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EUGÈNE HUZAR ET L'INVENTION DU CATASTROPHISME

TECHNOLOGIQUE

Jean-Baptiste Fressoz

Armand Colin | Romantisme

2010/4 - n°150
pages 97 à 103

ISSN 0048-8593

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Pour citer cet article :
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Fressoz Jean-Baptiste, « Eugène Huzar et l'invention du catastrophisme technologique »,
Romantisme, 2010/4 n°150, p. 97-103. DOI : 10.3917/rom.150.0097
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Jean-Baptiste FRESSOZ

Eugène Huzar et l’invention


du catastrophisme technologique

La prophétie de malheur est faite pour éviter qu’elle ne se réalise ; et se


gausser ultérieurement d’éventuels sonneurs d’alarme en leur rappelant
que le pire ne s’est pas réalisé serait le comble de l’injustice : il se peut que
leur impair soit leur mérite.
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(Hans JONAS, Le Principe responsabilité (1979), Flammarion, 1995,

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p. 233.)

En avril 1855, à Paris, alors que la foule se presse au Palais de l’Indus-


trie pour y admirer machines et inventions, paraît un petit ouvrage au
titre énigmatique, La Fin du monde par la science. L’auteur, un avocat
obscur au nom d’Eugène Huzar, propose ce qui constitue vraisemblable-
ment la première théorie du catastrophisme technologique. Le livre est
un succès et deux ans après, Huzar développe sa théorie dans L’Arbre de
la science 1.
L’originalité de ces ouvrages est de proposer une critique progressiste
du progrès. Huzar n’est pas un romantique vitupérant contre la laideur
du monde industriel ; il ne s’inscrit pas non plus dans le débat, vif en
1855, sur les rapports entre art, science et industrie 2. Le problème qu’il
soulève est le type de progrès souhaitable : « Je ne fais la guerre ni à la
science ni au progrès, mais je suis l’ennemi implacable d’une science
ignorante, impresciente, d’un progrès qui marche à l’aveugle sans crité-
rium ni boussole » (AS, 138). Être « contre le progrès » serait d’ailleurs
parfaitement vain tant celui-ci est devenu la loi de l’histoire. Huzar décrit
une société déjà technoscientifique au sens où les mondes industriel et
scientifique ont fusionné : « La science fait l’industriel, et à son tour
l’industriel fait le savant […]. C’est de cette action et de cette réaction
1. Pour une présentation plus complète voir Jean-Baptiste Fressoz, « Eugène Huzar et la
genèse de la société du risque » dans Eugène Huzar, La Fin du monde par la science, Ère, 2008
qui réédite des extraits des deux ouvrages de Huzar : La Fin du monde par la science et L’Arbre
de la science (Dentu, 1855 et 1857). Les références données ici entre parenthèses (et respective-
ment abrégées en FM et AS) renvoient à cette édition.
2. Voir Marta Carion, « Les Philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques ». Littéra-
ture, sciences et industrie en 1855, Genève, Droz, 2008.

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réciproques que naît le progrès » (FM, 49). Or les sciences, aussi puissan-
tes qu’elles deviennent, resteront expérimentales, c’est-à-dire, par défini-
tion, ne pourront apprendre que de leurs expériences. Connaissance a
posteriori, la science ne pourra jamais anticiper les conséquences lointai-
nes de ses productions techniques. C’est ce que Huzar appelle le principe
de la science « impresciente ». Le décalage entre les capacités techniques
et les capacités de prévision sera la cause de l’apocalypse.
Huzar possède une imagination apocalyptique débordante et une pré-
férence pour les scénarios spectaculaires. Qui sait si en extrayant tonne
après tonne de charbon on ne risque pas de déplacer le centre de gravité
de la planète et produire un basculement de son axe de rotation ? Qui
sait si les canaux interocéaniques ne perturberont pas les courants mariti-
mes, causant ainsi des inondations dévastatrices ? Son candidat préféré
pour l’apocalypse reste hypothétique : une substance encore à découvrir
capable de brûler l’eau qui, se déversant par accident dans une rivière,
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finirait par embraser les océans et consumer toute matière organique sur

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terre. Au milieu de ces propositions farfelues, on trouve aussi de belles
anticipations : « dans cent ou deux cents ans le monde, étant sillonné de
chemins de fer, de bateaux à vapeur, étant couvert d’usines, de fabriques,
dégagera des billions de mètres cubes d’acide carbonique et d’oxyde de
carbone, et comme les forêts auront été détruites, ces centaines de
billions d’acide carbonique et d’oxyde de carbone pourront bien troubler
un peu l’harmonie du monde » (AS, 99). Selon Huzar, qui emploie des
métaphores organicistes, la Terre est un être vivant et fragile : les défores-
tations sont la « calvitie » de la Terre, les mines et les carrières, des ané-
vrismes qui menacent de rompre (AS, 98, 102).
Huzar a bien conscience de la fragilité de ces spéculations, mais son
point est ailleurs : l’agir technique se substituant peu à peu aux processus
naturels, la charge de la preuve est renversée. Ce n’est pas à lui de prouver
la possibilité de la catastrophe, mais aux ingénieurs de démontrer l’inno-
cuité de leurs créations : « Si nous sommes si exigeants envers la science,
c’est qu’aujourd’hui la science tend à substituer son action aveugle à celle
de la nature. […] Il faudrait d’abord prouver qu’elle fait mal et ensuite
que l’on fera mieux qu’elle » (AS, 102).
Face à l’aporie de la science « impresciente », Huzar indique des
moyens « palliatifs » qui retarderont la catastrophe finale. Premièrement,
il faut faire advenir une science nouvelle « ayant pour but de déterminer
et d’étudier les lois qui constituent l’équilibre du globe ». Deuxième-
ment, il faut établir une « édilité planétaire » c’est-à-dire un gouverne-
ment scientifique mondial chargé d’étudier les projets de grands travaux,
de déboisements et toutes les expériences scientifiques qui pourraient
« troubler l’harmonie du monde » (AS, 136). L’utopie huzarienne est une
technocratie saint-simonienne supranationale tempérée par le jeu démo-
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cratique : l’édilité planétaire sera « composée de l’élite de la science du


monde entier » (AS, 136) mais chaque magistrat devra être élu par ses
concitoyens 3.
Pour prévenir l’apocalypse, il faudrait toutefois que la science cesse
d’être expérimentale et devienne intuitive. Huzar reste assez laconique
sur ce sujet qui devait faire l’objet d’un troisième livre, jamais paru,
L’Arbre de vie. Contre le progrès qui reste la seule téléologie du monde
moderne, Huzar veut réhabiliter la parole performative des prophètes.
Seuls des oracles faisant l’avenir pourraient nous faire sortir de l’éternel
retour. On retrouve ici le paradoxe de Hans Jonas : il faut penser la catas-
trophe comme certaine pour pouvoir l’éviter. D’où l’importance du
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Figure 1. Paul Chenavard, « Calendrier d’une philosophie de l’histoire », dans Silvestre,


Histoire des artistes vivants, Blanchard, 1855

3. Saint-Simon proposait un système tricamériste : chambres d’invention, d’examen et


d’exécution. La première, dont les projets sont examinés par la deuxième, comprend une section
chargée des « dessèchements, défrichements, percements de routes, ouvertures de canaux » (voir
« Conception d’un parlement industriel », L’organisateur, 1819 et Antoine Picon, Les Saint-
simoniens. Raison, imaginaire et utopie, Belin, 2002).

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thème de l’éternel retour chez Huzar : la catastrophe future est certaine


car elle a déjà eu lieu, la mémoire antéhistorique est une mémoire de
l’avenir.
Dans le Palais des Beaux-Arts de l’Exposition universelle de 1855, le
peintre Paul Chenavard exposait les esquisses d’une fresque commandée
en 1848 pour le Panthéon. Elle représentait l’humanité parcourant un
cycle de croissance et de caducité (fig. 1). Huzar est fasciné par les philo-
sophies circulaires de l’histoire qui sont à la mode au milieu du siècle 4. Il
entend concilier la figure du cycle et l’idéologie du progrès, la peinture de
Chenavard et les allées rectilignes du Palais de l’Industrie. Son but est de
produire une eschatologie rationnelle, une fin des temps sans anges ni
trompettes. Les religions sont des faits historiques et les textes – bibli-
ques, grecs, hindous ou zoroastriens – doivent être interprétés selon les
codes symboliques de l’époque de leur production. Huzar combine le
catastrophisme technologique avec une interprétation (très personnelle)
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des grands mythes grâce au système de l’éternel retour : Éden était une

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civilisation extrêmement avancée couvrant l’ensemble du globe et qui
sombra dans une catastrophe technologique planétaire (FM, 43). D’où
l’ubiquité du mythe de la Chute que l’on retrouve sous diverses formes
dans la Genèse, les Védas, Prométhée, Icare, etc. Selon Huzar, plusieurs
cycles humains, des milliers peut-être, ont existé sur la planète avant le
nôtre, qui s’approche de l’état édénique et de la catastrophe finale/initia-
trice. La mission de Huzar est d’avertir l’humanité pour qu’elle rompe
avec la répétition des cycles, d’infléchir la direction du progrès technique,
de l’arrêter au seuil de l’expérience dernière (AS, 138).
Si Huzar se présente en prophète de malheur prêchant dans le désert,
ses ouvrages furent en fait fort bien accueillis. La Fin du monde par la
science parut un mois avant l’inauguration de l’Exposition universelle de
Paris et toutes les grandes revues (étrangères y compris) en rendirent
compte : « l’explication que nous donne M. Huzar du péché originel est
plus satisfaisante que celles que nous ont données successivement prêtres
et philosophies (L’Industrie) » ; « l’hypothèse de M. Huzar ne manque ni
de grandeur ni de vérité (Le Moniteur) » ; « c’était le livre que je rêvais
depuis longtemps et que je ne voyais pas venir (La Gazette de France) »,
etc. 5 En 1888, ce petit livre étrange d’un avocat obscur au crédit scienti-
fique douteux en était à sa quatrième édition (dont une portugaise). Le
4. Les temporalités cycliques fascinent les romantiques qui interprètent les révolutions au
sens littéral du mot. Chateaubriand, dans son Essai sur les révolutions modernes et anciennes
(1820), entend découvrir dans l’histoire la formule de l’évolution politique de l’humanité. Pierre
Simon Ballanche, dans son Essai de palingénésie sociale (1828), transpose les catastrophes natu-
relles dans l’histoire des sociétés. Victor Cousin consacre la onzième leçon de son cours en Sor-
bonne (que le tout-Paris libéral suit avec avidité) aux philosophies de l’histoire cycliques de
Herder et de Vico, dont Michelet traduit La Science nouvelle en 1835.
5. Cité dans Eugène Huzar, L’Arbre de la science, ouvr. cité, p. 2-3.

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successeur de Lacordaire à Notre-Dame s’en inspirait pour un retentis-


sant sermon pascal dénonçant les dangers du progrès technique 6. Les cri-
tiques de L’Arbre de la science furent tout aussi dithyrambiques : « un
livre d’un intérêt capital pour l’humanité », « un des livres les plus
attrayants que j’aie lu de ma vie », etc. 7 En 1910, après la grande inonda-
tion de Paris, un article du Gaulois faisait encore l’éloge du catastro-
phisme huzarien 8.
L’effet littéraire d’Eugène Huzar est passé complètement inaperçu 9. Il
est pourtant considérable. Peu après la parution de La Fin du monde par
la science, de nombreux textes renouvellent le topos romantique de la
contemplation des ruines en l’utilisant dans des récits d’anticipation. Ces
fictions sont traversées par les grands thèmes huzariens : l’hubris techni-
que et la catastrophe ; la redécouverte dans le futur des traces de notre
civilisation et la circularité du temps. Elles utilisent le même dispositif
narratif : une civilisation exotique et exochronique, établie en Afrique ou
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aux antipodes colonisées (dans la gravure de Gustave Doré c’est un Néo-
Zélandais qui contemple les ruines de Londres, voir fig. 2) découvre les
vestiges des métropoles industrielles qui ont sombré dans l’oubli après des
cataclysmes huzariens 10. Le thème des ruines se transforme en une « archéo-
logie du futur ». La ruine ne renvoie plus au « tout coule » héraclitéen pro-
voquant une méditation rétrospective sur le passage des civilisations, mais
une présence du futur qui invite à une réflexion prospective : la ruine fait
moins rêver sur ce qui fut que penser ce qui risque de ne plus être.
La rencontre de la poétique des ruines, de la littérature d’anticipation
naissante et du catastrophisme huzarien est un moment important de
6. R.P. Félix, Le Progrès par le christianisme. Conférences de Notre-Dame de Paris,
2e année, 1857, Le Clère, 1858.
7. Auguste de Vaucelle, L’Artiste, 9 août 1857 ; Felix de Saulcy, Le Courrier de Paris,
21 octobre 1857.
8. Le Gaulois, 2 septembre 1910, n˚ 11806.
9. Flaubert projetait de conclure Bouvard et Pécuchet en utilisant La Fin du monde par la
science, qu’il cite dans ses carnets préparatoires. Après avoir abordé toutes les sciences, « Pécu-
chet voit l’avenir de l’humanité en noir : l’homme moderne est amoindri et devenu une
machine… barbarie par l’excès d’individualisme, et le délire de la science » (Bouvart et Pécu-
chet, Le Livre de poche, 1999, p. 415)
10. Dans Les Ruines de Paris (1856, rééd. Poitiers, Paréiasaure, 1995), Joseph Méry raconte
comment des savants africains – ils sont canaques dans Les Ruines de Paris en 4875 d’Alfred
Franklin (Willem, 1875) – découvrent en 3509 les ruines de la capitale, disparue dans « les
divers cataclysmes que la terre a subis, soit de la part des hommes, soit de la part des élé-
ments » ; l’un des archéologues a rendu la guerre impossible en découvrant une matière capable
d’enflammer la mer. Alfred Bonnardot projette le narrateur d’Archéopolis (Castel, 1859) en 9957
dans les ruines des Tuileries (« Dieu voulut châtier l’homme pour avoir dérobé trop de fruits à
l’arbre de la science ») ; il rencontre une expédition de savants africains qui l’emmène comme
spécimen. Dans L’An 5865 ou Paris dans quatre mille ans (Librairie centrale, 1865), d’Hyppo-
lite Mettais, le narrateur exhume à Blois la statue de Denis Papin. Eugène Mouton attribue « La
fin du monde » (Nouvelles et Fantaisies humoristiques, Librairie Générale, 1872) à l’industria-
lisme, qui augmente la température du globe et finit par l’embraser.

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l’histoire littéraire. Jules Verne s’en inspire dans L’Éternel Adam, qui
narre la découverte dans un futur indéterminé d’un texte décrivant
l’engloutissement de notre civilisation. Notre espèce doit sa survie à un
petit nombre d’humains qui oublièrent peu à peu leur histoire. D’une
certaine manière, les cautionary tales de la SF et le thème des ruines du
futur (de Ravage au courant Cyberpunk en passant par La Planète des sin-
ges) peuvent aussi être placés dans la filiation des romans post-apocalyp-
tiques qu’Eugène Huzar a inspirés.
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Figure 2. Gustave Doré, « The New Zealander » dans Blanchard Jerrold, London : A
Pilgrimage, 1872

L’étonnement que suscite La Fin du monde par la science témoigne


surtout de notre méconnaissance des technosciences du passé et des
controverses qu’elles ont suscitées. Le catastrophisme technologique n’est
pas aussi prophétique qu’il y paraît : Huzar ancre sa réflexion dans les
controverses de son époque : la déforestation et ses conséquences climati-
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ques, la vaccination et la dégénérescence de l’espèce humaine, l’industrie


chimique, les chemins de fer ou les canaux interocéaniques. Son origina-
lité est d’avoir perçu dans ces débats épars le même processus de produc-
tion d’incertitude. Si ce geste théorique est original, chacun des éléments
mobilisés relève de débats bien connus au XIXe siècle. Huzar nous inté-
resse aujourd’hui en tant que symptôme : à l’encontre du grand récit
postmoderne, il montre que la modernité positiviste héritée du projet
cartésien de maîtrise technique de la nature, qui aurait pensé les techni-
ques sans leurs conséquences lointaines, semblait déjà caduque lors de la
révolution industrielle. Les hommes de la « première modernité » (si tant
est qu’il faille distinguer entre deux modernités) étaient bien « cons-
cients » de l’incertitude gigantesque produite par leurs choix technologi-
ques et ont décidé de passer outre. Il apparaît trompeur de raconter la
révolution industrielle et médicale comme l’histoire de sociétés modifiant
de manière inconsciente leurs environnements et leurs formes de vie et
réalisant a posteriori les dangers. L’histoire du risque technologique n’est
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pas l’histoire d’une prise de conscience, mais l’histoire de la production
scientifique et politique d’une inconscience modernisatrice.

(Harvard University)

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