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Commentaire composé.

Émile Zola, L'Œuvre (1886),


chapitre IX
Livre de poche classique (éd. Marie-Ange Voisin-Fougère), p. 348-
350 ou Les Rougon-Macquart, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade
(éd. Henri Mitterand, tome IV), p. 244-245
François-Marie Mourad
Dans L'information littéraire 2006/2 (Vol. 58), pages 21 à 26
Éditions Les Belles lettres
ISSN 0020-0123
ISBN 2251061223
DOI 10.3917/inli.582.0021
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F.-M. MOURAD : ÉMILE ZOLA, L’ŒUVRE, CHAPITRE IX

Commentaire composé
Émile Zola, L’Œuvre (1886), chapitre IX
Livre de poche classique (éd. Marie-Ange Voisin-Fougère), p. 348-350
ou Les Rougon-Macquart, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade (éd. Henri Mitterand, tome IV), p. 244-245.

Texte : davantage. Les toiles grandissaient comme des blocs, les plus
petites lui semblaient triomphales, les moins bonnes l’acca-
Pendant des mois, la pose fut ainsi pour elle une torture. La blaient de leur victoire ; tandis qu’elle ne les jugeait plus, à terre,
bonne vie à deux avait cessé, un ménage à trois semblait se faire, tremblante, les trouvant toutes formidables, répondant toujours
comme s’il eût introduit dans la maison une maîtresse, cette femme aux questions de son mari :
qu’il peignait d’après elle. Le tableau immense se dressait entre « Oh! très bien !... Oh ! superbe !... Oh ! extraordinaire, extra-
eux, les séparait d’une muraille infranchissable ; et c’était au-delà ordinaire, celle-là! »
qu’il vivait, avec l’autre. Elle en devenait folle, jalouse de ce dédou- Cependant, elle était sans colère contre lui, elle l’adorait d’une
blement de sa personne, comprenant la misère d’une telle souf- tendresse en pleurs, tellement elle le voyait se dévorer lui-même.
france, n’osant avouer son mal dont il l’aurait plaisantée. Et Après quelques semaines d’heureux travail, tout s’était gâté, il ne
pourtant elle ne se trompait pas, elle sentait bien qu’il préférait sa pouvait se sortir de sa grande figure de femme. C’était pourquoi il
copie à elle-même, que cette copie était l’adorée, la préoccupation tuait son modèle de fatigue, s’acharnant pendant des journées, puis
unique, la tendresse de toutes les heures. Il la tuait à la pose pour lâchant tout pour un mois. À dix reprises, la figure fut commencée,
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embellir l’autre, il ne tenait plus que de l’autre sa joie ou sa tris- abandonnée, refaite complètement. Une année, deux années
tesse, selon qu’il la voyait vivre ou languir sous son pinceau. s’écoulèrent, sans que le tableau aboutît, presque terminé parfois, et
N’était-ce donc pas de l’amour, cela ? et quelle souffrance de prê- le lendemain gratté, entièrement à reprendre.
ter sa chair, pour que l’autre naquît, pour que le cauchemar de cette Ah ! cet effort de création dans l’œuvre d’art, cet effort de sang
rivale les hantât, fût toujours entre eux, plus puissant que le réel, et de larmes dont il agonisait, pour créer de la chair, souffler de la
dans l’atelier, à table, au lit, partout ! Une poussière, un rien, de la vie ! Toujours en bataille avec le réel, et toujours vaincu, la lutte
couleur sur de la toile, une simple apparence qui rompait tout leur contre l’Ange ! Il se brisait à cette besogne impossible de faire
bonheur, lui, silencieux, indifférent, brutal parfois, elle, torturée de tenir toute la nature sur une toile, épuisé à la longue dans les per-
son abandon, désespérée de ne pouvoir chasser de son ménage cette pétuelles douleurs qui tendaient ses muscles, sans qu’il pût jamais
concubine, si envahissante et si terrible dans son immobilité accoucher de son génie. Ce dont les autres se satisfaisaient, l’à-
d’image ! peu-près du rendu, les tricheries nécessaires le tracassaient de
Et ce fut dès lors que Christine, décidément battue, sentit remords, l’indignaient comme une faiblesse lâche ; et il recom-
peser sur elle toute la souveraineté de l’art. Cette peinture, mençait, et il gâtait le bien pour le mieux, trouvant que ça ne « par-
qu’elle avait déjà acceptée sans restrictions, elle la haussa lait » pas, mécontent de ses bonnes femmes, ainsi que le disaient
encore, au fond d’un tabernacle farouche, devant lequel elle plaisamment les camarades, tant qu’elles ne descendaient pas cou-
demeurait écrasée, comme devant ces puissants dieux de colère, cher avec lui. Que lui manquait-il donc, pour les créer vivantes ?
que l’on honore, dans l’excès de haine et d’épouvante qu’ils ins- Un rien sans doute. Il était un peu en deçà, un peu au-delà peut-
pirent. C’était une peur sacrée, la certitude qu’elle n’avait plus à être. Un jour, le mot de génie incomplet, entendu derrière son dos,
lutter, qu’elle serait broyée ainsi qu’une paille, si elle s’entêtait l’avait flatté et épouvanté. Oui, ce devait être cela, le saut trop

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court ou trop long, le déséquilibrement des nerfs dont il souffrait, métaphysique » 1, de la psychologie stendhalienne, est
le détraquement héréditaire qui, pour quelques grammes de sub- constant chez un Zola qui milite pour un matérialisme à la
stance en plus ou en moins, au lieu de faire un grand homme, allait fois philosophique et littéraire. Pour exprimer la détresse de
faire un fou. Quand un désespoir le chassait de son atelier, et qu’il Christine, point n’est besoin d’en faire une héroïne en proie
fuyait son œuvre, il emportait maintenant cette idée d’une impuis-
aux imaginations romantiques et à la rêverie impalpable, si
sance fatale, il l’écoutait battre contre son crâne, comme le glas
obstiné d’une cloche. caractéristiques de la manière des romanciers mondains,
Jules Sandeau, Octave Feuillet, « qui tiennent de George
Sand et de Lamartine, les doux, les élégants, les idéalistes et
Commentaire composé les moralistes » 2. À la modalité assertive dominante dans le
passage sont conjoints d’autres procédés stylistiques qui pré-
Le champ artistique proprement dit s’est constitué au viennent tout risque d’extrapolation. La régie du narrateur
XIXe siècle, dans un double mouvement de refus des déter- est constante, que ce soit par le recours à la focalisation zéro
minations usuelles et de quête identitaire. Zola critique d’art ou par le discours indirect libre, dont l’ambiguïté est préfé-
fut un acteur important de cette mutation symbolique et rable, sans doute, à l’introspection de la focalisation interne.
sociale et, comme on pouvait l’attendre des hommes de Une fausse question comme « N’était-ce donc pas de
lettres les plus prometteurs, il a mis son talent de journaliste l’amour, cela ? » convertit la « torture » et le sacrifice (phy-
et d’écrivain au service de peintres, réalistes et naturalistes, sique) de la pose en preuve tangible mais connote aussi, dans
bientôt « impressionnistes », qui, impliqués dans leurs la médiocrité énonciative du niveau de langue, la réaction
recherches, acceptèrent avec reconnaissance les éloquents somme toute ordinaire d’un personnage foncièrement pro-
manifestes en faveur de la modernité. L’Œuvre, en 1886, saïque. Les réactions de Christine sont donc clairement et
ressuscite cette effervescence créatrice contrariée sous le strictement contrôlées par le narrateur, qui choisit les déno-
Second Empire, mais témoigne aussi, avec le recul, des minations les plus adaptées à son réalisme. Remarquons par
ambiguïtés de cette délégation discursive, des incompréhen- exemple la distinction entre ce qui est et ce qui semble être.
sions et des écarts entre les postures, celle de l’écrivain La confusion entre ces deux niveaux n’est jamais réalisée, à
naturaliste et celle du peintre. Roman de l’échec, le quator- l’image de cette « muraille infranchissable » du « tableau
zième volume des Rougon-Macquart entérine la faillite de immense » qui sépare l’artiste parti dans un autre monde et
l’illusion artistique à travers le destin tragique de Claude la femme toujours présente ici-bas. L’idée du « ménage à
Lantier, le grand peintre avorté, mais surtout victime expia- trois », de la « maîtresse », la « jalousie » envers une rivale
toire de l’élan vers l’absolu que chaque créateur doit restreint considérablement l’intelligence compassionnelle
apprendre à juguler, si l’on en croit les recommandations du du personnage féminin ; son aptitude à partager l’aventure
romancier pédagogue. Le chapitre IX prépare le dénoue- spirituelle de son mari est déniée. Comme la plupart des
ment. Par un processus d’involution, le propos narratif se autres héroïnes zoliennes, Thérèse, Gervaise, Séverine…,
concentre sur le personnage de Claude, de plus en plus elle produit des idées « simples », elle écoute battre son
impliqué dans sa passion. Christine, qui incarne la vie, sang et vibrer sa chair, son univers mental est peuplé de cli-
chés, les issues vers l’infini sont bloquées. Si la puissance
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l’amour et le dévouement, tente d’inscrire sa présence dans
l’acte créateur. Mais, tenue à l’écart, dépossédée, anéantie de sacrifice est ici connotée par le prénom, il faut noter tout
sous le poids d’un Art d’autant plus puissant qu’il est divi- de suite que la dimension religieuse du passage est dégradée
nisé, elle incarne pour le lecteur un personnage expérimen- en superstition.
tal, inscrit dans la fiction à la fois comme « sujet » et Que ce soit le « tabernacle farouche » ou les « puissants
comme témoin. Il conviendra d’ailleurs dans un premier dieux de colère », les images de la religion renvoient à une
temps d’examiner les modalités de cette mise en scène conception archaïque, celle d’un Ancien Testament approxi-
actancielle par laquelle l’écrivain naturaliste gauchit les mativement pensé comme collection de rituels primitifs et
fonctions traditionnelles du personnage à des fins démons-
tratives. Mais le propos, qui mêle subtilement les points de
vue dans un récit incertain et sans progression véritable, fait 1. « L’homme métaphysique est mort, tout notre terrain se trans-
entendre une voix souveraine, qui s’attache à dire, pathéti- forme avec l’homme physiologique », Le Roman expérimental.
quement, les tentations et les dangers d’une conception 2. « Les Romanciers contemporains », article paru dans Le Messager
radicale de la représentation artistique. de l’Europe (Saint-Pétersbourg) en septembre 1878, repris dans Les
Romanciers naturalistes (1881). Voir Zola, Œuvres complètes, publiées
sous la direction de Henri Mitterand, tome 10 : La Critique naturaliste
Le personnage, en régime naturaliste, n’est pas doté d’une (1881), présentation, notices, chronologie et bibliographie par François-
autonomie susceptible de ménager la surprise, l’hésitation, Marie Mourad, Nouveau Monde Éditions, 2004, 900 pages. Citation
l’incertitude, la profondeur en un mot. Le refus de l’« homme p. 603.

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encombré de tabous. Zola a souvent mis en scène dans ses savons que Zola s’est complu à la décrire, dans sa force et sa
romans le scandale d’une religion qui accable l’homme et beauté, depuis l’apparition providentielle du premier cha-
l’enferme dans le cercle de la culpabilité originelle, de la pitre (p. 69 dans l’édition du Livre de poche classique) jus-
faute réitérée et de l’expiation 3. Bien avant La Faute de qu’aux abandons d’une sensualité évoquée, il faut aussi le
l’abbé Mouret (1875), dès 1864, il évoquait ainsi le prêtre : signaler, en termes peu conventionnels à une époque où
« l’homme des temps anciens, plus près de Dieu que de ses triomphent les pudeurs victoriennes. L’indifférence du
frères, plus parfait, plus puissant, qui vivait autrefois dans le peintre, qui ne voit plus en elle qu’un « modèle », rend le
mystère des tabernacles, au fond des temples fermés à la sacrifice de l’héroïne d’autant plus pathétique que la puis-
foule ; de là, il apparaissait aux fidèles, la foudre au front, sance de son désir est convertie en une générosité radicale.
tenant à la main les clés du ciel, et il commandait au nom de Si elle ne partage pas la passion de son mari, elle s’y soumet,
la colère et de la jalousie de son Dieu » 4. La similarité des capable à son tour d’entrer dans une forme d’Absolu, celui
images est frappante, on la constate aussi bien sûr dans de l’oblation, manifestée par le seul passage au discours
Madeleine Férat, roman de 1868 dans lequel de même une direct. Le narrateur, s’il dénie à son personnage féminin la
amoureuse au prénom biblique voit ses élans d’affection capacité d’entrer en communion spirituelle avec le peintre, lui
maritale contrariés par l’obsession du péché et les divaga- attribue des vertus exaltées par l’injustice et l’indifférence bru-
tions apocalyptiques d’une vieille bonne protestante. Même tale de celui qui en est l’objet. Dans la stratégie textuelle, le
si la conception artistique nourrie par Claude présente les code de sympathie joue en faveur de Christine : « Cependant,
caractères d’une nouvelle religion – il est cependant difficile elle était sans colère contre lui, elle l’adorait d’une tendresse
de déterminer qui prend en charge l’expression « lutte avec en pleurs, tellement elle le voyait se dévorer lui-même ». On
l’Ange », Christine, le narrateur, Claude ? –, c’est bien peut aussi comparer (avantageusement) l’héroïne zolienne à
Christine qui oscille, dans son désespoir et l’abandon dont elle Manette Salomon 5 par exemple, pour disculper définitive-
est victime, entre la jalousie et la superstition, entre la souf- ment l’auteur de toute velléité de régler son compte à la condi-
france et la colère, des réactions quasi instinctives auxquelles tion féminine en cédant au préjugé de l’infériorité naturelle.
sont affectées des notations concrètes stéréotypées, encore une La question des points de vue est essentielle pour appré-
fois pour marquer l’isolement radical du personnage dans son hender correctement cette page du roman. La mainmise du
monde possible et son impuissance à nouer le contact avec narrateur sur le texte est attestée par une habile superposition
l’artiste. Une femme, être de chair et de sentiment, ne peut des discours, dont l’origine est parfois indiscernable. La foca-
vivre avec un homme qu’« à table, au lit », dans une cuisine lisation zéro domine cependant, renforcée par une sorte d’in-
ou dans une chambre, selon un protocole et dans une compli- souciance souveraine dans la mise en place de la chronologie :
cité que le début du roman a contribué à mettre solidement en les notations temporelles – « pendant des mois », « dès lors »,
place. On aurait beau jeu de s’indigner d’une adhésion sans « après quelques semaines d’heureux travail », « pendant des
faille à un modèle évidemment dépassé de répartition socio- journées », « pour un mois », « à dix reprises »… – connotent
culturelle des facultés selon les sexes, mais si Zola souscrit une durée étale, sans véritable borne : un ressassement.
généralement à une conception de la femme largement parta- L’indistinction atteint son comble au troisième paragraphe,
gée par les hommes de son temps, il cherche aussi à mettre en quand le temps passe décidément sans que ne soit marquée
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scène le refus de la vie par son personnage masculin. aucune étape. Tous les procédés convergent pour dire l’in-
Christine n’est pas qu’une incarnation réductrice de la achèvement constitutif : « Une année, deux années s’écoulè-
femme d’artiste, obtuse et inaccessible à toute idée de gran- rent, sans que le tableau aboutît, presque terminé parfois, et
deur, elle est aussi celle qui signale la folie de son partenaire. le lendemain gratté, entièrement à reprendre ». La phrase
Sa fonction de référent, son ancrage dans le réel sont
constamment rappelés par un narrateur soucieux de pointer
les dangers de la dérive imaginaire. La pose est une « tor- 5. Les frères Goncourt, qui sont les principaux représentants de la
ture », la « fatigue » de cette ascèse physiologique est bien « littérature célibataire » au XIXe siècle, sont toujours animés par la
celle de crampes, de « douleurs qui tendaient ses muscles » ; malveillance quand ils décrivent, avec beaucoup de clichés, leur per-
la vie est là, incarnée solidement en cette femme dont nous sonnage féminin : « Coriolis lui savait encore gré d’autres agréments.
Elle lui plaisait en se suffisant à elle-même, en se tenant compagnie, en
se passant des sociétés de femmes, en ne voyant point d’amies. Elle lui
plaisait par sa froideur au plaisir, sa paresseuse sérénité, son air content
3. Sur cette question, voir la contribution majeure de Sophie dans cette existence paisible et monotone. Elle avait un ensemble de
Guermès, La Religion de Zola, Champion, 2003. qualités soumises, une docilité gracieuse à ce qu’il disait, à ce qu’il
4. Compte rendu d’Aurélien, de Gaston Lavalley, article paru dans voulait, une obéissance à ses idées, une sorte d’aimable effacement de
L’Echo du Nord le 19 juillet 1864, repris dans les Œuvres complètes de caractère », Manette Salomon, Union Générale d’Éditions, coll. 10/18,
Zola, sous la direction d’Henri Mitterand, Cercle du Livre précieux, série « Fins de siècles », 1979 [1re parution en 1866], p. 312. Le portrait
tome 10, p. 317, 1968. est celui du parfait animal domestique.

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conclusive de ce paragraphe destiné à prouver l’inanité de débat cette notion de « psychologie », mais il faut surtout
l’effort est saturée de scansions parfaitement vaines : la relativiser l’influence de Christine sur Claude. Dès le début
multiplication des adverbes, des locutions, associée à une du roman, la peinture est présentée comme l’ennemie de la
syntaxe de ressaisie dilatoire, mime l’involution d’un geste jeune femme, mais c’est plutôt cette dernière qui a fait irrup-
créatif plus destructeur que fécond. Le texte entier est tion dans la vie réglée de l’artiste et qui s’est insinuée pour
dominé par un imparfait d’habitude qui ouvre, dans ses mettre en place un « ménage à trois ». Dans les premières
valeurs aspectuelles, un champ temporel foncièrement incer- pages du chapitre I, l’irréalité de l’apparition de la jeune
tain, à la fois inachevé et réitéré, pour dire l’inanité de l’éter- femme est soulignée par le côté romanesque de sa mésaven-
nel retour, évidemment contraire à l’idée de progrès dont ture, et Claude « s’émerveille » de « l’invraisemblance de la
l’époque a pourtant décidé d’être la plus fervente illustra- vérité ». Mais cette péripétie de la vie est d’abord perçue
tion. L’étonnement finit d’ailleurs par gagner le propos après comme une intrusion. L’essentiel est déjà ailleurs, dans cet
ce paragraphe-charnière, et à un récit focalisé sur le person- atelier qui suscite d’ailleurs immédiatement l’effroi, avec sa
nage de Christine succède désormais une analyse de la folie « si terrible peinture, rugueuse, éclatante, d’une violence de
Claude, qui cache une interrogation plus fondamentale sur tons qui la blessait » (p. 74).
l’esthétique et la représentation artistique. L’indifférence spontanée et constitutive de l’artiste
aux critères de la « bonne vie » amoureuse et domestique
Le personnage de Claude, tel qu’il est conçu par Zola, prônée par Christine est bien marquée par les figures de
échappe aux suppositions médiocres, aux anecdotes plai- l’éloignement : Claude est ailleurs, « c’était au-delà qu’il
santes sur la vie d’artiste 6, et une étude en profondeur du vivait », décrit et perçu de loin, comme une monade, replié
génie artistique est diligentée par l’écrivain naturaliste. sur lui-même, enfermé dans l’orbe de ses préoccupations.
Tandis que le peintre Coriolis est victime de l’influence délé- Le texte donne ainsi à la fois une impression de mystère
tère de Manette Salomon, et devient un homme ordinaire, les inviolable en même temps qu’il sanctionne l’anormalité.
éléments péjoratifs qui pèsent sur la carrière de Claude sont Cette ambiguïté se retrouve dans le dernier paragraphe, qui
pour l’essentiel intrinsèques et là gît son drame. « La bonne conjoint l’empathie à l’analyse. Une indéniable émotion
vie à deux » postulée (par le narrateur, plus vraisemblable- d’origine autobiographique perce ici, comme dans d’autres
ment par le personnage) comme pour mémoire au début de nombreux passages de L’Œuvre, par l’affleurement d’une
l’extrait est une pétition de principe. Fondamentalement voix narrative portée aux confins du genre, presque gémis-
Claude n’a jamais été distrait de sa vocation, il n’a touché sante, et porteuse d’un questionnement qui travaille l’écri-
Christine qu’après le Salon des Refusés, lorsqu’il « rentre ture et met en abyme les angoisses de l’écrivain. À qui
vibrant de la défaite, épuisé d’avoir péroré avec les amis ». attribuer ces exclamations réitérées, ce changement de
Elle ne le possédera vraiment que pendant un mois : « Et perspective soudain, cette essentialisation du discours, qui
bientôt la lutte commençant, avec la peinture » 7 ; « Et le confèrent au récit qui précède une fonction prétexte,
drame de la fin, l’épouse luttant jusqu’au bout, contre cet art presque artificielle et dilatoire dans son souci de bien
qui la tue ». Comme le signale Henri Mitterand, « cette solu- convaincre le lecteur que l’on se trouve à la fois dans une
tion dramatique est une innovation par rapport à tous les impasse mais ni par hasard ni par accident. Insérée dans le
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romans et à toutes les nouvelles d’artistes antérieurs. Tout le dispositif laborieux d’une mise en situation superlative, la
côté passionnel et érotique de L’Œuvre est ainsi sublimisé. question du « génie » est enfin posée dans son évidence et
Claude meurt de ne pas pouvoir unir les deux désirs qui l’ha- sa brutalité. On ne saurait donc remettre en question dans
bitent, et c’est sur ce point que Zola, pour sa part, associe le un premier temps l’authenticité des cris lâchés par l’artiste,
plus lucidement une psychologie de la création et une psy- cris de douleur et d’insatisfaction d’un homme qui aspire à
chologie de la passion amoureuse » 8. On peut mettre en la démiurgie et retrouve les accents du désespoir roman-
tique. Déjà, dans son fameux article sur « Proudhon et
Courbet » (Mes Haines, 1866), Zola s’était exclamé : « Je
suis artiste, et je vous donne ma chair et mon sang, mon
6. Voir Jacques Lethève, La Vie quotidienne des artistes français au cœur et ma pensée. Je me mets à nu devant vous ».
XIXe siècle, Hachette, 1968. La « vie d’artiste est un mirage » : elle attire
les jeunes gens et effraie leur famille. Le jeune épicier rêve de « cette
Comment rester indifférent à cet exhibitionnisme d’une
expérience échevelée, fiévreuse, immensément balocharde » dont parle dilection évangélique, à ce « cœur mis à nu », à ces épou-
un chroniqueur en 1855. sailles de l’art et de la vie, à cette authenticité dont les
7. Dossier préparatoire de L’Œuvre, BNF, Nouvelles Acquisitions artistes offrent un émouvant et indispensable spectacle,
françaises, 10316, 476 feuillets. sans doute pour rappeler à chacun, « mon semblable, mon
8. Henri Mitterand, Zola, tome II, L’Homme de Germinal 1871-1893,
frère », la teneur de son humanité essentielle. La grandeur
Fayard, 2001, 1192 pages, p. 801. La monumentale biographie d’Henri
Mitterand compte trois tomes. de la vocation artistique oblige l’auteur à recourir, à son

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corps défendant, à la phraséologie romantique 9 : « effort de exploitée dans Thérèse Raquin avec le personnage de
sang et de larmes », « créer de la chair », « souffler de la Laurent 12 et y revient dans la hâte d’un diagnostic partagé
vie », « lutte contre l’Ange ». Au passage est récupérée par tous les actants, notamment les « camarades » du peintre,
l’imagerie biblique, elle-même passée au laminoir de la peu susceptibles d’être pris pour des béotiens ; ils forment au
mythologie romantique. Tout est bon pour dire, en un ins- contraire un chœur de sympathisants compréhensifs et fon-
tant, dans le lâché de l’expression, la vocation vitaliste et cièrement raisonnables, aptes à isoler précisément le genre
génésique de la représentation artistique. Zola ne distingue de tare dont est affecté Claude : il n’est qu’un « génie incom-
pas précisément la création de l’instinct vital, la mimèsis de plet », comme les « impressionnistes » que Zola accuse d’en
la genesis. Lorsqu’il conçoit l’Ébauche de son roman, il éta- être restés au brouillon, à l’inachèvement des ébauches. La
blit une liste de 65 titres 10 qui renvoient, pour beaucoup, à la croyance en un point d’équilibre quasi pascalien 13 donne
réalité biologique, crûment conceptionnelle et obstétrique : cette fois à l’explication rationnelle une dimension clas-
faire un enfant, faire un monde, faire de la vie, enfantement, sique, si l’on entend par classicisme, comme le dira plus tard
accouchement, parturition, conception, enfants, engrosser la André Gide, un romantisme dompté 14. Le diagnostic médi-
nature, fécondation, du sang, de la vie, l’œuvre de chair, le cal se résout en précepte poétique et les deux ordres de jus-
sang de l’œuvre, notre chair, les faiseurs d’hommes, l’an- tification s’allient pour reléguer Claude dans l’atopie
goisse de créer, les couches du siècle, ceci est ma chair, le baudelairienne d’un spleen erratique et funèbre annonciateur
siècle en couches… de la fin prochaine : « Quand un désespoir le chassait de son
Le titre retenu pour désigner par euphémisme et cerclé atelier, et qu’il fuyait son œuvre, il emportait maintenant
parfaitement suggestif la polyvalence sémantique de la voca- cette idée d’une impuissance fatale, il l’écoutait battre contre
tion artistique montre que l’écrivain a eu conscience des son crâne, comme le glas obstiné d’une cloche » 15.
risques de verbigération métaphorique qu’induit la transe Zola réussit ainsi par divers procédés, notamment l’al-
émotive. On ne peut, on ne doit pas, demeurer dans cet espace liance des voix et son travail sur les personnages, à intégrer
raréfié du tutoiement de l’Infini où, « si nous habitons un efficacement sa réflexion sur l’art dans le récit. Christine,
éclair, il est le cœur de l’éternel » (René Char). Zola sacrifie tout en adhérant à une conception traditionnelle et réductrice
Claude Lantier à cette aspiration nécessaire à tout artiste de la mimèsis comme « copie », est elle-même soumise au
authentique mais qui désigne en fait un foyer originel dans piège du simulacre, mais, dans son discours, les phénomènes
lequel il convient certes de se ressourcer mais sans s’y perdre. d’illusion maximale (quasi-présence de « l’autre » comme
C’est ici que s’arrête le romantisme, et c’est bien une horla) alternent avec des réactions de dévaluation référen-
« besogne impossible de faire tenir toute la nature sur une
toile ». Ce référencement à l’énergie tempéramentielle des
« fils aînés de Dieu » (Flaubert), au génie démiurgique, dis- Saturne et la mélancolie, Gallimard, Bibliothèque Illustrée des histoires,
tingue l’artiste authentique de ceux qui se satisfont de « l’à- 1989 ; Jean Starobinski, La Mélancolie au miroir, trois lectures de
peu-près du rendu », des « tricheries nécessaires », mais il Baudelaire, Julliard, 1997 ; Patrick Dandrey, Les Tristesses de Saturne :
scènes de la mélancolie à l’époque baroque, Klincksieck, 2003.
convient tout autant de réaliser les œuvres. C’est la deuxième
12. Voir l’analyse que nous avons proposée de ce premier roman du
et tout aussi essentielle condition de l’œuvre. Il faut se sou-
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peintre dans notre édition de cette œuvre, Classiques Larousse, 2002.
mettre au réel, accepter en fin de compte l’ordre des choses, 13. « Ainsi les tableaux vus de trop loin et de trop près. Et il n’y a
ne pas sombrer dans l’illusion, ne pas faire sécession. Zola, qu’un point invisible qui soit le véritable lieu. Les autres sont trop près,
pour expliquer l’anormalité de l’artiste, dispose de l’hypo- trop loin, trop haut ou trop bas. La perspective l’assigne dans l’art de la
thèse de la folie cérébrale et du « détraquement héréditaire », peinture », Pascal, Pensées, édition de Gérard Ferreyrolles, Le Livre de
poche classique, 2000.
courante à cette époque (et depuis Aristote, qui parle de la 14. « L’œuvre classique ne sera forte et belle qu’en raison de son
mélancolie des philosophes et des artistes 11). Il l’a déjà romantisme dompté », Incidences, Gallimard, 1924, p. 38.
15. Atmosphère similaire dans le poème LXXVIII des Fleurs du
Mal, « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle », qui se
termine par ces vers : « – Et de longs corbillards, sans tambours ni
9. Zola adhère profondément au romantisme, dont il réfute généra- musique, / Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir, / Vaincu,
lement la rhétorique, sans pouvoir se priver ni de son intensité ni de sa pleure, et l’Angoisse atroce, despotique, / Sur mon crâne incliné plante
tentation de l’Absolu. Nombreuses attestations dans le roman. Voir son drapeau noir. » Voir aussi le poème LXXIV, La Cloche fêlée :
notre article, « Zola et le romantisme », L’École des lettres, numéro « Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu’en ses ennuis / Elle veut de ses
spécial : Aspects du romantisme, n°12-14, 2004, p. 113-126. chants peupler l’air froid des nuits, / Il arrive souvent que sa voix affai-
10. Parmi lesquels plusieurs sont répétés, notamment L’Œuvre, de blie / Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie / Au bord d’un lac
telle sorte que cette liste compte 54 titres différents. de sang, sous un grand tas de morts, / Et qui meurt, sans bouger, dans
11. Voir notamment Aristote, L’Homme de génie et la mélancolie, d’immenses efforts. » Zola a lu de près Baudelaire, et il n’est pas
traduction et présentation de J. Pigeaud, Rivages poche, 1991 ; l’ou- impossible qu’il ait aussi souvent pensé à ce poète « maudit » en rédi-
vrage majeur de Raymond Klibansky, Erwin Panofski, Fritz Saxl, geant son roman, jusqu’à lui emprunter des images.

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L’INFORMATION LITTÉRAIRE N°2 / 2006 – DOCUMENTATION PÉDAGOGIQUE

tielle, puisqu’il est aussi question, pour évoquer la peinture, Par cette évocation somptueuse et circonstanciée de l’en-
d’« une poussière, un rien, de la couleur sur la toile ». Si l’on treprise artistique, Zola apporte une importante contribution
y prend garde, Christine ne sombre pas vraiment dans le à la réflexion sur la représentation, il éclaire le fonctionne-
délire du peintre, et le texte, par le recours à la comparaison ment de la mimèsis. Pour ouvrir le champ à cette réflexion,
par exemple (« un ménage à trois semblait se faire, comme après le blocage d’une condamnation radicale par Platon,
s’il eût introduit dans la maison une maîtresse ») ou par Aristote avait proposé une image très pacifiée de la fiction.
l’emploi de termes explicites comme « copie », « dédouble- Zola, fils ingrat du romantisme, ami des peintres et tourné
ment », « image », sanctionne la coupure entre le référent et vers la science, syncrétise les données de la tradition et for-
l’illusion perceptive. La jeune femme réagit normalement et mule des hypothèses au sein d’un récit fortement dramatisé,
comprend que c’est l’art qui exerce une « souveraineté » sur lisible à plusieurs niveaux. On peut s’émouvoir du destin des
ses desservants. Elle construit ainsi très logiquement une personnages, se laisser séduire par les images, céder à la
fiction simple relativement au phénomène de la croyance force d’une écriture qui mime à son tour le pouvoir de la fic-
comme péril de la représentation. Le danger signalé par tion. Mais cette expérimentation romanesque, si elle induit
Platon dans La République 16 est ici remarquablement un raptus affectif préattentionnel, se complique d’une série
exploité par le romancier. L’immersion perceptive qu’induit de propositions didactiques injustement négligées. Zola est
la représentation distrait Claude du réel, au sens le plus fort. un artiste qui pense, qui « maîtrise » sans laisser de suggérer,
On peut tenter une explication scientifique de l’état d’hyp- indéfiniment. Par exemple, pour apporter un nouvel éclai-
nose dans lequel vit désormais le peintre : la situation de rage à la lecture de ce texte crucial, nous pouvons supposer
feintise aboutit ici à un leurre, par défaut de découplage entre que Zola reconnaît à la peinture (peut-être plus qu’à la litté-
les modules mentaux représentationnels (perceptifs) et le rature) le pouvoir de recréer avec force l’impression de vie,
module épistémique des croyances. « En situation “normale”, la vie, ce que les phénoménologues appelleront l’Être de la
tout ce qui est traité par les modules représentationnels est présence, et que le langage médiatise. L’art ne serait alors
affecté d’une valeur épistémique (vrai, faux, probable, pos- plus une représentation du monde tel qu’il nous apparaît,
sible, impossible, etc.) pour être ensuite stocké dans la mais la relation même du sujet avec le monde, et plus spé-
mémoire à long terme sous forme de croyances utilisables cialement avec cette « nappe de sens brut » évoquée un
directement dans nos interactions cognitives et pratiques avec siècle plus tard par Merleau-Ponty dans L’Œil et l’Esprit 17 :
le monde dans lequel nous vivons. La situation de feintise « Le monde n’est plus devant [le peintre] par représentation :
ludique au contraire coupe ce lien, ce qui exige une naviga- c’est plutôt le peintre qui naît dans les choses comme par
tion permanente entre la posture représentationnelle et une concentration et venue à soi du visible, et le tableau finale-
neutralisation des effets normalement induits par cette repré- ment ne se rapporte à quoi que ce soit parmi les choses
sentation » (Schaeffer). Ce que Zola diagnostique comme un empiriques qu’à condition d’être d’abord “autofiguratif” » 18.
défaut de l’œil chez le peintre est la naturalisation intuitive C’est aussi cette intuition, toute moderne, que Zola s’effor-
d’un défaut de découplage facile à concevoir si nous analy- cerait de faire saisir et partager. Ce texte du chapitre IX par-
sons de près la situation d’immersion mimétique, que ce soit ticipe certes d’une structure narrative solidement charpentée,
dans la rêverie, la lecture ou la contemplation des œuvres mais la régie magistrale du récit n’étouffe jamais la problé-
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d’art. Claude sort du cadre pragmatique de la représentation matique philosophique et intellectuelle comme elle n’est pas
picturale – et qui apparaît tel à Christine, qui perçoit bien la court-circuitée par elle ; au contraire, elle la valorise en
toile, l’atelier, les couleurs – pour verser dans la croyance. tablant sur l’intensité de la participation affective du lecteur,
invité à son tour à entrer dans l’univers de la représentation
pour mieux l’interroger.
16. Platon, par la force et la clarté de son argumentation antimimé-
tique, est à l’origine de la tradition occidentale de réprobation de la François-Marie MOURAD
représentation : iconoclasme médiéval (byzantin), mises en garde reli- Lycée Montaigne de Bordeaux
gieuses contre le théâtre ou la peinture figurative, romantisme d’Iéna,
théorie des inventeurs de l’art abstrait (Kandinsky et Mondrian), théâtre
épique de Brecht, polémiques antinaturalistes et aujourd’hui polé-
miques sur les réalités virtuelles. Bibliographie abondante sur le sujet.
Voir notamment le très beau livre d’Alain Besançon, L’Image interdite,
Une histoire intellectuelle de l’iconoclasme, Fayard, L’Esprit de la cité,
1994 [repris en poche] et l’ouvrage dont je m’inspire pour ce para- 17. Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’Esprit, folio essais, 1988
graphe du commentaire : Pourquoi la fiction ? de Jean-Marie Schaeffer, (1re édition 1964), p. 13.
Le Seuil, coll. Poétique, 1999. 18. Ibid., p. 69.

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