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Sylvie Trécherel
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L’AUTRE PENSÉE
UN MONDE DE CHOSES
LA LACUNE
Depuis le premier outil taillé, les groupes humains ont appris à canaliser
leur énergie dans une activité, en vue d’un but ultérieur bien défini. Reste que
soudainement, et par à coup, dans l’histoire, les sociétés dépriment, l’homme
devient réticent, la révolte gronde, et l’ordonnancement du temps et du tra-
vail se fissure pour une révolution, une guerre, un monarque fou ou un fou
de Dieu, voire quelques incendies, une violence imprévue au coin d’une
rue, un peuple criant battant le pavé, le désordre éclatant l’ordre.
Désordre, émeutes ou révoltes, il semble que la compréhension
humaine laisse en jachère un aspect considérable de l’être humain,
lorsque la rationalité ne calcule plus, contre l’agression, que la répression,
et en prévision d’un inconnu incontrôlable, que l’oppression. Vieilles
lunes sans doute : c’est l’histoire sans fin de la révolte de l’opprimé, de la
lutte des classes, de la possible réification de l’homme par l’homme, et
tout aussi bien des poètes maudits, des fous et des marginaux… Vieilles
lunes mises constamment en sommeil, et qui reviennent hanter le monde
comme un mauvais rêve ou un espoir insensé : « Le songeur sommeil de
la raison engendre des monstres. » (Goya) Mais Bataille ne se contente
pas de constater, il poursuit, tire un fil d’Ariane à l’intérieur du désordre
et des cris, et là où l’impossibilité de penser paralyse, il nomme la part
maudite, et il développe.
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l’instant », relégué dans les loisirs et les vacances, lui permet de prendre
conscience de sa propre vie, sans autre fin qu’elle-même. Dans cet
espace si simple et si quotidiennement vécu, réside une « conscience de
soi », que l’idée dominante d’un progrès et d’une production indispen-
sables réduit rapidement à rien. En suivant les grandes lignes de la
réflexion de Bataille, on relève deux aspects principaux de la cons-
cience. Il est important de noter que face à l’inconscient freudien,
l’auteur propose diverses « formes de conscience » correspondant aux
éléments inconscients (XI, 320).
LA CONSCIENCE DE SOI
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LITTÉRATURE
6. C’est Bataille qui souligne. N° 152 – DÉC 2008
GEORGES BATAILLE ÉCRIVAIN
L’ŒUVRE ET LA PENSÉE
ture, de texte, de montage. Mais c’est qu’à la fin, ce qu’il perçoit ne peut
être « ordonné » ; ce qu’il travaille ou besogne est « l’inachèvement »
même, le don et la prolifération : l’érotisme, la poésie, la littérature, l’art,
les religions. Le lecteur est alors compromis, impliqué, mis en jeu dans sa
lecture : car Bataille doute, Bataille glisse, Bataille digresse, tâtonne puis
affirme, ouvre des portes inaperçues, transgresse, laisse des textes ina-
chevés, et cherche en écrivant. Il teste sa réflexion dans l’adresse au lec-
teur. Il nous invite à parcourir après lui des espaces de la psyché dont
« l’inconnu » est le point d’incitation ; le « non-savoir », la méthode ;
« l’impossible », le secret.
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LITTÉRATURE
N° 152 – DÉC 2008