LETTRES INÉDITES D’OCTAVE MIRBEAU À PAUL HERVIEU
Les lettres inédites que j’ai le plaisir de présenter à nos lecteurs appartenaient à Jean-Étienne Huret, libraire parisien bien connu sur la place, et qui se trouve être le petit-fils deJules Huret, le grand ami de irbeau! "l avait #érité de son p$re quantité de lettres d’écrivainsde la %elle Époque, notamment celles d’&ctave irbeau à son grand-p$re, qu’il m’agénéreusement autorisé à consulter, à copier et à publier 'en ())*, au+ Éditions du Lérot!ette correspondance était d’autant plus passionnante qu’elle n’était pas à sens unique,comme celles de irbeau avec laude onet et .uguste /odin 0 Jules Huret avait en effetcopié, avant de les e+pédier, un certain nombre de ses propres lettres adressées à irbeau!1armi les trésors que Jean-Étienne Huret a mis à ma disposition se trouvaient aussi 23lettres de irbeau à 1aul Hervieu! 4lles ne venaient pas de Jules Huret, qui n’avait aucuneraison de les posséder, mais de son fils, qui les avait acquises au cours de diverses ventes etles avait ensuite léguées à son propre fils, Jean-Étienne! Éc#elonnées entre 355(-3556 et3*)7, ces lettres étaient toutes destinées, sauf les deu+ derni$res, à prendre place dans levolume de supplément à mon édition de la
Correspondance générale
de irbeau! aiscomme Jean-Étienne Huret a décidé, à contre-c8ur, je suppose, de mettre en vente sesarc#ives et collections d’autograp#es, qui ont par conséquent été dispersées, en juin ()32, lorsd’une vente publique dont le catalogue est signé 9#ierr: %odin, il m’a paru sou#aitable de les publier sans attendre la parution du supplément!%ien qu’elles ne représentent qu’une petite partie de la correspondance éc#angée entreles deu+ amis et confidents, ces lettres couvrent pr$s d’un quart de si$cle de leurs relations et permettent donc de suivre en parall$le la carri$re des deu+ journalistes devenus écrivains àsucc$s et dont les routes ont fini par diverger! ; en juger par le parfait dévouement d’Hervieuau+ intérêts de son a<né, et par la reconnaissance éperdue de irbeau pour le jeune écrivaintalentueu+ toujours prêt à lui faire le sacrifice de ses propres intérêts, rien ne semblait devoir jamais brouiller des relations aussi étonnamment durables et cordiales! 4t pourtant, à lire leslettres d’&ctave, force est de se dire que le ver devait bien être dans le fruit, bien avant que nese produise leur séparation, en 3*)7! =eu+ éléments, qui pourraient para<tre anodins au premier abord, en portent témoignage! 9out d’abord, en décembre 355>, lorsque irbeaudécouvre un article de ?ustave ?effro: consacré à Hervieu et qu’il tique sur l’importanceaccordée par le critique à la dédicace de
L’Inconnu
à @
Édouard Pailleron, de l’Académie Française
A 0 en l’occurrence, ?effro: avait bien raison de subodorer, d$s cette époque, lesambitions académiques de 1aul Hervieu et ce craindre que, malgré son originalité certaine, ilne finisse par se rallier à une forme de @
littérature bien-pensante
A! &ctave se récrie pourtant,comme s’il n’en était pas encore conscient, alors que, tout au long des années suivantes, lesmondanités de son confident lui apporteront de fréquentes confirmations de craintes qu’iln’ose même pas encore s’avouer! =i+ ans plus tard, irbeau a un aveu qui en dit long sur sa prise de conscience rétrospective, apr$s avoir relu les lettres de son ami 0 @
J’ai revécu tout un passé, toute une vie, et ’ai pleuré bien des !ois" #t e me suis reproc$é, avec amertume, de nevous avoir pas asse% aimé, peut-&tre, comme il e't !allu vous aimer
! A "l ne précise pas en quoisa faBon d’aimer lui est apparue brusquement comme défectueuse! ais on peut tout demême deviner qu’il se reproc#e d’avoir parfois mal jugé les ambitions et les fréquentationsmondaines d’Hervieu 0 n’aurait-il pas dC en faire abstraction et l’aimer sans aucunerestriction, @
tel (u’en lui-m&me en!in
A, pour les innombrables preuves qu’il lui a données,depuis quinDe ans, d’une indéfectible amitié, et pour la masse imposante de services qu’il lui arendus en tout altruisme, quelles qu’aient pu être par ailleurs leurs différences d’appréciationslittéraires et politiques E &n a comme l’impression d’un malentendu, qui crée un certainmalaise!
&n découvre également, en lisant ces lettres, trois c#oses diversement cocasses et quiinterpellent les amateurs d’&ctave! La premi$re a trait à la masoc#iste passion de l’encore jeune &ctave pour Judit# Finmer, qui lui inspirera la Juliette /ou+ du
Calvaire
! ; l’occasiond’une crise, dont nous ne savons rien, au cours de laquelle il rec#erc#e vainement cettema<tresse insaisissable, il écrit 0 @
)uis-e !ou * #st-ce l’évocation+
A Évocation G 4st-ilconcevable que, au fond de l’ab<me o il était descendu, le pourfendeur de toutes lessuperstitions et de toutes les cro:ances au surnaturel en ait été réduit à avoir recours à unmage ou c#arlatan quelconque et à procéder à l’évocation d’esprits et de morts, pratiqueoccultiste par e+cellence E &n regrette, bien sCr, de ne rien savoir de plus sur cette e+périence,qui ne manque pas de surprendre! ais force est aussi de noter par ailleurs que le matérialisteradical qu’était irbeau n’en était pas moins fasciné par les m:st$res de l’inconnaissable ettr$s ouvert à toutes sortes de pratiques relevant de ce qu’on appelle la paraps:c#ologie, et quine lui semblaient pas forcément incompatibles avec la rec#erc#e scientifique 0 en 3557, ilconsacrera plusieurs articles à l’"nde, à l’#:pnotisme et à la télépat#ie, et prétendra même
avoir été témoin de plusieurs e+périences @
(ui con!ondent la raison $umaine
A et en comparaisondesquelles les e+périences de #arcot ne sont que @
de plaisantes et insigni!iantes !arces
A I en 35*),
il assistera à un @
dner occulte
A en compagnie de laude onet et tép#ane allarmé I eten 3*)5 il sera passionné par 1ierre urie et ses e+périences d’électromagnétisme sur lemétaps:c#isme telles que les lui présentera Édouard 4staunié! ertes, il s’est abondammentgaussé de 1éladan et d’ @
ésoteri )atie
A et il a dénoncé les escrocs qui abusent de lacrédulité des gogos! ais l’e+istence de c#arlatans et d’illuminés n’est apparemment passuffisante à ses :eu+ pour qu’il rejette
a priori
, comme certains scientistes dogmatiques, desrec#erc#es susceptibles de permettre d’en savoir plus sur les possibilités du ps:c#isme#umain! "l essaie de faire la part des c#oses et de raison garder dans un domaine o lese+périences véritablement scientifiques sont malaisées! .lors, tout bien considéré, si, au plusfort d’une crise, il a eu, un beau jour, comme beaucoup d’autres personnes désemparées et enquête de solutions miraculeuses, recours à un mage et à l’évocation d’on ne sait quel esprit,cela n’aurait rien de véritablement surprenant!La deu+i$me cocasserie révélée par ces lettres concerne les
Lettres de l’Inde
et le personnage de umangala, que irbeau prétendait avoir rencontré à e:lan et que, sur la foides rapports de son commanditaire KranBois =eloncle, il présentait comme un boudd#istequasiment at#ée, #umaniste, ouvert et cultivé! &r, trois ans et demi plus tard, voilà qu’ilrencontre un témoin, ou prétendu tel, qui dégomme la figure m:t#ique de ce prêtree+traordinaire, présenté comme un mod$le au+ prêtres de l’occident c#rétien, pour luisubstituer celle M combien dém:stificatrice G d’un individu inculte et carrément @
idiot
A!4n confrontant ces deu+ images contradictoires, il nous incite, une nouvelle fois, à nousméfier de la faBon dont on fabrique l’#istoire, sur la base d’une masse de témoignages quin’ont rien d’objectif et sont plus que suspects, quand il ne s’agit pas d’erreurs grossi$res,telles que celle de =eloncle, ou de fau+ caractérisés, tels que ses
Lettres de l’Inde
! Nn an plustard il racontera une sienne mésaventure de la même farine dans @ Nne page d’#istoire A '
Le Figaro
, 3O décembre 35*) et conclura son récit par cette constatation désabusée 0 @
#t vous save%, toute l’$istoire est comme ça
A!Puant à la troisi$me cocasserie, elle a trait à un pauvre diable du nom de arin9#ibault, jadis journaliste dans une feuille de c#ou de l’4ure et figure emblématique du raté, personnage particuli$rement apprécié par notre conteur! "l s’en moque donc all$grement dansun article, @ ouvenirs et regrets A, paru le (* février 35*2 dans
Le .aulois
, lors même qu’il prétend avoir appris la veille la mort de son ancien confr$re, rapportée dans un entrefilet d’un journal de l’4ure! &r, découvre-t-on avec surprise au détour d’une lettre à Hervieu, nonseulement arin 9#ibault est bien vivant, mais il menace de faire un proc$s au journal etréclame d’astronomiques dommages et intérêts, qu’il n’a évidemment pas dC obtenir G!!! 1our
les mirbeaulogues, la question se pose de savoir si irbeau a été, en toute innocence, trompé par la feuille de l’4ure, ou bien s’il a imaginé gratuitement la mort de ce lointain confr$re, perdu de vue depuis des décennies, #istoire de donner une apparence de justification àl’évocation grotesque de son souvenir et de bien faire rire les lecteurs à ses dépens! Puandl’inspiration ne vient pas et qu’il faut tout de même remplir 6)) lignes pour gagner sa croCte,les arin 9#ibault sont une manne pour le c#roniqueur en quête de sujetsQ1our ne pas alourdir abusivement un article déjà long, nous ne reproduisons pas, dansles notes, les e+plications et informations précédemment fournies dans les trois volumes déjà publiés de la
Correspondance générale
de irbeau, au+quels nous nous contentons derenvo:er!1ierre "H4L!RRR
Lettres inédites de Mirbea ! Pa" Her#ie$
!S1aris T fin 355( ou premi$re moitié de 3556
Uon c#er ami,uis-je fou E 4st-ce l’évocation
!!! 9out à l’#eure, on vient de m’apporter une lettre,non de Judit#
, mais de son amie!L’amie, sous un préte+te absolument futile, me prie de l’aller voir demain matin!Pu’en penseD-vous E.lors, si c’est l’évocation, il faut admettre que Judit# se cac#e à 1aris, car elle n’aurait pas eu le temps de commander à son amie de m’écrire et il n’en faut pas douter, c’est Judit#qui le lui commande!Je bafouille, mais cro:eD que je suis étrangement surpris de ce qui arrive!Je vous embrasse!&ctave irbe S
sic
U
%&
S1aris T l556Uon c#er ami,=epuis trois jours je nage dans une tragédie, si sombre qu’4sc#:le lui-même n’a rieninventé de pareil
!e:er : joue le rMle du tra<tre! 9rois actes sont actuellement représentés, il en manquedeu+ qui ne tarderont pas!omme dénoCment, je prévois ceci!e:er tué par moi, ou bien e:er passant en police correctionnelle
!3
1apier à en-tête 0 un coq vu de profil, sous lequel une banderole comporte la devise d’.rt#ur e:er, dont irbeau est alors le secrétaire particulier, @ Je c#ante clair A!
(
Kormule énigmatique! ; moins d’imaginer que le matérialiste irbeau, sous l’effet de sa dévastatrice passion pour Judit# Finmer, a eu recours, pour retrouver sa trace, à des pratiques magiques remises au goCt du jour par des occultistes tels qu’.llan Vardec ou Élip#as Lévi!
6
ur Judit# Finmer '3575-3*73, qui est alors la ma<tresse de irbeau et qui sera le mod$le de Juliette /ou+ du
Calvaire
, voir l’article de Jean-ic#el ?uignon, @ .u+ sources du
Calvaire
Pui était Judit# W Juliette E A,
Ca$iers /ctave 0irbeau
, nX (), ()36, pp! 3O7-37(!
O
Yous ignorons mal#eureusement à quoi irbeau peut bien faire allusion!
7
Les rapports entre .rt#ur e:er et son secrétaire particulier, qui ne va pas tarder à s’émanciper, étaient fort conflictuels et le sont restés par la suite, entrecoupés de réconciliations peu durables! Les mét#odes du patron du
.aulois
n’étaient gu$re ort#odo+es et devaient souvent franc#ir les limites de la légalité, il est vrai fort
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