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Sabine Prokhoris
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commençant par préciser quelques points quant à la psychanalyse.
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l’autre qui en assure la survie, et immensément érogène, c’est-à-dire ca-
pable de traduction, à même la réalité anatomique et physiologique, des
éprouvés de plaisir/déplaisir induits dans les liens à l’autre, à ses gestes et
à ses paroles. Le corps de l’infans que nous avons tous été, un corps
pulsionnel activement interprétatif, dont l’oubli – le refoulement –
constitue, pour le dire vite, l’inconscient tel que le pense Freud dès les
Études sur l’hystérie et L’Interprétation du rêve. « Il nous était souvent arrivé de
comparer la symptomatologie hystérique à des hiéroglyphes que la
découverte de certains écrits bilingues avait permis de déchiffrer »3, écrit-il
ainsi. Le symptôme hystérique – paralysie, douleurs somatiques, et autres
formes à l’infini – existe alors comme mémoire cryptée d’une expérience
relationnelle qu’il traduit en l’agissant et en la figurant somatiquement, très
souvent, ajoute Freud, en « puisant aux mêmes sources que le langage
usuel »4, comme par exemple lorsque le symptôme met en acte soma-
tiquement une locution telle que « coup au cœur ». C’est la même logique,
de part en part inventive/interprétative, qui préside à la formation du rêve
– « voie royale d’accès à la connaissance de l’inconscient dans la vie psy-
chique » –, à ses modes de figuration par labilité associative, condensation,
déplacement, sans borne assignée par avance à l’extension indéfinie d’une
capacité imageante et transformatrice toujours énigmatiquement adressée.
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compte de ce « discours de l’autre » en aucun cas unitaire, mais multiple au
contraire. S’éclaire aussi par là le sens de la règle fondamentale qui
gouverne la parole en analyse. Car la circulation associative reformule et
retraduit à son tour tout cet espace-entre qui constitue la matière même de
l’inconscient, autrement dit cette extériorité repliée qui fabrique ce que
nous croyons être le plus intime de l’intime, à nous-même inconnu.
Espace, saturé d’interprétations plus ou moins inadéquates, entre les
corps, entre les mots des uns et des autres, la mémoire refoulée, autrement
dit, de nos liens les plus anciens. Dans le meilleur des cas, à la faveur du
jeu analytique, pourront être défaits les plis fixés dans le symptôme – et
pas seulement hystérique –, ces raideurs qui entravent et rétrécissent les
possibles d’une existence. Pour un futur rouvert à partir de l’éclatement
des réminiscences étranglées dans une répétition d’autant plus sourde,
d’autant plus morne, que nous nous trouverons piégés dans l’illusion de la
puissance autosuffisante d’un « moi » maître du logis, mais en réalité
pauvre lieu clos du symptôme.
Lorsque donc, à la fin de sa vie, Freud risque cette note sur l’espace
comme projection de l’extension de la psyché, une extension méconnue
d’elle-même – et n’aurions-nous pas là comme une définition renouvelée
du refoulement ? –, il retrouve, mais en la déplaçant, la question, centrale
dans l’invention de la psychanalyse, de l’espace-entre comme teneur
spécifique de l’activité interprétative. Une extension indéfiniment re-
configurable, qui manifeste la capacité psychique à sortir de la crypte
labyrinthique du symptôme, dès lors que l’interprétation trouve à se
relancer. L’interprétation, qui est aussi bien la source du symptôme que de
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son dénouement dans des formes en métamorphose potentiellement
infinie, toujours en mouvement. L’interprétation, affaire spatiale parce que
nos corps érogènes occupent, nécessairement, un certain espace
irréductible tant que nous sommes vivants. Un espace, ou encore une
position, un emplacement qui joue comme un angle de traduction des
événements. Là gît la singularité d’une existence au-delà des particularités
des uns ou des autres, singularité qui est aussi ce que nous avons en
commun, ou en partage, comme on voudra. Ainsi, tout entiers faits
d’espace-entre, occupons-nous pourtant chacun un unique point dans
l’espace, un emplacement toujours potentiellement mobile, et pourtant
insécable. Emplacement en rien nécessaire et fixe, dont il s’agira dans la
cure de pouvoir questionner l’« évidence » supposée. Tâche dont les
enjeux peuvent se trouver très directement figurés, rendus visibles en
somme, dans nombre de pièces chorégraphiques, à ce titre aussi clair-
voyantes – et inspirantes pour le psychanalyste – qu’auront pu l’être pour
Freud les œuvres de la littérature : « Mais les écrivains sont de précieux
alliés et il faut placer bien haut leur témoignage car ils connaissent
d’ordinaire une foule de choses entre le ciel et la terre dont notre sagesse
d’école n’a pas encore la moindre idée »5.
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rattacher à ce travail jamais clos de l’interprétation, à ses impasses s’il se
fige et à ce qu’il ouvre pour l’humain s’il réinitie des possibles. Comme on
le voit entre autres dans l’essai sur la Gradiva de Jensen, fertile méditation
sur l’interprétation, à la lisière du champ de la danse à travers un troublant
croisement de la sculpture et de la fiction littéraire. Relation chez Freud à
la chose artistique en aucun cas de surplomb, jamais prise dans l’illusion
que la psychanalyse pourrait prétendre dire le dernier mot sur l’art, mais à
l’inverse étonnée, et réellement créative car source, toujours, d’inspiration,
tout autant qu’atelier de l’activité interprétative. Ceci non pour le
triomphe, médiocre et insipide, de la théorie mais pour la recherche de
l’ébranlement qu’une expérience de lecteur ou de regardeur peut apporter
à la pensée et à l’exercice de la psychanalyse, comme l’indique ce passage
qui termine l’article sur le Moïse de Michel-Ange, où il est question de la
part d’indécidabilité – et donc d’ouverture – de l’interprétation. Indéci-
dabilité elle-même écho d’une autre incertitude à l’œuvre quant à elle au
cœur de l’acte de l’artiste : « Qu’il nous soit encore permis, pour finir,
d’ajouter avec toute la timidité qui convient, que l’artiste s’est mis en
position de partager avec l’interprète la responsabilité de cette in-
certitude »6. Expérience commune de diffraction de l’activité créatrice,
reliant fondamentalement l’artiste et celui qui rencontre une œuvre, cette
dernière excédant toujours, par ses effets en amont et en aval d’elle-même,
toute clôture dans l’« intention » et son pendant, l’interprétation « défi-
nitive ».
Les pages qui vont suivre, écrites à quatre mains – une psychanalyste,
un danseur –, constituent un essai de circulation interprétative, à partir de
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l’expérience de spectateurs impliqués d’une pièce chorégraphique, Dance
(Praticable), du danseur chorégraphe Frédéric Gies. Une pièce qui, de façon
particulièrement vive et inventive, directement en prise sur le nouage
corps/mémoire/espace/interprétation, reprend et renouvelle ces ques-
tions agissantes au cœur de l’invention freudienne, et toujours aujourd’hui
inépuisablement vivaces.
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(1) Sigmund Freud, Résultats, idées, problèmes, (5) Sigmund Freud, Délires et rêves dans la
II, Paris, PUF, 1985, p. 288. « Gradiva » de Jensen, Paris, Gallimard,
(2) Michel Foucault, Dits et Écrits, II, Paris, 1991, coll. « Folio bilingue », p. 141.
Gallimard, 1994, p. 143. (6) Sigmund Freud, « Le Moïse de
(3) Sigmund Freud, Études sur l’hystérie, Paris, Michel-Ange », in L’Inquiétante étrangeté
PUF, 1978, p. 101. et autres essais, Paris, Gallimard, 1985,
(4) Ibid., p. 145. p. 123.
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