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1. Cf. Harry BELLET et Benjamin ROURE , « Les vedettes de l’art trash au Centre
Pompidou » et Geneviève B REERETTE, « Des figures de l’excès, plus désagréables que
dérangeantes », in Le Monde, 20 février 2005.
2. Site des artpies : http://artpies.samizdat.net/
féministe du statu quo. Mais comme toute révolution, […], la révolution féministe
devra tôt ou tard s’en prendre aux fondements rationnels et idéologiques des
diverses disciplines intellectuelles ou universitaires — l’histoire, la philosophie, la
sociologie, la psychologie, etc. 5 »
9. Griselda POLLOCK, Vision and Difference : Feminism, Feminity and the Histories of
Art, Londres, New York, Routledge, 1988, p. 26.
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10. En effet, les artistes, depuis quarante ans, se sont posé la question du travail
sociologique et anthropologique et ont impulsé une nouvelle dynamique esthétique
reposant sur le documentaire, la rencontre et l’échange avec l’autre. De plus, les
institutions culturelles voient leurs budgets et fonctionnements évoluer considérablement
depuis l’avènement de la pédagogie, proposant alors elles-mêmes aux artistes de devenir
des travailleurs sociaux.
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House à Los Angeles et de la Galerie A.I.R. à New York 11, n’a été mise
en place par les collectifs, de même qu’il n’y a pas eu, de façon
récurrente et efficace, de mouvement de revendication concernant la
quasi-absence de femmes artistes dans les institutions culturelles et les
galeries, peut-on se permettre de prendre le risque de faire l’impasse sur
cette potentialité d’un féminisme dans l’art, ou doit-on se perdre dans
l’admiration nostalgique des traces d’un possible avoir eu lieu ? À
entendre les différentes historiennes de l’art, il est difficile d’affirmer
qu’un art féministe ait existé en France 12. Cette interrogation est d’autant
plus importante que nous assistons, ces dernières années, en France, dans
le discours des professionnels de l’art, à une régression quant aux
questions sur la représentation de l’identité qui elles-mêmes suscitaient
un intérêt relativement superficiel 13. S’il est à noter qu’en France, depuis
11. La Woman House est née à l’initiative d’une artiste américaine Judy Chicago,
rejointe plus tard par Miriam Shapiro, qui décide de fonder un programme éducatif d’art
pour les femmes au sein de l’institution académique californienne. Les étudiantes devaient
penser et élaborer ensemble leur programme fondé sur une critique des formations
épistémologiques (histoire, critique, sociologie, philosophie, économie de l’art) générant
leur difficulté à exister en tant qu’artistes femmes.
Sur la côte Est, des artistes féministes décident, pour pallier l’absence de
représentation des artistes femmes dans les galeries et les musées, de créer leur propre lieu
de production et de diffusion. La Galerie Air est une coopérative d’artistes féministes.
Ces deux lieux, par la qualité artistique et critique indéniable de leur programme, et
par leur retentissement national et international dès leur première exposition, sont devenus
des symboles de l’activité d’art féministe américain.
12. « Mais le terme “ art féministe ” ne fut jamais adopté par les plasticiennes et les
critiques d’art françaises, et aucun mouvement autonome d’artistes féministes ne se
développa en France », in Diana QUINBY, Le collectif Femmes/Art à Paris dans les années
les années soixante, aucune structure artistique féministe n’a été pérenne,
il faut également prendre en considération que les institutions culturelles
françaises sont, de la même façon, encore aujourd’hui, restées
imperméables à toute mise en cause de l’accession à la légitimité du geste
artistique féministe, malgré les percées réelles de celui-ci dans le champ
de l’art contemporain aux États-Unis.
La difficulté de toute tentative féministe dans l’art, en parallèle de
cette incapacité de l’institution à la légitimer, est de déjouer une
rhétorique stigmatisante et ses mécanismes d’auto-légitimation, qui
reposent sur un argument récurrent, à savoir, le fait qu’il n’y a pas eu de
« grandes » artistes femmes comme le posait déjà Nochlin dans son texte
manifeste, il y a trente ans. De plus, les jugements de valeur pleuvent
pour discréditer une pratique féministe au travers de la mise en avant du
sexe de l’artiste : l’art féminin, l’art des femmes sont souvent collapsés,
dans les discours sur l’art, avec l’art féministe. La catégorie « femme »
n’a pas été interrogée de même que la relation entre sexe biologique et
genre. Il est d’ailleurs troublant de noter que cette confusion
terminologique est portée autant par les spécialistes de l’art que par
certaines « partisanes » féministes (militantes, artistes, théoriciennes).
Bottons en touche définitivement cette volonté essentialiste. Mais ne
rejetons pas pour autant l’idée de toute responsabilité. Il est un fait que la
féminisation des professions de la culture est réelle et ce à des postes
stratégiques et de décision. Pourtant, les initiatives féministes sont
discrètes et à chaque fois critiquées pour leur spécialisation identitaire.
Il est également reproché aux artistes féministes de se focaliser sur
l’autobiographie, à tel point qu’elles en deviendraient narcissiques. Une
rupture que nous devrions considérer comme progressiste comparée à la
stigmatisation des féministes comme hystériques ! La névrose ne serait
14. Le groupe d’avant-garde américain Fluxus avait exclu, dans les années soixante-
dix, certaines artistes (Carolee Schneemann, Shigeko Kubota,…) arguant le fait que leurs
productions performatives ne respectaient plus les principes de neutralité et d’universalité,
138 Géraldine GOURBE et Charlotte PREVOT
16. Dès les années soixante, l’artiste américaine Carolee Schneemann, en réaction
quant à l’utilisation du corps féminin comme modèle et fétiche, transpose sa pratique de
peintre dans l’espace filmique et performatif afin de déconstruire les représentations
discriminantes sur le corps genré et sexualisé.
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17. Au-delà du travail théorique, des écrivains ont développé toute une production
littéraire fictionnelle prenant en compte les modalités du Consciousness Raising, qui eut
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une influence au-delà des cercles militants féministes ; cf. Anne KOEDT, Radical
Feminism, Quadrangle Books, New York, 1973 et Alix Kates SHULMAN, Memoirs of an
Ex-Prom Queen, 1969.
18. WEB (West-East Coast Bag), Consciousness Raising Rules, 1972, from WEB,
Juin 1972, p. 1.
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19. N’oublions pas les échanges entre Gilles Deleuze et Michel Foucault, le premier
parlant du travail du second pour en extraire la sève et disant ainsi que ce qu’il avait réussi
avant tout était d’avoir permis de faire prendre conscience de l’indignité de parler pour les
autres ; cf. le texte n° 106, « Les intellectuels et le pouvoir », in Michel FOUCAULT, Dits et
Écrits, Gallimard, Paris, 1994.
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