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Chateaubriand / Stendhal
Joël Loehr
Dans Poétique 2003/1 (n° 133), pages 109 à 123
Éditions Le Seuil
ISSN 1245-1274
DOI 10.3917/poeti.133.0109
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Un jour, je la menai au Colysée [...]. Elle leva les yeux; elle les promena lenre-
ment sur ces portiques morts eux-mêmes depuis tant d'années, et qui avaient vu
tant mourir; [...] La femme expirante abaissa ensuite [...] ses regards qui quittaient
le soleil [...] et me dit : Allons; j'ai froid Je la reconduisis chez elle; elle se cou-
" ".
cha et ne se releva plusto.
Je restais abandonné sur les ruines de Rome [...]. C'esr aussi à Rome que je conçus,
pour la première fois, l'idée d'écrire les M&noires de ma aie,s.
Et, de même que les premières pages des Promenades sont écrites sur une table d'où
il voit les trois quarts de Rome, dans la Vie de Hmry Bruhrd, Stendhal invente plus
ou moins, comme scène primitive de l'écriture de soi, une <( vue magnifique qu'il
"
a, depuis les hauteurs du mont Janicule, de toute la Rome ancienne et moderne ,116.
<<
de ruines
u Egocentrisme
" du champ
On peut observer d'abord que, dans le cadre d'un récit autobiographique, un
champ de ruines est pour ainsi dire toujours monocentré sur son descripteur,
comme nécessùement egocentré.
Quand Stendhal déclare qu'il n'a " jamais rien trouvé de si puant d'égotisme,
d'égoisme, de plate affectation que le début du deuxième volume del'hinéraire,,,
quand il reproche à Chateaubriand de dire " je et moi " dans de " petites hardiesses
de styler>, <<âu lieu de décrire le paysnle, il lui fait en réahté un mauvais procès.
Dans un récit de pèlerinage qui n'est pas voyage d'ethnographe, il ne s'agit en effet
ni d'un défaut d'ordre psychologique, ni d'un manquement d'ordre moral. Si tout
semble s'ordonner autour d'une première personne, c'est d'abord parce qu'une
ville en ruines est une ville dont le centre, de s'être constamment déplacé, s'est en
définitive comme perdu et qu'elle n'en peut donc plus trouver d'autre que son des-
cripteur. Proférant, récitant ou chantant le nom de la cité détruite ou disparue,
l'écrivain s'érige au sommet ou au centre de la cartographie qu'il dessine et en
devient I'axe et l'âme.
On songe par exemple à la découverte de Sparte dans l'Itinéraire de Paris à
Jérusalem z
Je me dirigeai vers la principale ruine que je découvrais sur une hauteur [...]. J.
m'arrêtai tout à coup à la vue d'une vaste enceinte, [...] que je reconnus à l'instant
pour un théâtre. Je ne puis peindre les sentiments confus qui vinrent m'assiéger.
La colline au pied de laquelle je me trouvai était donc la colline de la citadelle de
Sparte, puisque le théâtre était adossé à la citadelle; [...] les débris et le long mur
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Il faut souligner enfin qu'un paysage de ruines ne reste pas à la surface d'un tableau
pittoresque mais s'enfonce dans des profondeurs psychiques. Freud a d'ailleurs mis
au jour dans les ruines de Rome que la psyché avait la même verticalité de struc-
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Nos ans et nos souvenirs sont étendus en couches régulières et parallèles, à diffé-
rentes profondeurs de notre vie, déposés par les flots du temps qui passenr suc-
cessivement sur nous28.
Et les métaphores qu'il applique à l'édifice des M&noires, bâti avec des ossements
"
et des ruines r>30, montrent combien il peut échanger ses signes avec ceux des pétri-
fications du passé dans une ville en ruines. Stendhal, de son côté, ne fait évidem-
ment pas par hasard d'une vue de Rome la page liminaire d'une remontée aux
Ruines écrites et écriture de soi l13
couches les plus archar:ques et les mieux enfouies de son être psychique, qui entend
libérer et laisser émerger par un travail de sondage et de forage une vérité des pro-
fondeurs. Et ces couches du passé lui semblent se superposer en strates dans l'écri-
rure même dela Vie de Hmry Brulard qui rompt avec la linéarité narrative, jusqu'à
l'obscénité du galimatias et au prix de la confusion du lecteursl.
"
"
Les champs de ruines sont ainsi en tout cas moins parcourus par les déambula-
tions d'un promeneur qu'ils ne traversent eux-mêmes la conscience de leurs réflec-
teurs. La représentation littéraire d'une ville en ruines ne peut donc être absolu-
ment transitive: elle ramène toujours de son objet vers son sujet, dont elle est en
même temps I'auto-présentation32. Peut-être même l'autoportrait. C'est ce que sug-
gère Derridadans Mémoires d'aoeugle en déclarant qu'<< on peut lire les tableaux de
ruines comme les figures d'un portrait, voire d'un autoportrait rr33.
Cette coïncidence entre la manière dont un être parvient à la conscience et à la
connaissance de soi d'une part, le regard sur des vestiges qui en médiatisent le che-
minement d'autre part, se manifeste chezChxeaubriand aussi bien que chez Stend-
hal. Ainsi, dans I'allocution à Venise de la quatrième partie des Mémoires, aucun
monument n'est à proprement parler décrit. Venise n'est saisie que dans la surface
réfléchissante de son essence, parce que Chateaubriand se regarde dans ses palais
écroulés comme en un miroir:
Venise, quand je vous vis, un quart de siècle écoulé vous étiez sous l'empire du
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Dans ce jeu d'échos et de reflets, à la faveur d'une vacance dt moi et d'une situa-
tion d'exil politique dont I'insularité de Venise est l'équivalent métaphorique, d'un
même mouvement, la ville en ruines et le scripteur qui en récite le nom advien-
nent à la conscience, la ville en ruines par le scripteur et le scripteur par la ville en
ruines.
Etla Vie de Hmry Brukrd semble apporter avec la vue de Rome de son chapitre
liminaire la réponse à I'inquiète interrogation de Stendhal qui se demande " quel
æil peut se voir soi-même Le descripteur s'y regarde en effet au miroir que monu-
".
ments et ruines de Rome lui tendent, dans une rétrospection à la fois rêveuse et
hallucinée. La pulsion scopique est telle alors qu'elle s'affranchit complètement
ll4 loëlLoehr
Parce que embrasser du regard toute l'étendue d'une ville, comme u Rome assise
sur la pierre de son sépulcre, avec sa robe de siècles rr3', et se regarder soi-même,
c'est ainsi presque la même chose, parce que en même temps on ne peut pas se
regarder soi-même droit dans les yeux au miroir des ruines sans risquer l'aveugle-
ment37, cela exige un travail d'accommodation de l'æil et le sâvant réglage d'une
distance. Chateaubriand, chez qui souvent l'éloignement du point de vue serr à
suggérer l'enfoncement dans les profondeurs des temps disparus, formule ainsi
I'exigence d'une juste perspective, en établissant l'équivalence qui précisément nous
intéresse:
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Stendhal, avec un dessin représentant dans une marge dela Vie de Hmry Brukrd
un miroir incliné,,, rappelle le goût violent qui l'avait porté à hre L'Opti4ue
" " "
de Robert Smith, et qu'il avait lui-même fabriqué .. des lunettes pour voir le voi-
sin en ayantl'air de regarder devant soi"4o. Cette technique de I'oblicité et cet art
de la perspective décentrée, dont la fausse digression est un équivalent, gouvernent
aussi bien l'écriture de la ruine dans les Promenadcs que l'écriture de soi dansla Vie
dc Hmry Bruhrd.Dansles Prom.ennd.es, évoquant une visite des <( restes charmants
Buines écrites et écriture de soi l15
du théâtre de Marcellus ", [il] demande pardon [d'une] foule de petites digres-
"
sions u et s'explique : .. C'est en disant tout ce qui nous passe par la tête que nous
arrivons à notre grand objet, ne pas ennuyer nos compagnes de voyage en leur fai-
sant voir des ruines
", laides pour des yeux dévoués à la mode
.. >41. Leur mentor
veut en effet faire de la ville en ruines le milieu optique et I'espace sémiotique média-
teurs d'une expérience intérieure, d'une révélation à soi, avec en perspective lâ
découverte d'une identité encore ignorée sous ses masques. Cela implique qu'on
s'affranchisse de l'univers des préoccupations du moment dont la mode est le nom.
Pour y parvenir, Stendhal opère un double décentrement-recentrement : on est en
effet reconduit, dans un premier temps, de la relation d'anecdotes qui souvent n'ont
apparemment rien à voir avec les ruines, à I'unique souci de les donner à voir, et,
dans un second temps, à aller du spectacle spéculaire des ruines vers un retour
réflexif sur soi.
La première page de la Vie de Henry Brulard réalise de manière analogue le pivo-
tement d'une vue quasi exhaustive de la ville en ruines sous un soleil magnifique "
"
et dont rien ne reste dans I'ombre, à la " découverte imprévue o qu'il s'agissait en
réalité de soi et qu'à .., cinquante ans, il serait bien temps de [se] connaltre Cela
"a2.
passe par une référence à La Transfi.guration de RaphaëI, ensevelie invisible dans
un trou de mémoire, au fond du Vatican'3.
Cet art de la perspective oblique ou décentrée consiste donc chez Stendhal à ne
porter le regard et à ne mettre I'accent sur un coin du tableau de ruines ou à n'en
saturer l'objet apparent que pour les orienter et les déporter en réalité vers quelque
chose d'invisible qui en e$ le véritable " sujet,. Parce que en même temps ce der-
nier se dérobe presque toujours aux prises directes du regard et aux efforts de la
mémoire, il n'est pas de plus juste métaphore de I'autoportrait du scripteur qu'un
champ de ruines. Comme le dit Derrida:
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D'où ces effets d'asyndète et d'anacoluthe dans l'écriture de la ruine comme dans
l'écriture de soi, confrontées aux ellipses d'un espace morcelé et d'un temps frag-
menté, laissant vacantes des zones non investies par le regard, la mémoire ou le
savoir, au risque même de l'effacementou.
Rien en effet ne revient à la mémoire sâns que traces et signes du passé ne mena-
cent en même temps de s'effacer, comme s'efface devant les palais désertés de
Venise, au fur et à mesure que Chateaubriand en inscrit les lettres sur le sable, le
nom de Juliette Récamier:
116 JoëlLoehr
J'ai écrit un nom tout près du réseau d'écume, où la dernière onde vient mourir;
les lames successives ont attaqué lentement le nom consolateur; ce n'est qu'au sei-
zième déroulement qu'elles I'ont emporté lettre à lettre et comme à regret : je sen-
tais qu'elles effaçaient ma vien'.
Alors qu'il met dans la quatrième partie des Mémoires les dernières pierres à un édi-
fice auquel il voudrait donner la stabilité architecturale d'un monument, Chateau-
briand dit autrement encore comment sa mémoire elle-même en ruines, loin d'as-
surer la .. résurrection intégrale du passé (Michelet), l'efface toujours davantage,
"
dans la lente érosion réciproque du présent par le passé et du passé par le présent:
Arrière toutes ces vieilleries de ma vie; j'en deviendrais fou à force de ruines : par-
lons du présento'.
Ma mémoire oppose sans cesse mes voyages à mes voyages, montagnes à mon-
tagnes, fleuves à fleuves, forêts à forêts, et ma vie détruit ma viea8.
Quelquefois Cicéri peint et rassemble sur une toile, pour les prestiges du théâtre,
des monuments de toutes les formes, de tous les temps, de tous les pays, de tous
les climats; c'est encore Veniset'.
A Carthage, où le vide des architectures rompues crée l'appel d'air pour l'imagi-
naire, qui ne s'accommode pas des espaces comblés, c'est le diorama d'une petite
scénographie mentale qui retourne finalement au vide d'où elle est née:
Du sommet de Byrsa, l'æil embrasse les ruines de Carthage qui sont plus nom-
breuses qu'on ne le pense généralement [...]. Environné des plus grands et des plus
touchants souvenirs, je pensais à Didon, à Sophonisbe, à la noble épouse d'As-
drubal; je contemplais les vastes plaines où sont ensevelies les légions d'Annibal,
Ruiaes écrites et écrihrre de soi ll7
de Scipion et de César; mes yeux voulaient reconnaltre l'emplacement du palais
d'Utique. Hélas ! les débris du palais de Tibère existent encore à Caprée, et I'on
cherche en vain à Utique la place de la maison de Caton! Enfin, les terribles Van-
dales, les légers Maures passaient tour à tour devant ma mémoire, qui m'offrait,
pour dernier tableau, saint Louis expirant sur les ruines de Canhage".
On dirait que personne n'a osé habiter ces campagnes depuis les temps antiques,
et qu'elles sont restées vacantes pour servir de Champs-Elysées aux ombres des
vieux Romains [...]. Dans ces parcours incultes, la Lydie d'Horace, la Délie de
Tibulle, la Corinne d'Ovide, avaient passé; il n'y restait que la Philomèle de Vir-
gile.
En arpentant la ville et les faubourgs de Prague, les choses [...] venaient s'appli-
quer sur ma mémoire, comme les tableaux d'un optique sur une toile. Mais dans
quelque coin que je me trouvasse, j'apercevais [...] le roi de France appuyé sur les
fenêtres de [son] château, comme un fantôme dominant toutes ces ombress'.
autour de vous "". Sur le champ de ruines du contemporain, passé sous le régime
bouffon de petitesse et de médiocrité du plus fripon des K[i.ngsJ r*, comme dit
"
Stendhal, et parmi des .. ruines vivantes d'ancien régime, la décomposition des
"6u
formes par fragmentation et prolifération incompréhensibles suscite moins la rétro-
gradation qu'elle n'ouvre vers I'avenir. Vers une histoire à venir et virtuelle, pure-
ment fantastique et poétique, donnée à penser dans la coalition oxymorique des
vieillards dont le front se dépouille, le crâne rongé par Ugolin", et d'une jeunesse
républicaine effrontée et impie, rêvée à partir de l'inactualité d'un Moi ruinique
" "
qui promène parmi les ruines de Prague sa propre figure baroque'7.
C'est en tout cas, entre mémoire empêchée et oubli impossible, dans les fissures
et brisures où la cité détruite devient figure et épure, lisible dans ses chroniques
"
de pierre une fois qu'elle a disparu, que l'écriture de soi se met à l'épreuve de son
"
énonciation. Site de sa genèse, la ville en ruines oriente aussi le sens d'une entre-
prise qui ne peut le ffouver et le fixer que dans l'.. immanence creuse (selon la
"
belle formule de J.-P. Richard") d'un système de signes.
Au bout du compte, demeure de qui a confié ses chances de survie à l'univers
des signes, en s'y donnant à lire, ce qui reste d'une cité disparue: un tracé de lignes,
le pouvoir d'évocation d'un nom6', et une .. voix qui chante
".
Ainsi, dans la Vie de Henry Brukrd, il y a, en marge des lignes de mots, ces des-
sins faits à la main où l'écriture retourne à son étymologie grecque pour tracer la
cartographie des lieux de mémoire du moi, un peu comme une ville revient dans
ses ruines à l'épure de son plan. Dans les Mémoires, Chateaubriand demande à ses
lecteurs de support[er] [les] arabesques > que sa main séchée a dessinées sur un
"
édifice bâti avec des ruines:
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A la voûte de ce tombeau, il élève pour I'y inscrire non seulement le nom reçu de
son père, mais aussi celui qu'a légué à l'" enfant de France rr'r toute l'Histoire de sa
patrie. Au retour de la Terre sainte, il avait d'abord renfermé ce nom dans une
bouteille à jeter àlamer"; à Rome, il l'avait gravé sur un bloc de marbre exhumé
lors de ses fouilles et destiné au buste de Poussin; il en fait pour finir la signature
du monument des M&nolres. Stendhal, dans les Prommades, éprouve une émotion
d'enfant à pénétrer dans les entrailles d'une Terre mère, à descendre dans le trou
"
profond du milieu duquel s'élève la colonne de Phocas
"" exhumée lors des fouilles
ordonnées par Napoléon. On ne s'étonne pas qu'il s'enchante d'y voir gravé le
nom d'un centurion rebelle, au lieu d'une inscription consacrantJupiter tonnantT4.
Au moment d'inscrire celui qu'il s'est choisi en lieu et place du nom du Père, et
arrivé presque au terme de son travail d'excavation et de forage dans les trous de
mémoire du passé, il se demande où se trouvera le lecteur qui, après quatre ou
"
Buiaes écrites et écriture de soi I l9
cinq volumes deTe et de moi, ne désirera pas qu'on [lui] jette 1...] une bouteille
d'encre >> et s'excuse par avance auprès de lui en déclarant que <( tout le mal n'est
que dans ces sept lettres [...] q"i forment [son] nom, et qui intéressent [son] amour-
prOpre t ts.
Mais, en réalité, Stendhal, qui .. ne désire être compris que des gens nés pour la
musique,rT6 et qui écrit sur le mode plutôt majeur de celle de Cimarosa ou du chant
"
délicieux et retentissant des rossignols u', et l'enchanteur qui, de sa voix fantôme,
continue à chanter d'outre-tombe sur le mode mineur, comme Philomèle après
que le roi de Thrace lui eut coupé la langue, ne demandent rien d'autre au lecteur
,que d'entendre leur voix. C'est-à-dire cette voix de la prose autobiographique,
..I'absente de toutes bouches de chair u" q,ri définit pour Julien Gracq la diction
poétique, cette < voix qui chante et qui semble venir d'une région inconnue rrD, sur
le même fond de silence et d'absence que celui des villes-fantômes et des cités dis-
Parues.
NOTES
1. Je reprends sous ce titre le texte d'une communication faite dans le cadre d'un colloque sur. Le
sentiment de la ruine " à l'université d'Aix-en-Provence (77-19 avrl2002) et remercieJean Arrouye
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nouveau sac de Rome, par soustraction touristique, quasi vampirique, de substance historique et
artrstrque.
12. Voici comment le .. touriste o stendhalien relate la visite qu'il y a fairc le 2 octobre 1828, avec la
petite société choisie qui I'accompagne au <pays où les orangers viennent en pleine terre" (Vie de
Hmry Brukrd, Paris, Gallimard, coll. " Folio ,,,1973,p.92): "Ce matin, de bonne heure, avant la cha-
leur, nous sommes venus au couvent de Saint-Onuphre (sur le Mont Janicule, près de Saint-Pierre).
Lorsqu'il se sentit près de mourir, le Tasse se fit transponer ici; il eut raison: c'est sans doute un des
plus beaux lieux du monde pour mourir. La vue si étendue et si belle que I'on y a de Rome, cette ville
des tombeaux et des souvenirs, doit rendre moins pénible ce dernier pas pour se détacher des choses
de la terre, si tant est qu'il soit pénible (Promenida dans Rome, op:ciL: p.376).Et voici comment
"
I'Ambassadeur termine le chapitre intinrlé o Promenades o, dans la troisiè me part.ie des Mémoires d'outre-
tombe: "Si j'ai le bonheur dè finir mes jours ici, je me suls arrange pour avoir à Saint-Onuphre un
réduit joignant la chambre où le Tasse expira. Aux moments perd'us'de mon ambassade, à la fenêre
de ma cellule, je continuerai mes Mérrzoires. Dans un des plus beaux sites de la terre, parmi les oran-
gers et les chênes verts, Rome entière sous mes yeux, chaçe matin, en me mettant à l-'ouvrage, entre
le lit de mort et la tombe du poète, j'invoquerai le génie de la gloire et du malheur (Manoirei d'oute-
"
tombe,fr., p.5a\. Un bémol est donné dans la panie conclusive des Mérnoires, quand Chateaubriand
revient en terre d'Italie et retourne sur ses propres 912ç95 ; J'achèverais donc mes Mémoires à I'entrée
"
de cette terre classique et historique où Virgile et le Tasse ont chanté, où tant de révolutions se sont
accomplies? Je remémorerais ma destinée bretonne à la vue de ces montagnes ausoniennes? Si leur
rideau venait à se lever, il me djcouvrirait les plaines de la Lombardie, par delà Rome, pardelà Naples,
la Sicile, la Grèce, la Syrie, I'Egypte, Carthage; bords lointains, vastet régions que jT mesurés,-moi
qui te possède pas I'espace de terre que je presse sous la plante de mes pieds ! Mais pourtant mourir
ici ? finir ici ? N'est-ce pas ce que je veux, ce que je cherche ? Je n'en sais nen (ibùl",lY, p. 124).
"
13. Prornenades dans Rome, op. cit,, p,376.
14. Mémoires d'outre-tombe, tr, p. 108-109.
75. Ibi.d., p. l2l.
76. Vie de Henry op. cit., p. 27-28.
Bruhrd,
IT.Extrut de 6u
texte à i.'aition.'Ë,ssai.s d'herneneuti4ueld Paris, Ed. du Seuil, 1986. Cité parJean-
Paul et Jacqueline Lafitte, dans L'Ecriture de soi,Paris, Vuibert, 1996, p.35.
L8, Mérnoires d'outre-tombe,IV, p. 390. Voir aussi: oJ'achève souvent le tour des murs de Rome à
pied; en parcourant ce chemin de ronde, je lis I'histoire de la reine de I'univers par'en et chrétien
écrite dans les constructions, les architectures et les âges divers de ces murs,, QAd.:m, p. 5a7).
19. Cité par Jean-Claude Berchet, De Paris à Jérusalem ou le voyage vers soi )>, in Le Journa.l dc
"
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62. Voir Vérone, I'appel des morts: .Faisons I'appel de ces poursuivants de songes; ouvrons le
livre du iour de colère ; fiber scriptus proferetur, (ibù[, IV, p. 3iô).
63.Ibià., [V, p. 336.
64. Vie de Het ry Bruhrd, op. cit., p. 153.
65. " A mesure que je montais, je découvrais la ville au-dessous, Depuis Jean I'Aveugle, roi de
Bohême, jusqu'à Charles X, roi de France, réfugié au foyer de ce roi, les enchalnements de I'histoire,
le sort des hommes, la destruction des Empires, les desseins de la Providence, se présentaient à ma
mémoire en s'identifiant à ma propre destinée: après avoir exploré des ruines mortes, j'étais appelé
au spectacle des ruines vivântes (Mémoiræ d'outre-tombe, fV, " Première entrevue avec Charles X ",
',
'p.216).
66.'"Déjà mon front se dépouille; je sens un Ugolin, le temps, penché sur moi qui me ronge le
crâne" (dans une page datée de 1822, ibii.,l, p.427).
62. Selon Jean-Pierre Richard, u belle à la fois comme une trace et comme une esquisse, la ruine
est en somme le repère parfait, parce que, essentiellement non achevé, d'un espace baroqter, (Pay
sage dc Chateaubriand, Paris, Ed. du Seuil, 1967, p. 68).
68.[bii.,p.45.
69. Cl,, oar exemole : Si des ruines où s'attachent des souvenirs illustres font bien voir la vanité
"
de tout ici'-bas, il faut pourtant convenir que les noms qui survivent à des empires et qui immonali-
sent des temps et des lieux sont quelque chose (Itinéraire dc Paris à Jerusaletn, op. cit,, p.93),
"
70. Mémoires d'outre-tontbe, [V, p. 308.
7l. Cf. " Avec quelle différence d'esprit, de cæur, de pensées, de mæurs, nous avons, à plus de trois
siècles à'intervallè, médité sur les mêhes ruines et sous le même soleil, Lobkowitz Bôhême, lord
Byron Anglais, et moi, enfant de France ! " (ibùl.,IV, p. 250).
72. Rappelons ici la dernière phrase de I' Itinéraire : u J'ai assez écrit, si mon nom doit vivre ; beau-
coup trop, s'il doit mourir n (Itinéraire de Paris à Jérusalern, op. cit,, p. 525).
73. Prornenades dans Rome, op. cit., p.251.
74. IbùL., p. 155.
75. Vie de Henry Bruhrd, op. cit., p. 283.
76. Protnenades dans Rome. ùb. cit,. D. 41.
n. bid., p.34l.La modulatiott 6àa,t êtr. parfois plus faible, on n'en parvient pas moins à I'in-
"
tensité d'une iouissance toute âérienne: de matinées heureuses j'ai passées au Colisée, perdu
" Que
dans quelque coin de ces ruines immenses ! [...] [L"] gazouillement paisible des oiseaux, qui retentit
faiblemeni dans ce vaste édifice, et, de temps à autre, le profond silence qui lui succède, aident sans
doute I'imag.ination à s'envoler,dans- les temps anciens. On arrive auxplus vives,jouissances.que la
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