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COMPTES RENDUS
Romantisme propose dans chacun de ses numéros les comptes rendus des ouvrages récemment
publiés sur le XIXe siècle qui lui ont été envoyés. Pour ce faire, une équipe composée de
spécialistes de différentes disciplines (Jacques-David Ebguy, responsable de la rubrique, et
Claire Barel-Moisan, David Charles, Ségolène Le Men, Boris Lyon-Caen, Florence Naugrette,
Dominique Peyrache-Leborgne, Éléonore Reverzy, Anne-Marie Sohn) se réunit régulièrement,
afin de déterminer des recenseurs et de les solliciter. Les comptes rendus sont distribués sur deux
supports, le site de la SERD accueillant de manière privilégiée les comptes rendus des éditions de
textes.
Parallèlement à cette activité de recension qui permet à la revue de se faire l’écho des principales
publications sur le XIXe siècle français et étranger, la rubrique offre occasionnellement un débat
croisé entre un auteur et un lecteur, à propos d’ouvrages dont l’ampleur des perspectives historiques
ou critiques, l’originalité des thèses sont de nature à susciter la discussion et à intéresser l’ensemble
de la communauté dix-neuviémiste.
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irrémédiable » (p. 300), qui apparaît dans la fra- où la littérature est ce qui donne espoir, au-delà
gilité des coutures saillantes que le texte nous de tout désespoir. » (p. 191)
dévoile avec ironie, si bien que le romantique Si l’on ne peut que souscrire à cette lecture
donne « à entendre sa propre intériorité qui tou- de l’œuvre nervalienne, qui en dégage les enjeux
jours se brise et se reconfigure, en un étoilement profonds, et à l’analyse qui éclaire comment la
du sens à la fois fascinant et décevant. » (p. 159) création nervalienne se construit par et pour
Outre cette interrogation profonde sur les cette finalité, on peut néanmoins émettre un
structures régissant l’imagination nervalienne, léger regret sur les suites qui sont données à ce
Corinne Bayle nous livre un travail précis et constat. L’ouvrage déploie certes des formules
stimulant sur les liens existant entre Nerval et très heureuses pour saisir pleinement cette ambi-
les auteurs dont il hérite, ceux avec lesquels il tion romantique pour l’art mais n’approfondit
échange, ou ceux qui lui feront encore écho peut-être pas assez les façons spécifiques dont
après sa mort. Cette démarche résolument inter- la poésie entend performer le réel, les frontières
textuelle s’inscrit en totale cohérence avec la précises de cet « autre monde » auquel elle donne
dimension plus thématique de l’analyse, enri- accès, la nature singulière de ce sens nouveau
chissant celle-ci de champs de résonances où se qu’elle amène à la présence. Ces quelques regrets
poursuit le geste nervalien. Chacun des chapitres de lecteur n’enlèvent cependant rien à la qua-
met Nerval en miroir d’une ou plusieurs figures lité de la démarche, qui se centre plutôt sur les
particulières, parfois inattendues mais toujours conditions imaginaires de la création poétique :
convaincantes, tentant de saisir l’itinéraire sin- au contraire, ils constituent sans doute le symp-
gulier de Nerval par contraste avec celui de ses tôme d’une ouverture d’horizons de recherche
Autres. Ainsi peut-on souligner l’originalité et que nous invite à poursuivre ce premier ouvrage
la pertinence des comparaisons avec Novalis, d’une « série Gérard de Nerval » à venir.
Rimbaud ou encore Musset ; de même, l’intérêt
accordé à certaines œuvres, telles le Werther de Martin Mees
Goethe, qui apparaissent souvent secondaires
dans le travail des sources nervaliennes.
À travers ces études, il s’agit encore de mon-
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tique : un acte de foi renouvelé dans les pouvoirs « Chemin faisant », on saura donc gré à
de la création artistique » (p. 131). Après avoir Philippe Berthier d’avoir contribué à révéler
illustré à partir des chapitres d’« incidences » la un nouveau visage de Chateaubriand que l’on
poétique de la discontinuité qui triomphe dans espère plus à même de susciter de nouvelles
les Mémoires, Philippe Berthier revient pourtant, lectures.
après Philippe Muray, auquel il rend hommage,
sur le drame que fut l’édition des Mémoires pour Fabienne Bercegol
Chateaubriand qui découvrit alors son humi-
liante dépendance au nouveau marché de la
littérature.
De cette partie très riche, nous détacherons Jean-Louis CABANÈS et Vincent LAISNEY
l’article intitulé « Mémoires pour rire », car il est (dir.), L’Année 1855. La littérature à l’âge de
sans doute le plus représentatif de l’apport de l’Exposition universelle, Paris, Classiques Garnier,
Philippe Berthier aux études sur Chateaubriand : coll. « Études romantiques et dix-neuviémistes »,
rompant avec la « grande école de la mélancolie » 2016, 615 p.
(Baudelaire, L’Art romantique) dans laquelle on
a trop souvent enfermé l’œuvre de l’auteur de Contrairement aux millésimes littéraires
René, Philippe Berthier passe en revue toutes les tels 1857, l’année étudiée dans ce volume est
formes de comique et de satire que le mémo- a priori non remarquable en ce qu’elle n’est
rialiste pratique abondamment, sans oublier sa pas consacrée à la gloire d’une œuvre ni à la
propension à l’autodérision, encore trop sou- mémoire d’un auteur. Elle n’en est pas moins
vent occultée par l’image de l’écrivain imbu de significative, comme le montrent avec brio les
sa personne. En s’arrêtant sur ces scènes cocasses études développées ici, qui mettent en évidence
et, d’une manière générale, en privilégiant les ce qui se prépare dans une période qui n’est
derniers livres des Mémoires où la métaphore creuse que si on ne se donne pas les moyens
théâtrale l’emporte pour figurer le cours vau- de l’interroger adéquatement. Particulièrement
devillesque de l’Histoire, Philippe Berthier se exposante, 1855 s’avère une année charnière,
donne les moyens d’écrire la critique qu’il aime, intéressante précisément en raison de sa non-
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désormais crucial d’« évaluer ce qui l’industrie Le réalisme de Courbet, qui fait sensation et
fait à la littérature » (p. 12). sécession à l’image de la place que s’octroie son
Outre la tendance attendue à la panthéo- « pavillon » dans l’infrastructure de l’Exposition,
nisation de quelques gloires culturelles dédiées est pourtant bien soutenu institutionnellement
au prestige du Second Empire, ce qui s’observe et fait par ailleurs l’objet de nombreuses réac-
concerne au premier plan la reconfiguration des tions ironiques (Thomas Schlesser). Si l’Expo-
publics, la mise en place de formules situées sition est le creuset de la modernité, c’est aussi
entre l’économique et le culturel, ainsi que parce qu’elle conduit à articuler la compréhen-
la transition opérée par des mutations signi- sion du présent avec la visée projective d’un
ficatives dans l’édition, la presse, la littérature futur à déterminer, qui repose pour une grande
populaire et la vulgarisation scientifique. Des part sur une relecture orientée du passé, pétrie
articles magistraux en prennent acte en s’ap- de tradition et férue de références à l’Antiquité.
puyant sur des données précises judicieusement C’est dire si la nouveauté se constitue à la fois
mises en perspective : le champ littéraire arrive dans les imaginaires, les représentations, les ins-
à l’aboutissement d’un long processus d’autono- titutions et les discours. Elle est dans les textes,
misation impliquant une transformation globale dans les objets, dans les dispositifs mais aussi sur
du système de la communication sociale (Alain scène, en musique, au moment où s’ouvrent les
Vaillant), deux géants de l’édition naissent avec Bouffes-Parisiens et s’invente l’opérette d’Of-
la maison Michel Lévy frères et Louis Hachette, fenbach (Patrick Besnier).
qui inventent la collection in-18 à 1 franc le Menées par des spécialistes, les études se
volume pour le premier et la « Bibliothèque croisent et s’enrichissent en offrant autant de
des chemins de fer » pour le second, le for- points de vue éclairants et maîtrisés qui allient
mat des journaux-romans est en vogue avec la synthèse accessible et l’analyse ciblée du
le Journal pour tous lancé par Charles Lahure détail érudit. La source majeure que constitue
(Jean-Yves Mollier), la notion de « littérature la Bibliographie de la France est fréquemment
populaire » se déploie dans toute la complexité convoquée pour les sections, les dénominations
des conceptions du peuple et des formats d’une et les découpages génériques qu’elle aménage et
production de plus en plus sérialisée (Matthieu exploitée quantitativement dans des études chif-
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Jean Canavaggio est scrupuleuse, rigoureuse, par Benjumea, il réprouve aussi l’interprétation
exhaustive. Tout ou presque est dit sur Mérimée hugolienne qui fait du Quichotte une « critique
en Espagne, ou Mérimée et l’Espagne : l’au- des romans de chevalerie ». Elle en est selon lui
teur a pris soin de consulter, évaluer, authenti- non « le but, mais l’occasion » ; l’œuvre doit
fier, archiver, classer et commenter absolument être envisagée plutôt comme une fête de l’esprit,
tout ce que Mérimée a pu écrire, lire, voir sur comme une parodie aussi des imitations serviles
l’Espagne, ou tout ce qu’il a pu rencontrer, du roman chevaleresque...
découvrir, apprécier, connaître, manger, boire On dispose donc alors d’un merveilleux
ou encore éprouver en Espagne. Faut-il rappeler outil pour saisir de manière synoptique la por-
ici que Jean Canavaggio est un des plus émi- tée et l’étendue de l’hispanophilie mériméenne,
nents spécialistes et biographes de Cervantès en de même que nous pouvons mieux comprendre
France comme au-delà des Pyrénées, et qu’il quelle révélation a été pour lui le voyage de
est actuellement membre correspondant de la 1830, et quelle puissante et durable fascination
Real Academia de la Historia de Madrid : peut- a exercée sur lui la culture ibérique. L’Espagne
être cette analogie avec Mérimée est-elle pour est manifestement la « terre faite à son âme »,
quelque chose dans le choix de ce nouveau pour reprendre la célèbre formule de Camus. J.
domaine de recherche, à moins que ce ne soit Canavaggio, dès lors qu’il évoque un nouveau
la passion de Mérimée pour Cervantès, notam- document, fournit toutes les clefs permettant
ment Don Quichotte, qui ait motivé cette étude de le situer au sein de ce corpus « espagnol ».
en forme d’hommage. Le fait est que Mérimée L’identification méticuleuse des documents s’ac-
est plus qu’un fervent lecteur de cette œuvre compagne aussi de résumés, parfois longs, des
incomparable, il entre dans une sorte de frater- nouvelles – dont la présence ici ne se justifiait
nité avec son auteur : sa préface posthume au peut-être pas et qui, du coup, donnent l’im-
Quichotte peut être considérée en effet comme pression d’un travail de vulgarisation. L’analyse
une sorte de testament spirituel dans la mesure de Carmen par exemple (p. 103), qui prend en
où « elle trahit une émotion discrète mais poi- quelque sorte au pied de la lettre le tragique
gnante », celle d’un homme qui, évoquant les de la nouvelle (nouvelle en réalité très ironique
derniers moments de Cervantès, « sait que lui- et cultivant un pathétique délibéré), laisse un
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l’album Delessert comportant divers dessins et est avant tout un outil multifonctionnel – et
gouaches de Mérimée, les tableaux qui viennent quel outil ! – mis à la disposition des chercheurs.
illustrer ou appuyer le propos sont excellem- Les parties les plus riches et innovantes
ment choisis, soit qu’il s’agisse de tableaux vus sont peut-être « Mérimée recenseur », ainsi que
par Mérimée, soit qu’ils représentent tel ou tel « Mérimée épistolier » où, sélectionnant dans
de ses contemporains, ou tel paysage de l’époque la Correspondance Générale les passages les plus
contemplé par ce voyageur impénitent. appropriés, Jean Canavaggio nous permet de
L’ouvrage est construit de manière très judi- voir s’esquisser une « philosophie politique »
cieuse : on suit chronologiquement le parcours de Mérimée : celui-ci en réalité est souvent un
de Mérimée, tout au long de ses séjours suc- témoin perplexe et désabusé des événements qui
cessifs en Espagne, de même qu’on le voit agitent l’Espagne à partir de 1850. Il ne se pose
écrire continûment sur l’Espagne, sous des jamais en théoricien dogmatique mais plutôt en
formes variées. La présentation est habile dans observateur cherchant à saisir le sens de phéno-
la mesure où le découpage relève de critères à mènes qui lui échappent encore. D’une manière
la fois diachroniques et épistémologiques : il générale, la lecture du livre de J. Canavaggio fait
s’avère que Mérimée a régulièrement changé bien apparaître la conviction chez Mérimée que
de type d’approche, modifié son mode d’in- l’Espagne est gagnée comme la France par « la
vestigation du monde espagnol, au fil de ses gente de frac » c’est-à-dire une idéologie progres-
voyages et préoccupations propres. Ainsi faisons- siste et égalitariste qui mine l’édifice social et
nous connaissance avec « Mérimée mystifica- menace d’emporter le pays vers la Révolution, la
teur », « Mérimée voyageur », « Mérimée roman- guerre et le chaos. Sa préférence va souvent pour
cier » (et nouvelliste), « Mérimée historien », un « despotisme éclairé » (voir lettre à Mme de
« Mérimée recenseur » et « Mérimée épistolier ». Montijo du 9 janvier 1867).
Il y a certes parfois, inévitablement, des recou- Qu’on nous permette pour finir quelques
pements : ainsi la partie qui analyse la vision suggestions : ne peut-on penser, à propos des
de l’Espagne dans la correspondance excède Âmes du Purgatoire, que Mérimée avait vu le
nécessairement le cadre chronologique auquel tableau du Gréco intitulé Le Songe de Philippe II,
on voudrait la limiter, mais ce sont là broutilles qui se trouvait à l’Escorial et que Philippe II
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Cahiers Mérimée ont montré également toute ont étudié le phénomène cyclique soit dans des
la dimension frénétique de ce théâtre échevelé... corpus particuliers – paralittérature (A. Besson),
À propos de Carmen toujours, on suit souvent, roman arthurien (P. Moran) –, soit de façon
pour ce qui est des sources, les éditeurs de l’édi- incidente – au détour d’une réflexion sur le
tion de La Pléiade : des travaux plus récents roman-fleuve (A. Leblond) ou sur la disposition
ont montré cependant que Mérimée n’avait narrative (U. Dionne). Pas de telle restriction
pas seulement consulté le livre de Borrow pour ici : pour la première fois depuis C. Pradeau (qui
les mœurs des gitans, mais très probablement dans sa thèse inédite se penchait sur « l’idée du
aussi l’Histoire des Bohémiens ou Tableau des cycle »), Conrad tente de fonder une poétique
Mœurs, usages et coutumes de ce peuple nomade, générale des pratiques cycliques. Les bornes
de Heinrich Moritz Gottlieb Grellmann traduit posées (« de Balzac à Volodine ») sont d’ailleurs
de l’allemand en 1810, de même que l’Essai sur elles-mêmes trompeuses : d’abord, au moins un
les Gitanos (paru en 1827 dans les Nouvelles des textes de référence (le Manuscrit trouvé à
Annales des voyages) de son ami Jaubert de Passa, Saragosse) est antérieur à La Comédie humaine ;
rencontré en 1834... ensuite, Conrad s’autorise de fréquentes incur-
La bibliographie de l’ouvrage est très pré- sions du côté de l’Ancien Régime, du Moyen-
cise et impeccablement établie. L’auteur a sélec- Âge, voire de l’Antiquité ; enfin et plus fon-
tionné les meilleures études d’hier et d’aujour- damentalement, le bornage chronologique (ou
d’hui, et en a tiré tout le parti possible (Relire national) a peu de sens pour une telle approche
les Lettres d’Espagne, de François Géal – on formelle, dont les observations devraient être
suppose que c’est à lui que s’adressent les remer- applicables, mutatis mutandis, à l’ensemble des
ciements dans la préface, et non à Pierre Géal – avatars du cycle.
par exemple, analyse en tout point remarquable), L’optique est donc résolument poétique,
mais on ne peut s’empêcher de se demander tou- et même genettienne : Conrad se propose de
tefois pourquoi ni la revue HB, ni les travaux « considérer le cycle comme un sixième type
de Clarisse Réquéna notamment ne sont jamais de transtextualité, irréductible aux cinq pre-
mentionnés : on peut le regretter tant il est vrai miers » (14). Si les relations transtextuelles déjà
que l’article de Clarisse Réquéna sur les gitans étudiées par Genette sont fondées respective-
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sait heureusement jouer de différentes focales, L’articulation des opus peut aussi s’opérer
passant constamment de la vue d’ensemble à dans l’ordre du récit, par le plan : « [l]e plan
l’analyse de détail. Le plaisir pris à la lecture de ménage un parcours de lecture dans le cycle,
son travail tient ainsi non seulement à l’ampleur non sur le plan fictionnel comme le retour
de ses aperçus, mais aussi à la finesse de ses des personnages, mais sur un plan discursif et
lectures ; ceux que le grand jeu poétologique sémantique. » (180) (Les nombreux « plans »
indiffère trouveront ainsi d’excellents dévelop- qui rythment cette citation relèvent sans doute
pements sur l’Histoire des Treize, sur la trilogie moins de l’antanaclase que d’une certaine lour-
de Plassans, sur Le Vicomte de Bragelonne, ou sur deur rédactionnelle, dont l’écriture de Conrad,
les parentés cycliques insoupçonnées de Louis- généralement efficace et élégante, est occasion-
Ferdinand Céline et de Claude Simon – entre nellement la proie.) Le plus souvent matéria-
autres. lisé dans un paratexte (titre, liste, préface), le
La dispersion est également évitée grâce à plan effectue deux opérations simultanées. Dans
un solide corpus de référence, à la fois large et l’ordre paradigmatique, il rassemble les textes,
précis : Conrad revient sans cesse sur quelques déterminant à la fois l’existence et l’extension
cas (La Comédie humaine, Le Drame de la France, du cycle ; sur le plan syntagmatique, il ordonne
Les Rougon-Macquart, le Cycle du Hussard, le les ouvrages, en définit le « classement [...] à
« méga-cycle » d’I. Asimov), qui lui servent l’intérieur du cycle, le long d’un axe qui indique
autant à fonder son système du cycle qu’à en pré- un ordre de lecture. » (184)
senter une relecture diachronique. Le livre est Enfin, les récits cycliques peuvent être uni-
par conséquent divisé en deux grandes parties, fiés par la narration, à travers la technique de
la première (« Les formes du cycle ») consacrée à l’enchâssement. Celle-ci se cantonne pourtant,
une typologie cyclique, la seconde (« Évolutions le plus souvent, à un seul opus (fût-il déme-
du cycle romanesque ») à une histoire fondée suré, comme les Mille et une nuits) et ne peut
sur les rapports du cycle et du modèle épique. donc être envisagée comme cyclique qu’à l’is-
Sur le plan formel, Conrad identifie trois sue d’une substitution d’image. Au modèle du
procédés complémentaires de cyclisation, en « centre » ou du « cercle », Conrad propose ainsi
s’appuyant à nouveau sur Genette – en l’occur- d’opposer « un imaginaire de l’enchâssement
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fleuve, « totalisation sans cycle » (399), se dis- la perspective décidément révélatrice de l’ac-
tingue surtout de ce dernier par son subjecti- cumulation textuelle. Plus encore : la Poétique
visme (le récit est centré sur un individu) et des cycles romanesques nous amène à porter, sur
sa conception continue du temps ; le mode l’ensemble de la littérature narrative, un regard
de publication différé des opus, qui instaure informé par cet « élan cyclique » (388), cette
une parenté superficielle entre le cycle et le sensibilité à la somme dont Thomas Conrad est
roman-fleuve, fait plutôt du second une forme lui-même le plus éloquent représentant.
pléthorique du roman-feuilleton. Dans la série,
« cycle sans totalisation » (400), la chronologie Ugo Dionne
fait au contraire l’objet d’une « neutralisation
tendancielle » (84) : le temps n’y passe (à peu
près) plus, laissant le personnage dans une situa-
tion pratiquement immuable. Réfléchissant de Marie-Rose CORREDOR (dir.), Stendhal
nouveau à partir d’un corpus à la fois compo- « romantique » ? Stendhal et les romantismes euro-
site et parfaitement cohérent (où Arsène Lupin péens, Grenoble, ELLUG, coll. « Bibliothèque
voisine avec Monsieur Teste), Conrad fait pour- stendhalienne et romantique », 2016, 346 p.
tant valoir combien la fragmentation narrative
sérielle, plus encore qu’une manœuvre commer- La question du romantisme stendhalien se
ciale, est « une réponse à la désagrégation du pose depuis toujours à la critique. En 1959,
paradigme épique du cycle romanesque » (413). l’ouvrage fondamental de Victor Del Litto sur
L’après-guerre refonde le cycle sur de nou- La Vie intellectuelle de Stendhal explorait les ori-
velles bases, qui ignorent ou redéfinissent la gines et les formes de la pensée stendhalienne,
référence épique. Chez Giono (mais aussi chez en insistant sur la profonde variété des inspi-
Duras), le cycle se désagrège : à la « scission entre rateurs du Milanese, depuis les écrivains clas-
le sujet et le monde », et à l’« évacuation de la siques français jusqu’aux polémistes anglais et
dimension socio-historique », s’ajoute une tolé- italiens contemporains. En 1984, les actes du
rance accrue envers l’incohérence, laquelle n’est XVe congrès international stendhalien, intitulé
plus « une destruction du cycle, mais simple- Stendhal et le romantisme (sous la direction de
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tée des Confessions et la nécessité de transpa- mépris pour le public issu de la Révolution :
rence de l’œuvre rousseauiste à la prédominance « L’invention des happy few est le travestisse-
du hasard dans l’autobiographie inachevée de ment, la sublimation esthétique des rapports
Stendhal. Cette rapide comparaison conduit ambivalents de Stendhal avec le peuple, le libé-
F. Spandri à mettre en lumière dans la Vie une ralisme, la démocratie, la comptabilité des lec-
« tension entre un autobiographisme qui se veut teurs qui font les succès populaires. » (p. 74)
transparent et un autobiographisme fondamen- Faire le choix d’écrire pour un public à venir
talement lyrique » (p. 36), mettant à distance le revient, pour Stendhal, à s’exclure du roman-
modèle des Confessions. Si cet article ne manque tisme. Y. Ansel montre ainsi malicieusement
pas d’intérêt, l’on peut néanmoins s’interroger que c’est son antiromantisme qui fit de Stendhal
sur sa présence dans un ouvrage consacré aux un romantique.
liens entre Stendhal et les romantismes euro- Le deuxième chapitre porte exclusivement
péens. Peut-être aurait-il eu sa place en annexe. sur l’influence de l’Italie et de l’Angleterre
La première partie du volume, intitulée sur le romantisme de Stendhal. François
« Romantisme, romantisme(s) », s’ouvre sur Vanoosthuyse étudie le discours stendhalien
le chapitre « Stratégies romantiques ». Xavier sur l’Italie post-impériale et met en lumière le
Bourdenet s’intéresse d’abord aux références à « hiatus [...] flagrant entre la réalité de l’Italie
Scott dans les textes définitoires du « roman- et la représentation qu’en donnent les roman-
ticisme ». Dans une approche sociologique, il tiques » (p. 85). Au mythe de l’Italie antique
revient en effet sur l’utilisation du modèle écos- et renaissante s’oppose une Italie moderne pro-
sais, dans lequel Stendhal trouve une « nouvelle fondément affaiblie par la chute de l’Empire
conception du héros » (p. 49) inscrite dans l’His- et décadente dans tous les domaines (avec une
toire nationale. La conception stendhalienne nuance concernant la musique et Rossini). La
du romanticisme, fondée sur l’adéquation de contribution de Matteo Palumbo confirme, à
l’œuvre au public de son temps, le conduit à partir de l’étude du cas milanais, l’analyse pré-
faire de Scott le chef de file du romanticisme. cédente : arrivé à Milan en 1816, Stendhal est
X. Bourdenet montre très justement que la pré- marqué par la Scala mais surtout par le délabre-
sence de Scott dans Racine et Shakespeare, pour- ment de la vie littéraire. Très critique à l’égard
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Romantisme, n° 181
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les Promenades dans Rome, Paolo Tortonese de la France fondée sur « la mise en échec de
démontre l’appartenance de Stendhal à l’école la Révolution » (p. 250). Stendhal voit dans
critique postulant que « le peintre observe le Bonaparte le sauveur de la Révolution puis dans
beau de la nature et en tire une quintessence la dérive autoritaire de l’Empire en 1809 le
sublime » (p. 166), par opposition aux défen- début de l’épuisement du génie français. Le
seurs de la conception mentale de l’objet esthé- retour des Bourbons en 1814-1815 conduit
tique. Michel Guérin étudie quant à lui « la Beyle vers sa « vraie patrie », l’Italie, où se déve-
notion de romantisme dans le triangle Stendhal- loppe chez lui le sentiment d’une France dédou-
Delacroix-Baudelaire » ; le Baudelaire du Salon blée : la France de la Restauration, vide de
de 1846 place en effet sa définition de l’art tout génie national, et la France mythique, liée
moderne sous le patronage de Stendhal et fait à jamais au concept de la liberté. L. Lévêque
de Delacroix le poète qui en a réalisé le pro- relève cependant l’importance de l’année 1827,
gramme. M. Guérin montre néanmoins que au cours de laquelle Stendhal fait le choix du
Baudelaire se détache peu à peu du « climat romanesque et décèle les prémices d’une nou-
empiriste et critique » (p. 178) dont Stendhal velle époque. Sara Mori rend compte, quant à
est l’héritier et oriente sa conception esthétique elle, des dernières recherches sur le réseau de
vers le romantisme allemand et l’hégélianisme. Vieusseux, libraire et éditeur de Milan, fonda-
Béatrice Didier revient enfin sur l’importance teur d’un véritable carrefour intellectuel italien
de la musique, « qui amène Stendhal à don- et européen.
ner au romantisme une plus grande amplitude » Le dernier chapitre, « Traverser l’Europe »,
(p. 191). Après avoir rappelé que les textes de regroupe deux études comparatives. Dans la
Stendhal sur la musique sont écrits très tôt, alors première, Suzanne Mildner interroge le rapport
que perce en France la musique instrumentale de Stendhal à « l’amour à la Werther », qu’il
de Beethoven et que Berlioz est encore enfant, semble considérer comme le grand mythe amou-
B. Didier montre que pour Stendhal, les roman- reux du Nord et dont il s’inspire dans Féder,
tiques en musique sont Mozart et Rossini, dont Mina de Vanghel ou De l’amour. Aniko Adam,
les opéras se distinguent par leur mélancolie. enfin, propose une approche de l’espace dans
C’est en effet à l’opéra, et plus particulièrement les œuvres de Stendhal et de l’écrivain hongrois
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Comptes rendus 159
Philippe DUFOUR, La Littérature des Images, Chateaubriand, la nature est perçue comme le
Genève, Éditions la Baconnière, collection fruit et le signe du Créateur. Comme le révèle
« Langages », 2016, 416 p. une étude détaillée du poème « Poésie, ou le
paysage dans le golfe de Gênes », le modèle de
Le titre de l’ouvrage de Philippe Dufour la poésie des « grandes images » est la poésie
est emprunté à un article de Balzac consacré hébraïque des Psaumes. Cette analyse met au
à La Chartreuse de Parme de Stendhal. Dans jour qu’un des écueils de la poésie des grandes
cet article, Balzac oppose la littérature classique, images est l’abstraction face à l’idée insaisissable
qu’il appelle « littérature des Idées », et dont de Dieu. Philippe Dufour montre également
Stendhal est le dernier représentant, à la littéra- que cette littérature se heurte aux réticences de
ture apparue avec le romantisme, qu’il appelle l’Église, qui craint le culte sensuel des images.
« littérature des Images ». Cette « littérature des P. Dufour revient en effet sur une certaine pen-
images » rompt avec la poésie descriptive maté- sée chrétienne, celle de Saint-Augustin notam-
rialiste du XVIIIe siècle car elle a pour objet une ment, qui appelle au détachement à l’égard des
nature sublime et religieuse, qui parle à l’âme. images du monde. Cette méfiance de l’Église
Elle célèbre, avec Chateaubriand, les vastes spec- envers le culte des images explique la critique
tacles de la nature, perçus comme des images de qu’elle fera de la révolution « naturaliste » du
Dieu. Contrairement à la littérature classique paysage en peinture et en littérature au XIXe
des idées, la littérature des images s’appuie sur siècle. Elle y verra une manifestation de pan-
ce que Pierre Leroux appelle un « style symbo- théisme et de matérialisme. Cette méfiance est,
lique », sensible et suggestif. Philippe Dufour pour Philippe Dufour, fondée, car les auteurs
propose dans cet ouvrage une histoire de cette qui ouvrent le Livre de la Nature sortent souvent
littérature des images apparue au début du siècle. de l’orthodoxie catholique. Le catholicisme de
Son étude nous fait ainsi parcourir l’ensemble Hugo, sensible aux « voix de la nature », glisse
du XIX e siècle, depuis « la littérature des grandes ainsi vers le Panthéisme et l’animisme. La fron-
images », dans la première moitié du siècle, à la tière entre l’âme du monde et la vie physique
« littérature des petites images » et des « illumina- étant floue, P. Dufour révèle que la littérature
tions » dans la seconde moitié du siècle. Le pro- matérialiste des petites images a été « préparée »
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heureuse fuite aérienne dans l’ailleurs et semble « illuminations ». Les images d’Hoffmann sont
appartenir à la poésie romantique des grandes des scènes de la vie de tous les jours, dans le
images, n’est, pour P. Dufour, qu’un simulacre monde de la ville. Si ces petites sensations, obs-
de grande image. Le « moi » disparaît en effet au cures et mystérieuses, cherchent de nouveau à
cours du poème et le texte devient impersonnel. dire les correspondances, du monde, cette har-
Les descriptions du lieu idéal sont, en outre, monie n’est plus créée par Dieu mais par l’ima-
abstraites et vides pour l’imagination. Cette gination du poète démiurge. Chez Maupassant,
perte des images aboutit au culte de la matière le genre fantastique se médicalise et ses récits
pour elle-même, à l’Art pour l’Art. P. Dufour cessent de dire les correspondances du monde.
met en relation les thèmes de la poésie parnas- Le fantastique demeure cependant en poésie,
sienne avec le développement d’un intérêt pour chez Rimbaud puis les surréalistes. La surréalité
le bouddhisme. Il montre que le bouddhisme a de Rimbaud et des surréalistes n’est cependant
été perçu, dans la France du XIX e siècle, comme pas une surnature chrétienne mais le monde de
une rêverie sur le néant de toute chose, un nihi- l’imagination. P. Dufour montre que les visions
lisme. Le cycle indien des Poèmes antiques de rimbaldiennes sont structurées par le langage,
Leconte de Lisle en est un exemple. plus que par une perception réelle. Les images
Dans la troisième partie, « La littérature des s’engendrent les unes les autres grâce à des échos
petites images », P. Dufour analyse les formes sonores et visuels. P. Dufour remet ainsi en
que prend la littérature des images à l’heure de cause l’étiquette de « symbolisme » appliquée à
la mort de Dieu. Tout d’abord, ne contemplant la poésie de Rimbaud en montrant que le sym-
plus Dieu, le poète se contemple lui-même dans bolisme de Rimbaud n’a rien à voir avec celui
la nature. C’est le paysage état d’âme, que l’on d’un Puvis de Chavannes. Le symbolisme de
trouve déjà chez Goethe et Chateaubriand. La Rimbaud est, en effet, selon Dufour, irréfléchi,
poésie se tourne ensuite vers le monde concret emporté par les mots eux-mêmes, comme dans
et familier de la ville. Ce sont les « comparai- Le Bateau Ivre, tandis que la peinture de Puvis de
sons crues », « palpables », « américaines » que Chavannes offre un symbolisme réfléchi proche
Laforgue trouve chez Baudelaire. Ces images de l’allégorie classique, dans lequel les images
échappent, pour P. Dufour, au symbolisme. Ce sont soumises à l’idée.
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et un symbole irréfléchi, le symbole proprement pas moins que cet aréopage interdisciplinaire
romantique des grandes images. Cette distinc- pour explorer la façon dont le savant prussien,
tion conduit l’auteur à différencier la « para- réinventeur de l’université et penseur original
bole » chrétienne, symbole réfléchi, de l’image des langues du monde dans la modernité, mais
symbolique romantique, symbole irréfléchi. La aussi les nombreuses figures de son vaste réseau,
signification de l’expression « symbole irréflé- s’inscrivent dans une science complète de l’An-
chi » mériterait d’être clarifiée. Si Caspar David tiquité (entre autres), qui mêle sans distinction
Friedrich se distingue de l’allégorie classique et philologie, archéologie et arts.
met davantage à l’honneur la nature sensible S’il manque d’un index, l’ouvrage est d’une
de l’image, ce n’est pas parce que ses symboles ampleur bibliographique et iconographique cer-
sont « irréfléchis » mais parce qu’il ne se fonde taine. Les douze chapitres de la première par-
plus sur un répertoire classique de symboles. tie (p. 15-286) suivent un fil chronologique,
Ses symboles, neufs et donc moins aisément depuis Humboldt lui-même et ses maîtres vers
déchiffrables, redonnent à l’image toute son ses continuateurs. La seconde partie (p. 287-
épaisseur sensible et rendent possible une lec- 450) propose la traduction inédite de quatre
ture « littérale » du tableau. Les symboles de textes de Humboldt sur l’Antiquité, grecque
Friedrich sont conscients et prémédités sans en particulier, remarquablement présentés, par-
que cela ne s’oppose à l’épaisseur sensible de faite approche du néo-humanisme humbold-
ses tableaux. L’on peut ainsi se demander s’il tien, cette facette d’un large courant épistémolo-
est vraiment justifié d’exclure la peinture sym- gique indisciplinaire (la science humboldtienne,
bolique de Puvis de Chavannes de cette étude œuvre d’une fratrie élargie) d’une modernité
du destin des grandes images romantiques, au inouïe et négligée. De façon complémentaire
prétexte qu’elle se fonderait sur des « symboles à la redécouverte actuelle de l’œuvre du frère
réfléchis ». Les titres de la peinture de Puvis de cadet Alexandre (sujet ici d’un passionnant essai
Chavannes, comme L’Espérance, ne sont en effet au sujet de la réception négative du Cosmos),
pas très différents des titres de Friedrich, comme acteur, comme son frère, d’une exigeante répu-
Les Âges de la vie. De manière plus générale, l’on blique des lettres, Wilhelm apparaît ici comme
peut regretter que l’étude n’ait pas interrogé un stimulant penseur du langage, c’est-à-dire
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toujours les autres tout en restant singulière. aux autres. « Comme pour Goethe, Schiller ou
Paradoxe éclairé par E. Vratskidou (p. 196) : Friedrich Schlegel, la Grèce est pour Humboldt
dans le cas des Grecs, « idéal d’humanité et un miroir », écrit C. Trautmann-Waller (p. 50),
singularité culturelle coïncident ». non une référence identitaire mais l’horizon
Un autre fil directeur concerne les liens unis- d’une Bildung. D’où la nécessité de déterritoria-
sant Humboldt à la philologie de son temps, liser la philologie et de viser toujours l’extension
et plus largement à la vie de l’esprit et à ses la plus grande des sciences du langage, à l’heure
figures. Formé à l’hellénisme des sources les plus où une certaine « patrie philologique [devient]
archaïques (Homère et la mythopoïesis) auprès la Terre », selon le mot d’Auerbach sur la littéra-
du maître de Göttingen, Heyne, et non pas ture comparée (« ce ne peut plus être la nation »,
par le philologue Wolf, un conseiller dont il ne poursuit-il, voir « Philologie de la littérature
faut pas surévaluer l’influence, Humboldt entre- mondiale », trad. D. Meur, in C. Pradeau et
tient des liens complexes avec toute la société T. Samoyault (dir.), Où est la littérature mon-
antiquisante de son temps, des philologues alle- diale ? , Saint-Denis, Presses Universitaires de
mands à ceux d’Athènes (elle-même en partie Vincennes, 2005, p. 37).
allemande sous l’ère othonienne). On voit com- Du projet de livre Hellas au Kawiwerk,
bien la réception de son œuvre implique des pro- la « primordialité » de la Grèce (son esprit et
longements explicites et heureux, mais parfois sa langue, entendus comme « caractère » des
aussi une forme de mépris, d’ignorance, d’ap- Grecs par leur langue) a tout à voir, non par
propriation sélective ou de dispersion textuelle. quelque étrange ouverture d’esprit, mais par
Comme le montre en revanche la fécondité des leur substance même, avec le basque, le chi-
passages de la linguistique humboldtienne vers nois, le sanscrit, les langues austronésiennes
la science de l’ornement (chez Bötticher) ou et amérindiennes que Humboldt étudia. C’est
la poésie ionienne menacée d’un J. Polylas, la ainsi qu’il peut faire figure de nouveau patron
« fratrie intellectuelle » des romantiques – selon des traducteurs et d’inspirateur du Dictionnaire
l’expression de C. Le Blanc, L. Margantin et des intraduisibles, comme promoteur de la syn-
O. Schefer, dans La Forme poétique du monde, taxe, d’un équilibre entre étrangeté et étranger,
anthologie du romantisme allemand (José Corti, d’un « savoir-faire avec les différences » (p. 119),
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domination politique), il réfléchit aux Grecs de jeux géopolitiques européens en Grèce (tels que
son temps, à leur langue ainsi qu’à leur littéra- la question d’Orient), comme le montrent les
ture, en linguiste évolutif qui conclut avec beau- œuvres de L. Ross, K.-B. Hase, K. O. Müller
coup à une regrettable dégradation de l’energeia et D. Raoul-Rochette, au carrefour de modèles
antique. concurrents en plein renouvellement : expédi-
Une comparaison des « Athènes » germa- tions (militaro-)scientifiques, correspondances
niques de la Spree (Berlin), de l’Isar (Munich) scientifiques, fondations d’écoles comme autant
et du Rhin (Bonn) montre que la germanisa- de relais pour les sphères d’influence diplo-
tion de la Grèce s’accompagne d’une hellénisa- matiques, nationalisation progressive du patri-
tion de l’Allemagne, variable mais unanimement moine et des chaires par le jeune État grec.
sélective tant en termes géographiques qu’his- Non sans ironie dans le cas de l’Allemagne
toriques, préférant pour modèle l’Attique de et de la Grèce, ce n’est pas le moindre mérite de
Périclès aux autres cités et périodes, et tournant ce livre, que de faire méditer sur la réversibilité
même le dos aux mystères ioniens de l’Orient de la « dette » (culturelle) des peuples, langues
pour mieux couper tout lien avec les Turcs et nations les uns envers les autres.
qu’il s’agit (déjà, si l’on peut dire...) de chas-
ser hors d’Europe. Les transferts scientifiques Bertrand Guest
de l’hellénisme sont toujours au cœur d’en-
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