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Dossier n 2 :
Outils de recueil des données en sciences du langage et en
didactique
Le questionnaire, partie n° 2
L’élaboration du questionnaire
Comme signalé dans la partie 1 du cours consacré au questionnaire, cet outil de recherche
permet de réaliser une enquête sur une population large. L’administration du questionnaire
ne nécessite pas la présence du chercheur lui-même qui peut déléguer une ou plusieurs
personnes pour la distribution des questionnaires et leur récupération. Il est donc
primordial que les questions posées soient comprises par le public visé par l’étude. En
principe, il n’est pas admis de fournir des explications lors de la passation du questionnaire
afin d’éviter d’influencer les réponses. De plus, il est important pour une étude quantitative
(statistique) que la population interrogée soit soumise aux mêmes conditions d’enquête.
Ainsi, les questions doivent être posées, à tous, de la même manière (avoir la même forme
linguistique). Expliquer serait une façon d’intervenir sur la forme d’une question. Si un
sous-groupe de la population a droit à une explication de certaines questions contrairement
à d’autres sous-groupes ceci signifie qu’on ne leur a pas posé exactement les mêmes
questions ce qui peut avoir un impact sur les résultats.
Il est donc impératif d’accorder une importance primordiale aux questions à poser (leur
contenu) et la manière de les poser (leur forme).
Une règle importante doit être respectée dans les études scientifiques en sciences humaines
et sociales de façon générale : garantir l’anonymat aux personnes interrogées. Les
questionnaires doivent être renseignés (remplis) de manière anonyme. Le chercheur ne doit
pas demander aux enquêtés de mettre leurs noms et prénoms sur le questionnaire
renseigné. Ceci favorise de la part, des personnes interrogées, la production de réponses
sincères. Le plus important, dans une recherche quantitative est de savoir quelle est la
proportion de ceux qui ont fourni la réponse X et non qui a fourni la réponse X.
Ex. Etes-vous pour ou contre le fait de sacrifier les vielles personnes dans la lutte contre le
coronavirus ? Cette question n’admet qu’une seule réponse : « contre ».
2. Eviter le vocabulaire technique, le jargon propre à la spécialité
Ex. Pensez-vous que arabe dialectal soit une variété linguistique minorée en Algérie ?
La minoration (langue/ variété de langue minoré) est une notion propre au domaine des
sciences du langage inconnue du large public.
3. Eviter les doubles- questions (1 seule idée par question)
Ex. Etes- vous pour l’enseignement de tamazight de l’arabe algérien ?
On peut pour l’enseignement de l’une et contre l’enseignement de l’autre. Il faut s’éparer
les deux questions formulées en une seule.
A. Etes-vous pour l’enseignement de tamazight ? B. Etes-vous pour l’enseignement de l’arabe
algérien ?
Les questions posées se rangent, sur le plan du contenu, en deux catégories (questions de
faits et questions d’opinions) et sur le plan de la forme en trois catégories (questions
fermées, semi-ouvertes et ouvertes).
A. Questions de faits
Les questions de faits : elles sollicitent des réponses relatives à des faits objectifs :
Ex. quel est votre âge ?
B. Questions d’opinion : elles portent sur les appréciations subjectives des enquêtés, leurs
représentations, leurs attitudes, leurs motivations
Ex. Etes- vous pour ou contre l’enseignement à distance ?
2. Les catégories formelles des questions :
Il existe trois types de questions
Les questions fermées : la réponse est oui ou non, d’accord pas d’accord.
Les questions semi-ouvertes ou questions à choix multiples : la ou les réponses sont à
choisir parmi la batterie de réponses proposée.
Les questions ouvertes : introduites généralement par la question « pourquoi ? », par des
verbes à l’impératif comme « justifiez », « expliquer »… Dans ces cas, l’enquêté est invité à
trouver lui-même des réponses et non à choisir parmi les réponses qu’on lui propose.
Problèmes liés à l’usage de la technique du questionnaire1
Il faut savoir que si le questionnaire, outil indispensable pour les enquêtes quantitatives,
permet de mesurer et de quantifier le degré de généralité d’une représentation ou d’un
comportement linguistique que d’autres procédés permettent tout au plus de révéler (analyse
de discours sur les langues, analyse d’interactions verbales…), il ne permet pas pour autant
d’aboutir à une description parfaitement objective de la réalité. « La réflexion
méthodologique aujourd’hui classique, depuis W. Labov et Pierre Bourdieu, sur les enquêtes
en sciences de l’Homme nous a montré qu’il faut se méfier du discours, des sources et des
informateurs, car ils mettent en scène des représentations qui ne correspondent pas forcément
–consciemment ou non- aux pratiques, et des effets d’accommodation à l’enquêteur et au
discours dominant.» 2
D’ailleurs, ce n’est pas la seule difficulté qu’un chercheur peut rencontrer lors de son enquête
(que celle-ci utilise la technique du questionnaire ou celle de l’entretien). Dans son article
« Réflexions méthodologiques sur les enquêtes ethnolinguistiques », BLANCHET expose
les différentes difficultés que rencontre le chercheur lors d’enquêtes sur le terrain. Il résume
15 ans d’expérience personnelle sur le terrain et d’encadrement de ce genre d’expériences.
Ainsi, il aborde, entre autres, le problème des « questionnaires écrits qui reviennent avec
toutes les questions rayés ou avec des « non » dans des endroits contradictoires », celui de la
non compréhension de la terminologie proposée due à un « décalage conceptuel enquêteur/
enquêté » ,celui de la non acceptation de cette dernière (ex. « français régional »/ réponse : «
il n’existe pas de français régional puisque c’est la langue nationale »),les problèmes que
posent les différentes « stratégies de dissimulation et d’ostentation dans l’interaction sociale et
identitaire (l’enquêteur pouvant conforter par son étrangeté et son prestige un syndrome
diglossique aigu »), et enfin celui des réponses incohérentes, réponses que l’enquêteur sait
fausses parce qu’il vit dans le village et entend son informateur parler telle langue qu’il
affirme ne pas parler. Il relève aussi les cas où « l’informateur prend le questionnaire
comme une interrogation scolaire et croit qu’on attend de lui les bonnes réponses. »
1
Ce point et ceux qui suivent son tirés de ma thèse de doctorat (GRINE : 2009).
2
BLANCHET Philippes, « Réflexions méthodologiques sur les enquêtes ethnolinguistiques », in Cahiers de
linguistique sociale n28/29 : Le questionnement social, Rouen : IRED, Université de Rouen, 1996, p66.
Ainsi, même en écartant le problème du mensonge (qui reste possible), il faut garder à
l’esprit que les déclarations de l’enquêté (disant la vérité ou du moins croyant dire la vérité)
ne sont pas toujours conformes à la réalité. En effet, elles relèvent du domaine de la
représentation qui, comme nous l’avons vu, ne colle pas toujours à la réalité qu’elle tente de
dire.
Outil indispensable de travail pour les études quantitatives, le questionnaire est donc à manier
avec une très grande précaution.
Cependant, si les problèmes cités jusque-là ont leur importance et exigent une grande
précaution dans le traitement des informations obtenues, le plus important pour nous, reste de
trouver le moyen de dépasser la principale limite du questionnaire, à savoir : comment éviter
que ce dernier ne reflète la problématisation du chercheur ?
Revenons donc sur ce point.
Du qualitatif au quantitatif
En fait, la démarche proposée par MACKEY et son équipe consiste à partir d’enquêtes
ethnographiques (micro- enquêtes, enquêtes qualitatives) dont le but est de cerner les
représentations –mêmes d’un échantillon restreint de la population. Ces enquêtes qualitatives
sont dites les prés- enquêtes. Parmi les items isolés par les personnes interrogées dans le
cadre des pré- enquêtes, seuls les plus représentatifs (les plus redondants) seront retenus pour
la formation des questionnaires qui vont servir d’instrument de travail pour la deuxième étape
de la recherche : l’enquête quantitative. Laissons MACKEY résumer cette démarche : « (...)
nous avons (…) entrepris des enquêtes ethnographiques, durant lesquelles nous avons
enregistré un échantillon d’opinions libres sur la question de la langue. La transcription de ces
enregistrements nous a fourni un grand nombre de textes dont le contenu a été ensuite analysé
afin de dépister les opinions que possède la population sur la question de la langue. Ce sont
celles-ci, et non les opinions que la population devrait avoir selon le chercheur, que l’on a
utilisées pour mettre au point notre instrument d’enquête ».
Comme annoncé plus haut, nous adoptons la même démarche que MACKEY. Nous
partirons de micro –enquêtes de type ethnographique grâce auxquelles nous déterminerons les
items de notre questionnaire qui sera distribué à une population plus large (étude
quantitative).
Ainsi notre questionnaire sera élaboré à partir des items que nous dégagerons de deux
ensembles de textes sur « la langue française en Algérie » provenant de deux enquêtes
qualitatives considérées comme des pré- enquêtes. Nous exposerons ultérieurement dans le
détail les deux pré – enquêtes en question avant d’expliciter les liens existant entre les 16
textes de ces dernières et les items du questionnaire.
Bibliographie
Voir la bibliographie citée dans la partie 1 du cours sur le questionnaire.
+
Grine Nadia, Les représentations linguistiques et leur incidence sur la réussite ou
l’échec d’une politique linguistique, thèse de doctorat en Sciences du Langage,
Université de Mostaganem, 2009. Directeur : MAOUGAL Mohamed Lakhdar.