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Ruines écrites et écriture de soi

Chateaubriand / Stendhal
Joël Loehr
Dans Poétique 2003/1 (n° 133), pages 109 à 123
Éditions Le Seuil
ISSN 1245-1274
DOI 10.3917/poeti.133.0109
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Ioë1 Loehr
Ruines écrites et écriture de soit
Chcrtecrubricnd / Stendhal

Chateaubriand', en grand habit officiel d'ambassadeur escorté, et Stendhal, dans


la défroque du flâneur anonyme, cicérone d'une petite société choisie de ,, di.let-
tanti >3, ont séjourné dans la Ville éternelle au même moment. Stendhal y a seule-
ment entr'aperçu <( I'homme de haute naissance "a, à l'occasion du conclave de 1829.
Le journal des Prornenades dans Rome n'offre sur ce dernier qu'un point de vue,
emprunté à I'impertinence railleuse du petit " peuple de Rome [...] fin, moqueur,
satirique au suprême degré "t, face à tout ce qui est vieux, dévot et morose (pour
reprendre le vocabulaire de La Chartreuse de Parme) z

M. de Chateaubriand [...] a fait faire des fouilles; il annonce le projet d'élever un


tombeau au Poussin; il a été poli envers M. le cardinal Fesch t...1. M. de Cha-
teaubriand aparlé,vis-à-vis une petite ouverture où un æuf n'aurait pu passer. De
l'aurre côté de ce trou étaitladéputation du conclave t...]. M. de Chateaubriand
aparlé en français. Son discours est fort libéral; il y a un peu trop de je et de moi".
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Le coup d'æil de Stendhal sur Chateaubriand est ici celui de Guignol, dont l'in-
discrétion oculaire passe par un trou de serrure, pour guigner les choses graves et
sérieuses.
les sépare et les oppos e: chez l'un, .. [courant] chaque matin après le genre
Tout
de beauté auquel on se trouve sensible en se levant r'7, et même s'il connaît aussi
.. le sombre plaisir d'un cæur mélancolique rrt, c'est I'immoralisme souriant et l'im-
prévisibilité de la flânerie entre belle ruine " et " joli palais ". C'est I'essor d'une
"
âme affranchie de toutes les pesanteurs, .. fgottant] le bonheur d'être à Rome en
toute liberté, et sans songer au devoir de voir rr'. C'est la jouissance hédoniste, or)
.. rien, ou presque rien, ne [...] semble valoir la peine qu'on en parle avec gravité
'r'0,
pas même les sites de solennité ; chez l'autre, homo oiator et .. besacier poudreux '
qui cherche le repos, candidat à la sagesse et au salut .. assis sur les ruines n, l'âme
tourmentée par Saturne et repliée sur elle-même au milieu de la majesté spectrale
de la Ville, ce sont les crépusculaires plongées dans la délectation morose et le sen-
timent de déréliction d'un pauvre Job".
L'un et l'autre ont cependant souhaité fixer le site de leur dernier séjour très
t10 loëlLoehr

exactement dans le même couvent de Saint-Onuphre, où repose I'auteur delal&u-


salem déliwée, <( entre le lit de mort et la tombe du poète
"',.
On sait aussi combien l'exorbitante inflation &t je et du moi chez l'un se dis-
tingue de l'invention par l'autre d'une sorte de troisième personne intime, d'une
série de pseudonymes ou de la diffraction d'un nous, qui seuls lui semblent pou-
voir soutenir récit de voyage ou discours autobiographique. C'est pourtant, pour
l'un et pour I'autre, la traversée d'une ville en ruines, u des tombeaux et des sou-
venirs qui déclenche le désir de s'écrire, et c'est à Rome que l'un et I'autre signent
"13,
I'acte de naissance de I'entreprise autobiographique. Il coihcide chez Chateaubriand
avec la date de la mort de Pauline de Beaumont:

Un jour, je la menai au Colysée [...]. Elle leva les yeux; elle les promena lenre-
ment sur ces portiques morts eux-mêmes depuis tant d'années, et qui avaient vu
tant mourir; [...] La femme expirante abaissa ensuite [...] ses regards qui quittaient
le soleil [...] et me dit : Allons; j'ai froid Je la reconduisis chez elle; elle se cou-
" ".
cha et ne se releva plusto.

Je restais abandonné sur les ruines de Rome [...]. C'esr aussi à Rome que je conçus,
pour la première fois, l'idée d'écrire les M&noires de ma aie,s.

Et, de même que les premières pages des Promenades sont écrites sur une table d'où
il voit les trois quarts de Rome, dans la Vie de Hmry Bruhrd, Stendhal invente plus
ou moins, comme scène primitive de l'écriture de soi, une <( vue magnifique qu'il
"
a, depuis les hauteurs du mont Janicule, de toute la Rome ancienne et moderne ,116.
<<

Les Promenades dans Rome,itinéraire intérieur d'une quête de la beauté, livré à


la discontinuité de l'écriture diaristique, préludent àlaVie de Hmry Brahrd, quête
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de soi à l'état brut et à tâtons, de même quel'Itinéraire de Paris àtérwsalern prélude
dans une certaine mesure aux Mémoires d'outre-tombe, qui en enchâssent d'ailleurs
des fragments.
.. fl n'est pas de compréhension de soi qui ne soit médiatisée par des signes. [Elle]
coïncide à titre ultime avec I'interprétation appliquée à des termes médiareurs,>r7,
dit justement Paul Ricæur. Ce que I'on voudrait interroger, c'est cette étonnanre
convergence esthétique, à la même époque, entre deux auteurs et deux styles auto-
biographiques si différents, autour de la ville en ruines désignée à la fois comme
site d'élection pour un dernier séjour et comme espace d'émergence d'une réponse
à I'injonction socratique du .. connais-toi toi-même rr. C'est la secrète affinité qu'il
y aurait donc entre le regard sur une ville devenue trace et signe d'elle-même dans
ses ruines, dont I'histoire est laissée lisible dans ..les chroniques de pierre, écrites
par le temps et les arts rrts, sur fond de silence, d'absence et d'effacement, d'une part,
le désir de se rassembler, l'effort pour recomposer une existence et laisser une trace
écrite de soi, dans un espace autobiographique constitué et composé de signes,
d'autre part.
Ruines écrites et écriture de soi II I

de ruines
u Egocentrisme
" du champ
On peut observer d'abord que, dans le cadre d'un récit autobiographique, un
champ de ruines est pour ainsi dire toujours monocentré sur son descripteur,
comme nécessùement egocentré.
Quand Stendhal déclare qu'il n'a " jamais rien trouvé de si puant d'égotisme,
d'égoisme, de plate affectation que le début du deuxième volume del'hinéraire,,,
quand il reproche à Chateaubriand de dire " je et moi " dans de " petites hardiesses
de styler>, <<âu lieu de décrire le paysnle, il lui fait en réahté un mauvais procès.
Dans un récit de pèlerinage qui n'est pas voyage d'ethnographe, il ne s'agit en effet
ni d'un défaut d'ordre psychologique, ni d'un manquement d'ordre moral. Si tout
semble s'ordonner autour d'une première personne, c'est d'abord parce qu'une
ville en ruines est une ville dont le centre, de s'être constamment déplacé, s'est en
définitive comme perdu et qu'elle n'en peut donc plus trouver d'autre que son des-
cripteur. Proférant, récitant ou chantant le nom de la cité détruite ou disparue,
l'écrivain s'érige au sommet ou au centre de la cartographie qu'il dessine et en
devient I'axe et l'âme.
On songe par exemple à la découverte de Sparte dans l'Itinéraire de Paris à
Jérusalem z

Je me dirigeai vers la principale ruine que je découvrais sur une hauteur [...]. J.
m'arrêtai tout à coup à la vue d'une vaste enceinte, [...] que je reconnus à l'instant
pour un théâtre. Je ne puis peindre les sentiments confus qui vinrent m'assiéger.
La colline au pied de laquelle je me trouvai était donc la colline de la citadelle de
Sparte, puisque le théâtre était adossé à la citadelle; [...] les débris et le long mur
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que j'avais passés plus bas faisaient donc partie de la tribu des Cynosures, puisque
cene tribu était au nord de la ville : Sparte était donc sous mes yeux; et son théâtre,
que j'avais eu le bonheur de découvrir en arrivant, me donnait surJe-champ les
positions des quaniers et des monuments [...]. Des ruines de toutes Pafts, et Pas
un homme parmi ces ruines ! Je restai immobile, dans une espèce de stupeur, à
contempler cette scène. [...] Le silence était profond autour de moi: je voulus du
moins faire parler l'écho dans des lieux où la voix humaine ne se faisait plus
entendre, et je criai de toute ma force : Léonidas ! Aucune ruine ne répéta ce grand
nom, et Spane même sembla l'avoir oublié'..

L'activité sémiotique du descripteur, armé de son encyclopédie intérieure, supplée


aux monuments manquants et trouve la cohérence d'un monde possible. Et, à
suivre la promenade inférentielle" du parcours optique, on voit que ce n'est pas
finalement tel ou tel site qui fixe à la ville ruinée son centre : elle tourne elle-même
autour de I'a:<e de son descripteur, qui en profère le nom, sur une scène vide et
silencieuse.
ll2 loêlloebr
Dans les Prorumad.es, Stendhal rappelle u l'opinion commune >> selon laquelle
Vespasien fit construire le Colisée dans l'endroit où étaient auparavant les étangs
"
et les jardins de Néron>>, QU€ uc'était à peu près le centre de la Rome de César et
de Cicéron,'2. Mais, en réalité, le théâtre vide de cette << ville des tombeaux et des
souvenirs n'a plus d'autre âme que son coryphée, demeurant seul dans l'arène du
''
Colisée : installé désormais comme au centre d'une scène désertée, par les << yeux
de l'âme il regarde << ces nrines immenses s'élever autour de lui >>, << c€ dernier
",
reste encore vivant du plus grand peuple du monde
'r'.
La deuxième raison pour laquelle tout s'ordonne autour d'une première per-
sonne, c'est que la description d'un paysage de ruines est nécessairement impure.
Elle ne peut pas en effet ne pas se mêler chez son réflecteur à I'afflux d'un ensemble
de sensations et de sentiments, d'émotions et de réflexions: chez Chateaubriand,
comme on sait, sur la précarité de I'existence humaine, la vanité et la fragilité des
choses mondaines''. Avec Stendhal, dans le .. ravissement muet fait d'admiration
et de délectation,,25 qui définit le sublime, on va jusqu'aux limites du montrable et
du dicible:

Je le senstrop, de telles sensations peuvent s'indiquer, mais ne se communiquent


point. Ailleurs, ces souvenirs pourraient être communs; pour le voyageur placé
sur ces ruines, ils sont immenses et pleins d'émotion. Ces pans de murs, noircis
par le temps, font sur l'âme l'effet de la musique de Cimarosa, qui se charge de
rendre sublimes et touchantes les paroles vulgaires d'un libretto2.

Il faut souligner enfin qu'un paysage de ruines ne reste pas à la surface d'un tableau
pittoresque mais s'enfonce dans des profondeurs psychiques. Freud a d'ailleurs mis
au jour dans les ruines de Rome que la psyché avait la même verticalité de struc-
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ture que les stratifications des couches de l'Histoire, reposant les unes sur les autresz.
Chateaubriand découvre ainsi qu'il ne peut faire la somme de ses rzol successifs
que de manière archéologique:

Nos ans et nos souvenirs sont étendus en couches régulières et parallèles, à diffé-
rentes profondeurs de notre vie, déposés par les flots du temps qui passenr suc-
cessivement sur nous28.

Chacun de nous, en fouillant à diverses profondeurs dans sa mémoire, retrouve


une autre couche de morts, d'autres sentiments éteints, d'autres chimères qu'in-
utilement il allaita, comme celles d'Hercuhnum, à la mamelle de I'Espérance".

Et les métaphores qu'il applique à l'édifice des M&noires, bâti avec des ossements
"
et des ruines r>30, montrent combien il peut échanger ses signes avec ceux des pétri-
fications du passé dans une ville en ruines. Stendhal, de son côté, ne fait évidem-
ment pas par hasard d'une vue de Rome la page liminaire d'une remontée aux
Ruines écrites et écriture de soi l13

couches les plus archar:ques et les mieux enfouies de son être psychique, qui entend
libérer et laisser émerger par un travail de sondage et de forage une vérité des pro-
fondeurs. Et ces couches du passé lui semblent se superposer en strates dans l'écri-
rure même dela Vie de Hmry Brulard qui rompt avec la linéarité narrative, jusqu'à
l'obscénité du galimatias et au prix de la confusion du lecteursl.
"
"

Le moi au miroir des ruines

Les champs de ruines sont ainsi en tout cas moins parcourus par les déambula-
tions d'un promeneur qu'ils ne traversent eux-mêmes la conscience de leurs réflec-
teurs. La représentation littéraire d'une ville en ruines ne peut donc être absolu-
ment transitive: elle ramène toujours de son objet vers son sujet, dont elle est en
même temps I'auto-présentation32. Peut-être même l'autoportrait. C'est ce que sug-
gère Derridadans Mémoires d'aoeugle en déclarant qu'<< on peut lire les tableaux de
ruines comme les figures d'un portrait, voire d'un autoportrait rr33.
Cette coïncidence entre la manière dont un être parvient à la conscience et à la
connaissance de soi d'une part, le regard sur des vestiges qui en médiatisent le che-
minement d'autre part, se manifeste chezChxeaubriand aussi bien que chez Stend-
hal. Ainsi, dans I'allocution à Venise de la quatrième partie des Mémoires, aucun
monument n'est à proprement parler décrit. Venise n'est saisie que dans la surface
réfléchissante de son essence, parce que Chateaubriand se regarde dans ses palais
écroulés comme en un miroir:

Venise, quand je vous vis, un quart de siècle écoulé vous étiez sous l'empire du
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grand homme [...]; une île attendait sa tombe; une île est la vôtre : vous dormez
I'un et l'autre immortels dans vos Sainte-Hélène. Venise, nos destins ont été
pareils ! mes songes s'évanouissent, à mesure que vos palais s'écroulent : les heures
de mon printemps se sont noircies, comme les arabesques dont le faîte de vos
monuments est orné. Mais vous périssez à votre insu; moi, je sais mes ruines'..

Dans ce jeu d'échos et de reflets, à la faveur d'une vacance dt moi et d'une situa-
tion d'exil politique dont I'insularité de Venise est l'équivalent métaphorique, d'un
même mouvement, la ville en ruines et le scripteur qui en récite le nom advien-
nent à la conscience, la ville en ruines par le scripteur et le scripteur par la ville en
ruines.
Etla Vie de Hmry Brukrd semble apporter avec la vue de Rome de son chapitre
liminaire la réponse à I'inquiète interrogation de Stendhal qui se demande " quel
æil peut se voir soi-même Le descripteur s'y regarde en effet au miroir que monu-
".
ments et ruines de Rome lui tendent, dans une rétrospection à la fois rêveuse et
hallucinée. La pulsion scopique est telle alors qu'elle s'affranchit complètement
ll4 loëlLoehr

des règles qui régissent et assurent la vraisemblance descriptive : ainsi prétend-il


distingu[er] parfaitement > un petit pan de., mur blanc et bien plus loin, [aper-
" " "
cevoir] la maison blanche de Castel San Pietro >r eui se trouvent pourranr à des
kilomètres de distance. Dessinant avec une égale netteté ce qui est à l'horizon le
plus lointain et ce qui se trouve au premier plan, excédant à ce point les possibili-
tés physiques ordinaires de l'æil humain, cette vue de Rome est en fait la méta-
phore d'un désir de totale lucidité sur soi. En même temps, er comme le passage
de l'imparfait au présent le suggère, quand les signes pétrifiés du passé arrivent sous
..les yeux de l'âme ils la sidèrent pour ainsi dire, dans la blessure d'un éblouis-
",
sement:

Je distinguais parfaitement Frascati et Castel Gandolfo qui sont à quatre lieues


d'ici, la villa Aldobrandini où est cette sublime fresque du Dominiquin. Je vois
parfaitement le mur blanc qui marque les réparations faites en dernier lieu par le
prince F[rançois] Borghèse, celui-là même que je vis à Sûagram colonel d'un régi-
ment de cuirassiers, le jour où M. de Noue mon ami, eut la jambe emportée3s.

Parce que embrasser du regard toute l'étendue d'une ville, comme u Rome assise
sur la pierre de son sépulcre, avec sa robe de siècles rr3', et se regarder soi-même,
c'est ainsi presque la même chose, parce que en même temps on ne peut pas se
regarder soi-même droit dans les yeux au miroir des ruines sans risquer l'aveugle-
ment37, cela exige un travail d'accommodation de l'æil et le sâvant réglage d'une
distance. Chateaubriand, chez qui souvent l'éloignement du point de vue serr à
suggérer l'enfoncement dans les profondeurs des temps disparus, formule ainsi
I'exigence d'une juste perspective, en établissant l'équivalence qui précisément nous
intéresse:
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Le temps fait pour les hommes ce que l'espace fait pour les monuments; on ne
juge bien des uns et des autres qu'à distance et au poinr de la perspective; uop
près on ne les voit pas, trop loin on ne les voit plus,'.

Dispositifs optiques de la " mémoire en ruines >3e

Stendhal, avec un dessin représentant dans une marge dela Vie de Hmry Brukrd
un miroir incliné,,, rappelle le goût violent qui l'avait porté à hre L'Opti4ue
" " "
de Robert Smith, et qu'il avait lui-même fabriqué .. des lunettes pour voir le voi-
sin en ayantl'air de regarder devant soi"4o. Cette technique de I'oblicité et cet art
de la perspective décentrée, dont la fausse digression est un équivalent, gouvernent
aussi bien l'écriture de la ruine dans les Promenadcs que l'écriture de soi dansla Vie
dc Hmry Bruhrd.Dansles Prom.ennd.es, évoquant une visite des <( restes charmants
Buines écrites et écriture de soi l15

du théâtre de Marcellus ", [il] demande pardon [d'une] foule de petites digres-
"
sions u et s'explique : .. C'est en disant tout ce qui nous passe par la tête que nous
arrivons à notre grand objet, ne pas ennuyer nos compagnes de voyage en leur fai-
sant voir des ruines
", laides pour des yeux dévoués à la mode
.. >41. Leur mentor
veut en effet faire de la ville en ruines le milieu optique et I'espace sémiotique média-
teurs d'une expérience intérieure, d'une révélation à soi, avec en perspective lâ
découverte d'une identité encore ignorée sous ses masques. Cela implique qu'on
s'affranchisse de l'univers des préoccupations du moment dont la mode est le nom.
Pour y parvenir, Stendhal opère un double décentrement-recentrement : on est en
effet reconduit, dans un premier temps, de la relation d'anecdotes qui souvent n'ont
apparemment rien à voir avec les ruines, à I'unique souci de les donner à voir, et,
dans un second temps, à aller du spectacle spéculaire des ruines vers un retour
réflexif sur soi.
La première page de la Vie de Henry Brulard réalise de manière analogue le pivo-
tement d'une vue quasi exhaustive de la ville en ruines sous un soleil magnifique "
"
et dont rien ne reste dans I'ombre, à la " découverte imprévue o qu'il s'agissait en
réalité de soi et qu'à .., cinquante ans, il serait bien temps de [se] connaltre Cela
"a2.
passe par une référence à La Transfi.guration de RaphaëI, ensevelie invisible dans
un trou de mémoire, au fond du Vatican'3.
Cet art de la perspective oblique ou décentrée consiste donc chez Stendhal à ne
porter le regard et à ne mettre I'accent sur un coin du tableau de ruines ou à n'en
saturer l'objet apparent que pour les orienter et les déporter en réalité vers quelque
chose d'invisible qui en e$ le véritable " sujet,. Parce que en même temps ce der-
nier se dérobe presque toujours aux prises directes du regard et aux efforts de la
mémoire, il n'est pas de plus juste métaphore de I'autoportrait du scripteur qu'un
champ de ruines. Comme le dit Derrida:
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Ruine: plutôt cette mémoire ouverte comme un æil ou la trouée d'une orbite
osseuse qui vous laisse voir sans rien vous montrer du tout [...]. Rien de la totalité
qui ne s'ouvre, se perce ou se troue aussitôt. Masque de cet autoportrait impos-
sible dont le signataire se voit disparaissant à ses propres yeux à mesure qu'il tente
désespérément de s'y ressaisir*.

D'où ces effets d'asyndète et d'anacoluthe dans l'écriture de la ruine comme dans
l'écriture de soi, confrontées aux ellipses d'un espace morcelé et d'un temps frag-
menté, laissant vacantes des zones non investies par le regard, la mémoire ou le
savoir, au risque même de l'effacementou.
Rien en effet ne revient à la mémoire sâns que traces et signes du passé ne mena-
cent en même temps de s'effacer, comme s'efface devant les palais désertés de
Venise, au fur et à mesure que Chateaubriand en inscrit les lettres sur le sable, le
nom de Juliette Récamier:
116 JoëlLoehr

J'ai écrit un nom tout près du réseau d'écume, où la dernière onde vient mourir;
les lames successives ont attaqué lentement le nom consolateur; ce n'est qu'au sei-
zième déroulement qu'elles I'ont emporté lettre à lettre et comme à regret : je sen-
tais qu'elles effaçaient ma vien'.

Alors qu'il met dans la quatrième partie des Mémoires les dernières pierres à un édi-
fice auquel il voudrait donner la stabilité architecturale d'un monument, Chateau-
briand dit autrement encore comment sa mémoire elle-même en ruines, loin d'as-
surer la .. résurrection intégrale du passé (Michelet), l'efface toujours davantage,
"
dans la lente érosion réciproque du présent par le passé et du passé par le présent:

Arrière toutes ces vieilleries de ma vie; j'en deviendrais fou à force de ruines : par-
lons du présento'.

Ma mémoire oppose sans cesse mes voyages à mes voyages, montagnes à mon-
tagnes, fleuves à fleuves, forêts à forêts, et ma vie détruit ma viea8.

Une ville en ruines se caractérise par l'empilement matériel des différentes


couches du passé historique, inscrites et stratifiées dans des chroniques de pierre
" ".
Mais, réfractée dans la mémoire d'un scripteur ( assis sur les ruines >, eui y revient
aussi sur ses propres tracesae et y entrelace ses propres souvenirs, elle se défait et se
dissout. De sorte que, dans Venise, elle-même <( assise sur le rivage de la mer, comme
une belle femme qui va s'éteindre avec le jour ou .. Rome entière sous [les]
"'0,
yeux )>, la coalescence devenue subjective des diverses époques du monde et du moi
n'a plus davantage de solidité, de densité et d'épaisseur qu'une fine pellicule peinte
à ces toiles sur lesquelles se projetaient les vues d'optique des panora-
-masidentique
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et dioramas qui fascinaient Chateaubriand".
C'est d'ailleurs significativement sous le signe du décorateur des opéras roman-
tiques que Chateaubriand ouvre la rêverie mémorielle du Lido:

Quelquefois Cicéri peint et rassemble sur une toile, pour les prestiges du théâtre,
des monuments de toutes les formes, de tous les temps, de tous les pays, de tous
les climats; c'est encore Veniset'.

A Carthage, où le vide des architectures rompues crée l'appel d'air pour l'imagi-
naire, qui ne s'accommode pas des espaces comblés, c'est le diorama d'une petite
scénographie mentale qui retourne finalement au vide d'où elle est née:

Du sommet de Byrsa, l'æil embrasse les ruines de Carthage qui sont plus nom-
breuses qu'on ne le pense généralement [...]. Environné des plus grands et des plus
touchants souvenirs, je pensais à Didon, à Sophonisbe, à la noble épouse d'As-
drubal; je contemplais les vastes plaines où sont ensevelies les légions d'Annibal,
Ruiaes écrites et écrihrre de soi ll7
de Scipion et de César; mes yeux voulaient reconnaltre l'emplacement du palais
d'Utique. Hélas ! les débris du palais de Tibère existent encore à Caprée, et I'on
cherche en vain à Utique la place de la maison de Caton! Enfin, les terribles Van-
dales, les légers Maures passaient tour à tour devant ma mémoire, qui m'offrait,
pour dernier tableau, saint Louis expirant sur les ruines de Canhage".

Et, contrairement à Stendhal qui s'exalte et s'enchante de voir et de vivre depuis


son belvédère un compendium des siècles (" Du haut des ruines du Colisée, on vit
à la fois avec Vespasien qui le bâtit, avec saint Paul, avec Michel-Ange
""), quand
Chateaubriand contemple Rome depuis sa petite cellule panoptiquess, ce n'est qu'un
théâtre d'ombres : au Colysée désert, il ne voit en effet que le monde parallèle des
<< ombres qui redescendent à I'Erèbe aux approches du jour )>,
eu'un ballet fantas-
tique de squelettes. Et il ne tient jamais sur sa table d'écriture que le registre obi-
tuaire des disparitionss' :

On dirait que personne n'a osé habiter ces campagnes depuis les temps antiques,
et qu'elles sont restées vacantes pour servir de Champs-Elysées aux ombres des
vieux Romains [...]. Dans ces parcours incultes, la Lydie d'Horace, la Délie de
Tibulle, la Corinne d'Ovide, avaient passé; il n'y restait que la Philomèle de Vir-
gile.

C'est-à-dire la ffistesse mélodieuse et voilée d'un rossignol qui chante à demi-voix,


dont toutes les notes étaient baissées d'un demi-ton, [dont] la romance à refrain
"
était transposée du ma;'eur au mineur )>, pour.. charmer le sommeil des morts sans
"
les réveilleru'.
C'est encore le même décor dans les ruines baroques5'd'une ville où Chateau-
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briand e$ venu retrouver Charles X en exil:

En arpentant la ville et les faubourgs de Prague, les choses [...] venaient s'appli-
quer sur ma mémoire, comme les tableaux d'un optique sur une toile. Mais dans
quelque coin que je me trouvasse, j'apercevais [...] le roi de France appuyé sur les
fenêtres de [son] château, comme un fantôme dominant toutes ces ombress'.

Il faut cependant souligner ici la différence âvec le sentiment de la ruine antique:


lorsqu'il vaguait au clair de lune parmi les ., ruines mortes " de Rome, Chateau-
briand, ., quasi-mort "' lui-même et ombre parmi les ombres, rejoignait par anti-
cipation sa position d'outre-tombe, point d'observation parfait parce que hors point
de vue, théocratique et absolu", sur le liber scriptus des siècles passés'. Devant la
beauté mourante de Venise, il cède à la vertu attractive [...] d" ces vestiges de gran-
"
deur, de ces traces des arts dont on est environné où " les débris d'une ancienne
",
société, en vous donnant du dégoût pour une société nouvelle, ne vous laissent
aucun désir d'avenir où vous <( aimez à vous sentir mourir avec tout ce qui meurt
",
ll8 JoêlLoehr

autour de vous "". Sur le champ de ruines du contemporain, passé sous le régime
bouffon de petitesse et de médiocrité du plus fripon des K[i.ngsJ r*, comme dit
"
Stendhal, et parmi des .. ruines vivantes d'ancien régime, la décomposition des
"6u
formes par fragmentation et prolifération incompréhensibles suscite moins la rétro-
gradation qu'elle n'ouvre vers I'avenir. Vers une histoire à venir et virtuelle, pure-
ment fantastique et poétique, donnée à penser dans la coalition oxymorique des
vieillards dont le front se dépouille, le crâne rongé par Ugolin", et d'une jeunesse
républicaine effrontée et impie, rêvée à partir de l'inactualité d'un Moi ruinique
" "
qui promène parmi les ruines de Prague sa propre figure baroque'7.

C'est en tout cas, entre mémoire empêchée et oubli impossible, dans les fissures
et brisures où la cité détruite devient figure et épure, lisible dans ses chroniques
"
de pierre une fois qu'elle a disparu, que l'écriture de soi se met à l'épreuve de son
"
énonciation. Site de sa genèse, la ville en ruines oriente aussi le sens d'une entre-
prise qui ne peut le ffouver et le fixer que dans l'.. immanence creuse (selon la
"
belle formule de J.-P. Richard") d'un système de signes.
Au bout du compte, demeure de qui a confié ses chances de survie à l'univers
des signes, en s'y donnant à lire, ce qui reste d'une cité disparue: un tracé de lignes,
le pouvoir d'évocation d'un nom6', et une .. voix qui chante
".
Ainsi, dans la Vie de Henry Brukrd, il y a, en marge des lignes de mots, ces des-
sins faits à la main où l'écriture retourne à son étymologie grecque pour tracer la
cartographie des lieux de mémoire du moi, un peu comme une ville revient dans
ses ruines à l'épure de son plan. Dans les Mémoires, Chateaubriand demande à ses
lecteurs de support[er] [les] arabesques > que sa main séchée a dessinées sur un
"
édifice bâti avec des ruines:
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Souvenez-vous, quand vous les verrez, qu'ils ne sont que les capricieux enroule-
ments tracés par un peintre, à la voûte de son tombeauto.

A la voûte de ce tombeau, il élève pour I'y inscrire non seulement le nom reçu de
son père, mais aussi celui qu'a légué à l'" enfant de France rr'r toute l'Histoire de sa
patrie. Au retour de la Terre sainte, il avait d'abord renfermé ce nom dans une
bouteille à jeter àlamer"; à Rome, il l'avait gravé sur un bloc de marbre exhumé
lors de ses fouilles et destiné au buste de Poussin; il en fait pour finir la signature
du monument des M&nolres. Stendhal, dans les Prommades, éprouve une émotion
d'enfant à pénétrer dans les entrailles d'une Terre mère, à descendre dans le trou
"
profond du milieu duquel s'élève la colonne de Phocas
"" exhumée lors des fouilles
ordonnées par Napoléon. On ne s'étonne pas qu'il s'enchante d'y voir gravé le
nom d'un centurion rebelle, au lieu d'une inscription consacrantJupiter tonnantT4.
Au moment d'inscrire celui qu'il s'est choisi en lieu et place du nom du Père, et
arrivé presque au terme de son travail d'excavation et de forage dans les trous de
mémoire du passé, il se demande où se trouvera le lecteur qui, après quatre ou
"
Buiaes écrites et écriture de soi I l9

cinq volumes deTe et de moi, ne désirera pas qu'on [lui] jette 1...] une bouteille
d'encre >> et s'excuse par avance auprès de lui en déclarant que <( tout le mal n'est
que dans ces sept lettres [...] q"i forment [son] nom, et qui intéressent [son] amour-
prOpre t ts.
Mais, en réalité, Stendhal, qui .. ne désire être compris que des gens nés pour la
musique,rT6 et qui écrit sur le mode plutôt majeur de celle de Cimarosa ou du chant
"
délicieux et retentissant des rossignols u', et l'enchanteur qui, de sa voix fantôme,
continue à chanter d'outre-tombe sur le mode mineur, comme Philomèle après
que le roi de Thrace lui eut coupé la langue, ne demandent rien d'autre au lecteur
,que d'entendre leur voix. C'est-à-dire cette voix de la prose autobiographique,
..I'absente de toutes bouches de chair u" q,ri définit pour Julien Gracq la diction
poétique, cette < voix qui chante et qui semble venir d'une région inconnue rrD, sur
le même fond de silence et d'absence que celui des villes-fantômes et des cités dis-
Parues.

NOTES

1. Je reprends sous ce titre le texte d'une communication faite dans le cadre d'un colloque sur. Le
sentiment de la ruine " à l'université d'Aix-en-Provence (77-19 avrl2002) et remercieJean Arrouye
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d'en autoriser la publication
2. Les références artx Mémoires d'ouÛe-tombe renvoient aux quatre tomes de l'"Edition du
Centenaire ", Paris, Flammarion, 7982.
). Promena.des da.ns Rorne, Paris, Gallimard, coll. " Folio ",7997, p.253.
4. Quand aurons-nous un pape assez philosophe pour permettre qu'un édifice consacré au culte
"
soit démoli, et cela pour augmenter le plaisir profane des diletanti ? ", ibùL., p. 253.
5. IbùL., p. t66.
6. IUd., p. 561-562.
7.Ibi.cl.,p.12.
8. Pryché de La Fontaine, cité par Stendhal, Ikd., p.26.
9.IbùL.,p.12.
t0. Avertissemmt des Promenades da.ns Rorne, op. cit,, p.5.
11. Dont I'antonyme est le dandy anglais qui, avec-sa canne à pommeau au lieu du bâton de
pèlerin, se promène dans Rome au bras d'une Anglaise déhanchée. Chateaubriand décrit ainsi leurs
'"
sautilie-ènts sur les ruines du Capitole ' t " CJqui jure avec Ia nature des lieux, c'est cette mul-
titude d'insipides Anglaises et de frÎvoles dandys qui, se tenant enchaînés par les bras comme des
chauve-souris par les âes, promènent leur bizarrerie, leur ennui, leur insolence dans vos fêtes, et
s'établissent chez .rron. cori*. à I'auberge. Cette Grande-Bretagne vagabonde et déhanchée [...]
avale à la hâte les tableaux et les ruines, èt vient avaler, en vous faisant beaucoup d'honneur, les
gâteaux et les glaces de vos soirées (Mémoires d'outre-tombe, [, A Mme Récamier, p. 442). On
"
peut entendre àussi dans la vision de la parade costumée de ces grotesques parasites la phobie d'un
120 loêlloehr

nouveau sac de Rome, par soustraction touristique, quasi vampirique, de substance historique et
artrstrque.
12. Voici comment le .. touriste o stendhalien relate la visite qu'il y a fairc le 2 octobre 1828, avec la
petite société choisie qui I'accompagne au <pays où les orangers viennent en pleine terre" (Vie de
Hmry Brukrd, Paris, Gallimard, coll. " Folio ,,,1973,p.92): "Ce matin, de bonne heure, avant la cha-
leur, nous sommes venus au couvent de Saint-Onuphre (sur le Mont Janicule, près de Saint-Pierre).
Lorsqu'il se sentit près de mourir, le Tasse se fit transponer ici; il eut raison: c'est sans doute un des
plus beaux lieux du monde pour mourir. La vue si étendue et si belle que I'on y a de Rome, cette ville
des tombeaux et des souvenirs, doit rendre moins pénible ce dernier pas pour se détacher des choses
de la terre, si tant est qu'il soit pénible (Promenida dans Rome, op:ciL: p.376).Et voici comment
"
I'Ambassadeur termine le chapitre intinrlé o Promenades o, dans la troisiè me part.ie des Mémoires d'outre-
tombe: "Si j'ai le bonheur dè finir mes jours ici, je me suls arrange pour avoir à Saint-Onuphre un
réduit joignant la chambre où le Tasse expira. Aux moments perd'us'de mon ambassade, à la fenêre
de ma cellule, je continuerai mes Mérrzoires. Dans un des plus beaux sites de la terre, parmi les oran-
gers et les chênes verts, Rome entière sous mes yeux, chaçe matin, en me mettant à l-'ouvrage, entre
le lit de mort et la tombe du poète, j'invoquerai le génie de la gloire et du malheur (Manoirei d'oute-
"
tombe,fr., p.5a\. Un bémol est donné dans la panie conclusive des Mérnoires, quand Chateaubriand
revient en terre d'Italie et retourne sur ses propres 912ç95 ; J'achèverais donc mes Mémoires à I'entrée
"
de cette terre classique et historique où Virgile et le Tasse ont chanté, où tant de révolutions se sont
accomplies? Je remémorerais ma destinée bretonne à la vue de ces montagnes ausoniennes? Si leur
rideau venait à se lever, il me djcouvrirait les plaines de la Lombardie, par delà Rome, pardelà Naples,
la Sicile, la Grèce, la Syrie, I'Egypte, Carthage; bords lointains, vastet régions que jT mesurés,-moi
qui te possède pas I'espace de terre que je presse sous la plante de mes pieds ! Mais pourtant mourir
ici ? finir ici ? N'est-ce pas ce que je veux, ce que je cherche ? Je n'en sais nen (ibùl",lY, p. 124).
"
13. Prornenades dans Rome, op. cit,, p,376.
14. Mémoires d'outre-tombe, tr, p. 108-109.
75. Ibi.d., p. l2l.
76. Vie de Henry op. cit., p. 27-28.
Bruhrd,
IT.Extrut de 6u
texte à i.'aition.'Ë,ssai.s d'herneneuti4ueld Paris, Ed. du Seuil, 1986. Cité parJean-
Paul et Jacqueline Lafitte, dans L'Ecriture de soi,Paris, Vuibert, 1996, p.35.
L8, Mérnoires d'outre-tombe,IV, p. 390. Voir aussi: oJ'achève souvent le tour des murs de Rome à
pied; en parcourant ce chemin de ronde, je lis I'histoire de la reine de I'univers par'en et chrétien
écrite dans les constructions, les architectures et les âges divers de ces murs,, QAd.:m, p. 5a7).
19. Cité par Jean-Claude Berchet, De Paris à Jérusalem ou le voyage vers soi )>, in Le Journa.l dc
"
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nùyage et Stmdhal, Actes du colloque de Grenoble, Genève, Slatkine, 1986, p. 115.
20. Itinérai.re de Paris à lérusalem. Paris, J"lliard, 1964, p. 92-93.
21, On reconnaltra ici une référence aux analyses d'Umberto Eco dans Lector in fabuh. Le rôle du
lecteur ou h coopération interprétative dans lcs textæ naratifs. Paris. Grasset. 1985."Elles oourraient
en effet s'appliquer àces..livies de pierre o que,sont les *É.r, porlr p.u qu" I'obr.*ateui, munide
sa propre encyclopédie intérieure, nous offre des ruines qui soient encore savantes
" ", pour parler
co*-è Dideiot (clité par PhilippeJunod, " Poétique des ruines er percepcion du tempi iDid.rot .t
Hubert Robert ", in Colloque international Diderot,Paris, Aux amateurs de livres. Collection des
"
mélanges de la bibliothèque de la Sorbonne,,, p.322)-
22. Prornenadcs dans Rome, op, cit,, p.22.
23.Ibid., p. 18-19.
24. Ce sentiment que tout monument de I'existence des hommes est voué à la ruine et à l'effon-
drement s'exprime dès les premières pages des Mtlmoires consacrées à I'enfance, posant un thème qui
sera ensuite indéfiniment répété et varié : [Jn autre divertissement était de construire, avec I'arène
"
de laplage, des monuments que mes camarades appelaient desfours. Depuis cene époque, j'ai sou-
vent cnr bâtir pour l'éternité des châteaux plus vite écroulés que mes palais de sabIe" (Mthnoires
d'outre-tornbe,I, p. 4546). Rappelons ici les piopos de Louis Marin, parlaàt de la vanité en peinture :
,,Lavanité dit d'abord Ia métamorphose, I'instabilité des formes du monde, des aniculationJ de l'être,
la perte d'identité et d'unité, qui le livre au changement incessant; elle dit le monde en état de chan-
cellement, la réahté en état d'inconstance et de fuite, et du même coup, la relativité de toute connais-
sance et de toute morale,, (" Lel traverses de la Vanité ,, in Les Vanités, publication âccompagnant
l'exposition " Les Varités dans la peinture au x\[r siècle imprimé en Bèlgique, 199a, p.25).-
",
Ruines écrites ei écriture de soi l2l
25. C'est ainsi que Marc Fumaroli définit le sublime poétique la miraoigliz (dans L'Ecole du
" ",
silmce,Paris, Flammarion, 1994, p.96). Stendhal déclare par exemple avoir " w des Romains passer
des heures entières dans une admiration muette, appuyés sur une fenêtre de la villa Lante, sur le mont
Janicule " (Prommad.æ dans Rome, op. cit., p.79).
26. Promenades dans Rome, op. cit., p. 19,
27.KaÂheinz Stierle le rappelle à I'ouverture de La Capiale des signæ (Paris et son discours),Paris,
Maison des sciences de I'homme, 2001, p,9-12.
28. Mérnoires d'outre-tombe, fV, p. 308.
29.IUù.,IV, p. 331.
30. Ibid.,I, p.253.
31. "Mais, grand Dieu! qui est-ce qui lira ceci? Quel galimatias! Pourrais-ie enfin revenir à mon
récit? Le lecteur sait-il maintenant s'il en est à 1800, au premier début d'un fou dans le monde, ou
aux réflexions sages d'un homme de cinquante-trois ans ! (Vie de Hmry Brukrd, oP. cit., p. azQ.
"
32. Y oi à ce sujet les travaux de Louis Marin.
33. Jacques Derrida, Mânoires d'aoewgle, Paris, Réunion des musées nationaux, 1990, p.72,
34. Mémoires d'outre-tombe,T|, p, 407,
35. Vie de Henry Bruhrd, op. cit., p. 27.
36. Mérnoires d'outre-tombe,IV, p. 285. La métaphorisation féminine de Rome manifeste qu'il vau-
drait aussi la peine de conduire une étude comparée de l'érotique de la ville en ruines, Chateaubriand
profitant deieffets d'appel d'air du vide et de I'absence pour déployer ses chimères, Stendhal usant
àu c.eur des trous de mëmoire pour s'enfoncer dans la têrre. Dùs lâ quatrième partie des Mémoiræ,
I'hymne à Cynthie fait ainsi dé Rome < avec sa robe de siècles o une sorte d'équivalent méditerra-
néén de la Sylphide de la première panie, chimère aussi impalpable que le vent,ïée dans les bois de
Bretagne (l'élan lyrique est alors cependant brutalement brisé par I'intervention du douanier de \flal-
lenstein qui réclame " dix kreutzer bour la parrière ", empêchant Ia rhétorique de I'hymne de se main-
tenir dan's la réæsurance de la plénitud. à. ron oÉjeti"Pe.te soit de toi ,rr.. t.i cruches!j'avais
changé de ciel ! p. 287). Dans ies Promenadzs dans Rome,on se livre en particulier au plaisir de I'en-
',
fouissement lorsqu'on descend dans le trou profond or) s'élève la colonne de Phocas. Pour Stendhal,
l'étude de la signification érotique de la foùille dans les champs de ruines a été amorcée par Jean-
Pierre Guillerm, dans " La nuit des temps. Stendhal et quelques amateurs d'archéologie ,r, Reaue dcs
sciencæ bumaine-s, .IJsages de I'oubli n, n" 252,4/7998, p.95-96,
37. Stendhal, au moment d'évoquer sa tante Séraphie et son père, c'est-à-dire les < deux diables [qui
se sont] déchaînés contre [sa] pauvre enfance n, déclare de manière symptomatique qu'il écri[t] à
"
I'aveugle (Vie de Hmry Bralard, op. cit., p.87).
"
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38. Mémoires d.'outre-tontbe,t, p. 424.
39. Titre des études rassemblées par Valérie-Angélique Deshoulières et Pascal Vacher, la. Mémoire
enruines, Le songe archéologiqwe dans I'imagiruire modemc etcontemporain, Clermont-Ferrand, Cahiers
de recherche du CRMLC, 2000.
40. Vie d.e Henry Bruhrd, op. cit., p.207.
41. Prommad.es dans Rome, op. cit., p.324, avecl'addition insérée dans le texte de l'édition de 1853
(voir p. 731, note 5).
42. Vie de Hertry Brukrd, op. cit., p.28.
43. Au sujet de l-a Transfiguration, voir les analyses de Jean Bellemin-NoëI, " Stendhal : I'autre vie
de Henry B.,,, in Biograpbics du désir,Paris, PIIF, coll. Ecriture
" ", 1988.
44. J. Derrida, Mémoires d'aoeugle, op. cit., p.72.
45. Voir la métaphore de la fresque effritée dans la Vie de Henry Brukrd, avec laquelle Stendhal
signifie le caractère lacunaire de la connaissance de soi et fragmentaire des images qui remontent du
passé, ni complètes, ni cohérentes: A côté des images les plus claires je trouve des manques danrsfle)
"
souvenir, c'est comme une fresque dont de grands morceaux seraient tombés. " Ou encore: ., Ce sont
de grands morceaux de fresquei sur un .r.ti, qui depuis lonçemps oubliés apparaissent tout à coup,
et à côté de ces morceaux bien conservés sont comme je I'ai dit plusieurs fois de grands espaces où
I'on ne voit que la brique du mur. L'éparvérage,le crépi sur lequel la fresque était peinte est tombé,
et la fresque es à jamais perdue. A côté des morceaux de fresque conservés il n'y a pas de date, il faut
que j'aille à la chasse des dates actuellement en 1835 (Vie dc Hmry Bruhrd, oP. cit., p. 130 et 142).
"
46. Mûnoires d'outre-tombe,IV, p. 403.
47.ûUd., [V, p.338.
122 loëlloebr

48. IUd., fV, p. 118.


.revoir ce qu'on a vu, dit Marc-
49. Cf,
"lLe voyageur] ne fait plus que repasser sur ses traces:
Aurèle, c'est recommencer à vivre n. " Moi je dis : c'est recommencer à mourir (ihd.,[1, p. a00).
"
50. Ibi.d.,lY , p. 337.
51. Cette expression est employée par Chateaubriand à propos des n roches ruiniques (ibii.,IV,
"
p. 328) des Alpes, dans un tableau à la fois symétrique et inverse des vues de villes en ruines. Cha-
teaubriand, contre la mode inaugurée par Rousseau et continuée par Senancour, y fait du paysage
u o
de montagne une sorte de descriptio" <( en creux >, qu'il achève ainsi : En voilà trop à propos des
"
montagnes [,.,]. Si je ne dois pas me fixer aux revers des Alpes, ma course au Saint-Gothard restera
un fait sans liaison, une vue d'optique isolée au milieu des tableaux de mes Mémoires: j'éteindrai la
lampe et Lugano rentrera dans la nuit,, (ibid.,lY, p. 127-128). Maurice Levaillant rappelle que ce
nom désignait u les vues de paysages et de villes offertes par les panoran'ras et les diorimn. Les pre-
miers, datant de 1793, étaient nombreux au boulevard Montmartre, < passage des Panoramas ; ils
"
présentaient des tableaux disposés en cercles, autour des spectateurs et éclairés par le haut. Les dio-
rantas, mis au point par Daguerre et Bouton, montraient des tableaux peints sur les deux faces d'une
toile de coton, percés d'ouvertures et de volets qui permettaient un éclùage plus savant (Mémoires
"
d'outre-totnbe, fV, p. 128, note 7).
52. Ibià.,IV, p. 334335.
53.Ibid.,II, " Voyage à Tunis ", p. 228-229. Michael Riffaterre commente ainsi ce passage : o Le
lieu vide tend à être le monument d'un monument, car les abandons se succèdent, chaque départ
représentant une ruine et chaque arrivée le monument consacrant le dépan précédent : sous les yeux
de Chateaubriand, le site de Carthage déroule comme un diorama Didon puis les légions d'Hanni-
bal, qui font place à celles de Scipion, et celles-ci aux Vandales, et ceux-ciàux Maurès, et ceux-ci à
Saint Louis qui ne laisse après lui que le vide du tombear" (La Production du tacte,Paris, Ed. du Seuil,
coll. " Poétique >, 1979,p. 1a1).
54. Promenades dans Rorne, op. cit., p,19. Rappelons ici que Stendhal aimait s'abandonner à Milan
à la contemplation des toiles et surfaces peintes des décors de théâtre, et soulignons qu'eles Prome-
nadæ, évoqtant les restes du temple d'Antonin le Pieux, homme d'Etat qui s'était lui-même adonné
à la vie contemplative, montrent qu'on y apprend en quelque sorte un art du regard sur les monu-
ments tronqués : Ordinairement, les étrangers maudissent les restes du temple d'Antonin le Pieux,
"
quoique ces onze colonnes forment peut-être la plus belle ruine de ce genre qui existe à Rome. On
y construit la douane [...]. Ces onze colonnes formaient une paftie latérale du portique qui entou-
a
iait le temple. Tàchez dè les figurer ainsi; oubliez I'ignoble douane, uoyirle Àonument tel
qu'il exista pour les Romains. "t
"bus Si vous êtes accoutumés aux décorations magnifiques que M. Sanqui-
rico fait pour le théâtre de la Scala, à Milan, les ruines de Rome vous ferànt plus dè plaisir; vôus
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pourr." plr,rr facilement vorsfi.guru ce qui manpue, afaire abstraaion de ce qui. eit (Prokenadâ dzns
"
Rome, op, cit,, p, 126).
55. La recherche d'une petite cellule panoptique s'exprime à plusieurs reprises dans les Mémoires
d'outre-tombe. Voir par exemple: "Je vais bientôt quitter Rome, et i'espère y revenir. Je l'aime de
nouveau passionnément, cette Rome si triste et si belle: j'aurai bientôt un panorama au Capitole
t...]; à Sai-nçOnuphre je me suis ménagé une autre retraite " (Mémoires d'outreltombe,ll, p.54Ç547).
56. Voir à ce sujet Patrice Soler,
"Les Mânoiræ d'outre-tombe: caprices "nécrolithes",,, ln Cha-
teaubria.nd" Les Mémoires d'outre-tombg 4 partie, Paris, SEDES, 1990, p. 143-175.
57. Mémoires d'outre-tombe,Itr, p. 548-549-.
58. J. Derrida cite W. Benjamin (Ménzoires d'aoeugle, op. cit., p.72) pov qui un champ de ruines
est d'essence et par définition baroque : Ces ruines qui jonchent le sol, le fragment hautement signi-
"
ficatif, les décombres, voilà la matière Ia plus noble de la création baroque (Originc du drame baroque
"
allemand, Paris, 1985, p. 191 sq.)
59. Mémoires d'outre-tornbe, Iltl, p. 251.
60. C/ Ne suis-je pas moi-même quasi-mon ? (ibùL., tr, p. 11).
" "
6L. Car, pour juger impartialement de la vérité qui doit rester, il faut [...] se placer au point de
"
vue d'où la postérité contemplera le fait accompli" (ibill.,U, p. 671). La position théocratique fait
aussi, selon Chateaubriand, la différence avec le point de vue de I'historien, qui reste lui à hauteur
d'homme:.Thucydice et Tacite ne nous raconteraient pas bien les événements des trois jours; il
nous faudrait Bossuet pour nous expliquer les événements dans I'ordre de la Providence; génie qui
voyair rour " (ibùI,m, p. 672).
Ruiaes écrites et écriture de soi 123

62. Voir Vérone, I'appel des morts: .Faisons I'appel de ces poursuivants de songes; ouvrons le
livre du iour de colère ; fiber scriptus proferetur, (ibù[, IV, p. 3iô).
63.Ibià., [V, p. 336.
64. Vie de Het ry Bruhrd, op. cit., p. 153.
65. " A mesure que je montais, je découvrais la ville au-dessous, Depuis Jean I'Aveugle, roi de
Bohême, jusqu'à Charles X, roi de France, réfugié au foyer de ce roi, les enchalnements de I'histoire,
le sort des hommes, la destruction des Empires, les desseins de la Providence, se présentaient à ma
mémoire en s'identifiant à ma propre destinée: après avoir exploré des ruines mortes, j'étais appelé
au spectacle des ruines vivântes (Mémoiræ d'outre-tombe, fV, " Première entrevue avec Charles X ",
',
'p.216).
66.'"Déjà mon front se dépouille; je sens un Ugolin, le temps, penché sur moi qui me ronge le
crâne" (dans une page datée de 1822, ibii.,l, p.427).
62. Selon Jean-Pierre Richard, u belle à la fois comme une trace et comme une esquisse, la ruine
est en somme le repère parfait, parce que, essentiellement non achevé, d'un espace baroqter, (Pay
sage dc Chateaubriand, Paris, Ed. du Seuil, 1967, p. 68).
68.[bii.,p.45.
69. Cl,, oar exemole : Si des ruines où s'attachent des souvenirs illustres font bien voir la vanité
"
de tout ici'-bas, il faut pourtant convenir que les noms qui survivent à des empires et qui immonali-
sent des temps et des lieux sont quelque chose (Itinéraire dc Paris à Jerusaletn, op. cit,, p.93),
"
70. Mémoires d'outre-tontbe, [V, p. 308.
7l. Cf. " Avec quelle différence d'esprit, de cæur, de pensées, de mæurs, nous avons, à plus de trois
siècles à'intervallè, médité sur les mêhes ruines et sous le même soleil, Lobkowitz Bôhême, lord
Byron Anglais, et moi, enfant de France ! " (ibùl.,IV, p. 250).
72. Rappelons ici la dernière phrase de I' Itinéraire : u J'ai assez écrit, si mon nom doit vivre ; beau-
coup trop, s'il doit mourir n (Itinéraire de Paris à Jérusalern, op. cit,, p. 525).
73. Prornenades dans Rome, op. cit., p.251.
74. IbùL., p. 155.
75. Vie de Henry Bruhrd, op. cit., p. 283.
76. Protnenades dans Rome. ùb. cit,. D. 41.
n. bid., p.34l.La modulatiott 6àa,t êtr. parfois plus faible, on n'en parvient pas moins à I'in-
"
tensité d'une iouissance toute âérienne: de matinées heureuses j'ai passées au Colisée, perdu
" Que
dans quelque coin de ces ruines immenses ! [...] [L"] gazouillement paisible des oiseaux, qui retentit
faiblemeni dans ce vaste édifice, et, de temps à autre, le profond silence qui lui succède, aident sans
doute I'imag.ination à s'envoler,dans- les temps anciens. On arrive auxplus vives,jouissances.que la
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mémoire puisse procurer > (ibid., p.26).Et, de manière presque symétrique, Stendhal met un bémol
sur la mélancolié en définissant " I'étranger qui aime les ruines (c'est-àdire dont l'âme un peu mélan-
colique trouve du plaisir à faire abstraction de ce qui est, et à se figurer tout un édifice tel qu'on le
voyait jadis, quand il était fréquenté par les hommes portant la toge) (ibid., p. M9}
"
78. Cité par Jean-Paul Goux, dans l^a Fabrique du conti.ntt (Eswi sur k prosQ, Seyssel, Champ Val-
[on,1999, p. 166.
79. Cf, ce que dit Chateaubriand à propos des Natcbez: ., A travers la narration on entend partout
une voix qui chante, et qui semble venir d'une région inconnre " (Mémoires d'outre-tombe, tr, p. 284).

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