenir obstinément et aveuglément à ses propres convictions, sans chercher à les confronter à lacomplexité du réel; /ans des milieux intellectuels bien formatés et volontiers misonéistes, à gauche,hélas < aussi bien qu’à droite, cette liberté de pensée ne saurait tre bien vue - il # a des chosesque l’on préfère ne pas voir ni savoir, pour préserver sa bonne conscience et ses bonnesdigestions, et il est risqué de prétendre forcer 6
les aveugles volontaires
 7 à 6
regarder  Méduse en face
 7, selon la forte expression de !irbeau$ !ais c’est ustement cette courageuseliberté de pensée et d’expression qui fait d’"! et de !", parrèsiastes héritiers des c#niquesgrecs de l’antiquité, des incarnations de la figure de l’intellectuel éthique - celui qui, à l’instar d’Albert =amus  qui constitue entre eux une manière de trait d’union , n’obéit qu’à saconscience, qui place l’éthique au poste de commande, et qui met sa notoriété, son entregentet sa plume au service de ses valeurs et de ses idéaux humanistes, au lieu de se servir lui'mme, vulgairement et c#niquement, comme c’est trop souvent la règle che> les politiciens etles nantis$?ne seconde convergence idéologique est l’athéisme sans concession et lematérialisme radical de nos deux auteurs, qui les amènent, sur la base de la connaissance del’histoire comme sur celle de l’anal#se du présent, à voir dans les religions en général, et dans
 
le christianisme en particulier, non seulement des m#stifications et un opium du peuple visantà empcher la prise de conscience et la révolte des opprimés, mais aussi des illusionsdangereuses par l’obscurantisme qu’elles entretiennent et le fanatisme qu’elles peuventsusciter$ &n arrachant aux religions le masque de respectabilité qui empche la maorité desgens d’en percevoir les dangers et qui incite à la prudence nombre de ceux qui, sans adhérer eux'mmes aux religieuses fariboles, entendent néanmoins respecter, che> les cro#ants, usqu’aux plus absurdes superstitions, sous prétexte qu’ils sont des victimes à prendre enconsidération, !irbeau et "nfra# se sont mis à dos les conservateurs de tout poil, comme il sedoit, et aussi une frange non négligeable de gens de gauche, favorables à une la@cité prétendument 6 ouverte 7 et qui sont prts à faire des concessions et à pactiser dangereusement avec des religions pas encore complètement démonétisées aux #eux du plusgrand nombre d’humains, du fait de leur misère, de leur aliénation et de leur oppression$ our nos deux libres penseurs, ces compromissions constituent une forme de complicité avec tousles délits, crimes et massacres perpétrés depuis des siècles, et en toute impunité, au nom d’undieu qui les ordonne ou les ustifie  et, circonstance aggravante che> les chrétiens, au nomd’un dieu prétendu 6
 d’amour
7;Athées et libres penseurs, "! et !" se rattachent tous deux au courant libertaireindividualiste, mais en toute indépendance d’esprit et sans le moindre dogmatisme$ Bévoltés par une société prise de folie, o0 tout va à rebours du bon sens et de la ustice, commel’illustrait !irbeau dans
 Les 21 jours d’un neurasthénique
 (13C1), ils aspirent évidemment àune autre organisation sociale, qui soit respectueuse à la fois des hommes et de la nature$!ais, pour parvenir à ce changement fondamental, ils ne croient ni au suffrage universel,cette duperie qui a poussé !irbeau à lancer un appel, mondialement entendu, à 6
la grève desélecteurs
 7, ni à la violence révolutionnaire, dont on a vu quels monstres totalitaires, prophétisés par !irbeau, elle a enfantés au cours du dernier siècle$ Alors, à quoi s’enremettre D E défaut de baguette magique, ils misent beaucoup sur l’éducation, grce àlaquelle, un our peut'tre, on aboutira à un peuple constitué de véritables cito#ens, conscientsde leurs droits et de leurs devoirs, en lieu et place de moutons qu’on conduit, avec leur assentiment, à l’abattoir de la guerre ou aux urnes$ Au premier chef, bien s.r, l’éducation desenfants au cours de leur cursus scolaire, à condition que l’enseignement soit réellement la@queet scientifique et qu’il vise à développer la pensée critique, et non la soumission aveugle àl’autorité et aux corrosifs préugés propres à l’époque$ !ais aussi l’éducation continue desadultes, notamment dans le cadre d’universités populaires, grce auxquelles le peuple pourraitaccéder à la culture et à la liberté de l’esprit et qui pourraient peut'tre servir de barrage faceau déferlement de niaiseries médiatiques$ =’est en effet la culture qui constitue la seulegarantie, si ténue soit'elle, d’un avenir démocratique$ !ais fera'elle le poids, face à la toute' puissance des forces de l’argent et au martelage du prt'à'penser D !irbeau n’en est pasvraiment convaincu$ &t sans doute !ichel "nfra# pas davantage$ !ais il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, et ce pessimisme lucide de laraison ne les a pas empchés de continuer à se battre, avec l’optimisme du cFur, pour donner aux pauvres humains une chance de trouver la voie du plaisir sans culpabilité, du bonheur sans contrainte, de la dignité sans aliénation et de la liberté de pensée sans Fillères$ierre !%=G&HIondateur et président honoraire de la 9ociété "ctave !irbeau 

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