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Azzedine Haddour
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livre, Peau noire, masques blancs, en 1986. Selon Stuart Hall, Peau
noire, masques blancs, qui traite des liens de la psychanalyse et de
la politique et des questions de colonialisme, de « genre », de race
et de sexualité, « ouvre une voie au “retour” de Fanon et au débat à
son sujet 2 », d’autant que ces questions sont mises en exergue par la
préface de Homi Bhabha, dont l’approche mêle études culturelles
et psychanalyse. Ainsi l’idée d’une « rupture symptomatique entre
les premiers et les derniers travaux de Fanon » relèverait, d’après
Hall, d’un effort douteux pour mettre l’accent sur l’engagement
politique de Fanon par rapport à sa théorie psychanalytique.
L’avant-propos d’Homi Bhabha 3 non seulement inaugurait un
renouveau dans les recherches de Fanon, mais a également consti-
8. Ibid.
9. Ibid.
10. Jacques Lacan, Ecrits, éditions du Seuil, 1966, p. 94.
FANON DANS LA THÉORIE POSTCOLONIALE 141
aliénante, qui va marquer de sa structure rigide tout son dévelop-
pement mental 11.
tion est toujours divisée dans l’espace — elle rend présent quelque
chose d’absent — et différée dans le temps — elle est la représen-
tation d’un temps qui est toujours ailleurs, une répétition. L’image
n’est jamais qu’une dépendance de l’autorité et de l’identité ; elle
ne doit jamais être lue de manière mimétique comme l’« appa-
rence » d’une « réalité ». L’accès à l’image de l’identité n’est
jamais possible que dans la négation de tout sens d’originalité ou
de plénitude, à travers le principe de déplacement et de différen-
ciation (absence/présence ; représentation/répétition) qui n’en font
jamais qu’une réalité liminaire. L’image est à la fois une substitu-
tion métaphorique, une illusion de présence et par ce fait même
une métonymie, un signe de son absence et de sa perte. C’est pré-
cisément à partir de cette bordure de la signification et de l’être, de
cette frontière mouvante de l’altérité au sein de l’identité, que
Fanon pose la question : « Que veut un homme noir ? » 13.
Lorsqu’il est dans son mode analytique, Fanon peut faire obstacle
à l’exploration de ces questions ambivalentes et incertaines du
désir colonial... Par moments, Fanon tente une correspondance
trop rapprochée entre la mise-en-scène du fantasme inconscient et
les fantômes de la peur et de la haine racistes qui rôdent sur la
coloniale.
C’est cette relation qui oriente l’interprétation que fait Fanon de
l’analyse lacanienne de la relation spéculaire au stade du miroir, et
ce à deux reprises : premièrement, dans une longue note à son argu-
ment « qu’avec le nègre commence le cycle du biologique 18 », thèse
capitale pour ce que Fanon nomme « le schéma corporel 19 » ;
deuxièmement, Fanon se réfère au thème de la négrophobie qu’il
discute à la lumière des écrits de Sartre, Réflexions sur la question
juive et Orphée noir. Fanon rejette la conception sartrienne de la
négritude en tant que terme négatif dans un schéma dialectique qui
devrait finalement triompher du racisme et de la lutte des classes en
une eschatologie marxiste. Cette vue abstraite de la négritude objec-
tive la subjectivité du nègre. De plus, Fanon reproche à Sartre d’ou-
blier que « le nègre souffre dans son corps autrement que le Blanc ».
Dans une note à ce passage, il écrit :
d’immobilité 23.
avec toute son ambivalence 35 ». Pour que ces termes binaires soient
en opposition, un des termes devient la matrice au sein de laquelle
ils se constituent en tant que termes opposés. Cette matrice devient
le vecteur de l’opposition, qui gouverne le mouvement, le lieu et le
jeu de la différence 36. Le supplément est simultanément l’instance
qui élimine la différence et le sujet de la différence en tant que tel.
Il est donc la différence produite à travers ce processus d’exclusion,
mais il est aussi la différence qui échappe à un tel processus et effec-
tue sa déconstruction. Ce qui vaut pour le supplément est aussi
valable pour la mimesis et l’hymen. La mimesis remplit la fonction
de production et de reproduction des contraires. Derrida attire notre
attention sur trois conséquences de la double inscription de la mime-
sis : a) elle reproduit ce qu’elle représente ; b) elle répète l’identité :
elle simule l’identité ; c) la mimesis est une pure répétition d’elle-
même ; cette répétition est un fantasme, une copie de copie, un
simulacre, une imitation qui ne représente ni son essence ni son
43. Homi K. Bhabha, Day by Day... With Frantz Fanon, in Alan Read,
éd., The Fact of Blackness : Frantz Fanon and Visual Representation, Ins-
titute of Contemporary Arts, Londres, 1996, pp. 189-190.
44. Ibid., p. 190.
45. Ibid.
46. Ibid.
FANON DANS LA THÉORIE POSTCOLONIALE 155
qui en général définissent la particularité d’une culture ethnique 47 ».
Bhabha base cette interprétation sur l’analyse par Fanon des pièges
de la conscience nationale et sur son plaidoyer en faveur d’un natio-
nalisme qui transcende ses limites étroites et acquiert une dimen-
sion internationale. Dans sa discussion de l’(inter)nationalisme de
Fanon en tant que manifestation de cette division ontopologique
qui met hors jeu la dialectique, Bhabha se réfère encore au « dédou-
blement du Moi » : « [...] le sujet colonisé et sa psyché, totale-
ment dépouillé, mis à nu face au paradoxe de sa propre “objec-
tivité”, et n’étant désormais bizarrement ni un homme noir ni un
blanc, parce que la polarité binaire de la “position” coloniale a
perdu ses “différences” significatives 48. » Le moment censé être
non dialectique lui permet de repenser la question du temps « dans
les interstices de la division manichéenne, dans le refus ou l’impos-
Azzedine HADDOUR